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Comité de Rédaction

de Lecture et d’Evaluation :
Luc Boyer Aline Scouarnec
Directeur de Publication Rédacteur en Chef,
Université de Paris-Dauphine Université de Caen
Jean-Paul Aimetti, CNAM, Paris
Michel Albouy, Université de Grenoble 2
David Alis, Université de Rennes 1
Olivier Badot, ESCP-EAP
Isabelle Barth, Université de Metz
Chaik Bentaleb, Université de Marrakech, Maroc
Michelle Bergadaà, Université de Genève, Suisse
Charles-Henry Besseyre des Horts, HEC
François Blanc, Université de Paris 1
Françoise Dupuich-Rabasse, Groupe Esc Rouen
Frank Bournois, CIFFOP
André Boyer, Université de Nice
Joel Brée, Ecole Doctorale Economie-Gestion Normandie
Louise Cadieux, Université du Québec, Canada
Jean-Luc Cerdin, Essec
Jacques Colin, Université d’Aix Marseille 2
Christian Defélix, Université de Grenoble 2
Eva Delacroix, Université de Paris Dauphine
Pierre Desmet, Université de Paris Dauphine
Jean-Yves Duyck, Université de La Rochelle
Marc Filser, Université de Bourgogne
Patrick Hetzel, Recteur de l’Académie de Limoges
Joan Mundet Hiern, Université de Barcelone, Espagne
Jacques Igalens, Université de Toulouse 1
Jean-Marcel Jammet, Directeur INSEEC, Paris
Patrick Joffre, Université de Caen
Michel Kalika, Université de Paris Dauphine
Pierre Louart, Université de Lille 1
Michel Marchesnay, Université Montpellier 1
Patrick Micheletti, Euromed Marseille
Jacques Orsoni, Université de Corte
Gilles Paché, Université de Montpellier 1
Jean-Marie Peretti, Université de Corte
François Pichault, Université de Liège, Belgique
Didier Retour, Université de Grenoble 2
Philippe Robert Demontrond, Université de Rennes 1
François Silva, CNAM, Paris
Jean-Claude Tarondeau, Université de Nanterre
Maurice Thévenet, CNAM, Paris
Eric Vatteville, Université de Rouen
Sylvain Wickham, Economiste, ISMEA
Zahir Yanat, Bordeaux Ecole de Management
Véronique Zardet, Université de Lyon 3

Cette revue a également le soutien d’un comité Avenir et Entreprises :


François Attali (Cabinet Episens), Dominique Ballot (Université Toulouse), Jacques-Henri Bourdois (ASMEP),
Benoit Collard (LVMH), Louis Gimbert (Expert international en Economie industrielle), Edgard Girard (Inseec
Bordeaux), Raymond Hara (Groupe SNCF), Paciique Le Clère (Bolloré Energie), Pierre Lenhardt (Boeing), Jean
Margerie (Man), Jean-Marie Meulle (Agrial), Bruno Moschetto (Banque Delubac), Didier Robert (La Poste), Marc
Roquette (Roquette Frères)

La Revue Management et Avenir a été créée en 2004 puis développée par l’INSEEC ceci
ain d’encourager la recherche universitaire en créant un nouvel outil à cet effet. La Marque
Management et Avenir est une marque déposée auprès de l’INPI par la société O&D.
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Sommaire
Page 3 Editorial
Luc Boyer
Page 9 Le management de la réputation chez Sernam : application
du modèle IPS
Philippe Boistel
Page 27 Impact du conlit intergénérationnel sur la relation à l’entreprise
et au travail : proposition d’un modèle.
François Grima
Page 43 Comment gérer les compétences dans les situations de
fusions-acquisitions ? Une étude de cas dans le domaine de
l’audit inancier et iscal.
Pierre-Yves Sanséau et Mohamed Matmati
Page 59 Diversité des référents culturels dans l’organisation :
comment optimiser la rencontre des cultures ?
Marie-Amélie Garcia
Page 79 De la polyphonie à la cacophonie : voix des voies du
commerce équitable.
Philippe Robert-Demontrond et Anne Joyeau

Cahier spécial piloté par Michel Kalika et Véronique


Guilloux
Page 109 Le syndicalisme face aux TIC : réalité du changement et
implications managériales
Françoise Pierson
Page 117 Outsourcing et Ressources Humaines : le BPO : solution
pour la transformation de la fonction RH ?
Véronique Guilloux
Page 127 L’E-RH : un processus de modernisation de la gestion des
ressources humaines à la ville de Paris
Florence Laval et Abdallah Thierno Diallo
Page 153 Surcharge informationnelle, urgence et TIC. L’effet temporel
des technologies de l’information
Henri Isaac, Eric Campoy et Michel Kalika
Page 173 Vers de nouveaux types de réseaux sur Internet ? Les réseaux
à liens faibles du dirigeant de petite entreprise
Bernard Fallery et Carole Marty
Page 187 Créativité et processus de création dans les équipes virtuelles
globales (EVGs) : cas du projet IVP « Intercultural Virtual
Project »
Raik Letaief, Marc Favier et Françoise Coat

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Editorial

Jeux d’été.
Nombreux sont ceux, j’imagine, parmi nos lecteurs qui durant l’été essayent de «
repasser » tel ou tel diplôme (comme des baccalauréats en ligne)
L’exercice que je vous propose aujourd’hui pour le mois d’août est beaucoup
plus exigeant.
Comme vous le savez, le concours de recrutement des Professeurs d’Université
en Sciences de Gestion vient de se terminer. Commençons, comme il se doit,
par féliciter tous les candidats et bien sûr, particulièrement les 27 qui ont subi
avec succès les trois épreuves et accèdent, de ce fait, au rang magistral par la
voie dite royale. Félicitons aussi le dévouement et le travail du jury, qui sous la
Présidence du Professeur Pierre-Lois Dubois, a conduit les débats pendant de
longs mois.
Les sciences de gestion, au concours d’agrégation, sont réparties en 8 spécialités
:
- comptabilité et le contrôle
- inance
- marketing
- gestion des RH
- gestion de production et logistique
- gestion des systèmes d’information et communication
- gestion juridique et iscale
- management stratégique
Il y avait 93 inscrits répartis dans ces sections.

Lors de la 2° épreuve - la leçon en loge - les candidats restant en lice avaient


à tirer un sujet au sort, qu’ils préparaient, en loge, pendant 8 heures avec des
livres ou documents à leur disposition (mais pas d’Internet), avant de faire leur
prestation pendant vingt minutes devant le jury.

Nous voilà arrivé au « jeu » que je vous propose (certains d’entre nous connaissent
déjà cet exercice et pourront aisément le refaire ) : vous allez trouver ci-dessous
la liste exhaustive des sujets choisis par le jury et soumis aux candidats.
Bien entendu, il ne s’agit pas de vous mettre dans les conditions réelles du
concours : il vous faudrait quarante jours et vos congés n’y sufiraient pas, mais
d’imaginer quelle serait votre réaction et la ou les lignes directrices de votre
exposé.

Bonne chance :
- La gestion des risques de l’entreprise
- Est-il possible de gérer une entreprise démocratiquement ?

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- Droits de propriété, innovation et compétitivité de l’entreprise


- Peut-on normaliser le management ?
- La théorie des parties prenantes est-elle une théorie ?
- Les sciences de la mesure en gestion
- Création de valeur et intérêts des parties prenantes
- Mondialisation et gestion
- Qu’est-ce qu’un bon dirigeant ?
- Les sciences de gestion doivent-elles forcément être plurielles ?
- Performances à court terme et développement durable des
entreprises
- Les comportements mimétiques et leurs enjeux
- Entreprise en réseau et dépendance
- Management et créativité
- Existe-t-il une gestion spéciique de l’entreprise à but non lucratif ?
- Leadership et management
- Pouvoirs et contre-pouvoirs dans l’entreprise mondialisée
- Le rôle du dirigeant dans la création de valeur de l’entreprise
- Don et gestion
- Objectivité et sciences de gestion
- La gestion n’est-elle que convention ?
- La gouvernance des entreprises : universalisme ou contingence ?
- Quelle gouvernance dans l’entreprise mondialisée ?
- Le débat actionnaire autres parties prenantes
- Management et transmission d’entreprise
- La stratégie de l’entreprise est-elle guidée par son environnement ?
- Créations de valeurs dans l’entreprise
- La citoyenneté de l’entreprise est-elle un concept ou un gadget ?
- La cohérence de l’organisation
- Management d’entreprise, management public
- Quelles relations entre éthique et proit dans les entreprises ?
- Gestion et modélisation
- Le management des entreprises et la médiatisation
- Actualité de Taylor et Fayol
- Stratégie et incertitude
- La rémunération de dirigeants
- Les prophéties auto-réalisatrices en gestion
- Le concept de sécurité et ses conséquences pour les entreprises
- Qu’est-ce qu’une bonne théorie dans les sciences de gestion ?
- Evolution de la Société et gestion de l’entreprise.

A votre avis, méritez-vous de faire partie des 33 candidats qui ont franchi cette
deuxième épreuve ?

Ces sujets – que je trouve précis et de belle qualité – portent à rélexion.

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Editorial

Par exemple, il y a quatre ans, combien de questions semblables auraient pu


être posées ? J’en ai dénombré –sans trop afiner- environ la moitié. Ce qui peut
être un estimateur du renouvellement de la recherche en management (c’est
considérable) et peut-être aussi l’inluence (marginal) d’un certain effet de mode
.
Les items qui reviennent le plus souvent (50%) sont ceux relatifs :
- au management, en général, et aux sciences de gestion (c’est bien
normal)
- à la gouvernance, droits de propriété, parties prenantes
- au développement durable, éthique, citoyenneté
Les autres thèmes (mondialisation, création de valeurs, organisation,
motivation…) se répartissant à peu prés les autres 50%.
Certains pourront penser que les sciences de gestion s’orientent un peu (trop ?)
vers des concepts « mous », je veux dire peu mesurables…Débat ouvert.
Peut-être d’autres auront envie, éventuellement, de déceler une espèce d’amorce
de dialogue qui commence à se mettre en place ( mais je me projète peut-être)
entre les partisans d’un relativisme /constructivisme… et ceux qui entendent
conserver une approche universelle des valeurs (toutes les valeurs ne se valent
pas…).
Bon repos bien mérité et/ou travail « tranquille » pour cette pause traditionnelle.

Luc Boyer

Directeur de Publication

Aline Scouarnec , qui s’est tant dévouée , depuis la création de Management


et Avenir , en tant que Rédacteur en Chef de notre Revue , pour la réussite de
notre projet autonome d’une nouvelle revue académique vient d’être reçue à
ce concours des Professeurs d’Université en Sciences de Gestion. Au nom du
Comité de Rédaction, et sans aucun doute de vous tous , amis lecteurs, je lui
adresse mes plus vives félicitations ; et ce d’autant plus, qu’elle s’est afirmée -
pour l’essentiel - sur le thème novateur (largement transdisciplinaire) qui est celui
de la prospective des métiers et de la gestion des compétences individuelles.

5
Formulaire d’abonnement
à la revue Management et Avenir

À retourner à :
Aline Scouarnec,
4 impasse Les Baronnies, 14 540 Soliers,
aline.scouarnec@unicaen.fr, tél : 06 08 95 86 11

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Email :
.....................................................................................................................................
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Les auteurs

Véronique Guilloux
Philippe Boistel Maître de Conférences
Maître de Conférences - IAE de Rouen - Université Paris XII LEA-irg
Université de Rouen veronique.guilloux@wanadoo.fr
Membre du Centre de Recherches et d’Etudes
en Gestion des Organisations
boistel.philippe@wanadoo.fr
Florence Laval
Maître de Conférences
CEREGE IAE de Poitiers
François Grima laval@iae.univ-poitiers.fr
Maître de Conférences en Sciences de gestion
Université Paris 12-IRG
grimaf2000@yahoo.com
Abdallah Thierno Diallo
Doctorant au CERMAT-Université de Tours
at.diallo@wanadoo.fr
Pierre-Yves Sanséau
Professeur à l’Ecole de Management de Henri Isaac
Grenoble Maître de Conférences
Chercheur à l’Université de Montréal CREPA Université Paris Dauphine
pierre-yves.sanseau@grenoble-em.com henri.isaac@dauphine.fr

Mohamed Matmati Eric Campoy


Professeur en GRH à l’Ecole de Management Maître de Conférences
de Grenoble CREPA Université Paris Dauphine
mohamed.matmati@grenoble-em.com eric.campoy@dauphine.fr

Marie-Amélie Garcia Michel Kalika


Doctorante IAE de Corte Professeur
Psychologue des Organisations CREPA Université Paris Dauphine
marie-amelie.garcia@wanadoo.fr michel.kalika@dauphine.fr

Philippe Robert-Demontrond Bernard Fallery


Professeur des Universités Enseignant-Chercheur/CREGO Université
IGR-IAE/Université de Rennes 1 Montpellier 2
philippe.robert@univ-rennes1.fr bernard.fallery@univ-montp2.fr

Anne Joyeau Carole MartI


Maître de Conférences Docteur de l’Université Montpellier 2/ CREGO
IGR-IAE/Université de Rennes 1 marti.carole@gmail.com
CREM-UMR CNRS
anne.joyeau@univ-rennes1.fr Raik Letaief
raik.letaief@upmf-grenoble.fr
Françoise Pierson Marc Favier
Maître de Conférences marc.favier@iut2.upmf-grenoble.fr
Université de Franche-Comté CEREGO Françoise Coat
francoise.pierson@univ-fcomte.fr coat@iut2.upmf-grenoble.Fr
Equipe SID-Laboratoire CERAG UMR CNRS
Grenoble
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Le management de la réputation chez
Sernam : application du modèle IPS

par Philippe Boistel

Résumé
Le management de la réputation est au cœur des interrogations stratégiques
du 21e siècle. La mondialisation des économies, la médiatisation croissante
des entreprises, les questions de développement durable et d’éthique
montrent l’importance du concept. L’auteur a construit un modèle de
management de la réputation assis sur trois variables : l’identité, le
positionnement et le système d’offre. Pour l’illustrer, il l’applique à l’entreprise
Sernam qui depuis trois ans se reconstruit à partir du management de sa
réputation.

Abtract
The management of the reputation is in the heart of the strategic
interrogations of the 21e century. The globalization of the economies, the
increasing media coverage of the companies, the questions of durable
development and ethics show the importance of the concept. The author
has built a model of management of the reputation sitting on three variables:
identity, the positioning and the system of offer. To illustrate it, it applies it to
the Sernam company which for three years has been rebuilt starting from
the management of its reputation.

La réputation est considérée comme une des «Gold Research Priorities» du


Marketing Science Institute (2002) car elle apparaît être une ressource intangible
incontournable. Ainsi, elle devient une variable clé du management stratégique
(Dowling, 2002). En effet, les recherches démontrent son rôle sur :
- Les ventes : L’impact psychologique de la réputation est fort puisque
cette dernière ajoute une valeur supplémentaire au produit lorsqu’il
est dificile d’en évaluer la qualité. Elle aide à réduire le risque perçu
à l’achat et facilite le choix de produits considérés comme similaires.
La réputation permet de vendre plus cher et de dégager des résultats
supérieurs pour un produit identique (Anonymous, 2002).
- Les ressources humaines : La réputation exercerait un effet sur le
niveau de satisfaction des salariés. Elle permettrait d’obtenir des
candidats de meilleure qualité (Bromley, 1993).
- La performance inancière : Roberts et Dowling (1997) ont montré que
les entreprises classées par le journal Fortune obtenaient de meilleures

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performances inancières. Buzzell (1983) et Gale (1987) ont mis en


évidence la relation entre la réputation et la proitabilité.
Au regard des travaux publiés, la réputation s’inscrit dans le domaine du
management stratégique. Dowling (2002) précise que « le challenge de
construire une réputation commence au sommet de l’organisation». « Le noyau
stratégique établit une vision et une stratégie et façonne globalement la culture
de leur entreprise ». C’est pourquoi cette variable permet de se constituer un
avantage compétitif (Greyser, 1996 ; Maathuis, 1993 ; Frombrun et Shanley,
1996 ; Gomez et Trinquecoste, 1993 ; Boistel, 1994) en favorisant la loyauté des
publics inluant sur le devenir de l’entreprise (Balmer, 1995) qui peut aller jusqu’à
la réalisation d’un avantage concurrentiel à travers la constitution d’une image
(Boistel, 1994).

Le manager est cependant confronté à une double problématique :


- La confusion possible entre la réputation et l’image conduit certains
auteurs à manager l’image pour obtenir une réputation, d’autres
préfèrent directement administrer la réputation. Une certaine confusion
existe dans les concepts utilisés.
- Le choix d’un modèle de management est délicat même si tous les
modèles exposés et quel que soit l’objectif initial (image ou réputation)
sont construits sur une même logique. Ils partent de la réalité de
l’entreprise (identité et parfois personnalité) pour construire soit une
image favorable, soit une réputation favorable à partir de la gestion de
l’identité.

Les modèles de gestion de la réputation présentent les mêmes types de limites


en raison d’une démarche en quatre temps (Boistel, 2004 ; 2007) :
La première étape repose sur l’idée que seule l’identité permet de valoriser
l’entreprise car elle oblige le noyau stratégique à procéder à une auto-analyse
qui vise à répondre aux deux questions suivantes :
- Qu’est-ce qui différencie l’entreprise des autres ? Cette interrogation
conduit à rechercher les fondements de l’entreprise.
- Que doit communiquer l’organisation ?
Si les modèles permettent d’avoir une logique dans la création du message de
l’entreprise, ils ne précisent pas à quel moment la communication a lieu, avec
quel message et vers quelle cible.
La deuxième étape consiste à placer la gestion de l’identité au niveau des
choix généraux de la politique générale en ce qui concerne les trois éléments
fondamentaux du mix-identité que sont les comportements, les communications
et les aspects symboliques. Malheureusement, les modèles ne précisent pas si
il y a un ordre dans la gestion, si ces éléments doivent être gérés de manière
simultanée…
La troisième étape amène à replacer l’entreprise au cœur des parties prenantes
et plus particulièrement auprès des deux fondamentaux que sont les salariés et

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Le management de la réputation chez
Sernam : application du modèle IPS

les clients. Cet aspect est essentiel car il est nécessaire à la création de liens
entre les salariés et les consommateurs.
Enin, selon les modèles, différentes identités sont indiquées, et parmi elles, se
retrouvent toujours l’identité actuelle et l’identité désirée. La dificulté de construire
une image ou une réputation favorable provient du décalage entre ces dernières.
Or, les modèles n’expliquent ni comment réduire l’écart, ni à quel moment il
convient de communiquer. De même, la vision identitaire prédominante dans les
modèles n’engendre-t-elle pas une vision trop centrée sur l’entreprise ?

Pour pallier à ces dificultés, il nous semble utile d’introduire un modèle tenant
compte des limites mises en évidence. L’objet de cet article est de présenter
un nouveau modèle de gestion de la réputation (le modèle IPS) qui permet à
l’entreprise de se constituer un avantage concurrentiel. Le modèle théorique
constitue la base de la première rélexion ; l’application à Sernam permet d’illustrer
le modèle dans un second temps.

1. IPS : un nouveau modele de management de la reputation

Trois éléments sont à la base du modèle : l’identité, le positionnement et le système


d’offre. Le premier point consistera à déinir les concepts utilisés pour éviter toute
ambiguïté dans le cadre de la rélexion. Ensuite sera présenté l’enchaînement
du modèle.

1.1. Les concepts de base du modèle


Trois concepts majeurs sont à la base de la conception du modèle. Ain d’éviter
toute ambiguïté sur le sens accordé à chacun, il semble utile de revenir sur
chacun d’entre eux.
1.1.1. L’identité
Johan Van Rekom (1997) indique que les auteurs ne déinissent pas explicitement
l’identité corporate. Si à l’origine, celle-ci était synonyme d’identité visuelle (van
Riel & Balmer, 1997), son rôle a grandi pour maintenant être considéré comme un
élément de la stratégie corporate (Olins, 1989, Boistel, 1994, van Riel & Balmer,
1997). Cependant des auteurs (Dowling, 2002) conçoivent encore l’identité
comme l’ensemble des symboles et des signes distinctifs qu’une organisation
emploie pour s’identiier (comme le nom de l’entreprise, le logo, la phrase
vocation…). Toutefois, plusieurs perceptions voisines peuvent être distinguées :
- De nombreux auteurs considèrent que l’identité correspond aux
caractéristiques uniques qui sont enracinées dans le comportement des
membres de l’organisation (Larcon et Reitter, 1979 ; Albert et Whetten,
1985 ; Abratt, 1989 ; Ramanantsoa, 1989 ; van Rekom, 1993 ; van Riel,
1995 ; van Riel & Balmer, 1997). L’identité correspond à ce que les
membres perçoivent, ressentent et pensent au sujet de leur organisation

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(Hatch and Schultz, 1997), elle correspond alors à ce qu’est réellement


l’organisation (Balmer, 1995 ; van Rekom, 1993) plutôt qu’à la manière
dont l’organisation utilise sa communication visuelle. C’est l’ensemble
des caractéristiques interdépendantes de l’organisation qui lui donnent,
au il de l’histoire, sa spéciicité et sa cohérence (Larcon et Reitter, 1979).
Cette vision est proche de la déinition de l’identité organisationnelle
(Hatch and Schultz, 1997).
- L’identité est constituée par l’histoire d’une organisation, ses croyances
et sa philosophie, la nature de sa technologie, ses propriétaires, ses
salariés, la personnalité de ses chefs, ses valeurs morales et culturelles
et ses stratégies (Ind, 1990).
- L’identité peut aussi être considérée comme un but général qui sert
d’alibi à une variété d’activités telles que dessiner un nouveau logo,
concevoir une nouvelle décoration intérieure, former les forces de vente
et plus généralement tout ce qui peut permettre de modiier une culture
(von Rekon, 1997).
- L’identité est un ensemble de projections qui doivent être contrôlées à
des ins stratégiques (Abratt, 1989). Ces projections peuvent résulter de
manifestations communica¬tionnelles (publicités), symboliques (logo,
héros), et comportementales (comportement du personnel de contact).
L’origine de ces manifestations identitaires serait due à la personnalité
de l’entreprise.
Par rapport à la communication, l’idée essentielle est de considérer que l’identité
est la consistance de la communication corporate (Bernstein, 1984, Ind, 1990,
Schewbig, 1988, Kapferer, 19988, 1991). L’identité apporte à l’organisation des
caractéristiques uniques qui sont enracinées dans le comportement des membres
de l’organisation. Le management de l’identité corporate se fait au travers de la
prise en compte des racines historiques de l’organisation (Ramanantsoa, 1989),
de sa personnalité (Birkigt & Stadler, 1986, Balmer, 1995, Olins, 1978), de sa
stratégie corporate (Wiedmann, 1988) et des trois éléments du mix corporate
identité (comportement des membres de l’organisation, communication et
symbolisme).
1.1.2. Le positionnement
Le positionnement correspond à la place que l’entreprise (la marque ou le produit)
occupe dans l’esprit de ses cibles (Trout et Ries, 1986). La nécessité de ce
concept résulte de l’encombrement des marchés (des produits et de la publicité)
et de la capacité limitée des individus à emmagasiner de l’information. Son
développement a été favorisé par la mise en évidence du concept d’ensemble
évoqué (Howard, 1963), de croyances déterminantes (Myers et Alpert,1968) et
par l’essor des méthodes d’analyse multidimensionnelles (Bouroche, 1971). Le
positionnement consiste donc à établir des différences entre les offres (Dubois
et Nicolson, 1991).
Quatre questions permettraient de positionner un produit, une marque ou une

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Le management de la réputation chez
Sernam : application du modèle IPS

entreprise : Pour quoi (angle de la promesse), pour qui (utilisateurs concernés),


pour quand (angle de l’occasion d’utilisation), contre qui (rélexion sur ses
concurrents) (Kapferer, 1988). Le positionnement peut même indiquer la raison
d’être de l’organisation, ce qu’elle est, et l’évaluation souhaitée des consommateurs
(McGirr, 1973). Le positionnement perceptuel apparaît alors comme un processus
décisionnel de nature stratégique qui consiste à développer après sélection un
certain nombre d’arguments de vente autour de son image corporative ou d’un
de ses produits, persuadant à l’achat la grande majorité des cibles (Dussart,
1985). La politique de positionnement doit reposer sur une parfaite connaissance
de l’environnement concurrentiel et du champ de concurrence de l’entreprise et
s’appuie sur les stratégies de segmentation et de différenciation.
1.1.3. Le système d’offre
Le système d’offre est l’ensemble organisé des actifs et des compétences qui
permet de réaliser les tâches constitutives de l’activité stratégique. Ses composants
sont pour partie acquis ou mobilisés dans l’univers stratégique et pour partie
produits et développés au sein même du système d’offre (Joffre et Koenig, 1992).
C’est considérer que l’entreprise coordonne différentes tâches ain de présenter
aux clients une somme de caractéristiques permettant de les satisfaire. Cela
rejoint la présentation du produit en panier d’attributs (Lancaster, 1966). Le client
peut soit être satisfait du panier présenté par l’entreprise, soit rechercher un autre
panier d’attributs, soit combiner un ou plusieurs paniers d’attributs. Ainsi pour
réaliser son activité, l’organisation doit coordonner l’ensemble des tâches qu’elle
réalise et qu’elle conie à d’autres prestataires. Elle gère donc une infrastructure
faite d’un ensemble d’actifs et de compétences : le système d’offre (Joffre et
Koenig, 1992).
Cette variable est nécessaire à la communication car elle permet de vériier que
l’identité et le positionnement retenus sont conformes à la réalité de l’entreprise,
et d’éviter ainsi la création d’images multiples (Boistel, 1994).

1.2. L’articulation du modèle


L’objectif est d’arriver à faire correspondre l’identité (qui représente la réalité
actuelle) au positionnement (qui symbolise la volonté stratégique de l’équipe
dirigeante). Une première analyse doit permettre de mettre en évidence les
écarts entre ces deux éléments.

Pour corriger les écarts enregistrés, des actions doivent être entreprises sur
le système d’offre. Il s’agira d’actions fortes sur la structure, les processus de
management, … des formations spéciiques doivent être entreprises dans un
double but : faire accepter le positionnement par les salariés, leur permettre
d’accroître leur compétence vers l’objectif de positionnement souhaité. A ce
stade, la communication interne doit être forte ain de faire adhérer les salariés au
positionnement retenu. S’il est possible d’intégrer les salariés dans la démarche

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de choix du positionnement, le résultat ne peut qu’être meilleur puisque le choix


résulte d’un travail collectif. Le risque de rejet du positionnement par les salariés
s’amoindrit.

L’identité qui relète l’entreprise ne peut être éloignée du positionnement qui


correspond (par rapport aux auteurs cités dans la section précédente) à l’identité
désirée, c’est-à-dire aux choix de politique générale. Or, tant que cette situation
perdure, il ne faut pas communiquer sur le positionnement car cela met l’accent
sur l’écart entre l’identité et le positionnement. Il ne peut y avoir de construction
d’avantage concurrentiel à ce stade. S’il y a communication externe, elle ne
peut en rien servir l’entreprise puisque la réalité n’est pas en phase avec les
communications et les comportements. C’est pourquoi il est nécessaire d’agir
sur le système d’offre ain de tirer l’identité vers le positionnement qui deviendra
à terme l’identité de l’entreprise lorsque les actions engagées auront fait leurs
effets.

En revanche pendant toute la phase de refonte du système d’offre, il est nécessaire


de communiquer vers les salariés pour leur expliquer les choix retenus ain qu’ils
s’approprient le positionnement de l’entreprise.

C’est lorsque l’identité s’est déplacée vers le positionnement et qu’il n’y a plus
de différences majeures entre les deux variables que la communication externe
permet de se bâtir un avantage concurrentiel durable construit à partir d’une
image conforme à la réalité de l’entreprise. La réputation va alors se construire
sur des bases saines.

14
Le management de la réputation chez
Sernam : application du modèle IPS

Le schéma suivant illustre le modèle présenté.

2. Le management de la réputation chez Sernam

Le management de la réputation provient de la volonté de positionner l’organisation


dans son environnement ain de se créer des degrés de liberté stratégiques.
L’entreprise de transport Sernam est connue de tous les français ou presque.
Sernam, à l’origine, service de messagerie de la SNCF est ilialisé en 2000 et
devient en 2002, une société anonyme. Les dirigeants indiquent alors qu’il ne
s’agit pas de réinventer la messagerie, mais plutôt de repositionner l’entreprise
par rapport à son environnement pour mobiliser au mieux toutes ses énergies
et son savoir-faire. Mais si la notoriété est forte, l’image ne correspond pas aux
ambitions stratégiques des dirigeants car elle apparaît plus proche d’un service
public que d’une véritable entreprise de services. C’est pourquoi les dirigeants
ont suscité une réforme de fond de l’entreprise autour d’un positionnement fort :
le respect absolu dans le but de métamorphoser la réputation de l’entreprise.

2.1. Sernam avant 2000


Sernam est progressivement passé d’un service public de la SNCF a une
entité propre. Ain de comprendre les modiications majeures que l’entreprise
a volontairement entreprises, il semble utile de revenir sur l’évolution de la

15
12

structure.
2.1.1. Du service public...
Pour comprendre Sernam, il est important d’analyser la mission, l’identité,
le positionnement et le système d’offre tels qu’ils existaient à la naissance de
l’organisation.
La mission :
Avant 1970, les services généraux de la SNCF assurent le transport de colis
par rail de gare à gare puis par transporteurs jusqu’au domicile du destinataire.
Dans les années 1960, la baisse du fret marchandise liée à l’expansion des
transporteurs routiers conduit à la création en 1970 d’un service autonome au
sein de la SNCF : le Service National des Messageries (Sernam).
Sa mission est de transporter les colis par le réseau ferroviaire. Sernam est alors
un service public.
L’identité :
La valeur de service public constitue la trame centrale de l’identité en raison du
personnel et des dirigeants, tous issus de la SNCF. Celle-ci repose sur la culture
du service, la proximité et la recherche permanente de la satisfaction du client à
travers la qualité de la prestation. Malheureusement, si la satisfaction du client
est l’objectif recherché, elle se fait au détriment de l’équilibre inancier. Les prix
Sernam apparaissent être de l’ordre de 20% inférieurs au marché ; les volumes
transportés étant importants, la rentabilité ne l’est pas car les clients sont facturés
à un prix égal ou supérieur au coût de revient.
Le positionnement :
Le positionnement repose sur la place de leader français de la messagerie Sernam,
c’est un service de la SNCF, la proximité avec le client (un réseau de distribution
incomparable), la performance du service (une organisation performante dans
toute la France, dans les meilleures conditions de rapidité) et l’adaptation aux
besoins de la clientèle (des solutions adaptées à chaque situation). L’image
Sernam est mêlée de proximité, de disponibilité et de recherche de satisfaction à
partir de services que l’entreprise ne cherche pas à valoriser sur le plan du prix.
Le système d’offre :
Sernam (leader français) a un système de décisions fortement centralisé. Cette
structure hiérarchique pyramidale conduit à une insufisante responsabilisation
des salariés. Le plan de transport est lié à l’appartenance à la SNCF (45
succursales, 185 centres d’exploitation, 1500 wagons, 400 camions et 3000
véhicules de livraison). Le service s’appuie sur la SNCF en utilisant le TGV et
l’ensemble du réseau ferroviaire et à l’international les trains, les avions, les
camions et les bateaux.
Les emplacements proches des gares coûtent chers, puisqu’ils sont situés
en ville, et apparaissent peu adaptés aux contraintes actuelles des transports

16
Le management de la réputation chez
Sernam : application du modèle IPS

routiers. Ainsi, le système d’offre, représentant un avantage concurrentiel, se


traduit dans les années 1990/2000 comme une source de coûts élevés par
rapport à la concurrence ayant quitté les villes.
2.1.2. … à la création d’une iliale
En 1993 l’activité de Sernam est ilialisée au sein d’une société anonyme (Sernam
Transport Route). Ain d’équilibrer inancièrement l’activité, une réorganisation
est mise en œuvre courant 2000 et 2001. En févier 2000, la SNCF apporte
l’ensemble des activités Sernam et l’ensemble des titres de Sernam Transport
Route à une société en commandite simple (SCS) Sernam qui devient une entité
juridique propre « Sernam SCS ». En 2001, la société nouvellement créée se
constitue en Groupe Sernam composé de neuf iliales (sept iliales régionales,
une iliale logistique (LDI) et une iliale route (STR)). Le Groupe adhère au réseau
EuroExpress qui est présent dans seize pays européens à travers un réseau
de onze expressistes indépendants leaders dans leur pays. En décembre 2001,
Sernam SCS est transformée en société anonyme (Sernam SA).
Mais la réalité économique n’est toujours pas prise en compte et entraîne :
- l’entrée dans une spirale négative qui se traduit par une baisse du
traic, de la qualité et une réduction des moyens
- des réactions de la concurrence. Une plainte est déposée à la
commission européenne en raison des subventions que la SNCF a
consenties chaque année à Sernam ain de rééquilibrer les comptes.
Bruxelles prévoit un plan de restructuration consistant à baisser les
moyens de l’entreprise et à restituer des parts de marché.
Cette situation est en plus aggravée par la décision du 23 mai 2001 de la
Commission Européenne qui prévoit « une réduction de 18% du chiffre d’affaires,
la fermeture de 35 sites, le départ d’environ 2 450 employés, un résultat net
positif à compter de 2004 et la réalisation d’investissements visant à accroître
l’eficacité de la SCS Sernam ».1

Géodis, iliale à 43,32% de la SNCF, doit entrer dans le capital de Sernam en


2001. Cette prise de participation s’effectuerait en deux étapes. Dans un premier
temps, Geodis prendrait 15% de Sernam puis, le protocole d’accord prévoit
que Geodis détiendrait 51% de Sernam dans le courant de l’année 2006 sous
réserve de la réalisation d’un ensemble de conditions inancières et juridiques
(redressement réussi, résultat d’exploitation positif, résultat net équilibré …).

En 2002, un impératif de refonte de l’entreprise s’impose car si la notoriété


est exceptionnelle, l’image apparaît vieillotte selon une étude commandée
par l’entreprise : Société secrète, préhistorique, arrogante et pilleuse de fonds
de commerce, le vilain petit canard de la profession, une entreprise assistée,
fermée, déicitaire et fonctionnarisée. Cette image est renforcée par un logo

1 Official Journal of the European Union, (2003), « State Aid – France : Sernam 2 : Revision of restructuring aid », C182/2, 1.8.2003

17
12

ancien , la vétusté des installations, des camions trop souvent sales, un accueil
téléphonique médiocre… En 2002, les dirigeants mettent en place tout un
ensemble de mesures dans le but de construire une réputation favorable assise
sur une notoriété exceptionnelle ain de rétablir les équilibres inanciers.

2.2. Sernam : vers l’entreprise de services


La trame des réformes est construite sur la volonté de mettre en adéquation
le positionnement retenu, le respect absolu, et l’identité de l’entreprise qui
repose sur la culture du service et la satisfaction du client (2.2.1). Pour cela, les
dirigeants ont entamé toute une série de réformes de fond pour que l’entreprise
naissante devienne ce qu’elle annoncera être dans les futures campagnes
de communication. Les écarts à combler sont importants entre l’entreprise de
services souhaitée et la réalité de la nouvelle entreprise créée en 2000. C’est
pourquoi un ensemble de modiications du système d’offre s’imposait ain de
faire coïncider l’entreprise de services souhaitée à la réalité (2.2.2).
2.2.1. Le nouveau positionnement et la nouvelle identité souhaitée
Avec le départ des trois quarts des cheminots de Sernam, réintégrant la SNCF, et
le recrutement de 2 000 collaborateurs, la direction Sernam a souhaité construire
une organisation assise sur une nouvelle identité ain de fédérer les personnels
dans le but de faire émerger un nouveau référentiel de valeurs autour d’un concept
clé : le respect absolu. Ce concept correspond au nouveau positionnement choisi
pour être le socle fondateur de la nouvelle organisation.

Ce dernier est décliné en quatre piliers :


la responsabilité : L’organisation nouvelle repose sur la création de sites
autonomes où la responsabilité de chacun est forte par opposition à l’ancienne
structure très centralisée.
- l’échange : « Pour faire correctement le métier Sernam, il faut échanger
fortement ; cet échange doit reposer sur la transparence avec le client
et les salariés.
- la proximité. L’organisation est construite de manière à favoriser la
proximité spatiale et relationnelle avec la clientèle composée de PME-
PMI.
- le déi : « il faut un goût du déi pour réaliser tous les changements
opérés par Sernam en deux ans ».
La volonté d’afirmer les valeurs (à travers le site Internet notamment) s’est aussi
traduite par un changement de logo et de toute la signalétique (les camions,
la tenue des chauffeurs-livreurs, la signalisation en agence, la papeterie, la
documentation institutionnelle et commerciale…). Le logo, trait principal de la
personnalité de l’entreprise, suggère trois impressions :
- la franchise : les triangles ont en effet des tracés directs, droits et
simples,

18
Le management de la réputation chez
Sernam : application du modèle IPS

- l’action : la superposition de deux triangles dynamise le logo et véhicule


l’impression de vitesse,
- la chaleur : le choix des couleurs, orange et rouge et la typographie
très ronde montrent l’accessibilité de l’entreprise dans ses relations
avec ses stakeholders.
Le mot « Sernam » apparaît stable et déterminé dans un environnement
mouvementé symbolisé par les triangles. L’entreprise veut montrer son caractère
innovant et accessible.
De même, la phrase vocation, Transporteur et citoyen afirme le métier
(transporteur) et contient le positionnement retenu. L’idée de respect absolu
est présente dans le terme « citoyen ». Elle indique la volonté de Sernam de
se comporter comme un citoyen et de respecter l’environnement (en utilisant
conjointement le rail et le transport routier).
Cependant, entre cette vision de l’entreprise et la réalité, des mesures étaient
nécessaires pour rendre l’entreprise conforme au positionnement et à l’identité
souhaités.
2.2.2. La refonte du système d’offre
Les dirigeants Sernam ont compris que les réformes gigantesques qu’ils allaient
susciter ne pouvaient se faire sans la participation active des salariés. C’est
pourquoi le projet d’entreprise a été construit avec les hommes de terrain.
Pendant six mois, de juillet 2002 à janvier 2003, vingt groupes de travail
réléchissent sur le projet d’entreprise. « Plus de 130 d’entre eux, du chauffeur au
directeur régional, ont donc été associés au processus, ain d’aboutir à un projet
pragmatique, mobilisateur et collant au terrain ». Parallèlement, des changements
structurels étaient entrepris et un certain nombre de mesures d’accompagnement
nécessaires à la réalisation du projet étaient mises en place.
Des réformes structurelles
Plusieurs décisions majeures changent la structuration de l’entreprise.
1. une décentralisation souhaitée
La SCS Sernam, créée en 2000, se constitue en Groupe Sernam en 2001 autour
d’un réseau composé de neuf iliales :
> Sept directions régionales : Sernam met en place des
centres de proit (agences), adapte les moyens des structures
régionales au plus près de l’activité et met in aux plans de
transport centralisés. Vingt-cinq agences seront installées dans
de nouveaux locaux avant la in 2006.
> Une iliale Logistique : Son métier s’articule autour de deux
savoir-faire spéciiques : le supply Chain Management et le
stockage et la gestion sécurisés. Particulièrement performante
en terme de qualité, elle est certiiée ISO 9001 norme 2000.
> Une iliale route (Sernam Transport Route) : Sa mission est

19
12

d’effectuer du transport de marchandises de proximité.


Cette constitution en Groupe s’est aussi traduite par l’arrivée à la tête du Groupe
d’un ex- patron de Calberson qui symbolise la in de « l’ère des cheminots ».
2. Une organisation dirigée vers le client
Pour gagner en rentabilité, un tri des clients a été effectué sur la base d’un fret
plus facilement transportable et plus rentable. La baisse d’activité volontaire
de 40% de l’activité en volume et de 20% en terme de chiffre d’affaires était
nécessaire. Elle était conforme à la décision de Bruxelles de restitution des parts
de marché et à la nécessaire remise à niveau tarifaire dans le but de la recherche
de rentabilité. Cette décision s’inscrit dans une politique qui doit conduire à un
redressement de l’entreprise qui repose sur deux modiications majeures :

> Une nouvelle offre commerciale lancée en 2003


La nouvelle offre a été construite à partir de l’identiication des besoins et
attentes vis à vis des transporteurs et de Sernam (recherche réalisée à partir
de quatre groupes de créativité comprenant sept à huit salariés Sernam, des
clients et prospects), la conception d’une nouvelle offre (étape réunissant des
commerciaux, des membres de Direction Régionale et du Service des Relations
Clients) et une phase de tests de validation et corrections (études menées par
l’Institut Louis Harris : quarante entretiens d’une heure trente en face à face ont
été réalisés).
La gamme a donc été conçue pour répondre aux exigences de la clientèle.
Nommées Sernam Xpress, toutes les expéditions sont traitées selon les exigences
de l’express, avec différentes options de délais et de services associés. La
gamme se décline en six produits :
- Urgence Xpress : livraison garantie le jour même par TGV et
course,
- H Xpress : livraison garantie le lendemain à heure convenue,
- Spécial Xpress : livraison garantie le lendemain avant 12
heures,
- Avantage Xpress : livraison garantie le lendemain avant 18
heures,
- Tempo Xpress : livraison au plus tard le surlendemain matin,
- Europe Xpress : livraison sur l’Europe avec le réseau
EuroExpress.
Sernam dispose ainsi de la gamme la plus large du marché. La majorité des
concurrents de Sernam ne sont présents que sur un ou deux segments. La
formule Avantage Xpress n’est pas commercialisée par les concurrents.
Cette nouvelle gamme s’accompagne d’un nouvel état d’esprit qui repose sur
trois engagements à respecter : je respecte mon client, je respecte son colis, je
tiens mes promesses.

> Un projet centré sur le client

20
Le management de la réputation chez
Sernam : application du modèle IPS

L’objectif de tenir les engagements vis-à-vis des clients constitue l’une des
valeurs fondamentales du projet d’entreprise. Pour cela, Sernam s’appuie sur
des produits différenciés, une refonte du traitement des colis qui passe par
l’absence de rétention dans les agences de départ et dans les hubs (politique des
quais vides), une distinction des colis par des étiquettes symbolisant l’urgence
de livraison. Mais pour respecter l’idée de « respect absolu », le SAV est devenu
SRC (Service Relation Client). Derrière ce changement de nom se cache la
volonté d’être transparent et réactif face au client. Le service a ainsi une double
mission :
- La remontée d’information au client. Elle répond au principe de transparence,
même et surtout s’il s’agit d’un retard. Ce service est dénommé « Info Pro-active
».
- L’anticipation et le traitement des incidents en cours de transport et les
empêchements de livraison. Ils deviennent un impératif de gestion pour éviter les
impacts inanciers.
Bien entendu, ce service ne peut fonctionner correctement sans une iabilité du
retour d’information effectué par les agences à partir du système d’information
appelé Alizée.
3. Un nouveau plan de transport
Sernam utilise un plan de transport multimodal qui allie la vitesse du rail à la
souplesse de la route. Le nouveau plan de transport s’appuie sur :
> l’utilisation de TBE (Train Bloc Express) qui constitue un
avantage compétitif non négligeable sur les transports de
longue distance. Le TBE circule à 200 km/h sur les axes Paris/
sud ouest et Paris/sud est. Il permet à Sernam de maintenir
sa qualité d’offre et présente l’avantage d’anticiper l’évolution
de la réglementation européenne. Du 1er janvier 2005 au 1er
janvier 2007, la vitesse des camions de plus de 3,5 tonnes a été
progressivement limitée à 90 km/h.
> une douzaine de centres de tri ayant deux vocations : l’intra-
zone et l’inter plates-formes. L’objectif est double :
- favoriser la rapidité de transport des colis à partir du choix des
acheminements les plus directs et une meilleure réactivité lors
de l’arrivée des tractions dans les agences de livraison,
- responsabiliser les personnels des centres à travers le respect
d’un certain nombre d’obligations (quai vide après le départ des
tractions, tolérance zéro pour les retards, lashage obligatoire des
envois à la prise en charge au départ et à l’arrivée en agence à
destination…).
> une modernisation de l’outil de production (trente sites ont été
fermés) à partir de l’ouverture de nouvelles agences comprenant
des installations modernes et conformes aux normes du métier
d’»expressiste». Ainsi à Montpellier, l’ancienne agence du centre

21
12

ville occupant 5 300 m2 et disposant d’un quai mono face a été


déménagée. Le nouveau site de 2 400 m2 est raccordé à la voie
ferrée et situé à moins de 1 500 mètres de l’embranchement
autoroutier. Le quai est disposé sur trois faces routières dont une
mixte route-fer et comprend 210 m2 de bureaux attenants sur
deux niveaux. Cette nouvelle localisation permet de gagner une
demi-heure sur certaines rotations de véhicules. Les nouvelles
agences sont à Arras, Pulversheim, Lyon, Perpignan, Bourg-
Achard… Ce sont ainsi 25 agences qui ont été installées à la in
2006 dans de nouveaux locaux.
4. Des mesures d’accompagnement
Les mesures d’accompagnement s’inscrivent dans le nouveau projet d’entreprise
et comportent des mesures structurelles (modiications des métiers), des
opérations d’accompagnement (formations) et des dimensions symboliques
(convention nationale en interne et communication à destination des cibles
externes).
> Une convention nationale
En octobre 2002 une convention nationale dévoile le projet d’entreprise (nouvelle
identité visuelle, nouvelle offre commerciale et un certain nombre de moyens pour
permettre la réussite du projet) . A partir des travaux réalisés par les 130 salariés,
tous les salariés ont pu découvrir le projet d’entreprise et le logo symbolisant la
nouvelle identité de l’entreprise.
> Un plan de formation conséquent
Tous les métiers de l’exploitation ont été visés par la formation, de celui de
manutentionnaire à celui de responsable d’exploitation. Les chauffeurs-livreurs
ont été traités à part en raison de la problématique de la sous-traitance. Là
encore, la formation vise l’objectif technique mais aussi celui d’adhésion à la
nouvelle identité souhaitée. C’est pourquoi les formations sont réalisées à Paris,
au cours de sessions permettant un brassage des opérationnels des différentes
agences. Les formateurs sont eux aussi des opérationnels, issus des agences et
intervenant en binômes avec le soutien de la direction générale, des directions
fonctionnelles et de la cellule Tranformation. Le contenu des stages a été conçu à
partir des travaux des hommes de terrain. 114 sessions ont ainsi été organisées
sur une période d’un mois.
> Une modiication des métiers
Tous les métiers ont été touchés par les réformes entreprises puisque le système
d’information, le système d’exploitation et les outils de pilotage sont totalement
nouveaux. Si en 1999, 80% des 5000 salariés sont issus de la SNCF, en 2004 il
ne reste que 200 personnes au statut SNCF sur les 3000 salariés de l’entreprise
Sernam. La peur du changement et de l’avenir de la société a conduit un grand
nombre des salariés présents2 en 1999 à partir à la SNCF au moment du transfert

2 La plupart des salariés ont démarré leur carrière chez Sernam.

22
Le management de la réputation chez
Sernam : application du modèle IPS

vers Géodis. En conséquence, il a fallu remplacer et former massivement. Ce


problème de départ a constitué une gêne majeure pour l’entreprise naissante
et en même temps une chance puisque les nouveaux salariés ne connaissaient
pas « l’identité initiale » et pouvaient être formés aux nouveaux comportements
souhaités. Cette période charnière n’a cependant pu réussir que parce que les «
anciens ont tenu l’entreprise à bout de bras ». Néanmoins, l’amalgame culturel n’a
pas été évident entre des salariés sous statut du secteur public et les nouveaux
recrutés, issus de la sphère privée et sous contrat privé.
> Une stratégie de communication
Une campagne de communication externe sur le service Xpress a été lancée
pour faire connaître la nouvelle offre et les nouvelles valeurs de l’entreprise via
les média. Les annonces presse ont été construites de manière à valoriser les
engagements de l’entreprise auprès de ses clients. Ain de mettre en exergue le
changement opéré par l’entreprise, le choix a porté sur la promotion de la nouvelle
offre Xpress qui exprime les mutations réalisées et incarne la nouvelle vision de
l’entreprise très orientée vers le client. Via un détournement de la Déclaration des
Droits de l’homme et du citoyen, Sernam proclame la qualité pour tous à travers
des niveaux d’urgence adaptés à chaque client. La communication externe
apparaît comme dans le modèle IPS au moment où l’entreprise est devenue ce
qu’elle voulait être.

Sernam a d’ores et déjà obtenu des résultats positifs de sa stratégie.


La Commission Européenne a conirmé la validité du plan de redressement
réalisé et met en exergue «la gamme innovante de services ferroviaires express».
(décision d’octobre 2004)
Sur le plan de l’organisation de la production, l’entreprise est la première à recevoir
la certiication CLIQ pour le traitement de sa relation client. Cette certiication
porte sur la relation client de l’amont à l’aval du service rendu. Elle est attribuée
par Global, un organisme indépendant , iliale de l’AFT. Elle couronne le niveau
de service atteint par Sernam construit sur la Fiabilité, la Régularité, la Sécurité
et la Transparence. Au premier semestre 2004, la perte a ainsi été divisée par
deux.
Les répercussions sur le plan commercial sont fortes : l’étude auprès de 1
200 clients, réalisée chaque année pour veiller au respect des engagements
Sernam en tant qu’entreprise certiiée CLIQ, montre des évolutions signiicatives
par rapport à l’année précédente sur les critères considérés comme les plus
importants par les entreprises : qualité du retour d’information client ( +
8,36%) ; eficacité du service après-vente (+ 7,39%) ; Soin du colis (+ 7,78%) ;
disponibilité de l’information client (+ 6,63%) ; délai de livraison (+ 5,35%)
L’enquête montre aussi que 92% des entreprises interrogées sont satisfaites ou
très satisfaites des prestations. 92% des entreprises interrogées trouvent l’offre
Xpress adaptée à leurs besoins. 93% des entreprises interrogées apprécient la
relation avec le conducteur-livreur.
Sernam a passé des accords avec de grandes entreprises internationales ain

23
12

de renforcer la qualité de son service. Ainsi, IBM mène un projet de coopération


avec Sernam ain de mettre en place un dispositif d’identiication et de suivi
automatique des colis à partir de la technologie RFID (Radio Frequence
Identiication). Ce système permet de suivre le colis muni d’une puce électronique
lue automatiquement lors des chargements et déchargements. De même,
Sernam LDI, iliale logistique de Sernam, a gagné un appel d’offre pour la prise en
charge pendant trois ans de l’ensemble des prestations logistiques de Playmobil
(réception des produits, stockage, préparation de commande, fabrication de
kits… et la distribution).
En conséquence, l’utilisation du modèle IPS montre que l’entreprise peut à travers
le management de sa réputation se bâtir un avantage concurrentiel.

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26
Impact du conlit intergénérationnel sur la
relation à l’entreprise et au travail : proposition
d’un modèle.

par François Grima

Résumé
Le but de cette contribution est de proposer un modèle exploratoire des
conséquences du conlit intergénérationnel en s’appuyant sur les résultats
existant sur les tensions de rôle. Après avoir déini le conlit intergénérationnel
comme une dificulté à travailler avec des personnes d’une génération
différente, voire une préférence pour travailler avec des personnes de la
même génération alors que l’organisation du travail rend cette segmentation
souhaitée délicate, l’auteur envisage son impact sur les tensions de rôle,
l’implication organisationnelle et les quatre dimensions de l’empowerment
(sens, autonomie, compétence, contrôle).Le test du modèle réalisé à partir
d’une approche path modelling PLS souligne les effets négatifs du conlit
intergénérationnel sur la relation au travail et à l’entreprise. Les résultats
sont ensuite discutés.

Abstract
The aim of this exploratory study is to propose a model about the impact
of age diversity on work and organizational commitment. After deining the
concept of intergenerational conlict, the author links it with role tension,
organizational commitment and empowerment. A path modelling PLS
approach is used to test this model. The results conirm negative effects
of intergenerational conlict on these variables. Later on, results are
discussed.

Les tensions de rôle constituent un thème particulièrement traité dans le


domaine des Sciences de Gestion. Depuis les travaux fondateurs de Kahn et
al (1964), la quasi-totalité des recherches (Fisher et Gitelson, 1983 ; Jackson
et Schuler, 1985 ; Nygaard et Dahlstrom, 2002) sur cette thématique souligne
leurs conséquences négatives tant pour l’individu que pour l’entreprise. Kahn et
al (1964) déclinent ces tensions au travers des concepts de conlit et d’ambiguïté
de rôle. Ils les déinissent respectivement comme « l’occurrence simultanée de
deux ou plusieurs demandes incompatibles telles que l’adaptation à l’une, rend
plus dificile l’adaptation aux autres. » et le « degré d’information manquante
pour occuper une position dans l’organisation. ». Grima (2000) montre que
les tensions de rôle remettent en cause la satisfaction au travail, l’implication
organisationnelle et conduisent le salarié à envisager de quitter son organisation.

27
12

En revanche, sa performance n’est pas remise en cause.

Pour autant, la richesse de ce champ de recherche ne doit pas occulter la


diversité des problématiques intégrant l’idée de tensions de rôle. On constate un
éclatement grandissant du champ de recherche et l’émergence de travaux plus
spéciiques. Il en est ainsi des conlits entre vie professionnelle et vie familiale.
Plusieurs travaux anglo-saxons (Boles et al, 2001 ; Netemeyer et al, 1996 )
soulignent les répercussions négatives de ce conlit sur la satisfaction au travail.
Dans un contexte français, Belghiti-Mahut (2003) trouve des résultats similaires.

Malgré la richesse des différentes perspectives, l’analyse des tensions


intergénérationnelles au sein des organisations demeure ignorée en Sciences de
Gestion. Si Marbot (2000) a mis en évidence les écueils des politiques de gestion
des âges, son analyse reste centrée sur les plus de 50 ans avec la déinition de
sentiment de in de vie professionnelle. Néanmoins, dans la conclusion de son
dernier ouvrage, Marbot (2005) suggère la nature potentiellement conlictuelle de
ces politiques d’âge segmentée qui conduisent à discriminer les âges extrêmes.
Cartigny (2003) montre que la coopération au travail peut être questionnée par
les pratiques de gestion des ressources humaines au moment où le management
de la connaissance souligne l’importance des liens inter-générationnels.

Conscients du caractère émergeant de la rélexion autour de cette problématique


en Sciences de Gestion, le but de cette contribution est de proposer un modèle
exploratoire des conséquences du conlit intergénérationnel en nous appuyant
sur les résultats existant sur les tensions de rôle. Nous enrichirons notre rélexion
d’apports issus de la sociologie et de la psychologie.

1. Cadre conceptuel et hypothèses de recherche.

1.1. Déinition du conlit intergénérationnel.


Comme le souligne Atias-Donfut (1988), la notion de génération doit être maniée
avec précaution. Il convient de préciser le type de générations et le champ auquel
elle s’applique. Sans revenir sur la distinction entre génération économique,
historique, familiale et la « cohorte de naissance », le champ d’analyse des
Sciences de Gestion s’oriente prioritairement vers les deux premières. Il s’agit
donc de comprendre la génération en se référant aux évènements, aux contextes
économiques qui scandent l’évolution professionnelle d’un ensemble d’individus.
La génération se déinit alors comme des individus ayant en commun une
même empreinte historique, matérialisée par des expériences et des inluences
identiques, et un socle commun de règles institutionnelles gérant leur évolution
professionnelle avant, pendant et après leur insertion dans le monde du travail.

28
Impact du conlit intergénérationnel sur la
relation à l’entreprise et au travail : proposition
d’un modèle.

Pour autant, il convient de rester modeste dans ces efforts terminologiques. En


effet, la délimitation des générations est dépendante du rythme irrégulier de
l’évolution historique qui peut cliver les générations en quelques années.

C’est cette différence que tend à cerner le concept de conlit intergénérationnel


(CIG), à savoir une conception de la réalité du travail différente fondée sur, à la
fois une empreinte historique différente, mais aussi des règles institutionnelles
distinctes dans la relation au travail. Nous déinirons donc ici le conlit
intergénérationnel comme une dificulté à travailler avec des personnes d’une
génération différente, voire une préférence pour travailler avec des personnes de
la même génération.

Le faible nombre de travaux sur ce thème dans le champ de l’entreprise alors que
se multiplient les recherches macro-économiques mettant en relief les tensions
générationnelles autour de problématiques telles que le inancement des
retraites, nous conduit à adopter ici une conception unidimensionnelle du conlit.
Cependant, plusieurs travaux récents, à l’image de ceux de Beaud et Pialoux
(2002), montrent que la coopération au travail entre générations est multiforme.
Nous reviendrons en conclusion, dans la partie limite, sur ce point précis.

1.2. Théorie et hypothèses.


La rédaction de cette partie s’appuie sur les résultats maintes fois constatés, dans
des contextes différenciés (notamment francophones) dans l’étude des tensions
de rôle (conlit et ambiguïté de rôle) et les travaux sur la gestion des âges.
Conlit intergénérationnel, âge et tensions de rôles.
Les tensions de rôles sont liées négativement avec l’âge. Dans sa revue de
littérature, Loubes (1997) montre que le lien est plus fort avec l’ambiguïté. Ce
résultat pourrait être rapproché des recherches sur les comportements citoyens
(Wagner et Rush, 2000) qui mettent en exergue que les salariés les plus anciens
développent plus facilement ce type d’action que les plus jeunes. Ceci devrait
nous amener à faire l’hypothèse que les salariés âgés3, plus enclins à l’écoute
d’autrui, éprouveraient un moindre CIG et de plus faibles tensions de rôle que
les plus jeunes. Leur tolérance à l’égard de la différence serait plus élevée. Cette
première orientation se doit d’être nuancée par les nombreux travaux sur les
stéréotypes dont seraient victimes les plus de 50 ans au travail. Loin d’être en
position d’aider les plus jeunes, comme le laissent à penser les travaux sur les
comportements citoyens, les salariés âgés sont pensés comme moins productifs,
peu désireux d’apprendre.

3 Comme le soulignent Maurer et al (2003), la définition du travailleur âgé est fluctuante dans la littérature, allant de plus de 35 ans
à plus de 58 ans. De plus aucun des auteurs ne précisent les raisons de son bornage. Dans une revue de littérature portant sur plus
de 105 recherches, Ashbaugh et Fay (1987) avance le chiffre moyen de 53 ans. Dans un contexte francophone, Marbot (2000) retient
le chiffre 50, sans fournir d’explications particulières. Dans un souci de comparaison, nous nous alignerons ici sur cette position pour
définir un salarié comme âgé.

29
12

Greller et Stroh (1995) soulignent l’existence d’une prophétie auto-réalisatrice


dont seraient victimes les plus de 50 ans. Le stéréotype conduirait le salarié
âgé à se comporter selon les caractéristiques ixées par le stéréotype. Plusieurs
travaux empiriques (Capowski, 1994 ; Salthouse et Maurer, 1996) suggèrent que
l’exposition à ces stéréotypes conduit le salarié âgé à douter de lui-même et de
ses possibilités professionnelles, notamment de sa capacité à apprendre. Hassell
et Perrewe (1993) soulignent la détérioration de l’estime de soi chez les salariés
âgés se croyant victime d’une évaluation de leur performance professionnelle
partiale. Miller et al (1993) mettent en relief l’impact négatif sur l’engagement au
travail et la satisfaction.

Le salarié âgé se trouve pris dans un dilemme : être à la hauteur des exigences de
son poste, comme en atteste son expérience professionnelle et, simultanément,
se confronter à une image sociale le déinissant comme en retrait de son
travail. Les analyses sur les stratégies et tactiques pour faire face aux tensions
montrent que loin de subir la tension, l’acteur y fait face. Se fondant sur des
professionnels de la gestion des ressources humaines, Grima (2000) montre que
le salarié peut, lorsqu’il estime que ses ressources pour modiier la situation de
travail en sa faveur sont limitées, opter pour une solution de fuite. Dans le cadre
d’une relation commerciale, le vendeur confronté aux tensions de rôle coupe la
communication avec son environnement en tournant le dos au client (Musselin,
1984). Rafaeli (1984) décrit des vendeuses de supermarché mobilisant leur client
pour manutentionner les achats les plus volumineux ain de ne pas rentrer en
communication avec eux. Ces éléments nous incitent à penser que le salarié âgé
peut être tenté de régler cette mauvaise image de marque en choisissant de se
replier dans des groupes de travail où sa génération sera sur-représentée.

Maurer et al (2003) montrent que cette perception différenciée se retrouve parmi


les salariés les plus jeunes. Noe et Wilk (1993) soulignent que ce stéréotype à
l’égard de la non-performance des plus anciens est partagé par les plus jeunes.
Cleveland et Shore (1992) soulignent que cette croyance débouche sur un repli
des plus jeunes entre eux, notamment en termes de conseils de carrière. Kram
et Isabella (1995) mettent en exergue l’isolement social des plus anciens qui se
réfugient entre eux alors que les jeunes semblent plus ouverts aux personnes
d’âge moyen. Ainsi, dans un souci de performance, les plus jeunes seraient
amenés à travailler plus volontiers avec des personnes de la même génération
économique et historique qu’eux. Organ (1988) met en exergue que les plus
jeunes ne développent pas par bénévolat des comportements altruistes. Ils
appliquent un strict principe de réciprocité qui pourrait les conduire à s’écarter
des individus qu’ils perçoivent comme peu performants. Nous fondant sur ces
différents éléments, nous proposons au test les hypothèses suivantes :
H1 : Il n’y a pas de différence signiicative de conlit intergénérationnel
entre les salariés âgés (plus de 50 ans) et les plus jeunes (moins de 50

30
Impact du conlit intergénérationnel sur la
relation à l’entreprise et au travail : proposition
d’un modèle.

ans).

H2 : Le conlit intergénérationnel est lié positivement avec l’ambiguïté


de rôle.

H3 : Le conlit intergénérationnel est lié positivement avec le conlit de


rôle.

Conlit intergénérationnel et implication organisationnelle


Au-delà de la diversité de ces déinitions (Mowday et al, 1979 ; Jackson et Schuler,
1985) et de ces contextes de mobilisation, les tensions de rôle sont l’une des
quatre grandes catégories des antécédents de l’implication organisationnelle.
Comme en témoigne le tableau 1, les corrélations sont négatives.

Tableau 1 : Conséquences des tensions de rôle sur l’implication organisationnelle.

Fisher et Gitelson Jackson et Schuler


(1983) (1985)
K N r K N r
Conlit de rôle 6 755 -0.25 11 2583 -0.24

L’exposé précédent sur les liens avec les tensions de rôle et le CIG montre
l’inluence négative que peut avoir ce dernier sur le degré d’adhésion du salarié
aux valeurs de son organisation. En effet, le repli identitaire dont est synonyme
le CIG conduit le salarié à réduire son attachement à son entreprise qui n’est
plus qu’un espace secondaire d’investissement identitaire. La dégradation de la
relation avec l’entreprise semble plus importante pour les salariés âgés. En effet,
Miller et al (1993) comme Hassell et Perrewe (1993) montrent que ce repli sur
la génération historique est synonyme de moindre engagement dans le travail et
l’organisation. Cependant, même si des résultats existent, il convient de rester
prudent. En effet, aucun travail n’a été réalisé en contexte francophone. Ces
précautions étant posées, nous proposons au test les hypothèses suivantes :
H4 : Le conlit intergénérationnel est lié négativement avec l’implication
organisationnelle.

Conlit intergénérationnel et empowerment.


Bien que la notion d’empowerment soit implicite dans de nombreuses recherches
tant sur la participation (Lawler, 1992) que sur l’enrichissement du contenu du
travail (Hackman et Oldham, 1980), Spreitzer (1996) souligne qu’il a fallu attendre
le début des années 90 pour en obtenir une déinition rigoureuse. Thomas et
Velthouse (1990) déinissent l’empowerment comme la motivation intrinsèque du

31
12

salarié qui se manifeste au travers quatre cognitions qui relètent son orientation
à l’égard de son rôle dans l’organisation.

La première est le sens donné par la personne à son travail. Il traduit l’adéquation
entre les exigences du poste de travail et les valeurs propres au salariés (Brief
et Nord, 1990). La seconde se réfère à la compétence, déinie ici comme la
perception d’eficacité dans le travail à réaliser (Gist, 1987). La troisième est
l’autonomie dans la réalisation du travail. Le salarié se perçoit comme à l’origine
de son rythme de travail, des méthodes à appliquer et des efforts à réaliser (Bell
et Staw, 1989). Enin, l’impact qui doit être distingué du locus de contrôle. Alors
que le second traduit une perspective globale sur la maîtrise des évènements,
l’impact se centre sur l’environnement de travail. Il traduit le degré d’inluence de
l’individu sur les données administratives, opérationnelles et stratégiques dans
la tenue de son poste.

Ces quatre dimensions traduisent une attitude pro-active, un investissement à


l’égard du travail que les tensions de rôle propres tant à l’organisation qu’aux
relations intergénérationnelles ne peuvent que venir remettre en cause. En effet,
la perception par le salarié d’un travail à réaliser dont les objectifs demeurent
lous et qui nécessite de travailler dans la contradiction et avec des personnes
n’abordant pas la réalité du travail de la même manière ne peut que remettre en
cause la motivation intrinsèque du salarié. Spreitzer (1996) établit ce résultat
pour l’ambiguïté de rôle. Gist et Mitchell (1992) soulignent que l’incertitude et le
conlit engendrent une diminution du sentiment de compétence et de la perception
d’autonomie. Sawyer (1982) souligne l’existence d’une liaison négative entre
l’ambiguïté de rôle et les différentes composantes de la motivation intrinsèque,
en particulier l’auto évaluation de la compétence et l’autonomie.

Pour le conlit de rôle, à notre connaissance, aucune recherche ne valide de


liens avec les différentes dimensions de l’empowerment. Théoriquement, on
peut penser, en se fondant sur les analyses de Bandura (1989) et de Thomas
et Velthouse (1990), que l’individu ne ressentira un environnement où il pourra
développer son auto-contrôle (empowerment) que dans la mesure où il se sera
construit une vision de ce dernier où il se sent en coniance et n’a pas à prendre
en charge de contradictions majeures. Il en va de même pour le CIG. Sutton et
Kahn (1987) soulignent que l’empowerment est mis en danger par la perception
de la réalisation de missions contradictoires. A l’opposé, Locke et al (1981)
soulignent l’impact positif sur la motivation intrinsèque de faibles tensions de rôle.
Néanmoins, la faiblesse des résultats empiriques, en dehors de ceux concernant
l’ambiguïté de rôle, nous incite à poser cette dernière dans notre modèle comme
une variable intermédiaire entre le CIG et l’empowerment. En revanche, faute
d’éléments empiriques sufisants, nous ne retiendrons pas le conlit de rôle comme
variable intermédiaire. Par conséquent, l’hypothèse suivante est formulée :

32
Impact du conlit intergénérationnel sur la
relation à l’entreprise et au travail : proposition
d’un modèle.

H5 : Le conlit intergénérationnel a un impact négatif sur les différentes


dimensions de l’empowerment (sens, compétence, autonomie et
impact) par l’intermédiaire de l’ambiguïté de rôle.
Ces hypothèses nous amènent à proposer le modèle suivant au test :
Figure 1 : Modèle théorique des conséquences des tensions de rôle

2. Choix du terrain et méthodologie

2.1 Le terrain.
Le test du modèle de recherche fut réalisé au sein d’une grande entreprise
publique française du secteur tertiaire. Confrontée à un double mouvement de
vieillissement de sa main-d’œuvre et d’arrivées importantes de jeunes salariés
dans un contexte de travail en équipe, la direction doit faire face à une gestion
de la diversité des âges forte. Un échantillon représentatif de la population de
trois établissements fut constitué de 74 personnes dont les caractéristiques sont
rassemblées dans le tableau 2. Chaque personne fut rencontrée par le chercheur
qui lui remis le questionnaire en lui expliquant le thème de la recherche. La
personne pouvait à sa convenance remplir le questionnaire dans la journée ou
le renvoyer par voie postale au chercheur. Seuls 5 personnes n’ont pas rempli le
questionnaire.
Caractéristiques de l’échantillon.
Age
Moyenne : 39 ans, Ecart-type : 12.5 ans , valeur minimale : 23 ans, valeur maximale : 59
ans 70% en dessous de 50 ans.
Genre
31 hommes ; 43 femmes.
Ancienneté dans l’entreprise
Moyenne : 15 ans, Ecart-type : 14 ans.

33
12

Statut
31 personnes de statut employé.
34 personnes de statut agents de maîtrise.
9 personnes de statut cadre.

2.2 Mesure et méthode d’analyse.


Pour tester notre modèle, nous avons choisi de retenir une approche quantitative.
Ce choix s’explique par notre volonté de conirmer des résultats encore partiels
réalisés dans d’autres contextes culturels. Pour mesurer les huit concepts de
notre modèle, nous avons eu recours à des échelles ayant déjà été utilisé en
contexte francophone. C’est pourquoi nous avons retenu des items de l’échelle
de Rizzo et al (1970) pour mesurer le conlit et l’ambiguïté de rôle (3 items dans
chaque cas). En ce qui concerne l’implication organisationnelle, notre choix
s’est porté sur 5 items de l’axe affectif de l’échelle de Allen et al (1993). Pour
l’empowerment, nous utiliserons, à titre exploratoire, l’échelle de Spreitzer (1996)
qui mesure chaque dimension de ce concept (le sens, la compétence, l’autonomie
et l’impact) avec trois items à chaque fois.

Pour le CIG, l’absence d’outil de mesure nous a conduit à développer une


nouvelle échelle. Cette dernière, fournie en annexe avec l’ensemble des items
utilisés, est le résultat de discussions avec des spécialistes de la gestion des
âges. Elle comprend trois items.

Préalablement au test du modèle, nous avons effectué une puriication des


échelles de mesure en nous fondant sur le calcul de leur iabilité composite et
sur une analyse factorielle pour valider leur dimensionnalité (Average Variance
Extracted).
Le test du modèle et des hypothèses qu’il regroupe ne pouvait être réalisé grâce
aux équations structurelles tant le nombre d’observations est peu élevé. Nous
avons eu donc recours à l’approche Partial Least Square (PLS) qui s’affranchit
des contraintes quantitatives sur la taille de l’échantillon (Tenenhaus, 1999 ) tout
en permettant de mener une analyse structurelle. Pour le test de l’hypothèse
H1, nous avons procédé à une ANOVA (Analyse de la variance) en créant deux
groupes au sein de l’échantillon selon la déinition retenu ici du travailleur âgé
(avoir plus de 50 ans).

34
Impact du conlit intergénérationnel sur la
relation à l’entreprise et au travail : proposition
d’un modèle.

3. Résultats

Tableau 3 : Statistiques descriptives

Comme en atteste le tableau 3, les outils de mesure respectent les normes


académiques, à l’exception de l’implication organisationnelle qui n’atteint pas le
seuil des 0.50. Pour autant, la proximité de son score nous incite à conserver les
items retenus.

Les résultats de l’ANOVA révèlent l’absence de différence entre les salariés âgés
et plus jeunes (respectivement F égal à .797, signiicativité .375 pour H1). Les
résultats de l’analyse causale (test des hypothèses 2 à 5) sont présentés dans
le tableau 4.

35
12

Tableau 4 : Résultats de l’analyse causale.

Il apparaît que les hypothèses H2 et H4 sont validées alors que H3 ne l’ai pas. En
revanche, l’hypothèse H5 est partiellement vériiée. Le rôle de variable médiatrice
de l’ambiguïté de rôle dans la relation entre le conlit intergénérationnel et le
sens et l’autonomie est validée, ce qui n’est pas le cas pour les deux autres
dimensions de l’empowerment, à savoir la compétence et l’impact. Comme nous
allons le mettre en relief maintenant, ces résultats sont porteurs d’ouvertures
fructueuses tant sur un plan théorique que managérial.

4. Discussion

Les résultats qui se dégagent de ce modèle d’analyse témoignent des effets


négatifs du CIG à un double niveau. Premièrement, le CIG questionne la relation
du salarié à son travail. Il remet en cause sa capacité à être un acteur dans son
activité professionnelle.
En effet, à l’image des relations entre âge et tensions de rôle, le CIG a une
inluence sur l’ambiguïté alors que le lien n’existe pas avec le conlit. Ce résultat
témoigne de la baisse de lisibilité dans le travail engendrée par le CIG. Le salarié
perçoit mal son champ de responsabilité, la répartition de son temps de travail et
les objectifs de son poste. Cette incertitude autour des missions à accomplir dans
l’organisation a des conséquences importantes sur sa motivation intrinsèque au
travail. A l’exception de la compétence, voire de l’impact, les autres dimensions de
l’empowerment montrent que le salarié ne se sent pas en capacité de développer
pleinement son potentiel. Le CIG, au travers de l’ambiguïté de rôle, remet en
cause sa perception du sens de son travail. Il ne perçoit plus d’adéquation entre
ses valeurs personnelles et les exigences de son poste. La centralité du travail
en tant que valeur dans sa vie est remise en cause. Parallèlement, le CIG amène
une augmentation de la perception de contrainte. Le poids des stéréotypes
sociaux décrit précédemment débouche sur une prise d’initiative restreinte. Les
salariés se sentent prisonniers de comportements à adopter. Le salarié n’est plus
acteur de son activité professionnelle. Ces résultats tendent à valider que le CIG
conduit à façonner des salariés prisonniers de normes sociales.

36
Impact du conlit intergénérationnel sur la
relation à l’entreprise et au travail : proposition
d’un modèle.

Le CIG remet aussi en cause le lien avec l’entreprise. L’implication organisationnelle


est fortement touchée par le CIG. Le salarié a un attachement émotionnel moins
important à l’égard de son entreprise. Les dimensions de ierté, de partage de
valeurs font l’objet d’un réexamen. Bien que partiels, ces résultats sont riches
d’enseignements théoriques et managériaux.

Premièrement, le CIG est synonyme de remise en cause de toute possibilité


de coopération au sein de l’organisation en dehors des stéréotypes sociaux
en matière d’âge. En limitant les possibilités des salariés de discuter les
règles organisationnelles (Reynaud, 1993), le CIG stérilise les dynamiques
apprenantes. Les individus ne peuvent plus redéinir les contours de leurs rôles
dans des interactions intergénérationnelles. Ce blocage engendre une perception
d’un environnement lou et contraint, source de prise de recul tant à l’égard de
l’entreprise que du travail. Deuxièmement, le contexte de faible pénibilité du
travail qui caractérise cette entreprise relativise toute perspective visant à jouer
sur l’adaptabilité des postes pour reconstruire des espaces de transactions
intergénérationnelles dépassant les stéréotypes (Volkoff, Molinié et Jolivet, 2000).
Maurer et al (2003) suggèrent que la remise en cause des stéréotypes passent
par des pratiques de gestion des ressources humaines de mixité des âges.

Plusieurs ouvertures managériales nous semblent ici possibles. Premièrement,


ce travail invite les professionnels de la gestion des ressources humaines à sortir
de tout cadre de pensée stéréotypée faisant du CIG un problème propre à une
classe d’âge donnée. Dit plus précisément, cela ne concerne pas uniquement
les personnes de plus de 50 ans. Les conséquences opérationnelles de ce
constat sont importantes. D’abord, cela signiie que toutes les entreprises
sont potentiellement concernées. Ensuite, cela montre que d’exclure certaines
tranches d’âges, tant au moment du recrutement qu’à travers des plans sociaux,
ne constitue pas une solution viable. Il s’agit d’une problématique globale de
gestion des ressources humaines s’inscrivant dans la stratégie de l’entreprise.
Tout discours s’adressant spéciiquement à une population, toute mesure visant
à redorer l’image d’une tranche d’âge nous apparaissent comme des actions peu
productives. Une mixité des âges dans les équipes, associée à un discours de
la direction générale reconnaissant la diversité des attentes au travail, semblent
être une voie prometteuse. Reconnaître tant dans le discours que dans les
pratiques organisationnelles que l’âge est indépendant de la volonté d’apprendre
ou de donner une place centrale au travail dans son existence semble une voie
plus eficace pour maîtriser le CIG. En cela, nous retrouvons les suggestions
managériales récentes de plusieurs auteurs (Hassell et Perrewe, 1993 ; Noe et
Wilk, 1993).

Pour autant, si ce travail n’indique pas la manière de mieux gérer les conlits
intergénérationnels, car tel n’est pas son but, il met en relief qu’il convient
de penser le CIG comme un signe avant coureur d’une dégradation de la

37
12

relation entre le salarié, son travail et l’entreprise. Grâce à cette recherche,


les professionnels des ressources humaines disposent d’un diagnostic tant du
degré de nocivité du CIG que des points précis sur lesquels ses effets se font
ressentir : l’implication organisationnelle, l’ambiguïté de rôle, le sens du travail
et l’autonomie. Parallèlement, cet article lui montre que le CIG n’agit pas sur
la compétence et l’impact. Un enchaînement précis apparaît qui constitue un
schéma d’action potentiel pour l’homme de terrain.

Dans cette lutte contre les conséquences de la discrimination perçue par l’âge,
les mesures visant une réduction de l’ambiguïté de rôle nous apparaissent
essentielle. En effet, c’est cette variable qui médiatise la relation entre le CIG et le
sens du travail et l’autonomie. Déinir clairement les attentes liées à chaque rôle,
mettre en place des procédures validant le rôle tenu par chacun semble être une
voie prometteuse. Le développement d’entretiens annuels d’appréciation pourrait
aussi permettre au salarié de mieux comprendre ce que l’entreprise attend de lui
et limiter ainsi toute perception d’ambiguïté de rôle.
Au-delà, il convient de considérer ces résultats avec prudence. L’absence
d’études quantitatives sur le sujet les rend fragiles. De plus, il conviendrait de
poursuivre l’analyse en utilisant une approche qualitative ain de mieux déinir le
concept de conlit intergénérationnel et les moyens mis en œuvre par les salariés
pour y faire face.

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Annexe 1: Questionnaire de recherche.


Conlit de Rôle
1 – Je dois contourner une règle ou une procédure pour atteindre mes objectifs.
2 – Je fais des choses qui devraient être réalisées autrement.
3 – Je fais face à des demandes contradictoires d’un ou plusieurs individus.
Ambiguïté de rôle
1 – J’ai pour mon travail des objectifs clairs et planiiés.
2 – Je sais que j’ai correctement réparti mon temps de travail.
3 – Je sais exactement ce qui est attendu de moi.
Implication organisationnelle
1 – Je parle de cette entreprise à mes amis comme d’une très bonne entreprise
pour laquelle travailler.

40
Impact du conlit intergénérationnel sur la
relation à l’entreprise et au travail : proposition
d’un modèle.

2 – Je trouve que mes valeurs personnelles sont très similaires à celles de cette
entreprise.
3- Je suis ier de dire aux autres que j’appartiens à cette entreprise.
4 – Je suis heureux d’avoir choisi, à l’époque de mon recrutement, de travailler
dans cette entreprise plutôt que pour une autre.
5 – Pour moi, cette entreprise est la meilleure parmi celles où je pourrais
travailler.
Conlit intergénérationnel
1 – Dans le travail, je me sens reconnu(e) par des personnes n’ayant pas le
même âge que moi.
2 – Je préfère travailler avec des gens du même âge que moi.
3 – C’est dificile de travailler avec quelqu’un d’un âge différent du mien.
Empowerment
- Sens
1- Le travail que je réalise est vraiment très important pour moi.
2 – Mon activité professionnelle compte beaucoup pour moi.
3 – Sur un plan personnel, mon travail a du sens.
- Compétence
1 – J’ai coniance dans mes capacités à réaliser mon travail.
2 – Je n’ai aucun doute sur mes capacités à mener à bien mon travail.
3 – J’ai les compétences nécessaire pour faire mon travail .
- Autonomie
1 – Je dispose d’un niveau d’autonomie signiicatif dans la manière de faire mon
travail.
2 – Je peux décider de moi-même de la manière de mener à bien mon travail .
3 – Je dispose d’une large marge d’indépendance et de liberté dans la façon de
faire mon travail.
- Impact
1 – L’impact de mes réalisations professionnelles sur ce qui se passe dans mon
service est important.
2 – J’ai un haut niveau de contrôle sur ce qui se passe dans mon service.
3 – J’ai une inluence réelle sur ce qui se passe dans mon service.

41
12

42
Comment gérer les compétences dans les
situations de fusions-acquisitions ? Une
étude de cas dans le domaine de l’audit
inancier et iscal

Par Pierre-Yves Sanséau


et Mohamed Matmati

Résumé
Dans cette recherche, nous tentons de mieux cerner le rôle de la gestion
des compétences comme approche de GRH dans les processus de fusions-
acquisitions. L’étude d’une fusion dans le secteur de l’audit inancier et iscal
permet de souligner les différents enjeux liés à la gestion des compétences
lors du rapprochement de deux entités et d’analyser comment la gestion des
compétences peut constituer un élément facilitateur voire de succès dans
les processus de fusions-acquisitions.
Abstract
The aim of this research is to better understand the role of management
of competences, as a HRM approach, in the processes of mergers and
acquisitions. The study of a merger in the sector of inancial and tax audit
underlines many stakes related to the management of competences in
a context of merger and points out how management of competences in
a merger can be an element of success and of further development for
companies.

A l’aube du 21ème siècle, les entreprises évoluent dans un système économique


global et mondialisé extrêmement compétitif. Leur survie et leur développement
semblent être basés sur l’eficacité, l’eficience, la lexibilité, la croissance,
l’adaptabilité, la veille des marchés et souvent une position dominante dans leur
secteur d’activité. En portant un regard plus global, on observe une tendance
de plus en plus marquée des entreprises à fusionner ou à s’entre-acquérir. La
croissance et le développement à travers des fusions et des acquisitions, des
partenariats, des alliances stratégiques deviendraient une des façons les plus
évidentes d’affronter les contraintes des marchés et de la concurrence (Galpin et
Hemdon, 1999 ; Freyssinet et Boyet, 2000 ; Kohler et Mucchielli, 2000 ; Lucenko,
2000 ; Deogun et Scannel, 1998, 2001).

La dimension ressources humaines (RH) est souvent présente dans ces


mouvements de rapprochement d’entreprises, mais le plus souvent sous l’angle
du devenir des personnels des deux entreprises qui fusionnent. L’objet de notre

43
12

recherche porte sur la dimension RH avec la préoccupation liée à l’analyse des


démarches mises en œuvre pour construire à partir de deux collectifs d’employés
aux compétences différentes, un ensemble cohérent de personnes constituant
un réseau de pôles de compétences, partageant les mêmes objectifs et valeurs
dans le cadre de procédures de gestion acceptées. La fusion au début des
années 2000 entre deux grands cabinets de conseil et d’audit a constitué notre
terrain de recherche. Nous avons étudié cette fusion ain de mettre en évidence
les objectifs poursuivis en matière de ressources humaines et plus précisément
en ce qui concerne la gestion des compétences.

1. Fusions-acquisitions et dimensions RH

1.1. Contexte et problématique de la recherche


Les raisons qui poussent les entreprises à fusionner sont basées sur des faits
parfois objectifs mais également sur des croyances plus ou moins justiiées.
Parmi les raisons évoquées et observées le plus fréquemment, on note la
domination du marché et les économies d’échelle (fusions horizontales), la
diminution des risques afférents, la diminution des coûts (fusions hybrides), la
domination d’un marché mondial, la survie, la nécessité de liquidités ou le trop
plein de dettes, le souhait d’évoluer rapidement sans investissements lourds,
la lexibilité, la nécessité d’une meilleure assise pour des emprunts futurs, la
recherche de gains inanciers personnels et la quête du pouvoir, la recherche de
compétences stratégiques, et enin l’acquisition des talents, des connaissances
et des technologies de pointe. Cette dernière raison, dans sa dimension liée aux
ressources humaines, serait de plus en plus présente dans les motifs de fusions.
L’acquisition ou « l’achat » de ressources humaines hautement qualiiées ou
rares, de compétences stratégiques à travers des processus de fusions est de
plus en plus fréquente (Creswell, 2001).

Vu l’engouement relatif aux processus de fusions-acquisitions et les leçons tirées


des expériences passées en la matière, on pourrait penser que le succès est
plus souvent au rendez-vous que l’échec. Or, il n’en est rien. Les statistiques
montrent qu’aux Etats-Unis, 75% des fusions et des acquisitions conduisent à
des échecs et seulement 15% atteignent leurs objectifs inanciers. (Schuler et
Jackson, 2001). Les raisons de ces échecs ou demi-succès sont multiples. On
peut citer la démesure des attentes, la manque de préparation, la faiblesse de
la dimension stratégique, de mauvaises mise en œuvre, l’incapacité à réunir
les entités sous une approche commune, la gâchis des ressources, l’emphase
mise sur les dimensions de pouvoir au détriment des dimensions productives,
la non-considération du choc culturel entre les entités, l’échec du processus de
transition, la sous estimation des coûts afférents, la résistance au changement,
l’oubli ou l’égarement par rapport à l’activité stratégique (Doz et Hamel, 1998 ;

44
Comment gérer les compétences dans les situations
de fusions-acquisitions ? Une étude de cas dans le
domaine de l’audit inancier et iscal

Charman, 1999 ; Sparks, 1999 ; Larsson & Lubatkin, 2001 ; Stahl et al., 2005).
D’un autre côté, lorsque les fusions et acquisitions sont des succès, les raisons le
plus souvent évoquées sont les suivantes : la présence d’un leadership eficace,
une rélexion préalable quant aux objectifs et aux buts, la considération des
aspects « hard » et « soft » du processus, la bonne gestion de l’équipe guidant la
fusion ou l’acquisition, l’enrichissement à partir des expériences précédentes et
extérieures, une planiication du déroulement des étapes, la rétention des talents
et des hauts potentiels, une communication large et destinée à toutes les parties.
Nous précisons dès à présent la différence qui doit être faite entre les fusions
et acquisitions, bien que les deux dimensions soient le plus souvent traitées
conjointement dans la littérature qui y est consacrée. Dans une fusion, deux
entreprises se joignent et créent une nouvelle entité. Dans une acquisition, une
entreprise est acquise par une autre entreprise et cette dernière gère l’intégration
à son gré (Hamel, 1991 ; Harbison, 1996 ; Doz et Hamel, 1998 ; Schuler et
Jackson, 2001).

La problématique de cette recherche vise à appréhender le rôle des compétences


et de la gestion des compétences dans les processus de fusions-acquisitions.
L’hypothèse initiale que nous émettons est la suivante : les compétences se
situent au coeur d’un processus de fusion-acquisition et le développement d’une
politique de gestion des compétences plus appropriée peut être un élément
facilitateur du succès d’un processus de fusion ou d’acquisition. Plus précisément,
les questionnements auxquels nous allons tenter d’apporter un éclairage dans
cette communication sont les suivants :

- Pourquoi les dimensions ressources humaines et compétences


seraient-elles une préoccupation majeure des dirigeants d’entreprises
dans les processus de fusion ?
- Quelles sont les actions, les démarches qui facilitent la « fusion de
deux modèles de gestion des compétences » dans le cadre d’une
fusion-acquisition ?
- Quelles mesures d’accompagnement sont mises en place ain de
favoriser l’éclosion d’un seul modèle des compétences dans l’entité
issue d’une fusion-acquisition ?
- Comment mesurer la « fusion des compétences » et la performance
du nouveau modèle de gestion des compétences émergeant ou mis en
place ?

1.2. Fusions-acquisitions et compétences : quelle approche


autour de la notion de compétence ?
Bien que les aspects légaux, inanciers et opérationnels soient les plus
considérés dans les processus de fusions-acquisitions, il est aujourd’hui reconnu,
notamment par des dirigeants ayant été impliqués dans des fusions-acquisitions,

45
12

que la gestion de la dimension humaine du changement constitue la réelle clé


du succès (Kay et Shelton, 2000 ; Gunther, 2001). Pourtant si cette dimension
humaine est reconnue comme telle, elle est le plus souvent encore négligée.
Les raisons qui induisent cette situation seraient en particulier les suivantes :
la croyance que les individus font partie du « soft » et donc qu’il est dificile
de les « gérer », le manque de reconnaissance ou de consensus sur l’aspect
critique des dimensions humaines, le manque d’expression et d’écho par rapport
à cette dimension, le manque d’outils ou de grilles pour comprendre et gérer les
problématiques RH, l’emphase mise sur les dimensions inancières, comptables
et de production.

La notion de compétence a toujours été au cœur de la gestion des entreprises


et de la GRH en particulier. L’élément qui conserve pour l’entreprise, une relative
stabilité, est constitué avant tout par ses ressources humaines. La clé se situe
donc maintenant autour des compétences détenues par les hommes et les
femmes dans les organisations, cette dimension étant par ailleurs le fondement
du modèle de la compétence. Posséder les bonnes compétences, au bon
moment et dans la situation juste, constitue un facteur de succès pour beaucoup
d’entreprises.

Dans la lignée de la notion de « ressources » issue du champ de la stratégie,


est apparue la notion de compétence stratégique il y a une dizaine d’années.
Contrairement à la notion de compétence individuelle où les pratiques ont précédé
les approches théoriques, la notion de compétence en stratégie est apparue
dans un premier temps dans le champ théorique pour donner lieu par la suite à
des applications plus concrètes (Aubret et al., 2002 ; Rouby et Sole, 2002). Cette
notion de compétence stratégique (qualiiée aussi de compétence fondamentale,
de compétence organisationnelle ou encore de compétence clé), repose sur
l’approche « ressources » et connaît un vif succès dans la littérature en stratégie.
Si cette notion semble voisine de l’approche compétence en management, elle a
ses propres particularités qu’il convient de préciser.

Hamel et Prahalad (1995) déinissent la compétence stratégique comme un


ensemble de plusieurs savoirs et technologies propres à une entreprise, savoir-
faire maîtrisés par tout ou une partie du personnel qui lui confère un avantage
concurrentiel durable sur le marché. Les auteurs caractérisent la compétence
stratégique autour de trois indicateurs : (1) la valeur aux yeux du client ; (2) la
différenciation par rapport aux concurrents ; (3) l’élasticité qui est déinie comme
la capacité à créer des passerelles vers les marchés de l’avenir.

1.3. Les compétences stratégiques au cœur des enjeux des


fusions-acquisitions
Dans la cadre des fusions-acquisitions, qu’en est-il de cette notion de compétence

46
Comment gérer les compétences dans les situations
de fusions-acquisitions ? Une étude de cas dans le
domaine de l’audit inancier et iscal

? Si les recherches que nous avons présentées précédemment se penchent sur


les liens entre la GRH, la fonction RH et le phénomène des fusions-acquisitions,
peu de précisions directes sur les compétences nous sont apportées directement.
Pourtant, on peut repérer à travers les écrits de Schuler et Jackson (2001) des
liens entre compétence et fusion-acquisition sous deux dimensions.

Dans un premier temps, les auteurs soulignent le fait qu’une des dimensions
cruciales dans la phase de rapprochement de deux entreprises est la rétention des
employés ou des ressources humaines clés. Cette dimension est déterminante
car la plupart des entreprises acquises perdent leur personnel clé après la
fusion-acquisition. Dans ce cas de igure, la fusion-acquisition s’éloignerait alors
d’un de ses objectifs initiaux, à savoir l’acquisition de talents, de connaissance
et l’émergence de core competencies soit d’un nouveau foyer de compétences
clés. Cette rétention des compétences clés est, d’après Schuler et Jackson
(2001), déterminante car elle permettra d’atteindre les objectifs de performance
d’une part pendant la phase de transition que constitue la fusion en elle-même,
et d’autre part le développement d’un avantage compétitif à long terme associé
à la maîtrise de connaissances spéciiques. Ces compétences clés seront
issues d’un processus de sélection. Ce processus devra être accompagné de
rétributions spéciiques pour ces personnels stratégiques (ententes inancières,
primes de rétention, clauses écrites sur la durée de l’engagement). On se situe
ici donc dans le champ des compétences clés ou stratégiques. Dans la cadre
des fusions-acquisitions, c’est donc la notion de compétence clé ou stratégique
qui serait considérée. De prime abord, ceci peut paraître logique dans la mesure
ou les décisions de fusions-acquisitions sont avant tout liées à des stratégies qui
visent à la domination de marchés, à des économies d’échelle, à des diminutions
de coûts, à la création de valeur monétaire et à l’acquisition de technologies.

La seconde dimension qui illustre le lien entre la notion de compétence et les


fusions-acquisitions est la nécessité de mettre l’emphase sur le développement
des compétences au sein même de la fonction RH. Tout d’abord, Schuler et
Jackson (2001) soulignent le fait que le processus de fusion-acquisition doit être
pris en charge et géré par les meilleurs éléments des entreprises qui fusionnent.
D’autre part, la gestion d’un processus de fusion-acquisition devrait devenir
une compétence clé pour un département des RH. La fonction RH devrait
développer les compétences autour des enjeux des fusions-acquisitions qui
sont les suivantes : compétences liées au domaine des affaires (connaissance
de la concurrence, vision stratégique, connaissance des processus de fusions-
acquisitions), compétences liées à la gestion du changement et à la gestion des
connaissances (conseil et communication, aide au travail de groupe, création
et travail en structure lexible, négociation, création de réseau) et enin les
compétences liées au leadership (gestion de la diversité, apprentissage culturel,
adaptabilité, création de valeur). A travers les processus de fusions-acquisitions,
la fonction RH devrait elle-même développer de nouvelles compétences qui

47
12

deviendraient quasi-indispensables ain d’assurer la pérennité de l’entreprise


dans des situations données.

2. Le cas étudié

2.1. Eléments méthodologiques


Les données que nous présentons sur les deux organisations protagonistes de la
fusion4 étudiée dans le domaine du conseil sont tirées d’un travail de recherche
qui est toujours en cours de réalisation. La stratégie de recherche retenue a
été la méthode de l’étude de cas (Gauthier, 2003 ; Yin, 2003). Pour la collecte
des données, nous avons réalisé dans un premier temps quatre entrevues semi-
directives avec des consultants issus des deux organisations ayant fusionné.
Ces entrevues ont été orientées autour de la culture d’entreprise, du processus
de gestion des compétences et de l’intégration de deux approches de gestion
par les compétences. Dans un second temps, nous avons également rencontré
deux membres de la Direction Stratégique des Ressources Humaines (DSRH) de
l’organisation « absorbante » ainsi que quatre managers d’équipes d’activités de
soutien. Ces entrevues seront complétées par une série de nouvelles rencontres
avec des managers d’équipes et des consultants issus des deux entités qui
ont fusionné. Nos sources de données ont été complétées par une analyse de
documents internes et externes traitant de la fusion. Notons que l’accès aux
documents stratégiques de la fusion n’a pas été possible pour des raisons de
conidentialité et de relative jeunesse du processus. Une triangulation approfondie
des données issues des entrevues et de celles issues d’archives sera nécessaire
pour une meilleure validité interne. La conidentialité nous impose de ne pas
dévoiler l’identité des cabinets de conseils étudiés.

2.2. Le contexte de la fusion


A l’instar des autres secteurs économiques, le paysage mondial de l’audit et du
conseil s’est complètement restructuré au cours des quinze dernières années.
C’est ainsi que nous avons assisté au cours de la période 1990-2005 à plusieurs
mouvements de fusions et d’acquisitions dont les plus importants nous paraissent
être la création d’Accenture après la séparation de la branche conseil Andersen
Consulting de la maison-mère Arthur Andersen ; l’acquisition par Cap Gemini de
la branche conseil de Ernst & Young, puis la création de Cap Gemini consulting,
l’acquisition par IBM de Pricewaterhouse Coopers pour développer son activité
conseil à travers sa structure Business Consulting Services (BCS), la disparition
du marché du conseil et de l’audit du grand cabinet qu’était Arthur Andersen et
l’absorption par différents cabinets de conseil des pôles de ce réseau international.
4 Le cas étudié est officiellement une fusion par ailleurs rebaptisée « rapprochement » par les directions des deux entités. On notera
cependant la claire identification d’un « absorbeur », le cabinet de conseil qui a été à l’initiative de la fusion et qui accueille l’organisation
« absorbée ».

48
Comment gérer les compétences dans les situations
de fusions-acquisitions ? Une étude de cas dans le
domaine de l’audit inancier et iscal

En France, les équipes Arthur Andersen France ont intégré le cabinet Ernst &
Young après l’approbation de la Commission Européenne. C’est ainsi qu’au
plan international, ces mouvements stratégiques de fusions-acquisitions se
sont traduits par une profonde restructuration du secteur de l’audit et du conseil
entraînant le passage des fameux « Big ive » au « Big Four »5 (Pricewaterhouse
Coopers, Ernst & Young, KPMG, Deloitte). Plusieurs facteurs ont pesé sur cette
recomposition du paysage des grands cabinets d’audit et de conseil :
- le premier est la volonté des autorités publiques de renforcer la
transparence des activités d’audit. Dès la in des années 1990, les
autorités américaines ont manifesté leur souhait d’une séparation des
activités de conseil et d’audit. En France, la loi a soumis les commissaires
aux comptes au contrôle d’une autorité de régulation extérieure à la
profession ;
- le second est lié à l’évolution du marché du conseil. L’arrivée des TIC6
dans les entreprises a produit un double mouvement : d’une part des
entreprises d’informatique et SSII ont développé des activités de conseil
pour l’accompagnement des projets de changement technologique ;
d’autre part certains cabinets de conseil ont développé des activités dites
« d’intégrateur » de solutions technologiques, au point de ressembler
maintenant à des SSII ;
- le troisième est la succession de scandales inanciers notamment
aux Etats-Unis (Enron et World Com en particulier). C’est ainsi que le
cabinet Andersen en particulier, n’a pas résisté au scandale qui a frappé
Enron, son client.

C’est dans ce contexte de restructuration qu’en France, deux grands cabinets


ont fusionné au début des années 2000. Cette fusion a porté sur les métiers de
l’audit, du conseil juridique et iscal et de l’ingénierie inancière. Ce processus de
fusion constitue notre champ de recherche et d’analyse.

2.3. La gestion des compétences dans les deux entités avant la


fusion
Pour l’observateur, ce « rapprochement »7 entre deux entités concurrentes et
aux cultures managériales bien différentes peut susciter des interrogations quant
à leurs capacités respectives à fonctionner, à terme, dans un mode commun. Si
leurs méthodes d’intervention sont relativement proches, la culture et les bases

5 En 1998, cinq géants se partagent le marché international de l’audit et du conseil : Pricewaterhouse Coopers (numéro un mondial
de l’audit), Andersen Worldwide (le groupe a déjà créé à cette époque une entité spécifique de conseil nommée Andersen Consulting),
Ernst & Young International, KPMG et Deloitte Touche Tohmatsu (réseau le plus ancien fondé en 1845). En 2003, le paysage du monde
de l’audit et du conseil est complétement bouleversé. En cinq ans, on est passé de cinq grands acteurs à quatre acteurs sous neuf
entités différentes : Pricewaterhouse Coopers, IBM Business Consulting Services (ex branche conseil de Pricewaterhouse Coopers
cedée à IBM et nouveau numéro un mondial du conseil), Ernst & Young, Cap Gemini Ernst & Young (Cap Gemini, leader européen des
services informatiques a fait l’acquisition en 1999 de la branche consulting de Ernst & Young), Deloitte Touche Thomatsu, Braxton (ex
branche conseil de Deloitte Touche Thomatsu), KPMG, Bearing Point (ex KPMG Consulting) et Accenture (ex Andersen Consulting).
6 TIC : technologie de l’information et communication, parfois dite NTIC
7 Rapprochement : terme utilisé pour des raisons politiques et « facilitatrices » par les pilotes du projet de fusion des deux cabinets
de conseil étudiés ici.

49
12

de fonctionnement des deux cabinets sont différentes. Très rapidement, un


round d’observation se met en place entre les associés des deux entités ain de
repérer les attentes, les pratiques et les stratégies émergentes. Pour faciliter la
compréhension du lecteur, nous appellerons « Cabinet 1 », l’entité absorbée et «
Cabinet 2 », l’entité absorbante.
2.3.1. Une « auto-gestion » des compétences chez le « Cabinet 1 » et
….
En portant un regard a posteriori sur la gestion des compétences chez cet acteur
de l’audit avant la fusion, on peut considérer que la notion de compétence était
très forte mais que les compétences proprement dites n’étaient pas « gérées
en tant que telles ». On pourrait se risquer à parler d’une « auto-gestion » des
compétences. En effet, les valeurs étaient basées sur l’autonomie, le dépassement
de soi et la concurrence entre les collaborateurs. Si ce cabinet n’avait pas de
dificultés à recruter les meilleurs éléments sur les campus universitaires les plus
prestigieux du monde, c’était principalement du à sa réputation et à son assise
dans le club fermé des cabinets internationaux du conseil. Une fois recrutés, ces
potentiels, placés dans une situation de « juniors », devaient vivre une période
de cinq années environ pendant laquelle ils devaient faire leurs preuves en
s’autogérer avec une grande autonomie.

Dans ce cabinet, le raisonnement se faisait davantage en terme de statut


qu’en terme de compétences acquises ou à développer. Un « junior » a tout à
apprendre et doit prouver ses capacités. Un « senior » reconnu par ses pairs,
possède une large assise au sein du cabinet et est reconnu au « poids » de
ses clients. Le moyen d’évaluer les « compétences » des juniors passe par
une notation qualitative basée sur les résultats et la performance inancière.
Les compétences techniques mises en œuvre dans les missions ne sont pas
considérées puisque qu’aucun référentiel de compétences n’existe. Aussi, aucun
système formel d’accompagnement n’est mis en place. Le « junior » dans ce
cabinet n’a alors d’autre choix, s’il veut survivre à cette période probatoire de
cinq ans, que de se rapprocher des « clans » informels mais inalement salutaires
qui se forment autour de « seniors ». Ces « clans » représentent un univers où
la notion d’organigramme est absente et dans lequel une telle idée peut même
choquer.
2.3.2. …une gestion des compétences structurée et stratégique chez le
« Cabinet 2 », l’entité absorbante
Pour sa part, le deuxième acteur de ce rapprochement, avait instauré au milieu
des années 1990 une approche structurée de gestion des compétences autour
de l’utilisation d’un référentiel de compétences. Ce dernier connaîtra plusieurs
évolutions jusqu’à devenir, au début des années 2000, un outil abouti avec
une implication de tous les collaborateurs dans l’évolution de leurs proils de
compétences. Outre l’existence de ce système de gestion de compétences

50
Comment gérer les compétences dans les situations
de fusions-acquisitions ? Une étude de cas dans le
domaine de l’audit inancier et iscal

au moment de la fusion, la vision et l’esprit qui le véhiculent sont foncièrement


différents de ce qui existe alors chez le « cabinet absorbé ». On est, chez le
« cabinet absorbant », davantage dans une stratégie « d’éleveur » ou encore
de « développeur » de compétences. Les nouvelles recrues bénéicient d’un
processus d’intégration, elles sont encadrées et fortement soutenues dans leurs
premières années d’exercice.

Dans ce système, le nouveau collaborateur s’intègre dès son arrivée, dans un


cycle de gestion par les compétences. En effet, ce cycle débute par une auto-
évaluation des compétences qui permet de déinir un proil de compétence
particulier. Chaque nouvelle recrue procède à cette auto-évaluation (en ligne)
qui lui est personnelle et dont il possède seul l’accès. Cette évaluation est
ensuite passée en revue par le parrain de la nouvelle recrue. Ce système de
parrainage et la relation parrain/illeul qui s’instaure alors est fondamentale et
constitue une des clés de voûte du système de gestion des compétences mis
en place. Cette première évaluation des compétences va permettre au couple
parrain/illeul de déterminer l’affectation sur les premières missions. A l’issue de
chacune d’elles, une évaluation permet d’effectuer un bilan de performance et
de développement de compétences ainsi que la ixation d’objectifs nouveaux.
L’étape suivante passe par la déinition d’un « Role Agreement » sous l’autorité
d’un responsable de mission-client. Ce « Role Agreement » consiste à établir une
liste de compétences ainsi qu’un niveau requis pour chacune d’entre elles et une
liste d’objectifs à atteindre. Une fois ce « Role Agreement » déini et validé par le
collaborateur, ce dernier effectue sa nouvelle mission.

2.4. La rencontre de deux approches de la gestion des


compétences : dificultés afférentes et élaboration de pistes
d’action
En plus de l’existence de cultures d’entreprise éloignées, cette fusion met en
scène le rapprochement de deux modes de GRH et de gestion des compétences.
Pour les consultants issus du « Cabinet absorbé », le choc est rude. Il s’agit
en effet de passer d’une culture du prestige et de dépassement permanent de
soi appuyée sur une reconnaissance externe forte à une situation nécessitant
des concessions, des deuils et une adaptation à un nouveau contexte de travail
plus structuré et normatif. Pour pallier à ces dificultés et construire un nouvel
ensemble organisationnel homogène, les pilotes de la fusion vont agir à plusieurs
niveaux : création d’organes oficiels, déinition de modes de fonctionnement de
d’ajustement.

2.4.1. Les organes de la fusion


Un comité de fusion a été créé avec pour mission de valider les orientations et
d’animer les l’avancement des étapes du processus de rapprochement. Il est

51
12

composé de vingt personnes issues à parts égales de chacun des deux cabinets
ain de respecter l’objectif de parité préconisé avant la fusion. A ce comité, s’est
ajoutée une cellule de « Change Management » qui a pour mission d’assister
les branches métiers dans leur processus de rélexion et d’action. Elle est aussi
chargée de capter les éléments forts des deux cultures d’entreprises et d’identiier
ce que sera et ce qui constituera la culture du nouvel ensemble.
De plus, une structure de communication interne formée à partir des consultants
de deux cabinets a été mise à l’œuvre. La thématique choisie en matière de
communication a été essentiellement centrée sur le concept de parité et les
succès réalisés ou à réaliser ensemble. Trois supports de communication ont été
utilisés : une lettre interne, l’intranet du « Cabinet absorbant » et des séminaires
internes.
2.4.2. Déinition de nouveaux modes de fonctionnement et
d’ajustement
Une direction des RH proactive. Dans le « Cabinet 1 », les services ressources
humaines n’avaient qu’un rôle de suiveur par rapport à la volonté des associés.
Ces derniers dictaient leur politique aux responsables RH qui appliquaient alors
des pratiques et actions en suivant la logique de performance et de concurrence
à la base des relations entre les individus. Aussi, les associés issus du « Cabinet
1 » sont déstabilisés au début de la fusion, devant la mise en œuvre d’une
politique RH qui est dictée par la Direction des RH du « Cabinet absorbant».
Cette dernière renforce une approche de la GRH fortement axée autour d’outils
impliquant une gestion des compétences structurée et structurant l’activité même
des consultants et le business.

La parité comme mode d’ajustement. La volonté est alors de préconiser la parité


entre les acteurs issus des deux entités. L’objectif est d’éviter les conlits et de
modérer les ardeurs de certains au détriment des autres. Chacun croit en la force
de son modèle. Il s’agit alors de faire comprendre qu’une union est l’occasion
de partager ce que l’on a de meilleur. En dehors des organes de pilotage du
processus de fusion, il apparaît que des individus ont émergé et ont utilisé leur
leadership ain de faire converger les points de vue. Ces deux cabinets d’audit
et de conseil exerçaient à la base les mêmes métiers et partageaient parfois les
mêmes clients, ce qui a pu rendre plus rapide les processus de collaboration
et de compréhension de l’autre. On a demandé aux associés de travailler
ensemble dans des équipes mixtes. Chacun a compris rapidement l’intérêt d’une
franche collaboration même si pour certains, le deuil reste dificile à faire. Ainsi,
la pédagogie du modèle de collaboration entre les associés a fonctionné et un
processus général de collaboration s’est peu à peu amorcé à tous les niveaux.

Un choc culturel potentiel désamorcé. L’aspect culturel est stratégique dans


le cadre des fusions. Le « Cabinet 1» arrive d’une situation de domination de
marché et de forte reconnaissance. Il constituait une forte référence dans le

52
Comment gérer les compétences dans les situations
de fusions-acquisitions ? Une étude de cas dans le
domaine de l’audit inancier et iscal

monde de l’audit et du conseil. Les consultants de ce cabinet rejoignent le «


Cabinet absorbant » avec un esprit, peut-être même une stratégie, de vainqueur.
Le rapprochement ne s’envisage pour beaucoup d’entre eux que dans le cadre
d’un alignement du « Cabinet 2 » sur leurs propres méthodes et valeurs. Deux
cultures que presque tout auparavant opposait se rencontrent et se font face
pour un avenir partagé. Ceci a constitué un déi important pour les animateurs
de la fusion. On a pu noter le rôle déterminant joué par certains « partners »
stratégiques dans le processus de fusion des compétences grâce à leur légitimité
et leur engagement8. Leurs interventions aux moments propices9 de cette fusion,
leur modèle d’action ont permis de véhiculer le changement et de débloquer des
nœuds de conlits potentiels.

2.5. La gestion des compétences au cœur du processus de


fusion
Persuadé que son modèle de gestion des compétences aurait une dimension
structurante dans le processus de fusion, le « Cabinet absorbant » a tenu à
appliquer ce dispositif tout en enrichissant le référentiel des compétences existant
par l’apport des compétences des nouveaux arrivants. Certains consultants du
« Cabinet absorbé », habitués à l’approche d’afirmation de soi dans un modèle
certes d’autonomie mais aussi générateur de beaucoup de stress, ont rapidement
compris les aspects positifs du modèle de gestion des compétences dans lequel
ils entraient.

L’existence de métiers comparables sinon identiques chez les deux entités qui
fusionnaient a été un élément facilitateur, puisque les nouveaux collaborateurs
évoluaient sur des compétences semblables, dédiées à des activités quasi-
identiques et destinées à des clients parfois communs. Le périmètre des
compétences n’a pas changé et a évolué au gré des besoins des métiers comme
il l’aurait sans doute fait s’il n’y avait pas eu de fusion. La principale différence
était donc l’existence d’une gestion par les compétences structurée à partir d’un
référentiel de compétences et de pratiques d’évaluation et organisée autour d’un
système de parrainage chez le « Cabinet absorbant ».

Par rapport au mode de gestion des compétences en tant que tel, le


rapprochement des deux modèles s’est fait différemment selon les métiers. Pour
les métiers de l’audit par exemple, où deux visions de la gestion de compétences
se sont rencontrées, une phase de tâtonnement a été observée. Mais, le
choix de l’approche du « Cabinet 2 » s’est très vite imposé pour deux raisons :
l’existence d’un système de gestion des compétences qui avait fait ses preuves
8 Ils sont considérés comme stratégiques pour leur expérience métier et surtout car ils « gèrent » les plus gros clients.
9 A titre d’exemple, l’intervention d’un des ces « partners » a été, semble t-il, d’une efficacité redoutable lors d’une grand messe
sur le principe du parrainage. Ce principe, clé de voûte du système de gestion des compétences du « Cabinet 2 », était inconnu
chez auditeurs et consultants du « Cabinet 1 ». Il a fallu le « vendre » à ces derniers afin que tous fonctionnent dans le même
système pratique de gestion des compétences. Quelques paroles respectables et respectées ont semble t-il été plus efficaces que des
semaines voire des mois d’information et de démonstration.

53
12

et ayant un potentiel d’évolution et la nécessité pour ce cabinet de s’imposer


malgré des comportements de « vainqueurs » des nouveaux arrivés. Ainsi, ces
nouveaux collaborateurs ont du se familiariser avec des nouveaux principes
et une autre culture de la compétence autour de principes de structuration
(référentiel de compétences élaboré et structurant une grande partie de l’activité),
d’accompagnement, d’encadrement, d’évaluations régulières. Rien, dans ce
système n’est laissé au hasard ain de idéliser, de stimuler, d’anticiper et de
maximiser à terme la performance.

Il faut aussi noter que dans le processus de rapprochement, le temps est un


facteur clé. Si la première phase de la fusion a du se faire assez rapidement
dans un principe de mixité des équipes ain de ne pas générer trop d’incertitudes,
il a fallu ensuite laisser du temps à l’apprentissage collectif, à la mutualisation
des pratiques. Reconnaître et adopter le système et les principes de gestion
des compétences de l’autre est une chose, l’intégrer et le mettre en pratique
au quotidien est un autre déi. Ain de pallier en partie ces effets qui pourraient
« retarder » l’intégration du système de gestion des compétences, le « Cabinet
absorbant » a organisé, après la création des nouvelles équipes mixtes et du
nouvel organigramme, des assises du parrainage. A cet effet, les « juniors » issus
du « Cabinet absorbé » se sont vus attribuer un parrain. La formation au coaching
et au monitorat des nouveaux parrains issus également du « Cabinet 1 » a été
organisée et planiiée ain de donner un sens à leur action de parrainage.

Si le système de gestion des compétences du « Cabinet 2 » a contribué, en


tant que système institutionnel fédérateur, au processus de « fusion des
compétences » des collaborateurs, des actions spéciiques ont été menées
dans de nombreuses structures opérationnelles pour renforcer cette fusion des
compétences. C’est ainsi que des ateliers de travail regroupant des associés
autant que des consultants des deux anciens cabinets ont été créés ain de
traiter de nombreux sujets autant techniques que de gestion des hommes tels
que la motivation et la formation des collaborateurs. Ces ateliers et chantiers ont
été des opportunités pour permettre la connaissance des pratiques mutuelles,
l’identiication des points forts et des points faibles de chaque pratique et la
construction progressive de pratiques nouvelles partagées.
Conclusion : vers un modèle d’intégration des compétences dans le cadre des
fusions-acquisitions
L’axe central de notre démarche de recherche est d’analyser et de mieux
comprendre la nature et les enjeux autour de la gestion des compétences lors de
processus de fusions-acquisitions. Si la dimension RH n’est pas la plus prisée lors
de la préparation et du déroulement d’un processus de fusion-acquisition, celle
de la gestion des compétences en place mérite d’être éclairée. Le cas de fusion-
acquisition présenté ici nous permet de parvenir aux conclusions transitoires
suivantes.
Une fusion-acquisition met en rapport des systèmes de gestion de compétences

54
Comment gérer les compétences dans les situations
de fusions-acquisitions ? Une étude de cas dans le
domaine de l’audit inancier et iscal

qui ont développé leurs caractéristiques, leurs outils et leurs principes. Leur
rapprochement constitue un véritable déi dans la mesure où l’on touche aux
aspects humains de la gestion des compétences (mode d’approche, philosophie
par rapport à l’individu dans l’organisation) et aux outils (référentiels de
compétences et procédures parfois très codiiées) (Schweiger & Lippert, 2005).
Dès lors, le risque est fort de connaître, dans le cadre de la nouvelle entité issue
du rapprochement, un rejet du système de gestion des compétences qui n’est
pas familier pour l’un ou l’autre des partenaires. Ce rejet peut être suivi par une
hémorragie de compétences et notamment de compétences stratégiques ce qui
pourrait ruiner l’issue de la fusion-acquisition.

Le cas de fusion-acquisition présenté ici a l’intérêt de mettre en rapport deux


systèmes de gestion des compétences très éloignés tant dans leurs outils que
dans leur philosophie. Le risque associé à la fusion-acquisition était d’autant plus
grand que les acteurs sont des individus à très fortes compétences et exerçant une
activité à très haute valeur ajoutée. Malgré le contexte du secteur et la situation
dans laquelle cette fusion-acquisition s’est réalisée (période de forte turbulence
dans le domaine du conseil et de l’audit au niveau international), les résultats
de la période 2003-2004 tendent à montrer un succès certain du processus de
rapprochement en ce qui concerne les compétences. Les éléments d’analyse
émergents qui nous permettent d’argumenter en ce sens sont : (1) l’adoption d’un
modèle unique de gestion des compétences et de gestion de la performance
articulé autour des points suivants: l’auto-déinition de son proil de compétences
par chaque collaborateur, « le parrainage » de chaque collaborateur par un
manager (dimension clé), des évaluations par mission et par période ; (2) la
déinition dans chaque pôle d’activité de projets sur les produits, les solutions, les
méthodes d’intervention permettant les échanges de pratiques et l’identiication
de points de synergie ; (3) un dispositif de formation aux compétences clés
de l’entreprise ; (4) une gestion des connaissances assurant le partage des
expériences ; (5) le rôle moteur de la DRH de l’entité absorbante (préparation,
pilotes expérimentés, communication eficace et préparée).

En 2006, la fusion est oficiellement achevée même si certains réseaux du


Cabinet 1 tendent à se maintenir au sein de la nouvelle entité. Ces phénomènes
ont été cependant fortement minorés par le départ des consultants récalcitrants
du Cabinet 1 en 2003 et surtout par le taux de rotation de 20% par an du
personnel, norme dans l’activité. Ainsi, depuis la fusion, 50% du personnel
s’est renouvelé. A la mi 2006, un nouveau système mondial de gestion de la
performance, de la formation et des compétences a été mis en place touchant
toutes les entités et tous les individus. Un référentiel de compétences commun
a été développé sur le modèle du système initial appliqué en France en 2003. Il
comporte vingt cinq compétences transversales communes, des compétences
génériques selon les métiers et des compétences spéciiques selon les pays.
Le déi est particulièrement intéressant dans la mesure où l’ambition et de gérer

55
12

les compétences avec un référentiel et des outils communs à l’échelle mondiale.


Le développement du personnel se fera également dans cette dimension avec
une réponse et un modèle communs de formation. Dans les pays où la gestion
des compétences était peu structurée, l’acceptation de la nouvelle approche et
de ses outils se fait de façon satisfaisante. Seules les entités des pays Anglo-
saxons (G-B, USA et Allemagne) émettent quelques réticences. En effet, ces
cabinets fonctionnaient auparavant dans une culture du statut d’où découlaient
des compétences précises. Le nouveau modèle qui a pour ambition de dépasser
la simple attribution de compétences à des statuts ou à des rôles standards pour
déinir les compétences liées aux situations professionnelles, toutes différentes,
pose quelques problèmes de reconnaissance et d’acceptation.

D’autres études de cas de fusions-acquisitions sont en cours. Lorsque la


deuxième phase de travail de terrain sera achevée et que nos monographies
seront complètes, nous avons pour objectif de produire un modèle relatif à
la gestion des compétences dans les processus de fusion. Par ailleurs, des
comparaisons avec des pratiques de gestion des compétences mises en œuvre
dans le cadre d’autres fusions-acquisitions seront nécessaires pour mesurer les
forces, les limites et les possibilités d’utilisation du dit modèle comme instrument
de lecture et d’analyse de la dimension compétences dans des situations de
fusions-acquisitions.

Bibliographie
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concepts, analyses, Dunod, Paris
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56
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de fusions-acquisitions ? Une étude de cas dans le
domaine de l’audit inancier et iscal

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European Management Journal, Vol. 19, N° 3, p. 239-253, june
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in Mergers and Acquisitions – Managing Culture and Human Resources, G.K. Stahl, M.E.
Mendenhall Ed., Standford Business Books
G.K. Stahl, M.E. Mendenhall, A.L. Pablo and M. Javidan (2005) “Sociocultural Integration
in Mergers and Acquisitions”, in Mergers and Acquisitions – Managing Culture and Human
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R. Yin (2003) Case study research, California, Thousand Oaks

57
12

58
Diversité des référents culturels dans
l’organisation : comment optimiser la
rencontre des cultures ?

par Marie-Amélie Garcia

Résumé
Nous connaissons de nombreux exemples d’échecs dans la rencontre
interculturelle tant à l’échelle interindividuelle que collective dans les
organisations. Pour optimiser les interactions de travail à l’interculturel, quels
outils doit-on mettre en place ? C’est dans ce cadre que s’inscrivent nos
travaux dont nous vous proposons ici un aperçu : 1. Quels sont les référents
culturels auxquels fait appel « l’homme communiquant » ? 2. Comment
mettre en évidence les référents critiques dans la rencontre interculturelle
3. Quelles sont les méthodes pour optimiser la rencontre interculturelle
interindividuelle et inter organisationnelle ? Nous illustrerons nos propos par
des exemples extraits de l’étude de cas effectuée dans des organisations
corses où se rencontrent Corses et Continentaux.

Abstract
Most of us eared about many failures in the intercultural meeting, both in
the inter individual and collective relationships in organizations. To optimize
these cross cultural interactions at work, what is the practice we can deal
with ? This is the emphasis of our research, that we sum up next : 1. what
are the cultural referents the “communicating man” refers to ? 2. How to
underline the critical referents in the cross cultural interaction ? 3. Which
methods to improve the interindividual and interorganizational meeting
in cross cultural situation ? We illustrate our viewpoint by declining some
extracts from our case study in corsican organisations, where Corsicans and
Continental workers meet.

La problématique d’une rencontre entre organisations à l’échelle internationale


se pose pour nous en terme de communication interculturelle. En effet, les
échecs de la rencontre s’inscrivent d’abord en terme de communication. Les
référents nécessaires à toute communication que nous décrirons plus loin varient
à l’interculturel et génèrent alors des incompréhensions qui peuvent conduire à la
rupture de l’échange, et donc à l’échec de la rencontre interindividuelle et à plus
large échelle interorganisationnelle.
Nous verrons dans un premier temps la notion de communication (1.1), car il n’y
a pas pour nous de culture sans communication, ou pas de communication sans

59
12

culture. Pour communiquer, l’homme fait appel à des référents, indispensables à


la construction des échanges intra ou interculturels (1.2). Nous verrons en quoi ils
représentent aussi, dès lors qu’ils divergent, un risque d’échec de l’échange (1.3).
Dès lors que l’on connaît les sources des dysfonctionnements communicationnels
à l’interculturel, quels sont les moyens pour les mettre en évidence ? Nous
proposerons la méthode qui a été développée pour nos travaux de recherche 2).
Pour inir, nous proposerons les axes principaux de la méthode et les outils qui
peuvent être mis en œuvre pour optimiser la rencontre interindividuelle et inter
organisationnelle 3).

1. Quels sont les référents culturels auxquels fait appel «


l’homme communiquant » ?

1.1. La notion de communication


Un premier point capital peut être résumé en une phrase-clé : l’homme ne peut
pas ne pas communiquer. C’est le point de vue des psychologues oeuvrant
sur le développement, tel que R. Ghiglione (1986). A l’encontre du principe de
« table rase » à laquelle le nouveau-né fut tout d’abord associé, représentant
l’enfant comme un être initialement privé de contact avec autrui, l’enfant serait
en fait d’emblée et par constitution prêt à communiquer avec l’adulte, à solliciter
son attention et ses soins. Cette disposition, tout particulièrement inscrite dans
l’espèce humaine, est biologiquement liée à l’état d’impéritie où se trouve le
bébé, incapable de survie en l’absence d’un soutien permanent (H. Wallon,
1941). L’ontogénèse, la construction de la représentation du monde, de la penseé
logique, de l’organisation psychologique, dépend du langage et de l’interaction
(L.S. Vygotsky, 1934, H. Wallon, 1942). L.S. Vygotsky (1934) fait du langage
égocentrique (l’enfant dialoguant avec lui-même), l’expression d’une première
intériorisation des rapports sociaux et d’un étayage du fonctionnement mental.
La communication détermine aussi la pérennité de l’organisation. Dans toutes les
entreprises dans lesquelles nous sommes intervenus dans le cadre du conseil en
communication interne et en management des hommes, les dificultés convergent
vers la communication sociale, sous forme de cause ou de conséquence. Les
fusions, acquisitions, et autre rencontres des cultures d’entreprise sont autant de
situations à risque. En plus des résistances des individus à l’échelle personnelle
et/ou collective, les organisations ne partagent pas d’emblée les référents clé
nécessaires à la communication interne. Les managers expatriés, parfois trop
centrés sur leurs propres valeurs et principes, ont tendance à rejeter et/ou à subir
les modes de fonctionnement de l’organisation d’accueil, à chercher à les forger
à leur image, bref, à ne pas interagir avec les autres parce que les référents des
autres, au lieu d’être partagés, sont rejetés.

Un deuxième point élémentaire pour cadrer notre problématique, est de toujours

60
Diversité des référents culturels dans
l’organisation : comment optimiser la
rencontre des cultures ?

associer la notion d’interaction à celle de la communication. En ce sens,


l’information constitue ce qui est transmis (Y. Winkin, 1996). Les interactions
sociales impliquent en effet nécessairement un échange, c’est-à-dire « un cas
où au moins trois comportements socialement orientés contingents sont produits
par deux protagonistes, ce qui implique un accusé de réception de la réponse à
la conduite initiatrice » (K.R. Scherrer, 1984 in J. Beaudichon, 1999, p. 14). Par
ailleurs, toute communication est aussi métacommunication : tout message est
à la fois un rapport d’indices sur des évènements antérieurs et un ordre pouvant
inléchir l’action de l’interlocuteur (G. Bateson, 1951/1988, in Y. Winkin, 1996).

Maintenant que notre cadre est posé, la question est la suivante : si la


communication est un élément clé de la survie de l’homme, de l’organisation,
d’une culture, alors comment fait-on pour bien communiquer ? L’homme qui
communique a besoin d’une compétence communicative qui apparaît « comme
un dispositif complexe d’aptitudes, où des savoirs linguistiques et les savoirs
socioculturels sont inextricablement mêlés (…) » (C. Kerbrat-Orecchioni, 1995).
Il faut en outre que les participants s’accordent sur le « contrat de communication
» et négocient en permanence le système de droits et de devoirs dans lequel ils
se trouvent engagés dès lors qu’ils entrent en conversation. Chaque intervention
d’un acteur social dans la communication qui se déroule ne peut que contenir des
propositions sur la manière d’échanger (règles d’échange) et sur les référents
pris en compte et que l’on propose de prendre en considération (normes de
jugement).
Chaque proposition est soit acceptée par les partenaires, soit négociée
implicitement, soit contestée et le débat peut alors s’engager (ou non) plus ou moins
implicitement sur ce désaccord (A. Mucchielli, J.A. Corbalan, V. Ferrandez, 1998).
Ainsi se déroule une négociation permanente non seulement sur les relations qui
doivent s’établir, mais aussi et surtout sur toute la construction partagée de la
réalité sociale (C. Kerbrat-Orecchioni, 1995). Pour M. Argyle, les compétences
sociales (social skills) sont des ensembles structurés de comportements sociaux
qui rendent des individus socialement compétents, c’est-à-dire capables de
produire les effets désirés sur d’autres individus (M. Argyle, 1994).
Ce sont encore ce que J.L. Ferry appelle des « ressources de sens » pour
communiquer socialement (J.L. Ferry, 1997).
Ces ressources de sens intériorisées sont ce que nous appellerons les référents.
Or ces référents sont culturellement déterminés. Ce qui ne manquera pas de
rendre encore plus complexes les relations interindividuelles.

1.2. Les référents culturels


Pour modéliser l’interaction culturelle, nous avons employé le découpage de
W.B. Gudykunst et Y.Y. Kim (2003) en 4 types d’inluences du déroulement de
l’interaction :
il y a d’abord des inluences de type culturel parmi lesquelles nous regroupons

61
12

les caractéristiques de la macroculture (culture nationale, régionale, religion/


ethnie/classe sociale), et celle de la microculture (la culture de métier et la culture
d’entreprise) (1.1). Viennent ensuite les inluences socioculturelles, les inluences
psychoculturelles et pour inir, nous retrouverons les référents culturels parmi les
inluences environnementales.
Sur la base de ce découpage, nous avons sélectionné et synthétisé les travaux de
différents auteurs clé pour repérer les traits ou référents culturels qui interviennent
dans les interactions et qui sont susceptibles de varier.
1.2.1. Les référents et les inluences culturelles

Inluences macroculturelles
Ce sont tout d’abord les inluences culturelles à l’échelle de la macroculture :
- La distance hiérarchique et le rapport à la hiérarchie (G. Hofstede)
- Le contrôle de l’incertitude (G. Hofstede)
- L’orientation vers une forme de masculinité vs de féminité (G.
Hofstede)
- Le rapport au groupe (collectif vs individualiste) / Les relations
interhumaines vs les responsabilités humaines (F.R. Kluckholn et F.L.
Strodtbeck)
- L’orientation à l’égard de l’activité humaine (G. Hofstede / Les sphères
privées vs professionnelles soit type de vie segmentaire ou plutôt
intégrative (E. Mutabazi, 2005)
- Les suppositions initiales à l’égard de la nature humaine (G.
Hofstede)
Inluences microculturelles
A l’échelle de la microculture, les référents seront ce que O. Meier et J.M. Peretti
ont respectivement qualiié de risques culturels ou de zones de friction :
- L’identiication des rôles et des pouvoirs (O. Meier)
> La forme des relations hiérarchiques (J.M. Peretti)
> La clariication des rôles (J.M. Peretti)
- La perception et l’appréhension des risques (O. Meier)
- Les styles de communication (O. Meier)
> La manière de communiquer en interne et en externe (J.M.
Peretti)
- La façon d’aborder la relation à l’autre (O. Meier)
- La résolution des problèmes (O. Meier)
> Le processus de résolution des problèmes récurrents
> La prise en compte de la diversité des points de vue pour
déinir et résoudre un problème (J.M. Peretti)
- La manière de percevoir et de gérer les conlits (O. Meier)
- Les oppositions en matière d’organisation et de gestion du temps (O.
Meier)

62
Diversité des référents culturels dans
l’organisation : comment optimiser la
rencontre des cultures ?

- - La gestion du personnel : motivation et sanction (J.M. Peretti)


- - La déinition des critères de succès (J.M. Peretti)
1.2.2 Les référents et les inluences socioculturelles

Le langage
Le vecteur verbal, c’est la langue (en dehors de la vocalité) qui ne sera qu’un des
matériels du langage dont disposent les individus pour interagir.
Pour O. Ducrot et T. Todorov (1972), « la langue se déinit comme un code, en
entendant par là la mise en correspondance entre des « images auditives » et
des « concepts ».
Le vecteur paraverbal ou encore composantes paralinguistiques sont le timbre
de la voix, la hauteur tonale, l’intensité, le débit, le rythme et tempo, les pauses et
accents. Ils représentent la signature du locuteur (C. Kerbrat-Orecchioni, 1995).
Ils sont aussi susceptibles de varier à l’interculturel.
La dimension non verbale, c’est le corps, qui intervient à travers ses gestes et
mouvements dans la communication kinésique, mais aussi à travers le langage
des relations spatiales – la proxémique, et les caractéristiques chronémiques liées
aux rythmes corporels et à leur synchronie dans l’interaction (E.T. Hall - 1983).
Dans cette dimension non verbale, Cosnier et Brossard distingueront plutôt les
statiques que constitue l’apparence physique naturels (physionomie, stature),
acquis (rides, cicatrices) ou surajoutés (vêtements, parures), les cinétiques lents,
que sont les attitudes et les postures et les cinétiques rapides comme le jeu des
regards, des mimiques et des gestes.
Les représentations socioculturelles
Pour N. Roussiau et C. Bonardi (2001, p. 19) « une représentation sociale est une
organisation d’opinions socialement construites, relativement à un objet donné,
résultant de communications sociales, permettant de maîtriser l’environnement
et de se l’approprier en fonction d’éléments symboliques propres à son ou ses
groupes d’appartenance ». De cette déinition se dégage toute la variabilité
potentielle des représentations.
Chaque membre d’un groupe donné a dans son cerveau des millions de
représentations mentales, les unes éphémères, les autres conservées dans
la mémoire à long terme et constituant le « savoir » de l’individu. Parmi ces
représentations mentales, certaines – une très petite proportion – sont
communiquées, c’est-à-dire qu’elles amènent leur utilisateur à produire une
représentation publique qui à son tour amène un autre individu à construire une
représentation mentale de contenu semblable à la représentation initiale (d’après
D. Sperber, 1989, in D. Jodelet, 1989, 1997, p.134). Parmi ces représentations
communiquées, certaines – une très petite proportion à nouveau – sont
communiquées de façon répétée et peuvent même inir par être distribuées dans
le groupe entier, c’est-à-dire faire l’objet d’une version mentale dans chacun de
ses membres. Les représentations qui sont ainsi largement distribuées dans un

63
12

groupe social et l’habitent de façon durable sont des représentations culturelles.


1.2.3. Les inluences de type psychoculturelles
On retrouvera chez F.R. Kluckholn et F.L. Strodtbeck :
- L’identité et le positionnement dans la relation
- Le mode d’expression de l’affect (et le degré d’investissement
affectif)

Ce sont encore pour O. Meier :


- Les stéréotypes,
- Les préjugés
- Une hiérarchie différente de l’échelle des valeurs
1.2.4. Les inluences environnementales
Ce sont chez F.R. Kluckholn et F.L. Strodtbeck et G. Hofstede :
- Le rapport au contexte (contexte riche vs contexte pauvre)
- Le rapport à l’espace
- Le rapport au temps
- Les normes (et nous irons plus loin en parlant du rapport aux
normes)
- Les relations de l’humain avec la nature

1.3. Nature et conséquences des échecs

1.3.1. Nature des échecs


Il y a beaucoup d’issues à une communication, parmi lesquelles :
- -une conversation qui fonctionne bien dès le début
- une conversation potentiellement en échec, où un raté est géré par
la négociation de la signiication. Finalement, la communication est
réussie.
- une conversation qui a subi un échec mais qui est inalement réussie
parce que l’impair a été résolu.
- des dysfonctionnements dans la conversation qui se termine par un
échec.
- un échec de communication pour lequel aucune résolution n’a été
essayée (M. Clyne, 1994, p. 144).

L’échec de communication est sérieux et il ne peut pas passer inaperçu auprès


des deux locuteurs. Cela exacerbe les stéréotypes ethniques et raciaux et peut
générer un conlit communicationnel dans lequel la dignité et la coniance sont
menacées.
Il y a plusieurs raisons aux échecs dans les rencontres interpersonnelles parmi
lesquelles :

64
Diversité des référents culturels dans
l’organisation : comment optimiser la
rencontre des cultures ?

a. L’objectif de l’individu peut être inapproprié ou inaccessible dans la situation


donnée
b. L’individu échoue dans la perception des messages émis par l’autre. De
nombreuses interactions interculturelles, sont en fait dues à la croyance par un
locuteur d’une intention communicative de l’interlocuteur qui n’en était pas une.
c. Certains comportements communicationnels peuvent être mal interprétés ou
se voir donner de mauvaises attributions.
d. Les individus peuvent ne pas savoir comment répondre adéquatement ou
émettre des réponses jugées inadéquates par l’interlocuteur.

Par ailleurs, si le terme de conlit est associé aux concepts d’affrontement,


d’opposition ou de heurt, il existe plusieurs degrés de perception du conlit qui
peuvent aller de la simple opposition jusqu’au désaccord violent, l’agression (A.
Abdeljalil, S. Dine, 2005).

Une ratée n’est cependant pas déinitive. Elle fait partie du déroulement de
l’interaction et en est un constituant : c’est la négociation du sens. Ce raté est «
rattrapé », ou non, par des mécanismes d’adaptation.
On parlera de dysfonctionnement s’il y a persistances et répétitions de ces ratées,
qui conduiront à la rupture ou encore à des conduites d’évitement.

Une question qui doit être considérée par ailleurs est : y a t-il des différences
culturelles dans l’aptitude à admettre qu’il y a des dysfonctionnements
communicationnels, dans les procédés de négociation et de résolution des
dysfonctionnements ? Ces différences dépendent sans doute du désir des
locuteurs de résoudre le problème. Ce désir constitue un enjeu pour le manager
qui devra savoir motiver l’envie de l’arrivant à participer à une nouvelle culture
d’entreprise.
Dans la plupart des cas, les gens quelque soit leur culture d’origine, sont préparés
à admettre des dysfonctionnements d’ordre lexicaux ou contextuels. Les
dificultés se dissimulent donc plutôt dans la dimension cachée du comportement
communicationnel.
Ces dificultés ne sont pas réellement remarquées ou bien sont mal interprétées
parce qu’il n’y a pas de négociation du sens des messages (E. H. Schein,
1985).
1.3.2. Conséquence des échecs
Pour E. Mutabazi (2005), la méconnaissance du mécanisme de multiculturalisme
10
en jeu dans la gestion des projets et des relations de travail dans les entreprises
10 Pour E. Mutabazi, il faut distinguer la multiculturalité qui désigne la pluralité, la polyethnicité, ou la diversité des cultures (nombre
de cultures en présence) du multiculturalisme désignant un ensemble d’attitudes, de comportements et de pratiques de management
par lesquelles les entreprises ou les institutions politiques gèrent les différences culturelles ou managériales.
Souvent fondée sur une vision négative ou réductrice des différences, cette approche quelquefois perverse, se traduit par la négligence,
le déni ou la volonté de supprimer la diversité des cultures, souvent à des fins politiques ou économiques. Elle est généralement
développée en faveur de cultures et de modèles dominants. De manière complémentaire, le multiculturalisme est aussi le fait de
minorités (petits pays ou petites entreprises) fascinées par la puissance de ceux qui les dominent ou les achètent. Ce mécanisme

65
12

se traduit souvent en Afrique non seulement par l’incompréhension mutuelle


entre le personnel local et les expatriés, mais aussi par la distance relationnelle
voire par des conlits quelquefois violents.
Nous donnerons ici deux illustrations directement extraites de nos activités de
conseil. Elles confortent par ailleurs notre point de vue selon lequel la notion de
culture ne se limite pas aux caractéristiques nationales.
Pour la première, il s’agit de l’arrivée d’un manager (Directeur Régional) dans
un des plus grands groupes français, qui, provenant d’une société concurrente,
s’est rapidement retrouvé mis à l’écart et sous estimé par ses pairs et ses
subordonnés. Il ne parvenait pas à prendre la position qui lui incombait, ce qui se
remarquait dans l’espace par ses postures et dans la proxémie (il s’approchait
toujours de ses supérieurs et de subordonnés, ce qui les mettait visiblement
mal à l’aise). Chacun de ses arguments dans le cadre des comités de direction
était systématiquement rejeté, bien qu’ils fussent pertinents de notre point de vue
extérieur. De plus, il ne parvenait pas à relayer les directives du groupe aux chefs
d’entreprises de son pôle. Il a ini par « être démissionné ».
Nous nous trouvons ici d’une part dans la divergence de référents que nous avons
appelés psychoculturels : dans la divergence de positionnement dans la relation
(rapport dominant/dominé) et dans un degré d’investissement affectif différent. Et
à l’échelle microculturelle, dans un style de leadership presque opposé.
Dans la société que ce Directeur Régional avait quitté, en effet, les rapports
interindividuels étaient beaucoup plus investis affectivement, avec une hiérarchie
beaucoup moins marquée, et un style de management de type participatif, tandis
que le groupe accueillant se montre de part sa structure tentaculaire et ses modes
de management beaucoup plus impersonnel, inscrit dans des objectifs prioritaires
de performances beaucoup plus que dans les relations interhumaines.

La deuxième illustration est - toujours au sein de ce grand groupe, celle de la


fusion entre deux entreprises de marques différentes. Les spéciicités des deux
organisations, incompatibles en l’état, n’ont pas permis le développement de
méthodes de travail ni d’objectifs communs.
Des départs d’opérateurs se sont répétés, des clients insatisfaits n’ont pas
renouvelé leurs contrats, les chefs d’entreprise se sont succédés, bref, le bateau
était presque coulé lorsque l’audit de la culture est intervenu.
Il a permis de mettre en évidence les spéciicités des deux sous cultures qui
ne s’étaient inalement jamais rejointes. Il était indispensable de procéder à
un véritable travail commun sur l’image de marque et le rapport au client, la
culture de métier, les méthodes et techniques, les styles de management... Du
point de vue interindividuel, qui est celui qui nous intéresse ici, il s’agissait en
fait de développer des référents communs aux acteurs de l’entreprise amenés à
entretenir des relations de travail (interactions). Comme nous l’avons dit, il n’y a
ne peut se développer sans « colonisateur et colonisé ». Il s’agira encore du multiculturalisme lorsque les minorités développant
des attitudes défensives, des luttes indépendantistes ou séparatistes. Le multiculturalisme se nourrit de l’excès d’ethnocentrisme du
partenaire dominateur dans sa conception du monde et de son modèle managérial.

66
Diversité des référents culturels dans
l’organisation : comment optimiser la
rencontre des cultures ?

pas de culture sans communication ou interactions. De ce fait, notre conception


de l’audit de la culture implique tous les niveaux de référents potentiellement
impliqués dans l’interaction depuis les inluences microculturelles jusqu’à celles
que nous avons qualiiées de psychoculturelles ou environnementales.
2. Mise en évidence des référents critiques dans la rencontre
interculturelle
L’objectif de notre enquête de terrain est de vériier que les référents que nous
avons pressentis sont pertinents pour expliquer les dysfonctionnements dans les
interactions à l’interculturel.
Nous procédons par entretiens aussi bien avec des Corses ayant travaillé sur le
continent et revenus travailler en Corse, que des Continentaux ayant travaillé sur
le continent et qui sont venus travailler en Corse.
Chaque référent est présenté sous forme de thématique. Nous obtenons ainsi
les caractéristiques des organisations continentales et des organisations corses
dans lesquels ils ont travaillé par comparaison.
Les référents testés au cours de ces entretiens constitueront un axe pour
l’audit de la culture ou pour les formations mises en œuvre dans le cadre de
l’accompagnement des ré-organisations ou des expatriations (voir 3.).

2.1. La mise en évidence des référents culturels différents

2.1.1 L’outil de recueil : l’entretien semi-directif


Si notre démarche n’est pas exploratoire, dans la mesure où ce domaine de
la communication interculturelle fait déjà l’objet de nombreux travaux, et qu’elle
s’inscrit dans une logique hypothético-déductive, nous souhaitions néanmoins
laisser la place à d’autres possibles que nos hypothèses de départ. Notre
recherche a pour objectif de développer une méthode et des outils de conseil
en organisation ; il s’agit donc d’étudier toutes les pistes possibles et non pas
uniquement de vériier nos hypothèses.
Ainsi, chaque référent culturel est envisagé comme une thématique. Ce qui nous
permet de tester nos questions générales, et la pertinence des référents ou du
moins la pertinence de ce que nous avons compris des référents tels qu’ils ont
été présentés par d’autres auteurs.
Le questionnaire, on le comprend, ne nous aurait pas permis de telles
possibilités.
Par exemple, le thème de la norme nous semblait un peu anodin au départ.
Dans la littérature, ce thème n’était pas le plus développé. Or au cours des deux
premiers entretiens exploratoires, il a été clair que le rapport à la norme constitue
un élément essentiel dans notre étude de cas en Corse.

67
12

2.1.2. Echantillon :
Une précision sur l’échantillon concernant les entretiens effectués : il s’agit
d’entretiens aussi bien avec des Corses ayant travaillé sur le continent et revenus
travailler en Corse, que des Continentaux ayant travaillé sur le continent et qui
sont venus travailler en Corse.
Et les retours d’expériences sont les mêmes. Ceci tend à démontrer que notre
analyse ne se fondera pas sur un catalogue de préjugés.
Nous avons effectué 35 entretiens. A partir de 5 entretiens, certains types de
réponses ont commencé à être redondants.
2.1.3. Thématiques
Nous n’énumèrerons pas les référents déjà abordés de 1.2.1. à 1.2.4. Nous en
retrouvons par ailleurs en illustration au point suivant.

2.2. Analyse et résultats

2.2.1. Type d’analyse


Nous procédons à une analyse qualitative, de type thématique.
L’analyse thématique découpe transversalement ce qui d’un entretien à l’autre,
se réfère au même thème. Elle ignore ainsi la cohérence singulière de l’entretien,
et cherche une cohérence thématique inter-entretiens.
L’identiication des thèmes et la construction de la grille d’analyse s’effectuent à
partir des hypothèses descriptives de la recherche. Il s’agit d’une itération entre
hypothèses et corpus. Comme le guide d’entretiens, la grille d’analyse doit autant
que possible être hiérarchisée en thèmes principaux et thèmes secondaires
(spéciications), de façon à décomposer au maximum l’information, séparer
les éléments factuels et les éléments de signiication, et ainsi minimiser les
interprétations non contrôlées. Une fois les thèmes et items identiiés, une fois la
grille construite, il s’agit alors de découper les énoncés correspondants et de les
classer dans les rubriques ad-hoc. Ces énoncés sont des unités de signiication
complexe et de longueur variable (membre de phrases, phrases, paragraphes).
(R. Ghiglione, A. Blanchet, 1991).
2.2.2. Résultats
Interprétation
Nous donnons ici quelques exemples de thématiques :

Le rapport à la hiérarchie (Inluences macroculturelles)


En ce qui concerne le rapport à la hiérarchie, qui est la première inluence culturelle
que nous avons abordée, il s’avère que les managers sont plus présents dans les
rapports professionnels avec le personnel en Corse, mais qu’il y a une certaine
retenue affective de part et d’autre. C’est le rapport entre sphère privée vs sphère
publique qui entre en jeu ici (Lewin, Trompenaars et Hampden-Turner).

68
Diversité des référents culturels dans
l’organisation : comment optimiser la
rencontre des cultures ?

L’identiication des rôles et des pouvoirs, la forme des relations hiérarchiques


(Inluences microculturelles)
Il y a en fait une vraie caractéristique en Corse, que les différents interviewés ont
unanimement soulignée : c’est le rapport à la hiérarchie intermédiaire.
« Il y a un esprit collectif par rapport à une identité et une culture forte, mais
quand même avec toujours le besoin de mettre en avant un chef. Les chefs
intermédiaires ont du mal à s’intégrer. En gros, si vous voulez, et pour beaucoup,
c’est l’« armée mexicaine ».
Il n’y a que des généraux, et peu de soldats. Il manque alors des strates
fonctionnelles. C’est la loi du tout ou rien dans la hiérarchie ». Il y a un
investissement affectif dans le rapport du chef avec ses subordonnés et
réciproquement, mais il y a aussi une distance relative au respect du chef qui fait
igure de père. Par contre, les chefs intermédiaires n’ont pas vraiment la place
qu’on leur donne sur le continent. D’où les mauvaises surprises potentielles pour
les continentaux arrivants et non avertis. Ils peuvent rencontrer de sérieuses
dificultés de positionnement dans la relation.

Rapport à l’incertitude (Inluences macroculturelles)


Pour l’initiative personnelle (référent qui nous donne accès au rapport à
l’incertitude des différents groupes culturels - voir G. Hofstede, 2001), il ressort
que si l’on est plutôt très favorable à l’innovation en Corse, il y a néanmoins
une résistance plus marquée dans la réalisation. Il est revenu souvent dans les
entretiens que l’innovation, la créativité était très bien tolérée lorsqu’elles venaient
des continentaux et qu’elle était « mal vue » pour les Corses. Pour proposer
une analyse psychosociologique, nous pourrions dire qu’il y a une plus grande
autocensure du groupe ou pression sur ceux de ses membres qui risqueraient
de briser le consensus. Le résultat est que le rapport à l’incertitude serait plus
grand en Corse.

Orientation à l’égard de l’activité humaine ou sphères privées et professionnelles


de la vie : plutôt segmentaire ou plutôt intégrative (Inluences macroculturelles)
Il s’avère que professionnalisme et affectif sont plutôt mélangés en Corse, ce qui
a pour reprendre des termes d’un interviewé, « des conséquences positives sur
la sensibilité des individus, mais qui a des conséquences négatives du fait que la
compétence ne prime pas sur l’affectif ».

Rapport au groupe, collectivisme vs individualisme, relations interhumaines et


responsabilités mutuelles (Inluences macroculturelles)
Concernant l’individualisme vs le collectivisme en Corse, on rencontre des
paradoxes. Si, notamment dans les petites structures, on retrouve une véritable
politique sociale (notamment par rapport à l’accueil des handicapés) en Corse
plus qu’ailleurs, ce qui traduit des préoccupations sociales, et en particulier dans
les zones rurales, la tendance qui se détache est l’individualisme. Une formule
que j’ai pu relever synthétise bien cette idée : « on se sert du collectif à des ins

69
12

individualistes ».

Masculinité vs féminité (Inluences macroculturelles), - Manière de percevoir et


de gérer les conlits (Inluences microculturelles)
« On a en Corse un handicap par rapport aux proportions, je dirais, quand
l’émotionnel prend le pas sur le raisonné, c’est moins simple qu’ailleurs ». Ceci
pourrait expliquer la tendance à l’évitement du conlit qui a souvent été abordée.
Vu le degré d’investissement affectif dans les relations, le conlit prend rapidement
de grandes proportions.

L’orientation à l’égard de l’activité humaine (Inluences macroculturelles)


Le rapport à l’activité humaine, c’est-à-dire l’engagement dans la tâche vs dans
les relations inter individuelles diffère entre la Corse et le continent ; et pour
reprendre les propos d’un interviewé, « ici, le relationnel prime. Entre deux
personnes de compétences égales, le relationnel remportera la mise en Corse. Il
faut être dans le circuit plus que de présenter un bon CV. » D’où à l’échelle des
enjeux managériaux, des caractéristiques dans la sélection du personnel.

Le rapport à la norme (Inluences environnementales)


Parmi les inluences environnementales, le rapport à la norme entre Corse et
Continent a aussi attiré notre attention : « il y a une nette différence dans le
rapport à la norme : ici, c’est la dificulté de créer la norme dans un 1er temps,
puis de la respecter. C’est une notion qui est dificile à respecter dans tous les
domaines » ou encore « c’est très contradictoire… là encore : on accepte la
norme de manière très docile mais en réalité on ne la respecte pas. On prend
une certaine liberté par rapport à la norme dans la réalité, mais sans chercher le
dialogue pour transformer cette norme en application. On ne remet pas en cause
pour ne pas s’exposer mais on contourne. »

On distingue aussi l’importance de la culture de métier et de la culture


d’entreprise.
Par exemple, dans des organisations comme l’ONF, la culture d’entreprise et
de métier domine de loin les caractéristiques régionales. Seuls les éléments
très marqués ressortent (telle que l’importance des relations de travail). Dit
autrement, les caractéristiques de la microculture, entreprise et métier, inhibent
les caractéristiques macroculturelles et autres inluences.
Par ailleurs, la notion d’ « adaptabilité » et de « relativisation » ont souvent été
cités par les continentaux. « Ceux qui ne veulent pas s’adapter s’en vont » est un
classique de nos entretiens.
Résultats en termes d’enjeux managériaux
L’interprétation des données (l’analyse thématique) est transcrite ensuite en enjeux
managériaux. Ce sont des recommandations sur les modes de management
à mettre en place en fonction des caractéristiques (référents) culturels pour

70
Diversité des référents culturels dans
l’organisation : comment optimiser la
rencontre des cultures ?

optimiser les interactions à l’échelle interindividuelle ou inter organisationnelle.


Ces recommandations reposent sur la méthode des combinaisons :
Ainsi on a vu dans la thématique du rapport à l’incertitude que l’innovation est
peu encouragée, et pas toujours tolérée à l’intérieur des collectifs de travail, à
moins d’avoir la « circonstance atténuante » d’être continental. On peut penser
que l’orientation à l’égard du temps (la société corse étant une société plutôt
plus traditionaliste que la société continentale interviewée) et un fort contrôle de
l’incertitude expliquent cette résistance.
Or on sait aussi que le chef a beaucoup d’autorité (style de leadership de type
paternaliste), à la différence des cadres intermédiaires. Il sera donc le seul
vecteur potentiel dans l’encouragement de valeurs telles que l’innovation et la
créativité. Il s’agira alors que le chef d’entreprise encourage cette valeur (principe
de l’engagement), en fonction des modes de motivation et de critères de succès
existants dans l’organisation (référents relevant des inluences microculturelles).

De même, on sait maintenant au vu du rapport à la norme que pour « faire passer


» une nouvelle règle, le principe de réciprocité des droits et des devoirs et le
rapport affectif du chef d’entreprise avec ses subordonnés sera plus eficace
dans les organisations corses que n’importe quelle méthode d’imposition de
règles et de procédures.

Nous avons aussi remarqué que la polyvalence, aujourd’hui indispensable


au développement de organisations que nous avons auditées, est fortement
rejetée sur le continent. La polyvalence dévaloriserait le métier. A l’inverse, la
polyvalence en Corse est une caractéristique fréquente et plutôt valorisée. Pour
ces raisons, la ré-organisation en services fonctionnelles risque d’être beaucoup
plus dificile en Corse que sur le continent. Inversement, nous oserons avancer
que les personnels en Corses seront plus adaptables à l’évolution des métiers,
dès lors que l’évolution demandée soit conduite par le chef.
Le modèle culturel corse
Ce qui caractérise d’abord la Corse, ce sont ses paradoxes, ce qui a aussi été
mis en évidence par P. d’Iribarne (2002) dans son enquête sur les relations de
travail en Corse.

De plus, lorsque des référents culturels varient entre Corse et Continent, c’est
d’une manière très marquée. Ce qui sous-tend que notre méthode de mise en
évidence des inluences ou traits culturels est une méthode de comparaison
réellement discriminante d’une part, mais aussi que la Corse présente un modèle
culturel réellement marqué en terme managérial.

Nous dirons par ailleurs que le modèle de management corse, si nous devions
le situer, est bien plus proche du modèle circulatoire africain que du modèle
européen tels qu’ils sont décrits par E. Mutabazi

71
12

On est en effet en Corse dans la relationnalité plutôt que dans la rationalité.


On est plus dans le proit social que dans le proit matériel.
Et on est plus dans la réciprocité des droits et des devoirs que dans les règles,
plans, technologies et procédures.
Cette afirmation est loin d’être anodine pour la gestion des organisations sur l’île,
ainsi que pour l’accueil des continentaux au sein de ces organisations. Pourtant,
dans les organisations visitées à l’occasion de notre recueil de données, rien
n’est prévu en terme d’accueil, de formation, d’accompagnement. Un temps
d’adaptation fort coûteux en temps et en énergie ou des départs intempestifs de
nouvelles recrues pourraient pourtant être évités.

3. Méthode et outils pour optimiser la rencontre interculturelle

3.1. Les impasses


Une opinion largement répandue consiste à vouloir remédier à la complexité
culturelle par un renforcement des contacts entre cultures dans l’objectif de
permettre une meilleure compréhension mutuelle. Cela revient en pratique à
penser que le stage seul du cadre à l’étranger aura une eficacité dans sa «
désethnocentration ». On s’inscrit sans doute par cette croyance dans le scénario
humaniste. Or on le sait, la rencontre de cultures différentes est loin de permettre
une intégration réciproque et d’élever la compétence interculturelle.
Certaines normes culturelles sont incompatibles entre elles, pour reprendre
les propos de M. Abdeljalil et de S. Dine (2005), normes culturelles que je
préférerais dire trop éloignées plutôt qu’incompatibles, ce qui rend dificile leur
co-existence.
Le déi d’une équipe multinationale sera donc de réussir à tirer proit de sa
diversité sans que son fonctionnement n’en souffre.

Une deuxième impasse est le problème de l’intégration :


Par déinition, l’intégration implique un écrasement des valeurs de part ou d’autre
des individus ou groupe. Et en particulier, l’écrasement des principes minoritaires
par les principes majoritaires. On est donc à mon sens à l’opposé du principe de
diversité.
Le risque par ailleurs est que les individus se sentent menacés dans leur identité,
ce qui réduit considérablement leur pouvoir d’adaptation. Quand on parle de
diversité culturelle, c’est pourtant bien de diversité d’identités dont il faut parler,
non pas d’une identité internationale regroupant différents traits culturels, pour en
revenir au scénario humaniste.

Une autre impasse encore est celle de la langue : l’apprentissage de la langue


ne constitue qu’une étape de l’ouverture à l’autre. Pour information, le vecteur
verbal ne représente que 15% de l’impact d’une communication (P. Détrie et C.

72
Diversité des référents culturels dans
l’organisation : comment optimiser la
rencontre des cultures ?

Meslin-Broyez, 2001).
Ces impasses nous amènent à suggérer un procédé : il ne faut pas focaliser
l’effort sur les caractéristiques plus ou moins compatibles des individus ou
groupes culturels en présence.
C’est bien plutôt sur l’interaction, et plus particulièrement sur les facultés
d’adaptation et de négociations du sens, qu’il va falloir se focaliser. Il ne s’agit
donc pas de modiier les modèles, valeurs et représentations des individus en
présence, mais de leur faire « admettre » l’existence de référents différents des
leurs. L’apprentissage des langues n’est qu’un petit début du décodage. L’objectif
est de permettre un élargissement des référents culturels des interactants ou
groupes culturels interagissant.

Pour développer ces facultés d’adaptations et de négociations, il faut dépasser la


simple information. Il s’agit de mettre en place une méthode située, ce qui exige
un concept spéciique.

3.2. Les leviers d’action pour l’entreprise

3.2.1. La culture d’entreprise comme outil fédérateur


Le rôle fédérateur de la culture d’entreprise dans la gestion de la diversité est
connu (voir J. Gauthey, D. Xardel, 1990, H. Blaquière, P. Bossard et B. Mc
Carron, 1984).
Il est important de faire sentir au nouvel arrivant qu’il est un acteur de l’organisation.
En plus des compétences socioculturelles à la base d’une expatriation potentielle,
il faut en effet aussi nourrir l’envie d’interagir. Le nouvel acteur doit savoir qu’il
a sa place, ain de lui donner l’envie de s’adapter, motivation sans laquelle il lui
sera impossible de supporter les inadéquations entre ses propres référents et
ceux de l’organisation d’accueil.
3.2.2. Les enjeux pour le manager
Il est connu dans la littérature que la nature des conlits interculturels se concentre
dans la plupart des cas sur certaines caractéristiques de l’entreprise. Ce sont en
particulier les différences dans les procédures de travail, le manque d’autonomie,
l’ambiguïté dans la déinition de la mission. Nous les avons rencontrées dans nos
entretiens.

Sans sensibilité culturelle et interculturelle, le meilleur manager fera face à


d’importants obstacles dans un contexte international (C. Barzanty, 2002). Les
considérations sont nombreuses : parvenir à un accord au sein des équipes sur les
procédures de travail en intégrant les notions de temps et de distance, comprendre
et tenir compte des différences dans l’éducation et la formation, des problèmes
de disponibilité de technologie, de la langue du travail et des documents, des
différences de management ou encore d’éthique et de déontologie du travail (C.

73
12

Barzanty 2002).
Il faudra focaliser l’attention sur les points suivants :
- Avoir une raison d’être clairement exprimée
Quelles sont nos valeurs ? Nos objectifs ? Nos inalités ? Raison qui sert
de référence, de plate-forme de communication interne à l’équipe.
- Construire un langage commun : il ne s’agit pas simplement de la
langue de travail mais des signiications attribuées par chacun à
différentes notions techniques ou managériales, à certaines procédures
et bien sûr aux valeurs-clés.
- Clariier : la clariication doit intervenir dès lors qu’un langage commun
est crée.
Elle porte sur l’action à mener, la personne à convaincre, la nature d’une
décision, l’enjeu d’une négociation. Elle permet d’éviter les malentendus
et d’assurer une communication optimale.
- Exploiter les supports sociaux et les différences culturelles. La
formation, la discussion, les échanges doivent permettre de les faire
accepter comme sources d’enrichissement pour tous et pour l’entreprise
(H. Blaquière, P. Bossard et B. Mc Carron, 1984).
3.2.3. Le conseil (audit et formation)
Les actions à mener pour optimiser la rencontre interculturelle sont de deux
types selon les situations : la formation initiale et le coaching pour l’expatrié,
et un plan de ré-organisation accompagné d’un suivi extérieur pour les fusions
d’entreprise.

Pour l’élaboration des formations comme pour la préparation du plan de ré-


organisation culturelle, un audit des deux cultures mises en présence est un
préalable.
Cet audit est composé d’un comparatif des référents des deux cultures en
présence exposés sous forme de thématiques ain de repérer les risques.
Cet audit peut être évité si la recherche documentaire apporte sufisamment de
données.
Pour l’expatriation d’un individu ou d’une équipe :
La formation initiale suivi du coaching si les référents de la culture d’accueil sont
très différents de la culture d’origine.
Il n’existe pas de formation générique, puisque comme nous l’avons déjà dit,
chaque organisation présente des référents spéciiques. Les modalités de la
formation découlent donc des résultats de l’audit.
L’objectif de la formation, c’est de construire et de développer des compétences
interculturelles, déinies comme les capacités d’un individu à savoir analyser et
comprendre les situations de contacts entre personnes (et entre groupes) de
cultures différentes, puis à les gérer et les valoriser dans le sens des objectifs de
l’entreprise (O. Meier, 2004).

74
Diversité des référents culturels dans
l’organisation : comment optimiser la
rencontre des cultures ?

Il s’agit donc de développer une meilleure connaissance des référents culturels


de l’autre qui limiteront les réactions de crainte, d’évitement et de rejet dans la
rencontre. Prévenir le rejet, la crainte et donc l’inadéquation de notre conduite
communicationnelle est élémentaire.
L’apprentissage interculturel réussi, c’est la reconnaissance du caractère relatif
et spéciique de son modèle culturel. Ce processus d’apprentissage peut être
décrit comme une interaction entre l’individu et la culture (Y. Yamazaki et D.C.
Kayes, 2004).
Dans les perceptions, les représentations, les appréciations que j’ai de l’autre, il
s’agit d’abord de saisir mon propre regard : « reconnaître en même temps l’autre
comme semblable, c’est admettre que la différence n’exclut pas la similitude ;
c’est le considérer comme appartenant fondamentalement à la même humanité
que moi ; c’est supposer que la différence n’est pas seulement un obstacle à la
communication, mais peut-être un stimulant et un enrichissement.
La simulation d’une « situation à risque » accompagnée de la correction des
réactions est une mise en situation indispensable à la « désethnocentration » :

Cette simulation est guidée par des questions clé telles que :
- Face à cette situation X dans votre nouvelle entreprise, quelles sont
vos réactions ?
- Par rapport à quelles attitudes, pourquoi ?
- Quelles sont les réactions que l’on peut provoquer, de par nos
attitudes, pourquoi ?
Pour les fusions d’organisations :
Nous recommandons dans le cadre des fusions un plan de ré-organisation
culturelle commun avec l’aménagement de groupes de travail représentatifs des
deux parties fusionnées, ainsi qu’un suivi pour rectiier les éventuelles dérives
(incompréhensions, conlits…). C’est ce que Burston-Marsteller11 appelle comité
de communication interne international. On parvient donc à développer des
référents communs aux deux cultures par l’interaction entre les deux organisations
et non par le simple écrasement des valeurs, rites, modes de fonctionnement…
Nous nous situons ainsi dans la mise en pratique du principe de synergie culturelle
souvent recommandé (et non d’intégration).
« En mettant en synergie les différents cas, l’entreprise permettra à ses hommes
d’enrichir leurs comportements, leur imagination, leurs ouvertures aux autres,
leurs performances. En retour, la culture de l’entreprise s’élèvera et favorisera
le développement des échanges culturels. Son eficacité, son ambiance et son
image s’amélioreront » (H. Blaquière, P. Bossard et B. Mc Carron, 1984, p.115).
Nous suggérons par ailleurs l’élaboration d’un outil de communication commun
11 Burston Martseller est une agence conseil en communication corporate et relations publiques. Dans l’une des ses études de cas,
elle réalise l’accompagnement d’une fusion (Accompagner un fusion ou comment faire accepter un monde qui change (www.burson-
marsteller.fr). Elle réalise aussi un audit préalable. Néanmoins, il s’agit d’un audit des perceptions. Pour nous, c’est audit est insuffisant.
Les perceptions directes des individu ne suffisent pas à expliquer les dysfonctionnements dans les interactions. L’audit des référents
culturels permet l’accès à des éléments dont les individus n’ont pas nécessairement conscience, et qui relèvent de représentations
plus que d’opinions.

75
12

aux partenaires de la fusion. Ces outils de communication auront dès le départ


pour objet de transmettre les construits communs (techniques, matériels,
organisationnels et communicationnels).

A l’heure actuelle, les entreprises échouent dans la diversité culturelle pour les
raisons suivantes (dans l’ordre) :
- Elles ne tiennent pas compte ou sous-estiment les risques de la
diversité, se privant ainsi des bénéices potentiels de la diversité
- Elles comptent sur les managers qui n’ont pourtant pas toujours la
disponibilité, les moyens ou les compétences pour prévenir les risques
de la diversité ou pour savoir en tirer parti
- Elles organisent des formations uniquement - alors que le plan de ré-
organisation est fréquemment plus approprié
- Elles réalisent un audit externe mais sans lui associer le plan de
ré-organisation culturelle, l’élaboration d’un outil de communication
commun et l’accompagnement (suivi).
Notre approche permet d’appréhender la rencontre interculturelle à l’échelle
interindividuelle (pour l’adaptation d’un manager dans une organisation étrangère).
Mais elle permet aussi d’appréhender la notion de rencontre interculturelle inter
organisationnelle (fusions d’entreprises). C’est toujours en termes de référents
culturels et d’interactions que nous aborderons les rencontres interculturelles.
Au regard de nos convictions, fondées sur les travaux de nombreux chercheurs
et cabinets de conseils comme sur nos expériences propres, il n’y aura pas de
modèle strictement applicable à toute expatriation ou à toute fusion à l’issue de nos
travaux. De même qu’il n’existe pas un modèle de management international. Nous
proposons par contre un modèle structuré de référents pour l’enquête préalable à
tout rapprochement interculturel, ainsi que des outils adaptés aux différents cas
de diversité culturelle auxquels les organisations seront confrontées.
En dehors de l’apport escompté pour nos activités de consultant, nous espérons
proposer des éléments d’application à un domaine encore trop théorique, ou dont
les secrets de la pratique demeurent jalousement gardés.

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78
De la polyphonie à la cacophonie : voix des
voies du commerce équitable

par Philippe Robert-Demontrond et Anne Joyeau

Résumé
Forme parmi les plus anciennes des types de commerce usuellement dits
«alternatifs», le commerce équitable fait actuellement l’objet d’évolutions
considérables, au plan qualitatif de ses acceptions : il est des acteurs
originellement entrés dans le champ du commerce équitable qui inscrivent
aujourd’hui leurs démarches dans des matrices idéologiques variées,
intégrant toujours le champ de la solidarité organique (au sens de Durkheim)
et donc des préoccupations alter-mondialistes de type «commerce
équitable», mais également, nouvellement, des préoccupations de solidarité
mécanique, anti-mondialistes. Préoccupations qui deviennent de plus en
plus saillantes. Le discours originel du commerce équitable que portent
certains acteurs évolue ainsi, sous la pression de la mondialisation, vers
un commerce cherchant à développer l’économie locale : Nord-Nord et non
plus Nord-Sud. Alors, le commerce équitable peut s’emplir de considérations
ethniques. Ce qu’illustre la dynamique discursive de deux associations -
étudiées ici : Alternatiba, en pays Basque français (en Iparralde) et Kan ar
Bed, en Bretagne.
Abstract
Form among oldest of the types of trade usually known as «alternative»,
the equitable trade is the subject currently of considerable evolutions in the
plan, qualitative, of its meanings. The original speech of the equitable trade
evolves thus, under the pressure of universalization, to a trade seeking
to develop the local economy: North-north and either North-South. Then,
the equitable trade can ill up ethnic considerations. What illustrates the
discursive dynamics of two french associations - studied here: Alternatiba
and Kan ar Bed.

Forme parmi les plus anciennes des types de commerce usuellement dits
«alternatifs», le commerce équitable fait actuellement l’objet d’évolutions
considérables de ses acceptions. Plus précisément : en conséquence de chocs
exogènes et endogènes, ses frontières se loutent de plus en plus ; le contenu
sémantique de l’expression «commerce équitable» se charge d’ambiguïtés.
L’appellation devient ainsi un praxème - autrement dit, un signiiant sans signiié
igé, en dehors de ses usages.

Ce concept de praxème - emprunté à une théorisation linguistique originellement

79
12

développée par R. Lafont (1978), et nommée par lui « praxématique »,


théorisation « centrée sur l’analyse de la production de sens en langage dans
un cadre anthropologique et réaliste » (Siblot, 2001 : 261) -, est ici d’intérêt,
qui désigne le caractère éminemment pratique et contextuel des signiications12.
Par extension, le terme s’applique, possiblement, à l’ensemble des registres
ostensifs dont s’alimente l’activité humaine (Bosch & Chevallard, 1999) : «son
principal mérite est, en vérité, de rappeler que les mots ne «signiient» – c’est-à-
dire ne «produisent du sens» – qu’à travers un travail, par l’exécution de «tâches
linguistiques» dont les conditions d’accomplissement, c’est-à-dire de réussite,
relèvent de contraintes syntaxiques, sémantiques et pragmatiques qu’il faut en
chaque cas analyser dans leur spéciicité» (ibid.). Si le praxème a un signiiant,
il n’a donc pas de sens assigné, il n’a pas de signiié pré-déterminé. Il produit
du sens ; et ce, une fois mis en discours - suivant alors, «les programmes qu’il
soutient et auxquels il obéit» (Lafont, 1979 : 38).

Le commerce équitable est tel. A la croisée de différents discours, tenus par


les consommateurs et les divers acteurs de la ilière, l’expression se charge
d’ambiguïtés - son contenu sémantique s’avère des plus variables, comme
en témoigne la typologie des voix rappelée dans un premier point. Mais au-
delà de cette catégorisation usuelle, nous montrerons, à travers une étude
socio-anthropologique visant à décrire et à comprendre la dynamique actuelle
du commerce équitable, que cette variété de voix se révèle de plus en plus
conlictuelle, intégrant des préoccupations nouvelles et montrant notamment
une dynamique d’afiliation idéologique du commerce équitable à la thématique
du développement durable, par l’intégration de paramètres éthiques élargis, et
de paramètres écologiques (2). Non plus polyphonique, cette diversité s’avère
aujourd’hui cacophonique : entre celles de ces voix où les revendications politiques
originelles s’estompent, et celles qui les exacerbent au contraire ; celles appelant
à un engagement plénier dans la logique marchande, participant à l’essor de
transactions plus justes que celles du système conventionnel, contre celles
clamant la décroissance ; celles demandant à borner le commerce équitable aux
relations Nord-Sud, contre celles insistant sur le commerce Nord-Nord (3).

1. Typologie des voix

Que l’expression «commerce équitable» désigne aujourd’hui, après plusieurs


décennies d’évolution historique, des pratiques, des voies opérationnelles
variées, n’est pas chose nouvelle. À in de clariication de la situation, diverses
typologies ont été récemment proposées, dont la plus usuelle oppose deux
types d’acteurs, «spécialisés» et «labellisateurs» - ou plus précisément, deux
types de rationalité, deux types de discours et de pratiques. C’est ainsi, selon

12 La praxis désigne la source des informations acquises par l’expérience pratique, «à partir desquelles s’élaborent les représentations
versées au langage» (Siblot, 2001 : 268).

80
De la polyphonie à la cacophonie : voix des
voies du commerce équitable

ce qu’en rapporte Diaz-Pedregal (2006), que «malgré une déinition oficielle, le


commerce équitable fait l’objet de pratiques fort diverses, se polarisant en deux
sphères : la sphère de la spécialisation, dans lesquels les acteurs ne réalisent
que des échanges marchands « équitables » et ne travaillent qu’avec des acteurs
ayant la même ligne de conduite, et la sphère de la labellisation, ouverte aux
entreprises de l’économie conventionnelle désirant soumettre une partie de leurs
activités aux règles du commerce équitable». Typologie courante, focalisée sur
les pratiques - que double une autre, analysant les discours : «pour le premier
groupe, davantage lié politiquement et idéologiquement aux mouvements
militants, le label est surtout un outil de transition et le déi consiste à faire du
commerce équitable la règle. Il s’agit donc d’une alternative au modèle dominant
ou, en d’autres termes, l’objectif est de rendre tous les échanges équitables. Le
second groupe tente de pénétrer le marché et le style de vie des consommateurs
en vue de vendre de grandes quantités de produits équitables et de fortiier les
organisations de producteurs dans le Sud, montrant ainsi que le modèle dominant
n’est pas monolithique» (Renard, 2003).

1.1. Typologie des voies opérationnelles


Les acteurs spécialisés sont à l’origine du mouvement - se posant en alternative
d’un système commercial dont ils dénoncent l’inéquité. Et ce, en proposant les
principes d’une relation commerciale d’un nouveau type : il ne s’agit plus de penser
le marché comme le croisement ponctuel d’agents économiques, anonymes,
cherchant à maximiser leur utilité marginale dans un jeu de transactions
commerciales, mais des personnes ancrées dans des sociétés particulières,
appelées par l’acte d’échange à établir une relation de solidarité - l’acheteur,
le consommateur, intégrant dans sa fonction d’utilité le bien-être du producteur
(Gendron, 2004 ; Robert-Demontrond, 2006). Ces organisations du commerce
équitable (OCE) sont focalisées sur des activités de distribution - correspondant
essentiellement à des centrales d’achat et des boutiques en réseaux (du type
Artisans du Monde). Le système ainsi développé, organisé en ilière intégrée,
est fondé sur un fort niveau d’implication des parties prenantes, au Nord : le
militantisme des consommateurs est d’emblée requis, en ce que la couverture
spatiale du réseau est très faible - à eux d’aller vers l’offre ; et le militantisme
des vendeurs est requis, pour contenir les prix, ne pas nuire à l’expression de
la demande - ces vendeurs sont très peu souvent rémunérés13. Le système
est ainsi largement constitué de structures associatives qui, contrairement aux
magasins conventionnels, à ins lucratives, sont quasi-exclusivement gérées par
des bénévoles (Diaz-Pedregal, 2006). La coniance est également un paramètre
essentiel du fonctionnement de ce système économique. Coniance dans la
transaction inale, au Nord, accordée par les consommateurs aux vendeurs,
en l’absence de garantie du caractère effectivement équitable de la relation

13 En France, la Fédération Artisans du Monde, regroupant plus d’une centaine de boutiques, rassemble ainsi près de 4 500
bénévoles pour seulement une cinquantaine d’employés (Diaz-Pedregal, 2006).

81
12

commerciale. Et coniance dans les transactions Nord-Sud : il n’y a pas de


système de contrôle, au sens strict ; le respect des engagements pris autour
d’une charte commune, ou déinis dans un code de conduite, est essentiellement
fondé sur la coniance mutuelle entre les acteurs de la ilière. Les obligations
contractuelles entre les parties sont rares - les acteurs «s’autocontrôlent, faute
de mieux» (Sanjurjo, 2001). Faute de mieux : le processus de certiication d’une
organisation de producteurs représente de fait un coût ixe non négligeable,
de contrôle, qu’il conviendrait d’amortir en raisonnant en termes d’économies
d’échelle. Or, les perspectives de croissance du commerce équitable sont, si l’on
se borne à cette première approche, très signiicativement limitées. Mais au vrai, le
volume des échanges n’est pas ici visé. La vente en magasin n’est jamais au inal
qu’un prétexte à l’information du public, au Nord, sur les problèmes économiques
de développement des pays du Sud. L’objectif est avant tout politique, «sinon
même moral» (Diaz-Pedregal, 2006), et non pas commercial.

Reste que le référentiel idéologique du CE est donné tout entier en condensé par
la formule «Trade, not Aid», lancée lors de la Conférence des Nations Unies sur
le Commerce et le Développement (CNUCED) en 1964. Ce que réclament les
pays du Sud n’est pas la charité, mais le respect de la dignité des producteurs -
l’ouverture des marchés du Nord à leurs offres commerciales, et l’amélioration des
termes de l’échange. Dans cette perspective, la relation de solidarité Nord-Sud
développée au travers l’élaboration d’un cadre commercial alternatif en marge du
marché traditionnel est progressivement apparue insufisante : le marché du CE
restant trop marginal, trop conidentiel.

Les «labellisateurs» sont alors apparus pour pallier cette défaillance estimée du
système des acteurs spécialisés - pour notamment mettre les produits équitables
à disposition des consommateurs du Nord, dans les lieux d’achat habituels. C’est
ainsi, comme le notent Roozen et Van der Hoff (2002), pour augmenter le volume
des achats équitables au Nord, et donc le volume de l’aide au Sud, qu’a été
créé aux Pays-Bas, en 1988, le premier label de certiication du CE - le label
Max Havelaar14. D’autres «labels» sont par la suite apparus, dont Fair Trade
Mark et Transfair, amenant à la création d’une fédération internationale des
organismes de certiication : FLO International (Fairtrade Labelling Organization).
Avec en projet la mise en commun de leurs ressources par le biais d’un partage
de zones de compétence et l’uniformisation de leurs critères de certiication, la
détermination de standards de construction de cahiers des charges permettant
de rendre applicables à l’ensemble des structures de proit du marché capitaliste
classique les principes généraux du commerce équitable.
Relativement à la ilière intégrée, la logique du CE est ici radicalement autre, en ce

14 Expression indue, ceci dit incidemment : il ne s’agit en vérité que d’un logo. Le terme «label» employé ici pour qualifier la garantie
apportée est abusif, l’article L. 115-21 du code de la consommation précisant effectivement qu’un label fait référence à un cahier des
charges dont le contrôle est effectué par un organisme certificateur compétent et indépendant. Dernier attribut dont la réalisation n’est
ici pas respectée. Autrement dit, tout acteur peu étiqueter son offre comme relevant du «commerce équitable», dès lors qu’il respecte
sa propre charte, définissant sa propre vision du commerce équitable.

82
De la polyphonie à la cacophonie : voix des
voies du commerce équitable

que : i) la qualité des conditions de production des produits et de la relation avec


les importateurs est contrôlée, selon des procédures cadrées par un constant
souci de rationalité et d’objectivité ; et ii) les structures classiques du marché sont
exploitées. Ainsi quant au premier point, visant à professionnaliser la démarche,
les référentiels de contrôle sont précis et contractualisés, détaillés en cahiers des
charges. Des inspecteurs sont missionnés auprès des producteurs du Sud, pour
s’en assurer le respect, et auprès des importateurs du Nord, pour vériier la tenue
des comptes relatifs aux transactions. Quant au second point, le groupe des
acteurs labellisateurs rassemble des organismes de certiication du commerce
équitable et des entreprises d’importation et de distribution de produits équitables
qui travaillent en lien avec l’économie dite «conventionnelle» ou qui en relèvent
pleinement - qui ne sont pas spécialisés dans le commerce équitable (Habbard
et al., 2002).

1.2. Typologie des voix confessionnelles


A mesure que le commerce équitable s’émancipe des cercles militants originels,
et sort de la marginalité, il s’inscrit, comme le note Gendron (2004), dans une
logique que portent les institutions commerciales traditionnelles, «où il risque de
perdre le caractère distinctif sur lequel repose son existence même». La typologie
des acteurs s’intéressant à leurs discours, explicitant leurs «professions de foi»,
oppose ainsi les «régulateurs» et les «transformateurs» (Hameillon, 2005).
Les premiers considèrent le CE comme le vecteur d’intégration «des groupes
de producteurs marginalisés dans le commerce mondial» (Johnson, 2003),
permettant son amendement. Les seconds pensent le CE comme un facteur de
transformation en profondeur du système économique. Deux groupes, donc, qui
développent des discours en discordances.

Discordances «confessionnelles» que doit limiter la PFCE, Plate-Forme du


Commerce Equitable, créée en 1997, en France, à l’initiative de plusieurs
organisations de solidarité internationale, pour se doter d’un organisme national
de représentation des acteurs du CE. La PFCE, donc, porte «un rôle de médiateur,
elle essaye de «mutualiser les points communs» ain que les membres s’expriment
d’une même voix» (Johnson, 2003) - énonçant un même credo. Sans succès :
«bien que confondues par l’expression uniforme de « commerce équitable »,
la tension demeure entre deux visions : la première conception, plus radicale,
voit le commerce équitable comme un outil pour modiier le modèle économique
dominant, tandis que l’autre, plus pragmatique, met l’accent sur l’insertion
des produits du Sud dans les marchés du Nord à des conditions équitables»
(Gendron, 2004). Sans succès, donc : les acteurs français du CE se divisent
aujourd’hui très nettement en deux groupes, que structurent, de manière bipolaire,
la PFCE et Minga. En premier pôle historique, la PFCE ne rassemble plus en
France, en 2005, que 32 OCE - certes parmi les plus importantes en termes
de CA : importateurs (Solidar’Monde, etc.), importateurs-détaillants (Azimuts,

83
12

Altereco, etc. ), boutiques spécialisées (Artisans du monde, Ti ar Bed, Artisans


du soleil, etc.), associations de promotion (Aspal), associations de labellisation
(Max Havelaar France, Yamana). En second pôle, créée par dissidence en 1999
- en conséquence du départ d’Andines de la PFCE15, dénonçant l’inluence
trop importante de Max Havelaar -, Minga rassemble, pour porter les voix en
divergence, quelques 90 personnes physiques et structures, refusant FLO
comme unique système de certiication.

2. Plongée dans l’arène des mots rebelles

Les acteurs du CE tracent donc pour celui-ci des voies de développement très
diverses. Et ce, selon des matrices idéologiques variées, intégrant toujours le
champ historique de la solidarité organique (au sens de Durkheim) et donc les
préoccupations alter-mondialistes de type «commerce équitable» (Zoll, 1998),
mais également, nouvellement, des préoccupations de solidarité mécanique,
anti-mondialistes (Robert-Demontrond, 2005). Préoccupations qui deviennent
de plus en plus saillantes. Le discours originel du commerce équitable que
portent certains acteurs évolue ainsi, sous la pression de la mondialisation, vers
un commerce cherchant à développer l’économie locale : Nord-Nord et non
plus Nord-Sud. Ce qu’illustre la dynamique discursive de deux associations -
étudiées ici : Alternatiba, en pays Basque français (en Iparralde) et Kan ar Bed,
en Bretagne.

2.1. Cadre méthodologique


Trois contextes et trois catégories d’acteurs, porteurs de registres de signiication
dont la variété fait la polysémie - plus précisément la praxémie du label -, sont
ici distingués. Soit respectivement : les associations et organisations se disant
engagées dans le commerce équitable conventionnel (Nord-Sud) ; les individus se
disant consommateurs de produits équitables ; les associations et organisations
se disant engagées dans le commerce équitable domestique (Nord-Nord).

Les discours ont été collectés selon deux modes, respectivement nethnographique
et sociologique. Nethnographique : le monde du commerce équitable se
prête particulièrement bien à ce type d’investigation, du fait du très fort niveau
d’implication socio-politique des acteurs, les inclinant au débat public. Il s’est
donc agi d’étudier les discours librement tenus sur divers blogs et forums de
discussion, et d’analyser les textes mis en ligne sur les sites internet des principales
associations et organisations du CE. Sociologique : il s’est agi de mener, en
complément, des entretiens auprès des acteurs du CE. Ainsi : 12 entretiens
semi-directifs ont été conduits auprès de dirigeants d’associations engagées

15 Créée en 1987, la société coopérative Andines a été la première en France à avoir parlé de «commerce équitable». Expression
d’ailleurs déposée par elle à l’INPI, en marque, avec une charte élaborée dans le souci de forger des partenariats qui ne créent pas
une dépendance économique des producteurs du Sud à l’importateur du Nord.

84
De la polyphonie à la cacophonie : voix des
voies du commerce équitable

dans le commerce équitable et 7 auprès de bénévoles ; 27 entretiens semi-


directifs ont été conduits auprès de consommateurs et de non-consommateurs
de produits équitables16. On trouvera en annexe le descriptif de la composition
de ces échantillons.

La collecte des données a été ajustée au fur et à mesure de l’évolution des


entretiens, ain de valider la pertinence des données recueillies au regard de
l’évolution de la problématique. Les entretiens ont ainsi été menés à partir
d’une grille thématique relativement souple et évolutive, en visant à épouser les
formes du dialogue ordinaire, portant toujours sur la perception, par l’enquêté,
du commerce équitable et de ses évolutions. Les questions fondant le guide
d’entretien sont elles-mêmes issues d’une longue pratique du domaine - d’une
sensibilité développée par sa théorisation (Robert-Demontrond & Joyeau, 2002,
2003, 2005 ; Robert-Demontrond, 2006), éveillant la curiosité à l’égard de faits et
phénomènes diversement observés.

Le principe de saturation a déterminé le nombre des entretiens. La recherche


systématique de «cas négatifs», contredisant le modèle provisoirement saturé,
a été privilégiée. Le traitement des informations obtenues a été iabilisé par
triangulation des données et des méthodes : observations sur sites de vente,
comparaisons avec d’autres études, discussions avec d’autres acteurs engagés
dans le champ du commerce équitable, discussions «post-études» avec la plupart
des enquêtés (non consommateurs), après remise d’un rapport de synthèse.

2.2. Le commerce équitable selon Kan ar Bed


L’offre développée par cette Scop (Société coopérative de production) basée
à Morlaix - dont le nom signiie «Chant du monde», en breton -, est typique de
celles à la charnière de l’économie solidaire et du commerce équitable, s’agissant
effectivement de s’engager, simultanément, en faveur : i) du développement local,
de l’emploi et de la création de valeur dans l’espace régional, au Nord ; et ii) du
développement économique des pays du Sud. Typiquement, les thématiques
du «lien contre le bien», de «la communauté contre la société», du «relationnel
contre le transactionnel», sont mises en avant par les acteurs de ce type de
commerce. Avec une vision subversive : il s’agit ici d’une offre politisée, ancrée
dans une perspective ostensiblement hostile au capitalisme et au libéralisme,
avec la volonté de contribuer à un changement des mentalités, à la production
de rapports sociaux et économiques nouveaux.

Il en est ainsi avec le produit «Beuk Cola» lancé par Kan Ar Bed : la matrice
idéologique de cette offre commerciale - «première mondiale», «premier cola
équitable au monde, suivant le fondateur de Kan ar Bed, Hervé Legal - est très
signiicativement marquée par l’engagement politique des fondateurs de la
16 Des étudiants du master marketing de l’IGR ont participé après une formation ad hoc à la conduite de ces entretiens.

85
12

Scop - issus de mouvements militants comme No Pasarán. Le produit est ainsi


commercialisé comme «cola équitable», en tant notamment que le sucre provient
de la coopérative Coopecanera du Costa Rica, reconnue par Max Havelaar. Mais
le logo de ce dernier n’apparaît pas. Et ce, pour cause de profondes divergences
idéologiques - que l’enquête explicite ici.

Historiquement, le projet est issu de l’ouverture à Morlaix, en 1998, d’un bar


- La Realidad - excluant de son offre les produits des multinationales. Seules
des boissons artisanales (bières, pastis du Larzac, etc.), équitables (rhum de
Cuba, jus de fruits, café, etc.), et des produits bio étaient alors proposés à la
consommation. Puis la coopérative Kan Ar Bed a été créée, en 2002, visant
à distribuer des boissons du commerce équitable dans les bars et lors des
opérations événementielles de Bretagne. Dans cette perspective, le Beuk Cola
a été lancé en lien avec une brasserie coopérative bretonne, Tri Martold. En
parallèle, un projet Solidar’bar a été développé - ayant quant à lui pour principe
le rassemblement sous un label commun des bars s’inscrivant dans la même
démarche d’alter-mondialisation que La Realidad. Avec alors pour obligation, pour
les débits de boissons, de s’engager à servir divers produits issus du commerce
équitable et de rayer de leur offre certains produits de multinationales… dont
notamment Coca-Cola, substitué par le Beuk Cola. L’action de Kan Ar Bed a été
signiicativement dynamisée par la création à Rennes, en 2004, de l’association
Ingalãn («distribuer», «partager», «égaliser» - en breton) - nom choisi pour
exprimer d’emblée son ancrage en Bretagne et son engagement dans l’économie
solidaire17. Ce que marque plus encore l’appellation de la fédération des acteurs
du commerce équitable en Bretagne - Breizh Ha Reizh («Bretagne et Juste»,
en breton) -, développée par Ingalãn. Avec en visée, afirmé dans la charte, «le
développement du commerce équitable hors du réseau de grande et moyenne
distribution» - privilégiant explicitement «d’autres réseaux alternatifs qui
permettent une consommation plus responsable et un respect des producteurs.
La Fédération souhaite travailler concrètement avec les producteurs locaux ain
de développer un commerce équitable local».

Typiquement, donc, on trouve exprimée en ce projet commercial l’idée du «lien


contre le bien» - dont l’actualisation génère des lignes de fracture d’importance
avec l’approche du CE retenue par Max Havelaar. Et ce, en ce qu’elle implique
notamment un total refus de la grande distribution - acteur essentiel de «l’économie
du bien». La commercialisation est ici volontairement contrainte : excluant les
situations purement transactionnelles, non-relationnelles, en dehors, donc, de la
grande distribution. «Nous condamnons la présence du commerce équitable en
grandes surfaces. Ce sont deux mondes opposés» (Legal, dirigeant d’Ingalãn)18

«Je vais schématiser pour que tu comprennes bien. Il y a deux piliers principaux du
17 www.ingalan.org/commerce_equitable/ingalan.php
18 Propos tenu dans un entretien cité en bibliographie (Legal, 2003).

86
De la polyphonie à la cacophonie : voix des
voies du commerce équitable

commerce équitable. C’est premièrement le respect du producteur donc l’équité,


les prix justes, la non-exploitation, la démocratie, le travail. Le deuxième pilier, c’est
l’invitation au consommateur à avoir une consommation réléchie. Là, on résume
beaucoup, mais on est sur les deux principes de base du commerce équitable.
Maintenant pour la grande distribution : premier pilier, le fournisseur, c’est-à-dire
le paysan, la PME… son métier, c’est de tirer les prix bas, au plus bas, (...) ça,
ça fait partie de leur métier, de la règle de base. Ils ont des écoles pour ça, ils ont
des techniques pour savoir comment mettre la pression (...). Deuxièmement, le
consommateur : leur métier, c’est de faire consommer le plus possible, et le moins
réléchi possible, par des techniques de publicité aberrantes, par… alors là on
rentre carrément dans une étude scientiique, par le positionnement des rayons,
par la musique, l’ambiance… tout ça, et il y a des études de faites qui montrent
que le consommateur qui rentre là-dedans est en état de semi hypnose, c’est
connu, c’est classique, là j’invente rien, ces choses sont démontrées» (membre
d’Ingalãn). Le commerce équitable, dans cette perspective, a pour signiication
l’éveil - la prise de conscience, l’intelligence des problèmes, pour la transformation
des comportements de consommation. Et la grande distribution est présentée
comme en contradiction, par essence, avec cette logique. Il faut en conséquence
des réseaux alternatifs de commercialisation de l’offre : les bars et cafés sont
retenus à cet effet, en tant que lieux de lien. «On s’est dit, il y a vraiment une culture
spéciique en Bretagne concernant les cafés, ce sont des lieux de rencontres,
de culture (...). Dans les villages, c’est un lieu de rencontre… (...) Donc on a
fait la limonade et le Beuk» (Le Sablier). Puis en second réseau de distribution,
pour une offre diversiiée : les boulangeries, en tant également que lieux de lien,
espaces de relations sociales, et non pas seulement de transactions. Et d’autre
réseaux sont mobilisés, en circuit ultra-court : associations de consommateurs
pré-achetant la récolte des producteurs, coopératives de producteurs montant
leur propre boutique et mettant en place une banque de travail, sur relais, pour
qu’il y ait toujours du monde à la vente, etc. Toujours, ainsi, l’idée domine selon
laquelle «on doit essayer de casser l’isolement dans lequel l’individu s’est ou a
été embarqué dans la société» (membre d’Ingalãn). Toujours domine la logique
du lien. Et du lien contre le bien : «concrètement, la position d’Ingalãn, c’est qu’on
ne peut pas parler de commerce équitable sans parler de décroissance. Les deux
sont liés et indissociables. Parce que pour nous, le problème de décroissance est
un problème face auquel l’humanité va être confrontée très rapidement. Alors,
soit on va décider, on peut rêver, à un acte volontaire d’une grande partie de
l’humanité, soit on va se la prendre pleine poire. C’est-à-dire, soit on décide de le
faire, soit on sera obligé de le faire» (membre d’Ingalãn)...

2.3. Le commerce équitable selon Alternatiba


Le concept de cola équitable a été décliné hors de Bretagne, au pays basque,
autre région de France à fortes revendications identitaires. Avec, en ce nouveau
contexte, de nouvelles signiications prises. Le lancement en 2003 d’Ehka (Euskal

87
12

Herriko Kola Alternatiboa - soit en basque «Cola alternatif du Pays Basque») par
l’association Alternatiba s’est effectué avec le soutien technique de Kan Ar Bed.

Comme plus avant, il est alors question d’une solidarité de type organique : comme
le Beuk Cola, Ehka s’afirme en effet issu du commerce équitable. Ehka introduit
également des éléments relevant de la solidarité mécanique : plus encore que la
Scop Kan Ar Bed, l’association Alterniba insiste effectivement fortement dans sa
communication sur l’importance régionaliste du produit - se donnant notamment
pour ligne directrice, au plan managérial et commercial, l’utilisation fonctionnelle
et systématique de la langue basque. Avec un positionnement l’amenant à être
perçu comme une offre ethnique : le cola basque, produit par des basques, pour
être consommé par des basques. Au contraire de Beuk Cola (qui ne restreint
pas a priori l’extension de son marché, Ekha inscrit bien plutôt son action dans
le prolongement de Breizh Cola, lancé en 2002, en Bretagne (autre «première
mondiale») comme produit régional, de substitution aux offres internationales
(dans une logique anti-mondialiste et non pas alter-mondialiste). «Ça n’a rien
à voir avec l’esprit breton indépendant ou le régionalisme. En fait on aurait pu
communiquer sur son origine bretonne, le fait qu’il est fabriqué en Bretagne, mais
on ne le souhaitait pas. Nous, on a voulu vraiment communiquer sur le produit
équitable» (membre de Kan Ar Bed).

Reste en commun, notamment, l’idée d’une diffusion hyper-sélective : dans des


lieux tels que Han eta Hemen («Là-bas et ici», en basque), boutique ouverte en
juillet 2001, exemplaire du développement au Pays basque de points de vente
offrant des produits équitables, en provenance des pays du Sud, et des produits
locaux - fermiers ou Bio du pays basque. Sous ce dernier plan, il s’agit alors
d’offrir des débouchés à «un projet de développement rural et paysan soucieux
d’une mise en valeur agricole durable, respectueuse de l’environnement». Et
reste également en commun l’idée d’un «cola anti Coca-Cola (...) le contre
exemple en fait de l’impérialisme américain de Coca-Cola» (membre de Kan
Ar Bed). On change ainsi d’imaginaire, basculant d’un registre discursif orienté
vers le bénéique, s’agissant de «faire du bien» au producteur, vers un registre
discursif orienté vers le maléique : il s’agit alors de «faire mal» à une irme
clairement déinie, identiiée, souvent explicitement désignée comme «ennemie».
Le lancement même d’Ekha s’est effectué ainsi en lien direct avec le boycott
des produits américains orchestré sur le pays basque, en 2003, par l’association
Hatsa. Avec de vives critiques exprimées par les acteurs en place du CE -
inquiets de la confusion des genres. «Sans doute la production de cette boisson
est-elle «alternative» dans la mesure où elle est faite par une entreprise locale
et non par une irme mondiale. Mais de là à la qualiier d’»équitable», il y [a] un
pas qui [peut] sembler prématurément franchi : encore faudrait-il correspondre
à des critères tels que ceux déinis par la Plate-Forme pour le Commerce
Équitable (...), encore faudrait-il être reconnu comme adhérent de cette instance
(...). De plus, en admettant que le sucre nécessaire pour la production de cette

88
De la polyphonie à la cacophonie : voix des
voies du commerce équitable

boisson puisse être de provenance équitable, le modèle de cette boisson l’est-il


? L’imitation et la récupération à l’échelle locale de la rente d’image d’une boisson
mondialement connue sufisent-elles à légitimer le qualiicatif d’»équitable» ?»19.
Critiques auxquelles il est répliqué que ce cola répond à l’un des critères entrant
maintenant dans la déinition du commerce équitable : favoriser l’expression des
cultures et des valeurs locales. «Locales» n’étant simplement pas entendu ici
comme «du Sud», restrictivement...

L’étude de ces deux cas révèle de nouvelles préoccupations, jusque là non


intégrées dans la logique du commerce équitable, certaines étant strictement
communes à ces deux organisations. Le tableau ci-dessous synthétise les
principales revendications exprimées et mises en avant dans le discours de
chacune d’elles.

Synthèse thématique discursive sur les deux cas étudiés

Kan Ar Bed Alternatiba


. commerce équitable . commerce équitable
. développement local – au Nord . développement local – au Nord
. alter-mondialisation – développement . Anti-mondialisation
économique des pays du Sud . produit régional – offre ethnique
. économie du lien (circuits courts, rejet de . économie du lien (circuits courts, rejet
la grande distribution) de la grande distribution)
. décroissance
. économie du lien (circuits courts, rejet de
la grande distribution)

3. Le commerce équitable comme vecteur d’une économie du


lien

Ce que mettent en évidence ces deux exemples est donc l’existence, nouvelle en
France, d’un type d’offre falsiiant les cartographies usuelles du CE. Lesquelles,
on l’a vu, tracent des lignes de partage entre spécialistes et labellisateurs,
transformateurs et régulateurs - acteurs n’envisageant toujours, tous, que les
voies Nord-Sud des relations commerciales. Ce qu’il faut à présent considérer,
c’est l’émergence d’un mouvement appelant à privilégier les voies Nord-Nord
de ces relations commerciales - appelant au développement d’un commerce
équitable local.
D’une part, donc, en première voix, les TAECOBs (pour «tenants d’une autre
économie du bien»), alter-mondialistes, pratiquant une solidarité organique,

19 Forum Social Pays Basque, /www.forumsocialpaysbasque.org

89
12

considèrent que le CE permet d’intégrer les producteurs marginalisés dans le


système économique mondial, et sont favorables à la diffusion des produits
équitables dans les rayons des GMS. «Plus le CA «équitable» sera important, plus
nombreux seront les petits producteurs aidés». D’autre part, en deuxième voix, les
TECOLs (pour «tenants d’une économie du lien»), alter-mondialistes intégrant,
développant, des idées anti-mondialistes, pratiquant une solidarité organique et
mécanique, considèrent que le CE permet de désintégrer le système économique
mondial - de sortir des relations économiques libérales et du système capitaliste.
Rejetant l’économie du bien où «on recherche à faire du volume plutôt qu’à créer
une relation vraiment étroite consommateur/producteur» (membre d’EsperanZa
), ce groupe d’acteurs appelle à la décroissance et au développement local : la
Fédération Breizh Ha Reizh inscrit ainsi explicitement, en sa charte, le commerce
équitable dans une démarche «d’économie alternative et solidaire».

Avant de poursuivre l’analyse, cette dynamique du commerce équitable est


schématisée dans la igure qui suit.

Figure 1 : Cartographie du commerce équitable

90
De la polyphonie à la cacophonie : voix des
voies du commerce équitable

3.1. Economie du lien et anti-mondialisme


A l’analyse, les pratiques et discours de Kan ar Bed et d’Alternatiba - exemplaires
de la logique du «commerce équitable local» -, s’avèrent relever d’un militantisme
au croisement de plusieurs matrices idéologiques - que l’on voit s’imposer
actuellement en Bretagne et au Pays Basque (Itçaina, 2004 ; Robert-Demontrond
& Joyeau, 2004) : i) idéologie solidariste, d’inspiration catholique - même si
cette référence est progressivement devenue implicite, jusqu’à totalement
disparaître en tant que justiication explicite, au terme d’un lent processus de
sécularisation (Itçaina, 2002 ; Le Coadic, 2002) ; ii) idéologie nationaliste et
identitaire, aussi, exacerbant le souci de l’autre dans sa déinition vernaculaire.
Avec alors une primauté du territorial qui incline à concevoir l’économie sociale
et solidaire de manière très extensive, comme une série de dispositifs soutenant
le développement local - tout particulièrement la création locale d’emplois - que
cette création s’exprime ou non au travers de structures coopératives, mutualistes
et associatives. L’insistance ainsi donnée sur la solidarité mécanique peut
évidemment amener au inal à un changement de registre discursif : l’offre versant
alors dans une thématique anti-mondialiste, et non plus alter-mondialiste.

Anti-mondialiste : ces offres ne relèvent pas que d’une «pulsion de vie», mais
relèvent aussi d’une «pulsion de mort». Positionnement que les consommateurs
enquêtés identiient pleinement : c’est «pour lutter contre les multinationales»
(I8), «contre la société libérale» (I16) ; «je préfère que cet argent aille aux petits
producteurs de chez nous qu’à Coca Cola» (I-19). Le Beuk Cola permet ainsi
d’assouvir la «pulsion de mort» des consommateurs. Celle-ci court sous un
discours souvent très euphémistique : «on fait un pied de nez aux Américains
(...) un gros pied de nez à Coca Cola» (I-20) ; «on a un remplaçant au Coca
américain, aux loobies américains» (I-21) ; «à partir du moment où tu choisis un
produit local, tu vas forcément abandonner un produit plus international quoi»
(I-27) ; «ça casse un peu le pouvoir de Coca» (I-22)... La pulsion de mort peut
être plus explicite : «je vais acheter plus cher ce produit-là mais au moins, ça
m’évitera de faire vivre d’autres groupes» (I16). Il s’agit de «contrer un peu les
produits américains, c’est important (...). On ne fait pas marcher l’économie des
Etats-Unis» (I-23). Avec un bénéice personnel, correspondant à un renforcement
intrinsèque - le boycott que sous-tend le buycott est psychologiquement gratiiant
: «ça met un peu la rage aux Ricains, j’aime bien» (I-24)...

L’anti-mondialisme se décline aussi en pulsion de vie - s’agissant de préserver des


ressources environnementales, outre celles sociales. Celles sociales : on retrouve
ici dans le discours des consommateurs la thématique du développement local,
de la promotion de l’emploi local. Alors, la déclinaison Nord-Sud du commerce
équitable est questionnée, relativement à ces conséquences sur l’emploi au Nord
: «j’arriverais quand même - parce que c’est pas simple un consommateur -,
j’arriverais quand même à me poser la question, en me disant est-ce qu’à un

91
12

moment donné si je, entre guillemets, par mon acte d’achat je donne à manger
à ces gens-là, est-ce que je vais pas retirer le pain de la bouche d’agriculteurs
français ? Donc là, y a un juste milieu à trouver» (I12). Quant aux ressources
environnementales, le commerce Nord-Sud est discrédité relativement à celui
Nord-Nord : «ça réduit le transport, les coûts de transport, la durée et donc la
pollution due au transport» (I-21) ; «ça évite d’avoir des camions sur les routes
et tout, quand on consomme au plus près quoi… j’essaie de faire attention à
tout ça» (I-25). «c’est plus près, donc moins de transport en camion, donc moins
polluant tout simplement. Je pense euh… si on part de loin, on a tous un lien de
sang avec la mer, avec la planète et donc je pense qu’il faut la respecter parce
que si on respecte pas la planète on va mourir, enin l’humanité en gros quoi.
Donc on doit être propre, respectueux de l’environnement et ces produits en in
de compte… Le plus important, c’est d’acheter local pour éviter les transports
(...) et c’est pour ça que je préfère même un produit qui est fabriqué même en
Bretagne» (I-26).

Toutes idées avancées par les consommateurs interrogés et partagées par les
organisations du CE hostiles à la conception historique du commerce équitable. Il
n’est ainsi pas juste, pour les TECOLs, d’aficher un label ou logo «équitable» sur
un produit dont les conditions de transport du Sud au Nord déient les règles de
labellisation - conditions de vie à bord des navires, pour les équipages, état même
des navires, pollution, etc. «Il y a strictement aucun produit, qui soit artisanal ou
alimentaire, qui soit issu du commerce équitable Nord-Sud, qui soit transporté de
manière cohérente avec la démarche. Vous êtes pas sans savoir que le transport
maritime est un vivier d’exploitation à ciel ouvert ; le transport aérien, si tu ajoutes
la notion d’impact écologique» (membre d’Ingalãn). Et encore, le transport Sud-
Nord pose problème pour les TECOLs, indépendamment de ces conditions de
réalisation, indépendamment de la qualité des conditions de travail. Le transport
même de ces marchandises génère des coûts écologiques d’importance - des
atteintes aux ressources environnementales qui, quoique non marginales, ne
sont pas intégrées dans le modèle. Le cas du jus d’orange, consommé en Europe
en volumes très conséquents, est souvent pris en exemple, paradigmatique
- le produit implique de fait, pour l’essentiel, des pratiques d’importation en
provenance de pays du Sud ; sa consommation étant notablement justiiée par
l’apport de vitamine C. Or, le cassis, produit au Nord, rivalise avec l’orange dans
ses apports, justement, de vitamine C. Pourquoi alors ne pas développer des
marchés équitables en circuits courts pour les jus régionaux, élaborés par de petits
producteurs locaux ? Offres plus écologiques, car de proximité, et propices au
développement de nouvelles solidarités. Ce n’est pas alors d’alter-mondialisation
qu’il s’agit, mais bien d’anti-mondialisation : «pour moi, faire cramer du kérosène
pour soutenir des producteurs qui en ont besoin, à moyen terme, on se rend
pas service et on leur rend pas service à eux non plus. Parce qu’on est en train
d’augmenter, d’accélérer une situation qui est en train de nous foutre tous en
l’air» (membre d’Ingalãn).

92
De la polyphonie à la cacophonie : voix des
voies du commerce équitable

Ce que contestent d’emblée les TAECOBs : «on rentre dans du protectionnisme,


et on va complètement à l’envers du truc, donc…» (responsable du CRIDEV).
Contre les critiques, le maintien des activités internationales en leurs formes
actuelles est alors défendu, en arguant : i) de la priorité d’une réponse
aux problèmes économiques et sociaux des producteurs du Sud ; et ii) de
l’impossibilité de faire appel à d’autres moyens de locomotion - sinon sous
condition de coûts économiques ou de délais de livraison prohibitifs. Encore cela
est-il aussi contesté : en Bretagne, l’association «EsperanZa», développée à
Rennes en 2001 pour assurer une solidarité économique avec des paysans du
Sud (plus précisément, du Chiapas), en commercialisant le café de plusieurs
coopératives zapatistes, s’engage ainsi, actuellement, dans un projet de contrôle
de toute la ilière logistique. Un bateau est à cet effet spécialement affrété pour le
transport maritime du café : il s’agit «de l’acheter en équitable, de le transporter
en équitable et de le développer ici en équitable, c’est-à-dire, en travail Nord-
Nord aussi» (membre du Sablier). Dans cette perspective, inalement, une usine
de torréfaction est en construction en Bretagne pour une totale autonomie de la
ilière commerciale - contre toute «souillure»...

3.2. Economie du lien et refus de la grande distribution


Il n’est pas légitime, pour les TECOLs, de viser la grande distribution : «on ne
se reconnaît pas dans le commerce équitable en grande surface» (membre
d’EsperanZa). Pour les participants aux réseaux de distribution alternatifs, la
collaboration avec ceux de grande distribution est absolument contraire aux
principes même du CE. Les principes de Breizh Ha Reizh, représentatifs de
l’idéologie des TECOLs, dénoncent ainsi toute inclination du commerce équitable
vers l’économie du bien, toute relation du commerce équitable avec la grande
distribution - amenant à sa dénaturation. Ces irmes de la grande distribution
ont, pour les TECOLs, «comme principales pratiques de faire pression sur leurs
fournisseurs, en l’occurrence les producteurs locaux, en utilisant des méthodes
draconiennes, enseignées en écoles, et ce pour obtenir les prix les plus bas.
(...) La grande distribution manipule le consommateur du mieux qu’elle peut
par des techniques publicitaires et autres méthodes poussant à consommer le
plus possible. Nous estimons par ailleurs que soutenir les producteurs situés
à plusieurs milliers de kilomètres sans prendre en considération la situation
et l’avenir critique des producteurs locaux amène la démarche du commerce
équitable vers un avenir bancal. C’est pourquoi nous dénonçons la récupération
du commerce équitable par des groupes dont la principale motivation est
d’améliorer leur image en pratiquant un marketing humanitaire. Nous nous
joignons à d’autres organisations de commerce équitable tel que Minga pour la
reconnaissance d’un commerce équitable local et pour son développement hors
des circuits de la grande distribution. Nous travaillons avec des organisations
paysannes syndicales et associatives pour ensemble développer des circuits de

93
12

distribution alternatifs et solidaires»20.

Et de fait, de l’aveu même de membres de Max Havelaar enquêtés par Renard


(2003), la commercialisation à travers la grande distribution a impliqué un
changement d’axe de communication éloignant le CE de toute visée pédagogique
- en insistant sur les dimensions affectives du CE au détriment de celles
cognitives. «Pour élargir le spectre du public intéressé à acheter ces produits,
il était nécessaire de faire appel davantage à des sentiments humanitaires qu’à
des convictions politiques». Reste que l’ambivalence entre identité militante,
idéologie socio-politique d’une part, et réalité d’entreprise, logique marchande
d’autre part, affecte aussi les participants aux réseaux de distribution alternatifs.
«L’incursion de l’action militante dans l’arène économique n’est pas sans risque»,
note en commentaire Gendron (2004), faisant observer, pour illustration, que le
fait que les boutiques Tiers-Monde politique - qui constituent une part signiicative
de la base sociale des Organisations du Commerce Alternatif (ATOs) -, aient
récemment vu leurs ventes plus que doublé, les a contraint à plus d’eficacité
managériale, plus de professionnalisme, les inclinant à moins critiquer l’entreprise
que dans le passé... Les voici inalement, pour les radicaux, les TECOLs, dès lors
piégés dans l’économie du bien, dans la logique du marché conventionnel et ses
critères fonctionnels - croissance, eficience, performance, etc. Les voici saisis
d’une rationalité typiquement économique, dont ils auraient dû être libérés.

Toutes positions que conteste l’autre groupe, justiiant l’entrée du CE en grande


distribution par le fait que : i) les producteurs du Sud ont besoin de vendre - «les
volumes doivent augmenter, il faut que les gens réagissent !» (salarié de Lobodis)
; «on ne peut pas dissocier volume et valeur» (responsable du CRIDEV) - si le
mouvement du CE vise un soutien les producteurs du Sud autre que symbolique,
il lui faut miser sur le volume ; et ii) les consommateurs ont connaissance et
conscience de ce que couvre l’appellation «équitable» - «l’idée même de faire
l’effort d’acheter équitable est en soit un effort et est donc lié à un acte réléchi,
plutôt que de ne rien faire. Est-ce que pour autant le consommateur en question
est acteur complètement de ce qu’il fait, moi je ne sais pas le mesurer, je fais
simplement l’hypothèse que des gestes répétés comme ça euh… et d’en discuter
avec des gens qui font la même chose ou qui ne font pas la même chose, ça
va changer le rapport avec la consommation et si par ailleurs la notoriété est
sufisante et qu’on en parle, et qu’on fasse des piqûres de rappel dans la pub,
dans la communication de masse, dans les choses comme ça et qu’on redise
ce qu’est le commerce équitable, ça va prendre du sens» (fondateur de Max
Havelaar France). Le label est alors conçu comme l’élément majeur du CE - qui
lui permet d’être performant, en termes d’eficience et d’eficacité.

Le label est ainsi estimé constituer le vecteur d’expansion du CE. Dans la

20 Cf. « Pour un commerce équitable local et international », www.ingalan.org/commerce_equitable/principes.php

94
De la polyphonie à la cacophonie : voix des
voies du commerce équitable

perspective des organismes de labellisation, ce n’est de fait qu’à travers les canaux
de distribution conventionnels que les consommateurs non-militants peuvent être
touchés - que le projet de forts volumes de vente peut être réalisé ; que le credo
originel «Trade, not Aid », peut être actualisé. Il est nécessaire, en conséquence,
d’iniltrer ces canaux et de conclure des ententes avec la grande distribution.
«Les produits du commerce équitable doivent être là où le consommateur va.
On n’est pas dans un système où le petit commerce prédomine» (responsable
du CRIDEV). Le CE ne peut être une réelle alternative économique «que si les
produits sont disponibles dans chaque supermarché, chaque épicerie, à chaque
coin de rue, là où le consommateur a l’habitude de faire ses courses, et pas
seulement dans les magasins spécialisés » (Transfair, 2001). L’argumentation
développée par M.-E. Leclerc21 dans ses rélexions sur le développement durables
est identique, qui conclut à la nécessité d’une entente entre acteurs du CE et
grande distribution : «en rentrant dans les rayonnages des hypers, le commerce
équitable proite de la notoriété et de l’attractivité des enseignes. Il augmente
les débouchés potentiels. Et les produits équitables deviennent plus accessibles
parce que moins chers. Contrairement à une idée reçue, le prix jusqu’ici élevé du
commerce équitable ne provient pas de la rémunération payée aux producteurs.
Ce sont les charges ixes, les coûts logistiques et les marges des intermédiaires
qui plombent leurs prix. Par rapport au circuit traditionnel et trop conidentiel des
réseaux militants, le référencement en hyper rend ces produits presque aussi
compétitifs que les grandes marques. Et ils proitent de la politique promotionnelle,
comme la présence en catalogue (15 millions d’exemplaires) »...

3.3. Economie du lien contre économie du bien


Tant les TAECOBs que les TECOLs se présentent comme les « gardiens du
Temple ». Soucieux de garder le sens premier du CE (la pureté du message
originel), les TAECOBs s’opposent vigoureusement à toute idée de « commerce
équitable local », à toute extension du CE aux relations Nord-Nord. Et ce, en
considérant que : i) les paysans du Nord bénéicient de politiques agricoles
conséquentes (de systèmes de régulation non-marchands), permettant des
conditions de travail et d’un niveau de vie excessivement supérieurs à celui des
paysans du Sud - « ce que l’on dit, c’est que les problèmes des paysans ici et les
problèmes des paysans là-bas, ce ne sont pas les mêmes. (...) C’est la pauvreté
peut-être, mais ce n’est pas la misère, il y a une différence entre les deux »
(Président de Max Havelaar 35) ; « il faut éviter de tout confondre. Moi, on m’a
toujours dit, depuis le début, que le commerce équitable a d’abord été inventé,
imaginé et structuré pour… dans le cadre d’une critique de rapports Nord/Sud
et de modalités nouvelles de relations et de développement donc euh…ne
mélangeons pas ça avec les questions d’agriculture du Nord. Un paysan ici, c’est
pas un paysan du Sud. Même s’ils partagent entre eux les mêmes valeurs, ils
ne vivent pas du tout dans les mêmes conditions» (fondateur de Max Havelaar
21 Cf.www.michel-edouard-leclerc.com/blog/m.e.l/archives/daveloppement_durable/commerce_aquitable/index.php

95
12

France) ; et ii) les consommateurs ont besoin de déinitions claires, d’appellations


stables. Dans cette perspective, refuser l’expression «commerce équitable local»,
«c’est pas une opposition, c’est simplement un problème de position vis-à-vis du
consommateur» (Président de Max Havelaar 35)...

Pas une opposition ? Au vrai, les divergences confessionnelles sont extrêmes.


Pour les TECOLs, il n’est pas juste de n’envisager qu’une solidarité organique,
Nord-Sud ; pas juste de ne pas envisager la solidarité mécanique, «Nord-Nord»
: «on refuse la démarche d’aide là-bas, sans se préoccuper de ce qui peut se
passer ici. Pour nous, il est simplement injuste, ou incohérent, ou très limité, d’être
solidaire de producteurs à 10 000 kms de là, sans avoir de regard sur la situation
des producteurs qui nous ont nourris depuis. (...) Pour nous, non seulement
le problème Nord-Nord se pose, mais il est indissociable du Sud. On doit pas
séparer les choses en disant : là c’est urgent, là c’est pas urgent. (...) Quand t’es
mal, misérable, que tu sois au Nord ou au Sud, la situation de détresse elle est
pas quantiiable, il n’y a pas de degrés à donner. Les cas de suicides dans les
milieux paysans, que tu sois ici en Bretagne ou au Guatemala, le résultat c’est le
même, t’es raide au bout de la corde» (membre d’Ingalãn).

Les divergences confessionnelles, donc, sont extrêmes. Même si les efforts pour
en atténuer l’expression sont d’importance. Tout au long des entretiens menés,
un fort ressentiment transparaît dans le discours des acteurs du groupe contesté,
les TAECOBs - ces «gens qui défendent le commerce équitable, qui s’en font
les spécialistes et ne veulent voir que ça, le commerce Nord-Sud» (membre
d’Ingalãn)... Un sentiment de trahison domine - l’idée que les TECOLs bénéicient
pleinement des efforts de communication, de sensibilisation des consommateurs
aux problématiques du commerce équitable effectués depuis des années par
les TAECOBs : «il y en a beaucoup qui disent, ben notamment Ingalãn, qu’on
aurait jamais dû aller en grande distribution. (...). Maintenant que c’est en grande
distribution, leurs boutiques aussi en proitent. Les gens, ils savent en passant
devant Artisans du Monde ce qu’ils vont y trouver. (...) Si on n’était pas en grande
distribution, on ne serait pas connu, et les producteurs n’en bénéicieraient
pas» (membre de Lobodis)22. «Quand on est un petit peu sérieux, on ne casse
pas en permanence du sucre sur le dos de Max Havelaar au prétexte que Max
Havelaar est distribué par la grande distribution. (...) Moi, je ne suis pas favorable
maintenant à ce que l’on mélange la notion de commerce équitable et commerce
solidaire. Ce sont deux démarches qui sont convergentes, mais qui ne sont pas
de même nature. Alors que je pense que tout le travail que fait Breizh Ha Reizh
relève de l’organisation alternative, d’une autre manière de produire, de vendre
et de consommer, bon et qu’ils ne sont pas les seuls à faire. Et inalement je inis
par prétendre que toutes ces organisations-là existent parce qu’on s’est posé la
question» (fondateur de Max Havelaar France).
22 En France, la Fédération Artisans du Monde a décidé, lors de leur assemblée générale de juin 2005, de ne pas collaborer avec la
grande distribution (comme Oxfam, en Grande-Bretagne).

96
De la polyphonie à la cacophonie : voix des
voies du commerce équitable

L’importance de la logique de décroissance, pour les TECOLs, fait obstacle à tout


effort de rapprochement. «Si on vise l’équité, c’est qu’on doit d’entrée accepter
de revoir à la baisse notre niveau de consommation (...). Il y a urgence, c’est
urgent de faire prendre conscience aux gens que leur niveau de vie actuel n’est
pas viable. Ce niveau de vie qui a emmené une minorité de l’humanité n’est
pas viable pour l’humanité. Il ne faut certainement pas oublier cet état de fait,
et le choix de Max Havelaar est mauvais dans le sens où il va détourner… On
a mis en place un vecteur intéressant, et au bout de quelques années, on va le
détourner de l’objectif (...). Et on va permettre la récupération. Et de permettre la
récupération, on va annuler le travail... les gens vont se contenter de se dire, bah
voilà, inalement, je ne suis pas si mauvais que ça, j’ai quand même acheté mon
café Max Havelaar» (membre d’Ingalãn).

3.4. De la diversité des credo au syncrétisme


L’apparition sur le marché de labels comme le bio-équitable, le développement
du commerce éthique, des chartes sociales et programmes de responsabilité
sociale des entreprises ont relancé la nécessité, en France, d’un débat sur la
déinition du cadre réglementaire d’exercice du commerce équitable. Face à la
diversité des credo, ou plus encore, des chapelles du CE - grâce même à cette
diversité confessionnelle -, ces nouveaux mouvements proposent effectivement
des syncrétismes idéologiques très éloignés de l’orthodoxie : des promesses
attractives pour les consommateurs, mêlant (pour le bio-équitable) considérations
écologiques, diététiques et socio-politiques (Arberet, 2003), ou mettant l’accent
(pour le commerce éthique) sur la question du travail des enfants ou sur
l’absence de discrimination au travail (charte de parité, de diversité dans les
organisations, etc.). Tous sujets pour lesquels les consommateurs manifestent
une forte sensibilité - une sensibilité signiicativement plus forte que celle portée
à la question d’une juste rémunération du travail (Robert-Demontrond, 2006).

L’inquiétude des acteurs enquêtés, confrontés nouvellement à la récupération de


l’appellation «commerce équitable» est d’importance. «La récupération, c’est le
fait qu’une multinationale par exemple, si on prend Jacques Vabre par exemple, il
va sortir un café, c’est-à-dire qu’il prend pour lui la notion de commerce équitable,
mais il va se passer du label Max Havelaar, il va avoir son café sous le titre par
exemple de « café solidaire » et puis il va vendre son café avec la notion de
commerce équitable pour les consommateurs. Seulement il ne va pas respecter
les standards, c’est à dire qu’il va peut être payer son café un peu plus cher
au producteur, mais il n’y aura pas la prime de développement, la notion de
durabilité… c’est ça que l’on appelle la récupération. C’est prendre la notion
de commerce équitable sans respecter les conditions. (...) C’est pareil pour les
produits bio-équitables, ils ont le label AB mais pas le label équitable» (président
de Max Havelaar 35). «Le problème, ce sont les abus vis-à-vis de la notion de
commerce équitable. Ça se prête à n’importe quoi. Dès qu’on pose «commerce

97
12

équitable» sur un produit, ça se vend mieux. Alors que ce n’est pas ce que l’on
recherchait. (...) Le problème, c’est que beaucoup de personnes apposent la
notion de commerce équitable alors que cela n’a rien à voir avec du commerce
équitable. Par exemple, prenons le bio-équitable, ce sont des produits Bio
mais pas équitables» (fondateur de Max Havelaar France)... La question de la
frontière entre éthique et équitable court également dans le discours des acteurs
enquêtés - parfois en dénonciation, parfois en légitimation. En dénonciation, par
exemple de ce que «selon FLO, les gros producteurs peuvent bénéicier du label
équitable pour certains produits (...). Le patron doit alors respecter un cahier
des charges particulier, notamment en ce qui concerne les droits des ouvriers
agricoles (présence d’un syndicat, salaires décents…). Les autres conditions
sont les mêmes pour le cahier des charges qui s’applique aux petits producteurs.
Il ne s’agit plus vraiment à mon avis de commerce équitable, mais plutôt de
commerce éthique, dans le sens où les ouvriers travaillent dans les conditions
décentes dans le meilleur des cas, mais ne sont pas associés à la répartition des
bénéices réalisés par la société pour laquelle ils travaillent». En justiication :
considérant par exemple que des mouvements comme «Ethique sur l’étiquette»,
«sont complètement en lien avec le commerce équitable (...), parce que l’ambition
c’est bien de moraliser le commerce» (salarié de la CRES). Mais alors, tous les
credo se fondent en un syncrétisme insoucieux de toute priorité.

Les acteurs enquêtés expriment avec force une attente de repères, la demande
de normes claires, et restant exigeantes - permettant de prévenir l’irruption sur le
marché d’entreprises privées s’autoproclamant indûment «acteurs du commerce
équitable», sans autre forme d’engagement. «On va avoir du commerce équitable
qui n’aura plus de normes (...). Là, on fait maintenant des normes au rabais
pour faire plaisir aux distributeurs et aux grandes surfaces. Et je crois que l’on
commence à se perdre un peu dans la notion même du commerce équitable. (...)
Si on fait du volume maintenant, le terme de commerce équitable sera tellement
galvaudé qu’on fera un commerce équitable au rabais» (membre Ingalãn). «Il
faudrait poser une norme, pas une norme au rabais, une norme qui dicte bien
les règles qu’on ne puisse pas changer ou contourner. Le commerce équitable,
c’est quand même un cahier des charges, ce sont des normes bien déinies. Le
grand risque c’est qu’il y ait une confusion entre toutes les notions» (membre du
Cridev). «Le problème, c’est que chacun est avec ses critères. Alors comment
peut se retrouver le consommateur ?» (Président de Max Havelaar 35).

3.5. De la guerre des chapelles à l’échec du «synode»


Pour répondre à cette très vive demande d’uniformisation des pratiques, sinon
des croyances, un projet d’établissement d’une norme française du commerce
équitable a été lancé en 2001. Projet mobilisant, à l’AFNOR, plusieurs dizaines
d’acteurs du CE. Avec la désignation en février 2003 du responsable de la DIES
(Délégation interministérielle à l’innovation sociale et à l’économie sociale), pour

98
De la polyphonie à la cacophonie : voix des
voies du commerce équitable

présider les travaux. Les résultats escomptés n’ont pas été obtenus : du fait des
divergences par trop importantes entre les différentes parties prenantes, l’objectif
d’élaboration d’une norme a été inalement écarté (au moins ponctuellement)
pour la publication, en mars 2005, d’un simple fascicule de documentation,
déinissant les critères génériques de la démarche du CE...

Lequel fascicule reconnaissait, à la demande de Breizh Ha Reizh, la pleine


légitimité du commerce équitable local - établissant effectivement que si le CE
vise en priorité les relations Nord-Sud, il peut «aussi bénéicier à des producteurs
et travailleurs de pays développés quand les conditions économiques et sociales
leur sont défavorables». Las, pour les TECOLs, sous la pression de Max Havelaar
France et de la fédération Artisans du Monde, notamment, unissant donc ici leurs
voix, ce fascicule n’a inalement pas été publié...

Avec pour explication, notamment, le fait que le texte réduisait les missions
d’éducation et de développement à une simple sensibilisation, mettait l’accent
sur le prix juste de l’offre commerciale en négligeant la mission sociale du
commerce équitable, et ne prenait pas en considération le nécessaire partenariat
avec des producteurs ou travailleurs organisés, ou engagés dans un processus
d’organisation - condition sacralisée, estimée indispensable à l’engagement
d’un véritable processus de développement. « Il s’agit d’aider les producteurs
à s’organiser, pour qu’ils puissent accéder à leur propre autonomie. Sinon nous
restons dans l’assistanat »23.

Pour les TECOLs, cela même trace les frontières, met en lumière les positionnements
idéologiques, les convergences et les divergences confessionnelles et
d’intérêt, par delà les différences fonctionnelles. Max Havelaar France est tout
particulièrement interpellé - accusé de pratique anti-concurrentielle, de visée de
construction d’une situation monopolistique sur le marché de la labellisation et
de rapports impurs (sacrilèges) avec les acteurs de la grande distribution. « Max
Havelaar se trouve dans le système capitaliste et bien dedans, dans le sens ou
il faut faire du chiffre, on travaille avec la grande distribution, tout ça pourquoi…
pour intégrer un maximum de producteurs, pourquoi intégrer un maximum de
producteurs dans une relation de commerce équitable, quel est l’enjeu, la raison
? (membre d’EsperanZa) ; « bien qu’imparfait, le fascicule de documentation
aurait permis d’examiner un certain nombre de pratiques commerciales. C’est
pour cette raison qu’il a été refusé, précisément par ceux dont les pratiques
sont les plus opaques. Max Havelaar France a déinitivement montré qu’il se
rangeait aux cotés de ces acteurs (...). Leur ambition inavouée est l’édiication
d’un monopole privé de certiication qui leur permettra de s’exonérer du droit à
la consommation»24. Les voix s’enlent en cacophonie. « Le commerce équitable
23 Ferreira, directeur de Max Havelaar France in Bohé G. (2005), Polémique autour du document de l’AFNOR sur le commerce
équitable, 27 avril, www.novethic.fr
24 D. Minard, de l’agence de développement Quatre Mâts Développement, membre et représentant de Minga dans le cadre des
travaux de l’AFNOR, 8 novembre 2005 - www.quatre-mats.org./article.php3?id_article=15

99
12

n’est ni un concept ni une belle famille, mais un ensemble de pratiques variées


mues par des motivations radicalement opposées (...). Certains acteurs du
commerce équitable (tel que Max Havelaar) encouragent la commercialisation
de produits qualiiés « équitable » en grande surface, les exonérant ainsi de
leur responsabilité sociale et environnementale. Ces acteurs occultent plus ou
moins délibérément, l’exploitation salariale au sein de la grande distribution,
les relations totalement inéquitables établies avec leurs fournisseurs ainsi que
l’impact de ce type d’espace de vente peu compatible avec des engagements liés
au développement durable. L’examen des conditions de travail de la caissière de
votre grande surface est une excellente façon de réléchir à la signiication d’une
certaine conception du commerce équitable que défend par Max Havelaar»25.

La possibilité de réunir les parties prenantes du CE autour d’une table a été


relancée dès le mois de mai 2005 - par la remise au premier ministre d’un rapport,
rédigé par Herth, en mission parlementaire, proposant parmi 40 propositions pour
soutenir le développement du CE, la création d’une Commission nationale du
commerce équitable. Avec pour mission assignée de consolider les démarches
existantes, ainsi que le cahier des charges des OCE, grâce à une reconnaissance
oficielle des pouvoirs publics et à l’attribution d’un agrément. Ceux s’engageant
volontairement à se soumettre au contrôle d’un organisme agréé pourraient ainsi
obtenir la qualiication oficielle au titre du «commerce équitable». Ceci devant
permettre de consolider la coniance des consommateurs et assurer plus de
volumes de vente.

Toutes idées reprises dans la loi sur les PME du 2 août 2005 (article 37),
qui donne une déinition restrictive du commerce équitable le bornant aux
échanges de biens et services entre Nord et Sud et prévoit la création de
cette Commission en charge du contrôle des pratiques de tous les acteurs,
personnes physiques ou morales, voulant recevoir une accréditation de l’État.
Reprenant son travail, l’AFNOR a inalement publié en janvier 2006 un accord
de référence sur le commerce équitable (AC X50-340), retenant trois principes,
présentés comme complémentaires et indissociables, pour sa déinition et sa
qualiication : i) l’équilibre de la relation commerciale entre les partenaires ou
co-contractants (prix minimum équitable pour le producteur, respect des droits
sociaux et environnementaux, pérennisation de la relation commerciale, etc.) ; ii)
l’accompagnement des producteurs et des organisations de producteurs engagés
dans le commerce équitable, «dans les pays en développement» ; iii) l’information
et la sensibilisation du public. Le texte n’engageant que les signataires et n’ayant
donc pas de valeur normative, sa portée est essentiellement symbolique, comme
le rappelle en préambule l’AFNOR : le document produit, entériné par la majorité
des membres de la commission dédiée à ce travail, «concrétise la volonté de ces
acteurs d’élaborer un cadre de référence professionnel partagé, sous la forme
25 E. Antoine, de l’agence de développement Quatre Mâts Développement, membre et représentant de Minga dans le cadre des
travaux de l’AFNOR, 21 juin 2005 - www.quatre-mats.org./article.php3?id_article=15

100
De la polyphonie à la cacophonie : voix des
voies du commerce équitable

de lignes directrices applicables en France aux organisations du commerce


équitable et aux parties prenantes impliquées dans le commerce équitable. Il
vise à accroître la reconnaissance du commerce équitable et à contribuer à sa
promotion». La DIES s’est félicité du résultat, qualiié de «première mondiale» -
la volonté d’homogénéisation et de clariication que marque l’Accord répondant,
selon elle, à «une attente légitime des consommateurs».

Reste, malgré cette volonté d’orchestration, un chœur de voix toujours


cacophonique. En premières voix, dithyrambiques, le coordinateur de la PFCE,
F. de Souza Santos, exprime sa satisfaction de ce que «l’accent sur le plaidoyer
en faveur d’un changement des règles du commerce conventionnel soit bien
donné dans le document» ; le directeur de Max Havelaar France, V. Ferreira, se
réjouit également de l’Accord, «en tant que déinition consensuelle en cohérence
avec le mouvement international du commerce équitable face aux diverses
initiatives commerciales qui récupèrent la dénomination commerce équitable
sans en mettre en œuvre les principes »26. Mais Yamana, membre de la PFCE,
n’a pas signé l’Accord - considérant que le label de produit n’est pas adapté au
cas des relations Nord/Sud - le coût de la certiication amenant effectivement les
producteurs à augmenter leur volume de production et à se tourner vers la grande
distribution pour sa mise sur le marché. Et Yamana d’estimer, en voix critique,
que «la pluralité des pratiques actuelles» n’est pas assez prise en compte par
le document, qui ne permet pas de responsabiliser toute la ilière, et de répartir
les coûts sur l’ensemble de la ilière. Minga, de son côté, considère que l’Accord
« sert, en fait, à légitimer une marque de droit privé (...) et à développer une
niche d’un commerce prétendument équitable (...) au lieu de rendre tous les
échanges commerciaux plus équitables »27. « Cet Accord légitime ce coup de
force du gouvernement pour réduire le commerce équitable à une « marque »,
évacuant les enjeux politiques et démocratiques de la question de l’équité dans
les échanges. (...) La référence à un prix minimum garanti déini par quelques
associations du Nord relève d’une entente commerciale qui prive les producteurs
de toute capacité de négociation, notamment en fonction de la qualité de leur
production (...). Ce type d’Accord prolonge les rapports néocoloniaux des pays
riches qui maintiennent les pays pauvres dans la situation de fournisseurs de
matières premières à bas prix. (...) En refusant d’aborder l’équité commerciale
tout au long d’une ilière l’Accord dégage aussi la responsabilité des commerçants
en bout de chaîne dont certains, grandes surfaces ou autres, pourront continuer
à augmenter leur marge commerciale sur des produits qualiiés d’ « équitables
»»28.

Pour les TECOLs, le gouvernement impose indûment sa conception de ce que


devrait être le champ du CE, idée portée depuis trente ans par la société civile.

26 www.maxhavelaarfrance.org/ressources/cp-afnor.htm
27 www.minga.net/article.php3?id_article=377
28 idem, 21 décembre 2005.

101
12

La loi, remarque Sanjuro (2005), «exclut du champ du commerce équitable les


échanges Nord-Nord. En cantonnant le commerce équitable aux échanges Nord-
Sud, elle élude la question des conditions de vie et de travail des producteurs
français. La répartition des richesses dans le monde est-elle à ce point homogène
pour que l’on scinde le globe en deux : pays du Sud versus pays du Nord ?».
Faut-il être insensible au malheur du prochain ? «Il devient donc illégal en France
de faire un commerce équitable avec ses voisins!», s’exclame le président
d’Ingalãn29. Et Breizh Ha Reizh de lancer en déi au législateur, et aux acteurs
s’en tenant à un autre économie du bien : les résultats de l’étude réalisée par
Hameillon (2005), montrant que sur 40 producteurs bretons travaillant sur des
circuits courts interrogés, 35 se revendiquent du commerce équitable local : «qui
osera leur demander de surveiller leur langage ?»30.

3.6. Vers un schisme ?


Une scission se dessine au inal : «la situation est un peu celle là ! C’est-à-dire de
scission entre un commerce équitable dans le sens de la déinition historique du
terme «commerce équitable», donc ce mouvement qui perdure dans les échanges
Nord-Sud et qui, par exemple, Max Havelaar aujourd’hui, justement se développe
dans la grande distribution. Et un mouvement avec une autre vision du commerce
équitable peut-être un peu plus radicale» (membre d’EsperanZa). Les acteurs
de terrain se connaissent, s’estiment. S’ils reconnaissent leurs différences de
croyances et de pratiques, les liens tissés en réunions et colloques l’emportent.
«Il y a effectivement scission quand on va plus haut dans la hiérarchie, à la tête
de Max Havelaar (...). Arrivé à certain niveau, on peut parler de scission, oui. Là
on est vraiment pas d’accord, non seulement sur la stratégie mais en plus sur les
comportements» (membre d’Ingalãn). Les TECOLs, alors, s’engagent dans une
logique de sécession - pour éviter toute «souillure» de leur image, pour éviter
de perdre en image de pureté, d’incorruptibilité : «plus ça va, plus on va être
obligé, puisque du coup, on nous met dans le même sac, on est obligé de se
différencier à un certain moment. Tu vois, aujourd’hui Max Havelaar a décidé
de labelliser des produits de Nestlé, mais il me semble que Nestlé participe à la
situation de déséquilibre donc…. c’est illogique ! C’est typiquement exploiter une
niche de marché. Il y a plein d’incohérences, donc on ressent le besoin de se
détacher de ça, sinon quand on parle de commerce équitable, on pense à Max
Havelaar, mais nous on n’est pas Max Havelaar, on fonctionne différemment.
Alors nous aussi on a nos incohérences, nos paradoxes mais on ne travaille pas
avec Nestlé» (membre d’EsperanZa).

Pour certains des acteurs entendus, le terme «commerce équitable» couvre


à présent des champs de signiication trop différents pour qu’il y ait encore
légitimité à le garder. «Moi, je suis obligé de commencer par dire que le commerce

29 Quel cadre législatif pour le terme de «commerce équitable local» ?, www.ingalan.org


30 Pour un commerce équitable local et international, www.ingalan.org/commerce_equitable/principes.php

102
De la polyphonie à la cacophonie : voix des
voies du commerce équitable

équitable, c’est un mot aujourd’hui qui me gêne de plus en plus. Quand on va


parler de commerce équitable, j’ai envie de te dire, quel commerce équitable ?
Ce que nous, on ressent aujourd’hui, sur le commerce équitable, c’est de plus
en plus une gêne, parce que l’on voit deux mouvements de commerce équitable
qui ont tendance à s’opposer de plus en plus» (membre d’EsperanZa). Trop
de signiiés, parfois antinomiques, pour un même signiiant, une dynamique
explosive des déinitions sans cadre oficiel assurant formellement l’existence de
zones substantielle de convergence : le commerce équitable est confronté à des
turbulences idéologiques qui menacent fortement son développement durable...

Au total, l’appellation «commerce équitable» illustre de manière paradigmatique


cette idée nodale de la théorie de Bakhtine, fondant le dialogisme en afirmant que
le «mot se présente comme une arène», où luttent des forces contradictoires. La
descente entamée ici dans l’»arène nominale» du commerce équitable envisage
cette appellation comme un praxème - un signiiant lottant sur une diversité de
signiiés, variant selon les catégories d’acteurs. Selon les cas étudiés ici, bornés
aux seuls acteurs de l’offre, cette expression se charge d’un sens l’apparentant
tantôt au commerce éthique, tantôt au commerce ethnique, tantôt l’inscrivant
dans la logique conventionnelle de l’économie du bien, tantôt l’afiliant à celle
de l’économie du lien... Non pas habité par un unique signiié, stable, mais par
une puissance à signiier, variable, l’appellation devient ainsi lourde d’ambiguïtés
: avec un risque de perte de coniance des consommateurs dans sa valeur de
vérité. Or, au inal, ce sont ces derniers les seuls capables et responsables, par
leur acte d’achat, de pérenniser ou au contraire de faire disparaître le commerce
équitable….

« Une déinition oficielle, des pratiques dissemblables », note Diaz-Pedregal


(2006). Diversité des pratiques et des discours, et diversité des croyances encore,
«clivage au sein du mouvement du commerce équitable» (Gendron, 2004), qui
s’avère loin, très loin de l’idéal d’une polyphonie socio-politique, unissant acteurs
spécialistes et labellisateurs du CE. C’est d’une cacophonie véritable dont il
s’agit bien plutôt - à présent. Cacophonie où s’entremêlent, en discordances,
d’une part les voix des TAECOBs, pour les uns spécialistes, pour les autres
labellisateurs, pour les uns régulateurs, pour les autres réformateurs du système
économique mondial, et d’autre part les voix en dissidence des TECOLs, prônant
la décroissance, plus encore qu’une croissance alternative.

Voix contre voix donc, cacophonie de clameurs où chaque groupe refuse à l’autre
le droit au même nom, à son nom. Cacophonie de nominations des acteurs,
inalement ; cacophonie d’auto-dénominations et d’hétéro-dénominations. A
entendre, à comprendre, selon ce que rappelle très justement Siblot (1999, p.
26) : «une nomination n’existe qu’en fonction d’autres nominations, en charge
d’autres points de vue. La prise en compte de cette réalité motive la distinction
sommaire faite entre auto-désignation et hétéro-désignation : nous savons depuis

103
12

longtemps que le barbare, c’est l’autre»...

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Annexe
Descriptif des personnes interrogées :
I-1 : Femme, 45 ans, médecin, acheteur
I-2 : Homme, 22 ans, étudiant, acheteur
I-3 : Homme, 68 ans, retraité, acheteur
I-4 : Femme, 48 ans, cadre, acheteur
I-5 : Femme, 23 ans, professeur, acheteur
I-6 : Femme, 23 ans, assistante export, acheteur
I-7 : Homme, 40 ans, cadre d’entreprise, acheteur
I-8 : Femme, 43 ans, professeur, acheteur
I-9 : Femme, 45 ans, cadre, acheteur
I-10 : Femme, 23 ans, étudiante, non acheteur
I-11 : Femme, 50 ans, institutrice, non acheteur

105
12

I-12 : Homme, 50 ans, ingénieur R&D, non acheteur


I-13 : Homme, 44 ans, cadre, non acheteur
I-14 : Homme, 22 ans, étudiant, non acheteur
I-15 : Homme, 23 ans, étudiant, non acheteur
I-16 : Homme, 29 ans, éducateur spécialisé, non acheteur
I-17 : Homme, 50 ans, chef de projet en BTP, non acheteur
I-18 : Homme, 23 ans, étudiant, non acheteur
I-19 : Femme, 23 ans, employée, acheteur
I-20 : Femme, 29 ans, employée, acheteur
I-21 : Femme, 25 ans, étudiante, acheteur
I-22 : Femme, 27 ans, cadre, acheteur
I-23 : Homme, 22 ans en recherche d’emploi, non acheteur
I-24 : Homme, 30 ans, employé, acheteur
I-25 : Femme, 21 ans, étudiante, acheteur
I-26 : Homme, 23 ans, étudiant, acheteur
I-27 : Homme, 23 ans, non-acheteur

106
GRH et TIC

Cahier spécial piloté

par Michel Kalika et Véronique Guilloux

107
Le syndicalisme face aux TIC : réalité du
changement et implications managériales

par Françoise Pierson

Résumé
Ain d’atteindre leurs objectifs, les organisations syndicales françaises sont
contraintes de mettre en place les TIC. Les changements en résultant
sont fortement inluencés par les spéciicités de leur fonctionnement
organisationnel. Cela nous conduira à étudier la réalité des changements
engendrés et les conséquences managériales pouvant résulter de
l’introduction de ces technologies.
Abstract
In order to reach their objectives, the French trade-union organizations have
to set up the ICT. The changes generated are strongly inluenced by the
speciicities of their organizational functioning. That will lead us to study the
reality of the generated changes and the managerial consequences of the
introduction of these technologies.

Le syndicalisme est de plus en plus amené à faire appel aux Technologies de


l’Information et de la Communication (TIC). L’accord conclu chez Nouvelles
Frontières en 2004 témoigne de cette évolution : les trois organisations syndicales
représentatives ont le droit de diffuser des messages électroniques aux salariés
sur leur adresse professionnelle, sans limitation ni contrôle. Les organisations
syndicales ont également l’occasion de faire appel à ces technologies dans le
cadre de la gestion de leurs affaires internes.
L’objet de cet article est de s’interroger sur la réalité du changement entraîné par
l’introduction de cette technologie au sein de ce type d’organisation peu étudié
par la littérature, et sur ses implications managériales. Pour ce faire, nous verrons
dans un premier temps que le syndicalisme français doit faire face d’un point de
vue gestionnaire aux TIC (1). Dans un second temps, nous analyserons la réalité
des changements engendrés à partir d’une étude de cas (2).

1. Le syndicalisme français face aux TIC

Nous présenterons tout d’abord les enjeux gestionnaires de ces technologies


pour une organisation syndicale puis nous insisterons sur les spéciicités de ce
type d’organisation.

109
12

1.1. Les enjeux gestionnaires des TIC pour une organisation


syndicale
L’utilisation des TIC par les syndicats revêt un enjeu stratégique et organisationnel
souligné par la littérature. Shostak (1999, 2002) a montré que les TIC peuvent
avoir un impact sur quatre aspects des affaires internes d’une organisation
syndicale : l’organisation, la communication, les actions de l’encadrement et
la constitution d’alliances. Fiorito et Bass (2002) ont identiié quatre domaines
dans lesquels les syndicats peuvent investir dans les TIC ain de poursuivre
leur stratégie : la négociation, l’entretien des relations avec l’environnement,
l’administration et la coordination entre les différents niveaux organisationnels.
Pour Greer (2002), cette technologie facilite l’accession à l’information, conduit à
une décentralisation de la prise de décision, permet une plus grande participation
des membres et une eficacité accrue de la représentation. Enin, pour certains
auteurs, le web accroît la démocratie du syndicat (Diamond et Freeman, 2002 ;
Lucore, 2002).

Les syndicats on également pour objectif d’exprimer la collective voice (Freeman


et Medoff, 1984 ; Chaison, 2002). A ce sujet, les études relatives à la participation
à la prise de décision au sein des entreprises conduisent à des résultats variés.
En effet, pour certains, les organisations syndicales ont la capacité à favoriser
les changements organisationnels et à accélérer la diffusion des nouvelles
technologies en limitant la résistance des salariés dans un tel contexte d’innovation
(Stewart et Wass, 1998) grâce à l’implication et à la consultation formelle des
employés (Lloyd et Newell, 1998). Quant à l’utilisation de ces technologies par les
syndicats à l’occasion d’un conlit collectif, il semble que le mail aide les grévistes
à maintenir l’unité et la solidarité (Pliskin, Romm et Markey, 1997 ; Pizzigati,
Yentzer et Henderson, 2002 ; Barnett, 2003). Elles permettent de diffuser des
informations sur le conlit, l’état d’avancement ou le résultat de la négociation, de
l’étendre géographiquement et d’organiser des « Cyber-picking »31.

1.2. Les spéciicités d’une organisation syndicale française


Tout d’abord, le syndicalisme français est organisé sur le modèle du fédéralisme
dans la mesure où il est le résultat d’une interdépendance entre différentes
structures (Confédération, Fédérations professionnelles, Unions locales
interprofessionnelles et Syndicats professionnels). Le Syndicat est le fondement
de l’organisation et l’interlocuteur direct des adhérents. Il désigne une délégation
au sein des Unions locales et de la Fédération. Il participe de plein droit à leurs
congrès ainsi qu’à ceux de la Confédération. Enin, il nomme la délégation
syndicale au sein de la section syndicale d’entreprise. Quant aux Unions locales
et aux Fédérations, elles désignent leurs représentants aux instances dirigeantes

31 Les « Cyber-picking » consistent à envoyer un très grand nombre de messages de protestation dans une entreprise et ainsi à
surcharger le site.

110
Le syndicalisme face aux TIC : réalité du
changement et implications managériales

de la Confédération. L’organisation syndicale ne fonctionne donc pas sur un


mode hiérarchique de haut en bas mais plutôt de bas en haut, le Syndicat jouant
un rôle central. Le fonctionnement résulte d’une répartition précise et formalisée
du pouvoir passant par l’existence de procédures et d’une déinition précise des
rôles de chacun igurant dans les statuts. Enin, chaque structure dispose d’une
autonomie et d’organes de décision à son niveau mais est tenue de respecter les
statuts et les orientations déinis par la Confédération.
Ensuite, les objectifs poursuivis par l’organisation peuvent apparaître ambigus. En
effet, la littérature classique relative aux relations professionnelles est partagée
depuis l’origine sur la nature des objectifs poursuivis par ce type d’organisation.
Ceux-ci seraient avant tout économiques (Webb, 1894 ; Dunlop, 1950) ou avant
tout politiques (Flanders, 1968 ; Ross, 1948)32. Néanmoins, si la nature de ces
objectifs est discutable, leur existence ne l’est pas. Le syndicalisme français doit
ainsi concilier un fonctionnement organisationnel et politique d’une part et le
partage de valeurs fortes et d’une idéologie commune d’autre part. Il serait ainsi
porteur d’un lien social et d’un lien organisationnel (Benghozi, 1998).
Enin, l’ambivalence d’une organisation syndicale résulte de la multiplicité des
types d’implication qui peuvent y naître. Plus précisément, Rojot (1977) a mis
en avant cette variété. Il distingue les militants syndicaux (qui ont une activité
de recrutement ou encore d’organisation des réunions), les sympathisants
(adhérents porteurs d’une carte et payant leurs cotisations régulièrement ou
irrégulièrement, travailleurs ayant un jour acheté une carte et ne l’ayant jamais
renouvelée, non-adhérents mais considérant que les syndicats défendent leurs
intérêts collectifs) et les indifférents ou hostiles.
Après avoir montré que le syndicalisme français devait faire face aux TIC,
interrogeons-nous sur la réalité du changement engendré par ces technologies.

2. La réalité du changement

Nous apprécierons cette réalité à travers une étude de cas. Nous présenterons
tout d’abord celle-ci puis nous mettrons en avant les résultats de l’observation
pour enin discuter de ses implications managériales.

2.1. Présentation de l’étude de cas


Il existe trois conceptions principales relatives aux relations entre nouvelles
technologies et organisation (Markus et Robey, 1988). Selon l’approche basée
sur l’impératif technologique, les technologies introduisent des changements
déterminés et prévisibles. A l’inverse, le courant de l’impératif organisationnel
soutient que les nouvelles technologies sont dépendantes du contexte
organisationnel qui induit les effets de la technologie. Une troisième conception
permet de dépasser ces deux premières approches déterministes et de considérer
32 Pour Ross (1948), l’action d’un syndicat traduit l’existence d’enjeux de pouvoir, le processus de prise de décision interne à une
organisation syndicale étant l’expression de relations de pouvoir. Le fédéralisme français semble conforter cette approche.

111
12

que la technologie et l’organisation entretiennent une relation d’inluence


mutuelle. Il semble en effet dificile de dissocier les technologies des ensembles
humains organisés. L’approche émergente nécessite donc de mettre en lumière
l’importance du contexte (humain, organisationnel, culturel…) dans l’interaction
entre la technologie et l’organisation. L’approche contextuelle est susceptible de
nous fournir les bases d’une telle analyse.
Cette dernière (Pettigrew, 1987), analyse l’inluence des éléments d’un contexte
sur un phénomène observé. Elle a pour objet d’appréhender la dynamique du
changement en faisant interagir trois variables interdépendantes : le contenu,
le contexte et le processus. Le contenu a trait aux domaines concernés par les
changements que l’on souhaite étudier (ici la technologie). Quant au contexte, il
s’agit du contexte externe (l’environnement social, économique, politique) au sein
duquel l’organisation prend place et du contexte interne (la structure, la culture…)
de l’organisation. Enin, le processus est constitué des actions et interactions entre
les acteurs de l’organisation. Il permet de comprendre comment le changement
se met en place et la capacité des acteurs à faire passer l’organisation d’un état
présent à un état futur. Le contenu est dépendant de l’interaction entre le processus
et le contexte puisqu’il émerge progressivement d’une succession d’essais et
d’erreurs et du passé porteur de valeurs et de routines comportementales. Le
contexte est traversé par un processus où prédominent les jeux de pouvoir
entre acteurs aux intérêts opposés. Le contexte a un caractère contraignant
et habilitant. L’étude du processus permet de rechercher des caractéristiques
récurrentes de la structure et des logiques sous-jacentes.

Ain d’étudier l’impact de l’introduction des TIC au sein d’une organisation syndicale,
nous avons réalisé une étude de cas en privilégiant une démarche qualitative.
Celle-ci a été conduite au sein des différentes structures composant l’organisation
syndicale analysée : la Confédération, trois Fédérations professionnelles, une
Union Interprofessionnelle régionale et trois Syndicats professionnels au sein de
la même région. Nous avons réalisé vingt-cinq entretiens semi-directifs auprès
de différentes catégories d’acteurs (secrétaires généraux… Des observations
non participantes ont également été conduites à l’occasion de nos visites au
sein des entités étudiées. Nous avons collecté un grand nombre de documents
écrits internes (revues, journaux, brochures, tracts…). Enin, les sites Internet de
certaines des entités observées fournissent des informations intéressantes sur
leur fonctionnement organisationnel (structure, prise de décision…) ainsi que sur
les TIC et leur utilisation.

2.2. TIC introduites et reproduction du fonctionnement


organisationnel
La Confédération a mis en place deux outils. D’une part, pour le grand public et les
adhérents, un site Internet a été construit en 1997. D’autre part, pour les militants
qui exercent des responsabilités, un Intranet leur est réservé. Il s’agit d’un portail

112
Le syndicalisme face aux TIC : réalité du
changement et implications managériales

sécurisé avec accès individuel grâce à un code d’accès. Le système place le


responsable au centre du dispositif : il a accès aux informations en fonction de sa
responsabilité puis les diffuse à une liste type qui ensuite les rediffuse à d’autres.
Au niveau des Fédérations professionnelles, les pratiques sont variées. L’une
d’entre elles a mis en place un site Internet type utilisé ensuite par les Syndicats
de la profession. Le cadre visuel est construit au niveau de la Fédération, les
Syndicats se contentant de saisir des informations destinées à leurs adhérents.
Néanmoins, du fait de l’autonomie statutaire dont ils disposent, les syndicats de
cette profession ne sont pas tenus de suivre la même procédure. C’est le cas
de certains qui choisissent de construire eux-mêmes leur site sans utiliser le
cadre construit par la Fédération. Quant à l’Union locale, un site expérimental
a été créé. Il s’agit essentiellement d’un site d’information destiné au grand
public : actualité, lien vers certains sites d’information régionaux, coordonnées
des Syndicats de la région… Par ailleurs, la messagerie électronique est très
utilisée33. Enin, le développement des TIC est très variable selon les Syndicats.
Au sein des trois Syndicats observés, cette technologie est relativement bien
développée et utilisée de manière quotidienne, les mails en particulier. En outre,
les TIC sont utilisées par les Syndicats dans le travail régulier et administratif.
L’introduction des TIC au sein de cette organisation syndicale pourrait être source
de redistribution du pouvoir. En réalité, nous assistons à une reproduction du
fonctionnement organisationnel existant. Plus précisément, les TIC rendent les
interactions plus fonctionnelles. Les échanges ont désormais essentiellement
pour objet l’obtention d’informations sur des problèmes précis. Les TIC
entraînent également des dificultés quant au contrôle de l’information au sein
de l’organisation dont la vitesse de circulation est accrue par ces technologies.
La rétention d’informations mentionnée par certains acteurs va dans ce sens.
De même, les TIC permettraient de construire des coalitions, des poches de
résistance autonomes. Ce phénomène risquerait de mettre en péril la cohésion des
membres de l’organisation et la poursuite d’objectifs communs. Le fonctionnement
fédéraliste pourrait même être remis en cause, la Confédération s’adressant
directement aux militants sans passer par les structures intermédiaires. Ainsi,
« il y a des risques de fonctionnements horizontaux. Il y a un risque que des
Syndicats opposants s’organisent entre eux »34.
Pourtant, nous assistons plutôt à une reproduction du fonctionnement
organisationnel. Tout d’abord, tous les acteurs interrogés ont insisté sur leur
attachement au fonctionnement fédéraliste et à la répartition du pouvoir qu’il
suppose. Ensuite, la « culture du débat » (qui est caractéristique de l’organisation
syndicale) est également une valeur partagée très forte qui limite la rétention
d’informations et favorise le contrôle de celle-ci. Il n’est pas question de remplacer
les débats directs et en face-à-face. Ainsi, les mails ne permettent pas de prendre
des décisions en groupe, ils favorisent leur préparation en permettant avant tout

33 Cette utilisation est d’ailleurs très développée dans toutes les structures que nous avons observées.
34 Les propos reproduits entre guillemets et en italique sont des extraits des différents entretiens conduits à l’occasion de cette
recherche.

113
12

un échange d’informations. Enin, l’entraide qui est également une caractéristique


majeure du fonctionnement de l’organisation syndicale est renforcée du fait de
l’introduction des TIC. Il arrive en effet que ces nouvelles technologies posent
des problèmes d’adaptation voire de compétence des utilisateurs. Grâce à un
fonctionnement informel déjà basé sur l’entraide, l’apparition de problèmes
d’adaptation et de compétences rencontrés par certains acteurs dans l’utilisation
des TIC entraîne un accroissement de celle-ci. Il existe une autoformation
due à beaucoup d’échanges entre les acteurs grâce aux relations informelles
existantes. « L’esprit d’équipe s’est développé avec les TIC. Il y a des personnes
très intéressées et qui sont prêtes à expliquer certaines choses à d’autres
concernant ce domaine ». Le partage de valeurs communes et le fonctionnement
organisationnel sont donc préservés.
Si nous assistons à une reproduction du fonctionnement organisationnel, quelles
peuvent en être les implications managériales ?

Quelles implications managériales ?


Tout en permettant à une organisation syndicale d’atteindre ses objectifs, les TIC ne
remettent pas fondamentalement en cause son fonctionnement organisationnel.
C’est le partage de valeurs fortes qui est à l’origine de ce phénomène. L’existence
simultanée d’un lien social et d’un lien organisationnel n’exclut donc pas l’eficacité.
Cette constatation va dans le sens des travaux réalisés par Offe et Wiesenthal
(1985) selon lesquels la mobilisation des adhérents et militants grâce à un projet
politique commun et un système de valeurs permet de résoudre les dificultés
liées à l’apparition de revendications contradictoires risquant d’entraîner des
dysfonctionnements organisationnels. D’un point de vue managérial, il s’agit de
favoriser le maintien de valeurs communes fortes et partagées.
Pourtant, les acteurs interrogés ont insisté sur les évolutions du contexte externe,
en particulier sur le changement des mentalités résultant d’évolutions sociétales
plus larges. Les adhérents sont devenus plus exigeants. Nous assisterions au
développement d’un consumérisme accru du fait des TIC. « Les TIC accroissent
cela car il y a un effet pervers du sentiment de proximité de l’outil. Tout devient
possible donc on peut demander n’importe quoi. C’est une relation commerciale.
Ils en veulent de plus en plus ». Le syndicalisme français est en effet confronté
à une évolution de la population active. Celle-ci est plus qualiiée, présente
majoritairement dans le secteur tertiaire et à la recherche d’une reconnaissance
plus grande de ses besoins individuels.
Comment gérer cette évolution ? L’organisation syndicale devra sans doute
s’adapter à cette évolution sans pour autant glisser vers le clientélisme. Dans la
mesure où les effets des TIC émergent progressivement et sont construites par les
acteurs, il est donc souhaitable de faire participer les acteurs à cette construction.
Ainsi, l’implication des adhérents et des salariés (et pas seulement des militants)
dans la construction d’objectifs et de valeurs communs grâce à une démarche
participative pourrait permettre d’éviter ce glissement. Il s’agirait d’impliquer les
individus dans un contexte de changement technique et organisationnel (Laval,

114
Le syndicalisme face aux TIC : réalité du
changement et implications managériales

2000). Les TIC peuvent contribuer à une telle démarche participative même si
l’accent doit être mis sur les débats directs, mode de fonctionnement essentiel
du syndicalisme français.

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116
Outsourcing et Ressources Humaines : Le
BPO : solution pour la transformation de la
fonction RH ?

par Véronique Guilloux

Résumé
Les recherches concernant le thème de l’externalisation sont nombreuses.
Pourtant rares sont les articles académiques portant précisément sur
l’outsourcing Ressources Humaines. Ce papier souligne les spéciicités et
les enjeux de l’externalisation RH, tout en distinguant BPO transactionnel et
BPO transformationnel.
Abstract
Researches concerning the theme of externalisation are numerous. However
few are about HR outsourcing. This article underlines the different speciicities
of the HR externalisation and distinguishes between transactional BPO and
transformational BPO.

L’hyper-compétition, la globalisation, la généralisation des TIC vont de pair


avec de nouvelle formes organisationnelles, le développement des entreprises
en réseau, la désagrégation de la irme traditionnelle (Pichault, Rorive. 2003).
Le recentrage sur le cœur de métier de l’entreprise amène l’entreprise pivot à
externaliser certaines activités. Ainsi, l’entreprise a abandonné dès les années 80
des activités périphériques (restauration, nettoyage) ; puis a externalisé certaines
applications (informatique, logistique ..) puis des processus plus complets et des
fonctions (Business Process Outsourcing BPO).
Les recherches concernant le thème de l’externalisation des SI (infogérance)
sont abondante (Feeny, Lacity, Willocks 2005). Des articles plus récents et moins
nombreux portent sur l’externalisation de fonctions, de processus opérationnels,
et plus spéciiquement sur la relation client, les centres d’appels, les services
inanciers, les ressources humaines.
Dans cet article, nous nous intéresserons à l’externalisation RH. De nombreux
auteurs se questionnent sur l’évolution de la fonction RH aujourd’hui « sous
pression ». Certains évoquent la possible disparition de la fonction. D’autres
chercheurs sont plus optimistes.
Deux facteurs sont censés libérer la fonction : d’une part les technologies
de l’information et d’autre part l’externalisation des activités administratives
(Schrivastava 2003). C’est la naissance de l’e-RH interface entre les SI et
la RH. Depuis les choses ont évoluées et l’actualité met en avant les méga-

117
12

contrats d’externalisation RH (exemple entre P&G et IBM ). Ce phénomène est


il synonyme de reengineering de la fonction RH ?
L’article présentera dans une première partie une déinition de l’externalisation
et des différentes formes d’outsourcing en RH. Une deuxième partie portera sur
le nouveau rôle stratégique de la fonction. Enin nous nous interrogerons sur la
problématique suivante : le BPO35 est il la solution pour la transformation tant
attendue de la fonction?

1. L’externalisation : caractéristiques et potentiel pour un


nouveau modèle RH

1.1. Caractéristiques de l’externalisation


Les auteurs parlent d’externalisation ou utilisent le néologisme « outsourcing »
correspondant au terme anglo-saxon. Ce dernier est lié au « sourcing » c’est dire
répondre au besoin de l’entreprise en interne (in) ou en externe (out). Si la sous-
traitance est connotée court terme, l’externalisation implique un rapport étroit
entre l’entreprise et son prestataire : elle procède plus du partenariat stratégique.
Le rapport du conseil économique et social (2005 pII2036) propose la déinition
suivante :
- l’externalisation peut être déinie comme étant le recours à un
prestataire externe, pour une activité jusqu’alors réalisée au sein de
l’entreprise
- elle s’accompagne le plus souvent d’un transfert de ressources
matérielles et/ou humaines ;
- elle requiert un cadre contractuel, déinissant dans un cahier des
charges, les prestations et les obligations réciproques, de façon globale
et plus étoffée que pour la sous-traitance ;
- elle s’inscrit dans la durée avec un engagement à long terme de
l’entreprise et de son prestataire.
Plus spéciiquement, les praticiens subdivisent l’externalisation des RH en
différentes catégories : de l’ASP jusqu’au BPO.

35 (On trouve les termes de HR- BPO ou ASO Administrative Service Organization ou BSP Business Service Provider)
36 Conseil Economique et Social (2005), Conséquences sur l’emploi et le travail des stratégies d’externalisation d’activités. Ed des
Journaux officiels.

118
Outsourcing et Ressources Humaines : Le
BPO : solution pour la transformation de la
fonction RH ?

Schéma 1 : Les formes d’externalisation

Source Markess international (2006)

L’ASP Application Service Provider correspond à la mise en ligne d’un logiciel


(exemple du « best of breed » Cegid CCMX) . La prestation est payable à la
transaction ou au forfait. Ce type de service RH est notamment utilisé par les
PME.
L’hébergement est choisi quand une entreprise acquiert une solution et l’héberge
chez un prestataire.
La TMA indique que le prestataire de service est aussi responsable de la
maintenance.
L’infogérance est la gestion et l’exploitation de services de ressources
informatiques (matériels et réseaux). Celles-ci peuvent être localisées chez le
sous traitant.
Les services de traitement consistent à conier un processus RH à un prestataire
spécialisé.
Le BPO Business Process outsourcing consiste à conier à un prestataire
l’intégralité d’un processus métier. C’est l’externalisation de la fonction de
gestion administrative du personnel. L’entreprise garde en interne les décisions
managériales et délègue à son prestataire (exemple IBM, Accenture, ADP GSI)
la mise en œuvre administrative de sa politique. La logique de recentrage vers le
cœur de métier de l’entreprise a conduit les entreprises américaines à aller encore
plus loin en externalisant le contrat de travail, le recrutement, la rémunération
avec le PEO « Professional Employer Organization ». (http://www.napeo.org/).
Mais cela est réservé aux petites entreprises et ne fonctionne qu’aux Etats-Unis
(Klaas, Gainey, McClendon, Yang 2005)

Le BPO est il compatible avec le nouveau modèle de GRH ?

1.2. Vers un nouveau modèle de RH ?


Ulrich (1996) présente quatre rôles génériques de management de la fonction
RH nommés « Strategic Partner » , « Administrative Expert », « Employee

119
12

Champion », « Change Agent ». L’auteur les positionne sur une matrice à


travers deux axes : focalisation process- focalisation sur les hommes ; orientation
stratégie-orientation opérationnelle. Dans chacune de ces différentes missions,
le responsable RH doit s’efforcer de créer de la valeur pour les employés, les
investisseurs et les clients de l’entreprise. Ces quatre proils permettent d’évaluer
la performance de la RH.
L’expert administratif oriente son action sur l’opérationnel, gère les contrats de
travail, la paie et l’ensemble des actes administratifs. Il dispose aujourd’hui de
différents supports informatiques.
Le DRH champion des salariés répond aux besoins des salariés, améliore les
niveaux d’engagement et de compétence.
L’agent du changement est une sorte de catalyseur, encourageant l’innovation, et
contribuant à la transformation des organisations.
Le partenaire stratégique aide l’entreprise à atteindre ses objectifs stratégiques et
vise à aligner les pratiques de GRH aux grandes orientations de l’entreprise avec
notamment l’utilisation du tableau de bord « HR Scorecard » pour positionner la
fonction RH en tant que partenaire stratégique.

Le LENTIC associe l’expert administratif tout comme le champion des salariés


à un GRH de type mécanique prenant en compte des activités que la hiérarchie
n’entend pas assumer (ex paie), tandis que l’agent du changement et le «
human resource partner » participent à une DRH organique. Développer et
institutionnaliser le rôle stratégique de la RH permettra à la RH de devenir partie
prenante dans la création de valeur de l’entreprise.

Beysseyre des Horts (2005), indique que la littérature présente souvent


l’introduction des TIC comme une démarche de création de valeur pour l’ensemble
des parties prenantes de l’entreprise mais que peu d’études empiriques existent
sur ce thème.

Dans ce cadre, des entretiens exploratoires ont été menés auprès de prestataires
leaders en services RH pour comprendre comment l’externalisation des processus
métiers informatisés peut aider la fonction dans son nouveau rôle.

2. Le BPO peut il résoudre les tensions entre le rôle administratif


traditionnel de la RH et le nouveau rôle stratégique de la RH ?

En France l’externalisation RH concerne pour l’instant plus certains processus


que la fonction RH elle même. Les igures ci-dessous décomposent les tâches
RH externalisées et les attentes vis-à-vis de l’externalisation.

120
Outsourcing et Ressources Humaines : Le
BPO : solution pour la transformation de la
fonction RH ?

Schéma 2 : Applications et processus RH concernés par l’externalisation

Source Markess International (2006)

Le traitement de la paie est le premier domaine sous traité. Et cette tendance


semble s’afirmer en 2008. La formation est le second item. En effet, les
interlocuteurs rencontrés citent le ‘DIF’ droit individuel à la formation (Loi du
5/5/04) comme déclencheur d’externalisation de certains processus RH. L’
industrialisation du DIF complexiie le SIRH et demande des ressources internes
supplémentaire.

Concernant les enjeux de l’externalisation, les entreprise citent en plus des


motifs inanciers, l’optimisation de la veille réglementaire. Cela est justiié car la
GRH est reliée à la connaissance du droit social local. Le second item porte sur
la globalisation et l’internalisation. Cela n’est pas étonnant puisqu’un élan est
donné par les multinationales désirant harmoniser et coordonner leurs politiques
RH.

121
12

Schéma 3 : Apports de l’externalisation en plus des motifs inanciers et


économiques

Source Markess International (2006)

Pour les grands prestataires (ex IBM, Accenture), le BPO est lié au concept de
centres de service partagés, « shared service center » ou SSC.
Historiquement ces centres étaient internalisés au sein des entreprise. Ce sont
des entités opérationnelles indépendantes qui ont pour vocation de centraliser
un certain nombre de fonctions supports pour une entreprise ayant des activités
multiples et de nombreuses implantations géographiques. Au lieu d’avoir des «
back-ofices » indépendants, intégrés à chaque unité opérationnelle (usine, iliale
etc), il s’agit de regrouper les ressources de support.

À la différence d’une centralisation administrative, ces centres sont responsables


de la gestion des coûts et de la qualité de leurs services. Ils disposent d’un budget
propre et déinissent leurs mandats de prestations sur une base contractuelle
avec leurs clients internes qui, de leur côté, ixent les critères de performance
en matière de coûts, délais et qualité. Le centre de services voit ainsi ses coûts
et ses performances régulièrement comparés aux référentiels de performance
issus des meilleures entreprises et prestataires externes, pour constituer un
véritable centre d’excellence, et centre de proit. Ces SSC sont en interface avec
les parties tiers comme l’URSSAF, la Sécurité Sociale etc…

Aujourd’hui, les centres de services partagés autrefois gérés en interne peuvent


être externalisés (transfert de personnels) ou créés avec un prestataire de
service (transfert de compétence) (Horan, Vernon 2003). Ainsi IBM possède
plusieurs grand centres internationaux à disposition des clients: en Asie
Paciique (Philippines37 300 personnes et Chine 100 personnes), un en Europe
(500 personnes à Budapest) et aux Etats-Unis (Costa Rica 500 personnes et
Hortolândia Brésil 300 personnes). Les SSC sont souvent « offshorisés ». Les
zones géographiques sont sélectionnées en fonction de l’attractivité du pays
37 Nombre de personnes dédiées RH car d’autres équipes sont axées relations clients ou finances (cela renforce le phénomène de
mutualisation (multi-clients ou multi-tower BPO contracts) pour les détenteurs de plateformes).

122
Outsourcing et Ressources Humaines : Le
BPO : solution pour la transformation de la
fonction RH ?

(infrastructure, environnement politique, monétaire, inancier, iscal, juridique38


etc) et de l’attractivité des ressources (coûts des salaires, de l’immobilier, qualité,
compétences, langues parlées, bassin d’emploi etc).

Dans le cas du transfert de personnel, le prestataire de service s’engage à


reprendre des salariés du donneur d’ordre. Ainsi dans le cadre de l’externalisation
mondiale de la gestion administrative RH de Procter et Gamble, IBM a repris
environ 800 salariés y compris les trois centres partagés de la multinationale.
Les nouvelles formes d’organisation, et plus particulièrement le phénomène
d’externalisation a des conséquences sur les conditions d’application du droit
du travail. Le développement des opérations d’externalisation de domaines
fonctionnels s’accompagne d’une professionnalisation du cadre juridique et
iscales dans lequel se font ces opérations. En France, avec le fameux article
L122-12 du code de travail (Voir les équivalents du L122-12 en Europe à www.
lovells.com/Lovells/Publications), le transfert du personnel est automatique à
condition que ce transfert porte sur une entité économique autonome. Le thème
de la responsabilité sociale est évidemment très présent dans ces restructurations
(Rorive 2005). La création de Joint-Venture ou d’un groupement d’intérêt
économique entre le prestataire et le donneur d’ordre permet de traiter les BPO
de manière moins abrupte. Ces structures juridiques n’ont pas pour vocation de
perdurer : elles accueillent des salariés « en statut 122-12 » quand le montage
indique un transfert de personnels et des salariés « en détachement », quand le
donneur d’ordre cherchent à les redéployer en interne. Les entretiens menées
montrent que le premier frein pour le BPO est le risque social. Les prestataires
utilisent à ce titre la création de structure pour gérer la transition dans une plus
grande durée.

Dans le cas du transfert de compétence, le prestataire en BPO ne reprend pas


de salarié de la irme.

On peut légitimement se poser la question, de risques pour l’entreprise


externalisant ses ressources humaines. Ne va-t-on pas vers une régression de
la RH à force de tailler dans ses ressources ?
Nos entretiens exploratoires auprès de prestataires de BPO montrent que ces
derniers défendent une vision stratégique de la RH et non pas simplement une
logique économique (réduction de coûts). Le BPO permettrait de mettre en
place la transformation de la fonction RH , résolvant les tensions entre son rôle
traditionnel administrative et son nouveau rôle stratégique.

38 A titre d’exemple le transfert d’information nominative en dehors de l’Europe requiert une procédure spécifique à la CNIL.

123
12

Schéma 4 : Lien BPO et RH

Le BPO permet de libérer la RH pour qu’elle puisse s’occuper de missions


plus stratégiques. Les prestataires prennent en charge le centre de services
partagés (généralistes RH en interface avec les pays) et mettent à disposition
des employés un portail RH (correspondant au bloc technologique dans notre
schéma). Les « HR partners » travaillent avec les busines units. En phase de
développement, priorité est donnée aux recrutements, au développement de la
motivation etc ; en phase de stabilisation la RH aligne au mieux les compétences
; enin en phase de récession la gestion de crise est engagée. La « RH corporate
» élabore la stratégie institutionnelle et est en interface avec l’expert center (RH
spécialistes processus).
Les différentes cases du schéma ci dessus sont indissociables, inter reliées et
ressemblent curieusement au modèle d’Ulrich.

Pourtant force est de constater que les études empiriques portant sur l’eficacité
du BPO ne sont pas assez nombreuses pour universaliser le BPO. De plus les
résultats ne sont pas toujours cohérents (Shi, Chiang, Hsu (2005), Cook (2005,
2006) Shen (2005), Schlosser, Templer, Chanam (2006).
A l’instar de Mani, Barua, Whinston (2006) et de Linder (2004), il semble utile
pour analyser cette thématique de distinguer deux types d’externalisation :
l’externalisation transactionnelle et l’externalisation transformationnelle.

124
Outsourcing et Ressources Humaines : Le
BPO : solution pour la transformation de la
fonction RH ?

Schéma 5 : mode de gouvernance du BPO

Ainsi travaillant sur la base de données de PASO Flamande (Panel Survey of


Organizations), Delmotte et Sels (2005) montrent que l’outsourcing des RH
n’est pas toujours un instrument de réduction des coûts et que la démarche
d’externalisation est plutôt dictée par une vision plus stratégique du rôle de la
fonction RH. Ils observent que l’internalisation (délégation de responsabilités
RH à la ligne hiérarchique) et l’externalisation sont fortement corrélées, sans
toutefois que les attributions du département RH soient vidées de leur contenu.
Internalisation et externalisation conjuguées permettent à la fonction RH d’évoluer
davantage vers un rôle de «strategic business partner»», notent les auteurs.
Une gestion eficace de la relation d’externalisation est donc une condition
indispensable au succès de la collaboration. Il n’est alors pas surprenant que des
auteurs parlent non plus de BPO mais de KPO Knowledge Process Outsourcing
(Falguni, Michael 2006).
L’outsourcing RH n’est pas seulement présenté dans cet article comme un
instrument de diminution des coûts RH mais comme outsourcing transformationnel,
comme processus de changement organisationnel et stratégique. Le BPO et les
SSC redéinissent les contours de l’entreprise et permettent à la RH de créer
de la valeur. Le transfert de personnel ou le transfert de compétence n’ont peut
être pas le même impact sur le risque social. Ce dernier est aujourd’hui un frein
majeur du BPO et notamment en France.

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126
L’E-RH : un processus de modernisation de
la gestion des ressources humaines à la ville
de Paris.

par Florence Laval

et Abdallah Thierno Diallo

Résumé
L’objet de cette recherche est d’observer l’impact des Technologies de
l’Information et de la Communication (TIC) sur la Gestion des Ressources
Humaines (GRH). Après une revue de la littérature, nous présenterons
les premiers résultats d’une étude empirique conduite au sein de la Mairie
de Paris. L’objectif est de décrire des pratiques de « modernisation » de
la GRH dans une organisation et d’analyser les changements. Selon les
auteurs, l’impact est opérationnel avec la mise en place du SIRH (bases
de données, automatisation des activités administratives…), relationnel
(ou transactionnel) avec le développement de l’E-RH. Dans ce cas, il
concerne des activités RH plus sophistiquées et interactives. L’accent
n’est plus mis sur l’administratif mais sur des outils RH supportant des
activités spécialisées et des process managériaux (recrutement, formation,
évaluation, rémunération). Enin le dernier impact est transformationnel. Il
s’agit de réorganiser la FRH en équipe virtuelle ain de lui conier un rôle et
des activités plus stratégiques.
A la Mairie de Paris, sur le plan fonctionnel, le SIRH met à la disposition des
professionnels des outils d’analyse et d’aide à la décision contribuant au
pilotage des RH. Le LSRH et l’automatisation des tâches progressent, mais
il y a encore d’importantes marges de progrès.
En effet, la performance organisationnelle est insufisante. Les observations
réalisées révèlent des phénomènes de résistance au changement de la
part des salariés et des managers. Enin, sur le plan technique, les critères
d’évaluation sont : la sécurité, la rapidité, la iabilité, l’ergonomie, le design
et le proiling.
Abstract
The object of the research is to observe the impact of the information
technology on the HRM. After a review of the academic literature, we
present the results of an empirical research conducted at the city council of
Paris. The aim of the article is to describe the “modernisation” of the HRM
practices and to analyse the induced changes.
In accordance with the authors, the impact is operational because of the

127
12

implementation of the HRIS (data bases, automation of the administrative


tasks…) relational (or transactional) with the development of the E-HR. In
this case, it concerns HR activities more sophisticated and more interactive.
The underline is not on the administrative tasks but on HR tools that support
specialised activities and managerial processes (recruitment, training,
assessment, earning). The last impact is transformational (reorganisation of
the HR function in a virtual team in order to give it more strategic activities.
At the city council of Paris, the HRIS offers numerous analyses tools for the
employees and data analysis systems that contribute to the running of HR.
The self service human resources progress but it could be better implemented.
The organisational performance is insuficient. The observations reveal
resistance to change from the employees and the managers. Finally the
criteria of evaluation are: security, rapidity, reliability, ergonomics, design
and proiling.

ILa fonction Ressources Humaines peut-elle se passer de l’utilisation des


technologies de l’information et de la communication ? Doit-elle limiter son rôle
à l’introduction des TIC dans ses pratiques (pour gagner en eficacité et qualité
dans les prestations aux structures opérationnelles) ou doit-elle s’impliquer dans
le management de ces technologies vu leur impact sur l’organisation ? Ces
questions posées par Matmati (1999) peuvent se résumer en une formule : faut-il
s’attendre à un alignement des pratiques de GRH ? à une « modernisation » des
activités ?
Les enjeux organisationnels sont importants : les TIC favorisent le changement
organisationnel, mais des coûts cachés, des phénomènes de résistance au
changement imposent une attitude prudente et rappellent la contingence des
phénomènes sociaux.
Aujourd’hui, la FRH connaît, dans de nombreuses entreprises, des chantiers
importants de transformation centrés sur la « redéinition des missions de la
fonction, du contenu des prestations qu’elle apporte à ses salariés, ses managers
opérationnels et la direction de l’entreprise » (Perreti, 1997).
D’une fonction jusqu’à présent connue pour être plutôt centrée sur la gestion
administrative du personnel, la GRH évolue vers un autre stade à savoir « une
fonction créatrice de valeur, mettant l’accent sur sa contribution stratégique et le
développement de prestations à valeur ajoutée pour les managers opérationnels
» comme l’afirme Lepak (1998). Cette transformation favorisée par les TIC en
général et l’intranet en particulier contribue à modiier les organisations. En effet,
« ces changements technologiques ont un fort impact organisationnel sur le
management, la coordination et le contrôle » (Laval, 2000). Les évolutions récentes
du management (e-management) repositionnent la FRH au cœur des changements
que vivent les entreprises du fait des développementstechnologiques rapides, de
l’accroissement de la compétitivité et de la mondialisation des échanges. D’où la
pertinence de l’ E-RH (Kalika, 2005), autrement dit d’un alignement des pratiques
de GRH.
L’E-RH se caractérise par un rôle croissant des intranets, un recours aux TIC

128
L’E-RH : un processus de modernisation de
la gestion des ressources humaines à la ville
de Paris.

pour les activités fondamentales de la FRH, le développement du e-recrutement


et du e-learning par exemple.
Selon le niveau d’infusion technologique, l’impact des TIC sur la GRH peut être
opérationnel, relationnel et transformationnel39.
L’impact est opérationnel avec la mise en place du SIRH (bases de données,
automatisation des activités administratives…), relationnel (ou transactionnel)
avec le développement de l’E-RH. Dans ce cas, il concerne des activités RH plus
sophistiquées et interactives. L’accent n’est plus mis sur l’administratif mais sur
des outils RH supportant des activités spécialisées et des process managériaux
(recrutement, formation, évaluation, rémunération). Enin le dernier impact est
transformationnel. Il s’agit de réorganiser la FRH en équipe virtuelle ain de lui
conier un rôle et des activités plus stratégiques.
Après avoir rappelé le cadre théorique de l’impact des TIC sur la GRH nous
présenterons les premiers résultats d’une étude empirique conduite au sein de la
Mairie de Paris. L’objectif est de décrire des pratiques de « modernisation » de la
GRH dans une organisation et d’analyser les changements.

1. Le cadre théorique de l’impact des TIC sur la Fonction


Ressources Humaines

Les enjeux puis les modalités du changement seront présentés dans cette
première partie. Les enjeux d’une modernisation sont stratégiques, toutefois les
professionnels de la FRH ne sont pas tous « réceptifs » et coopératifs. L’écart de
« performance » pourrait justiier a posteriori le changement. La littérature déinit
les modalités selon l’impact de la technologie sur la GRH : impact opérationnel,
relationnel et transactionnel.

1.1. Les enjeux d’une « modernisation de la Gestion des


Ressources Humaines »
La « modernisation » de la GRH a pour inalité de renforcer le degré d’intégration
stratégique de la fonction RH. C’est une nouvelle ambition pour la FRH qui fait
évoluer son rôle et ses activités.
Dans le contexte technologique actuel, les Directeurs des Ressources
Humaines (DRH) se demandent : quelle combinaison de solutions techniques,
de choix organisationnels et de pratiques de gestion est optimale pour assurer
l’allocation des Ressources Humaines dans l’organisation ? (Niederman,
1999). Les conigurations sont variées, allant de la simple informatisation des
tâches administratives (gestion administrative des Ressources Humaines)
au développement d’un système d’information sophistiqué et intégré. Ce cas
concerne plutôt de grandes entreprises qui font un usage intensif des TIC (Groe,
Pyle & Jamrog, 1996). Ces organisations ont notamment recours à des systèmes

39 SHRIVASTAVA et alii, RUËL et alii , SNELL, LEPAK, LENGNICK-HALL, STROHMEIER (cités en bibliographie).

129
12

experts, des systèmes informatiques d’aide à la décision de groupe40, de la


formation assistée par ordinateur, des systèmes automatisés d’appréciation à
360 degrés, des systèmes d’identiication et d’analyse des compétences et enin
à Internet pour recruter.
Ces choix découlent du degré d’intégration stratégique de la Fonction Ressources
Humaines. Les professionnels de la FRH peuvent, techniquement, accéder
à des informations et se doter de moyens organisationnels pour réaliser des
diagnostics stratégiques et opérationnels intégrés. Les ratios, mesures et indices
s’articulent entre eux pour donner une évaluation globale de la création de valeur
par le management des hommes. En effet, le système d’information permet non
seulement de fournir des informations pertinentes aux acteurs locaux mais aussi
de collecter des données pour les agréger et les utiliser à un niveau décisionnel
plus élevé (Niederman, 1999). L’objectif est double :
- D’une part, rationaliser, automatiser et si possible éliminer les fonctions
répétitives et routinières dans le but de minimiser les coûts et de iabiliser ces
fonctions.
- D’autre part, contribuer à l’amélioration de la prise de décision et devenir le pilier
d’une Gestion Stratégique des Ressources Humaines.
Ainsi, la FRH doit élargir son champ d’activité vers des missions à forte valeur
ajoutée dans l’entreprise (Barney 1991, Wright et Mc Mahan 1992). Selon ces
auteurs : la valeur d’une activité RH dépend de sa capacité d’aider des sociétés à
réaliser un avantage concurrentiel ou à développer des compétences de noyau.
La valeur est ainsi considérée comme avantages stratégiques dérivés d’une
activité particulière des RH relativement liée à son déploiement.

Toutefois, les enjeux ne peuvent être étudiés indépendamment des acteurs. Il


faut considérer les professionnels de la FRH : leur culture, leurs compétences
et expérience d’utilisation des TIC. Les Directeurs des Ressources Humaines
perçoivent à travers leur fonction, l’utilité du changement et ses impacts tant
organisationnels, qu’individuels. Martinsons & Chong (1999) émettent une
réserve en soulignant le retard pris par la Fonction Ressources Humaines en
matière d’informatisation et tentent d’en expliquer les raisons. Ainsi, les aspects
humains de l’organisation ne sont pas toujours considérés comme prioritaires par
les équipes dirigeantes. En outre, de nombreux professionnels des Ressources
Humaines sont peu expérimentés en informatique et considèrent qu’il est dificile
de modéliser le système de GRH (notamment ses aspects qualitatifs) et de
le faire évoluer. Coulon et Mercier (in Kalika, 2002) constatent également un
certain attentisme des DRH, qualiiés « d’autodidactes » face à des responsables
informatiques peu coopératifs, en charge de l’informatisation des missions RH.
Des phénomènes de résistance au changement peuvent freiner la réorganisation
de la FRH41. En effet, les professionnels – dont la peur d’être licenciés peut être

40 SIAD-G ou GDSS Group Decision Support Systems.


41 Ces phénomènes sont étudiés notamment par Butler (2003), “An institutional perspective on developing and implementing
intranet- and internet-based information systems, Information Systems Journal, July, vol. 13, no. 3, pp. 209-231.

130
L’E-RH : un processus de modernisation de
la gestion des ressources humaines à la ville
de Paris.

légitime42 – sont à la fois objet et acteurs du changement. Les TIC leur permettent
d’accéder et de diffuser plus eficacement l’information, tout en inluençant ce
que l’on attend d’eux (Gardner et alii, 2003). Une restructuration de la FRH
peut conduire l’entreprise à opter pour le recentrage sur certaines activités et
pour l’externalisation d’autres. Dès lors, la FRH peut se transformer en équipe
virtuelle, les membres de l’équipe sont choisis en fonction de leurs compétences,
indépendamment de leur localisation physique et de leur appartenance à une
organisation. Les activités sont réalisées et coordonnées par voie électronique
(Snell et alii, 2002).
Compte tenu du contexte stratégique, il s’avère que les acteurs « professionnels
de la GRH » participent à l’incorporation des TIC soit en tant qu’utilisateurs, soit
comme concepteurs au sein d’une équipe projet (Niederman, 1999 ; Lamb et
Davidson, 2003).

La « modernisation » de la GRH sera légitime, aux yeux des acteurs, si elle


dégage une « performance » mesurable ou perçue, objective ou subjective.
Selon Laval et alii (2002), les critères de performance peuvent être regroupés en
trois catégories : économique ; technique et sociale, organisationnelle.
La performance économique est associée à la réduction des coûts, à la qualité et
à la productivité : amélioration de la qualité des prestations, réduction des délais,
gains de productivité en communication (mise à disposition des informations sans
déplacement, ni téléphone, ni fax), économies de papier, allègement des tâches
de classement et de recherche documentaire, réduction des budgets formation
(mise en ligne de modules de formation), réduction des coûts informatiques. En
outre, la fonte des effectifs de la FRH, qui s’avère indissociable de l’introduction
des TIC, permet de réaliser des économies de masse salariale. Les entreprises
développent ou améliorent les outils de mesure et de suivi des coûts.
La performance de l’intranet est traitée en termes technique et social. Il s’agit,
du nombre de connections, de fréquence de la consultation, d’interconnexion
des messageries, de souplesse d’utilisation (nombre d’interventions du
service informatique), de satisfaction des utilisateurs (en fonction de leur rôle,
exécutant, manager, formateur, RRH, concepteur, de leur métier, de leur âge,
de leur ancienneté), des demandes, des suggestions des utilisateurs, du degré
d’acceptation et d’appropriation (pour les forums, les outils de gestion en ligne).
Lai, Mahapatra (1998) décomposent la performance organisationnelle des
intranets en : amélioration de la diffusion d’information, image institutionnelle
boniiée, meilleure utilisation des ressources, augmentation de la sécurité réseau
et la performance individuelle en : diffusion du pouvoir vers de plus bas niveaux
hiérarchiques de l’entreprise, augmentation de la productivité des employés,
amélioration de la relation employé, meilleure prise de décision, clariication du
rôle et de la responsabilité des employés.

42 Ruël et alii (2004) évoquent les conséquences de l’e-rh : « les professionnels seront beaucoup moins sollicités et l’effectif de la
FRH diminuera si les responsables hiérarchiques et les salariés consultent et utilisent les outils RH mis en ligne. »

131
12

La performance organisationnelle repose sur des notions :


- de culture (diffusion et promotion de la culture d’entreprise,
développement ou renforcement d’une culture TIC) ;
- d’intégration, de coordination, de contrôle (rôle fédérateur vis-à-vis
des divisions, émulation entre divisions, facilité et eficacité du partage
des ressources, sensibilisation au travail en réseau, communication
transversale généralisée, transparence de la communication, contrôle
des ressources du service, aide au management.) ;
- de cohérence interne et externe du système de gestion des RH
(amélioration de l’image interne de la fonction RH, reengineering des
méthodes de travail de la FRH, refonte du système d’information RH
articulé autour d’une base de données de gestion du personnel unique,
automatisation du travail administratif, formalisation et rationalisation
des pratiques) ;
- de la performance au travail (nouvelles habitudes de travail -travail sur
support électronique, travail en groupe- changement de comportement
vis-à-vis des TIC, prise de responsabilités, prise en charge de
l’employabilité par une appropriation de la logique de compétences et
une attitude active vis-à-vis de la formation, renforcement du sentiment
d’appartenance. organisationnelle (circulation de l’information) et
fonctionnelle (GRH).

Sur la thématique plus restreinte des intranets, Laval et alii (2002) dressent
également une liste des dificultés, établie à partir des déclarations des personnes
interrogées. Il en ressort : des dificultés organisationnelles (politiques d’acteurs,
culture de réticence au changement), des dificultés d’utilisation (manque de
convivialité), des dificultés techniques, des dificultés d’actualisation des données
(incohérence), des dificultés de sécurité (fuite de connaissance, évaluation
360°), des dificultés de travail en groupe, des dificultés de coordination
interfonctionnelle, des dificultés dues à la non intégration de l’utilisateur inal,
des problèmes de inancement.
En complément une liste de facteurs clés de succès a été élaborée : qualité de
contenu, actualisation dynamique, support humain et intégration de l’utilisateur
inal, coordination interfonctionnelle, culture BDD, design, proiling, implication de
la direction générale et de la hiérarchie.
L’importance de la qualité du contenu, du support humain, de l’actualisation et
l’importance du design et du proiling (exemple d’Arjowiggins dont le slogan est «
Fournir un maximum d’information RH en un minimum de clics » et de Siemens
ayant intégré un chef de projet artistique) est conirmée par l’étude longitudinale.
L’utilisateur inal, opérationnel ou membre de la fonction Ressources Humaines,
est, en outre, sensible à la formation à l’utilisation du système, à la documentation,
à l’installation d’applications «en ligne». Le système d’information doit comporter
un nombre signiicatif d’applications pour la GRH conviviales et pragmatiques
(Haines & Petit, 1997).

132
L’E-RH : un processus de modernisation de
la gestion des ressources humaines à la ville
de Paris.

Les performances des TIC sont dificiles à cerner car les bénéices sont intangibles
et les coûts associés sont souvent non connus à l’avance (Bhattacherjee (1998).
Les praticiens de la GRH doivent promouvoir l’innovation sociale tout en étant
sommés de participer à l’effort de réduction de coût et de création de la valeur
(Gilbert 2000 p 33). Knight, Steinbach, White (2003) émettent un doute en
indiquant le fort décalage entre les bénéices annoncés par les praticiens et les
académiques et les résultats réels.

1.2. Le triple impact des TIC sur la GRH


Les modalités de la « modernisation de la GRH » peuvent être évoquées à partir
des trois impacts des TIC sur la GRH cités, entre autres, dans les travaux de
recherche de SHRIVASTAVA et alii, RUËL et alii , SNELL, LEPAK, LENGNICK-
HALL & STROHMEIER.
L’impact opérationnel
La notion de SIRH n’est pas nouvelle (cf Broderick, Boudreau 1992, Kovach,
Cathcart 1999). En 1990, Tannenbaum donne la déinition suivante : un SIRH
est un système utilisé pour acquérir, stocker, manipuler, analyser, trier, distribuer
des informations pertinentes concernant les ressources humaines dans une
organisation. Hendrickson (2003) ajoute qu’il n’est pas limité aux aspects
techniques (matériels informatiques, applications logiciels) mais inclut aussi
les individus, les procédures et politiques, les données requises pour gérer la
fonction RH. Mais une certaine confusion se dégage quant à l’iniltration de la
technologie dans la fonction RH.
Malgré l’inexorable développement des SIRH dans les opérations RH, différents
auteurs comme Kovach, Hugues (2002) Bassett, Campbell, Licciardi (2003), Ball
(2001), Tansley (2001) soulignent que l’utilisation de ces systèmes n’est pas
optimum et reste à un niveau administratif.
Pourtant, pour Harisson & Deans (1994), le SIRH comprend le ichier du
personnel ainsi que des procédures de gestion prévisionnelle de l’emploi, de
gestion du recrutement, de gestion de la formation, de gestion des carrières et
des compétences, de gestion des rémunérations43. De nos jours, un SIRH se
déinit comme un système gérant un ensemble de briques logicielles permettant
d’automatiser un certain nombre de tâches liées à la gestion des ressources
humaines et d’en assurer un suivi (http://journaldunet.com).
Le quotidien de la FRH se traduit par des activités opérationnelles et administratives
(la gestion des congés, des absences, des salaires, etc..) sur lesquelles les TIC
ont un impact indéniable. On notera que ces SIRH sont de plus en plus présents
dans les entreprises.

43 Basic employee information ; Applicant tracking ; Recruiting ; Equal employment opportunity / affirmative action ; Position control
; Performance management ; Compensation ; Payroll ; Benefits ; Training ; Carrer development/skill inventory ; Human resource
planning.

133
12

Tableau 1 : Pourcentage d’entreprises possédant un SIRH44

2002 2003 2004 2005


40% 44% 51% 53%

L’impact relationnel
Dans l’entreprise, les TIC permettent également de :
- fédérer l’accès à l’information avec un outil indépendant des systèmes
de stockage et d’administration des données ;
- créer des services en ligne à l’usage privé des collaborateurs d’une
entreprise ; et des applications accessibles au travers d’Internet ; ainsi
que des passerelles de communication avec le réseau de l’entreprise
pour les collaborateurs itinérants (développement du nomadisme) ;
- mettre en place des ressources permettant de renforcer l’eficacité
des collaborateurs (sessions de formation et présentations sous
forme de vidéo numérisées, journaux électroniques, déclarations et
communications oficielles, etc.) ;
- expliquer, dans les grandes entreprises internationales, les ressources
partagées entre le siège et les iliales (les applications départementalisées
en intranet peuvent être exploitées en se servant d’Internet comme d’un
simple véhicule de paquets d’informations) ;
- développer des outils interactifs (libre service RH);
- automatiser des tâches administratives au travers des réseaux
intégrés.
L’outil intranet permet ainsi à l’entreprise une meilleure diffusion et un meilleur
partage de l’information. La communication entre l’ensemble des acteurs
organisationnels est améliorée. Le Libre service ressources humaines (LSRH)
regroupe toute une série d’applications administratives que les salariés peuvent
utiliser en ligne, à partir de leur poste de travail. Citons, à titre d‘exemples: le
ichier du personnel, les tableaux de bord sociaux, la plate-forme de formation
(dont e-learning), la gestion des compétences et carrières, la paie, la gestion des
temps et des activités...etc. La mise en ligne de services RH interactifs se réalise
grâce au worklow. Il s’agit d’applications permettant la formalisation et la gestion
des processus de circulation des lux d’informations entre différents acteurs) qui
permet au salarié de saisir les informations le concernant -par exemple sur sa
situation personnelle-, ses demandes -congés, formation,…-, ses décisions -
par exemple l’affectation des sommes reçues au titre de l’intéressement ou de
la participation (Peretti, Barthe & Castro Gonçalves, in e-GRH : révolution ou
évolution ?, 2002).

44 Observatoire du e-management Dauphine Cegos, enquête annuelle auprès de 500 entreprises : www.observatoireemanagement.
com.

134
L’E-RH : un processus de modernisation de
la gestion des ressources humaines à la ville
de Paris.

L’impact transformationnel
L’implantation des SIRH favorise ces modiications organisationnelles et
managériale, comme le souligne (Benghozi, 2001) : « les changements
organisationnels en cours [liés aux SI] se traduisent donc à la fois par une
décentralisation et une intégration accrue : plus d’adaptabilité, mais dans un
contexte formaté plus rigide : plus de structuration, mais en ménageant des
marges de souplesses. ».
Chaque application peut être conçue pour une division, un pays ou à l’échelle
centrale ou mondiale. Ces choix organisationnels ne sont pas neutres car, le
réseau informatique crée des liens (des relations d’information) qui court-circuitent
le cheminement hiérarchique (Huault, 1996).
Ainsi, nous considérons (Laval, 2000) que les changements technologiques ont
un fort impact organisationnel, notamment sur le management, la socialisation,
la coordination et le contrôle. Juger des effets produits sur l’organisation est plus
délicat :
- Le management
La fonction de manager évolue vers un rôle de facilitateur. Ainsi un chef de
projet est responsable de l’interface entre les utilisateurs et la technologie et
se situe au centre du système de communication. Il s’investit dans la formation
des participants, anticipe le changement technologique et devient l’initiateur et le
promoteur des TIC (Coat & Favier, 1998).
C. Dumoulin (1999) étudie la mise en place et le fonctionnement d’équipes
virtuelles dans l’entreprise EHPT - joint venture créée par Hewlett Packard (US)
et Ericsson (Suède) dans le domaine des télécommunications - avec des équipes
réparties sur 10 sites dans le monde. Les préconisations pour les managers
concernent :
> l’organisation du travail : la formalisation et la coordination
sont accentuées,
> l’information et la communication : elles sont différenciées en
termes de contenu et de forme selon qu’il s’agit de l’activité ou
de relations sociales. La confusion des genres45 est source de
malentendus,
> le contrôle : il est délégué et centré sur les résultats,
> et la reconnaissance.
- La socialisation, médiatisée par la technologie, découle notamment
de la coniance, de la motivation (Favier, Coat, Courbon & Trahand,
1998) et de «l’excellence» (Amherdt & Su, 1997). C’est une dimension
sociale et cependant fondamentale du fonctionnement des équipes.
Les individus travaillent par média interposé, le face à face n’est plus
systématique.
- La coordination, selon Coulon (1999), est accentuée par le groupware,
notamment la supervision directe, la standardisation des procédés
45 Cf la théorie des genres, Orlikowski & Yates (1994).

135
12

de travail et la standardisation des résultats. Les technologies de


l’information augmentent l’importance du contrôle.
Toujours en matière de contrôle, les TIC requièrent une discipline car elles
exposent l’entreprise à des risques de nature juridique. Ils concernent l’utilisation
de données à caractère personnel, stockées dans le ichier du personnel.
Egalement, l’utilisation d’internet pour proférer des accusations, partager des
informations sur les salaires, divulguer des informations conidentielles et
organiser des activités syndicales.
Parallèlement on peut lire des témoignages qui évoquent des coûts cachés, une
performance limitée et des phénomènes de résistance.
Les théories de l’apprentissage organisationnel expliquent ces contradictions à
partir des conditions de création, d’intégration et de gestion des connaissances
et de la mémoire organisationnelle. Le processus de développement des
connaissances intègre, à des degrés divers, les technologies de l’information.
Les moyens les plus eficaces seraient l’intranet et les bases de données
relationnelles (Frappaolo & Capshaw, 1999). Nonaka propose un modèle
d’entreprise apprenante qui peut guider la rélexion consacrée au rôle de TIC en
matière d’apprentissage collectif (Nonaka & Takeuchi, 1997).

Ces trois impacts conduisent à s’interroger sur la place de la FRH dans


l’entreprise.
Tout d’abord, la numérisation croissante des activités RH administratives qui
conduit à une automatisation des processus. Celle-ci s’accompagne de réductions
importantes des effectifs de la FRH. Ensuite, les tâches RH reposant sur le
relationnel avec les salariés (formation, évolution de carrières, etc…) sont de
plus en plus coniées aux services opérationnels et aux managers de proximité.
Là encore le service RH perd de ses attributions à valeur ajoutée.
Enin, l’externalisation des activités qui s’accompagne parfois de délocalisation46
réduit mécaniquement les effectifs à gérer.
Cette triple évolution peut conduire à une réduction du rôle et du poids de la FRH
au sein de l’entreprise, voir à son externalisation partielle ou totale dans une
perspective d’entreprise en réseau.
La notion de département RH virtuel associée à l’organisation en réseau construite
sur des partenariats et médiatisée par les technologies de l’information fait ainsi
son apparition. Ces « cyber » départements apparaissent dans le but d’associer
simultanément la lexibilité, la réduction des coûts et l’amélioration de la qualité
de service.

46 cf. Management, stratégie et Organisation, Vuibert, 6ème édition 2006, J.P. Helfer, M. Kalika, J. Orsoni.

136
L’E-RH : un processus de modernisation de
la gestion des ressources humaines à la ville
de Paris.

Schéma n°1 La GRH virtuelle (d’après Lepak et Snell, 1998) :

Les activités RH sont positionnées dans la matrice selon leur unicité ou leur
degré de spéciicité, leur valeur stratégique. C’est à partir de ce positionnement
que l’on peut choisir entre recentrage ou externalisation d’activités.
Les technologies de l’information permettent l’automatisation (impact
opérationnel), favorisent les accès distants (impact relationnel) et transforment le
champ et les fonctions du département RH.
« L’outsourcing » des activités RH à faible valeur ajoutée et les partenariats avec
des acteurs externes (externalisation vers des cabinets prestataires de services
; lien avec les administrations) vont notamment participer à la transformation de
la fonction RH.
Ulrich (2001) souligne que la fonction peut perdre sa place à moins que les
praticiens ne répondent avec intelligence aux déis d’un nouvel environnement
en transformant la fonction comme créatrice de valeur avec des orientations
compétitives et stratégiques

2. Etude de cas : le changement et les dificultés rencontrées par


la Mairie de Paris

2.1. Méthodologie
La méthodologie retenue est celle de l’étude de cas. Cette étude longitudinale
débute en 2003, à la Mairie de Paris. Elle consiste en une trentaine d’entretiens
semi directifs centrés. Les données recueillies sont complétées par une analyse
de la documentation interne et des données disponibles sur le site Intranet RH
de la ville de Paris, et enin par une analyse des données issues de l’observation
participante ou non participante.

2.2. Présentation de la Ville de Paris


La présentation portera sur l’organisation (« Mairie de Paris »), son personnel, la
FRH et les outils informatiques utilisés comme support.

Trois entités juridiques sont regroupées sous le terme générique : « Mairie de


Paris » : la Commune de Paris, le Département de Paris et le Centre d’Action
Sociale de la Ville de Paris (CASVP).
Les services municipaux et départementaux sont organisés en Directions47 sous
47 A titre d’exemple, la direction des affaires scolaires, la direction des parcs, jardins et espaces verts, la direction de la protection de
l’environnement, la direction de l’action sociale, de l’enfance et de la santé.

137
12

la coordination du secrétariat général.


Les personnels de la Mairie de Paris sont pour la plupart des agents de droit
public (fonctionnaires, contractuels ou vacataires) qui peuvent relever de la
fonction publique territoriale (avec des spéciicités parisiennes), ou de la fonction
publique hospitalière.
Il existe également des agents de droit privé régis par les dispositions du code
du travail.
Les gestionnaires des ressources humaines, appliquent :
- les dispositions du statut de la fonction publique territoriale, pour les
congés, le temps partiel, les positions, la notation, les cessations de
fonctions, les stagiaires ;
- celles de la fonction publique de l’Etat, pour l’organisation en corps,
le recrutement par concours, la formation professionnelle, les droits
syndicaux, la hiérarchie des sanctions disciplinaires, l’organisation
des commissions administratives paritaires par corps et le mode de
désignation des représentants du personnel dans les organismes
consultatifs ;
En outre, le Conseil de Paris est compétent pour ixer et faire évoluer les
statuts particuliers et les rémunérations des corps, à l’exception de ceux des
administrateurs et des attachés d’administration, ixés par décret. Le Conseil
supérieur des administrations parisiennes (C.S.A.P.) a compétence pour les
questions d’ordre général relatives aux personnels et notamment pour examiner
les projets de délibération ixant les statuts particuliers et les classements
hiérarchiques.
Certains fonctionnaires du Département et du CASVP sont soumis au statut
général de la Fonction Publique Hospitalière.
Les agents contractuels recrutés sur contrat pour une période à durée déterminée
relèvent, comme les fonctionnaires, du décret n° 94-415 du 24 mai 1994 ou de la
Fonction Publique Hospitalière.
Les agents vacataires sont recrutés pour une tâche déterminée et payés à
la vacation. Des textes spéciiques, ixant notamment les modalités de leur
rémunération, leurs sont applicables.
Les agents de droit privé sont régis par les dispositions du Code du travail, le cas
échéant de conventions collectives, et du Code de la sécurité sociale.

Les activités de gestion des personnels et les responsabilités sont réparties entre
la Direction des Ressources Humaines, les Directions48 et les Unités de Gestion
Directe (UGD).
Les services centraux de la DRH ont en charge la gestion collective des personnels
(avancements de grade, reclassements, examens professionnels…) ainsi que le
pilotage de chaque domaine de gestion.
Ils centralisent des décisions de gestion individuelle (le reclassement, par
48 Direction des affaires scolaires, Direction des parcs, jardins et espaces verts, Direction de la protection de l’environnement,
Direction de l’action sociale, de l’enfance et de la santé.

138
L’E-RH : un processus de modernisation de
la gestion des ressources humaines à la ville
de Paris.

exemple) et la gestion de certaines catégories de personnel (agents détachés,


agents mis à disposition, par exemple).
A ce niveau, la fonction RH est organisée par domaines fonctionnels et/ou par
type de population gérée.
En 2003, la DRH comportait notamment : les bureaux de gestion de personnel
(bureau des personnels d’encadrement supérieur, bureau des personnels
ouvriers…), le bureau du recrutement, le bureau du statut, le secrétariat du
conseil de discipline, le bureau de la formation, le bureau des rémunérations,
le bureau des pensions, le service de la santé, hygiène et sécurité au travail, le
service des affaires générales, la mission GPEEC, la mission communication
interne, le bureau d’accueil et d’information des personnels ainsi que le service
organisation et méthodes informatiques.
Dans chaque Direction, le service du personnel est chargé notamment du suivi
des effectifs, du dialogue social, de la mise en œuvre du statut et de l’élaboration
des plans de formation. Il assure la gestion collective de certaines populations
(cas de populations non gérées par les services centraux : corps particuliers à la
direction).
Il prend les décisions de gestion individuelle se rapportant aux procédures
décentralisées.
Il encadre les UGD qui effectuent, au niveau local, la mise à jour des dossiers
(situation personnelle et certains éléments de rémunération) et informent les
agents sur leurs droits et devoirs.

139
12

Ainsi, la Fonction RH est mise en œuvre dans les différents niveaux d’organisation
suivants :
Niveau Mise en œuvre de la Gestion des
Ressources Humaines
Central Les acteurs sont situés à la DRH (pour la
Commune et le Département) et au service
central du personnel (pour le CASVP)
Direction Chacune des Directions (ou Services pour
le CASVP).
22 pour la Commune et le Département, 6
services pour le CASVP
R e g r o u p e m e n t Niveau d’organisation supplémentaire
intermédiaire déini par certaines directions, nommé
« sous-direction », « grand service », «
service technique », « subdivision », «
circonscription »…
Unité de Gestion Directe 400 pour la Commune et le Département,
(UGD) 56 pour le CASVP
Lieu de travail Environ 1700 + 260 pour le CASVP

Les outils informatiques dédiés à la Gestion des RH sont nombreux et hétérogènes.


Il existe un SIRH centralisé et des applications décentralisées aux niveaux des
Directions et des UGD.

Les applications de conception centralisées (sur le site central de la DSTI ou à la


DRH) concernent la gestion des personnels de l’ensemble des Directions. Leur
maîtrise d’ouvrage est la DRH, leur maîtrise d’œuvre la DSTI.
L’application SigaGip constitue le noyau de gestion administrative et de paye.
Les applications de conception locale concernent, en règle générale, la gestion
des personnels de la Direction maîtrise d’ouvrage, leur maîtrise d’œuvre est la
DSTI.

Le SIRH centralisé est constitué de multiples applications hétérogènes peu


communicantes.
Il est possible de mettre en relief cinq sous-systèmes :
- Le noyau : ce sont les applications de gestion et de paye développées
à partir de SigaGip pour la Ville, le Département et le CASVP. Les
programmes et données sont, pour la plupart, propres à chaque entité
juridique. Ces applications sont utilisées pour :
> la gestion et paye des personnels et assistantes maternelles,
> la gestion des accidents du travail,
> la gestion des retraités,
> la gestion des formations du CASVP.

140
L’E-RH : un processus de modernisation de
la gestion des ressources humaines à la ville
de Paris.

- Le sous-système de mise à disposition de l’information (extracteurs


et bases RAMIS) permettant la restitution d’informations aux utilisateurs
mais aussi l’alimentation de multiples applications en aval. Environ 45
applications sont alimentées par des données issues de ce système.
- Le sous-système d’information décisionnel pour les accidents du
travail (Oracle/Business Objects).
- Le sous-système de documentation regroupant les bases
documentaires Expresso, Barèmes, Klimt, Nomos et Legos.
- Un sous-système regroupant différentes applications de gestion
administrative et de ressources humaines (environ une cinquantaine
d’applications) :
 Certaines de ces applications sont alimentées par le noyau (directement
ou via RAMIS), ce sont :
> Les applications développées en ADS (outil de génération de
systèmes experts) : Entorse, Sega, Paréo, Parasol, …
> Les applications développées en DBase/Clipper : Handicap,
Arrêtés, Pensionnés, Effectifs, Flux, Médailles, Avancement,
Gestion des formations Ville et Département, …
> Les applications développées avec des outils divers : Gestion
des CAP et du conseil de discipline, Boniface-Bonipile, …
> D’autres n’ont aucun lien avec le noyau : candidats, primes,

> D’une manière générale, il n’existe, à partir de ces applications,
aucune remontée d’information vers le noyau.

Les applications locales (environ une soixantaine) complètent la couverture


du système d’information central dans les différentes Directions de la Ville et
au CASVP (principalement pour la gestion des personnels spéciiques à une
Direction, des temps et activités, de la formation…).
Elles sont pour la plupart alimentées via RAMIS, les autres étant isolées. Il est
exceptionnel que ces applications remontent des informations vers le SIRH
centralisé.

2.3. Le projet de modernisation de la Fonction RH


Face à la diversité des statuts, à la complexité de la règlementation, l’organisation
de la Fonction Ressources Humaines est centralisée. Toutefois compte tenu de
la taille de l’organisation, de ses activités et de leur dispersion géographique
une divisionalisation s’est imposée, plus ou moins bien supportée par les outils
informatiques. Ainsi, une refonte du SIRH s’inscrit dans la continuité d’une
rélexion sur la modernisation de la fonction RH.

Nous présenterons tout d’abord la réorganisation de la FRH, puis le nouveau


SIRH de la Mairie de Paris.

141
12

L’un des enjeux de la Ville de Paris est de passer d’une gestion des personnels
à une gestion des ressources humaines, d’une gestion quantitative à une gestion
qualitative, fondée sur la prévision. Cette évolution s’appuie sur la modernisation
de la fonction ressources humaines, qui intègrera davantage les TIC. Le SIRH
et la technologie Intranet contribueront à renforcer le système de pilotage et de
contrôle en matière de gestion administrative. Ils donneront plus de luidité aux
relations entre les gestionnaires RH positionnés dans les Directions et la DRH.
Le principal enjeu de ce projet est l’amélioration de la qualité de la GRH, ainsi
déinie par la Mission Modernisation de la DRH de la Mairie de Paris (groupe de
pilotage du projet) :
- Une simpliication des procédures,
- Des réductions de délais dans le traitement des dossiers,
- Une homogénéisation des pratiques de gestion garantissant ainsi une
égalité de traitement entre les agents,
- Une clariication du rôle de chaque acteur de la fonction ressources
humaines,
- Un renforcement du professionnalisme de l’ensemble des gestionnaires
de ressources humaines.
La nouvelle organisation interne de la DRH est conçue à partir d’une révision
des principes de répartition des responsabilités entre le niveau central et les
Directions opérationnelles. Elle sera facilitée par la mise à disposition d’instruments
d’analyse et d’aide à la décision contribuant notamment à une meilleure maîtrise
des effectifs et de la masse salariale.
Ce projet de modernisation de la fonction RH conduit à :
- La création d’un pôle de pilotage, ayant pour mission l’information et
l’aide à la décision du DRH par des analyses (tableau de bord DRH) et
des prévisions ou anticipations,
- La création d’un bureau des relations sociales (relations avec les
syndicats et observatoire social),
- L’élargissement de la démarche GPEEC à la logique compétences-
métiers (mission GPEEC de la DRH en relation avec les services RH
des Directions).

La refonte du SIRH conduira à l’augmentation des niveaux de contrôle et


d’automatisation de l’outil de gestion administrative et de paye, ce qui garantit la
sécurité et la iabilité indispensables dans ces domaines, tout en permettant des
gains de productivité. Enin, la modernité technique du progiciel support, offrira
aux utilisateurs de meilleures performances et une ergonomie plus intuitive.

Le SIRH sera présenté en trois points :


- D’un point de vue général, en indiquant qu’il est constitué de deux
sous-systèmes,
- A partir des progiciels qu’il utilise,
- Du point de vue de l’interface utilisateur : le portail RH.

142
L’E-RH : un processus de modernisation de
la gestion des ressources humaines à la ville
de Paris.

Les études menées sous la responsabilité du secrétariat général ont eu pour


résultat de s’orienter vers une dissociation du SIRH global en deux sous-systèmes
: le premier assurant la gestion administrative, la gestion des pensions et la paie
(SI GA-PAIE), le second couvrant l’ensemble des autres domaines (désigné par
SI GRH). Le pilotage des RH est assuré par un outil infocentre commun aux deux
systèmes.
Le SIRH de la Mairie de Paris est développé à partir de progiciels du marché
(dont HR ACCESS pour la paie et la gestion administrative), ceci ain d’offrir la
couverture fonctionnelle la plus complète possible et pour minimiser les coûts,
les délais de mise en œuvre et les risques inhérents au développement.
Le nouveau système de gestion et de paye (SI GA-Paie) comprend les fonctions
suivantes :
- Gestion administrative : pour gérer le dossier individuel des agents
(situation personnelle, familiale et administrative, congés, absences,
positions administratives, notation…), suivre l’évolution réglementaire
des statuts applicables aux personnels ;
- Gestion des rémunérations : pour vériier, valider et liquider la paye
en mettant en œuvre la réglementation en matière de rémunération,
assurer les relations avec les organismes sociaux et iscaux, gérer les
allocations retour à l’emploi ;
- Gestion des pensions : pour déterminer le régime de retraite de l’agent
et afilier les agents fonctionnaires à la CNRACL, gérer leur mise à la
retraite, informer l’agent actif sur ses droits à la retraite.
Le SI GA Paie permet, de plus, de mettre en place des contrôles individuels en
amont et contribue donc à une gestion plus juste des émoluments versés aux
agents.

Dans une deuxième opération, et en parallèle, est conduit un projet de gestion


des ressources humaines (SI GRH) comprenant la gestion des parcours
professionnels et des postes, la gestion de la formation, la gestion du recrutement,
la gestion en santé et sécurité au travail, la gestion des relations sociales et la
gestion des œuvres sociales.

Les droits d’usage du progiciel HR Access version 5 sont acquis par la Mairie de
Paris. Les modules HR Access listés ci-après sont disponibles pour la mise en
œuvre du projet :
- HRA Basic Unix / Oracle : Module de base de HR Access. Il comprend
également Impromptu de la société Cognos (version non Web).
- Moteur de Paie et de GTA : Module de base de la paie HR Access.
- HR Evolution : Module HR Access développé pour faciliter la migration
entre SIGAGIP/Personnel et HR Access, avec reprise des données de
personnel, des archives de paie SIGAGIP/Personnel, des archives
de rappel SIGAGIP/Personnel, des rubriques de paie SIGAGIP/
Personnel.

143
12

- PAP Secteur Public France : Pré-paramétrage HR Access Secteur


Public adapté à la législation française.
- Client Web avec Open HR : Module HR Access permettant d’ouvrir
à l’ensemble des gestionnaires de personnel l’accès à l’application,
sans avoir à installer et maintenir des exécutables sur leurs postes de
travail.
- HR Warehouse (Infocentre) Framework : Ensemble de pré-
paramétrages de processus permettant la déinition dans HR Access
des informations nécessaires dans un infocentre et son alimentation. Ce
module comprend également un univers Business Objects de base.
- Frais de déplacement
- Assistantes maternelles
- PRH : Module PC alimenté en batch depuis la base centrale, utilisé
pour effectuer des analyses, puis des simulations sur les effectifs et la
masse salariale dans le futur.
- Self Service HR Access : Module HR Access permettant de
décentraliser la consultation et la saisie des données individuelles vers
les agents au travers de postes micros connectés. Ce module gère les
cycles de validation par les hiérarchiques et les services centraux, la
conidentialité, leur paramétrage et la maintenance associée.
- Moteur de Worklow IBM : Ensemble des logiciels serveur pour
supporter le Module Self-service de HR Access et assurer son bon
fonctionnement. Il est composé de licences Lotus Domino, de licences
Lotus Designer et de licences utilisateurs.
- HR Access Portal : Portail HR Access.

Le portail HR Access est depuis le 01/01/2006 le portail RH et donc le point


d’entrée unique de toutes les applications de gestion des Ressources Humaines
compatibles avec le portail. Il a pour but de masquer à l’utilisateur l’hétérogénéité
des outils RH (HR Access, progiciel de GRH, applications RH diverses, outils
d’infocentre, outils d’édition, …).
Ce portail présente, sous une interface unique, hautement personnalisable par
l’utilisateur et pour tous les agents de la Ville, du Département et du CASVP :
- De l’information interne ou externe ;
- Des supports de communication interne ;
- Des accès aux applications métier RH, lorsqu’elles sont de technologie
web ;
- Des accès aux applications décisionnelles ;
- D’un accès aux applications du self service ;
- Des liens avec des sites externes ;
- Des services divers (annuaire, moteur de recherche, …).
Des compléments pour la gestion des espaces seront bientôt mis en place :
administration, gestion des contenus, publication, …
Chaque agent, en fonction de son proil, dispose au travers de ce portail de la

144
L’E-RH : un processus de modernisation de
la gestion des ressources humaines à la ville
de Paris.

palette de services nécessaire à son activité. Quatre espaces ont été identiiés
selon les différents proils recensés à la Mairie de Paris (agents, managers,
professionnels RH) :
- Un espace collectif ;
- Un espace personnel permettant à chaque agent de consulter
sa situation personnelle, d’utiliser les outils du Self Service et de se
constituer un espace type « ma page » ;
- Un espace manager permettant à chaque manager de trouver
l’ensemble des données relatives à ses équipes et de consulter les
tableaux de bord mis à disposition par sa Direction, de valider les
demandes effectuées par ses collaborateurs au travers du Self Service,
…;
- Un espace professionnel permettant à chaque agent s’occupant de
RH d’accéder aux applications et aux fonctions dont il a besoin, de
consulter les bases documentaires, d’accéder à la Hot Line, d’accéder
aux fournisseurs via l’extranet si besoin (ex : billet de train) et permettant
à chaque Direction ou à la DRH de mettre des informations à la disposition
d’ensemble de populations (ex : modalités de participation aux vœux
du Maire pour toute la population, fermeture des écoles le lendemain
de l’Ascension pour les agents de la Direction des Affaires Scolaires,
promotions de voyages, places libres pour les visites médicales, …).
L’ensemble de ces espaces est sécurisé et lié au proil des agents. Ils sont
accessibles depuis les postes individuels et depuis des points d’accès collectifs.

2.4. Performances et dificultés rencontrées


Nous présenterons les premiers résultats de cette recherche en trois points : les
performances techniques (d’après les indicateurs et données disponibles à ce
jour), les changements observés et enin les dificultés rencontrées.
Les performances techniques s’analysent, à la Mairie de Paris, en trois points :
Rapidité, iabilité
A l’exception des requêtes de type infocentre, les temps de réponse des
applications en mode transactionnel sont inférieurs à 2 secondes pour au moins
80 % des transactions courantes. Les transactions correspondant aux 20 %
restant présentent des temps de réponse inférieurs à 10 secondes.
Ces temps sont mesurés pour un utilisateur connecté en réseau local avec les
serveurs (poste connecté en 10 Mb/s sur hub ou switch).
Lors des vériications d’aptitudes, dans une coniguration d’utilisateur isolé, et
des vériications de service régulier, avec la charge, des tests de performances
sont réalisés sur les transactions suivantes :
- mise à jour de l’adresse personnelle d’un agent ;
- saisie d’une absence maladie et détermination des périodes à plein
traitement et à demi-traitement ;

145
12

- création d’un dossier de titulaire ;


- changement d’une affectation (au sens service) d’un agent ;
- suppression d’une autorisation d’absence.
Ces tests sont réalisés hors utilisation de l’infocentre. Les temps de réponse sont
comptabilisés à partir de la validation par l’utilisateur de la transaction jusqu’au
moment où le système lui redonne la main. Ils sont inférieurs à 2 secondes.

La Mairie de Paris exécute actuellement chaque mois, à une semaine d’intervalle,


deux traitements batch de calcul de paie.
Le premier calcul de paie se décompose en une sauvegarde, le calcul de la
paye, la production des bulletins de paye comptables, une édition des états
de traitement et des listes d’alertes, le pré-mandatement (ictif), une nouvelle
sauvegarde.
Le deuxième calcul de paie comprend : une sauvegarde, le calcul de paye des
dossiers modiiés à la suite du premier calcul, l’édition des bulletins de paie
comptables sur les dossiers modiiés, l’édition des états de traitement et des
listes d’alertes, la fusion des deux payes, le pré-mandatement, la production des
bulletins de paye agent, les éditions post paye, la récupération des PM (proposition
de mandatement) mandatées (édition et création d’une bande virement), une
nouvelle sauvegarde .
Le système dans un futur proche devra assurer des traitements batch équivalents
dans un délai maximal de 10h00 qui correspond à la plage d’exécution des batch
de la Mairie de Paris.
Cette plage d’exécution se positionne actuellement de 20h00 à 6h00. La contrainte
de temps se situe entre la in des mises à jour des UGD à 19h00 et la vériication
du calcul de paye le matin à 7h00.
En cas d’échec d’un traitement, il est recommencé le lendemain soir. S’il échoue
à nouveau, il est relancé le week-end.
Ergonomie, design, proiling
Les applications destinées aux principaux utilisateurs RH (managers,
professionnels RH, utilisateurs du Self Service) présentent une ergonomie de
type Web, appréciée par les utilisateurs.
Des proils utilisateurs ont été mis en place ain de pouvoir gérer des droits
d’accès différentiés par utilisateur :
- Accès à une population déinie en fonction de son ou ses codes
service ;
- Accès aux informations ;
- Accès aux fonctions de l’application.
Sécurité
La sécurité est une des préoccupations majeures des concepteurs du système.
Les applications réalisées s’appuient sur la plate-forme WSSO (Web Single Sign
On) que la Mairie de Paris a mis en place dans le courant de l’année 2003. Cette

146
L’E-RH : un processus de modernisation de
la gestion des ressources humaines à la ville
de Paris.

plate-forme d’accueil des applications trois tiers centralise l’authentiication des


utilisateurs lors de l’accès aux applications intranet et implémente des proils
d’accès aux applications. L’équipement chargé d’effectuer le WSSO assure :
- L’identiication de l’utilisateur à l’aide de différentes méthodes (nom /
mot de passe, nom / mot de passe non rejouable, certiicats …) ;
- L’authentiication de l’utilisateur ;
- La vériication de l’autorisation d’accès de l’utilisateur à l’application ;
- La vériication de conformité de la requête à la politique de sécurité ;
- La transmission de la requête au frontal Web de l’application puis la
transmission de la réponse du frontal Web au client Web.
Le WSSO transmet de plus à l’application Web l’identité de l’utilisateur sous
forme d’un « login » et peut transmettre des informations relatives à un proil
utilisateur.

Au-delà des aspects techniques, les changements réellement constatés peuvent


se résumer, selon les observations réalisées à la Mairie de Paris, en quatre
points :
- Une homogénéisation des outils informatiques : Le portail ressource
humaine est le point d’entrée unique de toutes les applications de gestion
de Ressources Humaines compatibles avec le portail. Il contribue à
standardiser les processus de gestion.
- Un accroissement du libre service à trois niveaux, celui des agents,
celui des managers et celui des professionnels de la FRH : l’espace
personnel permet à chaque agent de consulter sa situation personnelle,
d’utiliser les outils du Self Service et de se constituer un espace
type « ma page » ; l’espace manager permet à chaque manager de
trouver l’ensemble des données relatives à ses équipes et de consulter
les tableaux de bord mis à disposition par sa Direction, de valider
les demandes effectuées par ses collaborateurs au travers du Self
Service, … ; l’espace professionnel permet à chaque professionnel
des RH d’accéder aux applications et aux fonctions dont il a besoin, de
consulter les bases documentaires, d’accéder à la Hot Line, d’accéder
aux fournisseurs via l’extranet si besoin.
- Un développement des outils de pilotage et des tableaux de bord pour
répondre aux contraintes de l’environnement. D’où une réorientation de
la fonction du gestionnaire qui devient « pilote » et peut anticiper.
- Une automatisation croissante de la saisie : Avec la réorganisation
du temps de travail et la mise en place des badgeuses le nombre
d’heures effectué ou le nombre de journées RTT ou de congés sont
calculés automatiquement. Ce qui contribue à un assouplissement des
tâches administratives et une valorisation des agents de la DRH qui se
consacrent à d’autres activités, à plus forte valeur ajoutée.

147
12

Toutefois à ce stade du projet, des dificultés se font jour :


- Dificulté d’utilisation dans certains services : « d’un service à l’autre
les fonctionnements ne sont pas tout à fait pareil. Il y a des endroits ou
on reste très traditionnel sur la manière dont circulent les informations.
On va utiliser beaucoup moins la messagerie et beaucoup plus la voie
hiérarchique avec papier. »
- Distance de certains dirigeants par rapport aux agents : « Il y a des
agents de maîtrise qui peuvent y trouver une certaine dé légitimation de
leur pouvoir donc ça créé du désordre. »
- Refus et incompétences chez certains agents : « Le déploiement
de l’outil dans les services déconcentrés n’est pas simple. Il y a de la
résistance, surtout au niveau des agents qui ne sont pas habitués aux
nouveaux outils car ce sont des modes de fonctionnement qui sont
bousculés. »
- Désintérêt d’un certains nombre d’acteurs à l’outil : « La résistance
peut venir aussi du top management, parce qu’on aime pas forcement
trop se soumettre aux mêmes horaires ou règles que les autres. »
- Manque de motivation pour les activités RH et l’animation des équipes
: « on développe des fonctions d’arbitrage, que ça soit entre les droits
des individus et des nécessités de continuer le service public ou que ça
soit, les arbitrages entre individus à l’intérieur d’une équipe. Toutes ces
fonctions là plus proche du management et de la gestion d’équipe dans
l’aspect humain, déstabilisent les encadrants qui ont une vision dossiers
ou technique. Par exemple il y a une direction qui dit, nos cadres ne
veulent plus s’occuper des histoires RH, ils ne veulent faire que de la
technique. C’est des ingénieurs ça les emme… profondément tous ces
trucs. »

Selon les premières évaluations, le nouveau SIRH accompagne eficacement


la modernisation de la GRH, souhaitée par la Mairie de Paris. Toutefois la «
performance » comporte plusieurs dimensions et ne se limite pas à l’eficacité
technique. Elle doit être également fonctionnelle et organisationnelle.
Haines et Petit (1997) proposent un cadre intéressant concernant le succès d’un
SIRH grâce à deux variables centrales: la satisfaction des utilisateurs (attitude
et croyance individuelles) et l’utilisation du système (comportement individuel).
Ils retiennent des variables individuelles (age, sexe, formation, caractéristiques
de tâches à accomplir, expérience professionnelle, expérience et maîtrise de
l’informatique), des variables organisationnelles (taille de l’entreprise, fonctions
de support aux utilisateurs, expérience de l’organisation en informatique) et des
variables propres au système (engagement, formation, assistance, documentation,
développement des applications, nombre d’applications, accessibilité, mise en
ligne, convivialité et utilité).
A la Mairie de Paris, sur le plan fonctionnel, le SIRH met à la disposition des
professionnels des outils d’analyse et d’aide à la décision contribuant au pilotage

148
L’E-RH : un processus de modernisation de
la gestion des ressources humaines à la ville
de Paris

des RH. Le LSRH et l’automatisation des tâches progressent, mais il y a encore


d’importantes marges de progrès.
En effet, la performance organisationnelle est insufisante. Les observations
réalisées révèlent des phénomènes de résistance au changement de la part des
salariés et des managers.
A la lumière des travaux menés en SI et en GRH sur l’impact des TIC sur la FRH,
les recommandations suivantes pourraient être faites :
- Supprimer les tâches inutiles et simpliier les autres afin d’alléger les
activités opérationnelles et les procédures de gestion.
Un analyste du travail pourrait, dans ce but :
- Décrire les méthodes de travail, les documents utilisés, les circuits de
transmission des informations, le degré d’automatisation des tâches ;
- Quantiier le temps consacré par chaque acteur aux différentes tâches
;
- Etudier la coordination et la communication entre les niveaux de
l’organisation (central, Direction, UGD) ainsi que les procédures de
contrôle.
- Communiquer auprès de l’ensemble du personnel, former les
utilisateurs et accompagner les managers en dificulté : un dialogue
doit s’instaurer avec les salariés les moins « intéressés » ain de leur
expliquer les enjeux du projet, de les rassurer sur l’importance et la
nécessité du changement. Le « club des utilisateurs » peut accroître son
rôle auprès des salariés. Il diffuse des informations et offre assistance
et formation.
Enin, des actions de formation et d’accompagnement devraient être spéciiques
aux cadres ain de les soutenir dans leur fonction d’animation des structures.

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151
12

152
Surcharge informationnelle, urgence et
TIC. L’effet temporel des technologies de
l’information.

par Henry Isaac, Eric Campoy

et Michel Kalika

Résumé
La présente recherche s’intéresse à la contribution des TIC au développement
du sentiment d’urgence dans les entreprises et à son lien avec les notions de
surcharge informationnelle et de surcharge d’activité. Si la notion de surcharge
informationnelle n’est pas nouvelle en soi, sa dimension temporelle a été
peu étudiée. La généralisation des TIC dans le travail quotidien des salariés
recompose l’espace-temps du travail. Peu de recherches ont tenté d’analyser
le niveau individuel de la surcharge informationnelle, concept qui s’est enrichi
d’une dimension communicationnelle avec les TIC. La recherche s’appuie
sur une analyse empirique longitudinale de cinq ans sur un échantillon de
plus de 12 000 salariés49. Les résultats montrent que la perception de la
surcharge d’information, de la surcharge d’activité, d’urgence est croissante
sur la période 2001-2005. De plus, ces variables sont corrélées. Un modèle
d’équations structurelles indique que la suractivité est déterminée par la
surinformation, l’urgence et, à un degré moindre, par les TIC.

La généralisation des technologies de l’information dans les entreprises (Kalika


et al., 2003 ; Kalika et al., 2006) traduit une recherche de performances accrues.
Les outils déployés dans les différentes strates de l’organisation visent à améliorer
la gestion des opérations, faciliter la communication, faciliter les décisions.
Nombreuses sont les entreprises qui remodèlent leur système d’information,
principalement en introduisant des technologies accentuant l’automatisation des
processus (ERP) et le pilotage en temps réel de l’activité (outils décisionnels,
intranets) (Kalika et al., 2006). L’introduction des TIC ne se limite pas pour autant
aux seuls processus opérationnels. Les technologies de l’information supportent
également les processus de coordination, de communication contribuant à
modiier les environnements de travail, le management et par là même la
question temporelle du travail (Boukef, 2005). Si les effets du déploiement des
TIC produisent les effets attendus, il n’en demeure pas moins que l’introduction
des technologies de l’information produit souvent des dysfonctionnements

49 Les données utilisées dans cet article sont issues de l’Observatoire Dauphine-Cegos du e-management.

153
12

multiples, au premier rang desquels igure la surcharge informationnelle. Si ce


phénomène n’est pas nouveau dans le champ du management50, il est largement
perçu par les managers. A cet égard, il est signiicatif de constater la progression
des recherches sur le sujet dans les différents champs des sciences de gestion
(Eppler et Mengis, 2004).
L’analyse de la littérature met en évidence une focalisation des travaux sur la
capacité de traitement des individus face à la surcharge informationnelle. La
question du temps pour traiter une tâche est peu abordée. Ceci nous semble
une approche insufisante dans la mesure où les TIC recomposent fortement
la question temporelle dans l’entreprise. Instantanéité, réactivité, accélération
des processus, ont des conséquences sur le temps dont dispose un salarié
pour répondre à une sollicitation, effectuer une tâche. Par conséquent, l’aspect
temporel de la surcharge informationnelle nous semble déterminant dans un
contexte de généralisation des TIC.
L’objectif de cette recherche est d’apprécier la contribution réelle des technologies
de l’information au sentiment d’urgence, de surcharge d’information, de surcharge
d’activité chez les salariés. La littérature sur la surcharge informationnelle
minimise souvent l’aspect temporel de la surcharge. En revanche, la littérature
sur l’urgence dans l’entreprise relie fortement le concept d’urgence à celui
de surcharge informationnelle, phénomène lui-même largement attribué à
l’introduction des TIC (Autissier et Lahlou, 1999 ; Eppler et Mengis, 2004 ;
Metzger et Cléach, 2004).
La première partie de cette recherche propose donc une synthèse de la littérature
sur la surcharge informationnelle et plus particulièrement des effets temporels
des technologies de l’information et le rôle de celles-ci dans l’accroissement
du phénomène de surcharge informationnelle. Dans une seconde partie, une
recherche empirique menée sur une période de 5 ans sur un échantillon de 12
737 salariés permet d’apprécier la progression de la perception de l’urgence
en entreprise, et en parallèle la progression du phénomène de surcharge
informationnelle. Le lien entre urgence, surcharge informationnelle, surcharge
d’activité et TIC est exploré à l’aide d’un modèle d’équations structurelles. Cette
recherche appelle les chercheurs et les praticiens à une rélexion accrue sur
l’intégration des TIC dans le management de l’entreprise et son impact sur les
perceptions de surcharge.

1. Surcharge informationnelle : de la volumétrie d’informations


au temps de traitement de l’information

La notion de surcharge informationnelle est envisagée dans la recherche en


management comme un concept à plusieurs dimensions : informationnelle,
communicationnelle, cognitive. La volumétrie des données à traiter est souvent

50 Les premiers travaux académiques datent du milieu des années 1970, cf. la synthèse des travaux proposées par Eppler et
Mengis, 2004

154
Surcharge informationnelle, urgence et
TIC. L’effet temporel des technologies de
l’information.

mise en avant au détriment de l’aspect délai qui est directement lié aux effets
temporels des TIC. Or, plusieurs effets temporels des TIC sont identiiables :
l’accélération de l’exécution des processus opérationnels, l’instantanéité. Aussi,
il nous semble pertinent d’examiner les effets des TIC sur le temps de traitement
de l’information et par conséquent les effets possibles sur la notion de surcharge
informationnelle au travers de la notion d’urgence.

1.1. Surcharge informationnelle


La prise en considération de la notion de surcharge informationnelle (information
overload) dans l’analyse du fonctionnement des organisations n’est pas une
nouveauté. Dès les années 1960, Meier (1963) identiie la surcharge d’informations
comme source de stress chez les employés, productrice de dysfonctionnements
opérationnels et de pertes d’eficacité.
Principalement analysée du point de vue de la théorie de la décision, la surcharge
informationnelle s’analyse comme un volume d’informations à traiter pour prendre
la meilleure décision occupe une place centrale (O’Reilly, 1980). Une première
déinition de cette notion est souvent donnée par les salariés comme le fait de
recevoir trop d’informations. Shenk (1998) parle de « brouillard informationnel »
!
De nombreux résultats (obtenus pour la plupart en laboratoire) mettent en
évidence qu’il existe un volume optimal d’informations, qui, une fois franchi,
dégrade la qualité du processus de décision (allongement du processus, qualité
de la décision). Les recherches au niveau individuel démontrent que les salariés
n’ont pas conscience du volume optimal d’informations nécessaires à une
décision, et qu’ils surestiment toujours le volume d’informations nécessaire ain
de se rassurer (O’Reilly, 1980).
Ces recherches, pour intéressantes qu’elles soient, datent d’une époque où
l’informatisation des entreprises était très en retrait par rapport à ce qu’elle est
aujourd’hui (Autissier et Lahlou, 1999). Est-il pertinent de se contenter d’une
analyse du seul point de vue de la quantité d’informations ? La notion de surcharge
informationnelle doit être enrichie. Plusieurs ensembles de travaux permettent
d’élargir le concept initial à un concept à trois dimensions.
1.1.1. La surcharge informationnelle, un concept tri-dimensionnel
Le champ académique des SI n’a pas apporté de déinition précise au concept
de surcharge informationnelle (Eppler et Mengis, 2004, p.339). La recherche
considère le fait comme acquis et comme un point de départ, problème auquel
des solutions doivent être apportées. Or, le concept nécessite d’être déini tant il
est polymorphe et ses causalités multiples.
La première dimension, la volumétrie d’information trop abondante à traiter par
un individu, un groupe, ou une organisation est sans conteste la dimension la
plus consensuelle. La seconde dimension est la capacité cognitive des individus
à traiter cette volumétrie d’informations. La troisième dimension est liée à la

155
12

surcharge de communication et principalement dans le cadre de l’entreprise, le


courrier électronique comme source de surcharge informationnelle.
1.1.2. Volumétrie d’information
La surcharge informationnelle trouve sa source dans deux phénomènes distincts
mais complémentaires. En premier lieu, l’accroissement constant du volume
d’informations à traiter (Autissier et Lahlou, 1999). L’un des aspects de la surcharge
informationnelle est le fait que les salariés estiment recevoir trop d’informations
dont ils ne perçoivent pas l’utilité dans l’exécution de leur tâche. En outre, la
surcharge informationnelle peut provenir de la piètre qualité des informations
reçues (Simpson et Prusak, 1995), amenant les salariés à consacrer davantage
de temps à rechercher l’information pertinente qui ajoutera de la valeur à leur
tâche (value added information). Il apparaît donc une dimension temporelle dans
la notion de surcharge informationnelle.
En second lieu, à volume d’information constant, le raccourcissement des
délais pour traiter ce même volume d’information est également un aspect de la
surcharge informationnelle (Assadi et Denis, 2005 ; Farhoomand et Drury, 2002
; Metzger et Cléach, 2004 ; Schick, Gordon et Haka, 1990). Cette dimension
temporelle de la surcharge informationnelle peut être liée au rôle des TIC dans
la gestion de l’information. En réduisant les temps de traitements, en accélérant
la circulation de l’information, en autorisant la disponibilité permanente, les TIC
contribuent à la surcharge informationnelle. La perception de l’urgence est donc
souvent associée chez les salariés à la surcharge informationnelle (Autissier et
Lahlou, 1999). L’accès à des informations par le biais d’Internet est également
une source d’augmentation de la volumétrie de l’information à traiter par les
salariés.
Outre le volume et le temps pour traiter l’information, la capacité de traitement
des individus est également en cause.
1.1.3. Surcharge cognitive
Pour faire face au volume d’information, mais aussi à sa complexité croissante
(multiplicité des sources, informations faiblement structurées et peu agrégées),
les individus et les organisations s’appuient sur leurs capacités cognitives qui sont
forcément limitées (Schick, Gordon et Haka, 1990). Cette capacité de traitement
est souvent nommée dans la recherche « IPC » (Information Processing
Capacity). Schik, Gordon et Haka (1990, p.204) utilisent le temps de traitement
comme mesure de l’IPC ; la capacité de traitement de l’information est donc bien
contrainte par le temps alloué par l’organisation pour exécuter les tâches qui
incombent à chaque salarié.
La généralisation des outils de traitement de l’information dans le travail quotidien
des salariés conduit ceux-ci à consacrer une part importante de leur temps à
la manutention de l’information (Vacher, 1998). Cette tâche n’est ni de la
coordination, ni du reporting, ni de l’expertise métier. Elle consiste à réceptionner
(courrier, messagerie, intranet), traiter (lecture, confrontation avec d’autres

156
Surcharge informationnelle, urgence et
TIC. L’effet temporel des technologies de
l’information.

informations, impression, photocopie, classement, tri, recherche) et formater


l’information. Autissier et Lahlou (1999) montrent que, dans l’entreprise qu’ils
étudient, les managers consacrent un tiers de leur temps en moyenne à ces
tâches de manutention de l’information et que cette tâche est concentrée en
début de journée.
Ces temps de traitements nécessitent par ailleurs des compétences particulières
ain de réduire le temps consacré à cette manutention de l’information, très
consommatrice de temps. D’où une perception d’un débordement ou une
saturation cognitive. Dans ce cas de igure, qui est un fait généralisé dans les
entreprises, la surcharge est directement liée à la notion de maîtrise du temps et
au fait que les TIC contribuent à augmenter le temps de traitement de l’information
au détriment des activités liés à l’exercice du métier.
1.1.4. Surcharge communicationnelle
Le système d’information génère donc davantage d’informations. Mais une
grande part de la surcharge d’informations provient non pas des applications
opérationnelles ou décisionnelles, mais des nouveaux moyens de communication
électroniques. En quelques années, le courrier électronique est rapidement
devenu l’un des principaux modes de communication dans l’entreprise.
La multiplication des échanges par ce canal de communication est largement
perçue comme une source de la surcharge informationnelle (Assadi et Denis,
2005 ; Helmersen, Jalalian, Moran et Norman, 2001 ; Kimble, Grimshaw et
Hildreth, 1998 ; Saintive 2000). Cependant certaines recherches montrent
(Kimble, Grimshaw et Hildreth, 1998) que le nombre excessif de courriers
électroniques ne concernent qu’un nombre restreint de salariés (0,5% des
managers interrogés reçoivent plus de 50 courriels par jour et 3% seulement et
consacrent plus de deux heures à leur traitement). Ces mêmes auteurs montrent
en revanche que 90% des salariés déclarent recevoir trop de courriels inutiles et
que ceux-ci représentent 25% des courriels reçus. Ces résultats sont largement
conirmés par les enquêtes françaises (Kalika et al., 2006).
Le traitement de ces courriels contribue à une perception de perte de temps
supplémentaire. A cette multiplication de courriels dans l’entreprise vient
s’ajouter le phénomène des pourriels (spam) qui contribuent à augmenter le
nombre de messages reçus qualiiés de non pertinents et dont le coût social
n’est pas réellement perçu (Withworth et Withworth, 2004). Cette surcharge
communicationnelle est perçue de façon plus forte encore par les salariés en
situation de télétravail et en situation de nomadisme (Saintive, 2000). Enin, le
mode de traitement des courriers électronique entrants peut lui-même avoir des
effets sur l’organisation du travail. En effet, souvent considéré par les émetteurs
comme peu perturbateur pour le récipiendaire (Assadi et Denis, 2005), l’envoi
d’un courrier électronique est peu coûteux en temps. Or, nombre de salariés
traitent leurs courriers électroniques au il de l’eau (Gupta, Sharda, Greve
et Kamath 2004), c’est-à-dire dès la réception du courrier. Ce phénomène
contribue à fragmenter le temps de travail (Assadi et Denis, 2005) et à perturber

157
12

l’organisation (notamment les réunions dans lesquelles les salariés ont accès à
leur courrier électronique).
Si le courrier électronique est une source de surcharge informationnelle, d’autres
technologies contribuent à générer un lux d’informations considérables à traiter,
comme les forums de discussion en ligne. L’interconnexion mondiale des individus
contribue à un très grand nombre d’échanges écrits sur ces forums de discussion
(Jones, Ravid et Rafaeli, 2004).
Dans l’identiication des causes de la surcharge informationnelle, les TIC
occupent donc une place de plus en plus importante même si la plupart des
recherches envisagent une variété importante de facteurs causaux, comme les
traits personnels et les capacités cognitives des individus, les caractéristiques de
l’information traitée, la caractéristique des tâches et des processus, la structure
organisationnelle (Eppler et Mengis, 2004).
Ce phénomène de surcharge est accentué par les effets de superpositions des
différents médias de communication observés. Loin d’observer une substitution
entre les médias traditionnels (réunions, communications face à face ) et les
nouveaux médias utilisant les TIC, l’on constate un effet d’empilement conforme
à la théorie du millefeuille (Kalika, 2007).
Les TIC sont donc largement perçues comme une des causes de la surcharge
informationnelle en entreprise. Plus encore, les salariés ne perçoivent pas d’avenir
meilleur mais plutôt une aggravation du phénomène (Farhoomand et Drury,
2002). Il n’en demeure pas moins que, si les TIC constituent très certainement
une des causes identiiables et de l’accroissement des volumes d’informations
générées et échangées et d’une réduction des temps de traitement accordés aux
salariés, elles sont également souvent envisagées comme un moyen de réduire
ce problème (Edmunds et Morris, 2000). De très nombreuses recherches tentent
d’apporter une solution technique au problème de la surcharge informationnelle
dans l’entreprise (cf. Eppler et Mengis, 2004, tableau 5, p.336) par des systèmes
d’agents intelligents utilisés pour prioriser l’information, trier celles-ci (Schick,
Gordon et Haka, 1990), réduire le volume d’information à traiter (notamment
grâce au SIAD). C’est pourquoi il apparaît nécessaire de clariier les effets
temporels des TIC ain de mieux appréhender leur contribution à la modiication
de la surcharge informationnelle.

1.2. Effets temporels des TIC dans l’organisation

1.2.1. Accélération des processus opérationnels (automatisation)


L’accélération du temps dans l’entreprise n’est pas en soi une nouveauté. La
taylorisation des tâches est une des premières manifestations de la volonté de
maîtrise du temps de production et d’accélération des cadences de production.
La généralisation de l’utilisation des TIC dans les entreprises a cependant
conduit à accélérer d’autres processus que ceux de production. Les phases de
conception des produits ont été considérablement raccourcies. Une notion rend

158
Surcharge informationnelle, urgence et
TIC. L’effet temporel des technologies de
l’information.

bien compte de cette idée : la notion de temps de mise sur le marché d’un produit
(Smith et Reinertsen, 1998), qui mesure le délai entre la phase de conception
d’un produit et sa date de mise sur le marché (time to market). Les outils de
conception numérique (Computer Aid Design, CAD), le recours aux maquettes
numériques, aux bases de données de composant et matériaux, les plates-formes
collaboratives de conception entre fournisseurs et donneurs d’ordre ont contribué
à réduire les délais de conceptions. Plus récemment, le développement de suites
applicatives de type PLM (Product Life Cycle Management), ain d’améliorer la
maîtrise des différentes phases de vie d’un produit témoigne bien de la volonté
d’une maîtrise accrue du temps et de la réduction des délais de conception et de
production.
Le développement des progiciels de gestion au cours des quinze dernières
années a également contribué à automatiser des pans entiers de processus
administratifs dans les entreprises accélérant le traitement de l’information dans
l’entreprise.
1.2.2. Disponibilité de l’information et instantanéité (temps réel)
L’accélération des processus opérationnels dans l’entreprise est également
permise par la disponibilité de l’information qui est disponible et accessible de
façon plus aisée grâce aux TIC. A cet égard, le développement des intranets
et des outils de travail collaboratifs facilitent le partage et la communication
d’informations qui deviennent immédiatement accessibles pour les salariés où
qu’il se situent (Metzger et Cléach, 2004). La disponibilité devient même une
caractéristique de certaines technologies comme les messageries instantanées
qui indiquent l’état de disponibilité de la personne au moment où l’interlocuteur
cherche à entrer en contact avec elle. Il en va de même avec le développement
des relations d’affaires électroniques (e-business) entre les entreprises leurs
fournisseurs et leurs clients. L’entreprise doit être disponible sur des plages
horaires plus longues (voir en permanence) et n’offrir des interruptions de service
très limitées à ses clients.
Accélération des processus, instantanéité des interactions, la maîtrise du temps
dans l’entreprise devient un déi pour les individus. Et il n’est pas certain que les
outils favorisent une meilleure maîtrise du temps au niveau individuel.
Maîtrise personnel du temps
Les effets temporels au niveau individuel dans l’entreprise ne sont pas
unidirectionnels. Disponibilité permanente, maîtrise de l’agenda, « joignabilité »,
temps privé, temps de travail, les effets temporels des TIC sont en effet multiples
pour les salariés. On assiste sous l’effet des TIC, à une réelle recomposition du
rapport au temps dans l’entreprise.
Partage de l’agenda et maîtrise de la planiication du temps
L’introduction des outils de travail collaboratif dans les entreprises a été l’occasion
d’introduire des calendriers électroniques partagés (Group Calendar Systems, ou

159
12

Electronic Calendar Systems). Chaque employé accède grâce à un tel système


au calendrier de chaque employé de l’entreprise. Il est ainsi plus aisé de trouver
des plages horaires compatibles et donc d’améliorer la coordination de l’activité
(van den Hooff, 2004). Cependant, la publication du calendrier individuel est
perçue comme une publication de données personnelles par certains salariés les
exposant aux jugements des pairs sur leur allocation temporelle et leur activité.
Des comportements de protection de l’espace temporel sont alors visibles :
certains salariés remplissent leur calendrier avec des rendez-vous ictifs pour
préserver « leur » temps de travail (Lee, 2003). Lee (2003) montre que les
salariés subalternes sont moins nombreux à intervenir sur le calendrier de leur
supérieur que l’inverse, l’espace temporel des cadres dirigeants étant « protégé
». Par conséquent, l’utilisation du calendrier électronique entraîne une moindre
maîtrise de son temps de travail pour certains salariés.
Joignabilité accrue
Le développement des technologies mobiles a développé des pratiques de
travail déconnecté du lieu de travail habituel et dans des espaces temporels
nouveaux (Isaac, 2006). Le fait d’être joignable en tout lieu et à tout moment
grâce au téléphone portable conduit certaines entreprises à exiger une
disponibilité permanente de leurs salariés, entraînant souvent un sentiment de
« laisse électronique » chez ces salariés. On assiste ici à une généralisation de
la notion d’astreinte jusqu’alors réservée à certaines catégories de personnels.
La maîtrise des temps personnels devient plus délicate pour nombre de salariés.
Cette astreinte conduit à une recomposition des temps sociaux.
Enchevêtrement des temps sociaux (ubiquité)
Le développement rapide des technologies de téléphonie mobile, l’arrivée à
maturité des technologies réseaux sans-il (Wi-i), le développement de l’accès
haut débit à domicile facilitent le travail en dehors du lieu de travail. La frontière
entre la vie privée et la vie professionnelle devient chaque jour plus loue pour de
très nombreux salariés (Isaac, Kalika, 2001). L’intrusion de la vie professionnelle
constitue donc une perturbation du temps personnel qui est parfois interrompu par
des sollicitations professionnelles. Il faut toutefois noter que plus qu’une invasion
de la vie personnelle par la vie professionnelle, on assiste à un enchevêtrement
des différents temps sociaux. De nombreux salariés utilisent leur temps
professionnel pour régler des affaires privées grâce à une connexion constante
avec leurs liens personnels grâce aux outils de communication électroniques
(messagerie instantanée, courrier électronique, SMS, téléphone mobile). Cet
enchevêtrement des temps sociaux constitue toutefois un facteur aggravant de
l’urgence dans la mesure où les individus, joignables, se doivent souvent de
répondre aux sollicitations de leur entreprise, des clients quel que soit le moment
où ils sont joints (Metzger et Cléach, 2004).

160
Surcharge informationnelle, urgence et
TIC. L’effet temporel des technologies de
l’information.

Développement de la polychronie
Travailler chez soi en alternant tâches de la vie familiale et tâches professionnelles
est une forme de polychronie. Dans un même temps, l’individu est dans deux
mondes cognitifs différents. Les TIC ont fortement contribué au développement
de ce phénomène qui s’ampliie aujourd’hui au sein même de l’entreprise avec
les TIC mobiles. En effet, de nombreux salariés assistent à des réunions tout en
étant connecté grâce à leurs outils mobiles au réseau de l’entreprise et effectuent
simultanément plusieurs tâches au même moment.
Maximisation du temps (la in des « temps morts »)
L’examen des pratiques de travail des managers nomades met en évidence que
ceux-ci maximisent l’utilisation de leur temps quotidien (Isaac, 2006 ; Isaac et
Besseyre des Horts, 2007). Grâce aux technologies mobiles, ceux-ci proitent
des « temps morts » (attente, transport, embouteillage) pour traiter leur courrier
électronique, lire des documents électroniques, communiquer avec leurs
collaborateurs. De façon plus globale, cette chasse aux temps morts s’inscrit dans
des logiques d’intensiication du travail (Queinnec, Barthe et Verdier, 2000).
Il est donc indiscutable que les TIC génèrent des effets temporels sur le management
de l’entreprise (conception, production, gestion) et plus particulièrement un
sentiment d’urgence permanente (Jauréguiberry, 1998) chez les salariés lié à la
vitesse accrue des processus et de l’information, la disponibilité permanente, la
nécessité de réactivité. Ces effets temporels contribuent à accroître la surcharge
informationnelle parce que les technologies de l’information contribuent fortement
à la réduction des temps dont disposent les salariés pour traitement une tâche.
Cette compression temporelle génère un sentiment d’urgence permanent dans
de nombreuses organisations.

1.3. Urgence, TIC, surcharge informationnelle


L’analyse des effets temporels des TIC et l’analyse du phénomène de la
surcharge informationnelle montre bien le lien que les TIC constituent entre ces
deux notions. Longtemps focalisée sur la dimension « volume d’information »,
l’analyse de la surcharge doit intégrer la dimension temporelle compte tenu du
rôle croissant des TIC dans le management de l’entreprises. Un ensemble de
travaux de recherche accorde TIC un rôle exacerbant dans l’émergence d’une
situation généralisée d’urgence (Aubert,1998, 1999, 2000, 2005 ; Jauréguiberry,
2003a,b, 2004, 2005) que notre analyse a détaillé.
Par conséquent, le modèle que nous proposons vise à éclairer le rôle particulier
des technologies de l’information sur la surcharge informationnelle et plus
particulièrement sur leur rôle « aggravant » dans la réduction des temps de
traitement (compression du temps), des temps de réponse (réactivité), la
disponibilité permanente (l’ubiquité), la maximisation du temps (in des temps
morts). La notion d’urgence permet de rendre visible la dimension temporelle de
la surcharge. Selon Jauréguiberry (2003), « l’urgence naît toujours d’une double

161
12

prise de conscience : d’une part, qu’un pan incontournable de la réalité relève


d’un scénario aux conséquences dramatiques ou inacceptables et, d’autre part,
que seule une action d’une exceptionnelle rapidité peut empêcher le scénario
d’aller à son terme ».
Le modèle intègre donc les trois dimensions de la surcharge informationnelle
(volumétrie, communicationnelle, cognitive), les effets temporels (l’urgence),
et des variables modératices comme les caractéristiques des individus et des
caractéristiques organisationnelles (Figure 1).

De cette revue de littérature, et à partir de ce modèle, nous formulons les


hypothèses suivantes :
H1 : La surcharge informationnelle est inluencée positivement par les TIC.
H2 : L’urgence perçue est inluencée positivement par les TIC.
H3 : La surcharge d’activité est inluencée positivement par les TIC.
H4 : La surcharge informationnelle et l’urgence perçue sont corrélée
positivement.
H5 : La surcharge d’activité est inluencée positivement par la surcharge
informationnelle.
H6 : La surcharge d’activité est inluencée positivement par l’urgence perçue.
L’inluence du contexte de l’entreprise (taille, secteurs), du contexte organisationnel
(niveau hiérarchique, éventail de subordination, activité internationale), du
contexte individuel (âge, sexe, formation) n’est envisagée qu’à titre exploratoire.

2. Recherche empirique

2.1. Méthodologie
Les données ont été collectées auprès de salariés en formation au sein de la
Cegos dans le cadre de l’Observatoire Dauphine-Cegos du e-management.

162
Surcharge informationnelle, urgence et
TIC. L’effet temporel des technologies de
l’information.

Les questionnaires ont été remplis par les salariés à la in des séminaires de
formation. Les items proposés étaient associés à des échelles en 7 points allant
de « pas du tout d’accord » à « tout à fait d’accord » complétées de la modalité «
non concernée ». Les enquêtes ont été réalisées au printemps de chaque année
de 2001 à 2005.
2.1.1. Présentation de l’échantillon

Tableau 1 : Effectifs interrogés

2001 2002 2003 2004 2005 Total


2 929 2 563 2 889 1 358 2 998 12 737

Tableau 2 : Secteurs des entreprises auxquels appartiennent les salariés


interrogés

Tableau 3 : Taille des entreprises auxquels appartiennent les salariés

< 50 51-500 501-5000 50001-10000 > 10000


768 4 289 3 830 718 3 131
6,0% 33,7% 30,1% 5,6% 24,6%

L’échantillon a été redressé par rapport à deux variables de nature démographique


dont l’inluence sur les réponses a été observée, la taille de l’entreprise et le
secteur auquel les salariés appartiennent.
2.1.2. Mesure des concepts
Le questionnaire précisait en titre « Observatoire Dauphine Cegos du e-
management : Comment vivez-vous l’introduction des technologies de l’information
& de la communication ? » et comportait 70 questions d’identiication, d’usage des
TIC et d’opinion. Les items suivants étaient associés à la phrase d’introduction
suivante « Du fait de l’introduction des nouvelles technologies : …. ».

163
12

Tableau 4 : Concepts, items et références

Perception Items Références dans la


littérature justiiant les
items
Je dois prendre des Aubert (2004)
décisions dans un laps de
temps plus court
De l’urgence Je reçois plus Assadi et Denis (2005)
fréquemment des
informations nécessitant
une réponse immédiate
Je reçois trop de courriers Assadi et Denis (2005)
électroniques que je n’ai Kimble, Grimshaw et
pas le temps de traiter Hildreth (1998)
Helmersen, Jalalian, Moran
et Norman (2001)
De la surcharge Metzger et Cléach (2004)
communicationnelle
Je reçois trop de courriers Kimble, Grimshaw et
électroniques inutiles ne Hildreth (1998)
me concernant pas Saintive (2000)
Helmersen, Jalalian, Moran
et Norman (2001)
Je traite un volume Assadi et Denis (2005)
De la surcharge d’informations plus Helmersen, Jalalian, Moran
informationnelle important et Norman (2001)
Autissier et Lahlou (1999)
Je passe davantage Helmersen, Jalalian, Moran
De la surcharge
de temps à classer et Norman (2001)
cognitive
l’information Autissier et Lahlou (1999)
Je travaille plus souvent Assadi et Denis (2005)
sur mon temps personnel Metzger et Cléach (2004)
en dehors des horaires de
De la suractivité travail
Je traite plus de dossiers Hovmark et Thomson
qu’auparavant (1995)

164
Surcharge informationnelle, urgence et
TIC. L’effet temporel des technologies de
l’information.

2.2. Résultats

2.2.1. Evolution de la perception sur 5 ans.

Tableau 5 : Pourcentages d’accord avec les items (modalités > 3/7)51

2001 2002 2003 2004 2005 Moyenne

Je dois prendre des


décisions dans un
65,5% 67,4% 67,1% 70,4% 70,9% 68,1%
laps de temps plus
court
Urgence Je reçois plus
fréquemment
des informations 81,3% ND ND ND ND 81,3%
nécessitant une
réponse immédiate
Je reçois trop
de courriers
électroniques que je 37,7% 39,4% 42,4% 49,2% 50,2% 43,4%
n’ai pas le temps de
Surcharge traiter
communicationnelle Je reçois trop
de courriers
électroniques 39,8% 42,3% ND ND ND 41,0%
inutiles ne me
concernant pas
Je traite un volume
Surcharge d’informations plus 71,7% 70,8% 74,4% 77,4% 79,3% 74,6%
informationnelle important

Je passe davantage
Surcharge cognitive de temps à classer 42,9% 47,4% 49,6% 58,3% 57,2% 50,5%
l’information
Je travaille plus
souvent sur mon
temps personnel en 32,2% 36,8% 40,7% 43,5% 44,6% 39,2%
dehors des horaires
Surcharge d’activité de travail
Je traite plus
de dossiers ND 49,8% 55,6% 59,8% 61,0% 56,4%
qu’auparavant

L’observation des résultats moyens sur 5 années et de leur évolution appelle les
commentaires suivants sur les effets des TIC:
- L’urgence perçue par les salariés au travers de l’exigence de prendre
des décisions dans un laps de temps plus court est ressentie en
moyenne par un pourcentage très élevé des salariés (68,1%). Il faut en
outre noter que cette perception est croissante sur les cinq années et
passe de 65,5% à près de 71%. L’exige d’instantanéité dans la réponse

51 ND : non disponible, question non posée cette année-là. % calculés excluant les non-réponses.

165
12

était perçue par plus de 81% de la population interrogée en 2001.


- La surcharge communicationnelle appréhendée au travers de la
perception d’un nombre trop important de messages reçus est perçue
par environ 40% de l’échantillon. Sur 5 ans la perception d’un nombre
trop grand de courriels reçus passe de 37,7% à 50,2%.
- La surcharge informationnelle, c’est-à-dire, le volume trop important
d’informations à traiter est ressenti par les ¾ de la population
interrogée(74,6%). Cette proportion est croissante sur les 5ans.
- La surcharge cognitive, estimée au travers du temps requis pour
classer l’information, augmente et passe de 43% en 2001 à 57% en
2005.
- La surcharge d’activité concerne près de 40% de la population pour
ce qui est de l’empiètement du temps de travail sur la vie personnel et
de plus de 56% pour le volume de dossiers traités. Cette perception de
surcharge d’activité est, elle aussi, croissante avec le temps.
2.2.2. Les relations entre perceptions

La construction d’indices
Nous n’avons retenu que les variables disponibles sur 2001-2005. Un indice de
surinformation a été construit par addition des réponses aux items surcharges
communicationnelle, informationnelle, cognitive. Un indice de suractivité a été
constitué de la même façon à partir des items portant sur le travail hors de
l’entreprise (débordement) et sur le volume de dossier à traiter.
Pour les TIC nous avons créé deux indices par sommation :
- TIC équipement & usage :
> d’équipement : ordinateur au domicile, portable,
> de connexion : accès à internet au travail, au domicile,
> d’applications disponibles : intranet, ERP, agenda partagé,
agenda électronique,
> d’usage : nombre de courriels reçus par jour.
- TIC expérience d’utilisation :
> durée d’utilisation des TIC.

166
Surcharge informationnelle, urgence et
TIC. L’effet temporel des technologies de
l’information.

Les corrélations entre perceptions

Tableau 6 : Corrélations

Variables 1 2 3 4 5
1. TIC équipement et 1
usage
2.TIC expérience 0,315 1
3. Surinformation 0,256 0,168 1
4. Urgence 0,132 0,104 0,272 1
5. Suractivité 0,282 0,124 0,412 0,336 1
Toutes les corrélations sont signiicatives (p < 0,01)

Les corrélations entre les cinq indices sont toutes positives et signiicatives. Les
corrélations les plus fortes sont entre surinformation et suractivité (.412), urgence
et suractivité (.336).
2.2.3. Les déterminants de la suractivité
L’ensemble des hypothèses ont été testées simultanément à l’aide d’un modèle
d’équations structurelles (igure 2). Ce modèle présente un très bon degré
d’ajustement aux données, quel que soit l’indice d’ajustement considéré (Roussel
et alii., 2002) : = 8489 [ddl0 = 36] ; = 235 [ddl1 = 17] ; NFI = 0,972 ; CFI = 0,974
; GFI = 0,989 ; AGFI = 0,974 ; RMSEA (90%) = 0,044 (0,039-0,049).
Figure 2 : Modèle testé

Tous les coeficients sont signiicatifs pour p < 0,01.

Le bon degré d’ajustement du modèle aux données permet de conclure que les
hypothèses posées sufisent à bien rendre compte de la réalité mesurée par les
données. Le fait que l’ensemble des coeficients structurels sont statistiquement
signiicatifs permet de conclure que toutes les hypothèses sont validées.
Les résultats montrent plus précisément que :
- la surinformation est inluencée directement par les TIC, plus fortement

167
12

par l’équipement / usage (0,532) que par l’expérience (0,370) ;


- l’urgence est inluencée directement par les TIC plus fortement par
l’expérience (0,535) que par l’équipement / usage (0,435) ;
- surinformation et urgence sont corrélées positivement (0,249) ;
- la suractivité est inluencée directement par la surinformation (0,357)
et surtout par l’urgence (0,613) ;
- L’inluence des TIC sur la suractivité est partiellement médiatisée par
la surinformation et l’urgence, puisqu’il subsiste une inluence directe,
assez faible mais signiicative, de l’équipement / usage (0,138) et de
l’expérience (0,128) sur la suractivité.
2.2.4. Analyse des perceptions d’urgence, de surcharge
informationnelle et d’activité par rapport au contexte
De façon à réduire les données, une analyse en composantes principales sur
les 6 variables disponibles quatre années (2002-2005) a permis d’identiier un
facteur traduisant un axe croissant d’urgence, de surcharge informationnelle et
d’activité.
Les scores moyens sur cet axe ont été calculés par rapport aux caractéristiques
suivantes :
- de l’entreprise : secteur, taille ;
- du salarié : age, sexe, formation ;
- du poste de travail : niveau hiérarchique, nombre de collaborateurs,
activité international.
Les résultats sont résumés dans le tableau 7.

168
Surcharge informationnelle, urgence et
TIC. L’effet temporel des technologies de
l’information.

Tableau 7 : Perception de l’urgence, de la surcharge informationnelle et d’activité

Critères Résultats
ENTREPRISE
La perception de l’urgence, de la surcharge
informationnelle et d’activité est particulièrement élevée
Secteurs
dans les télécoms et dans les services informatiques, très
faible dans le BTP, les services aux particuliers
La perception de l’urgence, de la surcharge
Taille informationnelle et d’activité augmente avec la taille de
l’entreprise
SALARIE
La perception de l’urgence, de la surcharge
Formation informationnelle et d’activité augmente avec le niveau de
formation
La perception de l’urgence, de la surcharge
Sexe informationnelle et d’activité est plus élevée chez les
hommes
La perception de l’urgence, de la surcharge
Age
informationnelle et d’activité augmente avec l’âge
POSTE DE TRAVAIL
La perception de l’urgence, de la surcharge
Niveau
informationnelle et d’activité augmente avec le niveau
hiérarchique
hiérarchique
La perception de l’urgence, de la surcharge
Eventail de
informationnelle et d’activité augmente avec l’éventail de
subordination
subordination
La perception de l’urgence, de la surcharge
Travail à
informationnelle et d’activité est plus forte pour les
l’international
salariés qui travaillent à l’international

Cette recherche a mis en évidence les effets temporels à l’œuvre dans la


surcharge informationnelle, la surcharge d’activité. Loin d’être un épiphénomène,
ces surcharges sont perçues par un nombre croissant de salariés chaque année
comme en attestent les données empiriques. Plus encore, cette recherche
a permis de relier conceptuellement les notions d’urgence et de surcharge
informationnelle, de suractivité grâce à la prise en compte des effets temporels des
TIC. Ces quatre dimensions apparaissent comme étant corrélées positivement.
De plus, la surcharge informationnelle, l’urgence et, à un degré moindre, les TIC
apparaissent comme des déterminants de la surcharge d’activité.
Le contexte de l’entreprise, du salarié, du poste de travail différencient
signiicativement les résultats de perception en matière d’urgence, de surcharge
informationnelle et d’activité.

169
12

Cette recherche porte sur la perception individuelle des salariés de la surcharge


informationnelle. En isolant le rôle des TIC nous avons négligé un certain nombre
variables organisationnelles (nature de la tâche, structure de l’organisation,
nature des processus en jeu) dont plusieurs recherches précédentes montrent le
rôle dans les situations de surcharge informationnelles. Cette première recherche
devrait s’enrichir dans le futur de plusieurs études qualitatives qui se focalisent
en premier lieu sur le niveau de groupes (les équipes projet, par exemple, dans
lesquelles la maîtrise du temps (gestion des délais) occupe une place centrale), en
deuxième lieu sur des contextes structurels différents (centralisés/décentralisés),
et en troisième lieu sur les situations de télétravail et de nomadisme.

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172
Vers des nouveaux types de réseaux sur
Internet ? Les réseaux à liens faibles du
dirigeant de petite entreprise.

par Bernard Fallery et Carole Marti

Résumé
Nous présentons trois études de cas qui illustrent les nouveaux réseaux à la
disposition du dirigeant de petite entreprise : importance des signaux faibles
dans des clubs de dirigeants, utilisation d’Internet pour dé-problématiser
la relation entre l’expert comptable et le dirigeant, partage et réutilisation
de connaissances entre artisans via une base d’expériences « en ligne
». Aujourd’hui le dirigeant de PE peut disposer sur Internet de nouvelles
sources informationnelles, pour construire un réseau relationnel innovant «
à lien faible ».
Abstract
We present three case studies which illustrate the new networks at the
disposal of the leader of small company: importance of the weak links in
club of leaders, use of Internet for « dé-problématiser » the relation between
the accountant and the leader, share and re-use of knowledge between
craftsmen via a base of experiments “on line”. Today the leader of small
company can have on Internet news informational sources, to build a
network relational innovating “with weak link”.

Comparativement aux grandes entreprises, les petites entreprises (PE) n’ont


certes pas les mêmes moyens, en termes de temps ou de ressources inancières,
pour accéder à l’information. Aujourd’hui pourtant, le dirigeant de PE dispose lui
aussi de sources informationnelles grâce aux TIC, et un des moyens les plus «
évidents » pour disposer d’informations pertinentes est devenu de passer par ces
nouveaux réseaux.

Dans les PE les réseaux sociaux ou institutionnels sont traditionnellement


des réseaux personnels à liens forts (l’expert-comptable, le banquier, les
fournisseurs…), mais certains réseaux plus purement informationnels (les stages
de formation, les salons professionnels, l’accueil de stagiaires…) permettent la
détection des indispensables signaux faibles. Comme dans une PE le rôle du
dirigeant est déterminant sinon quasi exclusif dans ce processus, il est justement
très important qu’il puisse s’approprier lui-même les outils qui lui permettront de
mieux jouer son rôle d’interface : l’avantage concurrentiel peut alors venir, non
pas de la créativité d’un seul individu, mais de la capacité à construire un réseau

173
12

relationnel innovant « à liens faibles ». La capacité à innover semble en effet


d’autant plus importante que les idées se diffusent via ces liens faibles (Ruef
2002) : les relations sociales entre des individus différents favorisent en effet
l’adaptabilité à des situations nouvelles, puisque l’information sur de nouvelles
opportunités y est plus facilement accessible. L’étude de Julien et al. (2002),
concernant le comportement innovant des PE, montre d’ailleurs que les irmes
les plus innovantes sont celles qui recourent le plus volontiers à ces liens
faibles. La présence au sein d’un ensemble social d’une alternance de liens forts
(réseaux dans lesquels les individus ont des relations régulières et fortes) et de
liens faibles (réseaux dans lesquels les individus ont peu d’interactions) induit en
effet les « trous structuraux » nécessaires à de nouvelles dynamiques sociales et
à de nouvelles stratégies.

Quelles sont aujourd’hui les opportunités qu’offre Internet dans la construction de


nouveaux réseaux à liens faibles pour l’information et le partage ? Pour répondre
à ces questions nous feront le point dans une première partie sur ces concepts de
liens forts et liens faibles à la suite de Granovetter (2000), Ruef (2002), Dibiaggio
et Ferrary (2003), Burt (1992; 1995), et plus particulièrement dans le domaine
de l’entrepreneuriat à la suite de Julien et al. (2002), Janissek-Muniz et Lesca
(2003), Cochoy (2003).

Dans une seconde partie, nous illustrons ces opportunités par trois études de cas
: des réseaux à liens faibles « en face-à-face » au sein de clubs de dirigeants,
étude développée par P. Baillette (2000; 2002), d’éventuels réseaux « par Internet
» entre l’expert-comptable et la PE, étude menée par P. Chapellier (1994; 2003;
2004), enin des réseaux à liens faibles « sur Internet » entre des artisans qui
peuvent aujourd’hui y partager leurs expériences, étude conduite par C. Marti
(2005).

1. Liens forts, liens faibles

1.1. Liens forts, liens faibles : un apport pour l’analyse des


réseaux
Granovetter (1985; 2000) déinit les réseaux à liens faibles comme ceux avec
lesquels les individus ont peu d’interactions dans le temps, une faible intensité
émotionnelle, peu de coniance et peu de services réciproques. Les réseaux à
liens faibles sont en fait constitués de sources moins fréquentées, à l’inverse de
ceux à liens forts.

Par le biais de l’analyse des réseaux sociaux, Granovetter (2000) montre que
les interactions interindividuelles se traduisent par des phénomènes collectifs qui

174
Vers des nouveaux types de réseaux sur
Internet ? Les réseaux à liens faibles du
dirigeant de petite entreprise.

rétroagissent, de manière symétrique, sur les individus et les petits groupes. Au


cœur de cette analyse se trouve la notion de « lien interpersonnel » :
« lien dont la force est une combinaison (probablement linaire) de la quantité
de temps, de l’intensité émotionnelle, de l’intimité (la coniance mutuelle) et des
services réciproques qui caractérisent ce lien » (Granovetter 2000, p. 46-47).
En fonction de l’intensité de la relation, le lien sera qualiié de fort, faible ou
absent, et l’intensité des liens modiie la propension des agents à innover (Ruef
2002).
Les liens forts autour d’un individu forment un réseau dense, et les liens faibles
un réseau lâche. Les liens forts sont sources de coniance et procurent une
certaine sécurité, alors que les liens faibles donnent accès aux informations
disponibles en dehors des cercles sociaux familiers (Granovetter 1985). Les
liens forts sont des liens interactifs (Leonard-Barton and Sinha 1993) et seraient
nécessaires pour l’échange de connaissances complexes, dificiles à codiier et
souvent intégrées à un système de connaissances structurées (Hansen 1999).
Dès 1973, Granovetter soutient un résultat contre intuitif, selon lequel l’eficacité
informationnelle (la vitesse et la richesse de l’information diffusée dans l’ensemble
d’un réseau) est en fait supérieure dans les réseaux à liens faibles car :
« les individus avec qui on est faiblement lié ont plus de chances d’évoluer dans
des cercles différents, et ils ont donc accès à des informations différentes de
celles que l’on reçoit » (Granovetter 2000, p. 62).
Autrement dit, l’existence de liens faibles entre agents, c’est-à-dire de relations
relativement peu fréquentes, est déterminante dans la dynamique de circulation
de l’information dans les réseaux sociaux. L’absence de liens forts entre deux
groupes constitue même ce que Burt (1992) appelle un « trou structurel ». Le
« pont », c’est-à-dire alors le lien faible entre deux groupes autonomes, est
fortement valorisable en ce qu’il est générateur de variété informationnelle dans
chaque groupe. Plus ces trous structuraux et ces ponts dans un réseau sont
nombreux, et plus les bénéices informationnels du réseau seraient importants.

La création de liens faibles est loin d’être mécanique et elle est rarement le fruit du
hasard. Elle repose souvent sur l’activation de ce que Dibiaggio et Ferrary (2003)
appellent les « liens virtuels », au sens de liens « potentiels » entre différents
groupes ou communautés. Les auteurs déinissent ces liens comme des liens
entre agents encastrés dans des structures sociales favorisant leur rencontre,
tels les communautés ethniques, les associations culturelles ou sportives, ou
les réseaux d’anciens étudiants ou de grandes entreprises. L’appartenance d’un
individu à une association professionnelle lui confère ainsi des liens sociaux «
potentiels ». En devenant membre d’une association un individu acquiert un
capital social virtuel, et il a potentiellement accès à tous les membres de la
communauté sans pour autant connaître chacun d’eux de manière personnelle. Il
y a un lien potentiel entre tous les membres de la communauté, qui peut alors se
concrétiser quand les acteurs le souhaitent (Ferrary and Pesqueux 2004). Pour
Dibiaggio et Ferrary (2003), cette activation repose sur trois conditions:

175
12

- La présence de deux groupes indépendants, dont la relation est


source de bénéices potentiels ;
- L’existence d’un acteur tirant bénéice de ce lien. La création d’un
pont entre deux groupes autonomes est souvent l’œuvre d’un tiers qui
reconnaît le bénéice potentiel d’un trou structurel, et est donc incité
à activer ce lien (Burt 1992). Ainsi, certains liens faibles, pourtant
potentiellement valorisables, pourront rester inactivés si aucun acteur
n’y trouve d’intérêt.
- La troisième condition réside dans l’encastrement social des acteurs,
rendant l’activation des liens non aléatoire. L’appartenance à un réseau
social confère un capital social potentiel à ses membres, constitué par
un ensemble de liens virtuels. Le fait d’appartenir à une communauté
éthique, religieuse, d’être membre d’un réseau d’anciens, d’une grande
école permet d’intégrer des communautés virtuelles et procure un
potentiel de création de liens jusqu’alors inexistants. Ces liens virtuels
peuvent être activés « en cas de nécessité ». Les institutions (universités,
églises, entreprises, associations, partis politiques…) jouent un rôle
essentiel dans la dynamique d’interactions sociales de création de liens
faibles.

1.2. Liens forts, liens faibles : un apport pour l’entrepreneuriat


Cette problématique est prégnante dans le contexte de la PE. Comme le
soulignent Julien et al. (2002), compte tenu de leurs ressources limitées, les
PME doivent recourir à différents réseaux ain d’obtenir une information
riche. Le rôle de ces réseaux est d’aider ces entreprises à proiter de sources
informationnelles diverses. Les auteurs rappellent que dans les PME les
réseaux sont essentiellement des réseaux personnels et d’affaires qui sont le
plus souvent des réseaux forts (Clients, Fournisseurs…). Mais certains réseaux
plus purement informationnels, qui peuvent comprendre aussi bien des réseaux
sociaux qu’institutionnels, servent alors à compléter les informations provenant
des réseaux personnels et d’affaires.

Comme dans une petite entreprise le rôle du dirigeant est déterminant sinon quasi
exclusif dans le processus de veille, il est justement très important qu’il puisse
s’approprier les outils qui lui permettront de mieux jouer son rôle d’interface :
l’avantage concurrentiel peut alors venir, non pas uniquement de sa créativité
personnelle, mais de sa capacité à construire un réseau relationnel innovant
« à liens faibles » (Julien, Andriambeloson et al. 2002). Par opposition aux
traditionnels réseaux à liens forts (que constitue par exemple l’expert-comptable,
le banquier, les fournisseurs, les clients, la Chambre de Métiers... ) ces réseaux
à liens faibles sont sociologiquement plus éloignés du dirigeant. Néanmoins, ils
peuvent justement favoriser le repérage des signaux faibles que préconisent
Janissek-Muniz et Lesca (2003), ain d’aider l’ensemble de l’entreprise à

176
Vers des nouveaux types de réseaux sur
Internet ? Les réseaux à liens faibles du
dirigeant de petite entreprise.

apprendre de façon permanente. De nombreux moyens « traditionnels » existent


pour construire ces réseaux à liens faibles (les stages de formation, les clubs de
dirigeants, les salons professionnels, la veille sur Internet, l’accueil de stagiaires,
les expositions, le parrainage de seniors…).

Internet peut permettre aujourd’hui de décupler les capacités des petites


entreprises, pour autant qu’elles sachent en proiter. Pour Granovetter (1973) ce
sont bien les réseaux dans lesquels les acteurs sont encastrés qui vont déterminer
les comportements individuels et le rendement de leurs échanges économiques,
et Internet permettrait par exemple à presque toutes les petites entreprises de
tisser des liens à l’international.
Cochoy (2003), dans un numéro de la revue « Réseaux » entièrement consacré
aux TIC dans le cadre des petites entreprises, arrive à la conclusion suivante :
« Au travers des récits recueillis, on constate la réalisation de petites expériences
et l’engagement d’apprentissages progressifs ; on observe chez les acteurs
l’afirmation d’une remarquable capacité d’appropriation des outils et l’avènement
d’une étonnante conscience rélexive de leurs potentialités (...) Internet permet
aux petits acteurs, pour la première fois peut-être, d’être visibles sur le marché
international sans devoir assumer des coûts de publicité hors de portée pour eux
; Internet leur donne l’occasion de mobiliser gratuitement des informations sur
le marché international sans avoir à se découvrir ; Internet leur fournit enin les
moyens de préserver d’anciennes relations et/ou de nouer de nouveaux contacts
» (Cochoy 2003, p. 143).

Ces nouveaux points de vue concernant la capacité d’innovation des petites


entreprises sont dus en partie aux progrès réalisés dans son évaluation, et au
fait que l’environnement économique et social a changé avec les évolutions
technologiques, l’obsolescence et la mondialisation : nous serions dans une ère
de « jeunes » entreprises (Jovanovic 2001). Mais un certain nombre d’explications
théoriques ont aussi émergé pour expliquer les avantages des PE en matière
d’innovation dans certains secteurs technologiques : l’absence de contraintes
bureaucratiques, les nombreuses « petites » innovations trop modestes pour
intéresser les grandes entreprises, les stratégies de saisie des opportunités,
les innovations souvent commerciales et incrémentales, des proximités
professionnelles et/ou communautaires, les externalités informationnelles au
sein des réseaux, les systèmes productifs locaux, l’enthousiasme possible dans
la petite entreprise où les liens entre les déis, le personnel et les récompenses
potentielles sont beaucoup plus étroits.

2. Trois études de cas : vers des nouveaux types de réseaux sur


Internet

Quelles sont les opportunités que peut offrir aujourd’hui Internet dans la

177
12

construction de ces nouveaux réseaux à liens faibles pour l’information et le


partage ? Pour répondre à cette question nous allons successivement présenter
trois études de cas. La première a été développée par P. Baillette (2000; 2002),
son objectif est de montrer en quoi l’appartenance à un réseau aide le dirigeant
dans ses processus décisionnels. La deuxième a été menée par P. Chapellier
(1994; 2003; 2004) sur la relation assez problématique entre l’expert-comptable
et le dirigeant de PE. Enin la troisième étude a été menée au sein d’une Chambre
Régionale des Métiers et de l’Artisanat (Marti 2005) et montre comment une
base d’expériences facilite le partage et la réutilisation de connaissances entre
artisans via une base de données en ligne.

Dans le tableau ci-dessous nous reprenons les trois études avec leurs
caractéristiques principales, leurs principaux objectifs et la méthodologie
employée par le chercheur.
Tableau 1 : Récapitulatif des trois études de cas

Baillette Chapellier Marti


(2000; 2002) (1994; 2003; 2004) (2005)
Population étudiée Propriétaires- Expert-comptable & Artisans**
dirigeants de petites dirigeants de petites
entreprises* entreprises
Type de réseaux Association de Relation entre Chambres de
dirigeants l’expert-comptable Métiers avec un
& le dirigeant PE outil de gestion des
connaissances en
ligne
Objectifs du réseau Aide au processus Déproblématiser Partage et
décisionnel du leurs relations réutilisation des
dirigeant connaissances
Méthodologie Étude de cas sur 3 Revue de la Recherche action
associations – 39 littérature (2003; sur 48 cas
entretiens 2004)
Enquête sur 113
dirigeants de PE
Résultats Le réseau aide Les experts- L’accès une base
répondre aux Comptables d’expériences
interrogations des sont freinés favorise le partage
décideurs par l’utilisation et la réutilisation
d’Internet

*Petites entreprises de moins de cinquante salariés.


**Un artisan est un entrepreneur qui investit sur son savoir faire. Son statut
juridique est déini par un ensemble de contraintes. Il doit exercer une activité
professionnelle de production, de transformation, de réparation ou de prestation
de service relevant de l’artisanat. Il doit être économiquement indépendant et

178
Vers des nouveaux types de réseaux sur
Internet ? Les réseaux à liens faibles du
dirigeant de petite entreprise.

être immatriculé au répertoire des métiers. Et enin, il ne peut pas employer plus
de dix personnes lors de sa création.

2.1. Le cas des Clubs de dirigeants : les liens faibles, en face-à-


face
Cette recherche conduite par P. Baillette (2000; 2002) s’intéresse au système
d’information du dirigeant d’entreprise, et plus particulièrement celui constitué
par ses contacts et par les associations censées lui apporter une aide dans ces
activités professionnelles. En effet, tant les chefs d’entreprises que la communauté
scientiique soulignent l’intérêt des activités relationnelles développées à
l’intérieur de tels réseaux pour faciliter l’accès des entreprises à des sources
informationnelles diverses. Plus la taille de l’entreprise va être petite et plus ces
activités vont même constituer un intérêt stratégique au vu de leurs ressources
restreintes. Les « associations » ou les « clubs » fréquentés par les dirigeants
recouvrent des catégories très diversiiées de réseaux, l’étude se concentre sur
les «associations de dirigeants à inalité de rélexion et d’action sur la gestion de
l’entreprise ». Ce type d’association réunit des individus ayant la même activité
de dirigeant et les mêmes responsabilités, au sein de réunions régulières et
formalisées. L’étude porte sur une population de propriétaires dirigeants de petites
entreprises (moins de cinquante salariés) adhérant à ce type de clubs. L’auteur
examine trois associations : le centre des jeunes dirigeants (CJD), l’association
Rhodanim, et le groupement des chefs d’entreprise du Québec. La inalité de ces
associations est de contribuer au développement des entreprises adhérentes et
de leur apporter un soutien dans leurs activités.
Dans ces clubs l’intérêt des dirigeants de PE se porte sur la création et le
développement de leurs réseaux sociaux informationnels et sur la valorisation de
ce capital social (Baillette 2002). En effet les « classiques » liens forts constitués
au sein du réseau restreint du dirigeant n’offrent pas la richesse informationnelle
de ces liens faibles, tissés notamment avec des collègues, des amis, des voisins,
mais développés ici grâce à l’appartenance à une association de dirigeants.
Les liens faibles vont alors permettre de construire des « ponts » avec un plus
grand nombre d’individus, qui, grâce à leur appartenances multiples, ont accès
à davantage d’informations et peuvent faciliter les transmissions de signaux
faibles. Alors que ces relations développées en dehors de l’entreprise sont parfois
considérées par les dirigeants comme une activité secondaire, elles fournissent
au contraire ici l’occasion d’échanger de l’information « potentiellement » utile.
L’étude de Baillette (2000; 2002) se consacre à l’ensemble du processus
décisionnel du dirigeant. Le modèle décisionnel utilisé comprend les quatre
phases classiques d’intelligence (reconnaissance et compréhension de stimuli),
de modélisation (développement d’une ou plusieurs solutions au problème posé),
de choix (sélection parmi les solutions possibles), et enin de mise en œuvre de
la solution choisie. En considérant l’ensemble de ce processus, on montre bien
que l’information ne sert pas seulement à prendre des décisions (c’est-à-dire à

179
12

opérer des choix, problem solving) mais elle est également utilisée dans toutes
les autres étapes du processus. En particulier, l’information peut-être exploitée
dans les phases amont du processus décisionnel pour interpréter et clariier les
faits, recueillir des informations pour mieux connaître l’environnement et pouvoir
anticiper (problem inding). Le dirigeant à la tête d’une PE est le véritable «
centre nerveux » de l’entreprise. Cette position lui donne accès à pratiquement
toutes les sources informationnelles dans l’entreprise. En comparaison des
grandes entreprises, le dirigeant de PE doit faire face à des conditions spéciales
caractérisées en particulier par une pénurie relative de ressources, surtout en
ce qui concerne les moyens inanciers et humains. Dès lors, les dirigeants de
PE sont amenés à développer eux-mêmes des contacts avec l’environnement.
Cette activité relationnelle apparaît donc particulièrement importante pour les
dirigeants de PE, car elle leur permet de bénéicier d’informations privilégiées en
mettant en œuvre des moyens limités (Duchéneaut 1996; Julien 1996).

À partir de ces constats, Baillette (2000; 2002) pose la question suivante : Les
réseaux de type « clubs de dirigeants » peuvent-ils être un outil pertinent pour
l’aide à la décision ?
Dans ces associations ou clubs, les adhérents rencontrent des homologues
exerçant la même activité de dirigeants d’entreprise et les réunions au sein de ces
structures sont généralement formalisées (agenda, ordre du jour, animation…).
L’auteur déinit le « succès » de l’aide à la décision apportée par ce type
d’association en référence aux trois critères classiques : l’eficacité, l’eficience
et la satisfaction. L’aide est alors perçue par l’adhérent comme étant eficace
si l’association l’a aidé à atteindre les buts qu’il s’était ixé. L’aide est perçue
comme étant eficiente s’il a réalisé des économies de moyens (utiliser moins de
ressources qu’il n’en aurait consommé avec d’autres sources, ou bien améliorer
les résultats obtenus pour un même investissement).
Il ressort de l’étude (1) que l’intérêt des chefs d’entreprise est très lié à leur
mission « théorique », et (2) que le succès de l’aide apporté par l’association est
grandement renforcé par l’assiduité des membres :
« Les contacts noués grâce au réseau permettent en effet d’économiser des
moyens grâce à un accès facilité aux acteurs adéquats. L’économie réalisée se
manifeste particulièrement en termes de temps, d’énergie et d’argent. Le succès
perçu de l’aide, le climat de convivialité qui existe dans ce type de réseaux,
contribuent à la satisfaction des dirigeants membres dans l’évaluation de l’aide
apportée » (Baillette 2002, p. 118).
Au inal, ce type de réseau de liens faibles en face-à-face remplit de manière
satisfaisante son objectif, c’est-à-dire être un moyen capable d’offrir une aide à la
formulation et à l’interprétation des problèmes, idées et questions que se pose le
dirigeant dans son rôle de décideur.

180
Vers des nouveaux types de réseaux sur
Internet ? Les réseaux à liens faibles du
dirigeant de petite entreprise.

2.2. Le cas des relations dirigeants et experts-comptables : les


liens par Internet
La seconde étude de cas a été menée par Chapellier (2003; 2004) pour étudier
la relation entre l’expert-comptable et le dirigeant de PE. Ici la littérature présente
en général une vision réductrice de ces relations (orientées principalement vers la
production des documents obligatoires, dans le but de satisfaire aux obligations
imposées par l’administration iscale), alors que pour prendre leurs décisions
les dirigeants de petites entreprises auraient essentiellement recours à leurs
jugements, intuitions et expériences (Fallery 2001).

Selon Chapellier (2003; 2004) la faible utilisation de l’information comptable


dans ce type d’entreprise est liée au fait que le dirigeant n’a pas toutes les clés
pour tirer proit de cette information, bien que l’environnement dans lequel il se
trouve (souvent considéré par lui-même comme « quasi-désertique ») induirait
la recherche d’un compagnonnage avec une personne qui puisse lui apporter
des conseils. La majorité des PE ne disposent pas de service comptable interne
capable de produire et d’interpréter les données, et ce serait donc à l’expert-
comptable que reviendrait normalement la mission de production, d’analyse et de
diffusion de cette information. Mais les experts-comptables, bien que conscients
de ce besoin, ne parviennent pas toujours à le satisfaire. Plusieurs études
démontrent en effet que la mission de l’expert-comptable dans les PE reste
très éloignée des attentes des dirigeants. Ces besoins pas toujours satisfaits
perturbent la relation entre l’expert-comptable et son client.

Dans ce contexte, les TI pourraient jouer un rôle de support important dans le


processus de diffusion des connaissances. De nombreuses études soulignent
que l’usage d’Internet, et plus particulièrement de la messagerie électronique,
n’est pas une entrave à une communication riche et variée. Ce média est eficace
si les différents acteurs respectent les règles du jeu, s’ils engagent par exemple
à aller chercher régulièrement les messages dans leurs boîtes aux lettres et
à répondre de manière instantanée (Chanal 2000). Ce qui importe, c’est le
comportement social de l’individu et la disponibilité allouée à son utilisation
(Guilloux, Gauzente et al. 2000). L’usage de la messagerie électronique pourrait
donc faciliter la relation entre l’expert-comptable et son client : le dirigeant pose
sa question à l’expert-comptable, celui-ci, à des moments qui lui conviennent,
consulte sa messagerie, fait les recherches utiles, et rédige la réponse. Si
l’expert-comptable répond dans un délai raisonnable, le dirigeant aura moins la
sensation d’un manque de disponibilité et d’accessibilité liée à la dificulté de le
rencontrer face-à-face ou de le joindre au téléphone. Si l’Intranet du cabinet est
connecté à celui du client, celui-ci pourra accéder aux informations comptables
à toutes heures. Il pourra suivre l’avancement de son dossier et réagir à tout
moment si nécessaire. Comme la messagerie offre la possibilité de transmettre
des documents attachés, cette fonction pourrait accroître la qualité de service

181
12

grâce par exemple à la transmission de bulletins de salaires en pièces jointes,


qui permettrait au client de visualiser instantanément le résultat du travail effectué
au cabinet et d’apporter si nécessaire des corrections ou des instructions
complémentaires. L’adressage multiple permet enin une large diffusion mais
aussi la transparence de l’information.

Globalement, Chapellier (2003; 2004) montre que les apports potentiels de


l’Internet pour la mission de l’expert-comptable dans les PE sont multiples.
Il favorise le partage de l’information et facilite la communication. Il devrait
permettre de mieux travailler ensemble en complétant les liens forts « classiques
». Internet devrait permettre une réduction du temps consacré dans les
cabinets à l’accomplissement de tâches techniques, qu’il s’agisse de formalités
administratives ou de saisie comptable. De plus en plus d’administrations
nationales ou locales offrent la possibilité d’accomplir les démarches par Internet.
La profession comptable s’est dotée d’un portail télé-déclaratif « jedeclare.com
», conduisant à une dématérialisation généralisée des déclarations, et le Conseil
Supérieur de l’Ordre a par ailleurs signé avec plusieurs banques un protocole
d’accord national destiné à organiser le téléchargement et la saisie automatique
des données bancaires des clients. Les experts comptables se verront ainsi
libérés des tâches à faible valeur ajoutée, et disposeront de plus de temps
pour mieux répondre aux attentes de leurs clients. L’usage d’Internet peut en
ce sens être porteur d’une nouvelle logique de fonctionnement des cabinets
susceptible de « déproblématiser » la relation entre l’expert-comptable et son
client. Il existe cependant de nombreux freins, d’un point de vue technique (car
les informations échangées entre l’expert-comptable et le dirigeant de PE sont
en partie considérées comme sensibles), mais aussi organisationnel (si certains
individus y voient un progrès important dont ils vont proiter, d’autres y voient un
risque de devoir changer des habitudes et de perdre un certain pouvoir).

Pourtant le Conseil de l’Ordre des Experts-comptables essaie de faire évoluer les


pratiques et de jouer un rôle sur deux points essentiels : d’une part convaincre
les experts-comptables de l’enjeu technologique (le thème est très largement
abordé dans les revues, documentations, congrès de la profession), et d’autre
part accompagner et former ain de faciliter la phase d’appropriation de la
technologie. De nombreuses formations sont régulièrement organisées sur des
thèmes aussi divers que la sécurité des échanges dématérialisés, les anti-virus
et pare-feux, la comptabilité, la paye, et la gestion en applications à distance,
l’organisation des téléprocédures et des télétransmissions, la création de sites
web …

Des informations à jour, visualisables en temps réel, un expert-comptable plus


disponible, plus accessible : L’étude de Chapellier montre que ces améliorations
pourraient réduire l’intensité des critiques actuellement formulées par les
dirigeants de PE à l’encontre de leur expert-comptable, et déclencher ainsi une

182
Vers des nouveaux types de réseaux sur
Internet ? Les réseaux à liens faibles du
dirigeant de petite entreprise.

dynamique positive avec plus de conseils et plus de coniance.

2.3. Le cas du partage entre artisans : le développement de liens


faibles par Internet
Cette troisième étude a consisté à mettre en place un outil de gestion des
connaissances sur Internet pour une Chambre Régionale des Métiers et
de l’Artisanat (CRMA). Le rôle d’une CRMA consiste à réaliser des études
prospectives, ain d’orienter le développement à moyen terme du secteur de
l’artisanat et du fonctionnement des Chambres régionales. C’est ainsi que les TIC
constituent un axe de travail en plein essor au sein des Chambres de Métiers, et
la CRMA a souhaité mener un projet d’action en faveur du développement de la
compétitivité des artisans. Elle justiie ce choix par l’analyse du contexte, et part
de l’idée que l’utilisation de ces technologies est un facteur de développement
et de gains de compétitivité, sous réserve que cette utilisation soit maîtrisée et
cohérente avec le métier de l’entreprise : le secteur est particulièrement réceptif
à l’innovation, du fait du pragmatisme des artisans, de leur culture technique et
de la capacité d’adaptation des petites entreprises. L’optimisme de ce constat ne
doit, cependant, pas masquer le risque d’une fracture technologique qui exclurait
une partie des artisans des évolutions en cours, faute de temps, de moyens ou
de compétences adaptées.

L’outil spécialement construit pour cette étude devait répondre à ce besoin


latent : il regroupe « en ligne » un certain nombre d’histoires racontées par des
artisans à propos de leurs usages des TIC. Grâce à cet outil les artisans vont
pouvoir tisser des réseaux à liens faibles ain d’acquérir des connaissances sur
l’utilisation des TIC par d’autres artisans. On a pu alors montrer qu’une base de
récits d’expériences peut favoriser un réseau à liens faibles permettant d’assurer
l’apprentissage, grâce aux possibilités de recueil, de partage et de réutilisation.
Une fois l’outil mis en place on a pu ensuite observer comment il a été utilisé par
les artisans. L’objectif opérationnel de cet outil est que les artisans puissent lire
en ligne les expériences d’autres artisans (phase de partage), pour se forger une
idée sur des usages possibles d’Internet et qu’éventuellement ils s’en servent
pour leur propre activité (phase de réutilisation). Un des objectifs de l’étude
était alors de voir comment il pouvait y avoir réutilisation de connaissances en
accédant aux expériences des autres. On peut donc parler ici d’une création
de liens faibles par une activation d’un lien virtuel entre deux groupes qui tirent
proit de cette relation. Pour reprendre les termes de Granovetter (2000), cette
relation n’est pas aléatoire, puisque l’appartenance des artisans aux réseaux
des Chambres de Métiers leur confèrent potentiellement un « capital social »,
la CRMA joue un rôle essentiel dans la dynamique d’interactions sociales de
création de liens faibles.

L’artisan désireux de partager des connaissances dispose déjà de différents

183
12

moyens, que ce soit des réseaux à liens forts (fournisseurs, clients…) ou


des réseaux à liens faibles (stages, expositions, syndicats professionnels..).
Aujourd’hui, l’outil de gestion de connaissances mis en place sur Internet
fournit une nouvelle source de connaissances complémentaire : le protocole
d’expérimentation a permis non seulement de vériier qu’il avait bien création
de liens faibles entre des artisans qui ne se rencontrent pas en face à face,
mais qu’ils peuvent proiter des connaissances développées par d’autres. L’étude
s’est déroulée sur quarante-huit cas d’artisans, et on a pu constater que tous ne
réutilisaient pas de la même façon : certains vont plutôt envisager de réutiliser
des histoires proches de leur contexte professionnel, alors que d’autres au
contraire vont pouvoir réutiliser des histoires éloignées de leur sphère d’activité.
On a montré ici que l’activation de liens faibles par Internet ain de partager et de
réutiliser des connaissances peut s’avérer fructueuse.

À travers ces trois études de cas, différentes illustrations des réseaux à la


disposition du dirigeant de PE ont été présentées. L’étude de P. Baillette (2002)
montre l’importance des signaux faibles « en face-à-face » dans des clubs de
dirigeants pour améliorer notamment la phase « d’intelligence » dans le processus
de décision. L’étude de Chapellier (2003) montre les dificultés inhérentes à la
relation de l’expert-comptable et du dirigeant de petites entreprises, et conclut à
une utilisation possible d’Internet pour « dé-problématiser » cette relation. Enin
dans la dernière étude de cas Marti (2005) montre comment le développement
de liens faibles grâce à Internet permet le partage et la réutilisation de
connaissances, puisque l’artisan peut disposer aujourd’hui d’un espace pour
l’échange d’expériences.

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processus de création dans les équipes virtuelles globales (EVGs) : Cas du projet IVP «
Intercultural Virtual project »

185
12

186
Créativité et processus de création dans les
équipes virtuelles globales (EVGs) : Cas du
projet IVP52 « Intercultural Virtual project »

par Raik Letaief, Marc Favier et Françoise Coat

Résumé
Ce travail se propose d’étudier le processus de création dans les équipes
virtuelles globales (EVGs) et de déterminer les facteurs qui pourraient
favoriser ou inhiber leur créativité. Une étude de cas menée auprès de
25 EVGs participant au projet IVP a permis de repérer sept phases dans
le processus de création dans les EVGs : la préparation, l’incubation, la
génération, l’émanation, la sélection, la inalisation et l’évaluation. Le
processus de création peut être appréhendé comme une suite d’interactions
entre le conscient et le subconscient des équipes. Cinq facteurs inhibiteurs
et quatre facteurs dynamogènes peuvent apparaître au cours du processus
de création et inluencer ainsi la créativité des EVGs.
Abstract
This article studies the creation process in global virtual teams (GVTs). It
determines factors that may increase or reduce their creativity. A case study
covering the 25 GVTs belonging to the Intercultural Virtual Project revealed
seven stages in their creation process, namely: preparation, incubation,
generation, emanation, selection, inalization, and evaluation. The creation
process is illustrated as successive interactions between the teams’
conscious and subconscious. Our study has uncovered ive inhibiting factors
and four enhancing factors which can interfere with the creation process and
inluence the GVTs’ creativity.

La créativité est un élément de plus en plus crucial pour les entreprises d’aujourd’hui
(Fillis et McCauley 2000). L’accroissement de la concurrence fait de la créativité un
facteur déterminant pour la compétitivité voire la survie de certaines entreprises.
Le rythme des changements s’accélère, les entreprises qui persistent à offrir des
produits et des services identiques selon des modalités inchangées ne peuvent
pas survivre longtemps (Amabile 1997; Oglivie 1998). En revanche, celles qui se
préparent pour l’avenir en introduisant des idées nouvelles en phase avec notre
monde changeant pourront probablement prospérer (Amabile 2002).
La créativité peut être déinie comme le processus par lequel un individu, ou un
groupe, placé dans une situation donnée, élabore un produit nouveau ou original,
52 Les auteurs tiennent à remercier Mabel Miguel (Kenan-Flagler Business School, NC, E.U), Mary Watson (New School University,
NY, EU), Todd Weber (Kenan-Flagler Business School, NC, E.U) et James Corbett (IAE de Grenoble, France) ainsi que tous les
professeurs participant au projet IVP pour leur collaboration et leur disponibilité.

187
12

adapté aux contraintes et à la inalité de la situation (Moscovici 1984). Elle est


manifestée par (1) un acteur créatif (individu, groupe, organisation), qui au moyen
du (2) processus de création fournit un (3) produit créatif en réponse à un micro/
macro (4) environnement dans lequel il se trouve (Rhodes 1961).
Pour répondre aux attentes globales et exigeantes des clients, les structures
organisationnelles changent pour assurer une meilleure lexibilité. Les entreprises
s’étendent et se mettent en réseaux pour maîtriser coût, qualité et délais. Des
équipes projets sont mises en places pour assurer une réponse rapide et de
haute qualité aux besoins des clients. Issus de pays différents et faisant
partie d’entreprises différentes, les membres de ces équipes communiquent,
collaborent et coordonnent leurs efforts lors la réalisation de leur projet commun
exclusivement grâce aux technologies de l’information et de la communication
(TIC). Plus communément désignées comme des équipes virtuelles globales
(EVGs), ces « nouveaux acteurs » doivent faire preuve de créativité. Mises en
place par exemple pour le développement de nouveaux produits (Leenders et al.
2003), la prise de décision (Maznevski et Chudoba 2000), ces équipes apportent
de belles promesses, mais aussi de nombreux challenges aux dirigeants de
projet et aux entreprises qui y font recours.

Quelles sont les conditions de réussite des équipes virtuelles globales ? Comment
favoriser leur créativité ? Comment dépasser les dificultés dues à ce mode
d’organisation ? Autant de questions qui restent en suspens.
Bien que le mode d’organisation en équipes virtuelles globales existe depuis
plus d’une décennie, ce n’est que récemment que les chercheurs commencent à
comprendre leur fonctionnement et beaucoup de travail reste à faire pour faciliter
la mise en place et le management de ces équipes (Martins et al. 2004).

Cette étude se propose de comprendre le processus de création dans les EVGs


et d’identiier les facteurs qui favorisent ou inhibent leur créativité.

1. Les approches de la créativité

L’importance et la complexité du concept de créativité peuvent se mesurer


par l’ampleur et l’étendu des travaux menés pour le comprendre et examiner
son application. La créativité a suscité l’intérêt de nombreux chercheurs dans
différents domaines (art, sciences, éducation, management, publicité, etc.).
Sternberg et Lubart proposent une typologie des différentes approches mises
en place pour étudier la créativité (Cf. tableau 1) (Sternberg et Lubart 1999). Les
travaux menés sur la créativité des EVGs demeurent rares (Martins et al. 2004).
Ces études mobilisent seulement deux approches pour étudier la créativité des
EVGs : l’approche cognitive et l’approche par la conluence.

188
Créativité et processus de création dans les
équipes virtuelles globales (EVGs) : Cas du
projet IVP « Intercultural Virtual project »

Tableau 1 : Les approches de la créativité

Les approches de la Déinitions synthétiques


créativité
L’approche mystique La créativité est l’œuvre d’une source
externe et spirituelle. L’acteur créatif n’est
qu’un instrument d’expression.
L’approche pragmatique La créativité peut être améliorée par le
recours à des méthodes et techniques
comme le brainstorming.
L’approche La créativité résulte de la résolution
psychodynamique des conlits entre le conscient et le
subconscient de l’individu.
L’approche La créativité n’est pas restreinte à une
psychométrique élite (A. Einstein, H. Poincaré, etc.). Elle
peut être étudiée chez des individus
« ordinaires » en utilisant les tests
adéquats.
L’approche cognitive La créativité est un processus. Etudier
la créativité revient à identiication et
comprendre les différentes phases du
processus.

L’approche par la La créativité est plus répandue chez


personnalité des individus ayant certains types de
personnalité et se trouvant dans des
environnements socioculturels particuliers.
L’approche par la La créativité ne peut avoir lieu qu’à la
conluence réunion de plusieurs éléments.

1.1. L’approche cognitive


A partir d’une étude qualitative, Jill Nemiro a pu identiier quatre phases du
processus de créativité des équipes virtuelles classiques, à savoir la génération
d’idées, le développement, la inalisation et l’évaluation (Nemiro 2002). Le
processus est itératif et les étapes ne sont pas mutuellement exclusives.
Un besoin ou une question marque le début de l’étape de génération d’idées.
Un individu ou un groupe d’individus propose une idée et devient un promoteur.
Si le reste de l’équipe approuve l’idée, le promoteur développe l’idée et
devient son défenseur (champion). Une fois que les efforts du promoteur sont
esquissés, présentés, et diffusés au reste du groupe la phase de développement
commence.
La phase de développement est une phase itérative dans laquelle les membres
échangent des croquis. Des retours d’information et des révisions sont faits

189
12

jusqu’à l’aboutissement à un travail exploitable.


Une fois l’idée arrivée à un travail exploitable, le produit créatif est inalisé et mis
en oeuvre. C’est la phase de inalisation.
Chez certaines équipes, une période d’évaluation suit la période de inalisation.
Durant cette période les membres de l’équipe évaluent ensemble les points
positifs et négatifs du projet développé.
Les travaux de Nemiro nous permettent de mieux comprendre le processus de
créativité des équipes virtuelles classiques et ses différentes phases. Toutefois,
les résultats de ces travaux ne peuvent pas être pris en tant que tels. Des études
supplémentaires doivent être menées pour vériier leur adéquation pour les
EVGs.

1.2. L’approche par la conluence


Dans la même lignée des travaux d’Amabile sur l’inluence de l’environnement de
travail sur la créativité (Amabile et al. 1996), Nemiro développe le « Virtual Team
Creative Climate » (VTCC). Il s’agit d’un instrument permettant de mesurer le
climat de créativité chez les équipes virtuelles (Nemiro 2001).
Le VTCC se présente sous la forme d’un questionnaire auquel les membres
des équipes virtuelles doivent répondre. L’instrument comporte onze échelles
regroupées selon trois dimensions : connexion, matières premières, et
management-compétences des membres.
Le VTCC apporte des éléments de connaissance sur les facteurs pouvant favoriser
ou inhiber la créativité des équipes virtuelles. Ces éléments restent tout de même
théoriques. Dans un travail plus récent, Nemiro propose un modèle plus évolué
(Nemiro 2004). Elle énumère cinq composantes de la créativité : le design, le
climat, les ressources, les normes et les protocoles et enin l’apprentissage et
l’évaluation de manière continue.
A partir d’une étude de cas menée au sein de la irme Boeing-Rocketdyne,
Malhotra et ses collègues élaborent une liste des « best practices » concernant
l’élaboration de la stratégie, l’utilisation des technologies et la restructuration du
travail (Malhotra et al. 2001). Selon ces auteurs, le succès et la créativité d’une
équipe virtuelle dépendent de sa capacité à adapter la technologie et moduler
son processus de travail pour répondre à ses propres besoins. D’autres études
de cas dans d’autres entreprises sont nécessaires pour conirmer et/ou enrichir
les résultats obtenus dans la irme Boeing-Rocketdyne.
Une étude relativement récente conduite par Rosalie Ocker(2005), identiie neuf
facteurs inhibiteurs de la créativité : la dominance, le domaine de connaissances,
le système de récompense, la pression du temps, l’appréciation à la baisse
des contributions, l’adoption d’une approche trop structurée, les problèmes
techniques, l’absence de compréhension partagée de la situation et la présence de
membres non stimulants. Les facteurs dynamogènes de la créativité comportent
la présence de membres stimulants dans l’équipe, la variété des inluences
sociales, l’instauration d’un climat collaboratif et la réduction de l’ambiguïté

190
Créativité et processus de création dans les
équipes virtuelles globales (EVGs) : Cas du
projet IVP « Intercultural Virtual project »

sur les objectifs dès le début du projet. Deux principales limites peuvent être
accordées à cette étude. Les résultats ne concernent que les facteurs inhibiteurs
et dynamogènes de la créativité. Le processus de création n’a pas été étudié.
L’étude a été réalisée dans un cadre expérimental et a pour sujets des étudiants.
D’autres études sont donc nécessaires pour combler ces limites.

2. Méthodologie inductive utilisée dans la recherche

2.1. Une démarche inductive


La créativité est un phénomène complexe (Sternberg et Lubart 1999). Analyser la
créativité des EVGs revient à étudier un phénomène complexe et très peu étudié.
Une démarche inductive semble être la démarche la plus adéquate pour étudier
un tel phénomène (Huberman et Miles 1991).

2.2. Le terrain de recherche : le projet IVP


L’étude a pour terrain de recherche des groupes d’étudiants organisés en EVGs
et participant au projet « Intercultural Virtual Project » (IVP)53. Ce projet regroupe
vingt-six universités réparties sur 15 pays différents.
Dans le cadre de leur formation, les étudiants participent au projet et sont
amenenés à concevoir entre autres un totem. Le totem est un ensemble de
symboles qui représentent l’identité des membres dans l’équipe et de l’équipe en
tant qu’entitité à part entière. Un document de deux pages est rédigé par chaque
équipe en vue de décrire le totem et faciliter sa compréhension. La durée du
projet est de huit semaines avec deux sessions par an.
Chaque équipe est composée d’étudiants appartenant au moins à trois universités
différentes. Un calendrier est prescrit aux étudiants ain de les aider à mieux
s’organiser et respecter les délais de soumission des travaux. Des outils de
travail collaboratifs sont mis à la disposition des membres avec des espaces
réservés pour chaque équipe. Les membres sont libres de choisir les moments
de poster des messages. Une contrainte existe tout de même. Un message au
moins doit être posté deux fois par semaine par les membres appartenant à une
même université. Cette étude porte sur une session du projet IVP. Dix universités
issues de sept pays différents participaient à cette session. Les participants sont
répartis en 25 équipes d’une quinzaine de membres.
3. La procédure de sélection des équipes selon leur niveau de
créativité
L’objectif de cette recherche est de comprendre comment se développe la
créativité des équipes virtuelles globales et de déterminer les facteurs qui
pourraient la favoriser ou l’inhiber. Pour répondre à cette question il faut extraire
53 Nous avons changé le véritable nom du projet pour des raisons de confidentialité.

191
12

des 25 équipes à notre disposition, celles qui se distinguent par leur haut ou
bas niveau de créativité. Les équipes ayant un niveau de créativité moyen sont
exclues du champ d’étude. Plusieurs étapes sont nécessaires pour atteindre cet
objectif.

3.1. La pré-évaluation
Une première évaluation est faite en faisant appel à l’avis de trois juges. Deux
des trois juges sont des coordinateurs responsables du projet IVP. Le troisième
juge est un des enseignants participant au projet IVP. Les évaluations par les
juges sont faites de manière indépendante et portent sur les travaux (totems
et descriptions) rendus par les équipes. Dans cette étape de présélection, il
est demandé à chaque juge d’évaluer le niveau de créativité du rendu selon
trois modalités (élevé, moyen, faible). Aucune déinition, ni critère d’évaluation
n’est donné aux juges. Les juges se basent alors sur leur déinition implicite et
subjective de la créativité (Amabile 1983; Amabile 1996).
Grâce à cette première évaluation, un premier classement des groupes en quatre
catégories est effectué : les créatifs (2 équipes), les moyennement créatifs (10
équipes), les peu créatifs (8 équipes) et les aléatoires (5 équipes).
Les équipes créatives, moyennement et peu créatives sont celles qui ont été
jugées respectivement créatives, moyennement et peu créatives par au moins
deux juges sur trois. Les équipes qui n’ont pas obtenu un accord d’au moins deux
juges sont classées en équipes aléatoires.

3.2. L’évaluation
L’étape de pré-évaluation a permis de faire un premier tri. Parmi les 25 équipes
de départ, seules 15 sont prises en considération dans cette étape après
l’élimination des 10 équipes qui ont présenté des travaux (totems et descriptions)
moyennement créatifs. Les travaux des équipes restantes vont de nouveau être
évalués par l’ensemble des professeurs et responsables participant au projet
IVP mais cette fois sur la base de critères explicites. Au total, 30 juges sont
sollicités pour faire cette évaluation. Pour mesurer la créativité des travaux
rendus par les étudiants nous avons utilisé la « Creative Product Sementic Scale
(CPSS)» (Besemer et O’Quin 1986; O’Quin 1989). La CPSS est une échelle de
mesure sémantique (7 points) développée par Besemer et O’Quin pour mesurer
la créativité. L’échelle renferme 55 items répartis en trois dimensions : (1) la
nouveauté, (2) la résolution et (3) l’élaboration et synthèse.
Nous suivons les recommandations données par O’Quin en utilisant une version
réduite du CPSS étant donnée la longueur de l’échelle et l’inadéquation de
certains items à notre objet d’étude. Les 15 travaux d’équipes sont présentés
aux juges pour évaluation dans un ordre aléatoire. L’évaluation des travaux est
effectuée via un questionnaire électronique.

192
Créativité et processus de création dans les
équipes virtuelles globales (EVGs) : Cas du
projet IVP « Intercultural Virtual project »

3.3. La sélection
Parmi les 30 juges interrogés, 22 ont répondu à notre questionnaire (73%). Au
total, nous avons collecté 243 évaluations ce qui donne une moyenne de 16
évaluations par travail. L’analyse factorielle en composantes principales avec
rotation varimax, montre que les 15 items igurent dans les 3 dimensions. La
première dimension est la nouveauté. Elle regroupe les 5 premiers items. La
deuxième est la logique et rassemble les 5 items suivants. Les 5 derniers items
sont regroupés dans la troisième dimension : l’élaboration et synthèse. Tout est
regroupé dans le tableau 2. Volontairement les éléments de l’échelle dans le
tableau 2 n’ont pas été traduits car ils ont été utilisés comme tels, vu l’aspect
international de l’étude.

Tableau 2 : Méthode d’extraction : Analyse en composantes principales.


Méthode de rotation varimax avec normalisation de Kaiser.
La rotation a convergé en 5 itérations.

Composante
1 2 3
Novel ,909
Unique ,900
Original ,902
Unusual ,907
Fresh ,854
Relevant ,861
Sense ,838
Appropriate ,861
Logical ,853
Adequate ,792
Skillful ,739
Well crafted ,782
Meticulous ,803
Well made ,834
Careful ,720

3.4. La validation de l’échelle de mesure


Le tableau 3 présente les indicateurs d’ajustement. L’ensemble de ces indicateurs
est relativement satisfaisant. Les indicateurs de iabilité et de validité convergente

193
12

et divergente de l’échelle sont respectivement présentés dans les tableaux 4, 5 et


6. Ils nous permettent de conclure à la iabilité et la validité l’échelle utilisée.
Tableau 3 : Indices de mesure de la qualité d’ajustement
Indices Absolus Valeur
Khi² MV / ddl 3,6 < 5
p 0,000
RMSEA 0,112
GFI 0,838
CFI 0,947

Tableau 4 : Indicateurs de iabilité


Dimension Nombre d’items Rho de Jöreskog
Nouveauté 5 0,972
Logique 5 0,933
Elaboration 5 0,947
- synthèse

Tableau 5 : Indicateurs de validité convergente


Erreur Stat. T Probabilité ² ρvc
Type
Novel 0,924 0,010 88,514 0,000 0,854 0,874
Unique 0,925 0,010 89,868 0,000 0,856
Original 0,961 0,006 152,648 0,000 0,924
Unusual 0,940 0,009 109,344 0,000 0,884
Fresh 0,925 0,010 88,972 0,000 0,855
Relevant 0,866 0,019 45,944 0,000 0,750 0,736
Sense 0,862 0,019 44,699 0,000 0,743
Appropriate 0,895 0,016 56,245 0,000 0,801
Logical 0,833 0,022 37,434 0,000 0,694
Adequate 0,833 0,022 37,383 0,000 0,694
Skillful 0,873 0,017 50,643 0,000 0,763 0,784

Well crafted 0,877 0,017 52,102 0,000 0,769


Meticulous 0,895 0,015 60,189 0,000 0,802
Well made 0,904 0,014 65,012 0,000 0,818
Careful 0,878 0,017 52,617 0,000 0,772

194
Créativité et processus de création dans les
équipes virtuelles globales (EVGs) : Cas du
projet IVP « Intercultural Virtual project »

Tableau 6 : Indicateurs de validité divergente

Divergence Modèle libre Modèle contraint Différence


Nouveauté Khi² = 313,498 Khi² = 1147,68 ∆ Khi² = 834,182
- Résolution ddl = 87 ddl = 88 ∆ddl = 1
p < 0,001 p < 0,001 p < 0,001
Elaboration Khi² = 313,498 Khi² = 0 Le modèle contrait
- Nouveauté ddl = 87 ddl = 88 n’est pas validé.
p < 0,001 p > 0,05
Elaboration Khi² = 313,498 Khi² = 821,483 ∆ Khi² = 507,985
- logique ddl = 87 ddl = 88 ∆ddl = 1
p < 0,001 p < 0,001 p < 0,001

3.5. Premiers résultats sur la classiication des EVGs : mise en


évidence de 8 classes d’équipes
Pour évaluer le niveau de créativité des équipes déjà sélectionnées (15 parmi 25
au départ), nous avons porté notre analyse sur la moyenne des scores factoriels
de chaque équipe sur chacune des dimensions de la créativité (nouveauté,
logique et élaboration et synthèse). Les résultats des évaluations accomplies par
les juges sont présentés dans le tableau 7. Une classiication hiérarchique selon
la méthode de Ward est ensuite appliquée par dimension ain de regrouper les
équipes les plus proches de par leurs scores.

A partir de cette classiication par dimension, une typologie est mise en œuvre.
Cette typologie scinde les 15 EVGs en 8 classes. Les quatre premières classes
renferment les équipes qui se sont distingués de par leurs scores élevés dans une
ou plusieurs dimensions (en gras et souligné dans le tableau 7). Les 3 classes
suivantes sont celles qui au contraire ont eu des scores relativement faibles dans
une ou plusieurs dimensions (en gras et italique dans le tableau 7). Enin la
dernière classe regroupe toutes les équipes qui ne sont placées dans aucunes
des classes précédentes.

195
12

Tableau 7 : Résultats des évaluations

N° Nouveauté Logique Elaboration


équipe
2 5,838 5,587 5,825
4 4,786 5,720 5,146
5 4,329 5,329 4,870
7 4,552 5,728 5,328
9 5,413 5,854 5,361
10 4,476 5,043 4,265
11 4,724 5,539 4,963
16 5,399 5,612 5,536
19 3,865 4,934 4,587
20 3,237 5,250 4,738
21 3,113 4,724 4,051
22 4,124 5,537 5,063
23 3,567 5,274 4,484
24 4,184 5,458 4,571
25 4,882 5,412 5,222
Total 4,423 5,395 4,927

Les artistes : cette classe renferme les équipes dont les travaux sont jugées
originaux et bien élaborés. Seule l’équipe 2 appartient à cette classe.
Les pragmatiques : l’équipe 4 et l’équipe 7 appartiennent à cette classe. Cette
classe regroupe les équipes dont les travaux sont jugés présenter un niveau
élevé de logique.
Les concepteurs : la classe des concepteurs rassemble les équipes qui se sont
distinguées par un niveau élevé d’originalité et de logique. Seule l’équipe 9
appartient à cette classe.
Les novateurs : les novateurs sont les équipes qui se distinguent par l’originalité
de leurs travaux comme c’est le cas pour l’équipe 16.
Les brouillons : les équipes qui appartiennent à cette classe sont celles dont le
niveau d’élaboration de leurs travaux a été jugé faible. On retrouve dans cette
classe l’équipe 10.
Les conventionnels : la classe des conventionnels rassemble les équipes dont le
niveau d’originalité est jugé faible. L’équipe 20 appartient à cette classe.
Les non créatifs : une seule équipe est jugée non créative. L’équipe 21 présente
des scores faibles dans toutes les dimensions de la créativité.
Les moyens : Cette classe regroupe les équipes numéro 5, 11, 19, 22, 23, 24 et
25. Ces équipes ont obtenus des scores moyens dans les trois dimensions de la

196
Créativité et processus de création dans les
équipes virtuelles globales (EVGs) : Cas du
projet IVP « Intercultural Virtual project »

créativité. Elles sont, par conséquent, éliminées de notre champ d’étude.


La procédure de sélection a permis de sélectionner 8 équipes parmi les 25
équipes participant au projet IVP. Ces huit équipes se distinguent par un haut ou
bas niveau de créativité. Une étude en profondeur est menée sur ces 8 équipes
ain de répondre à l’objectif de la recherche : mieux comprendre les processus
de création.

4. Processus de création et créativité des EVGs

4.1. Recueil des données qualitatives : analyse de contenu des


interactions entre les membres des EVGs
Les EVGs apportent aux chercheurs intéressés par ce domaine un ensemble
de déis aussi bien au niveau théorique qu’au niveau empirique. Les méthodes
d’observations directes, participantes ou non, et les interviews sont dificilement
envisageables dans le cadre d’une dispersion géographique des membres. Par
contre, les TIC collaboratives présentent l’avantage de la mémorisation. En effet,
toutes les interactions faites entre les membres d’une équipe sont enregistrées
dans le forum de discussion de cette équipe. C’est à partir de ces forums de
discussions que nous avons collecté les données. Nous avons complété ces
données par les informations disponibles sur le site Internet du projet et les
déclarations spontanées de quelques participants.

4.2. Traitement des données


Les données sont traitées en accord avec la démarche inductive de cette
recherche. La théorie enracinée plus connue sous l’appellation anglophone «
Grounded theory » développée par Glaser et Strauss nous sert de stratégie ain
de passer des données à des éléments théoriques (Glaser et Strauss 1967).
La théorie enracinée procède par des analyses comparatives constantes des
données et débouche sur une théorie. Elle recourt au codage explicite par
une procédure à la fois analytique et interprétative du phénomène étudié. Les
catégories se dégagent toujours de l’analyse elle-même (Glaser et Strauss, 1967,
p.101-105). La théorie est construite graduellement à travers le regroupement
des concepts et l’élaboration des relations entre eux.
Le codage des données a été réalisé grâce au logiciel LAC’UNE (Logiciel
d’Assistance au Codage version Une). Ce logiciel a été développé spécialement
pour cette étude en collaboration avec un étudiant de l’Institut National
Polytechnique de Grenoble.

La présentation des résultats se fera en deux parties. Une première partie apporte
des éléments théoriques dans le but d’améliorer la compréhension du processus
de création dans les EVGs. La deuxième partie s’attarde sur les facteurs qui

197
12

pourraient favoriser ou inhiber la créativité des EVGs.

4.3. Le processus de création


Un processus peut être déini comme un ensemble d’activités liées en vue
d’atteindre un objectif commun. Le processus de création dans les EVGs
représente alors une succession d’activités pour aboutir à un produit qui est dans
notre étude un Totem et son document descriptif. L’étude menée sur les huit
EVGs a permis de déceler les phases du processus de création des EVGs, ainsi
que sa dynamique.
4.3.1. Les phases du processus de création
Le processus de création est découpé en sept phases (Cf. Figure 1). Dans un
souci de clarté, nous présentons ces différentes phases de manière linaire. La
réalité est plus complexe à cause des itérations et des chevauchements entre
les différentes phases.
La préparation
La phase de préparation est la phase qui marque le début du processus de
création. Pendant cette phase les membres font connaissance. Ils partagent des
informations les uns sur les autres. Ils décident ensuite de se concentrer sur le
projet d’élaboration de leur produit (totem et description). Cette phase débouche
généralement sur un planning et un engagement des membres à réléchir et
proposer des idées lors des prochaines rencontres virtuelles.
L’incubation
Une des particularités des EVGs est la dispersion géographique des membres
de l’équipe. Il se forme alors au sein d’une même EVG des sous-groupes locaux
ou virtuels. La phase d’incubation correspond à la phase où ces sous-groupes
travaillent d’une manière séparée et totalement invisible les uns des autres à
trouver des idées. Petit à petit, des idées émergent des sous-groupes et sont
soumises au reste de l’équipe. C’est ce qui marque le début de la troisième
phase.
La génération
Elle peut être rapprochée de la phase de génération d’idées décrite dans les
travaux de Nemiro (2002). Au cours de cette phase les membres exposent leurs
solutions. Ces solutions se présentent sous la forme d’idée(s) accompagnée(s)
de croquis du produit à créer. Au fur et à mesure des échanges, un thème central
de création voit le jour. C’est la phase d’émanation.
L’émanation
La phase d’émanation est une phase très brève du processus de création des
EVGs. Au cours de cette phase surgit un code, une idée centrale qui vient
organiser et structurer les idées ou les contributions des membres autour d’un

198
Créativité et processus de création dans les
équipes virtuelles globales (EVGs) : Cas du
projet IVP « Intercultural Virtual project »

thème central. A titre illustratif, les « concepteurs » ont choisi pour thème «
harmonie et coopération eficiente », les « novateurs » ont opté pour « cultures
unis » et enin le thème central pour les « brouillons » et les « non créatifs » est
«paix et amitié ».
La sélection
La phase d’émanation et la phase de génération sont deux phases parallèles et
inter-reliées. L’effet structurant de l’émanation est d’autant plus important qu’il a
lieu au début de la phase de génération. A la in de la phase de génération, les
EVGs se trouvent en général face à plusieurs croquis. Un choix doit alors avoir
lieu. C’est la phase de sélection.
La inalisation
Selon le degré de inition du croquis sélectionné, des modiications, des révisions
et des retouches sont engagées par les membres jusqu’à l’obtention du produit
inal.
L’évaluation
La phase d’évaluation a lieu une fois que les équipes ont soumis le produit inal
aux responsables du projet. Aucours de cette phase, les membres de l’équipe
évaluent le travail réalisé et les contributions de chacun.
4.3.2. Dynamique de la création des EVGs : résultat des confrontations
entre le conscient et le subconscient de l’équipe
Dans la continuité des travaux utilisant l’approche psychodynamique pour étudier
la créativité, les analyses menées dans cette étude ont permis de constater que le
processus de création des EVGs est une suite d’interactions entre deux sphères
: le conscient et le subconscient (Cf. Figure 1). Les TIC jouent le rôle d’interface
qui rend les interactions entre ces deux sphères possibles.

199
12

Figure 1 : Le processus de création dans les EVGs

La phase d’incubation joue un rôle crucial dans le processus de création dans


les EVGs. Durant cette phase, les sous-groupes locaux ou virtuels agissent et
interagissent pour générer des idées et développer des croquis. Ces idées et
croquis sont ensuite mis à la disposition du reste de l’équipe via l’espace de travail
partagé (forum de discussion). Les actions et interactions entreprises au niveau
des sous-groupes sont donc, dans un premier temps ; invisibles et inaccessibles
aux autres membres de l’équipe. Elles ont lieu dans le subconscient de l’équipe.
En appliquant l’approche psychodynamique au contexte particulier des EVGs,
un acte (une action et/ou interaction) passe généralement par trois systèmes
séparés par deux types de iltres. Dans un premier temps, un acte est réalisé au
niveau du système subconscient de l’équipe (au niveau des sous-groupes). Cet
acte subi un premier test au niveau du sous-groupe. Le sous-groupe peut valider
ou refuser le passage de cet acte d’un système à un autre. En cas de refus, l’acte
demeure au niveau du subconscient. Si le sous-groupe décide de faire apparaître
cet acte et de le partager, l’acte est validé et passe au système du dessus.
Le deuxième palier se situe au niveau de la technologie utilisée. Dans
le cadre de cette étude les membres des EVGs utilisent un forum de discussion
comme système de travail partagé. Ce système de travail partagé permet aux
membres d’interagir et de rendre leurs actions visibles et accessibles à tous les
membres de l’équipe.
Avant d’atteindre le niveau de l’équipe, l’acte validé au niveau du sous-
groupe passe par un deuxième iltre. Les technologies diffèrent dans leur capacité
à transmettre l’information (Daft et Lengel 1984). Le passage de l’acte du niveau
du sous-groupe au niveau de l’équipe dépend directement de la technologie
utilisée. Si la technologie est capable de transmettre l’acte, ce dernier passe au

200
Créativité et processus de création dans les
équipes virtuelles globales (EVGs) : Cas du
projet IVP « Intercultural Virtual project »

niveau supérieur (niveau équipe). Sinon, l’acte est refusé et condamné à retourner
au niveau du subconscient. Le sous-groupe ayant validé cet acte doit donc le
modiier ain de le rendre transmissible par la technologie et/ou utiliser une autre
technologie disponible. Dans le cas contraire, le sous-groupe condamne cet acte
à rester au niveau du subconscient de l’équipe.
Le troisième niveau est le système conscient de l’équipe. Il contient
toutes les informations, actions et interactions visibles et accessibles effectuées
par les membres de l’EVG. Plus communément appelée « conscience collective
» (Daassi et Favier 2005), ces informations, actions et interactions participent
à la création d’une vision commune et partagée du contexte global de l’équipe
permettant ainsi aux membres de l’équipe de coordonner implicitement leurs
activités et leurs comportements. L’acte ayant traversé le iltre technologique, il
vient s’ajouter aux autres actes qui se trouvent au niveau conscient de l’équipe.
Il prend donc part dans la formation et/ou l’actualisation de la « conscience
collective ». Cette dernière contribue à son tour à la formation de nouveaux actes
et le cycle recommence…

4.4. Les antécédents de la créativité des EVGs


Une comparaison systématique entre les différentes équipes a permis d’identiier
cinq facteurs inhibiteurs et quatre facteurs dynamogènes de la créativité des
EVGs.
4.4.1. Les facteurs inhibiteurs de la créativité
Le manque de concentration dû à l’aspect multitâche constitue le premier facteur
inhibiteur de la créativité. Outre la réalisation du totem et de sa description, les
EVGs participant au projet IVP sont chargées de réaliser d’autres travaux. Le
fait de se lancer simultanément dans la recherche de solutions pour plusieurs
travaux provoque la dispersion des pensées et des idées dans l’équipe et inhibe
sa créativité.

Le manque de participation et le non respect des délais constituent le second


facteur inhibiteur de la créativité. Divers éléments peuvent expliquer ce phénomène
: le manque de motivation, les différences dans la perception du temps, etc. Ce
facteur peut provoquer des tensions entre les membres de l’équipe et détériorer
ainsi le climat de travail de l’équipe.

Le contournement des problèmes par peur de représailles peut être une source
de dysfonctionnement dans les EVGs. Comparée à une communication face-
à-face, la dispersion géographique et la communication médiatisée privent les
membres des EVGs de certains signaux de communication. Des ambiguïtés
et des incertitudes peuvent ainsi apparaître. Aborder les problèmes et ne pas
hésiter à demander les éclaircissements nécessaires est un gage de réussite
des EVGs.

201
12

La mauvaise gestion de la propriété des idées : la propriété intellectuelle


informelle. Ce facteur est une source majeure de conlit entre les membres. Il est
dû à une exploitation insufisante de la mémoire de groupe et consiste à attribuer
une bonne idée et ses mérites à une personne autre que son créateur. Ce facteur
provoque chez ce dernier une démotivation et un désengagement vis-à-vis de
l’équipe et du projet.

Les problèmes techniques et l’inadéquation de la technologie peuvent inhiber la


créativité des EVGs. Les dysfonctionnements répétitifs des systèmes perturbent
le processus de création des EVGs. Les technologies proposées peuvent aussi
être inadéquates et ne répondent pas aux besoins et aux attentes des membres
de l’équipe (conscience collective, mémoire de groupe, richesse des médias,
etc.).
4.4.2. Les facteurs dynamogènes de la créativité
Pour être créatives, les EVGs doivent, dans un premier temps, éviter les facteurs
inhibiteurs de la créativité. Elles peuvent ensuite bénéicier d’un où de plusieurs
facteurs dynamogènes de la créativité.

La présence de membres stimulants est un facteur dynamogène de la créativité.


Ces membres n’hésitent pas à lancer les débats concernant le projet et à soulever
les problèmes existants au sein de l’équipe. Leurs interventions stimulent la
participation des autres membres, favorisent le partage des idées et réduisent
les malentendus dans l’équipe.

La capacité à travailler en mode multitâche est le deuxième facteur dynamogène.


Sur une même période de temps, les membres des EVGs participent à plusieurs
projets simultanément. Ils doivent être capable de répartir leur temps et leur
participation d’une manière adéquate entre les différents projets auxquels ils font
partie. La créativité des EVGs dépend de l’implication et du temps alloués par les
membres pour concevoir le produit.

L’appropriation de la technologie est la manière avec laquelle les membres de


l’équipe, choisissent, combinent et utilisent les technologies dont ils disposent
(DeSanctis et Poole, 1994). Les membres des EVGs doivent être capables
de tirer proit des propriétés structurelles de la technologie pour structurer leur
processus de création. La technologie est conçue pour promouvoir un certain
esprit (démocratie, liberté d’expression, génération d’idées, etc.). L’utilisation de
la technologie en cohérence avec son esprit de conception est aussi un gage de
la créativité des EVGs.

L’émanation précoce : la phase d’émanation est une phase essentielle à la


créativité des EVGs. C’est « l’eurêka ! » de l’équipe. Elle se présente sous la forme

202
Créativité et processus de création dans les
équipes virtuelles globales (EVGs) : Cas du
projet IVP « Intercultural Virtual project »

d’une idée centrale qui vient harmoniser les différentes visions et contributions
des membres. Elle peut intervenir à différents instants du processus de création.
Chez les EVGs les plus créatives (les concepteurs et les artistes), l’émanation a
eu lieu au cours des deux premières semaines du projet. Par contre chez les non
créatifs l’émanation a eu lieu au cours de la dernière semaine du projet.

Dans le contexte actuel de concurrence à l’échelle global, la créativité est un


facteur majeur de compétitivité entre les irmes. Le foisonnement des EVGs a
suscité l’intérêt des chercheurs et des praticiens qui cherchent à comprendre
la dynamique de ces équipes et les conditions de leur performance. Malgré un
nombre croissant de recherches sur les équipes virtuelles, les études qui se sont
focalisées sur la créativité des EVGs sont rares. Ce travail avait pour but de
comprendre le processus de création dans les EVGs et identiier les facteurs qui
pourraient favoriser ou inhiber leur créativité.

Les résultats obtenus viennent s’ajouter aux rares connaissances existantes sur
la créativité des EVGs. Ces résultats montrent que le processus de création peut
être décomposé en sept phases itératives.
Deux d’entre elles sont communes à celles identiiées dans les travaux de Nemiro
(Nemiro 2002; Nemiro 2004). Il s’agit de la phase de inalisation et de la phase
d’évaluation. Contrairement aux travaux de Nemiro, il n’y pas de séparation entre
la génération d’idées (niveau conceptuel) et le développement de croquis (niveau
pratique). Les membres proposent des croquis et décrivent les idées sous-
jacentes en même temps. Les membres disposent d’un forum de discussion
pour communiquer, collaborer et coordonner leurs efforts. Cette technologie
asynchrone n’est pas adéquate pour supporter une activité de génération d’idées
en groupe. Cette dernière demande une forte réactivité de la part des participants.
La phase de sélection découle directement de la phase de génération. Chacun
des sous-groupes ayant proposé sa solution (idée + croquis), tous les membres
de l’équipe sélectionnent collectivement la solution qui va être inalisée pour être
soumise aux responsables du projet.
Cette étude met en relief trois phases inexistantes dans les travaux de Nemiro
à savoir la préparation, l’incubation et l’émanation. Les membres des EVGs ne
sont pas supposés se connaître avant la mise en place du projet. La phase de
préparation leur permet de se « rencontrer » et de faire connaissance. La phase
d’incubation est aussi une phase exclusive à cette étude. En effet, la dispersion
géographique et temporelle des membres de l’équipe favorise la formation de
sous-groupes dans une même équipe. Ces sous-groupes, locaux ou virtuels,
travaillent d’une manière « invisible » au reste de l’équipe. Ils oeuvrent à
générer des solutions qu’ils proposent ensuite au reste de l’équipe. Cette phase
d’incubation permet de conceptualiser le processus de création des EVGs selon
une approche psychodynamique.
Le processus de création des EVGs peut être décrit comme étant une suite

203
12

d’interactions entre le conscient et le subconscient de l’équipe. La phase


d’émanation est une phase importante dans le processus de création des
EVGs. Elle permet aux membres de l’équipe de partager une même vision du
produit à créer. L’émanation précoce est l’un des facteurs dynamogènes de la
créativité des EVGs identiiés dans le cadre de cette étude. La présence de
membres stimulants, la capacité à travailler en mode multitâche et l’appropriation
de la technologie sont les trois autres facteurs dynamogènes de la créativité
des EVGs. Les EVGs sont celles qui ont réussi à proiter d’un ou de plusieurs
facteurs dynamogènes tout en évitant les facteurs inhibiteurs de la créativité. Les
antécédents de la créativité dégagés dans cette étude confortent les résultats des
travaux antérieurs. L’appropriation de la technologie (Malhotra et al. 2001), les
ressources humaines et matériels disponibles (Nemiro 2001; Nemiro 2004), ainsi
que la création d’une compréhension partagée entre les membres du produit à
créer (Ocker 2005) conditionnent en partie la créativité des EVGs.

Cette étude utilise une situation de gestion simulée pour étudier la créativité des
EVGs. Un tel choix offre la possibilité d’accéder à l’ensemble des interactions qui
ont eu lieu entre les membres d’une EVG. L’accès à des données de même nature
est peu envisageable dans une situation de gestion réel (en entreprise) pour
des raisons de conidentialité. Les résultats de l’étude se basent donc sur des «
traces » et non pas des « déclarations » de la par des acteurs. Deux principales
limites peuvent être objectées à ce travail. Il s’agit d’une étude sur un cas unique
à savoir le projet IVP. La deuxième limite est due au fait que les EVGs étudiées
sont composées d’étudiants. Des études complémentaires sont donc nécessaires
pour confronter les résultats obtenus et les articuler ain d’obtenir une meilleure
compréhension du processus de création dans les EVGs. Malgré ses limites,
cette étude ouvre des voies de recherche. La description psychodynamique du
processus de création des EVGs met en relief l’interaction qui existe entre le
conscient et le subconscient de l’équipe. Il est désormais possible de faire un
lien avec les travaux réalisés dans le domaine de l’Interaction Homme Machine
(IHM). Après la coordination (Dourish et al. 1992) et le leadership (Weisband
2002), il serait pertinent d’étudier l’impact du conscient et du subconscient des
équipes virtuelles sur leur processus de création et leur créativité.

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