Vous êtes sur la page 1sur 13

CAIRN.

INFO : Matières à réflexion

Numéro 2019/3 (n° 85)

« La communication est un art extraordinairement difficile »

Alain Juppé

Dans Hermès, La Revue 2019/3 (n° 85), pages 173 à 182

PrécédentSuivant

Article

Anne Lehmans et Vincent Liquète : Nous fêtons les 80 ans du CNRS cette année. Dans ce cadre, le comité
de rédaction de la revue Hermès, fondée par Dominique Wolton, a proposé que soient menés des
entretiens sur la communication avec les acteurs de la cité. La première interrogation concerne votre
rencontre avec la question de l’information et de la communication dans votre carrière, et l’évolution de
votre rapport à l’information – celle qui est à votre disposition, et celle que vous diffusez – selon les
fonctions que vous avez exercées.

Alain Juppé : J’ai rencontré l’information et la communication dès que je suis entré sur la scène
publique, si je puis dire, en 1976, et surtout lors de ma première campagne électorale dans les Landes
en 1977-1978, dans la première circonscription des Landes, où là, bien évidemment, j’ai été
immédiatement confronté à la nécessité d’informer et de communiquer, de me faire connaître, puisque
j’étais certes un enfant du pays, mais je m’étais éloigné pendant plusieurs décennies. Le souci de
l’information et de communication a donc été immédiat. Et puis au long de ma carrière politique et
publique, je l’ai également ressenti, avec une évolution qui est presque un bouleversement, il faut bien
le dire. Beaucoup de choses ont changé : d’abord parce que j’ai changé moi-même et que j’ai appris en
termes de communication ; ensuite, parce que les attentes de nos concitoyens ont changé. Aujourd’hui,
il y a une demande d’information qui ne cesse de croître, à laquelle il faut répondre. Et puis, le
bouleversement majeur, c’est évidemment l’irruption des technologies de l’information et de la
communication. Quand je communiquais en 1977-1978 et au-delà, c’était uniquement à travers la
presse écrite, la radio, et la télévision. Aujourd’hui, l’équilibre entre ces médias et ce qu’on appellera les
réseaux sociaux au sens large du terme s’est évidemment totalement modifié, et ça bouleverse
complètement la façon de communiquer, le contenu de la communication, les méthodes de
communication…

Vincent Liquète : Si on met en perspective cette période, et celle de votre formation à l’ENA, vous aviez
à l’époque une formation assez poussée autour de la question de la communication politique ?
Alain Juppé : Aucune formation. J’ai d’abord une formation littéraire, l’agrégation de lettres, où vraiment
la communication était sur une autre planète. Et à l’ENA, dans l’enseignement de l’école, je n’ai pas le
souvenir qu’on nous ait initiés à cette science ou à ces techniques. Forcément, on y a un peu été
confrontés dans la mesure où le stage de préfecture à l’ENA est une étape importante dans la scolarité,
et là on commence à être en contact avec le public, et on a évidemment – non pas sur le plan politique,
mais sur le plan administratif – à prendre en compte la nécessité de communiquer avec les citoyens et
de les informer sur ce qu’on fait. Mais c’était de l’apprentissage sur le terrain, ce n’était pas du tout une
formation théorique, qu’on n’a pratiquement pas reçue.

Anne Lehmans : Est-ce que vous faites une différence entre l’information et la communication, et quel
est le concept qui vous est le plus utile ?

Alain Juppé : Cette question m’a un peu surpris. J’ai essayé d’y réfléchir et je ne suis pas parvenu à
apporter une réponse satisfaisante. Je serais tenté de dire que l’information, c’est la transmission des
faits, alors que dans la communication s’ajoute une volonté de convaincre, d’expliquer, d’argumenter,
peut-être d’échanger, qui n’existe pas dans l’information brute. Enfin, la frontière entre les deux me
paraît extrêmement poreuse : quand on informe, on influence aussi, et puis il y a une façon d’informer
qui peut être aussi orientée et viser à convaincre plus qu’à se tenir strictement à la vérité. Est-ce que les
mensonges sont de l’information ? J’aime bien parler français donc je n’emploie pas d’habitude le terme
de « fake news », mais est-ce que les « fake news » sont de l’information ? Non, c’est du mensonge,
donc la frontière est un peu compliquée entre les deux.

Vincent Liquète : Y a-t-il un écart, et des dilemmes peut-être, par rapport à votre expérience aux Affaires
étrangères par exemple, entre l’information qui est stratégique, secrète, « noire », et la nécessité que
l’on a quand même de communiquer politiquement, aux équipes de spécialistes qui vous entourent, et
plus largement au niveau des citoyens ? Comment vit-on cette expérience dans son parcours politique ?

Alain Juppé : C’est difficile, il y a un arbitrage permanent à faire entre la transparence et le secret.
Gouverner implique une part de secret. On ne peut pas tout mettre sur la place publique. C’est évident
dans les relations internationales, dans les questions de défense bien entendu, mais même dans les
questions de politique intérieure. Cette espèce d’obsession de la transparence qui s’est répandue
aujourd’hui, et qui est sans fin, n’aboutit jamais véritablement à satisfaire ceux qui la réclament. On le
voit bien dans la transparence de la situation financière des hommes politiques, la Haute Autorité pour
la transparence de la vie publique, etc. On en veut toujours plus. Et on ne convainc jamais. Il y a toujours
une part de soupçon. Donc il faut répondre à ce besoin de transparence – cela va de soi, et je n’ai rien à
cacher personnellement –, mais en même temps, en tant que gouvernant cette fois-ci, il y a des
moments où effectivement une forme de secret est nécessaire, où la préparation de l’annonce de la
décision suppose le secret. Tout cela s’est extrêmement compliqué parce qu’en fait, le secret n’existe
plus. Dans la communication avec les journalistes par exemple, il y a bien longtemps que j’ai évacué
complètement la différence entre le « off » et le « on ». Le off, ça n’existe pas. Ou ça n’existe plus, à
aucun niveau. Et c’est comme ça que beaucoup d’hommes politiques se font piéger, parce qu’on leur dit
« c’est off » et puis le lendemain ils se rendent compte que, directement ou indirectement, l’information
a fuité.

Vincent Liquète : Il y a un fait communicationnel majeur dans votre carrière, ce sont les deux ans à
Québec, où vous faites un choix de communication électronique, ce qui, à mon avis, est un acte majeur
de la part d’un homme politique « en exil », qui va devenir professeur, et qui fait le choix finalement
d’utiliser une forme de réseau social, à savoir les blogs à l’époque, pour communiquer à la fois sur sa
quotidienneté, mais aussi sur sa vision politique. C’est finalement un homme politique qui s’adresse à un
peuple à distance via un blog. Si vous remettez ceci en perspective, quelques années après, quelle était
fondamentalement l’intention ? Est-ce que vous étiez dans une démarche de communication politique,
ou plus d’intimité, de réflexion personnelle, comme dans un carnet autobiographique ?

Alain Juppé : C’est difficile de répondre à cette question parce que j’ai été précurseur d’une certaine
manière, j’étais un des premiers hommes politiques à utiliser de manière assez systématique ce moyen
de communication. Je ne sais pas si c’était avec une intention politique ou pas, quand j’ai commencé, à
la suite des événements que vous connaissez. Je ne voyais pas très bien quelle était la suite de ma
carrière politique… Donc il n’y avait pas véritablement d’intention au sens de la préparation d’une
candidature par exemple. C’était plus détaché de ça, et en même temps, bien sûr que c’était politique,
puisque je m’exprimais sur beaucoup de sujets politiques. Je me souviens notamment avoir eu des
échanges ; c’est ça qui m’avait beaucoup motivé, parce que je recevais des tas de réactions, de
réponses, sur la réforme de l’éducation, sur d’autres sujets. J’avais beaucoup communiqué à l’époque.
Je me souviens du débat un peu compliqué sur le contrôle continu, avec le ministre de l’Éducation
nationale de l’époque, Xavier Darcos. Il y avait un projet de substitution au baccalauréat du contrôle
continu, et une polémique là-dessus qui n’en finissait pas. Moi j’étais plutôt favorable, sinon à la
substitution intégrale du contrôle continu aux épreuves, du moins à un élargissement de la prise en
compte du contrôle continu, ce qui va se faire d’ailleurs avec la réforme Blanquer. Voilà un sujet sur
lequel ce qui m’avait intéressé dans cette expérience, c’était l’échange ; je n’ai absolument pas retrouvé
cela ensuite avec Twitter, où c’est tout à fait différent. D’abord parce que sur les blogs, quand je voulais
écrire trois pages, je pouvais écrire trois pages, et les gens qui venaient sur le blog les lisaient, alors que
sur Twitter, même si aujourd’hui le nombre de caractères a un peu augmenté, vous êtes réduits à jouer
le Jivaro sur votre pensée politique, et à réduire à quelques phrases les réactions. C’est pour ça que j’ai
fermé mon compte Twitter. Sur le blog, les réactions anonymes étaient rares, tandis que sur Twitter,
c’est l’anonymat, c’est la haine, c’est la méchanceté, c’est horrible. Donc je ne lisais plus jamais, même
quand je continuais à tweeter, les réactions. Alors je voyais peut-être sur mon compteur les « j’aime », là
ça me faisait plaisir, mais les réactions elles-mêmes, c’est la poubelle, c’est épouvantable. Quand je
pense que le président des États-Unis gouverne à partir de Twitter, ça me donne froid dans le dos.

Vincent Liquète : On peut émettre l’hypothèse que la démarche Twitter est aussi une stratégie de
communication politique.

Alain Juppé : Bien sûr, ce peut être une stratégie de communication politique, mais je suis
extraordinairement inquiet de l’utilisation de ces nouveaux outils, pour plusieurs raisons. Parce que
d’abord Twitter, c’est l’immédiateté. J’en parlais hier avec une collègue magistrate, à propos de
certaines décisions de justice récentes, qui me disait qu’on se rend compte que quand on réagit tout de
suite, on rend une décision dans la foulée d’un débat, on se trompe souvent. Combien de fois me suis-je
rendu compte que, le lendemain matin, je n’avais pas tout à fait la même réaction que la veille ? Or, on
attend, sur Twitter, l’immédiateté de la réaction, ce qui peut être tout à fait propice à l’exagération, à la
réaction brutale, passionnelle, superficielle. C’est le premier défaut. Le deuxième défaut, c’est la
contraction de la pensée : vous ne pouvez pas argumenter, donc vous êtes obligé d’aller à l’essentiel. Et
le troisième défaut, que j’ai déjà évoqué, c’est que ça permet à n’importe qui de se lâcher, dans
n’importe quelles conditions, sous un masque, sous le bénéfice de l’anonymat, ce qui est une calamité
absolue. Voilà pourquoi je suis inquiet. Dans une conférence sur la liberté, j’évoquais les menaces qui
pèsent sur ce que nous avons mis plusieurs siècles à construire, nos libertés individuelles, nos libertés
politiques. Dans ces menaces, je vois bien sûr la complexité croissante de la vie quotidienne, les
interdictions, les normes ; ensuite, la mise en cause de la démocratie représentative ; et enfin le retour
en grâce des hommes forts. Il y a un livre qui vient de sortir qui s’appelle Le Retour du prince [1].
Aujourd’hui, les dictateurs, ou les régimes autoritaires, sont à la mode. Il y a même des Gilets jaunes qui
réclamaient en France l’arrivée au pouvoir d’un général, d’un militaire. C’est un peu inquiétant. Et puis la
dernière menace, bien évidemment, c’est la menace sur la vie privée, qui fait qu’aujourd’hui,
effectivement, on est surveillé de tous les côtés, absolument. Maintenant, quand vous réservez un TGV
par Internet (c’est peut-être moins vrai au guichet), vous êtes obligé de donner votre nom, votre
prénom et votre date de naissance. Il y a quand même des grands pays démocratiques où on n’avait pas
de papiers d’identité – l’idée de ne pas être obligé d’afficher en permanence l’identité était considérée
comme une liberté fondamentale. Aujourd’hui, c’est l’inverse, la disparition de l’argent liquide, c’est très
bien, ça permettra peut-être de lutter contre la fraude, et le résultat, c’est que tous vos actes de
paiement sont enregistrés, vous êtes géolocalisé, les données sont communiquées à des fabricants
d’algorithmes qui ensuite s’en servent à des fins commerciales ou autres, ou peut-être politiques dans
un schéma extrême. On n’est pas menacés de ça heureusement, en France, mais enfin c’est la société de
surveillance à la chinoise.

Vincent Liquète : Peut-être que les journalistes sont eux-mêmes dépassés par les informaticiens.
Alain Juppé : Oui bien sûr, et le métier de journaliste est devenu aussi difficile parce que l’immédiateté
et l’abréviation, l’abréviation de la pensée finalement, les journalistes y sont confrontés aussi. Ils sont
obligés de rentrer dans le moule. Qui lit encore aujourd’hui des articles d’une page ou de cinq ou six
colonnes ? Plus beaucoup de gens…

Anne Lehmans : Justement, en tant que membre du Conseil constitutionnel, est-ce que vous pensez qu’il
y a quand même encore l’espoir d’une protection efficace des libertés par rapport à l’information ?

Alain Juppé : Je ne suis absolument pas dans une tonalité pessimiste, dans la perspective de baisser les
bras, d’attendre l’effondrement général, puisque maintenant il paraît qu’on est promis au « collapse »
général. Il faut agir, il faut se battre, bien entendu, sur tous ces fronts-là, ça commence à venir, on se
rend compte que la puissance des GAFAM doit être endiguée, contrôlée, que le pouvoir politique doit
intervenir pour fixer des règles. Là aussi, il y a une prise de conscience qui arrive, il ne faut pas se
résigner. Et le Conseil constitutionnel, d’une certaine manière, est au cœur du sujet, parce que, au-delà
du contrôle de la constitutionnalité des lois, qui est notre mission première, il y a eu une réforme très
profonde depuis 2008 qui est celle des questions prioritaires de constitutionnalité. Le Conseil
constitutionnel est gardien des droits et libertés du citoyen, au regard de la loi, y compris d’une loi
promulguée il y a 10 ou 15 ans ; on est donc au cœur du sujet de la défense de l’égalité devant les
charges publiques, de la liberté de conscience, de la liberté de la presse, enfin de tous les droits
fondamentaux, le droit de propriété. Ce qui m’a beaucoup frappé en arrivant dans cette maison, c’est le
bloc de constitutionnalité : ce n’est pas uniquement la constitution de 1958, c’est aussi la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen, le préambule de la constitution de 1946 et les droits sociaux, la
Charte de l’environnement de 2004. Dans toutes nos décisions, nous nous référons à ses principes
fondamentaux. Donc vous voyez que là, on est au cœur de ce débat des libertés publiques face à toutes
les menaces qui les attaquent aujourd’hui. Et à côté de ça, sans fatalisme ni provocation, je pense que
sur les problématiques de communication et de politique, d’information, et d’information politique, le
droit et les systèmes légaux ont tendance toujours à légiférer et à courir derrière des usages qui sont
largement en avance, ce qui veut dire que finalement on court après une réalité qui est déjà tout autre,
le temps que l’appareillage juridique se mette en ordre… On a un début de prise de conscience de la
puissance sans contrôle de Google, et c’est peut-être qu’on a déjà perdu la bataille, mais enfin ce n’est
pas une raison pour ne pas essayer de la livrer et d’arrêter d’autres dérives plus graves encore. On court
un peu après, mais parfois on rattrape. Aujourd’hui, on est obligé de sortir de tous ces sites les propos
haineux ou injurieux, ça commence à entrer, mais enfin il faut se méfier aussi, parce qu’il y a toujours
des moyens de contourner les obligations et les lois. Ce qui me préoccupe aussi, c’est la façon dont les
algorithmes sont fabriqués et contiennent parfois des biais qui n’apparaissent pas à l’évidence, dont
certains parfois n’intègrent pas du tout ce qui est devenu une exigence, c’est-à-dire l’égalité femmes-
hommes par exemple. À partir de données qui parlent des hommes, on bâtit des algorithmes qui
privilégient, notamment dans le problème de la formation, les hommes. Les femmes s’intéressent moins
aux filières informatiques et donc les algorithmes qui orientent les jeunes vers les filières sont biaisés et
aggravent cette tendance.

Vincent Liquète : Avez-vous connu des échecs dans votre communication ?

Alain Juppé : J’en ai rencontrés beaucoup, comme tout le monde. J’ai connu quelques succès, quelques
échecs, dont un très récent, dans ma campagne pour les primaires, où j’avais choisi comme thème
l’identité heureuse. Et je me suis trompé là-dessus, pour plusieurs raisons. D’abord du fait peut-être de
ma propre maladresse dans la présentation des choses : pour moi ça n’était pas un constat, je n’allais
pas raconter aux électrices et aux électeurs que tout se passait bien et qu’on vivait dans le meilleur des
mondes possibles. C’était un projet, et je répétais sans cesse : je me vois mal être candidat à la
présidence de la République pour promettre à mes concitoyens que l’on va aller vers plus de malheurs,
je pense au contraire que mon rôle est de leur dire qu’on va essayer de reconstruire le bonheur de vivre
ensemble. Mais l’intention n’est pas passée. C’est la première raison de l’échec. La deuxième raison,
c’est que ce thème n’était pas en harmonie avec le « politiquement correct » de l’époque. Je me
souviens d’un débat avec Alain Finkielkraut qui venait de sortir son livre, dont l’idée générale était plutôt
le déclin, l’effondrement, la catastrophe, le « tout fout l’camp », la perte de notre identité, le malheur !
J’étais en déphasage avec tout cela. Et puis le troisième élément, ça a été le rôle des réseaux sociaux, qui
ont flingué cette idée en la dénaturant. Au total, ça a échoué. Ce n’est pas la seule raison de l’échec, il y
en a sans doute d’autres, mais ça a quand même beaucoup joué. C’était un échec de communication, je
ne suis pas parvenu à faire passer ce que je voulais dire en évoquant cette idée d’identité : oui on est fier
d’être français, mais pour nous ce n’est pas une malédiction, et ce n’est pas un sujet de conflit, c’est au
contraire une conviction sur laquelle on peut fonder une société ouverte, généreuse et heureuse de
vivre ensemble.

Vincent Liquète : Lorsque vous faites le choix d’entrer par cette thématique de l’identité heureuse, c’est
un choix que vous assumez complètement, ou vous êtes dans une logique d’un collectif de
communication politique qui vous convainc finalement de vous engager là-dedans ? Comment se décide
finalement cet affichage ?

Alain Juppé : C’est mon idée, je l’ai cultivée jusqu’au bout. Contrairement à ce qu’on dit parfois, j’écoute
souvent les conseils de mes collaborateurs, mais là, c’est vrai, j’avais envie de dire ça, et puis on a parlé
évidemment avec toutes mes équipes qui ont adhéré. Je ne suis pas parti au combat tout seul,
complètement isolé, mais c’était quand même ce que je ressentais, ce que j’avais envie de dire, c’était
l’originalité sur laquelle je souhaitais me positionner. Je reviens sur le rôle des réseaux sociaux et sur
leur caractère pernicieux : ce qui a joué aussi dans l’échec, c’est la campagne de ce qu’on appelle parfois
la « fachosphère » sur Ali Juppé, parce que j’avais de bonnes relations ici avec l’imam Tarek Oubrou, qui
défend une vision de l’islam qui me paraît extrêmement importante et positive, c’est-à-dire de l’islam
républicain. Il explique qu’il faut relire le Coran au xxie siècle, et pas au viie siècle, qu’il faut
recontextualiser, et ça c’est exactement le contraire du salafisme, du retour au littéralisme de
l’interprétation du Coran. Donc son message est extrêmement précieux, j’ai de bonnes relations avec lui,
j’avais même envisagé avec lui un projet qui n’a jamais abouti, qui était de donner aux musulmans de
Bordeaux une salle de prière, parce que je ne peux pas à la fois dire qu’on leur interdit de prier dans la
rue et qu’on leur interdit d’avoir une salle de prière. Dès lors que dans ces salles de prière, on n’appelle
pas à se mobiliser contre la République et contre les valeurs de la République, elles sont parfaitement
acceptables. Donc c’était ça ma ligne, et ça a été transformé en « Ali Juppé » sur les réseaux sociaux. Je
me souviendrai toujours d’une réunion à l’université Assas à Paris. C’était, je crois, l’un des plus grands
amphithéâtres de la région parisienne, avec 2 000 places, 2 000 étudiants qui m’attendaient dans une
ambiance extrêmement sympathique, et à l’entrée, dans la rue, il y avait grande banderole « Bienvenue
au grand mufti de Bordeaux ». Ce thème a été sans cesse développé et là, dans mon équipe, plusieurs
personnes m’ont dit de faire attention. J’ai traité ça d’un revers de main en disant « c’est tellement
ridicule, je ne suis pas converti à l’islam, Ali Juppé ça n’a pas de sens » ; je n’y ai pas attaché l’importance
qui convenait, et je me suis rendu compte a posteriori que ça avait joué un rôle important, notamment
dans le débat avec François Fillon, où les « cathos de choc » s’en sont servis, avec toute une campagne
qui a été relayée sur ce thème.

Anne Lehmans : Dominique Wolton, justement, travaille beaucoup les questions d’incommunication. Il
dit que l’enjeu dans la communication, finalement, ce n’est pas la relation entre émetteur et récepteur,
ou la capacité qu’auraient les récepteurs à recevoir différemment le message, mais que c’est plutôt cet
entre-deux fait d’incommunication. Toute la difficulté d’une communication, et donc d’une
communication politique, c’est de réduire les quiproquos, les interprétations, les malentendus souvent.

Alain Juppé : Dominique Wolton a tout à fait raison. La communication est un art extraordinairement
difficile, parce que les malentendus ou les incompréhensions peuvent résulter des maladresses de celui
qui émet, ou des imprécisions de ses idées ou de son vocabulaire ; et surtout, on est dans un monde qui
n’est pas un monde paisible, où il y a un combat politique qui fait que vos idées sont systématiquement
déformées, d’abord par vos adversaires – ce qu’on peut à la limite admettre et comprendre, c’est le jeu
de la démocratie –, mais parfois aussi par les journalistes qui, victimes de la rapidité, de la superficialité,
ont tendance à ramener toujours le débat sur des questions qui ne sont jamais des questions de fond.
Cela m’a beaucoup frappé sur les questions européennes en particulier. J’entendais souvent des
journalistes dire qu’il n’y a pas eu de débat sur les avantages et les inconvénients de l’euro, mais je n’ai
pratiquement jamais entendu un débat consacré, pendant un certain temps nécessaire, à savoir quelles
avaient été les conséquences du passage à l’euro, par exemple. Est-ce que, oui ou non, cela a provoqué
une dérive des prix, de l’inflation ? On interroge les gens sur leur avis, mais pas sur le sens de l’euro, sur
les stratégies politiques. On ramène toujours le débat à des enjeux politiques ou politiciens immédiats,
et on élude les débats de fond. C’est ça qui ne facilite pas la communication.

Anne Lehmans : Est-ce que ce n’est pas aussi ce qui se passe dans un débat public, par exemple un
conseil municipal ? On a vu à la télévision que parfois c’est houleux, c’est compliqué ?

Alain Juppé : C’est vrai aussi. Je pense que c’est pour ça que ça suscitait de ma part quelque impatience,
là on prend le temps. On a des débats, ça dure des heures, et malgré les règlements intérieurs, j’avais
compris au bout d’un certain temps qu’il n’était pas bon d’interrompre mes opposants, donc ils avaient
le temps de développer des arguments quand même – à tort ou à raison, de bonne foi ou de mauvaise
foi, ça c’est une autre question. Moi, ce qui me frappe, c’est ce sur quoi les Français aujourd’hui se
fondent en termes de communication politique. C’est la radio le matin, c’est le JT le soir, qui reste
encore regardé quand même, quoi qu’on en dise, et puis c’est les réseaux sociaux. Donc c’est très
difficile d’accéder à de véritables débats de fond où on peut échanger des arguments. Quand vous êtes
en campagne électorale pour les élections européennes et que vous avez dix personnes sur la scène,
comment voulez-vous avoir un débat de fond ? Ça tourne immédiatement au match de catch et on
élude évidemment les vraies questions. Alors c’est compliqué, les émissions politiques de fond, il y en a
de moins en moins.

Vincent Liquète : Est-ce qu’il y a encore aujourd’hui des espaces de vraie communication, de dialogues,
de réflexion ?

Alain Juppé : On peut écrire des livres, qui sont plus ou moins lus, le tirage moyen d’un livre politique
c’est 5 000 ou 6 000 exemplaires. Passé 10 000, c’est un grand succès… Il y a pourtant un besoin
d’information qui existe, il faut utiliser tous ces moyens croisés.

Vincent Liquète : On voit progresser des formes de populisme, au niveau européen par exemple. Quelle
est la part éventuelle de la communication politique dans la montée des populismes ?

Alain Juppé : Le populisme est une forme de communication, parce que la communication, d’une
certaine manière, est neutre sur le fond de ce que vous dites. Vous pouvez communiquer sur des
mensonges aussi. Il y a l’art de communiquer sur le mensonge, qui s’appelle la propagande – ou le
populisme. Et le populisme manie très bien les instruments de communication, donc la communication
est un outil. Il s’agit de savoir ce qu’on véhicule, ce que véhicule l’outil, et comment on fait en sorte de
trier le mensonge et la vérité. Et ça, ça nous ramène à quelque chose de beaucoup plus fondamental,
qui est l’éducation et la formation des esprits. Pour moi, le rôle fondamental de l’école, c’est certes
d’apprendre à lire, écrire et compter, mais c’est surtout d’apprendre à raisonner. De former l’esprit
critique, le libre arbitre, d’avoir des repères pour distinguer le vrai du faux. Ce n’est pas facile. J’écoutais
récemment à Bordeaux Étienne Klein, absolument éblouissant, qui disait : « Nous scientifiques, nous
savons qu’il y a des choses vraies. Le doute méthodique oui, mais le relativisme intégral non. Il y a des
vérités. On sait que la Terre est ronde, on le sait, non seulement parce qu’on l’a vu, mais aussi parce
qu’on l’a calculé donc on le sait ». Et ça n’empêche pas un certain nombre de gens de dire que la Terre
est plate. Il y a encore des sites internet sur lesquels on nous explique que la Terre est plate et que le
reste c’est du complotisme, du mensonge. Donc il est important de savoir comment donner à nos
enfants les outils intellectuels nécessaires pour qu’ils puissent s’y retrouver.

Vincent Liquète : C’est un grand enjeu. Parce que les phénomènes de post-vérité renvoient à des
questions de culture de l’information et d’éducation à l’information. Avez-vous constaté, dans votre
expérience internationale aux Affaires étrangères, des variations culturelles des modes de
communication politique ?

Alain Juppé : Il y a d’abord un clivage qui est très important, si on veut faire des comparaisons
internationales, entre les pays dans lesquels il y a la liberté de la presse et de communication, et ceux où
il n’y en a pas. Il y a des pays où la vérité officielle s’impose. Nous avons la chance d’être dans un pays où
le pluralisme existe. J’ai eu un débat sur ce sujet avec mes amis hongrois qui m’expliquaient que la
presse était libre en Hongrie, et que d’ailleurs les principaux médias étaient des médias d’opposition.
Cela suscitait chez moi un certain scepticisme. Donc, on peut verrouiller les outils de communication ou
les laisser libres, et nous avons cette chance en France, quoi qu’en pensent certains, d’avoir encore une
vraie liberté d’expression, une liberté d’objection. Cela dit, il y a des régimes qui sont évidemment
extrêmement habiles dans la manipulation de l’opinion publique. Le mensonge existe encore, c’est très
difficile même dans des pays très évolués, qui sont des démocraties depuis longtemps, avec de vraies
libertés de la presse, de combattre cette tendance au mensonge. Monsieur Boris Johnson a fait, pour le
Brexit, une campagne fondée sur des mensonges éhontés. Et qui ont été révélés. Ça n’empêche qu’il va
devenir premier ministre de Grande-Bretagne. Donc la vérité a encore du chemin à faire.

Vincent Liquète : La société française est une société cosmopolite. La communication politique ne
continue-t-elle pas de fonctionner sur un modèle du « Français » datant des années 1950, 1960 ou 1970,
qui ne prend pas en compte la diversité culturelle, du point de vue de l’éducation, de l’origine, etc. ?

Alain Juppé : Non, je ne crois pas qu’on puisse dire ça. Il y a évidemment des présupposés idéologiques
chez ceux qui communiquent. Certains veulent nous convaincre que la société française s’est arrêtée
effectivement il y a quelques décennies. Enfin, je suis catholique – en recherche, pas complètement
convaincu –, mais je pense que la France a des racines chrétiennes, c’est absolument indéniable, voyez
l’émotion que suscite l’incendie de la cathédrale Notre-Dame, qui n’est pas simplement une émotion
patrimoniale mais aussi une émotion spirituelle. Mais ça n’épuise pas aujourd’hui la réalité de la société
française, bien entendu, ce sont des racines, après il y a des arbres qui poussent, et donc il y a des tas de
formations politiques ou d’intellectuels aujourd’hui qui prennent complètement en compte cette
diversité de la société française, son multiculturalisme. Cela n’a pas toujours été compris. Quand vous
parlez de multiculturalisme, c’est confondu avec le communautarisme. Je suis contre le
communautarisme, qui implique de s’enfermer dans sa communauté, de prétendre qu’elle est
supérieure aux autres, et d’être en incommunication avec les autres. J’ai vécu ça au Québec, puisque
j’habitais dans un quartier à Montréal où il y avait une communauté juive hassidique. En un an, on n’est
jamais arrivé à dire bonjour à nos voisins, complètement refermés sur eux-mêmes. Ça, c’est un
communautarisme qui est étranger à la culture, à la civilisation, à l’idéologie républicaine française. En
revanche, prendre en compte la diversité culturelle, et le fait qu’on n’oublie pas ses racines, et que tout
le monde n’a pas des racines européennes et chrétiennes, c’est absolument évident. De ce point de vue
là, je disais souvent au Québec que le développement des techniques de l’information a changé
complètement la donne. Au xixe siècle, quand vous étiez sicilien, que vous vous expatriiez aux États-
Unis, vous ne perdiez pas de vue votre famille, mais pour faire un voyage, il fallait plusieurs semaines,
une lettre, quand elle arrivait, mettait plusieurs jours ; aujourd’hui, vous êtes branché en permanence
sur Internet et vous communiquez avec votre famille restée au pays. Entre les Américains et les
Mexicains, le mur est dans la tête de monsieur Trump. De facto, il n’existe pas. Donc il faut prendre en
compte cette diversité culturelle. Bien entendu, je pense qu’elle existe, on le voit bien dans la vie locale.
À Bordeaux, je faisais régulièrement des rencontres sur les diasporas africaines, on fête le Nouvel An
asiatique à la mairie parce qu’il y a des communautés asiatiques, il faut faire le partage entre cette
reconnaissance de la diversité et le refus du communautarisme et de la fracture de la société française.
La réponse, c’est le bien commun, c’est les valeurs communes, c’est la liberté, l’égalité, la laïcité. La
laïcité pour moi, c’est un Janus biface, la liberté de religion et de pratiquer sa religion (ou aucune), ça
c’est le premier visage, et c’est pour ça qu’il faut donner des salles de prières à ceux qui ont une
religion ; mais d’un autre côté c’est le refus de voir une religion imposer sa doxa sur la vie publique, et
par exemple l’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas négociable en fonction des croyances
religieuses, c’est un principe républicain que tout le monde doit admettre. Voilà ce que j’entends par
laïcité. Tout le monde s’interroge, mais pour moi c’est un concept parfaitement clair si on veut bien s’en
tenir aux définitions essentielles. Ensuite, il y a les modalités pour les faire respecter.

Vincent Liquète : Vos conseillers et vous-même avez été particulièrement performants en termes de
communication politique à travers non pas un message politique direct, mais par exemple, dans la ville
de Bordeaux, son réaménagement, une nouvelle forme de modernité, la labellisation Unesco. Quel est
le regard que vous portez de cette expérience, à la fois en tant que maire et acteur politique ?

Alain Juppé : Je vais peut-être vous surprendre, mais c’est la démonstration que la communication est
seconde ou marginale. Pourquoi le message est-il passé à Bordeaux ? C’est parce que les choses ont
changé, pas parce qu’on a communiqué. J’aurais pu communiquer sur l’embellissement de Bordeaux,
sur son attractivité. Mais si la réalité n’avait pas été au rendez-vous, la communication n’aurait pas
marché. Donc, je ne crois pas qu’on puisse raconter des histoires aux gens complètement décalées avec
la réalité. Les Bordelais ont bien vu que la ville avait changé. Et à partir de là, évidemment, on a amplifié
le mouvement en communiquant. Mais ce qui m’a beaucoup frappé, c’est que cette prise de conscience
du changement de la ville, pour moi, a été complètement décalée rapport à ce que je ressentais comme
la réalité. Tous les projets que j’ai lancés, c’est dans les années 1995. Tout est sur les rails depuis
longtemps. Mais quand est-ce que les Bordelais prennent conscience que les quais ont changé ? Pas
quand le conseil municipal a délibéré, ou quand on a lancé le marché, c’est quand ils ont vu, quand ils
ont marché sur les quais, c’est-à-dire tard, il y a dix ans. Et c’est là que la communication peut donner
son plein effet, parce qu’elle relaie une réalité dont les gens ont conscience. Alors c’est difficile, parce
qu’il ne faut pas rater le coche, il ne faut pas arriver trop tard, donc il faut bien calculer le moment où un
message peut être compris et reçu. Si on est complètement à plat par rapport à la réalité ça ne passe
pas, bien sûr… On le voit bien sur les questions de propreté et de sécurité : on fait des campagnes de
communication et les gens n’y croient pas, parce qu’ils voient que c’est sale. Alors maintenant j’ai trouvé
la parade en disant que si la ville est sale, c’est parce que certains habitants se comportent salement.

Anne Lehmans : Est-ce qu’il y a des limites à ne pas franchir pour un homme politique dans sa
communication à votre avis ?

Alain Juppé : Oui bien sûr, des limites que chacun se fixe à lui-même. D’abord mentir, c’est une première
limite, parce que finalement le mensonge vous rattrape toujours, c’est un mauvais calcul de raconter
des histoires. Ensuite, je n’aime pas trop la vulgarité, je crois qu’il faut rester dans une certaine tonalité.
Les gens se font une idée, une certaine idée de la responsabilité, des responsables publics et des
responsables politiques, il ne s’agit pas de garder ses distances mais de rester dans son domaine et ne
pas essayer de taper sur l’estomac de tout le monde. C’est ce que j’ai pratiqué, ça peut être porté à mon
débit, mais aussi parfois à mon crédit. Vulgarité, ou excès, ou exagération : je suis partisan depuis
toujours de la vertu de la modération, que j’essaie de pratiquer en expliquant que la modération n’est
pas la mollesse. J’ai souvent cité Montesquieu qui dit que la modération se construit. La tendance
naturelle de la personne humaine, c’est plutôt l’hubris, c’est plutôt l’exagération. On le voit aujourd’hui,
on exagère, il y a le fanatisme. Garder des positions équilibrées demande une discipline intellectuelle,
c’est pour moi très important. Quand vous parliez de limite, il y en a une aussi que je n’ai pas évoquée,
c’est la limite de la vie personnelle. Paris Match a ressorti il y a peu une collection de photos où on voit
beaucoup d’artistes mais aussi beaucoup d’hommes politiques se livrer à l’objectif de la caméra. Moi,
j’ai un souvenir un peu cuisant que ma femme évoque souvent. Quand on était à Matignon – ma fille
Clara est née à Matignon, quand j’étais Premier ministre –, Paris Match nous avait demandé de faire un
reportage sur Clara, et j’avais refusé. Je pensais que ça n’intéressait pas les Français de savoir quelle
était la couleur de ses yeux ou de ses vêtements. Et je me suis trompé : d’abord, ça intéresse les gens, et
deuxièmement, Paris Match a contourné ce refus avec une photo volée, et ils ont publié une photo en
disant : « Alain Juppé a refusé mais quand même… » C’était moi qui étais mis en accusation parce que
j’avais refusé de me prêter à cet exercice. Cela dit, je n’ai pas tellement changé d’avis là-dessus, je n’ai
pas très envie de livrer ma vie privée. Mais ça m’est arrivé deux ou trois fois de me retrouver dans Paris
Match en costume de bain avec ma femme sur une plage corse ou à l’île Maurice, la quasi-totalité des
lecteurs de Paris Match sont persuadés que c’était sans doute avec mon accord, et sans doute contre
rémunération, alors que c’était des photos volées naturellement, complètement volées. C’est comme
ça, les paparazzi. Je dois dire que j’ai été assez protégé quand même contre le phénomène des
paparazzi, parce que j’ai fait attention et que j’ai toujours refusé de m’exhiber.

Note

[1]

V. Martigny, Le Retour du prince, notre fascination pour les chefs, Paris, Flammarion, 2019.

Mis en ligne sur Cairn.info le 28/11/2019

https://doi.org/10.3917/herm.085.0173

PrécédentSuivant

CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Avec leur soutien

CNL CNRS

À propos

Éditeurs

Particuliers

Bibliothèques

Organisations

Abonnement Cairn Pro

Listes publiques

Dossiers

Rencontres

Contact
Cairn International (English)

Cairn Mundo (Español)

Cairn Sciences (Français)

Authentification hors campus

Aide

© Cairn.info 2023

Conditions générales d’utilisation

Conditions générales de vente

Politique de confidentialité

PDF

Help

Vous aimerez peut-être aussi