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Prenons du recul - Episode 2

Le besoin

Avoir un « déclic » n’est pas suffisant pour se lancer s’il n’est pas accompagné de l’identification d’un
besoin réel, pas ou mal satisfait jusqu’alors. Comme l’explique Hamid Bouchikhi, toute démarche
entrepreneuriale doit sa réussite (ou son échec) à l’identification et la validation d’un besoin auprès
d’une clientèle suffisamment solvable pour minimiser le risque.

La démarche de définition du besoin peut être découpée en deux étapes principales : l’identification du
besoin, puis sa caractérisation précise. C’est une phase d’autant plus cruciale qu’elle permet aussi
d’affiner la solution voire de faire la preuve de concept.

I. Commençons donc par l’étape d’identification du besoin

Réaliser qu’il existe un besoin non ou mal assouvi peut naître de toutes sortes de situations dont
chacune se révèle unique et incomparable. On peut cependant les grouper en deux pôles principaux,
expériences personnelles et contexte étudiant ou professionnel

a. Les expériences personnelles

Identifier un besoin qui n’est pas traité peut sembler impossible au vu de la pléthore de projets
entrepreneuriaux qui voient le jour, notamment dans l’Economie Sociale et Solidaire. Pourtant, certaines
situations personnellement vécues peuvent nous mettre en face de problématiques auxquelles on
n’aurait jamais pensé. C’est le cas de Muriel Robine qui explique que l’une de ses proches a vécu un
accident, à la suite duquel elle s’est retrouvée en situation de handicap. C’est là que Muriel a réalisé qu’il
existait un réel besoin d’une mode adaptée aux personnes à mobilité réduite, ce qui n’était pas du tout le
cas jusqu’alors.

b. Le contexte étudiant et professionnel

Nombre de nos témoins ont « rencontré » un besoin alors qu’ils faisaient leurs études ou travaillaient.
Ainsi, Pauline Chatin préparait un BTS en Viticulture-Œnologie lorsqu’elle a rencontré des vignerons qui
lui ont fait part de leurs problèmes de recrutement, l’un des deux besoins que traite Vigne de Cocagne.
De même, Jean-Daniel Muller et Jean-Michel Ricard ont effectué un stage auprès de personnes âgées,
au cours duquel ils ont réalisé qu’il existait un besoin urgent d’activité physique adaptée au sein de ces
établissements. Enfin, Philippe Zaouati, en arrivant chez Natixis, s’est rendu compte que plusieurs
personnes travaillaient sur les problématiques d’investissement à impact, mais qu’aucune équipe n’avait
pu en faire un principe central et structurant de son travail.

MOOC "L'entrepreneuriat social : de l'envie au projet" - octobre 2018

Thierry SIBIEUDE, professeur ESSEC, titulaire de la chaire Innovation et Entrepreneuriat Social


En somme, on note que l’identification du besoin requiert de grandes capacités d’observation et souvent
une sensibilité particulière. Elle survient lorsque l’observateur est à la fois pleinement en contact avec
une réalité et capable de « sortir de lui-même » pour entrevoir ce qu’il pourrait changer.

II. Deuxième étape, la caractérisation du besoin

Valider le besoin et en affiner sa compréhension pour le définir précisément est une étape
incontournable pour qui veut se lancer dans un projet entrepreneurial. On observe au travers des
témoignages que les rencontres et la mise en place de pilotes jouent souvent un rôle clé pour y parvenir.

a. A travers les rencontres

Après avoir identifié un besoin, plusieurs de nos témoins ont décidé d’aller à la rencontre d’acteurs
sur le terrain pour affiner leur compréhension de la question.
C’est le cas de Nicolas Cordier qui a rencontré des associations (Emmaüs, les Compagnons
Bâtisseurs…), des habitants et d’autres innovateurs sociaux dans les entreprises, ce qui lui a permis
d’affiner le besoin et d’aboutir à des chiffres forts sur le mal logement. On peut aussi évoquer Pauline qui
a rencontré des groupements d’employeurs en viticulture pour comprendre leurs difficultés ; Jean-Daniel
et Jean-Michel qui ont compris en voyant les patients que le besoin ne s’arrêtait pas à une activité
physique adaptée ; ou encore Eva Sadoun qui est allée à la rencontre d’entreprises sociales et de fonds
d’impact, pour découvrir un « equity gap », un manque de sources de financement pour les projets pas
encore matures, mais ayant passé l’amorçage.

b. A travers les pilotes

La plupart des entrepreneurs sociaux commencent par mettre en place un test, aussi appelé pilote, qui
permet de vérifier la pertinence du besoin identifié et souvent d’affiner sa compréhension.
Ainsi, Nicolas a lancé deux expérimentations, avec Emmaüs Solidarités et Emmaüs Défis, qui ont
permis de déceler un nouveau besoin, celui de meubler les logements sociaux, vides à l’arrivée des
résidents.
Muriel a lancé un pilote de grande ampleur, réunissant un ergothérapeute, une styliste et un groupe de
personnes à mobilité réduite. Cela a permis de discerner les 4 besoins principaux sur lesquels se base
sa solution, Cover Dressing.

Autre ressource structurante pour définir le besoin, les études qui ont pu être menées en lien avec le
sujet. Pauline explique ainsi que c’est une étude de Pôle Emploi sur les secteurs « en tension » qui lui a
permis de mesurer l’ampleur du problème de recrutement exprimé par les vignerons.

III. Cette phase pendant laquelle on cherche à valider et préciser le besoin permet
également de cheminer vers la solution proposée pour y répondre

Muriel et l’équipe de Cover Dressing ont ainsi été amenés, suite à leur test, à créer un logiciel
permettant d’entrer toutes les caractéristiques d’une pièce vestimentaire pour très rapidement pouvoir
analyser si elle est adaptée à des personnes à mobilité réduite.

Le pilote joue parfois un rôle clé dans la preuve de concept : l’expérimentation menée par Jean-Daniel et
Jean-Michel dans 12 établissements a confirmé le bien-fondé de leur solution et leur a donné un premier
élan crucial. De même, le test lancé par Eva avec 3 projets initiaux a permis de démontrer la pertinence
du besoin identifié et de donner confiance dans sa solution Lita.co, initialement 1001PACT.

C’est également pendant cette phase de compréhension fine du besoin que l’entrepreneur va chercher à
s’inscrire dans un écosystème et à rencontrer ses parties prenantes. Pauline explique que le territoire
pilote, l’Hérault, a offert des conditions idéales à la conception de la solution Vigne de Cocagne. De
même, Nicolas, Eva et Jean-Daniel affirment l’importance de co-construire avec les parties prenantes,

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Thierry SIBIEUDE, professeur ESSEC, titulaire de la chaire Innovation et Entrepreneuriat Social


voire d’adopter une démarche partenariale. Cette phase de croisement de différents regards permet de
saisir les enjeux auxquels les acteurs d’un sujet sur un territoire sont confrontés et de pouvoir les
prendre en compte au mieux dans la proposition de valeur.

Marcela Scaron explique que la fondation Macif a fait un choix original de présence régionale qui lui
permet d’appréhender finement à la fois les besoins par la proximité avec les collectivités locales et les
innovations sociales par l’échange avec les structures d’accompagnement à la création d’entreprise.

Concluons cette séquence avec Hamid Bouchikhi et un focus sur les spécificités du besoin dans
l’entrepreneuriat social

1ère spécificité : contrairement à des entrepreneurs classiques, l’entrepreneur social se doit de


traiter des besoins réels (ils sont déjà bien assez nombreux comme cela !) et s’interdire de créer de
nouveaux besoins comme c’est parfois le cas dans l’économie classique.

2nde spécificité : l’entrepreneur social est dans une situation schizophrénique puisque la meilleure
chose qui puisse lui arriver est de n’être plus nécessaire, voire de disparaître ; cela signifierait en effet
que le besoin n’existe plus ou que les bénéficiaires sont maintenant en capacité de subvenir eux-mêmes
à ce besoin, ce qui est bien l’idéal à atteindre !

MOOC "L'entrepreneuriat social : de l'envie au projet" - octobre 2018

Thierry SIBIEUDE, professeur ESSEC, titulaire de la chaire Innovation et Entrepreneuriat Social

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