Vous êtes sur la page 1sur 34

01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5.

La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

CNRS
Éditions
Économies contemporaines du cinéma en Europe
| Claude Forest

Chapitre 5. La
programmation
des films en salles
1
de cinéma
p. 119-142

Texte intégral
1 La recherche hebdomadaire de la meilleure adéquation entre
les films proposés par les salles et la demande putative du
public est du ressort de celui qui choisit les titres, l’exploitant
durant plus d’un demi-siècle, celui-ci ou son programmateur
depuis une quarantaine d’années.
2 La programmation des films en salles est la fonction vitale
d’un métier qui revêt une double importance au sein de la

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 1/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

filière cinématographique, production-distribution-


exploitation :

une importance artistique, car une fois les œuvres


produites, il est de la responsabilité des distributeurs de
réussir à les faire connaître au public en leur trouvant
une exposition idoine dans les salles ;
une importance commerciale, car de la quantité et de la
qualité des cinémas qui accueilleront chacun des titres
dépendront, d’une part, une fraction de l’amortissement
économique immédiat des films, d’autre part, leur
valorisation pour les autres supports (droits de passage
à la télévision, vidéo), et enfin pour les salles
l’optimisation de leur rentabilité.

3 La programmation proprement dite s’entend comme choix


et organisation d’un spectacle, et s’il est un métier
déterminant pour la qualité de l’offre, et, pour certains
intervenants, qui mesure l’« indépendance » d’une salle, il
s’agit bien de la programmation, c’est-à-dire du choix des
films à passer à l’écran durant une période déterminée. Qui
fait ce choix ? en fonction de quels critères ? avec quel réel
degré d’autonomie ? sont quelques questions d’importance
pour comprendre le phénomène d’uniformisation apparente
de l’offre au sein d’une ville, d’une nation, voire du continent
européen, ainsi que pour mesurer le degré de latitude des
professionnels concernés.
4 Un rappel historique concernant le métier de
programmateur de films en salles précédera l’analyse de sa
mutation récente face à l’accroissement quantitatif de l’offre
(le développement des multiplexes) et à l’accélération de
l’usure économique des films en salles (raccourcissement de
leur durée d’exploitation), puis la réalité pratique de ce
métier sera abordée en s’appuyant sur l’exemple français.

LA PROGRAMMATION DES SALLES DE


CINÉMA

Son évolution
https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 2/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

5 Jusqu’au milieu des années 1950, le marché était segmenté


dans le temps entre les salles d’exclusivité, de seconde
exclusivité et les salles de vision ultérieures, également dites
« de quartier » ; ces salles obtenaient les films les unes après
les autres avec un décalage de plusieurs mois entre elles,
établi selon leurs performances commerciales. Le
raccourcissement de la demande de vision des films débute
avec le développement de la télévision à la fin des années
cinquante ; la sortie des films en certaines salles d’exclusivité
– et donc leur possession, ou au moins leur programmation
– allait devenir stratégique, et la pression pour raccourcir les
délais d’exploitation de plus en plus forte.

La primauté des programmateurs


6 Pour faire face partout en Europe au rétrécissement du
marché à partir du milieu des années cinquante (les entrées
baissent de moitié en une décennie), les distributeurs se
regroupent, à commencer par les Américains avec CIC (qui
deviendra UIP), et se mettent à replier leurs centres de
décision sur les capitales, puis à fermer leurs agences de
province pour économiser des coûts de structure. Le contact
entre les agents du marché devient géographiquement plus
distant et temporellement plus espacé. En réponse, les
salles, qui sont un point de passage obligé pour une grande
partie de la production, ressentent la nécessité d’un
intermédiaire-négociateur avec les distributeurs. Ce métier
de programmateur, qui était apparu dès avant la guerre,
prend son essor durant cette période, et la décennie suivante
verra sa consécration. Souvent exploitant lui-même, son
pouvoir de négociation, quant au nombre de copies et aux
conditions de location qu’il peut obtenir, est proportionnel
au poids économique des salles qu’il représente. Les
alliances entre groupes d’exploitation prennent alors leur
véritable sens, avec un succès indéniable qui va les faire
tendre vers des situations oligopolistiques au cours de la
décennie suivante.
7 Malgré leur interdiction (en France dès la décision n°1 du
CNC2), les ententes de programmation entre salles ont

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 3/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

toujours existé, leur poids réel étant difficile à évaluer à cette


époque (années cinquante-soixante). La lutte des pouvoirs
publics contre les ententes en général, et celles de l’industrie
cinématographique en particulier, visait surtout les
pratiques limitant l’abaissement des prix ou conduisant à
des refus de vente. La législation va évoluer après la création
du Marché commun européen, notamment après le premier
règlement d’application (du 6 février 1962) du traité de
Rome portant sur la réglementation des ententes. Dès 1963
sera édicté un premier cadre à l’intérieur duquel les ententes
de programmation devront se constituer ; il leur faudra
notamment faire une demande d’agrément auprès d’une
commission professionnelle chargée d’émettre un avis. En
France, ces ententes ne pouvaient regrouper plus de trente
salles, l’une d’entre elles étant mandatée par les autres pour
négocier les contrats de films auprès des distributeurs3.
Formalisée ou non, l’étroitesse relationnelle du milieu
impliquait déjà de forts liens implicites entre exploitants
économiquement importants et conduisait à une opacité
rendant impossible toute cartographie exacte de ces ententes
de programmation pour les années soixante.

Le développement des circuits français


8 Le premier pôle d’importance (plus d’une centaine d’écrans)
a été constitué par le rapprochement de Pathé et de
Gaumont en 1967, réunis au sein d’un GIE de
programmation qu’ils formaliseront en 1970. Son but était
d’assurer l’approvisionnement en films des deux circuits, et
d’élaborer une politique commune d’expansion. Il a
rassemblé les salles appartenant aux deux groupes
(respectivement 20 et 36) ainsi que de nombreuses autres
salles séparées juridiquement (57), mais stratégiques pour le
maintien d’une position dominante en certaines villes. Dix
ans plus tard, en 1977, Gaumont possédera 34
établissements regroupant 96 écrans, taille légèrement
supérieure à celle de son partenaire dans l’exploitation. Des
16 salles de 1968, Pathé va se retrouver à la fin de la

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 4/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

décennie avec 25 établissements représentant 92 écrans,


dont 77 en propriété directe.
9 En février 1967, la société Parafrance s’était rapprochée de la
Paramount, et cette alliance avait englobé les salles
Paramount (29 établissements) puis Publicis. Poussés par la
concurrence, ils vont ensuite imiter l’accord Pathé-Gaumont
en septembre 1972 en mettant en commun leurs salles et
celles d’Océanic. Le nouveau circuit de programmation
représentait 148 salles.
10 L’Union générale de la cinématographie, groupe nationalisé,
résultait de la fusion en 1947 d’entreprises de toute la filière
cinématographique. Au sein de l’exploitation, sa taille est
demeurée longtemps relativement modeste puisqu’à la fin
des années soixante elle n’exploite que 23 salles en propre.
En février 1969, l’UGC va s’allier avec P. Hellmann (le Rex à
Paris...) pour former un GIE de programmation qui
rassemblera 75 écrans. Avec 600 salles programmées par
Pierre Edeline dix ans plus tard, l’UGC et sa structure ont
favorisé la coopération entre exploitants juridiquement
indépendants et ont profondément modifié et perturbé le
marché des salles.
11 Durant cette première phase, l’objectif des regroupements
d’exploitants fut d’acquérir un poids économique important
face aux distributeurs, d’où la programmation du maximum
d’écrans. Cette croissance se fit tant en externe qu’en
interne, par partition des salles (division des mono-écrans
pour les transformer en complexes) et rachat d’autres salles,
ou par l’acceptation de programmer des écrans possédés par
d’autres exploitants. A l’issue de cette période, en 1983, les
groupements nationaux4 sont au nombre de quatre,
regroupant 26 % des écrans et 53 % de la recette
cinématographique française.
12 Parallèlement, des groupements et ententes de
programmation régionaux5 et locaux sont agréés. Trois
groupements et six ententes ont un statut régional,
représentant 432 écrans ; quatre groupements et onze
ententes ont un statut local, représentant 298 écrans. Ces

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 5/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

regroupements sont très divers, tant juridiquement


qu’économiquement, allant de 4 à 188 écrans.

Modification de l’équilibre entre les forces


concurrentielles

Entente oligopolistique et éviction de la concurrence


13 Les regroupements de salles représentaient une nécessaire
adaptation aux mutations du marché, mais ils ont
profondément modifié l’équilibre des forces concurrentielles
en présence, sous plusieurs aspects.
14 Vis-à-vis de leurs clients, il y a une entente indéniable entre
les groupes pour pousser à la hausse des prix jusqu’au milieu
des années soixante-dix afin d’amortir les nouveaux
complexes cinématographiques. Concernant l’offre de titres,
la rotation accélérée des programmes et leur plus grand
choix en un même lieu (passage du mono-écran au complexe
de plusieurs écrans, puis au multiplexe de plus de dix
écrans) satisfont indéniablement la demande dont l’exigence
s’est accrue avec la pénétration de la télévision et
l’accroissement de l’offre des programmes audiovisuels, par
la multiplication des chaînes publiques puis privées.
15 Vis-à-vis de leurs concurrents, une course à la taille est
engagée au niveau national (années soixante-dix) puis
international (années quatre-vingt-dix), d’où la nécessité
pour chacun des circuits de développer une forte croissance
horizontale par achat, construction, ou simple
programmation de salles. Si la rentabilité est supérieure lors
de la possession des établissements, le poids économique
global sur le marché dépend étroitement du nombre d’écrans
pour lesquels un film peut être loué. Par ailleurs, la
généralisation de ce nouveau métier – le programmateur de
salles – permet une rémunération directe, indexée sur les
entrées (généralement entre 1 et 3 % de la recette guichet).
Or le coût de la négociation d’un film n’est pas proportionnel
au nombre de contrats passés ni de salles programmées ;
une négociation sur un titre peut se faire globalement, et
l’ajout de x salles supplémentaires dans la discussion
représente un coût marginal nul ou très faible (un peu de
https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 6/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

temps et quelques appels téléphoniques). Il existe une réelle


profitabilité intrinsèque dans l’activité de programmer des
films pour autrui.
16 Cela permet également de contrôler certaines zones
géographiques6, et donc d’en limiter la pénétration par la
concurrence. Pour certains circuits, la programmation des
principales salles d’une zone a de surcroît permis d’auto-
limiter, voire de supprimer une concurrence interne ; quel
que soit le montant de la recette d’une salle de cinéma, le
contrôle de son approvisionnement en films détermine la
hauteur de ses ressources totales puisque les autres
ressources sont proportionnelles aux entrées (confiserie,
publicité, etc.). En cas de concurrence entre deux salles du
même circuit, le fait que l’une soit propriété du groupe et
l’autre pas a évidemment toujours nui à la seconde, par
asphyxie progressive et souvent insensible (films obtenus
plus tardivement, contrats trop longs d’exploitation, passage
de films sociologiquement inadaptés, etc.).

Une double innovation


La programmation « au lundi »
17 Vis-à-vis de ses fournisseurs (les distributeurs), l’importance
économique grandissante de l’oligopole de l’exploitation va
l’amener à obtenir l’optimisation de leurs conditions
d’approvisionnement. La première d’entre elles,
fondamentale, concerne le raccourcissement des durées
d’exploitation. Les contrats étaient auparavant d’exclusivité
pour une zone géographique contractuellement délimitée,
c’est-à-dire qu’aucun autre exploitant ne pouvait y diffuser le
même titre durant la même période, souvent fort longue, qui
était fixée par écrit à l’avance, indépendamment des
résultats du film.
18 La chute de fréquentation a rendu nécessaire un
raccourcissement des durées d’exploitation pour accélérer la
rotation des titres. Les circuits de salles vont commencer à
rechercher en leur sein l’optimisation des délais
d’exploitation des titres pour chacune d’entre elles. L’outil
créé en 1973 par les principaux programmateurs français, le
« Ciné-chiffres » (cette publication relève, quotidiennement,
https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 7/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

les résultats de toutes les salles importantes de Paris et de sa


périphérie), va leur permettre de rendre le marché plus
transparent et peu à peu devenir un tableau de bord
indispensable à toute la profession. Chaque nuit, les abonnés
sont livrés et prennent connaissance des résultats de tous les
films et de toutes les salles concernées, et dès le lendemain
l’ensemble des intervenants (programmateurs de salles et
distributeurs) va pouvoir négocier dans cette (relative)
transparence.
19 Les habitudes de toute la profession vont s’en trouver
bouleversées, et la négociation des contrats des films ne va
plus s’opérer sur une durée a priori, mais a posteriori, au vu
des résultats communiqués ; elle ne sera plus comptabilisée
en mois, mais en semaines, puis (peu à peu) rediscutée
chaque semaine. C’est le passage à la programmation dite
« au lundi », l’ensemble des programmateurs appelant
l’ensemble des distributeurs le lundi matin, au vu des
résultats dont tous ont eu communication en fin de week-
end. L’étalonnage de la réussite des films va progressivement
s’établir en fonction des entrées réalisées sur ces cinq
(premiers) jours d’exploitation.
Les « couloirs » de salles
20 À terme, un effet pervers de cette transparence
communiquée quasi instantanément se manifeste
naturellement au détriment des salles les plus faibles, mais
surtout des films qui n’arrivent pas à afficher de bons
résultats – ou tout au moins des résultats qui, en valeur
relative, sont plus faibles que ceux de leurs concurrents du
moment. Cela accélère – en partie artificiellement – la
vitesse d’usure des titres et leur disparition du marché.
21 Cette recherche de la recette maximale dans un délai
raccourci sert partiellement les distributeurs, qui en
attendent un meilleur rendement pour leurs dépenses
publicitaires (davantage concentrées dans le temps) ou pour
la rotation de leur catalogue. Cela se fera au prix de la perte
de l’acception initiale de l’exclusivité, en tant que point de
départ de la segmentation contrôlée de la diffusion des films
dans le temps, et accentuera certaines divergences d’intérêt
entre les acteurs. Pour les (groupes d’) exploitants, optimiser
https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 8/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

les résultats de chaque salle consiste, entre autres, à mettre à


l’affiche tout film dont un gain attendu est supérieur à celui
dont un autre titre bénéficie déjà, et donc à se séparer de
tout film en cours d’exploitation aux résultats constatés
comme insuffisants. En revanche, l’intérêt des distributeurs
de films est d’optimiser la carrière de chacun des titres qu’il
diffuse, en particulier face à un autre titre distribué par un
concurrent. Chaque distributeur cherche donc à ce que
chacun de ses titres reste le maximum de temps en
exploitation dans les salles qui lui semblent les plus aptes à
générer des entrées, puis dans les salles de plus faible
potentiel, et ainsi de suite en recherchant une carrière qui
soit la plus longue possible pour maximiser les gains de
chacun des titres, et donc de l’ensemble de son catalogue7.
22 Tant pour concilier ces intérêts souvent divergents entre
eux-mêmes et les distributeurs, que pour favoriser la
rotation des titres pour leurs salles adhérentes, les
programmateurs de circuits ont été amenés à gérer en leur
sein les copies des films. Les louant pour telle période pour
telle salle, ils rétrocèdent en interne la copie en cours
d’exploitation à d’autres salles de leur parc, créant ainsi des
« couloirs » de programmation. Une hiérarchie des salles
s’établit de facto en fonction de différents critères –
potentiel commercial de chacune d’entre elles, mais aussi
lien juridique avec le groupement, présence de concurrents
externes, ou encore relations « affectives » entre les
dirigeants, etc.
23 Les salles de démarrage des films en sortie nationale ont
ainsi pu raccourcir leur durée d’exploitation des films, les
cédant dès que leur propre intérêt le commande (et non plus
celui du film ou du distributeur) aux salles de seconde
catégorie (internes au groupe, généralement, elles, juste
programmées), qui elles-mêmes pouvaient dès lors ne les
exploiter que sur une très courte durée (une ou deux
semaines) avant de les recéder à d’autres salles de catégorie
inférieure, et ainsi de suite. L’ensemble des salles
programmées y a trouvé son compte, chacune d’entre elles
répondant ainsi au plus près à la demande des spectateurs.

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 9/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

Ces nouvelles méthodes menées par des entreprises qui


restructuraient l’ensemble du parc, couplées à sa
modernisation technique rapide, ont favorisé en France la
stabilisation de la fréquentation jusqu’au début des années
quatre-vingt.
24 Cependant, cette pratique s’opérant souvent à l’insu des
distributeurs – voire à l’encontre de leurs intérêts –, de vives
tensions interprofessionnelles sont apparues et resurgissent
encore périodiquement, liées à la concentration des
structures et à des abus de position dominante qui
caractérisèrent les années soixante-dix et quatre-vingt. Les
groupements nationaux de programmation, en sus de se
développer horizontalement, le firent verticalement à travers
leurs filiales de distribution, voire de production. Leur poids
sur le marché des salles fut rapidement accru grâce à la
systématisation de pratiques assez éloignées du respect de la
libre concurrence8. La nécessité pour les pouvoirs publics
d’intervenir pour corriger ces effets négatifs ne se
concrétisera en France qu’après le changement de
gouvernement, en 1981, les distributeurs voyant avec
soulagement l’institution d’un médiateur pour régler les
problèmes de concurrence en matière cinématographique et
la mise en place d’une réglementation plus stricte des
ententes et groupements.
25 Pour les programmateurs de circuits de salles, l’enjeu de la
période suivante (années quatre-vingt), a été de maintenir
quantitativement leurs positions et de faire face à la
modification du marché. En effet, la concurrence extra-
sectorielle s’est amplifiée, principalement par le
développement de la vidéo, la privatisation et la
multiplication des chaînes de télévision et du nombre de
films diffusés qui modifient profondément le rapport des
spectateurs au film, et surtout leur sensibilité à son actualité
(délai de passage après la sortie en salles).

La mutation récente de la jonction de


programmation

Modifications des groupements d’exploitants


https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 10/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

26 Quinze ans plus tard, la situation s’est à nouveau modifiée ;


les circuits nationaux ont continué leur concentration et
représentent aujourd’hui 22 % du parc, et les autres
groupements nationaux, qui programment davantage qu’ils
ne possèdent de salles, représentent 12 % du parc français.
Contrairement à un discours idéologique convenu, la
stratégie de l’oligopole n’est pas du tout de tendre à
l’hégémonie, ni au contrôle de toutes les salles ; posséder les
plus performantes lui est nécessaire mais économiquement
suffisant car ce cinquième du parc réalise la moitié des
recettes.
27 La période récente enregistre la montée en puissance des
multiplexes qui bouleversent l’ensemble de l’économie de
l’exploitation, chacun de ces établissements étant autonome
tant vis-à-vis de la demande (les spectateurs trouvent
forcément un film de leur choix parmi les 10 à 25 titres
offerts), que vis-à-vis de l’offre (négociée par les
distributeurs). Il est économiquement logique que l’oligopole
restructure son parc selon un double mouvement :
construire le maximum d’établissements autonomes sur le
marché (multiplexes), se délester du maximum d’écrans
programmés dont il n’est pas propriétaire.

Source : CNC
Figure 26 – Évolution du parc de salles possédé et
https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 11/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

programmé par les circuits nationaux français : 1993 – 2000


28 En dehors des plus importantes d’entre elles, les salles
programmées n’étant plus ni économiquement nécessaires
ni stratégiquement utiles pour dominer le marché, leur
nombre ne cesse de décroître. En effet, malgré la
profitabilité intrinsèque de l’activité de programmation pour
autrui, le gain supérieur attendu des multiplexes d’une part,
les contraintes réglementaires imposées aux circuits pour
leur agrément d’autre part (position non monopolistique sur
une zone géographique, accès des titres aux
« indépendants », etc.), et enfin le reproche « politique »
d’abus de position dominante qui leur aurait été
immédiatement adressé au vu d’une croissance quantitative
exagérée de leur parc9, tous ces éléments ont poussé les
circuits nationaux à rompre avec un nombre croissant
d’exploitants qu’ils ne faisaient que programmer. En 1993,
année de démarrage des multiplexes, l’oligopole Gaumont-
Pathé-UGC possédait 564 écrans et en programmait 341
autres ; seulement quatre ans plus tard (le mouvement n’est
pas achevé), il en possédait 835 et n’en programmait plus
que 182. Si la somme de ces deux catégories garde en
apparence (objectif recherché) une proportion sensiblement
voisine dans le parc français, la répartition interne n’a plus
rien de commun. De ce point de vue, la stratégie des trois
groupes n’a jamais été exactement la même, mais leur
tendance commune de ces dernières années est un très net
désengagement vis-à-vis des partenaires programmés, au
profit de leurs salles en propre. La croissance de leur parc
s’opère par création nette d’établissements – quasi
exclusivement des multiplexes – et par quelque rachat de
salles anciennement programmées.

Modifications de la demande
29 Pour le public, un sentiment de fraîcheur des films devait se
trouver de plus en plus fortement corrélé avec la sortie en
salles, les supports domestiques étant clairement assimilés à
une consommation ultérieure, de reprise ou de rattrapage.
Un corollaire en a été l’accroissement de l’exigence de

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 12/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

consommer les films au plus près de leur date de sortie ;


d’une semaine à l’autre, tous les titres en concurrence
subissent des pertes de fréquentation de 25 à 50 % en
moyenne. L’économie du film en salle est passée d’une
exploitation extensive (jusqu’aux années soixante-dix) à une
exploitation intensive (années quatre-vingt), pour
enregistrer désormais la mise sur le marché d’une majorité
de produits « jetables ».
30 La durée médiane d’exploitation des films est désormais de
six à sept semaines et tend encore à se raccourcir : les trois
quarts des titres sont exploités moins de trois mois10, un
tiers moins de trois semaines, et 6 % ne restent qu’une seule
semaine à l’affiche (mais beaucoup d’entre eux ne sont que
des sorties « techniques », leur date de sortie servant
uniquement de point de départ d’un compte à rebours pour
déclencher la sortie vidéo, puis la diffusion sur les chaînes de
télévision, seuls supports intéressant économiquement les
producteurs).
31 Alors qu’en 1963 un film attirait dans sa première année
d’exploitation 73 % des spectateurs de sa carrière et 80 % de
ses recettes, dix ans plus tard ces 80 % de recettes lui seront
acquises dans les quatre premiers mois de son exploitation
(69 % dans les trois premiers mois), la première année lui en
assurant 94 %11.
Tableau XIV – Résultats et durée d’exploitation des
films en France (1998)

Note **
Note **†
Sources : CNC, distributeurs, Le Film français

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 13/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

32 À la fin du xxe siècle, un film réalise couramment entre le


quart et la moitié de ses entrées durant la première semaine
d’exploitation, entre les trois quarts et la quasi-totalité
durant le premier mois. Au cours de la généralisation de
cette économie « Kleenex » – on prend, on jette après un
rapide usage –, le travail des programmateurs s’est déplacé :
il ne s’agit plus de se battre pour avoir les films (années
1950-1960), ni même pour avoir beaucoup de copies pour
ces films (1970-1980), ou encore de les avoir au plus tôt
(1980-1990) et si possible le jour de leur sortie, mais tout
cela à la fois, ainsi que de pouvoir s’en débarrasser au plus
vite, dès qu’un autre produit est susceptible d’avoir une
espérance de gain légèrement supérieure.
Tableau XV – Exemples de carrières de films
(France – 1999)

Source : Le Film français

Modification de l’offre des distributeurs


33 Prenant acte de cette accélération de l’usure économique du
film, et compte tenu du coût marginal d’une copie (elle est
amortie en réalisant seulement 500 à 600 entrées), les
distributeurs ont augmenté le nombre de copies disponibles,
faisant ainsi passer l’ensemble du marché de la rareté à
l’abondance.
34 Jusqu’en 1973, une sortie dans plus de 20 salles pour Paris et
sa périphérie correspondait à un titre exceptionnel, et 25
écrans représentaient un maximum absolu. Un premier saut
quantitatif s’opère en 1976 avec l’apparition de
combinaisons supérieures à 30 écrans et avec 45 films
bénéficiant d’une combinaison initiale supérieure à 20
https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 14/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

écrans, et un second en 1980 avec deux films qui vont


occuper plus de 40 écrans et 80 autres plus de 20 écrans.
Cette décennie s’achève avec, en moyenne, chaque semaine,
deux titres qui occupent plus de vingt écrans, alors qu’elle
avait débuté en offrant une telle combinaison à deux titres...
dans l’année.
35 Vingt-cinq ans plus tard, dû en particulier au développement
des multiplexes, le même phénomène d’explosion du
nombre de copies va s’observer, mais à des niveaux sans
commune mesure avec la période précédente.
36 L’amorce de la concentration des entrées sur un faible
nombre de films (effet podium) est ancienne, mais le
phénomène va s’accentuer : en 1973, les 100 premiers films
réalisaient la moitié des recettes, les 208 premiers les trois
quarts. En 1998, 18 films ont réalisé la moitié des entrées
globales, 63 les trois quarts.
37 La dépendance de chaque établissement à l’obtention –
rapide – des quelques titres à succès est donc cruciale,
d’autant que l’offre globale de films ne faiblit pas avec 400 à
500 nouveautés chaque année et une centaine de reprises.
Plus l’établissement cinématographique est de petite taille,
plus sa sensibilité à quelques titres est grande. Un mono-
écran traditionnel réalisant la moitié de ses entrées
annuelles sur dix à douze titres, il lui est donc vital d’obtenir
rapidement ces quelques titres12.
Tableau XVI – Nombre de films occupant plus de
200 écrans le jour de leur sortie en France

Note *‡
Source : Le Film français

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 15/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

38 Depuis le développement des multiplexes et la reprise de la


fréquentation, la problématique des programmateurs s’est
encore déplacée et se trouve en prise avec une double
tactique de saturation :

de la part des distributeurs – américains


principalement – qui « sur-occupent »
systématiquement les écrans dans la plupart des pays
européens, dont la France (cette stratégie peut être
mesurée par le ratio « pourcentage des écrans
occupés/pourcentage des recettes réalisées »). On
comprend bien ce que signifie, pour un parc de 4 700
écrans, d’avoir simultanément sur le marché quatre ou
cinq titres à plus de 500 copies ;
pour une frange de l’exploitation, la construction des
multiplexes permet, en chacun de ces lieux, de
bénéficier d’une attractivité autosuffisante tant vis-à-vis
du public que des distributeurs. Ces lieux minimisent
les risques de programmation en présentant
simultanément tous les titres à potentiel significatif.

PROGRAMMER UNE SALLE DE CINEMA


39 Programmer une salle consiste à choisir pour elle le(s)
titre(s) de film(s) qu’elle sera amenée à diffuser durant une
période de temps donnée. Cette fonction cumule celle du
service d’achat traditionnel, qui approvisionne toute
entreprise avec le meilleur produit au meilleur coût, et une
partie de celle du service vente puisqu’elle détermine le lieu
(la salle, les horaires, la présence éventuelle d’autres titres,
etc.) et le temps d’exposition d’un titre (en nombre de
séances au cours de la semaine, comme en nombre total de
semaines d’exploitation).

Le métier de programmateur

Les fonctions de base


40 La programmation d’un cinéma peut être établie en interne,
ou déléguée à une entreprise extérieure, mais qu’il s’exerce

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 16/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

pour le compte de son propre établissement ou en faveur


d’un ou plusieurs autres, le métier de base du
programmateur est identique. En revanche, certains critères,
et notamment le poids économique et le positionnement sur
le marché, vont influer sur ce métier.
41 L’essentiel de la fonction consiste, chaque semaine, à
optimiser l’approvisionnement en films de l’établissement –
ou du groupe d’établissements -programmé. La multiplicité
des objectifs, des contraintes internes et externes, les
différences dans la sociologie des clientèles des cinémas, la
modification de l’offre et de la demande sur des moyennes
périodes rendent cette optimisation délicate. Le métier de
programmateur ne s’apprend pas par la théorie et la
formation se fait sur le terrain ; il n’existe pas de règles
absolues et immuables, mais une adaptation rapide aux
évolutions du marché est impérative pour conserver une
efficience, si ce n’est pour assurer la survie de la salle.
42 Contrairement à d’autres commerces de proximité plus
classiques, l’offre en produits-films change rapidement : huit
à douze nouveaux titres sont mis sur le marché chaque
semaine, chacun d’entre eux étant susceptible de remplacer
plus ou moins partiellement l’offre des semaines
précédentes. La rotation du produit offert est donc, en
totalité ou en partie, hebdomadaire.
43 Le raccourcissement de la durée de vie des films a contraint
une large fraction de l’exploitation à abandonner les
segments de la reprise de films, ou de leur continuité
éloignée dans le temps (plus de trois mois après leur sortie).
Durant les années quatre-vingt-dix, ce repositionnement
généralisé a modifié le travail de nombreuses salles et leur
sélection des titres, surtout de la part des établissements
« art et essai » dont la raison d’être était aussi de pouvoir
exploiter sur une longue durée des films dont le potentiel
commercial n’était pas un critère principal de sélection.
44 La demande du public est à l’origine des modifications
structurelles dans toute la filière : le changement de son
comportement et de la nature de sa demande ont provoqué
en retour une adaptation de l’offre. Ces changements sont

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 17/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

non seulement quantitatifs (au cinéma dans l’UE, 9 sorties


annuelles par habitant dans les années cinquante, 3,3 dans
les années soixante-dix, 2,6 à la fin des années quatre-vingt-
dix), mais leur structure s’est également modifiée :
concentration des entrées sur quelques films et accélération
de la consommation près de la date de sortie du film. Le
raccourcissement de la durée de vie des films y compris des
plus grands succès qui ne restent pas plus d’un mois en tête
du box-office, la concentration des entrées sur quelques
titres et la nature de prototype de chacun des films
rapprochent parfois certains choix de ceux d’un joueur de
casino, qui doit cependant rapidement changer sa mise de
place. Les plus grands succès sont également éphémères et
ne demeurent que très exceptionnellement en tête du BO, les
spectateurs concentrant leurs sorties dans les deux ou trois
premières semaines ; quel que soit le pays, seuls un à cinq
titres par an demeurent ainsi plus d’un mois dans les trois
premières places, chaque succès devant laisser sa place à un
concurrent dès la semaine suivante, ou au plus tard deux
semaines après.
Tableau XVII – Rotation des titres en tête du box-
office des pays européens (1999)

Note *§
Sources : Le Film français, Screen international

Les paramètres du programmateur


45 Aucun succès n’est reproductible à l’identique, aucun niveau
d’entrées n’est avant la sortie du film totalement prévisible,
et les déceptions au regard d’un succès espéré sont légion,
malgré l’essai d’application de certaines « recettes » au
niveau de la production : acteurs de renommée, réalisateur
ayant connu plusieurs succès, remake ou essai de

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 18/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

sérialisation, scénario éprouvé, etc. Inversement, certains


titres au succès non prévu peuvent contraindre les
professionnels à modifier le niveau de leur demande (pour
les programmateurs de salles), comme celui de leur offre
(pour les distributeurs).
46 Chaque semaine, le programmateur joue en va-tout une
fraction des recettes de la salle et la prise de risque est
d’autant plus grande que l’établissement est plus petit. Un
mono-écran ne peut pratiquer de péréquation des risques et
engage ainsi hebdomadairement en moyenne l/52e de son
CA, tandis qu’un complexe cinématographique divise la prise
de risque par son nombre d’écrans. Mais même en ce cas,
l’extrême fugacité de la demande contraint à se positionner
sur certains titres dès avant leur sortie sur le marché.
47 Vue l’étendue de l’offre et la rotation rapide des titres, leur
choix est assurément un élément discriminant entre les
différents types de salles. Si tout programmateur tend à
optimiser ses choix, il convient d’apprécier que les critères
d’évaluation ne sont absolument pas identiques selon les
catégories d’établissements. Plusieurs paramètres sont
déterminants :

la situation géographique : programmer une salle dans


la capitale, considérée comme un marché directeur pour
le pays, ne pose pas les mêmes problèmes que pour sa
périphérie, eux-mêmes différents de ceux d’une petite
ville de province. Si les marchés locaux en situation de
monopole sont quantitativement les plus nombreux, ils
sont aussi économiquement les moins importants. La
latitude de choix dans la programmation est
théoriquement la plus forte, mais en pratique
l’étroitesse du marché qui en est la cause (dès que le
marché local est conséquent, la présence d’un
établissement concurrent s’observe régulièrement)
réduit la taille de l’établissement (60 % des
établissements français ne comprennent qu’un écran,
mais 70 % des espagnols, 90 % des italiens, etc.) – et
donc le nombre de titres diffusables –, et à la fois la

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 19/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

taille et la diversité de la clientèle – et donc les quantité


et variété de la demande potentielle ;
la situation concurrentielle : elle découle
principalement de l’implantation géographique et de la
taille du marché. La concurrence au sein d’une
métropole comme Paris est maximale et les tensions
très vives ; la quasi-totalité du parc y est programmé
soit par un circuit national, soit par un groupement
régional plutôt axé sur l’art et essai et les quelques
exploitants non programmés gèrent essentiellement des
salles non rentables – soutenues à Paris par la Ville et
l’État, en se positionnant sur le marché des films de
reprise (répertoire) ou plus « difficiles » (recherche). La
programmation d’une salle doit évidemment tenir
compte de l’offre de ses concurrents, ne serait-ce que
pour tenter d’offrir une offre supérieure, ou au contraire
une contre-programmation en recherchant une
« niche » du marché (art et essai, recherche, films de
genre, etc.) ;
la sociologie de la zone de chalandise : sa bonne
connaissance par le programmateur est déterminante,
la hauteur (absolue et relative) des résultats de
nombreux films variant selon la composition de la
clientèle. Age, niveaux de formation et de revenu
influent significativement sur ces résultats, et le constat
est hebdomadaire que tel film réalisant des entrées
importantes dans telle ville ou zone en réalise de
relativement moins bonnes (ou nettement meilleures)
ailleurs. Les oppositions capitale/province, centre-
ville/banlieue, villes aisées/populaires sont parmi les
plus faciles à détecter, mais quelquefois seulement
après le démarrage du film.

Les étapes de la programmation


48 En fonction de ces paramètres locaux et des besoins qu’il a
en charge de satisfaire pour son établissement (répondre
plutôt à la demande majoritaire, ou proposer plutôt une
offre variée, ou encore ne satisfaire qu’une fraction –

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 20/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

culturellement plus exigeante – de la clientèle), le


programmateur s’orientera vers la sélection régulière de
types différents de films. Cependant, quelle que soit sa taille
économique ou le genre de films diffusés, les fonctions de
base du métier de programmateur demeurent assez
similaires.
49 Deux critères principaux pourront cependant modifier
certaines de ses contraintes. Le premier détermine son
rythme de programmation, selon qu’il programme « au
lundi » (c’est-à-dire selon qu’il attend les résultats des films
chaque semaine avant de décider d’en changer ou non) ou
« au mois » (en ce cas, il établit son programme à l’avance –
souvent en l’imprimant pour fidéliser sa clientèle – quelle
que soit la carrière réelle des titres). Le second dépend du
rang de passage de la salle. Si la salle obtient et diffuse le
film dans les trois ou quatre premières semaines suivant sa
date de sortie lorsqu’elle est « au lundi », ou à peu près le
double (quatre à huit semaines) lorsqu’elle est « au mois »,
elle se situe dans une zone de prise de risques maximale
puisque le film n’est pas encore sorti au moment où elle
prend sa décision ; elle se dirige de plus en plus vers une
économie « casino » vu l’aléa croissant des résultats des
titres. À l’inverse, les salles qui se positionnent au-delà de ce
délai, en contrepartie pour certaines d’entre elles (qui sont
en situation de concurrence) d’une espérance de gain
moindre (usure du titre dans le temps), peuvent totalement
supprimer la prise de risque puisque les premiers résultats
de tous les titres sur le pays lui sont connus et que la suite de
leur carrière devient dès lors fortement prévisible.

Le processus de choix
50 Malgré les grandes variétés de situation entre salles et
programmateurs, le processus décisionnel conduisant au
choix de tel ou tel titre est similaire pour l’ensemble des
acteurs concernés et peut suivre un cheminement qu’il est
possible de formaliser logiquement (graphique) :
51 a) l’étape initiale consiste bien entendu, chaque semaine, à
examiner s’il se présente une nouvelle offre sur le marché ;

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 21/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

dans la plupart des pays, au moins cinquante et une


semaines par an, la réponse est positive. En cas contraire (la
deuxième semaine de Noël pouvant faire exception), le
programmateur peut être conduit à étudier les offres plus
anciennes, films plus ou moins récents encore en
exploitation ou des années antérieures (répertoire). Il
procédera à une évaluation comparative avec le film qu’il
exploite déjà (ou les films, et en ce cas le processus est
identique, mais simplement renouvelé titre par titre) ;

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 22/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

Figure 27 – Le choix d’un titre


52 b) pour choisir un titre, ses obligations d’évaluation peuvent
être regroupées en quatre catégories, combinables entre elles
dans des proportions variées :

commerciales : il recherchera la maximisation de ses


entrées et recettes,
https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 23/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

esthétiques : il cherchera à maximiser l’apport du titre


au genre cinématographique – selon ses critères – pour
valoriser sa salle et/ou son travail,
politiques : il cherchera à satisfaire tel ou tel
interlocuteur dont il dépend plus ou moins étroitement
(élu, distributeur, conseil d’administration, etc.),
institutionnelles : il cherchera à maximiser certaines
reconnaissances symboliques étroitement liées à une
redistribution financière d’une collectivité territoriale :
subventions communale et départementale,
subventions de l’État.

53 Sa dépendance plus ou moins marquée à l’un de ces critères


orientera sa politique générale de programmation, et cela
d’autant plus fortement que l’on s’approchera de la fin de
son exercice annuel ; la nécessité de mieux satisfaire tel ou
tel critère pourra à cette période l’inciter à d’autant plus de
vigilance qu’il s’en sera éloigné, souvent du simple fait d’une
offre insuffisante de ce point de vue durant les mois écoulés.
En tout état de cause, selon la force de cette dépendance, il
pourra être amené à programmer des titres qu’il n’aurait pas
ordinairement choisis,
54 c) face à un film, le programmateur ne peut demeurer un
spectateur comme un autre, mais est conduit à le considérer
sous différents angles :

comme tout un chacun, il peut émettre un avis normatif


ou esthésique (« c’est bien – ce n’est pas bien ; j’aime –
je n’aime pas ») qui lui est en l’occurrence d’un assez
faible secours pour sélectionner le film, et dont il doit se
méfier,
il devra en revanche commencer à jauger le film en soi
selon les critères d’évaluation du marché : quelle peut
être sa qualité commerciale (succès important – limité
– échec...) et/ou sa qualité cinématographique
(reconnaissance par la critique ou non, par les autres
programmateurs ou pas, etc.),
il devra surtout estimer le film selon les critères locaux
dominants sa salle (en fonction de sa sociologie, de son
https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 24/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

degré d’indépendance vis-à-vis d’autres instances, etc.),


qui peuvent être plus ou moins en adéquation avec
l’évaluation générale du potentiel du film : un titre peut
être estimé comme devant faire une grande carrière
commerciale au niveau national, mais ne pas
correspondre à tels lieux particuliers ; tel autre titre
peut cinématographiquement ne pas être apprécié en
général, mais fortement correspondre au public de telle
salle (et réciproquement),
sa connaissance du milieu, des autres professionnels, et
la qualité (variable) de ses liens avec les différents
fournisseurs (distributeurs) lui feront immédiatement
estimer sa probabilité de réussite dans une éventuelle
négociation du titre.

55 Le faible nombre d’interlocuteurs en présence (depuis une


dizaine d’année, les trois premiers distributeurs
représentent la moitié des recettes dans les deux tiers des
pays européens), qui sont de surcroît amenés à se contacter
très fréquemment (une ou plusieurs fois par semaine),
donne une grande part à l’affectif et au relationnel dans leurs
rapports. La rapidité des échanges (téléphoniques pour
l’essentiel) et la tension qui peut naître en de multiples
circonstances (mauvais résultat local et/ou national d’un
titre ; exacerbation de la concurrence autour d’un site et/ou
autour d’un titre ; non-respect – volontaire ou pas – d’une
clause de l’accord ; déprogrammation de dernier moment de
la part du distributeur ou de l’exploitant, etc.) sont autant de
paramètres qui peuvent altérer fréquemment et plus ou
moins durablement les relations entre les partenaires, et
donc peser sur l’obtention ultérieure d’un titre ;
56 d) pour évaluer qualitativement un titre, un programmateur
– quels que soient ses critères et leur pondération – dispose
d’un certain nombre d’outils qui l’aident dans sa décision :

il peut assister à une projection préalable du film,


réservée aux professionnels et à la presse, qui se tient
quelque temps avant la sortie du film en salles. Si voir
un produit avant de l’acheter résulte d’une démarche
https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 25/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

assez basique pour toute fonction commerciale dans


n’importe quel secteur de l’industrie, dans le milieu
cinématographique cet acte est loin d’être naturel et
subit de nombreuses distorsions pour de multiples
motifs. Il est tout d’abord physiquement impossible
pour une même personne de visionner la totalité des
films appelés à sortir en salles (en moyenne cinq à
douze par semaine selon les nations). D’emblée,
certains films peuvent a priori ne pas
professionnellement l’intéresser. Mais, surtout, certains
distributeurs n’organisent que peu de projections, ou
celles-ci ont lieu trop tardivement (quelques jours avant
la sortie), ou leur accès est limité à certains
programmateurs. Il arrive également – mais rarement –
qu’aucune projection ne soit organisée pour les
exploitants (ni même pour la presse) et que la vente ne
puisse se faire que sur les casting et dossier de presse
(technique du « blind-booking » ou vente à l’aveugle,
juridiquement interdite dans la plupart des pays),
qu’il ait ou non vu lui-même le film, le bouche-à-oreille
professionnel (les autres programmateurs et
distributeurs) joue un rôle déterminant pour conforter
ou infléchir une estimation du potentiel (commercial
et/ou esthétique) du film. Il est rare que des avis
unanimement convergents se trompent, mais en cas
d’avis plus ou moins fortement divergents, l’évaluation
de chacun est alors affaire personnelle en fonction de la
qualité de ses réseaux d’informations et de son « flair »,
de nombreux éléments matériels objectifs peuvent
également l’éclairer : le niveau publicitaire et
promotionnel prévu (ou déjà engagé), le nombre de
copies mises à disposition par le distributeur, la qualité
de ce même distributeur (il est notoirement connu que
certains assurent une meilleure mise en place générale
des titres que d’autres). En certains cas, certaines
critiques journalistiques ont déjà pu paraître, et s’il
s’agit d’un film américain, sa carrière sur son territoire

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 26/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

est déjà connue, et une appréciation générale


l’accompagne ;

57 e) en fonction de l’offre nouvelle et de toutes les


informations dont il dispose sur elle, le programmateur va se
livrer à son évaluation qualitative et en effectuer une
comparaison avec le(s) film(s) dont il dispose déjà, ainsi
qu’avec les autres nouveaux films sortant à la même date.
58 Si l’espérance de gain (matériel, symbolique et/ou social)
qu’il lui affecte n’est pas supérieure à celle du titre qu’il
exploite déjà, son intérêt est de maintenir à l’affiche le film
existant et d’effectuer une demande en ce sens au
distributeur concerné. Ce n’est que dans le cas ou son
espérance qualitative quant au nouveau titre sera supérieure
à celle qu’il attribue au titre déjà en exploitation qu’il sera
amené à entamer une négociation avec son distributeur en
vue de son obtention.

La négociation
59 Une fois sa programmation théorique et optimale (sur le
papier) effectuée, une seconde phase commence, celle de la
négociation. Celle-ci peut – ou non – être entreprise par le
programmateur, qui est lui-même – ou non – l’exploitant.
Les talents à mettre en œuvre ne sont en effet pas totalement
identiques entre les fonctions, et l’acte de la négociation tend
à se dissocier de la prise de décision concernant les titres à
programmer. Au cours de la dernière décennie, un
mouvement de regroupement est apparu – notamment en
province et en périphérie parisienne – de la part de salles de
petite ou moyenne capacité et diffusant les titres dans les
premières semaines d’exploitation. Prenant acte tout à la fois
de la concentration du marché ; de la nécessité d’atteindre
une taille critique (dont chaque établissement isolé est
éloigné) pour optimiser leur accès rapide aux copies de
films ; que chaque salle était amenée à effectuer le même
travail de négociation auprès d’un petit nombre
d’interlocuteurs-distributeurs qui utilisaient logiquement
leur pouvoir pour leur imposer des conditions défavorables ;
mais également que l’acte de programmation était
https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 27/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

déterminant pour conserver l’identité et la qualité du travail


de la salle, ces salles ont pu adopter une centralisation de la
fonction de négociation. Soit en se regroupant en
développant un comportement de coopération13 (mise en
commun de certaines fonctions, création d’entité juridique
adéquate – association, GIE –, etc.), soit en rejoignant un
groupement déjà existant et en y négociant – juridiquement
à l’avance et pratiquement dès qu’un arbitrage décisionnel
s’impose – sa marge d’autonomie dans le choix des films. La
dissociation de la négociation et de la programmation est
économiquement et symboliquement importante puisqu’elle
détermine la réalité de l’instance (de la personne)
décisionnaire, et donc de celle qui prend les risques quant à
la profitabilité (financière et/ou symbolique) de
l’établissement.
60 Concrètement, la phase de négociation entre l’exploitant (ou
son représentant) et le distributeur se déroule ensuite assez
classiquement comme sur de nombreux marchés sur
lesquels l’offre ne coïncide que très rarement avec la
demande (il peut d’ailleurs exister une phase préalable de
négociation entre l’exploitant et son représentant). De
nombreux paramètres, plus ou moins rationnels, vont alors
entrer en ligne de compte :

le poids respectif des interlocuteurs joue de manière


déterminante (nombre de salles programmées versus
nombre de films diffusés), la taille du négociateur
influant fortement sur la probabilité qu’il obtienne
satisfaction dans un très grand nombre de cas ; il en va
de même des rapports de force précédemment institués
au cours d’autres négociations, ou des plus ou moins
bonnes relations personnelles que les interlocuteurs
entretiennent entre eux (confiance réciproque, etc.) ;
les résultats économiques antérieurs de la salle14 ; le fait
qu’elle appartienne ou non à un groupement et donc
que le distributeur estime qu’il y a ou non une
probabilité que la copie du film puisse suivre dans une
autre salle ;

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 28/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

la comparaison entre les conditions d’exploitation


demandées par le distributeur et celles proposées par
l’exploitant : date de passage, durée globale de
l’exploitation du film, nombre de séances accordées,
présence ou non d’un autre titre à l’affiche dans la
même salle au même moment, etc. ;
les conditions financières interviennent relativement
peu, puisque le taux de location des films est
généralement encadré (il doit se situer en France dans
une fourchette comprise entre 25 et 50 % de la recette
nette guichet). En pratique, tous les nouveaux films
sont loués au taux maximal, et ce n’est qu’au bout de
plusieurs semaines de diffusion que l’exploitant pourra
négocier un léger rabais.

61 La nécessité pour tous les exploitants de s’approvisionner en


films récents, dont chacun peut potentiellement être un
important succès, explique la totale inélasticité de la
demande par rapport au prix. Elle explique également
pourquoi au cours de la négociation les tensions
n’interviennent que très rarement sur ce point, et doivent
donc se reporter sur d’autres aspects, souvent moins
objectifs et moins rationnels, les conditions d’exploitation
principalement. Elle n’explique cependant pas la totale
inutilisation de cette arme de marketing de la part de la
plupart des distributeurs, notamment pour ceux qui se
plaignent d’une difficulté d’accès aux salles (ou plutôt, à
certaines salles). Ils pourraient parfois l’utiliser avec profit
en direction d’exploitants ciblés, par exemple pour placer
des films de cinématographies ou d’auteurs plus difficiles ;
une baisse du pourcentage du prix de location pourrait faire
levier. En fait, le contraire s’observe le plus souvent : les
petits distributeurs, qui ne sortent jamais leurs films sur de
grosses combinaisons de salles, et qui se plaignent souvent
du poids de l’oligopole dominant, pratiquent le plus
systématiquement le prix maximal de location, assorti d’un
minimum garanti propre à décourager les salles non
subventionnées qui pourraient désirer prendre des risques.

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 29/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

62 Selon leur taille ou leur politique, les distributeurs


répondent plus ou moins rapidement aux demandes en
ayant une propension plus ou moins grande à les satisfaire.
A l’issue de la négociation, l’exploitant aura ou non obtenu
satisfaction pour sa demande. Un refus ne porte jamais sur
le titre lui-même, mais sur sa date de passage, or c’est
évidemment elle qui fait toute la différence en donnant sa
valeur réelle à l’exploitation du film. Le raccourcissement
des durées d’exploitation de tous les titres a induit des
tensions sur les dates des premières semaines après la sortie,
période durant laquelle la demande est maximale. Une des
réponses apportées par les distributeurs a été d’augmenter le
nombre de copies tirées. Même s’ils ne peuvent cependant
pas toujours satisfaire toutes les demandes, certains d’entre
eux restent systématiquement en deçà de la demande, et cela
bien que le coût marginal d’une copie soit relativement faible
(1 000 à 2 000 euros), avec une probabilité totale d’être
amortie. D’autres peuvent alors utiliser une stratégie
différente, de domination par de grands volumes par
exemple, à laquelle seront sensibles les exploitants qui
auront alors mathématiquement une plus forte probabilité
d’obtenir satisfaction.
63 Aux origines, la fonction de programmation n’était pas
dissociée du métier même de l’exploitant : choisir, louer,
diffuser un film relevait de l’acte commun à n’importe quel
commerce. L’amorce de la concentration du marché du film
en salles a encouragé leur regroupement et le
développement du métier de programmateur. Puis, tout en
se regroupant pour obtenir une plus grande visibilité sur le
marché, la nécessité pour certaines salles de mettre en avant
la qualité de leur offre et son adéquation la plus fine possible
avec la demande des spectateurs les a conduits à vouloir
garder la maîtrise du choix de leur programmation, d’où le
développement de la fonction du négociateur.
64 Certains mécanismes mis en place en France par l’État,
comme le médiateur du cinéma qui peut être saisi pour
arbitrer les litiges entre les programmateurs et les
distributeurs, ou l’ADRC (qui est amenée à tirer des copies

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 30/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

pour les petites et moyennes villes devant l’insuffisance des


plans de diffusion des distributeurs), aident à une régulation
du marché sur lequel les tensions sont hebdomadaires. Ils ne
résolvent cependant pas la question d’une inadéquation
quasi structurelle entre une quantité limitée de l’offre de
copies et une demande des établissements
cinématographiques potentiellement supérieure15.
65 D’autant que la nouvelle phase de concentration de la
consommation des films en salles, et des structures qui les
possèdent, entraîne des modifications dans les métiers et
appelle les entreprises à innover et à se différencier.

Notes
1. Une partie de ce chapitre reprend l’analyse menée dans une
contribution pour la revue de l’IDATE, Communications et stratégies, n°
35, 3e trimestre 1999.
2. Le Centre national de la cinématographie est un établissement public
à caractère administratif institué par la loi du 25 octobre 1946 ; ses
principales missions concernent la réglementation du secteur, la
protection du patrimoine, la promotion du cinéma, et surtout la gestion
du soutien financier de l’État aux industries cinématographique et
audiovisuelle.
3. Cependant, rien n’interdisait les ententes entre ententes, par exemple
l’une des 30 salles considérées s’alliant avec une autre salle d’un autre
groupe de 30 salles, etc.
4. Un groupement – ou une entente – est dit national s’il exerce soit
dans l’agglomération parisienne, soit dans deux au moins des régions
cinématographiques.
5. Les groupements, ou ententes, ayant leur activité dans une seule
région cinématographique sont régionaux si certaines de leurs salles font
partie d’une agglomération de plus de 200 000 habitants ; ils sont locaux
dans le cas contraire.
6. Le territoire français a été partagé au début des années soixante-dix
par entente entre les grandes entreprises, et l’UGC avait formalisé en
interne une subdivision géographique entre ses membres par la création
de GIE régionaux. En 1991-1992, d’importants échanges d’actifs entre les
trois circuits (les complexes parisiens de Pathé contre ceux de province
de Gaumont, les échanges inter-province de Gaumont et UGC) ont
réactualisé ce partage pour la construction des multiplexes.
7. Mais il peut advenir qu’un titre diffusé entre en concurrence (en terme
d’occupation d’écrans) avec un autre titre à mettre en place par le même

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 31/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

distributeur ; en ce cas l’intérêt de ce dernier diverge d’avec celui des


films, et la recherche de l’optimisation de la rentabilité du catalogue du
distributeur peut objectivement se faire au détriment de tel ou tel titre
particulier dont il possède les droits.
8. Voir notamment : Jean-Denis Bredin, Mission de réflexion et de
proposition sur le cinéma, rapport au ministre de la Culture, 1981 ; puis
Dominique Brault, Réforme de la programmation
cinématographique : plus de marché mais aussi de solidarité, Paris,
1989.
9. Apparus en France en 1993, ils occupent déjà (1999) dix-neuf des
vingt premières places des meilleures salles, le premier d’entre eux ayant
enregistré 2,7 millions d’entrées en 1999 (Kinépolis à Lomme), les dix
premiers 8,4 millions. Avec une douzaine d’écrans par nouveau
multiplexe construit, l’oligopole a ainsi accru son parc de près de 300
nouveaux écrans en cinq ans.
10. Dans les grandes salles les plus rentables, ce qui n’exclut pas (encore)
une exploitation marginale plus ou moins longue dans des petites salles
de banlieue ou de province.
11. G. Grégoire, Le Livre blanc des distributeurs, FNDF, 1974.
12. Régulièrement, et partout en Europe, sur les dix plus grands succès,
de sept à dix sont américains. Il n’est donc pas inutile de souligner que
c’est parce qu’il estime (ou constate) qu’un film va avoir du succès qu’un
exploitant veut le programmer, et non l’inverse. Massivement, la
demande du public surdétermine l’offre des exploitants, non le contraire.
13. R. Axelrod, Donnant, donnant, Paris, Odile Jacob, 1992.
14. Il faut souligner que, au contraire des Américains, les distributeurs
français, comme beaucoup d’Européens, « pensent » et évaluent les
salles en entrées, et non en recettes, ce qui peut favoriser des salles
pratiquant des prix en moyenne plus bas que leurs concurrents.
15. D’où le rêve d’un autre mode de diffusion comme le satellite, le câble
ou le CD-ROM, qui accroîtrait la massification de la diffusion tout en
diminuant son coût.

Notes de fin
* La plupart de ces titres sont sortis en décembre, et se trouvaient encore
en exploitation au 1/1/1999.

† Dans les salles de la région parisienne communiquant leurs résultats au


Ciné-chiffres.

‡ Y compris les reprises.

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 32/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

§ Nombre de titres différents parmi les trois premiers titres en tête du


box-office chaque première semaine des douze mois de l’année
(minimum = 3 ; maximum : 3*12=36).

© CNRS Éditions, 2001

Licence OpenEdition Books

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par


reconnaissance optique de caractères.

Référence électronique du chapitre


FOREST, Claude. Chapitre 5. La programmation des films en salles de
cinéma In : Économies contemporaines du cinéma en Europe :
L’improbable industrie [en ligne]. Paris : CNRS Éditions, 2001 (généré le
01 août 2023). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/editionscnrs/3347>. ISBN :
9782271078308. DOI :
https://doi.org/10.4000/books.editionscnrs.3347.

Référence électronique du livre


FOREST, Claude. Économies contemporaines du cinéma en Europe :
L’improbable industrie. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : CNRS
Éditions, 2001 (généré le 01 août 2023). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/editionscnrs/3333>. ISBN :
9782271078308. DOI :
https://doi.org/10.4000/books.editionscnrs.3333.
Compatible avec Zotero

Économies contemporaines du cinéma en


Europe

L’improbable industrie
Claude Forest

Ce livre est recensé par


Kristian Feigelson, Questions de communication, mis en ligne le
12 septembre 2013. URL :
http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/7553 ;
DOI : https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.7553

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 33/34
01/08/2023 12:58 Économies contemporaines du cinéma en Europe - Chapitre 5. La programmation des films en salles de cinéma - CNRS Édi…

Économies contemporaines du cinéma en


Europe
L’improbable industrie
Claude Forest

Ce livre est cité par


Feigelson, Kristian. (2014) Advances in Media, Entertainment,
and the Arts Handbook of Research on the Impact of Culture and
Society on the Entertainment Industry. DOI: 10.4018/978-1-
4666-6190-5.ch013
(2017) L’internationalisation des productions
cinématographiques et audiovisuelles. DOI:
10.4000/books.septentrion.12010
(2002) Le cinéma à l’épreuve du système télévisuel. DOI:
10.4000/books.editionscnrs.3461
Delaporte, Chloé. Mazel, Quentin. (2021) Des publics « à la
demande » : penser les usages des plateformes audiovisuelles.
Communiquer. Revue de communication sociale et publique.
DOI: 10.4000/communiquer.7989
Hediger, Vinzenz. (2006) DOUBLE OCCUPANCY AND
KARAOKE AMERICANISM. New Review of Film and Television
Studies, 4. DOI: 10.1080/17400300600577336
Scott, Allen J.. Leriche, Frédéric. (2005) Les ressorts
géographiques de l'économie culturelle : du local au mondial.
Espace géographique, 34. DOI: 10.3917/eg.343.0207
Calin, Raluca. (2018) Le cinéma européen et ses représentations
auprès des publics. Revue française des sciences de l’information
et de la communication. DOI: 10.4000/rfsic.4183

https://books.openedition.org/editionscnrs/3347?lang=fr 34/34

Vous aimerez peut-être aussi