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ŒUVRE INTEGRALE 1 : RIMBAUD, CAHIERS DE DOUAI, 1870

LECTURE LINEAIRE 1 : « Vénus Anadyomène », A.Rimbaud, Cahiers de Douai, 1870

Vénus Anadyomène1

1 Comme d'un cercueil vert en fer-blanc, une tête


De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D'une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Avec des déficits2 assez mal ravaudés3 ;

5 Puis le col4 gras et gris, les larges omoplates


Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l'essor ;
La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;

L'échine est un peu rouge, et le tout sent un goût


10 Horrible étrangement ; on remarque surtout
Des singularités qu'il faut voir à la loupe...

Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus5 ;


– Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d'un ulcère à l'anus.

1 Représentation traditionnelle de la Vénus anadyomène (=sortie des eaux) : Botticelli, La naissance de Vénus, 1486
2 Déficits : défauts
3 Ravaudés : raccommodés, reprisés

4 Col : cou

5 Clara Venus : en latin, « célèbre Vénus »


ŒUVRE INTEGRALE 1 : RIMBAUD, CAHIERS DE DOUAI, 1870

LECTURE LINEAIRE 2 : « Le Dormeur du val », A.Rimbaud, Cahiers de Douai, 1870

Le Dormeur du val
1 C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons6
D'argent; où le soleil de la montagne fière,
Luit; C'est un petit val qui mousse de rayons.

5 Un soldat jeune bouche ouverte, tête nue,


Et la nuque baignant dans le frais cresson7 bleu,
Dort; il est étendu dans l'herbe, sous la nue8,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme


10 Sourirait un enfant malade, il fait un somme:
Nature, berce-le chaudement: il a froid.

Les parfums ne font plus frissonner sa narine;


Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

6 Haillons : vieux habits déchirés


7
Cresson : plante comestible qui pousse dans des lieux humides
8 Sous la nue : sous les nuages
ŒUVRE INTEGRALE 1 : RIMBAUD, CAHIERS DE DOUAI, 1870

LECTURE LINEAIRE 3 : « Ma bohème », A.Rimbaud, Cahiers de Douai, 1870

Ma bohème
(Fantaisie)

1 Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;


Mon paletot9 aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal10 ;
Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

5 Mon unique culotte avait un large trou.


– Petit-Poucet rêveur, j’égrenais11 dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,


10 Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,


Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !

9 Paletot : manteau
10 Féal : au Moyen Age, celui qui jure fidélité
11 Egrener : laisser tomber par grains

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