Vous êtes sur la page 1sur 322

UNIVERSITEIT GENT

FACULTEIT RECHTSGELEERDHEID

ACCES DE LA FEMME A LA TERRE


EN DROIT CONGOLAIS
PAR

Paulin MUNENE YAMBA YAMBA


Diplômé d’Etudes Supérieures en droit privé et judiciaire

Thèse présentée et défendue en vue de


l’obtention du Grade de Docteur en droit

Comité d’encadrement
Promoteur: prof. Dr. Mark VAN HOECKE
Membres: prof. Dr. Eva Brems
prof.Dr.Annelies WYLLEMAN
2

INTRODUCTION GENERALE

Dans cette partie introductive, nous allons aborder successivement les questions
relatives à la recherche, à la méthodologie suivie, à l’hypothèse du travail et au plan de la
thèse.

1. Question de recherche

Le droit foncier congolais est dualiste et inégalitaire à l’égard de la femme. En


effet, à côté du droit écrit étatique d’inspiration européenne, subsiste le droit d’origine
traditionnelle, appelé droit coutumier. Ce dualisme trouve son origine dans la loi n°73-
021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et
régime des sûretés. Elle définit les terres occupées par les communautés locales comme
étant celles que ces communautés habitent, cultivent ou exploitent d’une manière
quelconque – individuelle ou collective – conformément aux coutumes et usages locaux.1
Tout en domanialisant les terres occupées par les communautés locales2, la loi susvisée
prévoit que les droits de jouissance régulièrement acquis sur ces terres seront réglés par
une ordonnance du Président de la République3. Trente neuf ans après, force est de
constater que cette ordonnance n’a jamais été prise.

En outre, la Constitution dispose en son article 34 alinéa 2 que l’Etat garantit le


droit à la propriété individuelle ou collective, acquis conformément à la loi ou à la
coutume. Cette disposition constitutionnelle, vise également sans doute, les terres
coutumières lorsqu’elle garantit la propriété collective acquise conformément à la
coutume.
Tout cela entraîne comme conséquence que ces terres continuent à être régies par
les coutumes locales. Telle est également l’avis de la Cour Suprême de Justice lorsqu’elle
décide qu’en attendant l’ordonnance présidentielle promise, les droits de jouissance sur
les terres occupées par les communautés locales sont régis par le droit coutumier.4 Ainsi,

1
Art 388 de la loi foncière
2
Art 387 de la loi foncière
3
Art 389 de la même loi
4
CSJ, RC 1932 du 20 janvier 1988, in RJZ, supplément n°3, 1988, p 7
3

subsiste un droit écrit qui s’applique aux terres urbaines et rurales et un droit coutumier
applicable aux terres appartenant aux communautés locales.

Or, selon la coutume, la terre est collective en ce qu’elle appartient au clan ou à la


famille. Les membres du clan ou de la famille ne disposent que des droits de jouissance
sur les portions de terres mises en valeur par eux. Mais sur ces terres, l’étendue des droits
reconnus à la femme est variable et dépend de sa situation par rapport à la communauté
‘’propriétaire.’’

Dans tous les cas, la femme ne dispose pas des mêmes droits fonciers que
l’homme. En effet, la femme membre du groupe dispose d’un droit de jouissance sur la
portion de terre mise en valeur par elle. A ce titre, elle peut cultiver et récolter les
produits de son travail. Mais, d’une façon générale, elle ne peut pas être cheftaine de
terre communautaire, au motif qu’elle est appelée à quitter sa communauté pour rejoindre
un jour celle de son mari. De ce fait, seul l’homme peut être chef de terre
communautaire.

Lorsque la femme est mariée par un membre de la communauté propriétaire du


sol, elle accède à la terre par le truchement de son mari. Pendant le mariage, elle a le droit
d’utiliser le lopin de terre que la communauté a mis à la disposition de son mari. La durée
de ce droit de jouissance est fonction de la durée de l’union conjugale. Ainsi, en cas de
divorce, la femme est obligée de rentrer dans sa famille en laissant la terre mise en valeur
au profit de son mari. En cas de veuvage, en principe, elle est également obligée de
rentrer dans sa famille en laissant tout ce qui est incorporé au sol appartenant au clan ou à
la famille de son défunt mari. En vertu de la coutume, la femme n’hérite donc pas de son
mari.
Lorsque le système de parenté est patrilinéaire, la fille n’hérite pas de son père,
encore moins la sœur de son frère. Seul le garçon peut être héritier ou encore le frère du
de cujus. Si le système est matrilinéaire, tous les enfants n’héritent pas de leur père. Ce
sont les neveux qui héritent du frère de leur mère.

Tout compte fait, le droit foncier coutumier est inégalitaire à l’égard de la femme.
Il privilégie l’homme, en lui accordant plus des droits que la femme.
4

La situation est différente sur les terres urbaines et rurales. Le sol étant la
propriété exclusive, inaliénable et imprescriptible de l’Etat5, celui-ci n’accorde aux
citoyens qu’un droit de jouissance appelé concession. Celle-ci peut être ordinaire ou
perpétuelle. Pour y accéder, en principe, aucune condition liée au sexe n’est posée. C’est
ainsi que la femme peut accéder à ces terres dans les mêmes conditions que l’homme. En
cas de divorce, l’accès de la femme à la terre acquise pendant le mariage dépend du
régime matrimonial choisi par les époux. En dehors du régime de la séparation des biens,
les autres régimes permettent à la femme d’obtenir la moitié du patrimoine foncier acquis
pendant le mariage. En cas de veuvage, la femme est héritière de la deuxième catégorie 6
et bénéficie de l’usufruit du conjoint survivant qui porte notamment sur la maison habitée
par les époux ainsi que la moitié de l’usufruit des terres attenantes que l’occupant de la
maison exploitait personnellement pour son propre compte7. Elle hérite donc de son mari.
La fille hérite également au même titre que le garçon8 et peut même être désignée
liquidatrice de la succession.9

Il ressort de ce qui précède que les droits fonciers garantis à la femme sur les
terres urbaines et rurales sont différents de ceux prévus sur les terres coutumières. En
effet, la situation de la femme sur les terres urbaines et rurales semblent être meilleures
par rapport à celle de son homologue se trouvant sur les terres coutumières. En effet, elle
dispose des droits égalitaires par rapport à l’homme alors que sur les terres coutumières la
situation de la femme est faite d’inégalité par rapport à l’homme. De ce fait, on peut
affirmer que la femme qui se trouve sur les terres coutumières est encore dans une
situation moins favorable par rapport à son homologue qui se trouve sur les terres
urbaines ou rurales.

Ce traitement inégal est le fruit du dualisme juridique mentionné précédemment.


En effet, il a introduit dans le droit congolais une incohérence qui se manifeste par la
différence des conditions, quant à l’accès de la femme à la terre. La femme vivant sur les

5
Art 53 de la loi foncière
6
Art 758 b) du code de la famille
7
Art 785 du code de la famille
8
Art 758 a) du code de la famille
9
Art 795 al 1er du code de la famille
5

terres occupées par les communautés locales n’accède pas aux droits fonciers dans les
mêmes conditions que l’homme. Ses conditions d’accès à la terre sont également
différentes par rapport à celles de son homologue se trouvant sur les terres urbaines et
rurales.
Une autre situation d’inégalité concerne particulièrement la femme mariée. La loi
n°87/010 du 1er août 1987 portant code de la famille dispose que celle-ci doit obtenir
l’autorisation de son mari pour tous les actes juridiques dans lesquels elle s’oblige à une
prestation qu’elle doit effectuer en personne.10En clair, cette disposition rend la femme
mariée incapable du seul fait du mariage. Ainsi, comme l’accès à la terre passe par la
conclusion d’un contrat synallagmatique, la femme mariée doit préalablement obtenir
l’autorisation de son mari. Il y a là également un cas d’inégalité à l’égard de la femme.
En effet, cette disposition met la femme mariée dans une situation d’infériorité, mieux
d’inégalité, par rapport à l’homme et par rapport à la femme célibataire. Cette situation
concerne la femme mariée vivant tant sur les terres urbaines, rurales que celles
appartenant aux communautés locales.

Or, la Constitution prévoit des dispositions prohibant les traitements inégaux à


l’encontre de toute personne, fondée sur la religion, l’origine familiale, la condition
sociale, la résidence, les opinions ou les convictions politiques, la race, l’ethnie, la tribu,
la minorité culturelle ou linguistique.11Concernant particulièrement la femme, la
Constitution dispose que les pouvoirs publics veillent à l’élimination de toute forme de
discrimination à l’égard de la femme et assurent la protection et la promotion de ses
droits. Elle oblige l’Etat de prendre dans tous les domaines, notamment dans les
domaines civil, politique, économique, social et culturel, toutes les mesures appropriées
pour assurer le total épanouissement et la pleine participation de la femme au
développement de la nation.12 Il y a là également une incohérence entre les dispositions
légales du code de la famille et celles de la Constitution.

Cette contradiction existe également en ce qui concerne les traités et conventions


internationaux auxquels la République Démocratique du Congo a adhéré ou ratifié. En
10
Art 448 du code de la famille
11
Art 13 de la constitution
12
Art 14 de la constitution
6

effet, aux termes de l’article 215 de la Constitution, les traités et accords internationaux
régulièrement conclus ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celles des lois,
sous réserve pour chaque traité ou accord, de son application par l’autre partie. Il
convient de noter que tant dans le cadre de l’Union Africaine que dans celui de
l’Organisation des Nations Unies, la République Démocratique du Congo a conclu des
conventions internationales qui prohibent les inégalités à l’égard de toute personne en
général et de la femme en particulier. Il en est ainsi notamment de la Charte africaine des
droits de l’homme et des peuples et de la convention sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination à l’égard de la femme. Il y a lieu de constater que les
dispositions légales susvisées ainsi que les coutumes sont en contradiction flagrante avec
les engagements internationaux pris par la République en la matière.

De ce qui précède, il y a lieu de se demander comment concilier les dispositions


légales et coutumières discriminatoires à l’égard de la femme avec les dispositions
constitutionnelles ainsi que celles des conventions internationales ratifiées par la
République Démocratique du Congo qui interdisent la discrimination à l’égard de toute
personne et particulièrement de la femme, lorsqu’on sait que ces deux dernières sources
de droit sont hiérarchiquement supérieures à la loi et à la coutume. Que faire du principe
général de droit selon lequel les sources inférieures doivent être conformes aux sources
hiérarchiquement supérieures pour leur applicabilité ?
Comment remédier aux problèmes du dualisme juridique qui engendre des
incohérences dans un système de droit qui organise la discrimination à l’égard de la
femme ? Voilà l’étendue de la question de recherche qui fait l’objet de cette thèse et qui
appelle les hypothèses du travail.

2. Hypothèses du travail

La femme vivant sur les terres appartenant aux communautés locales ainsi que la
femme mariée sont dans une situation de discrimination, quant à leurs droits d’accès à la
terre. Cette constatation nous mène à trois hypothèses de travail :

(a) La discrimination de la femme vivant sur les terres coutumières est la


conséquence du dualisme juridique qui caractérise le droit foncier congolais.
7

En effet, en laissant les droits de jouissance sur ces terres être totalement régis
par la coutume, la loi organise ou mieux, permet la discrimination de la
femme.

(b) Quant à la femme mariée, sa discrimination est due à l’immobilisme du droit


congolais de la famille sur la question de la capacité qui fait d’elle une
incapable.

(c) Dans les deux cas, il existe une incohérence entre la coutume, les textes
légaux et la Constitution ainsi que les engagements internationaux pris par le
pays en matière de discrimination et d’égalité de tous les citoyens en droit et
devant la loi. D’où, la nécessité d’une méthodologie appropriée pour tenter de
résoudre cette situation.

3. Méthodologie

Pour mener à bien cette étude, nous avons opté pour la combinaison de l’analyse
positive du droit ainsi des approches empirique et historique. Aussi, avons-nous par
moment fait recours à la méthode comparative.

L’analyse positive du droit nous a permis d’expliquer le droit tel qu’il est édicté
par le législateur à travers les textes juridiques.
L’approche historique a été utilisée pour retracer l’évolution de la législation en
matière foncière en général et particulièrement en matière d’accès de la femme aux
droits fonciers.
La méthode comparative a été servie par moment pour comparer la situation de la
femme congolaise en matière d’accès à la terre avec celle de la femme dans certains pays
de l’Afrique subsaharienne. Elle a été également utilisée pour vérifier l’homogénéité des
règles coutumières en matière foncière dans quelques pays de l’Afrique noire.

L’approche empirique consiste à fonder la connaissance sur base de


l’accumulation d’observations et des faits mesurables, dont on peut extraire des principes
généraux par un raisonnement inductif, allant par conséquent du concret à l’abstrait.
8

Dans le cas d’espèce, nous avons fait recours aux interviews pour vérifier le
contenu du droit coutumier et à la consultation de la jurisprudence tant coutumière que
moderne pour mesurer le niveau d’applicabilité des règles coutumières et de droit écrit.

Le droit coutumier africain en général, et congolais en particulier, est caractérisé


par l’oralité. Cela s’explique par le fait que l’écriture était inconnue à l’origine de la
majorité des sociétés traditionnelles africaines. Il existe, certes, des études qui ont été
consacrées au droit foncier coutumier congolais, mais celles-ci non seulement datent pour
la plupart de l’époque coloniale mais elles ne sont pas toujours à portée de main. En
outre, elles ne sont pas toujours orientées vers les questions qui concernent
particulièrement les femmes. Ainsi, il était nécessaire d’organiser des interviews avec les
dépositaires de la coutume dans les milieux ruraux pour vérifier d’abord si les principes
régissant le droit foncier coutumier n’ont pas changé du fait d’une probable évolution de
la mentalité. Ensuite, chercher à savoir s’il existe des principes communs régissant le
droit foncier coutumier, en dépit de la diversité des tribus.

Pour ce faire, nous avons organisé les interviews sur deux sites entre 2010 et
2011. Le premier site retenu se trouve dans la province de l’Equateur, plus précisément
dans la localité de Bumba où la tribu majoritaire est le Mbunza ou Mbudja. Le deuxième
site est celui du peuple Dinga dans la collectivité d’Idiofa dans la province de Bandundu.

Le choix de ces deux sites a été dicté par le système de parenté qui régit les deux
peuples. En effet, le peuple Mbunza est régi par le système patrilinéaire et le Dinga est
soumis au régime matrilinéaire. Ces deux systèmes disposent des règles différentes quant
à l’accès de la femme à la terre, même s’il existe des points communs.

Dans chaque site, nous avons retenu un échantillon composé de cinquante


personnes, choisies selon leur connaissance en droit coutumier. Ainsi l’échantillon a été
composé des juges assesseurs ou juges coutumiers, des enseignants, des chefs
coutumiers, des chefs des groupements et des notables du lieu. L’interview a été menée
sur base d’un questionnaire conçu d’avance. Il a été question de procéder par un jeu de
question réponse avec les interlocuteurs qui ne savaient pas lire et écrire. Pour ceux qui
savaient lire et écrire, il leur avait été soumis le questionnaire pour donner par écrit la
9

réponse à chaque question posée. Pour certaines personnes interviewées, nous étions allés
au-delà du questionnaire, lorsqu’elles nous paraissaient avoir des informations
pertinentes.

Le nombre des personnes interrogées peut paraître insuffisant. Mais cela est dû à
la modicité des moyens financiers dont on disposait. En effet, dans un pays comme la
République Démocratique du Congo, il n’est pas facile de se déplacer, avec ses propres
moyens, d’une province à l’autre. Les moyens de transport sont non seulement difficiles
mais aussi coûteux. Même à l’intérieur d’une province, le déplacement n’est pas aisé à
cause de l’impraticabilité des infrastructures de communication.

Une fois sur le lieu d’investigation, il faut encore faire face à certaines
contraintes. En effet, pour mobiliser les personnes avec lesquelles on organise les
interviews, il faut les motiver. Pour ce faire, il est nécessaire de disposer d’une somme
d’argent pour notamment leur servir la boisson traditionnelle, faute de quoi, ils se
rendront indisponibles. Ainsi, devant ces difficultés, il n’était pas possible d’élargir
l’échantillonnage.

Pour pallier à cette insuffisance, nous nous sommes appuyé sur les résultats des
enquêtes organisées pendant l’époque coloniale sur presque toute l’étendue du territoire
nationale. Ces enquêtes ont porté sur la connaissance du droit coutumier en général dont
l’un des aspects est le droit foncier coutumier. Les résultats de ces enquêtes menées par
les territoriaux ont été publiés dans le Journal des Tribunaux d’Outre-mer, en sigle JTO et
dans le Bulletin des Juridictions Indigènes et de droit coutumier congolais, en sigle BJI.

Pour compléter nos informations sur le droit coutumier, nous avons également fait
recours aux études réalisées par les chercheurs en la matière. Il s’agit essentiellement des
publications qui ont été faites par les magistrats coloniaux, des prêtres, des territoriaux
ainsi que des anthropologues. Il convient de mentionner que l’étude du droit coutumier
n’a plus fait l’objet de publications après l’indépendance. Les études susmentionnées ont
été réalisées surtout pendant l’époque coloniale. Il y a lieu cependant, de mentionner la
récente publication du professeur Mulumba Katchy sur l’introduction générale à l’étude
du droit coutumier congolais, parue en 2011.
10

La jurisprudence, avons-nous affirmé, nous a servi de mesurer le degré


d’applicabilité des règles coutumières ou celles édictées par le législateur. Concernant la
jurisprudence sur le droit foncier coutumier, nous avons consulté quelques décisions
judiciaires rendues par les tribunaux coutumiers publiées dans le Bulletin des juridictions
indigènes et de droit coutumier congolais. Nous avons aussi consulté la jurisprudence
publiée par Jean Sohier dans son ouvrage consacré au Répertoire de la jurisprudence
coutumière. L’ouvrage de Johan Pauwels sur la question a été également mis à
contribution. Actuellement, ces tribunaux sont en voie d’être remplacés par les tribunaux
de paix. Là où ils fonctionnent encore, leurs décisions sont difficilement accessibles parce
qu’ils ne sont plus publiées.
Au regard de ce qui précède, Il convient de reconnaître que les résultats auxquels
nous aboutissons sont limités, et ce, pour des raisons ci-après : d’abord, compte tenu de
l’immensité du territoire national, les deux territoires choisis pour réaliser les enquêtes
ainsi que l’échantillonnage des personnes interviewées semblent être limités, quand on
sait que la République Démocratique du Congo compte environs 450 tribus.
Ensuite, il est admis que le droit coutumier est un droit qui n’est pas figé. Il est
flexible. En effet, sa flexibilité est due au fait qu’il s’adapte aux circonstances. D’où la
nécessité d’exprimer la prudence quant à la généralisation de l’identité de la situation de
la femme sur toute l’étendue du territoire. C’est dans ce sens d’ailleurs que Philippe
Lavigne Delville écrit ce qui suit :
« …..Toutes les études de terrain le montrent, les systèmes fonciers locaux ne sont pas
ces droits figés tels qu’ils ont trop longtemps été décrits, faute d’une attention suffisante. Ils
évoluent et la logique même du coutumier, où les droits se négocient auprès des autorités sur la
base de quelques principes partagés, autorise une grande souplesse. En plantation, en bas-fonds,
de nouvelles règles foncières ont été inventées pour répondre à de nouveaux modes d’exploitation
du milieu, de nouveaux rapports sociaux. Les règles foncières évoluent également face à des
changements importants dans les conditions de la production, ou lorsque la pression sur les
ressources s’accroît. Il n’y a donc pas de système’’ traditionnel’’ ou coutumier en soi, mais il y a
des formes de régulation foncière qui sont de type coutumières. »13

13
P. Lavigne Delville, Comment articuler législation nationale et droits fonciers locaux : expériences en
Afrique de l’Ouest francophone, in Politique des structures et action foncière au service du développement
agricole et rural, 1998, p2
11

De son côté, Kafui Adjamagbo-Johnson explique le caractère évolutif du droit


foncier coutumier par les facteurs comme la raréfaction des terres, l’implantation de
cultures de rentes, l’affaiblissement de la famille étendue et la monétarisation.14
Le caractère évolutif du droit foncier coutumier est aussi mentionné dans un
article consacré à la politique de réforme agraire rwandaise et la nouvelle loi foncière vue
sous l’angle du genre. Dans cette étude, les auteurs notent que les règles coutumières
foncières ne sont pas simplement suivies mais constamment adaptées ou réinterprétées en
fonction des situations spécifiques.15
De son côté, le professeur Mulumba Katchy note également ce qui suit :
« Le droit coutumier congolais n’est pas figé. Il est dynamique, progressiste ; il s’épure
de ses éléments négatifs considérés comme des tares ; il évolue et s’adapte aux mutations
perpétuelles de la société moderne, creuset des synergies de la mondialisation. Cette évolution
s’avère certes lente, prudente, mais sûre ; elle doit être l’œuvre du progrès des multiformes
mœurs congolaises dont la finalité est de réaliser la fusion, l’intégration totale des différents
systèmes juridiques.16 »
Il convient également de noter que la question de l’accès de la femme à la terre
déborde le cadre de la République Démocratique du Congo. Elle est d’actualité presque
dans tous les pays de l’Afrique subsaharienne et même à travers le monde. L’Union
africaine est préoccupée par la question. En effet, dans une étude consacrée au cadre et
lignes directrices sur les politiques foncières en Afrique, elle note ce qui suit :
« Il faut admettre toutefois, qu’en dépit de la sacralité de la terre et des rapports fonciers
en Afrique, le système patriarcal qui domine l’organisation sociale a tendance à produire des
discriminations à l’encontre des femmes en matière de propriété foncière et de maîtrise des
ressources foncières. Cette situation a été renforcée, d’abord par la législation foncière importée
qui a eu tendance à renforcer le système patriarcal en conférant les titres et les droits d’héritage
aux membres mâles de la famille uniquement, sur la base du principe que les femmes,
particulièrement les femmes mariées ne peuvent accéder à la terre qu’à travers leurs conjoints ou
leurs enfants de sexe masculin ; cette situation résulte en second lieu, des effets pervers de
certaines dispositions des Constitutions africaines et de la Charte africaine des droits de l’homme
et des peuples qui aboutissent à des discriminations en matière de statut personnel, contre le droit
des femmes à un traitement égal devant la loi.17 »

14
Kafui Adjamagbo-Johnson, La propriété à l’épreuve de la législation foncière et agraire, in Pénant, 4ème
trimestre, 1992, p 215
15
A. Ansoms et N. Holvoet, La politique de réforme agraire rwandaise et la nouvelle loi foncière vue sous
l’angle du genre, in L’Afrique des grands lacs, annuaire 2006-2007, p 77.
16
Mulumba Katchy, Introduction à l’étude du droit coutumier congolais, Kinshasa, CREJA, 2011, p 21
17
Union africaine, Banque africaine de développement et Commission économique pour l’Afrique, Cadre
et lignes directrices sur les politiques foncières en Afrique, Addis-Abeba, Ethiopie, 2010, p 9
12

De son côté, l’ONU-HABITAT note que l’octroi effectif aux femmes des droits
au sol, à la propriété et au logement est l’un des défis difficiles auxquels ait à faire face le
monde contemporain.18

Concernant la jurisprudence en matière des terres urbaines et rurales, notre choix


a été porté sur les décisions rendues par les tribunaux de grande instance ainsi que les
tribunaux de paix. Ce choix est justifié par le fait que selon la loi organique n°13/011-B
du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de
l’ordre judiciaire, les tribunaux de grande instance sont compétents pour connaître des
litiges fonciers portant sur les terres urbaines et rurales. Les tribunaux de paix connaissent
des litiges portant sur les droits fonciers collectifs et individuels régis par la coutume
mais aussi des litiges fonciers ou immobiliers qui naissent à l’occasion du divorce.19
Mais, il n’a pas été possible de consulter les décisions rendues par toutes les juridictions
de la République. Nous avons choisi de nous limiter aux décisions rendues par les
tribunaux de Kinshasa et de Lubumbashi principalement et accessoirement ceux du Bas-
Congo. Ce choix est justifié par le fait que les deux villes constituent des pôles où les
activités judiciaires sont abondantes et qu’on peut assez facilement trouver une diversité
des conflits fonciers.

Cependant, la consultation de ces jugements n’a pas été aisée. En effet, étant
donné que ces décisions judiciaires ne sont plus publiées depuis de nombreuses années, il
a fallu que nous descendions aux greffes des tribunaux pour recueillir les jugements.
L’état des archives ainsi que les mœurs de ceux qui travaillent en ces lieux n’ont pas été
de nature à nous faciliter la tâche. En effet, les archives sont mal tenues là où elles
existent. Souvent, elles sont inexistantes du fait des actes de vandalisme dont les
tribunaux sont souvent victimes à l’occasion des événements politiques ou autres
manifestations sociales.
En outre, les fonctionnaires commis à ces services ne sont pas motivés du fait
d’une rémunération insatisfaisante. De ce fait, ils arrivent souvent en retard sur leur lieu

18
ONU-HABITAT, Droits des femmes au sol, à la propriété et au logement :Guide global pour les
politiques publiques, mars, 2007, p7
19
Art 110 et 111 de la loi organique n°13/011-B du 11avril 2013 portant organisation, fonctionnement et
compétences des juridictions de l’ordre judiciaire.
13

de travail et ils ne sont pas disposés pour rendre service à ceux qui en ont besoin. Pour
qu’ils acceptent de mettre à la disposition des chercheurs les archives, il faut qu’ils soient
motivés. La motivation consiste à leur remettre une somme d’argent. Dans ces
conditions, il est difficile de rassembler le nombre des jugements souhaités.

En plus de cette difficulté, il convient de mentionner celle en rapport avec la


distance à parcourir d’une ville à l’autre pour chercher les jugements. L’étendue du pays
et l’état des voies de communication nous ont obligés par moment de prendre l’avion
pour se déplacer d’un lieu à l’autre à la recherche de la jurisprudence. Cela a eu des
conséquences sur nos recherches parce que nous n’avons pas eu des moyens financiers
conséquents pour faire face à la situation. Qu’à cela ne tienne, nous avons pu récolter un
nombre appréciable des décisions judiciaires pouvant nous permettre de jauger le niveau
d’applicabilité de règles de droit édictées par le législateur.

Les données empiriques ont été complétées par la consultation des ouvrages
consacrés au droit foncier et au droit de la famille. Il convient toutefois de noter qu’au
Congo, les publications dans ces domaines sont à compter du doigt. Nous pouvons citer
essentiellement les ouvrages publiés par le professeur G. Kalambay Lumpungu sur le
régime général des biens et sur le régime foncier et immobilier ; l’ouvrage du professeur
Lukombe Ghenda sur la même question, celui du professeur V. Kangulumba Mbambi sur
la même matière, sans toutefois oublier la publication du professeur Kifwabala de
l’Université de Lubumbashi en la matière. Cependant, aucune de ces publications n’a été
orientée vers la question de l’accès de la femme à la terre. C’est cela l’originalité de notre
étude qui nécessite l’annonce du plan.

4. Plan du travail

Il convient avant toute chose de noter que les terres occupées par les
communautés locales ainsi que les terres rurales se trouvent dans l’espace rural. Mais les
deux types de terre sont régis par deux droits différents : droit coutumier et droit écrit.
Comme nous l’avons déjà affirmé, le droit coutumier s’applique aux terres des
communautés locales et le droit écrit concerne les terres rurales sur lesquelles les
pouvoirs publics peuvent accorder aux particuliers, personnes physiques ou morales, des
14

concessions foncières. Les droits fonciers de la femme ne sont pas de même étendus sur
ces deux types de terre. Ainsi, étant donné que les droits fonciers de la femme sur les
terres rurales sont identiques avec ceux qu’elle détient sur les terres urbaines, nous avons
estimé utile d’analyser ces deux dernières situations ensemble.

Ainsi, outre l’introduction et la conclusion, ce travail est subdivisé en trois


parties. La première partie est consacrée aux droits fonciers de la femme sur les terres
appartenant aux communautés locales, la deuxième partie est axée sur les droits fonciers
de la femme sur les terres rurales et urbaines et la troisième partie porte sur
l’harmonisation des droits fonciers de la femme.
15

PREMIERE PARTIE : DROITS FONCIERS DE LA FEMME SUR


LES TERRES DES COMMUNAUTES LOCALES

Les terres appartenant aux communautés locales se trouvent essentiellement dans


l’espace rural. Dans cet espace, il existe juridiquement deux catégories des terres ayant
des statuts distincts : terre rurale et terre des communautés locales ou terres coutumières.
La différence entre ces deux catégories de terre se situe seulement au niveau du régime
juridique applicable. En effet, sur le plan matériel, il existe une confusion entre les deux
catégories. D’ailleurs, les terres rurales appartenant à l’Etat ont toujours fait l’objet de
contestation de la part des communautés locales qui se sentent victimes de spoliation de
la part de celui-ci. Il est donc difficile d’estimer en termes de pourcentage l’étendue de
chaque catégorie. Mais selon certaines statistiques, l’espace rural occupe dans son
ensemble plus de 80% du territoire national dont 34,11% de terres arables et 52% des
forêts.20
Sur les terres appartenant aux communautés locales, la femme fait l’objet de
discrimination quant à ses droits fonciers. Cette discrimination trouve sa source dans les
principes qui gouvernent ces terres. Voilà pourquoi, avant d’analyser la situation foncière
de la femme sur ces terres, nous avons cru bon d’étudier d’abord la nature et les principes
de gestion de ces terres. Cette partie sera clôturée par une conclusion partielle.

Chapitre 1 : Nature et Principes de gestion de terres des communautés


locales
Avant de déterminer la nature et les principes qui gouvernent les terres des
communautés locales, il est nécessaire de circonscrire la notion relative à cette catégorie
de terre. Ainsi ce chapitre est subdivisé en trois sections. La première sera axée sur ce
qu’il faut entendre par terre des communautés locales, la deuxième va analyser la nature

20
T. Diebo Mazey, Lutte contre la pauvreté et création des richesses en milieu rural en Afrique
subsaharienne : la problématique de l’implication des banques commerciales dans la finance rurale et la
microfinance en milieu rural( cas de la RDCongo), Mémoire de DEA, Faculté des sciences économiques,
Université de Kinshasa, 2009-2010, p 15
16

de droits que possèdent ceux qui occupent ces terres et la troisième analysera les
principes de gestion de ces terres.

Section 1 : Notion de terres des communautés locales

Les terres des communautés locales sont, selon l’article 388 de la loi n° 73- 021
du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et
régime des sûretés, celles que ces communautés habitent, cultivent ou exploitent d’une
manière quelconque – individuelle ou collective – conformément aux coutumes et usages
locaux.
Tout en définissant la terre appartenant aux communautés locales, la loi précitée
ne donne pas la définition de la communauté locale. Cette définition est donnée par la loi
n°011/ 2002 du 29 août 2002 portant code forestier. En effet, l’article 1er de cette loi au
point 17 définit la communauté locale comme « une population traditionnellement
organisée sur la base de la coutume et unie par des liens de solidarité clanique ou
parentale qui fondent sa cohésion interne. Elle est caractérisée, en outre, par son
attachement à un terroir déterminé.21 » Sur le plan de l’organisation territoriale, la
communauté locale peut être l’équivalent du secteur ou de la chefferie. En effet, la loi
organique n°08/ 016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et
fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l’Etat et les
provinces définit le secteur et la chefferie comme suit :

« Le secteur est un ensemble généralement hétérogène de communautés


traditionnelles indépendantes, organisées sur base de la coutume. Il a à sa tête un chef élu
et investi par les pouvoirs publics.22 »

« La chefferie est un ensemble généralement homogène de communautés


traditionnelles organisées sur base de la coutume et ayant à sa tête un chef désigné par la
coutume, reconnu et investi par les pouvoirs publics.23 »

21
Art 1point17 de la loi n°011/ 2002 du 29 août 2002 portant code forestier
22
Art 66 al 1 de la loi organique n°08/ 016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et
fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l’Etat et les provinces
23
Art 67 al 1 de la loi précitée
17

Il convient de noter que la définition de terres des communautés locales telle que
donnée par la loi foncière de 1973, est la reproduction fidèle de l’article premier alinéa1
du décret du 3 juin 1906 relatif aux terres indigènes. En effet, cet article dispose : «Sont
terres occupées par les indigènes, aux termes des dispositions précitées, les terres que les
indigènes habitent, cultivent ou exploitent d’une manière quelconque conformément aux
coutumes et usages locaux ». Comme on peut le remarquer, le législateur de 1973, n’a
fait que remplacer le mot « indigène » par le groupe des mots « communautés locales ».
Ce remplacement peut se justifier par le fait que le mot indigène a une connotation
coloniale.

Le décret du 3 juin 1906 avait notamment pour but de donner une interprétation
large au droit d’occupation reconnu aux indigènes par le décret du 1er juillet 1885 qui
dispose en son article 1er ce qui suit : « Nul n’a le droit d’occuper des terres vacantes, ni
de déposséder les indigènes des terres qu’ils occupent ; les terres vacantes doivent être
considérées comme appartenant à l’Etat ». Cette disposition a fait l’objet d’une
interprétation abusive de la part de l’administration coloniale, aboutissant au confinement
des autochtones sur des territoires étroits. Cette situation avait provoqué une vive critique
de la politique coloniale vis-à- vis des indigènes. Voilà pourquoi, en date du 23 juillet
1904, le Roi - Souverain avait mis sur pied une commission d’enquête ayant pour but de
recueillir toutes les informations en rapport notamment avec la situation foncière des
indigènes. Voici ce qu’on peut lire dans ce rapport :

« La législation de l’Etat Indépendant n’a point défini ce qu’il faut entendre par’’ terres
occupées par les indigènes’’ et les tribunaux de l’Etat n’ont jamais eu l’occasion de se prononcer
sur cette question. A défaut de définition légale, on semble avoir généralement admis, au Congo,
qu’il faut considérer comme occupées par les indigènes exclusivement les parties du territoire sur
lesquelles ils ont installé leurs villages et établissent leurs cultures.
« On a même admis que sur les terres occupées par eux, les indigènes ne peuvent disposer des
produits du sol que dans la mesure où ils en disposaient avant la constitution de l’Etat…..
« Comme la plus grande partie des terres au Congo n’est pas mise en culture, cette interprétation
accorde à l’Etat un droit de propriété absolu et exclusif sur la presque totalité des terres , avec
cette conséquence qu’il peut disposer, à lui seul, de tous les produits du sol, poursuivre comme
voleur celui qui recueille le moindre fruit ou, comme receleur, celui qui l’achète, défendre à qui
que ce soit de s’installer sur la plupart des points du territoire; elle enserre l’activité des indigènes
18

dans des espaces très restreints; elle immobilise leur état économique. Ainsi appliquée
abusivement, elle s’opposerait à toute évolution de la vie indigène ».24

Mais comme le décret de 1906 n’avait pas défini ce qu’il fallait entendre par
cultiver et exploiter, l’administration coloniale a eu encore la charge de préciser la portée
de ces termes de la manière suivante :

 Par « cultivent », il faut considérer comme cultivés par eux et, par conséquent,
reconnaître comme terres indigènes, quelle que soit leur étendue, les terres qui, quoique
laissées temporairement en jachères, sont comprises parmi celles qu’ils mettent
périodiquement en culture.25
 Par « exploitent », il s’entend de toute espèce d’utilisation des terres par les indigènes,
quels que soient donc les avantages qu’ils en retirent ou la forme de ces avantages : qu’ils
consistent en cueillette, telle la cueillette des fruits de palme, ou extraction de terre ou de
produits minéraux telles les terres plastiques, les salines, etc…26

L’administration précise que l’exploitation susceptible de servir de base à


l’appropriation du sol par les indigènes doit être faite à titre privatif et à titre permanent
ou périodique.

E. Boelaert signale qu’ à côté de cette interprétation, d’autres instructions ont été
données par le Gouverneur Général aux agents chargés de délimiter les terres occupées
par les indigènes et de constater la nature des droits d’occupation. Voici les termes de ces
instructions :
« …le Gouvernement n’entend pas révoquer la tolérance dont les indigènes ont profité
jusqu’à présent, mais il importe de définir exactement la nature des droits des indigènes et le
régime des terres qui en sont affectées en déterminant les conditions sous lesquelles ces terres
pourraient passer en cas de vente ou de location en mains de tiers acquéreurs.
L’enquête locale à laquelle vous vous livrerez, conformément à ma dépêche prérappelée,
devra fixer les caractères propres de ces droits originaires indigènes. Ce n’est évidemment pas
une propriété même collective. Ce n’est pas davantage un usufruit ou une servitude. C’est plutôt
un droit réel sui generis grevant la propriété au profit d’un ou plusieurs collectivités. »27

De son côté, O. Louwers estime que l’interprétation administrative n’a pas de


valeur légale, elle est même équivoque et imprécise. Il se demande qu’en cas d’une

24
Recueil usuel de la législation de l’Etat Indépendant du Congo, T5,p 673.
25
P. Piron et J. Devos, Codes et Lois du Congo belge, matières civiles, commerciales, pénales, Bruxelles,
Larcier, 1960, p 424
26
P. Piron et J. Devos, op.cit, p 673
27
E.Boelaert, Législation foncière de l’Etat Indépendant du Congo et Droit naturel, in Aequatoria n°2,
1954, p 45
19

contestation née à la suite de l’interprétation de cette disposition, sur quelle base les
tribunaux trancheront-ils ? Il déplore que le décret susvisé permette toutes les
interprétations qu’on veut. Et de ce fait, de région à région, on pourrait dire de
fonctionnaire à fonctionnaire, ou de gouvernement à gouvernement, on constate des
interprétations très différentes; les unes sont restrictives de la notion de « terres
indigènes », d’autres libérales. L’avenir des indigènes est devenu de plus en plus
incertain et précaire. Avec l’évolution de la situation économique, avec le développement
de la colonie, les natifs peuvent de nouveau se trouver cantonnés dans les espaces étroits
et être à la merci des occupants des terres entourant leurs villages28.

E. Boelaert va dans le même sens, lorsqu’il note que le décret de 1906 a


compliqué la question des terres indigènes au lieu de la trancher définitivement. En effet,
souligne t-il, depuis la promulgation de ce décret, les textes légaux semblent même éviter
le terme « terres indigènes » pour parler de « terres grevées de droits réels soit
d’habitation, soit de culture, soit d’exploitation ». L’administration, renchérit-il, a
introduit la théorie des « droits sui generis », qui ne trouve aucune base dans le décret de
1906, dans le but de restreindre les terres indigènes.29

De tout ce qui précède, il ressort que les textes sur les terres indigènes ont posé
beaucoup des problèmes dans la pratique. La question qui se pose est celle de savoir
pourquoi le législateur de 1973 a reconduit pratiquement le même texte pour régler la
question des terres des communautés locales. Le problème de la délimitation de ces
terres se pose encore jusqu’à présent. A mon avis, il serait peut être à la base du blocage
de l’ordonnance du Président de la République prévue par l’article 389 de la loi foncière
de 1973, qui doit régler les droits de jouissance régulièrement acquis par les
communautés locales individuellement et collectivement.

Il sied de noter que la définition des terres indigènes comme celle des terres des
communautés locales a pour but de délimiter ces terres, afin de permettre à l’Etat de
dégager l’espace foncier nécessaire pour le développement socio-économique du pays.

28
O. Louwers, Le problème des terres indigènes, in Journal des Tribunaux d’Outre-mer, n°47, 1954, p 67
29
E.Boelaert , op. cit, p 46
20

Cependant, la détermination de la nature des droits fonciers des communautés locales est
une nécessité qui s’impose.

Section 2 : Nature du droit de communautés locales

Aucun texte de loi ne donne la nature des terres appartenant aux communautés
locales. Les textes tant coloniaux que du Congo indépendant se limitent à définir ces
terres comme celles d’occupation. Devant ce vide, c’est la controverse qui a gagné du
terrain. Mais la discussion tourne autour de la question de savoir si le droit des
communautés locales sur leurs terres est un droit de propriété ou pas. D’une façon
générale, on distingue d’une part ceux qui pensent qu’il ne s’agit pas d’un droit de
propriété et d’autre part ceux qui soutiennent qu’il s’agit d’un droit de propriété. Les
arguments des uns et des autres portent sur des points suivants : le caractère aliénable ou
inaliénable de la terre en droit coutumier, la conception indigène de la terre, le concept
d’occupation de la terre et enfin la conception de la propriété indigène par rapport à la
propriété européenne. Comme ces arguments se recoupent, nous pensons utile de pouvoir
les analyser simultanément afin d’éviter de nous répéter. Ainsi, dans les lignes qui
suivent, nous allons reprendre les arguments des uns et des autres avant de prendre
position.

§ 1. Aliénabilité ou inaliénabilité des droits fonciers coutumiers

Ceux qui refusent d’admettre que les droits fonciers coutumiers sont des droits de
propriété, s’appuient sur le fait que la terre en droit coutumier est inaliénable. Ainsi,
disent-il, la faculté d’aliéner est un élément essentiel du droit de propriété. Ils préfèrent
qualifier les droits fonciers coutumiers comme étant des droits d’occupation et d’usage ou
encore des droits sui generis.30

30
E.Kremer , Le droit foncier coutumier du Congo belge, in Bulletin des juridictions Indigènes et du
droit coutumier congolais, n°9, 1956, p243
21

Les défenseurs du droit de propriété objectent, en faisant remarquer que, refuser la


propriété des terres coutumières aux groupements locaux sous prétexte qu’il leur manque
la faculté d’aliénation, qui dans les droits romain et européens-occidentaux serait un
élément essentiel du droit de propriété, c’est fausser la question en prenant ces
législations comme des modèles universels pour juger toutes les autres à leur image.

D’ ailleurs, disent-ils, des juristes éminents estiment que le jus abutendi des
Romains, constituant dans leur droit un des attributs du propriétaire, ne signifie point
droit d’aliénation, de disposition juridique, mais bien droit de disposition matérielle, le
droit de transformer la substance d’une chose, allant même jusqu’au droit de la détruire.
Dans ce cas, personne, hormis Dieu ou des êtres supérieurs à l’homme, ne pourrait être
propriétaire d’un fonds puisqu’aucun être humain ne saurait transformer un fonds comme
tel. Disposer matériellement d’une terre, c’est la détourner de sa destination normale pour
lui en donner une particulière. Or, ce droit les indigènes le possèdent assurément ; ils ont
donc le droit d’abusus de leur domaine.31

Selon le professeur G. Malengreau, le fait de l’inaliénabilité n’amoindrit pas la


propriété, car il ne porte pas sur la propriété elle- même, mais plutôt sur la capacité du
titulaire des droits de propriété.32

Quant à A. Sohier, quelle que soit la qualification attribuée à ces droits, dans la
mesure où ils constituent des droits de jouissance absolue, privative, perpétuelle, ils sont
assimilables au droit de propriété.33

S’interrogeant sur le sens réel de l’inaliénabilité, A. Sohier revient à la charge,


en estimant que ce principe veut que le clan ne puisse pas conventionnellement céder les
droits fonciers à titre définitif. Mais les droits pouvaient être démembrés, cédés
temporairement ou même pour une durée indéfinie. D’autre part, les droits pouvaient être
abandonnés; notamment par émigration ou en s’inclinant devant le droit du plus fort. Et

31
Ibidem
32
G. Malengreau , Les droits fonciers coutumiers chez les indigènes du Congo belge, Bruxelles, IRCB,
1947,p 71
33
A.Sohier , Les terres indigènes, in Journal des Tribunaux d’Outre-mer, n° 53, 1954, p157
22

ceci n’excluait pas qu’un contrat ne fut conclu à cette occasion, dans le cas d’un traité de
paix terminant une guerre.34

De son côté, J. Vannes pense que le droit de disposition n’implique pas


nécessairement le droit d’aliénation, autrement dit, on peut être propriétaire d’une chose
et ne pas pouvoir la vendre, le droit d’aliénation n’étant qu’une caractéristique du droit
de propriété et non pas un élément essentiel de celui-ci. Le fait de pouvoir transformer la
nature d’un terrain suffirait à lui seul, en principe, pour faire conclure au droit de
propriété dans le chef de l’auteur de la transformation. Le fait de ne pas pouvoir aliéner
une chose n’implique pas nécessairement l’absence de propriété ; il peut n’être qu’une
restriction au principe de la plénitude des pouvoirs du propriétaire ; cette restriction
pourra provenir soit de la nature de la chose elle-même, soit d’une convention mais elle
n’est pas par elle-même exclusive du droit de propriété.35

Le professeur Lukombe note d’abord que l’inaliénabilité ne détruit pas pour


autant la propriété foncière coutumière qu’elle limite cependant l’absolutisme. Mais dans
quel système juridique, s’interroge t-il ensuite, le principe de la propriété n’est-il pas
conçu comme susceptible de relativité ? il prend l’exemple de l’article 544 du code civil
Napoléon qui, après avoir affirmé que la propriété est un droit absolu, s’empresse
d’ajouter que l’on ne doit en faire un usage prohibé par les lois ou par les règlements.
Selon cet auteur, cette limitation ou relativité traduit à vrai dire le souci des rédacteurs du
code de tenir compte des données de l’ordre social. De même, sous le ciel africain, la
pensée juridique africaine a pu prévoir les obligations des propriétaires fonciers, telle
celle de ne pas aliéner la terre. Dans ce système, la relativité du droit de propriété se
traduit alors par ce fait que les règles juridiques imposent au propriétaire certains devoirs.
Ces derniers sont, ici aussi, justifiés par les données particulières de l’ordre social.36

34
A. Sohier , Les problèmes des terres indigènes, in Journal des Tribunaux d’Outre- mer, n°63, 1955, p126
35
J.Vannes, Le droit foncier coutumier en territoire de Kabongo, in Bulletin des Juridictions Indigènes et
du droit coutumier congolais, n°7,1954, p166
36
Lukombe Nghenda, Droit civil: les biens, Kinshasa, Publications des Facultés de Droit des Universités du
Congo, 2003, p385
23

Voilà l’argument des uns et les contre-arguments des autres sur la question de
l’aliénabilité ou l’inaliénabilité des droits fonciers coutumiers. Le second élément de la
discussion concerne la conception que les indigènes se font de la terre.

§2. Conception coutumière de la terre

Plusieurs théories ont été avancées sur la conception que les africains ont de la
terre. Globalement, elles tendent à affirmer que la propriété de la terre appartient aux
ancêtres ou aux êtres supérieurs à l’homme. Seuls ces êtres ont la faculté d’aliéner la terre
mais les vivants disposent des droits absolus et exclusifs d’occupation et d’usage. Ainsi,
les droits des vivants ne sauraient être analysés comme un droit de propriété. 37 Le
professeur Mulumba Katchy va dans le même sens lorsqu’il affirme que la terre
coutumière est la propriété commune du clan, des vivants et des morts ; celle –ci revêt un
caractère magique et sacré.38

Les études menées sur terrain dans le cadre de l’enquête sur le droit foncier
coutumier semblent attester cette thèse. En effet, dans une étude sur le droit foncier dans
le groupement Bena Kankonde, province du Kasaï, voici ce que rapporte J. Van
Boeckhout :
«Les véritables propriétaires de ces terres sont les ancêtres( Bankamba) dont le chef de
groupement est le représentant vivant; il est copropriétaire par sa descendance. Le chef de
groupement n’a pas le droit ni les pouvoirs de disposer de ces terres d’une manière absolue et
exclusive; il est chargé par les ancêtres de conserver ce patrimoine et de les représenter dans les
litiges nés de cette propriété. Il est le mandataire des véritables propriétaires disposant des droits
et des pouvoirs nécessaires pour sauvegarder leurs intérêts et pour garder intact ce legs foncier.
Les terres sont inaliénables, incessibles et hors commerce. La propriété de terres ne peut
faire l’objet d’un contrat quelconque et la convention ayant la cession de la propriété comme
objet n’est pas valable et frappée d’une nullité absolue ; les conditions essentielles (consentement
des ancêtres et capacité du mandataire) pour la validité de cette convention font défaut. Les
ancêtres ne donnent pas leur consentement pour la cession de la propriété de leurs terres
puisqu’aucun pouvoir ne lui a été donné par les mandants ».39

Mayer va dans le même sens, lorsque analysant la conception de la terre chez les
Bena Tshitolo, il note que :
37
E. Kremer , op. cit, p245
38
Mulumba Katchy, op. cit, p 113
39
J. Van Boeckhout , Le droit foncier chez le groupement Bena Kankonde du secteur Bena Ngoshi
province Kasaï, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°2, 1957, p33
24

« La terre ne peut être vendue, car elle renferme les esprits des ancêtres. Elle appartient
non seulement aux vivants mais aussi aux morts de la famille. Pour l’indigène, la propriété du sol
n’est pas seulement une question d’espace ; c’est aussi une question de temps. Car elle remonte
dans le passé et s’étend déjà sur toutes les générations futures.
La propriété est donc collective dans le sens de la famille ; n’importe quel parent peut
exploiter le sol réservé à son clan. Ce clan comprend en outre les parents décédés ».40

Analysant ces théories, Kremer pense que le refus de reconnaître aux


groupements la propriété foncière tire souvent son origine lointaine de l’absence de la
faculté d’aliénation dans le chef des groupements. Il poursuit, en affirmant que, ces
théories peuvent être justes au point de vue philosophique, mais ne valent pas dans le
domaine juridique.

Le professeur Kalambay pense que les arguments avancés par les partisans de la
thèse métaphysique sont certes séduisantes, surtout pour les peuples dont on a vanté le
sens religieux profond, mais malheureusement elles ne résistent pas toutes à une analyse
approfondie de la conception philosophique et métaphysique des autochtones, car si les
morts sont nu-propriétaires du domaine foncier ou s’ils sont dans l’impossibilité physique
d’assister à une assemblée des vivants, ils ont, selon la conception bantoue du pouvoir,
leurs représentants accrédités sur la terre, dans la personne du chef ou des chefs de
famille. Ce chef représente parfaitement les morts et les vivants, dès lors il serait capable
de parler au nom de tous et d’aliéner le domaine foncier, tout au moins en partie. Mais en
fait le chef n’agit pas ainsi, sauf dans certaines circonstances où il est forcé de le faire
lorsque, par exemple, il doit mettre certains biens en gage.41

Voilà l’état de la question en ce qui concerne la conception indigène de la terre.


Le troisième argument sur lequel porte la discussion concerne l’occupation effective de la
terre par les indigènes.

§ 3. Concept d’occupation effective de la terre

40
Ch. Mayer , Enquête sur le droit coutumier des Bena Tshitolo, in Bulletin des Juridictions Indigènes et
du droit coutumier congolais, n° 2, 1953, p25
41
G.Kalambay Lumpungu, Le droit foncier zaïrois et son unification, Thèse de doctorat, Université
Catholique de Louvain, 1973, p377
25

Pour s’accaparer des terres indigènes en les déclarant vacantes et par conséquent
les domanialiser, l’administration coloniale tirait argument du manque d’occupation
effective et réelle de ces terres par les communautés locales. C’est ainsi qu’elle avait
défini les terres indigènes comme celles qu’ils habitent, cultivent et exploitent d’une
manière quelconque conformément aux coutumes et usages locaux.42

Ceux qui pensent que les indigènes étaient propriétaires de ces terres avancent des
arguments contraires pour démontrer que les terres indigènes, sont effectivement et
réellement occupées par ceux qui en sont propriétaires. Ci- dessous, nous reprenons
quelques arguments avancés.

Il y a appropriation d’un fonds, pense le professeur Malengreau, lorsqu’une


personne l’occupe avec la volonté d’en acquérir la propriété. Sur le plan juridique,
« occuper » ne signifie pas occupation exhaustive, mais occupation dans un sens ou dans
un autre, voire occupation symbolique. Il suffit que l’occupant fasse servir son fonds dans
un but déterminé et choisi par lui et qu’il ait l’intention d’empêcher chaque intrus d’y
exercer des droits.43

Selon Kremer, ceux qui refusent la propriété de leurs terres aux collectivités
indigènes, sous prétexte qu’elles ne les occupent pas exhaustivement, confondent le sens
usuel du mot occupation avec son sens juridique44. Il y a occupation acquisitive d’un bien
sans maître, affirme Sohier, dès qu’il existe une prise de possession suffisante pour
pouvoir y exercer les droits dont on s’empare. Ainsi par exemple, j’occupe une maison
lorsque je m’empare de sa clé et m’installe dans son rez- de- chaussée, même si je laisse
vide les pièces des étages. A fortiori, quand dans ces pièces j’exerce des activités.
Chasser en installant un garde-chasse, exploiter les bois, faire la récolte des fruits sont
assurément des modes de prise de possession des forêts qui, faits avec la volonté de se les
approprier, en constituent l’occupation. Lorsqu’un agriculteur pratiquant la culture

42
Voir ce qui a été dit supra p 3
43
G. Malengreau , op cit, pp 77-78
44
E.Kremer , op cit, p 246
26

extensive laisse une partie de ses terres en jachère pendant la période de régénération, il
cesse de les occuper au sens vulgaire, il n’en perd pas la possession au sens juridique.45

Toute la législation foncière de l’Etat Indépendant, note E.Boelaert, a perdu de


vue que pratiquement toutes les populations congolaises vivaient en grande partie de la
chasse, la pêche et la cueillette. Elles ne vivaient que grâce à la forêt. Celle-ci leur
procurait logement, vêtement et nourriture. C’est leur domaine forestier qui devait leur
procurer les sticks, les feuilles, les lianes pour la construction et l’entretien de leurs
maisons et des dépendances ; les ustensiles de ménage, de culture, les engins de chasse et
de pêche; les poteries, les nasses, les nattes, les médicaments, les stimulants, les
ornements; les fibres pour leurs vêtements, et toutes ces mille choses qui composent la
vie. Il s’agit là d’une occupation effective selon les possibilités et les besoins des
indigènes.46

L’occupation de la terre patriarcale, renchérit E.Boelaert, est suffisante pour


justifier la propriété. En droit naturel, il n’est pas indispensable que j’épuise l’utilité
d’une chose ou d’une terre pour pouvoir la dire mienne; il suffit que je la fasse servir,
d’une façon réelle, mais de mon choix, à ma personne, et que j’aie la volonté d’interdire à
tout étranger un usage quelconque indépendant de mon consentement. Dès lors
l’occupation effective est jointe à l’intention, et l’on a tous les éléments constitutifs du
titre de la propriété. Le propriétaire qui cultive la moitié de son domaine et laisse l’autre
moitié en réserve de chasse ou en jachère n’est pas moins propriétaire de cette moitié-
là.47
Le quatrième point de discussion concerne la question de savoir si la propriété
telle que prévue en droit occidental est conçue de la même manière par les Africains.

§ 4. Conception européenne et africaine de droit de propriété

45
A. Sohier , Les terres indigènes, in Journal des Tribunaux D’Outre-mer, n°50, 1954, P116
46
E. Boelaert , législation fonciére de l’Etat Indépendant et Droit naturel, in Aequatoria,n°2, 1954, p49
47
E. Boelaert , op cit, p 50
27

Nous allons d’abord donner les arguments de ceux qui pensent que la propriété
foncière coutumière pouvait être analysée en se référant aux caractères de la propriété en
droit occidental, ensuite voir les arguments de ceux qui pensent que la propriété foncière
coutumière obéit à une autre conception de chose.

1. Conception européenne de la propriété

Les tenants de cette thèse estiment que le droit foncier coutumier est un droit de
propriété parce qu’il renferme tous les caractères attachés à ce droit. En effet, tel que
prévu dans le code civil napoléon, la propriété est un droit exclusif, perpétuel, général et
absolu.
Dans son étude sur le droit coutumier du Congo belge, A. Sohier écrit notamment
que le chef, en prenant possession d’un territoire non occupé, il le faisait avec l’intention
d’acquérir d’abord la souveraineté politique, mais aussi l’usage exclusif de la terre et de
tous ses produits. Désormais personne n’aurait pu y exercer de droits sans son
autorisation. Il n’est pas douteux que les droits ainsi acquis répondent à la définition de la
propriété en droit européen. C’est d’ailleurs renchérit-il, un fait d’expérience que le Noir
a parfaitement la notion de la propriété du sol. Sans doute, la prise de possession ne
s’accompagne pas d’une occupation et d’une exploitation intensives de tout le territoire,
mais explique-t-il, il en est de même en Europe où il y a des forêts, des terres incultes,
sans qu’on songe à contester la nature du droit des propriétaires.48
Dans une étude consacrée à la tenure foncière coutumière dans un monde
moderne, Liz Alden Wily définit la tenure foncière coutumière comme la propriété
foncière issue des systèmes pratiqués par la plupart des communautés africaines en milieu
rural pour faire valoir et organiser la propriété, la jouissance et l’accès, et pour
règlementer l’utilisation et le transfert.49

48
A. Sohier, Le droit coutumier du Congo belge, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit
coutumier congolais, n° 10, 1946, p 308
49
Liz Alden Wily, La tenure foncière coutumière dans un monde moderne in Rights + ressources, Janvier
2012, p1
28

Pour sa part, analysant les spécificités des régimes fonciers africains, Pierre-
Claver Kobo note que les droits fonciers coutumiers sont assimilés purement et
simplement, à des droits de propriété de conception romaine.50

Mais les partisans de la thèse négationniste estiment que ce droit n’est pas
exclusif parce que le titulaire du droit coutumier sur la terre ne se réserve pas toutes les
utilités présentes et futures de leur domaine. En effet, disent-ils, si tout premier venu
s’installe, cultive, chasse, pêche, et cueille des fruits à son gré, comme bon lui semble et
sans permission, les droits cessent d’être exclusifs et l’on ne doit plus parler de la
propriété.51 En outre, pensent-ils, l’esprit africain traditionnel ne connait pas
l’appropriation du sol, le principe est que le droit de propriété appliqué à un objet
quelconque réside dans le travail qui a produit l’objet ou le fait acquérir, la terre ne peut
être considérée comme le produit d’un travail humain, elle n’a pas de valeur
patrimoniale. Elle est comme le ciel et la mer, appartient à des divinités.52 A cette
critique, les auteurs de la thèse affirmative répondent qu’il s’agit là d’une simple
tolérance qui n’est pas gouvernée par une règle de droit. Cette tolérance est justifiée par
la situation de fait extrêmement simple d’une population peu nombreuse déployant une
activité limitée sur des terres fort étendues. Mais les propriétaires fonciers, lorsqu’ils se
sentent forts, s’arrogent toujours le droit d’expulser les intrus même après plusieurs
générations.53

Le caractère perpétuel de ce droit se justifie par le fait qu’il ne s’éteint pas par le
non-usage. En effet, la collectivité ne peut pas perdre une partie de son domaine par le
non-usage.54 Ce droit est également général, dans la mesure où il accorde aux membres
du groupe la faculté de tirer tous les usages du domaine collectif dans les limites prévues
par la coutume.55

2. Conception coutumière africaine de la propriété

50
P.C. Kobo, Spécificités des régimes fonciers africains, in Pénant, 4ème trimestre 1990, p228.
51
Lukombe Nghenda, op. cit, p 375
52
Mohamed Yahya Ould Abdel Wedoud, Réflexion sur la propriété foncière en Mauritanie à la lumière de
la nouvelle legislation foncière et domaniale, in Pénant, octobre-novembre 2005, p475
53
G Malengreau, op. cit, p112
54
G. Kalambay Lumpungu, op. cit, p375
55
Ibidem
29

La propriété prévue par le code civil possède trois attributs qui sont l’usus, le
fructus et l’abusus. Les tenants de la thèse affirmative de la propriété foncière coutumière
pensent qu’elle a aussi les trois attributs.

Si le droit d’usage ainsi que celui de jouissance sur les terres coutumières ne sont
pas discutables, celui de disposer est au cœur de la controverse. C’est même l’argument
principal qui est à la base de la négation de ce droit. A ce sujet, les partisans de la thèse
affirmative avancent plusieurs arguments pour tenter de justifier leur position.

Discutant sur la question de savoir si chez les Kuba il existe la propriété foncière,
Vansina pense qu’on ne peut transposer le concept de propriété romaine en droit
coutumier kuba parce qu’il s’agit là de deux systèmes juridiques différents. Mais on peut
bien concevoir une notion de propriété qui est différente. En droit coutumier kuba,
l’usufruit n’est pas le seul privilège du propriétaire mais que celui-ci peut disposer de ces
terres, puisqu’un village cède des terres à un autre village. En fait, renchérit-il, toutes les
qualités requises par le droit romain sont présentes et le concept est donc d’application, si
l’on considère que dans cette société la terre n’a aucune valeur marchande. Il nous
semble, par ailleurs, qu’une étude plus poussée chez d’autres peuples primitifs
permettrait de découvrir que l’inaliénabilité totale est, en fait, plus rare qu’on ne l’a
pensé.56

De son côté, J.Vannes, dans son étude sur le droit foncier coutumier en territoire
de Kabongo note que :
« L’indigène ne cède pas son domaine; en particulier, il ne le vend pas. Mais ce fait de
ne pas vendre et de ne pas pouvoir le faire, n’implique nullement l’absence du droit de disposition
du domaine par quoi se manifeste, entre autres, le pouvoir de propriétaire. En effet, le droit de
vente n’épuise pas à lui seul le droit de disposition; le droit de disposer d’une chose peut
s’exercer de différentes manières; entre autres la vente d’une chose est une manifestation du droit
de disposition; il en est d’autres : assécher un marais, transformer une forêt en terre de culture,
vider un lac naturel, tout cela, c’est transformer la nature d’une chose ou sa destination et ce sont
là des manifestations évidentes du droit de disposition. »57

56
J. Vansina, Le régime foncier dans la société kuba, in Zaïre, novembre 1956, p 903
57
J.Vannes, le droit foncier coutumier en territoire de Kabongo, in Bulletin des Juridictions Indigènes et
du droit coutumier congolais, n°7, 1954, p172
30

Dans sa thèse consacrée à l’unification du droit foncier congolais, le professeur


Kalambay pense que malgré l’élément d’inaliénabilité grevant le domaine foncier des
groupements traditionnels, ce domaine constitue d’abord une propriété et ensuite une
propriété collective dans le sens qu’il appartient à la collectivité traditionnelle groupant
un nombre indéfini d’individus remplissant certaines conditions prévues par la coutume.
Le principe de cette propriété collective est que les droits sur la terre sont partagés par
une collectivité, c’est-à-dire, ces droits sont le plus souvent fractionnés entre la
collectivité et les individus qui la composent en ce sens que l’individu a le droit d’utiliser
les terres tandis que la communauté a celui de fixer le caractère et l’étendue de cet usage
pour les autres et pour l’individu. Ainsi donc, continue-t-il, nous pensons que la
collectivité traditionnelle est titulaire du droit de propriété coïncidant avec son domaine
foncier. Mais en vertu de ce qui vient d’être dit, les droits qu’exercent la collectivité et
ses membres concurremment sur le domaine foncier sont complexes et ne trouvent pas
d’équivalents dans le code civil.58

Le professeur Lukombe va dans le même sens lorsqu’il note qu’aucune réserve


ne devrait être émise sur ce que le droit coutumier sur la terre est un droit de propriété et
ce, que la propriété soit prise en tant que fait ou en tant que concept théorique. Mais,
poursuit-il, admettre l’existence du droit coutumier de propriété ne saurait empêcher que
celui-ci soit à considérer comme un droit dont la différenciation juridique n’est pas
entièrement achevée.59

René Rarijaona pense de la même manière au sujet du droit foncier africain et


malgache. Selon l’auteur, ce droit ne peut pas être réduit à un simple droit d’usufruit, il
s’agit bien d’un véritable droit de propriété. En effet, si le titulaire jouit d’un certain
nombre de prérogatives, il est tenu à des obligations. Mais, poursuit-il, ce droit est un
système juridico-religieux, en ceci qu’il porte encore l’empreinte des conceptions
sociales et religieuses des populations.60

§5. Notre opinion sur la question

58
G.Kalambay Lumpungu, op.cit, pp 367-368
59
Lukombe Nghenda, op. cit, p 382
60
R. Rarijaona, Le concept de propriété en droit foncier de Madagascar, Paris, Cujas, 1967, p 46
31

Nous constatons d’abord que ce débat est alimenté par le refus de qualifier avec
exactitude la nature des droits des communautés locales par les pouvoirs publics tant de
l’époque coloniale que ceux d’aujourd’hui. Ensuite, la conception occidentale du droit de
propriété est différente de la conception coutumière du même droit, surtout lorsque
l’objet du droit de propriété est la terre. En effet, les principes qui régissent la terre
coutumière en Afrique en général, et en République Démocratique du Congo en
particulier, sont trop éloignés des principes européens en la matière. D’où, il est difficile
pour quelqu’un qui n’a pas pris du temps pour comprendre le mécanisme régissant cette
matière de se faire une idée exacte de la situation. La confusion qui entoure ce débat
trouve sa cause principale en la référence constante au concept du droit romain. Or,
comme le constate Rarijaona, le droit coutumier africain et malgache est un droit qui n’a
pas encore atteint un degré de différenciation permettant de lui trouver une
correspondance dans le droit européen. C’est un droit qui porte plus ou moins
profondément les marques des conceptions religieuses et des structures sociales,
lesquelles en font leur originalité.61

En outre, à la suite de Félicien Challaye, nous pensons qu’il faut se garder de


croire que les formes du droit sont identiques dans toutes les sociétés, à tous les
moments ; ne point parler de la propriété, de l’héritage, comme s’il n’y avait qu’un seul
type immuable de propriété ou d’héritage.62 E.Boelaert va dans le même sens lorsqu’il
souligne avec pertinence qu’il est évident que le droit de propriété est adapté à l’ensemble
des institutions sociales d’un pays, qu’il doit y avoir donc des différences de système
d’après les pays et le temps. Dans ce sens, on peut même dire que la propriété n’existe
pas, qu’il y a des propriétés. Mais toutes ces formes, tous ces systèmes évoluant de
propriété n’en trouvent pas moins dans le droit naturel leur commun dénominateur, et les
historiens qui traitent de ces systèmes parlent aussi bien de la propriété dans les sociétés
primitives que de la propriété romaine ou quiritaire. Pour être différents, ces divers
systèmes n’en sont pas moins légitimes et dignes de respect.63

61
R.Rarijaona , op. cit, p25
62
F. Challaye, Histoire de la propriété, col. Que sais-je ?, Paris, P.U.F, 1967, p 94
63
R.P.E. Boelaert, L’Etat Indépendant du Congo et les terres indigènes, Bruxelles, Académie royale des
sciences coloniales, 1956,p 15
32

Mais une autre question est de savoir si ce débat garde encore son actualité. La
pertinence de la question se justifie par le fait qu’aujourd’hui, l’Etat est devenu l’unique
propriétaire foncier. En effet, l’article 53 de la loi n° 73/021 du 20 juillet 1973 portant
régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés dispose que
« Le sol est la propriété exclusive, inaliénable et imprescriptible de l’Etat ». Le même
principe est aussi affirmé par la loi n°011/2002 du 29 août 2002 portant code forestier qui
dispose en son article 7 que les forêts constituent la propriété de l’Etat. Cette mesure
étatique est justifiée par le professeur Kangulumba lorsqu’il écrit qu’au plan de
l’anthropologie juridique, l’option d’appropriation du sol par l’Etat semble rencontrer la
conception et le statut de la terre de la grande majorité de Congolais dans la mesure où le
sol a toujours été considéré comme un bien à usage commun, certes sous la surveillance
d’une autorité clanique ou publique. En effet, poursuit l’auteur, la conception congolaise
de la propriété est « communautaire » alors qu’il n’est pas exclu des droits individuels à
l’intérieur de toute propriété.64

Il ressort de ces dispositions que les terres tant urbaines que rurales appartiennent
à l’Etat. La loi foncière a rendu les terres des communautés locales domaniales65 et a
promis que le droit de jouissance acquis régulièrement par ces communautés devrait être
réglé par une ordonnance du Président de la République66.

Sur le plan purement juridique, il y a lieu d’affirmer que si avant la promulgation


de la loi de 1973, les autochtones avaient sur leur terre un droit de propriété, depuis
l’entrée en vigueur de celle-ci, le droit foncier des communautés locales n’est plus un
droit de propriété. C’est un droit de jouissance comme dans les circonscriptions
urbaines67. D’ailleurs, la loi n°11/022 du 24 décembre 2011 portant principes
fondamentaux relatifs à l’agriculture dispose en son article 18 que :

«Il est reconnu à chaque communauté locale les droits fonciers coutumiers exercés
collectivement ou individuellement sur ses terres conformément à la loi.

64
V.Kangulumba Mbambi, Précis de droit civil des biens, Tome 1, Louvain- la- Neuve, Bibliothèque de
droit africain, 2007, p328
65
Article 387 de la loi foncière
66
Article 389 de la loi foncière
67
Il convient de noter que dans les circonscriptions urbaines, l’Etat accorde aux particuliers les droits de
jouissance appelés concessions. Ces concessions peuvent être perpétuelles ou ordinaires.
33

L’ensemble des terres reconnues à chaque communauté locale constitue son domaine
foncier de jouissance et comprend des réserves des terres de cultures, de jachère, de pâturage et
de parcours, et les boisements utilisés régulièrement par la communauté locale.68»
Il convient de noter que cette loi qui date de décembre 2011, confirme que le droit
des communautés locales sur leur terre est un droit de jouissance et non un droit de
propriété. Mais elle ne donne pas plus de précision sur la nature de ce droit de jouissance.
Cela nous paraît compréhensible. En effet, cette loi n’a pas pour but de déterminer la
nature des droits fonciers que la population peut détenir et particulièrement les
communautés locales. Cela relève, conformément à la loi foncière, d’une ordonnance du
Président de la République. Mais, étant donné que l’ordonnance promise n’a jamais été
prise, il y a un vide parce que la nature exacte de ce droit de jouissance n’est pas encore
déterminée. Ce vide est également déploré par Nyamugabo Mpova lorsqu’il écrit que
cette ordonnance qui aurait réglé cette importante question n’a jamais été prise. Elle
devrait prévoir la façon dont les terres occupées par les communautés locales
s’acquièrent, se transmettent et aurait pu certainement éviter des conflits qui naissent
suite à la concession de ces terres par l’administration foncière à des personnes étrangères
à ces communautés.69

Cependant, sur le plan pratique, les communautés locales se comportent en


véritable propriétaire foncier à côté de l’Etat. Ainsi, aucune exploitation de ces terres
n’est possible sans l’accord de ces « communautés propriétaires ». Un auteur a mieux
exprimé cette situation, lorsqu’il écrit que la population s’épanouit et se reconnaît
volontiers dans l’orthodoxie juridique coutumière, qui donne compétence en matière de
l’affectation et de l’utilisation des terres, aux notabilités du village, du clan et de la
chefferie. Il nous semble, ajoute- t-il, que les chefs coutumiers ne se sentent pas
concernés par tout ce qui est prévu par la loi foncière et une telle attitude fait du droit
écrit l’apanage d’une poignée d’intellectuels souvent citadins et de commerçants qui les
corrompent.70 Dans le même sens, Nyamugabo constate que la coexistence de la coutume

68
Loi n°11/022 du 24 décembre 2011 portant principes fondamentaux relatifs à l’agriculture.
69
Nyamugabo Mpova, Réflexion critique sur la gestion de la loi foncière, in La loi du 20juillet 1973
portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés au Congo. Trente
ans après : Quel bilan ? Essai d’évaluation, Louvain- la – Neuve, Bruylant-Academia, 2004, p32
70
M. Ulwortho Genombe, La question des terres, vecteur de la guerre en Ituri, in Paroles de justice, 2005,
p175
34

avec la loi foncière passe à travers les chefs coutumiers qui jouent un rôle de premier plan
dans la gestion du patrimoine foncier. Dans beaucoup des contrées, poursuit-il, c’est au
chef coutumier qu’il faut s’adresser; c’est à lui qu’il faut payer la redevance appelée «
kalinzi » au Sud-Kivu chez les Bashi; « makasu » ou « nsaki dia mungwa » chez les
Bakongo. Même dans la Ville de Kinshasa, c’est le chef coutumier humbu ou teke qui
trône et distribue les lopins de terre à ses conditions.71 Telle est la situation actuelle,
nous y reviendrons plus loin. Comment alors ces terres sont-elles gérées ? C’est l’objet de
la troisième section de notre étude.

Section 3. Principes de gestion des terres des communautés locales

Nous avons dit que les terres des communautés locales sont régies par la coutume.
La multitude des tribus, et par conséquent des coutumes, existant en République
Démocratique du Congo peut, a priori, rendre aléatoire une étude dans ce contexte. Mais,
il convient de noter que l’analyse approfondie de la question a démontré qu’il existe des
principes communs applicables à toutes ces coutumes quel que soit le système de
parenté(matrilinéaire ou patrilinéaire). C’est dans ce sens que le professeur Kalambay
conclut à l’unicité des principes fonciers dans toute la République Démocratique du
Congo, à la suite de l’étude menée par Biebuyck en la matière. 72 Analysant l’incidence
du régime foncier sur le développement agricole au Zaïre, le professeur Lumpungu
Kamanda va dans le même sens lorsqu’il écrit que chez les Bashi comme chez les
Banande, le régime des terres est sensiblement le même que celui des autres régions de la
République.73 De son côté, Pierre Gannagé note que les droits fonciers, en dépit de leurs
origines différentes et de la physionomie propre de chacun d’eux, revêtent des traits
communs qui tendent à les rapprocher. Ils se présentent comme des droits collectifs
établis dans l’intérêt du clan, de la tribu ou de la communauté religieuse. La terre chez
beaucoup de peuplades d’Afrique, appartient ainsi au groupe qui l’a reçue de ses ancêtres
et doit y demeurer de génération en génération. Elle constitue une valeur sacrée, les
individus n’exerçant sur elle que des droits d’administration et de jouissance. Elle est, par

71
Nyamugabo Mpova, op cit, p32
72
G. Kalambay Lumpungu, Droit civil : Régime foncier et immobilier, vol II, 2éd, Kinshasa P.U.C, 1999,p
68
73
Lumpungu Kamanda, Le régime foncier au Zaïre et son incidence sur le développement agricole, in
Cahiers Economiques et Sociaux, vol xi, n°s 3 et 4, 1973, p65
35

suite, inaliénable, cette inaliénabilité dérivant de sa nature et garantissant son


affectation.74 Dans une conférence sur l’évolution juridique de la société congolaise,
Lafontaine, alors Procureur du Roi à Léopoldville, souligne que si le Congo belge est un,
le Congo indigène ne l’est pas, et toutes les coutumes ne sont pas identiques de l’Ituri au
Bas-Congo, ni de l’Oubangi au Katanga. Cependant renchérit-il, avec nombre d’auteurs,
nous croyons qu’il y a moyen de découvrir des dispositions communes et que ce n’est en
vérité que sur des détails d’application qu’il y a des différences importantes entre les
coutumes bantoues.75

Dans une étude relativement récente sur les conflits fonciers en Ituri initiée par
R.C.N Justice et Démocratie76, on peut lire ce qui suit :
« Sur le plan foncier, toutes les coutumes sont presque semblables : la terre est un bien
commun à un lignage, un clan, un groupement sous l’autorité et la gestion du chef de clan, du
groupement ou du lignage. A l’intérieur de chaque communauté, les membres ont droit égal de
jouissance et d’usage de la terre. Celle-ci n’est pas aliénable, c’est –à-dire non cessible ni
transmissible. En cas de succession au trône, l’héritier n’apparaît que comme le continuateur du
pouvoir de gestion de la terre. En effet, la terre n’est pas un bien personnel du chef coutumier.77 »

C’est ce fond commun qui nous intéresse. Cependant, nous ne manquerons pas de
souligner certaines particularités liées à telle ou telle autre coutume. Cette section sera
analysée en trois paragraphes. Le premier sera axé sur les droits collectifs fonciers, le
deuxième va être consacré aux droits individuels et le troisième au caractère inaliénable
de ces droits.

§ 1. Caractère collectif du droit foncier coutumier

Selon deux enquêtes que nous avons menées successivement dans le territoire de
Bumba dans la province de l’Equateur ainsi que dans celui d’Idiofa dans la province de
Bandundu, il s’avère qu’à la question de savoir: selon votre coutume, à qui appartient la
terre ? La totalité des personnes interrogées ont répondu que d’ après leur coutume, la
74
P.Gannagé, Les droits fonciers coutumiers : rapport général, in Revue juridique et politique
indépendance et coopération, 1970, pp 1102-1103
75
Lafontaine, L’évolution juridique de la société congolaise, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du
droit coutumier congolais, n°1, 1956, p158
76
RCN Justice et Démocratie est une organisation non gouvernementale internationale de droit belge qui
œuvre dans le domaine de la justice et de la démocratie.
77
RCN Justice et Démocratie, Les conflits fonciers en Ituri : de l’imposition à la consolidation de la paix,
www.rcn-ong.be, septembre 2009, p 27
36

terre appartient au clan.78 Cette même constatation est faite également par Ulwortho
Genombe qui écrit ce qui suit au sujet du droit foncier dans le district de l’Ituri :
« D’une façon générale, les terres sont une propriété des villages qui les répartissent entre
les clans. Ceux-ci, à leur tour, les attribuent aux différentes familles pour l’exploitation. Les terres
ainsi affectées deviennent une propriété inaliénable et sont bien délimitées. Elles demeurent un
héritage foncier que les générations se lèguent dans le respect des limites fixées au premier
lotissement. »79
Omari souligne qu’en droit foncier coutumier bakusu de la province de Maniema, le
village est propriétaire du sol dans ses limites. Les terrains incultes, les cours d’eau, la
faune et la flore de la circonscription, forment l’ensemble des biens communs,
autrement dit, la propriété collective. Là, c’est la liberté absolue d’exploitation.80 La
situation est identique en droit foncier coutumier camerounais. En effet, on peut lire
ce qui suit dans les écrits de Ngongang-Ouandji : « Quelle que soit l’emprise de
l’homme sur la terre, celle-ci est considérée comme bien inaliénable de la famille, de
la collectivité ou clan. »81 Le professeur Mulumba Katchy va dans le même sens
lorsqu’il écrit : « Dès que le territoire est acquis, il devient la propriété collective et
exclusive du clan. La terre appartient à la parentèle, au clan, aux ancêtres.82 »
A la question de savoir : qui gère les terres du clan ? Toutes les personnes
interrogées ont répondu que c’est le chef du clan. Le clan est donc titulaire d’un domaine
foncier dont les délimitations sont précisées souvent par une rivière, une colline, un grand
arbre etc. Dans tous les cas, les limites du domaine foncier appartenant à un clan sont
connues et respectées par les clans voisins.83

Ce sont les membres d’un clan réunis dans un village ou dans plusieurs villages
qui occupent le domaine foncier de celui-ci. Ils y exercent des droits fonciers tant

78
Ces enquêtes ont été menées dans le cadre de mes recherches. Parmi les personnes interrogées, il y avait
des notables, des juges assesseurs, des enseignants , des chefs coutumiers ainsi que les chefs de
groupements. Il convient de noter qu’à Bumba, les personnes interrogées appartiennent à la tribu
Mbudja. Elles sont patrilinéaires. En revanche, les personnes interrogées à Idiofa sont de la tribu Dinga,
elles sont matrilinéaires. D’une façon générale, l’échantillon a été constitué de cent personnes, en raison
de cinquante par tribu.
79
Ulwortho Genombe, op. cit, p164
80
A.J. Omari , Le droit foncier congolais, in La Voix du Congolais, n° 48, 1950, p138
81
A. Ngongang-Ouandji , La dévolution successorale au Cameroun, Revue juridique et politique
indépendance et coopération, n°4,1972, p 656.
82
Mulumba Katchy, op.cit, p112
83
G. Kalambay Lumpungu, Les droits fonciers coutumiers à travers la législation de la République
Démocratique du Congo, in Revue juridique et politique indépendance et coopération,1970, p
1177
37

individuels que collectifs très précis tels que : culture, habitation, chasse ou pêche.84 C’est
ce qui fait dire aux anthropologues juridiques que la tenure foncière en Afrique a un
caractère communautaire. Cela veut dire que l’individu est complémentaire au groupe
dans ce sens qu’il possède des droits individuels sur une parcelle de terre en raison de sa
qualité de membre d’une communauté, son statut dérivant de cette appartenance.

S’agissant particulièrement de culture, les terres y relatives sont distribuées à


chaque famille suivant ses besoins, étant donné que tous les membres de la communauté
ont un droit égal d’exploitation des terres communautaires.85
De l’entretien que nous avons eu au mois d’avril 2010 avec monsieur Misato
Likpangbola, du village Yaligimba dans la chefferie Itimbiri, il s’avère que le chef de
groupement délimite les terres appartenant à chaque localité. Il appartient au chef de
localité de mettre à la disposition de chaque famille les terres dont elle a besoin. Chaque
membre de famille reçoit du chef de famille une portion de terre pour exploitation.86
De son côté, monsieur Masha Lekansie, notable Dinga, de la chefferie Mateko
affirme que chaque membre du clan doit s’adresser au chef du clan pour obtenir une
portion de terre à exploiter. Cela se justifie par le fait que celui-ci est la seule personne
qui connaît bien les limites de terre de chaque membre du clan.87

Comme on peut le constater, au sein de la tribu, il existe plusieurs clans qui sont
propriétaires fonciers. Ce genre d’organisation est le plus représentatif en République
Démocratique du Congo.88 Mais à côté de cette organisation, on trouve aussi des
groupements à caractère politique. Dans ces groupements, le territoire est composé de
mosaïques de domaines fonciers affectés à chacun des groupements. Il est généralement
admis que la base du régime foncier est constituée par les groupes de parenté et les
représentants politiques ne disposent pas des domaines fonciers proprement dits, mais
exercent seulement des pouvoirs politiques sur les zones, qui très souvent, englobent
84
E. Gianola-Gragg , Réflexions sur le droit foncier nzakara( la Centrafrique et le Zaïre), in Droit et
Cultures,n° 28, l’Harmattan, 1994, p152.
85
E. Gianola- Gragg, op. cit, p152
86
Cette contrée se trouve dans le territoire de Bumba. Elle est occupée par la tribu Mbudja qui est
patrilinéaire. La personne interviewée est un enseignant.
87
Nous avons eu un entretien avec ce monsieur au mois de mai 2010. Il est de la tribu Dinga, qui est
matrilinéaire.
88
G.Kalambay Lumpungu , Droit civil : Régime foncier et immobilier, vol II, 2éd, Kinshasa, P.U.C, 1999,
p68
38

plusieurs entités foncières.89 Dans l’organisation administrative actuelle du pays, ces


chefs dirigent les chefferies90 mais aussi le groupement91. Entant que chef de chefferie, il
est le chef de l’organe exécutif de cette entité. Sa désignation se fait conformément à la
coutume locale.92 Actuellement le pays compte à peu près 230 chefferies.93 Comment se
fait la gestion foncière dans l’un ou l’autre type d’organisation sur le domaine collectif ?

Disons que dans les deux types d’organisation, c’est le chef de clan qui gère le
domaine foncier, c’est lui le chef de terres. D’une façon générale, les prérogatives du chef
sont les suivantes :

1° il est chargé de la répartition des terres de culture ou de pâturage et des terrains de


chasse entre les différentes familles étendues ; il répartit également les endroits pour la
pêche.94 Il convient de noter que le chef procède à une telle répartition lorsque les terres
deviennent rares. Dans les zones où les terres sont nombreuses, chaque famille peut
choisir les endroits qu’elle trouve mieux pour exercer ses activités.
2° il redistribue les terres non occupées de suite de l’extinction de la parentèle ou de
l’abandon définitif de celles-ci par un groupe.
3° il est le gérant des terres non réparties, sur lesquelles, tout membre de la collectivité
peut tirer des ressources, en application du principe selon lequel les terres collectives sont
communes par destination.95
4° le chef est également compétent pour retirer à une famille les terres qu’elle possède en
excédant par suite d’une diminution de ses membres, pour les attribuer à une autre
famille qui en a besoin.

89
Ibidem
90
La chefferie est définie comme un ensemble généralement homogène de communautés traditionnelles
organisées sur base de la coutume et ayant à sa tête un chef coutumier désigné par la coutume, reconnu et
investi par les pouvoirs publics.
91
Le groupement est défini comme une communauté traditionnelle organisée sur base de la coutume et
érigée en circonscription administrative sous l’autorité d’un chef coutumier désigné par la coutume,
reconnu et investi par le pouvoir public. Il est subdivisé en villages.
92
F. Vunduawe te Pemako, Traité de droit administratif, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 2007, p507
93
L. De Saint Moulin et J.C Kalombo Tshibanda, Atlas de l’organisation administrative de la République
Démocratique du Congo, Kinshasa, CEPAS, 2005, pp 201-234.
94
E. Kremer , op. cit, p273
95
E. Kremer , op. cit, p274
39

5° il est aussi compétent pour défendre les droits fonciers du groupe. A ce titre, il accorde
et retire aux étrangers l’autorisation de s’installer et de tirer du domaine les moyens de
leur subsistance.

Le chef de terres a aussi un pouvoir religieux, en sa qualité de descendant de


l’ancêtre premier occupant. C’est lui qui reste en communication avec les esprits de la
terre et avec les mânes, afin d’assurer la fertilité du sol et la prospérité du groupe.96

Il peut arriver que dans un clan qu’il y ait un chef de terre, chargé des fonctions
administratives et un autre ayant des attributions religieuses ou surnaturelles. Ce dernier,
qui peut être un homme ou une femme, a le pouvoir de provoquer l’intervention des
mânes des ancêtres en vue de rendre la fertilité au domaine du clan ou d’en provoquer la
stérilité. C’est à lui que le véritable chef de terres s’adresse en cas de disette, de pénurie
de gibier ou de poisson afin de remédier grâce à son pouvoir magique à une situation
difficile pour le clan.97

C’est ici les lieux de noter les similitudes existant entre les droits fonciers
coutumiers de divers pays d’Afrique noire. En effet, s’agissant des pouvoirs dévolus au
chef de terres, voici ce qui est écrit sur les droits fonciers coutumiers au Gabon :
« …Le chef de clan a des pouvoirs relatifs à l’octroi des droits individuels et temporaires
sur la terre, tels que les autorisations de construire, de planter, de pêcher, de chasser, etc. ces
droits précaires ne portent pas sur la propriété de la terre, mais sur la jouissance ; c’est pourquoi
le chef de clan peut décider seul de l’octroi de ces droits, déléguer ses pouvoirs au chef de
lignage, au chef de village. S’agissant de la nature des pouvoirs du chef de clan, on peut dire
qu’ils ont à la fois une nature profane et religieuse. Les pouvoirs profanes du chef de clan sont
essentiellement ceux de représentant du clan, d’administrateur du territoire clanique, de
conservateur des terres ancestrales, d’animateur et d’organisateur des activités agraires. C’est le
même chef qui adresse les prières des vivants aux ancêtres défunts, c’est lui qui leur offre les
sacrifices ; c’est encore lui qui s’adresse aux divinités, qui dirige les opérations de sécurité
relatives aux travaux agricoles. Des cérémonies tendant à bénir les instruments agricoles et les
travailleurs eux- mêmes sont nécessaires, le chef en est sinon l’officiant du moins le principal
responsable. »98

96
Ibidem
97
R. Philippe, Notes sur le régime foncier au Lac Leopold II, in Aequatoria, 1954,n°2, p54
98
P-L.Agondjo- Akawe , Les droits fonciers coutumiers au Gabon( société Nkomi, groupe Myene), in
Revue juridique et politique indépendance et coopération, 1970, p 1144
40

En contrepartie des prérogatives dont ils disposent, les chefs bénéficient de


certains avantages en termes des tributs sur les activités de leurs sujets. Ces tributs se
payent en nature. Ainsi, les chasseurs devraient payer les produits de la chasse, les
agriculteurs, les produits agricoles et les pêcheurs, les produits de la pêche.

A ce sujet, analysant le régime foncier au Lac Léopold II, René Philipe note que
chez les Bolia99, c’est au chef de terre que reviennent les redevances sur les produits du
sol, de la chasse et de la pêche. S’agissant particulièrement de la redevance due au chef
de terre pour les cultures, elle ne s’applique pas aux plantes ordinaires, telles que le
manioc et les bananes. Elle concerne des produits ayant une valeur marchande plus
élevée. C’est notamment le cas de courges, arachides et tabacs. La redevance est fixée à
un panier de chacun des produits taxables.100

Ainsi par exemple, pour les produits du sol, le chef a droit à un panier de safu. 101
Il a également droit à un panier de nsali.102 Pour les produits de la chasse, tout dépend de
la nature de la bête sauvage abattue. Généralement, le chef a droit à la cuisse et une partie
de la queue. Mais pour certaines bêtes spéciales, il peut soit prendre l’entièreté de la bête,
quitte à remettre au chasseur une somme d’argent en contrepartie, soit s’accaparer de la
grande partie de la bête.103Les éléments recueillis sur terrain nous renseignent que dans la
coutume Dinga, de la province de Bandundu, le tribut est appelé ‘’Milambo.’’ Il est exigé
tant pour les activités agricoles que pour la chasse. La situation n’est pas totalement
identique lorsque le chef de terre dépend d’un chef politique.

Dans les groupements politiques, l’organisation de l’autorité est complexe. Cette


complexité tient à la manière dont le chef politique accède au pouvoir. D’une façon
générale, le chef est un personnage qui a su s’imposer à un moment donné pour arriver au
pouvoir. Les scénarios peuvent se présenter comme suit : soit, un chef de clan peut
s’imposer en soumettant les autres clans d’une même tribu sous son autorité. Dans ce cas,

99
Le Bolia est une tribu qui se trouve dans la contrée anciennement dénommée Lac Léopold II. Dans la
configuration administrative actuelle, il s’agit du district de Maï Ndombe dans la province de Bandundu et
le lac Léopold II s’appelle lac Maï Ndombe.
100
R. Philippe , op. cit,p56
101
Le safu est un fruit saisonnier issu d’un arbre appelé safoutier
102
Le nsali est un fruit sauvage mais saisonnier également.
103
R. Philippe, op. cit, p53
41

il devient chef politique. Soit, un chef étranger qui s’impose par la conquête et réussit à
soumettre les autochtones sous son autorité. Ce dernier cas est rare au Congo, comme l’a
indiqué le professeur G. Malengreau.104

Dans tous les cas, les chefs politiques laissaient aux autochtones le pouvoir
d’organiser la gestion de leur terre et ils ne s’occupaient que du pouvoir politique. De
cette manière, ils assument la direction politique et les chefs des clans gèrent la terre.
Telle est notamment la situation chez le Bolia, où le chef politique appelé Nkumu
s’occupe du pouvoir politique et les Isafu gèrent le sol.105 La même situation se retrouve
chez le Basengele. On trouve d’une part le clan régnant appelé Bekundi, qui exerce le
pouvoir politique et les Bikinda qui sont des chefs de terre. La séparation des pouvoirs
chez ces peuples se justifie par René Philippe de la manière suivante:
«Lors de l’arrivée des Bolia, une grande partie du sol était occupée par les clans Badia-
Baboma qui en furent chassés par les envahisseurs. Toutefois après d’infructueux efforts de
cultures, de nombreuses chasses sans abattre un seul gibier, des multiples tentatives de pêche dans
les rivières et les mares, les conquérants se virent obligés de rappeler les autochtones cachés dans
les forêts et parmi eux, les chefs premiers occupants de la terre envahie.
Forcés par les circonstances, ils confirmèrent dans leurs droits de premier occupant du
sol les chefs Basengele qui à leur tour se soumirent au pouvoir politique des envahisseurs. Ces
derniers n’exercent un pouvoir total, politique et foncier, que sur les terres qu’ils trouvèrent
encore libres à leur arrivée.»106

De son côté, Lebrun rapporte que dans le territoire de Kabalo, plusieurs chefferies
sont soumises au même régime. On a d’un côté le Kulu ou Mwine Tanda, chef de terre et
de l’autre côté Mulohwe, chef politique.107 Vannes va dans le même sens, lorsqu’ en
analysant le régime foncier coutumier dans le territoire de Kabongo, il note que les
conquérants de la lignée de Kabongo respectaient les droits de propriété des populations
conquises et se contentaient de leur imposer le tribut ; nulle part dans le territoire de
Kabongo, renchérit-il, nous n’avons pu recueillir un seul exemple où un chef ait donné à
qui que ce soit des terres en pleine propriété.108

104
G. Malengreau, op. cit, p 189
105
R. Philippe, op. cit, p 52
106
R. Philippe, op. cit, pp55-56
107
A.G.Lebrun , De la tenure de la terre chez les populations indigènes du territoire de Kabalo, in Bulletin
des Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, 1956, n° 8, p195
108
J. Vannes, op. cit, p 167
42

En échange de la protection que le chef politique apporte aux divers clans soumis
à son autorité, il reçoit des tributs. On peut définir le tribut comme étant une quotité
remise à une autorité supérieure d’une partie du produit de l’activité exercée sur un
fonds. Le tribut se distingue du loyer, en ceci qu’il est versé tant par le propriétaire du sol
que par l’étranger. En outre il n’est payé à l’autorité que par la personne qui dépend
d’elle. Il se rapporte donc aux activités développées par les membres des tribus ou par
les étrangers qui sont sous son autorité. Ces tributs qui lui sont apportés généralement par
le chef de terre, constituent un signe de la reconnaissance de son autorité par ce dernier et
sa soumission envers lui.

Les tributs concernent principalement les produits de chasse. C’est que chaque
fois que les clans organisent le feu de brousse sur leur terre, le produit de cette chasse est
partagé entre les chasseurs, le chef de clan, le chef politique et les membres du clan.
Certaines bêtes sont l’exclusivité du chef politique. A ce sujet, analysant les droits
fonciers coutumiers dans le territoire de Kabalo, secteur Bena Kamania, groupement
Bena Baleo, Lebrun note qu’en ce qui concerne les fauves et grands animaux (lions,
léopards, crocodiles, éléphants, hippopotames) la coutume interdit le dépeçage par le
chasseur. En effet, dès que la bête est tuée, le chasseur en prend la queue et avertit le chef
de clan sur les terres duquel la bête a été abattue. Ce dernier doit immédiatement avertir
le chef politique qui vient personnellement sur place ou délégué l’un des ses lieutenants
pour diriger le dépeçage de l’animal. Ainsi, la peau revient de droit au chef politique, les
dents, griffes, et une quantité de viande proportionnelle à l’importance de la bête destinée
à rassasier sa cour. Le chasseur reçoit du chef en récompense de son exploit une ou deux
chèvres, ainsi qu’une part de la viande de l’animal abattu ; le reste est partagé entre les
habitants du village sur les terres duquel la bête a été abattue.109

Deloof rapporte dans le même sens, lorsqu’il écrit ce qui suit concernant le droit
de chasse ainsi que celui de pêche chez les Bena Mulimi du territoire de Kabalo, district
de Katanga, province du Katanga :
« Les droits de chasse et de pêche font l’objet de réglementations sévères. Tous les clans
possèdent en propriété des bras du fleuve Lualaba et de la rivière Lovidjo. Ces bras sont
nettement déterminés et les droits de pêche bien définis. La moitié du produit de pêche, quelque

109
A.G. Lebrun, op.cit, p203
43

soit l’homme qui capture le poisson, revient de droit toujours au père du clan, propriétaire du bras
de rivière. Si les membres du clan n’ont aucun besoin d’autorisation de pêcher dans leurs bras de
rivière, par contre un étranger ou membre d’un autre clan doit toujours avoir la permission du
père du clan intéressé. Y prendre du poisson sans autorisation est considéré comme un vol et cet
acte est passible de poursuites par le tribunal indigène.
La réglementation est également très nette et stricte au point de vue droits de chasse. De
toute bête capturée, en brousse Puku, certaines parties déterminées par bête reviennent de droit
au « Mulowe ». ces parties sont à apporter au capita du village le plus voisin, considéré comme
représentant du Mulowe. Le capita prendra soin de remettre au Mulowe la moitié du produit lui
apporté par le chasseur. »110

Il ressort de ce qui précède que si le chef de terres est bénéficiaire des poissons,
tribut de la pêche, le Mulowe, chef politique, bénéficie du produit de la chasse. Marshal
va dans le même sens en ce qui concerne la coutume qu’il a étudié, lorsqu’il relève que :
« Le propriétaire doit céder une part de ces redevances au chef politique à titre de tribut.
Ce qui est dû en fait de redevances varie un peu d’une région à l’autre. Il faut partout distinguer
entre ce qui revient au chef politique et ce qui revient au propriétaire. Pour un éléphant par
exemple : les défenses, la trompe, la queue et le pied droit de l’avant-train reviennent toujours au
chef politique, qui doit d’ailleurs les payer. Il remettait autrefois : l’esclave, ou un fusil pour les
pointes et une houe pour la queue. Les porteurs des pointes recevaient chacun un collier de perles.
Actuellement ces cadeaux sont remplacés par de la monnaie. Ceux revenant au chasseur ne
peuvent lui être remis que par l’intermédiaire du propriétaire du terrain.
Lorsqu’il s’agit d’un grand fauve, lion ou léopard, la peau revient également de droit au
chef politique. De même que pour un éléphant le chasseur a droit à un cadeau important appelé
‘’ ntombo.’’
On n’exige pas de redevance sur le petit gibier, sauf sur celui abattu à la faveur de feux
de brousse. Ce genre de chasse n’est d’ailleurs permis par les chefs que s’ils en donnent
l’autorisation spéciale ; les chasseurs n’ont droit dans ce cas qu’à la moitié du produit, l’autre
moitié étant partagée entre le chef politique et le propriétaire du terrain.
La redevance sur les produits de la pêche n’est due qu’une ou deux fois par an à l’époque
des prises abondantes, c’est-à- dire à la fin de la saison de pluie et à la fin de la saison sèche. »111

Chez les Kuba, le tribut se payait chaque année vers la fin de la saison sèche. Il
était composé de toutes sortes de denrées (tissus, viande, poisson, sel etc.) ayant une
valeur économique. Mais en dehors de cela, l’essence du tribut était et est toujours le
paiement des « grands animaux ». C’est ainsi que si on tue un « grand animal », on doit
l’apporter au chef. Ces animaux sont dans le règne animal, les chefs de la faune. Il s’agit

110
R.J. Deloof, Notes sur le régime foncier des Bena Mulimi, in Bulletin des Juridictions Indigènes et droit
coutumier congolais, n° 10, 1954, p 252.
111
R. Marshal , le droit foncier des Bazela, des Balomotwa et des Banwenshi, in Bulletin des Juridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n°1, 1937, pp 19-20
44

généralement du léopard et de l’aigle. Des parties considérées comme nobles d’autres


animaux sont données aussi. C’est notamment le cas des cornes du buffle, une défense
d’éléphant, une cuisse d’hippopotame. En outre, certains animaux dont le genre de vie est
assez mystérieux pour les Kuba doivent être offerts aussi. Dans cette catégorie tombent le
pangolin arboricole et la genette noire mbiidy.112

D’une façon générale, note le professeur Lumpungu Kamanda, le chef du village


qui dispose des pouvoirs étendus sur tout ce qui est commun, reçoit le tribut qui
comprend une partie de certaines bêtes abattues sur le domaine du village, les peaux de
carnassiers, les ivoires, etc. le tribut de chasse constitue pour le chef une importante
source de revenus dans les régions où la faune est abondante.113

Dans certaines sociétés, on note une certaine tendance à la disparition de la


hiérarchie du pouvoir sur la terre. C’est notamment le cas de la société Nzakara où le chef
du village qui est également le chef politique ne possède plus la terre aux yeux des
Nzakara. Le chef administre, défend la terre contre les étrangers et juge les disputes
intercommunautaires. Chaque homme, membre du village, a droit à une parcelle de terre
lui permettant de nourrir sa famille. Il n’a pas besoin de l’autorisation du chef de village
pour s’installer sur une parcelle. Il s’ensuit que le chef ne désigne pas la parcelle que lui
et sa famille peuvent occuper. La contrepartie de ce droit d’usage de la terre est souvent
l’obligation de mettre la parcelle donnée en valeur. Les membres de la communauté n’ont
plus l’obligation de remettre au chef les premières récoltes.114

Voilà ce qu’il en est concernant les droits collectifs que les membres d’un clan
peuvent avoir sur leur terre. Qu’en est-il alors des droits individuels ?

§2. Droits fonciers individuels

Selon les enquêtes menées, le fait que la terre appartient toujours à une
collectivité, n’empêche pas que les membres de ce groupe ou les étrangers à celui-ci
puissent avoir certains droits sur la terre. En effet, dans la tribu Dinga ainsi que dans la

112
J. Vansina, le régime foncier dans la société kuba, in Zaïre, 1956, p 925
113
Lumpungu Kamanda, op. cit, p58
114
E. Gianola-Gragg , op.cit, p153.
45

tribu Mbuza qui ont fait l’objet de nos enquêtes, si le clan a la disposition juridique de la
terre, l’individu en a la disposition matérielle. Celle-ci lui permet de jouir de la terre et de
disposer juridiquement de ses produits. Il y a là un droit de jouissance sur la terre et un
droit de propriété sur les produits de la terre. Cette affirmation ressort des réponses
recueillies auprès des personnes interviewées sur la question de savoir :’’occupez-vous
un lopin de terre ?’’ A cette question, tout le monde a répondu par l’affirmative. La
question qui se pose est celle de savoir comment s’expriment ces deux droits. Ainsi pour
tenter de répondre à cette problématique, nous distinguons le droit individuel sur la terre
d’une part et le droit individuel aux produits de la terre d’autre part.

A. Droit individuel sur la terre

Il y a lieu de distinguer les droits individuels que détiennent les individus,


membres du groupe d’une part et les droits individuels des étrangers au groupe d’autre
part.

1. Droit individuel des membres du groupe

Dans les deux tribus ayant fait l’objet de nos enquêtes, les individus, par leur
appartenance au clan propriétaire, possèdent certains droits fonciers, notamment celui de
l’habiter et de l’exploiter sous toutes les formes. C’est ainsi que dans nos enquêtes, nous
avons posé aux enquêtés la question se savoir l’usage pour lequel est destiné les lopins de
terre mis à leur disposition. Il ressort des réponses obtenues que ces lopins de terre sont
destinés à l’usage agricole ou résidentiel. Ces droits n’emportent pas la propriété du sol,
celle-ci étant collective. Ces droits appartiennent aux individus en vertu de la coutume.
Ce sont des droits de jouissance que Kremer qualifie de droits sociaux.115 Ces droits qui
sont proches de l’usufruit du droit du système napoléon, ont la particularité d’exister tant
que dure l’occupation effective de la terre qui lui sert d’assiette.

En effet, ces droits sont exercés par leurs titulaires, aussi longtemps qu’ils
continueront à remplir leurs obligations vis- à-vis de la tribu et tant qu’il n’y a pas

115
E.Kremer, op. cit, p276
46

abandon de leur part, personne, même pas le chef, n’a le droit de leur priver du bénéfice
de la terre.

En principe, tous les membres d’un clan peuvent sans distinction occuper et
exploiter n’importe quelle partie du domaine foncier sous réserve des droits appartenant
aux autres membres de la communauté. De l’entretien que nous avons eu avec plusieurs
personnes sur terrain, il ressort qu’à la question de savoir comment accède-t-on aux droits
individuels sur le sol, il nous a été répondu que c’est par la mise en valeur du sol. En
effet, la personne qui met en valeur une portion de terre, obtient sur celle-ci un droit de
jouissance exclusif. Tel est également le cas dans la tribu basongo. En effet, selon le
révérend père de Beaucorps, dans cette tribu les membres du clan sont libres d’exploiter
leur forêt. Chacun choisit le coin qui lui paraît favorable pour défricher les champs ou
autres activités.116 La situation est pareille chez les Bayeke. Selon Grevisse, en ce qui
concerne la terre de culture, la permission de construire à proximité de telle ou telle
rivière accordée à un habitant, lui confère automatiquement le droit d’établir les
plantations dans les environs. Chacun fait choix à sa meilleure convenance du lopin de
terre non encore occupé.117 En analysant le droit foncier dans la société bakusu, Omari
souligne que l’exploitation ou la mise en valeur d’une portion d’eau ou de terre
déterminée, constitue un droit individuel strictement inviolable et inexpropriable. Après
la mort du propriétaire, ce droit passe à ses héritiers.118 C’est dans le même sens que va la
jurisprudence coutumière lorsqu’elle décide que les « mikola » ou canaux de pêche
aménagés dans le marais, demeurent la propriété exclusive de ceux qui les ont creusés et
à leur mort ils passent à leurs héritiers.119

Il a été également jugé qu’en région de Pania-Mutombo, il n’y a pas de droit


exclusif de pêche au profit d’un particulier ou d’un clan sur la Lubilashi-Sankuru.
Cependant la prise de possession d’un lieu de pêche par la mise sur place d’engins

116
S.J de Beaucorps, La propriété chez les Basongo de la Luniungu et de la Gobari, in Bulletin des
Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais,n°1 1943, p6
117
F.Grevisse, les Bayeke, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°5,
1937,
p136
118
A.J.Omari , op. cit, p139
119
Tribunal du territoire de Kabengo, jugement n° 40 du 26 novembre 1936, in Bulletin des Juridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n°5, 1941, p103
47

appropriés confère au propriétaire des engins un droit de jouissance qui doit être respecté.
Nul n’est admis à déplacer ces engins.120

Dans une étude sur les politiques foncières et l’accès des femmes à la terre en
Cote d’Ivoire, les professeurs Kone Mariatou et Ibo Guehi notent que les règles
coutumières d’accès à la terre organisent le régime du droit foncier. Si au départ, la terre
appartenait au premier occupant, aujourd’hui, il est un principe selon lequel la terre
appartient à celui qui la met en valeur. C’est donc la notion de production, de
valorisation, de valeur-ajoutée par le travail à un bien inexploité, qui fonde le rapport
juridique à ce bien.121 Il y a là une similitude avec le droit foncier coutumier congolais.

En réalité, la liberté des membres du clan sur leur domaine foncier possède
quelques limites. Les droits d’utilisation du domaine clanique sont partagés entre
plusieurs familles pour une durée indéterminée. Ce partage est fait selon l’utilisation
qu’on va en faire. Ainsi, si le clan est constitué d’un peuple chasseur, le domaine sera
divisé pour la chasse, les agriculteurs s’intéresseront surtout au partage des terres de
culture; les pêcheurs procéderont à la répartition des emplacements de la pêche. Chacun
fera usage exclusif de la portion du fonds qui lui est réservée en respectant la partie
attribuée à d’autres familles ou d’autres individus. René Philippe exprime cette idée,
lorsqu’il écrit que le seul droit du cultivateur sur le terrain qu’il occupe repose sur
l’interdiction faite à quiconque non seulement d’empiéter sur ses cultures mais encore de
l’occuper lorsqu’il est en jachère tant que la forêt ne l’a pas à nouveau envahi.122 Van
Boeckhout note également que :
«Le droit de cultiver et d’exploiter la terre n’est pas un droit absolu dans ce sens qu’ils
n’ont pas le droit de faire des cultures où ils veulent ou désirent. En faisant leurs cultures, ils
doivent tenir compte des droits de jouissance des autres : leur liberté est limitée par les droits
acquis par d’autres individus. En principe, un individu ou une famille choisit un terrain
quelconque pour y établir des cultures sous conditions de respecter les droits de jouissance des
autres. »123

120
Tribunal de secteur de Pania-Mutombo, jugement n°51 du 5 février 1948, in Bulletin des Juridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n°12, 1952, p357
121
Kone Mariatou et Ibo Guehi, Les politiques foncières et l’accès des femmes à la terre en Cote d’Ivoire :
cas d’Affalikro et Djangobo dans la région d’Abengourou et de Kalakala et Togognière dans la région
de Ferkessedougou, www. Docstoc.com, avril 2009, p 20
122
R.Philippe , op. cit, p56
123
J. Van Boeckhout, op. cit, p34
48

Cette obligation est importante pour le maintien de l’ordre et pour permettre à


chacun de jouir en paix du fruit de son travail. Toute violation de cette obligation est
sanctionnée par l’autorité coutumière.

Le chef intervient dans la répartition des terres entre différentes familles. Dans les
territoires où les terres sont en abondance, il suffit que le père de famille qui a trouvé une
portion de terre favorable, soumette son choix à l’approbation du chef. C’est le cas
notamment des peuples qui occupent la forêt équatoriale au Congo comme le Bolia, le
Basengele, le Mongo, le Nkundo etc. A ce sujet, René Philippe écrit ce qui suit au sujet
de Bolia et Basengele :
« Chacun choisit le terrain qu’il préfère, sans devoir se référer au chef de terre mais
toutefois sans empiéter sur une terre déjà choisie par un autre. Le chef de terre n’intervient pas
donc dans la répartition des parcelles entre ses parents et ses clients. L’abondance des terres et la
faible densité de la population permettent l’adoption d’un régime aussi libéral… »124
Analysant le droit foncier nkundo, Hulstaert note que n’importe quel membre peut
exploiter une parcelle non encore exploitée par un autre membre ; l’autorisation du
patriarche étant acquise d’avance et pouvant même être présumée si d’autres ne
revendiquent aucun droit particulier. Le droit de continuer sur cette même parcelle après
jachère persiste aussi longtemps qu’il désire.125

Lorsque les terres disponibles deviennent rares, le chef les répartit d’office entre
les différentes familles, en tenant compte de leur rang social et de leur importance. Qu’en
est-il alors des droits individuels des étrangers se trouvant dans un domaine foncier ?

2. Droits individuels des étrangers

Tous ceux qui résident dans le domaine foncier de la communauté locale ne sont
pas nécessairement « citoyens »126 de ce clan. En effet, on trouve des personnes qui sont
incorporées à la communauté par le mariage, par l’adoption ou par toute autre technique
admise par la coutume et des étrangers. Ainsi, les droits fonciers individuels de ces
personnes ne seront pas identiques. Tout est question du degré d’intégration des uns et

124
Ibidem
125
G. Hulstaert , Sur le droit foncier nkundo, in Aequatoria, 1954, n°2,pp58-59
126
Cette expression est empruntée de Pierre-Louis Agondjo-Okawe
49

des autres.127 Les droits fonciers coutumiers gabonais connaissent également cette
différenciation que nous venons d’évoquer. En effet, on peut lire ce qui suit sous la plume
de Agondjo-Okawe :
«Il convient de faire une distinction entre les droits d’un membre du clan et ceux d’un
étranger au clan. L’individu membre du clan tient ses droits fonciers de sa qualité de ‘’ citoyen ‘’
du clan, qualité pouvant être biologique ou sociale. Le statut biologique est celui que confère la
naissance par une femme libre du clan, l’individu est alors Nwontce128. Le statut social suppose
une intégration institutionnelle au clan, comme celle de l’esclave, par définition né sur une terre
étrangère.
Quant aux étrangers au clan, ils peuvent être répartis en trois catégories : l’étranger dit
owoga , l’étranger dit ‘’enfant du clan’’ et l’étranger ayant des liens privilégiés avec le clan,
129

c’est l’allié, c’est la femme mariée ».130

En principe, l’étranger doit obtenir l’autorisation du chef de clan ou de la famille


pour jouir de la terre. Cette exigence a été soulignée lors de l’entretien que nous avons eu
tant avec le notable de la tribu Dinga, monsieur Masha Lekansie qu’avec monsieur
Libonga Mono, chef de groupement, dans la chefferie de Loeka, tribu Mbudja. Selon
leurs propos, aucun étranger au groupe social ne peut jouir de la terre communautaire
sans l’autorisation du chef de clan ou du chef de la famille. Cette autorisation peut être
tacite ou expresse. Ainsi, dans le territoire de Kabongo, on admet que l’étranger a
toujours l’autorisation tacite de venir chasser sur le domaine et d’y construire sa case et
que dès lors, il acquiert automatiquement le droit de propriété sur les choses produites par
son activité.131Chez les Bakwa-Lubo, l’étranger doit avoir le consentement du chef de
clan pour chasser, cultiver et construire sur les terres Bakwa-Lubo.132Cette autorisation
est également requise chez les Kuba. En effet, on peut noter ce qui suit : « Si un étranger
veut chasser sur les terres du village, il doit en demander la permission au chef de village.
S’il ne le fait pas, sa chasse sera infructueuse. Le chef de village accorde la permission en
crachant par terre (signe de fertilité et de bénédiction) en disant : « va, va bien
chasser ».133

127
G.Kalambay Lumpungu , op. cit, p 69
128
Ce concept désigne un homme libre selon la tradition de la société nkomi au Gabon
129
Owoga, c’est un client ou un réfugié ayant élu domicile dans un village.
130
Agondjo-Okawe, op. cit, pp 1145-1146
131
J.Vannes, op.cit, p177
132
P.E.Van Hamme, Enquête sur le droit coutumier des Bakwa- Lubo, in Bulletin desJjuridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n°12, 1952,P342
133
J.Vansina, Le droit foncier dans la société kuba, in Zaïre, 1956, p909
50

Quant à la nature juridique des droits acquis sur le fonds par l’étranger, il est
certain qu’ils présentent les caractéristiques ci- après : ce sont des droits réels temporaires
sur un fonds appartenant au groupe d’accueil dont la durée de jouissance diffère en tenant
compte des facteurs à l’origine de l’intégration au groupe. Pendant la durée d’exercice du
droit, le bénéficiaire jouit du fonds en tirant tous les avantages possibles.134

Ces droits renferment quelques éléments de droit d’usufruit, de superficie et


quelques fois d’emphytéose. Ce sont des droits réels qui ne sont pas en principe
transmissibles. Ils sont donc viagers. Mais il arrive parfois que les descendants des
bénéficiaires de ces droits en héritent. Contrairement à l’usufruitier, les bénéficiaires de
ces droits payent la redevance au chef de clan propriétaire. Ces droits sont différents de
l’emphytéose par rapport à leur durée. En effet, nous venions d’affirmer que ce sont des
droits viagers, alors que l’emphytéose ne l’est pas.

S’agissant de la durée de ces droits, il convient de noter qu’elle dépend souvent de


la durée du maintien des liens qui les unissent au groupe. C’est ainsi que, par le divorce,
un homme ou une femme peut perdre son droit selon qu’un des conjoints a ou non résidé
sur le domaine foncier qui n’est pas celui de son groupe. Cela se justifie par le fait que
dans le mariage coutumier, les règles applicables en matière de résidence des époux sont
soit la patrilocalité (c’est- à- dire les époux doivent habiter après le mariage dans le
groupement du mari), soit la matrilocalité (c’est- à – dire la résidence des époux se situe
dans le groupement de la femme). Ces deux régimes possèdent plusieurs variantes que
nous mentionnerons plus loin. Cette précision a toute son importance. En effet, comme
nous le verrons plus tard, l’efficacité de l’accès de la femme à la terre dépendra du
principe applicable en matière de la résidence des époux.135

Les droits individuels des étrangers sont assortis d’une limitation fondamentale,
celle qui consiste à ne pas disposer de leur droit immobilier de façon à permettre aux
étrangers d’accéder au droit foncier individuel sans l’accord du chef de terre136. C’est la

134
G. Kalambay Lumpungu, le droit foncier zaïrois et son unification, Thèse de doctorat, Université
Catholique de Louvain, 1973, p 389
135
G. Kalambay Lumpungu, op. cit, p 391
136
Ibidem
51

conséquence logique du principe selon lequel, avant de s’installer dans un domaine de la


collectivité l’étranger devrait obtenir l’autorisation expresse du chef de terre. C’est le
même chef qui est habilité à lui indiquer l’emplacement où il peut exercer des droits
immobiliers individuels tels qu’habitation, culture, élevage.

De tout ce qui précède, nous disons avec le professeur Kalambay que le droit
individuel immobilier de l’étranger est un droit hybride, un droit réel « sui generis », un
droit qui ne saurait être classé dans une catégorie des droits réels du Code Napoléon.137

En somme, pour que les droits fonciers individuels soient reconnus par le chef
ainsi que par les autres membres de la communauté, celui qui en est bénéficiaire doit
manifester sa volonté d’exploitation ou de mise en valeur. C’est ce qui fait dire au
professeur Kalambay que dans les sociétés traditionnelles du Zaïre, pour accéder aux
droits immobiliers, il faut l’occupation effective du sol et sa mise en valeur par le
travail.138 Ainsi, celui qui a défriché une partie de la forêt ou de la savane pour ériger son
champ, en devient propriétaire. Tant que la mise en valeur se maintient, les droits
fonciers individuels existent également et donnent droit aux produits du sol.

B. Droits individuels aux produits du sol

Par l’utilisation du sol, chaque membre de la communauté acquiert des nouveaux


droits strictement personnels. Dans les lignes qui suivent, nous allons essayer de décrire
la manière dont ces droits fonctionnent.

1. Naissance des droits individuels aux produits du sol

En droit coutumier, les ressources naturelles appartiennent en principe à tous les


membres de la communauté propriétaire du sol. Les arbres qui poussent d’une manière
spontanée dans la forêt, les fruits sauvages, les gibiers, les plantes comestibles, les
poissons des eaux, les substances minérales du sol etc. sont des biens communs de tous

137
G. Kalambay Lumpungu, op.cit, p 390
138
G.Kalambay Lumpungu, op. cit, p 69
52

les membres du clan propriétaire du sol. Mais l’individu peut s’en réserver un usage
exclusif, moyennant certains procédés.139

a. Droit aux fruits

Par le travail personnel incorporé au sol, ce droit de propriété individuelle prend


naissance. Il en est de même de la découverte d’une chose n’appartenant à personne.
C’est ainsi que chez les Dinga et chez les Mbuza, il nous a été rapporté que celui qui
cultive son champ est propriétaire de tous les produits qui résultent de cette culture. En
effet, monsieur Fala Masia, l’une des personnes interrogées au sujet de la coutume Dinga,
soutient que chacun est propriétaire des produits de son champ. Ce droit permet de faire
face au besoin de subsistance de la famille. De son côté, Mongenzo Abia, pense
également que dans la coutume Mbudja, ce droit est aussi reconnu aux membres du clan.
Il en est également ainsi chez les Bena Kankonde, où les droits du planteur sur ce qu’il a
fait pousser sur le terrain cultivé sont perpétuels et inaliénables. Il est propriétaire des
cultures et des arbres, produit de son travail et de son labeur. Les bananiers, les orangers,
les citronniers, les ananas etc. se trouvant en pleine savane et en des endroits inoccupés
restent la propriété du planteur et de ses héritiers.140
Le professeur Mulumba Katchy note également que l’individu dispose de la petite
propriété de subsistance pour subvenir aux besoins primaires et nécessaires du foyer.
Rentre notamment dans cette catégorie tout ce qui est le produit de l’activité personnelle
dont les aliments gagnés par la culture ou par la cueillette, les poissons et les animaux
tués à la chasse individuelle etc.141

De son côté, René Philippe rapporte que chez les Bolia, la propriété individuelle
n’existe que pour les produits du travail, telles les maisons, ou les objets acquis grâce au
produit du travail comme les outils et les armes. Si le produit est dû au travail commun
des époux, ils en ont la propriété conjointe, mais dans la proportion de un tiers pour
l’épouse et deux tiers pour le mari.142

139
E. Kremer, op. cit, p278
140
J. Van Boeckhout, op. cit, p35
141
Mulumba Katchy, op. cit, p109
142
R. Philippe, op. cit, p54
53

Dans son étude sur le droit foncier coutumier dans le territoire de Kabongo,
Vannes affirme également que les droits individuels résultant de l’usage du domaine
foncier portent sur les choses produites par le travail d’un individu. Peu importe la nature
de l’objet créé par cette activité. Ça peut être une construction érigée sur le domaine ou
bien un palmier ou un arbre fruitier quelconque planté sur le fonds collectif. Ces droits
portent aussi sur les choses qu’un individu s’est légalement appropriées en déployant une
activité : c’est le cas pour la bête abattue par le chasseur sur le fonds collectif car ici un
individu a exercé une activité individuelle pour s’approprier un animal.143En analysant le
droit foncier dans la société kuba, Vansina constate que l’exploitation du domaine foncier
entraîne toute une série de droits individuels. Ces droits naissent de la pratique de la
chasse, de la pose de pièges, de la pratique de la cueillette et de la pêche, et
principalement à la suite de l’aménagement de travaux de culture. Certains droits naissent
aussi avec l’implantation d’arbres, de cases et l’aménagement des aires de pêche.144

Le droit foncier coutumier gabonais est encore sur ce point identique avec le droit
congolais. En effet, Agondjo-Okawe note que le droit de propriété privative sur les
produits de la terre suppose en général l’effort personnel, pour ne pas dire la mise en
valeur. C’est cette mise en valeur qui permet à l’individu de transmettre ce droit à ses
propres héritiers et non pas au clan ; une plantation, une case, des pièges etc. seront
transmis aux héritiers.145

Lebrun indique que dans la chefferie de Paye, territoire de Kabalo, le droit de


culture est libre. Le planteur est propriétaire des palmiers, bananiers. Concernant les
autres arbres fruitiers, l’auteur précise que la propriété du planteur est très relative. En
effet, concernant les manguiers, la récolte des fruits est autorisée à tout le monde sans
aucune restriction, et sans droit préférentiel pour le planteur. Quant aux orangers,
citronniers, mandariniers, la récolte est réservée uniquement aux habitants du village,
mais sans droit préférentiel pour le planteur. La différence de traitement s’explique par le
fait que la dernière catégorie des fruits est rare dans le milieu.146Il y a lieu de noter que la

143
J. Vannes, op.cit, p176
144
J. Vansina, op.cit, p908
145
Agondjo-Okawe, op. cit, p 1145
146
A.G.Lebrun , op. cit, p 184
54

coutume de cette contrée se démarque un peu des autres coutumes, en apportant des
restrictions aux droits de celui qui a planté. On est tenté de croire que cela est de nature à
décourager les planteurs et par ce fait, de baisser la production de ces fruits. Mais quand
on connaît l’esprit altruiste des ruraux africains, cette situation ne peut pas les
décourager. Ils sont au contraire contents de voir tout le monde profiter du travail qu’ils
ont réalisé. Mais il convient de noter que le planteur reste malgré tout propriétaire de
l’arbre fruitier.

Les illustrations que nous venons de donner, montrent que cette propriété
individuelle ne porte pas sur le sol en soi qui reste la propriété inaliénable de la
communauté, mais uniquement sur les fruits d’un travail personnel ayant la terre pour
support.

Ces droits s’exercent tant sur les biens meubles que sur des biens immeubles par
incorporation. Ils resteront acquis aux individus aussi longtemps que subsistent des
traces tangibles du travail incorporé ou du moins de l’exploitation. Une des propriétés les
mieux constituées semble celle des arbres plantés, qui pratiquement continuent toujours
d’appartenir à celui qui les a plantés ou à ses héritiers. Même un abandon de fait de
plusieurs années ne change rien à ce titre.147 Si en partant, le planteur n’a pas désigné un
ami ou un parent pour administrer son bien, le chef autorisera d’autres membres du
groupe à récolter les fruits et les chargera de l’entretien de la plantation. Mais au retour
du vrai propriétaire, les arbres rentreront en sa possession. Ceux qui les avaient
entretenus le feront toutefois savoir au propriétaire et voudront jouir d’une partie de la
récolte.148 Qu’en est-il alors du terrain défriché ?

b. Droit de jachère

D’après les interviews réalisées dans le territoire d’Idiofa ainsi que dans celui de
Bumba, le cultivateur qui a défriché et mis en culture le terrain pour la première fois, ne
dispose pas seulement des fruits directs de son travail, mais jouit également d’un droit de
jachère. Ce droit persiste aussi longtemps que la brousse n’aura pas repris son aspect

147
Voir à ce sujet les affirmations de Van Boeckhout supra p 43
148
F. Grevisse , op. cit, pp137-138
55

ancien d’avant le premier défrichement. Ce droit est même transmissible pour cause de
mort. De l’entretien que nous avons eu avec monsieur Misato Likpangbola, juge
assesseur au tribunal de paix de Bumba, il affirme avoir le droit de jouissance sur une
portion de terre résultant du droit de jachère que ses ancêtres avaient acquis. Lebrun
explique mieux ce principe lorsqu’il écrit : « La jachère reste personnelle au cultivateur,
jusqu’au moment où la brousse ait repris entièrement ses droits. Il est donc interdit,
suivant la coutume à venir cultiver dans une jachère, où la brousse n’ait pas repris ses
droits. »149 Cette interdiction trouve son explication dans le fait que celui qui débrousse
pour cultiver, effectue un travail assez pénible, il serait injuste qu’un autre vienne cultiver
à cet endroit, en profitant indirectement du travail d’autrui, la culture n’étant pas si
pénible.150

En analysant la tenure de la terre dans le groupement Munene de la chefferie des


Bakongolo, Mignolet constate également l’existence du droit de jachère. En effet, voici
ce qu’il écrit à ce sujet :
« Les droits de jachères perdurent tant que la brousse n’a pas repris son aspect antérieur à
la culture. Dès que la futaie a ré-envahi le terrain, les droits prennent fin. Ce sont là des droits
individuels. Nul ne peut cultiver un lopin de terre grevé de semblables droits, sans l’autorisation
du cultivateur qui effectua le premier labour, détenteur actuel de jachère. Cette autorisation sera
accordée moyennant une compensation minime de quelques kilogrammes de manioc frais. »151

Marshal va dans le même sens, lorsque parlant du droit foncier coutumier des
Bazela, Balomotwa et Banwenshi, il conclut que la jachère appartient exclusivement à
celui qui l’a créée aussi longtemps qu’il n’émigre pas dans un autre groupement ; mais il
peut transférer ses droits à un membre de sa famille. Ces droits peuvent être acquis par
héritage. Les droits de l’auteur sont également imprescriptibles en ce qui concerne les
barrages à poisson et les pièges à gibier : fosses, trappes ou clôtures. Il en est de même
pour les termitières exploitées.152 Dans la société kuba, tout habitant du village cultive où
bon lui semble. Une terre défrichée devient propriété personnelle de celui qui l’a mise en
valeur pour toute la durée du cycle de culture(six ans) et ce droit ne s’éteint que quand la

149
A.G.Lebrun, op. cit, p195
150
Ibidem
151
J. Mignolet , Notes relatives à la tenure de la terre dans le groupe Munene de la chefferie des Bakongolo,
in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°8, 1954, p197
152
R. Marchal , Le droit foncier coutumier des Bazela, des Balomotwa et des Banwenshi, in Bulletin des
Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°1, 1937,p 18
56

jachère est à nouveau couverte de petits buissons et que le propriétaire n’y a plus planté
soit des palmiers, soit d’autres arbres.153 Allant dans le même sens, le professeur
Lumpungu Kamanda fait savoir que la forêt est aussi une propriété collective au même
titre que la savane. Cependant, un homme qui a défriché une galerie en garde le droit de
réutilisation, même s’il l’ abandonne à une jachère de quelques années. Cela s’explique
par les difficultés de défrichement. L’abattage des arbres représente une tâche
particulièrement pénible. C’est pour sauvegarder les avantages acquis au cours d’un dur
labeur que la coutume reconnaît au premier défricheur le droit de réutilisation pendant
une longue période. Dans ce cas, le droit de jouissance et de possession usufruitière se
transmet par héritage. De plus, pour la forêt, la fertilité permet souvent une rotation de
longue durée et surtout une certaine régénération s’opère avant que n’apparaissent les
grands arbres qui constituent le gros travail du défrichement forestier. Il est donc normal
que les droits si durement acquis soient sauvegardés jusqu’à ce que le bénéficiaire y
renonce de plein gré.154

Certaines coutumes, tout en affirmant le principe du droit de jachère, font


cependant une distinction selon que la jachère porte sur un terrain de savane ou de
forêt.155
Lorsque la jachère porte sur un terrain de savane, le cultivateur garde ce droit
pendant six mois, à compter de la période de la récolte des produits. S’il entretient le
terrain après l’expiration de ce délai, il garde son droit de jouissance même s’il n’y établit
aucune culture. Si, en revanche, l’entretien n’est pas réalisé, son droit de jouissance cesse.

Quand la jachère concerne un terrain de forêt défrichée, le droit de jachère est


perpétuel. Seul celui qui a défriché possède le droit d’établir des cultures sur cette
parcelle. Son droit de jouissance est perpétuel même s’il n’entretient pas ses cultures ou
s’il ne cultive pas la superficie abattue. Tout ce qui pousse sur cette parcelle et tous les
fruits que ce terrain produit est sa propriété.

153
J. Vansina, op.cit, p 911
154
Lumpungu Kamanda, op. cit, p65
155
J. Van Boeckhout , op. cit, p35
57

Certaines coutumes semblent ignorer ce droit de jachère. C’est notamment le cas


de Bena Mulimi du territoire de Kabalo. A ce propos, Deloof note que le droit de jachère
est une notion non connue des Mulimi. Il tire cette conclusion à partir de discussions
tenues lors de multiples conseils de notables de la chefferie, qu’un indigène abandonnant
ses anciens champs pour cultiver autre part, perd automatiquement tout droit sur ses
jachères, et que rien n’empêcherait éventuellement un autre de s’y installer après le
départ du premier. Donc, en droit foncier coutumier des Mulimi, ce droit n’existe pas
conclut-il.156Nous sommes d’avis qu’il y a là une confusion entre l’abandon d’une
portion de terres et le fait de la laisser en jachère.

c. Droit de chasse et de pêche

Ce droit exclusif ne concerne pas seulement le cultivateur mais aussi le pêcheur et


le chasseur. En effet, le pêcheur qui a découvert un endroit particulièrement poissonneux,
l’aménage et y érige des installations de capture, en devient propriétaire. Ainsi, les
installations vont lui appartenir et les poissons qui y seront capturés. Personne d’autre ne
pourra plus désormais se livrer à la pêche à cet endroit. A.Sohier exprime cette idée en
ces termes : « Les emplacements de pêche se transmettaient héréditairement. Ils sont ce
qui, dans le droit indigène, est le plus voisin d’une propriété foncière individuelle.
Vraisemblablement ces emplacements étaient cessibles par leurs propriétaires, mais non à
des étrangers. »157 Nous avons eu le privilège de vivre cette situation dans la province
Orientale, plus précisément aux chutes de Wagenia où les emplacements de pêche sont
soigneusement aménagés par les familles depuis des années. Ces emplacements sont
héréditaires et les familles y exercent des droits exclusifs. La jurisprudence va dans le
même sens. En effet, nous nous référons à nouveau du jugement rendu par le tribunal de
secteur de Pania-Mutombo que nous avons évoqué supra opposant deux parties sur un
emplacement de pêche dont la motivation se présente comme suit :
« En région de Pania-Mutombo, il n’y a pas de droit exclusif de pêche au profit d’un
particulier ou d’un clan sur le Lubilashi- Sankuru. Cependant la prise de possession d’un lieu de

156
R.J. Deloof , op . cit, p 252
157
A. Sohier , Traité élémentaire de droit coutumier du Congo belge, Bruxelles, Larcier, 1954, p 147
58

pêche par la mise sur place d’engins appropriés confère au propriétaire des engins un droit de
jouissance qui doit être respecté. Nul n’est admis à déplacer ces engins.158 »

Le chasseur qui, connaissant les endroits de passage du gibier, installe des pièges,
acquiert des droits analogues à ceux du pêcheur sur son emplacement.

d. Extinction du droit individuel

Ces droits de propriété individuels ne s’éteignent que par abandon, étant donné
que la prescription acquisitive est inconnue en droit coutumier. Cependant, la question est
de savoir quand peut-on dire qu’il y a abandon ? Voici ce que Grevisse écrit au sujet des
Bayeke :
« La pérennité de l’usage est cependant fonction de l’occupation effective. Abandonné,
un champ peut être exploité par autrui. Reste à savoir quand un champ peut être considéré comme
abandonné ? Il faut, selon les notables, soit une déclaration par laquelle le possesseur renonce à
son droit d’occupation, soit un délaissement de trois ou quatre ans non interrompu par l’ancien
occupant faisant connaître son intention de réoccuper sa terre. »159
Comme nous l’avons déjà signalé, selon Van Boeckhout, les droits de culture sur
les jachères de savane chez le Bena Kankonde prend fin dans six mois à dater de la
récolte, si le terrain n’est plus entretenu par le cultivateur qui en avait le droit de propriété
de culture.

Allant dans le même sens, le professeur Kalambay écrit ce qui suit :


« Si le droit de propriété naît par le travail, il s’éteint également par l’absence du travail
ou d’occupation du sol. Sur ce point, l’appréciation de la prescription extinctive des droits
immobiliers est variable d’une coutume à l’autre selon qu’il s’agit d’une maison ou d’une culture.
Ce qui est certain partout, c’est que l’individu doit manifester par des actes, soit tacitement, soit
expressément, la volonté d’éteindre ses droits.»160

Celui qui veut se réserver l’usage exclusif d’une parcelle de terre pour cultiver
seul, ou un endroit pour pêcher de manière exclusive ou encore acquérir la propriété d’un
immeuble par incorporation devra payer des redevances au chef qui lui accorde

158
Tribunal de secteur de Pania-Mutombo, jugement n°51 du 5-2-1948 in Bulletin des Juridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n°12, 1952, p 357
159
F. Grevisse , op. cit, p136
160
G. Kalambay Lumpungu , op. cit, p69
59

l’autorisation et qui par la suite protégera son bien.161 Comment alors le propriétaire de
ces droits individuels nés de l’usage du domaine collectif peut-il en disposer.

2. Disposition des droits individuels nés de l’usage du sol

Il convient de noter avant toute chose qu’il ne s’agit pas ici de la cession du fonds
qui est la propriété inaliénable de la communauté entière, mais uniquement d’un transfert
des fruits de l’effort individuel dont le fonds a été servi de support. Pour bien faire les
choses, il est nécessaire de distinguer selon que les biens faisant l’objet de disposition
entre vifs sont mobiliers ou immobiliers d’une part ou si le droit de disposition est
définitif ou temporaire d’autre part.

Lorsque le droit de disposition est définitif, le membre du groupe qui veut


disposer d’un bien immobilier, à l’occurrence un immeuble par incorporation, doit
obtenir l’autorisation du chef, gardien du domaine si le nouvel acquéreur est un étranger
au groupe. Il en est de même lorsqu’il s’agit de transférer des droits d’usages sur une
terre. En effet, il n’est pas concevable que n’importe quel membre du clan installe sur la
terre ancestrale un étranger. En revanche, cette autorisation n’est pas nécessaire lorsque la
transaction se passe entre deux personnes, membres du groupe.162

La situation est différente lorsque le droit de disposition porte sur un bien


mobilier. En pareil cas, la liberté de la personne qui dispose du bien est totale même si le
nouvel acquéreur est un étranger. Ainsi, si la cession porte sur les fruits de la récolte,
l’autorisation du chef n’est pas nécessaire. Le professeur Kalambay explique mieux cette
situation lorsqu’il écrit :
« Dans l’acte de disposition en droit coutumier, il faut toujours distinguer la disposition
des produits issus du travail personnel, considérés comme des biens mobiliers, et la disposition
qui entraîne le transfert des droits individuels.
Quand il s’agit du droit de disposer des fruits du travail personnel, le droit d’aliéner est
total dans le chef de son titulaire, mais ce droit devient limité quand l’acte de disposition réalise
en même temps le transfert du sol. Dans ce cas, la coutume fait une nette distinction entre les
bénéficiaires de l’acte suivant qu’ils sont membres de la collectivité à part entière, des personnes
incorporées au groupe ou enfin des étrangers. Pour les personnes de la première catégorie, le
transfert peut s’effectuer entre vifs ou pour cause de mort sans l’autorisation du chef de terre ou

161
E. Kremer , op. cit, p 281
162
E.Kremer , op.cit, p281
60

du village, parce qu’elles font partie du groupe. Quant aux personnes de la deuxième catégorie, le
degré d’intégration et le système de parenté sont déterminants pour le transfert et l’intervention
du chef peut se concevoir. L’acte de transfert doit être approuvé par une autorité compétente
quand le bénéficiaire est étranger. Cette disposition est en soi logique puisque, dans tous les cas,
un étranger, pour accéder à tout droit individuel du sol, doit au préalable avoir l’accord de
l’autorité. »163

Les dispositions pour cause de mort sont en général soumises aux règles régissant
la succession en droit coutumier. Nous y reviendrons avec détail dans le chapitre suivant.
Mais, il est bon de mentionner dès à présent que les droits tant mobiliers qu’immobiliers
du de cujus passent à ses héritiers dont la désignation dépend du système de parenté
auquel on appartient. Dans le système patrilinéaire, les droits passent de père en fils ou de
frère à frère, alors que dans le régime matrilinéaire, les droits se transmettent de l’ayant
droit au fils de sa sœur ou à son oncle maternel.

Il arrive que le transfert de droit de jouissance soit temporaire. C’est notamment le


cas de la location ou du prêt.

La location porte sur un lopin de terre sur lequel un membre du groupe possède le
droit de jouissance. Ce transfert temporaire de droit de jouissance peut être gratuit,
notamment lorsqu’il s’agit d’un parent ou d’un ami ou encore lorsque la chose, objet de
l’opération n’a pas une grande valeur. Généralement, la location est à titre onéreux. Dans
ce cas, selon les clauses du contrat, le locataire pourra verser à l’ayant droit soit une
partie de la récolte, soit une somme d’argent ou encore il pourra travailler pour le compte
de l’ayant droit suivant une certaine périodicité. Cette situation est fréquente dans les
régions peuplées de l’Est de la République Démocratique du Congo.

Le prêt concerne souvent des biens meubles, fruits du travail personnel tels que
les récoltes.

§3. Inaliénabilité des droits fonciers coutumiers

A. Enoncé du principe

163
G. Kalambay Lumpungu , Le droit foncier zaïrois et son unification, Thèse de doctorat, Université
Catholique de Louvain, 1973, p387
61

L’inaliénabilité est l’un des principes fondamentaux du droit foncier coutumier.


Cela est la conséquence logique du caractère collectif de ce droit foncier. Le principe de
l’inaliénabilité des droits fonciers coutumiers postule que ces droits sont inséparables de
leurs titulaires. Le lien qui unit le groupe, propriétaire foncier, à son domaine est
indestructible.164 Dans le cadre de nos enquêtes, nous avons eu une interview avec
monsieur Lingaya Godefroy, originaire du village Yamwani dans la chefferie d’Itimbiri
qui, à la question de savoir si la terre peut faire l’objet de disposition, affirme que
personne n’est habilitée de vendre la terre laissée par les ancêtres. Même le chef de clan
n’est dispose pas de cette prérogative. Cette opinion est également partagée par monsieur
Kitoko Polydor, l’un des notables du village Mayumu, dans la chefferie Mateko.
Ce droit ignore les actes translatifs de propriété et l’inaliénabilité est l’une des
caractéristiques qui le distingue du droit foncier occidental. Il convient de noter que le
caractère inaliénable des fonds ne fait pas obstacle à l’existence du droit de propriété. En
effet, comme le souligne avec pertinence Vannes, ce caractère n’est que subsidiaire et
n’affecte nullement le contenu de la propriété. Il existe en droit européen des choses
qu’un propriétaire ne peut pas aliéner. C’est notamment le cas des biens dotaux. Vansina
va dans le même sens lors qu’il écrit ce qui suit sur le droit foncier kuba :
«La caractéristique juridique qui oppose la propriété collective à la propriété individuelle
est la défense de vendre une propriété collective. Ces propriétés n’étaient pas nécessairement
inaliénables, Comme nous le verrons, elles étaient inaliénables par la vente. Cette inaliénabilité
par la vente est d’ailleurs une institution très générale parmi les peuples primitifs.»165

Il convient de noter que ce qui est exclu, c’est l’aliénation complète et définitive
de la terre. Mais certaines opérations qui aboutissent à une cession provisoire des droits
fonciers sont tolérées. C’est ainsi que le chef de terres peut accorder au profit des
étrangers, une portion du domaine foncier collectif pour tel ou tel autre usage déterminé
et pour un temps déterminé. Les droits concédés par le chef, en sa qualité de gérant,
diffèrent du droit de propriétaire, en ceci qu’en cas d’extinction, ils font immédiatement
retour dans le domaine foncier collectif.

164
E.Kremer, op. cit, p 249
165
J.Vansina, op.cit, pp902-903
62

Parlant de la cession partielle des droits fonciers coutumiers, Vannes écrit que
l’inaliénabilité n’empêche pas la cession de certains droits sur un domaine. C’est
précisément cette cession de droits partiels, renchérit-il, que l’on rencontre de temps à
autre, qui est à l’origine de la confusion qui existe dans l’esprit des indigènes au sujet de
l’aliénabilité des terres. Bien souvent, ils déclareront que telle terre appartient à tel
homme qui l’a achetée de tel chef. Dans toute la chefferie Kabongo, nous trouvons de ces
terres qui « appartiennent, » dit-on, à un individu ; il en est de même dans les chefferies
du nord où cette institution parait même plus vivace et où le bénéficiaire de ces terres
acquises prend le nom de « fumu ya kashiama ».

En réalité, poursuit-il, ces cessions de droits n’ont aucun rapport avec l’aliénation
du domaine foncier ; elles se ramènent uniquement à l’opération suivante : un individu
achète le droit à percevoir le tribut sur telle portion du domaine et, en vertu de ce droit
acquis à titre onéreux, il a l’autorisation de retenir à son profit telle ou telle partie de la
bête abattue à la chasse sur cette terre ; normalement, la part de viande ainsi prélevée
aurait dû revenir à l’autorité bénéficiaire du tribut ; il est normal que si cette autorité
abandonne ce privilège à un tiers, celui-ci doit acquérir au préalable à titre onéreux ce
bénéfice, d’ailleurs temporaire et nullement héréditaire.166

Il convient de noter que la vente par l’autorité de son droit de tribut n’est pas
l’unique forme de cession partielle des droits fonciers coutumiers. En effet, il arrive que
le chef de terre puisse consentir, au profit des étrangers, un droit de jouissance temporaire
à titre gratuit ou à titre onéreux, pour des raisons diverses, sous forme de location ou de
gage.
La location d’une portion de terre peut concerner un individu ou un groupe
d’individus. Dans tous les cas, elle se passe par voie conventionnelle. Il y a d’une part un
individu ou un groupe d’individus, étranger à la communauté, qui sollicite la terre, et,
d’autre part l’acceptation du groupe propriétaire. Ces conventions qui peuvent, comme
nous l’avons indiqué, être gratuites ou à titre onéreux, prévoient des clauses précisant les
droits et les obligations de chaque partie. Toute violation des clauses contractuelles

166
J.Vannes, Le droit foncier coutumier en territoire de Kabongo : Essai de synthèse, in Bulletin des
Jjuridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n° 7, 1954, p 175
63

peuvent entraîner la rupture du contrat. Parfois l’abus de la part de l’étranger pouvait


entraîner une sévère répression.

Le contrat peut porter sur l’usage général d’une portion de terre ou sur un usage
bien déterminé. En effet, il arrive que le groupe propriétaire concède une partie de sa
concession pour un usage indéterminé. Dans ce cas, le bénéficiaire peut en exploiter
selon son gré. Il peut cultiver, chasser ou pêcher etc . Mais il arrive aussi que la location
porte sur un usage déterminé de la partie concédée. En pareil cas, le locataire ne pourra
exploiter cette portion de terre que conformément à l’usage concédé. Ce cas arrive
souvent lorsque le groupe propriétaire est spécialisé pour une activité bien déterminée.
C’est ainsi par exemple que le groupe des chasseurs peut concéder des terrains aux
agriculteurs ou vice-versa.

Ces conventions sont souvent assorties des clauses spéciales à la charge des
étrangers admis sur les terres d’un groupement. Ainsi, il pourra leur être interdit de
planter les arbres de rapport ou d’ériger des constructions autres que celles servant
d’habitations. L’étranger qui désire planter des arbres, peut être astreint à une autorisation
spéciale qui indiquera le nombre d’arbres à planter. Cela se justifie par le fait qu’en droit
coutumier, s’il est vrai que la propriété des arbres est différente de celle de la terre, la
possession du sol dure autant que l’occupation effective. 167

Les restrictions susvisées ont pour but de sauvegarder le domaine collectif contre
des intrusions. Aussi, convient-il de noter que les concessions accordées aux étrangers
n’ont rien à voir avec une cession de droits de propriété et n’enfreignent nullement le
principe de l’inaliénabilité des terres collectives. En outre, étant donné que la prescription
n’existe pas en droit coutumier, les droits ainsi concédés et exercés, même pendant des
générations, ne changent en rien le droit du propriétaire qui reste intact.168

Il arrive que pour une raison quelconque, une portion de terre soit mise en gage.
Le droit coutumier semble ne pas connaître l’hypothèque. Généralement cette opération a

167
E.Kremer , op.cit, p253
168
E.Kremer, op.cit, p253
64

lieu dans le but de garantir le paiement d’une dette. Les origines de la créance peuvent
varier. Elle peut résulter d’un contrat ou d’un délit.

Le contrat peut être à la base d’une créance entraînant la mise en gage d’une
portion de terre dans les hypothèses suivantes :

1° lorsque le débiteur d’une obligation contractuelle n’est pas à mesure d’exécuter


son obligation dans le délai convenu ;
2° lorsque le créancier exige une garantie avant de consentir un prêt.

Le délit est source d’une dette pouvant conduire à la mise en gage de la terre,
lorsque la personne qui est condamnée au paiement des dommages-intérêts n’est pas à
mesure de s’en acquitter. Dans son étude consacrée au droit foncier coutumier en
territoire de Kabongo, Vannes rapporte de la manière suivante un cas qui a eu lieu dans la
chefferie de Dipeba :

«Un monsieur originaire du village Nyundu, se promenait sur les terres du village
Kibanga de la chefferie Tambaie. Il fut tué par cinq hommes du village Kibanga. Aussitôt, les
gens de Nyundu, auxquels vinrent s’ajouter les Bena Monda et Katombe, voulurent venger le
mort et attaquèrent les hommes de Kibanga ; ceux-ci furent battus et se retirèrent en brousse ; là,
ils devinrent malades et voulurent s’arranger à l’amiable avec leurs adversaires. N’étant pas en
mesure de payer une indemnité suffisante en réparation du meurtre, ils convinrent avec l’héritier
du défunt, un homme Tshikala de Nyundu, de donner à celui-là la terre appelée Maseka.
En vertu de cet arrangement, Tshikala obtint le droit de percevoir tribut pour toute bête
abattue sur cette terre, et ce privilège se transmit ensuite par voie de succession au fils de
Tshikala, un nommé Kahombo, qui l’exerce encore aujourd’hui. Depuis cette cession, les gens de
Kibanga ne cessent d’ailleurs de réclamer le retour de leur terre.»169

Comme on peut s’en rendre compte, il ne s’agit pas là d’un abandon de droit de
propriété sur cette terre, mais bien d’une mise en gage dont le but est de garantir le
paiement d’une dette issue d’un délit. En effet, le nommé Tshikala n’est pas propriétaire
de cette terre. Mais il garde celle-ci pour garantir le paiement de sa créance, qui, en raison
de manque des moyens financiers de la part des débiteurs ne peut se faire qu’en nature.
Dans le cas d’espèce, le paiement se fait par la perception du tribut, qui en principe,
devrait revenir aux propriétaires fonciers. Ainsi, le fait pour lui d’avoir la garde de cette

169
J. Vannes , op.cit, p 175
65

portion de terre, lui permet d’être sûr de recouvrer sa créance au cas où une quelconque
bête serait abattue. Vannes relève que le cas susvisé n’est pas isolé. Il arrive souvent que
le débiteur abandonne au créancier la garde d’un domaine lorsqu’il n’est pas à mesure de
payer.170
En Cote d’Ivoire, soulignent les professeurs Kone Mariatou et Ibo Guehi, la terre
est partout considérée comme un bien inaliénable. On ne vendait pas la terre, on la
donnait, on la prêtait. Le nouvel acquéreur offrait au cédant de la boisson qui servait aux
libations pour signaler la présence d’un nouvel élément et pour demander sa clémence et
sa protection afin de rendre cette terre fertile ; en retour, le bénéficiaire était tenu de
donner une partie de sa production au cédant en guise de remerciement. La terre ainsi
obtenue servait à l’agriculture vivrière. L’acquéreur étranger qui se montrait « gentil »,
recevait par la suite, s’il le souhaite, une portion de forêt pour des cultures de rente ; sur
cette terre, il ne bénéficie que de l’usufruit et non de la propriété. Mais en réalité, plus
tard, jusqu’à la fin des années 80, certaines zones forestières ont connu des ventes
massives de forêt. Ce qui est présenté comme achat par un acquéreur est parfois perçu par
le cédant comme une location ou un emprunt de longue durée ; l’acquéreur n’a qu’un
droit d’usage. Ce n’est pas le sol comme matière physique qu’on vend, ce sont des droits
d’usage qu’on transfère. C’est d’ailleurs pour cela que bien qu’on ait « vendu », on en
garde le droit de tutorat, c’est-à- dire, celui qui a vendu demeure tuteur de la terre cédée.
De plus en plus, concluent-ils, face à la raréfaction de la terre, les jeunes contestent les
ventes de terre passées entre leurs parents et les étrangers. On assiste à des conflits à ce
sujet.171
Nous venons de voir que le domaine foncier coutumier est inaliénable. Mais ce
principe n’empêche pas qu’il soit consenti une cession temporaire en terme soit de
location ou de gage. Une autre question est celle de savoir le fondement de ce principe.

B. Fondement du principe

A ce sujet, les auteurs trouvent divers fondements qui peuvent justifier


l’inaliénabilité de la terre en droit coutumier.

170
ibidem
171
Kone Mariatou et Ibo Guehi, op. cit, p 21
66

Pour les uns, la terre ne peut pas être aliénée au motif qu’aux yeux des indigènes
elle ne présente aucune valeur marchande. En outre, elle appartient aux vivants et aux
morts. De ce fait, les vivants ne peuvent seuls l’aliéner. Mayer, l’un des tenants de cette
thèse s’exprime comme suit :
«… la terre ne peut valoir que par les produits qu’elle donne. Elle ne peut avoir aucune
valeur, par exemple, comme terrain à bâtir. Mais les indigènes disent couramment qu’il est
préférable de posséder de la terre que des « bintu ». ceux-ci se détériorent et doivent être
remplacés. Le sol produit toujours. Il ne peut être vendu mais biens les objets mobiliers.
La terre ne peut être vendue car elle renferme les esprits des ancêtres. Elle appartient non
seulement aux vivants mais aussi aux morts de la famille. Pour l’indigène la propriété du sol n’est
pas seulement une question d’espace ; c’est aussi une question de temps. Car elle remonte dans le
passé et s’étend déjà sur toutes les générations futures. »172

Le professeur Lumpungu Kamanda va dans le même sens lorsqu’il écrit que la


terre appartient à une grande famille dont certains membres sont morts, d’autres vivent
encore et d’autres sont à venir. Il va de soi que pour disposer de la terre de façon absolue,
l’accord de tous les membres est indispensable. L’accord des vivants est facile à obtenir
dès lors qu’il s’agit d’une opération qui les intéresse. L’accord des morts est difficile
parce que de leur vivant, ils ont défendu le statu quo. Cependant, chacun peut selon sa
capacité de production utiliser la terre pour assurer sa subsistance et s’enrichir. Mais la
terre d’une communauté est aussi le lieu où sont ensevelis les morts, les fondateurs de la
communauté et premiers propriétaires de la terre du domaine. Elle est le trait d’union
entre les vivants et les morts. Personne ne peut, selon la coutume, s’autoriser à vendre les
tombeaux de ses ancêtres sous prétexte que ceux-ci sont réduits à l’impuissance. Facteur
économique de production, la terre a aussi dans la coutume, une valeur de symbole qui
empêche de la classer parmi d’autres facteurs matériellement saisissables.173

De son côté, Vannes semble avoir une position nuancée. Tout en épousant
l’argument selon lequel la terre n’a pas de valeur marchande, il repousse l’idée qui
explique l’inaliénabilité par le fait que les vivants seuls sont dans l’incapacité d’aliéner la
terre. Voici ce qu’il écrit à ce sujet :

172
Ch. Mayer, op. cit, pp 25-26
173
Lumpngu Kamanda, op. cit, p64
67

« Le principe de l’aliénabilité reflétait exactement les idées régnantes en 1804 lors de la


parution du code ; en régime de liberté économique, la libre circulation des biens apparaissait
comme la base du système économique du capitalisme naissant. Or, il est à remarquer que ce
principe d’aliénabilité en matière foncière, s’il se justifie dans notre société contemporaine, ne
pouvait trouver aucun fondement dans la société coutumière indigène. En effet, quelle aurait été
pour des populations semi-nomades, l’utilité d’acheter un fonds ? » 174
« Il semble bien que la tendance générale à considérer la famille elle-même comme
propriétaire de son domaine soit bien ancrée dans les esprits ; certains même expliquent le
caractère inaliénable des terres indigènes par cette idée de la famille propriétaire ; en effet, dit-on,
la famille propriétaire étant composée aussi bien des ancêtres morts que des descendants en vie,
ceux-ci ne peuvent , juridiquement parlant, aliéner la terre qui appartient aussi à ceux-là. Mais cet
argument lui-même ne résiste pas à l’analyse ; admettons un instant cette hypothèse de la famille
propriétaire, chaque famille est placée sous l’autorité coutumière d’un chef, descendant le plus
direct du fondateur ; à lui seul, ce chef représente parfaitement la famille, aussi bien les morts que
les vivants ; dès lors il serait parfaitement concevable, toujours dans cette hypothèse que ce chef
qui par ailleurs, en bien des circonstances parle au nom de sa famille, puisse représenter celle-ci
toute entière et aliéner en son nom tout ou partie de son domaine. »175

Les autres pensent que l’inaliénabilité peut se justifier par le fait que l’individu
n’a pas de valeur en dehors de sa terre natale, il sera toujours considéré comme un
étranger avec toutes les conséquences qui en découle. Le professeur Kalambay, l’un des
tenants de cette thèse, écrit ce qui suit :

« Les buts de collectivités traditionnelles étaient concentrés sur certaines valeurs


dépassant les intérêts des individus qui les composaient, que ces valeurs étaient la perpétuité, la
permanence et la cohésion du groupe et, qu’en outre, le domaine foncier assurait l’indépendance
du groupe et son statut social. On comprendra dès lors que le maintien du domaine foncier dans
sa totalité est très important, d’autant que chaque fois qu’un individu est en dehors de son
domaine, il est considéré comme un étranger, statut peu enviable dans les sociétés basées sur les
liens familiaux ; encore peut-il être considéré comme dépourvu de personnalité humaine, dans
certaines parties d’Afrique autres que le Zaïre….
Le caractère d’inaliénabilité vient surtout de ce que le domaine foncier est collectif. »176

Dans une étude consacrée au cadre et lignes directrices sur les politiques foncières
en Afrique, l’Union africaine, la Banque africaine de développement ainsi que la
Commission économique pour l’Afrique justifient mieux le caractère inaliénable de la
terre lorsqu’elles notent que la terre demeure un facteur important dans la construction de

174
J. Vannes, op.cit, p167
175
J. Vannes, op.cit, p168
176
G. Kalambay Lumpungu, Le droit foncier zaïrois et son unification, Thèse de doctorat, Université
Catholique de Louvain, 1973, p 378
68

l’identité sociale, dans l’organisation de la vie religieuse et, la production et reproduction


des cultures. En effet, les rapports intergénérationnels sont en définitive déterminés par la
quantité de ressources foncières que les familles, les lignages et les communautés ont en
partage et ont sous leur contrôle. De ce fait, la terre est une partie intégrante de la
spiritualité même de la société.177

Nous sommes d’avis que cette thèse paraît convaincante. En effet, elle correspond
mieux avec les préoccupations que les groupes familiaux se font sur leur terre. On refuse
d’aliéner la terre parce que celle-ci est une richesse vitale pour la communauté. Elle
fournit à la communauté tout ce dont elle a besoin pour sa survie. La terre est un élément
de la personnalité des membres de la communauté. C’est par elle que s’identifie la
communauté. C’est dans ce sens que parlant du droit foncier traditionnel ntumu(Gabon),
Issac Nguema écrit que :

«C’est la terre tribale qui leur confère la capacité juridique. En dehors de celle-ci, en
effet, les Ntumu apparaissent comme de grands enfants, sans droit aucun. De même, les
personnes non-membres de leur tribu apparaissent à leurs yeux comme dépourvus de tout poids,
de tout « sel » : on ne leur reconnaît pas la capacité juridique. Ce qui entraîne comme
conséquence d’une part les Ntumu ne prennent pas d’époux en dehors du territoire tribal, d’autre
part qu’ils ne peuvent aliéner leur terre au profit des personnes non-membres de la tribu :
l’opération juridique qui est mise en œuvre à cette occasion exige un certain équilibre entre
parties.»178
Le professeur Lapika pense également que la terre reste à l’échelle
individuelle et collective, un symbole fort de l’identité d’une communauté et un élément
de reproduction sociale. C’est de la terre, écrit-il, que l’homme tire les ressources
matérielles, thérapeutiques, alimentaires et vestimentaires dont il a besoin pour survivre.
C’est aussi par la terre que l’homme se situe par rapport à la chaîne généalogique qui le
relie aux ancêtres.179

C. Assouplissement du principe
177
Union africaine, Banque africaine de développement et Commission économique pour l’Afrique, cadre
et lignes directrices sur les politiques foncières en Afrique, Addis-Abeba, 2010, p 9.
178
I. Nguema, la terre dans le droit traditionnel ntumu(Gabon), in Revue juridique et politique
indépendance et coopération, 1970, p1119
179
Lapika Dimonfu, Les enjeux fonciers et les conflits en République Démocratique du Congo, in La loi du
20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés au
Congo. Trente ans après : Quel bilan ? Essai d’évaluation, Louvain- la-neuve, Bruylant-Academia,
2004, p161
69

Le principe d’inaliénabilité connaît de nos jours un assouplissement. Cela relève


du caractère évolutif du droit coutumier. En effet, on observe que les terres coutumières
se trouvant à proximité des centres urbains font l’objet de vente. Les chefs de terre se
permettent de vendre à n’importe qui des lopins de terre, quitte à l’acheteur de se
présenter devant les services compétents de l’Etat pour se faire délivrer les documents
légaux. C’est ce qui fait dire à Nyamugabo que les chefs coutumiers agissent avec
l’assistance passive, complaisante de l’administration.180 Généralement les terres
vendues servent à un usage agricole. Mais il arrive aussi que ces terres soient destinées à
l’usage d’habitation. Cette situation s’observe notamment, dans le plateau de Bateke où
les Kinois obtiennent des concessions à usage agricole auprès des chefs coutumiers qui se
réclament propriétaires terriens. Les concessions ainsi obtenues sont à titre définitif
moyennant une somme d’argent.

Le professeur Kangulumba va dans le même sens, et constate que cette situation


est pareille dans plusieurs pays de l’Afrique subsaharienne, en soulignant notamment ce
qui suit :

« La propriété coutumière, qui se caractérise par une appropriation collective de la terre


et des droits d’usage sur celle-ci et sur ses produits, y est encore importante. Traditionnellement,
le chef coutumier attribue ces droits d’usage aux membres de son groupe.
Mais progressivement, en particulier en périphérie des villes, le droit coutumier se
transforme sous la pression démographique et économique, et les chefs coutumiers cèdent des
parcelles et créent des lotissements informels. Ces pratiques « néo coutumières » sont ignorées
par la loi sans être formellement interdites. Elles permettent aux populations de s’installer à
proximité des villes. Au Ghana, la majorité des terres préurbaines sont coutumières. A
Yaoundé(Cameroun), plus de 70% de la population des quartiers périphériques occupent des
terres coutumières. La situation est pareille à Dar es Salam(Tanzanie) ».181

Toutefois, il convient de noter que cette évolution entraîne parfois certains


conflits au sein du groupe. Il n’est pas rare que les membres de la communauté saisissent
l’autorité judiciaire compétente contre le comportement soit du chef soit d’un autre
membre du groupe pour avoir vendu un lopin de terre communautaire.

180
Nyamugabo Mpova, op cit, p32
181
V. Kangulumba Mbambi, op.cit, p333
70

Conclusion partielle
En droit coutumier congolais, la terre appartient à la collectivité : famille, clan ou
village. L’individu ne peut en principe être propriétaire foncier. Mais la communauté
auquel il appartient lui reconnaît le droit de jouissance individuel sur la terre
communautaire. C’est ainsi qu’il peut exploiter comme bon lui semble la portion de terre
mise à sa disposition par la communauté. A ce titre, il peut habiter, cultiver, pêcher ou
chasser sur cette terre. Il dispose également d’un droit de jachère sur la portion de terre
dont il a été le premier à défricher. Ce droit de jachère est même transmissible pour cause
de mort. Il est propriétaire des produits de son travail.

Pour qu’un étranger au groupe propriétaire foncier s’installe sur la terre


communautaire, il doit obtenir l’autorisation du chef de terre. Cette autorisation lui
permet d’exploiter la terre mise à sa disposition moyennant paiement du tribut. En
principe le droit que possède un étranger sur la terre communautaire n’est pas
transmissible pour cause de mort.

La terre communautaire est inaliénable. Elle ne peut faire l’objet d’une vente.
Cela se justifie par le fait que cette terre symbolise l’identité du groupe social. Les
membres du groupe n’ont pas d’identité en dehors de leur terre. En outre, la terre est une
source de vie pour les membres du groupe car elle leur donne tout ce qu’il faut pour leur
survie.
Les principes posés ont une influence certaine sur le droit de la femme sur la terre
communautaire. Cette question constitue notre préoccupation pour le chapitre qui suit.
71

Chapitre 2 : SITUATION DE LA FEMME SUR LES TERRES DES


COMMUNAUTES LOCALES

Sur les terres des communautés locales, la femme bénéficie des droits fonciers
d’étendue diverse en tenant compte de son statut. En effet, elle peut être membre de la
communauté qui se réclame propriétaire foncier ou étrangère à la communauté mais liée
par le lien de mariage. Dans cette dernière hypothèse, la femme peut être mariée,
divorcée ou veuve.

De ce qui précède, nous allons diviser ce chapitre en quatre sections. La première


sera consacrée aux droits fonciers de la femme en sa qualité de membre du groupe. La
deuxième analysera les droits fonciers de la femme mariée. La troisième sera axée sur la
femme veuve et la quatrième sur la femme divorcée.

Section 1. DROITS FONCIERS DE LA FEMME, MEMBRE DE LA


COMMUNAUTE

La terre coutumière, avons-nous dit, appartient à la collectivité. Cette


communauté est composée des hommes et des femmes. Ainsi, convient-il de préciser les
droits que possèdent les femmes sur ces terres.

Selon les propos recueillis auprès des notables des tribus Dinga et Mbuza182, la
femme en tant que membre du groupe propriétaire foncier accède à la terre sans
restriction. Ainsi, elle peut choisir n’importe quel endroit de son choix pour cultiver son
champs, construire sa case, élever ses bétails etc . Elle peut également couper les bois de
chauffage, cueillir les fruits sauvages, les champignons ou les chenilles. Elle n’a pas
besoin d’une quelconque autorisation pour exercer ces droits. Elle est propriétaire du
produit de son activité sur la terre qu’elle occupe. Ces propos ont été recueillis lors de
l’entretien que monsieur Mandoki Dieudonné nous a accordé en sa qualité de chef de.
groupement Likombe dans le territoire de Bumba. Les mêmes propos ont été également
tenus par monsieur Lawi, notable du village Mayumu, dans la chefferie Mateko

182
La tribu Dinga située dans la province de Bandundu est matrilinéaire alors que la tribu Mbuza se
trouvant dans la province de l’Equateur est patrilinéaire.
72

La situation semble être pareille dans beaucoup des tribus de la République


Démocratique du Congo. Ainsi, chez les Kuba, note Jan Vansina, les femmes en région
de plaine, brûlent l’herbe et arrachent les petits arbustes pour préparer des champs
d’arachides, de haricots, de mapolk( fruits ressemblant à l’arachide), de canne à sucre, de
poivre, de tomate, de fruit shol, et parfois de patate douce. La cueillette est pratiquée par
les femmes qui rapportent souvent des champignons, mollusques et autres produits de la
forêt.183

Chez les Nande, la femme célibataire a les mêmes droits que ceux reconnus à
l’homme en matière d’accès à la terre. Elle peut signer un contrat d’amodiation184 comme
amodiataire.185

Si elle défriche une partie de la forêt ou de la savane communautaire, le droit de


jachère lui sera reconnu comme c’est le cas pour tout membre du clan ou de la famille.

Cependant, une autre question est celle de savoir si la femme peut être chef de
terre appartenant à la communauté. Chez les Dinga et les Mbuza, le chef de terre doit
nécessairement être une personne de sexe masculin. On justifie ce principe coutumier par
deux raisons suivantes :
1° La femme finit par quitter son clan pour s’établir dans le clan de son mari.
Ainsi, si on la confie la responsabilité de gérer la terre communautaire, il y a risque que la
gestion soit abandonnée à un moment donné. C’est dans ce sens que s’exprime monsieur
Makanisi Léonard lorsqu’elle affirme lors d’un entretien que la femme est considérée
dans le clan comme une ‘’immigrée.’’
2° La gestion de la terre collective par la femme présente un danger, celui de voir
le mari de la femme s’emparer de la gestion de chose communautaire, alors qu’il est

183
J. Vansina, op cit, p900
184
Aux termes de l’article 1er point 4 de la loi portant code minier, par amodiation il faut entendre le contrat
de louage pour une durée déterminée ou indéterminée, sans faculté de sous-louage, de tout ou partie des
droits attachés à un droit minier ou une autorisation de carrières moyennant une rémunération fixée par
accord entre l’amodiant et l’amodiataire.
185
R. Mulendevu Mukokobya, pluralisme juridique et règlement des conflits fonciers coutumiers en
territoires de Beni et Lubero, Nord-Kivu, République Démocratique du Congo, Thèse de doctorat,
Universiteit Gent, 2011, p 124
73

étranger au groupe. Cet argument est l’œuvre du notable Masha Lekansie qui l’affirme
lors d’un entretien qu’il nous a accordé.

En droit foncier coutumier Ivoirien, la situation paraît être identique. En effet,


c’est l’homme qui est le gérant ou le gestionnaire, le maître absolu des terres de son
ménage ou de sa famille. A ce sujet, les professeurs Kone Mariatou et Ibo Guehi notent
que cette phallocratie est si forte que dans certaines sociétés matrilinéaires, même quand
c’est le tour à une femme de commander ou de diriger le lignage, on désigne un homme
qui joue officiellement ce rôle, tandis que dans les coulisses, c’est la femme qui décide. Il
y a donc une imagerie sociale selon laquelle une femme ne doit jamais manifester son
pouvoir.186
Mais il arrive que de manière exceptionnelle la femme devienne chef de terre
communautaire. C’est souvent le cas lorsque tous les mâles du clan ou de la famille sont
décédés ou lorsque le mâle qui est appelé à prendre la gestion est encore mineur. Dans ce
cas, cette cheftaine est appelée ‘’Mfumu Nkento.’’Cette expression veut tout simplement
dire chef de sexe féminin. Qu’en est-il alors de la femme mariée ?

Section 2. DROITS FONCIERS DE LA FEMME MARIEE

En droit coutumier, la femme mariée est considérée comme étrangère par rapport
à la famille de son mari. Tout en étant mariée, elle reste étrangère vis-à-vis même de son
mari. Cette situation a une influence sur le régime matrimonial des époux mais aussi sur
la nature des droits fonciers qu’elle peut avoir durant le mariage. Ainsi, allons-nous
préciser les règles relatives au régime matrimonial avant d’examiner la question d’accès à
la terre par la femme.

§1. Régime matrimonial en droit coutumier

Les auteurs s’accordent pour affirmer que le droit traditionnel connaît le régime
matrimonial. Les époux étant étrangers, l’un vis-à-vis de l’autre, ils sont régis en général
quant à leurs biens par le régime séparatiste. Le législateur du code de la famille note

186
Kone Mariatou et Ibo Guehi, op. cit, p23
74

aussi dans son exposé des motifs que la séparation des biens est le régime préféré par la
majorité des coutumes congolaises.187

En droit coutumier, le mariage est une affaire de deux familles et non du couple.
Mais chaque membre du couple reste membre effectif de sa famille ou de son clan. Ainsi
les biens de chaque époux appartiennent à sa famille d’origine. Il n’est pas question que
les biens d’un époux enrichissent le patrimoine de l’autre. Kimpianga Mahaniah écrit à ce
propos, sur la coutume kongo, que le mari et la femme appartenant à des clans différents,
les biens de chacun d’eux appartiennent à leurs clans respectifs, tandis que les enfants
appartiennent au clan maternel. Ainsi, la femme et les enfants se considèrent comme des
étrangers et passent réellement pour des visiteurs dans le clan paternel. D’ailleurs, les
sœurs, les frères, les tantes, les nièces, les neveux et les cousins paternels le leur
rappellent chaque jour.188 A.Sohier va dans le même sens lorsqu’il souligne que chez les
Noirs, comme les époux restent les membres de deux groupes différents, le régime est la
séparation de biens. En général chacun reste propriétaire de ce qu’il a apporté au ménage
et du produit de son activité propre.189 Cette option se justifie par le fait qu’aucune
famille ne peut accepter de s’appauvrir indument au profit d’une autre famille.

Le régime de séparation est observé tant chez les matrilinéaires que chez les
patrilinéaires. Dans son étude sur l’équilibre des institutions coutumières et les
successions au Zaïre, Phanzu Levo souligne qu’en vertu du principe de la séparation des
biens des époux qui est en droit coutumier le régime matrimonial des époux, la femme ne
conserve que ces champs ou le produit de son petit commerce, ses outils ainsi que ses
ustensiles de cuisine.190 Cette affirmation de l’auteur a été confirmée par nos enquêtes sur
terrain. En effet, des entretiens que nous avons sur terrain tant avec les notables de la
tribu Dinga, matrilinéaire qu’avec ceux de la tribu Mbudja, patrilinéaire, la séparation des
biens est le régime qui gouverne les biens des époux.

187
Exposé des motifs de la loi n° 87- 010 du 1er août 1987 portant code de la famille, in Journal Officiel de
la République du Zaïre, 28ème année, numéro spécial de 1987, p17
188
Kimpianga Mahaniah, La problématique du développement, Luozi, Presses de l’Université de Luozi,
2007, p145
189
A. Sohier, Le droit coutumier du Congo belge, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit
coutumier congolais, n° 12, 1946, p376
190
Phanzu Levo, L’équilibre des institutions coutumières et les successions au Zaïre, in Revue juridique et
politique, indépendance et coopération, n°4, 1972, p607
75

C’est ici le lieu de dire que la situation en la matière présente une certaine
similitude presque partout en République Démocratique du Congo. En effet, d’autres
études menées tant chez les patrilinéaires que chez les matrilinéaires ont abouti à la même
constatation.

Ainsi, chez les Kuba, matrilinéaires, Vansina note que le régime des biens
matrimoniaux est celui de la séparation. Ainsi les gains de la vente des produits des
cultures de forêt sont divisés. En pratique, pense-t-il, ces gains servent à arrondir un petit
pécule commun au ménage et qui est employé à divers achats qui doivent profiter une
fois au mari et la prochaine à son épouse.191

Chez les matrilinéaires Yombe, c’est la séparation des biens qui caractérise le
régime matrimonial. Chacun des époux garde la libre disposition de ses avoirs propres.
Ainsi, appartiennent au mari, tous les biens acquis tant avant le mariage que durant
l’union, y compris ceux issus du travail commun. La femme ne conserve en propre que
les biens acquis avant le mariage ou apportés à l’occasion de son installation dans la vie
matrimoniale. On lui reconnaît également le droit de propriété sur les produits provenant
des champs qu’elle cultive. L’argent réalisé à la suite de la vente de ces produits lui
reviendra également en propre.192 Dans le territoire de Kasenga, secteur du Moero, les
populations sont matrilinéaires. Dans son enquête sur le droit coutumier de ce territoire,
l’administrateur assistant Grignard note que le régime matrimonial des époux est la
séparation des biens. En effet, chacun conserve la propriété de ses propres biens. En règle
générale, les ustensiles du ménage sont à la femme, le mobilier, les armes, les instruments
de travail à l’homme. Quant aux champs, on distingue les champs du mari et ceux de la
femme.193

191
J. Vansina, op. cit, p900
192
Lihau Ebua et Nimy Mayidika Ngimbi, Droit successoral des sociétés traditionnelles au Zaïre( chez les
Mbuza de l’Equateur et les Yombe du Bas-Zaïre), in Revue juridique et politique indépendance et
coopération, n°4, 1972, p594.
193
I.L.J. Grignard, Enquête sur le droit coutumier des groupements Kilomba,Kyaka, Mulinda et Kuba
Bukongolo du secteur du Moero, territoire de Kasenga, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du
droit coutumier congolais, n°12, 1954, p289
76

Chez les Zande, patrilinéaires, Liegeois constate qu’ils sont régis par le régime de
séparation des biens lorsqu’il écrit notamment que dans le ménage, l’époux reste unique
propriétaire des biens acquis par héritages ou versements de dot. Les biens obtenus par le
travail commun sont répartis de commun accord entre les époux au moment de leur
acquisition. L’épouse conserve la propriété et la gestion des biens : objets ménagers,
vêtements, volailles qu’elle a apportés au foyer conjugal et de ceux provenant du partage
fait de commun accord des bénéfices de l’association. Elle reste unique propriétaire et
gestionnaire des biens hérités. Il s’agit du régime sans communauté.194

La jurisprudence coutumière soutient que chez les Baluba, patrilinéaires, le


régime des biens est la séparation des biens.195 Il en est de même chez les Basanga. En
effet, le tribunal secondaire de Bena-Ngoma a décidé qu’en cas de dissolution du
mariage, le régime des biens entre époux est la séparation des biens. Chacun des époux a
le droit de retenir le produit de son industrie. Si un champ est l’œuvre commune des
époux, le produit doit en être partagé entre eux.196

Van Hamme qui a analysé le droit coutumier des Bakwa Lubo, patrilinéaires,
souligne que le régime matrimonial en vigueur dans ce système est la séparation des
biens. Il note que la propriété mobilière collective n’existe pas, même pas entre mari et
femme. La femme possède tous les biens qu’elle a apporté au ménage et tous ceux qu’elle
a acquis de son propre denier : des vêtements, des ustensiles de ménage, de l’argent, du
bétail, de la volaille, des fétiches, des bagues, colliers. L’homme possède de l’argent, des
vêtements, des meubles, des ustensiles de ménage, de culture, de chasse et de pêche, du
bétail, de la volaille, des instruments de musique, des esclaves, le produit de ses cultures
et de celles de sa femme, le vélo, la machine à coudre, le fusil, un porte-plume, une
horloge, des lunettes au soleil.197

194
A.J.B. Liegeois, La coutume Zande, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit coutumier
congolais, n°3, 1953, p 49.
195
Tribunal de territoire de Bukama, jugement n° 651 du 17mai 1949, in Bulletin des Juridictions Indigènes
et du droit coutumier congolais, n° 4, 1951, p125
196
Tribunal secondaire de Mwashia du secteur Bena-Ngoma, jugement n°5 du 25 février 1950, in Bulletin
des Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n° 5, 1952, p301
197
Van Hamme, op.cit, p340
77

Comme on peut se rendre compte, le régime séparatiste est le droit commun en


droit coutumier. Ce régime nous paraît défavorable pour la femme. En effet, la division
du travail dans le milieu coutumier fait que la femme n’exerce pas une activité pouvant
lui permettre d’accumuler la richesse. Ses activités sont orientées vers l’entretien et la
subsistance de la famille. Elle cultive le champ pour assurer l’approvisionnement du
foyer. Elle peut également exercer un petit commerce dans le but de se procurer des
produits manufacturiers avec l’argent provenant du commerce. Mais son activité
première reste la procréation. Or, le mari a la possibilité d’exercer des activités lui
permettant d’accumuler des richesses. C’est notamment le cas de l’agriculture dans un
but commercial, la pêche, la chasse etc. En fin de compte, l’homme se retrouve avec
beaucoup des biens grâce à son activité par rapport à son épouse. S’il est vrai qu’entre
époux, il y a séparation des biens, comment la femme mariée accède- t- elle à la terre ?

§2. Accès de la femme mariée à la terre pendant le mariage

La préoccupation est de savoir si du vivant de son mari, la femme peut accéder à


la terre appartenant au clan de celui-ci. Cette question présente un intérêt lorsque le
système de résidence est la patrilocalité, c’est-à-dire, la femme réside sur les terres
appartenant au clan du mari. Si le système de résidence est la matrilocalité, la question
n’aura pas d’intérêt parce que la femme résidera sur la terre de sa communauté et
disposera donc de tous les droits fonciers.

D’une façon générale, il est admis que la femme mariée accède à la terre
appartenant au clan ou à la famille de son mari, et ce, du vivant de celui-ci. En effet, elle
a le droit de cultiver les champs, d’y habiter, de pêcher, de faire la cueillette de tout
genre. Ces droits sont reconnus à la femme tant dans le système matrilinéaire que dans le
système patrilinéaire. Les notables interrogés à ce sujet, affirment que selon les
coutumes Dinga et Mbuza, la femme mariée dispose des droits susvisés. En effet, lors de
nos enquêtes, nous avons posé la question de savoir si selon la coutume, la femme
mariée, étrangère au groupe social de son mari, pouvait bénéficier des droits fonciers du
vivant de celui-ci sur les terres appartenant au clan ou à la famille de ce dernier. A cette
78

question, tous les notables interrogés ont répondu par l’affirmative, en précisant que tant
que son mari est en vie, il accèdera sans réserve à la terre par le truchement de celui-ci.
La situation est quasiment identique dans d’autres tribus. L’enquête menée par
Mayer sur le droit coutumier des Bena Tshitolo révèle que chaque femme a son champ.
Si le mari est polygame, toutes les femmes font en outre le champ du mari. La récolte est
engrangée chez le mari, si celle-ci provient de son champ. La récolte de chaque femme
est engrangée dans la case habitée par chacune d’entre elles. 198 Chez les Yombe, la
femme a le droit de propriété sur les produits des champs qu’elle cultive.199

Marchal qui a mené des enquêtes dans le Haut-Katanga constate qu’en droit
foncier coutumier des Bazela, Balomotwa et Banwenshi, pour que la femme vienne
résider au village de son mari, il faut que celui-ci lui cède, en arrivant, un champ ou un
grenier bien fourni. Lorsque le mari prend une femme supplémentaire, il lui cède
d’ordinaire son champ « mukala », à condition qu’une autre épouse n’y ait pas travaillé
.200 De son côté, le professeur Van Der Kerken cité par Kremer, note qu’au Katanga, de
champs collectifs n’existent pas. Lorsque les terres ont été affectées aux cultures, avec
l’autorisation du chef, le champ de chacun est bien déterminé. Ce champ est individuel,
les fruits y sont individuels. Lorsque le mari est polygame, chaque femme généralement a
son champ à cultiver.201

Un coup d’œil en droit coutumier africain comparé nous renseigne que dans
certains pays de l’Afrique Centrale, la situation n’est pas différente. C’est notamment le
cas en droit coutumier gabonais où Agondjo-Okawe, analysant le droit foncier de la
société nkomi, note que l’épouse est également étrangère. Elle tient ses droits fonciers de
son époux dans les limites de ses obligations domestiques, elle a droit de propriété
privative sur ses plantations.202

198
Ch. Mayer, Enquête sur le droit coutumier des Bena Tshitolo, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du
droit coutumier, n°2, 1953, p26
199
Lihau Ebua et Nimy Mayidika Ngimbi, Droit successoral des sociétés traditionnelles au Zaïre( chez les
Mbuza de l’Equateur et les Yombe du Bas-Zaïre), in Revue juridique et politique indépendance et
coopération, n° 4, p 594
200
R.Marchal, op. cit, p 18
201
E.Kremer, op. cit, p283
202
P-L.Agondjo-Okawe, les droits fonciers coutumiers au Gabon, in Revue juridique et politique
indépendance et coopération, 1970, p1146
79

En droit coutumier ivoirien, on note qu’en région agni, en se mariant, la femme


obtient une portion de terre de son époux pour y faire des cultures vivrières. La récolte
sert généralement à l’autoconsommation. C’est avec cette production que la femme
nourrit la famille.

De même, en région sénoufo, lors du mariage l’épouse reçoit de son mari un


certain nombre de biens et présents dont le plus important est la construction d’un grenier
et une parcelle rizicole. L’époux sollicite pour elle la parcelle auprès d’un tarfolo(gardien
de terre). Il s’agit là d’un contrat foncier dont la durée dépend de celle du mariage. Ainsi,
en cas de divorce, la femme perd systématiquement le droit d’usage de la parcelle. En
outre, ce droit d’usage est non cessible et le plus souvent non transmissible.203

Comme on peut se rendre compte, la femme a le droit de propriété sur les cultures
ainsi que ses produits. Sur la terre, elle ne dispose que d’un droit de jouissance, et ce, par
l’entremise de son époux. En principe, la durée de ce droit est fonction de la durée du lien
conjugal. Il est bien entendu que la mort du conjoint est une raison mettant fin au
mariage. Ainsi, allons-nous analyser les droits fonciers de la veuve.

Section 3. DROITS FONCIERS DE LA VEUVE

Il est question ici de savoir si la femme accède aux droits fonciers après la mort de
son mari. Pour ce faire, nous allons d’abord analyser les règles coutumières relatives à la
dévolution successorale, ensuite la situation foncière de la femme veuve.

§1. DEVOLUTION SUCCESSORALE EN DROIT COUTUMIER

Les règles relatives à la dévolution successorale sont différentes selon le système


de parenté. Mais quel que soit le régime de parenté, il convient de noter que tout homme
n’a en principe qu’un seul héritier : celui qui le remplace dans la hiérarchie familiale, et
qui, selon les coutumes, a l’obligation personnelle de faire participer les autres parents

203
Kone Mariatou et Ibo Guehi, op. cit, p 25
80

aux biens et droits qu’il a recueillis.204 C’est ce qui fait dire à Manzila qu’en droit
coutumier la succession n’est pas seulement la succession aux biens du défunt, mais et
avant tout c’est une succession au pouvoir du défunt qui entraîne celle des biens. En effet,
poursuit-il, dans la société traditionnelle, les biens qui constituaient l’héritage du défunt
étaient généralement de peu d’importance. La succession au pouvoir n’est pas en principe
divisible et ceci est la raison pour laquelle la coutume n’admet que la désignation d’un
seul héritier responsable.205 C’est ainsi que dès qu’une personne meurt, tous les droits et
obligations qui composaient son patrimoine sont transmis d’office à titre universel, à
l’héritier désigné par la coutume. Celui-ci se trouve investi dès le moment du décès de
l’actif et du passif de la succession, et il lui est impossible de renoncer à celle-ci.206

Ces propos sont également partagés par les professeurs Kone Mariatou et Ibo
Guehi qui notent que la succession en droit coutumier a un double objet : la succession
aux fonctions qui consiste à transmettre des valeurs sociales et religieuses, des charges et
des pouvoirs détenus par le défunt dans le lignage. C’est aussi la transmission des
connaissances plus particulièrement en matière médicale. Il s’agit également de la
succession aux biens qui ne consiste pas seulement à transmettre des biens individuels
mais aussi les biens du lignage coutumier. La personne désignée pour les recevoir ne
devient pas propriétaire de ces biens, elle n’est qu’un administrateur ou gérant des biens
du groupe. Ainsi, en droit coutumier la désignation d’un seul héritier s’impose car la
succession aux fonctions n’est pas en principe divisible.207

Nous allons successivement dans les lignes qui suivent analyser les règles de
dévolution successorale ab intestat tant en régime patrilinéaire que matrilinéaire avant de
voir la dévolution testamentaire.

A. Succession ab intestat

204
Kilolo, Le droit coutumier des successions de la ville de Kinshasa, in Revue zaïroise de droit, n°1,
1972, p 29
205
Manzila Lutumbu sal’a sal, Les successions en droit civil zaïrois, in Revue juridique et politique
indépendance et coopération, n°4, 1972, p 512
206
Kilolo, op. cit, p29
207
Kone Mariatou et Ibo Guehi, op. cit, p 17
81

En droit coutumier les règles de la dévolution successorale ab intestat sont


différentes selon que le système de parenté est patrilinéaire ou matrilinéaire.

I. Régime patrilinéaire

Ce régime est le plus répandu en République Démocratique du Congo. Certains


auteurs estiment qu’il concerne les deux tiers de la population congolaise.208

La dévolution successorale dans ce régime se fait soit en ligne collatérale, soit en


ligne directe.

a. Succession en ligne collatérale ou horizontale

Dans la succession horizontale, les frères du de cujus sont des héritiers de premier
rang, à défaut de ceux-ci, les autres collatéraux tels que les demi-frères et cousins.
Manzila explique cette situation en soulignant que lorsque la succession est horizontale,
elle est attribuée en principe aux frères du défunt par rang d’âge, à défaut des frères, à
l’aîné des fils ou aux neveux, fils des frères, à leur défaut au père ou aux frères de celui-
ci.209 La jurisprudence coutumière luba décide que les héritiers du « de cujus » sont
d’abord ses frères germains, en cas de disparition de ceux-ci, les frères consanguins, en
commençant par le plus âgé, puis seulement les fils du défunt.

Beaucoup des tribus de la République Démocratique du Congo sont régies par ce


régime. Il en est ainsi notamment de la coutume Mbuza qui a fait l’objet de nos enquêtes.
En effet, selon cette tribu, les biens du défunt passent à ses frères et demi-frères même
s’il a laissé des enfants. Cependant, le frère du défunt qui hérite, a l’obligation de marier
les enfants du défunt en payant la dot en lieu et place du père défunt. Il a aussi
l’obligation d’assurer l’éducation des enfants lorsqu’ils sont mineurs.

208
Manzila Lutumbu Sal’a Sal, op.cit. p510
209
Manzila Lutumbu Sal’a Sal, op. cit, p510
82

Si le de cujus n’a ni frères ni demi-frères ni cousins, ses biens sont hérités par son
père ou, si son père est décédé, par ses oncles paternels.210

Il arrive exceptionnellement aussi que les enfants héritent de leur père. C’est
notamment le cas lorsque le de cujus n’a laissé en vie ni ascendants ni collatéraux
capables d’assumer la tutelle. Dans ce cas, c’est le fils le plus âgé qui devient héritier et
c’est lui qui exerce les droits reconnus aux héritiers et assume les obligations qui
incombent à tout successeur.211

Si les enfants du de cujus sont mineurs et qu’il a laissé dans son lignage ni
ascendants ni collatéraux appelés à lui succéder, c’est l’oncle maternel du défunt qui
deviendra l’héritier. Dans ce cas, il aura l’obligation de s’occuper de l’éducation des
enfants mineurs laissés par le défunt.212

Lorsque la personne décédée est une femme mariée, étant donné qu’elle reste
membre de sa famille d’origine, les biens qu’elle laisse reviennent à son lignage. Ainsi,
les biens de la défunte reviendront à ses frères et sœurs, demi-frères et demi-sœurs ou ses
cousins et cousines qui vont se les partager.

Dans une étude pertinente sur l’analyse critique de la jurisprudence des tribunaux
coutumiers relative au droit des successions en République du Zaïre, Ntambwe Makadi
relève notamment en ce qui concerne la succession horizontale que chez les Hemba, le
frère du défunt hérite de l’actif de la succession laissée par ce dernier.213 Chez les Baluba
du Shaba, la succession passe d’abord aux frères germains puis, à défaut, aux frères
utérins ou au fils du de cujus.214Dans la coutume Bayashi, il a été jugé que le frère aîné
hérite du défunt et peut, en cette qualité, poursuivre le recouvrement de la dot payée par
le de cujus.215

210
Lihau Ebua et Nimy Mayidika Ngimbi, op. cit, p591
211
Ibidem
212
Lihau Ebua et Nimi Mayidika Ngimbi, op. cit, p 591
213
Ntambwe Makadi, Analyse critique de la jurisprudence des tribunaux coutumiers relative au droit des
successions en République Démocratique du Congo, in Revue juridique du zaïre, n° 3, 1974, p163
214
Ntambwe Makadi, op.cit, p166
215
Ibidem
83

De son côté, Mayer, dans une enquête consacrée aux Bena Tshitolo souligne qu’à
la mort du de cujus, l’ensemble de la succession revient au frère aîné de la personne
décédée, à défaut, à son fils aîné. Quant à la composition de la succession, l’auteur note
qu’elle est composée des personnes, des animaux et des objets laissés par le défunt.
Ainsi, l’héritage d’un père de famille se compose de ses femmes, de ses enfants,
anciennement de ses esclaves, de son bétail, de ses poules, de ses cultures, de ses armes,
de ses instruments de travail, etc…216

La particularité de cette coutume réside dans le fait que s’agissant de la terre, c’est
toujours le fils aîné du de cujus qui l’hérite. Si ce dernier n’a pas d’enfant, c’est son frère
aîné qui en devient propriétaire sinon, elle revient aux cousins. Sur le plan pratique, tous
les fils du défunt peuvent accéder à la terre laissée par leur géniteur en y cultivant les
champs. Il en est de même en ce qui concerne le frère aîné du défunt. Il convient
cependant de noter que les filles n’héritent pas de la terre.217
En droit coutumier Nande, Mulendevu Mukokobya constate que la femme n’est
pas comptée parmi les successibles en cas de décès de ses parents ou de son mari. Elle
n’hérite donc pas de la terre218. L’héritage est assumé par les personnes de sexe masculin
de la famille. Généralement, c’est le frère aîné qui est l’héritier. Ce principe est
également observé par les ethnies de la région de l’Ituri où on note dans l’ensemble que
leurs coutumes ne permettent pas aux personnes de sexe féminin d’hériter.219

De ce qui précède, il ressort que la femme ainsi que les enfants du défunt sont
exclus en principe de la succession. Dans l’hypothèse où les enfants peuvent prendre part
à la succession, les filles en sont exclues au profit des garçons. Qu’en est-il alors de la
succession verticale ?

216
Ch. Mayer, op. cit, p15
217
Idem, p 28
218
R. Mulendevu Mukokobya, op. cit, p 126
219
R.C.N Justice et Démocratie, op. cit, p27
84

B. Succession verticale

Dans la succession verticale, en principe, l’héritier est le fils aîné du de cujus.


C’est ainsi que Ntambwe Makadi note que certaines ethnies ou groupes ethniques
patrilinéaires attribuent de préférence la succession à la descendance masculine du
défunt, avec droit de primogéniture.220 Ainsi, allons-nous passer en revue la situation en
droit coutumier congolais avant de jeter un coup d’œil en droit coutumier africain.

1. En droit coutumier congolais

Ce principe est en vigueur dans plusieurs coutumes en République Démocratique


du Congo. En effet, dans leur étude sur la dévolution successorale en République
Démocratique du Congo, le professeur Emile Lamy et Lokwa, chercheur à l’Office
National de Recherche et de Développement constatent que la succession verticale était
déjà la règle dans les sociétés pastorales du Nord-Est du Zaïre et au Rwanda et au
Burundi. Cette conception successorale trouve son fondement, semble-t-il, en fonction du
bétail. En effet, d’une part parce que le bétail unissait non pas seulement le de cujus à sa
famille, mais aussi avec un client lorsqu’il était patron pastoral ou avec un patron
lorsqu’il était le client, de telle sorte que ce lien de nature conventionnelle avait une
portée plus individuelle et restreinte et se transmettait alors de pères en fils des deux côtés
des cocontractants.221 D’autre part, poursuivent-ils, on peut aussi retenir comme motif
valable à une succession verticale en ce qui concerne le cheptel, le fait que celui-ci est,
par nature, partageable, facilitant dès lors une répartition entre les enfants, filles y
compris, avec sans doute une part préférentielle à l’aîné, mais aussi parce que le
patrimoine en bétail s’accroissant par filiation verticale, il est naturel donc normal que sa
répartition se fasse dans le même sens pour ses propriétaires.222

Dans la coutume zande, les biens du de cujus sont partagés entre ses enfants
mâles, avec avantage au fils aîné en tant que chef de famille. A ce titre, il lui appartient
de procéder au partage de l’héritage. Si les héritiers sont en bas âge, l’aîné des frères du

220
Ntambwe Mbakadi, op. cit, p 168
221
E. Lamy et Lokwa Ilwaloma, La dévolution successorale en République du Zaïre, in Revue juridique et
politique indépendance et coopération, n°4,1972, p536
222
E. Lamy et Lokwa Ilwaloma, op. Cit, p536
85

défunt sera chargé de la tutelle et de la garde de l’héritage qu’il remettra aux héritiers lors
de leur majorité. A défaut des descendants mâles, le frère aîné du défunt ou celui de ses
frères qu’il a désigné recueille l’héritage. A défaut de descendants ou de collatéraux
mâles, la fille aînée a priorité. En dernière hypothèse, la sœur du défunt hérite et partage
avec la parenté maternelle du défunt.223

Chez les Walese du territoire d’Irumu, la succession va de père en fils. Si ceux-ci


sont mineurs, le tuteur gère les biens jusqu’à ce que les enfants deviennent adultes. Au
cas où il n’y aurait pas d’héritiers, les biens sont distribués entre les frères du défunt.224
Les mêmes principes sont également en vigueur chez les Bena Ebombo. En effet, selon
cette coutume, la dévolution successorale se fait toujours en ligne paternelle. L’avoir
successoral au cas où il y a des enfants, est dévolu au fils aîné ; s’il n’y a pas d’enfant, au
frère aîné du père.225

Dans la coutume des Bakwa Lubo, en cas de décès d’un père de famille, la
succession est assurée par son fils aîné qui devient tuteur des autres enfants et qui hérite
également des femmes de son père, à condition qu’il soit adulte. Si le fils aîné n’est pas
adulte, tous les enfants passent sous la tutelle du frère aîné de leur père, qui a la garde des
biens jusqu’à ce que le fils aîné soit adulte. Il deviendra également le tuteur des femmes
du de cujus et il a le droit de marier ces femmes à des tiers, mais il devra en
compensation procurer plus tard une femme aux garçons qui sont passés sous sa tutelle. Il
perçoit également la dot des filles placées sous sa tutelle.226

Quelle est la situation en droit coutumier africain ?

2. En droit comparé africain

Certains pays d’Afrique connaissent également la succession verticale. C’est


notamment le cas du droit successoral coutumier burundais. En effet, dans une étude sur

223
A.J.B. Liegeois, La coutume zande, territoire de Dungu in Bulletin des Juridictions Indigènes et du
droit coutumier congolais , n° 3, 1953, p50
224
P.E.Joset, Notes ethnographiques sur le sous-tribu des Walese abfunkotou, in Bulletin des Juridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n°2, 1949, p96
225
L. Deremiens, Quelques considérations sur la coutume des Bena Ebombo, in Bulletin des Juridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n°3, 1953, p64
226
Van Hamme, op.cit, p342
86

la dévolution successorale en droit burundais, Joseph Bukera, Président de la Cour


Suprême du Burundi écrit que la succession ab intestat est dévolue aux plus proches
parents de la famille du défunt. Ce sont ses enfants légitimes et descendants à l’exclusion
des filles du défunt et de leurs descendants. Dans la ligne ascendante, on trouve son père,
sa mère, et ses oncles, ses grands-parents de la ligne paternelle pour héritiers.227 Précisant
l’ordre des héritiers, l’auteur note que les héritiers du défunt se répartissent en plusieurs
catégories appelées à la succession l’une à défaut de l’autre. Ainsi, les enfants légitimes
et leurs descendants, de sexe masculin sont les héritiers de la première catégorie. Le père
et la mère du défunt sont des héritiers de la deuxième catégorie. Les frères du défunt et
leurs descendants mâles viennent en troisième position.228

Au Cameroun, la succession en droit coutumier s’analyse également comme étant


une transmission des pouvoirs d’administration des biens de la famille du père au fils. Il
n’y a donc pas partage des biens au sens du code civil. L’héritier coutumier remplace le
père. Ainsi, chez les Boulous du Cameroun, l’ordre des successibles se présente comme
suit : les enfants mâles et leurs descendants à l’infini sont héritiers de la première
catégorie, les frères germains du défunt sont héritiers de la deuxième catégorie, les frères
consanguins viennent à la troisième catégorie et les cousins germains sont héritiers de la
quatrième catégorie.229

L’héritier dispose des droits et des obligations envers les membres de la famille.
Ainsi, il a le droit sur les biens laissés par le défunt, sur les veuves et les enfants, aux
titres, fonctions et honneurs. En effet, il devient l’administrateur des biens laissés par le
de cujus. Les veuves à l’exception de sa mère et les enfants passent sous son autorité. Il
hérite le titre coutumier sous lequel son père était connu dans le milieu traditionnel. De ce
fait, il fréquente les sociétés dans lesquelles son père était membre et prend la place de
celui-ci.
Parmi ses obligations, l’héritier a notamment le devoir de partager les veuves avec
ses frères majeurs et de trouver une épouse à chacun de ses plus jeunes frères à leur

227
J. Bukera , La dévolution successorale en droit burundais, in Revue juridique et politique indépendance
et coopération, n°4, 1972, p614
228
J.Bukera, op. cit, p616
229
Ngongang-Ouandji, op. cit, 650
87

majorité. Il doit entretenir ses sœurs jusqu’à leur mariage. Bref, il doit s’occuper de tous
les membres de la famille comme le ferait le de cujus.230La situation de l’héritier paraît
ici identique à celle de l’héritier en droit normand du 16éme siècle. En effet, selon J.
Musset, le fils aîné considéré comme héritier principal, était dit « tuteur naturel et
légitime » de ses frères et sœurs. Revêtu d’un véritable pouvoir domestique, il exerçait un
office familial. Tous lui devaient obéissance, respect et honneur comme il en avait été à
l’égard du père dont il prenait la place.231

Envers la société, le successeur hérite à la fois de l’actif et du passif de la


succession. Il doit payer les dettes contractées par le défunt ou bien les dettes
successorales tout court.232

Au Congo-Brazzaville, les règles coutumières de la dévolution successorale


déterminent l’héritier sinon les héritiers, en accordant la prééminence soit aux parents en
ligne patrilinéaire, soit à ceux de la ligne matrilinéaire. Mais dans le premier cas, c’est le
fils qui hérite de son père. Ces coutumes se retrouvent au nord du pays. 233Dans la parenté
patrilinéaire, les successibles directs sont : le fils aîné, ses frères germains ou
consanguins, ses oncles et tantes paternels. Somme toute, selon le droit coutumier
congolais, l’héritier direct peut être aussi bien un parent en ligne collatérale qu’un parent
en ligne directe.234
La conception du droit successoral coutumier congolais consiste à soutenir le
principe de la continuation de la personne du défunt par le successeur. Ainsi, celui qui
recueille la succession hérite non seulement les biens mais aussi les pouvoirs du défunt. Il
en est également des dettes ainsi que des créances laissées par le de cujus.235

Au Togo, le système patrilinéaire est le plus usuel. La terre est un bien collectif,
appartenant à la famille. Seuls l’usage ou l’exploitation sont individuels. S’agissant de la

230
Ngongang-Ouandji, op.cit, p646-647
231
J. Musset, Le régime des biens entre époux en droit normand, Caen, Presses Universitaires de Caen,
1997, p43
232
Ngongang-Ouandji, op.cit, p646-647
233
E. Mayinguidi , Des successions en droit coutumier du Congo, in Revue juridique et politique
indépendance et coopération, n°4, 1972, p665
234
E. Mayinguidi , op. cit, p670
235
E. Mayinguidi , op. cit, p668
88

transmission de la terre par Héritage, à la mort du propriétaire, la terre qu’il exploitait est
transmise à ses héritiers. L’héritier par excellence en droit coutumier togolais, c’est la
famille du défunt, car c’est elle qui hérite de la terre. Mais les champs ainsi que les
cultures du défunt sont hérités par son fils aîné. Celui-ci assure le partage avec les autres
héritiers, à l’exclusion des filles. Cette exclusion est justifiée par le fait qu’on évite que
les biens fonciers ne sortent du patrimoine de la famille paternelle. En effet, la terre étant
un bien collectif, la fille en se mariant, introduirait des « étrangers », c’est-à-dire ses
enfants, qui viendraient déposséder la collectivité de son patrimoine foncier.236

Le droit coutumier malgache va dans le même sens. En effet, dans une étude sur
le droit successoral malgache, Ernest Njara note qu’en cas de pluralité d’héritiers, la
gestion provisoire des biens de la succession échoît à l’aîné qui en assurera plus tard le
partage entre les successeurs. L’auteur renchérit que certaines coutumes ,celles du littoral
sud-est, refusent aux enfants du sexe féminin le droit à la succession des immeubles de
leur auteur, le souci étant la conservation du patrimoine familial ; il est à craindre que ces
derniers, une fois mariés, cèdent leur part de succession à leur mari ou à leur progéniture.
Ce qui entraînera l’intrusion d’un élément étranger dans la famille, un danger pour l’unité
du patrimoine familial. L’épouse ne peut non plus hériter de son mari les biens
immobiliers. Si elle hérite, c’est au nom de ses enfants mineurs. En qualité de simple
usager, elle peut continuer à habiter avec ses enfants la case qui était le domicile
conjugal.237
Au Burundi, il est observé également que la tradition exclut quasiment la femme
de la succession au motif que selon le système patrilinéaire, elle ne perpétuait pas la
famille où elle était née. Ainsi, chaque fois qu’elle est en concours avec des membres
mâles de la famille, elle devrait être exclue, quel que soit le degré de parenté avec le
défunt. Bien que les filles n’héritent pas de la terre, la coutume veut cependant qu’elles
reçoivent une portion de terre qu’elles peuvent cultiver tout au long de leur existence,
mais qu’elles ne peuvent ni vendre ni léguer à leurs enfants.238

236
ADA Consulting Africa, Etude sur les politiques foncières et l’accès des femmes à la terre au Togo,
Lomé, MDG3 Fund, juillet 2009, pp26-27
237
E. Njara, Le droit successoral malgache, in Droit et Cultures, n°33, 1977, p 169
238
R.C.N Justice et Démocratie, Etude sur les pratiques foncières au Burundi : Essai d’harmonisation,
www.rcn-ong.be, mars 2004, p 56
89

La même observation est faite par l’ONU-HABITAT. En effet, cette institution


constate que dans certains pays de l’Afrique australe comme le Lesotho, la Zambie et le
Zimbabwe, sous le régime coutumier, l’héritage est gouverné par les règles de
primogéniture mâle qui font du fils aîné l’héritier.239 Que peut-on tirer comme éléments
substantiels en la matière ?

De tout ce qui précède, il ressort que dans la succession patrilinéaire les femmes
ainsi que les filles sont exclues de la succession. L’épouse n’hérite pas de son mari. Cela
se justifie par le fait que selon la conception coutumière de la succession, le successeur
hérite avant tout le pouvoir du de cujus et cela entraîne également l’héritage des biens. Il
est donc difficilement acceptable qu’une femme accède au pouvoir dans la mesure où
dans la coutume, le pouvoir est tenu par les hommes. En outre, la femme mariée est
étrangère par rapport à son mari.

La fille est exclue de l’héritage foncier au motif qu’elle est appelée à se marier,
ainsi on évite qu’elle fasse introduire au sein de la famille des étrangers qui viendront
s’accaparer des biens fonciers familiaux. Par étrangers ici, on entend soit les enfants issus
de son mariage, soit son époux.

Il est aussi à remarquer que les règles coutumières en la matière sont


pratiquement identiques partout en Afrique noire. Qu’en est-il alors du régime de parenté
matrilinéaire ?

II. Régime matrilinéaire

En République Démocratique du Congo, ce régime concerne essentiellement les


populations habitant les provinces de Bandundu et du Bas-Congo. A l’époque, les deux
provinces étaient réunies et ne constituaient qu’une seule appelée Léopoldville. C’est à
juste titre que Patrice Nimi pense que l’aire du matriarcat comprend les régions des
Bayaka, Bayansi, Bambala, Balali, Batéké, Bafununga, Bawumbu, Batandu, Bandibu,
Besi-Ngombe, Bamanianga, Bamboma, Bayombe, Bakongo ya Boma, Bakabinda,

239
ONU-HABITAT, Droits des femmes au sol, à la propriété et au logement : Guide global pour les
politiques publiques, mars 2007, p 21.
90

Basolongo et Bazombo.240 Bien que les matrilinéaires soient concentrés


fondamentalement dans cet espace, il y a lieu de signaler qu’on trouve dans certaines
provinces essentiellement patrilinéaires, quelques tribus minoritaires matrilinéaires. C’est
notamment le cas dans le sud de la province du Katanga. Nous allons d’abord donner la
caractéristique de ce régime, ensuite un aperçu des critiques sur le régime sous examen
avant de tirer une conclusion.

1. Caractéristique du régime matrilinéaire

Dans ce système, la succession est toujours horizontale. En effet, elle se fait dans
la branche féminine du côté de la mère du défunt. C’est ainsi qu’elle va du défunt à son
frère le plus âgé, à défaut de celui-ci aux neveux, fils de sa sœur, et à défaut de ceux-ci
aux oncles maternels. Comme on peut s’en rendre compte, les enfants n’héritent pas de
leur père. Cela se justifie par le fait que les enfants n’appartiennent pas en principe à la
parenté de leur père, mais celle de leur mère.

Ce qui vient d’être dit a été confirmé par nos enquêtes de terrain sur la tribu
Dinga. En effet, dans cette tribu, l’héritage se transmet du défunt à son frère ou à son
neveu. La femme et les enfants ne peuvent pas hériter du de cujus. Ils sont étrangers vis-
à-vis de lui. Ainsi, ses biens ne peuvent pas quitter sa famille pour enrichir une autre
famille. C’est ce qu’affirme monsieur Mupapa willy, notable du village Kibala, chefferie
Sedjo lors d’un entretien sur la question.
La situation est pareille dans toutes les sociétés régies par ce système. C’est
notamment le cas dans la société yombe. En effet, selon les règles coutumières en vigueur
dans cette tribu, lorsqu’un homme décède, ses biens sont hérités par son frère et, à défaut,
par son neveu, son cousin ou son oncle.241Dans la coutume tshokwe, seuls les neveux
appelés « Eghwe » et les frères du défunt de la même génération héritent. Les enfants du
de cujus n’ont pas droit à l’héritage de leur père. Mais, cette coutume oblige les héritiers

240
P. Nimi , Le régime du matriarcat et ses funestes conséquences, in La Voix du Congolais, n°35, 1949,
p59
241
Lihau Ebua et Nimy Mayidika Ngimbi, op. cit, p595
91

légitimes à donner aux enfants du de cujus, avant qu’ils ne rentrent au village de leur
mère, des cadeaux pris sur les biens laissés par leur père.242

Dans une étude qui couvre la circonscription indigène des Baushi comprenant les
chefferies des Kiniama, Kaimbi, Mwenda, Kimese-Kalonda, Michaux constate que dans
cette circonscription, les biens du défunt appartiennent à son oncle maternel, et à son
défaut, au neveu du défunt. A défaut d’héritiers bien déterminés, les biens appartiennent à
ceux du même clan.243

De son côté, Decapmaker note que la teneur essentielle et caractéristique du


régime matriarcal se met au grand jour à la mort du père de famille. Le deuil est porté
principalement par l’épouse et les enfants. Mais l’enterrement et l’héritage reviennent par
le droit coutumier à la famille maternelle du défunt : soit oncle maternel, soit frère de
même mère, soit neveu maternel. L’épouse et les enfants rentrent automatiquement dans
le groupement et à la résidence de leur famille maternelle. 244

Wangana va dans le même sens lorsqu’il écrit qu’après la mort du père, ses biens
sont partagés entre ses frères et sœurs utérins. Sa veuve et ses enfants, démunis de tout, se
trouvent dans l’obligation de demander secours à leurs oncles maternels. Il arrive même
que certains frères et neveux du défunt vont jusqu’à interdire aux enfants de jouir des
mêmes droits qu’eux sur les cultures et autres biens du clan paternel précisément parce
qu’il s’agit des terres de leur clan.245

Dimbany s’interroge de son côté, combien de malheurs le matriarcat n’a-t-il pas


causé selon la coutume kongo ? il répond de la manière suivante :
« Impossible à nos femmes de conserver nos biens : si leur mari vient à mourir,
ses biens ne leur appartiendront pas. Elles disent à leurs enfants : tous ces biens, si votre
père venait à mourir, deviendraient la possession des oncles maternels de votre père

242
L. de Wilde, Essai de synthèse juridique des coutumes tshokwe concernant les biens mobiliers et les
successions, in Journal des Tribunaux d’Outre-mer, n°7, 1956, 165
243
Michaux, Etudes des juridictions de Kiniama-Kaimbi-Mwenda-Kimese-Kalonda, in Bulletin des
Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°10, 1952, p281
244
Decapmaker, Le matriarcat en face de l’évolution, in Aequatoria, n°3, 1959, p 99
245
P. Wangana , Le régime familial des Bakongo, in La Voix du Congolais, n° 39, 1949, p228
92

défunt. La mort d’un père de famille mukongo prive ses enfants de tout car les oncles
maternels du père viennent s’emparer de tous les biens du défunt. »246

Dans une étude sur les politiques foncières et l’accès des femmes à la terre au
Togo, ADA Consulting Africa souligne qu’en droit coutumier togolais, il existe aussi le
système matrilinéaire parmi les systèmes successoraux. En effet, d’après ce système, les
enfants ne font pas partie de la famille de leur père, mais de celle de leur mère. De ce fait,
ils n’accèdent pas à la succession du père lorsque celui-ci décède. C’est la famille
maternelle du père qui hérite seule des biens du défunt. La tradition togolaise veut que
tout bien acquis de la terre ne fasse pas l’objet de partage ; la terre étant un bien collectif.
Ce système, souligne l’auteur, a des conséquences désavantageuses, surtout pour les
enfants qui passent la majeure partie de leur vie à travailler avec leur père dont ils
n’hériteront jamais. Il en est de même pour leur mère. Enfin, l’auteur constate que ce
système a presque disparu dans la société togolaise contemporaine247.

En Cote d’ivoire, le matrilinéaire existe également. Selon l’étude menée par les
professeurs Kone Mariatou et Ibo Guehi, ce système se retrouve dans les groupes situés
dans le centre et sud-est du pays ainsi que dans le nord et nord-est. Dans ces sociétés,
sont appelés à la succession, non pas les enfants du de cujus mais les frères ou neveux
utérins. Quant à la femme, elle ne peut hériter de biens(matériels ou fonciers) ni en tant
que fille du défunt, ni en tant que nièce et encore moins en tant qu’épouse car ce sont les
frères qui constituent le premier ordre d’héritier et il n’y a aucune vocation successorale
entre époux. La femme est donc doublement marginalisée.248

2. Aperçu sommaire des critiques

Compte tenu des faiblesses évoquées ci-dessus, le régime matrilinéaire a fait


l’objet des critiques de la part des Evolués congolais à l’époque coloniale. Plusieurs
articles publiés dans la revue « La voix du Congolais » entre 1948 et 1959 ont été
consacrés au matriarcat. De la lecture attentive de tous les écrits parus, il ressort que

246
TH. Dimbany, Sous le joug du matriarcat, que sera l’avenir de nos enfants ?, in La Voix du Congolais, n°
85, 1953, p 220
247
ADA Consulting Africa, op. cit, p26
248
Kone Mariatou et Ibo Guehi, op.cit, p 16
93

nombreux sont ceux qui pensaient qu’il y avait nécessité d’abolir cette coutume. Une
minorité plaidait pour son maintien. Nous allons essayer de donner les arguments des uns
et des autres.

Parmi les ténors de la thèse abolitionniste, on peut citer Daniel Kanza , qui dans
plusieurs articles consacrés au régime familial chez les Bakongo fustige les méfaits de ce
système caractérisé par l’autorité de l’oncle maternel sur ses neveux et nièces, alors que
le père qui prend soin de ses enfants se trouve relégué au second plan. Ainsi, qualifie-t-il
ce régime d’injuste.249 Cette position est également celle de Decapmaker, lorsqu’il
s’étonne des effets du matriarcat en écrivant ce qui suit :
«Pour nous Européens, qui ne connaissons guère que le régime du patriarcat, cela
semble fort étrange, inconséquent, difficilement acceptable, pas viable, butant même contre la
nature. Ils sont deux pour produire un enfant, et cet enfant naît unilatéralement membre de la
famille maternelle, possédé par les oncles maternels. Ses relations à la famille paternelle restent
sans considération. Le père aime son enfant et réciproquement l’enfant vénère son père, aussi
longtemps qu’il n’est pas supplanté par l’oncle maternel. Cela se voit surtout quand
éventuellement père et mère se séparent ; alors l’intérêt de l’enfant pour son père est à peu près à
zéro, et tout le poids porte sur la famille maternelle, sa famille tout court.»250

Dans une étude sur le même sujet, Patrice Nimi reprend également les doléances
des pères de famille contre le matriarcat. L’auteur souligne que cette coutume favorise
tellement les oncles maternels que les pères de famille la considèrent comme une réelle
exploitation ; ils sont déçus et démoralisés au point de ne plus comprendre ce que sont
pour eux leur épouse et leurs enfants. Nous-mêmes, renchérit-il, avons été les victimes de
l’indifférence marquée par nos pères pour notre avenir. Pourtant, lorsque nous
considérons combien l’homme travaille, se dévoue et se sacrifie dans l’intérêt de sa
famille, quand nous considérons ce que les pères bakongo font pour leurs enfants, malgré
les entraves du matriarcat, nous devons convenir qu’ils sont de véritables dupes des
oncles maternels. Aussi, si l’on tient compte des multiples sacrifices qu’ils s’imposent
pour assurer le bien-être de leur famille et des déboires qu’ils en éprouvent, les pères
bakongo doivent en arriver à regretter de s’être mariés et d’avoir des enfants.251

249
D. Kanza , Le régime familial chez les Bakongo, in La Voix du Congo, n° 24, 1948, pp107-109 ; n°34,
1949, pp24-26 ;n°37, 1949, pp114-116
250
Decapmaker, op. cit, p99
251
P. Nimi , Le matriarcat doit payer les conséquences de son action injuste et malhonnête, in La Voix du
Congolais, n° 56, 1950, p634
94

De son côté, Raphael Batshikama relève que le matriarcat est une coutume qui
joue un rôle séparateur et détruit la famille. En effet, soutient-il, dans ce système, le mari
voit en sa femme non une compagne, mais un capital emprunté, les enfants sont
considérés comme les intérêts de ce capital dont le bailleur est l’oncle maternel. Il
s’ensuit que le père n’a aucun droit sur ses propres enfants et par conséquent, il n’a pas
non plus le devoir de les éduquer, ni de les soigner.252 C’est ainsi que dans un article sur
l’accession des noirs à la propriété foncière et le clanisme, M.G.D propose que la
politique de l’Etat en matière coutumière puisse viser l’abolition progressive du
matriarcat pour lui substituer le modèle européen de la famille qui veut que les enfants
appartiennent aux parents, mère et père. Selon l’auteur, ce modèle offre des avantages
incontestables tels que : augmentation des naissances, installation de nombreux paysans,
plus grands efforts des parents en vue d’une meilleure éducation de leurs enfants.253

Les défenseurs du matriarcat parmi les évolués n’étaient pas nombreux. C’est
ainsi qu’on ne trouve pas assez d’écrits dans ce sens. Cependant, il y a lieu de noter les
arguments avancés par Kasa-Vubu sur la question. Dans une étude intitulée « A propos
de la suppression du matriarcat, l’auteur rencontre les arguments de ceux qui plaident
pour la suppression du matriarcat. En effet, il constate que les partisans de la suppression
du matriarcat ne disent rien au sujet des garanties dont ils entendent entourer l’avenir des
enfants dans le nouveau régime qu’ils veulent instaurer. Il en est de même en ce qui
concerne les vieillards, les veuves, les orphelins, les pauvres et les enfants naturels. En
outre, poursuit-il, les partisans de la suppression de cette institution séculaire tient à
l’oubli la mère des enfants pour mettre en avant plan leurs propres intérêts.254

Le même auteur pense qu’il appartient aux parents seuls le droit sacré
(l’obligation) d’élever leurs enfants et d’assurer leur éducation jusqu’à leur émancipation.
C’est à ce moment que cesse la puissance paternelle ou maternelle. Emancipés, les
enfants deviennent leurs propres chefs, libres et égaux à leurs parents devant la loi et la

252
R.Batshikama , Qui est le chef des enfants dans le Bas-Congo ? Le seul problème, Le seul effort, in La
Voix du Congolais, n° 58, 1951, p 27
253
M.G.D, l’accession des noirs à la propriété foncière privée et le clanisme, in La Voix du Congolais,
n°34, 1949, p7
254
J.Kasa-Vubu , A propos de la suppression du matriarcat, in La Voix du Congolais, n° 64, 1951, p374
95

coutume du régime matriarcal. Comme on le constate, tous ces droits sont reconnus et
garantis simultanément par la loi et par la coutume. Il est inexact de dire que dans le Bas-
Congo, les droits du père, mêmes légitimes sont méconnus. Il y aurait lieu de distinguer
les droits légitimes des droits qu’on se donne et que l’on voudrait légitimes pour abuser
de ses enfants ; de pareils droits ne peuvent, en aucun cas, être légitimes.255

Enfin l’auteur soutient que la suppression du matriarcat est sollicitée par les
évolués qui constituent une minorité parmi la population du Bas-Congo. Etant une
minorité, ils auraient mieux fait de demander pour eux un statut juridique spécial plutôt
que de souhaiter la création d’un statut juridique applicable à tous.

Dans le statut spécial, on pourrait, par exemple, inviter ceux qui se sont affranchis
de la coutume de se marier civilement, et cela en vue de réserver la succession aux
enfants et à la veuve. Comme on le voit, un statut de ce genre ne peut certainement pas
être indistinctement appliqué à toute la population du Bas-Congo qui, en une majorité
impressionnante, respecte les institutions ancestrales. Ces institutions qui ont régi la
population du Bas-Congo pendant des siècles, ne manquent ni de vitalité ni d’efficacité.
Son efficacité se manifeste notamment par le fait que la population du Bas-Congo a
toujours été prolifique, disciplinée, économe et charitable : elle soutient, en effet, les
vieillards, les veuves, les orphelins, les enfants naturels et les pauvres. La prospérité de la
société du Bas-Congo est due à ces institutions qui en constituent le fondement.256

De ce qui précède, on peut noter que le régime matrilinéaire dénie les droits
successoraux à la femme et aux enfants, filles comme garçons. Cette exclusion se justifie
par le fait que la femme ainsi les enfants sont étrangers vis- à – vis de la parenté du de
cujus. Il convient de souligner que ce système marque une différence avec le système
patrilinéaire qui accorde aux enfants, au moins les garçons, des droits successoraux.

En somme, les deux régimes nous paraissent peu favorables à l’égard de la


femme. En effet, celle-ci n’est pas comptée parmi les successibles. Cette situation nous
paraît injuste dans la mesure où, généralement la femme participe activement à la

255
J. Kasa –Vubu, op.cit, p 374
256
J.Kasa-Vubu , op.cit, p 375
96

création des richesses de son mari. Elle prend une part décisive aux travaux champêtres,
qui constituent dans les milieux ruraux, l’activité génératrice des ressources par
excellence. C’est également elle qui prend soin de son mari. Il est donc injuste qu’à la
mort du mari, la femme ne soit pas parmi les personnes qui héritent.

Les deux régimes sont aussi discriminatoires. En effet, les personnes de sexe
masculin sont privilégiées par rapport à celles de sexe féminin.

Dans le régime matrilinéaire, la succession se transmet horizontalement mais en


suivant la masculinité. C’est ce qui fait dire à N. Rouland cité par C.Kuyu Mwissa que la
plupart des systèmes matrilinéaires sont patriarcaux, en ce sens que la transmission des
biens et des statuts se fait de l’oncle utérin aux enfants de la mère, et non pas de la mère
aux filles. Autrement dit, si la filiation prend les femmes comme points de référence,
c’est au profit des hommes qu’elle fonctionne, l’oncle maternel est le chef de la famille,
l’autorité continue à appartenir aux hommes et à leurs frères. Le matriarcat conclut
l’auteur, est donc une fiction et ne fonctionne dans aucune société.257

Le régime patrilinéaire qui prévoit la succession tant horizontale que verticale


obéit également à la règle de masculinité. Les frères héritent au détriment des sœurs et les
garçons héritent aux dépens de filles.

De ce qui précède, l’ONU-HABITAT dit mieux lorsqu’elle note que la préférence


pour le mâle est la règle, sans égard pour le lignage (matrilinéaire ou patrilinéaire). En
effet, dans les sociétés patrilinéaires, les biens passent directement aux fils, tandis que
dans les sociétés matrilinéaires ils passent normalement (à travers les femmes) au mâle
matrilinéaire le plus proche, habituellement un neveu du défunt.258 Ainsi, la succession
testamentaire peut être une possibilité pour corriger ces inconvénients.

C. Succession testamentaire

257
C.Kuyu Mwissa, Parenté et famille dans les cultures africaines, Paris, Karthala, 2005, P25
258
ONU-HABITAT, op.cit, p 21
97

Nous allons dans un premier temps vérifier l’existence du droit de tester avant de
parler des limites de ce droit.

1. Droit de tester

L’existence du testament en droit coutumier a fait l’objet des discussions. Les uns
estiment que le de cujus n’a pas le droit de tester ; et pour cela ils s’appuient sur le
brocard selon lequel « Le mort n’a plus rien en main : comment pourrait-il après son
décès disposer de biens dont il n’est plus propriétaire ? » Les autres pensent que le de
cujus a le droit de tester. Cette tendance est symbolisée par un autre brocard qui
s’exprime en ces termes : « Qui oserait sans craindre une vengeance de l’au-delà résister
à la volonté d’un mort ? »

De ce qui précède, A.Sohier résume la situation en disant qu’en principe l’homme


n’a pas le droit de disposer de ses biens par testament, mais que s’il exprime des volontés
particulières à l’égard de la dévolution de certains de ces biens, ces volontés seront
respectées.259

Selon la doctrine dominante suivie par la jurisprudence, le droit coutumier connaît


le testament en tant que dernière volonté du de cujus. Etant donné que la coutume ignore
l’existence de l’écrit, le testament est toujours oral. Il est fait devant témoin. Pour qu’il
soit valide, le testament doit être conforme à la coutume.

En principe, le testament laissé par le de cujus devrait être respecté dans la mesure
où il assurait la continuité et l’unité du clan ou de la famille. Ainsi, la liberté du testateur
concerne notamment l’ordre des successibles coutumiers tout en restant dans les limites
du clan. Voilà pourquoi le de cujus peut substituer à l’aîné un puîné qu’il estime plus
digne et plus capable. Il pourra aussi attribuer à titre particulier, certains biens aux
héritiers secondaires comme un des ses enfants, plus particulièrement une fille et à la
rigueur à son conjoint survivant, sans toutefois porter atteinte au patrimoine

259
A.Sohier , Le droit coutumier du Congo belge, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit
coutumier congolais,n° 10, 1946, p307
98

collectif.260Nos enquêtes de terrain vont dans ce sens. En effet, le juge Mbunzu


Mondonga Pierre du tribunal coutumier Mobako à Binga affirme lors d’un entretien
qu’en principe, la fille n’hérite pas. Mais si le de cujus a laissé un testament qui fait d’elle
héritière, elle va alors hériter.

Chez les Bakwa Lubo, le de cujus a le droit de déroger aux règles coutumières
d’usage en matière d’héritage. Il a le droit de faire son testament. La forme pratique sous
laquelle se présente cette dérogation aux règles coutumières est le déshéritage : le père
déshérite son fils aîné et lègue ses biens au fils puiné ou au cadet.261

Chez les Bayansi, de Beaucorps rapporte qu’en cas d’indignité des héritiers
coutumiers, il arrive que le testateur les déshérite. Dans ce cas, il rassemble autour de lui
les membres les plus anciens de son clan et les prend à témoin de sa volonté.262

La coutume tshokwe admet que le de cujus puisse tester verbalement en faveur


de telle ou telle personne de sa famille qu’il désire. Il peut disposer de la totalité ou d’une
partie de son avoir.263

Selon Grignard, dans le secteur du Moero, territoire de Kasenga, le mourant


peut par témoins qualifiés, faire connaître sa volonté de laisser telle partie de ses biens à
tel membre de sa famille. Sa volonté sera respectée. 264 Mais ce droit de tester n’est pas
sans limite.

2. Limites à la liberté de tester

La liberté de tester possède des limites. En effet le testateur est tenu de respecter
les règles coutumières. En principe, il est interdit au testateur d’attribuer tout ou partie de
ses biens à un étranger. Il ne peut pas partager le patrimoine collectif ou clanique qui
constitue une réserve impartageable. Ce patrimoine est constitué essentiellement de la
terre appartenant au clan ou à la famille. Mayer note que chez les Bena Tshitolo,
260
E.Lamy et Lokwa Ilwaloma, op. cit, p539
261
P.E. Van Hamme, op; cit, p342
262
S.J. de Beaucorps, les Bayansi du Bas-Kwilu, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit
coutumier congolais, n°6, 1933, p110
263
L. de Wilde, op.cit, p166
264
L.J. Grignard, op.cit, p293
99

généralement, le défunt partage ses biens avant sa mort. Mais il doit suivre les principes
coutumiers, sinon les parents lésés ne tiendront pas compte de la volonté du testateur.
C’est ainsi qu’il est interdit au testateur de léguer ses biens ou une partie de ceux-ci à un
ami même si celui-ci lui aurait de son vivant, rendu d’énormes services.265

L. de Wilde note que chez les Tshokwe, pour des motifs dérivant de l’idée très
ancrée de la solidarité familiale, il n’arrive guère que le testament soit fait en faveur
d’étrangers.266

En droit coutumier burundais, la liberté de tester est également reconnue à


condition qu’il ne dépasse pas certaines limites. Les limitations concernent notamment la
qualité du légataire et le testament ne peut pas être contraire à la coutume. Ainsi, par
exemple, le père peut léguer ses biens mais il doit veiller à respecter la réserve due aux
héritiers mâles.267 C’est dans ce sens que les tribunaux coutumiers burundais décident
que les dernières volontés du « de cujus » doivent être respectées si elles sont
raisonnables et justes et non contraires à la coutume.268

En droit coutumier togolais, le testament doit également pour sa validité, être


conforme à la coutume. Ainsi, le testateur est tenu , dans son testament, au respect de
l’ordre coutumier des héritiers. En principe, il n’a pas le droit de déshériter un de ses
ayants-droits, et ce, en vertu d’un principe coutumier selon lequel : « les héritiers
naissent, ils ne sont pas institués.269 »

Cette conception du testament fait dire à certains auteurs qu’en droit coutumier, le
testament a une valeur relative. En effet, soutiennent-ils, il traduit, certes, une volonté
respectable, mais qui doit, elle-même, être respectueuse de la coutume. L’autonomie de la
volonté se trouve donc enfermée dans les strictes exigences coutumières. Il s’ensuit

265
Ch. Mayer , op. cit, p16
266
L. de Wilde, op. cit, p166
267
Ch. Mabushi , La succession testamentaire en droit coutumier Burundais, in Revue juridique et politique
indépendance et coopération, n°4, 1972,pp 627- 629
268
J. Sohier, op. cit, p 698
269
ADA Consulting Africa, op. cit, p26
100

qu’après le décès du testateur, un testament peut subir des modifications sensibles allant
jusqu’à la destruction par substitution de la volonté coutumière.270

Nous sommes d’avis qu’on ne peut pas relativiser la valeur du testament


coutumier par le fait qu’il doit être conforme à la coutume. En effet, la coutume étant une
norme obligatoire, tout acte qui intervient dans sa sphère doit être conforme à elle. C’est
aussi le cas en ce qui concerne la loi écrite. Le testament doit être conforme aux
dispositions impératives de la loi, en l’occurrence, le code de la famille. Ainsi, le
testament qui serait contraire à la loi est susceptible d’être annulé.

Malgré les exigences coutumières, le testament est la meilleure voie par laquelle
le de cujus peut laisser certains biens à son épouse et à sa descendance masculine ou
féminine. C’est dans ce sens que certains auteurs pensent que la volonté du de cujus est
de nature à modérer la rigueur de la coutume en faisant de petits legs particuliers au profit
notamment de ses filles ou de sa femme.271 La jurisprudence décide que ce sont les
garçons qui héritent de leur père, à l’exclusion des filles. Le père peut cependant, en
cérémonie publique, récompenser sa fille d’un acte méritoire, la faire « son garçon » et
cohéritière de ses biens à sa mort.272

Dans le système matrilinéaire où les enfants ne sont pas comptés parmi les
successibles, le de cujus peut par voie testamentaire léguer certains biens à ses enfants, et
ce, en présence des héritiers coutumiers légitimes. Dans ce cas, ceux-ci seront engagés et
devront respecter la volonté du défunt.273Le professeur Lukombe est de même avis
lorsqu’il relève que dans les coutumes, on rencontre certains palliatifs tels que don rituel,
testaments, donations entre vifs qui permettent à l’homme africain de faire passer ses
biens à ses enfants alors que la coutume les attribuerait aux héritiers traditionnels.274
Quelle est alors la situation de la veuve par rapport à ses droits fonciers ?

§2. Droits fonciers de la veuve

270
Lihau Ebua et Nimy Mayidika Ngimbi, op. cit, p 596
271
E.Lamy et Lokwa Ilwaloma, op. Cit, p537
272
J. Sohier, op. cit, p699
273
Manzila Lutumbu Sal’a sal, op. cit, p511
274
Lukombe Nghenda, op. cit, p763
101

Nous avons noté que la terre coutumière appartient au groupe social auquel
appartient l’individu. Dans la succession coutumière, il a été constaté également que la
femme n’hérite pas de son mari et vice-versa. La question est de savoir si la veuve peut
toujours avoir accès à la terre que son défunt mari exploitait, après le décès de celui-ci. A
cette question, il nous semble que la réponse dépend de l’emplacement du domicile du
couple. En effet, le domicile des époux dépend de ce que prescrit la coutume. Ainsi,
certaines coutumes prévoient que le domicile des époux est patrilocal et d’autres
matrilocal.275 L’accès de la veuve à la terre est en principe fonction du système adopté.

Si le système est patrilocal, les époux établissent leur domicile sur la terre
appartenant au clan ou à la famille du mari. Nos enquêtes sur terrain nous renseignent que
chez les dinga, la résidence est toujours patrilocal. En effet, la femme a l’obligation de
vivre sur les terres appartenant à son mari. L’entretien que nous avons eu avec certains
notables de cette tribu, notamment monsieur Masha Lekansie révèle que si le mari ose
accepter d’aller habiter au village de son épouse, il sera banni par son clan au motif qu’il
l’a déshonoré. La même attitude est observée dans la coutume Mbudja où la résidence est
également patrilocale. A ce sujet, monsieur Mbongi Esonenele, ancien chef de secteur
est explicite, lorsqu’il affirme qu’il n’est concevable que l’homme habite au village de
son épouse.
C’est le cas dans plusieurs coutumes en République Démocratique du Congo.
Dans la province du Katanga, Jean Sohier a étudié les coutumes de quelques tribus. Sur la
question sous examen, il note ce qui suit : les Lunda sont virilocaux. Le mari choisit sa
résidence et sa femme doit le suivre, et lui la recevoir.276il en est également de Hemba, de
Luba-Katanga, de Songe, de Luba-Kasayi et de Kusu.

275
La résidence est patrilocale, lorsque les époux habitent au même lieu que la famille paternelle de
l’époux. Elle est matrilocale, lorsque le couple habite au même lieu que la famille maternelle de l’épouse.
Il convient de noter que ces deux systèmes comportent plusieurs variantes. Ainsi, la résidence des époux
peut être avunculocale lorsque le couple se fixe au même lieu que l’oncle maternel du mari. Elle peut être
virilocale, quand les époux habitent au lieu de la résidence du mari, si celui-ci vivait séparé de sa famille.
La résidence peut également être uxorilocale, si les conjoints habitent au lieu de la résidence de l’épouse
avant le mariage, lorsqu’elle vivait séparée de sa famille. Enfin, elle peut bilocale, lorsqu’elle est au choix
dans la famille de l’époux ou de l’épouse.
276
J.Sohier,Institutes coutumières Katangaises, in Problèmes Sociaux Congolais, n°63, 1963, p49
102

Dans la province du Kasaï, les Bena Tshitolo sont virilocaux. Mayer rapporte que
selon cette coutume le mari s’installe n’importe où; la femme est obligée de le suivre là
où il juge bon de se fixer.277 Deremiens qui a étudié la coutume de Bena Ebombo note
qu’en général la femme va habiter chez le mari. Il arrive parfois que le mari soit en
désaccord avec son propre « kifuku » et dans ce cas, il va habiter auprès des parents de sa
femme. Mais une telle situation est mal digérée par la famille du mari qui va le qualifier
d’esclave.278

Dans la province de Bandundu, de Beaucorps note que chez les Bayansi la femme
vient habiter le village de son mari.279Dans une autre étude consacrée au peuple basongo,
le même auteur relève que la femme quitte toujours son propre village pour venir résider
au village de son mari. L’auteur ajoute que personne n’a jamais vu un jeune époux allant
s’établir au village de son épouse, à moins qu’il ne fût lui-même esclave de celle-ci.280

De Konink, de son côté, note dans son étude sur la coutume bahutu de la province
du Kivu que la femme va habiter dans le village de son mari et doit suivre ce dernier dans
toutes ses résidences successives. Les conjoints ne peuvent se séparer, même dans le cas
de maladie. Des sanctions sont prévues à l’égard du conjoint qui ferait défaut.281

Si nous nous sommes permis de citer plusieurs coutumes, c’est tout simplement
pour dire que la patrilocalité est le système le plus répandu en République Démocratique
du Congo. La conséquence en est qu’en principe, au décès du mari, la femme est tenu de
rentrer dans son village, laissant la terre qu’elle exploitait du vivant de son mari. Le
professeur Lamy et Lokwa, parlant du veuvage, notent que la veuve reprend ses effets,
les produits de ses champs et retourne chez elle sans ses enfants, en régime patrilinéaire,
et avec ses enfants en régime matrilinéaire, solution rigoureuse qui parfois n’était guère
bénéfique pour elle et pour ses enfants. 282

277
Ch. Mayer, op.cit, p8
278
L. Deremiens, op.cit, p61
279
S.J. de Beaucorps, op. cit, p107
280
S.J.de Beaucorps, le mariage chez les Basongo de la Luniungu et Gobari, in Bulletin des Juridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n°6, 1943, p121
281
J.de Konink, le droit coutumier des Bahutu, in Bulletin des juridictions indigènes et du droit
coutumier congolais, n° 9, 1936,P210
282
E.Lamy et Lokwa Ilwaloma, op.cit, p538
103

Ce système nous paraît injuste pour la femme. En effet, si hier la terre n’était
cultivée que pour la subsistance du couple, il y a lieu de constater qu’à l’heure actuelle, il
arrive que les époux érigent des plantations de culture pérenne. Quand on sait le rôle que
joue la femme dans une telle entreprise, il est inacceptable qu’elle rentre dans sa famille
en laissant aux membres de la famille de son défunt mari ou ses enfants jouir du produit
de ses efforts sans elle-même.

C’est ainsi que pour permettre à la femme de continuer à jouir de la terre laissée
par son mari, certaines coutumes ont mis en place un mécanisme tendant à garder la
femme dans la famille du mari. Il s’agit de lévirat. C’est un système qui consiste à donner
à la veuve un autre mari issu de la famille de son mari décédé. La jurisprudence
coutumière en la matière dégage comme principe que la veuve épousera l’héritier de son
mari prédécédé, généralement un frère du défunt ou son fils aîné issu d’un autre lit, si le
défunt était polygame. Toutefois, le lévirat n’est pas obligatoire, mais la veuve qui le
refuse pourra être obligée de restituer la dot à l’héritier du mari défunt.283
De nos enquêtes, il ressort que le lévirat est pratiqué tant dans la coutume Dinga
que Mbudja. Selon monsieur Mabiala Donat, notable Dinga, le lévirat consiste dans le
fait que le petit-frère du défunt hérite de la femme de son grand-frère. Souvent, dit-il, il
s’agit d’une femme qui est appréciée par la famille. Si la femme refuse de devenir la
femme de la personne qu’on a choisi pour elle, elle risque de se voir tout ravir et d’être
obligée de restituer la dot. Mais il convient de noter que cette pratique ne se réalise que si
la femme est encore relativement jeune. Si elle a déjà pris de l’âge, elle pourra toujours
rester dans la famille de son défunt mari, sans qu’elle soit reprise par une autre personne.
La situation paraît identique chez les Mbudja, sauf qu’ici, si le défunt était polygame, son
fils peut hériter de l’une de ses femmes. Ceci ressort de l’entretien que nous avons eu
avec le notable Nzeni Loliya, greffier au tribunal coutumier, 8ème chambre à Binga.

Certains auteurs estiment que cette coutume est instituée surtout dans l’intérêt de
la femme. Dans certains groupes, ce sont les parents de la femme qui font une démarche
auprès des héritiers pour demander un nouveau mari. Le consentement de la femme est
requis. Mais il arrive souvent que ce consentement soit influencé par les membres du clan

283
Ntambwe Makadi, op. cit, p186
104

de son mari défunt. La femme reste ainsi dans le milieu où elle a ses habitudes, auprès de
ses enfants. Cette institution est également dans l’intérêt des parents de la veuve qui n’ont
pas à se charger d’elle, ni à restituer la dot, ni à rompre l’alliance. 284 Phanzu Levo
souligne également l’intérêt de cette institution pour la veuve lorsqu’il écrit que le régime
des successions est conçu de telle manière que la femme reste dans le clan de son mari et,
en devenant l’épouse de l’héritier de ce dernier, elle continuera à jouir des biens laissés
par son mari. Elle ne sera donc pas abandonnée à elle-même. La veuve ainsi remariée
dans le clan de son mari défunt conservait pratiquement le même statut socio-économique
qu’avant la mort de ce dernier.285
A propos de lévirat, le professeur Mulumba Katchy écrit ce qui suit :
« Toutes les coutumes congolaises connaissent et consacrent cette institution. Le lévirat
consiste à obliger un homme à épouser la veuve de son frère. Nous ne cesserons de répéter qu’en
droit coutumier, bien que l’union conjugale soit éteinte par le décès d’un conjoint, l’alliance
subsiste entre le survivant et sa belle-famille, aussi longtemps que la dot n’est remboursée et que
les indemnités obligatoires ne sont payées. Il se peut même qu’une nouvelle union se greffe sur
l’ancienne alliance, confortée par les liens précieux de solidarité entre les deux familles. Au fond,
on peut soutenir que le mariage fait entrer définitivement la femme dans la famille de son mari,
de telle sorte que même la mort de ce dernier ne peut pas dissoudre le mariage. De ce fait, la
veuve fait partie de l’héritage et reste dans le foyer conjugal par le système du lévirat ; elle sera
héritée par un frère du défunt ; en cas de refus, elle devra rembourser intégralement la dot pour se
libérer.
Cette pratique est instituée dans l’intérêt de la veuve, dans l’intérêt des parents de celle-ci
et dans l’intérêt des enfants.
L’intérêt de la veuve réside dans la prise en charge automatique et dans son maintien,
dans son environnement social où elle s’épanouirait auprès de ses enfants.
Les parents de la veuve y trouvent aussi leur compte, en ce qu’ils ne pourront pas se
charger d’elle, ni restituer la dot, ni rompre l’alliance.
Enfin les enfants restent à charge de la famille de leur père et de leur oncle paternel
héritier.286 »
Le lévirat permet à la veuve de continuer à jouir de la terre laissée par son mari
défunt parce que dans ce cas l’alliance n’est pas brisée.
La veuve a la possibilité de refuser de devenir l’épouse de l’héritier du défunt.
Mais ce refus l’expose à des graves difficultés. D’abord, son retour dans son clan
d’origine suscite quelque réprobation du fait que son attitude entraîne l’obligation pour
ses ayants droit de rembourser la dot qui n’est pas toujours facile à réunir. Ensuite, ce

284
A. Sohier , op.cit, p 386
285
Phanzu Levo, op. cit, p 607
286
Mulumba Katchy, Introduction à l’étude du droit coutumier congolais, Kinshasa, CERJA, 2011, pp 92-
93
105

refus entraîne la rupture de l’alliance entre les deux clans.287 C’est ainsi qu’il arrive que la
veuve accepte sous pression morale de devenir l’épouse de l’héritier du de cujus.

Le lévirat est un système connu également dans certains pays africains. L’ONU-
HABITAT note qu’au Swaziland, les droits de propriété des veuves sont souvent fonction
non seulement des bonnes relations avec la famille du défunt, mais aussi de l’observation
de certains rituels coutumiers tels que le lévirat ou héritage de la veuve par un frère du
défunt.288

Le droit coutumier béninois connait également cette pratique. En effet, dans une
étude consacrée au plaidoyer en faveur de l’effectivité des droits de la femme dans ce
pays, Elvire Ahounou-Houenassou souligne que la femme en droit traditionnel est
considérée non comme un être humain mais plutôt comme un bien appartenant à son
époux et faisant partie intégrante de son héritage. A ce titre, elle est contrainte de se
remarier à la mort de son époux ou au frère ou au fils aîné d’une autre épouse du défunt,
pour rester dans la famille. Ce système s’observe surtout dans les régions où la dot est
obligatoire avant tout mariage.289
Le droit coutumier burundais pratique aussi le lévirat mais uniquement pour la
veuve qui n’a pas eu d’enfant avec le de cujus. Si elle accepte le mari qu’on lui propose,
elle peut garder la propriété laissée par son défunt mari. Au cas contraire, elle sera forcée
d’une manière ou d’une autre à quitter les lieux.290

Malgré les avantages que présente le lévirat, il nous semble que ce système est
contraire à la dignité de la femme. En effet, il n’est pas normal que la veuve soit obligée
de s’engager dans une nouvelle union non par amour mais tout simplement pour des
avantages matériels. En outre, elle ne doit pas être un objet de marchandage entre les
deux clans. Le remboursement de la dot semble être l’une des raisons majeures obligeant
la femme d’accepter d’épouser l’héritier de son mari défunt. Nous pouvons comprendre
que la dot soit remboursée en cas de divorce mais pas en cas de décès. En effet, la mort
287
Phanzu Levo, op.cit, p607
288
ONU-HABITAT, op.cit, p 21
289
E. Ahounou-Houenassou, Plaidoyer pour une effectivité des droits de la femme au Bénin, www.wildaf-
ao.org, juillet 2002, p 6
290
R.C.N justice et démocratie, Etude sur les pratiques foncières au Burundi :Essai d’harmonisation, mars
2004, p59
106

constitue une cause normale de la dissolution du mariage et personne ne peut y échapper.


C’est ainsi d’ailleurs que l’article 541 du code de la famille dispose : « Nonobstant toute
coutume contraire, le mariage se dissout de plein droit par la mort de l’un des époux. » Le
remboursement de la dot, à notre sens, n’a pour but que d’assujettir la femme dans la
mesure où sa condition sociale ne lui permet pas facilement d’y faire face.

C’est dans ce sens que, évoquant la situation précaire de la veuve, Nankara


Waka écrit notamment que le meilleur sort qu’on lui réserve est celui d’être cédée en
héritage à un des frères cadets du de cujus, voire à un des enfants de son mari si celui-ci
était polygame. Sinon, elle retourne à sa famille d’origine dépouillée de ses enfants et de
tous les biens du ménage. C’est le cas souligne- t- elle de la coutume luba dans la
province du Kasaï.291

S’agissant de l’accès de la veuve à la terre après le décès de son mari, nous


pensons que pour respecter le caractère collectif de la terre et compte tenu du fait que la
femme est étrangère au groupe social de son mari, on peut lui reconnaître un droit
d’usufruit sur la terre qu’elle exploitait avec son défunt mari. Cela lui permettra de
continuer à mener une vie acceptable et qu’à sa mort, la terre concernée fera retour au
patrimoine foncier collectif de son défunt mari.

Certaines coutumes minoritaires appliquent la matrilocalité en République


Démocratique du Congo. Dans ce cas, le domicile des époux se situe sur la terre
appartenant au clan ou à la famille de la femme. Tel est le cas de Lamba, Lala et Sanga
dans la province du Katanga. Dans ces coutumes, le mari s’établit dans le village de son
épouse pour un certain temps. Une fois le mariage stabilisé, il peut être autorisé à établir
le domicile conjugal en dehors du village de sa femme, après avoir accompli ses
obligations culturales chez ses beaux-parents.292

Grignard, dans son enquête sur le droit coutumier dans le secteur du Moero note
que la matrilocalité est le système applicable. En effet, parlant de l’habitation des

291
P. Nankara Waka, Féminisation de la pauvreté au Congo-Kinshasa, in Revue de droit africain, n°5,
1998,p 21
292
J. Sohier, op. cit, p48
107

conjoints, l’auteur écrit que pour deux ou plusieurs années, l’homme habite le village de
la femme où on l’observe et où il doit faire toutes les corvées que lui impose sa belle
famille. S’il donne satisfaction, au bout de 3 ou 4 ans, il pourra retourner, avec sa femme
dans son propre village. 293

Michaux constate que dans la circonscription des Baushi, la matrilocalité est le


système en vigueur dans cette juridiction. En effet, note- t-il, autrefois, en cas du refus du
jeune homme de respecter la règle de matrilocalité, il était astreint au paiement d’un
cadeau à la famille de son épouse. Cependant lorsque le mari avait travaillé pendant
plusieurs années chez les parents de sa femme, il était admis qu’il reparte dans son village
natal.294
Comme on peut s’en rendre compte, dans ce système il est autorisé au mari d’aller
s’établir avec sa femme dans son village, et ce, après avoir réalisé certains travaux
champêtres. Le but de cette obligation est de permettre à la belle famille de s’assurer que
le mari est à mesure de prendre en charge sa femme. Par rapport à l’accès à la terre par la
femme, tant que le couple reste dans le village de la femme, le problème ne s’opposera
pas. En effet, si le mari meurt, la femme bénéficiera des portions de terre qu’elle
exploitait avec son mari parce qu’elle est membre de la communauté propriétaire foncier.

Mais si le mari meurt au moment où le couple se trouve déjà dans son village, la
femme n’accèdera pas à la terre qu’elle exploitait avec lui, sauf si on applique le lévirat.

En somme, la veuve n’hérite pas de son mari. S’agissant particulièrement de


l’héritage foncier, le caractère collectif de la terre coutumière empêche qu’une personne
étrangère au clan puisse l’hériter. Ainsi, la femme étant étrangère au clan du mari, ne peut
pas prétendre à un droit quelconque sur la terre que son mari exploitait en cas de
patrilocalité. La situation de la veuve semble être favorable en cas de matrilocalité. Mais
il convient de signaler que très peu des coutumes adoptent ce système. En outre, la
matrilocalité est généralement temporaire. C’est souvent au début du mariage que
l’homme vit dans le clan de sa femme. Après quelques temps, il lui est autorisé de rentrer

293
L.J. Gringnard , op. cit, p288
294
Michaux, op. cit, p275
108

chez lui avec sa femme pour passer le reste de leur vie de couple. Ainsi, souvent l’homme
meurt sur la terre de son clan et le problème de l’accès de la veuve à la terre reste entier.
Qu’en est-il alors en cas de divorce ?

Section 4. DROITS FONCIERS DE LA FEMME DIVORCEE

En droit coutumier, le divorce est une cause de dissolution du mariage. Il met fin
aux droits et obligations dérivant du mariage ainsi que le régime matrimonial. S’agissant
de ce dernier, étant donné que le droit coutumier consacre la séparation des biens, chaque
époux est tenu de reprendre ses biens. Mais s’agissant des produits du champ cultivé en
commun par les époux, les solutions sont divergentes.

En effet, selon la jurisprudence des tribunaux du territoire de Kasenga, les


produits du champ doivent être partagés entre époux. C’est ainsi que dans une espèce il a
été jugé qu’en cas de dissolution du mariage, le régime des biens entre époux est la
séparation des biens. Chacun des époux a le droit de retenir le produit de son industrie. Si
un bien, comme un champ, est l’œuvre commune des époux, le produit doit en être
partagé entre eux.295

Dans une autre espèce, il a été jugé que là où le divorce est de la compétence des
autorités familiales, le tribunal se borne à le constater. L’épouse divorcée a droit à une
partie des biens produits en commun par le ménage, comme une part de la récolte des
champs des époux.296
Cette position est également celle du droit coutumier Dinga. En effet, selon
l’interview qui nous a été accordée par monsieur Naboto Bernard, notable du village
Mayumu, il ressort qu’en cas de divorce, la femme a droit à la totalité de la récolte si le
champ lui appartient. Si le champ est l’œuvre commune, elle aura droit à la moitié de la
récolte.

295
Tribunal secondaire de Mwashia du secteur Bena-N goma, jugement n°5 du 25-2-1950, in Bulletin des
Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°10, 1952, p301
296
Tribunal secondaire de Kilomba du secteur Moero, jugement n°47 du 20 mai 1951, in Bulletin des
Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°10, 1952, P298
109

En revanche, chez les Nkundo, Hulstaert rapporte que la femme divorcée ne peut
plus faire valoir le moindre droit sur les cultures qu’elle a établies sur le terrain défriché
par son mari. En général, tous les fruits de son activité diverse restent la propriété du
mari ; elle-même n’y a plus aucun droit. Mais de nos jours, renchérit-il, il n’est pas rare
que les conjoints lors de leur séparation définitive, partagent certains bénéfices de leur
activité commune, comme : argent, habits, étoffes, ustensiles de ménage.297

E.Mwanzo note également que chez les Luba-Katanga, en cas de divorce, les
champs que les époux ont cultivés ensemble constituent la propriété du mari. Ainsi, la
femme divorcée ne peut faire valoir aucun droit sur les cultures qu’elle a établie sur le
terrain du mari.298 Le même principe est aussi retenu chez les Mongo.299
Le droit coutumier Mbudja va dans le même sens. En effet, de l’entretien que
nous avons eu avec monsieur Mongenzo, juge assesseur au tribunal de paix de Bumba, il
s’avère qu’en cas de divorce, la femme n’a pas droit à la récolte même si le champ lui
appartenait seule. Elle doit tout laisser au profit de son ancien mari.

De ce qui précède, il ressort que la femme peut avoir ou pas droit à la moitié des
produits du champ cultivé en commun. Cela dépend d’une coutume à une autre. Mais
dans tous les cas, il s’agit là des produits du champ et non du champ lui- même.

Concernant l’accès à la terre, l’emplacement du domicile des époux constitue le


critère pour que la femme accède ou non à la terre lors du divorce. En effet, si la
résidence des époux est régie par le principe de patrilocalité, la femme ne conservera
pas la terre en cas de divorce. Le caractère collectif de la terre empêche que la femme y
conserve, étant donné qu’elle est étrangère au groupe propriétaire. Le lien qui lui
permettait d’avoir droit à la terre appartenant au groupe de son mari étant rompu, elle est
tenue de rentrer dans son clan ou dans sa famille. Telle est la situation chez les Dinga du
territoire d’Idiofa ainsi que chez les Mbuza du territoire de Bumba. En effet, selon les
enquêtes menées auprès de ces deux tribus, la résidence étant patrilocale, la femme rentre

297
G. Hulstaert, Le divorce chez les Nkundo, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit coutumier
congolais, n°5, 1937, p156
298
E. Mwanzo Idin’Aminye, L’égalité des époux en droit congolais de la famille, Thèse de doctorat,
Université Catholique de Louvain, 2008- 2009, p208
299
E. Mwanzo Idin’Aminye, op.cit, p211
110

chez elle en cas de divorce, en laissant les terres cultivées appartenant à la famille ou au
clan de son mari. Ces propos nous ont été confirmés par tous les notables consultés.
Monsieur Zaluka, notable Mbudja, rapporte qu’en cas de divorce, la femme doit
immédiatement quitter son mari et rentrer chez elle. De son côté, monsieur Masha
Lekansie, notable Dinga, affirme qu’en cas de divorce, le mari doit immédiatement
accompagner la femme dans sa famille.

Si la résidence des époux est matrilocale, la femme étant sur sa terre familiale,
restera propriétaire du champ cultivé en commun. Dans ce cas, c’est le mari qui pourra
bénéficier de la moitié de la récolte du champ et rentrera dans son clan.

Il convient de noter que ce principe de partage concerne les cultures saisonnières.


Qu’en est-il des cultures pérennes ? La jurisprudence coutumière en la matière ne nous
donne pas des cas concernant ce genre de culture. Mais selon la coutume Dinga, la
femme n’aura pas droit à une quelconque récolte. C’est ce qui ressort de l’entretien que
nous avons eu avec monsieur Masha Lekansie, notable de cette tribu. Cependant, nous
pensons que dans ce cas, l’époux qui restera propriétaire de la plantation devrait pour des
raisons d’équité, verser à l’autre une indemnité correspondant au bénéfice qu’il va tirer
des récoltes futures de la plantation.

Mais, comme nous l’avons souligné précédemment, la matrilocalité qui est


avantageuse pour la femme n’est malheureusement pas répandue et là où elle existe, elle
est souvent provisoire, parce que l’homme a la possibilité de rentrer chez lui après un
certain temps. C’est ainsi que dans la majorité des cas, la femme est toujours dans une
situation désavantageuse. Que dire alors en conclusion pour cette partie ?

Conclusion partielle

En conclusion, nous pouvons retenir que les terres de communautés locales sont
régies par la coutume. Selon celle-ci, ces terres appartiennent au clan ou à la famille.
L’individu en tant que membre de la communauté possède certains droits sur la terre. En
effet, il a le droit de jouissance lui permettant d’habiter, de cultiver, de pêcher ou de
chasser sur la terre de sa communauté. Cependant, il est propriétaire des produits de son
111

activité sur cette terre. Les étrangers bénéficient aussi des droits pouvant leur permettre
de jouir de la terre.

S’agissant des droits de la femme sur les terres appartenant aux communautés
locales, ils sont fonction des liens qui l’unit à celles-ci. En effet, si elle est membre du
groupe, elle possède les mêmes droits que les autres membres du groupe. Cependant, en
matière de succession, elle n’a pas les mêmes droits que l’homme. Elle est exclue en
principe de la succession. Elle n’hérite qu’exceptionnellement s’il n’y a plus d’hommes
dans le clan ou dans la famille. De même, elle ne peut être cheftaine de terre que s’il n’y
a pas un homme apte à exercer cette fonction.
Lorsque la femme est liée au groupe par le mariage, elle bénéficiera par
l’entremise de son mari d’un droit de jouissance pouvant lui permettre d’habiter, de
cultiver, de pêcher, et ce, du vivant de son mari. Si l’alliance est éteinte, en principe, les
droits de la femme sur la terre appartenant à la communauté de son mari prennent
également fin et elle doit rentrer dans sa famille. L’alliance peut prendre fin soit par la
mort du mari ou de la femme, soit par le divorce.

Force est de constater que lorsque l’alliance prend fin, la femme rentre dans sa
famille en laissant tout ce qu’elle avait investi sur la terre appartenant à la communauté
de son mari. Lorsqu’on sait le rôle de la femme dans le monde rural, on est en droit de
penser que cette situation n’est pas équitable. D’où la nécessité de réfléchir sur les voies
et moyens pouvant améliorer sa situation. Mais avant cela, nous allons d’abord examiner
la situation de la femme sur les terres rurales et urbaines.
112

PROVINCE ORIENTALE

EQUATEUR

NORD-
KIVU

SUD-
KASAI- KIVU
ORIENTAL MANIEMA

BANDUNDU
BAS-CONGO

KINSHASA
BAS-CONGO KASAI-
OCCIDENTAL

KATANGA

LEGENDE
PROVINCES AYANT FAIT L’OBJET D’ENQUETES :

MATRILINEAIRE :

PATRILINEAIRE :
113

2ème Partie: DROITS FONCIERS DE LA FEMME SUR LES TERRES RURALES


ET URBAINES

A la différence des terres appartenant aux communautés locales, sur les terres
urbaines et rurales, la femme accède d’une manière générale à la terre dans les mêmes
conditions que l’homme, exception faite de la femme mariée.

Etant donné que ces terres sont régies par les dispositions de la loi n°73-021 du 20
juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des
sûretés, nous avons jugé bon de les analyser ensemble, au motif que par rapport à la
situation de la femme, les règles applicables présentent certaines similitudes.

Avant d’analyser les droits fonciers de la femme sur ces terres, nous allons
d’abord essayer de passer en revue les règles qui les régissent. Cela se justifie par le fait
que les principes régissant ces terres ont une influence sur les droits de la femme en la
matière. Ainsi, cette partie est divisée en deux chapitres : le premier est consacré à la
gestion des terres rurales et urbaines et le deuxième est axé sur l’accès de la femme à ces
terres. Cette partie sera clôturée par une conclusion.

Chapitre premier : Gestion des terres rurales et urbaines

Ce chapitre est subdivisé en deux sections. La première section concerne la


gestion des terres rurales et la deuxième section analysera la gestion des terres urbaines.

Section 1 : Terres Rurales

Les terres rurales sont actuellement régies par les dispositions de la loi sus-
évoquée. Cette loi ne les définit pas. Mais elle dispose en son article 60 que :

«Les terres qui font partie du domaine privé de l’Etat sont urbaines ou rurales. Les terres
urbaines sont celles qui sont comprises dans les limites des entités administratives déclarées
urbaines par les lois ou les règlements en vigueur. Toutes les autres terres sont rurales….. »300

300
Art 60 de la loi n°73-021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et
immobilier et régime des sûretés.
114

De cette disposition, on peut dire que les terres rurales sont celles qui ne sont pas
déclarées urbaines par la loi. Mais là aussi, se pose un autre problème. En effet, sur
l’espace rural coexistent deux catégories de terres. La première catégorie est constituée
des terres appartenant aux communautés locales. Ces terres, comme nous l’avons vu dans
la première partie de cette étude, sont régies par la coutume. Sous l’Etat Indépendant du
Congo ainsi que pendant la période coloniale, ces terres étaient appelées terres indigènes.
La deuxième catégorie concerne les terres sur lesquelles les communautés locales
n’exercent pas apparemment un quelconque droit. C’est ce qu’on a appelé à l’époque
terres vacantes, que la loi foncière en vigueur qualifie de terres rurales. Sur ces terres,
l’Etat accorde aux particuliers, personnes physiques ou morales, le droit de jouissance
appelée concession. C’est cette dernière catégorie de terres qui nous intéresse dans cette
deuxième partie de notre étude.

Avant l’actuelle loi, ces terres avaient fait l’objet d’une règlementation tant sous
l’Etat Indépendant du Congo que sous la colonisation. Ainsi, cette section sera examinée
en deux paragraphes. Le premier paragraphe sera consacré à l’analyse de la législation
existante avant l’entrée en vigueur de la loi n°73/021 du 20 juillet 1973 portant régime
général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés. Le deuxième
paragraphe va concerner l’analyse des terres rurales sous l’empire de la loi précitée.

§1. Régime des terres vacantes sous l’Etat Indépendant du Congo et la colonisation

Le régime foncier sous cette période est constitué d’un certain nombre des textes.
Notre préoccupation est de connaître les principes qui ont été édictés par l’autorité en vue
de la gestion des terres vacantes. Ces principes sont contenus dans les textes qui avaient
été pris par les autorités de l’Etat ayant pour but la gestion des terres. Mais notre
attention sera focalisée sur les textes qui nous paraissent avoir un impact direct sur les
terres vacantes.

A. Principe de la domanialité des terres vacantes

Le principe de la domanialité des terres vacantes a été posé pour la première fois
par l’ordonnance du 1er juillet 1885 de l’administrateur général au Congo sur
115

l’occupation des terres. Ce texte qui n’a que deux articles commence par une
proclamation qui annonce que le Roi-Souverain prendra un décret pour contrôler les
terres possédées par les non-indigènes. La proclamation est libellée comme suit :

«Un décret du Souverain invitera incessamment tous les non-indigènes qui possèdent
actuellement ou occupent actuellement à un titre quelconque des terres situées sur le territoire de
l’Etat Indépendant du Congo, à faire une déclaration officielle indiquant ces terres et à soumettre
à l’examen et à l’approbation du gouvernement les contrats et les titres en vertu desquels ils les
occupent.
Le décret a pour but d’assurer, dans les formes qui seront prescrites, la reconnaissance
des droits acquis, et de permettre l’organisation régulière, dans un avenir proche, de la propriété
foncière dans le dit Etat.
En attendant, pour éviter des contestations et des abus, l’administrateur général, autorisé
à cet effet par le Souverain, arrête les dispositions suivantes.»

Si l’article premier de cette ordonnance concerne les droits fonciers détenus par
les non-indigènes avant la proclamation de l’Etat Indépendant du Congo, l’article
deuxième de ce texte consacre pour la première fois la catégorie des terres vacantes et
pose en même temps, le principe de la domanialité selon lequel les terres vacantes
appartiennent à l’Etat.

Ainsi, cet article est libellé comme suit :


«Nul n’a le droit d’occuper sans titre des terres vacantes, ni de déposséder les
indigènes des terres qu’ils occupent ; les terres vacantes doivent être considérées comme
appartenant à l’Etat.»301

Analysant l’opportunité de ce texte, G. Kalambay Lumpungu estime qu’il s’agit là


d’un acte conservatoire de l’Etat Indépendant du Congo sur toutes les terres qui seraient
considérées par les populations indigènes comme n’appartenant à personne, puisque le
même Etat n’a cessé de proclamer le respect des terres occupées par les indigènes sous
l’autorité de leurs chefs conformément aux coutumes et aux usages locaux. En d’autres
termes, poursuit-il, ce sont ces coutumes et usages locaux qui déterminent la qualité des
terres occupées par les populations indigènes et celle d’éventuelles terres vacantes.302

301
B. O, p 30
302
G. Kalambay Lumpungu, Le droit foncier zaïrois et son unification, Thèse de Doctorat, Université
Catholique de Louvain, 1973, p34
116

Les termes de l’ordonnance précitée ont été confirmés par le décret du Roi-
Souverain du 14 septembre 1886. En effet, les articles 2 et 3 de ce texte disposent :

« Article 2. Les terres occupées par des populations indigènes sous l’autorité de leurs
chefs, continueront d’être régies par les coutumes et les usages locaux.
Les contrats faits avec les indigènes pour l’acquisition ou la location de parties de sol ne
seront reconnus par l’Etat et ne donneront lieu à enregistrement qu’après avoir été approuvés par
l’administrateur général au Congo.
Celui-ci pourra déterminer les formes et les conditions à suivre pour la conclusion des
dits contrats.
Sont interdits tous les actes ou conventions qui tendraient à expulser les indigènes des
territoires qu’ils occupent ou à les priver, directement ou indirectement, de leur liberté ou de leurs
moyens d’existence. »
«Article 3. Les terres vacantes et les autres terres appartenant à l’Etat que le
gouvernement jugera convenable d’aliéner ou de donner en location, seront vendues ou louées par
les soins du conservateur des titres fonciers, conformément aux dispositions qui seront arrêtées
par l’administrateur général du département des finances. »303

Ce décret, tout en déterminant le régime juridique des terres appartenant à des


communautés locales, confirme le caractère domanial des terres vacantes en fixant
également le sort réservé à ces terres. En effet, l’article 2 de ce texte précise que les terres
occupées par les indigènes sont régies par la coutume et usages locaux. En outre, il
prévoit aussi l’intervention de l’Etat pour approuver tout contrat intervenu entre les non-
indigènes et les indigènes. Cette approbation de l’administrateur général avait pour but de
permettre à l’Etat d’avoir la maîtrise de la situation foncière, mais aussi d’assurer aux
indigènes une certaine protection face aux abus éventuels des non-indigènes qui
paraissaient beaucoup plus avertis en matière de négociation commerciale ou autre.

Quant aux terres vacantes, l’article 3 confirme leur domanialité déjà proclamée
par l’ordonnance de l’administrateur général. Il précise également que ces terres vacantes
sont destinées à la vente ou à la location.

Il convient cependant d’observer que cette législation reste imprécise dans ce sens
qu’elle ne définit pas ce qu’il faut entendre par terre occupée ou encore terre vacante. Ce
manque de précision a été à la base d’une certaine interprétation de la part de

303
B.O., p 32
117

l’administration de l’époque, ayant pour conséquence de réduire l’espace vital de la


population indigène. En effet, l’étendue des terres vacantes dépendait de ce qu’il fallait
entendre par terre occupée par les indigènes. Analysant les conséquences de l’ordonnance
de 1885 et du décret de 1886, G. Kalambay Lumpungu note que les terres occupées par
les indigènes et les terres vacantes ont deux points communs, c’est qu’elles ne sont ni
délimitées, ni enregistrées au point que les terres vacantes peuvent se confondre avec les
terres indigènes. Mais cependant, poursuit-il, entre elles, en vertu de la loi, réside une
différence importante. Les premières sont soumises au droit coutumier, les secondes
relèvent de l’organisation foncière de droit écrit.304

Pour sa part, A.Sohier s’interroge sur ce qu’il faut entendre par terre vacante. Il
répond qu’au sens juridique, c’est une terre, ou bien qui n’a jamais eu de maître, ou bien
qui, en ayant eu un, n’en a plus, soit par suite d’abandon volontaire, soit par déshérence.
L’auteur ajoute, si on interprète selon la terminologie juridique stricte, l’ordonnance de
1885 ainsi que le décret de 1886 n’attribuaient à l’Etat que relativement peu de territoires.
Mais la pratique administrative et les concessions vont révéler que l’Etat considère
comme terres vacantes toutes les terres indigènes sur lesquelles les Noirs n’étaient pas
installés de façon apparente. Ainsi, conclut-il, l’occupation dans ce texte, ne s’entend pas
au sens juridique mais au sens vulgaire. Vu sous cet angle, l’expression « terres
vacantes » a un sens beaucoup plus étendu que son sens juridique commun. Elle
dépossède les communautés de la majorité de leurs domaines.305

La question de l’étendue des terres vacantes a été au cœur de la politique


domaniale de l’Etat Indépendant du Congo. En effet, l’Etat a voulu s’accaparer d’une
grande étendue de terre pour avoir des ressources nécessaires pouvant lui permettre de
faire face à ses dépenses. C’est ce qui fait dire à certains auteurs que la politique foncière
de l’Etat Indépendant du Congo est intimement liée avec sa politique économique et
fiscale.306

304
G. Kalambay Lumpungu, Le droit foncier zaïrois et son unification, Thèse de doctorat, Université
Catholique de Louvain, 1973, p74
305
A.Sohier, Les terres indigènes : les décrets de 1885- 1886, in Journal des Tribunaux d’Outre-mer, n°51,
1954, p 127
306
G. Kalambay Lumpungu, op. cit, p76
118

B. Justification du principe de la domanialité des terres vacantes

Le principe de la domanialité des terres vacantes a été justifié par les auteurs en
des termes différents exprimant la même réalité. Nous allons reprendre les justifications
de quelques auteurs qui ont réfléchi sur la question.

Pour sa part, A.Sohier justifie l’institution des terres vacantes de la manière


suivante :
« Lorsque le Roi-Souverain constitua en Etat les populations congolaises, leur immense
territoire de forêts et d’eaux apparut pratiquement inoccupé, les îlots que constituaient dans cette
mer d’arbres les villages et les terres cultivées. Les lois reconnurent aux communautés tous leurs
droits sur ces îlots : c’est ce qu’on appelle les terres indigènes. Mais elles attribuent à l’Etat tout
le reste, considéré comme biens sans maître : ce sont les terres vacantes, qui constituent un
immense domaine national.
Il n’existe à ma connaissance, poursuit-il, aucune divergence sur la nécessité de cette
mesure à cette époque. On peut estimer que, mieux éclairé, l’Etat lui aurait donné une autre
forme. On peut croire qu’elle lésait certains droits particuliers des communautés. Mais elle était
prise au profit de la promotion de la population indigène toute entière. Le développement du
pays, condition de sa civilisation, ne pouvait s’opérer sans la mise en valeur de ses richesses
naturelles. Par ailleurs, l’Etat, qui avait la charge, non seulement de dépenses ordinaires
d’administration, mais de l’équipement intellectuel et matériel d’un immense pays , n’aurait pu y
faire face sans les ressources tirées du domaine. »307

De son côté, le professeur Biebuyck, dans un rapport inédit sur les données des
problèmes fonciers du point de vue ethnologique, explique les fondements des terres
vacantes en ces termes :

«Les raisons qui justifient le principe même d’une intervention de l’Etat dans la matière
qui nous occupe sont d’ordre économique et moral.
Si l’on considère que dans sa conception actuelle, la colonisation apparaît comme la prise
en charge des intérêts d’un pays sous-développé par un peuple plus actif en vue du
développement de ce pays et, indirectement, de l’accroissement du volume des biens dans le
monde, on doit admettre que l’Etat colonisateur puisse exercer un certain pouvoir de direction sur
l’économie et notamment se réserver un droit de disposition sur les richesses naturelles,
particulièrement les terres du pays.

307
A. Sohier, Le problème des terres indigènes, in Journal des Territoires d’Outre-Mer, n°63, du 15
septembre 1955, p 125
119

Dès lors qu’on admet ce postulat de la colonisation, la question se trouve posée sur le
plan moral.
En effet, c’est dans une règle morale que l’action de l’Etat en cette matière trouve sa
limite : la règle du respect des droits des autochtones et de la primauté des intérêts de ceux-ci,
puisque, par définition, ce sont ces intérêts qu’il s’agit de promouvoir au premier chef.
Mais, respecter un droit ne signifie pas toujours nécessairement le maintenir tel quel.
Dans la poursuite du bien commun, qui est son objectif essentiel, l’Etat peut être amené à plier les
droits et intérêts particuliers à l’intérêt général.
Celui-ci constitue en définitive la justification d’une intervention de l’Etat dans la matière
qui nous occupe et c’est en fonction de cette notion que doit s’apprécier la légitimité des divers
droits et intérêts en présence.
Sur la nécessité d’une intervention de l’Etat en vue de se réserver un droit de disposition
sur les richesses naturelles et spécialement sur les terres du Congo, dans l’intérêt du
développement économique, social et spirituel de ce pays, l’accord est unanime. »308

De tout ce qui précède, il ressort que le principe de la domanialité des terres


vacantes est dicté essentiellement par des considérations d’ordre économique. En effet,
l’accaparement de ces terres tour à tour par l’Etat Indépendant du Congo et le Congo
belge avait pour but de l’exploiter afin de contribuer au développement économique et
social de ce territoire. Mais en réalité, les intérêts économiques de la métropole étaient
également à la base de cette politique. Qu’en est-il alors de l’application de ce principe ?

C. Application du principe de la domanialité des terres vacantes

Sur le plan juridique, la politique domaniale du Roi Léopold II a été concrétisée


par les décrets du 17 octobre 1889 et du 29 septembre 1891 ainsi que certaines mesures
d’exécution.

La teneur du décret du 17 octobre 1889 est la suivante :


« Article 1er. L’exploitation du caoutchouc, de la gomme, du copal et autres produits
végétaux dans les terres où ces substances ne sont pas encore exploitées par les populations
indigènes et qui font partie du domaine de l’Etat notamment dans les îles situées dans la zone qui
est comprise entre Bolobo et l’embouchure de l’Aruwimi, et dans les forêts qui s’étendent dans
cette zone le long du fleuve et de ses affluents, pourra avoir lieu en vertu de concessions spéciales
données par l’administrateur général du département des finances ».

«Article 2. Quiconque aura, sans concession valable ou sans observer les conditions
stipulées dans la concession, exploité ou fait exploiter du caoutchouc, du copal ou d’autres

308
D.Biebuyck, Rapport sur les données des problèmes fonciers du point de vue ethnologique, 3éme
partie, inédit, octobre 1977, p7
120

produits végétaux dans les îles et forêts susdites, sera puni d’une amende de 50 à 2.000F, sans
préjudice de tous dommages-intérêts, et les produits ainsi récoltés seront saisis et confisqués ».

Ce décret astreint tous ceux qui veulent exploiter les produits concernés par ce
texte, à demander une concession auprès de l’administrateur général du département des
finances. Ce texte semble également restreindre les droits des indigènes sur les îles et
forêts concernées. En effet, à cette époque, la vie indigène était caractérisée par le
nomadisme. Ainsi, prendre un tel texte est de nature à faire obstacle à la liberté de
mouvement de la population autochtone mais aussi limiter ses moyens de subsistance.

Répondant à la question de savoir pourquoi ce décret s’est limité sur une aire
géographique déterminée, G. Kalambay Lumpungu pense que dans cette zone
précisément, l’Etat, par ses agents, exploitait les produits mentionnés dans le décret et
entendait les exploiter seul sans concurrence.309

Déjà à cette époque, ce décret avait suscité des inquiétudes de la part de certaines
puissances signataires de l’Acte de Berlin, dans la mesure où il semblait porter atteinte à
la liberté de commerce et d’exploitation du bassin du Congo. C’est ce qui avait amené
Lord Vivian à poser la question de savoir si ce décret était en accord avec les
dispositions de l’Acte de Berlin. A cette question, Van Eetvelde, administrateur général
des affaires étrangères répond de la manière suivante :

«Je m’empresse de rassurer V.E. sur la portée de cette mesure : il ne s’agit ni de


monopole ni de privilège en matière commerciale, ni de la culture du caoutchouc et d’autres
produits végétaux. Le Gouvernement cherche uniquement, ainsi que cela se pratique partout, à
tirer parti des forêts de l’Etat et à empêcher que les produits qu’elles renferment soient exploités
sans la permission du propriétaire et sans redevances, ou de manière à amener leur déboisement
ou la destruction imprévoyante de lianes à caoutchouc. V.E. constatera qu’il n’y a là rien de
contraire à l’article V de l’Acte Général de la conférence de Berlin… je n’ai pas besoin d’ajouter
que le commerce du caoutchouc et de tous autres produits reste libre comme par le passé.310»

C’est à travers le décret du 29 septembre 1891 non publié au Bulletin Officiel que
la politique domaniale du Roi Léopold II devient claire surtout à travers les diverses
circulaires qui ont été prises en application de ce décret qui est libellé comme suit :

309
G. Kalambay Lumpungu, op.cit, p81
310
Archives Aff. Etr. E.I.C., Vol.VI, n°47
121

«Article 1er. Les commissaires des districts de l’Ubangui-Uellé et de l’Aruwimi-Uellé et les


chefs des expéditions du Haut-Ubangui et du Haut-Uellé sont autorisés à prendre les
mesures qui seraient urgentes et nécessaires pour conserver à la disposition de l’Etat
les fruits des terrains domaniaux notamment l’ivoire et le caoutchouc.
Article 2. Notre Secrétaire d’Etat à l’intérieur est chargé de l’exécution du présent décret, qui
entrera en vigueur à la date de ce jour.311 »

Ce texte, qui invite les commissaires des districts ainsi que les chefs d’expédition
concernés à prendre des mesures tendant à conserver au profit de l’Etat les fruits des
terrains domaniaux, ne précisent pas la nature de ces mesures. Pour sa part, Boelaert note
que par ce texte, l’interprétation restrictive de l’ordonnance de 1885 dévoile sa portée :
toutes les terres non occupées par les indigènes d’une manière apparente, sont déclarées
sans maître et appartiennent donc à l’Etat. Occupées de façon apparente sont les terres
couvertes de huttes ou de cultures, non occupé tout le reste. Et puisque l’ivoire, le
caoutchouc, le copal et les autres produits négociables, aussi bien que le bois et le gibier,
ne se récoltent que dans les terres non-occupées de cette manière, ils appartiennent tous à
l’Etat.312 Les circulaires prises en exécution de ce décret vont donner raison à cet auteur.

En date du 15 décembre 1891, le commissaire de district de l’Ubangui-Uellé, en


exécution du décret précité, prend une décision ayant pour but de monopoliser au profit
de l’Etat le commerce d’ivoire. Cette décision a eu une incidence sur les droits fonciers
des indigènes, dans la mesure où l’Etat considère que les éléphants sont chassés sur son
domaine foncier et par conséquent il doit se réserver le monopole de l’ivoire, produit de
son domaine. Voici les termes de cette décision :

«Considérant que la région qui avoisine les postes de Mongwadie et Moboïka ne se


trouve pas comprise dans celles où le gouvernement abandonne exclusivement aux particuliers la
récolte de l’ivoire des domaines de l’Etat par décret du Roi-Souverain, en date du 9 juillet ;
Vu les décrets du Roi-Souverain, en date du 25 juillet 1889 et du 29 septembre 1891 :
Décide :
Article 1er. Les chefs de postes de Mongwandie et de Moboïka pourront autoriser les
indigènes du pays que leur poste commande à chasser l’éléphant, à condition d’apporter au poste
l’ivoire récolté.
Article 2. Quiconque, en contravention de ces dispositions, sera puni conformément à
l’article 19 du code pénal et l’ivoire sera saisi et confisqué.

311
Ministère des Affaires Etrangères, Archives Africaines de l’E.I.C., D. du 29 septembre 1891, n° 352, p
174.
312
R.P.E. Boelaert, op. cit, p29
122

Article 3. Quiconque aura recelé de l’ivoire frais sera puni conformément à l’article 29 du
code pénal, et l’ivoire sera saisi et confisqué.
Article 4. Les chefs de postes de Mongwandie et de Moboïka sont chargés de rechercher
et de constater les infractions à la présente décision et d’en assurer l’exécution.
Article 5. La présente décision entrera en vigueur le 1er juillet 1892. »

Le même commissaire de district avait pendant la même période pris une


circulaire interdisant aux indigènes de sa juridiction de vendre leurs produits aux
commerçants, pour ne les vendre qu’à l’Etat.

De son côté, le commandant de l’expédition de l’Ubangui-Uellé publie dans le


même esprit, en date du 14 février 1891, deux circulaires dont l’une d’elles nous intéresse
dans le cadre de cette étude. Celle-ci s’exprime en ces termes :

«J’ai l’honneur de vous informer que je suis décidé à faire valoir rigoureusement les
droits de l’Etat sur ses domaines et, en conséquence, à ne plus permettre aux indigènes de
distraire à leur profit et de vendre quelque partie que ce soit de l’ivoire et du caoutchouc qui en
sont les fruits.
Les commerçants qui leur achèteraient encore ou qui tenteraient d’acheter ces produits,
dont l’Etat n’autorise la récolte qu’à la condition qu’on lui apporte les fruits, se rendraient, à mon
avis, coupable de recel et je les dénoncerais aux autorités judiciaires afin qu’il soit procédé contre
eux comme de droit ».

Commentant cette circulaire, G.Kalambay Lumpungu pense qu’elle cantonne la


population indigène sur la terre sur laquelle l’Etat lui a reconnu le droit d’occupation,
c’est-à-dire les terres qu’elle habite, cultive et exploite. Mais, renchérit-il, cette
exploitation devient superflue, car ce n’est pas sur la superficie qui lui est reconnue que la
population pourrait récolter le caoutchouc et l’ivoire pour le commerce avec le négociant
européen. Indirectement, la circulaire fait de l’indigène le salarié de l’Etat. En effet, il
peut récolter le caoutchouc et l’ivoire en dehors de la terre occupée, à condition de vendre
le fruit de son travail à l’Etat.313

Cette circulaire a créé le mécontentement dans le milieu d’affaires belge parce


qu’elle entravait le commerce notamment de la Société belge du Haut-Congo. La réaction
du président de cette société ne s’est pas fait attendre. En effet, en date du 08 août 1892,
Brugmann expose la position de sa société comme suit :

313
G. Kalambay Lumpungu, op.cit, p85
123

« Nous admettons qu’au Congo, comme dans tous les pays du monde, les terres sans
maître appartiennent au domaine de l’Etat. Seulement la question est de savoir ce qui, au Congo,
est ‘’ terre sans maître.’’
L’Etat Indépendant considère aujourd’hui comme terre vacante tout ce qui n’est pas
occupé par les indigènes, c’est-à-dire bâti, ou cultivé.
Les forêts, les savanes sont, pour lui terres vacantes et conséquemment domaine de l’Etat.
Leurs fruits appartiennent exclusivement à l’Etat ; il est interdit, non seulement aux européens,
mais même aux natifs, de trafiquer librement de ces produits. Ainsi, dans une lettre du 18 janvier
dernier et adressée à notre direction en Afrique, le commissaire du district de l’Ubangi-Uellé
écrit : ‘’ Aucun indigène du district de l’Ubangi-Uellé n’est autorisé à récolter du caoutchouc. Il a
même été notifié aux indigènes qu’ils ne recevraient l’autorisation de la faire qu’au profit de
l’Etat.’’
Une telle théorie est une véritable violation du droit naturel consacré par la législation
même de l’Etat. Elle enlève aux indigènes la libre exploitation des forêts et des savanes qui sont
le bien commun de leur tribu, où leurs pères ont toujours librement chassé l’éléphant et l’antilope,
librement récolté le vin de palme, le caoutchouc, le tacoula, etc, et qui sont leur propriété ou tout
au moins sur lesquelles ils ont des droits usagers.
Par cette application inattendue et abusive de l’ordonnance du premier juillet 1885, l’Etat
veut la faire entrer dans le domaine de la pratique. Quant au propriétaire primitif, la tribu
indigène, elle en est dépossédée par une simple circulaire.
L’ivoire, produit de ses chasses, l’indigène ne peut plus le vendre à qui bon lui semble.
De temps immémorial cependant, il en trafiquait librement.
Le caoutchouc, dont Stanley, Junkers et d’autres explorateurs signalaient l’utilisation par
les indigènes du Haut-Congo, de l’Ubangi et l’Uellé, il ne peut pas davantage en faire un article
d’échange.
Les terres où depuis toujours les natifs chassaient et récoltaient sont devenues domaines
de l’Etat. Le commerce de leurs fruits en est interdit. Que devient, pour le Noir, la reconnaissance
proclamée à Berlin de ses droits sur son sol natal héréditaire ? »

Le commissaire de district de l’Equateur prend pour sa part une circulaire


semblable aux précédentes, dans laquelle il interdit aux indigènes de vendre le
caoutchouc qu’ils exploitent aux commerçants. Les termes de cette circulaire datée du 08
mai 1892 se présentent comme suit :

«Considérant qu’aucune concession n’a été accordée pour l’exploitation du caoutchouc


sur les domaines de l’Etat dans le district de l’Equateur ;
Le commissaire de district décide :
1° Les indigènes ne pourront exploiter la liane à caoutchouc qu’à condition d’en remettre
le produit à l’Etat contre numéraire ;
2° Toute embarcation ou particulier détenant plus d’un kilogramme de caoutchouc se
verra dresser procès-verbal. L’embarcation pourra être confisquée, sans préjudice des autres
suites ».
124

De tous ces textes, il résulte que l’Etat se considère comme propriétaire de toutes
les terres vacantes. De ce fait, il est propriétaire de tout ce qui s’y trouve. Voilà pourquoi,
il se permet d’interdire aux autochtones le droit de vendre les produits de leur travail à
une autre personne à l’exception de l’Etat. En outre, il qualifie de receleur, toute
personne qui achèterait l’ivoire ou le caoutchouc entre les mains des indigènes. Ce
faisant, il entrave l’activité des sociétés commerciales et réduit les droits fonciers des
indigènes aux terres habitées et cultivées. Telle est l’interprétation que l’administration
donne à l’ordonnance du 1er juillet 1885 et au décret du 14 septembre 1886.

D. Conséquences de l’application du principe de la domanialité des terres vacantes

La politique domaniale de l’Etat Indépendant du Congo a été fortement critiquée


suite aux abus qu’elle a engendrés à l’égard des indigènes. Une campagne anti-congolaise
a été menée pour améliorer la situation des autochtones. C’est ainsi que le Roi-Souverain
a été obligé de mettre sur pied une Commission d’enquête afin de faire la lumière sur les
conditions sociales des indigènes. La Commission, après avoir constaté les abus dont les
indigènes étaient victimes, avait fait plusieurs propositions, touchant aux divers aspects
de la vie indigène. S’agissant particulièrement de leurs droits fonciers, elle relève
notamment ce qui suit :
«Mais la situation créée par le régime foncier aux populations indigènes dépend tout
entière du sens qu’il faut attacher aux mots ‘’terres occupées,’’ ‘’ terres vacantes,’’ et si l’Etat
veut éviter que le principe de la domanialité des terres vacantes aboutisse à des conséquences
abusives, il devra mettre ses fonctionnaires et ses agents en garde contre les interprétations trop
restrictives et les applications trop rigoureuses.
La législation de l’Etat Indépendant du Congo n’a point défini ce qu’il faut entendre par
‘’ terres occupées par les indigènes’’ et les tribunaux de l’Etat n’ont jamais eu l’occasion de se
prononcer sur cette question. A défaut de définition légale, on semble avoir généralement admis,
au Congo, qu’il faut considérer comme occupées par les indigènes exclusivement les parties du
territoire sur lesquelles ils ont installé leurs villages et établi leurs cultures.
On a admis que, sur les terres occupées par eux, les indigènes ne peuvent disposer des
produits du sol que dans la mesure où ils en disposaient avant la constitution de l’Etat ».314

314
Rapport de la Commission d’enquête, B.O. 1905, pp 150-151
125

Plus loin, la Commission propose aux autorités d’adopter une interprétation large
de l’ordonnance de 1885 et du décret de 1886. les termes de cette proposition sont les
suivants :
« Il découle de l’exposé qui précède que l’Etat ferait œuvre utile et sage en développant
la législation sur le régime foncier, en donnant aux lois du 1er juillet 1885 et du 14 septembre
1886, qui confirment les indigènes dans la jouissance des terres qu’ils occupaient sous l’autorité
de leurs chefs, une interprétation large et libérale, conforme sans doute à l’esprit qui les a
dictées ».315

Sur base de ce rapport, le Roi-Souverain avait mis sur pied une Commission des
réformes ayant abouti à l’élaboration du décret du 03 juin 1906 sur les terres indigènes
dont l’analyse s’impose.

E. Décret du 03 juin 1906 sur les terres indigènes et terres vacantes

Il convient d’abord de retracer le contexte qui a présidé à l’élaboration de ce texte,


avant d’aborder la question de la définition et de l’étendue des terres vacantes afin
d’aboutir aux droits des indigènes sur ces terres.

1. Contexte de l’élaboration du décret

Le décret sous examen est le fruit du travail réalisé par la Commission des
réformes mise en place par le Roi-Souverain. Avant d’analyser les dispositions de ce
texte, il est bon de comprendre son esprit tel qu’il ressort du Rapport adressé au Roi-
Souverain. Ce Rapport qui est considéré comme l’interprétation officielle de ce texte, se
présente comme suit :

« Il appartient à l’Etat de déterminer quelles terres doivent être considérées, aux


termes de l’ordonnance du 1er juillet 1885 et du décret du 14 septembre 1886, comme
terres occupées par les populations indigènes et de faire délimiter ces terres, de sorte que
les décisions de l’Etat sur cet objet, simplement déclaratives d’une situation et de droits
préexistants, échappent à tout recours, soit des indigènes propriétaires ou
concessionnaires.

Le premier projet proposé à la sanction de votre majesté a trait à la question des


terres. Le respect des droits d’occupation des indigènes est inscrit au frontispice de notre

315
Rapport de la Commission d’enquête, B.O. 1905, p153
126

législation foncière, et le Gouvernement a toujours entendu que fût maintenue à


l’indigène toute l’utilisation qu’il tirait du sol, quelles que fussent les formes tangibles
sous lesquelles il concrétisait cette utilisation. La loi a confirmé les indigènes dans la
jouissance et l’usage des terres qu’ils occupaient conformément aux coutumes et usages
locaux ; elle a voulu qu’ils puissent étendre leurs cultures ; elles ne les a privés ni de leurs
droits de pêche et de chasse, ni des ‘’ usages en bois, ‘’ ni de leur droit de cueillette ou
de leurs droits miniers, etc.
Fortifiés dans cette politique par les vues concordantes des Commissions
d’enquête et d’examen, nous proposons à Votre Majesté de donner une nouvelle
consécration législative à ces principes. Le décret que nous soumettons à cette fin donne
aux textes de 1885 et 1886 une large interprétation, en déclarant terres occupées par les
indigènes, toutes terres qu’ils habitent, cultivent ou exploitent à un titre quelconque
conformément aux coutumes et usages locaux. Il pose la règle que les droits d’occupation
des indigènes seront déterminés et constatés. Il prévoit que les indigènes puissent être
appelés, dans la jouissance de terres à affecter à leurs cultures, à bénéficier d’une
situation plus favorable que ne le comporterait l’application stricte de leurs droits. Il
reconnaît formellement aux indigènes le droit de chasser et de pêcher et les usages en
bois sur toutes les parties du territoire qui ne sont pas propriétés de particuliers, sous la
seule réserve des dispositions d’ordre général réglant l’exercice de ces droits ».316
Qu’en est-il alors de la définition et de l’étendue des terres vacantes ?

2. Définition et étendue des terres vacantes

L’alinéa 1er de l’article premier de ce texte donne la définition de « terres


occupées par les indigènes », telle qu’il ressort de l’ordonnance de 1885 et du décret de
1886. C’est ainsi qu’il précise que par terres occupées par les indigènes, on entend celles
qu’ils habitent, cultivent ou exploitent d’une manière quelconque, conformément aux
coutumes et usages locaux. Cette définition a l’avantage de combler la lacune des textes
antérieurs qui n’avaient pas défini cette catégorie de terres, donnant ainsi libre cours à
plusieurs interprétations.

Cette définition permet de déterminer l’étendue des terres indigènes ainsi que
celle des terres vacantes. Il y a lieu de constater que la définition adoptée par le
législateur semble être large. Elle paraît répondre aux vœux exprimés par la Commission
d’enquête. Le Rapport de la Commission de réforme va dans le même sens. Mais

316
Le Rapport au Roi-Souverain, B.O., 1906, pp 176-178.
127

l’étendue réelle des terres indigènes et par voie de conséquence des terres vacantes
dépend de l’interprétation qu’on donne aux termes « habiter, cultiver et exploiter ».

Selon A. Sohier, ces trois mots doivent avoir une interprétation large et libérale
comme l’a voulu la Commission d’enquête qui est à la base du décret du 03 juin 1906.
Ainsi, pour lui, sont terres habitées au sens du texte précité, non seulement les parcelles
recouvertes par une habitation, mais l’ensemble des lieux qui forment le séjour du
groupement humain : le village. L’auteur ajoute que non seulement les cours, les
communs, les jardins, sont des dépendances des habitations, mais les bâtiments publics,
les rues et places, sont des parties de l’habitat. Il ne s’agit pas de l’habitation individuelle,
mais de l’habitation des « indigènes vivant sous l’autorité de leurs chefs », c’est de la
communauté317.

S’agissant de la culture, il pense qu’il s’agit de celle pratiquée par les indigènes,
c’est-à-dire la culture extensive. Des terres cultivées ne perdent pas ce caractère par le
fait qu’elles sont en repos : les jachères sont des terres occupées par la culture. En
pratique cependant on considère parfois les terres de jachère comme des terres
d’extension, qu’on serait libre d’accorder ou non au groupement. Il n’en est rien : les
communautés ont sur ces terres un véritable droit leur reconnu par les décrets de 1885-
1886.
Le terme « exploiter » selon l’auteur, veut dire tirer profit de quelques choses ou
déployer une activité pour en retirer un gain. De cette définition générale, il ressort que
chasser sur une terre, en retirer les produits naturels, c’est l’exploiter. Mais au sens du
texte sous examen, pour que ces activités constituent une exploitation, il faut qu’il y ait
une organisation et une pratique si intense qu’elles réalisent un usage privatif du sol 318.

L’interprétation faite par A.Sohier du terme « exploiter » n’a pas fait l’unanimité.

En effet, analysant le décret sous examen, Boelaert estime que l’exploitation doit
être entendue dans son sens large. Elle peut et doit donc impliquer tout droit d’usage et de
jouissance, le droit de jouir de cette possession, d’en obtenir tous les services et tous les
317
A. Sohier, Les terres indigènes : le décret du 3 juin 1906, in Journal des Tribunaux d’Outre-mer, n°52,
1954, p145.
318
A. Sohier, op. cit, p145
128

avantages, tous les fruits, aussi bien civils que naturels ou industriels. Toute forme de
jouissance est ici une exploitation.319Ainsi, au sens du décret, toute terre exploitée d’une
manière quelconque est terre occupée par les indigènes.

De son côté, G. Kalambay Lumpungu écrit ce qui suit au sujet de ce terme :

«Le mot exploiter est utilisé dans le sens donné lors de l’enquête de 1893, car on semble
déclarer que les forêts et les terres autres que celles qui sont cultivées et habitées sont domaniales.
Cette interprétation est trop restrictive, et l’un des éléments d’appréciation de cette exploitation
paraît être recherché dans la comparaison de cette exploitation indigène avec les modes
d’exploitation européenne. En partant d’exploitation dans le sens d’une organisation et d’une
pratique si intense qu’elle réalise un usage privatif, on semble ignorer le mode d’exploitation
indigène.
Le deuxième point à retenir est que cette exploitation doit avoir une triple
caractéristique : s’exercer à titre privatif ; être permanente ou périodique ; et porter sur des
avantages tirés du sol. Toutes les études effectuées sur le régime foncier traditionnel au Congo
constatent que, presque partout, les clans, les tribus sont les vrais titulaires des droits fonciers et le
sont à titre privatif. On comprend bien que le gouverneur général et les autorités qui donnent le
critère d’exclusivité pour reconnaître à un village une partie de terres exploitées, ne pouvaient
pas distinguer les origines ou les clans indigènes et il paraît certain qu’ils ne connaissaient pas le
régime foncier indigène. En effet, dans toutes les coutumes, seules les personnes appartenant à un
clan ont droit d’exploiter les ressources existant sur le territoire de leur clan. Quant aux étrangers
à ce clan, ils doivent demander une autorisation à l’autorité compétente du village ou du clan.
Dès lors, l’interprétation la plus large est celle qui est énoncée dans l’article 1er, et toutes
les autres interprétations qu’on a voulu donner à ce terme créent une confusion ».320

3. Droits des indigènes sur les terres vacantes

L’alinéa 2 de l’article premier du décret de 1906 prévoit qu’il sera procédé à la


détermination et à la constatation officielle de la nature et de l’étendue des droits
d’occupation des indigènes. Avant même que cette opération ait lieu, le Vice-gouverneur
général Lantonnois, en date du 8 septembre 1906 écrit ce qui suit aux commissaires des
districts du Bas-Congo :

«Subsidiairement à ma dépêche en date de ce jour, j’ai l’honneur d’attirer tout


particulièrement votre attention sur la situation spéciale dans laquelle se trouvent certaines
régions du Bas-Congo et notamment les territoires placées sous votre administration.

319
R.P.E. Boelaert, op.cit, p 47
320
G. Kalambay Lumpungu, op. cit, p156
129

Le Gouvernement, fidèle à la doctrine des décrets de 1885 et 1886 et à la large


interprétation qui leur a été donnée dès le principe, n’a jamais contrarié l’usage que faisaient les
indigènes des forêts et des terres. Sans tirer de celles-ci une utilisation complète et rationnelle, ils
parcouraient autour de leurs villages des espaces assez étendus, se livrant à la récolte de certains
produits naturels, principalement des noix palmistes. Cette utilisation, assez superficielle
graduellement étendue, s’exerçait souvent loin des villages ; il s’en est suivi qu’autour de la
plupart des villages, il y a une aire de parcours confinant à celle des villages voisins et se
confondant même quelquefois avec celle-ci.
Le Gouvernement n’entend pas révoquer la tolérance dont les indigènes ont profité
jusqu’à présent, mais il importe de définir exactement la nature des droits des indigènes et le
régime des terres qui en sont affectées en déterminant les conditions sous lesquelles ces terres
pourraient passer en cas de vente ou de location aux mains de tiers acquéreurs.
L’enquête locale à laquelle vous vous livrerez, conformément à ma dépêche pré-
rappelée, devra fixer les caractères propres de ces droits originaires indigènes. Ce n’est
évidemment pas une propriété, même collective. Ce n’est davantage pas un usufruit ou une
servitude. C’est plutôt un droit réel sui generis grevant la propriété au profit d’une ou de plusieurs
collectivités.
Je vous recommande tout particulièrement de former un dossier aussi complet que
possible de l’enquête à laquelle vous procéderez. Ce dossier me sera transmis pour être envoyé à
l’administration centrale, le Gouvernement se réservant de conclure.
La nature, l’étendue et les attributs de ces divers droits étant définis, ceux-ci devront
suivre les biens grevés, dans quelques mains qu’ils passent. A cet effet, les droits constatés seront
consignés dans un registre spécial dont le Conservateur des Titres Fonciers sera dépositaire ».321

Comme on peut se rendre compte, cette instruction est en contradiction avec


l’esprit du décret tel qu’il résulte du Rapport de la Commission d’enquête ainsi que celle
des réformes. En effet, comme le note d’ailleurs Boelaert, là où le décret impose de
déterminer et de constater officiellement sur place la nature et l’étendue des droits
d’occupation des indigènes et de délimiter les terres occupées par eux d’après ces
constatations, les instructions déclarent d’avance que les forêts et les terres qui entourent
les villages sont domaniales, même si les indigènes en faisaient et y exerçaient une
utilisation, par exemple par la récolte des noix de palme. Ces terres et forêts ne sont
nullement occupées par les indigènes, ils n’ont aucun droit d’occupation, ils ne les
exploitent d’aucune manière, car l’exploitation quelconque est indice de terre occupée,
est signe d’un droit d’occupation.322

321
B.O., 1906, p 384
322
R.P.E. Boelaert, op. cit, pp52-53
130

Il ressort donc de l’instruction que les terres occupées par les indigènes sont
réduites à celles habitées et cultivées. Les terrains sur lesquelles se pratiquent la chasse ,
la cueillette, la pêche et autres sont domaniales. Les activités déployées par les indigènes
sur ces terrains ne sont pas considérées comme une exploitation. Or, comme le constate
avec pertinence G.Kalambay Lumpungu, chasser et pêcher, surtout quand la chasse et la
pêche sont organisées ou quand c’est l’activité principale pour un clan ou une tribu,
constitue une exploitation. Tel est le cas avec les Wagenia, les Lokele ou les Warega.
Pour ces tribus, la pêche est une activité essentielle dans leur vie. D’autres peuples ne
vivent que de la chasse. C’est notamment le cas avec le peuple pygmée.

S’agissant de la nature des droits des indigènes sur ces terres, le gouverneur
général détermine d’avance leur nature avant même que l’enquête ne soit entreprise,
lorsqu’il dit qu’il ne peut s’agir d’un droit de propriété, même collective, ni d’un droit
d’usufruit, encore moins d’une servitude. L’instruction crée un droit nouveau issue de la
tolérance accordée aux indigènes par l’administration. C’est ce que le gouverneur général
qualifie de droit sui generis. Ainsi donc, à travers cette instruction, l’étendue des terres
vacantes s’est élargie au détriment des terres indigènes.

En réalité, l’instruction du vice - gouverneur général, relativement à la nature des


droits des indigènes sur les terres domaniales, semble trouver sa base sur la lettre de
l’article 6 du décret qui permet aux indigènes de couper les bois destinés à leur usage
personnel, de pêcher dans les fleuves, rivières, lacs , étangs et chasser dans les terres et
forêts domaniales. Cette instruction qui, en réalité ne concernait que le Bas-Congo, a eu
une influence sur tout le territoire de l’Etat.

Concernant la détermination des terres indigènes, l’enquête prévue par l’alinéa 2


de l’article 1er du décret du 03 juin 1906 a été un échec pour plusieurs raisons : manque
d’enthousiasme de la part des enquêteurs, ignorance des mœurs et des coutumes locaux,
étendue des territoires objet de l’enquête, coût très élevé des travaux de délimitation ainsi
que l’inutilité de l’opération au motif qu’elle n’était pas respectée par les indigènes qui
continuaient à se déplacer au-delà des parties laissées à leur disposition .323 Mais sous la

323
G. Kalambay Lumpungu, op. cit, p169
131

colonisation, l’Etat a été obligé de revenir d’une autre manière, sur cette délimitation
dans le but de garantir les concessions et les cessions accordées aux sociétés au regard
des droits fonciers des indigènes. Nous y reviendrons lorsque nous allons examiner le
texte y relatif.

De ce qui précède, on peut affirmer que l’application du décret sous examen n’a
pas améliorée le sort des indigènes par rapport à leurs droits fonciers. Cette législation
sera reconduite par la Charte coloniale qui, en son article 36 dispose que : « Les décrets,
les règlements et autres actes en vigueur dans la colonie conservent leur force obligatoire,
sauf les dispositions qui sont contraires à la présente loi et qui sont abrogées ». Mais le
décret du 31 mai 1934 sur les enquêtes de vacance changera la philosophie du législateur
au sujet des terres indigènes.

F. Décret du 31 mai 1934 sur les enquêtes relatives à la vacance de terres

Le but de ce décret était d’inverser la procédure d’enquête. En effet, au lieu de


délimiter systématiquement les terres indigènes dont les bornes n’étaient pas respectées
par les natifs, désormais, les limites ne seront établies que s’il y a une demande de terres.

Les dispositions de ce décret concernent d’une part la procédure de l’enquête de


vacance ou de constatation des droits des indigènes et d’autre part la procédure de
révision et de contrôle de l’enquête effectuée.

Ce texte subordonne la cession ou la concession de terres domaniales par une


enquête de vacance dont le but est de constater la vacance des terres demandées en
cession ou en concession, ainsi que la nature et l’étendue des droits que les indigènes
pourraient avoir sur ces terres.
L’enquête est effectuée par l’administrateur du territoire ou par un fonctionnaire
ou agent de service territorial désigné par le commissaire de district, et ce, à la suite d’une
décision d’ouverture d’enquête prise par cette dernière autorité.324

324
Art.1er du décret du 31 mai 1934
132

Avant l’enquête, le requérant doit faire procéder à une délimitation provisoire du


terrain sollicité au moyen des poteaux ou d’autres marques parfaitement apparentes. les
frais de la délimitation est à la charge du requérant, qui exceptionnellement peut être
obligé de verser un cautionnement. Sont considérés comme frais de délimitation, les frais
de mesurage par un géomètre.325

Selon l’article 3 de ce décret, l’autorité chargée de l’enquête doit convoquer sur le


lieu les chefs, les notables et tous les indigènes intéressés. Ensemble, ils parcourent le
terrain demandé de manière qu’ils puissent se rendre compte exactement de sa situation
et de son étendue. A cette occasion, l’autorité interroge tour à tour, les indigènes qui
revendiquent un droit quelconque sur le terrain demandé, ceux qui habitent à proximité
du terrain, ainsi que ceux qui paraissent à même d’apporter des éléments d’informations
utiles.
Lorsque l’enquête prend fin, l’autorité doit dresser le procès-verbal de ses
opérations, en proclamer les résultats devant les chefs, notables et indigènes intéressés et
les avertir qu’il leur appartient de formuler leurs réclamations éventuelles auprès de
l’administrateur territorial, du commissaire de district ou du magistrat du parquet près le
tribunal de district.

A ce sujet, le Rapport du conseil colonial note que :

«Pour la validité de l’enquête, il est évident que les intéressés doivent être convoqués sur
les lieux. Il est non moins évident que ses conclusions doivent être portées à la connaissance de
tous dès qu’elle est close puisqu’on y aura reconnu soit l’absence, soit l’existence de droits
indigènes, et débattu les équivalences pour rachat éventuel. Il faut, en plus, qu’à ce premier acte
de la cession ou concession, qui n’en comptera souvent pas d’autre, il soit donné un caractère
solennel. C’est le but visé par la proclamation et l’avertissement prévu in fine de l’article 3 ».326

Le procès-verbal sanctionnant l’enquête doit, sous peine de nullité, avoir les


mentions suivantes :

- la décision favorable du commissaire de district sur la suite à réserver à la


demande de terres ;

325
Art.2 du même décret
326
B.O., 1934, p 657
133

- la délimitation provisoire du terrain ;


- la convocation régulière des chefs, notables et indigènes intéressés et le nom
des présents ;
- la visite du terrain demandé par l’autorité, qui procède à l’enquête
accompagnée des indigènes intéressés ;
- les questions posées aux chefs, notables et indigènes intéressés portant sur les
utilisations diverses de leurs terres, ainsi que les réponses qu’ils y ont faites ;
- la situation démographique des collectivités indigènes intéressées, la
superficie des terres déjà aliénées dans la circonscription et celles que
l’opération laisse à leur disposition ainsi que les éléments divers qui
permettent d’apprécier l’étendue des terres qui leur sont nécessaires ;
- les droits des indigènes dont le rachat est proposé, ainsi que la nature et le
montant des indemnités compensatoires qui, d’une part, sont demandées par
les indigènes, et, d’autre part, sont offertes par le requérant ;
- l’accord éventuel sur les indemnités et sur les terrains demandés ;
- la proclamation des résultats de l’enquête devant les chefs, notables et
indigènes intéressés ainsi que l’avertissement consistant à formuler les
réclamations auprès de l’administrateur territorial, du commissaire de district
ou du magistrat du parquet près le tribunal de district.

Il est joint au procès-verbal un croquis suffisant pour préciser la situation du


terrain demandé dans le territoire et dans la ou les circonscriptions intéressées. Les
établissements et voies de communication y seront figurés ainsi que les terrains déjà
aliénés.327
L’enquête peut déboucher sur une de trois solutions ci-après : ou bien la terre
demandée en cession ou en concession est une terre indigène au sens du décret du 3 juin
1906, ou bien c’est une terre domaniale sur laquelle les indigènes exercent des droits dits
sui generis prévus par l’article 6 du décret de 1906, ou bien c’est une terre domaniale
sans droits indigènes.

327
Art. 4 du décret précité
134

Si l’enquête conclut que la terre demandée est une terre indigène, la colonie seule
peut avec l’assentiment des indigènes conclure avec eux des contrats pour l’acquisition
d’une partie de leurs terres ou pour la cession de leurs droits sur ces terres. Mais pour que
ce contrat produise des effets et soit enregistré, ils doivent remplir les conditions
suivantes :

 être passés dans la forme authentique suivant la procédure fixée par


ordonnance du gouverneur général ;328
 être approuvé par le gouverneur général ou son délégué, après avis
exprimé dans un rapport circonstancié par le magistrat du parquet.329

Sur cette question le rapport du Conseil colonial est explicite. En voici les
termes :
«Dorénavant, les indigènes ne pourront plus disposer directement de leurs droits fonciers
au profit de particuliers. La colonie seule pourra conclure avec eux les contrats d’aliénation et
d’occupation et disposera soit par elle- même, soit par l’intermédiaire des pouvoirs concédants,
des terres et des droits lui cédés. Semblable prescription écarte les indigènes du danger des
sollicitations occultes. Elle évite au gouverneur général de se trouver en situation délicate lorsque,
après accomplissement des formalités de l’enquête, il estime devoir refuser au contrat,
l’approbation requise ».330

Selon W. Bracke, lorsqu’il s’agit des droits spécifiquement indigènes (terres


indigènes), les intéressés ne peuvent être contraints de les céder . C’est leur libre volonté
qui joue et il faut leur accord exprès et préalable sur l’objet de la cession et sur
l’indemnité compensatoire. Tout ce que l’autorité administrative peut faire, c’est de faire
comprendre aux intéressés ce que leurs prétentions peuvent présenter d’exagéré et, dans
le cas contraire, de refuser au nom et dans l’intérêt même des indigènes les indemnités
dérisoires sur le montant desquelles ils auraient accord au demandeur de la terre.331

Si l’enquête atteste que la terre convoitée est grevée des droits « sui generis » tels
que prévus par l’article 6 du décret du 3 juin 1906 au profit des indigènes, c’est-à-dire,
les droits de chasse, de pêche, de cueillette, etc ., il faut en déterminer la nature ainsi que

328
L’ordonnance du gouverneur général dont question est celle du 1er juillet 1885
329
Art. 13 du décret sous examen
330
B.O., 1938, p 796.
331
W. Bracke, Vade mecum, Titres fonciers, Province du Katanga, Congo belge, inédit,p9
135

l’étendue. Il faut entendre par l’étendue de ces droits, l’intensité de son exercice. C’est
ainsi par exemple, les indigènes peuvent sur les terres considérées comme vacantes,
cueillir ou recueillir périodiquement des champignons, des fourmis ailées et d’autres
fruits ou produits naturels et qui sont nécessaires à leur subsistance. Ils peuvent
également avoir le droit de chasse.332

Après la détermination de la nature et de l’étendue de ces droits, si on constate


que les indigènes pourraient avoir sur les terres domaniales des droits qu’ils exercent à
titre privatif, la question change d’aspect, comme le note W. Bracke. En effet, selon cet
auteur, l’administration a dans ce cas, le droit et le devoir de veiller, dans tous les cas, à
ce que les indemnisations représentant le juste prix de la privation subie, soient calculées
en raison des avantages réels et actuels que les natifs retirent de l’exercice de ces
droits.333

Dans l’hypothèse où l’enquête atteste que la terre sollicitée par le demandeur est
domaniale et n’est pas grevée des droits indigènes, ni des droits sui generis, l’Etat peut
conclure directement avec le requérant le contrat de cession ou de concession en se
conformant au texte en vigueur en la matière.334 Il faut souligner qu’il s’agit là d’une
hypothèse rare.

Dans tous les cas, l’enquête peut faire l’objet de contrôle et de révision à
l’initiative du commissaire de district compétent ou du procureur de la République ou
encore du gouverneur de province.335Cependant, la question qui se pose est celle de
savoir si les terres vacantes existent réellement.

G. Existence de terres vacantes

Ici la question est de savoir si en réalité selon la conception traditionnelle de la


gestion foncière, il existe des terres vacantes. A cette préoccupation, nous pouvons

332
G. Kalambay Lumpungu, op.cit, p226
333
W.Bracke, op.cit, p9
334
G. Kalambay Lumpungu, op.cit, p229
335
La procédure de contrôle et de révision est prévue par les articles 5 à 12 du décret du 31 mai 1934 sur
les enquêtes relatives à la vacance de terres.
136

affirmer que les terres vacantes étaient une création de l’Etat Indépendant du Congo,
reprise par la colonisation sans soubassement réel. En effet, les Européens ne maîtrisant
pas le mode d’exploitation des terres par les autochtones, ont cru que chaque fois qu’ils
trouvent des terres apparemment sans signe d’occupation, ce qu’elles sont vacantes.

A ce sujet, D.Biebuyck note que la théorie de la domanialité, fondée sur


l’existence des terres vacantes, a été combattue en doctrine. Tous ceux qui s’en prennent
à cette théorie s’efforcent de démontrer que les indigènes ont des titres de propriété sur
les terres et forêts domaniales.

Ces auteurs, renchérit l’auteur, décrivent la société indigène comme étant


constituée de groupements, lesquels disposent chacun en propre d’un domaine foncier à
l’usage de leurs membres. Ces domaines ne laisseraient entre eux aucun intervalle ou très
rarement. D’autre part, à l’intérieur de leurs limites, les indigènes ont sur le sol et les
eaux des droits absolus et exclusifs leur donnant pratiquement tous les avantages de la
propriété.

Ce droit de propriété n’est pas limité aux terres effectivement occupées mais il
s’étend jusqu’aux confins du domaine, même, sur les terres qui, en fait, ne sont jamais
utilisées : il n’y a pas, dans les conceptions indigènes, des terres sans maître. En
conclusion : il n’ y a pas de terres vacantes et tout notre régime foncier repose sur une
erreur, un abus de droits ou, en tout cas, une équivoque. L’appropriation des terres
prétendument vacantes n’a pu se faire qu’au détriment des indigènes, qui ne l’admettent
pas.
L’inexistence des terres sans maître est largement attestée par de nombreuses
études consacrées à cette question.

L’exposé ci-dessus, conclut l’auteur, résume très succinctement la position


doctrinale de plusieurs auteurs au sujet de notre régime foncier. Citons notamment les
RR. PP. Boelaert, Hulstaert, le Pr. G. M alengreau, M. A. Sohier.336

336
D. Biebuyck, op. cit, p11
137

Plus loin, l’auteur donne sa position à l’issue des enquêtes menées sur terrain,
lorsqu’il écrit notamment ce qui suit au sujet des terres vacantes :

«Il n’y a pas de terres vacantes, du moins, il n’y en a plus. Les terres qui, avant notre
arrivée, étaient sans maître, ont disparu suite à notre action qui a porté sur la stabilisation des
groupes, la répartition en circonscription et groupement à limites géographiques nettement tracées
et l’attribution de zones peu ou pas occupées en circonscriptions ainsi établies.
D’autre part, s’il existe actuellement des régions peu ou pas exploitées, ceci est dû
également en partie en tout cas, aux regroupements et aux déplacements de populations qui sont,
directement ou indirectement, notre œuvre.
Dans la vision d’un groupe africain, le domaine qu’il a su s’attribuer ne comprend jamais
de parties vacantes ou sans signification. Les diverses parties de ce domaine ont soit une
importance économique, soit une importance mystique ou magique, soit une importance sociale et
résidentielle. Le groupe y est partout présent, soit physiquement, soit intentionnellement, soit
mystiquement.
La distinction légale entre terres vacantes et terres indigènes ne correspond donc ni à la
réalité sociologique ni à l’attitude psychologique ».337

Dans une étude consacrée à la propriété foncière et paysannat indigène, Hulstaert


va dans le même sens, lorsqu’il s’insurge contre les écrits de M. Corbisier en relevant
que :
«M.Corbisier déclare que, ‘’dans l’esprit des indigènes, les terres inhabitées et les sols
non individuels sont à tout le monde.’’ Cela est peut être vrai au Maniema ; mais sur d’immenses
étendues du Congo les terres sont partagées, entre les tribus, les clans, les familles, de sorte que,
dans la pensée des autochtones, il n’existe pas de terres vacantes, cette utile invention du
code ».338

De son côté, Boelaert, après avoir affirmé que les autochtones avaient un droit de
propriété sur leur terre, ajoute qu’en tant que tel, ils ont le droit de l’utiliser selon leur
convenance et surtout à n’importe quel moment. Ainsi, le fait pour eux de ne pas
l’exploiter actuellement ne peut pas être une raison pour la déclarer vacante ou sans
maître. C’est comme si, ajoute-t-il, chez nous, une puissance occupante statuait de
s’approprier les terres sans maîtres en déclarant sans maître toutes les terres non
clôturées. Dans ce cas, vacant n’est plus synonyme de « sans maître », mais de « sans
utilisation actuelle », au sens restreint qu’on lui donne dans le décret.

337
D. Biebuyck, op.cit, p 95
338
G. Hulstaert, Propriété foncière et paysannat indigène, in Aequatoria, n°3, 1953, p119
138

En outre, l’auteur ajoute que la prescription par non-usage n’existe pas pour la
propriété ; il est donc injuste et irrégulier de déterminer la vacance d’une terre par le non-
usage. Aux yeux des indigènes, il n’y a d’ailleurs pas de non-usage.339

Dans un article consacré au problème des terres indigènes, A. Sohier se demande


si les terres que nous avons déclarées vacantes l’étaient-elles réellement, ou bien
appartenaient-elles aux communautés. A cette question, lui-même répond de la manière
suivante :
«Sans doute, à certains endroits existait-il des bandes entre deux groupes qui étaient sans
maître. Il y avait des terres vacantes. Mais j’ai marqué mon avis que c’était là l’exception : les
groupes possédaient des droits sur la plupart des terres. Plusieurs personnalités ont exprimé leur
opinion contraire. J’ai reçu même une note m’opposant les avis des premiers explorateurs et des
pionniers, comme si ceux-ci avaient eu le loisir de faire œuvre juridique ou scientifique. En
vérité, peu des problèmes de droit coutumier ont été aussi soigneusement étudiés que celui-ci,
puisqu’il a fait l’objet d’une enquête sur place par un juriste doublé d’un ethnographe, M. le
professeur Malengreau. D’après ses recherches, la majorité des terres en 1885 n’étaient vacantes,
ni d’après le droit coutumier, ni d’après le droit européen, et tel est actuellement l’opinion de la
plupart de ceux qui ont étudié le problème.
Je crois que certains hésitent à admettre cette thèse parce qu’ils la craignent. C’est une
des vérités qui ne sont pas bonnes à dire. Je ne suis pas persuadé, pour ma part, que cette négation
puisse produire des fruits, alors que les indigènes la contredisent unanimement ».340

De ce qui précède, il ressort, comme nous l’avons affirmé précédemment, que sur
le plan sociologique les terres vacantes n’existent pas. Toutes les terres appartiennent à
des communautés dont les limites sont bien identifiées. Les textes régissant cette matière
ont été en inadéquation avec la réalité. D’où, il résulte des difficultés d’application.
Qu’en est-il alors des terres rurales sous la législation du Congo indépendant ?

§.2 Congo indépendant et les terres rurales

Les terres rurales sont actuellement régies par la loi foncière de 1973. Elles font
l’objet de plusieurs activités. Les paysans et les fermiers les utilisent pour l’agriculture et
la pêche. Les entreprises commerciales et industrielles les exploitent pour les activités
forestières ou minières. Etant donné que toutes ces activités sont régies par des lois

339
E. Boelaert, Faut-il créer des réserves pour les indigènes, in Zaïre, volXI-2, 1955, pp134-135
340
A. Sohier, Le problème des terres indigènes, in Journal des Tribunaux d’Outre-mer, n°63, 1955,p126
139

différentes, nous allons essayer de passer en revue les procédures mise en place pour
l’acquisition de terres destinées à ces activités.

A. Acquisition des terres rurales

La procédure prévue par cette loi en vue de l’acquisition des terres rurales est
presque identique à celle prévue sous le régime du décret de 1934 concernant les
enquêtes de vacance. La procédure comprend des phases ci-après : la constitution du
dossier en vue de la demande, l’enquête préalable et la signature du contrat de location
préalable à la concession.

1. Constitution du dossier en vue de la demande

Les éléments requis pour la constitution du dossier concerne tant les terres rurales
que les terres urbaines. Ils diffèrent selon que le requérant est une personne physique ou
morale.

Lorsque la demande émane d’une personne physique, elle doit comporter les
éléments suivants :

- l’identité complète du demandeur, sa profession, sa nationalité, sa résidence.


Si le requérant n’est qu’un mandataire, il doit fournir les renseignements
nécessaires pouvant permettre la vérification de ses pouvoirs.
- Si le demandeur sollicite le terrain pour un bail, il doit indiquer la durée pour
laquelle la location est sollicitée.
- Le requérant doit indiquer la destination qu’il entend donner au terrain, ainsi
que le programme conçu pour la réalisation de la mise en valeur.
- Si le terrain est loti, il est fait mention du numéro sous lequel il figure au plan
cadastral. Lorsqu’il s’agit d’un terrain qui n’est pas encore loti, le requérant
doit joindre encore au dossier les éléments ci-après :
- Un plan indiquant la configuration du terrain et les longueurs des limites, ainsi
que toutes autres dimensions ayant servi au calcul de la superficie du terrain,
les éléments de repérage du terrain par rapport à des accidents du sol, à des
constructions ou à des ouvrages d’un caractère permanent, etc., les cours
140

d’eau, routes ou sentiers traversant, le cas échéant le terrain demandé, si le


terrain est situé dans une région pour laquelle il existe une documentation
aérophotogrammétrique, ce plan doit consister en une photographie aérienne
sur laquelle les mêmes indications sont reportées.
- Un croquis donnant la situation du terrain par rapport à des points connus et
figurant sur les cartes officielles.341

Comme on peut le constater, les éléments du dossier permettent de savoir si le


requérant est de sexe masculin ou féminin, s’il est marié ou célibataire. Cela aura un
impact lors de la conclusion du contrat avec l’Etat.

Si le requérant est une personne morale, le dossier comprendra les éléments


suivants :
- Sa dénomination ainsi que la preuve de l’existence de sa personnalité civile.
- L’identité complète des personnes physiques habilitées à engager légalement
ou statutairement la personne morale ainsi que l’indication de la date de l’acte
qui les agrée. L’identité complète des administrateurs de la personne morale
qui sont qualifiés pour introduire la requête et signer le contrat de concession,
avec indication de la publication de leur nomination.
- L’indication de la destination que le requérant entend donner au terrain ainsi
que la programme établi pour en réaliser la mise en valeur.

S’il s’agit d’un terrain loti, il est fait mention de son numéro cadastral. Au cas
contraire, les mentions exigées pour l’identification du terrain en ce qui concerne la
personne physique sont également valables pour la personne morale.342

Après avoir constitué et déposé le dossier auprès de l’autorité compétente, une


nouvelle phase s’ouvre, celle de l’enquête.

2. Enquête préalable à la signature du contrat de location ou d’occupation


Provisoire343

341
Art 191 de la même loi
342
Art 192 de la loi précitée
141

Selon le législateur de 1973, l’enquête exigée a pour but de constater la nature et


l’étendue des droits que des tiers pourraient avoir sur les terres demandées en concession.
Il y a lieu de remarquer que cette procédure est calquée sur celle prévue par le
décret de 1934 sur les terres vacantes. Le législateur de 1973 a reconduit pratiquement le
même texte en changeant seulement la terminologie. Au lieu de terres vacantes,
désormais il s’agit de terres rurales, avec comme différence majeure que jadis le
demandeur des terres devenait propriétaire et qu’actuellement il est concessionnaire,
l’Etat étant devenu l’unique propriétaire foncier.

La procédure prévue par ce texte est trop longue et difficile pour le requérant. En
effet, elle implique plusieurs autorités à des échelons divers. Dans un pays où
l’administration ne fonctionne pas normalement et dont les moyens font défaut, il n’est
pas facile pour qu’une telle procédure arrive à un résultat satisfaisant.

Le délai imparti à chaque autorité pour étudier le dossier peut paraître suffisant,
mais la distance qui sépare les différentes autorités et les difficultés de transport sont
parfois telles que le respect de ce délai ne peut être que compromis, sauf si le requérant
accepte de prendre en charge tous les frais y relatifs, auquel cas, l’objectivité de ceux qui
sont chargés d’étudier le dossier sera sujette à caution.

La lourdeur de cette procédure conduit aux abus dans la pratique. Il arrive souvent
que les terres soient occupées à la surprise générale des villageois parce qu’ils n’ont pas
été consultés. Dans un rapport sur la problématique foncière au Nord Kivu, Norwegian
Refugee Council note ce qui suit :

« Pour acquérir ces vastes étendues de terres, la nouvelle classe de capitalistes ruraux
recourut à la législation en vigueur. Les autorités coutumières, insérées dans l’administration au
niveau local, pour s’attirer les grâces de leurs chefs hiérarchiques, et s’allier aux nouveaux
capitalistes, déclaraient vacantes des terres occupées par leurs populations. En recourant ensuite
aux services fonciers provinciaux, le plus souvent corrompus, ou en agissant par influence d’une
autorité hiérarchique, ces acquéreurs se faisaient délivrer des titres fonciers.

343
L’Etat conclu avec les particuliers le contrat de location lorsque la superficie du terrain sollicité est
inférieure à 10 hectares. Lorsque la superficie du terrain est supérieure à 10 hectares, c’est le contrat
d’occupation provisoire qui est conclu.
142

Ainsi, une étendue de terres pouvait être déclarée vacante sans que ses occupants n’en
soient informés. Des titres fonciers étaient ensuite obtenus sur ladite terre et gardés pendant deux
ans sans s’en prévaloir. A l’issue de ces deux ans, ces titres devenaient inattaquables en justice.
Leurs acquéreurs faisaient alors prévaloir leur titre de propriété et obtenaient l’expulsion des
populations de leurs terres ».344

Tenant compte de toutes ces difficultés, il y a lieu de penser à l’assouplissement


de la procédure en impliquant moins d’autorités. Ainsi par exemple, les dossiers de
demande des terres pourront être étudiés uniquement par les autorités administratives au
niveau de district. Le gouverneur de province ne pourra être saisi qu’en cas de recours
administratif et les autorités judiciaires en cas de litige. C’est seulement à ce niveau que
le Procureur de la République pourra intervenir pour faire respecter la légalité. quid alors
de la conclusion du contrat et de la mise en valeur ?

3. Contrat d’occupation provisoire ou contrat de location

Lorsque le résultat de l’enquête démontre que le terrain demandé n’est pas


occupé, l’autorité compétente met ce terrain à la disposition du demandeur moyennant un
contrat d’occupation provisoire ou un contrat de location. Ce contrat dont la durée est de
cinq ans, a pour but de réaliser la mise en valeur du terrain. C’est lorsque la mise en
valeur aura été déclarée satisfaisante que l’occupant conclura le contrat de concession
perpétuelle ou ordinaire.

Le contrat d’occupation provisoire est consenti moyennant certaines conditions :


paiement du loyer et mise en valeur.
S’agissant du paiement de loyer, l’occupant doit payer à l’Etat un loyer pendant
les années de manière progressive, avec un maximum égal à cinq pour cent du prix de la
concession du terrain à partir de la quatrième année.

344
Norwegian Refugee Council, La problématique foncière au Nord-Kivu et le retour des déplacés et des
réfugiés, inédit, Goma, 2007, p7
143

A la fin de la durée du contrat, les terres occupées provisoirement et mises en


valeur seront concédées à l’occupant conformément aux clauses contractuelles.345

- En ce qui concerne les conditions de la mise en valeur, elles sont en principe


prévues par le contrat. Mais la loi fixe un seuil en dessous duquel il n’ y a pas
mise en valeur et le terrain ne peut être considéré comme occupé.346

Les conditions prévues pour la mise en valeur peuvent être cumulatives ou


alternatives pour toute la surface du terrain. La constatation de l’occupation et de la mise
en valeur des terres sera faite sur la demande de l’occupant et à ses frais. 347 C’est lorsque
le fonctionnaire commis pour ce faire aura constaté une mise en valeur suffisante que le
contrat de concession perpétuelle ou ordinaire sera conclu. Ce contrat donne lieu à
l’établissement d’un certificat d’enregistrement.

De tout ce qui précède, il ressort que l’accès aux terres rurales se fait par voie
contractuelle. Le contrat de concession n’est conclu qu’après la mise en valeur du terrain.
Ce contrat obéit aux règles de droit privé. Qu’en est-il alors des dispositions du code
forestier ?

B. Acquisition des concessions forestières

L’acquisition des concessions forestières est régie par la loi n° 011/ 2002 du 29
août 2002 portant code forestier. Aux termes des dispositions de cette loi, les forêts
appartiennent à l’Etat. Celui-ci accorde aux particuliers des concessions forestières dont

345
Les conditions d’occupation des terres rurales sont prévues par les dispositions des articles 153 à159 de
la loi foncière.
346
Selon l’article 157 de la loi foncière, ne peuvent être considérées comme mise en valeur :
- les terres qui ne sont pas couvertes sur un dixième au moins de leur surface par des constructions ;
- les terres qui ne sont pas couvertes sur cinq dixième au moins de leur surface de cultures alimentaires,
fourragères ou autres ;
- les terres sur lesquelles il n’aura pas été fait, sur cinq dixièmes au moins de leur surface, des
plantations ; de palmiers , à raison d’au moins 100 unités par hectare ; de caféiers, à raison d’au moins
900 unités par hectare ; de quinquina, à raison d’au moins 6.940 unités par hectare ; de théiers, à
raison d’au moins 5.470 unités par hectare ; d’aleurites, à raison d’au moins 100 arbres par hectare
pour les enrichissements de forêt, et d’au moins 1.000 arbres par hectare pour les boisements en
terrains découverts. Pour les autres espèces d’arbres et arbustes, la densité minimum sera fixée de
commun accord entre le cessionnaire et le service compétent.
- Les terres auxquelles n’auront pas été appliquées les mesures fixées par la convention ou légalement
prescrites en vue de la conservation du sol.
347
Art 158 de la loi foncière
144

l’attribution se fait soit par voie d’adjudication, soit de gré à gré. Mais, toute personne
désireuse d’obtenir une concession forestière en vue d’une exploitation industrielle doit
remplir les conditions exigées par la loi.348

Mais pour arriver à la conclusion du contrat de concession forestière, la loi prévoit


également une procédure qui passe par l’enquête préalable. Ainsi, allons-nous analyser
cette procédure avant de voir le contrat de concession forestière.

1. Enquête préalable à l’octroi de la concession forestière

Le contrat de concession forestière est précédé d’une enquête publique dont la


forme et la procédure sont fixées par l’arrêté du ministre ayant les forêts dans ses
attributions.

Le but poursuivi par l’enquête est de constater la nature et l’étendue des droits que
pourraient détenir des tiers sur la forêt à concéder, en vue de leur indemnisation
éventuelle. le montant de l’indemnisation est fixé à l’amiable, ou à défaut, par voie
judiciaire. Le paiement de l’indemnité a pour conséquence de rendre la forêt concernée
quitte et libre de tout droit349.

L’arrêté ministériel du 07 août 2008 fixant la procédure d’enquête publique


préalable à l’octroi des concessions forestières prévoit que l’enquête a pour objectifs
notamment de :
- informer les populations locales sur le projet d’octroi d’une concession
forestière ;
- recueillir des informations sur la nature et l’étendue des droits que pourraient
détenir des tiers sur la forêt objet de l’enquête, notamment les

348
L’article 82 al 1et 2 de la loi portant code forestier prévoit que si le requérant est une personne physique,
elle doit être domiciliée en République Démocratique du Congo. S’il est personne morale, elle doit être
constituée légalement et avoir son siège en République Démocratique du Congo. Le requérant doit en outre
déposer un cautionnement auprès d’une institution financière établie en République Démocratique du
Congo, en vue de garantir le paiement de toutes indemnités si les travaux sont de nature à causer un
dommage ou s’il est à craindre que ses ressources ne soient pas suffisantes pour faire face à sa
responsabilité.
349
Art 84 de la loi précitée
145

concessionnaires fonciers et les communautés locales et/ ou les peuples


autochtones ainsi que les activités qui s’y exercent ;
- recueillir des informations sur l’existence éventuelle de sites d’importance
écologique, historique, archéologique ou architecturale, culturelle ou de sites
protégées en vertu des lois , règlements et coutumes locales ;
- réviser les limites de la forêt à concéder, définir les modalités de
compensation des parties prenantes350 affectées par la concession proposée et
les servitudes qui sont maintenues ou à créer ;
- proposer des mesures ou, le cas échéant, des programmes d’atténuation des
impacts environnementaux et sociaux.351

L’enquête publique est ouverte par l’annonce faite par voie de la presse,
audiovisuelle, par l’affichage de l’annonce aux bureaux des administrations provinciale et
locale chargées des forêts et à tous endroits dans la localité où la forêt est située et par
tout autre mode de communication permettant au public d’être pleinement informé du
projet.

La publicité de l’enquête est faite en français et dans une des langues nationales,
au moins deux mois avant la date fixée pour la consultation publique.352
L’enquête se déroule en deux phases principales :

- la communication préalable aux parties prenantes identifiées au projet de plan


de consultation élaborée en langue compréhensible ;
- la collecte des renseignements auprès des parties prenantes à travers
notamment des enquêtes, sondages, questionnaires, de réunions ou audiences
publiques selon le cas353.

350
Par parties prenantes, on entend les personnes, communautés locales et peuples autochtones, autorités,
associations villageoises, et organisations non gouvernementales légalement reconnues qui peuvent être
affectés directement ou indirectement par un projet d’exploitation forestière sous forme d’une
concession, dont la consultation est de nature à éclairer l’autorité chargée du processus d’attribution de la
concession proposée et qui sont impliquées dans la protection de l’environnement ou le développement
social des sites envisagés pour les concessions proposées.
351
Art 4 de l’arrêté ministériel précité
352
Art 6 de l’arrêté précité
353
Art 7 du même arrêté
146

Outre l’administration provinciale chargée des forêts, l’enquête implique les


administrations provinciales en charge respectivement du territoire, de l’aménagement du
territoire, de l’agriculture, des mines, des affaires foncières, de développement rural ainsi
que de l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature.

Sont également impliquées, toutes les parties prenantes au niveau local, avec une
attention particulière pour les groupes minoritaires vulnérables et/ ou les peuples
autochtones.354

L’enquête publique se clôture par la publication tant au niveau local que national
du rapport la sanctionnant. Ce rapport comprend les éléments suivants :

- la description du processus des consultations mentionnant le lieu, le temps et


la durée de chaque séance de l’enquête ;
- la liste des parties prenantes identifiées ayant réellement et activement
participé à l’enquête publique ;
- les procès-verbaux de chaque session de l’enquête publique dans lesquels
figurent, au minimum, les éléments d’information sur l’objet de l’enquête, la
description de la forêt à concéder ainsi que l’ouverture et le déroulement de
ladite enquête ;
- la synthèse des consultations et recommandations émises et les décisions
arrêtées en consultation avec les parties prenantes.

Tous les différents procès-verbaux susvisés doivent être signés par


l’administration provinciale chargée des forêts ou par l’expert indépendant choisi par
l’administration, lorsque l’enquête a été menée par ce dernier, ainsi que par les autres
parties prenantes impliquées dans l’enquête. Ces procès-verbaux sont rendus publics par
l’autorité compétente pour l’attribution de la concession proposée.

Quant au rapport final de l’enquête, il est gardé aux archives où il peut être
consulté.355 Si le rapport de l’enquête conclut que la forêt convoitée est quitte de tout

354
Art 8 du même arrêté
355
Art 9 du même arrêté
147

droit à l’égard des tiers, l’administration peut alors passer à l’étape de la conclusion du
contrat de concession.
2. Contrat de concession forestière

Pour conclure un contrat de concession forestière avec l’Etat, toute personne


physique ou morale intéressée doit présenter des garanties techniques et financières
jugées suffisantes pour notamment :

- l’exploitation des produits forestiers ;


- la conservation ;
- le tourisme et la chasse ;
- les objectifs de bio prospection ;
- l’utilisation de la biodiversité356.

Ce contrat comprend deux parties : le contrat proprement dit qui détermine les
droits et les obligations des parties, et un cahier des charges qui fixe les obligations
spécifiques incombant au concessionnaire.357

Le cahier des charges comporte des clauses générales et des clauses particulières.
Les clauses générales concernent les conditions techniques relatives à l’exploitation des
produits concernés. Quant aux clauses particulières, elles concernent notamment les
charges financières, les obligations en matière d’installation industrielle incombant au
titulaire de la concession forestière, une clause particulière relative à la réalisation
d’infrastructures socio-économiques au profit des communautés locales. Cette dernière
clause concerne spécialement la construction ainsi que l’aménagement des routes, la
réfection et l’équipement des installations hospitalières et scolaires ainsi que les facilités
en matière de transport des personnes et des biens.358

Ce contrat confère au concessionnaire le droit d’exploiter la superficie de forêt


concédée, dans le respect des dispositions légales et règlementaires. A ce titre, il a le droit
exclusif de prélever, dans la zone concédée, tous les bois exploitables pour leur

356
Art 87 du code forestier
357
Art 88 du même code
358
Art 89 du code forestier
148

transformation locale ou leur exportation. Cependant, l’exportation de certaines essences


peut être soumise à des restrictions particulières.359

Le concessionnaire ne peut louer, céder, échanger ou donner la concession


forestière sans l’autorisation préalable du ministre ayant les forêts dans ses attributions ou
du Président de la République, selon que le contrat a été signé par le ministre ou
approuvé par le Président de la République.

En cas de cession totale de la concession, le nouveau concessionnaire est subrogé


dans les droits et obligations du concessionnaire originaire.

Dans les autres cas, les concessionnaires originaire et nouveau sont tenus
solidairement de leurs obligations envers l’Etat.360

Le concessionnaire est tenu de s’installer et d’exploiter la forêt dans les dix-huit


mois qui suivent la signature du contrat de concession. Si à l’expiration de ce délai
l’installation et l’exploitation ne sont pas réalisées, l’administration chargée des forêts
met le concessionnaire en demeure d’entreprendre l’exploitation de sa concession dans
un délai de douze mois. Passé ce délai, il est déchu d’office de ses droits. La déchéance
est constatée par voie d’arrêté pris soit par le gouverneur de province, soit par le ministre
ayant les forêts dans ses attributions.361

Sauf cas de force majeure avérée, l’arrêt de l’exploitation par le concessionnaire


pendant deux années consécutives entraîne la reprise par l’Etat de la forêt concédée.362

La déchéance des droits du concessionnaire entraîne la saisie à titre conservatoire


des installations et du matériel immobilisé. Sur la valeur de ces biens, l’Etat prélève, par
privilège, ce qui lui est dû à quelque titre que ce soit, y compris les frais de conservation

359
Art 94 du code forestier
360
Art 95 du code forestier
361
Art 115 du code forestier
362
Art 116 du code forestier
149

engagés jusqu’ à la réalisation des biens.363 La déchéance ne concerne pas les concessions
de conservation et de bio prospection.364

La loi portant code forestier prévoit encore d’autres dispositions concernant les
droits et les obligations des parties. Ce qui importe pour nous, c’est de constater que
l’accès aux concessions forestières passe par voie contractuelle. Ceci est important parce
que, comme nous le verrons dans le chapitre qui suit, ce mode d’accès a une incidence
sur la situation de la femme. Il convient également de mentionner que le contrat de
concession forestière est un contrat administratif, dans la mesure où il contient des
clauses exorbitantes de droit commun et l’une des parties au contrat est toujours l’Etat.
Son contentieux relève donc du juge administratif.365

Il y a lieu cependant de noter que dix ans après la promulgation du code


forestier, aucun contrat de concession forestière n’a été conclu. Les anciens exploitants
forestiers ne sont pas pressés pour convertir leurs anciens titres en concessions
forestières, alors que l’article 155 du code forestier leur avait accordé un délai d’une
année pour réaliser la conversion des titres. Cette réticence se justifie par le fait que le
code leur impose à travers la clause particulière, de réaliser les infrastructures socio-
économiques qui doivent être au préalable discutées avec les communautés locales
concernées, et ce, avant la conclusion du contrat de concession forestière. Cela constitue
pour eux une charge qu’ils ne veulent pas assumer. Ils gardent jusqu’à ces jours, leurs
anciens titres qui ne leur imposent pas l’obligation de réaliser les infrastructures socio-
économiques au profit des communautés locales.

De tout ce qui précède, il ressort que le droit congolais post colonial ne s’est
vraiment pas démarqué de la ligne tracée par l’Etat Indépendant du Congo ainsi que la
colonisation belge, en ce qui concerne la procédure de gestion des terres vacantes,

363
Art 117 du code forestier
364
Aux termes de la loi portant code forestier, on entend par conservation, les mesures de gestion
permettant une utilisation durable des ressources et des écosystèmes forestiers, y compris leur protection,
entretien, restauration, et amélioration. Par bio prospection on entend l’activité consistant à inventorier
ou évaluer les éléments constitutifs de la diversité biologique importants pour sa conservation et son
utilisation durable tout en tenant compte des normes d’inventaire prévues.
365
G. Sakata M. Tawab, Code forestier congolais et ses mesures d’application, Louvain- la- Neuve,
Academia-Bruylant, 2010, p144
150

devenues terres rurales. La grande différence se situe au niveau de la nature des droits
que l’Etat accorde aux particuliers. En effet, si pendant les deux périodes précédentes, les
particuliers avaient un droit de propriété, depuis la loi de 1973 portant régime général des
biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés, l’Etat étant l’unique
propriétaire foncier, n’accorde aux particuliers que des droits de jouissance qu’on appelle
concession.

Malgré cela, les communautés locales considèrent les terres rurales comme étant
leur propriété. Elles ne se sentent pas toujours concernées par le contrat que l’Etat conclut
avec les particuliers. C’est ainsi qu’il arrive souvent qu’en dehors du contrat conclu entre
l’Etat et le concessionnaire, ce dernier soit obligé de trouver encore d’autres
arrangements avec les communautés locales pour faciliter l’accès à la terre ou à la forêt.
S’agissant particulièrement de l’exploitation de la forêt, il y a lieu de noter que le code
forestier, par le biais du cahier de charge, a prévu la prise en compte des intérêts des
communautés locales par la réalisation des infrastructures socio- économique en leur
faveur. C’est ainsi qu’on considère le contrat de concession forestière comme un contrat
tripartite dont les parties sont l’Etat, l’exploitant forestier et la communauté locale. Mais
le fait que les exploitants forestiers ne veulent pas conclure le contrat de concession
forestière, entraîne souvent des difficultés avec les communautés locales. En effet, celles-
ci ne trouvent pas leur compte dans l’exploitation. Les anciens contrats 366 conclus par les
exploitants forestiers avec l’Etat n’accordent pas aux communautés locales les avantages
socio-économiques.

De mon expérience de magistrat, il m’est déjà arrivé d’intervenir dans les conflits
opposant les exploitants forestiers aux communautés locales au motif que les premiers ne
respectent pas les engagements pris avec les seconds. Souvent ces engagements
consistent dans le fait de verser aux communautés locales mensuellement ou
trimestriellement une somme d’argent ou de leur fournir certains biens de première
nécessité comme du sel, du savon, du sucre etc. Si ces engagements ne sont pas tenus, les

366
Par anciens contrats, il faut entendre la garantie d’approvisionnement et la lettre d’intention. La garantie
d’approvisionnement est un contrat conclu entre l’Etat et l’exploitant forestier disposant déjà sur le
territoire national d’une usine de transformation des produits ligneux ayant un certain niveau de production.
La lettre d’intention est également un contrat conclu entre l’Etat et un exploitant forestier qui promet de
construire une usine de transformation des produits ligneux sur le territoire national.
151

villageois se mobilisent pour empêcher les travailleurs de l’exploitant forestier d’accéder


au site d’exploitation, en barricadant les voies d’accès ou en brutalisant les employés.

La difficulté majeure qui entraîne une certaine confusion dans la relation devant
exister entre les concessionnaires et les communautés locales concerne les limites entre
les forêts domaniales et les forêts des communautés locales. Si l’Etat fait la distinction
entre ces deux types de forêt, les communautés locales prétendent être propriétaires de
l’ensemble des forêts sans distinction. Ces dernières se fondent sur les coutumes qui ont
toujours régies les sociétés traditionnelles. En effet, partout à travers le pays, toutes les
forêts ont sur le plan coutumier des propriétaires. Ainsi, l’octroi d’une concession
forestière à un exploitant forestier, est ressenti par les communautés locales comme un
acte de spoliation qui appelle une certaine résistance de leur part. il arrive même parfois
que les villages entiers se retrouvent dans une concession forestière. Alors, il y a lieu de
se demander si l’enquête prévue par la loi se réalise correctement. Qu’en est-il en ce qui
concerne la gestion des terres urbaines ?

Section 2 Terres urbaines

Nous allons ici adopter également la même démarche, celle qui consiste à
analyser d’un côté la situation de ces terres sous la colonisation et de l’autre côté le
régime des terres urbaines sous le Congo indépendant.

§.1 Terres urbaines sous le régime colonial

Pour une meilleure analyse de la situation, il y a lieu de distinguer deux périodes :


celle d’avant la promulgation des décrets de 1953 et celle d’après la mise en vigueur de
ces textes.

A. Terres urbaines avant le régime des décrets de 1953

La colonisation avait institué un régime foncier ségrégationniste. En effet, les


Européens n’habitaient pas ensemble avec les Noirs. Dans les agglomérations, il a existé
des quartiers pour les Blancs et des quartiers pour les Noirs. Sur le plan de droit,
l’apartheid a également existé. Les Européens n’étaient pas régis par le même droit que
152

les Africains. Concernant particulièrement les droits fonciers, il y a lieu d’observer que le
code civil, livre II était applicable aux non indigènes et que les indigènes étaient régis par
des dispositions d’ordre administratif et règlementaire.

Cela a entraîné comme conséquence que les Blancs avaient le droit de propriété
sur les terres qu’ils occupaient, alors que les Noirs n’avaient qu’un droit d’occupation sur
le sol. Les terres occupées par les Noirs dans les circonscriptions urbaines appartenaient
aux pouvoirs concédants qui étaient soit la colonie, soit le Comité spécial du Katanga,
soit le Comité national du Kivu.

Mais, partout dans ces agglomérations, l’administration locale avait constitué un


fonds déjà loti pour permettre aux autochtones d’acquérir ou de construire une habitation
en matériaux plus ou moins durables. Les parcelles étaient mises à leur disposition soit à
titre gratuit, soit à titre onéreux et ce, suivant les décisions du gouverneur de province ou
du pouvoir concédant.367

Ainsi, sur une même parcelle du centre extra-coutumier ou de la cité indigène, on


trouvaient deux titulaires de droits différents : la colonie ou l’un des deux autres pouvoirs
concédants qui est propriétaire du fonds et l’indigène propriétaire de l’habitation ou
d’autres constructions.368

Le droit d’occupation des indigènes sur le sol était un droit précaire et révocable.
Selon le Vade mecum du Katanga, le droit d’occupation précaire est autorisé par
l’autorité administrative qui accorde la jouissance du terrain convoité pour une durée
indéterminée ou pour une durée déterminée avec ou sans clause de tacite reconduction.369

Il ressort de cette définition que l’autorité administrative qui accorde ce droit, a la


latitude d’y mettre fin à tout moment lorsque les circonstances l’exigent, sans toutefois
passer par la longue procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique. En principe,
la reprise du sol par l’Etat est gratuite. Mais si, sur le terrain, sont érigées des

367
G. Kalambay Lumpungu, Le droit foncier zaïrois et son unification, Thèse de doctorat, Université
Catholique de Louvain, 1973, p 278
368
G. Kalambay Lumpungu, op. cit, p 278
369
W. Bracke, op. cit, p15
153

constructions, il y a lieu à compensation suivant l’estimation en tenant compte du prix


actuel.

On peut se demander si le titulaire du droit d’occupation ne pouvait pas disposer


de la maison dont il était propriétaire ?

Il y a lieu de dire qu’étant propriétaire de la maison, il peut bien conclure avec les
tiers toute sorte de contrat et la maison peut faire l’objet de succession. Ainsi, il peut
louer la maison ou la vendre. En cas de vente, le transfert de propriété a lieu entre parties
contractantes dès qu’il y a accord des volontés. Mais à l’égard des tiers, le vendeur et
l’acheteur doivent remplir les formalités administratives relatives à la mutation du droit
d’occupation, ayant pour aboutissement l’établissement d’une nouvelle fiche parcellaire
au nom du nouvel acquéreur.
Cette exigence administrative se justifie par le fait que le propriétaire de la
maison, qui ne dispose que d’un droit d’occupation sur le sol, vend son droit sur le sol en
vendant sa maison.

Le titre qui permet l’occupation des parcelles dans une cité indigène ou centre
extra-coutumier est le permis d’occupation. Ce titre est précaire, comme le droit
d’occupation et il n’a qu’une valeur administrative. De ce fait, il ne procure pas à son
titulaire la même sécurité juridique que le certificat d’enregistrement qui consacre la
propriété dans les quartiers européens des circonscriptions urbaines.

Le droit d’occupation provisoire présente certains avantages et inconvénients qui


peuvent se résumer comme suit :
Le caractère précaire de ce droit expose son titulaire à l’arbitraire de
l’administration.

Le droit d’occupation a en revanche l’avantage de permettre aux pouvoirs publics


de reprendre les terrains occupés par les indigènes à moindre frais, quand les
circonstances l’exigent.370

370
G. Kalambay Lumpungu, op. cit, p288
154

De ce qui précède, il ressort que le caractère dualiste du droit persiste même dans
les circonscriptions urbaines. En effet, à côté d’un droit législatif régissant les Blancs, il
s’est développé un droit d’origine administrative en faveur des Noirs. Ce dernier peut être
considéré comme un troisième régime foncier, à côté du droit coutumier et du droit écrit.
Ce régime semble être proche de celui du droit coutumier. La différence apparaît au
niveau du propriétaire du fonds. En droit coutumier, le fonds appartient à la communauté,
qui en l’espèce, est le clan ou la famille alors que pour le droit d’occupation, le
propriétaire est soit la colonie soit les pouvoirs concédants. Mais le caractère vague de ce
droit a nécessité que l’Etat intervienne par des textes nouveaux pour accorder aux Noirs
des droits fonciers précis. C’est la raison d’être de différents décrets de 1953.

B. Terres urbaines sous l’empire des décrets de 1953

La Charte coloniale, en son article 5 avait assigné au gouverneur général, entre


autres missions, le développement de la propriété sur le territoire du Congo belge371.
C’est en vertu de cette disposition que les décrets de 1953 ont été pris. Les textes
concernés sont les suivants :

- le décret du 10 février 1953 sur l’accession des Congolais à la propriété


immobilière individuelle ;
- le décret du 10 février 1953 sur les cessions et concessions en vue de favoriser
la colonisation ;
- le décret du 23 février 1953sur les cessions et concessions de terres dans les
centres extra-coutumiers et les cités indigènes.

Dans le cadre de ce travail, il nous semble que seuls le premier et le troisième


textes présentent un intérêt pour nous.

371
L’article 5 de la Charte coloniale est libellé comme suit : « le Gouverneur général veille à la
conservation des populations indigènes et à l’amélioration de leurs conditions morales et matérielles
d’existence. Il favorise l’expansion de la liberté individuelle, l’abandon progressive de la polygamie et le
développement de la propriété. Il protège et favorise, sans distinction de nationalités ni de cultes, toutes les
institutions et entreprises religieuses, scientifiques ou charitables, créées et organisées à ces fins ou tendant
à instruire les indigènes et à leur faire comprendre et apprécier les avantages de la civilisation.
Les missionnaires chrétiens, les savants, les explorateurs, leurs escortes, avoir et collections sont l’objet
d’une protection spéciale ».
155

1. Analyse du décret du 10 février 1953 sur l’accession des Congolais à la propriété


immobilière individuelle

Ici, nous allons nous limiter à l’étude de quelques dispositions ayant trait à l’accès
au droit de propriété ainsi que les restrictions qui en résultent. Les dispositions relatives à
la succession fera l’objet d’une analyse ultérieure, notamment lorsque nous allons
aborder la question relative à l’accès de la veuve au droit foncier.

L’article premier de ce texte dispose que « Tout Congolais peut jouir de tous les
droits immobiliers organisés par la législation écrite ». Cette disposition consacre
l’égalité de tous les Congolais en matière d’accès aux droits immobiliers. La nouveauté
de ce droit ne concerne en réalité que les Congolais non-immatriculés. En effet, le
pouvoir colonial avait institué plusieurs catégories des Congolais en tenant compte de
leur degré de civilisation. Il en est ainsi notamment des Congolais immatriculés, des
Congolais détenteurs de la carte de mérite civique ainsi que les Congolais soumis au
droit coutumier. Ainsi, la dernière catégorie des Congolais n’avait pas le droit d’accéder à
la propriété immobilière individuelle. Il convient de noter que les Congolais visés par ce
texte, sont ceux vivant dans les milieux urbains, car l’aire d’application de ce texte est
limité aux centres extra-coutumiers et cités indigènes des agglomérations urbaines.

L’exposé des motifs de ce décret justifie de la manière suivante cette disposition :


«Le principe fondamental régit la matière : les indigènes doivent pouvoir accéder à la
plénitude des droits immobiliers individuels, sans aucune restriction fondée uniquement sur une
distinction raciale. Telle a toujours été la politique coloniale belge puisque l’indigène congolais a
toujours pu se rendre titulaire des mêmes droits immobiliers que l’Européen en remplissant la
formalité de l’immatriculation telle qu’elle était organisée par le code civil . Mais le nouveau
régime de l’immatriculation pouvant être interprété comme restreignant cette faculté, il convient
de formuler ce principe de façon non équivoque en tête du présent projet de décret. C’est l’alinéa
1er.
Il en résulte que tout Congolais, immatriculé ou non, peut acquérir des terres enregistrées,
par exemple en les achetant à des propriétaires non- indigènes, ou encore recevoir des droits
d’emphytéose, de superficie ou de propriété sur les terres domaniales aux conditions de l’arrêté
royal du 30 mai 1922 et de l’arrêté ministériel du 25 février 1943, ou conformément aux
règlements du Comité spécial du Katanga et du Comité national du Kivu. Tout comme il pourra
acquérir des parcelles dans les circonscriptions extra-coutumières ou sur les terres affectées
156

spécialement au colonat Indigène, conformément aux règlements sur les droits fonciers qui seront
organisés pour ces espèces de terres. Comme, il pourra devenir titulaire des droits immobiliers
organisés par la législation écrite sur tous les biens auxquels cette législation est appliquée. Ces
droits, il pourra les exercer cumulativement avec les droits immobiliers coutumiers qu’il pourrait
posséder dans la circonscription indigène, dont la coutume continuera à régir les biens».372

Le droit accordé à l’article premier est assorti de certaines restrictions concernant


les Congolais non immatriculés. C’est ainsi que l’article 2 de ce décret interdit cette
catégorie des Congolais à disposer de leurs droits immobiliers à titre onéreux sans
l’autorisation du président du tribunal de territoire. Cette restriction est justifiée par le
législateur par la nécessité de protéger les Congolais concernés contre les contrats
lésionnaires ou encore pour éviter des donations déguisées ou des ventes consenties sous
la pression des oncles et autres collatéraux.

Selon le rapport du Conseil colonial, cette restriction ne concerne pas seulement


la vente. L’échange est également mis sur le même pied d’égalité que la vente.
Il est aussi interdit aux Congolais non immatriculés de donner en location leurs
biens immobiliers pour une durée qui dépasse six ans sans l’autorisation du même
président. Cette exigence est dictée par le fait que l’indigène n’est pas toujours à mesure
de comprendre les fluctuations de la valeur du bien que pourraient engendrer un bail plus
long. Les dispositions de ce texte doivent être mises en parallèle avec le décret du 23
février 1953.

2. Analyse du décret du 23 février 1953

Ce texte avait une portée limité. En effet, l’article premier accorde au gouverneur
de province le pouvoir de déterminer les centres extra-coutumiers, les agglomérations
érigées en cités indigènes ou les quartiers de ceux-ci qui seront concernés par les
dispositions de ce décret. En exécution de cette disposition, trois gouverneurs de province
ont pris des arrêtés pour déterminer les territoires qui feront l’objet d’application des
dispositions du décret susvisé. Il s’agit de la province du Katanga, de la province du Kivu
et de la province de Léopoldville.

Les buts poursuivis par ce texte sont les suivants :


372
B.O., 1953, p. 409
157

- permettre aux habitants, établis d’une manière stable dans la localité, de


devenir propriétaires ou de prendre en location les terrains nécessaires à leur
résidence, à leur commerce, à leur industrie ou à leur petite exploitation
agricole ou maraîchère ;
- garantir ces avantages au plus grand nombre ;
- rendre impossible la spéculation, l’accaparement et l’abandon des parcelles.373

Ce décret accorde aux pouvoirs concédants, propriétaires fonciers, le pouvoir de


créer les lotissements dans les centres extra-coutumiers, les cités indigènes ou dans
certains quartiers de ceux-ci, en réservant à chaque lot une affectation précise. Ce plan de
lotissement établi devrait être approuvé par le gouverneur de province. Celui-ci pouvait le
modifier lorsque les circonstances l’exigeaient.374
Les terrains ainsi lotis, sont mis à la disposition du public et peuvent faire l’objet
de la location simple ou de la location avec option de rachat ou encore de la vente.

La procédure pour accéder à ces terrains est prévue par l’ordonnance du 6 mars
1954 portant forme des demandes de cession et de concession de terres dans les centres
extra-coutumiers et les cités indigènes.

Selon cette ordonnance, les demandes relatives à des terrains sis dans les centres
extra-coutumiers et les cités indigènes déterminés par le gouverneur de province en
application de l’article premier du décret du 23 février 1953, sont adressées en triple
exemplaire à l’autorité qui a dans ses attributions l’administration du centre ou de la
cité.375
Les demandes prennent date le jour de leur réception. Elles sont actées dans cet
ordre, dans un registre spécial où sont mentionnés : l’identité du demandeur, la situation
et le numéro du terrain demandé, la date de la demande et celle de sa réception.376

373
B.O., 1953, p.436
374
Art 2 du décret du 23 février 1953
375
Art 1 de l’ordonnance du 6 mars 1954
376
Art 2 de la même ordonnance
158

Lorsque la parcelle fait l’objet d’une vente, l’acheteur en devient propriétaire.


Mais selon l’article 20 du décret, ce droit de propriété est grevé au profit du concédant,
d’un droit de reprise opposable aux tiers.377

En somme, il y a lieu également de constater que l’accès aux droits fonciers sous
le régime de différents décrets de 1953, se fait sur base des contrats qui peuvent être de
nature diverse. Mais le plus important, c’est que désormais, tous les Congolais peuvent
accéder aux droits fonciers sans aucune discrimination. Qu’en est-il alors de la gestion
des droits fonciers sur les terres urbaines sous le Congo indépendant?

§2. Terres urbaines sous le Congo indépendant

L’Etat en tant qu’unique propriétaire foncier accorde aux particuliers un droit de


jouissance sur les terres de son domaine foncier privé, et ce, tant sur les terres urbaines
que sur les terres rurales. S’agissant particulièrement des terres urbaines, le législateur
prévoit que le Président de la République ou son délégué dresse un plan parcellaire des
terrains à concéder.378

Les personnes désireuses d’obtenir des parcelles doivent adresser leurs demandes
auprès de l’autorité compétente. Le dossier doit être constitué en respectant les mêmes
éléments que ceux exigés pour les terres rurales.

Lorsque les concessions portent sur un fonds entièrement ou partiellement inculte,


elles sont soumises à la condition de mise en valeur. Celle-ci est déterminée par le contrat
suivant les régions, la nature et la vocation du fonds concédé, les plans de développement
économique ainsi que les normes d’urbanisme et d’hygiène. Le fonds ne pourra être
occupé que lorsque le requérant aura conclu avec l’Etat, représenté par le conservateur
des titres immobiliers, un contrat de location. Ce contrat d’une durée initiale de trois ans,
a pour but de réaliser la mise en valeur du terrain, en tenant compte de sa destination. Si
dans les trois ans, le requérant n’a pas été à mesure de terminer la mise en valeur, le

377
Selon l’article 20 de ce décret, le droit de reprise peut s’exercer dans les cas ci-après : - en cas de non-
occupation pendant une période de cinq ans continue. Cette période est réduite à deux ans lorsqu’il s’agit
d’une parcelle à usage maraîcher. - en cas de changement de destination opéré dans le cours d’une période
de vingt ans commençant à courir du jour de la cession de la parcelle par la personne publique.
378
Art 63 de la loi foncière
159

contrat de location peut encore être prorogé pour une durée de deux ans. Cette dernière
durée peut encore être reconduite une fois si le requérant n’arrive pas toujours à terminer
la mise en valeur. En somme, la mise en valeur doit être réalisée pendant une durée
maximum de 7 ans. Mais dans la pratique, il arrive que la mise en valeur se réalise au-
delà de cette durée et l’Etat ne se montre pas rigoureux quant à ce.

Cette attitude se justifie par le fait que la crise économique que traverse le pays
depuis quelques décennies a atteint un niveau tel qu’il est objectivement difficile pour un
Congolais moyen de réaliser la mise en valeur dans le délai légal.

Une fois la mise en valeur terminée, le requérant prend l’initiative de demander


aux agents du cadastre de venir la constater. Le constat de la mise en valeur se fait sur
base d’un procès-verbal de constat. Si le constat indique que la mise en valeur est
suffisante, le conservateur des titres immobiliers signe avec le requérant un contrat de
concession perpétuelle ou ordinaire, selon que celui-ci est une personne physique de
nationalité congolaise ou non ou une personne morale. C’est sur base de ce contrat que
sera établi le certificat d’enregistrement qui constitue le titre consacrant le droit du
requérant sur la parcelle.

De tout ce qui précède, nous pouvons dire que les règles régissant les terres
urbaines et rurales sont apparemment impersonnelles, contrairement aux règles
coutumières qui mettent l’accent particulier sur le sexe des personnes pouvant accéder
aux droits fonciers. L’accès aux droits fonciers se fait par voie contractuelle tant pour les
terres urbaines que rurales. La procédure prévoit deux phases : la première est celle d’une
occupation provisoire ayant pour but d’assurer la mise en valeur du terrain et la deuxième
est celle qui consacre le droit sur le terrain occupé, et ce, après avoir réalisé la mise en
valeur. A chaque étape, les contrats sont assortis des droits et des obligations.

S’agissant particulièrement des terres rurales, le législateur tant colonial que


postcolonial a maintenu la procédure de l’enquête préalable dans le but de s’assurer que
le terrain convoité est libre de tout droit. Mais la nature du droit accordé aux particuliers
diffère d’une époque à l’autre. En effet, pendant la période coloniale et même avant cette
période, les particuliers pouvaient accéder à la propriété foncière, alors qu’ avec la loi de
160

1973, les particuliers n’accèdent qu’à un droit de jouissance appelé concession, l’Etat
étant devenu l’unique propriétaire foncier.

Quant aux terres urbaines, elles sont mises sur le marché après qu’elles aient été
loties. Chaque portion de terres a une destination précise. Celle-ci doit être respectée par
l’occupant ou par le concessionnaire. Ici également, la nature du droit à concéder n’a pas
été la même d’une époque à l’autre. En effet, si au départ les indigènes n’avaient pas le
droit de propriété sur le sol, avec les décrets de 1953, ils avaient acquis le droit de
propriété tant sur le sol que sur les constructions. Mais la loi de 1973 est revenu
pratiquement sur la situation antérieure en 1953, en accordant aux particuliers un droit de
jouissance sur le sol occupé par eux, tout en leur reconnaissant le droit de propriété sur
les immeubles construits. Mais il convient d’observer que le droit de jouissance sur le sol
reconnu au concessionnaire par la loi de 1973 n’est un droit précaire comme celui prévu
avant 1953. En outre, il est d’origine légale et non administrative.

En somme, les règles qui régissent actuellement tant les terres urbaines que
rurales obéissent à la même logique qui préside à la gestion des terres coutumières. En
effet, nous avions vu que sur le plan coutumier la terre est la propriété de la communauté,
qui dans le cas d’espèce est soit le clan, soit la famille. Mais les membres de la
communauté avait de droit individuel de jouissance sur le sol qu’ils occupent et le droit
de propriété sur le produit de leur travail lié au sol.

Il y a lieu de constater également que pour les terres régies par le droit écrit, l’Etat
en tant que communauté est l’unique propriétaire. Il accorde aux particuliers qui sont
membres de cette communauté, le droit de jouissance sur le sol appelé concession. Mais
ceux-ci, ont un droit de propriété sur les constructions ainsi que les récoltes incorporées
au sol.

Il convient cependant de s’interroger si ces règles de droit écrit ont la même


influence sur les droits fonciers de la femme que les règles coutumières. Cette question
fera l’objet du chapitre qui suit.
161

Chapitre 2 : Accès de la femme aux terres rurales et urbaines

L’accès de la femme sur les terres rurales et urbaines dépend de la situation dans
laquelle elle se trouve. En effet, la femme célibataire n’accède pas à la terre dans les
mêmes conditions que la femme mariée, veuve, divorcée ou vivant dans une union de
fait. Ainsi, étant donné que chaque situation obéit à des conditions particulières, nous
allons les examiner de manière séparée. Mais d’une façon générale, il convient d’affirmer
que la femme accède à la terre dans les mêmes conditions que l’homme, hors mis la
femme mariée ainsi que la femme vivant dans une union de fait qui ne dispose pas des
droits successoraux par rapport à son partenaire. Ce chapitre sera donc subdivisé en cinq
sections. La première analysera la situation de la femme célibataire, la seconde celle de la
femme mariée, la troisième sera axée sur les droits fonciers de la veuve, la quatrième sur
les droits fonciers de la femme divorcée et enfin la cinquième sur ceux de la femme se
trouvant dans une union de fait.

Section 1 : Accès de la femme célibataire à la terre

Dans le chapitre précédent, nous avions analysé les règles qui régissent l’accès
aux droits fonciers. Il convient de constater que nulle part ces règles font allusion
expressément au sexe des bénéficiaires de ces droits. En outre, nous avions aussi souligné
que l’accès à la terre passe par voie contractuelle. Ce contrat relève généralement du
droit privé, en dehors du contrat de concession forestière qui est un contrat administratif.

Ainsi, l’article 8 du décret du 30 juillet 1888 portant des contrats ou des


obligations conventionnelles prévoit les conditions essentielles de formation et de validité
du contrat. Selon cette disposition, la validité du contrat est conditionnée par la réunion
des éléments ci-après : le consentement libre et éclairé des parties, la capacité des parties
au contrat, l’objet du contrat doit être licite et la cause doit également être licite.

Si les autres conditions n’ont jamais posé des problèmes particuliers, la condition
relative à la capacité de la femme fait souvent l’objet de discussion. Nous y reviendrons
lorsque nous allons analyser la situation de la femme mariée. Relativement à cette
condition, l’article 23 du décret susvisé dispose : « Toute personne peut contracter, si elle
162

n’en est pas déclarée incapable par la loi. » Ainsi, au regard de cette disposition, la
femme célibataire est pleinement capable pour contracter, dans la mesure où aucune loi
ne la déclare incapable. Elle peut par conséquent conclure avec l’Etat un contrat de
location avec obligation de mettre le terrain en valeur ou un contrat de concession
ordinaire ou perpétuelle donnant accès à l’établissement du certificat d’enregistrement.
Elle peut également conclure un contrat de vente portant sur un bien immobilier ou celui
de donation.

Même si la loi ne fait pas allusion de façon expresse au sexe du requérant, cette
exigence me paraît implicite. En effet, dans le chapitre précédent nous avions dit que la
loi exige que celui qui demande une portion de terre auprès de l’Etat doit constituer un
dossier pour la circonstance. Parmi les éléments du dossier, la loi exige notamment
l’identité du requérant. Or, le sexe est un élément faisant partie de l’identité de la
personne. Il en est également de l’état-civil. Ainsi, à travers ces éléments, la partie
cocontractante qui est l’Etat, saura si l’autre partie est de sexe masculin ou féminin. Si
elle est de sexe féminin, cela permettra de vérifier si elle est célibataire, auquel cas il n ‘y
aura pas de problème concernant sa capacité à contracter.

La femme célibataire a également la possibilité de disposer de ses droits fonciers


et immobiliers comme elle l’entend, sous réserve des dispositions légales restrictives en
la matière. Elle peut en disposer à titre onéreux ou à titre gratuit.

De ce qui précède, il ressort que les droits fonciers et immobiliers de la femme


célibataire sur les terres rurales et urbaines sont pratiquement les mêmes que ceux de la
femme, membre de la communauté’’ propriétaire foncière,’’ en ce qui concerne les terres
des communautés locales. La différence majeure qui existe entre les deux situations peut
être située au niveau de l’étendue de ces droits.

En effet, si la femme membre de la communauté locale n’a pas le droit de


disposer de la terre au profit des étrangers à la communauté à laquelle elle appartient, la
femme se trouvant sur les terres rurales et urbaines peut disposer de ses droits fonciers et
immobiliers au profit de n’importe quelle personne de son choix. Cette différence au
163

niveau de l’étendue du droit se justifie par les caractères collectifs et inaliénables des
terres appartenant aux communautés locales.

Par rapport à l’homme, la femme célibataire jouit de mêmes droits et accède aux
droits fonciers et immobiliers dans les mêmes conditions. Qu’en est-il de la femme
mariée ?

Section 2 : Accès de la femme mariée à la terre

L’étendue des droits fonciers de la femme mariée dépend aussi du régime


matrimonial choisi par les époux. Si, en droit coutumier, nous avions affirmé que
l’unique régime matrimonial connu est la séparation des biens, le droit écrit consacre trois
régimes matrimoniaux parmi lesquels les époux peuvent choisir celui de leur préférence.
Ces régimes sont prévus par la loi n°87-010 du 1er août 1987 portant code de la famille.
Cette loi prévoit aussi certaines règles ayant une influence certaine sur l’accès de la
femme à la terre. Tel est le cas du régime de l’autorisation auquel la femme mariée est
astreinte. Ainsi, nous allons dans un premier paragraphe analyser les différents régimes
matrimoniaux prévus par la loi et dans un deuxième paragraphe la capacité de la femme
mariée.

§ 1 : Régimes matrimoniaux prévus par le code de la famille

Avant de passer en revue les différents régimes matrimoniaux prévus par le code
de la famille, il est nécessaire de noter que le code civil, livre premier, que le code de la
famille a abrogé, n’avait prévu aucune disposition relative au régime matrimonial. Le
législateur du code de la famille a prévu d’une part des règles qui s’appliquent à tous les
régimes matrimoniaux et d’autre part des règles spécifiques à chaque régime
matrimonial. Ainsi, dans un premier temps, nous allons voir les règles communes à tous
les régimes et dans un deuxième temps, les règles spécifiques à chaque régime. Nous
tenons à préciser que nous allons nous limiter aux règles qui ont un lien avec l’accès de la
femme mariée aux droits fonciers.
164

A. Règles communes à tous les régimes matrimoniaux

Quel que soit le régime matrimonial choisi par les époux, la gestion des
patrimoines commun et propre est présumée être confiée au mari. Mais les époux peuvent
convenir au moment du choix du régime que chacun gérera ses biens propres379.

Lorsque l’un des époux ne peut justifier de la propriété ou de la concession


exclusive d’un bien, celui-ci est présumé appartenir aux deux époux380.

L’accord de deux époux est obligatoire pour les actes ci-dessous, quel que soit le
régime choisi par les époux ainsi que les modalités de gestion mises en place :

- transférer une concession foncière ordinaire ou perpétuelle, commune ou


propre ou la grever d’un droit de superficie, d’usufruit, d’habitation,
d’hypothèque ou d’une servitude ;
- aliéner un immeuble par incorporation commun ou propre ou le grever d’un
droit réel d’usufruit, d’usage, d’habitation, d’hypothèque ou d’une servitude
ou d’un bail de plus de neuf ans ;
- aliéner un immeuble commun dont la valeur est supérieure à 50.000 zaïres381
ou des titres inscrits de cette valeur au nom du mari et de la femme ;
- contracter un emprunt de plus de 10.000 zaïres sur les biens communs ou
propres de l’autre époux ;
- faire une donation de plus de 500 zaïres ou cautionner la dette d’un tiers pour
un montant supérieur à 5.000 zaïres, sur les biens communs ou propres de
l’autre époux382.

379
Art 490 du code de la famille
380
Art 492 al 1er du même code
381
Le zaïre est la monnaie qui avait cours légal en République Démocratique du Congo. Actuellement,
c’est le franc congolais qui est la monnaie ayant cours légal au pays. Il est assez difficile de faire
l’équivalence avec le franc congolais parce que le zaïre avait été d’abord remplacé par le nouveau zaïre
avant que celui-ci ne soit à son tour remplacé par le franc congolais.
165

Si dans les six mois qui suivent la conclusion des actes précités, la partie tierce
contractante n’a pas été notifiée du désaccord de l’autre membre du couple qui n’avait
pas pris part à la conclusion de l’acte, on présume que cet acte a obtenu son accord.383

Tout tiers qui passe un acte avec l’un des époux, nécessitant l’accord de l’autre
conjoint, peut réclamer cet accord soit au moment de l’établissement de l’acte, soit dans
les six mois qui suivent la conclusion de l’acte384.

La partie tierce notifie sa réclamation par lettre recommandée avec accusé de


réception adressée aux deux époux. A défaut d’une réponse dans le mois qui suit l’accusé
de réception, l’accord de l’autre est présumé être acquis définitivement385.

Dans certains cas, un des époux peut solliciter l’autorisation du Président du


tribunal de paix compétent pour passer seul ou ratifier seul les actes qui requièrent en
principe l’accord de l’autre conjoint. Il en est ainsi lorsque le refus de l’autre conjoint
n’est pas justifié par l’intérêt du ménage ou s’il n’est pas en état de manifester sa volonté.
En pareil cas, l’autorisation du Président du tribunal fixe les conditions dans lesquelles
l’acte sera passé ou ratifié. Cet acte sera opposable à l’époux dont le concours a fait
défaut386.

Cette règle qui consacre le concours obligatoire de deux époux en cas de


disposition des immeubles est empruntée de l’ancien droit français. A ce sujet, Pierre
Binet écrit notamment ce qui suit : « si le mari est libre de disposer seul des meubles
matrimoniaux, il doit subir le concours de sa femme pour toute aliénation d’immeubles ;
cela est vrai non seulement des immeubles propres de l’époux, mais des immeubles
communs ou conquêts.387 »

Voilà les règles applicables à tous les régimes matrimoniaux, relativement aux
droits fonciers de la femme mariée. A ce niveau, il y a lieu de noter que le législateur a

382
Art 499 du code la famille
383
Art 500 al 1er du code de la famille
384
Art 500 al 2 du même code
385
Art 500 al 3 du même code
386
Art 501 du code de la famille
387
P. Binet, La femme dans le ménage, Paris, LGDJ, 1904, pp 20-21
166

consacré une égalité parfaite entre les deux conjoints. Même si la gestion des biens du
couple est présumée maritale, celui-ci ne peut poser aucun acte valable sur le plan
juridique sans l’accord de son épouse. Il s’agit là d’un contrepoids important par rapport
aux pouvoirs reconnus au mari. Le législateur a surtout ciblé les actes ayant trait aux
biens fonciers et immobiliers parce que ces biens sont les plus importants, en terme de
valeur marchande, que le couple peut avoir. Qu’en est-il alors des règles spécifiques à
chaque régime?

B. Règles spécifiques à chaque régime matrimonial

Le législateur a prévu trois régimes matrimoniaux parmi lesquels les époux


ont la possibilité de choisir celui qui leur convient le mieux. Il s’agit du régime de la
séparation des biens, du régime de la communauté réduite aux acquêts ainsi que du
régime de la communauté universelle.

1. Régime de la séparation des biens

Le régime de séparation des biens est celui qui consacre l’existence de deux
patrimoines propres formés par tous les biens acquis à titre onéreux ou à titre gratuit par
chacun des époux ainsi que par leurs dettes.388

Lors de la célébration ou de l’enregistrement du mariage devant l’officier de l’état


civil, les époux peuvent dresser un inventaire signé par eux, en précisant les biens
meubles et immeubles dont ils ont la propriété ou la possession légale antérieurement au
mariage. Cet inventaire doit être signalé dans l’acte du mariage et fait pleine foi de leur
appartenance sauf preuve légale contraire en matière de biens fonciers et immobiliers
enregistrés.389A cet effet, l’article 219 de la loi n° 73-021 du 20 juillet 1973 portant
régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés dispose :
«Le droit de jouissance d’un fonds n’est légalement établi que par un certificat
d’enregistrement du titre concédé par l’Etat. La propriété privée des immeubles par incorporation,
qui est toujours envisagée séparément du sol, n’est légalement établie que par l’inscription, sur le
certificat établissant la concession du fonds, desdits immeubles. Elle peut être établie par un

388
Art 505 du code de la famille
389
Art 506 du code de la famille.
167

certificat d’enregistrement distinct dont il est fait annotation sur le certificat établissant la
concession.»

C’est donc par un certificat d’enregistrement établi en son nom qu’un époux doit
prouver la propriété d’un bien foncier ou immobilier. En principe, tout autre moyen de
preuve n’est pas admissible.

Nous avions dit ci-haut que la gestion des biens tant propres que communs est
présumée confiée au mari, et ce, quel que soit le régime matrimonial choisi par les époux.
Nous avions également affirmé que les époux peuvent s’entendre pour que chacun gère
ses biens propres. Dans le régime de séparation des biens, il peut arriver que l’un des
époux donne librement mandat à l’autre de gérer tout ou partie de ses biens propres. Dans
ce cas, il est autorisé à poser des actes d’administration sur ces biens et non ceux de
disposition. Il pourra également utiliser les fruits provenant de ces actes si la procuration
l’autorise. C’est dans ce cas notamment que le mari peut donner mandat à son épouse de
gérer ses biens fonciers ou immobiliers390. Dans cette hypothèse, la femme pourra par
exemple faire louer ces biens pour une durée inférieure à 9 ans. Si le mandat le prévoit,
elle peut utiliser pour son compte le fruit de cette location. Comme on peut le constater,
malgré une gestion des biens séparée, la femme peut par ce biais accéder aux droits
fonciers, de la part de son mari.

Il peut arriver aussi que le mari fasse une donation constituée d’un ou de plusieurs
biens fonciers ou immobiliers à son épouse. Dans ce cas, ces biens sortent dans le
patrimoine du mari, pour entrer dans celui de la femme. Pour que la femme devienne
propriétaire ou concessionnaire de ces biens, il faut l’établissement d’un ou plusieurs
nouveaux certificats d’enregistrement en son nom.391

A la dissolution du mariage, chacun des époux reprend ses biens propres en


nature, en justifiant qu’il en est propriétaire ou concessionnaire. Si la gestion a été
attribuée au mari, la femme ou ses héritiers exerceront avant le mari ou ses héritiers le
prélèvement de ses biens propres.392

390
Art 509 du code de la famille
391
Art 220 al 1er de la loi foncière
392
Art 510 al 1et 2 du code de la famille
168

Si le patrimoine de l’un s’est enrichi au détriment de l’autre, le patrimoine


appauvri doit être directement indemnisé par le patrimoine enrichi, soit en nature soit en
équivalent. Au cas où l’enrichissement fait au détriment du patrimoine de l’épouse résulte
d’une mauvaise administration du mari, une indemnité complémentaire peut être
demandée en justice.393

Le patrimoine foncier et immobilier du mari est grevé d’une hypothèque légale


pour sûreté du patrimoine de son épouse, en cas de gestion des biens propres et communs
confiée au mari. L’hypothèque concernera le patrimoine qui existe au moment de la
dissolution du mariage, déduction des donations faites par le mari à son épouse.394

Si le mari, gestionnaire des biens de l’épouse, se caractérise par une mauvaise


gestion ou par l’inconduite notoire de sorte que le patrimoine de l’épouse se trouve être
en péril, le législateur donne droit à la femme de solliciter au tribunal de paix que la
gestion de son patrimoine personnel lui soit confiée, auquel cas, mention de cette
modification sera portée en marge de l’acte de mariage à la diligence de l’épouse.395

En somme, il y a lieu de dire que ce régime permet à la femme de garder ses biens
fonciers et immobiliers acquis avant le mariage et ceux acquis pendant le mariage, sous
réserve de ce qui sera dit au sujet de l’autorisation maritale. Ce régime permet aussi au
mari de faire de donation ou de libéralité à son épouse de son vivant, pour permettre à
celle-ci d’avoir déjà pour son compte un patrimoine foncier et immobilier. Cela permettra
à l’épouse d’être à l’abri de toutes les tracasseries qui surviennent parfois après le décès
du mari. Nous y reviendrons lorsque nous aborderons la situation de la femme veuve.

Mais ce régime a un désavantage si le mari n’est pas animé de l’intention de faire


les donations ou les libéralités à son épouse. En effet, le contexte du ménage congolais
est caractérisé par la division du travail entre l’homme et la femme. La dernière s’occupe
des travaux ménagers et le premier du travail productif, de sorte que c’est le mari qui
apporte les moyens de subsistance nécessaire pour la survie du ménage ainsi que pour

393
Art 510 al 3et 4 de la famille
394
Art 511 du code de la famille
395
Art 515 du code de la famille
169

l’épargne. Ainsi, ce régime aboutira au résultat néfaste pour la femme selon lequel
l’homme aura un patrimoine riche au détriment de la femme. Cela est d’autant vrai que
rares sont les époux qui arrivent au mariage, chacun avec un patrimoine foncier et
immobilier avéré. Que dire alors en ce qui concerne le régime de la communauté réduite
aux acquêts ?

2. Régime de la communauté réduite aux acquêts

A la différence du régime précédent, le régime de la communauté réduite aux


acquêts est composé d’une part des biens propres de chacun des époux et d’autre part des
biens communs. Les biens propres sont ceux que chacun des époux possède au moment
de la célébration ou de l’enregistrement du mariage ou que chacun acquiert
postérieurement au mariage par donations, successions ou testaments ou encore les biens
acquis à titre onéreux pendant le mariage, en échange d’un bien propre ou avec des
deniers propres ou provenant de l’aliénation d’un bien propre.396

Les biens communs qualifiés d’acquêts sont ceux que les époux acquièrent
pendant le mariage par leur activité commune ou séparée ainsi que les biens
conjointement acquis par les deux époux par donations, successions ou testaments.397

Le code consacre ce régime comme celui de droit commun. A ce titre, il est


applicable aux époux qui n’ont pas choisi un régime déterminé au moment de la
célébration ou de l’enregistrement de leur mariage devant l’officier de l’état civil. Il
s’applique également à tous les mariages célébrés ou enregistrés avant la promulgation du
code de la famille.

Lorsque les époux optent pour ce régime, ils peuvent établir et remettre à
l’officier de l’état civil qui célèbre ou enregistre leur mariage, un inventaire signé par eux
et déclarant les biens meubles et immeubles dont ils ont la propriété ou la possession
légale antérieurement au mariage. La mention de l’inventaire est faite dans l’acte de
mariage.398

396
Cette définition est issue de la combinaison des articles 516 al 2 et 517
397
Art 516 du code de la famille
398
Art 518 du code de la famille
170

Tout bien qui n’est pas inventorié comme étant un bien propre est présumé être
commun aux époux. Cependant, chacun des époux peut par toutes voies de droit prouver
qu’il en a la propriété exclusive, sauf en matière foncière et immobilière où le droit de
jouissance ou de propriété doit être établi par un certificat d’enregistrement.

Lorsque par la volonté des époux, ou par l’effet de la loi, la gestion des biens
propres n’est pas attribuée au mari et est confiée privativement à chacun des époux, ceux-
ci administrent leurs biens personnels et en perçoivent les revenus. Ils peuvent en
disposer librement, sous réserve des cas où l’accord de l’autre époux s’avère
nécessaire.399

En cas de gestion privative, il n’est pas interdit qu’un époux donne mandat à
l’autre pour administrer ses biens propres et en percevoir les revenus. L’époux
mandataire n’aura le droit que de poser les actes d’administration et non ceux de
disposition. C’est dans cette hypothèse, comme nous l’avons souligné précédemment,
qu’un homme peut confier à sa femme la gestion de ses biens fonciers ou immobiliers
propres et l’autoriser à jouir des fruits en provenant. Il s’agit là des droits de jouissance
temporaire.

Mais le mari peut également, par voie de donation, offrir à son épouse un bien
foncier ou immobilier lui appartenant en propre. Dans ce cas, un certificat
d’enregistrement devra être établi au nom de l’épouse, et ce, conformément à l’article
220 al 1er de la loi foncière.

La dette contractée par l’un des époux grève ses biens propres ainsi que les biens
communs. Celles dont les deux époux sont tenus en vue de la contribution aux charges du
ménage sont des dettes solidaires qui engagent tant les biens communs que les biens
propres de chacun d’eux.400

Lors de la dissolution du mariage, chacun reprend les biens qui lui appartiennent
en propre. Les biens communs sont partagés par moitié entre les époux ou leurs héritiers.

399
Art 520 du code de la famille
400
Art 523 du code de la famille
171

Comme on peut se rendre compte, par rapport aux droits fonciers et immobiliers,
ce régime permet également à l’épouse de garder les biens fonciers ou immobiliers acquis
avant le mariage. Mais il lui permet aussi de les acquérir en commun avec son mari
pendant le mariage, quitte à les partager à la dissolution du mariage. Le mari peut
également faire la donation à son épouse, auquel cas le bien offert dans ces conditions
devient un bien propre de la femme. Et s’il s’agit d’un bien foncier ou immobilier, le
certificat d’enregistrement devra être établi au nom de l’épouse sur base de l’acte de
donation. Quid alors du régime de la communauté universelle ?

3. Régime de la communauté universelle

Le régime de la communauté universelle consacre entre les époux la communauté


de tous les biens, tant meubles, immeubles que fonciers ainsi que de leurs dettes présentes
et à venir.401

Dans ce régime, les biens propres des époux sont constitués des meubles,
immeubles et fonciers qu’ils recueilleront chacun à titre gratuit avec exclusion de
communauté et les biens qui leur sont strictement personnels ainsi que le capital
d’assurance-vie, les indemnités compensatoires d’un préjudice physique ou moral, les
rentes alimentaires, pension de retraite et d’invalidité402.

A la dissolution du mariage, l’actif et le passif de la communauté sont partagés


par moitié entre les anciens époux ou entre le conjoint survivant et les héritiers de l’autre
époux.
Les créances acquises avant la dissolution du mariage mais réglées par la suite
sont dues par moitié par les débiteurs aux anciens époux ou au conjoint survivant et aux
héritiers de l’autre époux.

401
Art 533 al 1 du code de la famille
402
Art 533 al 2 du code de la famille
172

Les dettes contractées avant la dissolution du mariage pourront être poursuivies


par les tiers solidairement, sur les patrimoines des anciens époux ou sur ceux du conjoint
survivant et des héritiers de l’autre époux.403

Lors de la dissolution du mariage, les biens propres restent dans le patrimoine de


l’époux auquel ils appartiennent, si ceux-ci sont retrouvés en nature ou s’il en est établi
un compte distinct.404

Dans ce régime, la gestion des biens est confiée au mari. Si la femme constate
qu’il y a mauvaise gestion ou inconduite notoire de la part du mari, au point de
compromettre ses intérêts, elle peut saisir la justice pour solliciter la séparation des biens.
La mention du jugement à intervenir sera portée en marge de l’acte de mariage à la
diligence de l’épouse. La séparation des biens entraîne la liquidation des biens de la
communauté.405

Ce régime a l’avantage de faire bénéficier la femme les produits du travail de


l’homme. Comme nous l’avons souligné ultérieurement, la division du travail tel que
consacré dans le quotidien congolais, ne favorise pas l’accumulation des richesses par la
femme, compte tenu du fait qu’elle est cantonnée aux travaux domestiques. Ainsi, la
communauté compense en quelle que sorte ce « manque à gagner » dont la femme est
victime parce qu’il va créer un équilibre entre le revenu de son travail et celui du travail
de l’homme. Certaines études ont démontré que ce régime est le plus préféré par les
époux en République Démocratique du Congo.406

Mais l’inconvénient de ce régime réside dans le fait qu’il prive le mari de la


possibilité de constituer par donation un patrimoine mobilier, immobilier et foncier au
profit de sa femme.

Au regard de tout ce qui précède, nous pouvons affirmer que les régimes
matrimoniaux prévus par le code de la famille assure à la femme l’accès aux droits

403
Art 535 du code de la famille
404
Art 536 du code de la famille
405
Art 537 du code de la famille
406
E. Mwanzo Idin’Aminye, op. cit, p 214
173

fonciers et immobiliers. Il accorde à la femme la possibilité de contrôler même le


patrimoine foncier et immobilier propre de son époux.

Même si la gestion des biens propres est présumée appartenir au mari, la femme a
la possibilité d’obtenir de commun accord avec son mari que chacun gère ses biens
propres. Sinon, en cas d’une mauvaise gestion imputable au mari, la femme peut saisir le
juge pour que la séparation des biens ait lieu ou qu’elle soit responsabilisée pour la
gestion de ses biens propres. Mais au-delà de ces règles relatives aux régimes
matrimoniaux, le code de la famille contient d’autres règles qui entravent l’accès de la
femme aux droits fonciers et immobiliers. Il s’agit des règles relatives à la capacité de la
femme mariée.

§ 2. La capacité de la femme mariée

La capacité de la femme mariée se heurte à l’autorisation maritale prévue par le


code de la famille. Ainsi, dans ce paragraphe, nous allons donner l’étendue de
l’autorisation maritale ainsi que ses limites, les critiques formulées contre l’autorisation
maritale, voir ce qu’il en est en droit africain comparé avant de donner notre opinion sur
la question.

1. Etendue et limites de l’autorisation maritale

L’accès aux droits fonciers, avons-nous affirmé, passe par voie contractuelle. Or,
pour conclure valablement un contrat, la loi exige la réunion de certaines conditions dont
la capacité. A cet égard, l’article 215 al 2 du code de la famille pose le principe de la
limitation de la capacité de la femme mariée. De son côté, l’article 448 du même code
dispose : « La femme doit obtenir l’autorisation de son mari pour tous les actes juridiques
dans lesquels elle s’oblige à une prestation qu’elle doit effectuer en personne. »407

De cette disposition, il ressort que la femme mariée est incapable pour poser des
actes juridiques pour lesquels elle s’oblige personnellement sans l’accord de son mari. Il

407
Il convient de remarquer que cette disposition est la reproduction fidèle de l’article 122 du code civil,
livre 1er qui a été abrogé par le code de la famille. Cet article était libellé comme suit : « La femme doit
obtenir l’autorisation de son mari pour tous les actes juridiques dans lesquels elle s’oblige à une prestation
qu’elle doit effectuer en personne. »
174

s’agit là d’une incapacité d’exercice. Le législateur justifie cette disposition par le


respect dû à la tradition. C’est dans ce sens qu’on peut lire ce qui suit dans l’exposé des
motifs du code de la famille au sujet de cette institution : « Conformément à la mentalité
traditionnelle, il est prévu que, pour accomplir un acte juridique, la femme mariée doit
être autorisée par son mari. »408 Il convient de noter que l’incapacité juridique de la
femme mariée a existé dans presque toutes les sociétés à un moment donné de leur
évolution.409 Sous l’empire du code civil de 1804, notent M. Ernst-Henrion et J. Dalcq,
l’incapacité juridique de la femme mariée était presque absolue.410 Mais les justifications
d’une telle incapacité n’ont pas toujours été les mêmes. C’est ainsi par exemple en droit
français, écrit Gide, cité par J. Boutard, au 13eme siècle, la femme était égale à l’homme.
C’est au 16eme siècle que l’autorité maritale a pris une autre explication pour signifier
une sorte de tutelle à la romaine due à l’imbécilité de la femme, destinée à secourir la
femme comme pupille et à la protéger contre ses propres faiblesses. Avec la capacité de
la femme, poursuit J. Boutard, tombaient, du même coup, tous les pouvoirs qu’elle avait
pu avoir jadis sur la communauté en tant qu’associée. Tous les cas dans lesquels elle
exerçait jusqu’alors un rôle de direction des intérêts communs, soit comme collaboratrice
de l’homme, soit comme gérante unique, disparaissaient.411

De son côté, H. De Page pense que l’incapacité de la femme mariée ne peut pas
trouver son fondement dans la faiblesse du sexe, sinon la femme célibataire serait aussi
incapable. Tel n’est pourtant pas le cas. Pour lui, le fondement de cette incapacité est à
trouver dans l’institution du patriarcat. En effet, selon la conception de cette institution
qu’on rencontre sous une forme ou sous une autre, chez les peuples indo-européens,
même dans la branche anglo-saxonne, toute femme quelle qu’elle soit, tombe, en effet,
sous le manus ou le mundium du pater familias, la femme célibataire comme la femme
qui se marie. Cette dernière, en se mariant, se borne à changer de famille, et à entrer dans
la famille de son mari.412

408
Voir l’exposé des motifs du code de la famille, p14
409
H. De Page, La capacité civile de la femme mariée et les régimes matrimoniaux, Bruxelles,
Etablissements Emile Bruylant, 1947, p 98
410
M. Ernst-Henrion et J. Dalcq, La femme, pierre angulaire de la famille de demain : ses droits actuels et
futurs, Bruxelles, La renaissance du livre, 1975, p 61
411
J. Boutard, Les pouvoirs ménagers de la femme mariée, Paris, Librairie Arthur Rousseau, 1947, p26
412
H. De Page, op. cit, p 99
175

Quelle que soit la justification, cette disposition empêche la femme mariée de


contracter librement. En effet, nous avions mentionné antérieurement que l’accès aux
droits fonciers passe par voie contractuelle. Or, pour conclure un contrat, la loi exige que
les parties contractantes soient capables. Dans le cadre de la loi foncière, celui qui
demande un lopin de terre auprès de l’Etat doit au préalable constituer son dossier
administratif. Parmi les éléments exigés dans ce dossier, il y a notamment l’identité du
requérant. De cette identité, l’Etat sera à mesure de savoir si le requérant est une femme
ou un homme. S’il s’agit d’une femme, on devra vérifier son état-civil. Au cas où, elle
serait mariée, on lui exigera l’autorisation maritale. De ce fait, elle ne peut pas accéder
aux droits fonciers et immobiliers sans l’accord préalable de son mari. Cette autorisation
est exigée pour conclure tant avec l’Etat qu’avec les particuliers notamment dans le cadre
de l’achat d’une parcelle.

L’article 450 du même code est encore plus explicite lorsqu’il prévoit que la
femme ne peut ester en justice en matière civile, acquérir, aliéner, ou s’obliger sans
l’autorisation de son mari.

Les actes posés par la femme sans autorisation du mari sont sanctionnés par la
nullité relative.413

Le législateur prévoit en faveur de la femme une disposition qui lui permet de


contourner cette autorisation. Il s’agit de l’article 449 qui dispose :
« La femme peut, après avis du conseil de famille, recourir au tribunal de paix
pour obtenir l’autorisation dont il s’agit à l’article précédent, lorsque le mari refuse ou est
incapable ou est dans l’impossibilité de l’autoriser. L’autorisation du tribunal est toujours
provisoire. »
Une disposition similaire a existé dans le code civil, livre premier. Il s’agit de l’article
123 qui est libellé comme suit :
«La femme peut recourir à la justice soit pour obtenir la dispense du devoir de
cohabitation, si elle a quelque juste motif, soit pour obtenir l’autorisation dont il s’agit à l’article
précédent, lorsque le mari refuse ou est incapable ou est dans l’impossibilité de l’autoriser.
L’autorisation de justice est toujours essentiellement provisoire.»

413
Art 452 du code de la famille
176

Il ressort de cette disposition que la femme, après avoir recueilli l’avis du conseil
de famille, peut saisir le tribunal de paix pour obtenir l’autorisation afin de poser l’acte
juridique. Cette disposition vise trois hypothèses ci-après :

- lorsque le mari refuse ;


- lorsque le mari est incapable ;
- lorsqu’il est dans l’impossibilité de donner son autorisation.

Il convient de noter que conformément à la mentalité africaine, le problème ne se


posera pas si l’autorisation est obtenue à la suite d’incapacité du mari ou de son
impossibilité de donner l’autorisation. En revanche, il n’est pas concevable que la femme
traîne son mari en justice au motif qu’il a refusé de lui accorder l’autorisation pour poser
un quelconque acte juridique. Oser adopter une telle attitude entraîne sans doute la
réprobation de tous et par conséquent mettre le mariage en péril.

Même si le mari autorise la femme à poser des actes juridiques, il a la possibilité


de revenir sur sa décision pour révoquer cette autorisation. C’est ce que prévoit l’article
450 alinéa 3 lorsqu’il dispose que « l’autorisation du mari peut être générale, mais il
conserve toujours le droit de la révoquer. » Il s’agit là également d’une reproduction de
l’article 124 alinéa 3 du code civil, livre premier.

Cependant, l’autorisation du mari n’est pas nécessaire pour la femme dans les cas ci-
après :
- pour ester en justice contre le mari ;
- pour disposer à cause de mort ;
- en cas d’absence du mari ;
- si le mari est condamné à une peine d’au moins six mois de servitude pénale,
et que l’acte doit être posé pendant cette période.

Pour ses actes juridiques relatifs aux charges du ménage, la femme en vertu de la
théorie du mandat domestique tacite n’a pas besoin de l’autorisation maritale. C’est dans
ce sens que dispose l’alinéa1er de l’article 477 du code de la famille : « Le mari dispose
du pouvoir de conclure des contrats relatifs aux charges du ménage ; la femme, en
177

application de la théorie du mandat domestique tacite, peut aussi conclure les mêmes
contrats. » Il convient de remarquer que cette disposition donne désormais à la femme
des pouvoirs propres pour engager le ménage concernant les actes qui concourent aux
charges de celui-ci. Voilà ce qu’il en est de l’étendue ainsi que des limites de
l’autorisation maritale. Que dire de ce régime d’autorisation ?

2. Aperçu de la critique sur l’autorisation maritale

Aujourd’hui, les voix s’élèvent pour demander la suppression de ce régime.414 Les


femmes intellectuelles ainsi que les associations féministes n’épargnent aucun effort pour
y arriver. Parmi les arguments avancés, figure en bonne place le caractère discriminatoire
de ce régime. En effet, sur le plan interne, la Constitution en vigueur en République
Démocratique du Congo prévoit notamment que :
« Les pouvoirs publics veillent à l’élimination de toute forme de discrimination à
l’égard de la femme et assurent la protection et la promotion de ses droits. Ils prennent,
dans tous les domaines, notamment dans les domaines civil, politique, économique,
social et culturel, toutes les mesures appropriées pour assurer le total épanouissement et
la pleine participation de la femme au développement de la nation.415 »
Or, sur le plan de la hiérarchie des sources de droit, les dispositions
constitutionnelles étant supérieures aux lois, ces dernières s’effacent si elles sont en
contradiction avec les premières. In specie, les dispositions du code de la famille relatives
à l’autorisation maritale étant en contradiction avec l’article 14 de la Constitution, elles
devront être réputées non écrites.

En outre soutiennent-elles, ces dispositions sont aussi en contradiction avec les


engagements internationaux de la République. En effet, le pays a signé plusieurs
conventions tant sur le plan régional que sur le plan international sur la question de la non
discrimination à l’égard de la femme. C’est notamment le cas de la convention des
Nations-Unies sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard de la femme
qui demande notamment aux Etats d’adopter des mesures législatives et d’autres mesures
appropriées, y compris des sanctions en cas de besoin, interdisant toute discrimination à

414
Kahindo Fatuma Yuma, L’incapacité juridique de la femme mariée en droit congolais, in Paroles de
justice, 2005, pp 115- 123
415
Art14 al 1 et 2 de la Constitution du 18 février 2006
178

l’égard des femmes. Cette convention demande aussi aux Etats de prendre toutes les
mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour modifier ou abroger
toute loi, disposition réglementaire, coutume, et pratique qui constitue une discrimination
à l’égard des femmes.416

Sur le plan africain, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
prévoit en son article 18, point 3 que l’Etat a le devoir de veiller à l’élimination de toute
discrimination contre la femme et d’assurer la protection des droits de la femme et de
l’enfant tels que stipulés dans les déclarations et conventions internationales.

Or, la Constitution de la République dispose en son article 215 que les traités et
accords internationaux régulièrement conclus ont, dès leur publication, une autorité
supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque traité ou accord, de son application
par l’autre partie.

De ce qui précède, concluent-elles, il s’avère que les dispositions sur


l’autorisation maritale sont également en contradiction avec les conventions et traités
internationaux ratifiés par la République en la matière. Ainsi, étant donné que ces traités
et conventions ont une valeur supérieure aux lois, les dispositions sur l’autorisation
maritale doivent être inapplicables. Nous reviendrons sur cette question plus loin. Mais
voyons un peu l’état de la question en droit africain comparé.

3. Etat de la question dans quelques pays africains

L’analyse de la législation de certains pays africains sur cette question atteste une
certaine évolution en la matière. Pour s’en convaincre, nous allons passer en revue la
position de quelques pays africains que nous avons choisi, en raison de la similitude de
leur situation par rapport à la République Démocratique du Congo.

En droit sénégalais, l’article 371 alinéa 1 du code de la famille précise que la


femme mariée conserve sa pleine capacité civile. En effet, cette disposition est ainsi
libellée :

416
Art 2 de la convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard de la femme
179

« La femme, comme le mari, a le plein exercice de sa capacité civile. Ses droits et


pouvoirs ne sont limités que par l’effet des dispositions du présent livre. »

Le code de la famille béninois dispose en son article 173 que « chaque époux a la
pleine capacité juridique. Mais ses droits et pouvoirs sont limités par l’effet du régime
matrimonial et les dispositions ci-après. »

Le code de la famille burundais ne nous paraît pas explicite sur la question. En


effet, il ne se prononce pas de manière claire sur la capacité ou l’incapacité de la femme
mariée. Mais de l’article 126, on peut déduire que la femme mariée est capable. Cette
disposition est libellée en ces termes :

«Chaque époux a le droit d’exercer une profession, une industrie ou un commerce de son
choix. Il dispose d’un droit de recours pour obliger son conjoint à renoncer à ses activités
professionnelles si celles-ci sont de nature à porter un préjudice sérieux aux intérêts moraux et
matériels du ménage et des enfants.»

Il convient de noter que cette disposition est la reproduction fidèle de l’article 214
de la loi belge du 30 avril 1958. Elle énonce expressément le droit pour chaque époux
d’exercer une profession quelconque sans le consentement de son conjoint. Mais dans le
souci de protéger la famille, elle réserve aux époux un droit de recours judiciaire en cas
de nécessité. C’est ce qui fait dire à M. Dubru que ce principe est une conséquence du
principe de l’égalité des époux dans le mariage.417 Analysant l’évolution des droits de la
femme en droit belge, Marlise Ernst-Henrion et Jacqueline Dalcq notent que :
« Depuis la loi du 30 avril 1958 sur les droits et devoirs respectifs des époux, le mariage
ne modifie plus la capacité civile des époux sous réserve importante des pouvoirs conservés par le
mari en vertu des règles toujours en vigueur des régimes matrimoniaux.
La capacité de la femme mariée est donc la règle et les dispositions légales qui en limitent
l’exercice ne sont que des exceptions qui, par conséquent, sont de stricte interprétation.418 »

Au Congo-Brazzaville, la loi n° 073/ 84 du 17/ 10/ 1984 portant code de la


famille dispose en son article 172 que « Le mariage ne porte pas atteinte à la capacité
juridique des époux mais leurs pouvoirs peuvent être limités par le régime matrimonial.

417
M. Dubru, L’égalité civile des époux dans le mariage, Bruxelles, Etablissements Emile Bruylant, 1959,
p195
418
M. Ernest-Henrion et J. Dalcq, op. cit, 1975, p 60
180

Chacun des époux peut donner à son conjoint mandat général ou particulier de le
représenter. »

En Côte d’ivoire, l’article 61 du code civil prévoit que la femme mariée a la


pleine capacité de droit. L’exercice de cette capacité n’est limité que par la loi.
Enfin au Cameroun, l’ordonnance n° 81/ 002 du 29 juin 1951 portant organisation
de l’état-civil et diverses dispositions relatives à l’état des personnes physiques dispose
en son article 74 ce qui suit :

« La femme mariée peut exercer une profession séparée de celle de son mari. Le
mari peut s’opposer à l’exercice d’une telle profession dans l’intérêt du mariage et des
enfants. »

Il y a lieu d’observer que cette disposition de la loi camerounaise n’est pas


différente de celle contenue dans la loi burundaise en ce que la femme peut engager ses
services sans l’autorisation préalable de son mari. Cependant, cette disposition est
discriminatoire dans la mesure où elle accorde au mari seul le droit de s’opposer.
Au Kenya, en vertu de la loi générale des contrats, une femme, mariée ou non, a
la capacité de passer un contrat. Elle a le droit de passer des contrats en son nom propre
sans tenir compte de son mari.419

De ce qui précède, il ressort que les droits de ces pays ont consacré la capacité de
la femme mariée en utilisant des formules diverses. Le plus important est que la femme
mariée peut poser les actes juridiques sans au préalable obtenir l’autorisation maritale. Il
convient de remarquer que ces législations consacrent automatiquement l’égalité entre
époux en ce qui concerne leur capacité civile.

4. Capacité de la femme mariée et régime matrimonial

Nous sommes d’avis que le régime de l’autorisation maritale pouvait se justifier


du temps où le législateur n’avait pas prévu des règles sur les régimes matrimoniaux. En

419
M. Elosegui, Les droits de la femme kenyane : conflit entre le droit statutaire et le droit coutumier, in
Revue de droit africain, doctrine et jurisprudence, n° 11, juillet 1999, p 322
181

effet, il y avait des dispositions à prendre pour assurer la stabilité du ménage. Mais dès
l’instant où le législateur, dans une nouvelle législation a prévu les différents régimes
matrimoniaux qu’ils appartiennent aux époux de choisir, le régime de l’autorisation perd,
à mon avis tout intérêt.

Cette position se justifie par le fait que les époux ont tout le temps de réfléchir
pour choisir enfin le régime qui assure la stabilité de leur ménage.

La justesse de nos propos avait déjà été perçue par certains auteurs dont Henri De
Page. En effet dans son ouvrage consacré à la capacité civile de la femme, l’auteur
souligne l’interdépendance qui existe entre la capacité civile de la femme mariée et les
régimes matrimoniaux. Selon lui, la capacité de la femme, qui symbolise son
« affranchissement », son autonomie, n’est, précisément pour ce motif aussi, concevable
que dans les régimes matrimoniaux à base d’indépendance entre époux.420Tout en étant
d’accord avec les propos de l’auteur, nous pensons que cette capacité est aussi
concevable même dans le régime de la communauté des biens tel que aménagé par le
code de la famille.

En effet, si on examine bien la législation sur les régimes matrimoniaux, on


s’aperçoit qu’elle est contraignante pour les époux. Les dispositions communes
applicables à tous les régimes obligent les époux à s’accorder pour poser certains actes
juridiques d’importance majeure pour le ménage, et ce, même sur les biens qui leur
appartiennent en propre. Même si le mari est le chef du ménage, la femme dispose d’un
« droit de veto » pour mettre en échec les décisions unilatérales prises par lui pour les
actes importants du ménage. Et dans le cas qui nous concerne, lorsqu’il s’agit de disposer
des biens immobiliers communs ou propres, ou lorsqu’il est question de grever ces biens
des droits réels comme l’hypothèque ou autres, l’accord de la femme est exigé.

Quant aux règles particulières à chaque régime, il existe également des garde-fous
pour éviter tout dérapage de nature à mettre le ménage en péril. L’autorisation maritale
constitue une contrainte supplémentaire presque inutile. En plus de son caractère

420
H. De Page, op.cit, p93
182

discriminatoire soulevé précédemment, il est un fait indéniable que les actes tendant à
mettre en péril le ménage ne sont pas l’apanage de seules femmes.

5. Capacité de la femme mariée et formation professionnelle

Si hier, on a cru utile de protéger la femme parce qu’elle n’était pas suffisamment
instruite, aujourd’hui, surtout dans les milieux urbains, les femmes sont instruites. Elles
occupent des postes importants dans la hiérarchie de la société. Comment comprendre par
exemple qu’une femme ministre qui engage l’Etat dans le cadre de ses fonctions sans une
quelconque autorisation, doit être contrainte de solliciter l’autorisation de son mari
lorsqu’elle doit poser des actes qui l’engagent personnellement sous prétexte qu’elle doit
être protégée.
Dans une étude intitulée’’ le droit de la femme mariée au travail et l’autorité
maritale en cause,’’ Charles Mushizi relève que si le principe de l’autorisation maritale a
fonctionné de manière excellente dans les années 80 et 90 et particulièrement au sein des
familles où les épouses étaient majoritairement ménagères, il connait quelques difficultés
depuis, notamment à cause du fait de la scolarisation de la femme. De plus en plus les
femmes obtiennent les mêmes diplômes que les hommes, acquièrent les mêmes aptitudes
et prétendent aux mêmes compétences professionnelles, au risque de considérer
l’autorisation maritale comme un frein à leur liberté et à leur choix d’exercer leurs
compétences.421
6. Conclusion

Nous pensons que beaucoup des législateurs africains ont déjà perçu toutes ces
difficultés. Voilà pourquoi ils ont vite fait de se débarrasser d’une contrainte
supplémentaire au détriment de la femme. Raison pour laquelle, nous plaidons pour que
les dispositions relatives à l’autorisation maritale puissent disparaître dans notre
législation. Cela permettra à la femme mariée d’accéder aisément aux droits fonciers et

421
C. Mushizi, Le droit de la femme mariée au travail et l’autorité maritale en cause : défis familiaux, in
http://charlesmushizi.blogspot.com, 2012, p7
183

immobiliers. On pourrait adopter la formulation du code burundais qui consacre la liberté


des époux de poser n’importe quel acte, en prévoyant le droit pour chacun de faire
opposition si cet acte porte atteinte aux intérêts de la famille.

Il ressort de tout ce qui précède que la situation de la femme mariée sur les terres
rurales et urbaines est favorable par rapport à celle de la femme sur les terres des
communautés locales. En effet, avons-nous vu, la femme mariée se trouvant sur les terres
des communautés locales accède à la terre par l’intermédiaire de son mari. La durée de
son droit dépend de celle du mariage. Ce droit est donc temporaire et n’est pas
susceptible d’être transmis entre vif ou à cause de mort.

En revanche, sur les terres rurales et urbaines, la femme mariée dispose des droits
assez étendus, et ce, selon le régime matrimonial choisi. En effet, malgré l’existence des
règles communes à tous les régimes matrimoniaux, la femme mariée a la possibilité de
jouir de ses droits fonciers. Ces droits sont perpétuels et transmissibles entre vif ou pour
cause de mort. Cela se justifie par le fait qu’elle ne tient pas ces droits par l’intermédiaire
de son mari mais par elle-même. Ces droits seront encore consolidés lorsque
l’autorisation maritale disparaîtra. Est-ce le cas pour la femme veuve ? C’est l’objet de la
section suivante.

Section 3 : Accès de la femme veuve à la terre

L’accès de la femme veuve à la terre est lié à ses droits successoraux. La situation
successorale de la veuve peut être analysée en deux temps. Ainsi, nous allons dans un
premier temps voir cette situation avant l’entrée en vigueur du code de la famille et dans
un second temps sous l’empire de ce code.

§ 1 : Droits successoraux de la veuve pendant la période coloniale

Le code civil, livre premier, n’avait pas prévu expressément des dispositions sur
les droits successoraux de la veuve. Comme nous le savons d’ailleurs, ce code ne
s’appliquait pas aux Congolais non immatriculés. Ce vide a été comblé par deux textes. Il
s’agit de la circulaire du 10 avril 1923 relative à la liquidation des successions indigènes
et du décret 10 février 1953 sur la propriété immobilière individuelle. Il convient dès à
184

présent de noter que ces textes qui étaient applicables dans les milieux urbains, ont
donné naissance à un droit coutumier issu de la jurisprudence des tribunaux coutumiers
urbains. Ainsi, allons-nous passer en revue les textes susvisés ainsi que la jurisprudence.

A. Circulaire du 10 avril 1923422

Cette circulaire avait pour but de s’occuper de toute succession indigène lorsqu’il
y avait risque qu’elle soit abandonnée ou détournée. Il s’agit des cas des personnes qui
sont mortes loin de leur milieu d’origine. C’est le cas des militaires et des ouvriers
indigènes engagés au service d’européens ou des entreprises européennes. Dans ce cas,
l’administration devrait intervenir pour permettre à la chefferie d’origine du de cujus de
recueillir les biens et leur donner la destination prévue par la coutume. La circulaire
exclue de son champ d’application la succession des indigènes qui sont morts dans leur
village.
Pour ce faire, ce texte avait prévu des mesures conservatoires et de liquidation ci-
après et selon les hypothèses suivantes :

1. Cas où les ayants droit sont présents

Lorsque les ayants droit se trouvent sur place ou dans le territoire où est survenu
le décès, les biens seront laissés ou remis entre leurs mains par l’administrateur territorial
ou par le chef de l’unité militaire selon que le défunt était civil ou militaire.

Les biens laissés par le de cujus feront l’objet de vente publique, s’ils ne sont pas
réclamés par les ayants droit dans la huitaine. Les biens susceptibles d’un dépérissement
rapide ou d’une conservation coûteuse pourront aussi être vendus immédiatement.

Dans ce cas, l’actif réalisé sera remis aux ayants droit ou à leur défaut à la
chefferie d’origine du défunt, par le sous-comptable qui l’a pris en recette.

Comme on peut s’en rendre compte, les dispositions prises jusque là par le
gouverneur général ne s’écartent pas de la coutume. En effet, dans cette hypothèse, ce

422
L’intégralité de ce texte a été publiée dans le Recueil mensuel des circulaires, instructions et ordres de
service, n° 4, avril 1923, pp 34-37
185

sont les ayants droit coutumier qui doivent recueillir l’héritage. Ainsi, conformément aux
règles coutumières analysées dans la première partie de cette étude, la veuve n’est pas
concernée parce qu’elle n’est pas comptée parmi les héritiers de son défunt mari. Il en est
de même des enfants si le défunt est matrilinéaire. Les filles sont particulièrement
écartées que le de cujus soit patrilinéaire ou matrilinéaire.

2. Cas où les ayants droit sont absents

Lorsque les ayants droit ne résident pas dans le territoire, l’administrateur du


territoire ou le chef de l’unité militaire selon le cas, dresseront immédiatement après le
décès un inventaire des biens laissés, des sommes revenant à la succession et des dettes
connues.

Les biens feront l’objet de la vente comme dans la première hypothèse. L’actif de
la succession composé notamment du produit de la vente, argent trouvé à la mortuaire ou
sur le défunt, créances et sommes déposées sera recueilli. Il sera fait mention dans le
procès- verbal d’inventaire ou à la suite de celui-ci de ces différents postes de l’actif ainsi
que des dettes de la succession. Si l’argent trouvé n’existe pas ou s’il n’y a pas des biens
vendus, renseignement en sera fait expressément dans le procès-verbal.

Après paiement des dettes, l’actif de la succession sera transmis à l’administrateur


du territoire dans le ressort duquel les ayants droit résident. Si la résidence des ayants
droit n’est pas connue, l’envoi sera fait à l’administrateur du territoire dont le défunt était
originaire pour remise aux ayants droit ou à leur défaut à la chefferie.

Dans cette deuxième hypothèse, il y a lieu de remarquer également que les ayants
droit coutumier seront recherchés pour qu’ils bénéficient de l’héritage. La veuve n’est pas
toujours comptée parmi les héritiers en application de la coutume. Mais la circulaire
prévoit en son point quatrième les règles à suivre pour apprécier à quelles personnes les
successions doivent être laissées ou remises.

3. Bénéficiaires de la succession
186

La circulaire pose en terme de principe que l’actif d’une succession ne peut être
remis qu’aux personnes que la coutume du lieu d’origine désigne comme ayants droit. Ce
qui veut dire qu’en principe, la veuve ne peut pas bénéficier de la succession parce que
conformément à la coutume, elle n’hérite pas de son défunt mari.

Cependant, la circulaire prévoit des cas exceptionnels où on peut considérer que


la coutume comporte des lacunes qu’il faut combler en se fondant sur des considérations
d’équité.

C’est le cas lorsque des indigènes qui ne participent plus à la vie de la chefferie
ont fondé un foyer, on peut admettre qu’ils se créent des droits et des devoirs étrangers
aux prévisions de la coutume.

Dans ce cas, estime la circulaire, le conjoint survivant et les enfants du défunt ne


se trouvent pas au sein de la chefferie et ne bénéficient pas de la part de celle-ci
l’assistance que le décès peut rendre nécessaire. Il est donc équitable que la succession
intervienne en leur faveur.

Ainsi donc, renchérit la circulaire, la remise de l’actif ou d’une partie de celui-ci à


la femme et aux enfants, est d’ailleurs conforme à l’esprit du code civil congolais qui
dans ses dispositions relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des enfants
immatriculés prévoit l’obligation de fournir aliments et impose même cette obligation à
la succession de l’époux prédécédé vis-à-vis de l’époux survivant qui est dans le besoin.
Enfin, poursuit la circulaire, on peut admettre que généralement une certaine
communauté de biens existe, en fait, entre les époux qui vivent dans nos centres et qu’il y
a lieu d’en tenir compte pour répartir l’avoir délaissé.

Tenant compte de ce qui précède et sous réserve de dispositions testamentaires, la


circulaire prévoit que la succession pourra être répartie comme suit :

- La totalité de l’héritage reviendra au conjoint survivant, non divorcé ni séparé


de corps, lorsqu’il était uni au défunt par un mariage civil, religieux ou
187

contracté suivant la coutume indigène et qu’il a la charge des enfants du


défunt, la moitié de l’avoir étant considéré comme revenant aux enfants.
- Le conjoint survivant aura droit à la moitié de l’héritage, s’il n’a la charge
d’aucun des enfants du de cujus, l’autre moitié étant remise aux descendants
ou à leur défaut aux ayants droit que la coutume désigne.

Toutefois, les biens en nature, même si leur évaluation dépasse la moitié de


l’avoir total, seront remis ou laissés à l’époux survivant se trouvant sur place sans
préjudice à ses obligations vis-à-vis des autres ayants droit. Il en sera de même de l’avoir
total qui serait évalué à une somme inférieure à cinquante francs ou des espèces à répartir
si leur montant ne dépasse pas vingt francs.

- La totalité de l’héritage reviendra aux enfants du de cujus nés d’un des


mariages précités ou reconnus devant l’officier d’état-civil, lorsque leurs père
et mère sont tous deux décédés.

Cette remise aura ou pourra avoir séparément ou tout à la fois le caractère


d’indemnité, de pension alimentaire, de part dans une communauté de biens et de part
successorale et sera faite sans préjudice des droits que pourraient faire valoir les
intéressés les uns vis-à-vis des autres même après la répartition.

La circulaire prévoit la possibilité de déroger à cette répartition lorsque certaines


circonstances spéciales l’exigent. C’est le cas lorsque la succession est importante. En
effet, lorsque la valeur de la succession dépasse la somme de 300 francs, avant de la
remettre à la femme et aux enfants, il faudra au préalable recueillir des renseignements
nécessaires pour l’application des règles coutumières ou avoir obtenu l’accord de tous les
intéressés pour une répartition équitable. Enfin, le conjoint survivant n’aura pas droit à
l’héritage s’il est indigne.

Voilà les règles spéciales prévues par la circulaire en ce qui concerne la


dévolution successorale lorsque les époux vivaient en dehors de leur milieu traditionnel.

De ces règles, il convient de noter que la circulaire vient de déroger à la coutume


en faisant de l’épouse ainsi que des enfants du de cujus des héritiers privilégiés par
188

rapport aux ayants droit coutumier. Parmi les enfants, aucune distinction n’est faite entre
les filles et les garçons. En effet, comme nous l’avons souligné dans la première partie de
ce travail, en droit coutumier, le conjoint survivant n’hérite pas de son conjoint
prédécédé. Cela est valable tant pour l’époux que pour l’épouse. Dans le régime
matrilinéaire, les enfants n’héritent pas de leur père et en régime patrilinéaire, seuls les
garçons peuvent hériter de leur père. C’est de manière exceptionnelle que la fille peut
hériter de son père. La circulaire vient de remettre en cause toutes ces règles coutumières.

En outre, lorsqu’on lit la motivation de cette circulaire, on s’aperçoit que les


règles concernant la dévolution successorale prévues, constituent en réalité le droit
commun en la matière pour les indigènes qui vivent dans les centres urbains : cités
indigènes ou centres extra-coutumiers. Il s’agit là d’une innovation importante introduite
par un texte qui, sur le plan juridique n’a pas valeur d’une loi. Mais comme l’affirme B.
Kilolo, l’application des règles énoncées par ce texte pendant des décennies leur donne
une force qu’il n’est pas possible de négliger.423

Il y a cependant lieu de noter que cette circulaire ne fait pas allusion aux droits
fonciers et immobiliers. Cela peut se justifier par le fait qu’à cette époque les Congolais
vivant dans les milieux urbains n’accédaient pas encore à la propriété foncière ou
immobilière. Quelles sont alors les règles prévues par le décret de 1953 en matière de
succession.

B. Décret du 10 février 1953

Nous avions déjà fait allusion à ce décret dans le chapitre précèdent. Nous y
revenons pour l’analyser dans ses aspects liés à la succession immobilière. Ce texte qui
avait accordé le droit de propriété immobilière à tous les Congolais, avait aussi posé un
autre grand principe en son article 6, en disposant ce qui suit :

« Lorsque la succession d’un Congolais non immatriculé comprend des biens


immobiliers, l’application de la coutume est soumise aux restrictions prévues par les articles
suivants.

423
B. Kilolo, Le droit coutumier des successions de la ville de Kinshasa, in Revue zaïroise de droit, n° 1,
1972, p 27
189

Pour l’application de ces articles sont assimilés aux biens immobiliers, les meubles
meublant, l’habitation et le fonds de commerce exploité dans l’immeuble. »

A propos de cette disposition, le Rapport du Conseil colonial nous dit que les
restrictions prévues par les articles suivants sont généralement inspirées du désir de voir
la propriété immobilière stabilisée, le bien de famille protégé et passant entre des mains
aptes à sa gestion. Mais elles se fondent aussi sur la volonté présumée du de cujus car on
observe que les évolués accédant à la propriété désirent qu’elle passe à leurs enfants
plutôt qu’à des collatéraux. Mais dans plusieurs cas, les textes donnent la priorité à la
coutume ou permettent au de cujus de retourner à la coutume en exprimant sa volonté par
testament.

Quant à l’assimilation des meubles et du fonds de commerce, le Rapport poursuit


que les meubles ont pour les héritiers une valeur vénale plus grande, une valeur
sentimentale et qu’ils contribuent au maintien de l’esprit de famille. Les meubles de
l’habitation et le fonds de commerce qui s’y exerce, peuvent être considérés comme
l’accessoire des immeubles au point de vue économique.

Cependant, le législateur insiste sur le fait que l’amendement assimile les meubles
et le fonds de commerce aux biens immobiliers uniquement en ce qui concerne
l’application des articles du décret relatifs aux successions et testaments.424

Les restrictions dont l’article 6 fait allusion, sont prévues par les articles 7 et
suivants de ce texte. Il convient avant toute chose de noter que ce texte accorde une
grande place au testament. Ainsi, les dispositions qui suivent ne sont applicables que si le
testament n’a pas été prévu par le de cujus.

Ainsi, selon l’article 7, à défaut des dispositions testamentaires, les biens


immobiliers sont déférés aux enfants ou à leurs descendants. Sauf stipulation contraire de
la coutume, le partage s’opère par égales portions entre les enfants et par représentation à
leurs ascendants.

424
B.O., 1953, p 430
190

Il convient à ce stade de signaler que cette disposition pose un principe qui va


encore une fois à l’encontre de la coutume. En effet, les enfants du de cujus sont devenus
ses héritiers uniques en ce qui concerne ses biens immobiliers. Le partage s’opèrent par
égales portions, sauf si la coutume en décident autrement. Voilà un mélange qui s’opère
entre le droit écrit et le droit coutumier. On comprend que pour le choix des héritiers,
c’est le droit écrit qui prend le dessus et pour le partage entre héritiers, c’est la coutume
qui est privilégiée et le droit écrit n’intervient que comme règle supplétive.

L’exposé des motifs du décret explique ce mélange de la manière suivante :

«L’attribution des biens immobiliers aux descendants a posé un problème grave ; fallait-il
pousser les intéressés dans la voie du droit européen en prévoyant le partage par égale portion et
instituer une réserve ? S’abstenir permettrait au père de léguer par testament tous les biens à un
seul des enfants, privant les autres de toute part héréditaire. Puis à défaut du testament, les biens
seraient répartis entre les enfants d’après la coutume. Or, le plus souvent celle-ci attribue à l’aîné
soit tous les biens, soit la plus grande partie de ceux-ci, avec de faibles portions pour les cadets en
excluant les filles, régime qui tout à la fois semble contraire aux idées d’égalité entre les enfants
et au courant qui pousse les évolués à adopter les institutions européennes.
On a estimé qu’il était préférable de laisser libre jeu à l’évolution du droit coutumier. En
effet, soit par testament, soit par leur pratique, les indigènes verront, s’ils préfèrent le système
européen, faire volontairement évoluer la coutume dans ce sens. D’autre part, l’inégalité entre
enfants résultant de la coutume paraît plus forte qu’elle ne l’est en réalité, car l’aîné n’est
avantageux qu’en considération des charges qui lui sont imposées vis-à-vis de ses frères et sœurs.
Attribuer à ceux-ci une part égale des biens aurait parfois été les priver concurremment d’une
aide et d’une protection utiles. On a donc préféré n’instituer, ni partage égal, ni réserve, mais on a
précisé que l’héritier favorisé serait tenu des charges coutumières même si, par exemple, le père
ne l’avait pas expressément stipulé en disposant en sa faveur. La division des biens par égales
portions a cependant été prévue comme règle supplétive, pour le cas de silence du testament et de
la coutume.425»

Si le Congolais non immatriculé a des enfants, il ne peut disposer de ses biens


immobiliers par testament qu’en faveur de ses enfants ou de leurs descendants et, en
usufruit seulement, en faveur du conjoint survivant.426

Cette disposition qui limite la liberté de tester du de cujus en matière immobilière,


fait naître en faveur de la femme un droit d’usufruit immobilier issu du testament. La
question a été posée au Conseil colonial, celle de savoir pourquoi le mari ne peut-il pas

425
B.O., 1953, p 409
426
Art 8 du décret du 10 février 1953
191

disposer en faveur de sa femme des biens immobiliers en propriété ? A cette question, il a


été répondu qu’une telle option serait contraire à la coutume.427

Il est à remarquer que cette disposition fait des enfants du de cujus des nus-
propriétaires et le conjoint survivant l’usufruitier.

Lorsque le partage ne s’opère pas par égales portions, les enfants favorisés seront
tenus des charges prévues par la coutume en faveur des autres enfants et du conjoint
survivant.428 Cela est conforme à la coutume qui veut que la succession soit recueillie par
un seul héritier, quitte à lui de prendre en charge les autres membres du clan ou de la
famille.

Le conjoint survivant non divorcé, ni séparé de corps à ses torts, a sur les biens
immobiliers un droit d’usufruit de la moitié et même de la totalité au cas où il n’y aurait
pas des descendants.429

Dans l’hypothèse où le conjoint survivant dispose de la totalité de l’usufruit, on


est en droit de se demander la personne ou les personnes qui auront la nue-propriété.
Dans ce cas, nous pensons que la nue-propriété reviendra aux ayants droit traditionnels,
c’est-à-dire les frères du de cujus ou autres selon les dispositions coutumières.

Le conjoint survivant a la faculté de se faire attribuer l’usufruit de la maison


habitée par les époux, des meubles meublants, des terres que l’occupant de la maison
exploitait personnellement pour son propre compte et des animaux attachés à la culture,
ainsi que du fonds de commerce, si la valeur de celle-ci ne dépasse pas cent mille francs.

Si l’usufruit excède la part de succession lui revenant, le conjoint survivant est


tenu de servir une rente aux descendants.430le Rapport du Conseil colonial paraît explicite
sur la question. Voici ce qui est écrit à ces sujets :

427
B.O., 1953, p 430
428
Art 9 du décret du 10 février 1953
429
Art 10 du même texte
430
Art 11 du même texte
192

«Le survivant pour autant qu’il ait vécu dans la maison avec le de cujus, c’est-à-dire qu’il
ne soit pas séparé de fait, pourra se faire attribuer l’usufruit intégral des biens énumérés à l’article
10, maintenant à son profit l’intégrité de l’exploitation. Il recevra ainsi généralement plus que la
moitié à laquelle il a droit. Pour cet excédent, il devra indemnité aux enfants. Il est à prévoir
d’ailleurs en fait que cette indemnité se compensera souvent avec les soins et l’entretien qu’il leur
accordera.»431

Enfin l’article 15 prévoit que le Congolais non immatriculé ne peut disposer de


ses biens immobiliers par donation entre vifs qu’en faveur de son conjoint ou de ses
descendants.

Cette disposition limite encore la liberté du donateur lorsqu’il s’agit des biens
immobiliers. Les donataires ne peuvent être que soit le conjoint ou les descendants du
donateur. Il s’agit là d’une possibilité que la loi donne à la femme d’accéder aux droits
immobiliers du vivant de son conjoint. Par cette voie, la femme pourra avoir en propriété
le bien immobilier concerné alors que par voie successorale, elle n’a droit qu’à l’usufruit.

De tout ce qui précède, il ressort que ce texte a instauré certaines innovations


importantes par rapport à la coutume. En effet, il institue les enfants du de cujus comme
les seuls véritables héritiers de celui-ci en ce qui concerne ses biens immobiliers. En
outre, il prévoit au profit du conjoint survivant l’usufruit en moitié ou en totalité des biens
immobiliers du de cujus selon que les descendants existent ou pas. Les ayants droit
traditionnels ne viennent à l’héritage des biens immobiliers qu’en l’absence des
descendants, auquel cas ils auront la nue-propriété de ces biens, le conjoint survivant
ayant l’usufruit en totalité.

Le de cujus peut recourir au testament pour modifier la règle coutumière qui


consacre le partage inégal en prévoyant le partage égal entre héritiers légalement
désignés. Par la même voie, le de cujus peut aussi attribuer en pleine propriété les biens
immobiliers en faveur du conjoint survivant lorsqu’il n’y a pas d’enfant venant à la
succession. Cette dernière solution est à vrai dire éloignée des conceptions coutumières,
mais favorable pour la femme.

431
B.O., 1953, p 431
193

Mais le texte prévoit la possibilité pour les conjoints de se faire de donation


portant sur les biens immobiliers de leur vivant. Dans ce cas, les biens reçus en donation
peuvent être en propriété.

Bien que le décret sous examen parle du conjoint survivant et non de la veuve,
nous sommes d’avis que le législateur en instituant ce droit, pensait d’abord à la veuve.
Cela se remarque à travers les travaux préparatoires. En effet, il est rapporté que lors des
débats on fait souvent allusion à la femme lorsqu’il est question de parler du conjoint
survivant. Mais en principe, sur le plan de l’orthodoxie juridique, on peut affirmer que ce
texte consacre l’égalité entre conjoint en matière successorale. En effet, il ne fait l’ombre
d’aucun doute que le conjoint survivant peut être l’homme ou la femme. Par conséquent,
le bénéfice de l’usufruit concerne également l’un comme l’autre. Il faut cependant
reconnaître que la pratique peut bien être différente.

Nous pouvons en définitive dire que le décret de 1953 a posé les jalons pour
l’accès de la femme veuve aux droits fonciers et immobiliers. Mais une autre question est
de savoir comment les tribunaux coutumiers urbains l’ont appliqué.

C. La jurisprudence coutumière urbaine

La jurisprudence des tribunaux coutumiers urbains confirme que la femme


dispose du droit d’usufruit sur les biens immeubles de son conjoint prédécédé. En outre,
elle ne fait pas de distinction entre enfants par rapport à leur sexe. Ainsi, les filles héritent
de la même manière que les garçons. Ils sont tous nus-propriétaires si le conjoint
survivant existe ou copropriétaires en son absence.

Cette jurisprudence contraste avec celle des tribunaux coutumiers installés dans
les milieux ruraux, régis par le droit traditionnel, où nous avons constaté que la femme
n’avait aucun droit sur les biens immobiliers laissés par son défunt mari. En outre les
filles n’avaient pas droit à l’héritage au motif qu’elles étaient appelées à quitter la famille
pour rejoindre leurs maris.
194

De l’avis de plusieurs auteurs, il est affirmé que l’application du décret de 1953 a


donné naissance à une coutume urbaine qualifiée de « coutume évoluée432 ». Ainsi,
allons-nous essayer de passer en revue quelques décisions judiciaires prises par les
tribunaux coutumiers installés dans les milieux urbains en rapport avec la succession
immobilière. Il convient de noter que ces décisions judiciaires ont été publiées dans des
revues qui paraissaient à l’époque. Actuellement ces revues ne paraissent plus et les
tribunaux coutumiers ont été partiellement remplacés par les tribunaux de paix.

S’agissant du droit applicable lors du décès d’une personne, la question qui se


posait en rapport avec sa succession était de savoir si la coutume applicable était celle de
son territoire d’origine ou celle de sa dernière résidence. Pour répondre à cette question,
au niveau de la jurisprudence on note deux périodes distinctes. La première période est
celle qui va jusqu’en 1963 et la deuxième période commence à partir de 1963.

Pendant la première période, à défaut du testament, la succession était régie par la


coutume personnelle du défunt, c’est-à- dire la coutume de son milieu d’origine. Mais si
le de cujus avait laissé des descendants, sa succession était réglée conformément à la
coutume évoluée du lieu de son dernier domicile ou résidence.

C’est dans ce sens qu’il a été jugé par le tribunal de ville de Lubumbashi qu’en
application de la coutume évoluée de cette ville, toute succession est déférée à son plus
proche si le de cujus n’a laissé ni descendant, ni testament.433

Dans le même sens, il a été jugé qu’à Léopoldville les questions de successions et
donations entre vifs ou par testament en ce qui concerne les droits d’occupation des
parcelles sont régies par la coutume évoluée de la ville lorsqu’il y a des enfants ; sinon
elles sont réglées d’après la coutume du de cujus.434

432
On peut lire utilement les articles publiés notamment par Ntambwe Makadi sur l’Analyse critique de la
jurisprudence des tribunaux coutumiers relative au droit des successions en République du Zaïre, in Revue
juridique du Zaïre, n°3, 1974 ; Kilolo, Le droit coutumier des successions de la ville de Kinshasa, in Revue
zaïroise de droit, n°1, 1972, Emile Lamy et Lokwa Ilwaloma, La dévolution successorale en République
Démocratique du Congo, in Revue juridique et politique indépendance et coopération, n°4, 1972
433
Tribunal de ville Lub. 21 janvier 1963, RJC. 1965, p125
434
Terr. Léo, 3 juin 1954
195

Il apparaît que dans cette première période, la présence du conjoint survivant n’est
pas retenue comme critère pour appliquer la coutume évoluée de la dernière résidence ou
domicile. Seule la présence des descendants a été retenue comme critère.

Pour la deuxième période qui commence après 1963435, on constate qu’à défaut
des dispositions testamentaires contraires, la succession est régie par la coutume
personnelle du de cujus. Mais si celui-ci laisse son conjoint ou ses descendants, sa
succession sera réglée d’après la coutume évoluée de son dernier domicile ou de sa
dernière résidence.

C’est dans ce sens que le tribunal de ville de Kinshasa avait jugé que la parcelle
laissée par une personne n’ayant ni conjoint légitime ni enfants, revient aux héritiers
traditionnels du défunt.436 Même si cette décision se fonde sur la coutume évoluée, il est
aisé de constater qu’elle est conforme aux dispositions pertinentes du décret du 10 février
1953, particulièrement les articles 6 et suivants. A la différence du principe retenu durant
la première période, ici la présence du conjoint survivant est retenue comme critère pour
appliquer la coutume évoluée.

Dans tous les cas, le principe retenu est celui de la loi personnelle du de cujus,
sauf s’il a laissé un testament, un conjoint, un ou plusieurs enfants. Dans ces cas, on
applique la coutume territoriale de son dernier domicile ou de la situation des biens s’il
s’agit de biens immobiliers.437

Quant à la dévolution successorale ab intestat, la coutume évoluée a d’une façon


générale reconnu au conjoint survivant le droit d’usufruit sur les biens immobiliers et la
nue-propriété est reconnue aux enfants.

Ce droit est reconnu au conjoint survivant à condition qu’il ne soit pas divorcé ou
séparé de corps à ses torts. Le conjoint doit avoir été l’époux légitime du défunt. Ce qui

435
C’est à partir de cette année qu’on a constaté le revirement de la jurisprudence sur cette question. Il
convient de noter que le Congo indépendant n’a légiféré sur la succession qu’en 1987. Entretemps, cette
matière était toujours régie par la coutume ainsi que la circulaire de 1953.
436
Ville Kinshasa, 39.425/I du 10 février 1971
437
Ntambwe Makadi, Analyse critique de la jurisprudence des tribunaux coutumiers relative au droit des
successions en République du Zaïre, in Revue Juridique du Zaïre, n°3, 1974, p196
196

veut dire en d’autres termes que le concubinage ne donne pas droit à la succession du
concubin prédécédé. Il doit être digne de succéder. Ainsi, en cas de méconduite notoire, il
peut être déchu de son droit d’usufruit.

Concernant l’incidence de la fécondité de l’union sur la succession, jusqu’en 1963


certaines décisions judiciaires conditionnaient l’usufruit du conjoint survivant à la
présence d’un ou de plusieurs enfants.

Voici le relevé de quelques décisions judiciaires qui illustre nos propos :

- il a été jugé selon la coutume évoluée de Léopoldville, que l’usufruit de la


parcelle revient à la veuve lorsqu’il y a un enfant, la nue-propriété appartenant
à celui-ci. Si le nu-propriétaire meurt, l’usufruit s’éteint et la pleine propriété
va à l’héritier du mari désigné conformément à la coutume du lieu d’origine
de ce dernier438.

Il y a lieu de remarquer que cette jurisprudence écarte la veuve sans enfants de la


succession de son époux prédécédé. Cette décision est donc en contradiction avec les
dispositions du décret de 1953 que nous avons analysé antérieurement. Selon Kilolo, dans
l’esprit de cette jurisprudence, le droit d’usufruit de la veuve est basé sur l’idée de
rémunération de celle-ci, par la famille du défunt mari, pour le ou les enfants dont elle a
enrichi ce groupe. Ce à quoi il s’insurge en écrivant que si cet argument est valable pour
le patrilinéaire, il ne se justifie pas pour le matrilinéaire dont les enfants appartiennent au
lignage de la mère.

- il a été jugé que la veuve n’a pas le droit de vendre la nue-propriété de la


parcelle même si elle promet d’acheter une autre parcelle pour y résider avec
ses enfants. Le frère du défunt, représentant du clan paternel, a le droit de
s’opposer à pareille vente.439

438
Terr. Léo, 8 septembre 1955 ; 29 septembre 1955 ; n° 8177 du 12 juin 1956 ; n° 10761 du 25 octobre
1957, in B.J.I, 1959, p 86 et s
439
Terr. Léo, 29 septembre 1955
197

- Il a été jugé que le successeur qui hérite de la nue-propriété ne peut céder


celle-ci que sous réserve de l’usufruit du conjoint survivant440.

Ces quelques décisions judiciaires, et bien d’autres encore, 441confirment


l’évolution du droit du conjoint survivant, à l’occurrence la femme, sur les biens
immobiliers laissés par son défunt mari.

On peut donc affirmer que sous le décret de 1953, la situation de la femme ainsi
que celle de la fille se trouvant dans les milieux urbains était meilleure par rapport à celle
de leurs homologues se trouvant sur les terres de communauté locale. Que dire alors de la
situation de la veuve sous la législation du Congo indépendant?

§2. Droits successoraux de la veuve sous la législation du Congo indépendant

Sous le Congo indépendant, les droits successoraux de la veuve sont régis par le
code de la famille. Selon ce texte, la succession peut être testamentaire ou ab intestat.
Ainsi, l’étendue des droits fonciers de la veuve peut aussi dépendre du genre de
succession envisagé. Dans tous les cas, la loi a prévu une procédure spéciale permettant
aux héritiers de jouir de leurs droits successoraux. Nous allons donc dans un premier
temps analyser les règles de la succession testamentaire et dans un second temps celles de
la succession ab intestat, avant de passer en revue les règles de procédure y afférentes.

A. Succession testamentaire

440
Terr. Léo, n° 8436 du 28 mai 1956 in BJI, 1959, pp 76-77
441
Sous le jugement n° 9.151 du 19 novembre 1956, il a été jugé que la veuve ne peut pas bénéficier de
l’usufruit du conjoint survivant pour indignité. Dans le cas d’espèce, il s’agit de l’inconduite notoire du
vivant du mari, suivie d’abandon de famille (Terr. Léo, n° 9.151 du 19 novembre 1956, in BJI, 1959) ; le
tribunal de ville décide que la parcelle appartenant à une femme revient à ses enfants, qui écartent de
l’héritage les héritiers traditionnels. Dans le cas d’espèce, le tribunal n’a pas attribué l’usufruit de la
parcelle au conjoint survivant qui en était le donateur(Ville Léo, n° 16. 374/II du 18 janvier 1961) ; le
tribunal de centre de Léopoldville précise, à propos des enfants, que seuls les enfants légitimes sont appelés
à la succession de leur père, à l’exclusion de ceux de son épouse que le de cujus aurait recueillis dans son
foyer, même s’ils ont été inscrits dans son livret d’identité comme ses enfants(Ce. Léo, n° 18. 958/II du 10
mai 1963) ; il a été jugé que si le défunt n’a pas eu d’enfant avec la veuve, celle-ci a droit à l’usufruit de la
parcelle mais la nue-propriété est accordé aux héritiers traditionnels, conformément à la coutume(Terr. Léo,
n° 19502/II du 23août 1963) ; sous le jugement n° 30595/I du 24 mai 1968, le tribunal de ville de Kinshasa
décide que dans certaines circonstances, la veuve peut perdre l’usufruit que la coutume évoluée de
Kinshasa lui confère en règle générale sur la parcelle de son mari défunt.
198

Le législateur définit le testament comme étant un acte personnel du de cujus par


lequel il dispose, pour le temps où il ne sera plus, de son patrimoine, le répartit, détermine
ses héritiers et fixe les dispositions tutélaires, funéraires ou de dernière volonté que la loi
n’interdit pas et auxquelles des effets juridiques sont attachés.442

S’agissant de la forme que peut prendre le testament, la loi prévoit qu’elle peut
être authentique, olographe ou orale. Il convient particulièrement de remarquer que le
testament oral n’est valable que lorsqu’il est fait en présence de deux témoins majeurs.443
Ce testament qui a été aménagé en faveur des personnes illettrées,444 est également d’une
portée limitée quant à son objet.445

En dehors des dispositions susmentionnées, toute autre disposition prise est nulle.
Mais les legs faits dans ces conditions ayant une valeur supérieure à 10.000 zaïres sont
réduits à ce montant.446

Comme on peut se rendre compte, le testament oral ne concerne que les actes
patrimoniaux d’une faible importance. Pour les actes ayant une importance majeure, il
faut opter soit pour le testament authentique soit pour le testament olographe.

Malgré ces limitations imposées au testament oral, d’une façon générale, le


testateur a en principe la liberté de disposer de ses biens pour cause de mort. C’est ainsi
qu’il peut exhéréder de façon expresse ses héritiers ab intestat, il peut léguer ses biens à
toute personne de son choix. Il peut même changer les règles de partage des biens. Cette
liberté peut notamment lui permettre de disposer de certains biens fonciers ou
immobiliers en faveur de son conjoint.

442
Art 766 al 1 de la loi n° 87-10 du 1er août 1987 portant code de la famille
443
Art 771 al 1 de la même loi
444
Exposé des motifs du code de la famille, p 25
445
Dans un testament oral, le testateur ne se limite qu’aux actes ci-après :
- formuler des prescriptions relatives aux funérailles ;
- faire des legs particuliers dont le montant peut dépasser 10.000zaïres pour chaque legs ;
- prendre des dispositions relatives à la tutelle de ses enfants mineurs ;
- fixer entre les héritiers de la première catégorie et de la deuxième catégorie une règle de partage
différente de celle du partage égal prescrit par la loi en cas de succession ab intestat.
446
Art 771 al 3 du même code
199

Ce principe de la liberté de tester possède cependant certaines limites prévues par


la loi. Ces limites ont trait à ce qu’on appelle la réserve successorale. Ainsi, la quote-part
revenant aux héritiers de la première catégorie ne peut pas être entamée par les
dispositions testamentaires du de cujus établies en faveur d’héritiers des autres catégories
ou d’autres légataires universels ou particuliers.447

Lorsque la succession comporte une maison, celle-ci est exclusivement attribuée


aux héritiers de la première catégorie.448

Si, en revanche, elle comporte plusieurs maisons, l’une d’elles est exclusivement
attribuée aux héritiers de la première catégorie.449

Dans tous les cas, l’aliénation de cette maison ne peut être opérée qu’avec
l’accord unanime des enfants tous devenus majeurs et à condition que l’usufruit prévu au
bénéfice du conjoint survivant ait cessé d’exister.450

Si les biens dont le de cujus a disposé dépassent en valeur les trois quarts de la
succession qui revient à ses enfants, les parts testamentaires seront réduites à la quotité
disponible. Dans ce cas, la réduction se fera entre les légataires proportionnellement aux
legs dont ils ont été déclarés bénéficiaires.451

Lorsque le testateur n’a pas laissé d’enfant, la quotité disponible ne peut excéder
la moitié des biens s’il y a au moins deux groupes de la deuxième catégorie représentés à
la succession et les deux tiers s’il n’y en a qu’un seul. La réduction se fera dans ce cas,
entre les légataires proportionnellement aux legs dont ils ont été déclarés bénéficiaires.452

Voilà les règles impératives auxquelles tout testament doit respecter. A ce niveau,
il y a déjà lieu d’observer que les héritiers légaux sont protégés contre les dispositions
447
Art 779 du code de la famille. Il ya lieu de préciser que le code de la famille a prévu plusieurs catégories
d’héritiers. On peut notamment citer les héritiers de la première catégorie, ceux de la deuxième catégories
et ceux de la troisième catégorie. Nous y reviendrons en détail lorsque nous allons analyser la succession ab
intestat.
448
Art 780 al 1 du code de la famille
449
Art 780 al 2 du code de la famille
450
Art 780 al 3 du code de la famille
451
Art 781 du code de la famille
452
Art 782 du code de la famille
200

testamentaires attentatoires à leurs intérêts prises par le de cujus. Ce qui constitue une
bonne garantie pour leurs droits successoraux.

Quant à la veuve, son droit d’usufruit du conjoint survivant est mis en relief. En
effet, la loi prévoit l’existence de ce droit même dans le cas où la succession ne comporte
qu’une seule maison. Cette disposition est impérative. Nous y reviendrons plus loin. Si le
de cujus n’a pas prévu de testament, la succession est ab intestat.

B. Succession ab intestat

Dans la succession ab intestat, les droits successoraux de la veuve peuvent être


analysés à travers les règles en rapport avec les différentes catégories d’héritiers prévues
par le texte ainsi que celles relatives au partage et à l’administration des biens.

1. Héritiers légaux

Le code de la famille a prévu plusieurs groupes d’héritiers. La première catégorie,


celle des héritiers privilégiés, est composée des enfants du de cujus nés dans le mariage et
ceux nés hors mariage mais affiliés de son vivant, ainsi que ses enfants adoptifs.453

Si les enfants ou l’un des enfants du de cujus sont morts avant lui et qu’ils ont
laissé des descendants, ils sont représentés par ces derniers dans la succession.454

La deuxième catégorie d’héritiers est celle composée du conjoint survivant, des


père et mère, des frères et sœurs germains ou consanguins ou utérins. Cette catégorie est
constituée de trois groupes distincts.455

Lorsque le père et la mère du de cujus ou l’un d’eux sont décédés avant lui mais
que leurs père et mère ou l’un d’eux sont encore en vie, ceux-ci viennent à la succession
en leurs lieu et place. Si les frères et sœurs du de cujus ou l’un d’eux sont décédés avant
lui mais qu’ils ont laissé des descendants, ils sont représentés par ceux-ci dans la

453
Art 758 al 1 du code la famille
454
Art 758 al 2 du code de la famille
455
Art 758 al 3 du code de la famille
201

succession.456 C’est dire que dans certaines hypothèses, les grands-parents du de cujus
ainsi que ses neveux et nièces peuvent venir à l’héritage.

La troisième catégorie d’héritiers est composée des oncles et des tantes tant
paternels que maternels du de cujus. Si l’un d’eux meurt avant et laisse des descendants,
ceux-ci seront représentés dans la succession.457Dans cette hypothèse, les cousins et
cousines peuvent aussi recueillir l’héritage.

La quatrième catégorie est celle constituée de tout autre parent et allié, pour autant
que son lien de parenté ou d’alliance soit constaté régulièrement par le tribunal de paix. Il
est bien compris que cette catégorie n’est prise en compte que lorsque les héritiers de
trois catégories précédentes font défaut.458

Au regard de ce qui précède, il y a lieu de dire que le législateur a mis en place


des règles nouvelles qui vont en l’encontre de la coutume. D’abord il a fait du conjoint
survivant l’héritier du conjoint prémourant. Or dans les coutumes congolaises, aucun
conjoint ne peut hériter de l’autre. Ensuite, tous les enfants sont héritiers au même titre.
Désormais, parmi les héritiers, il n’y a plus de différence entre le garçon et la fille. Tous
viennent à la succession sur le même pied d’égalité. Par rapport au décret de 1953, le
code de la famille pose des règles impératives auxquelles le testament doit respecter et ne
fait plus la part belle à la coutume.

Cette innovation est expliquée par le législateur dans l’exposé des motifs du code
de la famille de la manière suivante :
«En matière de succession, on a cru nécessaire de s’écarter quelque peu des coutumes,
pour faire droit aux impératifs du développement et de l’évolution. Trois catégories d’héritiers ab
intestat ont été prévues :
a) les enfants du de cujus nés dans le mariage ou hors mariage mais affiliés de son
vivant ainsi que les enfants qu’il a adoptés ;
b) le conjoint survivant, les père et mère, les frères et sœurs germains ou consanguins ou
utérins ;
c) les oncles et les tantes ainsi que leurs parents.

456
Art 758 al 4 du code de la famille
457
Art 758 al 5 du code de la famille
458
Art 762 du code de la famille
202

Ces trois catégories ont été établies après des enquêtes approfondies qui se sont étendues
dans tous les grands centres du pays. Manifestement, partout est né un ardent désir de voir la loi
reconnaître aux enfants et au conjoint (plus précisément à la conjointe), une vocation
successorale.
En ce qui concerne les enfants nés hors mariage, seuls ceux affiliés du vivant du de cujus
viendront à la succession. Ceci pour éviter une certaine insécurité pour le conjoint survivant qui
serait surpris lors de l’ouverture de la succession par l’arrivée subite d’un grand nombre d’enfants
héritiers dont il n’a jamais soupçonné l’existence.»

Pour prendre part au partage de l’héritage, il faut avoir la qualité d’héritier. Les
règles étant posées, voyons maintenant comment la répartition de l’héritage s’opère entre
différents héritiers légaux.

2. Règles de partage entre héritiers

Les règles relatives au partage de la succession sont différentes selon qu’il s’agit
d’un grand héritage ou de petit héritage. Ainsi, nous allons d’abord voir les règles sur le
grand héritage ainsi que ses applications jurisprudentielles avant d’analyser les règles sur
le petit héritage.

a) Partage de grand héritage

Le législateur ne définit pas le grand héritage. Mais à partir de la définition de


petit héritage donnée par le législateur, on peut déduire que le grand héritage est celui
dont la valeur est estimée à plus de 100.000 zaïres.459

La répartition des biens en ce qui concerne cette catégorie d’héritage s’opère


selon les règles suivantes :

Les héritiers de la première catégorie reçoivent les trois quarts de l’hérédité. Le


partage entre héritiers s’opère par égales portions et par représentation entre leurs
ascendants.460 Il convient de noter qu’à ce point de vue, la législation congolaise est en
avance par rapport à d’autres législations africaines. En effet, le droit marocain de la

459
Il convient de noter que la monnaie Zaïre n’a plus cours légal en République Démocratique du Congo.
Actuellement le montant minimum prévu pour déterminer le grand héritage ne représente plus rien, à cause
de l’inflation que le pays a connu vers les années 1990. En outre, avec les différentes réformes monétaires
qui ont eu lieu entretemps, l’équivalence de cette somme par rapport à l’Euro est difficile à réaliser.
460
Art 759 du code de la famille
203

famille consacre l’inégalité entre les héritiers de la même catégorie. La fille n’hérite que
d’une quote-part fixe de la succession et non de sa totalité à l’instar du garçon. En outre,
elle n’a droit qu’à la moitié de la part qui revient à son frère.461

Les héritiers de la deuxième catégorie reçoivent le solde de l’hérédité si les


héritiers de la première catégorie sont présents et l’hérédité totale s’il n’y en a pas.462

Nous avions signalé précédemment que les héritiers de la deuxième catégorie


forment trois groupes distincts. Cette distinction apparaît clairement lors du partage.
Ainsi, par rapport à l’ensemble de l’héritage, chaque groupe formant la deuxième
catégorie des héritiers reçoit un douzième de l’hérédité. Le premier groupe est celui
composé par le conjoint survivant, le deuxième groupe est constitué par les père et mère
du de cujus et le troisième groupe est celui des frères et sœurs du défunt. Le partage
s’opère donc par égales portions.

Si à la mort du de cujus, seuls deux groupes d’héritiers de la deuxième catégorie


se présentent, chaque groupe recevra un huitième de l’hérédité. Mais s’il n’existe qu’un
seul groupe, celui-ci recevra un huitième également, le solde sera dévolu aux héritiers de
la première catégorie.463 Dans cette hypothèse, la quote-part des héritiers de la première
catégorie sera supérieure aux trois quarts.

Au cas où le de cujus n’a pas laissé les héritiers de la première et de la deuxième


catégorie, ceux de la troisième catégorie seront appelés à la succession. Dans ce cas, le
partage s’opérera entre héritiers par égales portions.464

A défaut d’héritiers de la troisième catégorie, ceux de la quatrième catégorie vont


recueillir l’hérédité, après que le tribunal de paix ait constaté le lien de parenté ou
d’alliance avec le de cujus. Le partage s’opère entre ces héritiers par égales portions.465

461
Fatiha Daoudi, Droits fonciers des femmes au Maroc : entre complexité du système foncier et
discrimination, Rabat, les études et essais du centre Jacques Berque, n°4, octobre 2011, p12
462
Art 760 al 1 du code de la famille
463
Art 760 al 2 et 3 du code de la famille
464
Art 761 du code de la famille
465
Art 763 du code de la famille
204

Si, par effet du concours des héritiers de la première catégorie, la quote-part


dévolue à chaque groupe des héritiers de la deuxième catégorie est supérieure à une
quote-part d’enfant héritier de la première catégorie, le partage égal de l’hérédité sera
calculé en additionnant le nombre d’enfants présents ou représentés et les groupes
présents ou représentés.466 Ici, l’hypothèse est celle où chaque groupe d’héritiers de la
deuxième catégorie se retrouve avec une quantité des biens supérieure à celle que chaque
héritier de la première catégorie a reçu. Le cas arrive souvent lorsque le de cujus a laissé
plusieurs enfants qui viennent à la succession. En pareil cas, le législateur exige que tous
les biens soient mis ensemble et la répartition se fait à part égale en tenant compte du
nombre d’enfants ainsi que des groupes présents ou représentés. En d’autres termes, tous
les héritiers seront traités comme s’ils appartenaient tous à la même catégorie avec
comme différence que les héritiers de la deuxième catégorie seront considérés par groupe
et non individuellement.

Le législateur n’accepte donc pas que les héritiers de la première catégorie soient
désavantagés par rapport à ceux d’autres catégories.

En plus de sa quote-part en tant que héritier de la deuxième catégorie, le conjoint


survivant bénéficie de l’usufruit du conjoint survivant. Cet usufruit est constitué de la
maison habitée par les époux et des meubles meublants.

Il comprend en outre la moitié des terres attenantes que l’occupant de la maison


exploitait personnellement pour son propre compte ainsi que le fonds de commerce y
afférent.

En cas de mise en location de la maison faisant l’objet de l’usufruit, le fruit de


celle-ci est partagé en deux parties égales entre le conjoint survivant et les héritiers de la
première catégorie.

Cet usufruit cesse par le convol du conjoint survivant ou sa méconduite dans la


maison conjugale, s’il existe des héritiers de la première ou de la deuxième catégorie.467

466
Art 764 du code de la famille
467
Art 785 du code de la famille
205

Cette disposition n’est pas nouvelle dans la législation congolaise. En effet, le


décret du 10 février 1953 portant accession des Congolais à la propriété immobilière
individuelle contenait déjà une disposition semblable. Il s’agit, comme nous l’avons déjà
analysé, de l’article 11.

Le législateur explique la raison d’être de cet usufruit dans l’exposé des motifs du
code de la famille en ces termes :

«S’agissant du conjoint survivant, la présente loi lui attribue l’usufruit de la maison


habitée par les époux, des meubles meublants, la moitié de l’usufruit des terres attenantes que
l’occupant de la maison exploitait personnellement pour son propre compte ainsi que du fonds de
commerce y afférent, l’autre moitié revenant aux héritiers de la première catégorie.
En cas de mise en location de la maison habitée par les époux, le fruit de celle-ci est
partagé en deux parties égales entre le conjoint survivant et les héritiers de la première catégorie.
Cette réaction est le résultat du spectacle scandaleux et affligeant auquel on assiste dans
les villes et dans la plupart des centres urbains du pays où, à la mort du chef de ménage, la femme
et les enfants sont jetés dans la rue, pendant que les membres de famille du de cujus se partagent
tranquillement la succession. Il devenait impérieux de mettre fin à pareille pratique par
l’intervention d’une législation appropriée. »

De cet exposé des motifs, on peut retenir qu’en réalité, l’usufruit du conjoint
survivant a été institué dans le souci de sécuriser la veuve et les enfants. Mais rien
n’empêche que le veuf puisse également en profiter. Voilà les règles prévues en ce qui
concerne le partage de grand héritage. Il ne suffit pas que les règles soient prévues par le
texte, faudra-t-il encore qu’elles soient d’application. Quel est alors l’état de la
jurisprudence en cette matière ?

b) Jurisprudence

D’une façon générale, les règles relatives au partage de l’héritage sont bien
appliquées par les tribunaux. Nous allons ci-dessous faire un relevé de quelques
décisions judiciaires prises en la matière que nous avons pu recueillir. Mais avant tout, il
convient de noter que nous avons trouvé peu des jugements rendus dont les biens fonciers
et immobiliers font l’objet de la succession. En outre, étant donné que les jugements ne
sont plus publiés depuis plusieurs années, nous avons été amenés à faire le tour des
tribunaux pour avoir des données jurisprudentielles. Raison pour laquelle nous
206

reproduisons les parties essentielles des jugements qui sont en rapport avec l’objet de
notre étude. Il convient de noter que les décisions judiciaires ci-dessous concernent la
période allant de 1998 à 2011.
- Il a été jugé qu’en cas de concours d’héritiers des première et deuxième
catégories, les héritiers de la première catégorie choisissent d’abord leur part. le tribunal
constate sur base du procès-verbal de la réunion du conseil de famille du de cujus que les
héritiers de la première catégorie ont eu leur quotité, soit les trois quarts des biens et ont
été privilégiés, le tribunal prendra dès lors acte de cette répartition opérée lors du conseil
de famille en date du 03 mars 2000(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe,
R.C 73.141 du 11août 2002, inédit).
- Il a été jugé que la veuve du de cujus est usufruitière de l’immeuble qu’elle
habitait avec son mari sis au n° 163 de la rue Itaga dans la Commune de Lingwala à
Kinshasa (Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe, R.C 70.670 du 24 novembre
1998, inédit).
-Il a été jugé qu’en vertu des dispositions de la loi n° 73-021 du 20 juillet 1973
portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés ainsi
que l’article 807 du code de la famille, le tribunal ordonnera au conservateur des titres
immobiliers de Lukunga d’opérer la mutation par décès de l’immeuble sis avenue Mbuji-
Mayi n°5, quartier Télécom Binza/IPN, Commune de Ngaliema en faveur de trois enfants
du de cujus et de sa veuve usufruitière(Tribunal de grande instance de Kinshasa / Gombe,
R.C 77.387 du 19 mars 2001, inédit).
- Il a été jugé que l’article 780 du code de la famille dispose en son alinéa 1er que
lorsque la succession ne comporte qu’une seule maison, celle-ci est exclusivement
attribuée aux héritiers de la première catégorie. Etant donné que la défunte a laissé deux
enfants et une parcelle, il y a lieu de faire droit à la présente requête en ordonnant
l’investiture en leurs noms de la parcelle visée et en enjoignant au conservateur des titres
immobiliers de procéder à la mutation de cette parcelle aux noms des requérants qui sont
les deux cohéritiers bénéficiaires(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe, R.C
75.256 du 27 juillet 2001, inédit).
- Il a été jugé qu’il ressort des pièces du dossier ainsi que des déclarations de l’ex-
époux du de cujus que la défunte n’a laissé aucun enfant, que les père et mère de celle-ci
sont décédés avant elle et qu’aucun frère ni sœur ne lui a survécu à l’exception du
207

requérant. Que ce dernier est le frère consanguin du de cujus car ils sont issus du même
père. Que de tout ce qui précède, il échet de reconnaître au requérant la qualité d’héritier
et de l’investir dans la propriété de l’immeuble en cause conformément aux articles 807
du code la famille et 233 de la loi foncière (Tribunal de grande instance de Kinshasa/
Gombe, R.C 75.256 du 27 juillet 2001, inédit).
- Il a été jugé qu’en cas de concours d’héritiers des première et deuxième
catégories, les héritiers de la première catégorie choisissent d’abord leur part. le tribunal
constate sur base du procès-verbal de la réunion du conseil de famille du de cujus que les
héritiers de la première catégorie ont eu leur quotité, soit les trois quarts des biens et ont
été privilégiés, le tribunal prendra dès lors acte de cette répartition opérée lors du conseil
de famille en date du 03 mars 2000(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe,
R.C 73.141 du 11août 2002, inédit).
- Il a été jugé que la veuve du de cujus est usufruitière de l’immeuble qu’elle
habitait avec son mari sis au n° 163 de la rue Itaga dans la Commune de Lingwala à
Kinshasa(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe, R.C 70.670 du 24 novembre
1998, inédit) ; il a été jugé qu’en vertu des dispositions de la loi n° 73-021 du 20 juillet
1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés
ainsi que l’article 807 du code de la famille, le tribunal ordonnera au conservateur des
titres immobiliers de Lukunga d’opérer la mutation par décès de l’immeuble sis avenue
Mbuji-Mayi n°5, quartier Télécom Binza/IPN, Commune de Ngaliema en faveur de trois
enfants du de cujus et de sa veuve usufruitière(Tribunal de grande instance de Kinshasa /
Gombe, R.C 77.387 du 19 mars 2001, inédit).
- Il a été jugé que l’article 780 du code de la famille dispose en son alinéa 1er que
lorsque la succession ne comporte qu’une seule maison, celle-ci est exclusivement
attribuée aux héritiers de la première catégorie. Etant donné que la défunte a laissé deux
enfants et une parcelle, il y a lieu de faire droit à la présente requête en ordonnant
l’investiture en leurs noms de la parcelle visée et en enjoignant au conservateur des titres
immobiliers de procéder à la mutation de cette parcelle aux noms des requérants qui sont
les deux cohéritiers bénéficiaires(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe, R.C
75.256 du 27 juillet 2001, inédit).
208

Voilà quelques décisions judiciaires et d’autres encore 468


que nous avons
sélectionné pour illustrer nos propos.

468
Il a été jugé qu’en cas de concours d’héritiers des première et deuxième catégories, les héritiers de la
première catégorie choisissent d’abord leur part. le tribunal constate sur base du procès-verbal de la réunion
du conseil de famille du de cujus que les héritiers de la première catégorie ont eu leur quotité, soit les trois
quarts des biens et ont été privilégiés, le tribunal prendra dès lors acte de cette répartition opérée lors du
conseil de famille en date du 03 mars 2000(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe, R.C 73.141
du 11août 2002, inédit) ; il a été jugé que la veuve du de cujus est usufruitière de l’immeuble qu’elle
habitait avec son mari sis au n° 163 de la rue Itaga dans la Commune de Lingwala à Kinshasa(Tribunal de
grande instance de Kinshasa/ Gombe, R.C 70.670 du 24 novembre 1998, inédit) ; il a été jugé qu’en vertu
des dispositions de la loi n° 73-021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et
immobilier et régime des sûretés ainsi que l’article 807 du code de la famille, le tribunal ordonnera au
conservateur des titres immobiliers de Lukunga d’opérer la mutation par décès de l’immeuble sis avenue
Mbuji-Mayi n°5, quartier Télécom Binza/IPN, Commune de Ngaliema en faveur de trois enfants du de
cujus et de sa veuve usufruitière(Tribunal de grande instance de Kinshasa / Gombe, R.C 77.387 du 19 mars
2001, inédit) ; il a été jugé que l’article 780 du code de la famille dispose en son alinéa 1er que lorsque la
succession ne comporte qu’une seule maison, celle-ci est exclusivement attribuée aux héritiers de la
première catégorie. Etant donné que la défunte a laissé deux enfants et une parcelle, il y a lieu de faire droit
à la présente requête en ordonnant l’investiture en leurs noms de la parcelle visée et en enjoignant au
conservateur des titres immobiliers de procéder à la mutation de cette parcelle aux noms des requérants qui
sont les deux cohéritiers bénéficiaires(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe, R.C 75.256 du 27
juillet 2001, inédit) ; il a été jugé qu’il ressort des pièces du dossier ainsi que des déclarations de l’ex-époux
du de cujus que la défunte n’a laissé aucun enfant, que les père et mère de celle-ci sont décédés avant elle et
qu’aucun frère ni sœur ne lui a survécu à l’exception du requérant. Que ce dernier est le frère consanguin
du de cujus car ils sont issus du même père. Que de tout ce qui précède, il échet de reconnaître au requérant
la qualité d’héritier et de l’investir dans la propriété de l’immeuble en cause conformément aux articles 807
du code la famille et 233 de la loi foncière(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe, R.C 75.256
du 27 juillet 2001, inédit) ; il a été jugé que de l’instruction de la cause à l’audience publique du 8 mai
2001, il appert clairement qu’à la suite du décès du de cujus intervenu en France et conformément à son
testament datant du 13 mars 1989, les ¾ de la succession reviennent aux enfants et le ¼ à son épouse. Qu’à
ce titre, les demanderesses veulent que le tribunal puisse opérer mutation des différents biens fonciers et
immobiliers de ladite succession. Il y a donc lieu d’ y faire droit et de les investir(Tribunal de grande
instance de Kinshasa/ Gombe, R.C 75.256 du 27 juillet 2001, inédit) ; il a été jugé que l’article 780 du code
de la famille dispose que lorsque la succession comporte une maison, celle-ci est exclusivement attribuée
aux héritiers de la première catégorie. Dans le cas d’espèce, il revient des pièces du dossier notamment
l’acte de succession n° 31.259/2003 et le protocole d’accord familial que le requérant est le seul héritier de
la première catégorie dans la succession du de cujus qui ne comporte qu’une seule maison. De tout ce qui
précède, le tribunal recevra la présente requête et la dira fondée, en conséquence ordonnera la mutation de
l’immeuble précité au nom du requérant(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Matete, R.C 10.818 du
15 mai 2004, inédit) ; il a été jugé qu’il ressort des pièces versées au dossier que le de cujus est
effectivement décédé à Kinshasa le 24 mars 1974 et qu’il a laissé entre autre biens, les parcelles sises rue
de Kimwenza n° 83 et 90 dans la Commune de Mont-Ngafula à Kinshasa, la parcelle sise rue Makongo
n°42 dans la Commune de Lemba et la parcelle sise rue Makongo n° 3900 dans la Commune de Lemba.
Que selon le partage des biens effectués en date du 04 septembre 1975, ces biens ont été attribués aux
héritiers de la première catégorie. Ainsi, le tribunal après examen de toutes les pièces versées par les
requérants dira ladite requête conforme à l’article 807 du code de la famille et y fera droit en ordonnant la
mutation des titres des parcelles précitées aux enfants du de cujus(Tribunal de grande instance de Kinshasa/
Matete, R.C 11.268 du 29 septembre 2004, inédit) ; il a été jugé qu’en droit, il ressort de l’article 758 alinéa
1er du code de la famille que les enfants du de cujus né dans le mariage et ceux nés hors mariage mais
affiliés de son vivant, ainsi que les enfants qu’il a adoptés, forment la première catégorie des héritiers de la
succession. Dans le cas sous examen, le requérant, ses frères et sœurs constituent les héritiers de la
première catégorie en tant que fils et filles du de cujus. Par ailleurs, au regard de l’article 780 alinéa 1er du
même code, lorsque le de cujus n’a laissé qu’un immeuble, celui-ci appartient aux héritiers de la première
catégorie. Dès lors, il échet d’ordonner au conservateur des titres immobiliers de la division urbaine de
209

De ce relevé, il ressort que les tribunaux de Kinshasa appliquent la loi pour


protéger les droits immobiliers des héritiers. Il convient de remarquer que tous les
héritiers de la première catégorie sont pris au même pied d’égalité. Aucune différence
n’est faite entre les héritiers de sexe masculin et ceux de sexe féminin. Chaque fois que la
succession est composée d’une seule maison, celle-ci est exclusivement attribuée aux
héritiers de la première catégorie.

S’agissant de l’usufruit du conjoint survivant, il est aussi d’une manière générale


pris en compte par le juge, et ce, même lorsque la succession n’a qu’une seule maison.

Mais ce relevé jurisprudentiel ne doit pas occulter le poids de la tradition


nonobstant l’existence des règles relatives au partage entre héritiers. En effet, il arrive

Funa de procéder à la mutation dudit immeuble en faveur des héritiers(Tribunal de grande instance de
Kinshasa/ Kalamu, R.C 21.834 du 18 novembre 2004, inédit) ; il a été jugé qu’aux termes de l’article 780
alinéas 1er et 3ème de la loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant code de la famille, lorsque la succession
comporte une maison, celle-ci est exclusivement attribuée aux héritiers de la première catégorie et que son
aliénation ne peut être opérée qu’avec l’accord unanime des enfants tous devenus majeurs. Dans le cas
d’espèce, le de cujus n’a pas laissé de veuve, le tribunal dira cette demande recevable et fondée, reconnaîtra
tous les héritiers copropriétaires de la parcelle sise rue Ndjoku n° 33/A, quartier 3 dans la Commune de
Masina. Il ordonnera à Monsieur le conservateur des titres immobiliers de la division urbaine de Tshangu
d’établir un certificat d’enregistrement aux noms de tous les enfants en tant que copropriétaires de la
parcelle sus indiquée(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ N’djili, R.C 0782 du 20 avril 1998, inédit) ;
il a été jugé que selon le prescrit de l’article 780 al 1er et 3ème de la loi n° 87/010 du 1er août 1987 portant
code de la famille, lorsque la succession comporte une maison, celle-ci est exclusivement attribuée aux
héritiers de la première catégorie et son aliénation ne peut être opérée qu’avec l’accord unanime des enfants
tous devenus majeurs. Dans le cas sous analyse, le défunt n’a laissé qu’une seule maison sise rue Ndele n°
107, quartier sans fil dans la Commune de Masina. Le tribunal estime donc qu’il est de bon droit, et ce, en
application de l’article 780 précité que ladite maison revienne à tous les enfants du défunt. De ce qui
précède, le tribunal ordonnera à Monsieur le conservateur des titres immobiliers de la Tshangu d’établir un
certificat d’enregistrement au nom de tous les enfants copropriétaires de la parcelle susvisée et de leur mère
comme usufruitière(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ N’djili, R.C 2913 du 25 septembre 2000,
inédit) ; il a été jugé qu’en droit, les enfants du de cujus, nés dans le mariage et ceux nés hors mariage mais
affiliés de son vivant, ainsi que les enfants qu’il a adoptés forment la première catégorie des héritiers de la
succession. Et que lorsque la succession comporte une maison, celle-ci est exclusivement attribuée aux
héritiers de la première catégorie. Eu égard aux éléments du dossier, le curateur aux successions a établi
l’acte de succession en faveur des héritiers et la veuve comme usufruitière de la parcelle sise avenue
Mokele n° 35, Quartier Maviokele, Commune de Kimbanseke pour laquelle l’investiture en vue de la
mutation est sollicitée. Le tribunal dira la requête fondée et ordonnera au conservateur des titres
immobiliers de la Tshangu d’opérer la mutation pour cause de décès de la parcelle susvisée au nom de tous
les héritiers comme nu-propriétaires et la veuve comme usufruitière(Tribunal de grande instance de
Kinshasa/ N’djili, R.C 4950 du 17 août 2002, inédit) ; il a été jugé que le tribunal relève que le de cujus a
laissé deux immeubles situés aux numéros 6 de l’avenue Kongo-Dieto dans la commune de Makala et 6 de
l’avenue Mombesa dans la commune de Kalamu couverts par les livrets de logeur en son nom ainsi que 7
enfants majeurs, une veuve et une sœur germaine, constituant des héritiers de la première et de la deuxième
catégorie au regard de l’article 758 alinéa1er du code de la famille. Ainsi, conformément aux articles 780 et
790 de la loi précitée, le choix des enfants du de cujus ayant été porté sur la parcelle située au numéro 6 de
l’avenue Mombesa dans la commune de Kalamu, le tribunal la leur attribuera exclusivement. Selon l’article
210

qu’un conflit soit déclenché entre les membres de la famille du de cujus contre sa veuve
et ses enfants. Le premier voulant dépouiller le second de tout héritage. Cette situation
arrive souvent lorsque du vivant du de cujus, les relations n’avaient pas été bonnes entre
sa famille et sa femme. En pareil cas, parfois la veuve ainsi que les enfants abandonnent
l’héritage entre les mains des membres de la famille du de cujus et s’abstiennent de saisir
la justice par peur de représailles. Celles-ci consistent souvent en la mort brusque et
inexpliquée des enfants du de cujus, les uns après les autres ou en la survenance
successive des événements malheureux parmi les enfants du de cujus. Il est vrai que la
fréquence de ces faits diminue sensiblement dans les milieux urbains à cause de la
réprobation sociale, mais ils demeurent néanmoins une réalité dans notre société.
Qu’en est-il alors de petit héritage ?

c) Partage de petit héritage

Le petit héritage est celui dont la valeur ne dépasse pas 100.000 zaïres469. Il
convient de noter que le montant fixé par le législateur pour déterminer le petit héritage
ne représente plus rien actuellement, à cause de deux facteurs conjugués à savoir : la
fluctuation monétaire et la réforme monétaire.

En effet, la dépréciation de la monnaie que le pays avait connue durant une


certaine période avait réduit à rien ce montant, qui malgré tout n’a jamais été révisé. En
outre, depuis lors, le pays a connu deux réformes monétaires ayant abouti au changement
de la monnaie : Nouveau Zaïre et Franc congolais. Aujourd’hui, il semble difficile de
donner l’équivalence de l’actuelle monnaie, qui est le Franc congolais par rapport à la
monnaie Zaïre de l’époque. Ce qui est certain, c’est que cette somme ne représente pas
une certaine valeur permettant d’évaluer un héritage.

Compte tenu de ce qui vient d’être dit, dans la pratique à l’heure actuelle, le petit
héritage est devenu presque une hypothèse d’école.

Qu’à cela ne tienne, le code de la famille prévoit que le petit héritage est attribué
exclusivement aux enfants du de cujus et à leurs descendants par voie de représentation,

469
Art 786 du code la famille
211

en cas de concours éventuel de ceux-ci avec les héritiers de la deuxième catégorie ou les
légataires.470 Il s’agit là d’une règle dérogatoire par rapport à celles énoncées concernant
le grand héritage.

Cependant, l’usufruit du conjoint survivant tel que prévu en cas de grand héritage,
reste maintenu même dans ce cas.471 Cette disposition nous paraît aujourd’hui absurde.
En effet, compte tenu de la somme fixée pour déterminer le petit héritage, il est
inconcevable d’y trouver une maison ou des terres attenantes qui fasse l’objet de
l’usufruit du conjoint survivant.

En cas d’absence d’héritiers de la première catégorie, les règles successorales


analysées antérieurement seront d’application.

Le législateur prévoit dans l’hypothèse de petit héritage que chacun des héritiers
par ordre de primogéniture a la faculté de le reprendre en totalité ou pour une part
supérieure à sa quote-part légale, sauf dispositions testamentaires contraires attribuant
l’hérédité en tout ou en partie à l’un des enfants.472

En principe, cette faculté est exercée par l’aîné des héritiers. Mais s’il ne le fait
pas, celui qui le suit en ordre de primogéniture peut l’exercer et ainsi de suite.473

Celui qui exerce le droit de reprise est tenu d’assurer les charges prévues par la
coutume à l’égard des autres héritiers.474Le législateur s’est manifestement inspiré de la
coutume pour édicter cette disposition. Comme nous l’avions déjà souligné, en droit
coutumier, l’ensemble de l’héritage est attribué à une seule personne. Mais celle-ci a
l’obligation de prendre en charge les autres membres de la communauté.

Le droit de reprise doit être homologué par le tribunal de paix du ressort où la


succession est ouverte, et ce, à l’initiative de celui qui veut l’exercer. Le tribunal vérifiera
s’il s’agit d’un petit héritage et fixera éventuellement les charges d’aide et d’entretien que

470
Art 786 al 1er du code de la famille
471
Art 786 al 2 du code de la famille
472
Art 787 al 1 du code de la famille
473
Art 787 al 2 du même code
474
Art 788 du même code
212

l’héritier privilégié devra respecter. La demande de l’homologation du droit de reprise


devra être introduite dans les trois mois à dater de l’ouverture de la succession.475

Voilà les règles prévues pour le petit héritage. Malgré la modicité de l’héritage, le
législateur a tenu à maintenir l’usufruit du conjoint survivant. Ce qui prouve que les
intérêts de celui-ci ont été au centre de ses préoccupations.

Mais toutes ces règles sont pratiquement tombées caduques à cause de la modicité
du montant fixé, en dessous duquel, on peut parler du petit héritage. Il y a donc nécessité
que le législateur puisse revoir ce montant à la hausse, en tenant compte de la réalité du
moment. Nous pensons que la bonne manière de faire consistera à renvoyer la fixation du
montant par voie de l’arrêté ministériel. En effet, il est plus facile pour un ministre de
prendre un arrêté portant fixation de la valeur maximum du petit héritage. En revanche, il
n’est pas facile de faire passer en priorité au parlement, un projet de loi portant
modification de la valeur maximum de petit héritage. Cette position se justifie par le fait
que le pays n’est pas encore à l’abri de fluctuation monétaire importante, étant entendu
que sa situation économique n’est pas stable. Une rédaction prudente s’impose.

De tout ce qui précède, il ressort que le code de la famille s’est réellement


démarqué de la coutume en intégrant parmi les successibles, les personnes qui n’ont pas
selon la coutume droit à l’héritage. Il s’agit de la veuve, ainsi que de la fille ou de la
femme. Ainsi, parmi les héritiers de la première catégorie, on ne fait plus la différence
entre le garçon et la fille. Quant aux héritiers de la deuxième catégorie, on observe que
dans chaque groupe qui compose cette catégorie, il y a des hommes et des femmes. On
note la présence du conjoint survivant (la veuve), la mère du de cujus, de ses sœurs ainsi
que de ses tantes si les héritiers de la troisième catégorie doivent venir à la succession.

En outre, elles disposent d’un droit égalitaire lors du partage. Pour chaque
catégorie d’héritiers et pour chaque groupe qui compose chaque catégorie, la loi prévoit
que le partage se fait par égales portions. Il n’y a donc pas de différence de traitement
entre les hommes et les femmes. La veuve dispose encore des droits avantageux. En effet,
en dehors de sa part en tant que héritière de la deuxième catégorie, elle dispose de

475
Art 789 du même code
213

l’usufruit du conjoint survivant qui lui permet notamment de garder la maison qu’elle
habitait avec son mari ainsi que la moitié des terres que le défunt exploitait
personnellement.

Nous pouvons affirmer sur ce point que les droits successoraux de la femme en
cas de veuvage sont une réalité. Mais pour qu’elle puisse jouir de ces droits, la loi a prévu
une procédure qui aboutit à l’investiture des héritiers, donnant ainsi lieu à l’établissement
d’un certificat d’enregistrement en leur nom ou à l’inscription de leur droit d’usufruit au
certificat d’enregistrement. Qu’en est-il de l’administration des biens entre héritiers ?

3. Règles d’administration des biens entre héritiers

L’administration des biens entre héritiers est régie par les règles de l’indivision.
En cette matière, le principe est que tous les héritiers sont copropriétaires du ou des biens
hérités. Lorsque l’indivision porte sur un bien foncier ou immobilier, le conservateur des
titres fonciers doit établir un seul certificat d’enregistrement au nom de tous, quitte à
s’entendre sur celui d’entre eux à qui le certificat collectif sera délivré. S’ils ne
s’entendent pas sur la personne qui devra détenir le certificat d’enregistrement, il revient
au conservateur de régler la question.476Cette exigence se justifie par le fait qu’en droit
congolais, les droits fonciers et immobiliers n’existent légalement que par l’établissement
d’un certificat d’enregistrement ou par l’inscription de ces droits au certificat
d’enregistrement.477
Aucun des copropriétaires n’a le droit de disposer ou de changer la destination de
la chose commune ou de grever celle-ci de droits réels au-delà de sa part indivise sans le
consentement des autres.478 La règle de gestion en la matière est donc l’unanimité du
consentement de tous les indivisaires pour tous les actes de disposition et
d’administration.479

476
Art. 237 alinéa3 de la loi n°73-021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et
immobilier et régime des suretés.
477
Art. 219 de la loi susmentionnée.
478
Art.33 de la loi précitée.
479
G. Kalambay Lumpungu, Droit civil : régime général des biens, Kinshasa, P.U.C, 1989, p 196.
214

C’est dans ce sens que le code de la famille prévoit que lorsque la succession ne
comporte qu’une seule maison, celle-ci ne peut être aliénée qu’avec l’accord unanime des
enfants, tous devenus majeurs et à condition que l’usufruit prévu au bénéfice du conjoint
survivant ait cessé d’exister.480
De ce qui précède, il ressort que chaque indivisaire dispose d’un droit de veto
pour faire échec à l’aliénation des biens faisant partie de l’indivision si une telle opération
ne rencontre pas son assentiment.
Chacun des copropriétaires peut cependant demander le partage de la chose
commune, nonobstant toute convention ou prohibition contraire.481Si les autres
copropriétaires veulent garder la chose, objet de l’indivision, ils peuvent faire évaluer la
quote-part de celui qui demande le partage par un expert, pour lui remettre la somme
correspondant à la valeur de celle-ci. Mais il convient de noter qu’aucune disposition
légale n’oblige l’héritier qui sollicite le partage de ne proposer préalablement la vente sa
part qu’aux autres héritiers. Ceux-ci ne disposent donc pas d’un droit de préemption.
Mais dans certaines hypothèses, un tel droit s’impose par la nature même de l’objet de
partage. C’est notamment le cas lorsque l’indivision porte sur une maison construite de
telle sorte que sa division n’est pas possible.
Si les héritiers ne sont pas d’accord pour partager les biens indivis, chacun d’eux
peut saisir le tribunal pour que celui-ci ordonne le partage ou la vente de ces biens.
Le partage des biens indivis se fait, en principe, en nature et à part égale. Mais s’il
y a impossibilité d’établir l’égalité des parts en nature, l’inégalité de celle-ci se compense
par l’attribution d’une soulte due par les héritiers ayant reçu une part supérieure à leur
part légale ou testamentaire d’hérédité en faveur de ceux qui ont reçu une part
inférieure.482
Les indivisaires peuvent convenir de rester dans l’indivision pendant un temps
déterminé qui ne peut excéder cinq ans. S’ils fixent dans leur convention un terme plus
long ou pour une durée illimitée, elle est réduite à ce terme.483Mais si parmi les héritiers il
existe un mineur, l’indivision ne prendra fin qu’à la majorité de celui-ci.

480
Art. 780 alinéa 3 du code de la famille.
481
Art. 34 al 1er de la loi n°73-021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et
immobilier et régime des suretés.
482
Art. 791 du code de la famille
483
Art. 34 al 2 de la loi précitée.
215

4. Procédure en cas de mutation pour cause de mort

La mutation des biens fonciers et immobiliers en droit congolais s’est inspirée du


système Torrens. Selon ce système, les droits fonciers et immobiliers n’existent
légalement que par l’établissement d’un certificat d’enregistrement au nom du nouvel
acquéreur. En d’autres termes, d’après ce système, le contrat est impuissant pour
transférer d’un patrimoine à l’autre la propriété ou le droit de concession d’un bien
foncier ou immobilier. L’intervention du conservateur des titres immobiliers est
indispensable afin d’établir le certificat d’enregistrement.484

Mais, lorsque la mutation s’opère pour cause de mort, l’intervention du juge


précède celle du conservateur des titres immobiliers. En effet, ce dernier ne peut établir le
nouveau certificat d’enregistrement au nom de l’héritier ou des héritiers que sur
injonction du juge. Il s’agit là d’une procédure spéciale et indispensable. C’est de son
aboutissement que dépend l’effectivité du droit foncier envisagé. Cette procédure a été
prévue successivement par plusieurs textes qu’il convient de passer en revue dans le but
d’en retracer l’évolution, avant de dégager ses différentes étapes par rapport aux textes en
vigueur.

I. Evolution de la législation en matière de mutation pour cause de mort

La mutation par décès a été prévue successivement par les textes ci-après : le
décret du 6 février 1920 portant transmission de la propriété immobilière, le décret du 10
février 1953 portant accession des Congolais à la propriété immobilière individuelle, la
loi n° 73/ 021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et
immobilier et régime des sûretés ainsi que la loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant code
de la famille.

L’article 220 alinéa premier dispose que les mutations soit entre vifs, soit par décès, de la propriété
484

immobilière ne s’opèrent que par un nouveau certificat d’enregistrement.


216

1. Décret du 6 février 1920 portant transmission de la propriété immobilière

Ce texte qui constitue le livre 2 du code civil, avait prévu en son article 34 ce qui
suit :
« Les mutations, soit entre vifs, soit par décès, de la propriété immobilière, ne
s’opèrent que par un nouveau certificat d’enregistrement.
A l’exception des servitudes légales et sous la réserve des droits coutumiers des
indigènes, nulle charge ne frappe la propriété immobilière si elle n’est inscrite au
certificat d’enregistrement.
Doit également être inscrit au certificat, tout contrat de location fait pour une
durée de plus de neuf ans. »

Cette disposition qui fait du certificat d’enregistrement la pierre angulaire du


système Torrens, est justifiée de la manière suivante dans le Rapport du Conseil colonial :

« A partir de cet enregistrement, l’existence juridique de l’immeuble va se dérouler


désormais sans interruption par l’effet de la nécessité absolue et constante de l’intervention du
conservateur des titres fonciers pour toute transmission de propriété et toute constitution de droit
réel soit entre vifs, soit par décès. A chaque mutation, comme autrefois dans les coutumes de
nantissement, le fonds est censé faire retour au seigneur qui en investit le nouveau titulaire.485 »

Concernant la mutation pour cause de mort, l’article 50 de ce décret prévoit la


procédure à suivre en disposant que :

«Les mutations par décès ne peuvent être opérées qu’en vertu d’une ordonnance du juge
du tribunal de première instance de la situation de l’immeuble.
La requête de l’héritier ou du légataire doit être publiée dans un ou plusieurs journaux de
la colonie, de la métropole ou de l’étranger, à désigner par le juge.
L’ordonnance d’investiture n’est rendue qu’après examen de tous actes ou documents
propres à justifier le droit de l’impétrant, et telles mesures d’instruction qu’il appartient à la
vigilance du magistrat de prescrire. Le Procureur du Roi doit donner son avis par écrit.
L’ordonnance d’investiture doit être rendue dans les quatre mois à compter du jour où ont
paru les journaux dans lesquels la requête a été publiée.»

Le législateur justifie la procédure instituée par cette disposition de la manière


suivante :
«Il fallait éviter toute difficulté pour le cas où le de cujus n’aurait plus de domicile ni de
résidence habituelle dans la colonie au jour de son décès. De là, le changement apporté dans la
détermination de la compétence territoriale du juge de l’investiture.

485
Conseil colonial : Compte rendu analytique du décret du 6 février 1920, 1919, p. 520
217

Ensuite, s’il convenait de prescrire au juge de ne statuer sur la requête qu’en pleine
connaissance de cause, il importait aussi d’empêcher que, par des scrupules excessifs, il ne laisse
trop longtemps incertaine la propriété de l’immeuble héréditaire. De là, les autres modifications
qui ont été apportées au texte primitif.
Il est manifeste que, parmi les mesures de publicité qu’il appartient de prescrire, c’est
spécialement au choix des journaux qui pourront le mieux toucher les intéressés que le juge devra
donner toute son attention.»486

Il convient de noter que ce décret avait un champ d’application limité. En effet, il


n’était applicable qu’aux maisons remplissant les règles d’urbanisme et d’hygiène et plus
précisément les maisons construites par l’Office des Cités Africaines et le Fonds
d’Avance. Ainsi, le pouvoir public colonial avait jugé bon d’édicter le décret du 10
février 1953 portant accession des Congolais à la propriété immobilière individuelle qui
avait un champ d’application plus large.

2. Décret du 10 février 1953 portant accession des Congolais à la propriété


immobilière individuelle

Ce texte a prévu aussi une procédure semblable avec quelques nuances. En effet,
l’article 20 du décret dispose ce qui suit :
«Lorsque la valeur globale des immeubles ne dépasse pas 200.000 francs, les mutations
par décès peuvent être opérées en vertu d’une ordonnance du président du tribunal de territoire de
la situation des immeubles présidé comme prévu à l’article précédent.487
La requête de l’héritier ou légataire doit être publiée par affichage à la porte du bureau du
territoire ou du centre extra-coutumier ou de la cité, ainsi que par insertion dans un ou plusieurs
journaux à désigner par le président.
L’ordonnance d’investiture n’est rendue qu’après examen de tous les actes ou documents
propres à justifier le droit de l’impétrant et telles mesures d’instruction qu’il appartient à la
vigilance du président de prescrire.
L’ordonnance d’investiture doit être rendue dans les quatre mois à compter du jour du
dernier acte de publication. »

Par rapport à l’article 50 du décret de 1920, cette disposition est différente sur les
points suivants : d’abord le juge compétent pour connaître de la requête est celui du
tribunal de territoire, à l’occurrence, son président. Alors que dans le décret de 1920, le

486
P.Piron et J. Devos, Codes et lois du Congo belge, Tome I, Bruxelles, Ferdinand Larcier, 1960, p. 93
487
L’article 19 dont fait allusion l’alinéa 1er de l’article 20, rend le tribunal de territoire présidé par le
commissaire de district ou par l’administrateur du territoire, compétent lorsque la valeur de la succession
dépasse 100.000 francs.
218

juge compétent est celui du tribunal de première instance. Selon le Rapport du Conseil
colonial, ce choix est justifié par le fait qu’il y a nécessité de ne pas surcharger les
tribunaux de première instance et d’éviter d’astreindre à trop des formalités les héritiers
modestes.

Ensuite concernant les mesures de publicité à prendre, le texte de 1953 prévoit


l’affichage en plus de l’insertion dans les journaux alors que la procédure prévue par le
décret de 1920 ne prévoit que la publication dans les journaux qui paraissent tant
localement qu’à l’étranger. Voilà pourquoi le Conseil colonial parle des formalités
onéreuses pour les héritiers modestes. En effet, la publication de la requête dans les
journaux étrangers doit avoir des implications financières assez considérables.

Enfin, l’avis du Procureur du Roi n’est pas requis dans le texte de 1953 alors que
dans le texte de 1920, il est obligatoire. Qu’en est-il alors de la loi foncière ?

3. Loi foncière

Cette loi a pratiquement reproduit l’article 50 du décret du 10 février 1920. En


effet, l’article 233 de ce texte dispose :

«Sous réserve du régime des terres prévu par l’article 210 de la présente loi, les mutations
par décès ne peuvent être opérées qu’en vertu d’une ordonnance du juge du tribunal de grande
instance de la situation de l’immeuble.
La requête de l’héritier ou légataire doit être publiée dans un ou plusieurs journaux de
l’Etat à désigner par le juge.
L’ordonnance d’investiture n’est rendue qu’après examen de tous les actes ou documents
propres à justifier le droit de l’impétrant, et telles mesures d’instruction qu’il appartient à la
vigilance du magistrat de prescrire. Le Procureur de la République doit donner son avis par écrit.
L’ordonnance d’investiture doit être rendue dans les quatre mois à compter du jour où ont
paru les journaux dans lesquels la requête a été publiée.»

Il nous semble que cette disposition ne mérite pas des commentaires particuliers,
dans la mesure où, ce qui a été dit au sujet de l’article 50 du décret sus évoqué reste
valable pour elle.
219

Un autre débat est celui de savoir si cette disposition est toujours en vigueur ou si
elle a été abrogée par le code de la famille. Cette question vaut la peine d’être examinée
d’autant plus qu’elle a une incidence sur l’orientation de la jurisprudence en la matière.

Le problème se pose en ces termes : la loi n° 73-021 du 20 juillet 1973 portant


régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés a été
modifiée par la loi n° 80-008 du 18 juillet 1980. Parmi les dispositions abrogées par
celle-ci, figure l’article 232 de la première loi. La loi modificative ne comporte que dix
articles.
Cependant, le Journal Officiel, organe administratif chargé de publier des actes
légaux et règlementaires, avait commis une erreur lors de sa parution numéro 15 du 1er
août 1980, en publiant encore le texte de la loi de 1973, tout en modifiant la numérotation
de celle-ci au lieu de publier simplement la loi modificative votée par le parlement. Ainsi,
du fait de ce changement de numérotation, l’article 233 était devenu l’article 232.488

Il convient de souligner que le changement de numérotation n’est pas le fait du


législateur mais du journal officiel. En effet, aucune loi votée par le parlement et
promulguée par le Président de la République n’avait consacré ce changement de
numérotation. C’est ainsi que, constatant cette erreur, le Journal Officiel l’avait rectifié
dans sa parution spéciale de 1992.

Au regard de ce qui vient d’être dit, il ressort que sur le plan strictement juridique
l’article 233 de la loi foncière n’a jamais été abrogé. Pour preuve, le Journal officiel l’a
encore repris comme tel après avoir corrigé la numérotation. Par conséquent, il peut
encore servir de base pour la transmission pour cause de mort des biens immobiliers. Tel
n’est pas toujours l’avis de la jurisprudence ainsi que de certains auteurs. Nous y
reviendrons. Que prévoit alors le code de la famille ?

4. Loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant code de la famille

La loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant code de la famille prévoit en son article
807 que :

488
Journal Officiel n° 15 du 1er août 1980
220

« La requête en investiture, en vue d’opérer la mutation par décès des biens


fonciers et immobiliers de la succession, sera introduite par le liquidateur au tribunal de
paix pour les héritages ne dépassant pas 100.000 zaïres et au tribunal de grande instance
pour les autres héritages, en indiquant ceux qui viennent à la succession, la situation des
fonds, des immeubles et leur composition. »

Par rapport à l’article 233 de la loi foncière, cette disposition introduit des
innovations suivantes :

1. la requête en investiture doit être introduite par le liquidateur en lieu et place


de l’héritier ou du légataire comme prévu par la loi de 1973 ;
2. la compétence du tribunal diffère selon que l’héritage dépasse ou pas le
montant de 100.000 zaïres. en effet, pour l’héritage dont la valeur est
supérieure à ce montant, c’est le tribunal de grande instance qui est
compétent. Le tribunal de paix devient compétent lorsque l’héritage a une
valeur égale ou inférieure à 100.000 zaïres ;
3. la requête en investiture doit contenir obligatoirement certaines mentions
notamment l’identité des héritiers, la situation des fonds et des immeubles
ainsi que leur composition ;
4. une distinction est faite entre le bien foncier et immobilier alors que cette
distinction n’apparaît pas dans le texte de 1973.

Cette disposition soulève le problème de savoir si elle vide l’article 233 de la loi
de 1973 de sa substance. On serait tenté de répondre par l’affirmative si l’on s’en tient à
l’interprétation littérale de ces deux dispositions, étant donné que l’article 807 du code de
la famille est postérieur par rapport à l’article 233 de la loi de 1973. Mais en pareil cas, il
faut avant tout chercher la volonté du législateur en édictant une nouvelle disposition,
sans toutefois abroger expressément l’ancienne qui régissait déjà la matière.

Cette volonté peut être recherchée dans les travaux préparatoires. Voici ce que
rapporte la Commission de Réforme du Droit Zaïrois qui a été à l’origine du code de la
famille au sujet de l’article 807 de cette loi:
«L’article 807 modifie les règles prescrites à l’actuel article 233 de la loi n° 73/ 021 du 20
juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés
qui donne compétence au tribunal de première instance.
221

Dans le cadre des mutations pour cause de mort, ce texte prévoit dans la procédure
d’investiture le recours à des juridictions qui seront beaucoup plus accessibles par les héritiers
représentés à cet effet par le liquidateur.
Déjà, dans le décret du 10 février 1953, à l’article 20, on avait organisé la procédure
d’investiture des héritages immobiliers de moins de 200.000 francs à l’échelon des tribunaux
coutumiers de territoire et de ville.
Reprenant et généralisant cette disposition, le texte prévoit que pour les héritages de
moins de 100.000 zaïres en cas de présence d’immeubles, la procédure d’investiture sera faite à
l’échelon de tribunal de paix et pour les autres héritages devant le tribunal de sous-région.»489

Il ressort de ce qui précède que le législateur voulait tout simplement modifier


l’article 233 sur certains point précis en s’inspirant de l’article 20 du décret de 1953 sur
l’accession des Congolais à la propriété immobilière individuelle notamment en ce qui
concerne le tribunal compétent pour se prononcer sur la requête en investiture ainsi que la
personne habilitée à introduire cette requête.

C’est dans le même sens que pense le professeur Lukombe Nghenda lorsqu’il
affirme que l’article 807 appartient à un texte postérieur qu’est la loi n°87-010 du 1er août
1987 par rapport à l’article 233 de la loi foncière de 1973 ; et par conséquent , les
dispositions de l’article 807 l’emportent là où elles auraient disposé autrement.490

Cette position n’est pas celle de Mupila Ndjike qui pense que l’article 807 du
code de la famille crée une contradiction par rapport à l’article 233 de la loi foncière
lorsqu’il prévoit que la requête en investiture en vue d’opérer mutation est introduite par
le liquidateur au lieu de l’héritier ou légataire comme prévu par le texte de 1973.491

De ce qui précède, il ressort que les deux dispositions sont en vigueur et elles sont
complémentaires. Ainsi, les différentes étapes à suivre relèvent de la combinaison de ces
deux textes.

489
Commission de Réforme du Droit Zaïrois, Exposés généraux et commentaires analytiques des articles
du code de la famille, inédit, pp 402- 403
490
Lukombe Nghenda, op.cit., p 933
491
H.F. Mupila Ndjike, Les successions en droit congolais , Kinshasa, Pax-Congo, 2000, p 202
222

II. Différentes étapes de la procédure en cas de mutation par décès

De l’analyse des articles 233 de la loi foncière et 807 du code de la famille, il


ressort que la procédure relative à l’investiture doit respecter les étapes ci-après :

- désignation d’un liquidateur ;


- requête comme acte de saisine ;
- publicité de la requête ;
- ordonnance ou jugement d’investiture.

1° Désignation du liquidateur
L’article 795 du code de la famille consacre trois sortes de liquidateur en tenant
compte du mode de leur désignation. Il s’agit du liquidateur légal ou ab intestat, du
liquidateur testamentaire et du liquidateur judiciaire.

a. Liquidateur légal

Le liquidateur légal est celui désigné par la loi en l’absence du testament. Selon
l’article 795 alinéa 1er, en cas de succession ab intestat, le plus âgé des héritiers sera
chargé de la liquidation de la succession ou en cas de désistement, celui qui sera désigné
par les héritiers.

Il y a lieu d’observer que le plus âgé des héritiers peut être aussi bien un homme
qu’une femme. La loi ne fait donc pas de distinction entre le sexe. Cela contraste avec la
gestion de la succession en droit coutumier où seuls les personnes de sexe masculin
peuvent l’administrer.

La loi prévoit que le plus âgé des héritiers se charge de la liquidation de la


succession. Cette disposition est imprécise. En effet, le code de la famille prévoit
plusieurs catégories d’héritiers dont deux catégories concourent obligatoirement à
l’héritage. La question qui se pose est de savoir dans quelle catégorie doit-on tirer le plus
âgé des héritiers ?
223

Il n’y a pas unanimité quant à la réponse réservée à cette question. Pour certains
auteurs, étant donné que les termes de l’article 795 alinéa1er ne font pas de différence
entre les différentes catégories d’héritiers, le plus âgé doit être cherché entre les héritiers
de la première et de la deuxième catégorie. Cette position est soutenue notamment par
Mupila Ndjike lorsqu’il écrit :

«Au regard de la disposition de l’article 795 alinéa1er du code de la famille susvisé, dans
sa première branche, on peut considérer que : le plus âgé des héritiers sera recherché parmi les
héritiers de la première et de la deuxième catégorie lorsqu’ils viennent en concours dans la
succession ab intestat.
C’est donc à dessein que le législateur utilise l’expression ‘’ le plus âgé ‘’des héritiers
plutôt que de parler ‘’ du fils ou de la fille aîné du défunt ‘’comme d’aucuns le soutiennent,
puisque les héritiers concernés ici sont bien ceux de la première et de la deuxième catégorie qui
sont appelés à concourir dans la succession.492 »

On reproche à cette thèse de privilégier l’interprétation littérale de cette


disposition, sans se préoccuper de l’esprit du texte. En effet, en analysant toutes les
dispositions relatives à la succession, on se rend compte que le souci du législateur est de
privilégier les héritiers de la première catégorie par rapport à ceux d’autres catégories.
C’est ainsi qu’en cas de partage par exemple, non seulement que les héritiers de la
première catégorie reçoivent les trois quarts de l’héritage, mais aussi ils choisissent en
priorité les biens faisant partie de l’héritage.

Tenant compte de ce qui précède, nous sommes d’avis que le plus âgé des
héritiers devrait être tiré parmi les héritiers de la première catégorie d’autant plus que
selon la volonté du législateur, l’intérêt de ceux-ci passe avant toute autre chose. Or, cet
intérêt ne pourra être mieux protégé que si l’un des héritiers de cette catégorie se trouve
être le liquidateur de la succession.

Tel est également l’avis de la jurisprudence. En effet, dans un arrêt rendu par la
Cour d’Appel de Kinshasa/ Matete, il a été jugé que le législateur en parlant du plus âgé
des héritiers sous-entend le plus âgé de la première catégorie au cas où les héritiers de
cette catégorie ont comme aîné (plus âgé) un majeur.

492
H.F. Mupila Ndjike, op. cit., pp. 140-141
224

La cour motive sa décision par le fait que les ¾ de l’hérédité réservés aux héritiers
de la première catégorie ne doivent pas être laissés pour gestion aux mains d’autres
héritiers, c’est-à-dire ceux de la deuxième catégorie, au seul motif que les ayants droit
seraient moins âgés que leurs cohéritiers des autres catégories.493

Cette décision de la Cour d’Appel a fait jurisprudence dans la mesure où les


tribunaux ont suivi cette position. En effet, plusieurs décisions rendues par les tribunaux
de Kinshasa ont investi l’aîné des héritiers de la première catégorie comme liquidateur de
la succession. Tel est notamment le cas du tribunal de grande instance de Kinshasa/
Matete, qui a décidé dans un cas, que le requérant est le fils aîné, en tant que tel, il a été
désigné lors de la tenue du conseil de famille à Kinshasa en date du 05 décembre 2004
par tous les héritiers de la succession en qualité de liquidateur avec comme mission de
gérer les affaires qui concernent cette succession. Au regard de ce qui précède, le tribunal
de céans fera droit à la requête du requérant en l’investissant en qualité de liquidateur de
la succession du de cujus.494

Dans un autre cas, il a été jugé que l’article 795 de la loi n° 87/010 du 1 er août
1987 portant code de la famille dispose qu’en cas de succession ab intestat, le plus âgé
des héritiers sera chargé de la liquidation de la succession ou en cas de désistement, celui
qui sera désigné par les héritiers. Dans le cas sous examen, dès lors que le requérant est le
fils aîné du de cujus et qu’en sus, il a été désigné par le conseil de famille, le tribunal
estime qu’il y a lieu de le confirmer en qualité de liquidateur de la succession du
défunt.495

Il ressort de ce qui précède que le conjoint survivant ne peut pas en principe être
liquidatrice de la succession au cas où les héritiers de la première catégorie existe, sauf si
ceux-ci sont mineurs ou s’ils consentent de lui confier ce rôle. Il en est de même de la
mère du de cujus. Par ailleurs, la fille du de cujus, héritière de la première catégorie, peut
bien être liquidatrice de la succession si elle est l’aînée des héritiers ou si elle a été
choisie par ceux-ci. L’analyse de la jurisprudence montre que les tribunaux n’hésitent pas

493
Cour d’Appel de Kinshasa/ Matete, R.C.A 2205/2209 du 13 janvier 1997, inédit.
494
Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Matete, R.C 7014 du 25 mars 2011, inédit.
495
Tribunal de grande instance de Kinshasa / N’djili, R.C 16813 du 12 octobre 2010, inédit.
225

à reconnaître à l’héritière la qualité de liquidatrice. En voici quelques illustrations tirées


de la jurisprudence des tribunaux de Kinshasa et de Boma.

- Il a été jugé que le tribunal de céans fera droit à la requête introduite par la
demanderesse en ordonnant son investiture en qualité de liquidatrice de la
succession laissée par son défunt père(Tribunal de grande instance de
Kinshasa/N’djili, R.C 18.429 du 18 juillet 2011, inédit).
- il a été jugé que le tribunal recevra la requête de la demanderesse et y fera
droit. En conséquence, confirmera la désignation de la demanderesse en
qualité de liquidatrice de la succession du défunt(Tribunal de grande instance
de Kinshasa/ N’djili, R.C 16779 du 18 octobre 2002, inédit).
- il a été jugé que le tribunal désignera la requérante en qualité de liquidatrice
de la succession de son défunt père et l’investira avec ses frères et sœurs
copropriétaires de l’immeuble sis quartier Salongo-Sud n° SBJ 682 dans la
commune de Lemba(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Matete, R.C
6985 du 18 mars 2002, inédit).
- il a été jugé que le tribunal recevra la requête introduite par les requérants et y
faisant droit. En conséquence, confirmera la désignation de Emilie Mbenga,
Joceline Kiebi Mvubu et Jurins Tshibuete Mvubu, en qualité des liquidateurs
de la succession de leur défunt père(Tribunal de grande instance de Kinshasa/
N’djili, R.C 16736 du 04 novembre 2010, inédit). Il convient d’observer ici
que le tribunal a confirmé la désignation d’un collège des liquidateurs
composé de deux femmes et un homme. Raison pour laquelle nous avons
repris expressément les noms des liquidateurs.
- Il a été jugé que sous R.C 3631, le tribunal de grande instance de Boma avait
le 11 juillet 2005 désigné le requérant en sa qualité de fils aîné comme
liquidateur. Ce dernier a écrit son acte de désistement auprès du même
tribunal en date de 20 juillet 2005 par lequel il demande qu’il soit remplacé
par sa sœur dans ses fonctions de liquidateur au motif qu’il voyage en Angola
pour un séjour de plus de cinq ans et n’est plus disponible pour ses
attributions. La volonté de tous les héritiers est de le remplacer en raison de
son indisponibilité par sa sœur, âgée de 37 ans pour liquider et administrer la
226

succession. Le tribunal fera droit à cette requête et fera application de l’article


796 du code de la famille(Tribunal de grande instance de Boma, R.C 3702 du
28 novembre 2005, inédit).
- Il a été jugé que l’article 795 alinéa 1er du code de la famille dispose qu’en
cas de succession ab intestat, le plus âgé des héritiers sera chargé de la
liquidation de la succession ou en cas de désistement, celui qui sera désigné
par les héritiers. Dans le cas d’espèce, la succession est ab intestat et la
requérante est la plus âgée des héritiers et elle a l’accord de tous les héritiers.
Il échet de dire recevable et fondée la présente action(Tribunal de grande
instance de Kinshasa/ Matete, R.C 7070 du 07 avril 2011, inédit). D’autres
jugements repris ci-dessous vont dans le même sens.496
Si le plus âgé des héritiers désiste, le liquidateur sera désigné par les héritiers.
Ceux-ci ont la possibilité de désigner même une personne étrangère à la succession. Dans
496
Il a été jugé que le tribunal de céans fera droit à la requête introduite par la demanderesse en ordonnant
son investiture en qualité de liquidatrice de la succession laissée par son défunt père.(Tribunal de grande
instance de Kinshasa/N’djili, R.C 18.429 du 18 juillet 2011, inédit) ; il a été jugé que le tribunal recevra la
requête de la demanderesse et y fera droit. En conséquence, confirmera la désignation de la demanderesse
en qualité de liquidatrice de la succession du défunt.(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ N’djili, R.C
16779 du 18 octobre 2002, inédit) ; il a été jugé que le tribunal désignera la requérante en qualité de
liquidatrice de la succession de son défunt père et l’investira avec ses frères et sœurs copropriétaires de
l’immeuble sis quartier Salongo-Sud n° SBJ 682 dans la commune de Lemba (Tribunal de grande instance
de Kinshasa/ Matete, R.C 6985 du 18 mars 2002, inédit) ; il a été jugé que le tribunal recevra la requête
introduite par les requérants et y faisant droit. En conséquence, confirmera la désignation de Emilie
Mbenga, Joceline Kiebi Mvubu et Jurins Tshibuete Mvubu, en qualité des liquidateurs de la succession de
leur défunt père (Tribunal de grande instance de Kinshasa/ N’djili, R.C 16736 du 04 novembre 2010,
inédit). Il convient d’observer ici que le tribunal a confirmé la désignation d’un collège des liquidateurs
composé de deux femmes et un homme. Raison pour laquelle nous avons repris expressément les noms des
liquidateurs ; il a été jugé que sous R.C 3631, le tribunal de grande instance de Boma avait le 11 juillet
2005 désigné le requérant en sa qualité de fils aîné comme liquidateur. Ce dernier a écrit son acte de
désistement auprès du même tribunal en date de 20 juillet 2005 par lequel il demande qu’il soit remplacé
par sa sœur dans ses fonctions de liquidateur au motif qu’il voyage en Angola pour un séjour de plus de
cinq ans et n’est plus disponible pour ses attributions. La volonté de tous les héritiers est de le remplacer en
raison de son indisponibilité par sa sœur, âgée de 37 ans pour liquider et administrer la succession. Le
tribunal fera droit à cette requête et fera application de l’article 796 du code de la famille (Tribunal de
grande instance de Boma, R.C 3702 du 28 novembre 2005, inédit) ; il a été jugé que l’article 795 alinéa 1er
du code de la famille dispose qu’en cas de succession ab intestat, le plus âgé des héritiers sera chargé de la
liquidation de la succession ou en cas de désistement, celui qui sera désigné par les héritiers. Dans le cas
d’espèce, la succession est ab intestat et la requérante est la plus âgée des héritiers et elle a l’accord de tous
les héritiers. Il échet de dire recevable et fondée la présente action (Tribunal de grande instance de
Kinshasa/ Matete, R.C 7070 du 07 avril 2011, inédit) ; il a été jugé que l’article 795 alinéa 1er du code de la
famille dispose qu’en cas de succession ab intestat, le plus âgé des héritiers sera chargé de la liquidation de
la succession ou en cas de désistement, celui qui sera désigné par les héritiers. Dans le cas d’espèce, la
succession du de cujus est ab intestat, la demanderesse avait été élue liquidatrice de la succession par les
héritiers. De la sorte, le tribunal de céans estime qu’il échet de déclarer recevable et fondée la présente
action au motif que la désignation de la liquidatrice a été faite conformément à la loi (Tribunal de grande
instance de Kinshasa/ Matete, R.C 7002 du 19 mars 2011, inédit).
227

ce cas, la désignation du liquidateur devra être sanctionnée par un acte signé par eux. Cet
acte va lui servir comme étant la preuve de sa qualité. Mais le liquidateur peut aussi être
testamentaire ou judiciaire.

b. Liquidateurs testamentaire et judiciaire

Le liquidateur peut être désigné par testament. L’article 795 du code de la famille
prévoit la possibilité pour le de cujus de choisir même plusieurs liquidateurs. Dans ce cas,
l’administration de la succession se fera de manière collégiale.

Le liquidateur peut également être désigné par le tribunal. Il s’agit là d’un


liquidateur judiciaire. Selon l’article 795 alinéa 3 du code de la famille, le liquidateur
judiciaire peut être désigné dans les cas ci-après :

- lorsque les héritiers ne sont pas encore connus ;


- lorsque les héritiers sont trop éloignés ;
- lorsque tous les héritiers renoncent à l’hérédité ;
- lorsqu’il existe une contestation grave sur la liquidation.
Mais le tribunal intervient aussi pour confirmer un liquidateur choisi par les
héritiers lorsque parmi ceux-ci, il y a des mineurs ou des interdits. Dans cette hypothèse,
le tribunal peut par une décision motivée, choisir un autre liquidateur parmi les héritiers.

De l’analyse de la jurisprudence on note l’existence des décisions judiciaires


nommant des liquidateurs judiciaires ou confirmant le liquidateur choisi par les héritiers
lorsqu’il y a des mineurs parmi eux. Il en est ainsi des jugements repris ci-dessous :

- Il a été jugé que le tribunal désignera d’office un liquidateur judiciaire en vue


d’administrer ladite succession. A cet effet, il aura pour tâche essentielle d’inventorier
tous les biens meubles et immeubles de la succession ainsi que tous les héritiers ; de
procéder au partage des biens entre héritiers (Tribunal de grande instance de Kinshasa/
N’djili, R.C 18919 du 02 mars 2012, inédit).
228

- Il a été jugé que dans le souci de sauvegarder la paix sociale entre parties qui
sont présentement des héritiers apparents, et dans l’intérêt de protéger leur patrimoine
successoral et de sécuriser tous les héritiers, le tribunal désignera un liquidateur judiciaire
de ladite succession conformément à la loi, avec tous les pouvoirs lui dévolus par le code
de la famille (Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe, R.C 101.661 du 14 mai
2009, inédit).

- Il a été jugé que le tribunal recevra la requête introduite par les requérantes et y
faisant droit, désigne un liquidateur judiciaire de ladite succession (Tribunal de grande
instance de Kinshasa/ Kalamu, R.C 18.749 du 19 août 2008, inédit).

- Il a été jugé que le tribunal de céans recevra l’action de la demanderesse y


faisant droit, la dira fondée et désignera un liquidateur judiciaire ayant un sens éprouvé
de droit et d’équité avec comme mission d’administrer la succession et de faire rapport au
tribunal (Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe, R .C 104.732 du 19 avril
2011, inédit).

- Il a été jugé que le tribunal constate d’une part qu’au regard des éléments du
dossier, le défunt n’a pas laissé de testament et que d’autre part, deux héritiers appelés à
la succession sont encore mineurs. En sus, excepté les requérants placés dans la première
catégorie, tous les autres héritiers, relève le tribunal, ne sont pas encore connus. Il
s’ensuit que le tribunal recevra leur requête, en la forme et y faisant droit, désignera leur
frère aîné liquidateur de ladite succession (Tribunal de grande instance de Boma, R.C
3631 du 11 juillet2005, inédit).

D’autres décisions judiciaires rendues par les tribunaux confirment cette


tendance.497

497

Il a été jugé qu’au regard de l’article 795 in fine du code de la famille, le tribunal procédera d’office à la
désignation d’un liquidateur judiciaire. Celui-ci aura pour tâches principales : inventorier tous les héritiers,
ainsi que tous les biens meubles et immeubles de la succession du de cujus, faire la proposition de partage
(Tribunal de grande instance de Kinshasa/N’djili, R.C 18.387 du 03 janvier 2012, inédit) ; il a été jugé que
l’article 795 alinéa 5 du code de la famille dispose que lorsque les héritiers ne sont pas connus ou sont trop
éloignés, ou qu’ils ont tous renoncé à l’hérédité ou en cas de contestation grave sur la liquidation, le
229

2° La saisine du juge par requête en investiture

La requête en investiture en tant que acte introductif d’instance, a été prévue


d’abord par l’article 50 du décret de 1920 et ensuite par l’article 233 de la loi foncière.
Mais ces textes n’avaient pas prévu les mentions qu’on pouvait y trouver. Dikete
Onatshungu note à ce sujet que l’article 50 du décret de 1920 ne précise pas les mentions
que doit contenir la requête, ni la forme dans laquelle elle doit être faite. Mais constituant
à la fois un acte de saisine du juge et un instrument de publicité, la requête doit fournir
tous les éléments susceptibles de former l’opinion du juge et d’informer les tiers, à savoir
l’indication précise du requérant et celle de son auteur ainsi que toutes les mentions
permettant d’identifier sans risque d’erreurs, l’immeuble dont l’investiture est
demandée.498

C’est cette lacune que l’article 807 du code de la famille a comblé, en précisant
que la requête en investiture doit indiquer ceux qui viennent à la succession, la situation
des fonds, des immeubles et leur composition.

Mais pour notre part, nous pensons que la requête en investiture devra être
accompagnée aussi de certains documents pouvant justifier le droit des héritiers ou des
légataires afin de permettre au juge de prendre sa décision en connaissance de cause.
Bien que les articles 807 du code de la famille et 233 de la loi foncière ne précisent pas

tribunal compétent désigne d’office ou à la requête du ministère public ou d’un des héritiers un liquidateur
judiciaire parent ou étranger à la famille. Dans le cas d’espèce, il découle des faits qu’il existe à ce jour des
contestations graves et de sérieuses difficultés sur la liquidation de la succession du défunt. Pour ce faire,
dans le souci de la défense des intérêts supérieurs des héritiers et à leurs propres requêtes, le tribunal
désignera d’office un liquidateur conformément à l’article 795 alinéa 5 susvisé (Tribunal de grande
instance de Kinshasa/ Matete, R.C 24508/ 24002 du 23 juin 2011, inédit) ; il a été jugé que l’article 795
alinéa1er du code de la famille dispose qu’en cas de succession ab intestat, le plus âgé des héritiers sera
chargé de la liquidation de la succession ou en cas de désistement, celui qui sera désigné par les héritiers.
Dans le cas d’espèce, il s’agit d’une succession sans testament, le plus âgé des héritiers qui s’occupait
jusque là de la liquidation a non seulement été désapprouvé par tous les héritiers, mais arrêté et détenu par
la justice et actuellement évadé pour un lieu inconnu. De ce qui précède, il échet de dire recevable et fondée
la présente action au motif qu’il relève de la volonté des héritiers que le plus âgé ne pouvant plus gérer la
succession parce que poursuivi par la justice, qu’un liquidateur judiciaire soit désigné à cette fin. Ainsi, le
tribunal de céans désigne un liquidateur judiciaire (Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Matete, R.C
8042 du 7 avril 2011, inédit).
498
Dikete Onatshungu, Du rôle de la volonté dans la transmission des droits réels immobiliers et de la
sécurité des transactions immobilières, Tome 2, Thèse de doctorat, Université Catholique de Louvain,
Faculté de Droit, 1975- 1976, p 483.
230

ces documents, nous estimons que les documents ci-après devraient accompagner la
requête :

- l’acte de décès du de cujus ;


- le livret de ménage qui reprend la composition familiale du défunt ;
- le certificat d’enregistrement de la propriété immobilière ou de la concession
foncière établi au nom du de cujus ;
- l’acte qui atteste la qualité du liquidateur.

Le juge saisi devra au préalable assurer la publicité de la requête comme la loi l’exige.

3° Publication de la requête en investiture

Selon l’article 233 de la loi foncière, la requête de l’héritier ou du légataire doit


être publiée dans un ou plusieurs journaux de l’Etat à désigner par le juge. Le but de cette
publicité est d’informer tous ceux qui prétendent avoir un droit quelconque sur
l’immeuble concerné de se manifester. C’est ainsi que le professeur Kalambay
Lumpungu pense que ce qui est demandé au juge, c’est en fait d’atteindre, le mieux
possible, les personnes pouvant avoir quelque intérêt dans la mutation de la concession
ou de l’immeuble laissé par le de cujus.499

C’est ainsi que le juge doit choisir les journaux, qui, d’après les éléments du
dossier, paraissent susceptibles d’être lus par ceux qui auraient des droits à revendiquer
sur l’immeuble, voire par ceux qui pourraient apporter des éclaircissements utiles quant à
la succession du défunt.500 Galopin va dans le même sens lorsqu’il rapporte que parmi les
mesures de publicité qu’il appartient au juge de prescrire, c’est spécialement au choix des
journaux qui pourront le mieux toucher les intéressés qu’il devra donner toute son
attention.501

499
G. Kalambay Lumpungu, Droit civil : Régime foncier et immobilier, Vol II, Kinshasa, P.U.Z., 1989, p
264
500
A. Stenmans, De la transmission de la propriété immobilière, in Droit civil du Congo belge, T III,
Bruxelles, Ferdinand Larcier, 1955, p 306
501
Th. Heyse, La propriété immobilière, in Les Novelles, Droit colonial, T1, 1932, p 93
231

La publicité de la requête en investiture revêt une importance capitale dans la


mesure où le certificat d’enregistrement obtenu même sur base d’une erreur
d’ordonnance d’investiture reste inattaquable.

Cependant, il convient de relever que cette publicité peut parfois poser certains
problèmes liés à l’accès à l’information surtout à l’état actuel du pays. En effet, il existe à
l’heure actuelle des parties du pays où les journaux ne paraissent pas.

Il y a lieu de noter aussi que l’analyse de la jurisprudence révèle que depuis la


promulgation du code de la famille, le juge ne fait plus publier la requête en investiture,
prétextant que cette formalité n’est plus exigée par cette loi. En effet, sur l’ensemble des
jugements que nous avons rassemblé, un seul a refusé de répondre positivement à la
requête d’investiture en invoquant notamment le fait que la requête n’a pas été publiée
comme l’exige la loi. Il s’agit du jugement inscrit sous R.C 1.569 du tribunal de grande
instance de Kinshasa/ N’djili. Comme on peut le constater, il s’agit là d’une décision
isolée qui ne fait pas jurisprudence. Ainsi, à l’heure actuelle, les mutations par décès se
passent sans publicité, si bien que ceux qui ont des droits à faire prévaloir sont souvent
surpris. D’où, la multiplicité des litiges en la matière devant les tribunaux. Qu’en est-il de
l’acte qui consacre la décision du juge ou du tribunal ?

4° Prise de l’ordonnance ou du jugement d’investiture

Selon l’article 233 alinéa 3 de la loi foncière, l’ordonnance d’investiture ne peut


être rendue qu’après examen de tous actes ou documents propres à justifier le droit de
l’impétrant et telles mesures d’instruction qu’il appartient à la vigilance du magistrat de
prescrire.

Cette disposition accorde au magistrat une certaine liberté d’action pouvant lui
permettre de prescrire toutes les mesures d’instruction lui paraissant utiles pour se former
une conviction. Le juge ne doit donc pas se contenter des pièces que lui soumet le
requérant.
232

L’alinéa 4 de l’article 233 de la loi foncière oblige le juge de rendre l’ordonnance


d’investiture dans les quatre mois à compter du jour où ont paru les journaux dans
lesquels la requête a été publiée.

Le délai de quatre mois est justifié par souci de célérité d’une part et d’autre part
pour empêcher que par des scrupules excessifs, le juge ne laisse trop de temps incertaine
la propriété de l’immeuble héréditaire.502

Mais la question fondamentale ici est de savoir l’autorité qui doit donner
l’investiture. De la réponse à cette question dépend la nature de l’acte à prendre par
l’autorité judiciaire.

L’article 233 alinéa 1er de la loi foncière prévoit que les mutations par décès ne
peuvent être opérées qu’en vertu d’une ordonnance du juge du tribunal de grande
instance de la situation de l’immeuble.

Il ressort de cette disposition que l’ordonnance d’investiture doit être rendue par
le juge et non par le tribunal. C’est dans ce sens qu’il a été jugé que le code civil
congolais ne connaît en matière de mutation par décès d’autre procédure que celle de
l’investiture. Il n’appartient pas aux tribunaux de se substituer au juge chargé de
l’octroyer.503

Stenmans va dans le même sens, lorsqu’il estime que les ordonnances sur requête
n’appartiennent ni à la juridiction gracieuse, ni à la juridiction contentieuse, mais
constituent pour le Président du tribunal l’exercice d’une sorte de pouvoir
discrétionnaire.504

De son côté, le professeur Mukadi Bonyi tout en classant les ordonnances dans la
catégorie des décisions gracieuses, reconnaît qu’en cette matière le Président du tribunal

502
Dikete Onatshungu, op. cit., p 484
503
Th. Heyse, op.cit, p 93
504
A. Stenmans, op. cit., p 309
233

ou de la cour rend des ordonnances qui sont des simples décisions d’ordre administratif,
la matière n’étant pas contentieuse.505

De ce qui précède, il convient de noter que l’ordonnance d’investiture doit être


rendue par le Président du tribunal de grande instance ou par celui du tribunal de paix.
Elle relève donc de son pouvoir et non du tribunal, de ce fait, elle constitue un acte du
juge et non celui du tribunal.

A l’heure actuelle, certains auteurs estiment que l’article 807 du code de la famille
donne compétence non plus au juge mais au tribunal pour répondre à la requête
d’investiture. En effet, ils fondent cette position sur la formulation de cette disposition
qui prévoit que la requête en investiture est introduite par le liquidateur au tribunal de
paix ou au tribunal de grande instance. Ainsi, pensent-ils, le tribunal ne peut répondre
que par voie de jugement. C’est ce que pense notamment le professeur Lukombe lorsqu’il
note que selon le code de la famille, l’autorité judiciaire compétente pour statuer sur la
requête, ce n’est plus le juge Président ou juge délégué par celui-ci comme le précise
l’article 233 de la loi n°73-021 du 20 juillet 1973, mais bien le tribunal, avec cette
conséquence que la décision de ce dernier, s’accommode mieux de l’appellation de
jugement d’investiture et non de l’ordonnance d’investiture.506

Pour sa part, le professeur Tshibangu Tshiasu pense également que c’est le


tribunal qui est habilité pour statuer sur la requête et il lui appartient de rendre une
décision dans un sens comme dans un autre, c’est-à-dire rejetant ou ordonnant
l’investiture.507

Depuis la promulgation du code de la famille, la jurisprudence se penche en


faveur de la deuxième thèse. En effet, le juge répond systématiquement à la requête
d’investiture par le jugement et non plus l’ordonnance. Ce jugement reconnaît aux
héritiers leur qualité et ordonne au conservateur des titres immobiliers d’opérer la
mutation en leur nom respectif. C’est sur base de ce jugement que ce fonctionnaire établit

505
Mukadi Bonyi et al, Procédure civile, Kinshasa, Batena Ntambua, 1999, p 113
506
Lukombe Nghenda, op. cit., p 934
507
F. Tshibangu Tshiasu Kalala, Droit civil : régimes matrimoniaux, succession, libéralités, Kinshasa,
Cadicec, 2003, p 250.
234

le nouveau titre aux noms des héritiers et inscrit l’usufruit du conjoint survivant dans le
nouveau certificat d’enregistrement au bénéfice de la veuve. C’est seulement en ce
moment là que les droits des héritiers auront une existence légale. Tel est le sens des
décisions judiciaires que nous avons relevé antérieurement.

Voilà toute l’importance que revêt cette procédure tant pour les héritiers du de
cujus en général que pour le conjoint survivant en particulier. Qu’en est-il alors de la
femme divorcée ?

Section 4. Accès de la femme divorcée aux droits fonciers

L’accès de la femme divorcée aux droits fonciers dépend essentiellement du


régime matrimonial qui avait été choisi au moment de la célébration ou de
l’enregistrement du mariage. En effet, selon l’article 578 du code la famille, le divorce
dissout le mariage et met fin aux devoirs réciproques des époux et à leur régime
matrimonial.

Ainsi, si pendant le mariage les époux divorcés vivaient sous le régime de la


séparation des biens, chacun d’eux gardera ses biens au moment du divorce. Si la femme
avait acquis avant et pendant le mariage des biens fonciers et immobiliers, elle les
gardera et elle va en jouir en toute liberté.

En cas du régime de la communauté réduite aux acquêts, chacun des époux


reprendra ses biens propres et les biens communs seront partagés par moitié entre eux, et
ce, après règlement du passif. Ce principe résulte de la combinaison des articles 502, 503,
524 et 530 du code de la famille.508

Dans cette hypothèse, si parmi les biens propres de la femme, il y a des biens
fonciers et immobiliers, la divorcée en gardera dans son patrimoine. Elle aura en outre, la
moitié des biens fonciers et immobiliers acquis pendant le mariage.

508
L’article 524 dispose : « En cas de dissolution du mariage, s’il y a eu gestion du mari, chacun des époux
reprend en nature les biens qui lui sont propres. » De son côté, l’article 530 dispose : « Après règlement du
passif, le surplus du patrimoine commun est partagé par moitié entre les époux ou leurs héritiers. »
235

Dans le cas où les époux divorcés étaient régis par le régime de la communauté
universelle, l’article 535 du code de la famille prévoit que l’actif et le passif de la
communauté seront partagés par moitié entre les anciens époux.

Les biens propres de chaque époux restent dans son patrimoine, si ceux-ci sont
retrouvés en nature ou s’il en est établi un compte distinct.509

Ici également, s’il y a des biens fonciers et immobiliers dans la communauté, ils
seront partagés par moitié entre époux. Mais chacun d’eux garde ses biens immobiliers
propres acquis à titre gratuit avec exclusion de communauté.510

Cependant, à la demande de l’un des époux qui occupe une maison appartenant en
tout ou en partie à l’autre époux au moment de la transcription du jugement consacrant le
divorce entre eux, le tribunal de paix peut disposer qu’il occupera la maison et usera des
meubles meublants pendant six mois après la transcription de la décision.

Les actes posés par l’ancien époux propriétaire de la maison en violation de la


décision prise par le tribunal ne sont pas opposables au bénéficiaire du droit
d’occupation.511

Il y a lieu de remarquer ici que le législateur donne la possibilité à l’ancien


conjoint qui est en difficulté au moment de divorce, de jouir encore du bien immobilier
appartenant à son ancien conjoint pendant un temps ne dépassant pas 6 mois. Une telle
disposition est bénéfique surtout pour la femme. En effet, généralement c’est elle qui se
retrouve en difficulté, compte tenu de sa situation financière souvent précaire. Ainsi, elle
accède aux droits immobiliers d’une manière temporaire, et ce, à la dissolution du
mariage.

Pendant ce temps, si l’ancien conjoint propriétaire de la maison se permet par


exemple de la vendre ou de la mettre en location, ces actes n’auront aucun effet sur le
droit que le tribunal a reconnu à l’autre ancien conjoint en difficulté. C’est seulement à la

509
Art 536 du code de la famille
510
Art 533 du code de la famille
511
Art 583 du code de la famille
236

fin de la période impartie que l’ancien époux propriétaire de la maison pourra en disposer
selon sa volonté. Il s’agit là à mon sens d’un droit spécial qui relève de la solidarité
devant exister entre les anciens époux.

Par rapport à la situation de la femme divorcée se trouvant sur les terres


appartenant aux communautés locales régies par la coutume, celle vivant sur les terres
rurales et urbaines est dans une situation confortable. En effet, comme nous l’avions
souligné antérieurement, la femme divorcée sur les terres des communautés locales ne
bénéficient pas des droits immobiliers alors que celle qui est sur les terres rurales et
urbaines accèdent aux droits immobiliers quel que soit le régime matrimonial auquel elle
était soumise.

Le relevé des jugements des tribunaux de paix nous révèle que les tribunaux ont
toujours tenu compte de l’intérêt de la femme lorsqu’ils prononcent le divorce.
Cependant, il y a lieu d’observer trois tendances : la première est celle qui prononce le
partage de tous les biens immobiliers à part égale entre les deux époux, la deuxième est
celle qui privilégie le mari au détriment de l’épouse et la troisième est celle qui consiste
à laisser tous les biens immobiliers au profit d’un époux sous prétexte qu’il lui revient la
garde des enfants. Ainsi, allons-nous essayer de reprendre quelques décisions
jurisprudentielles allant dans un sens comme dans l’autre.

Nombreuses, sont les décisions judiciaires allant dans le sens de partager les biens
immobiliers à part égale entre anciens époux. Souvent, ces mariages sont contractés soit
sous le régime de la communauté universelle des biens soit sous celui de la communauté
des biens réduits aux acquêts.

- Il a été décidé que s’agissant de la liquidation du régime matrimonial, les deux


époux ont reconnu avoir construit ensemble une maison sur la parcelle située
sur l’avenue Butulu n° 127, Quartier Mpila, commune de Ngaba à Kinshasa.
Dès lors, le tribunal ordonnera de procéder à la vente de l’unique parcelle et
les deux conjoints se partageront le prix par moitié chacun(Tribunal de Paix
de Kinshasa/ Lemba, R.C. 9107/VIII, du 18 septembre 2009, inédit). Dans le
237

cas d’espèce, les époux étaient régis par le régime de la communauté réduite
aux acquêts.
- Il a été décidé qu’étant donné que les époux ont acquis pendant le mariage
deux parcelles, et qu’ils ont contracté leur mariage sous le régime de la
communauté universelle des biens, il y a lieu de procéder à la liquidation du
régime matrimonial en accordant à chacun une parcelle(Tribunal de Paix de
Kinshasa/ Lemba, R.C. 10.221/I, du 21 juillet 2009, inédit).
- Il a été jugé que le mariage de deux parties étant régi par le régime de la
communauté universelle des biens et qu’ils ont ensemble acquis deux
parcelles, il sera attribué au mari la parcelle située à la cité de Badara et à
l’épouse celle de Kinkole(Tribunal de Paix de Kinshasa/ Lemba, R.C.
10265/VIII, du 24 septembre 2009, inédit).
- Il a été jugé que les parties en divorce sont autorisées de vendre l’unique
parcelle acquise pendant le mariage, quitte à partager à part égale le fruit de
cette vente, en réservant une part aux enfants issus de cette union(Tribunal de
Paix de Kinshasa/ Matete, R.C. 4455/V, du 8 février 2001, inédit).
- Il a été jugé que les parties ayant déjà procédé de commun accord au partage
de leurs biens meubles, le seul bien commun restant est la parcelle située dans
la commune de Ngaliema, le tribunal ordonnera son morcellement en deux
parties(Tribunal de Paix de Kinshasa/ Matete, R.C. 6757/VI, du 18 janvier
2006, inédit).
- Il a été jugé qu’en ce qui concerne les biens des époux, le tribunal relève que
ceux-ci ayant été mariés sous le régime de la communauté universelle, il sera
procédé au partage équitable de tous les biens communs notamment la
parcelle située au camp Badara(Tribunal de Paix de Kinshasa/ Matete, R.C.
6669/VI, du 17 août 2006, inédit).
- Il a été jugé que le tribunal procède au partage des biens communs et confie à
la défenderesse l’immeuble sis au n° 206 Jacaranda Gardens à Johannesbourg,
RSA et l’immeuble sis au n° 23, Mount Verna, Johannesbourg, RSA. Au
demandeur l’immeuble sis Dumbarstr-Johannesbourg, l’immeuble sis 23
Cavendish Heights- Johannesbourg, la maison familiale sise 35 Knoest
centurion RSA et la maison familiale sise au n° 33 Nell court, New Jersey,
238

USA(Tribunal de Pais de Kinshasa/ Matete, R.C. 8565/V, du 19 juillet 2011,


inédit). A priori, cette décision peut laisser croire que le partage n’a pas été
équitable entre parties. De la lecture du jugement, il ressort que les deux
derniers immeubles confiés au demandeur sont ceux obtenus à crédit, et ces
crédits n’ont pas été apurés. Voilà pourquoi le tribunal a voulu les confiés au
mari qui dispose des moyens pour les apurer.
- Il a été décidé que concernant le partage des biens, le tribunal dira que
l’unique parcelle que les parties ont eu pendant leur mariage sera vendue et le
prix sera partagé à parts égales entre le demandeur et la défenderesse
(Tribunal de Paix de Kinshasa/ Matete, R.C. 9004/V du 27 septembre 2011,
inédit).
- Il a été jugé que s’agissant de la liquidation du régime matrimonial, le tribunal
autorisera le partage par moitié au profit de chacun des époux, l’unique
parcelle du couple sise dans la commune de Mont-Ngafula(Tribunal de Paix
de Kinshasa/ Assossa, R.C.D. 5411/III, du 1février 2011, inédit).
- Il a été jugé que chaque époux recevra la moitié du prix de vente de l’unique
parcelle obtenue par eux pendant le mariage (Tribunal de Paix de Kinshasa/
Pont Kasa-vubu, R.C. 6151/X du 15 mai 2009, inédit).
- Il a été jugé qu’étant donné que les époux ont déclaré avoir eu en commun
deux parcelles, le tribunal ordonnera la vente de ces deux parcelles et d’en
diviser le produit de vente entre époux à part égale (Tribunal de Paix de
Kinshasa/ Pont Kasa-vubu, R.C. 6282/II du 01 juin 2010, inédit).
- Il a été jugé que les époux partageront équitablement tous les effets répertoriés
y compris la parcelle en construction acquise pendant le mariage (Tribunal de
Paix de Kinshasa/ Pont Kasa-vubu, R.C. 6522/II du 04 juin 2010, inédit).

L’analyse de plusieurs autres jugements confirme cette tendance de la


jurisprudence. 512

512
il a été jugé que même si la parcelle a été enregistrée au nom du mari, elle sera partagée équitablement
dans la mesure où elle a été acquise pendant le mariage et que les époux étaient régis par le régime de la
communauté des biens réduite aux acquêts (Tribunal de Paix de Kinshasa/ N’djili, R.C. 4367 du 06 juillet
2009, inédit) ; il a été jugé que le tribunal accordera à chacun des époux la moitié de l’unique parcelle
obtenue pendant le mariage ou sa contrevaleur en cas de vente (Tribunal de Paix de Kinshasa/ N’djili, R.C.
239

Les différentes décisions judiciaires mentionnées illustrent bien que la femme


divorcée jouit effectivement de ses droits fonciers. En effet, les tribunaux appliquent la
loi en respectant les droits de la femme par une répartition équitable des biens fonciers et
immobiliers acquis par les divorcés en tenant compte de leur régime matrimonial.

4428 du 16 juillet 2009, inédit) ; il a été jugé que l’unique parcelle obtenue pendant le mariage est une
copropriété des époux et de l’enfant que le mari a eu avant le mariage. Ainsi, elle sera vendue et le prix sera
partagé équitablement entre les trois copropriétaires (Tribunal de Paix de Kinshasa/ N’djili, R.C. 4850 du
22 février 2010, inédit) ; il a été jugé que les parties étant régies par le régime de la communauté des biens
réduite aux acquêts, la parcelle qu’elles possèdent sera partagée à raison de moitié pour chaque conjoint
(Tribunal de Paix de Kinshasa/ Gombe, R.D. 695/ II, du 20 octobre 2006, inédit) ; il a été jugé qu’étant
donné que le demandeur a vendu une parcelle dans la commune de Ngiri- Ngiri sans s’être consulté avec la
défenderesse, il a agi en violation de leur régime choisi. Le tribunal lui laissera le fruit de cette vente mais
donnera à la femme l’autre parcelle sise toujours dans la commune de Ngiri-Ngiri. Quant aux parcelles de
Ngaliema, le tribunal donnera au demandeur la parcelle inachevée et le terrain vide respectivement aux
numéros 15 et 16 de l’avenue Tungisana, tandis que la défenderesse prendra la parcelle située au numéro
17 de la même avenue et la ferme se trouvant dans la commune de la Nsele (Tribunal de Paix de Kinshasa/
Assossa, R.C.D. 1795/II du 29 octobre 2008, inédit). Il est à noter que la ferme se trouve sur une terre
rurale. Il a été jugé que le tribunal ordonnera la division à deux de tous les biens acquis par les époux
pendant la vie commune, y compris la maison où ils habitaient ensemble (Tribunal de Paix de Lubumbashi/
Kamalondo, R.C. 5097/II du 17 avril 2010, inédit) ; il a été jugé que statuant sur le partage des biens, le
tribunal relève que les époux ont déclaré s’être mariés sous le régime de la séparation des biens. Ainsi,
s’appuyant sur leur protocole d’accord et leurs déclarations à l’audience, le tribunal confiera à chaque
époux ses biens soit la parcelle sise avenue Luvemba n° 162, commune de Bandalungwa à la
demanderesse ; les parcelles sises avenue Dianga n°41, quartier 8, commune de N’djili et avenue
Simonambi n° 1800/19, commune de Lemba au défendeur (Tribunal de Paix de Kinshasa/ Lemba, R.C.
9934/IV du 13 mars 2009, inédit) ; il a été jugé que les époux se sont mariés sous le régime de la
communauté des biens réduite aux acquêts. Durant leur mariage, ils ont acquis deux parcelles. Le tribunal
note que de commun accord les époux ont opéré le partage suivant : la parcelle sise Cogelos a été attribuée
à la défenderesse et celle sise Ngamandjo revient au demandeur. (Tribunal de Paix de Kinshasa/ Lemba,
R.C. 10.463/VI du 16 novembre 2009, inédit ) ; il a été jugé que le tribunal note que les époux sont mariés
sous le régime de la communauté réduite aux acquêts. Que la liste des acquêts se présente comme suit :
cinq parcelles dont deux déjà construites et trois terrains non encore bâtis, une ferme, deux boutiques et une
jeep de marque Nissan. Ainsi, ce régime sera liquidé comme suit : la défenderesse aura une parcelle avec
maison et deux terrains vides ainsi que la jeep de marque Nissan. Le demandeur aura une parcelle avec
maison, une parcelle vide et la ferme. Il aura en outre les deux boutiques (Tribunal de Paix de Kinshasa/
Kinkole, R.C. 1317 du 04 mai 2010, inédit) ; il a été jugé que quant aux biens de la communauté
matrimoniale, le tribunal rappelle que les deux époux ont opté pour le régime de la communauté universelle
des biens. Que s’agissant des biens immobiliers, la défenderesse soutient qu’ils ont acquis deux parcelles
dont l’une à Mbudi et l’autre au plateau de Bateke( une ferme). Quant à la parcelle de Mbudi, la
défenderesse n’a pas produit aux débats ni versé au dossier un quelconque titre attestant qu’ils ont acquis
ladite parcelle. Concernant la ferme du plateau de Bateke, le tribunal indique que les deux époux ont
reconnu qu’ils l’ont acquis. Ainsi, étant donné qu’il n’y a aucune contestation quant à la ferme de plateau
de Bateke de 18 hectares, le tribunal accordera neuf hectares à la défenderesse et neuf autres hectares au
demandeur (Tribunal de Paix de Kinshasa/ Matete, R.C. 8054/III du 22 avril 2011, inédit). Il s’agit là
également des terres rurales.
240

Mais à côté de ces décisions judiciaires, il existe quelques unes qui ne prennent
pas toujours en compte les droits fonciers de la femme, en opérant un partage
inéquitable513.

Il ressort de ces deux décisions que le juge n’a pas opéré une répartition équitable.
En effet, il n’a pas voulu accorder à la femme les biens fonciers. Or, ces biens ont
généralement une valeur supérieure par rapport aux biens mobiliers. Il devrait en principe
partager les biens en distinguant les biens mobiliers d’une part et les biens immobiliers
d’autre part.

La troisième tendance est constituée des décisions judiciaires dans lesquelles la


femme renonce à ses droits fonciers au motif que les enfants devront en bénéficier. Il y a
lieu de remarquer dès à présent que dans ces jugements, la garde des enfants est confiée
au mari. Ce qui lui donne le droit de jouir de la maison conjugale au détriment de la
femme514.

Nous sommes d’avis que dans ces deux jugements, les tribunaux se sont laissés
entraîner par ‘’le jeu malin’’ des maris, qui pour continuer à jouir de la maison, ont voulu
d’abord obtenir la garde des enfants, et ensuite demander soit que la parcelle leur soit
attribuée, soit que la mutation soit carrément faite au nom des enfants. Dans tous les cas,

513
Il a été jugé que le régime matrimonial des époux étant dissout, le tribunal assure le partage des biens
comme suit : la demanderesse aura la voiture de marque Toyota Corolla, les éléments de la cuisine, deux
lits pour enfants et matelas, un congélateur, un frigo et les services de table. Le défendeur aura la maison
d’habitation, un buffet, les chaises en plastique, une antenne parabolique, un téléviseur, six lits, les
éléments de la salle de bain et les tuyaux d’arrosage (Tribunal de Paix de Lubumbashi/ Kamalondo, R.C.
1379/II du 29 mai 2007, inédit) ; il a été jugé que le tribunal statuant sur les biens communs procède à leur
partage de la manière suivante : au demandeur, le tribunal accorde sept tableaux, un tapis, un abat-jour, un
salon complet en rotin, une télévision philips 21’, une table à quatre places plus quatre chaises, un petit
buffet, le bureau complet, 8 chaises vertes en plastic, un lit, une table basse vitrée, une tablette, 6 chaises
plastics blanches, une table ronde en plastic, un miroir et un terrain en construction. Le tribunal laisse tous
les autres biens à la défenderesse (Tribunal de Paix de Lubumbashi/ Kamalondo, R.C. 1398/IV du 10 juin
2008, inédit).
514
Il a été jugé que de commun accord, les parties se sont entendues que l’unique parcelle obtenue pendant
le mariage soit laissée au mari, étant entendu qu’il aura la garde des enfants (Tribunal de Paix de Kinshasa/
Pont Kasa-vubu, R.C. 6584/I du 27 avril 2010, inédit) ; il a été jugé que le demandeur est bien disposé
d’assurer l’encadrement de ses enfants et qu’il sollicite leur garde. Qu’il y a lieu de faire droit à sa demande
en lui confiant la garde des trois enfants ainsi que le droit d’exercer sur eux l’autorité parentale. En ce qui
concerne le sort des biens, le demandeur qui est copropriétaire de la parcelle sise boulevard Salongo n°
9589 au même titre que la défenderesse, demande qu’elle soit mutée au profit des enfants précités pour leur
assurer un héritage en copropriété. Le tribunal estime qu’il y a lieu d’y faire droit (Tribunal de Paix de
Kinshasa/ Lemba, R.C. 9374/I du 30 octobre 2006, inédit).
241

ces deux jugements entrainent la même conséquence dans le chef des maris quant à la
jouissance des biens immobiliers. En effet, ils continueront à habiter ces maisons comme
auparavant alors que les femmes n’en bénéficieront plus.

Voilà la situation en ce qui concerne les droits fonciers de la femme divorcée.


Mais une autre préoccupation est de celle préciser la position de la femme qui vit dans
une union de fait, au sujet de ses droits fonciers.

Section 5 : Les droits fonciers de la femme dans une union de fait

Le droit congolais de la famille consacre la monogamie comme l’unique forme de


mariage reconnu. En outre, pour qu’il y ait mariage, la loi exige quant aux conditions de
fond le consentement des époux, la capacité de contracter mariage et fondamentalement
le versement de la dot par le mari conformément à la coutume de la femme. Mais il
s’observe des situations où un homme et une femme vivent ensemble pendant des
nombreuses années, sans qu’il y ait versement de la dot. Ce phénomène est bien connu à
Kinshasa sous les appellations « Yaka to Vanda », qui veut dire
littéralement « cohabitons » ou encore « Nzela Mukusé », qui veut dire « raccourci ». ici,
on prend le raccourci parce qu’on manque les moyens pour suivre la procédure normale
qui consiste à verser préalablement la dot avant de vivre avec une femme dans le même
toit. La caractéristique de ce phénomène est que les deux partenaires ne sont pas unis par
un mariage antérieur. Il s’agit là d’une situation que le professeur Nicole Jeanmart
qualifie « des unions libres dues à la misère ou de concubinage des bidonvilles ou des
corons ou des marolles ». Selon l’auteur, ces unions libres s’expliquaient en France et en
Belgique par l’ignorance des formalités à remplir en vue de contracter mariage ou par les
difficultés pratiques qu’entraînent les diverses démarches administratives. Elles
s’expliquaient également par la pauvreté.515

Une autre situation est celle dans laquelle se trouve un homme marié légalement
mais qui entretient une ou plusieurs autres femmes qu’il a aussi doté ou pas. Il s’agit là

515
N. Jeanmart, Les effets civils de la vie commune en dehors du mariage, Bruxelles, Maison Ferdinand
Larcier S.A, 1986, p19
242

d’un vieux phénomène connu également à Kinshasa sous le nom de « Bureau ». Sur le
plan juridique, on parlera de la polygamie lorsque la deuxième femme a été dotée sinon
on parlera du concubinage adultère.516 Le professeur Mulumba Katchy dit mieux lorsqu’il
note que la polygamie est une vieille pratique profondément ancrée dans la mentalité des
congolais.517 Sur le plan anthropologique, Camille Kuyu analyse ce phénomène comme
un ensemble de deux ou plusieurs monogamies simultanées. En effet, l’auteur refuse de
qualifier cette situation de polygamie, parce qu’il estime qu’en pareille situation, les
épouses cohabitent, communiquent, voire entretiennent des rapports de complicité. Or, en
cas de « bureaugamie », chaque épouse a sa résidence et mène avec son mari et
éventuellement leurs enfants, une vie de couple normale.518Cette explication est sans
doute valable sur le plan de l’anthropologie juridique. Mais au regard du droit positif, ce
phénomène est qualifié de polygamie et par conséquent interdit.

Ces deux situations qui ont retenu notre attention dans la mesure où elles sont les
plus connues et vécues dans la société congolaise, sont des unions de fait. La différence
entre les deux situations est que dans la première hypothèse aucun de deux partenaires
n’est uni par un mariage antérieur, alors que dans la seconde hypothèse, l’homme est uni
à une femme par un lien de mariage antérieur. Il convient de noter qu’en dehors de ces
deux hypothèses, on peut en trouver d’autres. D’ailleurs à ce sujet, certains sociologues
en distinguent plusieurs variantes. Ils parlent notamment de la cohabitation juvénile,
cohabitation non juvénile, union libre avant tout mariage et union libre après un premier
mariage519. Dans tous les cas, la législation congolaise dans son état actuel n’accorde
aucun effet juridique à ces relations entre partenaires et pourtant, il s’agit là d’une réalité
africaine en général et particulièrement congolaise. En effet, beaucoup des personnes se
retrouvent dans cette situation.

La première situation arrive souvent entre deux jeunes qui entretiennent une
relation amoureuse, à l’issue de laquelle la fille se retrouve enceinte. Si le garçon n’a pas
des moyens pour la doter ou n’est pas prêt à le faire, il pourra néanmoins la prendre pour

516
N. Jeanmart, op. cit, p 27
517
Mulumba Katchy, op. cit, p53
518
C. Kuyu Mwissa, Parenté et famille dans les cultures africaines, Paris, Karthala, 2005, p106
519
L. Roussel, La famille de fait : point de vue d’un sociologue, in La famille de fait, Kortrijk-Bruxelles-
Namur, UGA, 1982, pp 15-35
243

cohabiter. Il arrive qu’ils passent plusieurs années de cohabitation sans que la dot soit
versée. Entretemps, ils vont continuer à faire des enfants et ils peuvent acquérir aussi des
biens fonciers et immobiliers. Quelle que soit la durée d’une telle union, la loi n’accorde
aucun effet juridique à cela. Ainsi, si le couple se sépare, la femme n’a pas la possibilité
de faire valoir ses droits dans le cadre de cette union de fait. Elle ne pourra pas par
exemple réclamer sa part des biens fonciers ou immobiliers dès l’instant où ces biens ont
été enregistrés au nom de l’homme alors qu’elle a parfois réellement contribué pour que
ces biens soient acquis.

De même, lorsque l’homme meurt dans cet état, la femme n’a pas droit à
l’héritage sauf s’il a laissé un testament en sa faveur. En effet, pour que la femme soit
considérée comme héritière, il faut qu’elle soit mariée. Elle n’aura pas non plus l’usufruit
du conjoint survivant au cas où il y aurait des biens fonciers et immobiliers. Mais les
enfants issus de cette union seront reconnus héritiers de l’homme et bénéficieront de tous
les avantages liés à cette qualité.

Concernant la deuxième situation, il arrive qu’un homme marié soit amené pour
une raison quelconque d’entretenir une ou plusieurs autres femmes. De ces relations
peuvent aussi naître des enfants. S’il est vrai que ces relations sont prohibées par la loi, la
réalité est qu’elles sont tolérées dans les milieux urbains, et, dans les milieux ruraux elles
sont pratiquement la règle.

En effet, dans les milieux urbains, plusieurs hommes se retrouvent dans cette
situation au vu et au su de tout le monde sans que cela pose un quelconque problème. Il
est rare que la femme porte plainte contre son mari au motif qu’il a commis l’adultère.
Cette attitude se justifie par le souci de protéger l’union conjugale et surtout de se
prémunir contre la réprobation sociale en général et celle de la famille du mari ou parfois
même celle de la famille de la femme en particulier. La société n’accepte pas qu’une
femme se permette de trainer son mari en justice pour avoir commis l’adultère. La
réputation et l’honneur du mari ne doivent pas être souillés pour un tel acte. Or, selon la
loi, l’adultère ne peut être poursuivi que sur plainte de l’époux offensé520. Le ministère

520
Art 468 du code de la famille
244

public ne peut donc pas se saisir d’office. En outre, l’article 467 du code de la famille ne
sanctionne l’adultère de l’homme que pour autant qu’il soit entouré des circonstances qui
lui impriment un caractère injurieux, alors que cette circonstance n’est pas prévue pour
l’adultère de la femme.

Dans les milieux ruraux, les hommes sont plus polygames que monogames. Cette
situation s’explique notamment par le fait que les femmes constituent une main d’œuvre
redoutable dans ces milieux. Comme l’activité principale est le travail de la terre, il faut
s’assurer de la main d’œuvre. La meilleure manière d’en avoir à moindre frais est la
polygamie. Les femmes aident les hommes à créer de nouvelles plantations. Ainsi, plus
on a des femmes, plus on a la possibilité d’avoir des plantations et par conséquent des
moyens financiers.

Mais sur le plan juridique, cette situation également ne produit pas des effets par
rapport à la femme surtout en milieu urbain. En effet, celle-ci se retrouve dans la même
situation que celle de la première hypothèse, malgré la longévité de cette union.
Cependant, les enfants qui y sont issus, seront des héritiers de l’homme s’ils sont
reconnus de son vivant. Cette situation est inconfortable pour la femme.

En milieu traditionnel, ces unions ne changent rien quant à la situation de la


femme par rapport à ses droits fonciers. En effet, il avait été dit que la femme dans ce
milieu, n’hérite pas de son mari et en cas de divorce, elle n’obtient rien, étant donné
qu’en droit coutumier, le régime matrimonial consacré est la séparation des biens et que
la terre appartient à la communauté. De ce fait, les autres femmes se retrouveront dans la
même situation que la première d’entre elles.

Dans les deux hypothèses, la femme peut accéder aux droits fonciers ou
immobiliers de deux manières. Elle peut acquérir entre vif. Elle n’aura pas besoin de
l’autorisation maritale dans la mesure où elle est considérée comme célibataire. Elle peut
également acquérir par donation. Dans ce cas, son partenaire pourra lui faire des dons.
Conformément à la loi, ces biens devront être enregistrés au nom de la femme. Elle ne
peut hériter de son partenaire que si celui-ci a laissé un testament en sa faveur. Cela n’est
245

possible que pour la femme qui est sur les terres urbaines et rurales et non pour celle qui
se retrouve sur les terres des communautés locales.

Dans le souci de protéger les droits de la femme, on peut envisager des solutions
suivantes : pour la première hypothèse, la loi pourra poser en terme de présomption que si
deux individus vivent ensemble pour une longue durée, les biens fonciers et immobiliers
acquis pendant cette union est une copropriété. Cette présomption ne pourra jouer que si
les deux partenaires sont célibataires.

Pour la deuxième hypothèse, on pourra s’inspirer des dispositions contenues dans


les codes de la famille de plusieurs pays africains qui offre la possibilité aux époux de
choisir dès le départ entre le mariage monogamique et le mariage polygamique. De sorte
que les autres relations du mari ne pourront produire d’effets que si l’option du départ
était la polygamie.

De l’analyse qui précède, on peut noter que les droits fonciers de la femme sur les
terres urbaines et rurales sont variables selon les cas de figure. Si la femme est
célibataire, ses droits sont sans entrave. Elle accède aux droits fonciers au même titre que
l’homme, parce qu’elle conserve toute sa capacité juridique lui permettant de poser
valablement tous les actes juridiques.

En revanche, si la femme est mariée, l’accès aux droits fonciers est tributaire du
régime matrimonial choisi par les époux, mais surtout de la volonté du mari. En effet, s’il
est vrai que tous les régimes matrimoniaux prévus par le code de la famille permettent
l’accès de la femme aux droits fonciers, il faut aussi reconnaître que les uns présentent
plus d’avantages que les autres. Mais l’obstacle majeur pour la femme mariée peut être
l’autorisation maritale qui la réduit au rang des incapables. D’où, avons-nous pensé, qu’il
serait nécessaire de remplacer cette autorisation préalable par le droit d’opposition
postérieur qui sera accordé tant à l’homme qu’à la femme, au cas où l’acte posé par l’un
ou l’autre membre du couple, porterait préjudice au ménage.

Dans le cadre de la succession, la femme peut avoir plusieurs statuts. Elle peut
être veuve, enfant du de cujus, sa mère, sa sœur ou sa tante. Dans tous les cas, le code de
246

la famille a fait de la femme héritière, et ce, en tenant compte du lien qui l’unit avec le de
cujus. Ainsi, la fille du de cujus est héritière de la première catégorie au même titre que
son frère. A ce titre, elle a droit à une part égale de l’hérédité que les autres héritiers de sa
catégorie. En outre, elle peut être instituée liquidatrice de la succession lorsqu’elle est
l’aînée des héritiers ou lorsqu’elle est choisie par ceux-ci.

La veuve est reconnue comme héritière de la deuxième catégorie. De ce fait, elle


reçoit soit le 1/8 ou le 1/12 de l’héritage laissé par son défunt mari, selon qu’il existe ou
pas trois groupes d’héritiers de sa catégorie. En outre, la loi lui reconnait l’usufruit de la
maison qu’elle a habité avec son mari ainsi que les terres attenantes que le de cujus
exploitait personnellement.

La mère ainsi que la sœur du de cujus sont aussi héritières de la deuxième


catégorie. Elles forment deux groupes distincts des héritiers de cette catégorie. A ce titre,
elles reçoivent dans leur catégorie respective la même quotité que la veuve et dans les
mêmes conditions.

La tante ne participe à la succession qu’en l’absence des héritiers de deux


premières catégories. Dans ce cas, elle reçoit une part égale à celle de l’oncle du de cujus.

Quant à la femme divorcée, ses droits fonciers dépendent également du régime


matrimonial choisi au moment de la célébration ou de l’enregistrement du mariage. Si les
époux avaient choisi le régime de la séparation des biens, au moment de divorce, chacun
reprend ses biens immobiliers acquis avant ou pendant le mariage. S’ils étaient régis par
la communauté des biens réduites aux acquêts, à la dissolution du mariage par le divorce,
chacun reprend ses biens immobiliers acquis avant le mariage ainsi que la moitié de ceux
obtenus pendant le mariage. En cas de la communauté universelle des biens, au moment
de divorce, la femme recevra la moitié de tous les biens immobiliers acquis par le couple,
l’autre étant réservée au mari.

La jurisprudence joue un rôle important dans la protection des droits fonciers de


la femme. En effet, d’une manière générale, le juge se conforme à la loi lorsqu’il est saisi.
247

Il intervient en matière de divorce pour dissoudre le mariage et par voie de conséquence,


mettre fin au régime matrimonial des époux, en partageant les biens. Il intervient
également en matière de succession lorsque celle-ci comporte un ou plusieurs biens
immobiliers.

Quant à la femme vivant dans une union de fait, ses droits ne sont pas garantis.
Cela se justifie par le fait que le législateur ne reconnaît pas une telle relation. Mais étant
une réalité sociale, l’Etat devrait en tenir compte dans le seul objectif de protéger les
droits de la femme.

De tout ce qui précède, il ressort que d’une manière globale, les droits fonciers de
la femme sur les terres urbaines et rurales sont mieux garantis par rapport à ceux de la
femme sur les terres des communautés locales. En effet, le législateur a prévu des
dispositions de nature à protéger les intérêts de la femme, quant à ses droits fonciers et
immobiliers. Mais il faut reconnaitre qu’il y a encore des efforts à fournir pour améliorer
la situation de la femme par rapport à celle de l’homme. Cette situation traduit
l’incohérence de la législation congolaise en la matière qui nécessite son harmonisation.
248

Troisième partie : HARMONISATION DES DROITS FONCIERS DE LA FEMME

Dans la première partie de notre étude, nous avions relevé que sur les terres
appartenant aux communautés locales régies actuellement par la coutume, la femme fait
l’objet de discrimination quant à ses droits fonciers. En effet, elle ne peut pas être
cheftaine des terres communautaires lorsqu’elle est membre de la communauté
‘’propriétaire.’’ Elle n’a pas droit à l’héritage foncier en tant que héritière. Lorsqu’elle est
veuve, elle n’a pas droit d’hériter de son mari et en cas de divorce, elle ne bénéficie pas
de partage des biens fonciers.

Cette discrimination est justifiée par le fait que d’une part la terre étant une
propriété du clan ou de la famille, seuls les membres de cette communauté peuvent en
être propriétaires. La femme étant étrangère au groupe, elle ne peut donc pas y accéder.
D’autre part, lorsqu’elle est membre du groupe, elle ne peut pas être gestionnaire au motif
qu’elle est appelée à quitter sa famille pour rejoindre celle de son mari.

Ainsi, comme on peut s’en rendre compte, l’homme est privilégié à tout point de
vue par rapport à la femme.

Cependant, sur les terres rurales et urbaines, la situation est bien différente. En
effet, la femme célibataire jouit de mêmes droits que l’homme. Elle accède aux droits
fonciers au même titre que l’homme. Quant à la femme mariée, elle a également le droit
d’accéder aux droits fonciers dans le cadre du régime matrimonial choisi par eux lors de
la célébration ou de l’enregistrement du mariage. Cependant, le code de la famille lui
impose l’obligation d’obtenir l’autorisation de son mari pour poser certains actes dont
elle s’oblige personnellement. Ce qui peut rendre parfois difficile son accès aux droits
fonciers. En cas de veuvage, elle est héritière de la deuxième catégorie au même titre que
les parents de son défunt mari ainsi que ses frères et sœurs. La femme divorcée a droit à
la moitié des biens fonciers obtenus pendant le mariage lorsque le régime matrimonial
choisi au moment du mariage le permet. Enfin, en tant que fille, elle a droit à l’héritage et
elle peut même être liquidatrice de la succession lorsqu’elle est l’aînée des héritiers ou
lorsqu’elle est choisie par eux. La loi ne prend pas en compte la situation de la femme
249

vivant dans une union de fait. Celle-ci est dépourvue de tout droit au motif que sa
situation est illégale dans la mesure où la loi consacre le mariage monogamique et elle
fait du versement de la dot un élément indispensable pour qu’il y ait mariage.

On constate ici globalement qu’il y a égalité entre l’homme et la femme mais la


discrimination subsiste en ce qui concerne la femme mariée qui doit toujours obtenir
l’autorisation préalable de son mari avant d’acquérir la terre. La situation des femmes
vivant dans les unions de fait sont également préoccupantes. Afin de réaliser l’égalité
entre l’homme et la femme, les efforts devront encore être faits pour améliorer la
situation de la femme sur certains points.

De ce qui précède, il y a lieu de constater une certaine incohérence au sein du


système juridique congolais sur cette question. Cette incohérence se manifeste par
l’inadéquation qui existe entre certains principes constitutionnels d’une part et les
engagements internationaux de la République d’autres part par rapport à certains textes
légaux ainsi que la coutume. Ainsi, il est nécessaire de corriger ce déséquilibre en
proposant l’harmonisation de la législation en la matière par rapport à la constitution et
par rapport aux engagements internationaux de la République en matière des droits de
l’homme. Mais pour garantir les chances de réussite à la réforme proposée, il convient de
mettre sur pied une politique tendant à transformer le milieu social dans lequel vit la
femme. Il s’agit surtout de la transformation du milieu rural qui présente beaucoup
d’obstacles pour l’émergence d’un droit équitable à l’égard de la femme.

Cette partie est divisée en trois chapitres. Le premier sera axé sur la mise en
exergue des incohérences constatées tant par rapport au droit interne que par rapport au
droit international. Le deuxième propose des solutions tendant à mettre fin de manière
concrète aux incohérences susmentionnées. Le troisième concernera les garanties
d’efficacité de la réforme proposée.
250

Chapitre 1 : Incohérence de législation par rapport aux droits fonciers de la femme

Le système juridique congolais contient des incohérences par rapport aux règles
d’accès de la femme à la terre. En effet, d’une part la coutume ainsi que certains textes
légaux consacrent les inégalités entre l’homme et la femme mais aussi entre la femme
vivant en ville et celle vivant dans la campagne. D’autre part, la Constitution ainsi que les
conventions internationales ratifiées par la République Démocratique du Congo en
matière des droits de l’homme prohibent ces inégalités.

Ce chapitre est subdivisé en deux sections. La première va évoquer l’incohérence


par rapport à la Constitution et la deuxième abordera l’incohérence par rapport aux
engagements internationaux de la République Démocratique du Congo sur la question
des droits de l’homme.

Section 1 : Incohérence entre les lois et la Constitution

Il est question ici de rechercher les dispositions constitutionnelles qui peuvent


servir de base pour bâtir les nouveaux droits fonciers de la femme sur les terres des
communautés locales dans le but de bannir la discrimination dont celle-ci est victime. A
cet égard, la constitution du 18 février 2006 prévoit deux principes qui nous intéressent
particulièrement dans le cadre de ce travail. Il s’agit du principe de l’égalité ainsi que
celui de non discrimination.521

S’agissant du principe de l’égalité, l’article 11 de cette Constitution prévoit que


tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. De ce principe, il
ressort que les hommes et les femmes sont, dès leurs naissances, libres et égales et
jouissent de mêmes droits.

L’article 12 va dans le même sens lorsqu’il énonce que tous les Congolais sont
égaux devant la loi et ont droit à une égale protection des lois. Cette disposition ne fait

521
Ces deux principes sont consacrés par les dispositions des articles 11 à 14 de la Constitution en vigueur
en République Démocratique du Congo.
251

pas également des distinctions de sexe entre les Congolais, encore moins en ce qui
concerne leur lieu de résidence. Ainsi, qu’on soit dans les milieux urbains ou ruraux, en
principe on doit bénéficier de mêmes droits et on doit être protégé de la même manière
par les lois de la République.

En ce qui concerne le principe de la non discrimination qui, en réalité découle de


celui de l’égalité, l’article 13 de la Constitution dispose qu’aucun Congolais ne peut, en
matière d’éducation et d’accès aux fonctions publiques ni en aucune matière, faire l’objet
d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif, en raison
de sa religion, de son origine familiale, de sa condition sociale, de sa résidence, de ses
opinions ou de ses convictions politiques, de son appartenance à une race, à une ethnie, à
une tribu, à une minorité culturelle ou linguistique. Cette disposition pose un principe
général qui s’applique à tous les Congolais indistinctement. Mais la Constitution contient
également une disposition spécifique qui concerne spécialement les femmes. Il s’agit de
l’article 14 qui prévoit que l’Etat veille à l’élimination de toute forme de discrimination à
l’égard de la femme et qu’il assure la protection et la promotion de ses droits. La même
disposition invite les pouvoirs publics de prendre des mesures appropriées pour assurer
l’épanouissement total ainsi que la pleine participation de la femme au développement de
la nation notamment dans les domaines civil, politique, économique, social et culturel.

Sur le plan juridique, il est admis que la Constitution est la loi suprême d’un Etat.
Dans la hiérarchie des sources du droit, elle vient en première position. Dès lors, les
autres sources doivent se conformer aux dispositions constitutionnelles pour leur validité.
Ainsi, dans le cas qui nous occupe, les lois ainsi que les coutumes doivent être conformes
à ces dispositions constitutionnelles pour leur applicabilité. S’agissant particulièrement de
la coutume, la Constitution prévoit que les cours et tribunaux ne l’appliquent que pour
autant qu’elle ne soit pas contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Normalement,
toute disposition qui va à l’encontre de ces principes devrait être inapplicable ou devrait
être modifiée dans le sens de sa conformité à la Constitution.

C’est dans ce sens que nous pensons que les dispositions légales ou coutumières
qui discriminent la femme se trouvant sur les terres des communautés locales ou sur les
terres urbaines et rurales devront être soit inapplicables soit être modifiées au diapason de
252

la Constitution pour leur applicabilité. Ainsi sur base de ces dispositions


constitutionnelles, l’Etat a l’obligation de faire prendre des textes légaux qui matérialisent
les principes de l’égalité et de la non discrimination en faveur de la femme, quant à son
accès aux droits fonciers. La modification de la loi du 20 juillet 1973 portant régime
général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés ainsi que du code de
la famille peut être un moyen pour y arriver. La conformité à la Constitution n’est pas la
seule raison d’une telle modification des textes légaux, faudra-t-il encore qu’ils soient
conformes aux engagements internationaux pris par la République Démocratique du
Congo.

Section 2 : Incohérence entre la législation interne et le droit international

Dans le domaine des droits de la femme, la République Démocratique du Congo a


conclu plusieurs traités et conventions internationaux allant dans le sens de garantir le
principe de l’égalité des sexes ainsi que celui de la non discrimination. A cet égard,
l’article 215 de la Constitution dispose que les traités et accords internationaux
régulièrement conclus ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois,
sous réserve pour chaque traité ou accord, de son application par l’autre partie. Cette
disposition constitutionnelle consacre la théorie du monisme juridique qui ne fait pas de
distinction entre le droit interne et le droit international en affirmant la supériorité du
traité sur la loi. Ainsi, les traités et accords conclus par la République Démocratique du
Congo constituent une source de droit supérieure par rapport à la loi. Tenant compte du
principe de la hiérarchie des sources du droit, la loi doit être conforme aux traités et
accords conclus, ratifiés et publiés par l’Etat pour qu’elle soit applicable.

Mais le droit international fait la distinction entre les traités ou conventions


contraignant d’une part et les instruments juridiques internationaux non contraignant
d’autre part.

Les textes contraignants ont pour conséquence de créer une obligation juridique
dans le chef de tous les Etats concernés. Une telle obligation se matérialise notamment
par le respect des prescriptions internationales contenues dans le traité ou la convention
internationale par les Etats signataires notamment par leur insertion dans la législation
253

interne de ces Etats. Tel est le cas de plusieurs conventions internationales en matière de
droits de l’homme dont la République Démocratique du Congo a ratifié. Seules, ces
conventions retiendront notre attention dans le cadre de ce travail.

Mais il convient toutefois de mentionner qu’à côté de ces textes juridiques


contraignants, il y a des actes ou instruments dépourvus de contrainte. Ceux-ci sont
essentiellement constitués de déclarations ou de résolutions internationales, parmi les
plus connues, on peut citer la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en
1948 par l’Assemblée générale des Nations Unies. Sans toutefois être une convention
internationale pourvue d’effets juridiques, ce texte constitue néanmoins la source
d’inspiration de toutes les conventions internationales en matière des droits de l’homme.

S’agissant de l’égalité des sexes, la Déclaration universelle des droits de l’homme


proclame en ses articles 2 et 7 notamment :

« Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés
dans la présente déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de
sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine
nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.522»

« Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection
de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la
présente déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination. 523»

Pour revenir aux instruments juridiques internationaux contraignants, nous avons


sélectionné quelques uns tant au plan africain qu’au plan international. Ces textes
constituent à nos yeux, le fondement sur le plan international d’un droit nouveau de la
femme en matière d’accès à la terre.

522
Art 2 al1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme
523
Art 7 de la Déclaration universelle des droits de l’homme
254

§1 Engagements internationaux au plan africain

Sur le plan africain, nous pouvons retenir essentiellement deux textes qui
contiennent des dispositions de nature à obliger la République Démocratique du Congo à
élaguer des dispositions discriminatoires à l’égard de la femme dans son arsenal
juridique. Il s’agit de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ainsi que le
Protocole sur les droits des femmes en Afrique.

A. Charte africaine des droits de l’homme et des peuples

La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples a été adoptée à Nairobi,
au Kenya, en date du 26 juin 1981. Elle a été publiée au Journal Officiel de la République
du Zaïre en juin 1987.

Ce texte qui a repris l’essentiel des droits prévus par la Déclaration universelle
des droits de l’homme, présente quelques spécificités liées au continent africain
notamment en incluant les droits des peuples.

L’article 1er de la Charte souligne son caractère contraignant à l’égard des Etats
parties, lorsqu’elle prévoit que ceux-ci reconnaissent les droits, devoirs et libertés
énoncés dans cette charte et s’engagent à adopter des mesures législatives ou autres pour
les appliquer.

La jouissance des droits et libertés reconnus par la Charte est garantie à toute
personne sans distinction liée notamment à la race, à l’ethnie, à la couleur, au sexe, à la
langue, à la religion, à l’opinion politique ou à toute autre opinion, d’origine nationale ou
sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.524

En rapport avec le droit de la femme, l’article 18 au point 3 impose aux Etats le


devoir de veiller à l’élimination de toute discrimination contre la femme et d’assurer la

524
Art 2 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
255

protection des droits de la femme et de l’enfant tels que stipulés dans les déclarations et
conventions internationales.
De ce qui précède, il ressort que la République Démocratique du Congo, en
ratifiant cette Charte et en la publiant au Journal Officiel, est tenu de la respecter en
édictant des lois qui tendent à interdire toute discrimination à l’égard de la femme y
compris en matière d’accès à la terre.

B. Protocole sur les droits des femmes en Afrique

Le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux
droits des femmes a été adopté le 11 juillet 2003 par la Conférence des Chefs d’Etat et de
Gouvernement de l’Union Africaine. Ce Protocole a pour but de compléter la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples en ce qui concerne spécifiquement les
droits des femmes africaines. Parmi les raisons qui ont motivé l’adoption de ce texte, le
préambule mentionne le fait que malgré la ratification par la majorité des Etats parties à
la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ainsi que de tous les autres
instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, et l’engagement solennel pris
par ces Etats d’éliminer toutes les formes de discrimination et de pratiques néfastes à
l’égard des femmes, la femme en Afrique continue d’être l’objet de discrimination et de
pratiques néfastes.

Ce Protocole prévoit une panoplie des droits en faveur de la femme. En rapport


avec notre préoccupation, nous pouvons relever en premier lieu l’article 2 qui concerne
l’élimination de la discrimination525 à l’égard des femmes. Cette disposition oblige les
Etats à combattre la discrimination à l’égard des femmes, sous toutes ses formes, en
adoptant les mesures appropriées aux plans législatif, institutionnel et autre. Ainsi, il leur
est demandé notamment de :

525525
Le Protocole définit la discrimination à l’égard des femmes comme toute distinction, exclusion,
restriction ou tout traitement différencié fondé sur le sexe, et qui a pour but ou pour effet de compromettre
ou d’interdire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quelle que soit leur situation
matrimoniale, des droits humains et des libertés fondamentales dans tous les domaines de la vie.
256

- inscrire dans leur constitution et autres instruments législatifs, au cas où cela


n’est pas encore fait, le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes,
et à en assurer l’application effective ;
- adopter et mettre en œuvre effectivement les mesures législatives et
réglementaires appropriées, y compris celles interdisant et réprimant toutes
les formes de discrimination et des pratiques néfastes qui compromettent la
santé et le bien-être général des femmes ;
- intégrer les préoccupations des femmes dans leurs décisions politiques,
législations, plans, programmes et activités de développement ainsi que dans
tous les autres domaines de la vie ;
- prendre des mesures correctives et positives dans les domaines où des
discriminations de droit ou de fait à l’égard des femmes continuent d’exister ;
- appuyer les initiatives locales, nationales, régionales et continentales visant à
éradiquer toutes les formes de discrimination à l’égard de la femme.

Pendant le mariage, l’article 6 prévoit notamment que la femme a le droit


d’acquérir des biens propres, de les administrer et de les gérer librement.

Concernant la succession, les dispositions de l’article 21 prévoient que la veuve a


le droit à une part équitable dans l’héritage des biens de son conjoint. La veuve a le droit,
quel que soit le régime matrimonial, de continuer d’habiter dans le domicile conjugal. En
cas de remariage, elle conserve ce droit si le domicile lui appartient en propre ou lui a été
dévolu en héritage. Les femmes ont le droit d’hériter des biens de leurs parents, en parts
équitables.

De ce qui précède, il ressort que le Protocole a prévu des droits à l’égard de toutes
les femmes africaines sans distinction. Ainsi, il concerne aussi bien les femmes rurales
qu’urbaines. L’élimination de la discrimination concerne aussi bien celle prévue par les
lois que les coutumes. Cet instrument juridique constitue une avancée significative
concernant les droits de la femme. De ce fait, il est une base solide pouvant asseoir les
droits des femmes à l’accès à la terre dans la mesure où il prône l’élimination de toute
discrimination en matière de succession et d’héritage, la suppression de l’autorisation
257

maritale pour accéder à la terre et la reconnaissance de l’usufruit du conjoint survivant en


ce qui concerne la maison qu’elle occupait avec son mari.
Malgré l’importance de ce protocole, il n’est pas encore ratifié par la République
Démocratique du Congo526. Certaines voix s’élèvent même pour que ce Protocole ne soit
pas ratifié par le pays, au motif qu’il recèle des contradictions tant internes
qu’externes527. Celles-ci peuvent être résumées en ces termes :

Sur le plan interne, on reproche à ce texte notamment le fait d’avoir mis en avant
plan les droits de la femme sans prévoir ses devoirs, prévu le droit à l’avortement au
profit de la femme, défini le mariage comme un partenariat et non comme une union,
valorisé des relations polygamiques et affirmé le droit à la santé et au contrôle des
fonctions de reproduction par toute femme528 y compris la fille et la femme mariée.

Sur le plan externe, il est reproché au Protocole de contenir des dispositions qui
énervent la Constitution de la République ainsi que le code de la famille529.

Qu’en est-il des engagements internationaux au plan universel?

§2 Engagements internationaux dans le cadre de l’ONU

Dans le cadre de l’ONU, la République Démocratique du Congo a souscrit à


plusieurs engagements internationaux sur les droits de l’homme. Dans les lignes qui
suivent, nous allons analyser les instruments juridiques ayant un rapport avec notre
préoccupation à savoir, celle qui consiste à trouver les bases d’une réforme du droit
congolais en rapport avec les droits fonciers de la femme. Ainsi, allons-nous examiner
successivement la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à
l’égard de la femme, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

526
Jusqu’au 10 mai 2008, seuls 21 pays l’avaient ratifié. Source : www.africa-union.org.
527
R. Kienge-Kienge Intudi, Le protocole à la charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif
aux droits de la femme en Afrique : quelques considérations juridiques pour un débat de société, in Annales
de la faculté de droit, Kinshasa P.U.K, 2007, p45
528
Il convient de noter que le code de la famille congolais consacre le mariage monogamique et
l’avortement constitue une infraction au regard du code pénal.
529
ibidem
258

A. Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard de


la femme

Cette Convention qui vise à garantir à la femme tous les droits fondamentaux de
l’homme prévoit des dispositions de nature à éliminer les mesures discriminatoires à
l’égard de la femme. Elle a été ratifiée par la République Démocratique du Congo en date
du 17 octobre 1986.

Par discrimination à l’égard des femmes, la Convention vise toute distinction,


exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet de compromettre ou de
détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur
état matrimonial, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits de
l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social,
culturel et civil ou dans tout autre domaine530. Le champ d’application de la Convention
touche divers domaines de la vie. En ce qui nous concerne, nous allons nous limiter à
mettre en exergue les dispositions ayant trait avec le sujet qui fait l’objet de notre
préoccupation.

D’une façon générale, les Etats parties à cette convention condamnent toute
discrimination à l’égard de la femme et s’engagent à mener les actions ci-après :

- Inscrire le principe de l’égalité des hommes et des femmes dans leur


constitution ou toute autre disposition législative appropriée et en assurer
l’application effective ;
- Prendre des mesures législatives et d’autres mesures appropriées assorties des
sanctions interdisant toute discrimination à l’égard des femmes ;
- Instaurer une protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied
d’égalité avec les hommes et garantir, par le truchement des tribunaux
nationaux compétents et d’autres institutions publiques, la protection
effective des femmes contre tout acte discriminatoire ;

530
Art 1er de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
259

- S’abstenir de tout acte ou pratique discriminatoire à l’égard des femmes et


faire en sorte que les autorités publiques et les institutions publiques se
conforment à cette obligation ;
- Prendre toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination pratiquée
à l’égard des femmes par une personne, une organisation ou une entreprise
quelconque ;
- Prendre toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions
législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire,
coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l’égard des femmes ;
- Abroger toutes les dispositions pénales qui constituent une discrimination à
l’égard des femmes.531

Dans le même ordre d’idées, les Etats se sont également engagés pour prendre des
mesures appropriées afin de modifier les schémas et modèles de comportement socio-
culturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des
pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou
de la supériorité de l’un ou de l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des
femmes.532

S’agissant particulièrement des femmes rurales, la Convention prévoit que les


Etats parties tiennent compte de leur situation notamment du rôle important qu’elles
jouent dans la survie économique de leurs familles, par leur travail dans les secteurs non
monétaires de l’économie. Ainsi, les Etats prennent l’engagement de prendre les mesures
appropriées afin d’éliminer la discrimination à l’égard des femmes vivant dans les zones
rurales en assurant sur base de l’égalité de l’homme et de la femme, leur participation au
développement rural et à ses avantages. Pour ce faire, ils assurent aux femmes rurales
notamment le droit d’avoir accès au crédit et aux prêts agricoles, ainsi qu’aux services de
commercialisation et aux technologies appropriées, et de recevoir un traitement égal dans
les réformes foncières et agraires et dans les projets d’aménagement rural.533

531
Art 2 de la même convention
532
Art 5 point a) de la convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des
femmes.
533
Art 14 point 2. g de la convention précitée.
260

Concernant la capacité juridique de la femme, la Convention dispose en son


article 15 que les Etats reconnaissent à la femme, en matière civile, une capacité juridique
identique à celle de l’homme et les mêmes possibilités pour exercer cette capacité. Ils lui
reconnaissent en particulier des droits égaux en ce qui concerne la conclusion de contrats
et l’administration des biens et leur accordent le même traitement à tous les stades de la
procédure judiciaire.

Ils s’engagent à prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer toute
discrimination à l’égard de la femme fondée sur le mariage ainsi que dans les rapports
familiaux. Ils assurent sur la base de l’égalité entre l’homme et la femme notamment les
mêmes droits à chacun des époux en matière de propriété, d’acquisition, de gestion,
d’administration, de jouissance et de disposition des biens, tant à titre gratuit qu’à titre
onéreux.534

B. Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Dans cet instrument juridique international ratifié par la République


Démocratique du Congo en date du 1er novembre 1976, les Etats se sont engagés aussi à
assurer le droit égal des hommes et des femmes de jouir de tous les droits civils et
politiques qu’il prévoit535.

C’est ainsi qu’en matière de mariage, il est proclamé le principe de l’égalité de


droits et de responsabilités des époux durant le mariage et lors de sa dissolution536.
L’égalité de tous devant la loi est également prévue par l’article 26 qui est libellé comme
suit :
«Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discriminations à une
égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes
les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de
couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine
nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».

534
Art 16 point h) de la convention susvisée.
535
Art 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
536
Art 23 alinéa 4 du même texte
261

Il ressort de ce Pacte que toute discrimination à l’égard de la femme est interdite


et que l’égalité de tous les êtres humains est garantie.

C. Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

Ce Pacte a été ratifié par la République Démocratique du Congo le 1er novembre


1976. Les Etats se sont engagés pour assurer le droit égal qu’ a l’homme et la femme au
bénéfice de tous les droits économiques, sociaux et culturels537.

De l’analyse de tous les instruments juridiques internationaux contraignants tant


régionaux qu’universels, il ressort que la République Démocratique du Congo s’est
engagée à garantir à l’homme et à la femme un égal accès aux droits. Ces droits
concernent les domaines divers de la vie en société. Mais force est de constater que
malgré ces engagements, le droit congolais de la femme en général et celui relatif à
l’accès à la terre en particulier, présente à bien d’égard des discriminations, comme nous
l’avons démontré dans la première et deuxième partie de ce travail. Ainsi, les divers
engagements pris par la République Démocratique du Congo constituent à notre avis le
fondement des nouveaux droits de la femme sur pied du principe de la primauté des
règles internationales par rapport aux règles internes. C’est l’objet du chapitre suivant.

537
Art 3 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
262

Chapitre 2 : Propositions des solutions pour un nouveau droit foncier de la femme.

Le droit foncier nouveau consiste dans le fait de reconnaître à la femme vivant


sur les terres des communautés locales, les mêmes droits que ceux reconnus par son
homologue se trouvant sur les terres rurales et urbaines. Ils consistent également à mettre
au même pied d’égalité l’homme et la femme en ce qui concerne leurs droits fonciers.
Cela se justifie par le fait que la production agricole et la préservation des ressources
foncières est assurée en grande partie par la femme. Ainsi, la discrimination fondée sur le
sexe en ce qui concerne l’accès à la terre demeure une situation préoccupante surtout en
milieu rural. Cette pratique constitue une entrave au développement économique. En
effet, pour une meilleure mise en valeur des terres et une productivité accrue, il est
nécessaire que les droits fonciers de la femme soient renforcés.538 La réforme que nous
proposons tant à marier la tradition et la modernité en matière de régimes fonciers. En
effet, tout en surmontant les rigidités dépassées des structures et systèmes traditionnels
tendant à discriminer les femmes, la réforme s’en inspire pour améliorer les pratiques
foncières endogènes. Ainsi, en reconnaissant la légitimité des droits fonciers
traditionnels, cette réforme devra aussi reconnaître le rôle des institutions et structures
administratives de gestion foncière locales et communautaires aux côtés de celle de
l’Etat. De ce fait, il faudra trouver l’interface entre les systèmes étatiques et les systèmes
traditionnels, en ce qui concerne particulièrement la gestion des droits fonciers de la
femme. Une telle réforme passe par la révision de certains textes qui consacrent les droits
fonciers de la femme et qui prévoit la compétence des institutions chargées d’en assurer
la garantie. Il s’agit des textes ci-après : loi n°73-021 du 20 juillet 1973 portant régime
général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés, loi n°87-010 du 1er
août 1987 portant code de la famille, ordonnance-loi n° 82-020 du 31 mars 1982 portant
code de l’organisation et de la compétence judiciaires et décret du 30 janvier 1940 portant

538
Union africaine, Banque africaine de développement et Commission économique pour l’Afrique, op.cit,
p17.
263

code pénal. Mais la révision de tous ces textes peut se réaliser dans une loi unique qu’on
pourrait appeler’’ Loi anti-discrimination.’’

Section 1. Par rapport à la loi foncière de 1973

La loi foncière, tout en domanialisant les terres occupées par les communautés
locales, a prévu que ces terres restent régies par la coutume en attendant qu’une
ordonnance du Président de la République intervienne pour régler les droits de jouissance
de ces communautés sur ces terres. Force est de constater que depuis 1973, cette
ordonnance n’a jamais été prise. Pendant ce temps, c’est le droit coutumier qui s’applique
sur ces terres et la femme fait l’objet de discrimination ainsi que d’inégalité qui en
résulte, comme nous l’avons du reste, souligné dans la première partie de cette étude.
Ainsi, nous proposons deux solutions qui sont alternatives.

La première est la suivante. Au lieu de renvoyer les règles relatives à la jouissance


des droits sur ces terres à une ordonnance présidentielle, qui est d’ailleurs un acte
règlementaire, il est bon de supprimer l’article 389 de la loi foncière qui renvoie à cette
ordonnance. Quitte à compléter le chapitre de cette loi consacré au droit de jouissance en
vertu du droit coutumier par des dispositions qui prévoient les modalités de gestion de ces
terres. Ainsi, nous proposons que le texte à prendre devra réaffirmer le caractère collectif
de ces terres pour préserver l’identité de la communauté. Raison pour laquelle, nous
pensons que le législateur peut accorder aux communautés locales des droits de
jouissance appelés ‘’concession perpétuelle communautaire.’’ Mais il devra
explicitement prévoir que les membres de cette communauté ont des droits de jouissance
exclusifs sur les terres qu’ils mettent individuellement en valeur. Ces droits individuels
sont cessibles entre les membres du groupe et transmissibles pour cause de mort à la
descendance sans discrimination, et ce, sans préjudice des droits viagers reconnus au
conjoint survivant sur les terres mises en valeur par lui du vivant du de cujus ainsi que
celles qui étaient exploitées par celui-ci. Les droits fonciers viagers du conjoint survivant
prennent fin par son remariage, auquel cas la terre rentre dans le patrimoine de la
communauté. Cela permettra aux populations habitant les terres appartenant aux
264

communautés locales d’avoir les mêmes droits que celles qui sont sur les terres rurales et
sur les terres urbaines.

Une telle disposition aura pour conséquence de mettre fin au règne sans partage
de la coutume dans ce domaine. En effet, la coutume restera le droit applicable dans ce
domaine mais on va prévoir des dispositions légales mettant fin à la discrimination dont
la femme est l’objet quant à ses droits fonciers. Enfin, elle aura l’avantage de consacrer
aussi l’égalité entre les enfants quel que soit leur sexe.

Concernant l’administration des terres coutumières, on devra aussi prévoir des


dispositions allant dans le sens de faire disparaître la discrimination à l’égard de la
femme. On pourra par exemple prévoir une disposition selon laquelle les terres
communautaires sont gérées par le plus âgé des membres de la communauté, quel que
soit son sexe. Cela permettra de mettre fin à une situation inacceptable qui consiste à
privilégier la personne de sexe masculin au détriment de celle du sexe féminin même si
cette dernière est plus âgée que la première.

Ainsi, on pourra ajouter l’article 389 bis qui sera libellé comme suit :

« Les droits de jouissance régulièrement acquis sur les terres occupées par les
communautés locales sont régies par la coutume sauf les restrictions ci-après :

- La mise en valeur confère à son auteur un droit de jouissance individuel. Ce


droit est transmissible pour cause de mort conformément aux dispositions du
code de la famille ;
- La gestion de la terre communautaire est confiée à la personne la plus âgée du
clan quel que soit son sexe.

La deuxième possibilité est celle qui consiste à renvoyer le règlement des droits
de jouissance des communautés locales aux parlements provinciaux. En effet, la
constitution du 18 février 2006 prévoit que les droits civils et coutumiers ainsi que les
droits fonciers sont des matières qui relèvent de la compétence concurrente du pouvoir
265

central et des provinces. Ainsi, conformément à la constitution, les assemblées


provinciales ont la possibilité de prendre des édits dans ces matières.

Cette solution aura l’avantage de tenir compte de la spécificité de chaque


province, dans la mesure où le problème de gestion foncière coutumière ne se pose pas
partout en des termes identiques. Cependant, pour éviter que la discrimination à l’égard
de la femme persiste, il sera nécessaire de prévoir des garde-fous dans la disposition
modificative de la loi foncière, en légiférant que les édits devront mettre fin à toute
discrimination à l’égard de la femme. Ces édits pourront avoir le même contenu que la
proposition précédente.

Ces modifications de la loi foncière devront avoir des répercussions sur le code de
la famille.

Section 2. Par rapport au code de la famille

De son côté, le code de la famille pourra aussi être modifié en reconnaissant en


faveur du conjoint survivant l’usufruit sur les terres appartenant aux communautés
locales. Cet usufruit sera compatible avec le caractère collectif de la terre communautaire.
En effet, le conjoint survivant n’aura qu’un droit de jouissance au maximum viager.
Ainsi, à sa mort, ce droit s’éteint et la terre exploitée fait retour dans le patrimoine
collectif. Ce droit est prévu en faveur de deux conjoints pour des raisons d’équité.
Cependant, pour la femme, ce droit aura l’avantage de la soustraire de la pratique
coutumière de lévirat et de lui permettre de mener une vie proche de celle qu’elle menait
du vivant de son mari sur le plan matériel. La reconnaissance d’un tel droit sera aussi de
nature à établir l’égalité entre la femme vivant sur les terres appartenant aux
communautés locales et celle qui occupe les terres rurales ainsi que la femme urbaine en
ce qui concerne leur droit foncier. En effet, ainsi que nous l’avions déjà souligné, la
veuve possède sur les terres rurales et urbaines l’usufruit du conjoint survivant alors que
ce droit est méconnu à la veuve se trouvant sur les terres coutumières.

Le code de la famille pourra aussi réaffirmer que les différentes catégories


d’héritiers prévues en matière successorale sont également valables même si l’héritage
266

porte sur les terres appartenant aux communautés locales. Cela va entraîner comme
conséquence que les filles pourront aussi hériter de la même manière que les garçons.
Une telle disposition aura l’avantage de mettre fin au régime discriminatoire fondé sur le
sexe actuellement en vigueur concernant la succession foncière sur les terres des
communautés locales. Elle va donc établir l’égalité entre les enfants sans distinction de
sexe.
S’agissant de l’autorisation maritale, comme nous l’avons dit précédemment, elle
devrait être élaguée dans le texte pour assurer l’égalité de l’homme et de la femme. Cette
dernière n’aura plus l’obligation de solliciter l’autorisation de son mari pour acquérir une
portion de terre ou pour poser n’importe quel acte juridique dans lequel elle s’oblige
personnellement. Mais on peut envisager la possibilité pour chacun des époux de
s’opposer aux actes posés par l’autre époux, lorsqu’ils sont de nature à mettre en péril la
réputation ou l’honneur du ménage ou son patrimoine. Ainsi, la capacité juridique de la
femme mariée sera rétablie.

La nouvelle disposition aura l’avantage de se substituer aux dispositions actuelles


qui consacrent l’incapacité de la femme mariée tout en lui donnant la possibilité de saisir
la justice pour obtenir l’autorisation de poser des actes juridiques en cas de refus par le
mari. Comme nous l’avons indiqué précédemment, le législateur a perdu de vue que dans
les mœurs des Congolais, il est inacceptable que le juge puisse s’introduire dans un
ménage sans qu’il y ait par la suite une conséquence fâcheuse. En effet, souvent on
assiste à la dislocation du ménage si la femme ose traîner le mari devant la justice et vice-
versa.
Quant à la femme divorcée, elle pourra bénéficier d’une indemnité de divorce
pour compenser ses efforts de mise en valeur des terres communautaires, au cas où elle
doit rentrer chez elle en laissant ses champs. Cette solution se justifie par le fait que la
femme divorcée étant étrangère au groupe, ne peut pas prétendre à accéder à la terre après
la rupture de son alliance. Or, dans les milieux ruraux, la femme joue un rôle important
quant à la mise en valeur des terrains à usage agricole. C’est elle qui généralement
cultive, entretient le champ et récolte les produits. La division du travail dans ces milieux
est telle que la femme est une actrice importante de la production. Il est donc injuste que
267

celle-ci retourne dans sa famille main bredouille après avoir mis en valeur des terres
appartenant à son mari.

La situation de la femme vivant dans une union de fait devra aussi faire l’objet
d’une attention particulière. En effet, comme nous l’avons déjà souligné, les unions de
fait sont une réalité dans notre pays et elles revêtent plusieurs formes. Dans tous les cas,
elles ne favorisent pas la femme. La femme s’y retrouve généralement par contrainte
coutumière, économique ou social. La société observe une attitude contradictoire à
l’égard de cette situation. Traditionnellement, les unions de fait sont vécues comme une
situation normale, surtout lorsqu’elle prend la forme de polygamie ou lorsqu’il arrive que
les parents acceptent de céder leur fille à un homme sans que celui-ci soit obligé de verser
à l’immédiat la dot. Mais les institutions étatiques ne tirent pas les conséquences d’une
telle situation. On refuse à la femme tous les droits qu’elle peut tirer de cet état alors
qu’on reconnait aux enfants, qui sont les conséquences de cette situation, des droits vis-à-
vis de leur géniteur. Ainsi, pensons-nous que le législateur devra accorder à la femme liée
dans une telle union pendant une longue durée, certains droits dont celui d’hériter de son
partenaire. Cette situation se justifie par le fait que dans nos mœurs, il appartient au mari
de prendre l’initiative de verser la dot. La femme assiste passivement l’homme. Si celui-
ci refuse de poser cet acte, il ne faut pas que la femme en subisse les effets négatifs. On
devra donc prévoir une disposition dans le chapitre consacré aux effets du mariage,
disposant que l’union de fait produit les mêmes effets que le mariage lorsque les
partenaires vivent ensemble depuis une certaine durée.

Tenant compte de ce qui précède, on pourra modifier quelques dispositions du


code de la famille qui peuvent être libellées comme suit :

- ‘’Le mariage ne porte pas atteinte à la capacité juridique des époux. chacun
des époux peut donner à l’autre mandat de le représenter. Toutefois, chaque
époux a le droit de s’opposer aux actes posés par son conjoint, s’ils sont de
nature à porter atteinte aux intérêts du ménage’’.(Art 448)
- ‘’ Le conjoint survivant a l’usufruit de la maison habitée par les époux et des
meubles meublants.
268

Il a en outre droit à la moitié de l’usufruit des terres attenantes que l’occupant


de la maison exploitait personnellement pour son propre compte ainsi que du
fonds de commerce y afférent, l’autre moitié revenant aux héritiers de la
première catégorie.
Le conjoint survivant conserve cet usufruit même sur les terres appartenant
aux communautés locales.’’ (Art 785)
‘’ La femme divorcée qui est obligée de quitter les terres communautaires
appartenant à son ancien mari, reçoit une indemnité compensatoire qui
correspond à l’équivalent de la valeur des récoltes attendues de son travail
pour deux saisons culturales’’.( Art 581 al 2)
- ‘’ L’union de fait produit les mêmes effets que le mariage entre partenaire,
lorsqu’ils vivent sous le même toit pendant de longue date et qu’ils se
considèrent mari et femme.’’(Art 441 al 2)
Section 3. Par rapport au code pénal

Pour s’assurer du respect de la réforme proposée, il est nécessaire que le


législateur puisse prendre quelques dispositions à caractère pénal en rapport avec la
situation de la femme en matière foncière. En effet, l’homme est généralement réfractaire
au changement. Si les dispositions coercitives ne sont pas prévues, la réforme proposée
pourra rester lettre morte. Ces dispositions auront l’avantage de vaincre l’esprit
conservateur qui caractérise surtout les personnes vivant sur les terres des communautés
locales.
Ainsi, on pourra insérer dans le code pénal une disposition érigeant en infraction
le comportement discriminatoire à l’égard de la femme en matière foncière. Celle-ci peut
être libellée comme suit :

‘’ Sera puni d’une peine d’emprisonnement allant de ….. à……ans et une amende
de…….FC ou d’une de ces peines seulement, toute personne qui aura porté entrave à
l’accès de la femme aux droits fonciers tels que prévus par la législation en vigueur en
adoptant un comportement discriminatoire fondé sur le sexe.’’
269

Une telle disposition peut être insérée au titre VII du livre 2 du code pénal
consacré aux atteintes aux droits garantis aux particuliers en y ajoutant une troisième
section sur les droits garantis aux femmes.

Section 4. Par rapport au code de l’organisation et de la compétence judiciaires

Dans le but de s’assurer d’une bonne application de cette réforme, il est important
de réviser également le code de l’organisation et de la compétence judiciaires. En effet,
l’article 110 de ce texte donne compétence au tribunal de paix pour connaître des litiges
ayant trait au conflit foncier coutumier. Il convient de noter que ces tribunaux ont été
institués notamment pour rapprocher la justice des justiciables. Ainsi, l’installation de ces
tribunaux devrait s’étendre sur toute l’étendue du territoire de la République.
Aujourd’hui, force est de constater que depuis 1978, ces tribunaux n’ont jamais été
installés partout à travers la République. Là où ils sont installés, la population a parfois
du mal à y accéder à cause notamment de la distance qui sépare le siège du tribunal du
lieu de résidence des justiciables, mais aussi à cause de la méfiance que manifestent les
justiciables par rapport aux décisions rendues par ces juridictions. Le droit qui est dit par
ces tribunaux ne rencontre toujours pas l’assentiment de la population, surtout dans le
milieu rural. A cela s’ajoute également le manque des moyens tant humains que
matériels. Dans une étude consacrée à la ‘’justice de proximité’’ dans le Bas-Congo,
l’Organisation Non Gouvernementale RCN justice et démocratie constate que la réforme
judiciaire qui a consisté au remplacement des tribunaux coutumiers par les tribunaux de
paix a abouti au résultat inattendu selon lequel, plutôt que de rapprocher la justice des
justiciables, l’installation des tribunaux de paix a au contraire contribué à les éloigner et à
marginaliser la pratique coutumière sur laquelle plus aucun contrôle n’est exercé539.

Tenant compte de ce qui précède, il y a lieu de préconiser que les conflits fonciers
relatifs aux droits de la femme soient confiés dans un premier temps à une structure
locale composée des notables du lieu.540 Ces notables seront responsabilisés pour
appliquer la loi et non la coutume. Comme ils jouissent d’une certaine notoriété dans le

539
RCN Justice et Démocratie, La justice de proximité au Bas-Congo( ville de Matadi et district des
cataractes), août 2009, p73
540
R. Mulendevu Mukokobya, op. cit, p208
270

milieu, ils auront la facilité de faire appliquer les dispositions légales en faisant
comprendre aux membres de la communauté l’importance d’une telle évolution. Le
message passera mieux si les notables du lieu sont des porte-paroles des autorités
politiques. S’ils sont marginalisés, ils sont capables de se constituer en obstacle pour la
réussite d’une telle entreprise. Le recours à ces personnes est courant dans les milieux
coutumiers en dépit de l’existence des tribunaux de paix. L’Organisation Non
Gouvernement RCN justice et démocratie le constate dans deux études : l’une consacrée
aux conflits fonciers en Ituri et l’autre sur la justice de proximité dans la province du Bas-
Congo. Ces deux études révèlent que la population fait recours au service des
personnalités coutumières locales appelées ‘’sages’’ ou ‘’anciens’’ pour la résolution des
conflits coutumiers. Compte tenu de la notoriété et de la légitimité dont elles sont
revêtues, la décision prise par leur assemblée s’impose aux parties. Le fait pour une des
parties de vouloir s’écarter de cette décision est ressenti comme un opprobre par
l’ensemble de la communauté et entraîne pour le contrevenant une certaine
marginalisation.541

Dans le même ordre d’idées, Michel Bachelet, dans son ouvrage consacré aux
systèmes fonciers et réformes agraires en Afrique noire, note que la plupart des litiges
fonciers sont encore réglés selon les normes juridiques coutumières propres à la situation
de ces différends qui encombrent les prétoires des chefs traditionnels.

En Afrique, renchérit-il, il s’agit plus de concilier que de juger. Le juge coutumier


recherche plus le rapprochement des intéressés qu’une solution supportée par un seul. La
justice est rendue dans un esprit d’apaisement concernant non seulement les plaideurs
mais l’ensemble du groupe social sensibilisé par le différend. Cette attitude faisant d’une
opposition privée une affaire d’ordre public s’explique très bien lorsque l’on considère
que l’africain est avant tout membre d’un groupe et non un individu pris isolement542.

541
RCN Justice et Démocratie, les conflits fonciers en Ituri : de l’imposition à la consolidation de la paix,
septembre 2009, p 52. La justice de proximité au Bas-Congo (ville de Matadi et district des Cataractes),
août 2009, p 72. Ces études sont publiées sur le site de cette organisation non gouvernementale de droit
belge.
542
M. Bachelet, Systèmes fonciers et réformes agraires en Afrique noire, Paris, Librairie générale de droit
et de jurisprudence, 1968, p306-307
271

Dans le même sens, dans un article intitulé : ‘’la décentralisation en RDC :


opportunité pour une gestion foncière décentralisée ?’’, Utshudi Ona, propose une gestion
des terres rurales décentralisée à partir d’un organe dénommé Guichet foncier, composé
des autorités administratives, coutumières ainsi que des représentants des paysans. Selon
l’auteur, cette instance sera chargée de gérer les terres coutumières et les conflits nés de
cette gestion. En outre, elle sera compétente pour connaître les recours formulés contre
ses propres décisions. C’est seulement, lorsque le litige persiste que le tribunal de grande
instance compétent pourra être saisi. En réalité, cette proposition entraîne comme
conséquence, le remplacement du tribunal de paix par le Guichet foncier en ce qui
concerne la résolution des conflits fonciers coutumiers.543 Tout en partageant la nécessité
d’avoir un organe de résolution des conflits fonciers coutumiers qui soit proche de la
population paysanne, nous pensons que l’organe proposé a la faiblesse d’être juge et
partie. En effet, il est chargé de gérer la terre coutumière en délivrant des titres et en
même temps, il gère les conflits parfois générés par lui-même et en outre, il se propose de
connaître le recours introduits contre ses propres décisions.

C’est ainsi que nous proposons un organe de conciliation et le tribunal de paix ne


pourra intervenir que si au niveau des sages la solution n’est pas trouvée ou si l’une des
parties n’est pas satisfaite de la décision prise.

Cette structure devra quant à sa composition, être paritaire. En effet, elle se


composera d’autant des femmes qu’il y a des hommes. Cela permettra un certain
équilibre dans la prise de décision car les femmes auront la possibilité de défendre leurs
intérêts et de faire entendre leurs voix.

La loi n°11/022 du 24 décembre 2011 portant principes fondamentaux relatifs à


l’agriculture a prévu une procédure similaire. En effet, l’article 26 de cette loi dispose que
les conflits portant sur les terres agricoles des communautés locales ne sont recevables
devant les instances judiciaires que s’ils ont été préalablement soumis à la procédure de
conciliation, à l’initiative de l’une des parties devant l’organe consultatif.

543
I. Utshudi Ona, La décentralisation en RDC : opportunité pour une gestion foncière décentralisée, in
L’Afrique des grands lacs. Annuaire 2008-2009, pp 309-317
272

Il convient de noter qu’à la différence de la structure que nous préconisons, la


composition de l’organe consultatif n’est pas soumise à une exigence de représentation
paritaire. En outre, sa compétence matérielle est limitée aux conflits portant sur les terres
agricoles. Mais les deux structures présentent une certaine similitude dans ce sens
qu’elles constituent des instances de conciliation préalable à la saisine du tribunal et sont
proches de la population locale.

Ainsi, la révision du code de l’organisation et de la compétence judiciaires


concerne l’article 110 qui pourra être modifié de la manière suivante :

‘’ Les tribunaux de paix connaissent de toute contestation portant sur le droit de la


famille, les successions, les libéralités et les conflits fonciers collectifs ou individuels
régis par la coutume.

Toutefois, aucun litige portant sur les conflits fonciers collectifs ou individuels
coutumiers ne sera reçu par cette juridiction s’il n’a fait l’objet d’une conciliation
préalable devant un organe de conciliation dont l’organisation et le fonctionnement est
régi par un arrêté du ministre ayant la justice dans ses attributions.’’

En somme, la réforme proposée, est de nature à mettre fin à la discrimination et à


l’inégalité qui caractérisent les droits de la femme sur les terres des communautés
locales. Les solutions proposées ne devraient pas poser des difficultés d’application si on
se base sur les principes qui régissent tant les terres urbaines, rurales que celles des
communautés locales. En effet, les terres sont toujours communautaires tant en droit
coutumier qu’en droit écrit. Si en droit coutumier la terre appartient au clan ou à la
famille, en droit écrit, elle appartient à l’Etat. Ce dernier en tant que communauté
constituée des personnes, leur accorde des droits de jouissance sans qu’elles deviennent
propriétaires. Il en est également en droit coutumier où les membres de la communauté
ont des droits de jouissance sur les portions de terre mises en valeur par eux. Ainsi, vu
sous cet angle, on peut dire que si l’Etat accorde à la femme, quel que soit son statut, des
droits lui permettant d’accéder à la terre rurale et urbaine, la même logique peut être
appliquée aux terres appartenant aux communautés locales.
273

Dans la phase d’élaboration de cette réforme, il est bon d’adopter une approche
participative. Celle-ci consiste à faire participer la population à qui la réforme est destinée
à son élaboration. Pour ce faire, on pourra associer l’échantillon représentatif des
communautés rurales, constitué de leurs leaders d’opinion. Nous pensons
particulièrement aux chefs coutumiers et aux différents ‘’notables’’ et ‘’anciens’’ de ces
milieux ayant une certaine légitimité et notoriété. Une telle approche a l’avantage de
donner l’impression que la loi n’a pas été imposée par les autorités centrales ou
provinciales. Ainsi, comme les représentants des communautés se sentiront valorisés, ils
seront disposés d’expliquer le bien fondé d’une telle réforme au niveau de la base et aussi
d’appliquer ces dispositions. C’est dans le même sens que pense Mugangu Matabaro
lorsqu’il note que pour éviter que la réforme puisse produire l’effet d’un greffon sur un
corps étranger, il faut négocier et faire accepter aux communautés locales le choix du
dispositif et les modalités de gestion foncière, la répartition des responsabilités, la
localisation des instances de gestion et les procédures de reconnaissance ou
d’établissement des droits.544

Mais nous ne perdons pas de vue que la situation de la femme ne changera pas
nécessairement par le simple fait que le législateur a modifié certains textes juridiques.
Nous savons que par nature l’homme est réfractaire au changement et nous connaissons
particulièrement l’influence de la tradition dans la vie quotidienne des africains en
général et des ruraux en particulier. Cette dernière pèse tellement que le changement n’est
pas facile à opérer. Cela se justifie aussi par le fait que le cadre de vie n’est pas le même.
En effet, les ruraux ont des contraintes que les citadins ne connaissent pas. Pour parvenir
à la réforme souhaitée, il faut prévoir des mesures d’accompagnement qui auront une
influence certaine sur l’amélioration de la vie des communautés locales. En ce qui nous
concerne, nous pensons aux diverses mesures à caractère tant social qu’économique de
nature à aboutir à la transformation sociale du monde rural où se situe les terres des
communautés locales.

S. Mugangu Matabaro, La crise foncière à l’Est de la RDC, in L’Afrique des grands lacs, annuaire
544

2007-2008,p 410
274

Chapitre 3 : Mesures d’accompagnement à la réforme proposée

Comme nous l’avions déjà affirmé, la simple promulgation d’un texte de loi n’est
pas suffisante pour faire changer la situation de la femme. Ainsi, pour donner la chance
de réussite à la réforme proposée, les mesures d’accompagnement sont nécessaires. En
effet, Plusieurs secteurs de la vie doivent bouger pour que l’accès de la femme aux droits
fonciers puisse connaître une certaine amélioration. Mais avant de discuter des mesures
que nous préconisons, il est nécessaire d’exposer des arguments qui militent en leur
faveur. Ainsi, ce chapitre est subdivisé en trois sections. La première section donne la
raison d’être de ces mesures, la deuxième s’intéresse aux mesures sociales, la troisième
aux mesures économiques.

Section 1 : Raison d’être des mesures d’accompagnement

Si dans le milieu urbain, la situation de la femme est acceptable du point de vue


de l’égalité des droits, hors mis la question de l’autorisation maritale pour la femme
mariée ainsi que celle de la femme vivant dans une union de fait, il en est autrement en ce
qui concerne la femme rurale.

Or, dans le milieu urbain, la situation de la femme mariée ainsi que de celle vivant
dans une union de fait peut s’améliorer facilement par le fait de la loi, et cela, pour la
simple raison que le milieu urbain est préparé à accepter assez facilement le changement
par rapport au milieu rural. En effet, le caractère cosmopolite de la ville fait qu’elle est
ouvert aux échanges de cultures. En outre, la présence quasi-permanente de l’Etat fait que
la loi qui touche aux statuts personnels ainsi qu’aux biens a beaucoup de chance de
réussir. Enfin, en ville le pourcentage des personnes qui savent lire et écrire est beaucoup
plus élevé que dans la campagne. Ces personnes instruites sont aptes à appréhender le
bien fondé d’une réforme dans un secteur comme celui qui nous préoccupe. L’instruction
est l’un des éléments majeurs qui contribue aussi à la réception ou non d’un texte dans un
environnement donné.

A propos de la réception de la réforme juridique dans le milieu urbain, le


professeur Roger Granger note avec pertinence que le secteur moderne au point de vue
275

sociologique et au point de vue économique se situe en villes. Les couches modernes de


la population, dirigeants politiques, hauts et moyens fonctionnaires, chefs et cadres
d’entreprise, ouvriers ou employés qualifiés, y résident dans leur majorité. Trouve-t-on
dans ces catégories sociales des traditions faisant obstacle aux réformes juridiques ? Et
l’auteur répond lui-même que la résistance y est beaucoup plus faible car les réformes
vont généralement dans le sens des aspirations de ces classes modernes.545

Le milieu rural est souvent résistant face aux réformes en général et


particulièrement à celles qui touchent le droit familial et le droit foncier. Cela se justifie
également par le fait que les personnes qui vivent sur ces terres se retrouvent dans un
environnement qui présente certaines spécificités par rapport aux personnes vivant sur les
terres urbaines.

Dans le domaine du droit de la famille par exemple, la réforme en rapport avec la


conception de la famille qui la définit comme étant composée du couple et de ses enfants
se heurte à la résistance du milieu rural pour de raison de sécurité. En effet, la grande
famille est à la fois un foyer affectif et de socialisation, la perpétuatrice du culte des
ancêtres, une unité de production et de consommation. Elle couvre ses membres contre
les risques de maladie et de vieillesse. La famille étendue ne peut remplir toutes ces
fonctions que parce que les tâches sont distribuées entre ménages multiples, soumis à la
même autorité. Ainsi, les ruraux considèrent qu’il n’existe pas d’institution qui leur
procurerait une telle sécurité et ils perçoivent la société moderne comme pleine de périls.
Voilà pourquoi le droit traditionnel familial fait échec aux réformes dans ce domaine.546

Concernant le droit foncier, celui-ci est soumis depuis des générations à des règles
traditionnelles. Le législateur le transforme dans le but d’améliorer la production agricole
et de remédier à des inégalités sociales flagrantes. Mais les règles nouvelles posées se
heurtent le plus souvent à une très forte résistance de la tradition. Cela se justifie par le
fait qu’en droit foncier africain, la terre est sacrée et que les droits sur elle sont de nature
religieuse. Les droits originels viennent des divinités et des ancêtres. Sur cette base, toute

545
R. Granger, La tradition en tant que limite aux réformes de droit, in Revue internationale de droit
comparé, n° 1, 1979, p 82
546
R. Granger, op. cit, p79
276

une série de prérogatives s’édifient, propriété communautaire du clan ou de la famille


étendue, droits de culture ou d’exploitation des familles étendues ou des ménages. Ce
droit ne peut donc pas être conçu dans ce milieu comme un droit individuel au sens
occidental du terme.547 A.C. Papachristos va dans le même sens lorsqu’il écrit que : « En
matière de droit foncier, les coutumes africaines refusent la propriété individuelle. La
terre appartient au groupe ; l’individu n’a que le droit de la mettre en valeur. Par
conséquent, la terre ne peut en aucun cas faire l’objet d’une appropriation ou d’une
aliénation.548 »

En matière foncière particulièrement, en dehors des justifications d’ordre


philosophique, l’attachement des communautés locales à la terre est dû aussi aux raisons
d’ordre économique. En effet, le monde rural est caractérisé par la pauvreté de ses
membres. La terre constitue l’unique ressource pour la survie de ceux qui y habitent. Elle
donne aux membres des communautés locales la nourriture, l’habitation, les produits
pharmaceutiques et parfois l’habillement. Ainsi, celui qui ne dispose pas d’une portion de
terre ne peut pas vivre normalement et aux yeux de la communauté, il ne représente rien.
La terre est donc une question de vie ou de mort. C’est ainsi qu’on l’appelle mère
nourricière.

Ainsi, pour faire face à cette situation difficile, ils sont obligés de vivre en groupe
pour se soutenir mutuellement. Voilà pourquoi, comme nous l’avons mentionné
précédemment que la famille étendue a beaucoup d’importance que la famille nucléaire.

En outre, les personnes vivant sur les terres des communautés locales se trouvent
défavorisées tant sur le plan de la formation que sur le plan des infrastructures
économiques. A ce sujet, dans un document de stratégie sectorielle de l’agriculture et du
développement rural en République Démocratique du Congo, les ministères de
l’agriculture et du développement rural ont fait le diagnostic du monde rural en ces
termes :

‘’Le monde rural est caractérisé par :


547
ibidem
548
A.C. Papachristos, La réception des droits privés étrangers comme phénomène de sociologie juridique,
Paris, LGDJ, 1975, p60
277

 une détérioration avancée du milieu et une insuffisance des infrastructures


de base ;
 un faible accès aux intrants, matériels de production et aux services
d’encadrement ;
 une faible capacité des organisations paysannes et des difficultés d’accès
aux services financiers ;
 une faible capacité institutionnelle et de gestion.’’

Le même document renchérit que les obstacles majeurs au développement des


organisations associatives du monde rural résident dans leur faible structuration et dans
l’insuffisance des moyens financiers pour les accompagner. Deux autres obstacles sont
identifiés comme contraintes : faible degré de participation des coopérateurs à la vie des
organisations liée à une insuffisance d’éducation, de sensibilisation et d’information qui
ne favorise pas le développement d’une conscience coopérative au sein de la population ;
absence de dynamique économique au niveau des organisations du fait d’activités
agricoles peu diversifiées, et de surcroît précaires.549’’ Cette situation fait que les
communautés locales vivent en autarcie parce que le milieu étant difficile, il n’attire pas
les personnes étrangères à la communauté. Ce manque de contact ne leur permet pas de
rencontrer d’autres cultures et de faire évoluer la mentalité.

Pour donner la chance de réussite à la réforme proposée dans ce secteur, il


convient de penser à offrir aux communautés d’autres alternatives qui leur permettront
d’améliorer le travail de la terre pour un meilleur rendement ou de vivre en dehors des
activités de la terre. C’est dans ce sens que C. Ntampaka écrit ce qui suit au sujet de
l’évolution des droits de la femme au Rwanda :’’L’évolution des mentalités se fera
lentement. Le premier pas à faire nous semble l’éducation des masses et la création
d’infrastructures économiques et sociales qui pourraient favoriser l’évolution des
méthodes de production et l’organisation du travail.’’550 Il convient également de noter

549
Ministère de l’agriculture et Ministère du développement rural, Stratégie sectorielle de l’agriculture et
du développement rural, mars 2010, p 16
550
C. Ntampaka, L’évolution des droits de la femme au Rwanda, in Penant, n° 796, janvier à mai 1988, p
74
278

que beaucoup des villes congolaises ont été à l’origine des villages. Les terres ont
appartenu aux communautés locales, régies par les mêmes principes que les terres
coutumières actuelles. La transformation des espaces vitaux a entraîné progressivement
l’émergence du droit écrit national au détriment de la coutume avec comme conséquence
la disparition progressive des inégalités et de la discrimination. Nous pensons que cette
approche peut servir de modèle pour transformer les communautés locales actuelles.
Autrement, comme l’affirme le professeur Granger, la réforme proposée risque d’être une
page du journal officiel si les conditions matérielles, en personnel, en éducation ne sont
pas disponibles et si le pouvoir ne peut ou ne veut soumettre les pouvoirs opposés à la
réforme551.

Section 2 : Mesures à caractère social

Après avoir réalisé la réforme sur le plan juridique et judiciaire, il est nécessaire
de prendre des mesures sociales capables d’accompagner la réforme entreprise. Les
indicateurs sociaux dans l’ensemble du pays sont dramatiques. Ils sont encore pires dans
les zones rurales où le taux de mortalité infantile est estimé à 60 pour cent plus élevé dans
les campagnes que dans les villes, l’espérance de vie de dix ans inférieure, la malnutrition
de 35 pour cent supérieure.552 Dans sa note de politique agricole, le gouvernement de la
République Démocratique du Congo à travers le ministère de l’agriculture, pêche et
élevage note que l’incidence de la pauvreté est estimée dans l’ensemble du territoire
national à 70,85%. Elle est singulièrement prononcée dans les zones rurales où vivent
plus de 80% de la population avec moins d’un dollar par jour. 553 Bref, d’une manière
générale, la pauvreté est absolue dans le monde rural. Nous partons de l’idée selon
laquelle, la terre est l’unique ressource vitale pour les communautés locales et le monde
rural étant caractérisé par une extrême pauvreté et un degré élevé d’analphabètes, il faut
que cette situation change pour que le droit proposé ait la chance d’être appliqué. Parmi
les mesures sociales capables de faire face à cette situation, nous retenons la formation,
les infrastructures sociales de base et l’engagement de la femme.

551
R.Granger, op. cit, p80
552
FAO, Rapport sur l’agriculture et le développement rural en RDC, 2005, p 5
553
Ministère de l’agriculture, pêche et élevage, Note de politique agricole, avril 2009, p 1
279

§1. La formation

L’importance de la formation, mieux de l’éducation n’est plus à démontrer. Cela


est valable tant pour les hommes que pour les femmes. En effet, elle permet d’avoir de
large horizon et d’acquérir de nouvelles compétences. L’acquisition de ces compétences
permet aux bénéficiaires de ne pas être limités dans le choix du travail à faire. Au lieu de
rester stationnaire en s’accrochant au travail traditionnel de la terre, la formation peut
aider à améliorer le travail effectué habituellement en le rendant plus aisé et productif. De
ce fait, elle peut être à l’origine d’une augmentation des revenus et d’un changement
social.
Elle peut également permettre le changement de secteur d’activités. Au lieu de
rester dans le secteur de la production agricole, la formation peut aider le bénéficiaire à
devenir par exemple distributeur de mêmes produits ou carrément de se lancer dans une
autre activité.

Ainsi, plus les gens sont formés, plus ils auront la possibilité de trouver les
moyens nouveaux de survie et cela leur permettra de se détacher de la terre. Ce qui
permettra à la femme d’y accéder sans trop des difficultés.

L’acquisition de nouvelles compétences par la formation permet aussi de faire


évoluer la société rurale. Les personnes formées peuvent être à l’origine d’introduction
des nouvelles techniques de production ou des nouveaux modes de vie ayant pour
conséquences de rendre celle-ci plus agréable dans les milieux ruraux.

Mais la formation joue encore un rôle important dans la prise de conscience d’une
situation donnée. Dans le cas qui nous concerne, celui de la femme rurale, la formation va
l’aider à comprendre la situation dans laquelle elle se trouve. Elle lui donnera les armes
pour s’en sortir. Souvent, à la fin d’une formation, les bénéficiaires mettent sur pied une
structure dans le but de pérenniser les acquis de la formation. S’il s’agit d’une formation
des femmes portant sur leurs droits par exemple, elles pourront se constituer en
association pour la défense de leurs droits. Aujourd’hui, beaucoup des femmes rurales ne
savent ni lire ni écrire. Elles ne sont pas capables de connaître les droits que les lois
280

nationales leur offrent. De ce fait, elles sont incapables de les défendre. Il est donc
nécessaire de mener une politique tendant à encourager la formation des femmes dans ces
milieux. Il faut également assurer la formation des hommes pour leur permettre de
comprendre que la femme a un rôle à jouer dans le développement de leur milieu. Par
conséquent, il est nécessaire de lui reconnaître ses droits pour lui permettre de remplir
pleinement le rôle attendu d’elle. A côté d’une formation classique dédiée à la jeunesse,
on peut encourager la formation des adultes. Cette dernière peut consister à
l’apprentissage de l’écriture et de la lecture en langue locale. Cela permettra aux
bénéficiaires de suivre des formations spécifiques en rapport avec leur situation. Ainsi
par exemple, elles pourront suivre une formation sur les droits de l’homme en général et
ceux de la femme en particulier, sur les techniques agricoles ou sur les nouvelles
technologies de l’information et de la communication, et cela, dans le but de transformer
le milieu social dans lequel elles vivent. Ce travail est souvent fait par des organisations
non gouvernementales locales. Mais le résultat n’est pas palpable par manque de
coordination ainsi que des moyens tant matériels que financiers conséquents. En effet, ces
structures sont très dépendantes de financement extérieur. Souvent, la fin du financement
signifie la cessation des activités. En outre, la formation assurée dans ce contexte, n’est
pas généralement continue. Il est souhaitable que des structures appropriées soient mises
en place afin de parvenir à des résultats probants. Cela peut se faire à l’initiative des
organisations villageoises mais avec l’appui de l’Etat.

S’agissant particulièrement des droits fonciers de la femme sur les terres des
communautés locales, malgré la réforme proposée, si la femme n’est pas en mesure de
mener les actions de sensibilisation tendant à revendiquer ses droits, les résultats
escomptés tarderont. Mais à l’état actuel des choses, pour que la femme soit à même de
mener ces actions, il faut qu’elle soit préparée. Cette préparation passe inévitable par la
formation. C’est à l’issue de celle-ci qu’elles pourront se constituer en association ou en
groupe de pression dans le but d’obtenir le changement souhaité concernant leurs droits.

Dans un rapport sur l’éducation pour les populations rurales en Afrique, les
ministres africains du secteur soulignent la relation existant entre la formation et le
développement dans le monde rural. On peut notamment lire dans ce rapport ce qui suit :
281

« La majorité des habitants de notre planète vit en milieu rural. Par rapport à
d’autres régions, l’Afrique subsaharienne affiche une proportion supérieure des ruraux
lesquels sont, qui plus est, plus pauvres qu’ailleurs. L’incidence de la sous-alimentation
de l’illettrisme, en particulier dans les zones rurales, est importante dans l’ensemble de la
région d’Afrique subsaharienne. Les filles des zones rurales sont particulièrement
défavorisées. Si la faim, la malnutrition et l’insécurité alimentaire ruinent les aptitudes
cognitives, l’absence d’éducation provoque quant à elle une baisse des capacités
productives et attise, ce faisant, la pauvreté. 554»

Le monde rural en République Démocratique du Congo est caractérisé notamment


par un taux de scolarité faible. En effet, selon le PNUD, le taux d’admission en première
année primaire en 1995 était de 14% dans le milieu rural et de 42,8% dans le milieu
urbain. Le document de stratégie de réduction de la pauvreté en République
Démocratique du Congo révèle que pour la même période le taux de scolarisation est
moins élevé chez les filles que chez les garçons soit 61% contre 67%555.

Ce taux faible de scolarité entraine une hausse de taux d’analphabètes. En effet,


selon le même document de la réduction de la pauvreté, pour la même période, le taux
d’analphabétisme des femmes est plus élevé que celui des hommes, soit 45,9% contre
17,5%. Le faible taux de scolarisation et le taux élevé de l’analphabétisme chez les
femmes s’explique notamment par les raisons ci-après : l’abandon dû aux grossesses, aux
mariages précoces et la tradition qui poussent les parents à déconsidérer la scolarité des
filles.556
Selon l’enquête MICS2, le taux d’alphabétisation est passé de 67,3% en 1995 à
65, 3% en 2001 ; il est passé de 82,5% à 79,8% pour les garçons contre 54,1% à 51,9%
pour les filles au cours de la même période. En milieu urbain le taux de scolarisation était
de 76,8% contre 51,5% en milieu rural. Tandis que le taux de rétention en cinquième
année primaire était estimé à 60,3% en milieu urbain et de 15,1% en milieu rural.

554
ADEA et FAO, L’éducation pour les populations rurales en Afrique, septembre 2005, p 15
555
Ministère du Plan, Document de stratégie de la réduction de la pauvreté (version intérimaire), 2004, p16
556
ibidem
282

Comme nous venons de le mentionner ci-haut, cette situation ne permet pas le


décollage du monde rural. Mais la formation n’est pas l’unique facteur pouvant amener le
changement. Il faut aussi améliorer les infrastructures de base.

§2.Infrastructures sociales de base

Les infrastructures sociales de base jouent un rôle important dans le changement


de mentalité et par conséquent des inégalités entre homme et femme. En effet, elles
permettent le contact entre personnes. Celui-ci peut être physique ou à travers les
technologies de l’information et de la communication.

Ce contact permet aux uns et aux autres d’être au courant de ce qui passe à travers
le monde. Ainsi les différents changements qui s’opèrent dans un lieu sont suivis par tout
le monde et peuvent inspirer certaines personnes ou certains groupes ayant les mêmes
préoccupations d’emboiter les pas.

En outre, les infrastructures de base permettent de rendre la vie plus ou moins


aisée. De ce fait, elles libèrent les individus de certains fardeaux quotidiens, ce qui leur
donne le temps de s’occuper de certains problèmes qui pourraient paraître secondaire.
Ainsi, ils pourront par exemple avoir le temps de suivre les informations, de s’adonner à
la lecture, de réfléchir sur leur condition d’existence, de s’associer avec d’autres pour
réaliser tel ou tel autre objectif.

Enfin, les infrastructures sociales de base attirent les investissements et sont à la


base de l’emploi. Nous y reviendrons plus loin.

Dans un rapport officiel sur l’agriculture et le développement rural en République


Démocratique du Congo, on peut lire ce qui suit :

« Les systèmes de solidarité traditionnels ont été affaiblis et les réseaux sociaux
qui sont clés à la relance économique ont été sérieusement perturbés. De plus, la
dégradation des infrastructures rurales (notamment pour l’eau) se traduit par une
détérioration très nette de l’état de santé des populations, ce qui, au-delà des
conséquences individuelles souvent tragiques, constitue aussi un obstacle à la reprise de
la production et à la relance du secteur. Enfin, le développement d’activités non agricoles
283

génératrices de revenu en milieu rural reste handicapé par l’absence de marché local (du
fait de la grande pauvreté qui règne dans les campagnes) et de possibilités de transport
(du fait de l’état des voies de communication). »557

Pour la femme rurale particulièrement, la situation sus décrite est préoccupante.


Les infrastructures sociales de base sont pour elle d’une importance capitale. En effet,
elles la libèrent de plusieurs fardeaux quotidiens : puiser de l’eau, rechercher les bois de
chauffage, etc.

Actuellement la femme rurale se trouve dans une situation sociale difficile et elle
travaille sans relâche au point de ne pas avoir le temps de réfléchir sur sa condition
existentielle, et ce, par manque d’infrastructures sociales de base.

Dans ce milieu, la population manque de tout. Les routes sont inexistantes, sinon
dans un état de délabrement très avancé, pas d’hôpitaux ni d’écoles dignes pour la
jeunesse. L’énergie électrique est inexistante, il en est de même pour l’eau de
consommation courante. Et pourtant, la Constitution en vigueur au pays prévoit une
panoplie des droits sociaux en faveur de toute la population. C’est le cas du droit à la
santé et à la sécurité alimentaire, le droit au logement décent, le droit d’accès à l’eau et à
l’énergie électrique.558

Dans un rapport sur la stratégie sectorielle de l’agriculture et du développement


rural, les ministères concernés constatent que ce secteur fait face à plusieurs contraintes
dont celles liées à l’accès aux marchés et aux infrastructures. En effet, les infrastructures
liées à l’amélioration des conditions de vie du monde rural sont défectueux. Il s’agit en
particulier des infrastructures de desserte en eau potable, de l’électrification rurale et de
l’habitat rural. Il en est également des infrastructures de stockage, de conservation et de
transformation des produits agricoles ainsi que de commercialisation.

557
www. Beltrade-congo.be, Agriculture et développement rural en République Démocratique du Congo,
p7
558
Ces droits sont garantis par les articles 47 et 48 de la Constitution.
284

Cette situation est attribuée notamment à la faible affectation et non exécution des
fonds de réhabilitation et d’entretien au niveau du budget de l’Etat, 559 faible capacité de
mobilisation des ressources au niveau des collectivités locales et communautés de bases,
non implication des bénéficiaires dans la conception, la gestion et l’entretien des
infrastructures, et faible organisation des communautés de base pour la prise en charge
des infrastructures relevant de leurs terroirs.560

Dans le même ordre d’idées, le document de stratégie de la réduction de la


pauvreté note qu’en milieu urbain, les ménages éprouvent des difficultés
d’approvisionnement en eau et en électricité. En 1999, l’Unicef estimait que dans toute la
République Démocratique du Congo, 45% de la population seulement avait accès à l’eau
potable. Pour la même période, dans les zones rurales le taux de desserte était estimé à
26% et il est passé à 26,1% en 2001. La ville de Kinshasa en 2001, accusait un déficit de
près de 40% en desserte en eau potable.561

En milieu rural, le même document mentionne que le taux de desserte en eau


potable est particulièrement faible. A titre illustratif, il cite la zone de santé de Banalia
dans la Province Orientale où 3% seulement de la population ont accès à l’eau potable.
91% des sources d’eau dans la zone de santé de Kindu ne sont pas protégées et 65% des
sources d’eau en Ituri ne sont pas également protégées.

Concernant l’électricité, la revue du document de stratégie de croissance et de la


réduction de la pauvreté note que le pays accuse un taux d’accès aux services de
l’électricité le plus faible du continent. Cette situation contraste avec les potentialités du
pays en la matière. En effet, selon le même document, les ressources énergétiques du
pays sont notamment : le rayonnement solaire, le vent, la biomasse énergie, le pétrole
brut, l’uranium, la tourbe, le gaz naturel, le charbon, la géothermie et principalement
l’hydroélectricité, dont la puissance exploitable est estimée a plus de 100.000 MW pour
une puissance installée d’environ 2520 MW dans l’ensemble du pays. En dépit de cette

559
Il convient de noter que selon le même rapport l’allocation budgétaire nationale destinée à ce secteur se
situe autour de plus ou moins 2% l’an.
560
Ministère de l’agriculture et Ministère du développement rural, stratégie sectorielle de l’agriculture et du
développement rural, mars 2010, p 18
561
Ministère du Plan, op cit, p15
285

richesse, le bilan énergétique établi en 1980 évalue à 83% la primauté de la


consommation du bois de chauffe et ses dérivés sous forme d’énergie primaire.562

Le tableau que nous venons de peindre n’est pas de nature à assurer la


transformation sociale du milieu et surtout pas d’améliorer la situation sociale de la
femme. La population se trouve dans une situation de dénuement total. Dans ce cas, elle
vit repliée sur elle-même et les chances d’aboutir à un changement sont minces. Les
textes légaux pris par les pouvoirs publics n’auront pas dans ce contexte les chances
d’aboutir d’autant plus que la présence de l’Etat ne se fait pas sentir pour résoudre les
problèmes vitaux de la population.

La pauvreté et la misère étant la règle, la préoccupation de tout le monde est


orientée vers la survie. Et comme, on ne sait pas ce qui se passe ailleurs, on ne dispose
d’aucun élément de comparaison et on croit que la situation que l’on vit est normale.

Il appartient donc à l’Etat de mettre en place une politique tendant à créer les
infrastructures sociales de base. Celles-ci constituent un facteur de développement de la
société et du bien être communautaire et particulièrement de la femme. Mais si la femme
veut que sa situation change, elle doit se battre elle-même en s’engageant dans la lutte.

§3. Engagement de la femme

L’histoire nous renseigne qu’il faut se battre pour faire changer une situation.
Ainsi, Pour que les inégalités ou la discrimination en matière d’accès à la terre à
l’encontre de la femme cessent, il est nécessaire que celle-ci s’engage à conquérir ses
droits. Si elle reste passive, sa situation ne changera pas ou elle changera à un rythme
lent. Dans les mœurs africaines en général et congolaises en particulier, il n’appartient
pas à l’homme de prendre l’initiative pour accorder à la femme des droits sans que celle-
ci en exprime le désir.

D’ailleurs, cette attitude n’est pas typiquement africaine encore moins congolaise.
En effet, à travers l’histoire, on observe que les femmes ont combattu, parfois au prix de

562
République Démocratique du Congo, note thématique : énergie/ électricité, in Revue du DSCRP, 8 et 9
mars 2010, p1-2
286

leur vie pour arracher leurs droits. C’est dans ce sens que Margaret Fueller citée par A.
Michel avait au 19ème siècle affirmé que la libération des femmes ne peut se faire que par
les femmes elles-mêmes.563

Parcourant l’histoire du féminisme, Andrée Michel note qu’à travers les 19ème et
20ème siècles, les femmes se sont organisées pour que leurs droits soient reconnus. Il en
est ainsi notamment du droit au travail où en 1843, Flora Tristan dans un ouvrage intitulé
‘’L’Union ouvrière’’ traçait son programme en matière de lutte pour le droit de la femme
au travail en ces termes :

« Constituer la classe ouvrière au moyen d’une union solide et indivisible,


réclamer le droit au travail pour tous et pour toutes, donner aux femmes du peuple une
instruction morale, intellectuelle et professionnelle, reconnaître en principe l’égalité de
l’homme et de la femme comme étant l’unique moyen de constituer l’unité humaine,
élever dans chaque département des palais de l’union ouvrière où l’on instruirait les
enfants de la classe ouvrière et où seraient également admis les travailleurs accidentés, les
infirmes et les vieux. »564

A la suite de cette publication, renchérit l’auteur, plusieurs organisations


féminines ont été créées pour revendiquer le droit au travail et au salaire égal.
Le droit au vote ainsi que le droit à l’éducation ont été également obtenu par les
femmes à la suite d’une haute lutte.

En Afrique du Sud, note G. Corradi, les femmes vivant sur les terres familiales
résistent à leur expulsion par leurs parents masculins en s’appuyant sur leur droit
d’aînesse ou leur droit d’appartenir à la famille ou au clan.565

Il ressort de ce qui précède que le droit ne s’octroie pas mais il s’acquiert. Ainsi,
les femmes devront se constituer en association pour combattre les inégalités et les
discriminations dont elles sont victimes. Ces organisations ne doivent pas seulement être
civiles. Elles devront aussi être à caractère politique. En effet, il faudra que les femmes se

563
A. Michel, Le féminisme, Collection Que sais-je ?, Paris, PUF,2001, p71
564
A. Michel, op. cit, p 61
565
G. Corradi, Advancing Human Rights in Legally Plural Africa : The Role of Development Actors in the
Justice Sector, Thèse de doctorat, Universiteit Gent, 2012-2013, p 48
287

battent pour accéder en grand nombre à la sphère de décision politique pour essayer
d’influencer les choses et espérer obtenir gain de cause dans la lutte.

La Constitution en vigueur en République Démocratique du Congo trace le cadre


en garantissant à tous la liberté d’association.566 Elle garantit en outre à la femme le droit
à une représentation équitable au sein des institutions nationales, provinciales et locales
ainsi que la mise en œuvre de la parité homme-femme dans lesdites institutions.567

Il appartient donc aux femmes de se battre pour que les mécanismes prévus par la
Constitution soient réellement appliqués. A l’heure actuelle, on est loin de mettre en
application le principe de la parité homme-femme. La représentation féminine au sein des
institutions étatiques reste encore faible. Cependant, les associations féminines sont assez
nombreuses mais leur impact sur le terrain de la lutte pour l’accès à la terre se fait encore
attendre.

Section 3. Mesures à caractère économique

Les mesures à caractère économique devront aussi être prises par l’Etat dans le
but de transformer particulièrement le monde rural afin qu’elles influent sur la situation
de la femme, en ce qui concerne surtout ses droits fonciers. Nous avons précédemment
affirmé que la discrimination fondée sur le sexe en matière d’accès à la terre est due
notamment par le fait que la terre est une ressource vitale pour les communautés rurales
en dehors de laquelle la vie est difficile. En effet, la République Démocratique du Congo
est un pays à vocation agricole dans la mesure où près de 70% de sa population vit en
milieu rural et dépend essentiellement de l’activité agricole.568

Pour que les hommes se détachent de la terre, il est nécessaire de leur proposer
d’autres moyens de survie. Pour ce faire, l’Etat devra mettre sur pied une politique
tendant à attirer les investissements dans le monde rural d’une part et de faire des paysans
des agents économiques d’autre part.

566
Art 37 de la constitution du 18 février 2006
567
Art14 al 4 et 5 de la même constitution
568
Ministère de l’agriculture, pêche et élevage, Note de politique agricole, avril 2009, p 6
288

§1 Politique d’investissement dans le monde rural

La politique d’investissement à mettre en place dans le monde rural consiste dans


le fait de prévoir des mesures incitatives pour amener les investisseurs à s’installer dans
ces milieux afin d’assurer son développement et le bien-être de la population.

Ces mesures peuvent être de divers ordres : fiscales, administratives, parafiscales,


sociales ou autres. Dans la situation actuelle de la République Démocratique du Congo,
pour attirer les investisseurs dans ce monde dépourvu de toutes les infrastructures
sociales, l’Etat devra tout faire pour que l’accès à l’eau et à l’électricité soit une réalité.
En outre, qu’il y ait des voies de communication pouvant permettre l’évacuation des
produits du centre de production vers le centre de consommation. Cela permettra de
réduire le coût de production.

Ces investissements auront l’avantage de donner du travail directement ou


indirectement aux populations locales et particulièrement aux hommes qui pourront être
utilisés comme main d’œuvre manuelle ou autre. Ce faisant, ils seront détachés de la terre
pour se consacrer au travail de la société qui les utilise lorsqu’ils sont directement
employés par la société ou par le travail pour lequel ils sont en contact avec la société,
lorsqu’ils sont utilisés indirectement comme sous-traitants ou comme partenaires. Dans
l’histoire de la République Démocratique du Congo, il a été observé que l’installation du
colonat privé des européens dans le Kivu, avec l’amélioration des conditions salariales, a
conduit les villageois de travailler volontiers chez les colons en abandonnant entièrement
le lopin de terre exploité jadis aux soins de la femme.569

En outre, l’implantation des sociétés dans le monde rural permettra l’ouverture de


celui-ci à d’autres cultures. En effet, les activités créées par ces sociétés vont entrainer un
flux des contacts entre les travailleurs autochtones et ceux venant d’ailleurs. En outre les
partenaires commerciaux de ces sociétés venant d’autres horizons entreront aussi en
contact avec les différents travailleurs. Ce choc des rencontres permettra de voir ce qui

569
C. Munzirihiwa, Paysan du Kivu et le changement social depuis l’indépendance, Mémoire de licence,
Institut des sciences politiques et sociales, Université Catholique de Louvain, 1968-1969, p 45
289

se passe ailleurs et chacun pourra être influencé par les aspects positifs de la culture de
l’autre.

La création des sociétés dans cet environnement permettra aussi à ce milieu de ne


plus vivre en autarcie. Il sera ouvert au monde notamment par les réseaux sociaux et les
médias. En effet, pour la rentabilité de la société et pour le bien-être de ses travailleurs, la
société ne pourra pas s’empêcher d’installer les équipements de communication. Cela
profitera à coup sûr aux populations locales qui pourront accéder à l’information et à la
communication à travers la télévision et l’internet. Il ne fait l’ombre d’aucun doute que
ces instruments constituent à l’heure actuelle de véritable moteur d’échange des cultures.

A travers ces instruments, la population pourra voir et comprendre ce qui se fait


dans d’autres sociétés pour améliorer son propre vécu quotidien. C’est de cette manière
notamment que la situation de la femme vivant dans le monde rural pourra s’améliorer.
En effet, à travers les images, elle s’apercevra que son homologue qui vit dans le milieu
urbain est autrement traitée qu’elle. Cela pourra provoquer en elle un déclic pour
revendiquer ses droits. Les mêmes images peuvent aussi avoir un effet sur l’homme.
Celui-ci peut se rendre compte qu’il ne traite pas correctement la femme par rapport à ce
qui se passe ailleurs. Ce faisant, il peut prendre conscience et provoquer un changement
d’attitude vis-à-vis de la femme.

Quoiqu’il en soit, l’implantation des sociétés dans ce milieu entraîne le


changement de vie ainsi que des mœurs. Mais l’Etat peut aussi transformer la vie des
paysans en faisant d’eux des véritables agents économiques.

§2 Paysans : agents économiques

Pour survivre, les paysans s’adonnent à une agriculture de subsistance. Ils


utilisent des moyens rudimentaires de production et ne peuvent pas cultiver des étendues
importantes et par conséquent, il est difficile pour eux de réaliser une grande production.
En outre, les méthodes culturales utilisées ne tiennent pas toujours compte du
développement durable. La production qu’ils réalisent sert juste pour satisfaire les
290

besoins de la famille. De ce fait, la situation sociale de cette catégorie de la population ne


change pas malgré les efforts qu’ils consentent dans le travail agricole.

Dans cette situation de misère, l’homme aimerait que la femme soit toujours à son
service, dans la mesure où elle constitue une main d’œuvre gratuite et sûre. Dans un
article sur les réformes des régimes fonciers souhaitables en Afrique et en Asie, Samir
Amin, note que l’exploitation paysanne fait référence à la famille, laquelle est
caractérisée jusqu’à ce jour et presque partout par des structures qui imposent la
soumission des femmes et la surexploitation de leur force de travail.570

Le changement de la situation des paysans ne sera probablement possible qu’avec


l’intervention de l’Etat. En effet, l’Etat devrait favoriser l’augmentation de la production
des paysans tout en allégeant la souffrance qu’ils endurent dans le cadre de ce travail.
Pour ce faire, plusieurs solutions sont possibles. Mais dans le cadre de cette étude nous ne
retenons que deux.

La première consiste à prendre des mesures tendant à assister les paysans dans
leurs activités de production en vue de leur amélioration. C’est ainsi par exemple, l’Etat
pourra par l’entremise d’un programme soutenu de recherche, mettre à la disposition des
paysans des techniques nouvelles agricoles ainsi que des semences améliorées. En outre,
il pourra leur accorder moyennant un coût réduit, des instruments modernes utilisés dans
l’agriculture comme les engins de labours, de semailles ou de récoltes. Une telle solution
a déjà été préconisée par la colonisation, en instituant le paysannat. Celui-ci avait pour
but notamment d’améliorer la production agricole indigène par une meilleure utilisation
du sol, en introduisant des méthodes nouvelles qui augmentent le rendement. Il devrait
aussi améliorer le bien-être social et économique de la population rurale par une
augmentation substantielle du revenu des habitants et aussi par une meilleure hygiène.571

Dans sa note de politique agricole, l’Etat déclare vouloir créer des richesses en
milieu rural par une agriculture compétitive reposant sur la promotion de petites et
moyens entreprises agricoles, d’élevage et de pêche animées par des professionnels. Il
570
S. Amin, Les réformes des régimes fonciers souhaitables en Afrique et en Asie, in forumtiersmonde.net,
novembre 2004, p10
571
C. Munzihirwa, op. cit, p47
291

veut donc opérer une transformation structurelle du secteur agricole. Ainsi, préconise-t-il
des solutions suivantes pour parvenir à son objectif : une recherche agricole à grande
échelle ; la diffusion des innovations technologiques respectueuses de l’environnement ;
l’affectation des budgets adéquats dans le contexte de la décentralisation ; la
restructuration des services du Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural ; la
promotion des systèmes financiers adaptés à la nature des activités du secteur agricole et
l’expansion de l’infrastructure publique dans le but de viabiliser les sites de
production.572

Comme on peut se rendre compte, cette déclaration d’intention est judicieuse.


Mais depuis qu’elle a été faite en 2009, ses effets tardent encore jusqu’à ces jours. En
effet, aucune initiative concrète n’a été prise pour que la situation change sur le terrain.
Le rapport de la Banque centrale du Congo signale que les budgets de l’Etat pour les
années 2009 et 2010 se présentent respectivement comme suit :

- Pour l’agriculture les dépenses d’investissement en 2009 sont de 0,50% de


l’ensemble du budget et en 2010, elles sont de 0,86%.
- Pour le développement rural, elles sont de 2,58% en 2009 et de 1,02% en
2010.

Ces données chiffrées ne traduisent peut être pas tous les efforts consentis par les
pouvoirs publics pour améliorer la situation dans ces secteurs, mais elles sont tout de
même éloquentes. En effet, les dépenses publiques allouées à un secteur économique
révèlent non seulement la volonté de l’Etat de soutenir ledit secteur mais aussi et surtout
la place qu’il occupe dans l’ensemble de l’action gouvernementale. Dans le cas d’espèce,
nous sommes tenté d’affirmer que le secteur de l’agriculture et celui du développement
rural ne constituent pas la priorité de l’action gouvernementale, avec comme conséquence
que la lutte contre la pauvreté dans le monde rural n’est pas la préoccupation majeure du
gouvernement. C’est dans ce sens que Innocent Utshudi constate que :

«Aucune véritable politique de promotion des activités paysannes de production agricole,


pastorale, sylvicole, de construction ou d’entretien d’infrastructures scolaires, de transport, de

572
Ministère de l’Agriculture, Elevage et Pêche, op. cit, p15
292

santé, de sécurisation foncière, etc. n’est mise en œuvre. Pourtant, les paysans subissent une
avalanche de taxes non seulement sur leurs produits agricoles, mais aussi, et curieusement, sur
leurs parcelles dominées pourtant par une polyculture constituée, pour l’essentiel, des cultures de
subsistance, de quelques cultures de rente et des maisons en pisé. »573

La seconde solution est celle qui consiste à regrouper les paysans dans une
coopérative de production, en leur fournissant les moyens de production nécessaires :
moyens humains, moyens matériels et moyens financiers. La coopérative est
particulièrement adaptée à l’esprit communautaire africain en général et paysan en
particulier. Pour la réussite d’une telle initiative, la coordination technique devrait être
assurée par l’Etat dans un premier temps pour s’assurer de sa bonne évolution. Elle
pourra regrouper deux ou plusieurs villages. C’est par ce biais que les paysans pourront
apprendre l’exigence d’une vie villageoise rénovée, et de ce fait, ils seront introduits, en
douceur, dans le circuit social et économique national.574

L’amélioration des conditions de travail aura un impact sur la femme qui est
considérée comme une main d’œuvre à la disposition du mari. En effet, celui-ci n’aura
plus besoin des services de la femme et sera disposé de la libérer pour qu’elle s’adonne à
ses activités personnelles. Cette amélioration des conditions de vie aura sûrement un
impact positif sur la situation de la femme en ce qui concerne ses droits fonciers.

573
I. Utshudi Ona, La décentralisation en RDC : opportunité pour une gestion foncière décentralisée, in
L’Afrique des Grands Lacs. Annuaire 2008-2009, p316
574
C.Munzirihiwa, op.cit, p 54
293

CONCLUSION GENERALE

Tout au long de ce travail, notre préoccupation a été de vérifier l’hypothèse selon


laquelle la femme fait l’objet de discrimination en matière d’accès à la terre. Cette
discrimination est due au fait de l’existence du dualisme juridique qui subsiste en cette
matière d’une part, et d’autre part, à l’existence au sein du code de la famille de certaines
dispositions rendant les rapports entre époux inégaux.

En droit congolais, le sol est la propriété exclusive, inaliénable et imprescriptible


de l’Etat. Le domaine foncier de l’Etat est divisé en domaine public et domaine privé. Sur
les terres du domaine privé, l’Etat accorde aux particuliers, personnes physiques ou
morales de droit privé et public, un droit de jouissance appelé concession. Ce droit de
concession est perpétuel en faveur des personnes physiques de nationalité congolaise et il
est ordinaire, c’est-à-dire limité dans le temps, lorsque les bénéficiaires sont des
personnes physiques étrangères ou des personnes morales de droit privé et public.575

Mais sur le domaine foncier privé de l’Etat, la loi foncière consacre pratiquement
trois catégories de terres : terres urbaines, terres rurales et terres occupées par les
communautés locales. Ces terres n’obéissent pas au même régime juridique. Les terres
urbaines et rurales sont régies par la loi foncière, c’est-à-dire qu’elles peuvent faire
l’objet de concession foncière et les terres occupées par les communautés locales sont
soumises, en vertu de la foncière, à la coutume.

En effet, le dualisme juridique subsiste du fait que la loi foncière qui avait entre
autres objectifs d’unifier les droits fonciers congolais, avait, tout en domanialisant les
terres occupées par les communautés locales, prévu qu’une ordonnance du Président de la
République allait être prise pour réglementer les droits de jouissance acquis
régulièrement sur ces terres. Depuis lors, cette ordonnance n’a jamais été prise, avec
comme conséquence que ces terres sont toujours régies par les coutumes locales. Ainsi, la

575
La concession ordinaire a une durée de vingt cinq ans renouvelable indéfiniment.
294

femme accède à la terre dans des conditions différentes selon qu’il s’agit des terres
coutumières ou des terres urbaines et rurales régies par le droit écrit.
En outre, le code de la famille consacre l’incapacité de la femme mariée, en la
soumettant au régime de l’autorisation maritale pour tous les actes juridiques qui
entrainent pour sa part une prestation personnelle ayant un impact sur le ménage. Or, la
loi prévoit que l’accès aux terres urbaines et rurales passe par la conclusion d’un contrat
synallagmatique. D’où pour y accéder, la femme mariée doit obtenir l’autorisation de son
mari. Ce qui la met dans une situation d’inégalité par rapport à celui-ci.

Ainsi, pour confirmer ou infirmer ces hypothèses, nous avons procédé dans un
premier temps par une approche empirique à l’analyse de la situation foncière de la
femme sur les terres occupées par les communautés locales. Cela nous a conduit à relever
les principes fondamentaux qui régissent ces terres, avant de se focaliser sur la question
spécifique de l’accès de la femme à ces terres.

Dans un second temps, nous avons aussi, par une approche empirique combinée
avec une analyse positive du droit, voulu savoir la situation foncière de la femme sur les
terres urbaines et rurales. Ainsi, après avoir analysé les règles régissant ces deux
catégories de terres, nous avons ensuite porté notre intérêt sur les droits fonciers de la
femme tels que prévus par la loi mais aussi en rapport avec la jurisprudence en la matière.

Cette démarche nous a permis de comparer la situation de la femme avec celle de


l’homme en matière d’accès à la terre d’une part, et d’autre part, la situation de la femme
vivant sur les terres appartenant aux communautés locales avec celle de la femme se
trouvant sur les terres urbaines et rurales. Enfin, la comparaison a porté aussi sur les
droits fonciers de la femme mariée par rapport à ceux reconnus à la femme célibataire.

De cette analyse, nous avons relevé ce qui suit :

1. Sur les terres appartenant aux communautés locales régies par la coutume, la
femme dispose des droits fonciers moins étendus par rapport à l’homme et ses droits
sont aussi fonction des rapports qui la lie au groupe. En effet, en tant que membre du
groupe ‘’propriétaire de la terre,’’ elle ne peut pas en principe être chef de terres, ce
295

pouvoir est l’apanage de l’homme. Mais elle a le droit d’exploiter la terre au même titre
que l’homme tant qu’elle y habite encore.
Si elle est liée au groupe par le mariage, elle accède à la terre par l’entremise de
son mari. A ce titre, elle peut exploiter la terre que la communauté a mise à la disposition
de ce dernier. Mais lorsque le lien de mariage est rompu, elle est obligée de rentrer dans
sa famille, en laissant la terre exploitée au profit du mari ou de la famille de celui-ci. Il
convient de noter que le mariage peut prendre fin par le divorce ou par le décès du
conjoint. Dans tous les cas, la femme ne bénéficie pas de l’héritage ni de partage de la
terre mise en valeur à deux ou seule.

En cas d’héritage, tous les enfants n’ont pas les mêmes droits. Dans le système
patrilinéaire où les enfants peuvent hériter de leur père, seuls les garçons sont héritiers.
Dans le système matrilinéaire où l’héritage va dans la lignée de la femme, la préférence
est accordée aux personnes de sexe masculin au détriment de celle de sexe féminin. Il
s’agit précisément des neveux au détriment des nièces.

2. Sur les terres urbaines et rurales, la situation de la femme est différente. D’une
manière générale, les lois accordent à la femme des droits en matière foncière au même
titre que l’homme, sauf en cas de mariage. En effet, le droit de jouissance sur ces terres
étant individuel, la femme célibataire a le droit d’y accéder sans entrave. En cas de
divorce, la femme reçoit la moitié de terres acquise pendant le mariage si le régime
matrimonial choisi par les époux lors du mariage l’autorise. En cas de veuvage, la veuve
est héritière de la deuxième catégorie et elle bénéficie en outre, de l’usufruit du conjoint
survivant qui porte sur la maison que le couple habitait ainsi que la moitié des terres que
le défunt exploitait personnellement. Cela suppose que le couple était uni par un mariage
régulier. Ainsi, la femme qui vit dans une union de fait ne peut pas prétendre à un
quelconque héritage et en cas de séparation, elle ne bénéficie pas du partage des biens
fonciers, alors qu’au sein de la société, cette situation est une réalité.

Cependant, la femme mariée ne peut accéder à la terre sans l’autorisation de son


mari. En effet, l’accès au droit foncier passe par la conclusion des contrats qui emportent
des obligations réciproques de la part des parties contractantes. Le code de la famille
296

prévoit que pour la validité de ce genre de contrat, la femme doit être autorisée par son
mari avant de le conclure.
De ce qui précède, il ressort que tant la coutume que la loi sont discriminatoires à
l’égard de la femme, quant à ses droits fonciers. Ce qui nous amène à affirmer que nos
hypothèses de base sont bien corroborées.

Mais, la coutume et la loi sont en contradiction flagrante avec la Constitution et


les conventions internationales ratifiées par la République Démocratique du Congo. En
effet, ces deux sources du droit contiennent des dispositions qui interdisent la
discrimination à l’égard de toute personne, et en particulier, à l’égard de la femme. Cette
contradiction entraîne une certaine incohérence au sein du système juridique.

Ce qui nous a amené par une démarche prospective de proposer de lege ferenda
l’harmonisation du système juridique en rapport avec le sujet qui nous intéresse. Ainsi,
avons-nous proposé la révision de certains textes pour les mettre en harmonie avec la
Constitution et les traités internationaux ratifiés par la République Démocratique du
Congo en matière des droits de l’homme. Cette réforme se présente comme suit :

1.La suppression dans la loi foncière, les dispositions de l’article 389 qui prévoit que les
droits de jouissance sur les terres communautaires seront réglés par une ordonnance du
Président de la République. Etant donné que cette ordonnance n’a jamais été prise, nous
préconisons d’insérer directement dans la loi foncière les dispositions en rapport avec
les droits de jouissance acquis sur les terres communautaires conformément aux
coutumes locales ou aux usages locaux. Ces dispositions vont laisser la coutume régir
ces terres mais en lui imposant des limites notamment en matière de discrimination à
l’égard de la femme ainsi que de la fille. Mais, compte tenu du fait que cette matière
relève constitutionnellement de la compétence concurrente entre les pouvoirs
provinciaux et central, on peut aussi imaginer la possibilité de renvoyer son règlement
aux provinces, dans le même sens que nous venons d’indiquer. Les deux solutions sont
donc alternatives.

2.Le code de la famille devra également être modifié sur un certain nombre des
dispositions. La première disposition concerne l’autorisation maritale qui devra céder la
297

place à l’égalité parfaite entre conjoints, quitte à donner à chacun la possibilité de


s’opposer aux actes posés par l’autre s’ils sont de nature à porter atteinte aux intérêts du
ménage. Cette proposition a aussi l’avantage de mettre la législation congolaise en
phase avec le droit de plusieurs pays africains qui ont déjà supprimé l’autorisation
maritale.

La deuxième disposition est celle qui prévoit l’usufruit du conjoint survivant. Elle
devra aussi être modifiée pour préciser que cet usufruit existe même sur les terres
appartenant aux communautés locales.

Il sera également question de préciser que les différentes catégories d’héritiers


prévues par la loi demeurent valables même si l’héritage porte sur les terres coutumières.
En matière de divorce, nous préconisons que le code de la famille puisse prévoir
l’indemnité de divorce en faveur de la femme vivant sur les terres appartenant aux
communautés locales. Cela se justifie par le fait qu’il est injuste de laisser la femme
répartir main bredouille dans sa famille alors que le fruit de ses efforts va bénéficier à
d’autres personnes.

L’union de fait qui est une réalité vivante, ne devrait pas continuer à être ignorée
par le législateur. C’est ainsi que nous pensons, pour des raisons d’équité, qu’elle peut
produire des effets juridiques au même titre que le mariage si elle a été d’une longue
durée.

3.Au niveau du code pénal, nous prévoyons que des dispositions soient prises, rendant
infractionnels les comportements discriminatoires à l’égard de toute personne et
particulièrement à l’égard de la femme. Ces dispositions auront pour but de dissuader
ceux qui auront tendance à résister à la réforme.

4.Quant au code de l’organisation et de la compétence judiciaires, il devra aussi subir une


révision, dans le sens d’insérer des dispositions instaurant des structures locales de
conciliation pour les conflits fonciers intéressant les femmes. Cette structure devra être
paritaire dans sa composition pour permettre aux femmes de défendre leurs intérêts.
Elles devront être animées par les notabilités locales. Ceux-ci devront désormais revêtir
298

les statuts de fonctionnaire de l’Etat. La saisine de ces structures constitue un préalable


pour que le litige soit porté devant d’autres instances de l’Etat.

Pour accorder à cette réforme la chance de réussite, nous pensons qu’il est
nécessaire de la faire accompagner par des mesures socio-économiques qui aboutiront à
la transformation du monde rural. En effet, c’est dans le monde rural qu’on peut
rencontrer la résistance à une telle réforme. Cela se justifie par le fait que l’attachement à
la terre dans ce milieu s’explique, au-delà des considérations métaphysiques, aussi par
des raisons économiques. La terre constitue une source des revenus indispensable pour la
vie des ruraux. Ainsi, ils la conservent jalousement contre toute intrusion extérieure.
Pour faciliter cet attachement au sol, et de ce fait, accorder à la femme la possibilité
d’accéder à la terre, nous proposons des mesures ci-après :

1. Sur le plan social, nous préconisons d’abord de mettre sur pied des politiques
appropriées en matière de formation pour réduire le taux d’analphabètes et de
donner aux ruraux notamment la possibilité d’améliorer leur méthode de travail
ou d’avoir la possibilité d’embrasser d’autres métiers qui pourront leur offrir la
possibilité de se détacher de la terre.

Ensuite, nous pensons que la transformation du milieu rural passe par


l’amélioration ou la création des infrastructures sociales de base. En effet, ces
infrastructures permettent la mobilité des gens ainsi que les contacts à travers notamment
le transport, la communication etc. Cela entraîne comme conséquence l’ouverture des
communautés locales au monde extérieur avec tout ce que cela produit en termes
d’échanges.

Enfin, il faut que la femme s’engage elle-même aussi pour obtenir le changement
en rapport avec sa situation. Cet engagement devra se faire par le biais de l’éducation
suivie de la mise sur pied des structures d’encadrement pour qu’il soit efficace.

2. Sur le plan économique, nous préconisons d’abord la mise sur pied d’une
politique favorisant les investissements à caractère économique dans le milieu
rural. Celle-ci peut se traduire par des mesures incitatives dans le but de faciliter
299

l’installation des investisseurs dans le milieu. Cela va générer de l’emploi et


permettra aux ruraux d’avoir la possibilité de se consacrer à un autre type de
travail que celui de la terre.

Ensuite, on peut aussi imaginer la possibilité de faire des paysans de véritables agents
économiques, en leur octroyant des crédits pour leur installation. Celle-ci peut se faire à
titre individuel ou en coopérative.

En définitive, les mesures d’ordre juridique, social et économique que nous


préconisons, ne pourront réussir que si l’Etat en fait une préoccupation. En effet, son rôle
est d’une grande importance pour que la situation de la femme puisse connaître une
certaine amélioration, surtout dans le milieu rural. Il lui appartient de prendre des lois
pour mettre fin à la discrimination dont la femme est l’objet. C’est à lui également de
créer ou d’améliorer les infrastructures sociales de base et d’instaurer un climat favorable
aux investissements dans le milieu rural. C’est à l’Etat aussi de prendre des initiatives
pour que les paysans se transforment réellement en agents économiques.

Mais la population elle-même peut jouer un rôle dans l’amélioration de sa


situation. En effet, elle peut faire pression sur les autorités étatiques pour que ses
préoccupations deviennent une priorité de l’action gouvernementale. Pour ce faire, elle
devrait utiliser tous les moyens légaux que la Constitution ainsi les lois du pays lui
reconnaît. En effet, le titre II de la Constitution en vigueur en République Démocratique
du Congo est consacré aux droits humains, libertés fondamentales et devoirs du citoyen et
de l’Etat. Il prévoit des droits civils et politiques, des droits économiques, sociaux et
culturels ainsi que des droits collectifs. Parmi ces droits, on peut citer le droit à la liberté
et à l’égalité en dignité et en droit, le droit à la non discrimination, le droit à la propriété
privée, le droit à la liberté d’association, le droit à l’éducation, le droit à la santé et à la
sécurité alimentaire, le droit au logement décent, le droit d’accès à l’eau et à l’énergie
électrique et le droit à un environnement sain et propice à l’épanouissement intégral d’un
individu.
300

Tous ces droits sont garantis aux Congolais sans distinction de sexe et de
condition sociale. L’accomplissement de ces droits constitue des devoirs pour l’Etat.
C’est dans ce sens que la Constitution dispose en son article 60 que :

« Le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacrés dans


la Constitution s’impose aux pouvoirs publics et à toute personne. »

Il appartient donc à la population de tout mettre en œuvre pour que ces droits
deviennent une réalité. Si ces droits sont réellement mis en œuvre, la situation des
Congolais en général changera et de celle de la femme en particulier.

L’histoire démontre que les droits humains sont souvent arrachés par la lutte. Si
les dirigeants politiques ne sont pas pressés, ils ne prendront jamais des mesures urgentes
pour que la situation de la population en général change et de la population rurale en
particulier.

Nous reconnaissons toutefois que le changement souhaité ne relève pas seulement


de la science juridique. La contribution d’autres spécialistes est indispensable pour
approfondir certaines questions importantes. Nous pensons à l’apport notamment des
économistes, des sociologues, des psychologues, des agronomes et autres. En effet, la
République Démocratique du Congo étant dotée d’une diversité des sols, des climats, des
potentiels énergétiques et autres richesses naturelles, il est nécessaire que ces spécialistes
se penchent sur la faisabilité des investissements proposés en tenant compte de la
spécificité de chaque milieu.
301

BIBLIOGRAPHIE

A. LEGISLATION

1. Constitution du 18 février 2006 (J.O.R.D.C, numéro spécial du 18 février


2006)
2. Les Instruments Juridiques Internationaux

- Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (J.O.Z., numéro spécial,
juin 1987)
- Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard
de la femme (J.O.R.D.C., numéro spécial, avril 1999)
- Déclaration universelle des droits de l’homme (J.O.Z., numéro spécial, avril
1999)
- Pacte international aux droits économiques, sociaux et culturels (J.O.R.D.C.,
numéro spécial, avril 1999)
- Pacte international relatif aux droits civils et politiques (J.O.R.D.C., numéro
spécial, avril 1999)
- Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif
aux droits des femmes (non ratifié)

3. Textes légaux et réglementaires

- Circulaire du 10 avril 1923 relative à la liquidation des successions indigènes


(R.M.C, p 34)
- Décret du 03 juin 1906 sur les terres indigènes (B.O., p. 226)
- Décret du 10 février 1953 sur les cessions et concessions en vue de favoriser
la colonisation (B.O., p 433)
- Décret du 10 février 1953 sur l’accession des Congolais à la propriété
immobilière individuelle (B.O., p. 430)
- Décret du 14 septembre 1886 sur l’enregistrement des terres (B.O., p.138)

- Décret du 23 février 1953 sur les cessions et concessions de terres dans les
centres extra-coutumiers et les cités indigènes (B.O., p. 450)
302

- Décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal (B.O., p193)


- Décret du 30 juillet 1888 portant des contrats ou des obligations
conventionnelles (B.O., p. 109)
- Décret du 31 mai 1934 sur les enquêtes relatives à la vacance de terres( B.O.,
1934, p. 676)
- Décret du 4 mai 1895 portant Code civil- des personnes (B.O., p. 138)
- Décret du 6 février 1920 portant transmission de la propriété immobilière
(B.O., p. 265)
- Loi n° 007/2002 du 11 juillet 2002 portant code minier (J.O.R.D.C, numéro
spécial, juillet 2002)
- Loi n° 73/ 021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime
foncier et immobilier et régime des sûretés (J.O.Z, numéro spécial, octobre
1992)
- Loi n°011/2002 du 29 août 2002 portant code forestier (J.O.R.D.C. numéro
spécial, août 2002)
- Loi n°11/022 du 24 décembre 2011 portant principes fondamentaux relatifs à
l’agriculture (J.O.R.D.C, numéro spécial, décembre 2011)
- Loi n°87/010 du 1er août 1987 portant Code de la famille (J.O, numéro
spécial, août 1987)
- Loi organique n° 08/016 du 7 octobre 2008 portant composition, organisation
et fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec
l’Etat et les provinces (J.O.R.D.C. numéro spécial, septembre 2009)
- Loi sur le gouvernement du Congo belge du 18 octobre 1908 (B.O., p.65)
- Loi organique n° 13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation,
fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire
(J.O.R.D.C. numéro spécial, mai 2013)
- Ordonnance du 1er juillet 1885 sur l’occupation des terres ( B.O., 1885, p. 30)
- Ordonnance-Loi n°82-020 du 31 mars 1982 portant Code de l’organisation et
de la compétence judiciaires (J.O.Z., numéro7, avril 1982)
B. DOCTRINE
303

1. OUVRAGES
o ADA Consulting Africa, Etude sur les politiques foncières et l’accès des
femmes à la terre au Togo, Lomé, MDG3 Fund, 2009
o ADEA et FAO, L’éducation pour les populations rurales en Afrique,
septembre 2005
o Ahounou-Houenassou(E), Plaidoyer pour une effectivité des droits de la
femme au Bénin, www.wildaf-ao.org, juillet 2002
o Bachelet(M), Systèmes fonciers et réformes agraires en Afrique noire, Paris,
L.G.D.J, 1968
o Biebuyck(D), Rapport sur les données fonciers du point de vue ethnologique,
3éme partie, inédit, octobre 1977
o Binet(P), La femme dans le ménage, Paris, LGDJ, 1904
o Boelaert(R.P.E), L’Etat Indépendant et les terres indigènes, Bruxelles,
Académie royale des sciences coloniales, 1956
o Boutard(J), Les pouvoirs ménagers de la femme mariée, Paris, Librairie
Arthur Rousseau, 1947
o Bracke(W), Vade mecum, Titres fonciers, province du Katanga, Congo belge,
inédit
o Challaye(F), Histoire de la propriété, col. Que sais-je ?, Paris, P.U.F, 1967
o Commission de Réforme du Droit Zaïrois, Exposés généraux et commentaires
analytiques des articles du Code de la famille, Kinshasa, inédit, 1987
o Corradi(G), Advancing human rights in legally plural Africa: the role of
development actors in the justice sector, Thèse de doctorat, Universiteit Gent,
2012-2013
o De page(H), La capacité civile de la femme mariée et les régimes
matrimoniaux, Bruxelles, Etablissements Emile Bruylant, 1947
o Dekkers(R), Précis de droit civil, Bruxelles, Etablissements Emile Bruylant,
1954
o De Saint Moulin(L), Atlas de l’organisation administrative de la République
Démocratique du Congo, Kinshasa, CEPAS, 2005
o Diebo Mazey(T), Lutte contre la pauvreté et création des richesses en milieu
rural en Afrique subsaharienne : la problématique de l’implication des
304

banques commerciales dans la finance rurale et la micro finance en milieu


rural(cas de la RDCongo), mémoire de DEA, Faculté des sciences
économiques, Université de Kinshasa, 2009-2010
o Dikete Onatshungu, Du rôle de la volonté dans la transmission des droits réels
immobiliers et de la sécurité des transactions immobilières, Tome 2, Thèse de
doctorat, Université Catholique de Louvain, 1975-1976
o Dubru(M), L’égalité civile des époux dans le mariage, Bruxelles,
Etablissements Emile Bruylant, 1959
o Ernst-Henrion(M) et Dalcq(J), La femme, pierre d’angle de la famille de
demain : ses droits actuels et futurs, Bruxelles, La renaissance du livre, 1975
o F.A.O, Rapport sur l’agriculture et le développement rural en RDC, 2005
o Fatiha Daoudi, Droits fonciers des femmes au Maroc : entre complexité du
système foncier et discrimination, Rabat, Les études et essais du centre
Jacques Berque, octobre 2011
o Jeanmart(N), Les effets civils de la vie commune en dehors du mariage,
Bruxelles, Maison Ferdinand Larcier S.A, 1986
o Kalambay Lumpungu(G), Droit civil : Régime général des biens, vol I,
Kinshasa, P.U.Z, 1989
o Kalambay Lumpungu(G), Droit civil : Régime foncier et immobilier, vol II,
2éd, Kinshasa, P.U.C, 1999
o Kalambay Lumpungu(G), Le droit foncier zaïrois et son unification, Thèse de
doctorat, Université Catholique de Louvain, 1973
o Kangulumba Mbambi(V), Précis de droit civil des biens, Tome1, Louvain- la-
Neuve, Bibliothèque de droit africain, 2007
o Kimpianga Mahaniah, La problématique du développement, Luozi, Presses de
l’Université de Luozi, 2007
o Kone Mariatou et Ibo Guehi, Les politiques foncières et l’accès des femmes à
la terre en Cote d’Ivoire : cas d’Affalikiro et Djangabo dans la région
d’Abengourou et de Kalakala et Togognière dans la région de
Ferkessedougou, www.docstoc.com, avril 2009
o Kuyu Mwissa(C), Parenté et famille dans les cultures africaines, Paris,
Karthala, 2005
305

o Lapika Dimonfu, Les enjeux fonciers et les conflits en République


Démocratique du Congo, in La loi du 20 juillet 1973 portant régime général
des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés au Congo Trente
ans après : Quel bilan ? Essai d’évaluation, Louvain- la- Neuve, Bruylant-
Academia, 2004
o Lukombe Nghenda, Droit civil : les biens, Kinshasa, Publications des Facultés
de Droit des Universités du Congo, 2003
o Malengreau(G), Les droits fonciers coutumiers chez les indigènes du Congo
belge, Bruxelles, IRCB, 1947
o Michel(A), Le féminisme, Col. Que sais-je ?, Paris, PUF, 2001
o Ministère de l’agriculture et Ministère du développement rural, Stratégie
sectorielle de l’agriculture et du développement rural, mars 2010
o Ministère de l’agriculture, pêche et élevage, Note de politique agricole, avril
2009
o Ministère du plan, Document de stratégie de la réduction de la pauvreté, 2004
o Mukadi Bonyi et al, Procédure civile, Kinshasa, Batena Ntambua, 1999
o Mulendevu Mukokobya(R), Pluralisme juridique et règlement des conflits
fonciers coutumiers en territoires de Beni et Lubero, Nord-Kivu, République
Démocratique du Congo, Thèse de doctorat, Universiteit Gent, 2011
o Mulumba Katchy, Introduction à l’étude du droit coutumier congolais,
Kinshasa, CREJA, 2011
o Munzirihiwa(C), Paysan du Kivu et le changement social depuis
l’indépendance, Mémoire de licence, Institut des sciences politiques et
sociales, Université Catholique de Louvain, 1968-1969
o Mupila Ndjike(H.F), Les successions en droit congolais, Kinshasa, Pax-
Congo, 2000
o Musset(J), Le régime des biens entre époux en droit normand, Caen, Presses
Universitaires de Caen, 1997
o Mwanzo Idin’Aminye(E), L’égalité des époux en droit congolais de la famille,
Thèse de doctorat, Université Catholique de Louvain, 2008-2009
o Norwegian Refugee Council, La problématique foncière au Nord-Kivu et le
retour des déplacés et des réfugiés, inédit, Goma, 2007
306

o Nyamugabo Mpova, Réflexion critique sur la gestion de la loi foncière, in La


loi du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et
immobilier et régime des sûretés au Congo. Trente ans après : Quel bilan ?
Essai d’évaluation, Louvain- la –Neuve, Bruylant-Académia, 2004
o Papachristos(A.C), La réception des droits privés étrangers comme
phénomène de sociologie juridique, Paris, LGDJ, 1975
o Piron(P) et Devos(J), Codes et Lois du Congo belge, matières civiles,
commerciales, pénales, Bruxelles, Larcier, 1960
o Rarijaona(R), Le concept de propriété en droit foncier de Madagascar, Paris,
Cujas, 1967
o RCN Justice et Démocratie, Etude sur les pratiques foncières au Burundi :
Essai d’harmonisation, Bujumbura, www.rcn-ong.be, mars 2004
o RCN Justice et Démocratie, La justice de proximité au Bas-Congo(ville de
Matadi et district de Cataractes), Kinshasa, www.rcn-ong.be, août 2009
o RCN Justice et Démocratie, Les conflits fonciers en Ituri : de l’imposition à la
consolidation de la paix, Kinshasa, www.rcn-ong.be, septembre 2009
o Richard(M), Histoire, tradition et promotion de la femme chez les Batanga,
Bandundu, Publications du centre d’études ethnologiques,1970
o Roussel(L), La famille de fait : point de vue d’un sociologue, in La famille de
fait, Kortrijk-Bruxelles-Namur, UGA, 1982
o Sakata M. Tawab, Code forestier et ses mesures d’application, Louvain- la-
Neuve, Academia- Bruylant, 2010
o Sohier(A), Traité élémentaire de droit coutumier du Congo belge, Bruxelles,
Larcier, 1954
o Sohier(J), Répertoire général de la jurisprudence et de la doctrine coutumières
du Congo et du Ruanda-Urundi jusqu’au 31 décembre 1953, Bruxelles,
Maison Ferdinand Larcier, S.A, 1957
o Stenmans(A), De la transmission de la propriété immobilière, in Droit civil du
Congo belge, TIII, Bruxelles, Ferdinand Larcier, 1957
o Tshibangu Tshiasu Kalala(F), Droit civil : régimes matrimoniaux, succession,
libéralités, Kinshasa, Cadicec, 2003
307

o Union africaine, Banque africaine de développement et Commission


économique pour l’Afrique, Cadre et lignes directrices sur les politiques
foncières en Afrique, Addis-Abeba, 2010
o ONU-HABITAT, Droits des femmes au sol, à la propriété et au logement :
Guide global pour les politiques publiques, mars 2007
o Vunduawe te Pemako(F), Traité de droit administratif, Bruxelles, Larcier,
2007

2. ARTICLES

- Agondjo-Akawe(P-L), Les droits fonciers coutumiers au Gabon(société


Nkomi, groupe Myene), in Revue juridique et politique indépendance et
coopération, 1970, pp 1135-1152
- Amin(S), Les reformes des régimes fonciers souhaitables en Afrique et en
Asie, in forumtiersmonde.net, novembre 2004, pp 1-11
- Ansoms(A) et Holvoet(N), La politique de réforme agraire rwandaise et la
nouvelle loi foncière vue sous l’angle du genre, in L’Afrique des grands Lacs,
Annuaire 2007, pp 75- 95
- Batshibakama(R), Qui est le chef des enfants dans le Bas-Congo ? Le seul
problème, le seul effort, in La Voix du Congolais, n°58, 1951, pp 26-28
- Boelaert(E), Faut-il créer des réserves pour les indigènes, in Zaïre, volXI-2,
1955, pp 133-142
- Boelaert(E), La propriété foncière dans l’idée des Nkundo, in ARSC, n°2,
1955, pp 162-168
- Boelaert(E), Législation foncière de l’Etat Indépendant du Congo et Droit
naturel, in Aequatoria, n°2, 1954, pp 41-50
- Bukera(J), La dévolution successorale en droit Burundais, in Revue juridique
et politique, indépendance et coopération, n°4, 1972, pp 610-621
- De Beaucorps(S.J), La propriété chez les Basongo de la Luniungu et de la
Gobari, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais,
n°1, 1943, pp 1-10
308

- De Beaucorps(S.J), Le mariage chez les Basongo de la Luniungu et Gobari, in


Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit coutumier, n°6, 1943, pp 109-
126
- De Beaucorps(S.J), Les Bayansi du Bas-Kwilu, in Bulletin des Juridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n°6, 1933, pp 107-110
- De Konink, Le droit coutumier des Bahutu, in Bulletin des Juridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n°9, 1936, pp 209-220
- Decapmaker, Le matriarcat en face de l’évolution, inAequatoria, n°3, 1959,
pp 98 - 100
- Deloof(R.J), Notes sur le régime foncier des Bena Mulimi, in Bulletin des
Juridictions Indigènes et droit coutumier congolais, n°10, 1954, pp 247-252
- Deremiens(L), Quelques considérations sur la coutume des Bena Ebombo, in
Bulletin des juridictions indigènes et du droit coutumier congolais, n° 3, 1953,
pp 60-66
- Dimbany(TH), Sous le joug du matriarcat, que sera l’avenir de nos enfants ?,
in La Voix du Congolais, n°85, 1953, pp 220-221
- Elosegui(M), Les droits de la femme kenyane : conflit entre le droit statutaire
et le droit coutumier in Revue de droit africain, doctrine et jurisprudence,
n°11, juillet 1999, pp 315-346
- Gannage(P), Les droits fonciers coutumiers : rapport général, in Revue
juridique et politique, indépendance et coopération,1970, pp 1102-1104
- Gianola-Gragg(E), Réflexions sur le droit foncier nzakara(la Centrafrique et le
Zaïre), in Droit et Cultures, n°28, 1994, pp 143-157
- Granger(R), La tradition en tant que limite aux réformes de droit, in Revue
internationale de droit comparé, n°1, 1979, pp 76-101
- Grevisse(F), Les Bayeke, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit
coutumier, n°5, 1937, pp 133-140
- Grignard(I.L.J), Enquête sur le droit coutumier des groupements Kilomba,
Kyaka, Mulinda et Kuba Bukongolo du secteur du Moero, territoire de
Kasenga, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit coutumier
congolais, n°12, 1954, pp 285- 295
309

- Heyse(Th), La propriété immobilière, in Les Novelles, Droit colonial, T1,


1932
- Hulstaert(G), Le divorce chez les Nkundo, in Bulletin des Juridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n°5, 1937, pp141-157
- Hulstaert(G), Propriété foncière et paysannat indigène, in Aequatoria, n°3,
1953, pp 50-66
- Hulstaert(G), Sur le droit foncier Nkundo, in Aequatoria, n°2, 1954, pp 58-65
- Joset(P.E), Notes ethnographiques sur la sous-tribu des Walese abfunkotou, in
Bulletin des juridictions indigènes et du droit coutumier congolais, n°2, 1949,
pp 95-97
- Kafui Adjamagbo(J), La propriété à l’épreuve de la législation foncière et
agraire, in Recueil Pénant, 4ème trimestre, 1992, pp 215-233
- Kahindo Fatuma Yuma, L’incapacité juridique de la femme mariée en droit
congolais, in Paroles de justice, 2005, pp115-123
- Kalambay Lumpungu(G), Les droits fonciers coutumiers à travers la
législation de la République Démocratique du Congo, in Revue juridique et
politique, indépendance et coopération, 1970, pp 1175-1180
- Kalambay Ndaya, De l’harmonisation des articles 233 de la loi foncière et 807
du Code de la famille, in Annales de la faculté de Droit, VOLXI-XXVII,
Presses de l’Université de Kinshasa, 2004, pp 76- 83
- Kanza(D), Le régime familial chez les Bakongo, in La Voix du Congolais,
n°24, 1948, pp 107- 109
- Kava-Vubu(J), A propos de la suppression du matriarcat, in La Voix du
Congolais, n°64, 1951, pp 374- 375
- Kienge-Kienge Intudi(R), Le protocole à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique : quelques
considérations juridiques pour un débat de société, in Annales de la faculté,
Kinshasa, P.U.K, 2007, pp 39-54
- Kilolo, Le droit coutumier des successions de la ville de Kinshasa, in Revue
zaïroise de droit, n°1, 1972, pp 25-39
- Kobo(P.C), Spécificités des régimes fonciers africains, in Recueil Pénant, 4ème
trimestre, 1990,pp 205-236
310

- Kremer(E), Le droit foncier coutumier du Congo belge, in Bulletin des


Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°9,1956, pp 233-258
- Lafontaine, L’évolution juridique de la société congolaise, in Bulletin des
Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°1, 1956, pp 157-
169
- Lamy(E) et Lokwa Ilwaloma, La dévolution successorale en République du
Zaïre, in Revue juridique et politique indépendance et coopération, n°4, 1972,
pp 526-561
- Lavigne Delville(P), Comment articuler législation nationale et droits locaux :
expériences en Afrique de l’Ouest francophone, in Politique des structures et
action foncière au service du développement agricole et rural, 1998, pp1-22
- Lebrun(A.G), De la tenure de la terre chez les populations indigènes du
territoire de Kabalo, in Bulletin des juridictions indigènes et du droit
coutumier congolais, n°8, 1956, pp 181- 230
- Liegeois(A.J.B), La coutume Zande, territoire de Dungu, in Bulletin des
Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°3, 1953, pp 49-60
- Lihau Ebua et Nimy Mayidika Ngimbi, Droit successoral des sociétés
traditionnelles au Zaïre(chez les Mbuza de l’Equateur et les Yombe du Bas-
Zaïre), in Revue juridique et politique, indépendance et coopération, n°4,
1972, pp 592-601
- Liz Alden Wily, La tenure foncière dans un monde moderne, in
Rights+Ressources, 2012, pp 1-16
- Louwers(O), Le problème des terres indigènes, in Journal des territoires
d’Outre-mer, n°47, 1954, pp 65-68
- Lumpungu Kamanda, Le régime foncier au Zaïre et son incidence sur le
développement agricole, in Cahiers Economiques et Sociaux, vol XI, n°s 3 et
4, 1973, pp 45-71
- Mabushi(Ch), La succession testamentaire en droit coutumier burundais, in
Revue juridique et politique, indépendance et coopération, n°4, 1972, pp 624-
635
- Manzila Lutumbu Sal’asal, Les successions en droit civil zaïrois, in Revue
juridique et politique, indépendance et coopération, n°4, 1972, pp 508-515
311

- Marshal(R), Le droit foncier des Bazela, des Bolomotwa et des Banwenshi in


Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°1, 1937,
pp 17-21
- Mayer(Ch), Enquête sur le droit coutumier des Bena Tshitolo, in Bulletin des
Juridictions Indigènes et droit coutumier congolais, n°2, 1953, pp 25-38
- Mayinguidi(E), Des successions en droit coutumier du Congo, in Revue
juridique et politique, indépendance et coopération, n°4, 1972, pp 662-673
- Michaux, Etudes des juridictions de Kiniama-Kaimbi-Mwenda-Kimese-
Kalonda, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit coutumier
congolais, n° 10, 1952, pp 273-287
- Mignolet(J), Notes relatives à la tenure de la terre dans le groupe Munene de
la chefferie des Bakongolo, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit
coutumier congolais, n°8, 1954, pp 189-199
- Mohamed Yahva Ould Abdel Wedoud, Réflexion sur la propriété foncière en
Mauritanie à la lumière de la nouvelle législation foncière et domaniale, in
Pénant, octobre- novembre 2005, pp 420-437
- Mugangu Matabaro(S), La crise foncière à l’Est de la RDC, in L’Afrique des
grands lacs, annuaire 2007-2008, pp 406-426
- Mushizi(C), Le droit de la femme mariée au travail et l’autorité maritale en
cause : défis familiaux, in http://charlesmushizi.blogspot.com, décembre 2012
- Nankara Waka(P), Féminisation de la pauvreté au Congo-Kinshasa, Revue de
droit africain, n°5, 1998, pp 18-33
- Ngongang-Ouandji(A), La dévolution successorale au Cameroun, in Revue
juridique et politique, indépendance et coopération, n° 4, 1972, pp 645-657
- Nguema(I), La terre dans le droit traditionnel Ntumu(Gabon), in Revue
juridique et politique, indépendance et coopération, 1970, pp1119-1134
- Nimi(P), Le matriarcat doit payer les conséquences de son action injuste et
malhonnête, in La Voix du Congolais, n°56, 1950, pp 634-637
- Nimi(P), Le régime du matriarcat et ses funestes conséquences, in La voix du
Congolais, n°35, 1949, pp 58-66
- Njara(E), Le droit successoral malgache, in Droit et Cultures, n°33, 1977, pp
161-180
312

- Ntambwe Makadi, Analyse critique de la jurisprudence des tribunaux


coutumiers relative au droit des successions en République Démocratique du
Congo, in Revue juridique du zaïre, n°3, 1974, pp 153-197
- Ntampaka(C), L’évolution des droits de la femme au Rwanda, in Penant, n°
796, janvier à mai 1988, pp 43-74
- Omari(A.J), Le droit foncier congolais, in La voix du Congolais, n°48,
1950,pp 138-139
- Phanzu Levo, L’équilibre des institutions coutumières et les successions au
Zaïre, in Revue juridique et politique, indépendance et coopération, n° 4,
1972, pp 603-617
- Philippe(R), Notes sur le régime foncier au Lac Leopold II, in Aequatoria,
n°2, 1954, pp 51-57
- Puati(G.A), La vocation héréditaire du conjoint survivant en droit congolais
de la famille, in Penant, n° 854, janvier-mars 2006, pp 29- 42
- Sohier(A), Le droit coutumier du Congo belge, in Bulletin des Juridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n° 12, 1946, pp 375- 392
- Sohier(A), Les problèmes des terres indigènes, in Journal des Tribunaux
d’Outre-mer, n° 63, 1955,pp 125-128
- Sohier(A), Les terres indigènes : le décret du 3juin 1906, in Journal des
Tribunaux d’Outre-mer, n°52, 1954, pp 145-146
- Sohier(A), Les terres indigènes : les décrets de 1885-1886, in Journal des
Tribunaux d’Outre-mer, n°51, 1954,pp126-127
- Sohier(A), Les terres indigènes, in Journal des Tribunaux d’Outre-mer, n° 50,
1954, pp 115-116
- Sohier(A), Les terres indigènes, in Journal des Tribunaux d’Outre-mer, n° 53,
1954, pp 157-158
- Sohier(J), Considérations sur les testaments en droit coutumier congolais, in
Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°7, 1952,
pp 206-216
- Sohier(J), Institutes coutumières Katangaises, in Problèmes sociaux
Congolais, n° 63, 1963, pp 3-79
313

- Ulwortho Genombe, La question des terres, vecteur de la guerre en Ituri, in


Paroles de justice, 2005, pp 162-182
- Utshudi Ona(I), La décentralisation en RDC : opportunité pour une gestion
foncière décentralisée, in L’Afrique des grands lacs. Annuaire 2008-2009, pp
309-317
- Van Boeckhout(J), Le droit foncier chez le groupement Bena Kankonde du
secteur Bena Ngoshi province Kasaï, in Bulletin des Juridictions Indigènes et
du droit coutumier congolais,n°2, 1957, pp 33-38
- Van Hamme(P.E), Enquête sur le droit coutumier des Bakwa-Lubo, in
Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n° 12,
1952, pp 337-351
- Vannes(J), Le droit foncier coutumier en territoire de Kabongo, in Bulletin des
Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°7, 1954, pp 161-
179
- Vansina(J), Le régime foncier dans la société Kuba, in Zaïre, novembre 1956,
pp 899-926
- Wangana(P), Le régime familial des Bakongo, in La Voix du Congolais, n°
39, 1949, pp 227-232
314

ANNEXE
315

QUESTIONNAIRE DE L’ENQUETE SUR L’ACCES


DE LA FEMME AUX DROITS FONCIERS

01. N° ECHANTILLON :……………………………………………….


02. PROVINCE :.…………………………………………………………………………
03. DISTRICT/ VILLE/ CITE :……...……………………………………………………
04. TERRITOIRE / COMMUNE :……………………………………………………….
05. SECTEUR / CHEFFERIE : …………………………………………………………
06. VILLAGE :……………………………07. QUARTIER :……………………………
08. AVENUE/RUE :………………………………………..N°……………………….…

09. RESULTAT DE L’INTERVIEW


Complètement rempli……….……………………………………...1
Partiellement rempli………...……………………………………..2

INTERVENANT

TITRE NOM CODE

10. ENQUETEUR :……………………………


11. SUPERVISEUR :……………………………
12. AGENT DE SAISIE :……………………………
316

SECTION 1. CARACTERISTIQUES SOCIODEMOGRAPHIQUES

13 Nom de l’enquêté
.
14 Sexe de l’enquêté Masculin……………....= 1
Féminin……………….= 2

1.15 - 30 ans 3. 46 – 60 ans


15 Quel âge avez- vous ? 2. 31 – 45 ans 4. 61 et plus

16 Quel est votre lien de parenté Chef de ménage……..=1


avec le chef de ménage. Epouse / Epoux ……...=2
Fils / Fille……………...=3
Frère / sœur ………….=4
Oncle / tante…………..=5
neveu / Nièce…………=6
sans lien de parenté ...= 7
Autre lien parental …...=8
(à préciser)

17 Quel est votre statut matrimonial ? Union de fait …………= 1


Célibataire…………….= 2
Marié(e)……………….= 3
Divorcé(e) séparé(e)...= 4
Veuve / inactive………= 5

18 Quelle est votre tribu ?

19 Quel est votre lieu de naissance ? Ville ……………………= 1


Village………………….= 2

20 Quel est votre niveau d’études ? Alphabétisé…………...= 1


317

Primaire……………….= 2
C.O…………………….= 3
Secondaire…………...= 4
professionnel………….= 5
Sup. / Univ…………….= 6

21 Quelle est votre catégorie socio


professionnelle

SECTION 2. ACCES AUX DROITS FONCIERS

22 A quel régime de Matrilinéaire ……………….= 1


parenté appartenez - Patrilinéaire………………..=.2
vous ?

23 Occupez- vous un lopin Oui =1


de terre ? Non =2 Si
nonQ.
4

24 Pour quel usage ?


25 Comment l’avez-vous
eu ?

26 Selon votre coutume à Au clan………………………= 1


qui appartient la terre A la famille …………………= 2
Aux individus ………………= 3
A l’Etat ………………………=4

27 D’après votre coutume, A l’homme les plus âgé de la famille..= 1


à qui revient la gestion A l’homme, peu n’importe son age….= 2
des terres ? A la femme la plus âgée de la famille. =3
Toujours au chef de tribu…………… = 4
Autre……………………………….= 9
(à préciser)

28 Selon votre coutume de ………………………………………………………………………


quelle manière accède ……………………………………………………………………….
t-on à la propriété ………………………………………………………………………
foncière individuelle ? …………………………………………………
318

29 Selon votre tribu ou


famille, la femme peut - Oui =1
elle accéder à la Non =2
propriété foncière
individuelle ?

Si Oui, comment ?
30 ……………………………………………………………………………………………………..
…………………………………………………………………………………………………….
Si Non, pourquoi ?
…………………………………………………………………………………………………….
…………………………………………………………………………………………………….

Selon votre coutume,


31 existe-t-il d’autres droits Oui =1
fonciers auxquels la Non =2
femme peut accéder ?
Si Oui, lesquels ?
…………………………………………………………………………………………………….
……………………………………………………………………………………………………..
…………………………………………………….

32 Selon votre coutume, la Oui =1


femme Non =2
mariée,étrangère au
groupe social peut elle
bénéficier des droits
fonciers du vivant de
son mari sur les terres
appartenant au clan ou
à la famille de celui-ci ?
Si Oui, quels en sont les droits dont elle jouit ?
……………………………………………………………………………………………………..
…………………………………………………………………………………………………….
……………………………………………….
Si Non, quelles sont les raisons ?
……………………………………………………………………………………………………..
…………………………………………………………………………………………………….
…………………………………………………………………………………………
Selon votre coutume, la
33 femme peut-elle hériter Oui =1
de la terre appartenant Non =2
à son mari à la mort de
celui-ci ?
319

Si Non, quelles en sont les raisons ?


……………………………………………………………………………………………………..
…………………………………………………………………………………………………….

34 Selon votre coutume,


s’agissant de l’héritage, Oui =1
au sein de votre famille Non =2
ou clan, la femme (la
fille) peut elle hériter de
la terre au même titre
que l’homme (le
garçon) ?

Si Non, quelles en sont les raisons ?


…………………………………………………………………………………………………….
……………………………………………………………………………………………………..
…………………………………………………………………………………………………….

35 En cas de divorce, la Oui = 1


femme peut-elle avoir Non = 2
droit à une partie de la
terre qu’elle cultivait
avec son mari ?

Si Non, quelles en sont les raisons ?


……………………………………………………………………............................................
…………………………………………………………………………………………………….
…………………………………………………………………………………………………….
…………………………………………………………………………………
320

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION GENERALE ..................................................................................... 2


1. Question de recherche ........................................................................................... 2
A. Dans quelle mesure peut-on dire qu’il y a discrimination à l’égard de la
femme ? ............................................................. Fout! Bladwijzer niet gedefinieerd.
B. Comment la résoudre ? ............................... Fout! Bladwijzer niet gedefinieerd.
2. Hypothèses du travail ............................................................................................ 6
3. Méthodologie .......................................................................................................... 7
4. Plan du travail ...................................................................................................... 13
PREMIERE PARTIE : DROITS FONCIERS DE LA FEMME SUR ...................... 15
LES TERRES DES COMMUNAUTES LOCALES ................................................... 15
Chapitre 1 : Nature et Principes de gestion de terres des communautés .................. 15
locales ............................................................................................................................... 15
Section 1 : Notion de terres des communautés locales............................................. 16
Section 2 : Nature du droit de communautés locales ............................................... 20
§ 1. Aliénabilité ou inaliénabilité des droits fonciers coutumiers ....................... 20
§2. Conception indigène de la terre ....................................................................... 23
§ 3. Concept d’occupation effective de la terre .................................................... 24
§ 4. Conception européenne et africaine de droit de propriété.......................... 26
§5. Notre opinion sur la question .......................................................................... 30
Section 3. Principes de gestion des terres des communautés locales ..................... 34
§ 1. Caractère collectif du droit foncier coutumier .............................................. 35
§2. Droits fonciers individuels ............................................................................... 44
A. Droit individuel sur la terre ......................................................................... 45
B. Droits individuels aux produits du sol ........................................................ 51
a. Droit aux fruits .................................................................................................... 52
b. Droit de jachère................................................................................................... 54
c. Droit de chasse et de pêche ................................................................................. 57
d. Extinction du droit individuel............................................................................ 58
§3. Inaliénabilité des droits fonciers coutumiers .................................................. 60
Chapitre 2 : SITUATION DE LA FEMME SUR LES TERRES DES
COMMUNAUTES LOCALES ...................................................................................... 71
Section 1. DROITS FONCIERS DE LA FEMME, MEMBRE DE LA ............... 71
COMMUNAUTE ........................................................................................................ 71
Section 2. DROITS FONCIERS DE LA FEMME MARIEE ................................ 73
§1. Régime matrimonial en droit coutumier ........................................................ 73
§2. Accès de la femme mariée à la terre pendant le mariage .............................. 77
Section 3. DROITS FONCIERS DE LA VEUVE ................................................... 79
§1. DEVOLUTION SUCCESSORALE EN DROIT COUTUMIER ................ 79
A. Succession ab intestat ................................................................................... 80
a. Succession en ligne collatérale ou horizontale ........................................... 81
b. Succession verticale ...................................................................................... 84
321

B. Succession testamentaire .............................................................................. 96


§2. Droits fonciers de la veuve ............................................................................ 100
Section 4. DROITS FONCIERS DE LA FEMME DIVORCEE ......................... 108
Conclusion partielle ...................................................................................................... 110
2ème Partie: DROITS FONCIERS DE LA FEMME SUR LES TERRES RURALES
......................................................................................................................................... 113
ET URBAINES.............................................................................................................. 113
Chapitre premier : Gestion des terres rurales et urbaines ....................................... 113
Section 1 : Terres Rurales ........................................................................................ 113
§1. Régime des terres vacantes sous l’Etat Indépendant du Congo et la
colonisation ............................................................................................................ 114
A. Principe de la domanialité des terres vacantes .............................................. 114
B. Justification du principe de la domanialité des terres vacantes................... 118
C. Application du principe de la domanialité des terres vacantes ................... 119
D. Conséquences de l’application du principe de la domanialité des terres
vacantes .................................................................................................................. 124
E. Décret du 03 juin 1906 sur les terres indigènes et terres vacantes ............. 125
F. Décret du 31 mai 1934 sur les enquêtes relatives à la vacance de terres .... 131
G. Existence de terres vacantes............................................................................ 135
§.2 Congo indépendant et les terres rurales ..................................................... 138
A. Acquisition des terres rurales .................................................................... 139
B. Acquisition des concessions forestières ..................................................... 143
Section 2 Terres urbaines ........................................................................................ 151
§.1 Terres urbaines sous le régime colonial ....................................................... 151
A. Terres urbaines avant le régime des décrets de 1953 .............................. 151
B. Terres urbaines sous l’empire des décrets de 1953 ................................. 154
§2. Terres urbaines sous le Congo indépendant ................................................ 158
Chapitre 2 : Accès de la femme aux terres rurales et urbaines ................................ 161
Section 1 : Accès de la femme célibataire à la terre .............................................. 161
Section 2 : Accès de la femme mariée à la terre ..................................................... 163
§ 1 : Régimes matrimoniaux prévus par le code de la famille .......................... 163
A. Règles communes à tous les régimes matrimoniaux ..................................... 164
B. Règles spécifiques à chaque régime matrimonial .......................................... 166
§ 2. La capacité de la femme mariée ................................................................... 173
Section 3 : Accès de la femme veuve à la terre ....................................................... 183
§ 1 : Droits successoraux de la veuve pendant la période coloniale ......................... 183
A. Circulaire du 10 avril 1923 ........................................................................ 184
B. Décret du 10 février 1953 ........................................................................... 188
C. La jurisprudence coutumière urbaine ...................................................... 193
§2. Droits successoraux de la veuve sous la législation du Congo indépendant
................................................................................................................................. 197
A. Succession testamentaire ............................................................................ 197
B. Succession ab intestat ....................................................................................... 200
a) Partage de grand héritage .......................................................................... 202
b) Jurisprudence.............................................................................................. 205
c) Partage de petit héritage ............................................................................ 210
C. Procédure en cas de mutation pour cause de mort.................................. 213
322

a. Liquidateur légal......................................................................................... 222


b. Liquidateurs testamentaire et judiciaire ........................................................ 227
Section 4. Accès de la femme divorcée aux droits fonciers ................................... 234
Section 5 : Les droits fonciers de la femme dans une union de fait ...................... 241
Troisième partie : HARMONISATION DES DROITS FONCIERS DE LA FEMME
......................................................................................................................................... 248
Chapitre 1 : Incohérence de législation par rapport aux droits fonciers de la femme
......................................................................................................................................... 250
Section 1 : Incohérence entre les lois et la Constitution ........................................ 250
Section 2 : Incohérence entre la législation interne et le droit international ....... 252
§1 Engagements internationaux au plan africain ............................................. 254
A. Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ........................... 254
B. Protocole sur les droits des femmes en Afrique ....................................... 255
§2 Engagements internationaux dans le cadre de l’ONU.................................. 257
A. Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à
l’égard de la femme ............................................................................................... 258
B. Pacte international relatif aux droits civils et politiques......................... 260
C. Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
261
Chapitre 2 : Propositions des solutions pour un nouveau droit foncier de la
femme. ........................................................................................................................ 262
Section 1. Par rapport à la loi foncière de 1973 ................................................. 263
Section 2. Par rapport au code de la famille ....................................................... 265
Section 3. Par rapport au code pénal .................................................................. 268
Section 4. Par rapport au code de l’organisation et de la compétence judiciaires
................................................................................................................................. 269
Chapitre 3 : Mesures d’accompagnement à la réforme proposée ............................ 274
Section 1 : Raison d’être des mesures d’accompagnement ................................... 274
Section 2 : Mesures à caractère social ..................................................................... 278
§1. La formation .................................................................................................... 279
§2.Infrastructures sociales de base ...................................................................... 282
§3. Engagement de la femme................................................................................ 285
Section 3. Mesures à caractère économique .......................................................... 287
§1 Politique d’investissement dans le monde rural ............................................ 288
§2 Paysans : agents économiques......................................................................... 289
CONCLUSION GENERALE ..................................................................................... 293
BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................ 301
ANNEXE ........................................................................................................................ 314
TABLE DES MATIERES ............................................................................................ 320

Vous aimerez peut-être aussi