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FACULTEIT RECHTSGELEERDHEID
Comité d’encadrement
Promoteur: prof. Dr. Mark VAN HOECKE
Membres: prof. Dr. Eva Brems
prof.Dr.Annelies WYLLEMAN
2
INTRODUCTION GENERALE
Dans cette partie introductive, nous allons aborder successivement les questions
relatives à la recherche, à la méthodologie suivie, à l’hypothèse du travail et au plan de la
thèse.
1. Question de recherche
1
Art 388 de la loi foncière
2
Art 387 de la loi foncière
3
Art 389 de la même loi
4
CSJ, RC 1932 du 20 janvier 1988, in RJZ, supplément n°3, 1988, p 7
3
subsiste un droit écrit qui s’applique aux terres urbaines et rurales et un droit coutumier
applicable aux terres appartenant aux communautés locales.
Dans tous les cas, la femme ne dispose pas des mêmes droits fonciers que
l’homme. En effet, la femme membre du groupe dispose d’un droit de jouissance sur la
portion de terre mise en valeur par elle. A ce titre, elle peut cultiver et récolter les
produits de son travail. Mais, d’une façon générale, elle ne peut pas être cheftaine de
terre communautaire, au motif qu’elle est appelée à quitter sa communauté pour rejoindre
un jour celle de son mari. De ce fait, seul l’homme peut être chef de terre
communautaire.
Tout compte fait, le droit foncier coutumier est inégalitaire à l’égard de la femme.
Il privilégie l’homme, en lui accordant plus des droits que la femme.
4
La situation est différente sur les terres urbaines et rurales. Le sol étant la
propriété exclusive, inaliénable et imprescriptible de l’Etat5, celui-ci n’accorde aux
citoyens qu’un droit de jouissance appelé concession. Celle-ci peut être ordinaire ou
perpétuelle. Pour y accéder, en principe, aucune condition liée au sexe n’est posée. C’est
ainsi que la femme peut accéder à ces terres dans les mêmes conditions que l’homme. En
cas de divorce, l’accès de la femme à la terre acquise pendant le mariage dépend du
régime matrimonial choisi par les époux. En dehors du régime de la séparation des biens,
les autres régimes permettent à la femme d’obtenir la moitié du patrimoine foncier acquis
pendant le mariage. En cas de veuvage, la femme est héritière de la deuxième catégorie 6
et bénéficie de l’usufruit du conjoint survivant qui porte notamment sur la maison habitée
par les époux ainsi que la moitié de l’usufruit des terres attenantes que l’occupant de la
maison exploitait personnellement pour son propre compte7. Elle hérite donc de son mari.
La fille hérite également au même titre que le garçon8 et peut même être désignée
liquidatrice de la succession.9
Il ressort de ce qui précède que les droits fonciers garantis à la femme sur les
terres urbaines et rurales sont différents de ceux prévus sur les terres coutumières. En
effet, la situation de la femme sur les terres urbaines et rurales semblent être meilleures
par rapport à celle de son homologue se trouvant sur les terres coutumières. En effet, elle
dispose des droits égalitaires par rapport à l’homme alors que sur les terres coutumières la
situation de la femme est faite d’inégalité par rapport à l’homme. De ce fait, on peut
affirmer que la femme qui se trouve sur les terres coutumières est encore dans une
situation moins favorable par rapport à son homologue qui se trouve sur les terres
urbaines ou rurales.
5
Art 53 de la loi foncière
6
Art 758 b) du code de la famille
7
Art 785 du code de la famille
8
Art 758 a) du code de la famille
9
Art 795 al 1er du code de la famille
5
terres occupées par les communautés locales n’accède pas aux droits fonciers dans les
mêmes conditions que l’homme. Ses conditions d’accès à la terre sont également
différentes par rapport à celles de son homologue se trouvant sur les terres urbaines et
rurales.
Une autre situation d’inégalité concerne particulièrement la femme mariée. La loi
n°87/010 du 1er août 1987 portant code de la famille dispose que celle-ci doit obtenir
l’autorisation de son mari pour tous les actes juridiques dans lesquels elle s’oblige à une
prestation qu’elle doit effectuer en personne.10En clair, cette disposition rend la femme
mariée incapable du seul fait du mariage. Ainsi, comme l’accès à la terre passe par la
conclusion d’un contrat synallagmatique, la femme mariée doit préalablement obtenir
l’autorisation de son mari. Il y a là également un cas d’inégalité à l’égard de la femme.
En effet, cette disposition met la femme mariée dans une situation d’infériorité, mieux
d’inégalité, par rapport à l’homme et par rapport à la femme célibataire. Cette situation
concerne la femme mariée vivant tant sur les terres urbaines, rurales que celles
appartenant aux communautés locales.
effet, aux termes de l’article 215 de la Constitution, les traités et accords internationaux
régulièrement conclus ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celles des lois,
sous réserve pour chaque traité ou accord, de son application par l’autre partie. Il
convient de noter que tant dans le cadre de l’Union Africaine que dans celui de
l’Organisation des Nations Unies, la République Démocratique du Congo a conclu des
conventions internationales qui prohibent les inégalités à l’égard de toute personne en
général et de la femme en particulier. Il en est ainsi notamment de la Charte africaine des
droits de l’homme et des peuples et de la convention sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination à l’égard de la femme. Il y a lieu de constater que les
dispositions légales susvisées ainsi que les coutumes sont en contradiction flagrante avec
les engagements internationaux pris par la République en la matière.
2. Hypothèses du travail
La femme vivant sur les terres appartenant aux communautés locales ainsi que la
femme mariée sont dans une situation de discrimination, quant à leurs droits d’accès à la
terre. Cette constatation nous mène à trois hypothèses de travail :
En effet, en laissant les droits de jouissance sur ces terres être totalement régis
par la coutume, la loi organise ou mieux, permet la discrimination de la
femme.
(c) Dans les deux cas, il existe une incohérence entre la coutume, les textes
légaux et la Constitution ainsi que les engagements internationaux pris par le
pays en matière de discrimination et d’égalité de tous les citoyens en droit et
devant la loi. D’où, la nécessité d’une méthodologie appropriée pour tenter de
résoudre cette situation.
3. Méthodologie
Pour mener à bien cette étude, nous avons opté pour la combinaison de l’analyse
positive du droit ainsi des approches empirique et historique. Aussi, avons-nous par
moment fait recours à la méthode comparative.
L’analyse positive du droit nous a permis d’expliquer le droit tel qu’il est édicté
par le législateur à travers les textes juridiques.
L’approche historique a été utilisée pour retracer l’évolution de la législation en
matière foncière en général et particulièrement en matière d’accès de la femme aux
droits fonciers.
La méthode comparative a été servie par moment pour comparer la situation de la
femme congolaise en matière d’accès à la terre avec celle de la femme dans certains pays
de l’Afrique subsaharienne. Elle a été également utilisée pour vérifier l’homogénéité des
règles coutumières en matière foncière dans quelques pays de l’Afrique noire.
Dans le cas d’espèce, nous avons fait recours aux interviews pour vérifier le
contenu du droit coutumier et à la consultation de la jurisprudence tant coutumière que
moderne pour mesurer le niveau d’applicabilité des règles coutumières et de droit écrit.
Pour ce faire, nous avons organisé les interviews sur deux sites entre 2010 et
2011. Le premier site retenu se trouve dans la province de l’Equateur, plus précisément
dans la localité de Bumba où la tribu majoritaire est le Mbunza ou Mbudja. Le deuxième
site est celui du peuple Dinga dans la collectivité d’Idiofa dans la province de Bandundu.
Le choix de ces deux sites a été dicté par le système de parenté qui régit les deux
peuples. En effet, le peuple Mbunza est régi par le système patrilinéaire et le Dinga est
soumis au régime matrilinéaire. Ces deux systèmes disposent des règles différentes quant
à l’accès de la femme à la terre, même s’il existe des points communs.
réponse à chaque question posée. Pour certaines personnes interviewées, nous étions allés
au-delà du questionnaire, lorsqu’elles nous paraissaient avoir des informations
pertinentes.
Le nombre des personnes interrogées peut paraître insuffisant. Mais cela est dû à
la modicité des moyens financiers dont on disposait. En effet, dans un pays comme la
République Démocratique du Congo, il n’est pas facile de se déplacer, avec ses propres
moyens, d’une province à l’autre. Les moyens de transport sont non seulement difficiles
mais aussi coûteux. Même à l’intérieur d’une province, le déplacement n’est pas aisé à
cause de l’impraticabilité des infrastructures de communication.
Une fois sur le lieu d’investigation, il faut encore faire face à certaines
contraintes. En effet, pour mobiliser les personnes avec lesquelles on organise les
interviews, il faut les motiver. Pour ce faire, il est nécessaire de disposer d’une somme
d’argent pour notamment leur servir la boisson traditionnelle, faute de quoi, ils se
rendront indisponibles. Ainsi, devant ces difficultés, il n’était pas possible d’élargir
l’échantillonnage.
Pour pallier à cette insuffisance, nous nous sommes appuyé sur les résultats des
enquêtes organisées pendant l’époque coloniale sur presque toute l’étendue du territoire
nationale. Ces enquêtes ont porté sur la connaissance du droit coutumier en général dont
l’un des aspects est le droit foncier coutumier. Les résultats de ces enquêtes menées par
les territoriaux ont été publiés dans le Journal des Tribunaux d’Outre-mer, en sigle JTO et
dans le Bulletin des Juridictions Indigènes et de droit coutumier congolais, en sigle BJI.
Pour compléter nos informations sur le droit coutumier, nous avons également fait
recours aux études réalisées par les chercheurs en la matière. Il s’agit essentiellement des
publications qui ont été faites par les magistrats coloniaux, des prêtres, des territoriaux
ainsi que des anthropologues. Il convient de mentionner que l’étude du droit coutumier
n’a plus fait l’objet de publications après l’indépendance. Les études susmentionnées ont
été réalisées surtout pendant l’époque coloniale. Il y a lieu cependant, de mentionner la
récente publication du professeur Mulumba Katchy sur l’introduction générale à l’étude
du droit coutumier congolais, parue en 2011.
10
13
P. Lavigne Delville, Comment articuler législation nationale et droits fonciers locaux : expériences en
Afrique de l’Ouest francophone, in Politique des structures et action foncière au service du développement
agricole et rural, 1998, p2
11
14
Kafui Adjamagbo-Johnson, La propriété à l’épreuve de la législation foncière et agraire, in Pénant, 4ème
trimestre, 1992, p 215
15
A. Ansoms et N. Holvoet, La politique de réforme agraire rwandaise et la nouvelle loi foncière vue sous
l’angle du genre, in L’Afrique des grands lacs, annuaire 2006-2007, p 77.
16
Mulumba Katchy, Introduction à l’étude du droit coutumier congolais, Kinshasa, CREJA, 2011, p 21
17
Union africaine, Banque africaine de développement et Commission économique pour l’Afrique, Cadre
et lignes directrices sur les politiques foncières en Afrique, Addis-Abeba, Ethiopie, 2010, p 9
12
De son côté, l’ONU-HABITAT note que l’octroi effectif aux femmes des droits
au sol, à la propriété et au logement est l’un des défis difficiles auxquels ait à faire face le
monde contemporain.18
Cependant, la consultation de ces jugements n’a pas été aisée. En effet, étant
donné que ces décisions judiciaires ne sont plus publiées depuis de nombreuses années, il
a fallu que nous descendions aux greffes des tribunaux pour recueillir les jugements.
L’état des archives ainsi que les mœurs de ceux qui travaillent en ces lieux n’ont pas été
de nature à nous faciliter la tâche. En effet, les archives sont mal tenues là où elles
existent. Souvent, elles sont inexistantes du fait des actes de vandalisme dont les
tribunaux sont souvent victimes à l’occasion des événements politiques ou autres
manifestations sociales.
En outre, les fonctionnaires commis à ces services ne sont pas motivés du fait
d’une rémunération insatisfaisante. De ce fait, ils arrivent souvent en retard sur leur lieu
18
ONU-HABITAT, Droits des femmes au sol, à la propriété et au logement :Guide global pour les
politiques publiques, mars, 2007, p7
19
Art 110 et 111 de la loi organique n°13/011-B du 11avril 2013 portant organisation, fonctionnement et
compétences des juridictions de l’ordre judiciaire.
13
de travail et ils ne sont pas disposés pour rendre service à ceux qui en ont besoin. Pour
qu’ils acceptent de mettre à la disposition des chercheurs les archives, il faut qu’ils soient
motivés. La motivation consiste à leur remettre une somme d’argent. Dans ces
conditions, il est difficile de rassembler le nombre des jugements souhaités.
Les données empiriques ont été complétées par la consultation des ouvrages
consacrés au droit foncier et au droit de la famille. Il convient toutefois de noter qu’au
Congo, les publications dans ces domaines sont à compter du doigt. Nous pouvons citer
essentiellement les ouvrages publiés par le professeur G. Kalambay Lumpungu sur le
régime général des biens et sur le régime foncier et immobilier ; l’ouvrage du professeur
Lukombe Ghenda sur la même question, celui du professeur V. Kangulumba Mbambi sur
la même matière, sans toutefois oublier la publication du professeur Kifwabala de
l’Université de Lubumbashi en la matière. Cependant, aucune de ces publications n’a été
orientée vers la question de l’accès de la femme à la terre. C’est cela l’originalité de notre
étude qui nécessite l’annonce du plan.
4. Plan du travail
Il convient avant toute chose de noter que les terres occupées par les
communautés locales ainsi que les terres rurales se trouvent dans l’espace rural. Mais les
deux types de terre sont régis par deux droits différents : droit coutumier et droit écrit.
Comme nous l’avons déjà affirmé, le droit coutumier s’applique aux terres des
communautés locales et le droit écrit concerne les terres rurales sur lesquelles les
pouvoirs publics peuvent accorder aux particuliers, personnes physiques ou morales, des
14
concessions foncières. Les droits fonciers de la femme ne sont pas de même étendus sur
ces deux types de terre. Ainsi, étant donné que les droits fonciers de la femme sur les
terres rurales sont identiques avec ceux qu’elle détient sur les terres urbaines, nous avons
estimé utile d’analyser ces deux dernières situations ensemble.
20
T. Diebo Mazey, Lutte contre la pauvreté et création des richesses en milieu rural en Afrique
subsaharienne : la problématique de l’implication des banques commerciales dans la finance rurale et la
microfinance en milieu rural( cas de la RDCongo), Mémoire de DEA, Faculté des sciences économiques,
Université de Kinshasa, 2009-2010, p 15
16
de droits que possèdent ceux qui occupent ces terres et la troisième analysera les
principes de gestion de ces terres.
Les terres des communautés locales sont, selon l’article 388 de la loi n° 73- 021
du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et
régime des sûretés, celles que ces communautés habitent, cultivent ou exploitent d’une
manière quelconque – individuelle ou collective – conformément aux coutumes et usages
locaux.
Tout en définissant la terre appartenant aux communautés locales, la loi précitée
ne donne pas la définition de la communauté locale. Cette définition est donnée par la loi
n°011/ 2002 du 29 août 2002 portant code forestier. En effet, l’article 1er de cette loi au
point 17 définit la communauté locale comme « une population traditionnellement
organisée sur la base de la coutume et unie par des liens de solidarité clanique ou
parentale qui fondent sa cohésion interne. Elle est caractérisée, en outre, par son
attachement à un terroir déterminé.21 » Sur le plan de l’organisation territoriale, la
communauté locale peut être l’équivalent du secteur ou de la chefferie. En effet, la loi
organique n°08/ 016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et
fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l’Etat et les
provinces définit le secteur et la chefferie comme suit :
21
Art 1point17 de la loi n°011/ 2002 du 29 août 2002 portant code forestier
22
Art 66 al 1 de la loi organique n°08/ 016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et
fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l’Etat et les provinces
23
Art 67 al 1 de la loi précitée
17
Il convient de noter que la définition de terres des communautés locales telle que
donnée par la loi foncière de 1973, est la reproduction fidèle de l’article premier alinéa1
du décret du 3 juin 1906 relatif aux terres indigènes. En effet, cet article dispose : «Sont
terres occupées par les indigènes, aux termes des dispositions précitées, les terres que les
indigènes habitent, cultivent ou exploitent d’une manière quelconque conformément aux
coutumes et usages locaux ». Comme on peut le remarquer, le législateur de 1973, n’a
fait que remplacer le mot « indigène » par le groupe des mots « communautés locales ».
Ce remplacement peut se justifier par le fait que le mot indigène a une connotation
coloniale.
Le décret du 3 juin 1906 avait notamment pour but de donner une interprétation
large au droit d’occupation reconnu aux indigènes par le décret du 1er juillet 1885 qui
dispose en son article 1er ce qui suit : « Nul n’a le droit d’occuper des terres vacantes, ni
de déposséder les indigènes des terres qu’ils occupent ; les terres vacantes doivent être
considérées comme appartenant à l’Etat ». Cette disposition a fait l’objet d’une
interprétation abusive de la part de l’administration coloniale, aboutissant au confinement
des autochtones sur des territoires étroits. Cette situation avait provoqué une vive critique
de la politique coloniale vis-à- vis des indigènes. Voilà pourquoi, en date du 23 juillet
1904, le Roi - Souverain avait mis sur pied une commission d’enquête ayant pour but de
recueillir toutes les informations en rapport notamment avec la situation foncière des
indigènes. Voici ce qu’on peut lire dans ce rapport :
« La législation de l’Etat Indépendant n’a point défini ce qu’il faut entendre par’’ terres
occupées par les indigènes’’ et les tribunaux de l’Etat n’ont jamais eu l’occasion de se prononcer
sur cette question. A défaut de définition légale, on semble avoir généralement admis, au Congo,
qu’il faut considérer comme occupées par les indigènes exclusivement les parties du territoire sur
lesquelles ils ont installé leurs villages et établissent leurs cultures.
« On a même admis que sur les terres occupées par eux, les indigènes ne peuvent disposer des
produits du sol que dans la mesure où ils en disposaient avant la constitution de l’Etat…..
« Comme la plus grande partie des terres au Congo n’est pas mise en culture, cette interprétation
accorde à l’Etat un droit de propriété absolu et exclusif sur la presque totalité des terres , avec
cette conséquence qu’il peut disposer, à lui seul, de tous les produits du sol, poursuivre comme
voleur celui qui recueille le moindre fruit ou, comme receleur, celui qui l’achète, défendre à qui
que ce soit de s’installer sur la plupart des points du territoire; elle enserre l’activité des indigènes
18
dans des espaces très restreints; elle immobilise leur état économique. Ainsi appliquée
abusivement, elle s’opposerait à toute évolution de la vie indigène ».24
Mais comme le décret de 1906 n’avait pas défini ce qu’il fallait entendre par
cultiver et exploiter, l’administration coloniale a eu encore la charge de préciser la portée
de ces termes de la manière suivante :
Par « cultivent », il faut considérer comme cultivés par eux et, par conséquent,
reconnaître comme terres indigènes, quelle que soit leur étendue, les terres qui, quoique
laissées temporairement en jachères, sont comprises parmi celles qu’ils mettent
périodiquement en culture.25
Par « exploitent », il s’entend de toute espèce d’utilisation des terres par les indigènes,
quels que soient donc les avantages qu’ils en retirent ou la forme de ces avantages : qu’ils
consistent en cueillette, telle la cueillette des fruits de palme, ou extraction de terre ou de
produits minéraux telles les terres plastiques, les salines, etc…26
E. Boelaert signale qu’ à côté de cette interprétation, d’autres instructions ont été
données par le Gouverneur Général aux agents chargés de délimiter les terres occupées
par les indigènes et de constater la nature des droits d’occupation. Voici les termes de ces
instructions :
« …le Gouvernement n’entend pas révoquer la tolérance dont les indigènes ont profité
jusqu’à présent, mais il importe de définir exactement la nature des droits des indigènes et le
régime des terres qui en sont affectées en déterminant les conditions sous lesquelles ces terres
pourraient passer en cas de vente ou de location en mains de tiers acquéreurs.
L’enquête locale à laquelle vous vous livrerez, conformément à ma dépêche prérappelée,
devra fixer les caractères propres de ces droits originaires indigènes. Ce n’est évidemment pas
une propriété même collective. Ce n’est pas davantage un usufruit ou une servitude. C’est plutôt
un droit réel sui generis grevant la propriété au profit d’un ou plusieurs collectivités. »27
24
Recueil usuel de la législation de l’Etat Indépendant du Congo, T5,p 673.
25
P. Piron et J. Devos, Codes et Lois du Congo belge, matières civiles, commerciales, pénales, Bruxelles,
Larcier, 1960, p 424
26
P. Piron et J. Devos, op.cit, p 673
27
E.Boelaert, Législation foncière de l’Etat Indépendant du Congo et Droit naturel, in Aequatoria n°2,
1954, p 45
19
contestation née à la suite de l’interprétation de cette disposition, sur quelle base les
tribunaux trancheront-ils ? Il déplore que le décret susvisé permette toutes les
interprétations qu’on veut. Et de ce fait, de région à région, on pourrait dire de
fonctionnaire à fonctionnaire, ou de gouvernement à gouvernement, on constate des
interprétations très différentes; les unes sont restrictives de la notion de « terres
indigènes », d’autres libérales. L’avenir des indigènes est devenu de plus en plus
incertain et précaire. Avec l’évolution de la situation économique, avec le développement
de la colonie, les natifs peuvent de nouveau se trouver cantonnés dans les espaces étroits
et être à la merci des occupants des terres entourant leurs villages28.
De tout ce qui précède, il ressort que les textes sur les terres indigènes ont posé
beaucoup des problèmes dans la pratique. La question qui se pose est celle de savoir
pourquoi le législateur de 1973 a reconduit pratiquement le même texte pour régler la
question des terres des communautés locales. Le problème de la délimitation de ces
terres se pose encore jusqu’à présent. A mon avis, il serait peut être à la base du blocage
de l’ordonnance du Président de la République prévue par l’article 389 de la loi foncière
de 1973, qui doit régler les droits de jouissance régulièrement acquis par les
communautés locales individuellement et collectivement.
Il sied de noter que la définition des terres indigènes comme celle des terres des
communautés locales a pour but de délimiter ces terres, afin de permettre à l’Etat de
dégager l’espace foncier nécessaire pour le développement socio-économique du pays.
28
O. Louwers, Le problème des terres indigènes, in Journal des Tribunaux d’Outre-mer, n°47, 1954, p 67
29
E.Boelaert , op. cit, p 46
20
Cependant, la détermination de la nature des droits fonciers des communautés locales est
une nécessité qui s’impose.
Aucun texte de loi ne donne la nature des terres appartenant aux communautés
locales. Les textes tant coloniaux que du Congo indépendant se limitent à définir ces
terres comme celles d’occupation. Devant ce vide, c’est la controverse qui a gagné du
terrain. Mais la discussion tourne autour de la question de savoir si le droit des
communautés locales sur leurs terres est un droit de propriété ou pas. D’une façon
générale, on distingue d’une part ceux qui pensent qu’il ne s’agit pas d’un droit de
propriété et d’autre part ceux qui soutiennent qu’il s’agit d’un droit de propriété. Les
arguments des uns et des autres portent sur des points suivants : le caractère aliénable ou
inaliénable de la terre en droit coutumier, la conception indigène de la terre, le concept
d’occupation de la terre et enfin la conception de la propriété indigène par rapport à la
propriété européenne. Comme ces arguments se recoupent, nous pensons utile de pouvoir
les analyser simultanément afin d’éviter de nous répéter. Ainsi, dans les lignes qui
suivent, nous allons reprendre les arguments des uns et des autres avant de prendre
position.
Ceux qui refusent d’admettre que les droits fonciers coutumiers sont des droits de
propriété, s’appuient sur le fait que la terre en droit coutumier est inaliénable. Ainsi,
disent-il, la faculté d’aliéner est un élément essentiel du droit de propriété. Ils préfèrent
qualifier les droits fonciers coutumiers comme étant des droits d’occupation et d’usage ou
encore des droits sui generis.30
30
E.Kremer , Le droit foncier coutumier du Congo belge, in Bulletin des juridictions Indigènes et du
droit coutumier congolais, n°9, 1956, p243
21
D’ ailleurs, disent-ils, des juristes éminents estiment que le jus abutendi des
Romains, constituant dans leur droit un des attributs du propriétaire, ne signifie point
droit d’aliénation, de disposition juridique, mais bien droit de disposition matérielle, le
droit de transformer la substance d’une chose, allant même jusqu’au droit de la détruire.
Dans ce cas, personne, hormis Dieu ou des êtres supérieurs à l’homme, ne pourrait être
propriétaire d’un fonds puisqu’aucun être humain ne saurait transformer un fonds comme
tel. Disposer matériellement d’une terre, c’est la détourner de sa destination normale pour
lui en donner une particulière. Or, ce droit les indigènes le possèdent assurément ; ils ont
donc le droit d’abusus de leur domaine.31
Quant à A. Sohier, quelle que soit la qualification attribuée à ces droits, dans la
mesure où ils constituent des droits de jouissance absolue, privative, perpétuelle, ils sont
assimilables au droit de propriété.33
31
Ibidem
32
G. Malengreau , Les droits fonciers coutumiers chez les indigènes du Congo belge, Bruxelles, IRCB,
1947,p 71
33
A.Sohier , Les terres indigènes, in Journal des Tribunaux d’Outre-mer, n° 53, 1954, p157
22
ceci n’excluait pas qu’un contrat ne fut conclu à cette occasion, dans le cas d’un traité de
paix terminant une guerre.34
34
A. Sohier , Les problèmes des terres indigènes, in Journal des Tribunaux d’Outre- mer, n°63, 1955, p126
35
J.Vannes, Le droit foncier coutumier en territoire de Kabongo, in Bulletin des Juridictions Indigènes et
du droit coutumier congolais, n°7,1954, p166
36
Lukombe Nghenda, Droit civil: les biens, Kinshasa, Publications des Facultés de Droit des Universités du
Congo, 2003, p385
23
Voilà l’argument des uns et les contre-arguments des autres sur la question de
l’aliénabilité ou l’inaliénabilité des droits fonciers coutumiers. Le second élément de la
discussion concerne la conception que les indigènes se font de la terre.
Plusieurs théories ont été avancées sur la conception que les africains ont de la
terre. Globalement, elles tendent à affirmer que la propriété de la terre appartient aux
ancêtres ou aux êtres supérieurs à l’homme. Seuls ces êtres ont la faculté d’aliéner la terre
mais les vivants disposent des droits absolus et exclusifs d’occupation et d’usage. Ainsi,
les droits des vivants ne sauraient être analysés comme un droit de propriété. 37 Le
professeur Mulumba Katchy va dans le même sens lorsqu’il affirme que la terre
coutumière est la propriété commune du clan, des vivants et des morts ; celle –ci revêt un
caractère magique et sacré.38
Les études menées sur terrain dans le cadre de l’enquête sur le droit foncier
coutumier semblent attester cette thèse. En effet, dans une étude sur le droit foncier dans
le groupement Bena Kankonde, province du Kasaï, voici ce que rapporte J. Van
Boeckhout :
«Les véritables propriétaires de ces terres sont les ancêtres( Bankamba) dont le chef de
groupement est le représentant vivant; il est copropriétaire par sa descendance. Le chef de
groupement n’a pas le droit ni les pouvoirs de disposer de ces terres d’une manière absolue et
exclusive; il est chargé par les ancêtres de conserver ce patrimoine et de les représenter dans les
litiges nés de cette propriété. Il est le mandataire des véritables propriétaires disposant des droits
et des pouvoirs nécessaires pour sauvegarder leurs intérêts et pour garder intact ce legs foncier.
Les terres sont inaliénables, incessibles et hors commerce. La propriété de terres ne peut
faire l’objet d’un contrat quelconque et la convention ayant la cession de la propriété comme
objet n’est pas valable et frappée d’une nullité absolue ; les conditions essentielles (consentement
des ancêtres et capacité du mandataire) pour la validité de cette convention font défaut. Les
ancêtres ne donnent pas leur consentement pour la cession de la propriété de leurs terres
puisqu’aucun pouvoir ne lui a été donné par les mandants ».39
Mayer va dans le même sens, lorsque analysant la conception de la terre chez les
Bena Tshitolo, il note que :
37
E. Kremer , op. cit, p245
38
Mulumba Katchy, op. cit, p 113
39
J. Van Boeckhout , Le droit foncier chez le groupement Bena Kankonde du secteur Bena Ngoshi
province Kasaï, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°2, 1957, p33
24
« La terre ne peut être vendue, car elle renferme les esprits des ancêtres. Elle appartient
non seulement aux vivants mais aussi aux morts de la famille. Pour l’indigène, la propriété du sol
n’est pas seulement une question d’espace ; c’est aussi une question de temps. Car elle remonte
dans le passé et s’étend déjà sur toutes les générations futures.
La propriété est donc collective dans le sens de la famille ; n’importe quel parent peut
exploiter le sol réservé à son clan. Ce clan comprend en outre les parents décédés ».40
Le professeur Kalambay pense que les arguments avancés par les partisans de la
thèse métaphysique sont certes séduisantes, surtout pour les peuples dont on a vanté le
sens religieux profond, mais malheureusement elles ne résistent pas toutes à une analyse
approfondie de la conception philosophique et métaphysique des autochtones, car si les
morts sont nu-propriétaires du domaine foncier ou s’ils sont dans l’impossibilité physique
d’assister à une assemblée des vivants, ils ont, selon la conception bantoue du pouvoir,
leurs représentants accrédités sur la terre, dans la personne du chef ou des chefs de
famille. Ce chef représente parfaitement les morts et les vivants, dès lors il serait capable
de parler au nom de tous et d’aliéner le domaine foncier, tout au moins en partie. Mais en
fait le chef n’agit pas ainsi, sauf dans certaines circonstances où il est forcé de le faire
lorsque, par exemple, il doit mettre certains biens en gage.41
40
Ch. Mayer , Enquête sur le droit coutumier des Bena Tshitolo, in Bulletin des Juridictions Indigènes et
du droit coutumier congolais, n° 2, 1953, p25
41
G.Kalambay Lumpungu, Le droit foncier zaïrois et son unification, Thèse de doctorat, Université
Catholique de Louvain, 1973, p377
25
Pour s’accaparer des terres indigènes en les déclarant vacantes et par conséquent
les domanialiser, l’administration coloniale tirait argument du manque d’occupation
effective et réelle de ces terres par les communautés locales. C’est ainsi qu’elle avait
défini les terres indigènes comme celles qu’ils habitent, cultivent et exploitent d’une
manière quelconque conformément aux coutumes et usages locaux.42
Ceux qui pensent que les indigènes étaient propriétaires de ces terres avancent des
arguments contraires pour démontrer que les terres indigènes, sont effectivement et
réellement occupées par ceux qui en sont propriétaires. Ci- dessous, nous reprenons
quelques arguments avancés.
Selon Kremer, ceux qui refusent la propriété de leurs terres aux collectivités
indigènes, sous prétexte qu’elles ne les occupent pas exhaustivement, confondent le sens
usuel du mot occupation avec son sens juridique44. Il y a occupation acquisitive d’un bien
sans maître, affirme Sohier, dès qu’il existe une prise de possession suffisante pour
pouvoir y exercer les droits dont on s’empare. Ainsi par exemple, j’occupe une maison
lorsque je m’empare de sa clé et m’installe dans son rez- de- chaussée, même si je laisse
vide les pièces des étages. A fortiori, quand dans ces pièces j’exerce des activités.
Chasser en installant un garde-chasse, exploiter les bois, faire la récolte des fruits sont
assurément des modes de prise de possession des forêts qui, faits avec la volonté de se les
approprier, en constituent l’occupation. Lorsqu’un agriculteur pratiquant la culture
42
Voir ce qui a été dit supra p 3
43
G. Malengreau , op cit, pp 77-78
44
E.Kremer , op cit, p 246
26
extensive laisse une partie de ses terres en jachère pendant la période de régénération, il
cesse de les occuper au sens vulgaire, il n’en perd pas la possession au sens juridique.45
45
A. Sohier , Les terres indigènes, in Journal des Tribunaux D’Outre-mer, n°50, 1954, P116
46
E. Boelaert , législation fonciére de l’Etat Indépendant et Droit naturel, in Aequatoria,n°2, 1954, p49
47
E. Boelaert , op cit, p 50
27
Nous allons d’abord donner les arguments de ceux qui pensent que la propriété
foncière coutumière pouvait être analysée en se référant aux caractères de la propriété en
droit occidental, ensuite voir les arguments de ceux qui pensent que la propriété foncière
coutumière obéit à une autre conception de chose.
Les tenants de cette thèse estiment que le droit foncier coutumier est un droit de
propriété parce qu’il renferme tous les caractères attachés à ce droit. En effet, tel que
prévu dans le code civil napoléon, la propriété est un droit exclusif, perpétuel, général et
absolu.
Dans son étude sur le droit coutumier du Congo belge, A. Sohier écrit notamment
que le chef, en prenant possession d’un territoire non occupé, il le faisait avec l’intention
d’acquérir d’abord la souveraineté politique, mais aussi l’usage exclusif de la terre et de
tous ses produits. Désormais personne n’aurait pu y exercer de droits sans son
autorisation. Il n’est pas douteux que les droits ainsi acquis répondent à la définition de la
propriété en droit européen. C’est d’ailleurs renchérit-il, un fait d’expérience que le Noir
a parfaitement la notion de la propriété du sol. Sans doute, la prise de possession ne
s’accompagne pas d’une occupation et d’une exploitation intensives de tout le territoire,
mais explique-t-il, il en est de même en Europe où il y a des forêts, des terres incultes,
sans qu’on songe à contester la nature du droit des propriétaires.48
Dans une étude consacrée à la tenure foncière coutumière dans un monde
moderne, Liz Alden Wily définit la tenure foncière coutumière comme la propriété
foncière issue des systèmes pratiqués par la plupart des communautés africaines en milieu
rural pour faire valoir et organiser la propriété, la jouissance et l’accès, et pour
règlementer l’utilisation et le transfert.49
48
A. Sohier, Le droit coutumier du Congo belge, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit
coutumier congolais, n° 10, 1946, p 308
49
Liz Alden Wily, La tenure foncière coutumière dans un monde moderne in Rights + ressources, Janvier
2012, p1
28
Pour sa part, analysant les spécificités des régimes fonciers africains, Pierre-
Claver Kobo note que les droits fonciers coutumiers sont assimilés purement et
simplement, à des droits de propriété de conception romaine.50
Mais les partisans de la thèse négationniste estiment que ce droit n’est pas
exclusif parce que le titulaire du droit coutumier sur la terre ne se réserve pas toutes les
utilités présentes et futures de leur domaine. En effet, disent-ils, si tout premier venu
s’installe, cultive, chasse, pêche, et cueille des fruits à son gré, comme bon lui semble et
sans permission, les droits cessent d’être exclusifs et l’on ne doit plus parler de la
propriété.51 En outre, pensent-ils, l’esprit africain traditionnel ne connait pas
l’appropriation du sol, le principe est que le droit de propriété appliqué à un objet
quelconque réside dans le travail qui a produit l’objet ou le fait acquérir, la terre ne peut
être considérée comme le produit d’un travail humain, elle n’a pas de valeur
patrimoniale. Elle est comme le ciel et la mer, appartient à des divinités.52 A cette
critique, les auteurs de la thèse affirmative répondent qu’il s’agit là d’une simple
tolérance qui n’est pas gouvernée par une règle de droit. Cette tolérance est justifiée par
la situation de fait extrêmement simple d’une population peu nombreuse déployant une
activité limitée sur des terres fort étendues. Mais les propriétaires fonciers, lorsqu’ils se
sentent forts, s’arrogent toujours le droit d’expulser les intrus même après plusieurs
générations.53
Le caractère perpétuel de ce droit se justifie par le fait qu’il ne s’éteint pas par le
non-usage. En effet, la collectivité ne peut pas perdre une partie de son domaine par le
non-usage.54 Ce droit est également général, dans la mesure où il accorde aux membres
du groupe la faculté de tirer tous les usages du domaine collectif dans les limites prévues
par la coutume.55
50
P.C. Kobo, Spécificités des régimes fonciers africains, in Pénant, 4ème trimestre 1990, p228.
51
Lukombe Nghenda, op. cit, p 375
52
Mohamed Yahya Ould Abdel Wedoud, Réflexion sur la propriété foncière en Mauritanie à la lumière de
la nouvelle legislation foncière et domaniale, in Pénant, octobre-novembre 2005, p475
53
G Malengreau, op. cit, p112
54
G. Kalambay Lumpungu, op. cit, p375
55
Ibidem
29
La propriété prévue par le code civil possède trois attributs qui sont l’usus, le
fructus et l’abusus. Les tenants de la thèse affirmative de la propriété foncière coutumière
pensent qu’elle a aussi les trois attributs.
Si le droit d’usage ainsi que celui de jouissance sur les terres coutumières ne sont
pas discutables, celui de disposer est au cœur de la controverse. C’est même l’argument
principal qui est à la base de la négation de ce droit. A ce sujet, les partisans de la thèse
affirmative avancent plusieurs arguments pour tenter de justifier leur position.
Discutant sur la question de savoir si chez les Kuba il existe la propriété foncière,
Vansina pense qu’on ne peut transposer le concept de propriété romaine en droit
coutumier kuba parce qu’il s’agit là de deux systèmes juridiques différents. Mais on peut
bien concevoir une notion de propriété qui est différente. En droit coutumier kuba,
l’usufruit n’est pas le seul privilège du propriétaire mais que celui-ci peut disposer de ces
terres, puisqu’un village cède des terres à un autre village. En fait, renchérit-il, toutes les
qualités requises par le droit romain sont présentes et le concept est donc d’application, si
l’on considère que dans cette société la terre n’a aucune valeur marchande. Il nous
semble, par ailleurs, qu’une étude plus poussée chez d’autres peuples primitifs
permettrait de découvrir que l’inaliénabilité totale est, en fait, plus rare qu’on ne l’a
pensé.56
De son côté, J.Vannes, dans son étude sur le droit foncier coutumier en territoire
de Kabongo note que :
« L’indigène ne cède pas son domaine; en particulier, il ne le vend pas. Mais ce fait de
ne pas vendre et de ne pas pouvoir le faire, n’implique nullement l’absence du droit de disposition
du domaine par quoi se manifeste, entre autres, le pouvoir de propriétaire. En effet, le droit de
vente n’épuise pas à lui seul le droit de disposition; le droit de disposer d’une chose peut
s’exercer de différentes manières; entre autres la vente d’une chose est une manifestation du droit
de disposition; il en est d’autres : assécher un marais, transformer une forêt en terre de culture,
vider un lac naturel, tout cela, c’est transformer la nature d’une chose ou sa destination et ce sont
là des manifestations évidentes du droit de disposition. »57
56
J. Vansina, Le régime foncier dans la société kuba, in Zaïre, novembre 1956, p 903
57
J.Vannes, le droit foncier coutumier en territoire de Kabongo, in Bulletin des Juridictions Indigènes et
du droit coutumier congolais, n°7, 1954, p172
30
58
G.Kalambay Lumpungu, op.cit, pp 367-368
59
Lukombe Nghenda, op. cit, p 382
60
R. Rarijaona, Le concept de propriété en droit foncier de Madagascar, Paris, Cujas, 1967, p 46
31
Nous constatons d’abord que ce débat est alimenté par le refus de qualifier avec
exactitude la nature des droits des communautés locales par les pouvoirs publics tant de
l’époque coloniale que ceux d’aujourd’hui. Ensuite, la conception occidentale du droit de
propriété est différente de la conception coutumière du même droit, surtout lorsque
l’objet du droit de propriété est la terre. En effet, les principes qui régissent la terre
coutumière en Afrique en général, et en République Démocratique du Congo en
particulier, sont trop éloignés des principes européens en la matière. D’où, il est difficile
pour quelqu’un qui n’a pas pris du temps pour comprendre le mécanisme régissant cette
matière de se faire une idée exacte de la situation. La confusion qui entoure ce débat
trouve sa cause principale en la référence constante au concept du droit romain. Or,
comme le constate Rarijaona, le droit coutumier africain et malgache est un droit qui n’a
pas encore atteint un degré de différenciation permettant de lui trouver une
correspondance dans le droit européen. C’est un droit qui porte plus ou moins
profondément les marques des conceptions religieuses et des structures sociales,
lesquelles en font leur originalité.61
61
R.Rarijaona , op. cit, p25
62
F. Challaye, Histoire de la propriété, col. Que sais-je ?, Paris, P.U.F, 1967, p 94
63
R.P.E. Boelaert, L’Etat Indépendant du Congo et les terres indigènes, Bruxelles, Académie royale des
sciences coloniales, 1956,p 15
32
Mais une autre question est de savoir si ce débat garde encore son actualité. La
pertinence de la question se justifie par le fait qu’aujourd’hui, l’Etat est devenu l’unique
propriétaire foncier. En effet, l’article 53 de la loi n° 73/021 du 20 juillet 1973 portant
régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés dispose que
« Le sol est la propriété exclusive, inaliénable et imprescriptible de l’Etat ». Le même
principe est aussi affirmé par la loi n°011/2002 du 29 août 2002 portant code forestier qui
dispose en son article 7 que les forêts constituent la propriété de l’Etat. Cette mesure
étatique est justifiée par le professeur Kangulumba lorsqu’il écrit qu’au plan de
l’anthropologie juridique, l’option d’appropriation du sol par l’Etat semble rencontrer la
conception et le statut de la terre de la grande majorité de Congolais dans la mesure où le
sol a toujours été considéré comme un bien à usage commun, certes sous la surveillance
d’une autorité clanique ou publique. En effet, poursuit l’auteur, la conception congolaise
de la propriété est « communautaire » alors qu’il n’est pas exclu des droits individuels à
l’intérieur de toute propriété.64
Il ressort de ces dispositions que les terres tant urbaines que rurales appartiennent
à l’Etat. La loi foncière a rendu les terres des communautés locales domaniales65 et a
promis que le droit de jouissance acquis régulièrement par ces communautés devrait être
réglé par une ordonnance du Président de la République66.
«Il est reconnu à chaque communauté locale les droits fonciers coutumiers exercés
collectivement ou individuellement sur ses terres conformément à la loi.
64
V.Kangulumba Mbambi, Précis de droit civil des biens, Tome 1, Louvain- la- Neuve, Bibliothèque de
droit africain, 2007, p328
65
Article 387 de la loi foncière
66
Article 389 de la loi foncière
67
Il convient de noter que dans les circonscriptions urbaines, l’Etat accorde aux particuliers les droits de
jouissance appelés concessions. Ces concessions peuvent être perpétuelles ou ordinaires.
33
L’ensemble des terres reconnues à chaque communauté locale constitue son domaine
foncier de jouissance et comprend des réserves des terres de cultures, de jachère, de pâturage et
de parcours, et les boisements utilisés régulièrement par la communauté locale.68»
Il convient de noter que cette loi qui date de décembre 2011, confirme que le droit
des communautés locales sur leur terre est un droit de jouissance et non un droit de
propriété. Mais elle ne donne pas plus de précision sur la nature de ce droit de jouissance.
Cela nous paraît compréhensible. En effet, cette loi n’a pas pour but de déterminer la
nature des droits fonciers que la population peut détenir et particulièrement les
communautés locales. Cela relève, conformément à la loi foncière, d’une ordonnance du
Président de la République. Mais, étant donné que l’ordonnance promise n’a jamais été
prise, il y a un vide parce que la nature exacte de ce droit de jouissance n’est pas encore
déterminée. Ce vide est également déploré par Nyamugabo Mpova lorsqu’il écrit que
cette ordonnance qui aurait réglé cette importante question n’a jamais été prise. Elle
devrait prévoir la façon dont les terres occupées par les communautés locales
s’acquièrent, se transmettent et aurait pu certainement éviter des conflits qui naissent
suite à la concession de ces terres par l’administration foncière à des personnes étrangères
à ces communautés.69
68
Loi n°11/022 du 24 décembre 2011 portant principes fondamentaux relatifs à l’agriculture.
69
Nyamugabo Mpova, Réflexion critique sur la gestion de la loi foncière, in La loi du 20juillet 1973
portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés au Congo. Trente
ans après : Quel bilan ? Essai d’évaluation, Louvain- la – Neuve, Bruylant-Academia, 2004, p32
70
M. Ulwortho Genombe, La question des terres, vecteur de la guerre en Ituri, in Paroles de justice, 2005,
p175
34
avec la loi foncière passe à travers les chefs coutumiers qui jouent un rôle de premier plan
dans la gestion du patrimoine foncier. Dans beaucoup des contrées, poursuit-il, c’est au
chef coutumier qu’il faut s’adresser; c’est à lui qu’il faut payer la redevance appelée «
kalinzi » au Sud-Kivu chez les Bashi; « makasu » ou « nsaki dia mungwa » chez les
Bakongo. Même dans la Ville de Kinshasa, c’est le chef coutumier humbu ou teke qui
trône et distribue les lopins de terre à ses conditions.71 Telle est la situation actuelle,
nous y reviendrons plus loin. Comment alors ces terres sont-elles gérées ? C’est l’objet de
la troisième section de notre étude.
Nous avons dit que les terres des communautés locales sont régies par la coutume.
La multitude des tribus, et par conséquent des coutumes, existant en République
Démocratique du Congo peut, a priori, rendre aléatoire une étude dans ce contexte. Mais,
il convient de noter que l’analyse approfondie de la question a démontré qu’il existe des
principes communs applicables à toutes ces coutumes quel que soit le système de
parenté(matrilinéaire ou patrilinéaire). C’est dans ce sens que le professeur Kalambay
conclut à l’unicité des principes fonciers dans toute la République Démocratique du
Congo, à la suite de l’étude menée par Biebuyck en la matière. 72 Analysant l’incidence
du régime foncier sur le développement agricole au Zaïre, le professeur Lumpungu
Kamanda va dans le même sens lorsqu’il écrit que chez les Bashi comme chez les
Banande, le régime des terres est sensiblement le même que celui des autres régions de la
République.73 De son côté, Pierre Gannagé note que les droits fonciers, en dépit de leurs
origines différentes et de la physionomie propre de chacun d’eux, revêtent des traits
communs qui tendent à les rapprocher. Ils se présentent comme des droits collectifs
établis dans l’intérêt du clan, de la tribu ou de la communauté religieuse. La terre chez
beaucoup de peuplades d’Afrique, appartient ainsi au groupe qui l’a reçue de ses ancêtres
et doit y demeurer de génération en génération. Elle constitue une valeur sacrée, les
individus n’exerçant sur elle que des droits d’administration et de jouissance. Elle est, par
71
Nyamugabo Mpova, op cit, p32
72
G. Kalambay Lumpungu, Droit civil : Régime foncier et immobilier, vol II, 2éd, Kinshasa P.U.C, 1999,p
68
73
Lumpungu Kamanda, Le régime foncier au Zaïre et son incidence sur le développement agricole, in
Cahiers Economiques et Sociaux, vol xi, n°s 3 et 4, 1973, p65
35
Dans une étude relativement récente sur les conflits fonciers en Ituri initiée par
R.C.N Justice et Démocratie76, on peut lire ce qui suit :
« Sur le plan foncier, toutes les coutumes sont presque semblables : la terre est un bien
commun à un lignage, un clan, un groupement sous l’autorité et la gestion du chef de clan, du
groupement ou du lignage. A l’intérieur de chaque communauté, les membres ont droit égal de
jouissance et d’usage de la terre. Celle-ci n’est pas aliénable, c’est –à-dire non cessible ni
transmissible. En cas de succession au trône, l’héritier n’apparaît que comme le continuateur du
pouvoir de gestion de la terre. En effet, la terre n’est pas un bien personnel du chef coutumier.77 »
C’est ce fond commun qui nous intéresse. Cependant, nous ne manquerons pas de
souligner certaines particularités liées à telle ou telle autre coutume. Cette section sera
analysée en trois paragraphes. Le premier sera axé sur les droits collectifs fonciers, le
deuxième va être consacré aux droits individuels et le troisième au caractère inaliénable
de ces droits.
Selon deux enquêtes que nous avons menées successivement dans le territoire de
Bumba dans la province de l’Equateur ainsi que dans celui d’Idiofa dans la province de
Bandundu, il s’avère qu’à la question de savoir: selon votre coutume, à qui appartient la
terre ? La totalité des personnes interrogées ont répondu que d’ après leur coutume, la
74
P.Gannagé, Les droits fonciers coutumiers : rapport général, in Revue juridique et politique
indépendance et coopération, 1970, pp 1102-1103
75
Lafontaine, L’évolution juridique de la société congolaise, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du
droit coutumier congolais, n°1, 1956, p158
76
RCN Justice et Démocratie est une organisation non gouvernementale internationale de droit belge qui
œuvre dans le domaine de la justice et de la démocratie.
77
RCN Justice et Démocratie, Les conflits fonciers en Ituri : de l’imposition à la consolidation de la paix,
www.rcn-ong.be, septembre 2009, p 27
36
terre appartient au clan.78 Cette même constatation est faite également par Ulwortho
Genombe qui écrit ce qui suit au sujet du droit foncier dans le district de l’Ituri :
« D’une façon générale, les terres sont une propriété des villages qui les répartissent entre
les clans. Ceux-ci, à leur tour, les attribuent aux différentes familles pour l’exploitation. Les terres
ainsi affectées deviennent une propriété inaliénable et sont bien délimitées. Elles demeurent un
héritage foncier que les générations se lèguent dans le respect des limites fixées au premier
lotissement. »79
Omari souligne qu’en droit foncier coutumier bakusu de la province de Maniema, le
village est propriétaire du sol dans ses limites. Les terrains incultes, les cours d’eau, la
faune et la flore de la circonscription, forment l’ensemble des biens communs,
autrement dit, la propriété collective. Là, c’est la liberté absolue d’exploitation.80 La
situation est identique en droit foncier coutumier camerounais. En effet, on peut lire
ce qui suit dans les écrits de Ngongang-Ouandji : « Quelle que soit l’emprise de
l’homme sur la terre, celle-ci est considérée comme bien inaliénable de la famille, de
la collectivité ou clan. »81 Le professeur Mulumba Katchy va dans le même sens
lorsqu’il écrit : « Dès que le territoire est acquis, il devient la propriété collective et
exclusive du clan. La terre appartient à la parentèle, au clan, aux ancêtres.82 »
A la question de savoir : qui gère les terres du clan ? Toutes les personnes
interrogées ont répondu que c’est le chef du clan. Le clan est donc titulaire d’un domaine
foncier dont les délimitations sont précisées souvent par une rivière, une colline, un grand
arbre etc. Dans tous les cas, les limites du domaine foncier appartenant à un clan sont
connues et respectées par les clans voisins.83
Ce sont les membres d’un clan réunis dans un village ou dans plusieurs villages
qui occupent le domaine foncier de celui-ci. Ils y exercent des droits fonciers tant
78
Ces enquêtes ont été menées dans le cadre de mes recherches. Parmi les personnes interrogées, il y avait
des notables, des juges assesseurs, des enseignants , des chefs coutumiers ainsi que les chefs de
groupements. Il convient de noter qu’à Bumba, les personnes interrogées appartiennent à la tribu
Mbudja. Elles sont patrilinéaires. En revanche, les personnes interrogées à Idiofa sont de la tribu Dinga,
elles sont matrilinéaires. D’une façon générale, l’échantillon a été constitué de cent personnes, en raison
de cinquante par tribu.
79
Ulwortho Genombe, op. cit, p164
80
A.J. Omari , Le droit foncier congolais, in La Voix du Congolais, n° 48, 1950, p138
81
A. Ngongang-Ouandji , La dévolution successorale au Cameroun, Revue juridique et politique
indépendance et coopération, n°4,1972, p 656.
82
Mulumba Katchy, op.cit, p112
83
G. Kalambay Lumpungu, Les droits fonciers coutumiers à travers la législation de la République
Démocratique du Congo, in Revue juridique et politique indépendance et coopération,1970, p
1177
37
individuels que collectifs très précis tels que : culture, habitation, chasse ou pêche.84 C’est
ce qui fait dire aux anthropologues juridiques que la tenure foncière en Afrique a un
caractère communautaire. Cela veut dire que l’individu est complémentaire au groupe
dans ce sens qu’il possède des droits individuels sur une parcelle de terre en raison de sa
qualité de membre d’une communauté, son statut dérivant de cette appartenance.
Comme on peut le constater, au sein de la tribu, il existe plusieurs clans qui sont
propriétaires fonciers. Ce genre d’organisation est le plus représentatif en République
Démocratique du Congo.88 Mais à côté de cette organisation, on trouve aussi des
groupements à caractère politique. Dans ces groupements, le territoire est composé de
mosaïques de domaines fonciers affectés à chacun des groupements. Il est généralement
admis que la base du régime foncier est constituée par les groupes de parenté et les
représentants politiques ne disposent pas des domaines fonciers proprement dits, mais
exercent seulement des pouvoirs politiques sur les zones, qui très souvent, englobent
84
E. Gianola-Gragg , Réflexions sur le droit foncier nzakara( la Centrafrique et le Zaïre), in Droit et
Cultures,n° 28, l’Harmattan, 1994, p152.
85
E. Gianola- Gragg, op. cit, p152
86
Cette contrée se trouve dans le territoire de Bumba. Elle est occupée par la tribu Mbudja qui est
patrilinéaire. La personne interviewée est un enseignant.
87
Nous avons eu un entretien avec ce monsieur au mois de mai 2010. Il est de la tribu Dinga, qui est
matrilinéaire.
88
G.Kalambay Lumpungu , Droit civil : Régime foncier et immobilier, vol II, 2éd, Kinshasa, P.U.C, 1999,
p68
38
Disons que dans les deux types d’organisation, c’est le chef de clan qui gère le
domaine foncier, c’est lui le chef de terres. D’une façon générale, les prérogatives du chef
sont les suivantes :
89
Ibidem
90
La chefferie est définie comme un ensemble généralement homogène de communautés traditionnelles
organisées sur base de la coutume et ayant à sa tête un chef coutumier désigné par la coutume, reconnu et
investi par les pouvoirs publics.
91
Le groupement est défini comme une communauté traditionnelle organisée sur base de la coutume et
érigée en circonscription administrative sous l’autorité d’un chef coutumier désigné par la coutume,
reconnu et investi par le pouvoir public. Il est subdivisé en villages.
92
F. Vunduawe te Pemako, Traité de droit administratif, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 2007, p507
93
L. De Saint Moulin et J.C Kalombo Tshibanda, Atlas de l’organisation administrative de la République
Démocratique du Congo, Kinshasa, CEPAS, 2005, pp 201-234.
94
E. Kremer , op. cit, p273
95
E. Kremer , op. cit, p274
39
5° il est aussi compétent pour défendre les droits fonciers du groupe. A ce titre, il accorde
et retire aux étrangers l’autorisation de s’installer et de tirer du domaine les moyens de
leur subsistance.
Il peut arriver que dans un clan qu’il y ait un chef de terre, chargé des fonctions
administratives et un autre ayant des attributions religieuses ou surnaturelles. Ce dernier,
qui peut être un homme ou une femme, a le pouvoir de provoquer l’intervention des
mânes des ancêtres en vue de rendre la fertilité au domaine du clan ou d’en provoquer la
stérilité. C’est à lui que le véritable chef de terres s’adresse en cas de disette, de pénurie
de gibier ou de poisson afin de remédier grâce à son pouvoir magique à une situation
difficile pour le clan.97
C’est ici les lieux de noter les similitudes existant entre les droits fonciers
coutumiers de divers pays d’Afrique noire. En effet, s’agissant des pouvoirs dévolus au
chef de terres, voici ce qui est écrit sur les droits fonciers coutumiers au Gabon :
« …Le chef de clan a des pouvoirs relatifs à l’octroi des droits individuels et temporaires
sur la terre, tels que les autorisations de construire, de planter, de pêcher, de chasser, etc. ces
droits précaires ne portent pas sur la propriété de la terre, mais sur la jouissance ; c’est pourquoi
le chef de clan peut décider seul de l’octroi de ces droits, déléguer ses pouvoirs au chef de
lignage, au chef de village. S’agissant de la nature des pouvoirs du chef de clan, on peut dire
qu’ils ont à la fois une nature profane et religieuse. Les pouvoirs profanes du chef de clan sont
essentiellement ceux de représentant du clan, d’administrateur du territoire clanique, de
conservateur des terres ancestrales, d’animateur et d’organisateur des activités agraires. C’est le
même chef qui adresse les prières des vivants aux ancêtres défunts, c’est lui qui leur offre les
sacrifices ; c’est encore lui qui s’adresse aux divinités, qui dirige les opérations de sécurité
relatives aux travaux agricoles. Des cérémonies tendant à bénir les instruments agricoles et les
travailleurs eux- mêmes sont nécessaires, le chef en est sinon l’officiant du moins le principal
responsable. »98
96
Ibidem
97
R. Philippe, Notes sur le régime foncier au Lac Leopold II, in Aequatoria, 1954,n°2, p54
98
P-L.Agondjo- Akawe , Les droits fonciers coutumiers au Gabon( société Nkomi, groupe Myene), in
Revue juridique et politique indépendance et coopération, 1970, p 1144
40
A ce sujet, analysant le régime foncier au Lac Léopold II, René Philipe note que
chez les Bolia99, c’est au chef de terre que reviennent les redevances sur les produits du
sol, de la chasse et de la pêche. S’agissant particulièrement de la redevance due au chef
de terre pour les cultures, elle ne s’applique pas aux plantes ordinaires, telles que le
manioc et les bananes. Elle concerne des produits ayant une valeur marchande plus
élevée. C’est notamment le cas de courges, arachides et tabacs. La redevance est fixée à
un panier de chacun des produits taxables.100
Ainsi par exemple, pour les produits du sol, le chef a droit à un panier de safu. 101
Il a également droit à un panier de nsali.102 Pour les produits de la chasse, tout dépend de
la nature de la bête sauvage abattue. Généralement, le chef a droit à la cuisse et une partie
de la queue. Mais pour certaines bêtes spéciales, il peut soit prendre l’entièreté de la bête,
quitte à remettre au chasseur une somme d’argent en contrepartie, soit s’accaparer de la
grande partie de la bête.103Les éléments recueillis sur terrain nous renseignent que dans la
coutume Dinga, de la province de Bandundu, le tribut est appelé ‘’Milambo.’’ Il est exigé
tant pour les activités agricoles que pour la chasse. La situation n’est pas totalement
identique lorsque le chef de terre dépend d’un chef politique.
99
Le Bolia est une tribu qui se trouve dans la contrée anciennement dénommée Lac Léopold II. Dans la
configuration administrative actuelle, il s’agit du district de Maï Ndombe dans la province de Bandundu et
le lac Léopold II s’appelle lac Maï Ndombe.
100
R. Philippe , op. cit,p56
101
Le safu est un fruit saisonnier issu d’un arbre appelé safoutier
102
Le nsali est un fruit sauvage mais saisonnier également.
103
R. Philippe, op. cit, p53
41
il devient chef politique. Soit, un chef étranger qui s’impose par la conquête et réussit à
soumettre les autochtones sous son autorité. Ce dernier cas est rare au Congo, comme l’a
indiqué le professeur G. Malengreau.104
Dans tous les cas, les chefs politiques laissaient aux autochtones le pouvoir
d’organiser la gestion de leur terre et ils ne s’occupaient que du pouvoir politique. De
cette manière, ils assument la direction politique et les chefs des clans gèrent la terre.
Telle est notamment la situation chez le Bolia, où le chef politique appelé Nkumu
s’occupe du pouvoir politique et les Isafu gèrent le sol.105 La même situation se retrouve
chez le Basengele. On trouve d’une part le clan régnant appelé Bekundi, qui exerce le
pouvoir politique et les Bikinda qui sont des chefs de terre. La séparation des pouvoirs
chez ces peuples se justifie par René Philippe de la manière suivante:
«Lors de l’arrivée des Bolia, une grande partie du sol était occupée par les clans Badia-
Baboma qui en furent chassés par les envahisseurs. Toutefois après d’infructueux efforts de
cultures, de nombreuses chasses sans abattre un seul gibier, des multiples tentatives de pêche dans
les rivières et les mares, les conquérants se virent obligés de rappeler les autochtones cachés dans
les forêts et parmi eux, les chefs premiers occupants de la terre envahie.
Forcés par les circonstances, ils confirmèrent dans leurs droits de premier occupant du
sol les chefs Basengele qui à leur tour se soumirent au pouvoir politique des envahisseurs. Ces
derniers n’exercent un pouvoir total, politique et foncier, que sur les terres qu’ils trouvèrent
encore libres à leur arrivée.»106
De son côté, Lebrun rapporte que dans le territoire de Kabalo, plusieurs chefferies
sont soumises au même régime. On a d’un côté le Kulu ou Mwine Tanda, chef de terre et
de l’autre côté Mulohwe, chef politique.107 Vannes va dans le même sens, lorsqu’ en
analysant le régime foncier coutumier dans le territoire de Kabongo, il note que les
conquérants de la lignée de Kabongo respectaient les droits de propriété des populations
conquises et se contentaient de leur imposer le tribut ; nulle part dans le territoire de
Kabongo, renchérit-il, nous n’avons pu recueillir un seul exemple où un chef ait donné à
qui que ce soit des terres en pleine propriété.108
104
G. Malengreau, op. cit, p 189
105
R. Philippe, op. cit, p 52
106
R. Philippe, op. cit, pp55-56
107
A.G.Lebrun , De la tenure de la terre chez les populations indigènes du territoire de Kabalo, in Bulletin
des Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, 1956, n° 8, p195
108
J. Vannes, op. cit, p 167
42
En échange de la protection que le chef politique apporte aux divers clans soumis
à son autorité, il reçoit des tributs. On peut définir le tribut comme étant une quotité
remise à une autorité supérieure d’une partie du produit de l’activité exercée sur un
fonds. Le tribut se distingue du loyer, en ceci qu’il est versé tant par le propriétaire du sol
que par l’étranger. En outre il n’est payé à l’autorité que par la personne qui dépend
d’elle. Il se rapporte donc aux activités développées par les membres des tribus ou par
les étrangers qui sont sous son autorité. Ces tributs qui lui sont apportés généralement par
le chef de terre, constituent un signe de la reconnaissance de son autorité par ce dernier et
sa soumission envers lui.
Les tributs concernent principalement les produits de chasse. C’est que chaque
fois que les clans organisent le feu de brousse sur leur terre, le produit de cette chasse est
partagé entre les chasseurs, le chef de clan, le chef politique et les membres du clan.
Certaines bêtes sont l’exclusivité du chef politique. A ce sujet, analysant les droits
fonciers coutumiers dans le territoire de Kabalo, secteur Bena Kamania, groupement
Bena Baleo, Lebrun note qu’en ce qui concerne les fauves et grands animaux (lions,
léopards, crocodiles, éléphants, hippopotames) la coutume interdit le dépeçage par le
chasseur. En effet, dès que la bête est tuée, le chasseur en prend la queue et avertit le chef
de clan sur les terres duquel la bête a été abattue. Ce dernier doit immédiatement avertir
le chef politique qui vient personnellement sur place ou délégué l’un des ses lieutenants
pour diriger le dépeçage de l’animal. Ainsi, la peau revient de droit au chef politique, les
dents, griffes, et une quantité de viande proportionnelle à l’importance de la bête destinée
à rassasier sa cour. Le chasseur reçoit du chef en récompense de son exploit une ou deux
chèvres, ainsi qu’une part de la viande de l’animal abattu ; le reste est partagé entre les
habitants du village sur les terres duquel la bête a été abattue.109
Deloof rapporte dans le même sens, lorsqu’il écrit ce qui suit concernant le droit
de chasse ainsi que celui de pêche chez les Bena Mulimi du territoire de Kabalo, district
de Katanga, province du Katanga :
« Les droits de chasse et de pêche font l’objet de réglementations sévères. Tous les clans
possèdent en propriété des bras du fleuve Lualaba et de la rivière Lovidjo. Ces bras sont
nettement déterminés et les droits de pêche bien définis. La moitié du produit de pêche, quelque
109
A.G. Lebrun, op.cit, p203
43
soit l’homme qui capture le poisson, revient de droit toujours au père du clan, propriétaire du bras
de rivière. Si les membres du clan n’ont aucun besoin d’autorisation de pêcher dans leurs bras de
rivière, par contre un étranger ou membre d’un autre clan doit toujours avoir la permission du
père du clan intéressé. Y prendre du poisson sans autorisation est considéré comme un vol et cet
acte est passible de poursuites par le tribunal indigène.
La réglementation est également très nette et stricte au point de vue droits de chasse. De
toute bête capturée, en brousse Puku, certaines parties déterminées par bête reviennent de droit
au « Mulowe ». ces parties sont à apporter au capita du village le plus voisin, considéré comme
représentant du Mulowe. Le capita prendra soin de remettre au Mulowe la moitié du produit lui
apporté par le chasseur. »110
Il ressort de ce qui précède que si le chef de terres est bénéficiaire des poissons,
tribut de la pêche, le Mulowe, chef politique, bénéficie du produit de la chasse. Marshal
va dans le même sens en ce qui concerne la coutume qu’il a étudié, lorsqu’il relève que :
« Le propriétaire doit céder une part de ces redevances au chef politique à titre de tribut.
Ce qui est dû en fait de redevances varie un peu d’une région à l’autre. Il faut partout distinguer
entre ce qui revient au chef politique et ce qui revient au propriétaire. Pour un éléphant par
exemple : les défenses, la trompe, la queue et le pied droit de l’avant-train reviennent toujours au
chef politique, qui doit d’ailleurs les payer. Il remettait autrefois : l’esclave, ou un fusil pour les
pointes et une houe pour la queue. Les porteurs des pointes recevaient chacun un collier de perles.
Actuellement ces cadeaux sont remplacés par de la monnaie. Ceux revenant au chasseur ne
peuvent lui être remis que par l’intermédiaire du propriétaire du terrain.
Lorsqu’il s’agit d’un grand fauve, lion ou léopard, la peau revient également de droit au
chef politique. De même que pour un éléphant le chasseur a droit à un cadeau important appelé
‘’ ntombo.’’
On n’exige pas de redevance sur le petit gibier, sauf sur celui abattu à la faveur de feux
de brousse. Ce genre de chasse n’est d’ailleurs permis par les chefs que s’ils en donnent
l’autorisation spéciale ; les chasseurs n’ont droit dans ce cas qu’à la moitié du produit, l’autre
moitié étant partagée entre le chef politique et le propriétaire du terrain.
La redevance sur les produits de la pêche n’est due qu’une ou deux fois par an à l’époque
des prises abondantes, c’est-à- dire à la fin de la saison de pluie et à la fin de la saison sèche. »111
Chez les Kuba, le tribut se payait chaque année vers la fin de la saison sèche. Il
était composé de toutes sortes de denrées (tissus, viande, poisson, sel etc.) ayant une
valeur économique. Mais en dehors de cela, l’essence du tribut était et est toujours le
paiement des « grands animaux ». C’est ainsi que si on tue un « grand animal », on doit
l’apporter au chef. Ces animaux sont dans le règne animal, les chefs de la faune. Il s’agit
110
R.J. Deloof, Notes sur le régime foncier des Bena Mulimi, in Bulletin des Juridictions Indigènes et droit
coutumier congolais, n° 10, 1954, p 252.
111
R. Marshal , le droit foncier des Bazela, des Balomotwa et des Banwenshi, in Bulletin des Juridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n°1, 1937, pp 19-20
44
Voilà ce qu’il en est concernant les droits collectifs que les membres d’un clan
peuvent avoir sur leur terre. Qu’en est-il alors des droits individuels ?
Selon les enquêtes menées, le fait que la terre appartient toujours à une
collectivité, n’empêche pas que les membres de ce groupe ou les étrangers à celui-ci
puissent avoir certains droits sur la terre. En effet, dans la tribu Dinga ainsi que dans la
112
J. Vansina, le régime foncier dans la société kuba, in Zaïre, 1956, p 925
113
Lumpungu Kamanda, op. cit, p58
114
E. Gianola-Gragg , op.cit, p153.
45
tribu Mbuza qui ont fait l’objet de nos enquêtes, si le clan a la disposition juridique de la
terre, l’individu en a la disposition matérielle. Celle-ci lui permet de jouir de la terre et de
disposer juridiquement de ses produits. Il y a là un droit de jouissance sur la terre et un
droit de propriété sur les produits de la terre. Cette affirmation ressort des réponses
recueillies auprès des personnes interviewées sur la question de savoir :’’occupez-vous
un lopin de terre ?’’ A cette question, tout le monde a répondu par l’affirmative. La
question qui se pose est celle de savoir comment s’expriment ces deux droits. Ainsi pour
tenter de répondre à cette problématique, nous distinguons le droit individuel sur la terre
d’une part et le droit individuel aux produits de la terre d’autre part.
Dans les deux tribus ayant fait l’objet de nos enquêtes, les individus, par leur
appartenance au clan propriétaire, possèdent certains droits fonciers, notamment celui de
l’habiter et de l’exploiter sous toutes les formes. C’est ainsi que dans nos enquêtes, nous
avons posé aux enquêtés la question se savoir l’usage pour lequel est destiné les lopins de
terre mis à leur disposition. Il ressort des réponses obtenues que ces lopins de terre sont
destinés à l’usage agricole ou résidentiel. Ces droits n’emportent pas la propriété du sol,
celle-ci étant collective. Ces droits appartiennent aux individus en vertu de la coutume.
Ce sont des droits de jouissance que Kremer qualifie de droits sociaux.115 Ces droits qui
sont proches de l’usufruit du droit du système napoléon, ont la particularité d’exister tant
que dure l’occupation effective de la terre qui lui sert d’assiette.
En effet, ces droits sont exercés par leurs titulaires, aussi longtemps qu’ils
continueront à remplir leurs obligations vis- à-vis de la tribu et tant qu’il n’y a pas
115
E.Kremer, op. cit, p276
46
abandon de leur part, personne, même pas le chef, n’a le droit de leur priver du bénéfice
de la terre.
En principe, tous les membres d’un clan peuvent sans distinction occuper et
exploiter n’importe quelle partie du domaine foncier sous réserve des droits appartenant
aux autres membres de la communauté. De l’entretien que nous avons eu avec plusieurs
personnes sur terrain, il ressort qu’à la question de savoir comment accède-t-on aux droits
individuels sur le sol, il nous a été répondu que c’est par la mise en valeur du sol. En
effet, la personne qui met en valeur une portion de terre, obtient sur celle-ci un droit de
jouissance exclusif. Tel est également le cas dans la tribu basongo. En effet, selon le
révérend père de Beaucorps, dans cette tribu les membres du clan sont libres d’exploiter
leur forêt. Chacun choisit le coin qui lui paraît favorable pour défricher les champs ou
autres activités.116 La situation est pareille chez les Bayeke. Selon Grevisse, en ce qui
concerne la terre de culture, la permission de construire à proximité de telle ou telle
rivière accordée à un habitant, lui confère automatiquement le droit d’établir les
plantations dans les environs. Chacun fait choix à sa meilleure convenance du lopin de
terre non encore occupé.117 En analysant le droit foncier dans la société bakusu, Omari
souligne que l’exploitation ou la mise en valeur d’une portion d’eau ou de terre
déterminée, constitue un droit individuel strictement inviolable et inexpropriable. Après
la mort du propriétaire, ce droit passe à ses héritiers.118 C’est dans le même sens que va la
jurisprudence coutumière lorsqu’elle décide que les « mikola » ou canaux de pêche
aménagés dans le marais, demeurent la propriété exclusive de ceux qui les ont creusés et
à leur mort ils passent à leurs héritiers.119
116
S.J de Beaucorps, La propriété chez les Basongo de la Luniungu et de la Gobari, in Bulletin des
Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais,n°1 1943, p6
117
F.Grevisse, les Bayeke, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°5,
1937,
p136
118
A.J.Omari , op. cit, p139
119
Tribunal du territoire de Kabengo, jugement n° 40 du 26 novembre 1936, in Bulletin des Juridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n°5, 1941, p103
47
appropriés confère au propriétaire des engins un droit de jouissance qui doit être respecté.
Nul n’est admis à déplacer ces engins.120
Dans une étude sur les politiques foncières et l’accès des femmes à la terre en
Cote d’Ivoire, les professeurs Kone Mariatou et Ibo Guehi notent que les règles
coutumières d’accès à la terre organisent le régime du droit foncier. Si au départ, la terre
appartenait au premier occupant, aujourd’hui, il est un principe selon lequel la terre
appartient à celui qui la met en valeur. C’est donc la notion de production, de
valorisation, de valeur-ajoutée par le travail à un bien inexploité, qui fonde le rapport
juridique à ce bien.121 Il y a là une similitude avec le droit foncier coutumier congolais.
En réalité, la liberté des membres du clan sur leur domaine foncier possède
quelques limites. Les droits d’utilisation du domaine clanique sont partagés entre
plusieurs familles pour une durée indéterminée. Ce partage est fait selon l’utilisation
qu’on va en faire. Ainsi, si le clan est constitué d’un peuple chasseur, le domaine sera
divisé pour la chasse, les agriculteurs s’intéresseront surtout au partage des terres de
culture; les pêcheurs procéderont à la répartition des emplacements de la pêche. Chacun
fera usage exclusif de la portion du fonds qui lui est réservée en respectant la partie
attribuée à d’autres familles ou d’autres individus. René Philippe exprime cette idée,
lorsqu’il écrit que le seul droit du cultivateur sur le terrain qu’il occupe repose sur
l’interdiction faite à quiconque non seulement d’empiéter sur ses cultures mais encore de
l’occuper lorsqu’il est en jachère tant que la forêt ne l’a pas à nouveau envahi.122 Van
Boeckhout note également que :
«Le droit de cultiver et d’exploiter la terre n’est pas un droit absolu dans ce sens qu’ils
n’ont pas le droit de faire des cultures où ils veulent ou désirent. En faisant leurs cultures, ils
doivent tenir compte des droits de jouissance des autres : leur liberté est limitée par les droits
acquis par d’autres individus. En principe, un individu ou une famille choisit un terrain
quelconque pour y établir des cultures sous conditions de respecter les droits de jouissance des
autres. »123
120
Tribunal de secteur de Pania-Mutombo, jugement n°51 du 5 février 1948, in Bulletin des Juridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n°12, 1952, p357
121
Kone Mariatou et Ibo Guehi, Les politiques foncières et l’accès des femmes à la terre en Cote d’Ivoire :
cas d’Affalikro et Djangobo dans la région d’Abengourou et de Kalakala et Togognière dans la région
de Ferkessedougou, www. Docstoc.com, avril 2009, p 20
122
R.Philippe , op. cit, p56
123
J. Van Boeckhout, op. cit, p34
48
Le chef intervient dans la répartition des terres entre différentes familles. Dans les
territoires où les terres sont en abondance, il suffit que le père de famille qui a trouvé une
portion de terre favorable, soumette son choix à l’approbation du chef. C’est le cas
notamment des peuples qui occupent la forêt équatoriale au Congo comme le Bolia, le
Basengele, le Mongo, le Nkundo etc. A ce sujet, René Philippe écrit ce qui suit au sujet
de Bolia et Basengele :
« Chacun choisit le terrain qu’il préfère, sans devoir se référer au chef de terre mais
toutefois sans empiéter sur une terre déjà choisie par un autre. Le chef de terre n’intervient pas
donc dans la répartition des parcelles entre ses parents et ses clients. L’abondance des terres et la
faible densité de la population permettent l’adoption d’un régime aussi libéral… »124
Analysant le droit foncier nkundo, Hulstaert note que n’importe quel membre peut
exploiter une parcelle non encore exploitée par un autre membre ; l’autorisation du
patriarche étant acquise d’avance et pouvant même être présumée si d’autres ne
revendiquent aucun droit particulier. Le droit de continuer sur cette même parcelle après
jachère persiste aussi longtemps qu’il désire.125
Lorsque les terres disponibles deviennent rares, le chef les répartit d’office entre
les différentes familles, en tenant compte de leur rang social et de leur importance. Qu’en
est-il alors des droits individuels des étrangers se trouvant dans un domaine foncier ?
Tous ceux qui résident dans le domaine foncier de la communauté locale ne sont
pas nécessairement « citoyens »126 de ce clan. En effet, on trouve des personnes qui sont
incorporées à la communauté par le mariage, par l’adoption ou par toute autre technique
admise par la coutume et des étrangers. Ainsi, les droits fonciers individuels de ces
personnes ne seront pas identiques. Tout est question du degré d’intégration des uns et
124
Ibidem
125
G. Hulstaert , Sur le droit foncier nkundo, in Aequatoria, 1954, n°2,pp58-59
126
Cette expression est empruntée de Pierre-Louis Agondjo-Okawe
49
des autres.127 Les droits fonciers coutumiers gabonais connaissent également cette
différenciation que nous venons d’évoquer. En effet, on peut lire ce qui suit sous la plume
de Agondjo-Okawe :
«Il convient de faire une distinction entre les droits d’un membre du clan et ceux d’un
étranger au clan. L’individu membre du clan tient ses droits fonciers de sa qualité de ‘’ citoyen ‘’
du clan, qualité pouvant être biologique ou sociale. Le statut biologique est celui que confère la
naissance par une femme libre du clan, l’individu est alors Nwontce128. Le statut social suppose
une intégration institutionnelle au clan, comme celle de l’esclave, par définition né sur une terre
étrangère.
Quant aux étrangers au clan, ils peuvent être répartis en trois catégories : l’étranger dit
owoga , l’étranger dit ‘’enfant du clan’’ et l’étranger ayant des liens privilégiés avec le clan,
129
127
G.Kalambay Lumpungu , op. cit, p 69
128
Ce concept désigne un homme libre selon la tradition de la société nkomi au Gabon
129
Owoga, c’est un client ou un réfugié ayant élu domicile dans un village.
130
Agondjo-Okawe, op. cit, pp 1145-1146
131
J.Vannes, op.cit, p177
132
P.E.Van Hamme, Enquête sur le droit coutumier des Bakwa- Lubo, in Bulletin desJjuridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n°12, 1952,P342
133
J.Vansina, Le droit foncier dans la société kuba, in Zaïre, 1956, p909
50
Quant à la nature juridique des droits acquis sur le fonds par l’étranger, il est
certain qu’ils présentent les caractéristiques ci- après : ce sont des droits réels temporaires
sur un fonds appartenant au groupe d’accueil dont la durée de jouissance diffère en tenant
compte des facteurs à l’origine de l’intégration au groupe. Pendant la durée d’exercice du
droit, le bénéficiaire jouit du fonds en tirant tous les avantages possibles.134
Les droits individuels des étrangers sont assortis d’une limitation fondamentale,
celle qui consiste à ne pas disposer de leur droit immobilier de façon à permettre aux
étrangers d’accéder au droit foncier individuel sans l’accord du chef de terre136. C’est la
134
G. Kalambay Lumpungu, le droit foncier zaïrois et son unification, Thèse de doctorat, Université
Catholique de Louvain, 1973, p 389
135
G. Kalambay Lumpungu, op. cit, p 391
136
Ibidem
51
De tout ce qui précède, nous disons avec le professeur Kalambay que le droit
individuel immobilier de l’étranger est un droit hybride, un droit réel « sui generis », un
droit qui ne saurait être classé dans une catégorie des droits réels du Code Napoléon.137
En somme, pour que les droits fonciers individuels soient reconnus par le chef
ainsi que par les autres membres de la communauté, celui qui en est bénéficiaire doit
manifester sa volonté d’exploitation ou de mise en valeur. C’est ce qui fait dire au
professeur Kalambay que dans les sociétés traditionnelles du Zaïre, pour accéder aux
droits immobiliers, il faut l’occupation effective du sol et sa mise en valeur par le
travail.138 Ainsi, celui qui a défriché une partie de la forêt ou de la savane pour ériger son
champ, en devient propriétaire. Tant que la mise en valeur se maintient, les droits
fonciers individuels existent également et donnent droit aux produits du sol.
137
G. Kalambay Lumpungu, op.cit, p 390
138
G.Kalambay Lumpungu, op. cit, p 69
52
les membres du clan propriétaire du sol. Mais l’individu peut s’en réserver un usage
exclusif, moyennant certains procédés.139
De son côté, René Philippe rapporte que chez les Bolia, la propriété individuelle
n’existe que pour les produits du travail, telles les maisons, ou les objets acquis grâce au
produit du travail comme les outils et les armes. Si le produit est dû au travail commun
des époux, ils en ont la propriété conjointe, mais dans la proportion de un tiers pour
l’épouse et deux tiers pour le mari.142
139
E. Kremer, op. cit, p278
140
J. Van Boeckhout, op. cit, p35
141
Mulumba Katchy, op. cit, p109
142
R. Philippe, op. cit, p54
53
Dans son étude sur le droit foncier coutumier dans le territoire de Kabongo,
Vannes affirme également que les droits individuels résultant de l’usage du domaine
foncier portent sur les choses produites par le travail d’un individu. Peu importe la nature
de l’objet créé par cette activité. Ça peut être une construction érigée sur le domaine ou
bien un palmier ou un arbre fruitier quelconque planté sur le fonds collectif. Ces droits
portent aussi sur les choses qu’un individu s’est légalement appropriées en déployant une
activité : c’est le cas pour la bête abattue par le chasseur sur le fonds collectif car ici un
individu a exercé une activité individuelle pour s’approprier un animal.143En analysant le
droit foncier dans la société kuba, Vansina constate que l’exploitation du domaine foncier
entraîne toute une série de droits individuels. Ces droits naissent de la pratique de la
chasse, de la pose de pièges, de la pratique de la cueillette et de la pêche, et
principalement à la suite de l’aménagement de travaux de culture. Certains droits naissent
aussi avec l’implantation d’arbres, de cases et l’aménagement des aires de pêche.144
Le droit foncier coutumier gabonais est encore sur ce point identique avec le droit
congolais. En effet, Agondjo-Okawe note que le droit de propriété privative sur les
produits de la terre suppose en général l’effort personnel, pour ne pas dire la mise en
valeur. C’est cette mise en valeur qui permet à l’individu de transmettre ce droit à ses
propres héritiers et non pas au clan ; une plantation, une case, des pièges etc. seront
transmis aux héritiers.145
143
J. Vannes, op.cit, p176
144
J. Vansina, op.cit, p908
145
Agondjo-Okawe, op. cit, p 1145
146
A.G.Lebrun , op. cit, p 184
54
coutume de cette contrée se démarque un peu des autres coutumes, en apportant des
restrictions aux droits de celui qui a planté. On est tenté de croire que cela est de nature à
décourager les planteurs et par ce fait, de baisser la production de ces fruits. Mais quand
on connaît l’esprit altruiste des ruraux africains, cette situation ne peut pas les
décourager. Ils sont au contraire contents de voir tout le monde profiter du travail qu’ils
ont réalisé. Mais il convient de noter que le planteur reste malgré tout propriétaire de
l’arbre fruitier.
Les illustrations que nous venons de donner, montrent que cette propriété
individuelle ne porte pas sur le sol en soi qui reste la propriété inaliénable de la
communauté, mais uniquement sur les fruits d’un travail personnel ayant la terre pour
support.
Ces droits s’exercent tant sur les biens meubles que sur des biens immeubles par
incorporation. Ils resteront acquis aux individus aussi longtemps que subsistent des
traces tangibles du travail incorporé ou du moins de l’exploitation. Une des propriétés les
mieux constituées semble celle des arbres plantés, qui pratiquement continuent toujours
d’appartenir à celui qui les a plantés ou à ses héritiers. Même un abandon de fait de
plusieurs années ne change rien à ce titre.147 Si en partant, le planteur n’a pas désigné un
ami ou un parent pour administrer son bien, le chef autorisera d’autres membres du
groupe à récolter les fruits et les chargera de l’entretien de la plantation. Mais au retour
du vrai propriétaire, les arbres rentreront en sa possession. Ceux qui les avaient
entretenus le feront toutefois savoir au propriétaire et voudront jouir d’une partie de la
récolte.148 Qu’en est-il alors du terrain défriché ?
b. Droit de jachère
D’après les interviews réalisées dans le territoire d’Idiofa ainsi que dans celui de
Bumba, le cultivateur qui a défriché et mis en culture le terrain pour la première fois, ne
dispose pas seulement des fruits directs de son travail, mais jouit également d’un droit de
jachère. Ce droit persiste aussi longtemps que la brousse n’aura pas repris son aspect
147
Voir à ce sujet les affirmations de Van Boeckhout supra p 43
148
F. Grevisse , op. cit, pp137-138
55
ancien d’avant le premier défrichement. Ce droit est même transmissible pour cause de
mort. De l’entretien que nous avons eu avec monsieur Misato Likpangbola, juge
assesseur au tribunal de paix de Bumba, il affirme avoir le droit de jouissance sur une
portion de terre résultant du droit de jachère que ses ancêtres avaient acquis. Lebrun
explique mieux ce principe lorsqu’il écrit : « La jachère reste personnelle au cultivateur,
jusqu’au moment où la brousse ait repris entièrement ses droits. Il est donc interdit,
suivant la coutume à venir cultiver dans une jachère, où la brousse n’ait pas repris ses
droits. »149 Cette interdiction trouve son explication dans le fait que celui qui débrousse
pour cultiver, effectue un travail assez pénible, il serait injuste qu’un autre vienne cultiver
à cet endroit, en profitant indirectement du travail d’autrui, la culture n’étant pas si
pénible.150
Marshal va dans le même sens, lorsque parlant du droit foncier coutumier des
Bazela, Balomotwa et Banwenshi, il conclut que la jachère appartient exclusivement à
celui qui l’a créée aussi longtemps qu’il n’émigre pas dans un autre groupement ; mais il
peut transférer ses droits à un membre de sa famille. Ces droits peuvent être acquis par
héritage. Les droits de l’auteur sont également imprescriptibles en ce qui concerne les
barrages à poisson et les pièges à gibier : fosses, trappes ou clôtures. Il en est de même
pour les termitières exploitées.152 Dans la société kuba, tout habitant du village cultive où
bon lui semble. Une terre défrichée devient propriété personnelle de celui qui l’a mise en
valeur pour toute la durée du cycle de culture(six ans) et ce droit ne s’éteint que quand la
149
A.G.Lebrun, op. cit, p195
150
Ibidem
151
J. Mignolet , Notes relatives à la tenure de la terre dans le groupe Munene de la chefferie des Bakongolo,
in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°8, 1954, p197
152
R. Marchal , Le droit foncier coutumier des Bazela, des Balomotwa et des Banwenshi, in Bulletin des
Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°1, 1937,p 18
56
jachère est à nouveau couverte de petits buissons et que le propriétaire n’y a plus planté
soit des palmiers, soit d’autres arbres.153 Allant dans le même sens, le professeur
Lumpungu Kamanda fait savoir que la forêt est aussi une propriété collective au même
titre que la savane. Cependant, un homme qui a défriché une galerie en garde le droit de
réutilisation, même s’il l’ abandonne à une jachère de quelques années. Cela s’explique
par les difficultés de défrichement. L’abattage des arbres représente une tâche
particulièrement pénible. C’est pour sauvegarder les avantages acquis au cours d’un dur
labeur que la coutume reconnaît au premier défricheur le droit de réutilisation pendant
une longue période. Dans ce cas, le droit de jouissance et de possession usufruitière se
transmet par héritage. De plus, pour la forêt, la fertilité permet souvent une rotation de
longue durée et surtout une certaine régénération s’opère avant que n’apparaissent les
grands arbres qui constituent le gros travail du défrichement forestier. Il est donc normal
que les droits si durement acquis soient sauvegardés jusqu’à ce que le bénéficiaire y
renonce de plein gré.154
153
J. Vansina, op.cit, p 911
154
Lumpungu Kamanda, op. cit, p65
155
J. Van Boeckhout , op. cit, p35
57
156
R.J. Deloof , op . cit, p 252
157
A. Sohier , Traité élémentaire de droit coutumier du Congo belge, Bruxelles, Larcier, 1954, p 147
58
pêche par la mise sur place d’engins appropriés confère au propriétaire des engins un droit de
jouissance qui doit être respecté. Nul n’est admis à déplacer ces engins.158 »
Le chasseur qui, connaissant les endroits de passage du gibier, installe des pièges,
acquiert des droits analogues à ceux du pêcheur sur son emplacement.
Ces droits de propriété individuels ne s’éteignent que par abandon, étant donné
que la prescription acquisitive est inconnue en droit coutumier. Cependant, la question est
de savoir quand peut-on dire qu’il y a abandon ? Voici ce que Grevisse écrit au sujet des
Bayeke :
« La pérennité de l’usage est cependant fonction de l’occupation effective. Abandonné,
un champ peut être exploité par autrui. Reste à savoir quand un champ peut être considéré comme
abandonné ? Il faut, selon les notables, soit une déclaration par laquelle le possesseur renonce à
son droit d’occupation, soit un délaissement de trois ou quatre ans non interrompu par l’ancien
occupant faisant connaître son intention de réoccuper sa terre. »159
Comme nous l’avons déjà signalé, selon Van Boeckhout, les droits de culture sur
les jachères de savane chez le Bena Kankonde prend fin dans six mois à dater de la
récolte, si le terrain n’est plus entretenu par le cultivateur qui en avait le droit de propriété
de culture.
Celui qui veut se réserver l’usage exclusif d’une parcelle de terre pour cultiver
seul, ou un endroit pour pêcher de manière exclusive ou encore acquérir la propriété d’un
immeuble par incorporation devra payer des redevances au chef qui lui accorde
158
Tribunal de secteur de Pania-Mutombo, jugement n°51 du 5-2-1948 in Bulletin des Juridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n°12, 1952, p 357
159
F. Grevisse , op. cit, p136
160
G. Kalambay Lumpungu , op. cit, p69
59
l’autorisation et qui par la suite protégera son bien.161 Comment alors le propriétaire de
ces droits individuels nés de l’usage du domaine collectif peut-il en disposer.
Il convient de noter avant toute chose qu’il ne s’agit pas ici de la cession du fonds
qui est la propriété inaliénable de la communauté entière, mais uniquement d’un transfert
des fruits de l’effort individuel dont le fonds a été servi de support. Pour bien faire les
choses, il est nécessaire de distinguer selon que les biens faisant l’objet de disposition
entre vifs sont mobiliers ou immobiliers d’une part ou si le droit de disposition est
définitif ou temporaire d’autre part.
161
E. Kremer , op. cit, p 281
162
E.Kremer , op.cit, p281
60
du village, parce qu’elles font partie du groupe. Quant aux personnes de la deuxième catégorie, le
degré d’intégration et le système de parenté sont déterminants pour le transfert et l’intervention
du chef peut se concevoir. L’acte de transfert doit être approuvé par une autorité compétente
quand le bénéficiaire est étranger. Cette disposition est en soi logique puisque, dans tous les cas,
un étranger, pour accéder à tout droit individuel du sol, doit au préalable avoir l’accord de
l’autorité. »163
Les dispositions pour cause de mort sont en général soumises aux règles régissant
la succession en droit coutumier. Nous y reviendrons avec détail dans le chapitre suivant.
Mais, il est bon de mentionner dès à présent que les droits tant mobiliers qu’immobiliers
du de cujus passent à ses héritiers dont la désignation dépend du système de parenté
auquel on appartient. Dans le système patrilinéaire, les droits passent de père en fils ou de
frère à frère, alors que dans le régime matrilinéaire, les droits se transmettent de l’ayant
droit au fils de sa sœur ou à son oncle maternel.
La location porte sur un lopin de terre sur lequel un membre du groupe possède le
droit de jouissance. Ce transfert temporaire de droit de jouissance peut être gratuit,
notamment lorsqu’il s’agit d’un parent ou d’un ami ou encore lorsque la chose, objet de
l’opération n’a pas une grande valeur. Généralement, la location est à titre onéreux. Dans
ce cas, selon les clauses du contrat, le locataire pourra verser à l’ayant droit soit une
partie de la récolte, soit une somme d’argent ou encore il pourra travailler pour le compte
de l’ayant droit suivant une certaine périodicité. Cette situation est fréquente dans les
régions peuplées de l’Est de la République Démocratique du Congo.
Le prêt concerne souvent des biens meubles, fruits du travail personnel tels que
les récoltes.
A. Enoncé du principe
163
G. Kalambay Lumpungu , Le droit foncier zaïrois et son unification, Thèse de doctorat, Université
Catholique de Louvain, 1973, p387
61
Il convient de noter que ce qui est exclu, c’est l’aliénation complète et définitive
de la terre. Mais certaines opérations qui aboutissent à une cession provisoire des droits
fonciers sont tolérées. C’est ainsi que le chef de terres peut accorder au profit des
étrangers, une portion du domaine foncier collectif pour tel ou tel autre usage déterminé
et pour un temps déterminé. Les droits concédés par le chef, en sa qualité de gérant,
diffèrent du droit de propriétaire, en ceci qu’en cas d’extinction, ils font immédiatement
retour dans le domaine foncier collectif.
164
E.Kremer, op. cit, p 249
165
J.Vansina, op.cit, pp902-903
62
Parlant de la cession partielle des droits fonciers coutumiers, Vannes écrit que
l’inaliénabilité n’empêche pas la cession de certains droits sur un domaine. C’est
précisément cette cession de droits partiels, renchérit-il, que l’on rencontre de temps à
autre, qui est à l’origine de la confusion qui existe dans l’esprit des indigènes au sujet de
l’aliénabilité des terres. Bien souvent, ils déclareront que telle terre appartient à tel
homme qui l’a achetée de tel chef. Dans toute la chefferie Kabongo, nous trouvons de ces
terres qui « appartiennent, » dit-on, à un individu ; il en est de même dans les chefferies
du nord où cette institution parait même plus vivace et où le bénéficiaire de ces terres
acquises prend le nom de « fumu ya kashiama ».
En réalité, poursuit-il, ces cessions de droits n’ont aucun rapport avec l’aliénation
du domaine foncier ; elles se ramènent uniquement à l’opération suivante : un individu
achète le droit à percevoir le tribut sur telle portion du domaine et, en vertu de ce droit
acquis à titre onéreux, il a l’autorisation de retenir à son profit telle ou telle partie de la
bête abattue à la chasse sur cette terre ; normalement, la part de viande ainsi prélevée
aurait dû revenir à l’autorité bénéficiaire du tribut ; il est normal que si cette autorité
abandonne ce privilège à un tiers, celui-ci doit acquérir au préalable à titre onéreux ce
bénéfice, d’ailleurs temporaire et nullement héréditaire.166
Il convient de noter que la vente par l’autorité de son droit de tribut n’est pas
l’unique forme de cession partielle des droits fonciers coutumiers. En effet, il arrive que
le chef de terre puisse consentir, au profit des étrangers, un droit de jouissance temporaire
à titre gratuit ou à titre onéreux, pour des raisons diverses, sous forme de location ou de
gage.
La location d’une portion de terre peut concerner un individu ou un groupe
d’individus. Dans tous les cas, elle se passe par voie conventionnelle. Il y a d’une part un
individu ou un groupe d’individus, étranger à la communauté, qui sollicite la terre, et,
d’autre part l’acceptation du groupe propriétaire. Ces conventions qui peuvent, comme
nous l’avons indiqué, être gratuites ou à titre onéreux, prévoient des clauses précisant les
droits et les obligations de chaque partie. Toute violation des clauses contractuelles
166
J.Vannes, Le droit foncier coutumier en territoire de Kabongo : Essai de synthèse, in Bulletin des
Jjuridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n° 7, 1954, p 175
63
Le contrat peut porter sur l’usage général d’une portion de terre ou sur un usage
bien déterminé. En effet, il arrive que le groupe propriétaire concède une partie de sa
concession pour un usage indéterminé. Dans ce cas, le bénéficiaire peut en exploiter
selon son gré. Il peut cultiver, chasser ou pêcher etc . Mais il arrive aussi que la location
porte sur un usage déterminé de la partie concédée. En pareil cas, le locataire ne pourra
exploiter cette portion de terre que conformément à l’usage concédé. Ce cas arrive
souvent lorsque le groupe propriétaire est spécialisé pour une activité bien déterminée.
C’est ainsi par exemple que le groupe des chasseurs peut concéder des terrains aux
agriculteurs ou vice-versa.
Ces conventions sont souvent assorties des clauses spéciales à la charge des
étrangers admis sur les terres d’un groupement. Ainsi, il pourra leur être interdit de
planter les arbres de rapport ou d’ériger des constructions autres que celles servant
d’habitations. L’étranger qui désire planter des arbres, peut être astreint à une autorisation
spéciale qui indiquera le nombre d’arbres à planter. Cela se justifie par le fait qu’en droit
coutumier, s’il est vrai que la propriété des arbres est différente de celle de la terre, la
possession du sol dure autant que l’occupation effective. 167
Les restrictions susvisées ont pour but de sauvegarder le domaine collectif contre
des intrusions. Aussi, convient-il de noter que les concessions accordées aux étrangers
n’ont rien à voir avec une cession de droits de propriété et n’enfreignent nullement le
principe de l’inaliénabilité des terres collectives. En outre, étant donné que la prescription
n’existe pas en droit coutumier, les droits ainsi concédés et exercés, même pendant des
générations, ne changent en rien le droit du propriétaire qui reste intact.168
Il arrive que pour une raison quelconque, une portion de terre soit mise en gage.
Le droit coutumier semble ne pas connaître l’hypothèque. Généralement cette opération a
167
E.Kremer , op.cit, p253
168
E.Kremer, op.cit, p253
64
lieu dans le but de garantir le paiement d’une dette. Les origines de la créance peuvent
varier. Elle peut résulter d’un contrat ou d’un délit.
Le contrat peut être à la base d’une créance entraînant la mise en gage d’une
portion de terre dans les hypothèses suivantes :
Le délit est source d’une dette pouvant conduire à la mise en gage de la terre,
lorsque la personne qui est condamnée au paiement des dommages-intérêts n’est pas à
mesure de s’en acquitter. Dans son étude consacrée au droit foncier coutumier en
territoire de Kabongo, Vannes rapporte de la manière suivante un cas qui a eu lieu dans la
chefferie de Dipeba :
«Un monsieur originaire du village Nyundu, se promenait sur les terres du village
Kibanga de la chefferie Tambaie. Il fut tué par cinq hommes du village Kibanga. Aussitôt, les
gens de Nyundu, auxquels vinrent s’ajouter les Bena Monda et Katombe, voulurent venger le
mort et attaquèrent les hommes de Kibanga ; ceux-ci furent battus et se retirèrent en brousse ; là,
ils devinrent malades et voulurent s’arranger à l’amiable avec leurs adversaires. N’étant pas en
mesure de payer une indemnité suffisante en réparation du meurtre, ils convinrent avec l’héritier
du défunt, un homme Tshikala de Nyundu, de donner à celui-là la terre appelée Maseka.
En vertu de cet arrangement, Tshikala obtint le droit de percevoir tribut pour toute bête
abattue sur cette terre, et ce privilège se transmit ensuite par voie de succession au fils de
Tshikala, un nommé Kahombo, qui l’exerce encore aujourd’hui. Depuis cette cession, les gens de
Kibanga ne cessent d’ailleurs de réclamer le retour de leur terre.»169
Comme on peut s’en rendre compte, il ne s’agit pas là d’un abandon de droit de
propriété sur cette terre, mais bien d’une mise en gage dont le but est de garantir le
paiement d’une dette issue d’un délit. En effet, le nommé Tshikala n’est pas propriétaire
de cette terre. Mais il garde celle-ci pour garantir le paiement de sa créance, qui, en raison
de manque des moyens financiers de la part des débiteurs ne peut se faire qu’en nature.
Dans le cas d’espèce, le paiement se fait par la perception du tribut, qui en principe,
devrait revenir aux propriétaires fonciers. Ainsi, le fait pour lui d’avoir la garde de cette
169
J. Vannes , op.cit, p 175
65
portion de terre, lui permet d’être sûr de recouvrer sa créance au cas où une quelconque
bête serait abattue. Vannes relève que le cas susvisé n’est pas isolé. Il arrive souvent que
le débiteur abandonne au créancier la garde d’un domaine lorsqu’il n’est pas à mesure de
payer.170
En Cote d’Ivoire, soulignent les professeurs Kone Mariatou et Ibo Guehi, la terre
est partout considérée comme un bien inaliénable. On ne vendait pas la terre, on la
donnait, on la prêtait. Le nouvel acquéreur offrait au cédant de la boisson qui servait aux
libations pour signaler la présence d’un nouvel élément et pour demander sa clémence et
sa protection afin de rendre cette terre fertile ; en retour, le bénéficiaire était tenu de
donner une partie de sa production au cédant en guise de remerciement. La terre ainsi
obtenue servait à l’agriculture vivrière. L’acquéreur étranger qui se montrait « gentil »,
recevait par la suite, s’il le souhaite, une portion de forêt pour des cultures de rente ; sur
cette terre, il ne bénéficie que de l’usufruit et non de la propriété. Mais en réalité, plus
tard, jusqu’à la fin des années 80, certaines zones forestières ont connu des ventes
massives de forêt. Ce qui est présenté comme achat par un acquéreur est parfois perçu par
le cédant comme une location ou un emprunt de longue durée ; l’acquéreur n’a qu’un
droit d’usage. Ce n’est pas le sol comme matière physique qu’on vend, ce sont des droits
d’usage qu’on transfère. C’est d’ailleurs pour cela que bien qu’on ait « vendu », on en
garde le droit de tutorat, c’est-à- dire, celui qui a vendu demeure tuteur de la terre cédée.
De plus en plus, concluent-ils, face à la raréfaction de la terre, les jeunes contestent les
ventes de terre passées entre leurs parents et les étrangers. On assiste à des conflits à ce
sujet.171
Nous venons de voir que le domaine foncier coutumier est inaliénable. Mais ce
principe n’empêche pas qu’il soit consenti une cession temporaire en terme soit de
location ou de gage. Une autre question est celle de savoir le fondement de ce principe.
B. Fondement du principe
170
ibidem
171
Kone Mariatou et Ibo Guehi, op. cit, p 21
66
Pour les uns, la terre ne peut pas être aliénée au motif qu’aux yeux des indigènes
elle ne présente aucune valeur marchande. En outre, elle appartient aux vivants et aux
morts. De ce fait, les vivants ne peuvent seuls l’aliéner. Mayer, l’un des tenants de cette
thèse s’exprime comme suit :
«… la terre ne peut valoir que par les produits qu’elle donne. Elle ne peut avoir aucune
valeur, par exemple, comme terrain à bâtir. Mais les indigènes disent couramment qu’il est
préférable de posséder de la terre que des « bintu ». ceux-ci se détériorent et doivent être
remplacés. Le sol produit toujours. Il ne peut être vendu mais biens les objets mobiliers.
La terre ne peut être vendue car elle renferme les esprits des ancêtres. Elle appartient non
seulement aux vivants mais aussi aux morts de la famille. Pour l’indigène la propriété du sol n’est
pas seulement une question d’espace ; c’est aussi une question de temps. Car elle remonte dans le
passé et s’étend déjà sur toutes les générations futures. »172
De son côté, Vannes semble avoir une position nuancée. Tout en épousant
l’argument selon lequel la terre n’a pas de valeur marchande, il repousse l’idée qui
explique l’inaliénabilité par le fait que les vivants seuls sont dans l’incapacité d’aliéner la
terre. Voici ce qu’il écrit à ce sujet :
172
Ch. Mayer, op. cit, pp 25-26
173
Lumpngu Kamanda, op. cit, p64
67
Les autres pensent que l’inaliénabilité peut se justifier par le fait que l’individu
n’a pas de valeur en dehors de sa terre natale, il sera toujours considéré comme un
étranger avec toutes les conséquences qui en découle. Le professeur Kalambay, l’un des
tenants de cette thèse, écrit ce qui suit :
Dans une étude consacrée au cadre et lignes directrices sur les politiques foncières
en Afrique, l’Union africaine, la Banque africaine de développement ainsi que la
Commission économique pour l’Afrique justifient mieux le caractère inaliénable de la
terre lorsqu’elles notent que la terre demeure un facteur important dans la construction de
174
J. Vannes, op.cit, p167
175
J. Vannes, op.cit, p168
176
G. Kalambay Lumpungu, Le droit foncier zaïrois et son unification, Thèse de doctorat, Université
Catholique de Louvain, 1973, p 378
68
Nous sommes d’avis que cette thèse paraît convaincante. En effet, elle correspond
mieux avec les préoccupations que les groupes familiaux se font sur leur terre. On refuse
d’aliéner la terre parce que celle-ci est une richesse vitale pour la communauté. Elle
fournit à la communauté tout ce dont elle a besoin pour sa survie. La terre est un élément
de la personnalité des membres de la communauté. C’est par elle que s’identifie la
communauté. C’est dans ce sens que parlant du droit foncier traditionnel ntumu(Gabon),
Issac Nguema écrit que :
«C’est la terre tribale qui leur confère la capacité juridique. En dehors de celle-ci, en
effet, les Ntumu apparaissent comme de grands enfants, sans droit aucun. De même, les
personnes non-membres de leur tribu apparaissent à leurs yeux comme dépourvus de tout poids,
de tout « sel » : on ne leur reconnaît pas la capacité juridique. Ce qui entraîne comme
conséquence d’une part les Ntumu ne prennent pas d’époux en dehors du territoire tribal, d’autre
part qu’ils ne peuvent aliéner leur terre au profit des personnes non-membres de la tribu :
l’opération juridique qui est mise en œuvre à cette occasion exige un certain équilibre entre
parties.»178
Le professeur Lapika pense également que la terre reste à l’échelle
individuelle et collective, un symbole fort de l’identité d’une communauté et un élément
de reproduction sociale. C’est de la terre, écrit-il, que l’homme tire les ressources
matérielles, thérapeutiques, alimentaires et vestimentaires dont il a besoin pour survivre.
C’est aussi par la terre que l’homme se situe par rapport à la chaîne généalogique qui le
relie aux ancêtres.179
C. Assouplissement du principe
177
Union africaine, Banque africaine de développement et Commission économique pour l’Afrique, cadre
et lignes directrices sur les politiques foncières en Afrique, Addis-Abeba, 2010, p 9.
178
I. Nguema, la terre dans le droit traditionnel ntumu(Gabon), in Revue juridique et politique
indépendance et coopération, 1970, p1119
179
Lapika Dimonfu, Les enjeux fonciers et les conflits en République Démocratique du Congo, in La loi du
20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés au
Congo. Trente ans après : Quel bilan ? Essai d’évaluation, Louvain- la-neuve, Bruylant-Academia,
2004, p161
69
180
Nyamugabo Mpova, op cit, p32
181
V. Kangulumba Mbambi, op.cit, p333
70
Conclusion partielle
En droit coutumier congolais, la terre appartient à la collectivité : famille, clan ou
village. L’individu ne peut en principe être propriétaire foncier. Mais la communauté
auquel il appartient lui reconnaît le droit de jouissance individuel sur la terre
communautaire. C’est ainsi qu’il peut exploiter comme bon lui semble la portion de terre
mise à sa disposition par la communauté. A ce titre, il peut habiter, cultiver, pêcher ou
chasser sur cette terre. Il dispose également d’un droit de jachère sur la portion de terre
dont il a été le premier à défricher. Ce droit de jachère est même transmissible pour cause
de mort. Il est propriétaire des produits de son travail.
La terre communautaire est inaliénable. Elle ne peut faire l’objet d’une vente.
Cela se justifie par le fait que cette terre symbolise l’identité du groupe social. Les
membres du groupe n’ont pas d’identité en dehors de leur terre. En outre, la terre est une
source de vie pour les membres du groupe car elle leur donne tout ce qu’il faut pour leur
survie.
Les principes posés ont une influence certaine sur le droit de la femme sur la terre
communautaire. Cette question constitue notre préoccupation pour le chapitre qui suit.
71
Sur les terres des communautés locales, la femme bénéficie des droits fonciers
d’étendue diverse en tenant compte de son statut. En effet, elle peut être membre de la
communauté qui se réclame propriétaire foncier ou étrangère à la communauté mais liée
par le lien de mariage. Dans cette dernière hypothèse, la femme peut être mariée,
divorcée ou veuve.
Selon les propos recueillis auprès des notables des tribus Dinga et Mbuza182, la
femme en tant que membre du groupe propriétaire foncier accède à la terre sans
restriction. Ainsi, elle peut choisir n’importe quel endroit de son choix pour cultiver son
champs, construire sa case, élever ses bétails etc . Elle peut également couper les bois de
chauffage, cueillir les fruits sauvages, les champignons ou les chenilles. Elle n’a pas
besoin d’une quelconque autorisation pour exercer ces droits. Elle est propriétaire du
produit de son activité sur la terre qu’elle occupe. Ces propos ont été recueillis lors de
l’entretien que monsieur Mandoki Dieudonné nous a accordé en sa qualité de chef de.
groupement Likombe dans le territoire de Bumba. Les mêmes propos ont été également
tenus par monsieur Lawi, notable du village Mayumu, dans la chefferie Mateko
182
La tribu Dinga située dans la province de Bandundu est matrilinéaire alors que la tribu Mbuza se
trouvant dans la province de l’Equateur est patrilinéaire.
72
Chez les Nande, la femme célibataire a les mêmes droits que ceux reconnus à
l’homme en matière d’accès à la terre. Elle peut signer un contrat d’amodiation184 comme
amodiataire.185
Cependant, une autre question est celle de savoir si la femme peut être chef de
terre appartenant à la communauté. Chez les Dinga et les Mbuza, le chef de terre doit
nécessairement être une personne de sexe masculin. On justifie ce principe coutumier par
deux raisons suivantes :
1° La femme finit par quitter son clan pour s’établir dans le clan de son mari.
Ainsi, si on la confie la responsabilité de gérer la terre communautaire, il y a risque que la
gestion soit abandonnée à un moment donné. C’est dans ce sens que s’exprime monsieur
Makanisi Léonard lorsqu’elle affirme lors d’un entretien que la femme est considérée
dans le clan comme une ‘’immigrée.’’
2° La gestion de la terre collective par la femme présente un danger, celui de voir
le mari de la femme s’emparer de la gestion de chose communautaire, alors qu’il est
183
J. Vansina, op cit, p900
184
Aux termes de l’article 1er point 4 de la loi portant code minier, par amodiation il faut entendre le contrat
de louage pour une durée déterminée ou indéterminée, sans faculté de sous-louage, de tout ou partie des
droits attachés à un droit minier ou une autorisation de carrières moyennant une rémunération fixée par
accord entre l’amodiant et l’amodiataire.
185
R. Mulendevu Mukokobya, pluralisme juridique et règlement des conflits fonciers coutumiers en
territoires de Beni et Lubero, Nord-Kivu, République Démocratique du Congo, Thèse de doctorat,
Universiteit Gent, 2011, p 124
73
étranger au groupe. Cet argument est l’œuvre du notable Masha Lekansie qui l’affirme
lors d’un entretien qu’il nous a accordé.
En droit coutumier, la femme mariée est considérée comme étrangère par rapport
à la famille de son mari. Tout en étant mariée, elle reste étrangère vis-à-vis même de son
mari. Cette situation a une influence sur le régime matrimonial des époux mais aussi sur
la nature des droits fonciers qu’elle peut avoir durant le mariage. Ainsi, allons-nous
préciser les règles relatives au régime matrimonial avant d’examiner la question d’accès à
la terre par la femme.
Les auteurs s’accordent pour affirmer que le droit traditionnel connaît le régime
matrimonial. Les époux étant étrangers, l’un vis-à-vis de l’autre, ils sont régis en général
quant à leurs biens par le régime séparatiste. Le législateur du code de la famille note
186
Kone Mariatou et Ibo Guehi, op. cit, p23
74
aussi dans son exposé des motifs que la séparation des biens est le régime préféré par la
majorité des coutumes congolaises.187
En droit coutumier, le mariage est une affaire de deux familles et non du couple.
Mais chaque membre du couple reste membre effectif de sa famille ou de son clan. Ainsi
les biens de chaque époux appartiennent à sa famille d’origine. Il n’est pas question que
les biens d’un époux enrichissent le patrimoine de l’autre. Kimpianga Mahaniah écrit à ce
propos, sur la coutume kongo, que le mari et la femme appartenant à des clans différents,
les biens de chacun d’eux appartiennent à leurs clans respectifs, tandis que les enfants
appartiennent au clan maternel. Ainsi, la femme et les enfants se considèrent comme des
étrangers et passent réellement pour des visiteurs dans le clan paternel. D’ailleurs, les
sœurs, les frères, les tantes, les nièces, les neveux et les cousins paternels le leur
rappellent chaque jour.188 A.Sohier va dans le même sens lorsqu’il souligne que chez les
Noirs, comme les époux restent les membres de deux groupes différents, le régime est la
séparation de biens. En général chacun reste propriétaire de ce qu’il a apporté au ménage
et du produit de son activité propre.189 Cette option se justifie par le fait qu’aucune
famille ne peut accepter de s’appauvrir indument au profit d’une autre famille.
Le régime de séparation est observé tant chez les matrilinéaires que chez les
patrilinéaires. Dans son étude sur l’équilibre des institutions coutumières et les
successions au Zaïre, Phanzu Levo souligne qu’en vertu du principe de la séparation des
biens des époux qui est en droit coutumier le régime matrimonial des époux, la femme ne
conserve que ces champs ou le produit de son petit commerce, ses outils ainsi que ses
ustensiles de cuisine.190 Cette affirmation de l’auteur a été confirmée par nos enquêtes sur
terrain. En effet, des entretiens que nous avons sur terrain tant avec les notables de la
tribu Dinga, matrilinéaire qu’avec ceux de la tribu Mbudja, patrilinéaire, la séparation des
biens est le régime qui gouverne les biens des époux.
187
Exposé des motifs de la loi n° 87- 010 du 1er août 1987 portant code de la famille, in Journal Officiel de
la République du Zaïre, 28ème année, numéro spécial de 1987, p17
188
Kimpianga Mahaniah, La problématique du développement, Luozi, Presses de l’Université de Luozi,
2007, p145
189
A. Sohier, Le droit coutumier du Congo belge, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit
coutumier congolais, n° 12, 1946, p376
190
Phanzu Levo, L’équilibre des institutions coutumières et les successions au Zaïre, in Revue juridique et
politique, indépendance et coopération, n°4, 1972, p607
75
C’est ici le lieu de dire que la situation en la matière présente une certaine
similitude presque partout en République Démocratique du Congo. En effet, d’autres
études menées tant chez les patrilinéaires que chez les matrilinéaires ont abouti à la même
constatation.
Ainsi, chez les Kuba, matrilinéaires, Vansina note que le régime des biens
matrimoniaux est celui de la séparation. Ainsi les gains de la vente des produits des
cultures de forêt sont divisés. En pratique, pense-t-il, ces gains servent à arrondir un petit
pécule commun au ménage et qui est employé à divers achats qui doivent profiter une
fois au mari et la prochaine à son épouse.191
Chez les matrilinéaires Yombe, c’est la séparation des biens qui caractérise le
régime matrimonial. Chacun des époux garde la libre disposition de ses avoirs propres.
Ainsi, appartiennent au mari, tous les biens acquis tant avant le mariage que durant
l’union, y compris ceux issus du travail commun. La femme ne conserve en propre que
les biens acquis avant le mariage ou apportés à l’occasion de son installation dans la vie
matrimoniale. On lui reconnaît également le droit de propriété sur les produits provenant
des champs qu’elle cultive. L’argent réalisé à la suite de la vente de ces produits lui
reviendra également en propre.192 Dans le territoire de Kasenga, secteur du Moero, les
populations sont matrilinéaires. Dans son enquête sur le droit coutumier de ce territoire,
l’administrateur assistant Grignard note que le régime matrimonial des époux est la
séparation des biens. En effet, chacun conserve la propriété de ses propres biens. En règle
générale, les ustensiles du ménage sont à la femme, le mobilier, les armes, les instruments
de travail à l’homme. Quant aux champs, on distingue les champs du mari et ceux de la
femme.193
191
J. Vansina, op. cit, p900
192
Lihau Ebua et Nimy Mayidika Ngimbi, Droit successoral des sociétés traditionnelles au Zaïre( chez les
Mbuza de l’Equateur et les Yombe du Bas-Zaïre), in Revue juridique et politique indépendance et
coopération, n°4, 1972, p594.
193
I.L.J. Grignard, Enquête sur le droit coutumier des groupements Kilomba,Kyaka, Mulinda et Kuba
Bukongolo du secteur du Moero, territoire de Kasenga, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du
droit coutumier congolais, n°12, 1954, p289
76
Chez les Zande, patrilinéaires, Liegeois constate qu’ils sont régis par le régime de
séparation des biens lorsqu’il écrit notamment que dans le ménage, l’époux reste unique
propriétaire des biens acquis par héritages ou versements de dot. Les biens obtenus par le
travail commun sont répartis de commun accord entre les époux au moment de leur
acquisition. L’épouse conserve la propriété et la gestion des biens : objets ménagers,
vêtements, volailles qu’elle a apportés au foyer conjugal et de ceux provenant du partage
fait de commun accord des bénéfices de l’association. Elle reste unique propriétaire et
gestionnaire des biens hérités. Il s’agit du régime sans communauté.194
Van Hamme qui a analysé le droit coutumier des Bakwa Lubo, patrilinéaires,
souligne que le régime matrimonial en vigueur dans ce système est la séparation des
biens. Il note que la propriété mobilière collective n’existe pas, même pas entre mari et
femme. La femme possède tous les biens qu’elle a apporté au ménage et tous ceux qu’elle
a acquis de son propre denier : des vêtements, des ustensiles de ménage, de l’argent, du
bétail, de la volaille, des fétiches, des bagues, colliers. L’homme possède de l’argent, des
vêtements, des meubles, des ustensiles de ménage, de culture, de chasse et de pêche, du
bétail, de la volaille, des instruments de musique, des esclaves, le produit de ses cultures
et de celles de sa femme, le vélo, la machine à coudre, le fusil, un porte-plume, une
horloge, des lunettes au soleil.197
194
A.J.B. Liegeois, La coutume Zande, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit coutumier
congolais, n°3, 1953, p 49.
195
Tribunal de territoire de Bukama, jugement n° 651 du 17mai 1949, in Bulletin des Juridictions Indigènes
et du droit coutumier congolais, n° 4, 1951, p125
196
Tribunal secondaire de Mwashia du secteur Bena-Ngoma, jugement n°5 du 25 février 1950, in Bulletin
des Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n° 5, 1952, p301
197
Van Hamme, op.cit, p340
77
D’une façon générale, il est admis que la femme mariée accède à la terre
appartenant au clan ou à la famille de son mari, et ce, du vivant de celui-ci. En effet, elle
a le droit de cultiver les champs, d’y habiter, de pêcher, de faire la cueillette de tout
genre. Ces droits sont reconnus à la femme tant dans le système matrilinéaire que dans le
système patrilinéaire. Les notables interrogés à ce sujet, affirment que selon les
coutumes Dinga et Mbuza, la femme mariée dispose des droits susvisés. En effet, lors de
nos enquêtes, nous avons posé la question de savoir si selon la coutume, la femme
mariée, étrangère au groupe social de son mari, pouvait bénéficier des droits fonciers du
vivant de celui-ci sur les terres appartenant au clan ou à la famille de ce dernier. A cette
78
question, tous les notables interrogés ont répondu par l’affirmative, en précisant que tant
que son mari est en vie, il accèdera sans réserve à la terre par le truchement de celui-ci.
La situation est quasiment identique dans d’autres tribus. L’enquête menée par
Mayer sur le droit coutumier des Bena Tshitolo révèle que chaque femme a son champ.
Si le mari est polygame, toutes les femmes font en outre le champ du mari. La récolte est
engrangée chez le mari, si celle-ci provient de son champ. La récolte de chaque femme
est engrangée dans la case habitée par chacune d’entre elles. 198 Chez les Yombe, la
femme a le droit de propriété sur les produits des champs qu’elle cultive.199
Marchal qui a mené des enquêtes dans le Haut-Katanga constate qu’en droit
foncier coutumier des Bazela, Balomotwa et Banwenshi, pour que la femme vienne
résider au village de son mari, il faut que celui-ci lui cède, en arrivant, un champ ou un
grenier bien fourni. Lorsque le mari prend une femme supplémentaire, il lui cède
d’ordinaire son champ « mukala », à condition qu’une autre épouse n’y ait pas travaillé
.200 De son côté, le professeur Van Der Kerken cité par Kremer, note qu’au Katanga, de
champs collectifs n’existent pas. Lorsque les terres ont été affectées aux cultures, avec
l’autorisation du chef, le champ de chacun est bien déterminé. Ce champ est individuel,
les fruits y sont individuels. Lorsque le mari est polygame, chaque femme généralement a
son champ à cultiver.201
Un coup d’œil en droit coutumier africain comparé nous renseigne que dans
certains pays de l’Afrique Centrale, la situation n’est pas différente. C’est notamment le
cas en droit coutumier gabonais où Agondjo-Okawe, analysant le droit foncier de la
société nkomi, note que l’épouse est également étrangère. Elle tient ses droits fonciers de
son époux dans les limites de ses obligations domestiques, elle a droit de propriété
privative sur ses plantations.202
198
Ch. Mayer, Enquête sur le droit coutumier des Bena Tshitolo, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du
droit coutumier, n°2, 1953, p26
199
Lihau Ebua et Nimy Mayidika Ngimbi, Droit successoral des sociétés traditionnelles au Zaïre( chez les
Mbuza de l’Equateur et les Yombe du Bas-Zaïre), in Revue juridique et politique indépendance et
coopération, n° 4, p 594
200
R.Marchal, op. cit, p 18
201
E.Kremer, op. cit, p283
202
P-L.Agondjo-Okawe, les droits fonciers coutumiers au Gabon, in Revue juridique et politique
indépendance et coopération, 1970, p1146
79
Comme on peut se rendre compte, la femme a le droit de propriété sur les cultures
ainsi que ses produits. Sur la terre, elle ne dispose que d’un droit de jouissance, et ce, par
l’entremise de son époux. En principe, la durée de ce droit est fonction de la durée du lien
conjugal. Il est bien entendu que la mort du conjoint est une raison mettant fin au
mariage. Ainsi, allons-nous analyser les droits fonciers de la veuve.
Il est question ici de savoir si la femme accède aux droits fonciers après la mort de
son mari. Pour ce faire, nous allons d’abord analyser les règles coutumières relatives à la
dévolution successorale, ensuite la situation foncière de la femme veuve.
203
Kone Mariatou et Ibo Guehi, op. cit, p 25
80
aux biens et droits qu’il a recueillis.204 C’est ce qui fait dire à Manzila qu’en droit
coutumier la succession n’est pas seulement la succession aux biens du défunt, mais et
avant tout c’est une succession au pouvoir du défunt qui entraîne celle des biens. En effet,
poursuit-il, dans la société traditionnelle, les biens qui constituaient l’héritage du défunt
étaient généralement de peu d’importance. La succession au pouvoir n’est pas en principe
divisible et ceci est la raison pour laquelle la coutume n’admet que la désignation d’un
seul héritier responsable.205 C’est ainsi que dès qu’une personne meurt, tous les droits et
obligations qui composaient son patrimoine sont transmis d’office à titre universel, à
l’héritier désigné par la coutume. Celui-ci se trouve investi dès le moment du décès de
l’actif et du passif de la succession, et il lui est impossible de renoncer à celle-ci.206
Ces propos sont également partagés par les professeurs Kone Mariatou et Ibo
Guehi qui notent que la succession en droit coutumier a un double objet : la succession
aux fonctions qui consiste à transmettre des valeurs sociales et religieuses, des charges et
des pouvoirs détenus par le défunt dans le lignage. C’est aussi la transmission des
connaissances plus particulièrement en matière médicale. Il s’agit également de la
succession aux biens qui ne consiste pas seulement à transmettre des biens individuels
mais aussi les biens du lignage coutumier. La personne désignée pour les recevoir ne
devient pas propriétaire de ces biens, elle n’est qu’un administrateur ou gérant des biens
du groupe. Ainsi, en droit coutumier la désignation d’un seul héritier s’impose car la
succession aux fonctions n’est pas en principe divisible.207
Nous allons successivement dans les lignes qui suivent analyser les règles de
dévolution successorale ab intestat tant en régime patrilinéaire que matrilinéaire avant de
voir la dévolution testamentaire.
A. Succession ab intestat
204
Kilolo, Le droit coutumier des successions de la ville de Kinshasa, in Revue zaïroise de droit, n°1,
1972, p 29
205
Manzila Lutumbu sal’a sal, Les successions en droit civil zaïrois, in Revue juridique et politique
indépendance et coopération, n°4, 1972, p 512
206
Kilolo, op. cit, p29
207
Kone Mariatou et Ibo Guehi, op. cit, p 17
81
I. Régime patrilinéaire
Dans la succession horizontale, les frères du de cujus sont des héritiers de premier
rang, à défaut de ceux-ci, les autres collatéraux tels que les demi-frères et cousins.
Manzila explique cette situation en soulignant que lorsque la succession est horizontale,
elle est attribuée en principe aux frères du défunt par rang d’âge, à défaut des frères, à
l’aîné des fils ou aux neveux, fils des frères, à leur défaut au père ou aux frères de celui-
ci.209 La jurisprudence coutumière luba décide que les héritiers du « de cujus » sont
d’abord ses frères germains, en cas de disparition de ceux-ci, les frères consanguins, en
commençant par le plus âgé, puis seulement les fils du défunt.
208
Manzila Lutumbu Sal’a Sal, op.cit. p510
209
Manzila Lutumbu Sal’a Sal, op. cit, p510
82
Si le de cujus n’a ni frères ni demi-frères ni cousins, ses biens sont hérités par son
père ou, si son père est décédé, par ses oncles paternels.210
Il arrive exceptionnellement aussi que les enfants héritent de leur père. C’est
notamment le cas lorsque le de cujus n’a laissé en vie ni ascendants ni collatéraux
capables d’assumer la tutelle. Dans ce cas, c’est le fils le plus âgé qui devient héritier et
c’est lui qui exerce les droits reconnus aux héritiers et assume les obligations qui
incombent à tout successeur.211
Si les enfants du de cujus sont mineurs et qu’il a laissé dans son lignage ni
ascendants ni collatéraux appelés à lui succéder, c’est l’oncle maternel du défunt qui
deviendra l’héritier. Dans ce cas, il aura l’obligation de s’occuper de l’éducation des
enfants mineurs laissés par le défunt.212
Lorsque la personne décédée est une femme mariée, étant donné qu’elle reste
membre de sa famille d’origine, les biens qu’elle laisse reviennent à son lignage. Ainsi,
les biens de la défunte reviendront à ses frères et sœurs, demi-frères et demi-sœurs ou ses
cousins et cousines qui vont se les partager.
Dans une étude pertinente sur l’analyse critique de la jurisprudence des tribunaux
coutumiers relative au droit des successions en République du Zaïre, Ntambwe Makadi
relève notamment en ce qui concerne la succession horizontale que chez les Hemba, le
frère du défunt hérite de l’actif de la succession laissée par ce dernier.213 Chez les Baluba
du Shaba, la succession passe d’abord aux frères germains puis, à défaut, aux frères
utérins ou au fils du de cujus.214Dans la coutume Bayashi, il a été jugé que le frère aîné
hérite du défunt et peut, en cette qualité, poursuivre le recouvrement de la dot payée par
le de cujus.215
210
Lihau Ebua et Nimy Mayidika Ngimbi, op. cit, p591
211
Ibidem
212
Lihau Ebua et Nimi Mayidika Ngimbi, op. cit, p 591
213
Ntambwe Makadi, Analyse critique de la jurisprudence des tribunaux coutumiers relative au droit des
successions en République Démocratique du Congo, in Revue juridique du zaïre, n° 3, 1974, p163
214
Ntambwe Makadi, op.cit, p166
215
Ibidem
83
De son côté, Mayer, dans une enquête consacrée aux Bena Tshitolo souligne qu’à
la mort du de cujus, l’ensemble de la succession revient au frère aîné de la personne
décédée, à défaut, à son fils aîné. Quant à la composition de la succession, l’auteur note
qu’elle est composée des personnes, des animaux et des objets laissés par le défunt.
Ainsi, l’héritage d’un père de famille se compose de ses femmes, de ses enfants,
anciennement de ses esclaves, de son bétail, de ses poules, de ses cultures, de ses armes,
de ses instruments de travail, etc…216
La particularité de cette coutume réside dans le fait que s’agissant de la terre, c’est
toujours le fils aîné du de cujus qui l’hérite. Si ce dernier n’a pas d’enfant, c’est son frère
aîné qui en devient propriétaire sinon, elle revient aux cousins. Sur le plan pratique, tous
les fils du défunt peuvent accéder à la terre laissée par leur géniteur en y cultivant les
champs. Il en est de même en ce qui concerne le frère aîné du défunt. Il convient
cependant de noter que les filles n’héritent pas de la terre.217
En droit coutumier Nande, Mulendevu Mukokobya constate que la femme n’est
pas comptée parmi les successibles en cas de décès de ses parents ou de son mari. Elle
n’hérite donc pas de la terre218. L’héritage est assumé par les personnes de sexe masculin
de la famille. Généralement, c’est le frère aîné qui est l’héritier. Ce principe est
également observé par les ethnies de la région de l’Ituri où on note dans l’ensemble que
leurs coutumes ne permettent pas aux personnes de sexe féminin d’hériter.219
De ce qui précède, il ressort que la femme ainsi que les enfants du défunt sont
exclus en principe de la succession. Dans l’hypothèse où les enfants peuvent prendre part
à la succession, les filles en sont exclues au profit des garçons. Qu’en est-il alors de la
succession verticale ?
216
Ch. Mayer, op. cit, p15
217
Idem, p 28
218
R. Mulendevu Mukokobya, op. cit, p 126
219
R.C.N Justice et Démocratie, op. cit, p27
84
B. Succession verticale
Dans la coutume zande, les biens du de cujus sont partagés entre ses enfants
mâles, avec avantage au fils aîné en tant que chef de famille. A ce titre, il lui appartient
de procéder au partage de l’héritage. Si les héritiers sont en bas âge, l’aîné des frères du
220
Ntambwe Mbakadi, op. cit, p 168
221
E. Lamy et Lokwa Ilwaloma, La dévolution successorale en République du Zaïre, in Revue juridique et
politique indépendance et coopération, n°4,1972, p536
222
E. Lamy et Lokwa Ilwaloma, op. Cit, p536
85
défunt sera chargé de la tutelle et de la garde de l’héritage qu’il remettra aux héritiers lors
de leur majorité. A défaut des descendants mâles, le frère aîné du défunt ou celui de ses
frères qu’il a désigné recueille l’héritage. A défaut de descendants ou de collatéraux
mâles, la fille aînée a priorité. En dernière hypothèse, la sœur du défunt hérite et partage
avec la parenté maternelle du défunt.223
Dans la coutume des Bakwa Lubo, en cas de décès d’un père de famille, la
succession est assurée par son fils aîné qui devient tuteur des autres enfants et qui hérite
également des femmes de son père, à condition qu’il soit adulte. Si le fils aîné n’est pas
adulte, tous les enfants passent sous la tutelle du frère aîné de leur père, qui a la garde des
biens jusqu’à ce que le fils aîné soit adulte. Il deviendra également le tuteur des femmes
du de cujus et il a le droit de marier ces femmes à des tiers, mais il devra en
compensation procurer plus tard une femme aux garçons qui sont passés sous sa tutelle. Il
perçoit également la dot des filles placées sous sa tutelle.226
223
A.J.B. Liegeois, La coutume zande, territoire de Dungu in Bulletin des Juridictions Indigènes et du
droit coutumier congolais , n° 3, 1953, p50
224
P.E.Joset, Notes ethnographiques sur le sous-tribu des Walese abfunkotou, in Bulletin des Juridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n°2, 1949, p96
225
L. Deremiens, Quelques considérations sur la coutume des Bena Ebombo, in Bulletin des Juridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n°3, 1953, p64
226
Van Hamme, op.cit, p342
86
L’héritier dispose des droits et des obligations envers les membres de la famille.
Ainsi, il a le droit sur les biens laissés par le défunt, sur les veuves et les enfants, aux
titres, fonctions et honneurs. En effet, il devient l’administrateur des biens laissés par le
de cujus. Les veuves à l’exception de sa mère et les enfants passent sous son autorité. Il
hérite le titre coutumier sous lequel son père était connu dans le milieu traditionnel. De ce
fait, il fréquente les sociétés dans lesquelles son père était membre et prend la place de
celui-ci.
Parmi ses obligations, l’héritier a notamment le devoir de partager les veuves avec
ses frères majeurs et de trouver une épouse à chacun de ses plus jeunes frères à leur
227
J. Bukera , La dévolution successorale en droit burundais, in Revue juridique et politique indépendance
et coopération, n°4, 1972, p614
228
J.Bukera, op. cit, p616
229
Ngongang-Ouandji, op. cit, 650
87
majorité. Il doit entretenir ses sœurs jusqu’à leur mariage. Bref, il doit s’occuper de tous
les membres de la famille comme le ferait le de cujus.230La situation de l’héritier paraît
ici identique à celle de l’héritier en droit normand du 16éme siècle. En effet, selon J.
Musset, le fils aîné considéré comme héritier principal, était dit « tuteur naturel et
légitime » de ses frères et sœurs. Revêtu d’un véritable pouvoir domestique, il exerçait un
office familial. Tous lui devaient obéissance, respect et honneur comme il en avait été à
l’égard du père dont il prenait la place.231
Au Togo, le système patrilinéaire est le plus usuel. La terre est un bien collectif,
appartenant à la famille. Seuls l’usage ou l’exploitation sont individuels. S’agissant de la
230
Ngongang-Ouandji, op.cit, p646-647
231
J. Musset, Le régime des biens entre époux en droit normand, Caen, Presses Universitaires de Caen,
1997, p43
232
Ngongang-Ouandji, op.cit, p646-647
233
E. Mayinguidi , Des successions en droit coutumier du Congo, in Revue juridique et politique
indépendance et coopération, n°4, 1972, p665
234
E. Mayinguidi , op. cit, p670
235
E. Mayinguidi , op. cit, p668
88
transmission de la terre par Héritage, à la mort du propriétaire, la terre qu’il exploitait est
transmise à ses héritiers. L’héritier par excellence en droit coutumier togolais, c’est la
famille du défunt, car c’est elle qui hérite de la terre. Mais les champs ainsi que les
cultures du défunt sont hérités par son fils aîné. Celui-ci assure le partage avec les autres
héritiers, à l’exclusion des filles. Cette exclusion est justifiée par le fait qu’on évite que
les biens fonciers ne sortent du patrimoine de la famille paternelle. En effet, la terre étant
un bien collectif, la fille en se mariant, introduirait des « étrangers », c’est-à-dire ses
enfants, qui viendraient déposséder la collectivité de son patrimoine foncier.236
Le droit coutumier malgache va dans le même sens. En effet, dans une étude sur
le droit successoral malgache, Ernest Njara note qu’en cas de pluralité d’héritiers, la
gestion provisoire des biens de la succession échoît à l’aîné qui en assurera plus tard le
partage entre les successeurs. L’auteur renchérit que certaines coutumes ,celles du littoral
sud-est, refusent aux enfants du sexe féminin le droit à la succession des immeubles de
leur auteur, le souci étant la conservation du patrimoine familial ; il est à craindre que ces
derniers, une fois mariés, cèdent leur part de succession à leur mari ou à leur progéniture.
Ce qui entraînera l’intrusion d’un élément étranger dans la famille, un danger pour l’unité
du patrimoine familial. L’épouse ne peut non plus hériter de son mari les biens
immobiliers. Si elle hérite, c’est au nom de ses enfants mineurs. En qualité de simple
usager, elle peut continuer à habiter avec ses enfants la case qui était le domicile
conjugal.237
Au Burundi, il est observé également que la tradition exclut quasiment la femme
de la succession au motif que selon le système patrilinéaire, elle ne perpétuait pas la
famille où elle était née. Ainsi, chaque fois qu’elle est en concours avec des membres
mâles de la famille, elle devrait être exclue, quel que soit le degré de parenté avec le
défunt. Bien que les filles n’héritent pas de la terre, la coutume veut cependant qu’elles
reçoivent une portion de terre qu’elles peuvent cultiver tout au long de leur existence,
mais qu’elles ne peuvent ni vendre ni léguer à leurs enfants.238
236
ADA Consulting Africa, Etude sur les politiques foncières et l’accès des femmes à la terre au Togo,
Lomé, MDG3 Fund, juillet 2009, pp26-27
237
E. Njara, Le droit successoral malgache, in Droit et Cultures, n°33, 1977, p 169
238
R.C.N Justice et Démocratie, Etude sur les pratiques foncières au Burundi : Essai d’harmonisation,
www.rcn-ong.be, mars 2004, p 56
89
De tout ce qui précède, il ressort que dans la succession patrilinéaire les femmes
ainsi que les filles sont exclues de la succession. L’épouse n’hérite pas de son mari. Cela
se justifie par le fait que selon la conception coutumière de la succession, le successeur
hérite avant tout le pouvoir du de cujus et cela entraîne également l’héritage des biens. Il
est donc difficilement acceptable qu’une femme accède au pouvoir dans la mesure où
dans la coutume, le pouvoir est tenu par les hommes. En outre, la femme mariée est
étrangère par rapport à son mari.
La fille est exclue de l’héritage foncier au motif qu’elle est appelée à se marier,
ainsi on évite qu’elle fasse introduire au sein de la famille des étrangers qui viendront
s’accaparer des biens fonciers familiaux. Par étrangers ici, on entend soit les enfants issus
de son mariage, soit son époux.
239
ONU-HABITAT, Droits des femmes au sol, à la propriété et au logement : Guide global pour les
politiques publiques, mars 2007, p 21.
90
Dans ce système, la succession est toujours horizontale. En effet, elle se fait dans
la branche féminine du côté de la mère du défunt. C’est ainsi qu’elle va du défunt à son
frère le plus âgé, à défaut de celui-ci aux neveux, fils de sa sœur, et à défaut de ceux-ci
aux oncles maternels. Comme on peut s’en rendre compte, les enfants n’héritent pas de
leur père. Cela se justifie par le fait que les enfants n’appartiennent pas en principe à la
parenté de leur père, mais celle de leur mère.
Ce qui vient d’être dit a été confirmé par nos enquêtes de terrain sur la tribu
Dinga. En effet, dans cette tribu, l’héritage se transmet du défunt à son frère ou à son
neveu. La femme et les enfants ne peuvent pas hériter du de cujus. Ils sont étrangers vis-
à-vis de lui. Ainsi, ses biens ne peuvent pas quitter sa famille pour enrichir une autre
famille. C’est ce qu’affirme monsieur Mupapa willy, notable du village Kibala, chefferie
Sedjo lors d’un entretien sur la question.
La situation est pareille dans toutes les sociétés régies par ce système. C’est
notamment le cas dans la société yombe. En effet, selon les règles coutumières en vigueur
dans cette tribu, lorsqu’un homme décède, ses biens sont hérités par son frère et, à défaut,
par son neveu, son cousin ou son oncle.241Dans la coutume tshokwe, seuls les neveux
appelés « Eghwe » et les frères du défunt de la même génération héritent. Les enfants du
de cujus n’ont pas droit à l’héritage de leur père. Mais, cette coutume oblige les héritiers
240
P. Nimi , Le régime du matriarcat et ses funestes conséquences, in La Voix du Congolais, n°35, 1949,
p59
241
Lihau Ebua et Nimy Mayidika Ngimbi, op. cit, p595
91
légitimes à donner aux enfants du de cujus, avant qu’ils ne rentrent au village de leur
mère, des cadeaux pris sur les biens laissés par leur père.242
Dans une étude qui couvre la circonscription indigène des Baushi comprenant les
chefferies des Kiniama, Kaimbi, Mwenda, Kimese-Kalonda, Michaux constate que dans
cette circonscription, les biens du défunt appartiennent à son oncle maternel, et à son
défaut, au neveu du défunt. A défaut d’héritiers bien déterminés, les biens appartiennent à
ceux du même clan.243
Wangana va dans le même sens lorsqu’il écrit qu’après la mort du père, ses biens
sont partagés entre ses frères et sœurs utérins. Sa veuve et ses enfants, démunis de tout, se
trouvent dans l’obligation de demander secours à leurs oncles maternels. Il arrive même
que certains frères et neveux du défunt vont jusqu’à interdire aux enfants de jouir des
mêmes droits qu’eux sur les cultures et autres biens du clan paternel précisément parce
qu’il s’agit des terres de leur clan.245
242
L. de Wilde, Essai de synthèse juridique des coutumes tshokwe concernant les biens mobiliers et les
successions, in Journal des Tribunaux d’Outre-mer, n°7, 1956, 165
243
Michaux, Etudes des juridictions de Kiniama-Kaimbi-Mwenda-Kimese-Kalonda, in Bulletin des
Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°10, 1952, p281
244
Decapmaker, Le matriarcat en face de l’évolution, in Aequatoria, n°3, 1959, p 99
245
P. Wangana , Le régime familial des Bakongo, in La Voix du Congolais, n° 39, 1949, p228
92
défunt. La mort d’un père de famille mukongo prive ses enfants de tout car les oncles
maternels du père viennent s’emparer de tous les biens du défunt. »246
Dans une étude sur les politiques foncières et l’accès des femmes à la terre au
Togo, ADA Consulting Africa souligne qu’en droit coutumier togolais, il existe aussi le
système matrilinéaire parmi les systèmes successoraux. En effet, d’après ce système, les
enfants ne font pas partie de la famille de leur père, mais de celle de leur mère. De ce fait,
ils n’accèdent pas à la succession du père lorsque celui-ci décède. C’est la famille
maternelle du père qui hérite seule des biens du défunt. La tradition togolaise veut que
tout bien acquis de la terre ne fasse pas l’objet de partage ; la terre étant un bien collectif.
Ce système, souligne l’auteur, a des conséquences désavantageuses, surtout pour les
enfants qui passent la majeure partie de leur vie à travailler avec leur père dont ils
n’hériteront jamais. Il en est de même pour leur mère. Enfin, l’auteur constate que ce
système a presque disparu dans la société togolaise contemporaine247.
En Cote d’ivoire, le matrilinéaire existe également. Selon l’étude menée par les
professeurs Kone Mariatou et Ibo Guehi, ce système se retrouve dans les groupes situés
dans le centre et sud-est du pays ainsi que dans le nord et nord-est. Dans ces sociétés,
sont appelés à la succession, non pas les enfants du de cujus mais les frères ou neveux
utérins. Quant à la femme, elle ne peut hériter de biens(matériels ou fonciers) ni en tant
que fille du défunt, ni en tant que nièce et encore moins en tant qu’épouse car ce sont les
frères qui constituent le premier ordre d’héritier et il n’y a aucune vocation successorale
entre époux. La femme est donc doublement marginalisée.248
246
TH. Dimbany, Sous le joug du matriarcat, que sera l’avenir de nos enfants ?, in La Voix du Congolais, n°
85, 1953, p 220
247
ADA Consulting Africa, op. cit, p26
248
Kone Mariatou et Ibo Guehi, op.cit, p 16
93
nombreux sont ceux qui pensaient qu’il y avait nécessité d’abolir cette coutume. Une
minorité plaidait pour son maintien. Nous allons essayer de donner les arguments des uns
et des autres.
Parmi les ténors de la thèse abolitionniste, on peut citer Daniel Kanza , qui dans
plusieurs articles consacrés au régime familial chez les Bakongo fustige les méfaits de ce
système caractérisé par l’autorité de l’oncle maternel sur ses neveux et nièces, alors que
le père qui prend soin de ses enfants se trouve relégué au second plan. Ainsi, qualifie-t-il
ce régime d’injuste.249 Cette position est également celle de Decapmaker, lorsqu’il
s’étonne des effets du matriarcat en écrivant ce qui suit :
«Pour nous Européens, qui ne connaissons guère que le régime du patriarcat, cela
semble fort étrange, inconséquent, difficilement acceptable, pas viable, butant même contre la
nature. Ils sont deux pour produire un enfant, et cet enfant naît unilatéralement membre de la
famille maternelle, possédé par les oncles maternels. Ses relations à la famille paternelle restent
sans considération. Le père aime son enfant et réciproquement l’enfant vénère son père, aussi
longtemps qu’il n’est pas supplanté par l’oncle maternel. Cela se voit surtout quand
éventuellement père et mère se séparent ; alors l’intérêt de l’enfant pour son père est à peu près à
zéro, et tout le poids porte sur la famille maternelle, sa famille tout court.»250
Dans une étude sur le même sujet, Patrice Nimi reprend également les doléances
des pères de famille contre le matriarcat. L’auteur souligne que cette coutume favorise
tellement les oncles maternels que les pères de famille la considèrent comme une réelle
exploitation ; ils sont déçus et démoralisés au point de ne plus comprendre ce que sont
pour eux leur épouse et leurs enfants. Nous-mêmes, renchérit-il, avons été les victimes de
l’indifférence marquée par nos pères pour notre avenir. Pourtant, lorsque nous
considérons combien l’homme travaille, se dévoue et se sacrifie dans l’intérêt de sa
famille, quand nous considérons ce que les pères bakongo font pour leurs enfants, malgré
les entraves du matriarcat, nous devons convenir qu’ils sont de véritables dupes des
oncles maternels. Aussi, si l’on tient compte des multiples sacrifices qu’ils s’imposent
pour assurer le bien-être de leur famille et des déboires qu’ils en éprouvent, les pères
bakongo doivent en arriver à regretter de s’être mariés et d’avoir des enfants.251
249
D. Kanza , Le régime familial chez les Bakongo, in La Voix du Congo, n° 24, 1948, pp107-109 ; n°34,
1949, pp24-26 ;n°37, 1949, pp114-116
250
Decapmaker, op. cit, p99
251
P. Nimi , Le matriarcat doit payer les conséquences de son action injuste et malhonnête, in La Voix du
Congolais, n° 56, 1950, p634
94
De son côté, Raphael Batshikama relève que le matriarcat est une coutume qui
joue un rôle séparateur et détruit la famille. En effet, soutient-il, dans ce système, le mari
voit en sa femme non une compagne, mais un capital emprunté, les enfants sont
considérés comme les intérêts de ce capital dont le bailleur est l’oncle maternel. Il
s’ensuit que le père n’a aucun droit sur ses propres enfants et par conséquent, il n’a pas
non plus le devoir de les éduquer, ni de les soigner.252 C’est ainsi que dans un article sur
l’accession des noirs à la propriété foncière et le clanisme, M.G.D propose que la
politique de l’Etat en matière coutumière puisse viser l’abolition progressive du
matriarcat pour lui substituer le modèle européen de la famille qui veut que les enfants
appartiennent aux parents, mère et père. Selon l’auteur, ce modèle offre des avantages
incontestables tels que : augmentation des naissances, installation de nombreux paysans,
plus grands efforts des parents en vue d’une meilleure éducation de leurs enfants.253
Les défenseurs du matriarcat parmi les évolués n’étaient pas nombreux. C’est
ainsi qu’on ne trouve pas assez d’écrits dans ce sens. Cependant, il y a lieu de noter les
arguments avancés par Kasa-Vubu sur la question. Dans une étude intitulée « A propos
de la suppression du matriarcat, l’auteur rencontre les arguments de ceux qui plaident
pour la suppression du matriarcat. En effet, il constate que les partisans de la suppression
du matriarcat ne disent rien au sujet des garanties dont ils entendent entourer l’avenir des
enfants dans le nouveau régime qu’ils veulent instaurer. Il en est de même en ce qui
concerne les vieillards, les veuves, les orphelins, les pauvres et les enfants naturels. En
outre, poursuit-il, les partisans de la suppression de cette institution séculaire tient à
l’oubli la mère des enfants pour mettre en avant plan leurs propres intérêts.254
Le même auteur pense qu’il appartient aux parents seuls le droit sacré
(l’obligation) d’élever leurs enfants et d’assurer leur éducation jusqu’à leur émancipation.
C’est à ce moment que cesse la puissance paternelle ou maternelle. Emancipés, les
enfants deviennent leurs propres chefs, libres et égaux à leurs parents devant la loi et la
252
R.Batshikama , Qui est le chef des enfants dans le Bas-Congo ? Le seul problème, Le seul effort, in La
Voix du Congolais, n° 58, 1951, p 27
253
M.G.D, l’accession des noirs à la propriété foncière privée et le clanisme, in La Voix du Congolais,
n°34, 1949, p7
254
J.Kasa-Vubu , A propos de la suppression du matriarcat, in La Voix du Congolais, n° 64, 1951, p374
95
coutume du régime matriarcal. Comme on le constate, tous ces droits sont reconnus et
garantis simultanément par la loi et par la coutume. Il est inexact de dire que dans le Bas-
Congo, les droits du père, mêmes légitimes sont méconnus. Il y aurait lieu de distinguer
les droits légitimes des droits qu’on se donne et que l’on voudrait légitimes pour abuser
de ses enfants ; de pareils droits ne peuvent, en aucun cas, être légitimes.255
Enfin l’auteur soutient que la suppression du matriarcat est sollicitée par les
évolués qui constituent une minorité parmi la population du Bas-Congo. Etant une
minorité, ils auraient mieux fait de demander pour eux un statut juridique spécial plutôt
que de souhaiter la création d’un statut juridique applicable à tous.
Dans le statut spécial, on pourrait, par exemple, inviter ceux qui se sont affranchis
de la coutume de se marier civilement, et cela en vue de réserver la succession aux
enfants et à la veuve. Comme on le voit, un statut de ce genre ne peut certainement pas
être indistinctement appliqué à toute la population du Bas-Congo qui, en une majorité
impressionnante, respecte les institutions ancestrales. Ces institutions qui ont régi la
population du Bas-Congo pendant des siècles, ne manquent ni de vitalité ni d’efficacité.
Son efficacité se manifeste notamment par le fait que la population du Bas-Congo a
toujours été prolifique, disciplinée, économe et charitable : elle soutient, en effet, les
vieillards, les veuves, les orphelins, les enfants naturels et les pauvres. La prospérité de la
société du Bas-Congo est due à ces institutions qui en constituent le fondement.256
De ce qui précède, on peut noter que le régime matrilinéaire dénie les droits
successoraux à la femme et aux enfants, filles comme garçons. Cette exclusion se justifie
par le fait que la femme ainsi les enfants sont étrangers vis- à – vis de la parenté du de
cujus. Il convient de souligner que ce système marque une différence avec le système
patrilinéaire qui accorde aux enfants, au moins les garçons, des droits successoraux.
255
J. Kasa –Vubu, op.cit, p 374
256
J.Kasa-Vubu , op.cit, p 375
96
création des richesses de son mari. Elle prend une part décisive aux travaux champêtres,
qui constituent dans les milieux ruraux, l’activité génératrice des ressources par
excellence. C’est également elle qui prend soin de son mari. Il est donc injuste qu’à la
mort du mari, la femme ne soit pas parmi les personnes qui héritent.
Les deux régimes sont aussi discriminatoires. En effet, les personnes de sexe
masculin sont privilégiées par rapport à celles de sexe féminin.
C. Succession testamentaire
257
C.Kuyu Mwissa, Parenté et famille dans les cultures africaines, Paris, Karthala, 2005, P25
258
ONU-HABITAT, op.cit, p 21
97
Nous allons dans un premier temps vérifier l’existence du droit de tester avant de
parler des limites de ce droit.
1. Droit de tester
L’existence du testament en droit coutumier a fait l’objet des discussions. Les uns
estiment que le de cujus n’a pas le droit de tester ; et pour cela ils s’appuient sur le
brocard selon lequel « Le mort n’a plus rien en main : comment pourrait-il après son
décès disposer de biens dont il n’est plus propriétaire ? » Les autres pensent que le de
cujus a le droit de tester. Cette tendance est symbolisée par un autre brocard qui
s’exprime en ces termes : « Qui oserait sans craindre une vengeance de l’au-delà résister
à la volonté d’un mort ? »
En principe, le testament laissé par le de cujus devrait être respecté dans la mesure
où il assurait la continuité et l’unité du clan ou de la famille. Ainsi, la liberté du testateur
concerne notamment l’ordre des successibles coutumiers tout en restant dans les limites
du clan. Voilà pourquoi le de cujus peut substituer à l’aîné un puîné qu’il estime plus
digne et plus capable. Il pourra aussi attribuer à titre particulier, certains biens aux
héritiers secondaires comme un des ses enfants, plus particulièrement une fille et à la
rigueur à son conjoint survivant, sans toutefois porter atteinte au patrimoine
259
A.Sohier , Le droit coutumier du Congo belge, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit
coutumier congolais,n° 10, 1946, p307
98
Chez les Bakwa Lubo, le de cujus a le droit de déroger aux règles coutumières
d’usage en matière d’héritage. Il a le droit de faire son testament. La forme pratique sous
laquelle se présente cette dérogation aux règles coutumières est le déshéritage : le père
déshérite son fils aîné et lègue ses biens au fils puiné ou au cadet.261
Chez les Bayansi, de Beaucorps rapporte qu’en cas d’indignité des héritiers
coutumiers, il arrive que le testateur les déshérite. Dans ce cas, il rassemble autour de lui
les membres les plus anciens de son clan et les prend à témoin de sa volonté.262
La liberté de tester possède des limites. En effet le testateur est tenu de respecter
les règles coutumières. En principe, il est interdit au testateur d’attribuer tout ou partie de
ses biens à un étranger. Il ne peut pas partager le patrimoine collectif ou clanique qui
constitue une réserve impartageable. Ce patrimoine est constitué essentiellement de la
terre appartenant au clan ou à la famille. Mayer note que chez les Bena Tshitolo,
260
E.Lamy et Lokwa Ilwaloma, op. cit, p539
261
P.E. Van Hamme, op; cit, p342
262
S.J. de Beaucorps, les Bayansi du Bas-Kwilu, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit
coutumier congolais, n°6, 1933, p110
263
L. de Wilde, op.cit, p166
264
L.J. Grignard, op.cit, p293
99
généralement, le défunt partage ses biens avant sa mort. Mais il doit suivre les principes
coutumiers, sinon les parents lésés ne tiendront pas compte de la volonté du testateur.
C’est ainsi qu’il est interdit au testateur de léguer ses biens ou une partie de ceux-ci à un
ami même si celui-ci lui aurait de son vivant, rendu d’énormes services.265
L. de Wilde note que chez les Tshokwe, pour des motifs dérivant de l’idée très
ancrée de la solidarité familiale, il n’arrive guère que le testament soit fait en faveur
d’étrangers.266
Cette conception du testament fait dire à certains auteurs qu’en droit coutumier, le
testament a une valeur relative. En effet, soutiennent-ils, il traduit, certes, une volonté
respectable, mais qui doit, elle-même, être respectueuse de la coutume. L’autonomie de la
volonté se trouve donc enfermée dans les strictes exigences coutumières. Il s’ensuit
265
Ch. Mayer , op. cit, p16
266
L. de Wilde, op. cit, p166
267
Ch. Mabushi , La succession testamentaire en droit coutumier Burundais, in Revue juridique et politique
indépendance et coopération, n°4, 1972,pp 627- 629
268
J. Sohier, op. cit, p 698
269
ADA Consulting Africa, op. cit, p26
100
qu’après le décès du testateur, un testament peut subir des modifications sensibles allant
jusqu’à la destruction par substitution de la volonté coutumière.270
Malgré les exigences coutumières, le testament est la meilleure voie par laquelle
le de cujus peut laisser certains biens à son épouse et à sa descendance masculine ou
féminine. C’est dans ce sens que certains auteurs pensent que la volonté du de cujus est
de nature à modérer la rigueur de la coutume en faisant de petits legs particuliers au profit
notamment de ses filles ou de sa femme.271 La jurisprudence décide que ce sont les
garçons qui héritent de leur père, à l’exclusion des filles. Le père peut cependant, en
cérémonie publique, récompenser sa fille d’un acte méritoire, la faire « son garçon » et
cohéritière de ses biens à sa mort.272
Dans le système matrilinéaire où les enfants ne sont pas comptés parmi les
successibles, le de cujus peut par voie testamentaire léguer certains biens à ses enfants, et
ce, en présence des héritiers coutumiers légitimes. Dans ce cas, ceux-ci seront engagés et
devront respecter la volonté du défunt.273Le professeur Lukombe est de même avis
lorsqu’il relève que dans les coutumes, on rencontre certains palliatifs tels que don rituel,
testaments, donations entre vifs qui permettent à l’homme africain de faire passer ses
biens à ses enfants alors que la coutume les attribuerait aux héritiers traditionnels.274
Quelle est alors la situation de la veuve par rapport à ses droits fonciers ?
270
Lihau Ebua et Nimy Mayidika Ngimbi, op. cit, p 596
271
E.Lamy et Lokwa Ilwaloma, op. Cit, p537
272
J. Sohier, op. cit, p699
273
Manzila Lutumbu Sal’a sal, op. cit, p511
274
Lukombe Nghenda, op. cit, p763
101
Nous avons noté que la terre coutumière appartient au groupe social auquel
appartient l’individu. Dans la succession coutumière, il a été constaté également que la
femme n’hérite pas de son mari et vice-versa. La question est de savoir si la veuve peut
toujours avoir accès à la terre que son défunt mari exploitait, après le décès de celui-ci. A
cette question, il nous semble que la réponse dépend de l’emplacement du domicile du
couple. En effet, le domicile des époux dépend de ce que prescrit la coutume. Ainsi,
certaines coutumes prévoient que le domicile des époux est patrilocal et d’autres
matrilocal.275 L’accès de la veuve à la terre est en principe fonction du système adopté.
Si le système est patrilocal, les époux établissent leur domicile sur la terre
appartenant au clan ou à la famille du mari. Nos enquêtes sur terrain nous renseignent que
chez les dinga, la résidence est toujours patrilocal. En effet, la femme a l’obligation de
vivre sur les terres appartenant à son mari. L’entretien que nous avons eu avec certains
notables de cette tribu, notamment monsieur Masha Lekansie révèle que si le mari ose
accepter d’aller habiter au village de son épouse, il sera banni par son clan au motif qu’il
l’a déshonoré. La même attitude est observée dans la coutume Mbudja où la résidence est
également patrilocale. A ce sujet, monsieur Mbongi Esonenele, ancien chef de secteur
est explicite, lorsqu’il affirme qu’il n’est concevable que l’homme habite au village de
son épouse.
C’est le cas dans plusieurs coutumes en République Démocratique du Congo.
Dans la province du Katanga, Jean Sohier a étudié les coutumes de quelques tribus. Sur la
question sous examen, il note ce qui suit : les Lunda sont virilocaux. Le mari choisit sa
résidence et sa femme doit le suivre, et lui la recevoir.276il en est également de Hemba, de
Luba-Katanga, de Songe, de Luba-Kasayi et de Kusu.
275
La résidence est patrilocale, lorsque les époux habitent au même lieu que la famille paternelle de
l’époux. Elle est matrilocale, lorsque le couple habite au même lieu que la famille maternelle de l’épouse.
Il convient de noter que ces deux systèmes comportent plusieurs variantes. Ainsi, la résidence des époux
peut être avunculocale lorsque le couple se fixe au même lieu que l’oncle maternel du mari. Elle peut être
virilocale, quand les époux habitent au lieu de la résidence du mari, si celui-ci vivait séparé de sa famille.
La résidence peut également être uxorilocale, si les conjoints habitent au lieu de la résidence de l’épouse
avant le mariage, lorsqu’elle vivait séparée de sa famille. Enfin, elle peut bilocale, lorsqu’elle est au choix
dans la famille de l’époux ou de l’épouse.
276
J.Sohier,Institutes coutumières Katangaises, in Problèmes Sociaux Congolais, n°63, 1963, p49
102
Dans la province du Kasaï, les Bena Tshitolo sont virilocaux. Mayer rapporte que
selon cette coutume le mari s’installe n’importe où; la femme est obligée de le suivre là
où il juge bon de se fixer.277 Deremiens qui a étudié la coutume de Bena Ebombo note
qu’en général la femme va habiter chez le mari. Il arrive parfois que le mari soit en
désaccord avec son propre « kifuku » et dans ce cas, il va habiter auprès des parents de sa
femme. Mais une telle situation est mal digérée par la famille du mari qui va le qualifier
d’esclave.278
Dans la province de Bandundu, de Beaucorps note que chez les Bayansi la femme
vient habiter le village de son mari.279Dans une autre étude consacrée au peuple basongo,
le même auteur relève que la femme quitte toujours son propre village pour venir résider
au village de son mari. L’auteur ajoute que personne n’a jamais vu un jeune époux allant
s’établir au village de son épouse, à moins qu’il ne fût lui-même esclave de celle-ci.280
De Konink, de son côté, note dans son étude sur la coutume bahutu de la province
du Kivu que la femme va habiter dans le village de son mari et doit suivre ce dernier dans
toutes ses résidences successives. Les conjoints ne peuvent se séparer, même dans le cas
de maladie. Des sanctions sont prévues à l’égard du conjoint qui ferait défaut.281
Si nous nous sommes permis de citer plusieurs coutumes, c’est tout simplement
pour dire que la patrilocalité est le système le plus répandu en République Démocratique
du Congo. La conséquence en est qu’en principe, au décès du mari, la femme est tenu de
rentrer dans son village, laissant la terre qu’elle exploitait du vivant de son mari. Le
professeur Lamy et Lokwa, parlant du veuvage, notent que la veuve reprend ses effets,
les produits de ses champs et retourne chez elle sans ses enfants, en régime patrilinéaire,
et avec ses enfants en régime matrilinéaire, solution rigoureuse qui parfois n’était guère
bénéfique pour elle et pour ses enfants. 282
277
Ch. Mayer, op.cit, p8
278
L. Deremiens, op.cit, p61
279
S.J. de Beaucorps, op. cit, p107
280
S.J.de Beaucorps, le mariage chez les Basongo de la Luniungu et Gobari, in Bulletin des Juridictions
Indigènes et du droit coutumier congolais, n°6, 1943, p121
281
J.de Konink, le droit coutumier des Bahutu, in Bulletin des juridictions indigènes et du droit
coutumier congolais, n° 9, 1936,P210
282
E.Lamy et Lokwa Ilwaloma, op.cit, p538
103
Ce système nous paraît injuste pour la femme. En effet, si hier la terre n’était
cultivée que pour la subsistance du couple, il y a lieu de constater qu’à l’heure actuelle, il
arrive que les époux érigent des plantations de culture pérenne. Quand on sait le rôle que
joue la femme dans une telle entreprise, il est inacceptable qu’elle rentre dans sa famille
en laissant aux membres de la famille de son défunt mari ou ses enfants jouir du produit
de ses efforts sans elle-même.
C’est ainsi que pour permettre à la femme de continuer à jouir de la terre laissée
par son mari, certaines coutumes ont mis en place un mécanisme tendant à garder la
femme dans la famille du mari. Il s’agit de lévirat. C’est un système qui consiste à donner
à la veuve un autre mari issu de la famille de son mari décédé. La jurisprudence
coutumière en la matière dégage comme principe que la veuve épousera l’héritier de son
mari prédécédé, généralement un frère du défunt ou son fils aîné issu d’un autre lit, si le
défunt était polygame. Toutefois, le lévirat n’est pas obligatoire, mais la veuve qui le
refuse pourra être obligée de restituer la dot à l’héritier du mari défunt.283
De nos enquêtes, il ressort que le lévirat est pratiqué tant dans la coutume Dinga
que Mbudja. Selon monsieur Mabiala Donat, notable Dinga, le lévirat consiste dans le
fait que le petit-frère du défunt hérite de la femme de son grand-frère. Souvent, dit-il, il
s’agit d’une femme qui est appréciée par la famille. Si la femme refuse de devenir la
femme de la personne qu’on a choisi pour elle, elle risque de se voir tout ravir et d’être
obligée de restituer la dot. Mais il convient de noter que cette pratique ne se réalise que si
la femme est encore relativement jeune. Si elle a déjà pris de l’âge, elle pourra toujours
rester dans la famille de son défunt mari, sans qu’elle soit reprise par une autre personne.
La situation paraît identique chez les Mbudja, sauf qu’ici, si le défunt était polygame, son
fils peut hériter de l’une de ses femmes. Ceci ressort de l’entretien que nous avons eu
avec le notable Nzeni Loliya, greffier au tribunal coutumier, 8ème chambre à Binga.
Certains auteurs estiment que cette coutume est instituée surtout dans l’intérêt de
la femme. Dans certains groupes, ce sont les parents de la femme qui font une démarche
auprès des héritiers pour demander un nouveau mari. Le consentement de la femme est
requis. Mais il arrive souvent que ce consentement soit influencé par les membres du clan
283
Ntambwe Makadi, op. cit, p186
104
de son mari défunt. La femme reste ainsi dans le milieu où elle a ses habitudes, auprès de
ses enfants. Cette institution est également dans l’intérêt des parents de la veuve qui n’ont
pas à se charger d’elle, ni à restituer la dot, ni à rompre l’alliance. 284 Phanzu Levo
souligne également l’intérêt de cette institution pour la veuve lorsqu’il écrit que le régime
des successions est conçu de telle manière que la femme reste dans le clan de son mari et,
en devenant l’épouse de l’héritier de ce dernier, elle continuera à jouir des biens laissés
par son mari. Elle ne sera donc pas abandonnée à elle-même. La veuve ainsi remariée
dans le clan de son mari défunt conservait pratiquement le même statut socio-économique
qu’avant la mort de ce dernier.285
A propos de lévirat, le professeur Mulumba Katchy écrit ce qui suit :
« Toutes les coutumes congolaises connaissent et consacrent cette institution. Le lévirat
consiste à obliger un homme à épouser la veuve de son frère. Nous ne cesserons de répéter qu’en
droit coutumier, bien que l’union conjugale soit éteinte par le décès d’un conjoint, l’alliance
subsiste entre le survivant et sa belle-famille, aussi longtemps que la dot n’est remboursée et que
les indemnités obligatoires ne sont payées. Il se peut même qu’une nouvelle union se greffe sur
l’ancienne alliance, confortée par les liens précieux de solidarité entre les deux familles. Au fond,
on peut soutenir que le mariage fait entrer définitivement la femme dans la famille de son mari,
de telle sorte que même la mort de ce dernier ne peut pas dissoudre le mariage. De ce fait, la
veuve fait partie de l’héritage et reste dans le foyer conjugal par le système du lévirat ; elle sera
héritée par un frère du défunt ; en cas de refus, elle devra rembourser intégralement la dot pour se
libérer.
Cette pratique est instituée dans l’intérêt de la veuve, dans l’intérêt des parents de celle-ci
et dans l’intérêt des enfants.
L’intérêt de la veuve réside dans la prise en charge automatique et dans son maintien,
dans son environnement social où elle s’épanouirait auprès de ses enfants.
Les parents de la veuve y trouvent aussi leur compte, en ce qu’ils ne pourront pas se
charger d’elle, ni restituer la dot, ni rompre l’alliance.
Enfin les enfants restent à charge de la famille de leur père et de leur oncle paternel
héritier.286 »
Le lévirat permet à la veuve de continuer à jouir de la terre laissée par son mari
défunt parce que dans ce cas l’alliance n’est pas brisée.
La veuve a la possibilité de refuser de devenir l’épouse de l’héritier du défunt.
Mais ce refus l’expose à des graves difficultés. D’abord, son retour dans son clan
d’origine suscite quelque réprobation du fait que son attitude entraîne l’obligation pour
ses ayants droit de rembourser la dot qui n’est pas toujours facile à réunir. Ensuite, ce
284
A. Sohier , op.cit, p 386
285
Phanzu Levo, op. cit, p 607
286
Mulumba Katchy, Introduction à l’étude du droit coutumier congolais, Kinshasa, CERJA, 2011, pp 92-
93
105
refus entraîne la rupture de l’alliance entre les deux clans.287 C’est ainsi qu’il arrive que la
veuve accepte sous pression morale de devenir l’épouse de l’héritier du de cujus.
Le lévirat est un système connu également dans certains pays africains. L’ONU-
HABITAT note qu’au Swaziland, les droits de propriété des veuves sont souvent fonction
non seulement des bonnes relations avec la famille du défunt, mais aussi de l’observation
de certains rituels coutumiers tels que le lévirat ou héritage de la veuve par un frère du
défunt.288
Le droit coutumier béninois connait également cette pratique. En effet, dans une
étude consacrée au plaidoyer en faveur de l’effectivité des droits de la femme dans ce
pays, Elvire Ahounou-Houenassou souligne que la femme en droit traditionnel est
considérée non comme un être humain mais plutôt comme un bien appartenant à son
époux et faisant partie intégrante de son héritage. A ce titre, elle est contrainte de se
remarier à la mort de son époux ou au frère ou au fils aîné d’une autre épouse du défunt,
pour rester dans la famille. Ce système s’observe surtout dans les régions où la dot est
obligatoire avant tout mariage.289
Le droit coutumier burundais pratique aussi le lévirat mais uniquement pour la
veuve qui n’a pas eu d’enfant avec le de cujus. Si elle accepte le mari qu’on lui propose,
elle peut garder la propriété laissée par son défunt mari. Au cas contraire, elle sera forcée
d’une manière ou d’une autre à quitter les lieux.290
Malgré les avantages que présente le lévirat, il nous semble que ce système est
contraire à la dignité de la femme. En effet, il n’est pas normal que la veuve soit obligée
de s’engager dans une nouvelle union non par amour mais tout simplement pour des
avantages matériels. En outre, elle ne doit pas être un objet de marchandage entre les
deux clans. Le remboursement de la dot semble être l’une des raisons majeures obligeant
la femme d’accepter d’épouser l’héritier de son mari défunt. Nous pouvons comprendre
que la dot soit remboursée en cas de divorce mais pas en cas de décès. En effet, la mort
287
Phanzu Levo, op.cit, p607
288
ONU-HABITAT, op.cit, p 21
289
E. Ahounou-Houenassou, Plaidoyer pour une effectivité des droits de la femme au Bénin, www.wildaf-
ao.org, juillet 2002, p 6
290
R.C.N justice et démocratie, Etude sur les pratiques foncières au Burundi :Essai d’harmonisation, mars
2004, p59
106
Grignard, dans son enquête sur le droit coutumier dans le secteur du Moero note
que la matrilocalité est le système applicable. En effet, parlant de l’habitation des
291
P. Nankara Waka, Féminisation de la pauvreté au Congo-Kinshasa, in Revue de droit africain, n°5,
1998,p 21
292
J. Sohier, op. cit, p48
107
conjoints, l’auteur écrit que pour deux ou plusieurs années, l’homme habite le village de
la femme où on l’observe et où il doit faire toutes les corvées que lui impose sa belle
famille. S’il donne satisfaction, au bout de 3 ou 4 ans, il pourra retourner, avec sa femme
dans son propre village. 293
Mais si le mari meurt au moment où le couple se trouve déjà dans son village, la
femme n’accèdera pas à la terre qu’elle exploitait avec lui, sauf si on applique le lévirat.
293
L.J. Gringnard , op. cit, p288
294
Michaux, op. cit, p275
108
chez lui avec sa femme pour passer le reste de leur vie de couple. Ainsi, souvent l’homme
meurt sur la terre de son clan et le problème de l’accès de la veuve à la terre reste entier.
Qu’en est-il alors en cas de divorce ?
En droit coutumier, le divorce est une cause de dissolution du mariage. Il met fin
aux droits et obligations dérivant du mariage ainsi que le régime matrimonial. S’agissant
de ce dernier, étant donné que le droit coutumier consacre la séparation des biens, chaque
époux est tenu de reprendre ses biens. Mais s’agissant des produits du champ cultivé en
commun par les époux, les solutions sont divergentes.
Dans une autre espèce, il a été jugé que là où le divorce est de la compétence des
autorités familiales, le tribunal se borne à le constater. L’épouse divorcée a droit à une
partie des biens produits en commun par le ménage, comme une part de la récolte des
champs des époux.296
Cette position est également celle du droit coutumier Dinga. En effet, selon
l’interview qui nous a été accordée par monsieur Naboto Bernard, notable du village
Mayumu, il ressort qu’en cas de divorce, la femme a droit à la totalité de la récolte si le
champ lui appartient. Si le champ est l’œuvre commune, elle aura droit à la moitié de la
récolte.
295
Tribunal secondaire de Mwashia du secteur Bena-N goma, jugement n°5 du 25-2-1950, in Bulletin des
Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°10, 1952, p301
296
Tribunal secondaire de Kilomba du secteur Moero, jugement n°47 du 20 mai 1951, in Bulletin des
Juridictions Indigènes et du droit coutumier congolais, n°10, 1952, P298
109
En revanche, chez les Nkundo, Hulstaert rapporte que la femme divorcée ne peut
plus faire valoir le moindre droit sur les cultures qu’elle a établies sur le terrain défriché
par son mari. En général, tous les fruits de son activité diverse restent la propriété du
mari ; elle-même n’y a plus aucun droit. Mais de nos jours, renchérit-il, il n’est pas rare
que les conjoints lors de leur séparation définitive, partagent certains bénéfices de leur
activité commune, comme : argent, habits, étoffes, ustensiles de ménage.297
E.Mwanzo note également que chez les Luba-Katanga, en cas de divorce, les
champs que les époux ont cultivés ensemble constituent la propriété du mari. Ainsi, la
femme divorcée ne peut faire valoir aucun droit sur les cultures qu’elle a établie sur le
terrain du mari.298 Le même principe est aussi retenu chez les Mongo.299
Le droit coutumier Mbudja va dans le même sens. En effet, de l’entretien que
nous avons eu avec monsieur Mongenzo, juge assesseur au tribunal de paix de Bumba, il
s’avère qu’en cas de divorce, la femme n’a pas droit à la récolte même si le champ lui
appartenait seule. Elle doit tout laisser au profit de son ancien mari.
De ce qui précède, il ressort que la femme peut avoir ou pas droit à la moitié des
produits du champ cultivé en commun. Cela dépend d’une coutume à une autre. Mais
dans tous les cas, il s’agit là des produits du champ et non du champ lui- même.
297
G. Hulstaert, Le divorce chez les Nkundo, in Bulletin des Juridictions Indigènes et du droit coutumier
congolais, n°5, 1937, p156
298
E. Mwanzo Idin’Aminye, L’égalité des époux en droit congolais de la famille, Thèse de doctorat,
Université Catholique de Louvain, 2008- 2009, p208
299
E. Mwanzo Idin’Aminye, op.cit, p211
110
chez elle en cas de divorce, en laissant les terres cultivées appartenant à la famille ou au
clan de son mari. Ces propos nous ont été confirmés par tous les notables consultés.
Monsieur Zaluka, notable Mbudja, rapporte qu’en cas de divorce, la femme doit
immédiatement quitter son mari et rentrer chez elle. De son côté, monsieur Masha
Lekansie, notable Dinga, affirme qu’en cas de divorce, le mari doit immédiatement
accompagner la femme dans sa famille.
Si la résidence des époux est matrilocale, la femme étant sur sa terre familiale,
restera propriétaire du champ cultivé en commun. Dans ce cas, c’est le mari qui pourra
bénéficier de la moitié de la récolte du champ et rentrera dans son clan.
Conclusion partielle
En conclusion, nous pouvons retenir que les terres de communautés locales sont
régies par la coutume. Selon celle-ci, ces terres appartiennent au clan ou à la famille.
L’individu en tant que membre de la communauté possède certains droits sur la terre. En
effet, il a le droit de jouissance lui permettant d’habiter, de cultiver, de pêcher ou de
chasser sur la terre de sa communauté. Cependant, il est propriétaire des produits de son
111
activité sur cette terre. Les étrangers bénéficient aussi des droits pouvant leur permettre
de jouir de la terre.
S’agissant des droits de la femme sur les terres appartenant aux communautés
locales, ils sont fonction des liens qui l’unit à celles-ci. En effet, si elle est membre du
groupe, elle possède les mêmes droits que les autres membres du groupe. Cependant, en
matière de succession, elle n’a pas les mêmes droits que l’homme. Elle est exclue en
principe de la succession. Elle n’hérite qu’exceptionnellement s’il n’y a plus d’hommes
dans le clan ou dans la famille. De même, elle ne peut être cheftaine de terre que s’il n’y
a pas un homme apte à exercer cette fonction.
Lorsque la femme est liée au groupe par le mariage, elle bénéficiera par
l’entremise de son mari d’un droit de jouissance pouvant lui permettre d’habiter, de
cultiver, de pêcher, et ce, du vivant de son mari. Si l’alliance est éteinte, en principe, les
droits de la femme sur la terre appartenant à la communauté de son mari prennent
également fin et elle doit rentrer dans sa famille. L’alliance peut prendre fin soit par la
mort du mari ou de la femme, soit par le divorce.
Force est de constater que lorsque l’alliance prend fin, la femme rentre dans sa
famille en laissant tout ce qu’elle avait investi sur la terre appartenant à la communauté
de son mari. Lorsqu’on sait le rôle de la femme dans le monde rural, on est en droit de
penser que cette situation n’est pas équitable. D’où la nécessité de réfléchir sur les voies
et moyens pouvant améliorer sa situation. Mais avant cela, nous allons d’abord examiner
la situation de la femme sur les terres rurales et urbaines.
112
PROVINCE ORIENTALE
EQUATEUR
NORD-
KIVU
SUD-
KASAI- KIVU
ORIENTAL MANIEMA
BANDUNDU
BAS-CONGO
KINSHASA
BAS-CONGO KASAI-
OCCIDENTAL
KATANGA
LEGENDE
PROVINCES AYANT FAIT L’OBJET D’ENQUETES :
MATRILINEAIRE :
PATRILINEAIRE :
113
A la différence des terres appartenant aux communautés locales, sur les terres
urbaines et rurales, la femme accède d’une manière générale à la terre dans les mêmes
conditions que l’homme, exception faite de la femme mariée.
Etant donné que ces terres sont régies par les dispositions de la loi n°73-021 du 20
juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des
sûretés, nous avons jugé bon de les analyser ensemble, au motif que par rapport à la
situation de la femme, les règles applicables présentent certaines similitudes.
Avant d’analyser les droits fonciers de la femme sur ces terres, nous allons
d’abord essayer de passer en revue les règles qui les régissent. Cela se justifie par le fait
que les principes régissant ces terres ont une influence sur les droits de la femme en la
matière. Ainsi, cette partie est divisée en deux chapitres : le premier est consacré à la
gestion des terres rurales et urbaines et le deuxième est axé sur l’accès de la femme à ces
terres. Cette partie sera clôturée par une conclusion.
Les terres rurales sont actuellement régies par les dispositions de la loi sus-
évoquée. Cette loi ne les définit pas. Mais elle dispose en son article 60 que :
«Les terres qui font partie du domaine privé de l’Etat sont urbaines ou rurales. Les terres
urbaines sont celles qui sont comprises dans les limites des entités administratives déclarées
urbaines par les lois ou les règlements en vigueur. Toutes les autres terres sont rurales….. »300
300
Art 60 de la loi n°73-021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et
immobilier et régime des sûretés.
114
De cette disposition, on peut dire que les terres rurales sont celles qui ne sont pas
déclarées urbaines par la loi. Mais là aussi, se pose un autre problème. En effet, sur
l’espace rural coexistent deux catégories de terres. La première catégorie est constituée
des terres appartenant aux communautés locales. Ces terres, comme nous l’avons vu dans
la première partie de cette étude, sont régies par la coutume. Sous l’Etat Indépendant du
Congo ainsi que pendant la période coloniale, ces terres étaient appelées terres indigènes.
La deuxième catégorie concerne les terres sur lesquelles les communautés locales
n’exercent pas apparemment un quelconque droit. C’est ce qu’on a appelé à l’époque
terres vacantes, que la loi foncière en vigueur qualifie de terres rurales. Sur ces terres,
l’Etat accorde aux particuliers, personnes physiques ou morales, le droit de jouissance
appelée concession. C’est cette dernière catégorie de terres qui nous intéresse dans cette
deuxième partie de notre étude.
Avant l’actuelle loi, ces terres avaient fait l’objet d’une règlementation tant sous
l’Etat Indépendant du Congo que sous la colonisation. Ainsi, cette section sera examinée
en deux paragraphes. Le premier paragraphe sera consacré à l’analyse de la législation
existante avant l’entrée en vigueur de la loi n°73/021 du 20 juillet 1973 portant régime
général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés. Le deuxième
paragraphe va concerner l’analyse des terres rurales sous l’empire de la loi précitée.
§1. Régime des terres vacantes sous l’Etat Indépendant du Congo et la colonisation
Le régime foncier sous cette période est constitué d’un certain nombre des textes.
Notre préoccupation est de connaître les principes qui ont été édictés par l’autorité en vue
de la gestion des terres vacantes. Ces principes sont contenus dans les textes qui avaient
été pris par les autorités de l’Etat ayant pour but la gestion des terres. Mais notre
attention sera focalisée sur les textes qui nous paraissent avoir un impact direct sur les
terres vacantes.
Le principe de la domanialité des terres vacantes a été posé pour la première fois
par l’ordonnance du 1er juillet 1885 de l’administrateur général au Congo sur
115
l’occupation des terres. Ce texte qui n’a que deux articles commence par une
proclamation qui annonce que le Roi-Souverain prendra un décret pour contrôler les
terres possédées par les non-indigènes. La proclamation est libellée comme suit :
«Un décret du Souverain invitera incessamment tous les non-indigènes qui possèdent
actuellement ou occupent actuellement à un titre quelconque des terres situées sur le territoire de
l’Etat Indépendant du Congo, à faire une déclaration officielle indiquant ces terres et à soumettre
à l’examen et à l’approbation du gouvernement les contrats et les titres en vertu desquels ils les
occupent.
Le décret a pour but d’assurer, dans les formes qui seront prescrites, la reconnaissance
des droits acquis, et de permettre l’organisation régulière, dans un avenir proche, de la propriété
foncière dans le dit Etat.
En attendant, pour éviter des contestations et des abus, l’administrateur général, autorisé
à cet effet par le Souverain, arrête les dispositions suivantes.»
Si l’article premier de cette ordonnance concerne les droits fonciers détenus par
les non-indigènes avant la proclamation de l’Etat Indépendant du Congo, l’article
deuxième de ce texte consacre pour la première fois la catégorie des terres vacantes et
pose en même temps, le principe de la domanialité selon lequel les terres vacantes
appartiennent à l’Etat.
301
B. O, p 30
302
G. Kalambay Lumpungu, Le droit foncier zaïrois et son unification, Thèse de Doctorat, Université
Catholique de Louvain, 1973, p34
116
Les termes de l’ordonnance précitée ont été confirmés par le décret du Roi-
Souverain du 14 septembre 1886. En effet, les articles 2 et 3 de ce texte disposent :
« Article 2. Les terres occupées par des populations indigènes sous l’autorité de leurs
chefs, continueront d’être régies par les coutumes et les usages locaux.
Les contrats faits avec les indigènes pour l’acquisition ou la location de parties de sol ne
seront reconnus par l’Etat et ne donneront lieu à enregistrement qu’après avoir été approuvés par
l’administrateur général au Congo.
Celui-ci pourra déterminer les formes et les conditions à suivre pour la conclusion des
dits contrats.
Sont interdits tous les actes ou conventions qui tendraient à expulser les indigènes des
territoires qu’ils occupent ou à les priver, directement ou indirectement, de leur liberté ou de leurs
moyens d’existence. »
«Article 3. Les terres vacantes et les autres terres appartenant à l’Etat que le
gouvernement jugera convenable d’aliéner ou de donner en location, seront vendues ou louées par
les soins du conservateur des titres fonciers, conformément aux dispositions qui seront arrêtées
par l’administrateur général du département des finances. »303
Quant aux terres vacantes, l’article 3 confirme leur domanialité déjà proclamée
par l’ordonnance de l’administrateur général. Il précise également que ces terres vacantes
sont destinées à la vente ou à la location.
Il convient cependant d’observer que cette législation reste imprécise dans ce sens
qu’elle ne définit pas ce qu’il faut entendre par terre occupée ou encore terre vacante. Ce
manque de précision a été à la base d’une certaine interprétation de la part de
303
B.O., p 32
117
Pour sa part, A.Sohier s’interroge sur ce qu’il faut entendre par terre vacante. Il
répond qu’au sens juridique, c’est une terre, ou bien qui n’a jamais eu de maître, ou bien
qui, en ayant eu un, n’en a plus, soit par suite d’abandon volontaire, soit par déshérence.
L’auteur ajoute, si on interprète selon la terminologie juridique stricte, l’ordonnance de
1885 ainsi que le décret de 1886 n’attribuaient à l’Etat que relativement peu de territoires.
Mais la pratique administrative et les concessions vont révéler que l’Etat considère
comme terres vacantes toutes les terres indigènes sur lesquelles les Noirs n’étaient pas
installés de façon apparente. Ainsi, conclut-il, l’occupation dans ce texte, ne s’entend pas
au sens juridique mais au sens vulgaire. Vu sous cet angle, l’expression « terres
vacantes » a un sens beaucoup plus étendu que son sens juridique commun. Elle
dépossède les communautés de la majorité de leurs domaines.305
304
G. Kalambay Lumpungu, Le droit foncier zaïrois et son unification, Thèse de doctorat, Université
Catholique de Louvain, 1973, p74
305
A.Sohier, Les terres indigènes : les décrets de 1885- 1886, in Journal des Tribunaux d’Outre-mer, n°51,
1954, p 127
306
G. Kalambay Lumpungu, op. cit, p76
118
Le principe de la domanialité des terres vacantes a été justifié par les auteurs en
des termes différents exprimant la même réalité. Nous allons reprendre les justifications
de quelques auteurs qui ont réfléchi sur la question.
De son côté, le professeur Biebuyck, dans un rapport inédit sur les données des
problèmes fonciers du point de vue ethnologique, explique les fondements des terres
vacantes en ces termes :
«Les raisons qui justifient le principe même d’une intervention de l’Etat dans la matière
qui nous occupe sont d’ordre économique et moral.
Si l’on considère que dans sa conception actuelle, la colonisation apparaît comme la prise
en charge des intérêts d’un pays sous-développé par un peuple plus actif en vue du
développement de ce pays et, indirectement, de l’accroissement du volume des biens dans le
monde, on doit admettre que l’Etat colonisateur puisse exercer un certain pouvoir de direction sur
l’économie et notamment se réserver un droit de disposition sur les richesses naturelles,
particulièrement les terres du pays.
307
A. Sohier, Le problème des terres indigènes, in Journal des Territoires d’Outre-Mer, n°63, du 15
septembre 1955, p 125
119
Dès lors qu’on admet ce postulat de la colonisation, la question se trouve posée sur le
plan moral.
En effet, c’est dans une règle morale que l’action de l’Etat en cette matière trouve sa
limite : la règle du respect des droits des autochtones et de la primauté des intérêts de ceux-ci,
puisque, par définition, ce sont ces intérêts qu’il s’agit de promouvoir au premier chef.
Mais, respecter un droit ne signifie pas toujours nécessairement le maintenir tel quel.
Dans la poursuite du bien commun, qui est son objectif essentiel, l’Etat peut être amené à plier les
droits et intérêts particuliers à l’intérêt général.
Celui-ci constitue en définitive la justification d’une intervention de l’Etat dans la matière
qui nous occupe et c’est en fonction de cette notion que doit s’apprécier la légitimité des divers
droits et intérêts en présence.
Sur la nécessité d’une intervention de l’Etat en vue de se réserver un droit de disposition
sur les richesses naturelles et spécialement sur les terres du Congo, dans l’intérêt du
développement économique, social et spirituel de ce pays, l’accord est unanime. »308
«Article 2. Quiconque aura, sans concession valable ou sans observer les conditions
stipulées dans la concession, exploité ou fait exploiter du caoutchouc, du copal ou d’autres
308
D.Biebuyck, Rapport sur les données des problèmes fonciers du point de vue ethnologique, 3éme
partie, inédit, octobre 1977, p7
120
produits végétaux dans les îles et forêts susdites, sera puni d’une amende de 50 à 2.000F, sans
préjudice de tous dommages-intérêts, et les produits ainsi récoltés seront saisis et confisqués ».
Ce décret astreint tous ceux qui veulent exploiter les produits concernés par ce
texte, à demander une concession auprès de l’administrateur général du département des
finances. Ce texte semble également restreindre les droits des indigènes sur les îles et
forêts concernées. En effet, à cette époque, la vie indigène était caractérisée par le
nomadisme. Ainsi, prendre un tel texte est de nature à faire obstacle à la liberté de
mouvement de la population autochtone mais aussi limiter ses moyens de subsistance.
Répondant à la question de savoir pourquoi ce décret s’est limité sur une aire
géographique déterminée, G. Kalambay Lumpungu pense que dans cette zone
précisément, l’Etat, par ses agents, exploitait les produits mentionnés dans le décret et
entendait les exploiter seul sans concurrence.309
Déjà à cette époque, ce décret avait suscité des inquiétudes de la part de certaines
puissances signataires de l’Acte de Berlin, dans la mesure où il semblait porter atteinte à
la liberté de commerce et d’exploitation du bassin du Congo. C’est ce qui avait amené
Lord Vivian à poser la question de savoir si ce décret était en accord avec les
dispositions de l’Acte de Berlin. A cette question, Van Eetvelde, administrateur général
des affaires étrangères répond de la manière suivante :
C’est à travers le décret du 29 septembre 1891 non publié au Bulletin Officiel que
la politique domaniale du Roi Léopold II devient claire surtout à travers les diverses
circulaires qui ont été prises en application de ce décret qui est libellé comme suit :
309
G. Kalambay Lumpungu, op.cit, p81
310
Archives Aff. Etr. E.I.C., Vol.VI, n°47
121
Ce texte, qui invite les commissaires des districts ainsi que les chefs d’expédition
concernés à prendre des mesures tendant à conserver au profit de l’Etat les fruits des
terrains domaniaux, ne précisent pas la nature de ces mesures. Pour sa part, Boelaert note
que par ce texte, l’interprétation restrictive de l’ordonnance de 1885 dévoile sa portée :
toutes les terres non occupées par les indigènes d’une manière apparente, sont déclarées
sans maître et appartiennent donc à l’Etat. Occupées de façon apparente sont les terres
couvertes de huttes ou de cultures, non occupé tout le reste. Et puisque l’ivoire, le
caoutchouc, le copal et les autres produits négociables, aussi bien que le bois et le gibier,
ne se récoltent que dans les terres non-occupées de cette manière, ils appartiennent tous à
l’Etat.312 Les circulaires prises en exécution de ce décret vont donner raison à cet auteur.
311
Ministère des Affaires Etrangères, Archives Africaines de l’E.I.C., D. du 29 septembre 1891, n° 352, p
174.
312
R.P.E. Boelaert, op. cit, p29
122
Article 3. Quiconque aura recelé de l’ivoire frais sera puni conformément à l’article 29 du
code pénal, et l’ivoire sera saisi et confisqué.
Article 4. Les chefs de postes de Mongwandie et de Moboïka sont chargés de rechercher
et de constater les infractions à la présente décision et d’en assurer l’exécution.
Article 5. La présente décision entrera en vigueur le 1er juillet 1892. »
«J’ai l’honneur de vous informer que je suis décidé à faire valoir rigoureusement les
droits de l’Etat sur ses domaines et, en conséquence, à ne plus permettre aux indigènes de
distraire à leur profit et de vendre quelque partie que ce soit de l’ivoire et du caoutchouc qui en
sont les fruits.
Les commerçants qui leur achèteraient encore ou qui tenteraient d’acheter ces produits,
dont l’Etat n’autorise la récolte qu’à la condition qu’on lui apporte les fruits, se rendraient, à mon
avis, coupable de recel et je les dénoncerais aux autorités judiciaires afin qu’il soit procédé contre
eux comme de droit ».
313
G. Kalambay Lumpungu, op.cit, p85
123
« Nous admettons qu’au Congo, comme dans tous les pays du monde, les terres sans
maître appartiennent au domaine de l’Etat. Seulement la question est de savoir ce qui, au Congo,
est ‘’ terre sans maître.’’
L’Etat Indépendant considère aujourd’hui comme terre vacante tout ce qui n’est pas
occupé par les indigènes, c’est-à-dire bâti, ou cultivé.
Les forêts, les savanes sont, pour lui terres vacantes et conséquemment domaine de l’Etat.
Leurs fruits appartiennent exclusivement à l’Etat ; il est interdit, non seulement aux européens,
mais même aux natifs, de trafiquer librement de ces produits. Ainsi, dans une lettre du 18 janvier
dernier et adressée à notre direction en Afrique, le commissaire du district de l’Ubangi-Uellé
écrit : ‘’ Aucun indigène du district de l’Ubangi-Uellé n’est autorisé à récolter du caoutchouc. Il a
même été notifié aux indigènes qu’ils ne recevraient l’autorisation de la faire qu’au profit de
l’Etat.’’
Une telle théorie est une véritable violation du droit naturel consacré par la législation
même de l’Etat. Elle enlève aux indigènes la libre exploitation des forêts et des savanes qui sont
le bien commun de leur tribu, où leurs pères ont toujours librement chassé l’éléphant et l’antilope,
librement récolté le vin de palme, le caoutchouc, le tacoula, etc, et qui sont leur propriété ou tout
au moins sur lesquelles ils ont des droits usagers.
Par cette application inattendue et abusive de l’ordonnance du premier juillet 1885, l’Etat
veut la faire entrer dans le domaine de la pratique. Quant au propriétaire primitif, la tribu
indigène, elle en est dépossédée par une simple circulaire.
L’ivoire, produit de ses chasses, l’indigène ne peut plus le vendre à qui bon lui semble.
De temps immémorial cependant, il en trafiquait librement.
Le caoutchouc, dont Stanley, Junkers et d’autres explorateurs signalaient l’utilisation par
les indigènes du Haut-Congo, de l’Ubangi et l’Uellé, il ne peut pas davantage en faire un article
d’échange.
Les terres où depuis toujours les natifs chassaient et récoltaient sont devenues domaines
de l’Etat. Le commerce de leurs fruits en est interdit. Que devient, pour le Noir, la reconnaissance
proclamée à Berlin de ses droits sur son sol natal héréditaire ? »
De tous ces textes, il résulte que l’Etat se considère comme propriétaire de toutes
les terres vacantes. De ce fait, il est propriétaire de tout ce qui s’y trouve. Voilà pourquoi,
il se permet d’interdire aux autochtones le droit de vendre les produits de leur travail à
une autre personne à l’exception de l’Etat. En outre, il qualifie de receleur, toute
personne qui achèterait l’ivoire ou le caoutchouc entre les mains des indigènes. Ce
faisant, il entrave l’activité des sociétés commerciales et réduit les droits fonciers des
indigènes aux terres habitées et cultivées. Telle est l’interprétation que l’administration
donne à l’ordonnance du 1er juillet 1885 et au décret du 14 septembre 1886.
314
Rapport de la Commission d’enquête, B.O. 1905, pp 150-151
125
Plus loin, la Commission propose aux autorités d’adopter une interprétation large
de l’ordonnance de 1885 et du décret de 1886. les termes de cette proposition sont les
suivants :
« Il découle de l’exposé qui précède que l’Etat ferait œuvre utile et sage en développant
la législation sur le régime foncier, en donnant aux lois du 1er juillet 1885 et du 14 septembre
1886, qui confirment les indigènes dans la jouissance des terres qu’ils occupaient sous l’autorité
de leurs chefs, une interprétation large et libérale, conforme sans doute à l’esprit qui les a
dictées ».315
Sur base de ce rapport, le Roi-Souverain avait mis sur pied une Commission des
réformes ayant abouti à l’élaboration du décret du 03 juin 1906 sur les terres indigènes
dont l’analyse s’impose.
Le décret sous examen est le fruit du travail réalisé par la Commission des
réformes mise en place par le Roi-Souverain. Avant d’analyser les dispositions de ce
texte, il est bon de comprendre son esprit tel qu’il ressort du Rapport adressé au Roi-
Souverain. Ce Rapport qui est considéré comme l’interprétation officielle de ce texte, se
présente comme suit :
315
Rapport de la Commission d’enquête, B.O. 1905, p153
126
Cette définition permet de déterminer l’étendue des terres indigènes ainsi que
celle des terres vacantes. Il y a lieu de constater que la définition adoptée par le
législateur semble être large. Elle paraît répondre aux vœux exprimés par la Commission
d’enquête. Le Rapport de la Commission de réforme va dans le même sens. Mais
316
Le Rapport au Roi-Souverain, B.O., 1906, pp 176-178.
127
l’étendue réelle des terres indigènes et par voie de conséquence des terres vacantes
dépend de l’interprétation qu’on donne aux termes « habiter, cultiver et exploiter ».
Selon A. Sohier, ces trois mots doivent avoir une interprétation large et libérale
comme l’a voulu la Commission d’enquête qui est à la base du décret du 03 juin 1906.
Ainsi, pour lui, sont terres habitées au sens du texte précité, non seulement les parcelles
recouvertes par une habitation, mais l’ensemble des lieux qui forment le séjour du
groupement humain : le village. L’auteur ajoute que non seulement les cours, les
communs, les jardins, sont des dépendances des habitations, mais les bâtiments publics,
les rues et places, sont des parties de l’habitat. Il ne s’agit pas de l’habitation individuelle,
mais de l’habitation des « indigènes vivant sous l’autorité de leurs chefs », c’est de la
communauté317.
S’agissant de la culture, il pense qu’il s’agit de celle pratiquée par les indigènes,
c’est-à-dire la culture extensive. Des terres cultivées ne perdent pas ce caractère par le
fait qu’elles sont en repos : les jachères sont des terres occupées par la culture. En
pratique cependant on considère parfois les terres de jachère comme des terres
d’extension, qu’on serait libre d’accorder ou non au groupement. Il n’en est rien : les
communautés ont sur ces terres un véritable droit leur reconnu par les décrets de 1885-
1886.
Le terme « exploiter » selon l’auteur, veut dire tirer profit de quelques choses ou
déployer une activité pour en retirer un gain. De cette définition générale, il ressort que
chasser sur une terre, en retirer les produits naturels, c’est l’exploiter. Mais au sens du
texte sous examen, pour que ces activités constituent une exploitation, il faut qu’il y ait
une organisation et une pratique si intense qu’elles réalisent un usage privatif du sol 318.
L’interprétation faite par A.Sohier du terme « exploiter » n’a pas fait l’unanimité.
En effet, analysant le décret sous examen, Boelaert estime que l’exploitation doit
être entendue dans son sens large. Elle peut et doit donc impliquer tout droit d’usage et de
jouissance, le droit de jouir de cette possession, d’en obtenir tous les services et tous les
317
A. Sohier, Les terres indigènes : le décret du 3 juin 1906, in Journal des Tribunaux d’Outre-mer, n°52,
1954, p145.
318
A. Sohier, op. cit, p145
128
avantages, tous les fruits, aussi bien civils que naturels ou industriels. Toute forme de
jouissance est ici une exploitation.319Ainsi, au sens du décret, toute terre exploitée d’une
manière quelconque est terre occupée par les indigènes.
«Le mot exploiter est utilisé dans le sens donné lors de l’enquête de 1893, car on semble
déclarer que les forêts et les terres autres que celles qui sont cultivées et habitées sont domaniales.
Cette interprétation est trop restrictive, et l’un des éléments d’appréciation de cette exploitation
paraît être recherché dans la comparaison de cette exploitation indigène avec les modes
d’exploitation européenne. En partant d’exploitation dans le sens d’une organisation et d’une
pratique si intense qu’elle réalise un usage privatif, on semble ignorer le mode d’exploitation
indigène.
Le deuxième point à retenir est que cette exploitation doit avoir une triple
caractéristique : s’exercer à titre privatif ; être permanente ou périodique ; et porter sur des
avantages tirés du sol. Toutes les études effectuées sur le régime foncier traditionnel au Congo
constatent que, presque partout, les clans, les tribus sont les vrais titulaires des droits fonciers et le
sont à titre privatif. On comprend bien que le gouverneur général et les autorités qui donnent le
critère d’exclusivité pour reconnaître à un village une partie de terres exploitées, ne pouvaient
pas distinguer les origines ou les clans indigènes et il paraît certain qu’ils ne connaissaient pas le
régime foncier indigène. En effet, dans toutes les coutumes, seules les personnes appartenant à un
clan ont droit d’exploiter les ressources existant sur le territoire de leur clan. Quant aux étrangers
à ce clan, ils doivent demander une autorisation à l’autorité compétente du village ou du clan.
Dès lors, l’interprétation la plus large est celle qui est énoncée dans l’article 1er, et toutes
les autres interprétations qu’on a voulu donner à ce terme créent une confusion ».320
319
R.P.E. Boelaert, op.cit, p 47
320
G. Kalambay Lumpungu, op. cit, p156
129
321
B.O., 1906, p 384
322
R.P.E. Boelaert, op. cit, pp52-53
130
Il ressort donc de l’instruction que les terres occupées par les indigènes sont
réduites à celles habitées et cultivées. Les terrains sur lesquelles se pratiquent la chasse ,
la cueillette, la pêche et autres sont domaniales. Les activités déployées par les indigènes
sur ces terrains ne sont pas considérées comme une exploitation. Or, comme le constate
avec pertinence G.Kalambay Lumpungu, chasser et pêcher, surtout quand la chasse et la
pêche sont organisées ou quand c’est l’activité principale pour un clan ou une tribu,
constitue une exploitation. Tel est le cas avec les Wagenia, les Lokele ou les Warega.
Pour ces tribus, la pêche est une activité essentielle dans leur vie. D’autres peuples ne
vivent que de la chasse. C’est notamment le cas avec le peuple pygmée.
S’agissant de la nature des droits des indigènes sur ces terres, le gouverneur
général détermine d’avance leur nature avant même que l’enquête ne soit entreprise,
lorsqu’il dit qu’il ne peut s’agir d’un droit de propriété, même collective, ni d’un droit
d’usufruit, encore moins d’une servitude. L’instruction crée un droit nouveau issue de la
tolérance accordée aux indigènes par l’administration. C’est ce que le gouverneur général
qualifie de droit sui generis. Ainsi donc, à travers cette instruction, l’étendue des terres
vacantes s’est élargie au détriment des terres indigènes.
323
G. Kalambay Lumpungu, op. cit, p169
131
colonisation, l’Etat a été obligé de revenir d’une autre manière, sur cette délimitation
dans le but de garantir les concessions et les cessions accordées aux sociétés au regard
des droits fonciers des indigènes. Nous y reviendrons lorsque nous allons examiner le
texte y relatif.
De ce qui précède, on peut affirmer que l’application du décret sous examen n’a
pas améliorée le sort des indigènes par rapport à leurs droits fonciers. Cette législation
sera reconduite par la Charte coloniale qui, en son article 36 dispose que : « Les décrets,
les règlements et autres actes en vigueur dans la colonie conservent leur force obligatoire,
sauf les dispositions qui sont contraires à la présente loi et qui sont abrogées ». Mais le
décret du 31 mai 1934 sur les enquêtes de vacance changera la philosophie du législateur
au sujet des terres indigènes.
324
Art.1er du décret du 31 mai 1934
132
«Pour la validité de l’enquête, il est évident que les intéressés doivent être convoqués sur
les lieux. Il est non moins évident que ses conclusions doivent être portées à la connaissance de
tous dès qu’elle est close puisqu’on y aura reconnu soit l’absence, soit l’existence de droits
indigènes, et débattu les équivalences pour rachat éventuel. Il faut, en plus, qu’à ce premier acte
de la cession ou concession, qui n’en comptera souvent pas d’autre, il soit donné un caractère
solennel. C’est le but visé par la proclamation et l’avertissement prévu in fine de l’article 3 ».326
325
Art.2 du même décret
326
B.O., 1934, p 657
133
327
Art. 4 du décret précité
134
Si l’enquête conclut que la terre demandée est une terre indigène, la colonie seule
peut avec l’assentiment des indigènes conclure avec eux des contrats pour l’acquisition
d’une partie de leurs terres ou pour la cession de leurs droits sur ces terres. Mais pour que
ce contrat produise des effets et soit enregistré, ils doivent remplir les conditions
suivantes :
Sur cette question le rapport du Conseil colonial est explicite. En voici les
termes :
«Dorénavant, les indigènes ne pourront plus disposer directement de leurs droits fonciers
au profit de particuliers. La colonie seule pourra conclure avec eux les contrats d’aliénation et
d’occupation et disposera soit par elle- même, soit par l’intermédiaire des pouvoirs concédants,
des terres et des droits lui cédés. Semblable prescription écarte les indigènes du danger des
sollicitations occultes. Elle évite au gouverneur général de se trouver en situation délicate lorsque,
après accomplissement des formalités de l’enquête, il estime devoir refuser au contrat,
l’approbation requise ».330
Si l’enquête atteste que la terre convoitée est grevée des droits « sui generis » tels
que prévus par l’article 6 du décret du 3 juin 1906 au profit des indigènes, c’est-à-dire,
les droits de chasse, de pêche, de cueillette, etc ., il faut en déterminer la nature ainsi que
328
L’ordonnance du gouverneur général dont question est celle du 1er juillet 1885
329
Art. 13 du décret sous examen
330
B.O., 1938, p 796.
331
W. Bracke, Vade mecum, Titres fonciers, Province du Katanga, Congo belge, inédit,p9
135
l’étendue. Il faut entendre par l’étendue de ces droits, l’intensité de son exercice. C’est
ainsi par exemple, les indigènes peuvent sur les terres considérées comme vacantes,
cueillir ou recueillir périodiquement des champignons, des fourmis ailées et d’autres
fruits ou produits naturels et qui sont nécessaires à leur subsistance. Ils peuvent
également avoir le droit de chasse.332
Dans l’hypothèse où l’enquête atteste que la terre sollicitée par le demandeur est
domaniale et n’est pas grevée des droits indigènes, ni des droits sui generis, l’Etat peut
conclure directement avec le requérant le contrat de cession ou de concession en se
conformant au texte en vigueur en la matière.334 Il faut souligner qu’il s’agit là d’une
hypothèse rare.
Dans tous les cas, l’enquête peut faire l’objet de contrôle et de révision à
l’initiative du commissaire de district compétent ou du procureur de la République ou
encore du gouverneur de province.335Cependant, la question qui se pose est celle de
savoir si les terres vacantes existent réellement.
332
G. Kalambay Lumpungu, op.cit, p226
333
W.Bracke, op.cit, p9
334
G. Kalambay Lumpungu, op.cit, p229
335
La procédure de contrôle et de révision est prévue par les articles 5 à 12 du décret du 31 mai 1934 sur
les enquêtes relatives à la vacance de terres.
136
affirmer que les terres vacantes étaient une création de l’Etat Indépendant du Congo,
reprise par la colonisation sans soubassement réel. En effet, les Européens ne maîtrisant
pas le mode d’exploitation des terres par les autochtones, ont cru que chaque fois qu’ils
trouvent des terres apparemment sans signe d’occupation, ce qu’elles sont vacantes.
Ce droit de propriété n’est pas limité aux terres effectivement occupées mais il
s’étend jusqu’aux confins du domaine, même, sur les terres qui, en fait, ne sont jamais
utilisées : il n’y a pas, dans les conceptions indigènes, des terres sans maître. En
conclusion : il n’ y a pas de terres vacantes et tout notre régime foncier repose sur une
erreur, un abus de droits ou, en tout cas, une équivoque. L’appropriation des terres
prétendument vacantes n’a pu se faire qu’au détriment des indigènes, qui ne l’admettent
pas.
L’inexistence des terres sans maître est largement attestée par de nombreuses
études consacrées à cette question.
336
D. Biebuyck, op. cit, p11
137
Plus loin, l’auteur donne sa position à l’issue des enquêtes menées sur terrain,
lorsqu’il écrit notamment ce qui suit au sujet des terres vacantes :
«Il n’y a pas de terres vacantes, du moins, il n’y en a plus. Les terres qui, avant notre
arrivée, étaient sans maître, ont disparu suite à notre action qui a porté sur la stabilisation des
groupes, la répartition en circonscription et groupement à limites géographiques nettement tracées
et l’attribution de zones peu ou pas occupées en circonscriptions ainsi établies.
D’autre part, s’il existe actuellement des régions peu ou pas exploitées, ceci est dû
également en partie en tout cas, aux regroupements et aux déplacements de populations qui sont,
directement ou indirectement, notre œuvre.
Dans la vision d’un groupe africain, le domaine qu’il a su s’attribuer ne comprend jamais
de parties vacantes ou sans signification. Les diverses parties de ce domaine ont soit une
importance économique, soit une importance mystique ou magique, soit une importance sociale et
résidentielle. Le groupe y est partout présent, soit physiquement, soit intentionnellement, soit
mystiquement.
La distinction légale entre terres vacantes et terres indigènes ne correspond donc ni à la
réalité sociologique ni à l’attitude psychologique ».337
De son côté, Boelaert, après avoir affirmé que les autochtones avaient un droit de
propriété sur leur terre, ajoute qu’en tant que tel, ils ont le droit de l’utiliser selon leur
convenance et surtout à n’importe quel moment. Ainsi, le fait pour eux de ne pas
l’exploiter actuellement ne peut pas être une raison pour la déclarer vacante ou sans
maître. C’est comme si, ajoute-t-il, chez nous, une puissance occupante statuait de
s’approprier les terres sans maîtres en déclarant sans maître toutes les terres non
clôturées. Dans ce cas, vacant n’est plus synonyme de « sans maître », mais de « sans
utilisation actuelle », au sens restreint qu’on lui donne dans le décret.
337
D. Biebuyck, op.cit, p 95
338
G. Hulstaert, Propriété foncière et paysannat indigène, in Aequatoria, n°3, 1953, p119
138
En outre, l’auteur ajoute que la prescription par non-usage n’existe pas pour la
propriété ; il est donc injuste et irrégulier de déterminer la vacance d’une terre par le non-
usage. Aux yeux des indigènes, il n’y a d’ailleurs pas de non-usage.339
De ce qui précède, il ressort, comme nous l’avons affirmé précédemment, que sur
le plan sociologique les terres vacantes n’existent pas. Toutes les terres appartiennent à
des communautés dont les limites sont bien identifiées. Les textes régissant cette matière
ont été en inadéquation avec la réalité. D’où, il résulte des difficultés d’application.
Qu’en est-il alors des terres rurales sous la législation du Congo indépendant ?
Les terres rurales sont actuellement régies par la loi foncière de 1973. Elles font
l’objet de plusieurs activités. Les paysans et les fermiers les utilisent pour l’agriculture et
la pêche. Les entreprises commerciales et industrielles les exploitent pour les activités
forestières ou minières. Etant donné que toutes ces activités sont régies par des lois
339
E. Boelaert, Faut-il créer des réserves pour les indigènes, in Zaïre, volXI-2, 1955, pp134-135
340
A. Sohier, Le problème des terres indigènes, in Journal des Tribunaux d’Outre-mer, n°63, 1955,p126
139
différentes, nous allons essayer de passer en revue les procédures mise en place pour
l’acquisition de terres destinées à ces activités.
La procédure prévue par cette loi en vue de l’acquisition des terres rurales est
presque identique à celle prévue sous le régime du décret de 1934 concernant les
enquêtes de vacance. La procédure comprend des phases ci-après : la constitution du
dossier en vue de la demande, l’enquête préalable et la signature du contrat de location
préalable à la concession.
Les éléments requis pour la constitution du dossier concerne tant les terres rurales
que les terres urbaines. Ils diffèrent selon que le requérant est une personne physique ou
morale.
Lorsque la demande émane d’une personne physique, elle doit comporter les
éléments suivants :
S’il s’agit d’un terrain loti, il est fait mention de son numéro cadastral. Au cas
contraire, les mentions exigées pour l’identification du terrain en ce qui concerne la
personne physique sont également valables pour la personne morale.342
341
Art 191 de la même loi
342
Art 192 de la loi précitée
141
La procédure prévue par ce texte est trop longue et difficile pour le requérant. En
effet, elle implique plusieurs autorités à des échelons divers. Dans un pays où
l’administration ne fonctionne pas normalement et dont les moyens font défaut, il n’est
pas facile pour qu’une telle procédure arrive à un résultat satisfaisant.
Le délai imparti à chaque autorité pour étudier le dossier peut paraître suffisant,
mais la distance qui sépare les différentes autorités et les difficultés de transport sont
parfois telles que le respect de ce délai ne peut être que compromis, sauf si le requérant
accepte de prendre en charge tous les frais y relatifs, auquel cas, l’objectivité de ceux qui
sont chargés d’étudier le dossier sera sujette à caution.
La lourdeur de cette procédure conduit aux abus dans la pratique. Il arrive souvent
que les terres soient occupées à la surprise générale des villageois parce qu’ils n’ont pas
été consultés. Dans un rapport sur la problématique foncière au Nord Kivu, Norwegian
Refugee Council note ce qui suit :
« Pour acquérir ces vastes étendues de terres, la nouvelle classe de capitalistes ruraux
recourut à la législation en vigueur. Les autorités coutumières, insérées dans l’administration au
niveau local, pour s’attirer les grâces de leurs chefs hiérarchiques, et s’allier aux nouveaux
capitalistes, déclaraient vacantes des terres occupées par leurs populations. En recourant ensuite
aux services fonciers provinciaux, le plus souvent corrompus, ou en agissant par influence d’une
autorité hiérarchique, ces acquéreurs se faisaient délivrer des titres fonciers.
343
L’Etat conclu avec les particuliers le contrat de location lorsque la superficie du terrain sollicité est
inférieure à 10 hectares. Lorsque la superficie du terrain est supérieure à 10 hectares, c’est le contrat
d’occupation provisoire qui est conclu.
142
Ainsi, une étendue de terres pouvait être déclarée vacante sans que ses occupants n’en
soient informés. Des titres fonciers étaient ensuite obtenus sur ladite terre et gardés pendant deux
ans sans s’en prévaloir. A l’issue de ces deux ans, ces titres devenaient inattaquables en justice.
Leurs acquéreurs faisaient alors prévaloir leur titre de propriété et obtenaient l’expulsion des
populations de leurs terres ».344
344
Norwegian Refugee Council, La problématique foncière au Nord-Kivu et le retour des déplacés et des
réfugiés, inédit, Goma, 2007, p7
143
De tout ce qui précède, il ressort que l’accès aux terres rurales se fait par voie
contractuelle. Le contrat de concession n’est conclu qu’après la mise en valeur du terrain.
Ce contrat obéit aux règles de droit privé. Qu’en est-il alors des dispositions du code
forestier ?
L’acquisition des concessions forestières est régie par la loi n° 011/ 2002 du 29
août 2002 portant code forestier. Aux termes des dispositions de cette loi, les forêts
appartiennent à l’Etat. Celui-ci accorde aux particuliers des concessions forestières dont
345
Les conditions d’occupation des terres rurales sont prévues par les dispositions des articles 153 à159 de
la loi foncière.
346
Selon l’article 157 de la loi foncière, ne peuvent être considérées comme mise en valeur :
- les terres qui ne sont pas couvertes sur un dixième au moins de leur surface par des constructions ;
- les terres qui ne sont pas couvertes sur cinq dixième au moins de leur surface de cultures alimentaires,
fourragères ou autres ;
- les terres sur lesquelles il n’aura pas été fait, sur cinq dixièmes au moins de leur surface, des
plantations ; de palmiers , à raison d’au moins 100 unités par hectare ; de caféiers, à raison d’au moins
900 unités par hectare ; de quinquina, à raison d’au moins 6.940 unités par hectare ; de théiers, à
raison d’au moins 5.470 unités par hectare ; d’aleurites, à raison d’au moins 100 arbres par hectare
pour les enrichissements de forêt, et d’au moins 1.000 arbres par hectare pour les boisements en
terrains découverts. Pour les autres espèces d’arbres et arbustes, la densité minimum sera fixée de
commun accord entre le cessionnaire et le service compétent.
- Les terres auxquelles n’auront pas été appliquées les mesures fixées par la convention ou légalement
prescrites en vue de la conservation du sol.
347
Art 158 de la loi foncière
144
l’attribution se fait soit par voie d’adjudication, soit de gré à gré. Mais, toute personne
désireuse d’obtenir une concession forestière en vue d’une exploitation industrielle doit
remplir les conditions exigées par la loi.348
Le but poursuivi par l’enquête est de constater la nature et l’étendue des droits que
pourraient détenir des tiers sur la forêt à concéder, en vue de leur indemnisation
éventuelle. le montant de l’indemnisation est fixé à l’amiable, ou à défaut, par voie
judiciaire. Le paiement de l’indemnité a pour conséquence de rendre la forêt concernée
quitte et libre de tout droit349.
348
L’article 82 al 1et 2 de la loi portant code forestier prévoit que si le requérant est une personne physique,
elle doit être domiciliée en République Démocratique du Congo. S’il est personne morale, elle doit être
constituée légalement et avoir son siège en République Démocratique du Congo. Le requérant doit en outre
déposer un cautionnement auprès d’une institution financière établie en République Démocratique du
Congo, en vue de garantir le paiement de toutes indemnités si les travaux sont de nature à causer un
dommage ou s’il est à craindre que ses ressources ne soient pas suffisantes pour faire face à sa
responsabilité.
349
Art 84 de la loi précitée
145
L’enquête publique est ouverte par l’annonce faite par voie de la presse,
audiovisuelle, par l’affichage de l’annonce aux bureaux des administrations provinciale et
locale chargées des forêts et à tous endroits dans la localité où la forêt est située et par
tout autre mode de communication permettant au public d’être pleinement informé du
projet.
La publicité de l’enquête est faite en français et dans une des langues nationales,
au moins deux mois avant la date fixée pour la consultation publique.352
L’enquête se déroule en deux phases principales :
350
Par parties prenantes, on entend les personnes, communautés locales et peuples autochtones, autorités,
associations villageoises, et organisations non gouvernementales légalement reconnues qui peuvent être
affectés directement ou indirectement par un projet d’exploitation forestière sous forme d’une
concession, dont la consultation est de nature à éclairer l’autorité chargée du processus d’attribution de la
concession proposée et qui sont impliquées dans la protection de l’environnement ou le développement
social des sites envisagés pour les concessions proposées.
351
Art 4 de l’arrêté ministériel précité
352
Art 6 de l’arrêté précité
353
Art 7 du même arrêté
146
Sont également impliquées, toutes les parties prenantes au niveau local, avec une
attention particulière pour les groupes minoritaires vulnérables et/ ou les peuples
autochtones.354
L’enquête publique se clôture par la publication tant au niveau local que national
du rapport la sanctionnant. Ce rapport comprend les éléments suivants :
Quant au rapport final de l’enquête, il est gardé aux archives où il peut être
consulté.355 Si le rapport de l’enquête conclut que la forêt convoitée est quitte de tout
354
Art 8 du même arrêté
355
Art 9 du même arrêté
147
droit à l’égard des tiers, l’administration peut alors passer à l’étape de la conclusion du
contrat de concession.
2. Contrat de concession forestière
Ce contrat comprend deux parties : le contrat proprement dit qui détermine les
droits et les obligations des parties, et un cahier des charges qui fixe les obligations
spécifiques incombant au concessionnaire.357
Le cahier des charges comporte des clauses générales et des clauses particulières.
Les clauses générales concernent les conditions techniques relatives à l’exploitation des
produits concernés. Quant aux clauses particulières, elles concernent notamment les
charges financières, les obligations en matière d’installation industrielle incombant au
titulaire de la concession forestière, une clause particulière relative à la réalisation
d’infrastructures socio-économiques au profit des communautés locales. Cette dernière
clause concerne spécialement la construction ainsi que l’aménagement des routes, la
réfection et l’équipement des installations hospitalières et scolaires ainsi que les facilités
en matière de transport des personnes et des biens.358
356
Art 87 du code forestier
357
Art 88 du même code
358
Art 89 du code forestier
148
Dans les autres cas, les concessionnaires originaire et nouveau sont tenus
solidairement de leurs obligations envers l’Etat.360
359
Art 94 du code forestier
360
Art 95 du code forestier
361
Art 115 du code forestier
362
Art 116 du code forestier
149
engagés jusqu’ à la réalisation des biens.363 La déchéance ne concerne pas les concessions
de conservation et de bio prospection.364
La loi portant code forestier prévoit encore d’autres dispositions concernant les
droits et les obligations des parties. Ce qui importe pour nous, c’est de constater que
l’accès aux concessions forestières passe par voie contractuelle. Ceci est important parce
que, comme nous le verrons dans le chapitre qui suit, ce mode d’accès a une incidence
sur la situation de la femme. Il convient également de mentionner que le contrat de
concession forestière est un contrat administratif, dans la mesure où il contient des
clauses exorbitantes de droit commun et l’une des parties au contrat est toujours l’Etat.
Son contentieux relève donc du juge administratif.365
De tout ce qui précède, il ressort que le droit congolais post colonial ne s’est
vraiment pas démarqué de la ligne tracée par l’Etat Indépendant du Congo ainsi que la
colonisation belge, en ce qui concerne la procédure de gestion des terres vacantes,
363
Art 117 du code forestier
364
Aux termes de la loi portant code forestier, on entend par conservation, les mesures de gestion
permettant une utilisation durable des ressources et des écosystèmes forestiers, y compris leur protection,
entretien, restauration, et amélioration. Par bio prospection on entend l’activité consistant à inventorier
ou évaluer les éléments constitutifs de la diversité biologique importants pour sa conservation et son
utilisation durable tout en tenant compte des normes d’inventaire prévues.
365
G. Sakata M. Tawab, Code forestier congolais et ses mesures d’application, Louvain- la- Neuve,
Academia-Bruylant, 2010, p144
150
devenues terres rurales. La grande différence se situe au niveau de la nature des droits
que l’Etat accorde aux particuliers. En effet, si pendant les deux périodes précédentes, les
particuliers avaient un droit de propriété, depuis la loi de 1973 portant régime général des
biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés, l’Etat étant l’unique
propriétaire foncier, n’accorde aux particuliers que des droits de jouissance qu’on appelle
concession.
Malgré cela, les communautés locales considèrent les terres rurales comme étant
leur propriété. Elles ne se sentent pas toujours concernées par le contrat que l’Etat conclut
avec les particuliers. C’est ainsi qu’il arrive souvent qu’en dehors du contrat conclu entre
l’Etat et le concessionnaire, ce dernier soit obligé de trouver encore d’autres
arrangements avec les communautés locales pour faciliter l’accès à la terre ou à la forêt.
S’agissant particulièrement de l’exploitation de la forêt, il y a lieu de noter que le code
forestier, par le biais du cahier de charge, a prévu la prise en compte des intérêts des
communautés locales par la réalisation des infrastructures socio- économique en leur
faveur. C’est ainsi qu’on considère le contrat de concession forestière comme un contrat
tripartite dont les parties sont l’Etat, l’exploitant forestier et la communauté locale. Mais
le fait que les exploitants forestiers ne veulent pas conclure le contrat de concession
forestière, entraîne souvent des difficultés avec les communautés locales. En effet, celles-
ci ne trouvent pas leur compte dans l’exploitation. Les anciens contrats 366 conclus par les
exploitants forestiers avec l’Etat n’accordent pas aux communautés locales les avantages
socio-économiques.
De mon expérience de magistrat, il m’est déjà arrivé d’intervenir dans les conflits
opposant les exploitants forestiers aux communautés locales au motif que les premiers ne
respectent pas les engagements pris avec les seconds. Souvent ces engagements
consistent dans le fait de verser aux communautés locales mensuellement ou
trimestriellement une somme d’argent ou de leur fournir certains biens de première
nécessité comme du sel, du savon, du sucre etc. Si ces engagements ne sont pas tenus, les
366
Par anciens contrats, il faut entendre la garantie d’approvisionnement et la lettre d’intention. La garantie
d’approvisionnement est un contrat conclu entre l’Etat et l’exploitant forestier disposant déjà sur le
territoire national d’une usine de transformation des produits ligneux ayant un certain niveau de production.
La lettre d’intention est également un contrat conclu entre l’Etat et un exploitant forestier qui promet de
construire une usine de transformation des produits ligneux sur le territoire national.
151
La difficulté majeure qui entraîne une certaine confusion dans la relation devant
exister entre les concessionnaires et les communautés locales concerne les limites entre
les forêts domaniales et les forêts des communautés locales. Si l’Etat fait la distinction
entre ces deux types de forêt, les communautés locales prétendent être propriétaires de
l’ensemble des forêts sans distinction. Ces dernières se fondent sur les coutumes qui ont
toujours régies les sociétés traditionnelles. En effet, partout à travers le pays, toutes les
forêts ont sur le plan coutumier des propriétaires. Ainsi, l’octroi d’une concession
forestière à un exploitant forestier, est ressenti par les communautés locales comme un
acte de spoliation qui appelle une certaine résistance de leur part. il arrive même parfois
que les villages entiers se retrouvent dans une concession forestière. Alors, il y a lieu de
se demander si l’enquête prévue par la loi se réalise correctement. Qu’en est-il en ce qui
concerne la gestion des terres urbaines ?
Nous allons ici adopter également la même démarche, celle qui consiste à
analyser d’un côté la situation de ces terres sous la colonisation et de l’autre côté le
régime des terres urbaines sous le Congo indépendant.
les Africains. Concernant particulièrement les droits fonciers, il y a lieu d’observer que le
code civil, livre II était applicable aux non indigènes et que les indigènes étaient régis par
des dispositions d’ordre administratif et règlementaire.
Cela a entraîné comme conséquence que les Blancs avaient le droit de propriété
sur les terres qu’ils occupaient, alors que les Noirs n’avaient qu’un droit d’occupation sur
le sol. Les terres occupées par les Noirs dans les circonscriptions urbaines appartenaient
aux pouvoirs concédants qui étaient soit la colonie, soit le Comité spécial du Katanga,
soit le Comité national du Kivu.
Le droit d’occupation des indigènes sur le sol était un droit précaire et révocable.
Selon le Vade mecum du Katanga, le droit d’occupation précaire est autorisé par
l’autorité administrative qui accorde la jouissance du terrain convoité pour une durée
indéterminée ou pour une durée déterminée avec ou sans clause de tacite reconduction.369
367
G. Kalambay Lumpungu, Le droit foncier zaïrois et son unification, Thèse de doctorat, Université
Catholique de Louvain, 1973, p 278
368
G. Kalambay Lumpungu, op. cit, p 278
369
W. Bracke, op. cit, p15
153
Il y a lieu de dire qu’étant propriétaire de la maison, il peut bien conclure avec les
tiers toute sorte de contrat et la maison peut faire l’objet de succession. Ainsi, il peut
louer la maison ou la vendre. En cas de vente, le transfert de propriété a lieu entre parties
contractantes dès qu’il y a accord des volontés. Mais à l’égard des tiers, le vendeur et
l’acheteur doivent remplir les formalités administratives relatives à la mutation du droit
d’occupation, ayant pour aboutissement l’établissement d’une nouvelle fiche parcellaire
au nom du nouvel acquéreur.
Cette exigence administrative se justifie par le fait que le propriétaire de la
maison, qui ne dispose que d’un droit d’occupation sur le sol, vend son droit sur le sol en
vendant sa maison.
Le titre qui permet l’occupation des parcelles dans une cité indigène ou centre
extra-coutumier est le permis d’occupation. Ce titre est précaire, comme le droit
d’occupation et il n’a qu’une valeur administrative. De ce fait, il ne procure pas à son
titulaire la même sécurité juridique que le certificat d’enregistrement qui consacre la
propriété dans les quartiers européens des circonscriptions urbaines.
370
G. Kalambay Lumpungu, op. cit, p288
154
De ce qui précède, il ressort que le caractère dualiste du droit persiste même dans
les circonscriptions urbaines. En effet, à côté d’un droit législatif régissant les Blancs, il
s’est développé un droit d’origine administrative en faveur des Noirs. Ce dernier peut être
considéré comme un troisième régime foncier, à côté du droit coutumier et du droit écrit.
Ce régime semble être proche de celui du droit coutumier. La différence apparaît au
niveau du propriétaire du fonds. En droit coutumier, le fonds appartient à la communauté,
qui en l’espèce, est le clan ou la famille alors que pour le droit d’occupation, le
propriétaire est soit la colonie soit les pouvoirs concédants. Mais le caractère vague de ce
droit a nécessité que l’Etat intervienne par des textes nouveaux pour accorder aux Noirs
des droits fonciers précis. C’est la raison d’être de différents décrets de 1953.
371
L’article 5 de la Charte coloniale est libellé comme suit : « le Gouverneur général veille à la
conservation des populations indigènes et à l’amélioration de leurs conditions morales et matérielles
d’existence. Il favorise l’expansion de la liberté individuelle, l’abandon progressive de la polygamie et le
développement de la propriété. Il protège et favorise, sans distinction de nationalités ni de cultes, toutes les
institutions et entreprises religieuses, scientifiques ou charitables, créées et organisées à ces fins ou tendant
à instruire les indigènes et à leur faire comprendre et apprécier les avantages de la civilisation.
Les missionnaires chrétiens, les savants, les explorateurs, leurs escortes, avoir et collections sont l’objet
d’une protection spéciale ».
155
Ici, nous allons nous limiter à l’étude de quelques dispositions ayant trait à l’accès
au droit de propriété ainsi que les restrictions qui en résultent. Les dispositions relatives à
la succession fera l’objet d’une analyse ultérieure, notamment lorsque nous allons
aborder la question relative à l’accès de la veuve au droit foncier.
L’article premier de ce texte dispose que « Tout Congolais peut jouir de tous les
droits immobiliers organisés par la législation écrite ». Cette disposition consacre
l’égalité de tous les Congolais en matière d’accès aux droits immobiliers. La nouveauté
de ce droit ne concerne en réalité que les Congolais non-immatriculés. En effet, le
pouvoir colonial avait institué plusieurs catégories des Congolais en tenant compte de
leur degré de civilisation. Il en est ainsi notamment des Congolais immatriculés, des
Congolais détenteurs de la carte de mérite civique ainsi que les Congolais soumis au
droit coutumier. Ainsi, la dernière catégorie des Congolais n’avait pas le droit d’accéder à
la propriété immobilière individuelle. Il convient de noter que les Congolais visés par ce
texte, sont ceux vivant dans les milieux urbains, car l’aire d’application de ce texte est
limité aux centres extra-coutumiers et cités indigènes des agglomérations urbaines.
spécialement au colonat Indigène, conformément aux règlements sur les droits fonciers qui seront
organisés pour ces espèces de terres. Comme, il pourra devenir titulaire des droits immobiliers
organisés par la législation écrite sur tous les biens auxquels cette législation est appliquée. Ces
droits, il pourra les exercer cumulativement avec les droits immobiliers coutumiers qu’il pourrait
posséder dans la circonscription indigène, dont la coutume continuera à régir les biens».372
Ce texte avait une portée limité. En effet, l’article premier accorde au gouverneur
de province le pouvoir de déterminer les centres extra-coutumiers, les agglomérations
érigées en cités indigènes ou les quartiers de ceux-ci qui seront concernés par les
dispositions de ce décret. En exécution de cette disposition, trois gouverneurs de province
ont pris des arrêtés pour déterminer les territoires qui feront l’objet d’application des
dispositions du décret susvisé. Il s’agit de la province du Katanga, de la province du Kivu
et de la province de Léopoldville.
La procédure pour accéder à ces terrains est prévue par l’ordonnance du 6 mars
1954 portant forme des demandes de cession et de concession de terres dans les centres
extra-coutumiers et les cités indigènes.
Selon cette ordonnance, les demandes relatives à des terrains sis dans les centres
extra-coutumiers et les cités indigènes déterminés par le gouverneur de province en
application de l’article premier du décret du 23 février 1953, sont adressées en triple
exemplaire à l’autorité qui a dans ses attributions l’administration du centre ou de la
cité.375
Les demandes prennent date le jour de leur réception. Elles sont actées dans cet
ordre, dans un registre spécial où sont mentionnés : l’identité du demandeur, la situation
et le numéro du terrain demandé, la date de la demande et celle de sa réception.376
373
B.O., 1953, p.436
374
Art 2 du décret du 23 février 1953
375
Art 1 de l’ordonnance du 6 mars 1954
376
Art 2 de la même ordonnance
158
En somme, il y a lieu également de constater que l’accès aux droits fonciers sous
le régime de différents décrets de 1953, se fait sur base des contrats qui peuvent être de
nature diverse. Mais le plus important, c’est que désormais, tous les Congolais peuvent
accéder aux droits fonciers sans aucune discrimination. Qu’en est-il alors de la gestion
des droits fonciers sur les terres urbaines sous le Congo indépendant?
Les personnes désireuses d’obtenir des parcelles doivent adresser leurs demandes
auprès de l’autorité compétente. Le dossier doit être constitué en respectant les mêmes
éléments que ceux exigés pour les terres rurales.
377
Selon l’article 20 de ce décret, le droit de reprise peut s’exercer dans les cas ci-après : - en cas de non-
occupation pendant une période de cinq ans continue. Cette période est réduite à deux ans lorsqu’il s’agit
d’une parcelle à usage maraîcher. - en cas de changement de destination opéré dans le cours d’une période
de vingt ans commençant à courir du jour de la cession de la parcelle par la personne publique.
378
Art 63 de la loi foncière
159
contrat de location peut encore être prorogé pour une durée de deux ans. Cette dernière
durée peut encore être reconduite une fois si le requérant n’arrive pas toujours à terminer
la mise en valeur. En somme, la mise en valeur doit être réalisée pendant une durée
maximum de 7 ans. Mais dans la pratique, il arrive que la mise en valeur se réalise au-
delà de cette durée et l’Etat ne se montre pas rigoureux quant à ce.
Cette attitude se justifie par le fait que la crise économique que traverse le pays
depuis quelques décennies a atteint un niveau tel qu’il est objectivement difficile pour un
Congolais moyen de réaliser la mise en valeur dans le délai légal.
De tout ce qui précède, nous pouvons dire que les règles régissant les terres
urbaines et rurales sont apparemment impersonnelles, contrairement aux règles
coutumières qui mettent l’accent particulier sur le sexe des personnes pouvant accéder
aux droits fonciers. L’accès aux droits fonciers se fait par voie contractuelle tant pour les
terres urbaines que rurales. La procédure prévoit deux phases : la première est celle d’une
occupation provisoire ayant pour but d’assurer la mise en valeur du terrain et la deuxième
est celle qui consacre le droit sur le terrain occupé, et ce, après avoir réalisé la mise en
valeur. A chaque étape, les contrats sont assortis des droits et des obligations.
1973, les particuliers n’accèdent qu’à un droit de jouissance appelé concession, l’Etat
étant devenu l’unique propriétaire foncier.
Quant aux terres urbaines, elles sont mises sur le marché après qu’elles aient été
loties. Chaque portion de terres a une destination précise. Celle-ci doit être respectée par
l’occupant ou par le concessionnaire. Ici également, la nature du droit à concéder n’a pas
été la même d’une époque à l’autre. En effet, si au départ les indigènes n’avaient pas le
droit de propriété sur le sol, avec les décrets de 1953, ils avaient acquis le droit de
propriété tant sur le sol que sur les constructions. Mais la loi de 1973 est revenu
pratiquement sur la situation antérieure en 1953, en accordant aux particuliers un droit de
jouissance sur le sol occupé par eux, tout en leur reconnaissant le droit de propriété sur
les immeubles construits. Mais il convient d’observer que le droit de jouissance sur le sol
reconnu au concessionnaire par la loi de 1973 n’est un droit précaire comme celui prévu
avant 1953. En outre, il est d’origine légale et non administrative.
En somme, les règles qui régissent actuellement tant les terres urbaines que
rurales obéissent à la même logique qui préside à la gestion des terres coutumières. En
effet, nous avions vu que sur le plan coutumier la terre est la propriété de la communauté,
qui dans le cas d’espèce est soit le clan, soit la famille. Mais les membres de la
communauté avait de droit individuel de jouissance sur le sol qu’ils occupent et le droit
de propriété sur le produit de leur travail lié au sol.
Il y a lieu de constater également que pour les terres régies par le droit écrit, l’Etat
en tant que communauté est l’unique propriétaire. Il accorde aux particuliers qui sont
membres de cette communauté, le droit de jouissance sur le sol appelé concession. Mais
ceux-ci, ont un droit de propriété sur les constructions ainsi que les récoltes incorporées
au sol.
L’accès de la femme sur les terres rurales et urbaines dépend de la situation dans
laquelle elle se trouve. En effet, la femme célibataire n’accède pas à la terre dans les
mêmes conditions que la femme mariée, veuve, divorcée ou vivant dans une union de
fait. Ainsi, étant donné que chaque situation obéit à des conditions particulières, nous
allons les examiner de manière séparée. Mais d’une façon générale, il convient d’affirmer
que la femme accède à la terre dans les mêmes conditions que l’homme, hors mis la
femme mariée ainsi que la femme vivant dans une union de fait qui ne dispose pas des
droits successoraux par rapport à son partenaire. Ce chapitre sera donc subdivisé en cinq
sections. La première analysera la situation de la femme célibataire, la seconde celle de la
femme mariée, la troisième sera axée sur les droits fonciers de la veuve, la quatrième sur
les droits fonciers de la femme divorcée et enfin la cinquième sur ceux de la femme se
trouvant dans une union de fait.
Dans le chapitre précédent, nous avions analysé les règles qui régissent l’accès
aux droits fonciers. Il convient de constater que nulle part ces règles font allusion
expressément au sexe des bénéficiaires de ces droits. En outre, nous avions aussi souligné
que l’accès à la terre passe par voie contractuelle. Ce contrat relève généralement du
droit privé, en dehors du contrat de concession forestière qui est un contrat administratif.
Si les autres conditions n’ont jamais posé des problèmes particuliers, la condition
relative à la capacité de la femme fait souvent l’objet de discussion. Nous y reviendrons
lorsque nous allons analyser la situation de la femme mariée. Relativement à cette
condition, l’article 23 du décret susvisé dispose : « Toute personne peut contracter, si elle
162
n’en est pas déclarée incapable par la loi. » Ainsi, au regard de cette disposition, la
femme célibataire est pleinement capable pour contracter, dans la mesure où aucune loi
ne la déclare incapable. Elle peut par conséquent conclure avec l’Etat un contrat de
location avec obligation de mettre le terrain en valeur ou un contrat de concession
ordinaire ou perpétuelle donnant accès à l’établissement du certificat d’enregistrement.
Elle peut également conclure un contrat de vente portant sur un bien immobilier ou celui
de donation.
Même si la loi ne fait pas allusion de façon expresse au sexe du requérant, cette
exigence me paraît implicite. En effet, dans le chapitre précédent nous avions dit que la
loi exige que celui qui demande une portion de terre auprès de l’Etat doit constituer un
dossier pour la circonstance. Parmi les éléments du dossier, la loi exige notamment
l’identité du requérant. Or, le sexe est un élément faisant partie de l’identité de la
personne. Il en est également de l’état-civil. Ainsi, à travers ces éléments, la partie
cocontractante qui est l’Etat, saura si l’autre partie est de sexe masculin ou féminin. Si
elle est de sexe féminin, cela permettra de vérifier si elle est célibataire, auquel cas il n ‘y
aura pas de problème concernant sa capacité à contracter.
niveau de l’étendue du droit se justifie par les caractères collectifs et inaliénables des
terres appartenant aux communautés locales.
Par rapport à l’homme, la femme célibataire jouit de mêmes droits et accède aux
droits fonciers et immobiliers dans les mêmes conditions. Qu’en est-il de la femme
mariée ?
Avant de passer en revue les différents régimes matrimoniaux prévus par le code
de la famille, il est nécessaire de noter que le code civil, livre premier, que le code de la
famille a abrogé, n’avait prévu aucune disposition relative au régime matrimonial. Le
législateur du code de la famille a prévu d’une part des règles qui s’appliquent à tous les
régimes matrimoniaux et d’autre part des règles spécifiques à chaque régime
matrimonial. Ainsi, dans un premier temps, nous allons voir les règles communes à tous
les régimes et dans un deuxième temps, les règles spécifiques à chaque régime. Nous
tenons à préciser que nous allons nous limiter aux règles qui ont un lien avec l’accès de la
femme mariée aux droits fonciers.
164
Quel que soit le régime matrimonial choisi par les époux, la gestion des
patrimoines commun et propre est présumée être confiée au mari. Mais les époux peuvent
convenir au moment du choix du régime que chacun gérera ses biens propres379.
L’accord de deux époux est obligatoire pour les actes ci-dessous, quel que soit le
régime choisi par les époux ainsi que les modalités de gestion mises en place :
379
Art 490 du code de la famille
380
Art 492 al 1er du même code
381
Le zaïre est la monnaie qui avait cours légal en République Démocratique du Congo. Actuellement,
c’est le franc congolais qui est la monnaie ayant cours légal au pays. Il est assez difficile de faire
l’équivalence avec le franc congolais parce que le zaïre avait été d’abord remplacé par le nouveau zaïre
avant que celui-ci ne soit à son tour remplacé par le franc congolais.
165
Si dans les six mois qui suivent la conclusion des actes précités, la partie tierce
contractante n’a pas été notifiée du désaccord de l’autre membre du couple qui n’avait
pas pris part à la conclusion de l’acte, on présume que cet acte a obtenu son accord.383
Tout tiers qui passe un acte avec l’un des époux, nécessitant l’accord de l’autre
conjoint, peut réclamer cet accord soit au moment de l’établissement de l’acte, soit dans
les six mois qui suivent la conclusion de l’acte384.
Voilà les règles applicables à tous les régimes matrimoniaux, relativement aux
droits fonciers de la femme mariée. A ce niveau, il y a lieu de noter que le législateur a
382
Art 499 du code la famille
383
Art 500 al 1er du code de la famille
384
Art 500 al 2 du même code
385
Art 500 al 3 du même code
386
Art 501 du code de la famille
387
P. Binet, La femme dans le ménage, Paris, LGDJ, 1904, pp 20-21
166
consacré une égalité parfaite entre les deux conjoints. Même si la gestion des biens du
couple est présumée maritale, celui-ci ne peut poser aucun acte valable sur le plan
juridique sans l’accord de son épouse. Il s’agit là d’un contrepoids important par rapport
aux pouvoirs reconnus au mari. Le législateur a surtout ciblé les actes ayant trait aux
biens fonciers et immobiliers parce que ces biens sont les plus importants, en terme de
valeur marchande, que le couple peut avoir. Qu’en est-il alors des règles spécifiques à
chaque régime?
Le régime de séparation des biens est celui qui consacre l’existence de deux
patrimoines propres formés par tous les biens acquis à titre onéreux ou à titre gratuit par
chacun des époux ainsi que par leurs dettes.388
388
Art 505 du code de la famille
389
Art 506 du code de la famille.
167
certificat d’enregistrement distinct dont il est fait annotation sur le certificat établissant la
concession.»
C’est donc par un certificat d’enregistrement établi en son nom qu’un époux doit
prouver la propriété d’un bien foncier ou immobilier. En principe, tout autre moyen de
preuve n’est pas admissible.
Nous avions dit ci-haut que la gestion des biens tant propres que communs est
présumée confiée au mari, et ce, quel que soit le régime matrimonial choisi par les époux.
Nous avions également affirmé que les époux peuvent s’entendre pour que chacun gère
ses biens propres. Dans le régime de séparation des biens, il peut arriver que l’un des
époux donne librement mandat à l’autre de gérer tout ou partie de ses biens propres. Dans
ce cas, il est autorisé à poser des actes d’administration sur ces biens et non ceux de
disposition. Il pourra également utiliser les fruits provenant de ces actes si la procuration
l’autorise. C’est dans ce cas notamment que le mari peut donner mandat à son épouse de
gérer ses biens fonciers ou immobiliers390. Dans cette hypothèse, la femme pourra par
exemple faire louer ces biens pour une durée inférieure à 9 ans. Si le mandat le prévoit,
elle peut utiliser pour son compte le fruit de cette location. Comme on peut le constater,
malgré une gestion des biens séparée, la femme peut par ce biais accéder aux droits
fonciers, de la part de son mari.
Il peut arriver aussi que le mari fasse une donation constituée d’un ou de plusieurs
biens fonciers ou immobiliers à son épouse. Dans ce cas, ces biens sortent dans le
patrimoine du mari, pour entrer dans celui de la femme. Pour que la femme devienne
propriétaire ou concessionnaire de ces biens, il faut l’établissement d’un ou plusieurs
nouveaux certificats d’enregistrement en son nom.391
390
Art 509 du code de la famille
391
Art 220 al 1er de la loi foncière
392
Art 510 al 1et 2 du code de la famille
168
En somme, il y a lieu de dire que ce régime permet à la femme de garder ses biens
fonciers et immobiliers acquis avant le mariage et ceux acquis pendant le mariage, sous
réserve de ce qui sera dit au sujet de l’autorisation maritale. Ce régime permet aussi au
mari de faire de donation ou de libéralité à son épouse de son vivant, pour permettre à
celle-ci d’avoir déjà pour son compte un patrimoine foncier et immobilier. Cela permettra
à l’épouse d’être à l’abri de toutes les tracasseries qui surviennent parfois après le décès
du mari. Nous y reviendrons lorsque nous aborderons la situation de la femme veuve.
393
Art 510 al 3et 4 de la famille
394
Art 511 du code de la famille
395
Art 515 du code de la famille
169
l’épargne. Ainsi, ce régime aboutira au résultat néfaste pour la femme selon lequel
l’homme aura un patrimoine riche au détriment de la femme. Cela est d’autant vrai que
rares sont les époux qui arrivent au mariage, chacun avec un patrimoine foncier et
immobilier avéré. Que dire alors en ce qui concerne le régime de la communauté réduite
aux acquêts ?
Les biens communs qualifiés d’acquêts sont ceux que les époux acquièrent
pendant le mariage par leur activité commune ou séparée ainsi que les biens
conjointement acquis par les deux époux par donations, successions ou testaments.397
Lorsque les époux optent pour ce régime, ils peuvent établir et remettre à
l’officier de l’état civil qui célèbre ou enregistre leur mariage, un inventaire signé par eux
et déclarant les biens meubles et immeubles dont ils ont la propriété ou la possession
légale antérieurement au mariage. La mention de l’inventaire est faite dans l’acte de
mariage.398
396
Cette définition est issue de la combinaison des articles 516 al 2 et 517
397
Art 516 du code de la famille
398
Art 518 du code de la famille
170
Tout bien qui n’est pas inventorié comme étant un bien propre est présumé être
commun aux époux. Cependant, chacun des époux peut par toutes voies de droit prouver
qu’il en a la propriété exclusive, sauf en matière foncière et immobilière où le droit de
jouissance ou de propriété doit être établi par un certificat d’enregistrement.
Lorsque par la volonté des époux, ou par l’effet de la loi, la gestion des biens
propres n’est pas attribuée au mari et est confiée privativement à chacun des époux, ceux-
ci administrent leurs biens personnels et en perçoivent les revenus. Ils peuvent en
disposer librement, sous réserve des cas où l’accord de l’autre époux s’avère
nécessaire.399
En cas de gestion privative, il n’est pas interdit qu’un époux donne mandat à
l’autre pour administrer ses biens propres et en percevoir les revenus. L’époux
mandataire n’aura le droit que de poser les actes d’administration et non ceux de
disposition. C’est dans cette hypothèse, comme nous l’avons souligné précédemment,
qu’un homme peut confier à sa femme la gestion de ses biens fonciers ou immobiliers
propres et l’autoriser à jouir des fruits en provenant. Il s’agit là des droits de jouissance
temporaire.
Mais le mari peut également, par voie de donation, offrir à son épouse un bien
foncier ou immobilier lui appartenant en propre. Dans ce cas, un certificat
d’enregistrement devra être établi au nom de l’épouse, et ce, conformément à l’article
220 al 1er de la loi foncière.
La dette contractée par l’un des époux grève ses biens propres ainsi que les biens
communs. Celles dont les deux époux sont tenus en vue de la contribution aux charges du
ménage sont des dettes solidaires qui engagent tant les biens communs que les biens
propres de chacun d’eux.400
Lors de la dissolution du mariage, chacun reprend les biens qui lui appartiennent
en propre. Les biens communs sont partagés par moitié entre les époux ou leurs héritiers.
399
Art 520 du code de la famille
400
Art 523 du code de la famille
171
Comme on peut se rendre compte, par rapport aux droits fonciers et immobiliers,
ce régime permet également à l’épouse de garder les biens fonciers ou immobiliers acquis
avant le mariage. Mais il lui permet aussi de les acquérir en commun avec son mari
pendant le mariage, quitte à les partager à la dissolution du mariage. Le mari peut
également faire la donation à son épouse, auquel cas le bien offert dans ces conditions
devient un bien propre de la femme. Et s’il s’agit d’un bien foncier ou immobilier, le
certificat d’enregistrement devra être établi au nom de l’épouse sur base de l’acte de
donation. Quid alors du régime de la communauté universelle ?
Dans ce régime, les biens propres des époux sont constitués des meubles,
immeubles et fonciers qu’ils recueilleront chacun à titre gratuit avec exclusion de
communauté et les biens qui leur sont strictement personnels ainsi que le capital
d’assurance-vie, les indemnités compensatoires d’un préjudice physique ou moral, les
rentes alimentaires, pension de retraite et d’invalidité402.
401
Art 533 al 1 du code de la famille
402
Art 533 al 2 du code de la famille
172
Dans ce régime, la gestion des biens est confiée au mari. Si la femme constate
qu’il y a mauvaise gestion ou inconduite notoire de la part du mari, au point de
compromettre ses intérêts, elle peut saisir la justice pour solliciter la séparation des biens.
La mention du jugement à intervenir sera portée en marge de l’acte de mariage à la
diligence de l’épouse. La séparation des biens entraîne la liquidation des biens de la
communauté.405
Au regard de tout ce qui précède, nous pouvons affirmer que les régimes
matrimoniaux prévus par le code de la famille assure à la femme l’accès aux droits
403
Art 535 du code de la famille
404
Art 536 du code de la famille
405
Art 537 du code de la famille
406
E. Mwanzo Idin’Aminye, op. cit, p 214
173
Même si la gestion des biens propres est présumée appartenir au mari, la femme a
la possibilité d’obtenir de commun accord avec son mari que chacun gère ses biens
propres. Sinon, en cas d’une mauvaise gestion imputable au mari, la femme peut saisir le
juge pour que la séparation des biens ait lieu ou qu’elle soit responsabilisée pour la
gestion de ses biens propres. Mais au-delà de ces règles relatives aux régimes
matrimoniaux, le code de la famille contient d’autres règles qui entravent l’accès de la
femme aux droits fonciers et immobiliers. Il s’agit des règles relatives à la capacité de la
femme mariée.
L’accès aux droits fonciers, avons-nous affirmé, passe par voie contractuelle. Or,
pour conclure valablement un contrat, la loi exige la réunion de certaines conditions dont
la capacité. A cet égard, l’article 215 al 2 du code de la famille pose le principe de la
limitation de la capacité de la femme mariée. De son côté, l’article 448 du même code
dispose : « La femme doit obtenir l’autorisation de son mari pour tous les actes juridiques
dans lesquels elle s’oblige à une prestation qu’elle doit effectuer en personne. »407
De cette disposition, il ressort que la femme mariée est incapable pour poser des
actes juridiques pour lesquels elle s’oblige personnellement sans l’accord de son mari. Il
407
Il convient de remarquer que cette disposition est la reproduction fidèle de l’article 122 du code civil,
livre 1er qui a été abrogé par le code de la famille. Cet article était libellé comme suit : « La femme doit
obtenir l’autorisation de son mari pour tous les actes juridiques dans lesquels elle s’oblige à une prestation
qu’elle doit effectuer en personne. »
174
De son côté, H. De Page pense que l’incapacité de la femme mariée ne peut pas
trouver son fondement dans la faiblesse du sexe, sinon la femme célibataire serait aussi
incapable. Tel n’est pourtant pas le cas. Pour lui, le fondement de cette incapacité est à
trouver dans l’institution du patriarcat. En effet, selon la conception de cette institution
qu’on rencontre sous une forme ou sous une autre, chez les peuples indo-européens,
même dans la branche anglo-saxonne, toute femme quelle qu’elle soit, tombe, en effet,
sous le manus ou le mundium du pater familias, la femme célibataire comme la femme
qui se marie. Cette dernière, en se mariant, se borne à changer de famille, et à entrer dans
la famille de son mari.412
408
Voir l’exposé des motifs du code de la famille, p14
409
H. De Page, La capacité civile de la femme mariée et les régimes matrimoniaux, Bruxelles,
Etablissements Emile Bruylant, 1947, p 98
410
M. Ernst-Henrion et J. Dalcq, La femme, pierre angulaire de la famille de demain : ses droits actuels et
futurs, Bruxelles, La renaissance du livre, 1975, p 61
411
J. Boutard, Les pouvoirs ménagers de la femme mariée, Paris, Librairie Arthur Rousseau, 1947, p26
412
H. De Page, op. cit, p 99
175
L’article 450 du même code est encore plus explicite lorsqu’il prévoit que la
femme ne peut ester en justice en matière civile, acquérir, aliéner, ou s’obliger sans
l’autorisation de son mari.
Les actes posés par la femme sans autorisation du mari sont sanctionnés par la
nullité relative.413
413
Art 452 du code de la famille
176
Il ressort de cette disposition que la femme, après avoir recueilli l’avis du conseil
de famille, peut saisir le tribunal de paix pour obtenir l’autorisation afin de poser l’acte
juridique. Cette disposition vise trois hypothèses ci-après :
Cependant, l’autorisation du mari n’est pas nécessaire pour la femme dans les cas ci-
après :
- pour ester en justice contre le mari ;
- pour disposer à cause de mort ;
- en cas d’absence du mari ;
- si le mari est condamné à une peine d’au moins six mois de servitude pénale,
et que l’acte doit être posé pendant cette période.
Pour ses actes juridiques relatifs aux charges du ménage, la femme en vertu de la
théorie du mandat domestique tacite n’a pas besoin de l’autorisation maritale. C’est dans
ce sens que dispose l’alinéa1er de l’article 477 du code de la famille : « Le mari dispose
du pouvoir de conclure des contrats relatifs aux charges du ménage ; la femme, en
177
application de la théorie du mandat domestique tacite, peut aussi conclure les mêmes
contrats. » Il convient de remarquer que cette disposition donne désormais à la femme
des pouvoirs propres pour engager le ménage concernant les actes qui concourent aux
charges de celui-ci. Voilà ce qu’il en est de l’étendue ainsi que des limites de
l’autorisation maritale. Que dire de ce régime d’autorisation ?
414
Kahindo Fatuma Yuma, L’incapacité juridique de la femme mariée en droit congolais, in Paroles de
justice, 2005, pp 115- 123
415
Art14 al 1 et 2 de la Constitution du 18 février 2006
178
l’égard des femmes. Cette convention demande aussi aux Etats de prendre toutes les
mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour modifier ou abroger
toute loi, disposition réglementaire, coutume, et pratique qui constitue une discrimination
à l’égard des femmes.416
Sur le plan africain, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
prévoit en son article 18, point 3 que l’Etat a le devoir de veiller à l’élimination de toute
discrimination contre la femme et d’assurer la protection des droits de la femme et de
l’enfant tels que stipulés dans les déclarations et conventions internationales.
Or, la Constitution de la République dispose en son article 215 que les traités et
accords internationaux régulièrement conclus ont, dès leur publication, une autorité
supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque traité ou accord, de son application
par l’autre partie.
L’analyse de la législation de certains pays africains sur cette question atteste une
certaine évolution en la matière. Pour s’en convaincre, nous allons passer en revue la
position de quelques pays africains que nous avons choisi, en raison de la similitude de
leur situation par rapport à la République Démocratique du Congo.
416
Art 2 de la convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard de la femme
179
Le code de la famille béninois dispose en son article 173 que « chaque époux a la
pleine capacité juridique. Mais ses droits et pouvoirs sont limités par l’effet du régime
matrimonial et les dispositions ci-après. »
«Chaque époux a le droit d’exercer une profession, une industrie ou un commerce de son
choix. Il dispose d’un droit de recours pour obliger son conjoint à renoncer à ses activités
professionnelles si celles-ci sont de nature à porter un préjudice sérieux aux intérêts moraux et
matériels du ménage et des enfants.»
Il convient de noter que cette disposition est la reproduction fidèle de l’article 214
de la loi belge du 30 avril 1958. Elle énonce expressément le droit pour chaque époux
d’exercer une profession quelconque sans le consentement de son conjoint. Mais dans le
souci de protéger la famille, elle réserve aux époux un droit de recours judiciaire en cas
de nécessité. C’est ce qui fait dire à M. Dubru que ce principe est une conséquence du
principe de l’égalité des époux dans le mariage.417 Analysant l’évolution des droits de la
femme en droit belge, Marlise Ernst-Henrion et Jacqueline Dalcq notent que :
« Depuis la loi du 30 avril 1958 sur les droits et devoirs respectifs des époux, le mariage
ne modifie plus la capacité civile des époux sous réserve importante des pouvoirs conservés par le
mari en vertu des règles toujours en vigueur des régimes matrimoniaux.
La capacité de la femme mariée est donc la règle et les dispositions légales qui en limitent
l’exercice ne sont que des exceptions qui, par conséquent, sont de stricte interprétation.418 »
417
M. Dubru, L’égalité civile des époux dans le mariage, Bruxelles, Etablissements Emile Bruylant, 1959,
p195
418
M. Ernest-Henrion et J. Dalcq, op. cit, 1975, p 60
180
Chacun des époux peut donner à son conjoint mandat général ou particulier de le
représenter. »
« La femme mariée peut exercer une profession séparée de celle de son mari. Le
mari peut s’opposer à l’exercice d’une telle profession dans l’intérêt du mariage et des
enfants. »
De ce qui précède, il ressort que les droits de ces pays ont consacré la capacité de
la femme mariée en utilisant des formules diverses. Le plus important est que la femme
mariée peut poser les actes juridiques sans au préalable obtenir l’autorisation maritale. Il
convient de remarquer que ces législations consacrent automatiquement l’égalité entre
époux en ce qui concerne leur capacité civile.
419
M. Elosegui, Les droits de la femme kenyane : conflit entre le droit statutaire et le droit coutumier, in
Revue de droit africain, doctrine et jurisprudence, n° 11, juillet 1999, p 322
181
effet, il y avait des dispositions à prendre pour assurer la stabilité du ménage. Mais dès
l’instant où le législateur, dans une nouvelle législation a prévu les différents régimes
matrimoniaux qu’ils appartiennent aux époux de choisir, le régime de l’autorisation perd,
à mon avis tout intérêt.
Cette position se justifie par le fait que les époux ont tout le temps de réfléchir
pour choisir enfin le régime qui assure la stabilité de leur ménage.
La justesse de nos propos avait déjà été perçue par certains auteurs dont Henri De
Page. En effet dans son ouvrage consacré à la capacité civile de la femme, l’auteur
souligne l’interdépendance qui existe entre la capacité civile de la femme mariée et les
régimes matrimoniaux. Selon lui, la capacité de la femme, qui symbolise son
« affranchissement », son autonomie, n’est, précisément pour ce motif aussi, concevable
que dans les régimes matrimoniaux à base d’indépendance entre époux.420Tout en étant
d’accord avec les propos de l’auteur, nous pensons que cette capacité est aussi
concevable même dans le régime de la communauté des biens tel que aménagé par le
code de la famille.
Quant aux règles particulières à chaque régime, il existe également des garde-fous
pour éviter tout dérapage de nature à mettre le ménage en péril. L’autorisation maritale
constitue une contrainte supplémentaire presque inutile. En plus de son caractère
420
H. De Page, op.cit, p93
182
discriminatoire soulevé précédemment, il est un fait indéniable que les actes tendant à
mettre en péril le ménage ne sont pas l’apanage de seules femmes.
Si hier, on a cru utile de protéger la femme parce qu’elle n’était pas suffisamment
instruite, aujourd’hui, surtout dans les milieux urbains, les femmes sont instruites. Elles
occupent des postes importants dans la hiérarchie de la société. Comment comprendre par
exemple qu’une femme ministre qui engage l’Etat dans le cadre de ses fonctions sans une
quelconque autorisation, doit être contrainte de solliciter l’autorisation de son mari
lorsqu’elle doit poser des actes qui l’engagent personnellement sous prétexte qu’elle doit
être protégée.
Dans une étude intitulée’’ le droit de la femme mariée au travail et l’autorité
maritale en cause,’’ Charles Mushizi relève que si le principe de l’autorisation maritale a
fonctionné de manière excellente dans les années 80 et 90 et particulièrement au sein des
familles où les épouses étaient majoritairement ménagères, il connait quelques difficultés
depuis, notamment à cause du fait de la scolarisation de la femme. De plus en plus les
femmes obtiennent les mêmes diplômes que les hommes, acquièrent les mêmes aptitudes
et prétendent aux mêmes compétences professionnelles, au risque de considérer
l’autorisation maritale comme un frein à leur liberté et à leur choix d’exercer leurs
compétences.421
6. Conclusion
Nous pensons que beaucoup des législateurs africains ont déjà perçu toutes ces
difficultés. Voilà pourquoi ils ont vite fait de se débarrasser d’une contrainte
supplémentaire au détriment de la femme. Raison pour laquelle, nous plaidons pour que
les dispositions relatives à l’autorisation maritale puissent disparaître dans notre
législation. Cela permettra à la femme mariée d’accéder aisément aux droits fonciers et
421
C. Mushizi, Le droit de la femme mariée au travail et l’autorité maritale en cause : défis familiaux, in
http://charlesmushizi.blogspot.com, 2012, p7
183
Il ressort de tout ce qui précède que la situation de la femme mariée sur les terres
rurales et urbaines est favorable par rapport à celle de la femme sur les terres des
communautés locales. En effet, avons-nous vu, la femme mariée se trouvant sur les terres
des communautés locales accède à la terre par l’intermédiaire de son mari. La durée de
son droit dépend de celle du mariage. Ce droit est donc temporaire et n’est pas
susceptible d’être transmis entre vif ou à cause de mort.
En revanche, sur les terres rurales et urbaines, la femme mariée dispose des droits
assez étendus, et ce, selon le régime matrimonial choisi. En effet, malgré l’existence des
règles communes à tous les régimes matrimoniaux, la femme mariée a la possibilité de
jouir de ses droits fonciers. Ces droits sont perpétuels et transmissibles entre vif ou pour
cause de mort. Cela se justifie par le fait qu’elle ne tient pas ces droits par l’intermédiaire
de son mari mais par elle-même. Ces droits seront encore consolidés lorsque
l’autorisation maritale disparaîtra. Est-ce le cas pour la femme veuve ? C’est l’objet de la
section suivante.
L’accès de la femme veuve à la terre est lié à ses droits successoraux. La situation
successorale de la veuve peut être analysée en deux temps. Ainsi, nous allons dans un
premier temps voir cette situation avant l’entrée en vigueur du code de la famille et dans
un second temps sous l’empire de ce code.
Le code civil, livre premier, n’avait pas prévu expressément des dispositions sur
les droits successoraux de la veuve. Comme nous le savons d’ailleurs, ce code ne
s’appliquait pas aux Congolais non immatriculés. Ce vide a été comblé par deux textes. Il
s’agit de la circulaire du 10 avril 1923 relative à la liquidation des successions indigènes
et du décret 10 février 1953 sur la propriété immobilière individuelle. Il convient dès à
184
présent de noter que ces textes qui étaient applicables dans les milieux urbains, ont
donné naissance à un droit coutumier issu de la jurisprudence des tribunaux coutumiers
urbains. Ainsi, allons-nous passer en revue les textes susvisés ainsi que la jurisprudence.
Cette circulaire avait pour but de s’occuper de toute succession indigène lorsqu’il
y avait risque qu’elle soit abandonnée ou détournée. Il s’agit des cas des personnes qui
sont mortes loin de leur milieu d’origine. C’est le cas des militaires et des ouvriers
indigènes engagés au service d’européens ou des entreprises européennes. Dans ce cas,
l’administration devrait intervenir pour permettre à la chefferie d’origine du de cujus de
recueillir les biens et leur donner la destination prévue par la coutume. La circulaire
exclue de son champ d’application la succession des indigènes qui sont morts dans leur
village.
Pour ce faire, ce texte avait prévu des mesures conservatoires et de liquidation ci-
après et selon les hypothèses suivantes :
Lorsque les ayants droit se trouvent sur place ou dans le territoire où est survenu
le décès, les biens seront laissés ou remis entre leurs mains par l’administrateur territorial
ou par le chef de l’unité militaire selon que le défunt était civil ou militaire.
Les biens laissés par le de cujus feront l’objet de vente publique, s’ils ne sont pas
réclamés par les ayants droit dans la huitaine. Les biens susceptibles d’un dépérissement
rapide ou d’une conservation coûteuse pourront aussi être vendus immédiatement.
Dans ce cas, l’actif réalisé sera remis aux ayants droit ou à leur défaut à la
chefferie d’origine du défunt, par le sous-comptable qui l’a pris en recette.
Comme on peut s’en rendre compte, les dispositions prises jusque là par le
gouverneur général ne s’écartent pas de la coutume. En effet, dans cette hypothèse, ce
422
L’intégralité de ce texte a été publiée dans le Recueil mensuel des circulaires, instructions et ordres de
service, n° 4, avril 1923, pp 34-37
185
sont les ayants droit coutumier qui doivent recueillir l’héritage. Ainsi, conformément aux
règles coutumières analysées dans la première partie de cette étude, la veuve n’est pas
concernée parce qu’elle n’est pas comptée parmi les héritiers de son défunt mari. Il en est
de même des enfants si le défunt est matrilinéaire. Les filles sont particulièrement
écartées que le de cujus soit patrilinéaire ou matrilinéaire.
Les biens feront l’objet de la vente comme dans la première hypothèse. L’actif de
la succession composé notamment du produit de la vente, argent trouvé à la mortuaire ou
sur le défunt, créances et sommes déposées sera recueilli. Il sera fait mention dans le
procès- verbal d’inventaire ou à la suite de celui-ci de ces différents postes de l’actif ainsi
que des dettes de la succession. Si l’argent trouvé n’existe pas ou s’il n’y a pas des biens
vendus, renseignement en sera fait expressément dans le procès-verbal.
Dans cette deuxième hypothèse, il y a lieu de remarquer également que les ayants
droit coutumier seront recherchés pour qu’ils bénéficient de l’héritage. La veuve n’est pas
toujours comptée parmi les héritiers en application de la coutume. Mais la circulaire
prévoit en son point quatrième les règles à suivre pour apprécier à quelles personnes les
successions doivent être laissées ou remises.
3. Bénéficiaires de la succession
186
La circulaire pose en terme de principe que l’actif d’une succession ne peut être
remis qu’aux personnes que la coutume du lieu d’origine désigne comme ayants droit. Ce
qui veut dire qu’en principe, la veuve ne peut pas bénéficier de la succession parce que
conformément à la coutume, elle n’hérite pas de son défunt mari.
C’est le cas lorsque des indigènes qui ne participent plus à la vie de la chefferie
ont fondé un foyer, on peut admettre qu’ils se créent des droits et des devoirs étrangers
aux prévisions de la coutume.
rapport aux ayants droit coutumier. Parmi les enfants, aucune distinction n’est faite entre
les filles et les garçons. En effet, comme nous l’avons souligné dans la première partie de
ce travail, en droit coutumier, le conjoint survivant n’hérite pas de son conjoint
prédécédé. Cela est valable tant pour l’époux que pour l’épouse. Dans le régime
matrilinéaire, les enfants n’héritent pas de leur père et en régime patrilinéaire, seuls les
garçons peuvent hériter de leur père. C’est de manière exceptionnelle que la fille peut
hériter de son père. La circulaire vient de remettre en cause toutes ces règles coutumières.
Il y a cependant lieu de noter que cette circulaire ne fait pas allusion aux droits
fonciers et immobiliers. Cela peut se justifier par le fait qu’à cette époque les Congolais
vivant dans les milieux urbains n’accédaient pas encore à la propriété foncière ou
immobilière. Quelles sont alors les règles prévues par le décret de 1953 en matière de
succession.
Nous avions déjà fait allusion à ce décret dans le chapitre précèdent. Nous y
revenons pour l’analyser dans ses aspects liés à la succession immobilière. Ce texte qui
avait accordé le droit de propriété immobilière à tous les Congolais, avait aussi posé un
autre grand principe en son article 6, en disposant ce qui suit :
423
B. Kilolo, Le droit coutumier des successions de la ville de Kinshasa, in Revue zaïroise de droit, n° 1,
1972, p 27
189
Pour l’application de ces articles sont assimilés aux biens immobiliers, les meubles
meublant, l’habitation et le fonds de commerce exploité dans l’immeuble. »
A propos de cette disposition, le Rapport du Conseil colonial nous dit que les
restrictions prévues par les articles suivants sont généralement inspirées du désir de voir
la propriété immobilière stabilisée, le bien de famille protégé et passant entre des mains
aptes à sa gestion. Mais elles se fondent aussi sur la volonté présumée du de cujus car on
observe que les évolués accédant à la propriété désirent qu’elle passe à leurs enfants
plutôt qu’à des collatéraux. Mais dans plusieurs cas, les textes donnent la priorité à la
coutume ou permettent au de cujus de retourner à la coutume en exprimant sa volonté par
testament.
Cependant, le législateur insiste sur le fait que l’amendement assimile les meubles
et le fonds de commerce aux biens immobiliers uniquement en ce qui concerne
l’application des articles du décret relatifs aux successions et testaments.424
Les restrictions dont l’article 6 fait allusion, sont prévues par les articles 7 et
suivants de ce texte. Il convient avant toute chose de noter que ce texte accorde une
grande place au testament. Ainsi, les dispositions qui suivent ne sont applicables que si le
testament n’a pas été prévu par le de cujus.
424
B.O., 1953, p 430
190
«L’attribution des biens immobiliers aux descendants a posé un problème grave ; fallait-il
pousser les intéressés dans la voie du droit européen en prévoyant le partage par égale portion et
instituer une réserve ? S’abstenir permettrait au père de léguer par testament tous les biens à un
seul des enfants, privant les autres de toute part héréditaire. Puis à défaut du testament, les biens
seraient répartis entre les enfants d’après la coutume. Or, le plus souvent celle-ci attribue à l’aîné
soit tous les biens, soit la plus grande partie de ceux-ci, avec de faibles portions pour les cadets en
excluant les filles, régime qui tout à la fois semble contraire aux idées d’égalité entre les enfants
et au courant qui pousse les évolués à adopter les institutions européennes.
On a estimé qu’il était préférable de laisser libre jeu à l’évolution du droit coutumier. En
effet, soit par testament, soit par leur pratique, les indigènes verront, s’ils préfèrent le système
européen, faire volontairement évoluer la coutume dans ce sens. D’autre part, l’inégalité entre
enfants résultant de la coutume paraît plus forte qu’elle ne l’est en réalité, car l’aîné n’est
avantageux qu’en considération des charges qui lui sont imposées vis-à-vis de ses frères et sœurs.
Attribuer à ceux-ci une part égale des biens aurait parfois été les priver concurremment d’une
aide et d’une protection utiles. On a donc préféré n’instituer, ni partage égal, ni réserve, mais on a
précisé que l’héritier favorisé serait tenu des charges coutumières même si, par exemple, le père
ne l’avait pas expressément stipulé en disposant en sa faveur. La division des biens par égales
portions a cependant été prévue comme règle supplétive, pour le cas de silence du testament et de
la coutume.425»
425
B.O., 1953, p 409
426
Art 8 du décret du 10 février 1953
191
Il est à remarquer que cette disposition fait des enfants du de cujus des nus-
propriétaires et le conjoint survivant l’usufruitier.
Lorsque le partage ne s’opère pas par égales portions, les enfants favorisés seront
tenus des charges prévues par la coutume en faveur des autres enfants et du conjoint
survivant.428 Cela est conforme à la coutume qui veut que la succession soit recueillie par
un seul héritier, quitte à lui de prendre en charge les autres membres du clan ou de la
famille.
Le conjoint survivant non divorcé, ni séparé de corps à ses torts, a sur les biens
immobiliers un droit d’usufruit de la moitié et même de la totalité au cas où il n’y aurait
pas des descendants.429
427
B.O., 1953, p 430
428
Art 9 du décret du 10 février 1953
429
Art 10 du même texte
430
Art 11 du même texte
192
«Le survivant pour autant qu’il ait vécu dans la maison avec le de cujus, c’est-à-dire qu’il
ne soit pas séparé de fait, pourra se faire attribuer l’usufruit intégral des biens énumérés à l’article
10, maintenant à son profit l’intégrité de l’exploitation. Il recevra ainsi généralement plus que la
moitié à laquelle il a droit. Pour cet excédent, il devra indemnité aux enfants. Il est à prévoir
d’ailleurs en fait que cette indemnité se compensera souvent avec les soins et l’entretien qu’il leur
accordera.»431
Cette disposition limite encore la liberté du donateur lorsqu’il s’agit des biens
immobiliers. Les donataires ne peuvent être que soit le conjoint ou les descendants du
donateur. Il s’agit là d’une possibilité que la loi donne à la femme d’accéder aux droits
immobiliers du vivant de son conjoint. Par cette voie, la femme pourra avoir en propriété
le bien immobilier concerné alors que par voie successorale, elle n’a droit qu’à l’usufruit.
431
B.O., 1953, p 431
193
Bien que le décret sous examen parle du conjoint survivant et non de la veuve,
nous sommes d’avis que le législateur en instituant ce droit, pensait d’abord à la veuve.
Cela se remarque à travers les travaux préparatoires. En effet, il est rapporté que lors des
débats on fait souvent allusion à la femme lorsqu’il est question de parler du conjoint
survivant. Mais en principe, sur le plan de l’orthodoxie juridique, on peut affirmer que ce
texte consacre l’égalité entre conjoint en matière successorale. En effet, il ne fait l’ombre
d’aucun doute que le conjoint survivant peut être l’homme ou la femme. Par conséquent,
le bénéfice de l’usufruit concerne également l’un comme l’autre. Il faut cependant
reconnaître que la pratique peut bien être différente.
Nous pouvons en définitive dire que le décret de 1953 a posé les jalons pour
l’accès de la femme veuve aux droits fonciers et immobiliers. Mais une autre question est
de savoir comment les tribunaux coutumiers urbains l’ont appliqué.
Cette jurisprudence contraste avec celle des tribunaux coutumiers installés dans
les milieux ruraux, régis par le droit traditionnel, où nous avons constaté que la femme
n’avait aucun droit sur les biens immobiliers laissés par son défunt mari. En outre les
filles n’avaient pas droit à l’héritage au motif qu’elles étaient appelées à quitter la famille
pour rejoindre leurs maris.
194
C’est dans ce sens qu’il a été jugé par le tribunal de ville de Lubumbashi qu’en
application de la coutume évoluée de cette ville, toute succession est déférée à son plus
proche si le de cujus n’a laissé ni descendant, ni testament.433
Dans le même sens, il a été jugé qu’à Léopoldville les questions de successions et
donations entre vifs ou par testament en ce qui concerne les droits d’occupation des
parcelles sont régies par la coutume évoluée de la ville lorsqu’il y a des enfants ; sinon
elles sont réglées d’après la coutume du de cujus.434
432
On peut lire utilement les articles publiés notamment par Ntambwe Makadi sur l’Analyse critique de la
jurisprudence des tribunaux coutumiers relative au droit des successions en République du Zaïre, in Revue
juridique du Zaïre, n°3, 1974 ; Kilolo, Le droit coutumier des successions de la ville de Kinshasa, in Revue
zaïroise de droit, n°1, 1972, Emile Lamy et Lokwa Ilwaloma, La dévolution successorale en République
Démocratique du Congo, in Revue juridique et politique indépendance et coopération, n°4, 1972
433
Tribunal de ville Lub. 21 janvier 1963, RJC. 1965, p125
434
Terr. Léo, 3 juin 1954
195
Il apparaît que dans cette première période, la présence du conjoint survivant n’est
pas retenue comme critère pour appliquer la coutume évoluée de la dernière résidence ou
domicile. Seule la présence des descendants a été retenue comme critère.
Pour la deuxième période qui commence après 1963435, on constate qu’à défaut
des dispositions testamentaires contraires, la succession est régie par la coutume
personnelle du de cujus. Mais si celui-ci laisse son conjoint ou ses descendants, sa
succession sera réglée d’après la coutume évoluée de son dernier domicile ou de sa
dernière résidence.
C’est dans ce sens que le tribunal de ville de Kinshasa avait jugé que la parcelle
laissée par une personne n’ayant ni conjoint légitime ni enfants, revient aux héritiers
traditionnels du défunt.436 Même si cette décision se fonde sur la coutume évoluée, il est
aisé de constater qu’elle est conforme aux dispositions pertinentes du décret du 10 février
1953, particulièrement les articles 6 et suivants. A la différence du principe retenu durant
la première période, ici la présence du conjoint survivant est retenue comme critère pour
appliquer la coutume évoluée.
Dans tous les cas, le principe retenu est celui de la loi personnelle du de cujus,
sauf s’il a laissé un testament, un conjoint, un ou plusieurs enfants. Dans ces cas, on
applique la coutume territoriale de son dernier domicile ou de la situation des biens s’il
s’agit de biens immobiliers.437
Ce droit est reconnu au conjoint survivant à condition qu’il ne soit pas divorcé ou
séparé de corps à ses torts. Le conjoint doit avoir été l’époux légitime du défunt. Ce qui
435
C’est à partir de cette année qu’on a constaté le revirement de la jurisprudence sur cette question. Il
convient de noter que le Congo indépendant n’a légiféré sur la succession qu’en 1987. Entretemps, cette
matière était toujours régie par la coutume ainsi que la circulaire de 1953.
436
Ville Kinshasa, 39.425/I du 10 février 1971
437
Ntambwe Makadi, Analyse critique de la jurisprudence des tribunaux coutumiers relative au droit des
successions en République du Zaïre, in Revue Juridique du Zaïre, n°3, 1974, p196
196
veut dire en d’autres termes que le concubinage ne donne pas droit à la succession du
concubin prédécédé. Il doit être digne de succéder. Ainsi, en cas de méconduite notoire, il
peut être déchu de son droit d’usufruit.
438
Terr. Léo, 8 septembre 1955 ; 29 septembre 1955 ; n° 8177 du 12 juin 1956 ; n° 10761 du 25 octobre
1957, in B.J.I, 1959, p 86 et s
439
Terr. Léo, 29 septembre 1955
197
On peut donc affirmer que sous le décret de 1953, la situation de la femme ainsi
que celle de la fille se trouvant dans les milieux urbains était meilleure par rapport à celle
de leurs homologues se trouvant sur les terres de communauté locale. Que dire alors de la
situation de la veuve sous la législation du Congo indépendant?
Sous le Congo indépendant, les droits successoraux de la veuve sont régis par le
code de la famille. Selon ce texte, la succession peut être testamentaire ou ab intestat.
Ainsi, l’étendue des droits fonciers de la veuve peut aussi dépendre du genre de
succession envisagé. Dans tous les cas, la loi a prévu une procédure spéciale permettant
aux héritiers de jouir de leurs droits successoraux. Nous allons donc dans un premier
temps analyser les règles de la succession testamentaire et dans un second temps celles de
la succession ab intestat, avant de passer en revue les règles de procédure y afférentes.
A. Succession testamentaire
440
Terr. Léo, n° 8436 du 28 mai 1956 in BJI, 1959, pp 76-77
441
Sous le jugement n° 9.151 du 19 novembre 1956, il a été jugé que la veuve ne peut pas bénéficier de
l’usufruit du conjoint survivant pour indignité. Dans le cas d’espèce, il s’agit de l’inconduite notoire du
vivant du mari, suivie d’abandon de famille (Terr. Léo, n° 9.151 du 19 novembre 1956, in BJI, 1959) ; le
tribunal de ville décide que la parcelle appartenant à une femme revient à ses enfants, qui écartent de
l’héritage les héritiers traditionnels. Dans le cas d’espèce, le tribunal n’a pas attribué l’usufruit de la
parcelle au conjoint survivant qui en était le donateur(Ville Léo, n° 16. 374/II du 18 janvier 1961) ; le
tribunal de centre de Léopoldville précise, à propos des enfants, que seuls les enfants légitimes sont appelés
à la succession de leur père, à l’exclusion de ceux de son épouse que le de cujus aurait recueillis dans son
foyer, même s’ils ont été inscrits dans son livret d’identité comme ses enfants(Ce. Léo, n° 18. 958/II du 10
mai 1963) ; il a été jugé que si le défunt n’a pas eu d’enfant avec la veuve, celle-ci a droit à l’usufruit de la
parcelle mais la nue-propriété est accordé aux héritiers traditionnels, conformément à la coutume(Terr. Léo,
n° 19502/II du 23août 1963) ; sous le jugement n° 30595/I du 24 mai 1968, le tribunal de ville de Kinshasa
décide que dans certaines circonstances, la veuve peut perdre l’usufruit que la coutume évoluée de
Kinshasa lui confère en règle générale sur la parcelle de son mari défunt.
198
S’agissant de la forme que peut prendre le testament, la loi prévoit qu’elle peut
être authentique, olographe ou orale. Il convient particulièrement de remarquer que le
testament oral n’est valable que lorsqu’il est fait en présence de deux témoins majeurs.443
Ce testament qui a été aménagé en faveur des personnes illettrées,444 est également d’une
portée limitée quant à son objet.445
En dehors des dispositions susmentionnées, toute autre disposition prise est nulle.
Mais les legs faits dans ces conditions ayant une valeur supérieure à 10.000 zaïres sont
réduits à ce montant.446
Comme on peut se rendre compte, le testament oral ne concerne que les actes
patrimoniaux d’une faible importance. Pour les actes ayant une importance majeure, il
faut opter soit pour le testament authentique soit pour le testament olographe.
442
Art 766 al 1 de la loi n° 87-10 du 1er août 1987 portant code de la famille
443
Art 771 al 1 de la même loi
444
Exposé des motifs du code de la famille, p 25
445
Dans un testament oral, le testateur ne se limite qu’aux actes ci-après :
- formuler des prescriptions relatives aux funérailles ;
- faire des legs particuliers dont le montant peut dépasser 10.000zaïres pour chaque legs ;
- prendre des dispositions relatives à la tutelle de ses enfants mineurs ;
- fixer entre les héritiers de la première catégorie et de la deuxième catégorie une règle de partage
différente de celle du partage égal prescrit par la loi en cas de succession ab intestat.
446
Art 771 al 3 du même code
199
Si, en revanche, elle comporte plusieurs maisons, l’une d’elles est exclusivement
attribuée aux héritiers de la première catégorie.449
Dans tous les cas, l’aliénation de cette maison ne peut être opérée qu’avec
l’accord unanime des enfants tous devenus majeurs et à condition que l’usufruit prévu au
bénéfice du conjoint survivant ait cessé d’exister.450
Si les biens dont le de cujus a disposé dépassent en valeur les trois quarts de la
succession qui revient à ses enfants, les parts testamentaires seront réduites à la quotité
disponible. Dans ce cas, la réduction se fera entre les légataires proportionnellement aux
legs dont ils ont été déclarés bénéficiaires.451
Lorsque le testateur n’a pas laissé d’enfant, la quotité disponible ne peut excéder
la moitié des biens s’il y a au moins deux groupes de la deuxième catégorie représentés à
la succession et les deux tiers s’il n’y en a qu’un seul. La réduction se fera dans ce cas,
entre les légataires proportionnellement aux legs dont ils ont été déclarés bénéficiaires.452
Voilà les règles impératives auxquelles tout testament doit respecter. A ce niveau,
il y a déjà lieu d’observer que les héritiers légaux sont protégés contre les dispositions
447
Art 779 du code de la famille. Il ya lieu de préciser que le code de la famille a prévu plusieurs catégories
d’héritiers. On peut notamment citer les héritiers de la première catégorie, ceux de la deuxième catégories
et ceux de la troisième catégorie. Nous y reviendrons en détail lorsque nous allons analyser la succession ab
intestat.
448
Art 780 al 1 du code de la famille
449
Art 780 al 2 du code de la famille
450
Art 780 al 3 du code de la famille
451
Art 781 du code de la famille
452
Art 782 du code de la famille
200
testamentaires attentatoires à leurs intérêts prises par le de cujus. Ce qui constitue une
bonne garantie pour leurs droits successoraux.
Quant à la veuve, son droit d’usufruit du conjoint survivant est mis en relief. En
effet, la loi prévoit l’existence de ce droit même dans le cas où la succession ne comporte
qu’une seule maison. Cette disposition est impérative. Nous y reviendrons plus loin. Si le
de cujus n’a pas prévu de testament, la succession est ab intestat.
B. Succession ab intestat
1. Héritiers légaux
Si les enfants ou l’un des enfants du de cujus sont morts avant lui et qu’ils ont
laissé des descendants, ils sont représentés par ces derniers dans la succession.454
Lorsque le père et la mère du de cujus ou l’un d’eux sont décédés avant lui mais
que leurs père et mère ou l’un d’eux sont encore en vie, ceux-ci viennent à la succession
en leurs lieu et place. Si les frères et sœurs du de cujus ou l’un d’eux sont décédés avant
lui mais qu’ils ont laissé des descendants, ils sont représentés par ceux-ci dans la
453
Art 758 al 1 du code la famille
454
Art 758 al 2 du code de la famille
455
Art 758 al 3 du code de la famille
201
succession.456 C’est dire que dans certaines hypothèses, les grands-parents du de cujus
ainsi que ses neveux et nièces peuvent venir à l’héritage.
La troisième catégorie d’héritiers est composée des oncles et des tantes tant
paternels que maternels du de cujus. Si l’un d’eux meurt avant et laisse des descendants,
ceux-ci seront représentés dans la succession.457Dans cette hypothèse, les cousins et
cousines peuvent aussi recueillir l’héritage.
La quatrième catégorie est celle constituée de tout autre parent et allié, pour autant
que son lien de parenté ou d’alliance soit constaté régulièrement par le tribunal de paix. Il
est bien compris que cette catégorie n’est prise en compte que lorsque les héritiers de
trois catégories précédentes font défaut.458
Cette innovation est expliquée par le législateur dans l’exposé des motifs du code
de la famille de la manière suivante :
«En matière de succession, on a cru nécessaire de s’écarter quelque peu des coutumes,
pour faire droit aux impératifs du développement et de l’évolution. Trois catégories d’héritiers ab
intestat ont été prévues :
a) les enfants du de cujus nés dans le mariage ou hors mariage mais affiliés de son
vivant ainsi que les enfants qu’il a adoptés ;
b) le conjoint survivant, les père et mère, les frères et sœurs germains ou consanguins ou
utérins ;
c) les oncles et les tantes ainsi que leurs parents.
456
Art 758 al 4 du code de la famille
457
Art 758 al 5 du code de la famille
458
Art 762 du code de la famille
202
Ces trois catégories ont été établies après des enquêtes approfondies qui se sont étendues
dans tous les grands centres du pays. Manifestement, partout est né un ardent désir de voir la loi
reconnaître aux enfants et au conjoint (plus précisément à la conjointe), une vocation
successorale.
En ce qui concerne les enfants nés hors mariage, seuls ceux affiliés du vivant du de cujus
viendront à la succession. Ceci pour éviter une certaine insécurité pour le conjoint survivant qui
serait surpris lors de l’ouverture de la succession par l’arrivée subite d’un grand nombre d’enfants
héritiers dont il n’a jamais soupçonné l’existence.»
Pour prendre part au partage de l’héritage, il faut avoir la qualité d’héritier. Les
règles étant posées, voyons maintenant comment la répartition de l’héritage s’opère entre
différents héritiers légaux.
Les règles relatives au partage de la succession sont différentes selon qu’il s’agit
d’un grand héritage ou de petit héritage. Ainsi, nous allons d’abord voir les règles sur le
grand héritage ainsi que ses applications jurisprudentielles avant d’analyser les règles sur
le petit héritage.
459
Il convient de noter que la monnaie Zaïre n’a plus cours légal en République Démocratique du Congo.
Actuellement le montant minimum prévu pour déterminer le grand héritage ne représente plus rien, à cause
de l’inflation que le pays a connu vers les années 1990. En outre, avec les différentes réformes monétaires
qui ont eu lieu entretemps, l’équivalence de cette somme par rapport à l’Euro est difficile à réaliser.
460
Art 759 du code de la famille
203
famille consacre l’inégalité entre les héritiers de la même catégorie. La fille n’hérite que
d’une quote-part fixe de la succession et non de sa totalité à l’instar du garçon. En outre,
elle n’a droit qu’à la moitié de la part qui revient à son frère.461
461
Fatiha Daoudi, Droits fonciers des femmes au Maroc : entre complexité du système foncier et
discrimination, Rabat, les études et essais du centre Jacques Berque, n°4, octobre 2011, p12
462
Art 760 al 1 du code de la famille
463
Art 760 al 2 et 3 du code de la famille
464
Art 761 du code de la famille
465
Art 763 du code de la famille
204
Le législateur n’accepte donc pas que les héritiers de la première catégorie soient
désavantagés par rapport à ceux d’autres catégories.
466
Art 764 du code de la famille
467
Art 785 du code de la famille
205
Le législateur explique la raison d’être de cet usufruit dans l’exposé des motifs du
code de la famille en ces termes :
De cet exposé des motifs, on peut retenir qu’en réalité, l’usufruit du conjoint
survivant a été institué dans le souci de sécuriser la veuve et les enfants. Mais rien
n’empêche que le veuf puisse également en profiter. Voilà les règles prévues en ce qui
concerne le partage de grand héritage. Il ne suffit pas que les règles soient prévues par le
texte, faudra-t-il encore qu’elles soient d’application. Quel est alors l’état de la
jurisprudence en cette matière ?
b) Jurisprudence
D’une façon générale, les règles relatives au partage de l’héritage sont bien
appliquées par les tribunaux. Nous allons ci-dessous faire un relevé de quelques
décisions judiciaires prises en la matière que nous avons pu recueillir. Mais avant tout, il
convient de noter que nous avons trouvé peu des jugements rendus dont les biens fonciers
et immobiliers font l’objet de la succession. En outre, étant donné que les jugements ne
sont plus publiés depuis plusieurs années, nous avons été amenés à faire le tour des
tribunaux pour avoir des données jurisprudentielles. Raison pour laquelle nous
206
reproduisons les parties essentielles des jugements qui sont en rapport avec l’objet de
notre étude. Il convient de noter que les décisions judiciaires ci-dessous concernent la
période allant de 1998 à 2011.
- Il a été jugé qu’en cas de concours d’héritiers des première et deuxième
catégories, les héritiers de la première catégorie choisissent d’abord leur part. le tribunal
constate sur base du procès-verbal de la réunion du conseil de famille du de cujus que les
héritiers de la première catégorie ont eu leur quotité, soit les trois quarts des biens et ont
été privilégiés, le tribunal prendra dès lors acte de cette répartition opérée lors du conseil
de famille en date du 03 mars 2000(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe,
R.C 73.141 du 11août 2002, inédit).
- Il a été jugé que la veuve du de cujus est usufruitière de l’immeuble qu’elle
habitait avec son mari sis au n° 163 de la rue Itaga dans la Commune de Lingwala à
Kinshasa (Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe, R.C 70.670 du 24 novembre
1998, inédit).
-Il a été jugé qu’en vertu des dispositions de la loi n° 73-021 du 20 juillet 1973
portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés ainsi
que l’article 807 du code de la famille, le tribunal ordonnera au conservateur des titres
immobiliers de Lukunga d’opérer la mutation par décès de l’immeuble sis avenue Mbuji-
Mayi n°5, quartier Télécom Binza/IPN, Commune de Ngaliema en faveur de trois enfants
du de cujus et de sa veuve usufruitière(Tribunal de grande instance de Kinshasa / Gombe,
R.C 77.387 du 19 mars 2001, inédit).
- Il a été jugé que l’article 780 du code de la famille dispose en son alinéa 1er que
lorsque la succession ne comporte qu’une seule maison, celle-ci est exclusivement
attribuée aux héritiers de la première catégorie. Etant donné que la défunte a laissé deux
enfants et une parcelle, il y a lieu de faire droit à la présente requête en ordonnant
l’investiture en leurs noms de la parcelle visée et en enjoignant au conservateur des titres
immobiliers de procéder à la mutation de cette parcelle aux noms des requérants qui sont
les deux cohéritiers bénéficiaires(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe, R.C
75.256 du 27 juillet 2001, inédit).
- Il a été jugé qu’il ressort des pièces du dossier ainsi que des déclarations de l’ex-
époux du de cujus que la défunte n’a laissé aucun enfant, que les père et mère de celle-ci
sont décédés avant elle et qu’aucun frère ni sœur ne lui a survécu à l’exception du
207
requérant. Que ce dernier est le frère consanguin du de cujus car ils sont issus du même
père. Que de tout ce qui précède, il échet de reconnaître au requérant la qualité d’héritier
et de l’investir dans la propriété de l’immeuble en cause conformément aux articles 807
du code la famille et 233 de la loi foncière (Tribunal de grande instance de Kinshasa/
Gombe, R.C 75.256 du 27 juillet 2001, inédit).
- Il a été jugé qu’en cas de concours d’héritiers des première et deuxième
catégories, les héritiers de la première catégorie choisissent d’abord leur part. le tribunal
constate sur base du procès-verbal de la réunion du conseil de famille du de cujus que les
héritiers de la première catégorie ont eu leur quotité, soit les trois quarts des biens et ont
été privilégiés, le tribunal prendra dès lors acte de cette répartition opérée lors du conseil
de famille en date du 03 mars 2000(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe,
R.C 73.141 du 11août 2002, inédit).
- Il a été jugé que la veuve du de cujus est usufruitière de l’immeuble qu’elle
habitait avec son mari sis au n° 163 de la rue Itaga dans la Commune de Lingwala à
Kinshasa(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe, R.C 70.670 du 24 novembre
1998, inédit) ; il a été jugé qu’en vertu des dispositions de la loi n° 73-021 du 20 juillet
1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés
ainsi que l’article 807 du code de la famille, le tribunal ordonnera au conservateur des
titres immobiliers de Lukunga d’opérer la mutation par décès de l’immeuble sis avenue
Mbuji-Mayi n°5, quartier Télécom Binza/IPN, Commune de Ngaliema en faveur de trois
enfants du de cujus et de sa veuve usufruitière(Tribunal de grande instance de Kinshasa /
Gombe, R.C 77.387 du 19 mars 2001, inédit).
- Il a été jugé que l’article 780 du code de la famille dispose en son alinéa 1er que
lorsque la succession ne comporte qu’une seule maison, celle-ci est exclusivement
attribuée aux héritiers de la première catégorie. Etant donné que la défunte a laissé deux
enfants et une parcelle, il y a lieu de faire droit à la présente requête en ordonnant
l’investiture en leurs noms de la parcelle visée et en enjoignant au conservateur des titres
immobiliers de procéder à la mutation de cette parcelle aux noms des requérants qui sont
les deux cohéritiers bénéficiaires(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe, R.C
75.256 du 27 juillet 2001, inédit).
208
468
Il a été jugé qu’en cas de concours d’héritiers des première et deuxième catégories, les héritiers de la
première catégorie choisissent d’abord leur part. le tribunal constate sur base du procès-verbal de la réunion
du conseil de famille du de cujus que les héritiers de la première catégorie ont eu leur quotité, soit les trois
quarts des biens et ont été privilégiés, le tribunal prendra dès lors acte de cette répartition opérée lors du
conseil de famille en date du 03 mars 2000(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe, R.C 73.141
du 11août 2002, inédit) ; il a été jugé que la veuve du de cujus est usufruitière de l’immeuble qu’elle
habitait avec son mari sis au n° 163 de la rue Itaga dans la Commune de Lingwala à Kinshasa(Tribunal de
grande instance de Kinshasa/ Gombe, R.C 70.670 du 24 novembre 1998, inédit) ; il a été jugé qu’en vertu
des dispositions de la loi n° 73-021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et
immobilier et régime des sûretés ainsi que l’article 807 du code de la famille, le tribunal ordonnera au
conservateur des titres immobiliers de Lukunga d’opérer la mutation par décès de l’immeuble sis avenue
Mbuji-Mayi n°5, quartier Télécom Binza/IPN, Commune de Ngaliema en faveur de trois enfants du de
cujus et de sa veuve usufruitière(Tribunal de grande instance de Kinshasa / Gombe, R.C 77.387 du 19 mars
2001, inédit) ; il a été jugé que l’article 780 du code de la famille dispose en son alinéa 1er que lorsque la
succession ne comporte qu’une seule maison, celle-ci est exclusivement attribuée aux héritiers de la
première catégorie. Etant donné que la défunte a laissé deux enfants et une parcelle, il y a lieu de faire droit
à la présente requête en ordonnant l’investiture en leurs noms de la parcelle visée et en enjoignant au
conservateur des titres immobiliers de procéder à la mutation de cette parcelle aux noms des requérants qui
sont les deux cohéritiers bénéficiaires(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe, R.C 75.256 du 27
juillet 2001, inédit) ; il a été jugé qu’il ressort des pièces du dossier ainsi que des déclarations de l’ex-époux
du de cujus que la défunte n’a laissé aucun enfant, que les père et mère de celle-ci sont décédés avant elle et
qu’aucun frère ni sœur ne lui a survécu à l’exception du requérant. Que ce dernier est le frère consanguin
du de cujus car ils sont issus du même père. Que de tout ce qui précède, il échet de reconnaître au requérant
la qualité d’héritier et de l’investir dans la propriété de l’immeuble en cause conformément aux articles 807
du code la famille et 233 de la loi foncière(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe, R.C 75.256
du 27 juillet 2001, inédit) ; il a été jugé que de l’instruction de la cause à l’audience publique du 8 mai
2001, il appert clairement qu’à la suite du décès du de cujus intervenu en France et conformément à son
testament datant du 13 mars 1989, les ¾ de la succession reviennent aux enfants et le ¼ à son épouse. Qu’à
ce titre, les demanderesses veulent que le tribunal puisse opérer mutation des différents biens fonciers et
immobiliers de ladite succession. Il y a donc lieu d’ y faire droit et de les investir(Tribunal de grande
instance de Kinshasa/ Gombe, R.C 75.256 du 27 juillet 2001, inédit) ; il a été jugé que l’article 780 du code
de la famille dispose que lorsque la succession comporte une maison, celle-ci est exclusivement attribuée
aux héritiers de la première catégorie. Dans le cas d’espèce, il revient des pièces du dossier notamment
l’acte de succession n° 31.259/2003 et le protocole d’accord familial que le requérant est le seul héritier de
la première catégorie dans la succession du de cujus qui ne comporte qu’une seule maison. De tout ce qui
précède, le tribunal recevra la présente requête et la dira fondée, en conséquence ordonnera la mutation de
l’immeuble précité au nom du requérant(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Matete, R.C 10.818 du
15 mai 2004, inédit) ; il a été jugé qu’il ressort des pièces versées au dossier que le de cujus est
effectivement décédé à Kinshasa le 24 mars 1974 et qu’il a laissé entre autre biens, les parcelles sises rue
de Kimwenza n° 83 et 90 dans la Commune de Mont-Ngafula à Kinshasa, la parcelle sise rue Makongo
n°42 dans la Commune de Lemba et la parcelle sise rue Makongo n° 3900 dans la Commune de Lemba.
Que selon le partage des biens effectués en date du 04 septembre 1975, ces biens ont été attribués aux
héritiers de la première catégorie. Ainsi, le tribunal après examen de toutes les pièces versées par les
requérants dira ladite requête conforme à l’article 807 du code de la famille et y fera droit en ordonnant la
mutation des titres des parcelles précitées aux enfants du de cujus(Tribunal de grande instance de Kinshasa/
Matete, R.C 11.268 du 29 septembre 2004, inédit) ; il a été jugé qu’en droit, il ressort de l’article 758 alinéa
1er du code de la famille que les enfants du de cujus né dans le mariage et ceux nés hors mariage mais
affiliés de son vivant, ainsi que les enfants qu’il a adoptés, forment la première catégorie des héritiers de la
succession. Dans le cas sous examen, le requérant, ses frères et sœurs constituent les héritiers de la
première catégorie en tant que fils et filles du de cujus. Par ailleurs, au regard de l’article 780 alinéa 1er du
même code, lorsque le de cujus n’a laissé qu’un immeuble, celui-ci appartient aux héritiers de la première
catégorie. Dès lors, il échet d’ordonner au conservateur des titres immobiliers de la division urbaine de
209
Funa de procéder à la mutation dudit immeuble en faveur des héritiers(Tribunal de grande instance de
Kinshasa/ Kalamu, R.C 21.834 du 18 novembre 2004, inédit) ; il a été jugé qu’aux termes de l’article 780
alinéas 1er et 3ème de la loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant code de la famille, lorsque la succession
comporte une maison, celle-ci est exclusivement attribuée aux héritiers de la première catégorie et que son
aliénation ne peut être opérée qu’avec l’accord unanime des enfants tous devenus majeurs. Dans le cas
d’espèce, le de cujus n’a pas laissé de veuve, le tribunal dira cette demande recevable et fondée, reconnaîtra
tous les héritiers copropriétaires de la parcelle sise rue Ndjoku n° 33/A, quartier 3 dans la Commune de
Masina. Il ordonnera à Monsieur le conservateur des titres immobiliers de la division urbaine de Tshangu
d’établir un certificat d’enregistrement aux noms de tous les enfants en tant que copropriétaires de la
parcelle sus indiquée(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ N’djili, R.C 0782 du 20 avril 1998, inédit) ;
il a été jugé que selon le prescrit de l’article 780 al 1er et 3ème de la loi n° 87/010 du 1er août 1987 portant
code de la famille, lorsque la succession comporte une maison, celle-ci est exclusivement attribuée aux
héritiers de la première catégorie et son aliénation ne peut être opérée qu’avec l’accord unanime des enfants
tous devenus majeurs. Dans le cas sous analyse, le défunt n’a laissé qu’une seule maison sise rue Ndele n°
107, quartier sans fil dans la Commune de Masina. Le tribunal estime donc qu’il est de bon droit, et ce, en
application de l’article 780 précité que ladite maison revienne à tous les enfants du défunt. De ce qui
précède, le tribunal ordonnera à Monsieur le conservateur des titres immobiliers de la Tshangu d’établir un
certificat d’enregistrement au nom de tous les enfants copropriétaires de la parcelle susvisée et de leur mère
comme usufruitière(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ N’djili, R.C 2913 du 25 septembre 2000,
inédit) ; il a été jugé qu’en droit, les enfants du de cujus, nés dans le mariage et ceux nés hors mariage mais
affiliés de son vivant, ainsi que les enfants qu’il a adoptés forment la première catégorie des héritiers de la
succession. Et que lorsque la succession comporte une maison, celle-ci est exclusivement attribuée aux
héritiers de la première catégorie. Eu égard aux éléments du dossier, le curateur aux successions a établi
l’acte de succession en faveur des héritiers et la veuve comme usufruitière de la parcelle sise avenue
Mokele n° 35, Quartier Maviokele, Commune de Kimbanseke pour laquelle l’investiture en vue de la
mutation est sollicitée. Le tribunal dira la requête fondée et ordonnera au conservateur des titres
immobiliers de la Tshangu d’opérer la mutation pour cause de décès de la parcelle susvisée au nom de tous
les héritiers comme nu-propriétaires et la veuve comme usufruitière(Tribunal de grande instance de
Kinshasa/ N’djili, R.C 4950 du 17 août 2002, inédit) ; il a été jugé que le tribunal relève que le de cujus a
laissé deux immeubles situés aux numéros 6 de l’avenue Kongo-Dieto dans la commune de Makala et 6 de
l’avenue Mombesa dans la commune de Kalamu couverts par les livrets de logeur en son nom ainsi que 7
enfants majeurs, une veuve et une sœur germaine, constituant des héritiers de la première et de la deuxième
catégorie au regard de l’article 758 alinéa1er du code de la famille. Ainsi, conformément aux articles 780 et
790 de la loi précitée, le choix des enfants du de cujus ayant été porté sur la parcelle située au numéro 6 de
l’avenue Mombesa dans la commune de Kalamu, le tribunal la leur attribuera exclusivement. Selon l’article
210
qu’un conflit soit déclenché entre les membres de la famille du de cujus contre sa veuve
et ses enfants. Le premier voulant dépouiller le second de tout héritage. Cette situation
arrive souvent lorsque du vivant du de cujus, les relations n’avaient pas été bonnes entre
sa famille et sa femme. En pareil cas, parfois la veuve ainsi que les enfants abandonnent
l’héritage entre les mains des membres de la famille du de cujus et s’abstiennent de saisir
la justice par peur de représailles. Celles-ci consistent souvent en la mort brusque et
inexpliquée des enfants du de cujus, les uns après les autres ou en la survenance
successive des événements malheureux parmi les enfants du de cujus. Il est vrai que la
fréquence de ces faits diminue sensiblement dans les milieux urbains à cause de la
réprobation sociale, mais ils demeurent néanmoins une réalité dans notre société.
Qu’en est-il alors de petit héritage ?
Le petit héritage est celui dont la valeur ne dépasse pas 100.000 zaïres469. Il
convient de noter que le montant fixé par le législateur pour déterminer le petit héritage
ne représente plus rien actuellement, à cause de deux facteurs conjugués à savoir : la
fluctuation monétaire et la réforme monétaire.
Compte tenu de ce qui vient d’être dit, dans la pratique à l’heure actuelle, le petit
héritage est devenu presque une hypothèse d’école.
Qu’à cela ne tienne, le code de la famille prévoit que le petit héritage est attribué
exclusivement aux enfants du de cujus et à leurs descendants par voie de représentation,
469
Art 786 du code la famille
211
en cas de concours éventuel de ceux-ci avec les héritiers de la deuxième catégorie ou les
légataires.470 Il s’agit là d’une règle dérogatoire par rapport à celles énoncées concernant
le grand héritage.
Cependant, l’usufruit du conjoint survivant tel que prévu en cas de grand héritage,
reste maintenu même dans ce cas.471 Cette disposition nous paraît aujourd’hui absurde.
En effet, compte tenu de la somme fixée pour déterminer le petit héritage, il est
inconcevable d’y trouver une maison ou des terres attenantes qui fasse l’objet de
l’usufruit du conjoint survivant.
Le législateur prévoit dans l’hypothèse de petit héritage que chacun des héritiers
par ordre de primogéniture a la faculté de le reprendre en totalité ou pour une part
supérieure à sa quote-part légale, sauf dispositions testamentaires contraires attribuant
l’hérédité en tout ou en partie à l’un des enfants.472
En principe, cette faculté est exercée par l’aîné des héritiers. Mais s’il ne le fait
pas, celui qui le suit en ordre de primogéniture peut l’exercer et ainsi de suite.473
Celui qui exerce le droit de reprise est tenu d’assurer les charges prévues par la
coutume à l’égard des autres héritiers.474Le législateur s’est manifestement inspiré de la
coutume pour édicter cette disposition. Comme nous l’avions déjà souligné, en droit
coutumier, l’ensemble de l’héritage est attribué à une seule personne. Mais celle-ci a
l’obligation de prendre en charge les autres membres de la communauté.
470
Art 786 al 1er du code de la famille
471
Art 786 al 2 du code de la famille
472
Art 787 al 1 du code de la famille
473
Art 787 al 2 du même code
474
Art 788 du même code
212
Voilà les règles prévues pour le petit héritage. Malgré la modicité de l’héritage, le
législateur a tenu à maintenir l’usufruit du conjoint survivant. Ce qui prouve que les
intérêts de celui-ci ont été au centre de ses préoccupations.
Mais toutes ces règles sont pratiquement tombées caduques à cause de la modicité
du montant fixé, en dessous duquel, on peut parler du petit héritage. Il y a donc nécessité
que le législateur puisse revoir ce montant à la hausse, en tenant compte de la réalité du
moment. Nous pensons que la bonne manière de faire consistera à renvoyer la fixation du
montant par voie de l’arrêté ministériel. En effet, il est plus facile pour un ministre de
prendre un arrêté portant fixation de la valeur maximum du petit héritage. En revanche, il
n’est pas facile de faire passer en priorité au parlement, un projet de loi portant
modification de la valeur maximum de petit héritage. Cette position se justifie par le fait
que le pays n’est pas encore à l’abri de fluctuation monétaire importante, étant entendu
que sa situation économique n’est pas stable. Une rédaction prudente s’impose.
En outre, elles disposent d’un droit égalitaire lors du partage. Pour chaque
catégorie d’héritiers et pour chaque groupe qui compose chaque catégorie, la loi prévoit
que le partage se fait par égales portions. Il n’y a donc pas de différence de traitement
entre les hommes et les femmes. La veuve dispose encore des droits avantageux. En effet,
en dehors de sa part en tant que héritière de la deuxième catégorie, elle dispose de
475
Art 789 du même code
213
l’usufruit du conjoint survivant qui lui permet notamment de garder la maison qu’elle
habitait avec son mari ainsi que la moitié des terres que le défunt exploitait
personnellement.
Nous pouvons affirmer sur ce point que les droits successoraux de la femme en
cas de veuvage sont une réalité. Mais pour qu’elle puisse jouir de ces droits, la loi a prévu
une procédure qui aboutit à l’investiture des héritiers, donnant ainsi lieu à l’établissement
d’un certificat d’enregistrement en leur nom ou à l’inscription de leur droit d’usufruit au
certificat d’enregistrement. Qu’en est-il de l’administration des biens entre héritiers ?
L’administration des biens entre héritiers est régie par les règles de l’indivision.
En cette matière, le principe est que tous les héritiers sont copropriétaires du ou des biens
hérités. Lorsque l’indivision porte sur un bien foncier ou immobilier, le conservateur des
titres fonciers doit établir un seul certificat d’enregistrement au nom de tous, quitte à
s’entendre sur celui d’entre eux à qui le certificat collectif sera délivré. S’ils ne
s’entendent pas sur la personne qui devra détenir le certificat d’enregistrement, il revient
au conservateur de régler la question.476Cette exigence se justifie par le fait qu’en droit
congolais, les droits fonciers et immobiliers n’existent légalement que par l’établissement
d’un certificat d’enregistrement ou par l’inscription de ces droits au certificat
d’enregistrement.477
Aucun des copropriétaires n’a le droit de disposer ou de changer la destination de
la chose commune ou de grever celle-ci de droits réels au-delà de sa part indivise sans le
consentement des autres.478 La règle de gestion en la matière est donc l’unanimité du
consentement de tous les indivisaires pour tous les actes de disposition et
d’administration.479
476
Art. 237 alinéa3 de la loi n°73-021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et
immobilier et régime des suretés.
477
Art. 219 de la loi susmentionnée.
478
Art.33 de la loi précitée.
479
G. Kalambay Lumpungu, Droit civil : régime général des biens, Kinshasa, P.U.C, 1989, p 196.
214
C’est dans ce sens que le code de la famille prévoit que lorsque la succession ne
comporte qu’une seule maison, celle-ci ne peut être aliénée qu’avec l’accord unanime des
enfants, tous devenus majeurs et à condition que l’usufruit prévu au bénéfice du conjoint
survivant ait cessé d’exister.480
De ce qui précède, il ressort que chaque indivisaire dispose d’un droit de veto
pour faire échec à l’aliénation des biens faisant partie de l’indivision si une telle opération
ne rencontre pas son assentiment.
Chacun des copropriétaires peut cependant demander le partage de la chose
commune, nonobstant toute convention ou prohibition contraire.481Si les autres
copropriétaires veulent garder la chose, objet de l’indivision, ils peuvent faire évaluer la
quote-part de celui qui demande le partage par un expert, pour lui remettre la somme
correspondant à la valeur de celle-ci. Mais il convient de noter qu’aucune disposition
légale n’oblige l’héritier qui sollicite le partage de ne proposer préalablement la vente sa
part qu’aux autres héritiers. Ceux-ci ne disposent donc pas d’un droit de préemption.
Mais dans certaines hypothèses, un tel droit s’impose par la nature même de l’objet de
partage. C’est notamment le cas lorsque l’indivision porte sur une maison construite de
telle sorte que sa division n’est pas possible.
Si les héritiers ne sont pas d’accord pour partager les biens indivis, chacun d’eux
peut saisir le tribunal pour que celui-ci ordonne le partage ou la vente de ces biens.
Le partage des biens indivis se fait, en principe, en nature et à part égale. Mais s’il
y a impossibilité d’établir l’égalité des parts en nature, l’inégalité de celle-ci se compense
par l’attribution d’une soulte due par les héritiers ayant reçu une part supérieure à leur
part légale ou testamentaire d’hérédité en faveur de ceux qui ont reçu une part
inférieure.482
Les indivisaires peuvent convenir de rester dans l’indivision pendant un temps
déterminé qui ne peut excéder cinq ans. S’ils fixent dans leur convention un terme plus
long ou pour une durée illimitée, elle est réduite à ce terme.483Mais si parmi les héritiers il
existe un mineur, l’indivision ne prendra fin qu’à la majorité de celui-ci.
480
Art. 780 alinéa 3 du code de la famille.
481
Art. 34 al 1er de la loi n°73-021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et
immobilier et régime des suretés.
482
Art. 791 du code de la famille
483
Art. 34 al 2 de la loi précitée.
215
La mutation par décès a été prévue successivement par les textes ci-après : le
décret du 6 février 1920 portant transmission de la propriété immobilière, le décret du 10
février 1953 portant accession des Congolais à la propriété immobilière individuelle, la
loi n° 73/ 021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et
immobilier et régime des sûretés ainsi que la loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant code
de la famille.
L’article 220 alinéa premier dispose que les mutations soit entre vifs, soit par décès, de la propriété
484
Ce texte qui constitue le livre 2 du code civil, avait prévu en son article 34 ce qui
suit :
« Les mutations, soit entre vifs, soit par décès, de la propriété immobilière, ne
s’opèrent que par un nouveau certificat d’enregistrement.
A l’exception des servitudes légales et sous la réserve des droits coutumiers des
indigènes, nulle charge ne frappe la propriété immobilière si elle n’est inscrite au
certificat d’enregistrement.
Doit également être inscrit au certificat, tout contrat de location fait pour une
durée de plus de neuf ans. »
«Les mutations par décès ne peuvent être opérées qu’en vertu d’une ordonnance du juge
du tribunal de première instance de la situation de l’immeuble.
La requête de l’héritier ou du légataire doit être publiée dans un ou plusieurs journaux de
la colonie, de la métropole ou de l’étranger, à désigner par le juge.
L’ordonnance d’investiture n’est rendue qu’après examen de tous actes ou documents
propres à justifier le droit de l’impétrant, et telles mesures d’instruction qu’il appartient à la
vigilance du magistrat de prescrire. Le Procureur du Roi doit donner son avis par écrit.
L’ordonnance d’investiture doit être rendue dans les quatre mois à compter du jour où ont
paru les journaux dans lesquels la requête a été publiée.»
485
Conseil colonial : Compte rendu analytique du décret du 6 février 1920, 1919, p. 520
217
Ensuite, s’il convenait de prescrire au juge de ne statuer sur la requête qu’en pleine
connaissance de cause, il importait aussi d’empêcher que, par des scrupules excessifs, il ne laisse
trop longtemps incertaine la propriété de l’immeuble héréditaire. De là, les autres modifications
qui ont été apportées au texte primitif.
Il est manifeste que, parmi les mesures de publicité qu’il appartient de prescrire, c’est
spécialement au choix des journaux qui pourront le mieux toucher les intéressés que le juge devra
donner toute son attention.»486
Ce texte a prévu aussi une procédure semblable avec quelques nuances. En effet,
l’article 20 du décret dispose ce qui suit :
«Lorsque la valeur globale des immeubles ne dépasse pas 200.000 francs, les mutations
par décès peuvent être opérées en vertu d’une ordonnance du président du tribunal de territoire de
la situation des immeubles présidé comme prévu à l’article précédent.487
La requête de l’héritier ou légataire doit être publiée par affichage à la porte du bureau du
territoire ou du centre extra-coutumier ou de la cité, ainsi que par insertion dans un ou plusieurs
journaux à désigner par le président.
L’ordonnance d’investiture n’est rendue qu’après examen de tous les actes ou documents
propres à justifier le droit de l’impétrant et telles mesures d’instruction qu’il appartient à la
vigilance du président de prescrire.
L’ordonnance d’investiture doit être rendue dans les quatre mois à compter du jour du
dernier acte de publication. »
Par rapport à l’article 50 du décret de 1920, cette disposition est différente sur les
points suivants : d’abord le juge compétent pour connaître de la requête est celui du
tribunal de territoire, à l’occurrence, son président. Alors que dans le décret de 1920, le
486
P.Piron et J. Devos, Codes et lois du Congo belge, Tome I, Bruxelles, Ferdinand Larcier, 1960, p. 93
487
L’article 19 dont fait allusion l’alinéa 1er de l’article 20, rend le tribunal de territoire présidé par le
commissaire de district ou par l’administrateur du territoire, compétent lorsque la valeur de la succession
dépasse 100.000 francs.
218
juge compétent est celui du tribunal de première instance. Selon le Rapport du Conseil
colonial, ce choix est justifié par le fait qu’il y a nécessité de ne pas surcharger les
tribunaux de première instance et d’éviter d’astreindre à trop des formalités les héritiers
modestes.
Enfin, l’avis du Procureur du Roi n’est pas requis dans le texte de 1953 alors que
dans le texte de 1920, il est obligatoire. Qu’en est-il alors de la loi foncière ?
3. Loi foncière
«Sous réserve du régime des terres prévu par l’article 210 de la présente loi, les mutations
par décès ne peuvent être opérées qu’en vertu d’une ordonnance du juge du tribunal de grande
instance de la situation de l’immeuble.
La requête de l’héritier ou légataire doit être publiée dans un ou plusieurs journaux de
l’Etat à désigner par le juge.
L’ordonnance d’investiture n’est rendue qu’après examen de tous les actes ou documents
propres à justifier le droit de l’impétrant, et telles mesures d’instruction qu’il appartient à la
vigilance du magistrat de prescrire. Le Procureur de la République doit donner son avis par écrit.
L’ordonnance d’investiture doit être rendue dans les quatre mois à compter du jour où ont
paru les journaux dans lesquels la requête a été publiée.»
Il nous semble que cette disposition ne mérite pas des commentaires particuliers,
dans la mesure où, ce qui a été dit au sujet de l’article 50 du décret sus évoqué reste
valable pour elle.
219
Un autre débat est celui de savoir si cette disposition est toujours en vigueur ou si
elle a été abrogée par le code de la famille. Cette question vaut la peine d’être examinée
d’autant plus qu’elle a une incidence sur l’orientation de la jurisprudence en la matière.
Au regard de ce qui vient d’être dit, il ressort que sur le plan strictement juridique
l’article 233 de la loi foncière n’a jamais été abrogé. Pour preuve, le Journal officiel l’a
encore repris comme tel après avoir corrigé la numérotation. Par conséquent, il peut
encore servir de base pour la transmission pour cause de mort des biens immobiliers. Tel
n’est pas toujours l’avis de la jurisprudence ainsi que de certains auteurs. Nous y
reviendrons. Que prévoit alors le code de la famille ?
La loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant code de la famille prévoit en son article
807 que :
488
Journal Officiel n° 15 du 1er août 1980
220
Par rapport à l’article 233 de la loi foncière, cette disposition introduit des
innovations suivantes :
Cette disposition soulève le problème de savoir si elle vide l’article 233 de la loi
de 1973 de sa substance. On serait tenté de répondre par l’affirmative si l’on s’en tient à
l’interprétation littérale de ces deux dispositions, étant donné que l’article 807 du code de
la famille est postérieur par rapport à l’article 233 de la loi de 1973. Mais en pareil cas, il
faut avant tout chercher la volonté du législateur en édictant une nouvelle disposition,
sans toutefois abroger expressément l’ancienne qui régissait déjà la matière.
Cette volonté peut être recherchée dans les travaux préparatoires. Voici ce que
rapporte la Commission de Réforme du Droit Zaïrois qui a été à l’origine du code de la
famille au sujet de l’article 807 de cette loi:
«L’article 807 modifie les règles prescrites à l’actuel article 233 de la loi n° 73/ 021 du 20
juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés
qui donne compétence au tribunal de première instance.
221
Dans le cadre des mutations pour cause de mort, ce texte prévoit dans la procédure
d’investiture le recours à des juridictions qui seront beaucoup plus accessibles par les héritiers
représentés à cet effet par le liquidateur.
Déjà, dans le décret du 10 février 1953, à l’article 20, on avait organisé la procédure
d’investiture des héritages immobiliers de moins de 200.000 francs à l’échelon des tribunaux
coutumiers de territoire et de ville.
Reprenant et généralisant cette disposition, le texte prévoit que pour les héritages de
moins de 100.000 zaïres en cas de présence d’immeubles, la procédure d’investiture sera faite à
l’échelon de tribunal de paix et pour les autres héritages devant le tribunal de sous-région.»489
C’est dans le même sens que pense le professeur Lukombe Nghenda lorsqu’il
affirme que l’article 807 appartient à un texte postérieur qu’est la loi n°87-010 du 1er août
1987 par rapport à l’article 233 de la loi foncière de 1973 ; et par conséquent , les
dispositions de l’article 807 l’emportent là où elles auraient disposé autrement.490
Cette position n’est pas celle de Mupila Ndjike qui pense que l’article 807 du
code de la famille crée une contradiction par rapport à l’article 233 de la loi foncière
lorsqu’il prévoit que la requête en investiture en vue d’opérer mutation est introduite par
le liquidateur au lieu de l’héritier ou légataire comme prévu par le texte de 1973.491
De ce qui précède, il ressort que les deux dispositions sont en vigueur et elles sont
complémentaires. Ainsi, les différentes étapes à suivre relèvent de la combinaison de ces
deux textes.
489
Commission de Réforme du Droit Zaïrois, Exposés généraux et commentaires analytiques des articles
du code de la famille, inédit, pp 402- 403
490
Lukombe Nghenda, op.cit., p 933
491
H.F. Mupila Ndjike, Les successions en droit congolais , Kinshasa, Pax-Congo, 2000, p 202
222
1° Désignation du liquidateur
L’article 795 du code de la famille consacre trois sortes de liquidateur en tenant
compte du mode de leur désignation. Il s’agit du liquidateur légal ou ab intestat, du
liquidateur testamentaire et du liquidateur judiciaire.
a. Liquidateur légal
Le liquidateur légal est celui désigné par la loi en l’absence du testament. Selon
l’article 795 alinéa 1er, en cas de succession ab intestat, le plus âgé des héritiers sera
chargé de la liquidation de la succession ou en cas de désistement, celui qui sera désigné
par les héritiers.
Il y a lieu d’observer que le plus âgé des héritiers peut être aussi bien un homme
qu’une femme. La loi ne fait donc pas de distinction entre le sexe. Cela contraste avec la
gestion de la succession en droit coutumier où seuls les personnes de sexe masculin
peuvent l’administrer.
Il n’y a pas unanimité quant à la réponse réservée à cette question. Pour certains
auteurs, étant donné que les termes de l’article 795 alinéa1er ne font pas de différence
entre les différentes catégories d’héritiers, le plus âgé doit être cherché entre les héritiers
de la première et de la deuxième catégorie. Cette position est soutenue notamment par
Mupila Ndjike lorsqu’il écrit :
«Au regard de la disposition de l’article 795 alinéa1er du code de la famille susvisé, dans
sa première branche, on peut considérer que : le plus âgé des héritiers sera recherché parmi les
héritiers de la première et de la deuxième catégorie lorsqu’ils viennent en concours dans la
succession ab intestat.
C’est donc à dessein que le législateur utilise l’expression ‘’ le plus âgé ‘’des héritiers
plutôt que de parler ‘’ du fils ou de la fille aîné du défunt ‘’comme d’aucuns le soutiennent,
puisque les héritiers concernés ici sont bien ceux de la première et de la deuxième catégorie qui
sont appelés à concourir dans la succession.492 »
Tenant compte de ce qui précède, nous sommes d’avis que le plus âgé des
héritiers devrait être tiré parmi les héritiers de la première catégorie d’autant plus que
selon la volonté du législateur, l’intérêt de ceux-ci passe avant toute autre chose. Or, cet
intérêt ne pourra être mieux protégé que si l’un des héritiers de cette catégorie se trouve
être le liquidateur de la succession.
Tel est également l’avis de la jurisprudence. En effet, dans un arrêt rendu par la
Cour d’Appel de Kinshasa/ Matete, il a été jugé que le législateur en parlant du plus âgé
des héritiers sous-entend le plus âgé de la première catégorie au cas où les héritiers de
cette catégorie ont comme aîné (plus âgé) un majeur.
492
H.F. Mupila Ndjike, op. cit., pp. 140-141
224
La cour motive sa décision par le fait que les ¾ de l’hérédité réservés aux héritiers
de la première catégorie ne doivent pas être laissés pour gestion aux mains d’autres
héritiers, c’est-à-dire ceux de la deuxième catégorie, au seul motif que les ayants droit
seraient moins âgés que leurs cohéritiers des autres catégories.493
Dans un autre cas, il a été jugé que l’article 795 de la loi n° 87/010 du 1 er août
1987 portant code de la famille dispose qu’en cas de succession ab intestat, le plus âgé
des héritiers sera chargé de la liquidation de la succession ou en cas de désistement, celui
qui sera désigné par les héritiers. Dans le cas sous examen, dès lors que le requérant est le
fils aîné du de cujus et qu’en sus, il a été désigné par le conseil de famille, le tribunal
estime qu’il y a lieu de le confirmer en qualité de liquidateur de la succession du
défunt.495
Il ressort de ce qui précède que le conjoint survivant ne peut pas en principe être
liquidatrice de la succession au cas où les héritiers de la première catégorie existe, sauf si
ceux-ci sont mineurs ou s’ils consentent de lui confier ce rôle. Il en est de même de la
mère du de cujus. Par ailleurs, la fille du de cujus, héritière de la première catégorie, peut
bien être liquidatrice de la succession si elle est l’aînée des héritiers ou si elle a été
choisie par ceux-ci. L’analyse de la jurisprudence montre que les tribunaux n’hésitent pas
493
Cour d’Appel de Kinshasa/ Matete, R.C.A 2205/2209 du 13 janvier 1997, inédit.
494
Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Matete, R.C 7014 du 25 mars 2011, inédit.
495
Tribunal de grande instance de Kinshasa / N’djili, R.C 16813 du 12 octobre 2010, inédit.
225
- Il a été jugé que le tribunal de céans fera droit à la requête introduite par la
demanderesse en ordonnant son investiture en qualité de liquidatrice de la
succession laissée par son défunt père(Tribunal de grande instance de
Kinshasa/N’djili, R.C 18.429 du 18 juillet 2011, inédit).
- il a été jugé que le tribunal recevra la requête de la demanderesse et y fera
droit. En conséquence, confirmera la désignation de la demanderesse en
qualité de liquidatrice de la succession du défunt(Tribunal de grande instance
de Kinshasa/ N’djili, R.C 16779 du 18 octobre 2002, inédit).
- il a été jugé que le tribunal désignera la requérante en qualité de liquidatrice
de la succession de son défunt père et l’investira avec ses frères et sœurs
copropriétaires de l’immeuble sis quartier Salongo-Sud n° SBJ 682 dans la
commune de Lemba(Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Matete, R.C
6985 du 18 mars 2002, inédit).
- il a été jugé que le tribunal recevra la requête introduite par les requérants et y
faisant droit. En conséquence, confirmera la désignation de Emilie Mbenga,
Joceline Kiebi Mvubu et Jurins Tshibuete Mvubu, en qualité des liquidateurs
de la succession de leur défunt père(Tribunal de grande instance de Kinshasa/
N’djili, R.C 16736 du 04 novembre 2010, inédit). Il convient d’observer ici
que le tribunal a confirmé la désignation d’un collège des liquidateurs
composé de deux femmes et un homme. Raison pour laquelle nous avons
repris expressément les noms des liquidateurs.
- Il a été jugé que sous R.C 3631, le tribunal de grande instance de Boma avait
le 11 juillet 2005 désigné le requérant en sa qualité de fils aîné comme
liquidateur. Ce dernier a écrit son acte de désistement auprès du même
tribunal en date de 20 juillet 2005 par lequel il demande qu’il soit remplacé
par sa sœur dans ses fonctions de liquidateur au motif qu’il voyage en Angola
pour un séjour de plus de cinq ans et n’est plus disponible pour ses
attributions. La volonté de tous les héritiers est de le remplacer en raison de
son indisponibilité par sa sœur, âgée de 37 ans pour liquider et administrer la
226
ce cas, la désignation du liquidateur devra être sanctionnée par un acte signé par eux. Cet
acte va lui servir comme étant la preuve de sa qualité. Mais le liquidateur peut aussi être
testamentaire ou judiciaire.
Le liquidateur peut être désigné par testament. L’article 795 du code de la famille
prévoit la possibilité pour le de cujus de choisir même plusieurs liquidateurs. Dans ce cas,
l’administration de la succession se fera de manière collégiale.
- Il a été jugé que dans le souci de sauvegarder la paix sociale entre parties qui
sont présentement des héritiers apparents, et dans l’intérêt de protéger leur patrimoine
successoral et de sécuriser tous les héritiers, le tribunal désignera un liquidateur judiciaire
de ladite succession conformément à la loi, avec tous les pouvoirs lui dévolus par le code
de la famille (Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Gombe, R.C 101.661 du 14 mai
2009, inédit).
- Il a été jugé que le tribunal recevra la requête introduite par les requérantes et y
faisant droit, désigne un liquidateur judiciaire de ladite succession (Tribunal de grande
instance de Kinshasa/ Kalamu, R.C 18.749 du 19 août 2008, inédit).
- Il a été jugé que le tribunal constate d’une part qu’au regard des éléments du
dossier, le défunt n’a pas laissé de testament et que d’autre part, deux héritiers appelés à
la succession sont encore mineurs. En sus, excepté les requérants placés dans la première
catégorie, tous les autres héritiers, relève le tribunal, ne sont pas encore connus. Il
s’ensuit que le tribunal recevra leur requête, en la forme et y faisant droit, désignera leur
frère aîné liquidateur de ladite succession (Tribunal de grande instance de Boma, R.C
3631 du 11 juillet2005, inédit).
497
Il a été jugé qu’au regard de l’article 795 in fine du code de la famille, le tribunal procédera d’office à la
désignation d’un liquidateur judiciaire. Celui-ci aura pour tâches principales : inventorier tous les héritiers,
ainsi que tous les biens meubles et immeubles de la succession du de cujus, faire la proposition de partage
(Tribunal de grande instance de Kinshasa/N’djili, R.C 18.387 du 03 janvier 2012, inédit) ; il a été jugé que
l’article 795 alinéa 5 du code de la famille dispose que lorsque les héritiers ne sont pas connus ou sont trop
éloignés, ou qu’ils ont tous renoncé à l’hérédité ou en cas de contestation grave sur la liquidation, le
229
C’est cette lacune que l’article 807 du code de la famille a comblé, en précisant
que la requête en investiture doit indiquer ceux qui viennent à la succession, la situation
des fonds, des immeubles et leur composition.
Mais pour notre part, nous pensons que la requête en investiture devra être
accompagnée aussi de certains documents pouvant justifier le droit des héritiers ou des
légataires afin de permettre au juge de prendre sa décision en connaissance de cause.
Bien que les articles 807 du code de la famille et 233 de la loi foncière ne précisent pas
tribunal compétent désigne d’office ou à la requête du ministère public ou d’un des héritiers un liquidateur
judiciaire parent ou étranger à la famille. Dans le cas d’espèce, il découle des faits qu’il existe à ce jour des
contestations graves et de sérieuses difficultés sur la liquidation de la succession du défunt. Pour ce faire,
dans le souci de la défense des intérêts supérieurs des héritiers et à leurs propres requêtes, le tribunal
désignera d’office un liquidateur conformément à l’article 795 alinéa 5 susvisé (Tribunal de grande
instance de Kinshasa/ Matete, R.C 24508/ 24002 du 23 juin 2011, inédit) ; il a été jugé que l’article 795
alinéa1er du code de la famille dispose qu’en cas de succession ab intestat, le plus âgé des héritiers sera
chargé de la liquidation de la succession ou en cas de désistement, celui qui sera désigné par les héritiers.
Dans le cas d’espèce, il s’agit d’une succession sans testament, le plus âgé des héritiers qui s’occupait
jusque là de la liquidation a non seulement été désapprouvé par tous les héritiers, mais arrêté et détenu par
la justice et actuellement évadé pour un lieu inconnu. De ce qui précède, il échet de dire recevable et fondée
la présente action au motif qu’il relève de la volonté des héritiers que le plus âgé ne pouvant plus gérer la
succession parce que poursuivi par la justice, qu’un liquidateur judiciaire soit désigné à cette fin. Ainsi, le
tribunal de céans désigne un liquidateur judiciaire (Tribunal de grande instance de Kinshasa/ Matete, R.C
8042 du 7 avril 2011, inédit).
498
Dikete Onatshungu, Du rôle de la volonté dans la transmission des droits réels immobiliers et de la
sécurité des transactions immobilières, Tome 2, Thèse de doctorat, Université Catholique de Louvain,
Faculté de Droit, 1975- 1976, p 483.
230
ces documents, nous estimons que les documents ci-après devraient accompagner la
requête :
Le juge saisi devra au préalable assurer la publicité de la requête comme la loi l’exige.
C’est ainsi que le juge doit choisir les journaux, qui, d’après les éléments du
dossier, paraissent susceptibles d’être lus par ceux qui auraient des droits à revendiquer
sur l’immeuble, voire par ceux qui pourraient apporter des éclaircissements utiles quant à
la succession du défunt.500 Galopin va dans le même sens lorsqu’il rapporte que parmi les
mesures de publicité qu’il appartient au juge de prescrire, c’est spécialement au choix des
journaux qui pourront le mieux toucher les intéressés qu’il devra donner toute son
attention.501
499
G. Kalambay Lumpungu, Droit civil : Régime foncier et immobilier, Vol II, Kinshasa, P.U.Z., 1989, p
264
500
A. Stenmans, De la transmission de la propriété immobilière, in Droit civil du Congo belge, T III,
Bruxelles, Ferdinand Larcier, 1955, p 306
501
Th. Heyse, La propriété immobilière, in Les Novelles, Droit colonial, T1, 1932, p 93
231
Cependant, il convient de relever que cette publicité peut parfois poser certains
problèmes liés à l’accès à l’information surtout à l’état actuel du pays. En effet, il existe à
l’heure actuelle des parties du pays où les journaux ne paraissent pas.
Cette disposition accorde au magistrat une certaine liberté d’action pouvant lui
permettre de prescrire toutes les mesures d’instruction lui paraissant utiles pour se former
une conviction. Le juge ne doit donc pas se contenter des pièces que lui soumet le
requérant.
232
Le délai de quatre mois est justifié par souci de célérité d’une part et d’autre part
pour empêcher que par des scrupules excessifs, le juge ne laisse trop de temps incertaine
la propriété de l’immeuble héréditaire.502
Mais la question fondamentale ici est de savoir l’autorité qui doit donner
l’investiture. De la réponse à cette question dépend la nature de l’acte à prendre par
l’autorité judiciaire.
L’article 233 alinéa 1er de la loi foncière prévoit que les mutations par décès ne
peuvent être opérées qu’en vertu d’une ordonnance du juge du tribunal de grande
instance de la situation de l’immeuble.
Il ressort de cette disposition que l’ordonnance d’investiture doit être rendue par
le juge et non par le tribunal. C’est dans ce sens qu’il a été jugé que le code civil
congolais ne connaît en matière de mutation par décès d’autre procédure que celle de
l’investiture. Il n’appartient pas aux tribunaux de se substituer au juge chargé de
l’octroyer.503
Stenmans va dans le même sens, lorsqu’il estime que les ordonnances sur requête
n’appartiennent ni à la juridiction gracieuse, ni à la juridiction contentieuse, mais
constituent pour le Président du tribunal l’exercice d’une sorte de pouvoir
discrétionnaire.504
De son côté, le professeur Mukadi Bonyi tout en classant les ordonnances dans la
catégorie des décisions gracieuses, reconnaît qu’en cette matière le Président du tribunal
502
Dikete Onatshungu, op. cit., p 484
503
Th. Heyse, op.cit, p 93
504
A. Stenmans, op. cit., p 309
233
ou de la cour rend des ordonnances qui sont des simples décisions d’ordre administratif,
la matière n’étant pas contentieuse.505
A l’heure actuelle, certains auteurs estiment que l’article 807 du code de la famille
donne compétence non plus au juge mais au tribunal pour répondre à la requête
d’investiture. En effet, ils fondent cette position sur la formulation de cette disposition
qui prévoit que la requête en investiture est introduite par le liquidateur au tribunal de
paix ou au tribunal de grande instance. Ainsi, pensent-ils, le tribunal ne peut répondre
que par voie de jugement. C’est ce que pense notamment le professeur Lukombe lorsqu’il
note que selon le code de la famille, l’autorité judiciaire compétente pour statuer sur la
requête, ce n’est plus le juge Président ou juge délégué par celui-ci comme le précise
l’article 233 de la loi n°73-021 du 20 juillet 1973, mais bien le tribunal, avec cette
conséquence que la décision de ce dernier, s’accommode mieux de l’appellation de
jugement d’investiture et non de l’ordonnance d’investiture.506
505
Mukadi Bonyi et al, Procédure civile, Kinshasa, Batena Ntambua, 1999, p 113
506
Lukombe Nghenda, op. cit., p 934
507
F. Tshibangu Tshiasu Kalala, Droit civil : régimes matrimoniaux, succession, libéralités, Kinshasa,
Cadicec, 2003, p 250.
234
le nouveau titre aux noms des héritiers et inscrit l’usufruit du conjoint survivant dans le
nouveau certificat d’enregistrement au bénéfice de la veuve. C’est seulement en ce
moment là que les droits des héritiers auront une existence légale. Tel est le sens des
décisions judiciaires que nous avons relevé antérieurement.
Voilà toute l’importance que revêt cette procédure tant pour les héritiers du de
cujus en général que pour le conjoint survivant en particulier. Qu’en est-il alors de la
femme divorcée ?
Dans cette hypothèse, si parmi les biens propres de la femme, il y a des biens
fonciers et immobiliers, la divorcée en gardera dans son patrimoine. Elle aura en outre, la
moitié des biens fonciers et immobiliers acquis pendant le mariage.
508
L’article 524 dispose : « En cas de dissolution du mariage, s’il y a eu gestion du mari, chacun des époux
reprend en nature les biens qui lui sont propres. » De son côté, l’article 530 dispose : « Après règlement du
passif, le surplus du patrimoine commun est partagé par moitié entre les époux ou leurs héritiers. »
235
Dans le cas où les époux divorcés étaient régis par le régime de la communauté
universelle, l’article 535 du code de la famille prévoit que l’actif et le passif de la
communauté seront partagés par moitié entre les anciens époux.
Les biens propres de chaque époux restent dans son patrimoine, si ceux-ci sont
retrouvés en nature ou s’il en est établi un compte distinct.509
Ici également, s’il y a des biens fonciers et immobiliers dans la communauté, ils
seront partagés par moitié entre époux. Mais chacun d’eux garde ses biens immobiliers
propres acquis à titre gratuit avec exclusion de communauté.510
Cependant, à la demande de l’un des époux qui occupe une maison appartenant en
tout ou en partie à l’autre époux au moment de la transcription du jugement consacrant le
divorce entre eux, le tribunal de paix peut disposer qu’il occupera la maison et usera des
meubles meublants pendant six mois après la transcription de la décision.
509
Art 536 du code de la famille
510
Art 533 du code de la famille
511
Art 583 du code de la famille
236
fin de la période impartie que l’ancien époux propriétaire de la maison pourra en disposer
selon sa volonté. Il s’agit là à mon sens d’un droit spécial qui relève de la solidarité
devant exister entre les anciens époux.
Le relevé des jugements des tribunaux de paix nous révèle que les tribunaux ont
toujours tenu compte de l’intérêt de la femme lorsqu’ils prononcent le divorce.
Cependant, il y a lieu d’observer trois tendances : la première est celle qui prononce le
partage de tous les biens immobiliers à part égale entre les deux époux, la deuxième est
celle qui privilégie le mari au détriment de l’épouse et la troisième est celle qui consiste
à laisser tous les biens immobiliers au profit d’un époux sous prétexte qu’il lui revient la
garde des enfants. Ainsi, allons-nous essayer de reprendre quelques décisions
jurisprudentielles allant dans un sens comme dans l’autre.
Nombreuses, sont les décisions judiciaires allant dans le sens de partager les biens
immobiliers à part égale entre anciens époux. Souvent, ces mariages sont contractés soit
sous le régime de la communauté universelle des biens soit sous celui de la communauté
des biens réduits aux acquêts.
cas d’espèce, les époux étaient régis par le régime de la communauté réduite
aux acquêts.
- Il a été décidé qu’étant donné que les époux ont acquis pendant le mariage
deux parcelles, et qu’ils ont contracté leur mariage sous le régime de la
communauté universelle des biens, il y a lieu de procéder à la liquidation du
régime matrimonial en accordant à chacun une parcelle(Tribunal de Paix de
Kinshasa/ Lemba, R.C. 10.221/I, du 21 juillet 2009, inédit).
- Il a été jugé que le mariage de deux parties étant régi par le régime de la
communauté universelle des biens et qu’ils ont ensemble acquis deux
parcelles, il sera attribué au mari la parcelle située à la cité de Badara et à
l’épouse celle de Kinkole(Tribunal de Paix de Kinshasa/ Lemba, R.C.
10265/VIII, du 24 septembre 2009, inédit).
- Il a été jugé que les parties en divorce sont autorisées de vendre l’unique
parcelle acquise pendant le mariage, quitte à partager à part égale le fruit de
cette vente, en réservant une part aux enfants issus de cette union(Tribunal de
Paix de Kinshasa/ Matete, R.C. 4455/V, du 8 février 2001, inédit).
- Il a été jugé que les parties ayant déjà procédé de commun accord au partage
de leurs biens meubles, le seul bien commun restant est la parcelle située dans
la commune de Ngaliema, le tribunal ordonnera son morcellement en deux
parties(Tribunal de Paix de Kinshasa/ Matete, R.C. 6757/VI, du 18 janvier
2006, inédit).
- Il a été jugé qu’en ce qui concerne les biens des époux, le tribunal relève que
ceux-ci ayant été mariés sous le régime de la communauté universelle, il sera
procédé au partage équitable de tous les biens communs notamment la
parcelle située au camp Badara(Tribunal de Paix de Kinshasa/ Matete, R.C.
6669/VI, du 17 août 2006, inédit).
- Il a été jugé que le tribunal procède au partage des biens communs et confie à
la défenderesse l’immeuble sis au n° 206 Jacaranda Gardens à Johannesbourg,
RSA et l’immeuble sis au n° 23, Mount Verna, Johannesbourg, RSA. Au
demandeur l’immeuble sis Dumbarstr-Johannesbourg, l’immeuble sis 23
Cavendish Heights- Johannesbourg, la maison familiale sise 35 Knoest
centurion RSA et la maison familiale sise au n° 33 Nell court, New Jersey,
238
512
il a été jugé que même si la parcelle a été enregistrée au nom du mari, elle sera partagée équitablement
dans la mesure où elle a été acquise pendant le mariage et que les époux étaient régis par le régime de la
communauté des biens réduite aux acquêts (Tribunal de Paix de Kinshasa/ N’djili, R.C. 4367 du 06 juillet
2009, inédit) ; il a été jugé que le tribunal accordera à chacun des époux la moitié de l’unique parcelle
obtenue pendant le mariage ou sa contrevaleur en cas de vente (Tribunal de Paix de Kinshasa/ N’djili, R.C.
239
4428 du 16 juillet 2009, inédit) ; il a été jugé que l’unique parcelle obtenue pendant le mariage est une
copropriété des époux et de l’enfant que le mari a eu avant le mariage. Ainsi, elle sera vendue et le prix sera
partagé équitablement entre les trois copropriétaires (Tribunal de Paix de Kinshasa/ N’djili, R.C. 4850 du
22 février 2010, inédit) ; il a été jugé que les parties étant régies par le régime de la communauté des biens
réduite aux acquêts, la parcelle qu’elles possèdent sera partagée à raison de moitié pour chaque conjoint
(Tribunal de Paix de Kinshasa/ Gombe, R.D. 695/ II, du 20 octobre 2006, inédit) ; il a été jugé qu’étant
donné que le demandeur a vendu une parcelle dans la commune de Ngiri- Ngiri sans s’être consulté avec la
défenderesse, il a agi en violation de leur régime choisi. Le tribunal lui laissera le fruit de cette vente mais
donnera à la femme l’autre parcelle sise toujours dans la commune de Ngiri-Ngiri. Quant aux parcelles de
Ngaliema, le tribunal donnera au demandeur la parcelle inachevée et le terrain vide respectivement aux
numéros 15 et 16 de l’avenue Tungisana, tandis que la défenderesse prendra la parcelle située au numéro
17 de la même avenue et la ferme se trouvant dans la commune de la Nsele (Tribunal de Paix de Kinshasa/
Assossa, R.C.D. 1795/II du 29 octobre 2008, inédit). Il est à noter que la ferme se trouve sur une terre
rurale. Il a été jugé que le tribunal ordonnera la division à deux de tous les biens acquis par les époux
pendant la vie commune, y compris la maison où ils habitaient ensemble (Tribunal de Paix de Lubumbashi/
Kamalondo, R.C. 5097/II du 17 avril 2010, inédit) ; il a été jugé que statuant sur le partage des biens, le
tribunal relève que les époux ont déclaré s’être mariés sous le régime de la séparation des biens. Ainsi,
s’appuyant sur leur protocole d’accord et leurs déclarations à l’audience, le tribunal confiera à chaque
époux ses biens soit la parcelle sise avenue Luvemba n° 162, commune de Bandalungwa à la
demanderesse ; les parcelles sises avenue Dianga n°41, quartier 8, commune de N’djili et avenue
Simonambi n° 1800/19, commune de Lemba au défendeur (Tribunal de Paix de Kinshasa/ Lemba, R.C.
9934/IV du 13 mars 2009, inédit) ; il a été jugé que les époux se sont mariés sous le régime de la
communauté des biens réduite aux acquêts. Durant leur mariage, ils ont acquis deux parcelles. Le tribunal
note que de commun accord les époux ont opéré le partage suivant : la parcelle sise Cogelos a été attribuée
à la défenderesse et celle sise Ngamandjo revient au demandeur. (Tribunal de Paix de Kinshasa/ Lemba,
R.C. 10.463/VI du 16 novembre 2009, inédit ) ; il a été jugé que le tribunal note que les époux sont mariés
sous le régime de la communauté réduite aux acquêts. Que la liste des acquêts se présente comme suit :
cinq parcelles dont deux déjà construites et trois terrains non encore bâtis, une ferme, deux boutiques et une
jeep de marque Nissan. Ainsi, ce régime sera liquidé comme suit : la défenderesse aura une parcelle avec
maison et deux terrains vides ainsi que la jeep de marque Nissan. Le demandeur aura une parcelle avec
maison, une parcelle vide et la ferme. Il aura en outre les deux boutiques (Tribunal de Paix de Kinshasa/
Kinkole, R.C. 1317 du 04 mai 2010, inédit) ; il a été jugé que quant aux biens de la communauté
matrimoniale, le tribunal rappelle que les deux époux ont opté pour le régime de la communauté universelle
des biens. Que s’agissant des biens immobiliers, la défenderesse soutient qu’ils ont acquis deux parcelles
dont l’une à Mbudi et l’autre au plateau de Bateke( une ferme). Quant à la parcelle de Mbudi, la
défenderesse n’a pas produit aux débats ni versé au dossier un quelconque titre attestant qu’ils ont acquis
ladite parcelle. Concernant la ferme du plateau de Bateke, le tribunal indique que les deux époux ont
reconnu qu’ils l’ont acquis. Ainsi, étant donné qu’il n’y a aucune contestation quant à la ferme de plateau
de Bateke de 18 hectares, le tribunal accordera neuf hectares à la défenderesse et neuf autres hectares au
demandeur (Tribunal de Paix de Kinshasa/ Matete, R.C. 8054/III du 22 avril 2011, inédit). Il s’agit là
également des terres rurales.
240
Mais à côté de ces décisions judiciaires, il existe quelques unes qui ne prennent
pas toujours en compte les droits fonciers de la femme, en opérant un partage
inéquitable513.
Il ressort de ces deux décisions que le juge n’a pas opéré une répartition équitable.
En effet, il n’a pas voulu accorder à la femme les biens fonciers. Or, ces biens ont
généralement une valeur supérieure par rapport aux biens mobiliers. Il devrait en principe
partager les biens en distinguant les biens mobiliers d’une part et les biens immobiliers
d’autre part.
Nous sommes d’avis que dans ces deux jugements, les tribunaux se sont laissés
entraîner par ‘’le jeu malin’’ des maris, qui pour continuer à jouir de la maison, ont voulu
d’abord obtenir la garde des enfants, et ensuite demander soit que la parcelle leur soit
attribuée, soit que la mutation soit carrément faite au nom des enfants. Dans tous les cas,
513
Il a été jugé que le régime matrimonial des époux étant dissout, le tribunal assure le partage des biens
comme suit : la demanderesse aura la voiture de marque Toyota Corolla, les éléments de la cuisine, deux
lits pour enfants et matelas, un congélateur, un frigo et les services de table. Le défendeur aura la maison
d’habitation, un buffet, les chaises en plastique, une antenne parabolique, un téléviseur, six lits, les
éléments de la salle de bain et les tuyaux d’arrosage (Tribunal de Paix de Lubumbashi/ Kamalondo, R.C.
1379/II du 29 mai 2007, inédit) ; il a été jugé que le tribunal statuant sur les biens communs procède à leur
partage de la manière suivante : au demandeur, le tribunal accorde sept tableaux, un tapis, un abat-jour, un
salon complet en rotin, une télévision philips 21’, une table à quatre places plus quatre chaises, un petit
buffet, le bureau complet, 8 chaises vertes en plastic, un lit, une table basse vitrée, une tablette, 6 chaises
plastics blanches, une table ronde en plastic, un miroir et un terrain en construction. Le tribunal laisse tous
les autres biens à la défenderesse (Tribunal de Paix de Lubumbashi/ Kamalondo, R.C. 1398/IV du 10 juin
2008, inédit).
514
Il a été jugé que de commun accord, les parties se sont entendues que l’unique parcelle obtenue pendant
le mariage soit laissée au mari, étant entendu qu’il aura la garde des enfants (Tribunal de Paix de Kinshasa/
Pont Kasa-vubu, R.C. 6584/I du 27 avril 2010, inédit) ; il a été jugé que le demandeur est bien disposé
d’assurer l’encadrement de ses enfants et qu’il sollicite leur garde. Qu’il y a lieu de faire droit à sa demande
en lui confiant la garde des trois enfants ainsi que le droit d’exercer sur eux l’autorité parentale. En ce qui
concerne le sort des biens, le demandeur qui est copropriétaire de la parcelle sise boulevard Salongo n°
9589 au même titre que la défenderesse, demande qu’elle soit mutée au profit des enfants précités pour leur
assurer un héritage en copropriété. Le tribunal estime qu’il y a lieu d’y faire droit (Tribunal de Paix de
Kinshasa/ Lemba, R.C. 9374/I du 30 octobre 2006, inédit).
241
ces deux jugements entrainent la même conséquence dans le chef des maris quant à la
jouissance des biens immobiliers. En effet, ils continueront à habiter ces maisons comme
auparavant alors que les femmes n’en bénéficieront plus.
Une autre situation est celle dans laquelle se trouve un homme marié légalement
mais qui entretient une ou plusieurs autres femmes qu’il a aussi doté ou pas. Il s’agit là
515
N. Jeanmart, Les effets civils de la vie commune en dehors du mariage, Bruxelles, Maison Ferdinand
Larcier S.A, 1986, p19
242
d’un vieux phénomène connu également à Kinshasa sous le nom de « Bureau ». Sur le
plan juridique, on parlera de la polygamie lorsque la deuxième femme a été dotée sinon
on parlera du concubinage adultère.516 Le professeur Mulumba Katchy dit mieux lorsqu’il
note que la polygamie est une vieille pratique profondément ancrée dans la mentalité des
congolais.517 Sur le plan anthropologique, Camille Kuyu analyse ce phénomène comme
un ensemble de deux ou plusieurs monogamies simultanées. En effet, l’auteur refuse de
qualifier cette situation de polygamie, parce qu’il estime qu’en pareille situation, les
épouses cohabitent, communiquent, voire entretiennent des rapports de complicité. Or, en
cas de « bureaugamie », chaque épouse a sa résidence et mène avec son mari et
éventuellement leurs enfants, une vie de couple normale.518Cette explication est sans
doute valable sur le plan de l’anthropologie juridique. Mais au regard du droit positif, ce
phénomène est qualifié de polygamie et par conséquent interdit.
Ces deux situations qui ont retenu notre attention dans la mesure où elles sont les
plus connues et vécues dans la société congolaise, sont des unions de fait. La différence
entre les deux situations est que dans la première hypothèse aucun de deux partenaires
n’est uni par un mariage antérieur, alors que dans la seconde hypothèse, l’homme est uni
à une femme par un lien de mariage antérieur. Il convient de noter qu’en dehors de ces
deux hypothèses, on peut en trouver d’autres. D’ailleurs à ce sujet, certains sociologues
en distinguent plusieurs variantes. Ils parlent notamment de la cohabitation juvénile,
cohabitation non juvénile, union libre avant tout mariage et union libre après un premier
mariage519. Dans tous les cas, la législation congolaise dans son état actuel n’accorde
aucun effet juridique à ces relations entre partenaires et pourtant, il s’agit là d’une réalité
africaine en général et particulièrement congolaise. En effet, beaucoup des personnes se
retrouvent dans cette situation.
La première situation arrive souvent entre deux jeunes qui entretiennent une
relation amoureuse, à l’issue de laquelle la fille se retrouve enceinte. Si le garçon n’a pas
des moyens pour la doter ou n’est pas prêt à le faire, il pourra néanmoins la prendre pour
516
N. Jeanmart, op. cit, p 27
517
Mulumba Katchy, op. cit, p53
518
C. Kuyu Mwissa, Parenté et famille dans les cultures africaines, Paris, Karthala, 2005, p106
519
L. Roussel, La famille de fait : point de vue d’un sociologue, in La famille de fait, Kortrijk-Bruxelles-
Namur, UGA, 1982, pp 15-35
243
cohabiter. Il arrive qu’ils passent plusieurs années de cohabitation sans que la dot soit
versée. Entretemps, ils vont continuer à faire des enfants et ils peuvent acquérir aussi des
biens fonciers et immobiliers. Quelle que soit la durée d’une telle union, la loi n’accorde
aucun effet juridique à cela. Ainsi, si le couple se sépare, la femme n’a pas la possibilité
de faire valoir ses droits dans le cadre de cette union de fait. Elle ne pourra pas par
exemple réclamer sa part des biens fonciers ou immobiliers dès l’instant où ces biens ont
été enregistrés au nom de l’homme alors qu’elle a parfois réellement contribué pour que
ces biens soient acquis.
De même, lorsque l’homme meurt dans cet état, la femme n’a pas droit à
l’héritage sauf s’il a laissé un testament en sa faveur. En effet, pour que la femme soit
considérée comme héritière, il faut qu’elle soit mariée. Elle n’aura pas non plus l’usufruit
du conjoint survivant au cas où il y aurait des biens fonciers et immobiliers. Mais les
enfants issus de cette union seront reconnus héritiers de l’homme et bénéficieront de tous
les avantages liés à cette qualité.
Concernant la deuxième situation, il arrive qu’un homme marié soit amené pour
une raison quelconque d’entretenir une ou plusieurs autres femmes. De ces relations
peuvent aussi naître des enfants. S’il est vrai que ces relations sont prohibées par la loi, la
réalité est qu’elles sont tolérées dans les milieux urbains, et, dans les milieux ruraux elles
sont pratiquement la règle.
En effet, dans les milieux urbains, plusieurs hommes se retrouvent dans cette
situation au vu et au su de tout le monde sans que cela pose un quelconque problème. Il
est rare que la femme porte plainte contre son mari au motif qu’il a commis l’adultère.
Cette attitude se justifie par le souci de protéger l’union conjugale et surtout de se
prémunir contre la réprobation sociale en général et celle de la famille du mari ou parfois
même celle de la famille de la femme en particulier. La société n’accepte pas qu’une
femme se permette de trainer son mari en justice pour avoir commis l’adultère. La
réputation et l’honneur du mari ne doivent pas être souillés pour un tel acte. Or, selon la
loi, l’adultère ne peut être poursuivi que sur plainte de l’époux offensé520. Le ministère
520
Art 468 du code de la famille
244
public ne peut donc pas se saisir d’office. En outre, l’article 467 du code de la famille ne
sanctionne l’adultère de l’homme que pour autant qu’il soit entouré des circonstances qui
lui impriment un caractère injurieux, alors que cette circonstance n’est pas prévue pour
l’adultère de la femme.
Dans les milieux ruraux, les hommes sont plus polygames que monogames. Cette
situation s’explique notamment par le fait que les femmes constituent une main d’œuvre
redoutable dans ces milieux. Comme l’activité principale est le travail de la terre, il faut
s’assurer de la main d’œuvre. La meilleure manière d’en avoir à moindre frais est la
polygamie. Les femmes aident les hommes à créer de nouvelles plantations. Ainsi, plus
on a des femmes, plus on a la possibilité d’avoir des plantations et par conséquent des
moyens financiers.
Mais sur le plan juridique, cette situation également ne produit pas des effets par
rapport à la femme surtout en milieu urbain. En effet, celle-ci se retrouve dans la même
situation que celle de la première hypothèse, malgré la longévité de cette union.
Cependant, les enfants qui y sont issus, seront des héritiers de l’homme s’ils sont
reconnus de son vivant. Cette situation est inconfortable pour la femme.
Dans les deux hypothèses, la femme peut accéder aux droits fonciers ou
immobiliers de deux manières. Elle peut acquérir entre vif. Elle n’aura pas besoin de
l’autorisation maritale dans la mesure où elle est considérée comme célibataire. Elle peut
également acquérir par donation. Dans ce cas, son partenaire pourra lui faire des dons.
Conformément à la loi, ces biens devront être enregistrés au nom de la femme. Elle ne
peut hériter de son partenaire que si celui-ci a laissé un testament en sa faveur. Cela n’est
245
possible que pour la femme qui est sur les terres urbaines et rurales et non pour celle qui
se retrouve sur les terres des communautés locales.
Dans le souci de protéger les droits de la femme, on peut envisager des solutions
suivantes : pour la première hypothèse, la loi pourra poser en terme de présomption que si
deux individus vivent ensemble pour une longue durée, les biens fonciers et immobiliers
acquis pendant cette union est une copropriété. Cette présomption ne pourra jouer que si
les deux partenaires sont célibataires.
De l’analyse qui précède, on peut noter que les droits fonciers de la femme sur les
terres urbaines et rurales sont variables selon les cas de figure. Si la femme est
célibataire, ses droits sont sans entrave. Elle accède aux droits fonciers au même titre que
l’homme, parce qu’elle conserve toute sa capacité juridique lui permettant de poser
valablement tous les actes juridiques.
En revanche, si la femme est mariée, l’accès aux droits fonciers est tributaire du
régime matrimonial choisi par les époux, mais surtout de la volonté du mari. En effet, s’il
est vrai que tous les régimes matrimoniaux prévus par le code de la famille permettent
l’accès de la femme aux droits fonciers, il faut aussi reconnaître que les uns présentent
plus d’avantages que les autres. Mais l’obstacle majeur pour la femme mariée peut être
l’autorisation maritale qui la réduit au rang des incapables. D’où, avons-nous pensé, qu’il
serait nécessaire de remplacer cette autorisation préalable par le droit d’opposition
postérieur qui sera accordé tant à l’homme qu’à la femme, au cas où l’acte posé par l’un
ou l’autre membre du couple, porterait préjudice au ménage.
Dans le cadre de la succession, la femme peut avoir plusieurs statuts. Elle peut
être veuve, enfant du de cujus, sa mère, sa sœur ou sa tante. Dans tous les cas, le code de
246
la famille a fait de la femme héritière, et ce, en tenant compte du lien qui l’unit avec le de
cujus. Ainsi, la fille du de cujus est héritière de la première catégorie au même titre que
son frère. A ce titre, elle a droit à une part égale de l’hérédité que les autres héritiers de sa
catégorie. En outre, elle peut être instituée liquidatrice de la succession lorsqu’elle est
l’aînée des héritiers ou lorsqu’elle est choisie par ceux-ci.
Quant à la femme vivant dans une union de fait, ses droits ne sont pas garantis.
Cela se justifie par le fait que le législateur ne reconnaît pas une telle relation. Mais étant
une réalité sociale, l’Etat devrait en tenir compte dans le seul objectif de protéger les
droits de la femme.
De tout ce qui précède, il ressort que d’une manière globale, les droits fonciers de
la femme sur les terres urbaines et rurales sont mieux garantis par rapport à ceux de la
femme sur les terres des communautés locales. En effet, le législateur a prévu des
dispositions de nature à protéger les intérêts de la femme, quant à ses droits fonciers et
immobiliers. Mais il faut reconnaitre qu’il y a encore des efforts à fournir pour améliorer
la situation de la femme par rapport à celle de l’homme. Cette situation traduit
l’incohérence de la législation congolaise en la matière qui nécessite son harmonisation.
248
Dans la première partie de notre étude, nous avions relevé que sur les terres
appartenant aux communautés locales régies actuellement par la coutume, la femme fait
l’objet de discrimination quant à ses droits fonciers. En effet, elle ne peut pas être
cheftaine des terres communautaires lorsqu’elle est membre de la communauté
‘’propriétaire.’’ Elle n’a pas droit à l’héritage foncier en tant que héritière. Lorsqu’elle est
veuve, elle n’a pas droit d’hériter de son mari et en cas de divorce, elle ne bénéficie pas
de partage des biens fonciers.
Cette discrimination est justifiée par le fait que d’une part la terre étant une
propriété du clan ou de la famille, seuls les membres de cette communauté peuvent en
être propriétaires. La femme étant étrangère au groupe, elle ne peut donc pas y accéder.
D’autre part, lorsqu’elle est membre du groupe, elle ne peut pas être gestionnaire au motif
qu’elle est appelée à quitter sa famille pour rejoindre celle de son mari.
Ainsi, comme on peut s’en rendre compte, l’homme est privilégié à tout point de
vue par rapport à la femme.
Cependant, sur les terres rurales et urbaines, la situation est bien différente. En
effet, la femme célibataire jouit de mêmes droits que l’homme. Elle accède aux droits
fonciers au même titre que l’homme. Quant à la femme mariée, elle a également le droit
d’accéder aux droits fonciers dans le cadre du régime matrimonial choisi par eux lors de
la célébration ou de l’enregistrement du mariage. Cependant, le code de la famille lui
impose l’obligation d’obtenir l’autorisation de son mari pour poser certains actes dont
elle s’oblige personnellement. Ce qui peut rendre parfois difficile son accès aux droits
fonciers. En cas de veuvage, elle est héritière de la deuxième catégorie au même titre que
les parents de son défunt mari ainsi que ses frères et sœurs. La femme divorcée a droit à
la moitié des biens fonciers obtenus pendant le mariage lorsque le régime matrimonial
choisi au moment du mariage le permet. Enfin, en tant que fille, elle a droit à l’héritage et
elle peut même être liquidatrice de la succession lorsqu’elle est l’aînée des héritiers ou
lorsqu’elle est choisie par eux. La loi ne prend pas en compte la situation de la femme
249
vivant dans une union de fait. Celle-ci est dépourvue de tout droit au motif que sa
situation est illégale dans la mesure où la loi consacre le mariage monogamique et elle
fait du versement de la dot un élément indispensable pour qu’il y ait mariage.
Cette partie est divisée en trois chapitres. Le premier sera axé sur la mise en
exergue des incohérences constatées tant par rapport au droit interne que par rapport au
droit international. Le deuxième propose des solutions tendant à mettre fin de manière
concrète aux incohérences susmentionnées. Le troisième concernera les garanties
d’efficacité de la réforme proposée.
250
Le système juridique congolais contient des incohérences par rapport aux règles
d’accès de la femme à la terre. En effet, d’une part la coutume ainsi que certains textes
légaux consacrent les inégalités entre l’homme et la femme mais aussi entre la femme
vivant en ville et celle vivant dans la campagne. D’autre part, la Constitution ainsi que les
conventions internationales ratifiées par la République Démocratique du Congo en
matière des droits de l’homme prohibent ces inégalités.
L’article 12 va dans le même sens lorsqu’il énonce que tous les Congolais sont
égaux devant la loi et ont droit à une égale protection des lois. Cette disposition ne fait
521
Ces deux principes sont consacrés par les dispositions des articles 11 à 14 de la Constitution en vigueur
en République Démocratique du Congo.
251
pas également des distinctions de sexe entre les Congolais, encore moins en ce qui
concerne leur lieu de résidence. Ainsi, qu’on soit dans les milieux urbains ou ruraux, en
principe on doit bénéficier de mêmes droits et on doit être protégé de la même manière
par les lois de la République.
Sur le plan juridique, il est admis que la Constitution est la loi suprême d’un Etat.
Dans la hiérarchie des sources du droit, elle vient en première position. Dès lors, les
autres sources doivent se conformer aux dispositions constitutionnelles pour leur validité.
Ainsi, dans le cas qui nous occupe, les lois ainsi que les coutumes doivent être conformes
à ces dispositions constitutionnelles pour leur applicabilité. S’agissant particulièrement de
la coutume, la Constitution prévoit que les cours et tribunaux ne l’appliquent que pour
autant qu’elle ne soit pas contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Normalement,
toute disposition qui va à l’encontre de ces principes devrait être inapplicable ou devrait
être modifiée dans le sens de sa conformité à la Constitution.
C’est dans ce sens que nous pensons que les dispositions légales ou coutumières
qui discriminent la femme se trouvant sur les terres des communautés locales ou sur les
terres urbaines et rurales devront être soit inapplicables soit être modifiées au diapason de
252
Les textes contraignants ont pour conséquence de créer une obligation juridique
dans le chef de tous les Etats concernés. Une telle obligation se matérialise notamment
par le respect des prescriptions internationales contenues dans le traité ou la convention
internationale par les Etats signataires notamment par leur insertion dans la législation
253
interne de ces Etats. Tel est le cas de plusieurs conventions internationales en matière de
droits de l’homme dont la République Démocratique du Congo a ratifié. Seules, ces
conventions retiendront notre attention dans le cadre de ce travail.
« Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés
dans la présente déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de
sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine
nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.522»
« Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection
de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la
présente déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination. 523»
522
Art 2 al1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme
523
Art 7 de la Déclaration universelle des droits de l’homme
254
Sur le plan africain, nous pouvons retenir essentiellement deux textes qui
contiennent des dispositions de nature à obliger la République Démocratique du Congo à
élaguer des dispositions discriminatoires à l’égard de la femme dans son arsenal
juridique. Il s’agit de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ainsi que le
Protocole sur les droits des femmes en Afrique.
La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples a été adoptée à Nairobi,
au Kenya, en date du 26 juin 1981. Elle a été publiée au Journal Officiel de la République
du Zaïre en juin 1987.
Ce texte qui a repris l’essentiel des droits prévus par la Déclaration universelle
des droits de l’homme, présente quelques spécificités liées au continent africain
notamment en incluant les droits des peuples.
L’article 1er de la Charte souligne son caractère contraignant à l’égard des Etats
parties, lorsqu’elle prévoit que ceux-ci reconnaissent les droits, devoirs et libertés
énoncés dans cette charte et s’engagent à adopter des mesures législatives ou autres pour
les appliquer.
La jouissance des droits et libertés reconnus par la Charte est garantie à toute
personne sans distinction liée notamment à la race, à l’ethnie, à la couleur, au sexe, à la
langue, à la religion, à l’opinion politique ou à toute autre opinion, d’origine nationale ou
sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.524
524
Art 2 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
255
protection des droits de la femme et de l’enfant tels que stipulés dans les déclarations et
conventions internationales.
De ce qui précède, il ressort que la République Démocratique du Congo, en
ratifiant cette Charte et en la publiant au Journal Officiel, est tenu de la respecter en
édictant des lois qui tendent à interdire toute discrimination à l’égard de la femme y
compris en matière d’accès à la terre.
Le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux
droits des femmes a été adopté le 11 juillet 2003 par la Conférence des Chefs d’Etat et de
Gouvernement de l’Union Africaine. Ce Protocole a pour but de compléter la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples en ce qui concerne spécifiquement les
droits des femmes africaines. Parmi les raisons qui ont motivé l’adoption de ce texte, le
préambule mentionne le fait que malgré la ratification par la majorité des Etats parties à
la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ainsi que de tous les autres
instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, et l’engagement solennel pris
par ces Etats d’éliminer toutes les formes de discrimination et de pratiques néfastes à
l’égard des femmes, la femme en Afrique continue d’être l’objet de discrimination et de
pratiques néfastes.
525525
Le Protocole définit la discrimination à l’égard des femmes comme toute distinction, exclusion,
restriction ou tout traitement différencié fondé sur le sexe, et qui a pour but ou pour effet de compromettre
ou d’interdire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quelle que soit leur situation
matrimoniale, des droits humains et des libertés fondamentales dans tous les domaines de la vie.
256
De ce qui précède, il ressort que le Protocole a prévu des droits à l’égard de toutes
les femmes africaines sans distinction. Ainsi, il concerne aussi bien les femmes rurales
qu’urbaines. L’élimination de la discrimination concerne aussi bien celle prévue par les
lois que les coutumes. Cet instrument juridique constitue une avancée significative
concernant les droits de la femme. De ce fait, il est une base solide pouvant asseoir les
droits des femmes à l’accès à la terre dans la mesure où il prône l’élimination de toute
discrimination en matière de succession et d’héritage, la suppression de l’autorisation
257
Sur le plan interne, on reproche à ce texte notamment le fait d’avoir mis en avant
plan les droits de la femme sans prévoir ses devoirs, prévu le droit à l’avortement au
profit de la femme, défini le mariage comme un partenariat et non comme une union,
valorisé des relations polygamiques et affirmé le droit à la santé et au contrôle des
fonctions de reproduction par toute femme528 y compris la fille et la femme mariée.
Sur le plan externe, il est reproché au Protocole de contenir des dispositions qui
énervent la Constitution de la République ainsi que le code de la famille529.
526
Jusqu’au 10 mai 2008, seuls 21 pays l’avaient ratifié. Source : www.africa-union.org.
527
R. Kienge-Kienge Intudi, Le protocole à la charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif
aux droits de la femme en Afrique : quelques considérations juridiques pour un débat de société, in Annales
de la faculté de droit, Kinshasa P.U.K, 2007, p45
528
Il convient de noter que le code de la famille congolais consacre le mariage monogamique et
l’avortement constitue une infraction au regard du code pénal.
529
ibidem
258
Cette Convention qui vise à garantir à la femme tous les droits fondamentaux de
l’homme prévoit des dispositions de nature à éliminer les mesures discriminatoires à
l’égard de la femme. Elle a été ratifiée par la République Démocratique du Congo en date
du 17 octobre 1986.
D’une façon générale, les Etats parties à cette convention condamnent toute
discrimination à l’égard de la femme et s’engagent à mener les actions ci-après :
530
Art 1er de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
259
Dans le même ordre d’idées, les Etats se sont également engagés pour prendre des
mesures appropriées afin de modifier les schémas et modèles de comportement socio-
culturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des
pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou
de la supériorité de l’un ou de l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des
femmes.532
531
Art 2 de la même convention
532
Art 5 point a) de la convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des
femmes.
533
Art 14 point 2. g de la convention précitée.
260
Ils s’engagent à prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer toute
discrimination à l’égard de la femme fondée sur le mariage ainsi que dans les rapports
familiaux. Ils assurent sur la base de l’égalité entre l’homme et la femme notamment les
mêmes droits à chacun des époux en matière de propriété, d’acquisition, de gestion,
d’administration, de jouissance et de disposition des biens, tant à titre gratuit qu’à titre
onéreux.534
534
Art 16 point h) de la convention susvisée.
535
Art 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
536
Art 23 alinéa 4 du même texte
261
537
Art 3 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
262
538
Union africaine, Banque africaine de développement et Commission économique pour l’Afrique, op.cit,
p17.
263
code pénal. Mais la révision de tous ces textes peut se réaliser dans une loi unique qu’on
pourrait appeler’’ Loi anti-discrimination.’’
La loi foncière, tout en domanialisant les terres occupées par les communautés
locales, a prévu que ces terres restent régies par la coutume en attendant qu’une
ordonnance du Président de la République intervienne pour régler les droits de jouissance
de ces communautés sur ces terres. Force est de constater que depuis 1973, cette
ordonnance n’a jamais été prise. Pendant ce temps, c’est le droit coutumier qui s’applique
sur ces terres et la femme fait l’objet de discrimination ainsi que d’inégalité qui en
résulte, comme nous l’avons du reste, souligné dans la première partie de cette étude.
Ainsi, nous proposons deux solutions qui sont alternatives.
communautés locales d’avoir les mêmes droits que celles qui sont sur les terres rurales et
sur les terres urbaines.
Une telle disposition aura pour conséquence de mettre fin au règne sans partage
de la coutume dans ce domaine. En effet, la coutume restera le droit applicable dans ce
domaine mais on va prévoir des dispositions légales mettant fin à la discrimination dont
la femme est l’objet quant à ses droits fonciers. Enfin, elle aura l’avantage de consacrer
aussi l’égalité entre les enfants quel que soit leur sexe.
Ainsi, on pourra ajouter l’article 389 bis qui sera libellé comme suit :
« Les droits de jouissance régulièrement acquis sur les terres occupées par les
communautés locales sont régies par la coutume sauf les restrictions ci-après :
La deuxième possibilité est celle qui consiste à renvoyer le règlement des droits
de jouissance des communautés locales aux parlements provinciaux. En effet, la
constitution du 18 février 2006 prévoit que les droits civils et coutumiers ainsi que les
droits fonciers sont des matières qui relèvent de la compétence concurrente du pouvoir
265
Ces modifications de la loi foncière devront avoir des répercussions sur le code de
la famille.
porte sur les terres appartenant aux communautés locales. Cela va entraîner comme
conséquence que les filles pourront aussi hériter de la même manière que les garçons.
Une telle disposition aura l’avantage de mettre fin au régime discriminatoire fondé sur le
sexe actuellement en vigueur concernant la succession foncière sur les terres des
communautés locales. Elle va donc établir l’égalité entre les enfants sans distinction de
sexe.
S’agissant de l’autorisation maritale, comme nous l’avons dit précédemment, elle
devrait être élaguée dans le texte pour assurer l’égalité de l’homme et de la femme. Cette
dernière n’aura plus l’obligation de solliciter l’autorisation de son mari pour acquérir une
portion de terre ou pour poser n’importe quel acte juridique dans lequel elle s’oblige
personnellement. Mais on peut envisager la possibilité pour chacun des époux de
s’opposer aux actes posés par l’autre époux, lorsqu’ils sont de nature à mettre en péril la
réputation ou l’honneur du ménage ou son patrimoine. Ainsi, la capacité juridique de la
femme mariée sera rétablie.
celle-ci retourne dans sa famille main bredouille après avoir mis en valeur des terres
appartenant à son mari.
La situation de la femme vivant dans une union de fait devra aussi faire l’objet
d’une attention particulière. En effet, comme nous l’avons déjà souligné, les unions de
fait sont une réalité dans notre pays et elles revêtent plusieurs formes. Dans tous les cas,
elles ne favorisent pas la femme. La femme s’y retrouve généralement par contrainte
coutumière, économique ou social. La société observe une attitude contradictoire à
l’égard de cette situation. Traditionnellement, les unions de fait sont vécues comme une
situation normale, surtout lorsqu’elle prend la forme de polygamie ou lorsqu’il arrive que
les parents acceptent de céder leur fille à un homme sans que celui-ci soit obligé de verser
à l’immédiat la dot. Mais les institutions étatiques ne tirent pas les conséquences d’une
telle situation. On refuse à la femme tous les droits qu’elle peut tirer de cet état alors
qu’on reconnait aux enfants, qui sont les conséquences de cette situation, des droits vis-à-
vis de leur géniteur. Ainsi, pensons-nous que le législateur devra accorder à la femme liée
dans une telle union pendant une longue durée, certains droits dont celui d’hériter de son
partenaire. Cette situation se justifie par le fait que dans nos mœurs, il appartient au mari
de prendre l’initiative de verser la dot. La femme assiste passivement l’homme. Si celui-
ci refuse de poser cet acte, il ne faut pas que la femme en subisse les effets négatifs. On
devra donc prévoir une disposition dans le chapitre consacré aux effets du mariage,
disposant que l’union de fait produit les mêmes effets que le mariage lorsque les
partenaires vivent ensemble depuis une certaine durée.
- ‘’Le mariage ne porte pas atteinte à la capacité juridique des époux. chacun
des époux peut donner à l’autre mandat de le représenter. Toutefois, chaque
époux a le droit de s’opposer aux actes posés par son conjoint, s’ils sont de
nature à porter atteinte aux intérêts du ménage’’.(Art 448)
- ‘’ Le conjoint survivant a l’usufruit de la maison habitée par les époux et des
meubles meublants.
268
‘’ Sera puni d’une peine d’emprisonnement allant de ….. à……ans et une amende
de…….FC ou d’une de ces peines seulement, toute personne qui aura porté entrave à
l’accès de la femme aux droits fonciers tels que prévus par la législation en vigueur en
adoptant un comportement discriminatoire fondé sur le sexe.’’
269
Une telle disposition peut être insérée au titre VII du livre 2 du code pénal
consacré aux atteintes aux droits garantis aux particuliers en y ajoutant une troisième
section sur les droits garantis aux femmes.
Dans le but de s’assurer d’une bonne application de cette réforme, il est important
de réviser également le code de l’organisation et de la compétence judiciaires. En effet,
l’article 110 de ce texte donne compétence au tribunal de paix pour connaître des litiges
ayant trait au conflit foncier coutumier. Il convient de noter que ces tribunaux ont été
institués notamment pour rapprocher la justice des justiciables. Ainsi, l’installation de ces
tribunaux devrait s’étendre sur toute l’étendue du territoire de la République.
Aujourd’hui, force est de constater que depuis 1978, ces tribunaux n’ont jamais été
installés partout à travers la République. Là où ils sont installés, la population a parfois
du mal à y accéder à cause notamment de la distance qui sépare le siège du tribunal du
lieu de résidence des justiciables, mais aussi à cause de la méfiance que manifestent les
justiciables par rapport aux décisions rendues par ces juridictions. Le droit qui est dit par
ces tribunaux ne rencontre toujours pas l’assentiment de la population, surtout dans le
milieu rural. A cela s’ajoute également le manque des moyens tant humains que
matériels. Dans une étude consacrée à la ‘’justice de proximité’’ dans le Bas-Congo,
l’Organisation Non Gouvernementale RCN justice et démocratie constate que la réforme
judiciaire qui a consisté au remplacement des tribunaux coutumiers par les tribunaux de
paix a abouti au résultat inattendu selon lequel, plutôt que de rapprocher la justice des
justiciables, l’installation des tribunaux de paix a au contraire contribué à les éloigner et à
marginaliser la pratique coutumière sur laquelle plus aucun contrôle n’est exercé539.
Tenant compte de ce qui précède, il y a lieu de préconiser que les conflits fonciers
relatifs aux droits de la femme soient confiés dans un premier temps à une structure
locale composée des notables du lieu.540 Ces notables seront responsabilisés pour
appliquer la loi et non la coutume. Comme ils jouissent d’une certaine notoriété dans le
539
RCN Justice et Démocratie, La justice de proximité au Bas-Congo( ville de Matadi et district des
cataractes), août 2009, p73
540
R. Mulendevu Mukokobya, op. cit, p208
270
milieu, ils auront la facilité de faire appliquer les dispositions légales en faisant
comprendre aux membres de la communauté l’importance d’une telle évolution. Le
message passera mieux si les notables du lieu sont des porte-paroles des autorités
politiques. S’ils sont marginalisés, ils sont capables de se constituer en obstacle pour la
réussite d’une telle entreprise. Le recours à ces personnes est courant dans les milieux
coutumiers en dépit de l’existence des tribunaux de paix. L’Organisation Non
Gouvernement RCN justice et démocratie le constate dans deux études : l’une consacrée
aux conflits fonciers en Ituri et l’autre sur la justice de proximité dans la province du Bas-
Congo. Ces deux études révèlent que la population fait recours au service des
personnalités coutumières locales appelées ‘’sages’’ ou ‘’anciens’’ pour la résolution des
conflits coutumiers. Compte tenu de la notoriété et de la légitimité dont elles sont
revêtues, la décision prise par leur assemblée s’impose aux parties. Le fait pour une des
parties de vouloir s’écarter de cette décision est ressenti comme un opprobre par
l’ensemble de la communauté et entraîne pour le contrevenant une certaine
marginalisation.541
Dans le même ordre d’idées, Michel Bachelet, dans son ouvrage consacré aux
systèmes fonciers et réformes agraires en Afrique noire, note que la plupart des litiges
fonciers sont encore réglés selon les normes juridiques coutumières propres à la situation
de ces différends qui encombrent les prétoires des chefs traditionnels.
541
RCN Justice et Démocratie, les conflits fonciers en Ituri : de l’imposition à la consolidation de la paix,
septembre 2009, p 52. La justice de proximité au Bas-Congo (ville de Matadi et district des Cataractes),
août 2009, p 72. Ces études sont publiées sur le site de cette organisation non gouvernementale de droit
belge.
542
M. Bachelet, Systèmes fonciers et réformes agraires en Afrique noire, Paris, Librairie générale de droit
et de jurisprudence, 1968, p306-307
271
543
I. Utshudi Ona, La décentralisation en RDC : opportunité pour une gestion foncière décentralisée, in
L’Afrique des grands lacs. Annuaire 2008-2009, pp 309-317
272
Toutefois, aucun litige portant sur les conflits fonciers collectifs ou individuels
coutumiers ne sera reçu par cette juridiction s’il n’a fait l’objet d’une conciliation
préalable devant un organe de conciliation dont l’organisation et le fonctionnement est
régi par un arrêté du ministre ayant la justice dans ses attributions.’’
Dans la phase d’élaboration de cette réforme, il est bon d’adopter une approche
participative. Celle-ci consiste à faire participer la population à qui la réforme est destinée
à son élaboration. Pour ce faire, on pourra associer l’échantillon représentatif des
communautés rurales, constitué de leurs leaders d’opinion. Nous pensons
particulièrement aux chefs coutumiers et aux différents ‘’notables’’ et ‘’anciens’’ de ces
milieux ayant une certaine légitimité et notoriété. Une telle approche a l’avantage de
donner l’impression que la loi n’a pas été imposée par les autorités centrales ou
provinciales. Ainsi, comme les représentants des communautés se sentiront valorisés, ils
seront disposés d’expliquer le bien fondé d’une telle réforme au niveau de la base et aussi
d’appliquer ces dispositions. C’est dans le même sens que pense Mugangu Matabaro
lorsqu’il note que pour éviter que la réforme puisse produire l’effet d’un greffon sur un
corps étranger, il faut négocier et faire accepter aux communautés locales le choix du
dispositif et les modalités de gestion foncière, la répartition des responsabilités, la
localisation des instances de gestion et les procédures de reconnaissance ou
d’établissement des droits.544
Mais nous ne perdons pas de vue que la situation de la femme ne changera pas
nécessairement par le simple fait que le législateur a modifié certains textes juridiques.
Nous savons que par nature l’homme est réfractaire au changement et nous connaissons
particulièrement l’influence de la tradition dans la vie quotidienne des africains en
général et des ruraux en particulier. Cette dernière pèse tellement que le changement n’est
pas facile à opérer. Cela se justifie aussi par le fait que le cadre de vie n’est pas le même.
En effet, les ruraux ont des contraintes que les citadins ne connaissent pas. Pour parvenir
à la réforme souhaitée, il faut prévoir des mesures d’accompagnement qui auront une
influence certaine sur l’amélioration de la vie des communautés locales. En ce qui nous
concerne, nous pensons aux diverses mesures à caractère tant social qu’économique de
nature à aboutir à la transformation sociale du monde rural où se situe les terres des
communautés locales.
S. Mugangu Matabaro, La crise foncière à l’Est de la RDC, in L’Afrique des grands lacs, annuaire
544
2007-2008,p 410
274
Comme nous l’avions déjà affirmé, la simple promulgation d’un texte de loi n’est
pas suffisante pour faire changer la situation de la femme. Ainsi, pour donner la chance
de réussite à la réforme proposée, les mesures d’accompagnement sont nécessaires. En
effet, Plusieurs secteurs de la vie doivent bouger pour que l’accès de la femme aux droits
fonciers puisse connaître une certaine amélioration. Mais avant de discuter des mesures
que nous préconisons, il est nécessaire d’exposer des arguments qui militent en leur
faveur. Ainsi, ce chapitre est subdivisé en trois sections. La première section donne la
raison d’être de ces mesures, la deuxième s’intéresse aux mesures sociales, la troisième
aux mesures économiques.
Or, dans le milieu urbain, la situation de la femme mariée ainsi que de celle vivant
dans une union de fait peut s’améliorer facilement par le fait de la loi, et cela, pour la
simple raison que le milieu urbain est préparé à accepter assez facilement le changement
par rapport au milieu rural. En effet, le caractère cosmopolite de la ville fait qu’elle est
ouvert aux échanges de cultures. En outre, la présence quasi-permanente de l’Etat fait que
la loi qui touche aux statuts personnels ainsi qu’aux biens a beaucoup de chance de
réussir. Enfin, en ville le pourcentage des personnes qui savent lire et écrire est beaucoup
plus élevé que dans la campagne. Ces personnes instruites sont aptes à appréhender le
bien fondé d’une réforme dans un secteur comme celui qui nous préoccupe. L’instruction
est l’un des éléments majeurs qui contribue aussi à la réception ou non d’un texte dans un
environnement donné.
Concernant le droit foncier, celui-ci est soumis depuis des générations à des règles
traditionnelles. Le législateur le transforme dans le but d’améliorer la production agricole
et de remédier à des inégalités sociales flagrantes. Mais les règles nouvelles posées se
heurtent le plus souvent à une très forte résistance de la tradition. Cela se justifie par le
fait qu’en droit foncier africain, la terre est sacrée et que les droits sur elle sont de nature
religieuse. Les droits originels viennent des divinités et des ancêtres. Sur cette base, toute
545
R. Granger, La tradition en tant que limite aux réformes de droit, in Revue internationale de droit
comparé, n° 1, 1979, p 82
546
R. Granger, op. cit, p79
276
Ainsi, pour faire face à cette situation difficile, ils sont obligés de vivre en groupe
pour se soutenir mutuellement. Voilà pourquoi, comme nous l’avons mentionné
précédemment que la famille étendue a beaucoup d’importance que la famille nucléaire.
En outre, les personnes vivant sur les terres des communautés locales se trouvent
défavorisées tant sur le plan de la formation que sur le plan des infrastructures
économiques. A ce sujet, dans un document de stratégie sectorielle de l’agriculture et du
développement rural en République Démocratique du Congo, les ministères de
l’agriculture et du développement rural ont fait le diagnostic du monde rural en ces
termes :
549
Ministère de l’agriculture et Ministère du développement rural, Stratégie sectorielle de l’agriculture et
du développement rural, mars 2010, p 16
550
C. Ntampaka, L’évolution des droits de la femme au Rwanda, in Penant, n° 796, janvier à mai 1988, p
74
278
que beaucoup des villes congolaises ont été à l’origine des villages. Les terres ont
appartenu aux communautés locales, régies par les mêmes principes que les terres
coutumières actuelles. La transformation des espaces vitaux a entraîné progressivement
l’émergence du droit écrit national au détriment de la coutume avec comme conséquence
la disparition progressive des inégalités et de la discrimination. Nous pensons que cette
approche peut servir de modèle pour transformer les communautés locales actuelles.
Autrement, comme l’affirme le professeur Granger, la réforme proposée risque d’être une
page du journal officiel si les conditions matérielles, en personnel, en éducation ne sont
pas disponibles et si le pouvoir ne peut ou ne veut soumettre les pouvoirs opposés à la
réforme551.
Après avoir réalisé la réforme sur le plan juridique et judiciaire, il est nécessaire
de prendre des mesures sociales capables d’accompagner la réforme entreprise. Les
indicateurs sociaux dans l’ensemble du pays sont dramatiques. Ils sont encore pires dans
les zones rurales où le taux de mortalité infantile est estimé à 60 pour cent plus élevé dans
les campagnes que dans les villes, l’espérance de vie de dix ans inférieure, la malnutrition
de 35 pour cent supérieure.552 Dans sa note de politique agricole, le gouvernement de la
République Démocratique du Congo à travers le ministère de l’agriculture, pêche et
élevage note que l’incidence de la pauvreté est estimée dans l’ensemble du territoire
national à 70,85%. Elle est singulièrement prononcée dans les zones rurales où vivent
plus de 80% de la population avec moins d’un dollar par jour. 553 Bref, d’une manière
générale, la pauvreté est absolue dans le monde rural. Nous partons de l’idée selon
laquelle, la terre est l’unique ressource vitale pour les communautés locales et le monde
rural étant caractérisé par une extrême pauvreté et un degré élevé d’analphabètes, il faut
que cette situation change pour que le droit proposé ait la chance d’être appliqué. Parmi
les mesures sociales capables de faire face à cette situation, nous retenons la formation,
les infrastructures sociales de base et l’engagement de la femme.
551
R.Granger, op. cit, p80
552
FAO, Rapport sur l’agriculture et le développement rural en RDC, 2005, p 5
553
Ministère de l’agriculture, pêche et élevage, Note de politique agricole, avril 2009, p 1
279
§1. La formation
Ainsi, plus les gens sont formés, plus ils auront la possibilité de trouver les
moyens nouveaux de survie et cela leur permettra de se détacher de la terre. Ce qui
permettra à la femme d’y accéder sans trop des difficultés.
Mais la formation joue encore un rôle important dans la prise de conscience d’une
situation donnée. Dans le cas qui nous concerne, celui de la femme rurale, la formation va
l’aider à comprendre la situation dans laquelle elle se trouve. Elle lui donnera les armes
pour s’en sortir. Souvent, à la fin d’une formation, les bénéficiaires mettent sur pied une
structure dans le but de pérenniser les acquis de la formation. S’il s’agit d’une formation
des femmes portant sur leurs droits par exemple, elles pourront se constituer en
association pour la défense de leurs droits. Aujourd’hui, beaucoup des femmes rurales ne
savent ni lire ni écrire. Elles ne sont pas capables de connaître les droits que les lois
280
nationales leur offrent. De ce fait, elles sont incapables de les défendre. Il est donc
nécessaire de mener une politique tendant à encourager la formation des femmes dans ces
milieux. Il faut également assurer la formation des hommes pour leur permettre de
comprendre que la femme a un rôle à jouer dans le développement de leur milieu. Par
conséquent, il est nécessaire de lui reconnaître ses droits pour lui permettre de remplir
pleinement le rôle attendu d’elle. A côté d’une formation classique dédiée à la jeunesse,
on peut encourager la formation des adultes. Cette dernière peut consister à
l’apprentissage de l’écriture et de la lecture en langue locale. Cela permettra aux
bénéficiaires de suivre des formations spécifiques en rapport avec leur situation. Ainsi
par exemple, elles pourront suivre une formation sur les droits de l’homme en général et
ceux de la femme en particulier, sur les techniques agricoles ou sur les nouvelles
technologies de l’information et de la communication, et cela, dans le but de transformer
le milieu social dans lequel elles vivent. Ce travail est souvent fait par des organisations
non gouvernementales locales. Mais le résultat n’est pas palpable par manque de
coordination ainsi que des moyens tant matériels que financiers conséquents. En effet, ces
structures sont très dépendantes de financement extérieur. Souvent, la fin du financement
signifie la cessation des activités. En outre, la formation assurée dans ce contexte, n’est
pas généralement continue. Il est souhaitable que des structures appropriées soient mises
en place afin de parvenir à des résultats probants. Cela peut se faire à l’initiative des
organisations villageoises mais avec l’appui de l’Etat.
S’agissant particulièrement des droits fonciers de la femme sur les terres des
communautés locales, malgré la réforme proposée, si la femme n’est pas en mesure de
mener les actions de sensibilisation tendant à revendiquer ses droits, les résultats
escomptés tarderont. Mais à l’état actuel des choses, pour que la femme soit à même de
mener ces actions, il faut qu’elle soit préparée. Cette préparation passe inévitable par la
formation. C’est à l’issue de celle-ci qu’elles pourront se constituer en association ou en
groupe de pression dans le but d’obtenir le changement souhaité concernant leurs droits.
Dans un rapport sur l’éducation pour les populations rurales en Afrique, les
ministres africains du secteur soulignent la relation existant entre la formation et le
développement dans le monde rural. On peut notamment lire dans ce rapport ce qui suit :
281
« La majorité des habitants de notre planète vit en milieu rural. Par rapport à
d’autres régions, l’Afrique subsaharienne affiche une proportion supérieure des ruraux
lesquels sont, qui plus est, plus pauvres qu’ailleurs. L’incidence de la sous-alimentation
de l’illettrisme, en particulier dans les zones rurales, est importante dans l’ensemble de la
région d’Afrique subsaharienne. Les filles des zones rurales sont particulièrement
défavorisées. Si la faim, la malnutrition et l’insécurité alimentaire ruinent les aptitudes
cognitives, l’absence d’éducation provoque quant à elle une baisse des capacités
productives et attise, ce faisant, la pauvreté. 554»
554
ADEA et FAO, L’éducation pour les populations rurales en Afrique, septembre 2005, p 15
555
Ministère du Plan, Document de stratégie de la réduction de la pauvreté (version intérimaire), 2004, p16
556
ibidem
282
Ce contact permet aux uns et aux autres d’être au courant de ce qui passe à travers
le monde. Ainsi les différents changements qui s’opèrent dans un lieu sont suivis par tout
le monde et peuvent inspirer certaines personnes ou certains groupes ayant les mêmes
préoccupations d’emboiter les pas.
« Les systèmes de solidarité traditionnels ont été affaiblis et les réseaux sociaux
qui sont clés à la relance économique ont été sérieusement perturbés. De plus, la
dégradation des infrastructures rurales (notamment pour l’eau) se traduit par une
détérioration très nette de l’état de santé des populations, ce qui, au-delà des
conséquences individuelles souvent tragiques, constitue aussi un obstacle à la reprise de
la production et à la relance du secteur. Enfin, le développement d’activités non agricoles
283
génératrices de revenu en milieu rural reste handicapé par l’absence de marché local (du
fait de la grande pauvreté qui règne dans les campagnes) et de possibilités de transport
(du fait de l’état des voies de communication). »557
Actuellement la femme rurale se trouve dans une situation sociale difficile et elle
travaille sans relâche au point de ne pas avoir le temps de réfléchir sur sa condition
existentielle, et ce, par manque d’infrastructures sociales de base.
Dans ce milieu, la population manque de tout. Les routes sont inexistantes, sinon
dans un état de délabrement très avancé, pas d’hôpitaux ni d’écoles dignes pour la
jeunesse. L’énergie électrique est inexistante, il en est de même pour l’eau de
consommation courante. Et pourtant, la Constitution en vigueur au pays prévoit une
panoplie des droits sociaux en faveur de toute la population. C’est le cas du droit à la
santé et à la sécurité alimentaire, le droit au logement décent, le droit d’accès à l’eau et à
l’énergie électrique.558
557
www. Beltrade-congo.be, Agriculture et développement rural en République Démocratique du Congo,
p7
558
Ces droits sont garantis par les articles 47 et 48 de la Constitution.
284
Cette situation est attribuée notamment à la faible affectation et non exécution des
fonds de réhabilitation et d’entretien au niveau du budget de l’Etat, 559 faible capacité de
mobilisation des ressources au niveau des collectivités locales et communautés de bases,
non implication des bénéficiaires dans la conception, la gestion et l’entretien des
infrastructures, et faible organisation des communautés de base pour la prise en charge
des infrastructures relevant de leurs terroirs.560
559
Il convient de noter que selon le même rapport l’allocation budgétaire nationale destinée à ce secteur se
situe autour de plus ou moins 2% l’an.
560
Ministère de l’agriculture et Ministère du développement rural, stratégie sectorielle de l’agriculture et du
développement rural, mars 2010, p 18
561
Ministère du Plan, op cit, p15
285
Il appartient donc à l’Etat de mettre en place une politique tendant à créer les
infrastructures sociales de base. Celles-ci constituent un facteur de développement de la
société et du bien être communautaire et particulièrement de la femme. Mais si la femme
veut que sa situation change, elle doit se battre elle-même en s’engageant dans la lutte.
L’histoire nous renseigne qu’il faut se battre pour faire changer une situation.
Ainsi, Pour que les inégalités ou la discrimination en matière d’accès à la terre à
l’encontre de la femme cessent, il est nécessaire que celle-ci s’engage à conquérir ses
droits. Si elle reste passive, sa situation ne changera pas ou elle changera à un rythme
lent. Dans les mœurs africaines en général et congolaises en particulier, il n’appartient
pas à l’homme de prendre l’initiative pour accorder à la femme des droits sans que celle-
ci en exprime le désir.
D’ailleurs, cette attitude n’est pas typiquement africaine encore moins congolaise.
En effet, à travers l’histoire, on observe que les femmes ont combattu, parfois au prix de
562
République Démocratique du Congo, note thématique : énergie/ électricité, in Revue du DSCRP, 8 et 9
mars 2010, p1-2
286
leur vie pour arracher leurs droits. C’est dans ce sens que Margaret Fueller citée par A.
Michel avait au 19ème siècle affirmé que la libération des femmes ne peut se faire que par
les femmes elles-mêmes.563
Parcourant l’histoire du féminisme, Andrée Michel note qu’à travers les 19ème et
20ème siècles, les femmes se sont organisées pour que leurs droits soient reconnus. Il en
est ainsi notamment du droit au travail où en 1843, Flora Tristan dans un ouvrage intitulé
‘’L’Union ouvrière’’ traçait son programme en matière de lutte pour le droit de la femme
au travail en ces termes :
En Afrique du Sud, note G. Corradi, les femmes vivant sur les terres familiales
résistent à leur expulsion par leurs parents masculins en s’appuyant sur leur droit
d’aînesse ou leur droit d’appartenir à la famille ou au clan.565
Il ressort de ce qui précède que le droit ne s’octroie pas mais il s’acquiert. Ainsi,
les femmes devront se constituer en association pour combattre les inégalités et les
discriminations dont elles sont victimes. Ces organisations ne doivent pas seulement être
civiles. Elles devront aussi être à caractère politique. En effet, il faudra que les femmes se
563
A. Michel, Le féminisme, Collection Que sais-je ?, Paris, PUF,2001, p71
564
A. Michel, op. cit, p 61
565
G. Corradi, Advancing Human Rights in Legally Plural Africa : The Role of Development Actors in the
Justice Sector, Thèse de doctorat, Universiteit Gent, 2012-2013, p 48
287
battent pour accéder en grand nombre à la sphère de décision politique pour essayer
d’influencer les choses et espérer obtenir gain de cause dans la lutte.
Il appartient donc aux femmes de se battre pour que les mécanismes prévus par la
Constitution soient réellement appliqués. A l’heure actuelle, on est loin de mettre en
application le principe de la parité homme-femme. La représentation féminine au sein des
institutions étatiques reste encore faible. Cependant, les associations féminines sont assez
nombreuses mais leur impact sur le terrain de la lutte pour l’accès à la terre se fait encore
attendre.
Les mesures à caractère économique devront aussi être prises par l’Etat dans le
but de transformer particulièrement le monde rural afin qu’elles influent sur la situation
de la femme, en ce qui concerne surtout ses droits fonciers. Nous avons précédemment
affirmé que la discrimination fondée sur le sexe en matière d’accès à la terre est due
notamment par le fait que la terre est une ressource vitale pour les communautés rurales
en dehors de laquelle la vie est difficile. En effet, la République Démocratique du Congo
est un pays à vocation agricole dans la mesure où près de 70% de sa population vit en
milieu rural et dépend essentiellement de l’activité agricole.568
Pour que les hommes se détachent de la terre, il est nécessaire de leur proposer
d’autres moyens de survie. Pour ce faire, l’Etat devra mettre sur pied une politique
tendant à attirer les investissements dans le monde rural d’une part et de faire des paysans
des agents économiques d’autre part.
566
Art 37 de la constitution du 18 février 2006
567
Art14 al 4 et 5 de la même constitution
568
Ministère de l’agriculture, pêche et élevage, Note de politique agricole, avril 2009, p 6
288
569
C. Munzirihiwa, Paysan du Kivu et le changement social depuis l’indépendance, Mémoire de licence,
Institut des sciences politiques et sociales, Université Catholique de Louvain, 1968-1969, p 45
289
se passe ailleurs et chacun pourra être influencé par les aspects positifs de la culture de
l’autre.
Dans cette situation de misère, l’homme aimerait que la femme soit toujours à son
service, dans la mesure où elle constitue une main d’œuvre gratuite et sûre. Dans un
article sur les réformes des régimes fonciers souhaitables en Afrique et en Asie, Samir
Amin, note que l’exploitation paysanne fait référence à la famille, laquelle est
caractérisée jusqu’à ce jour et presque partout par des structures qui imposent la
soumission des femmes et la surexploitation de leur force de travail.570
La première consiste à prendre des mesures tendant à assister les paysans dans
leurs activités de production en vue de leur amélioration. C’est ainsi par exemple, l’Etat
pourra par l’entremise d’un programme soutenu de recherche, mettre à la disposition des
paysans des techniques nouvelles agricoles ainsi que des semences améliorées. En outre,
il pourra leur accorder moyennant un coût réduit, des instruments modernes utilisés dans
l’agriculture comme les engins de labours, de semailles ou de récoltes. Une telle solution
a déjà été préconisée par la colonisation, en instituant le paysannat. Celui-ci avait pour
but notamment d’améliorer la production agricole indigène par une meilleure utilisation
du sol, en introduisant des méthodes nouvelles qui augmentent le rendement. Il devrait
aussi améliorer le bien-être social et économique de la population rurale par une
augmentation substantielle du revenu des habitants et aussi par une meilleure hygiène.571
Dans sa note de politique agricole, l’Etat déclare vouloir créer des richesses en
milieu rural par une agriculture compétitive reposant sur la promotion de petites et
moyens entreprises agricoles, d’élevage et de pêche animées par des professionnels. Il
570
S. Amin, Les réformes des régimes fonciers souhaitables en Afrique et en Asie, in forumtiersmonde.net,
novembre 2004, p10
571
C. Munzihirwa, op. cit, p47
291
veut donc opérer une transformation structurelle du secteur agricole. Ainsi, préconise-t-il
des solutions suivantes pour parvenir à son objectif : une recherche agricole à grande
échelle ; la diffusion des innovations technologiques respectueuses de l’environnement ;
l’affectation des budgets adéquats dans le contexte de la décentralisation ; la
restructuration des services du Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural ; la
promotion des systèmes financiers adaptés à la nature des activités du secteur agricole et
l’expansion de l’infrastructure publique dans le but de viabiliser les sites de
production.572
Ces données chiffrées ne traduisent peut être pas tous les efforts consentis par les
pouvoirs publics pour améliorer la situation dans ces secteurs, mais elles sont tout de
même éloquentes. En effet, les dépenses publiques allouées à un secteur économique
révèlent non seulement la volonté de l’Etat de soutenir ledit secteur mais aussi et surtout
la place qu’il occupe dans l’ensemble de l’action gouvernementale. Dans le cas d’espèce,
nous sommes tenté d’affirmer que le secteur de l’agriculture et celui du développement
rural ne constituent pas la priorité de l’action gouvernementale, avec comme conséquence
que la lutte contre la pauvreté dans le monde rural n’est pas la préoccupation majeure du
gouvernement. C’est dans ce sens que Innocent Utshudi constate que :
572
Ministère de l’Agriculture, Elevage et Pêche, op. cit, p15
292
santé, de sécurisation foncière, etc. n’est mise en œuvre. Pourtant, les paysans subissent une
avalanche de taxes non seulement sur leurs produits agricoles, mais aussi, et curieusement, sur
leurs parcelles dominées pourtant par une polyculture constituée, pour l’essentiel, des cultures de
subsistance, de quelques cultures de rente et des maisons en pisé. »573
La seconde solution est celle qui consiste à regrouper les paysans dans une
coopérative de production, en leur fournissant les moyens de production nécessaires :
moyens humains, moyens matériels et moyens financiers. La coopérative est
particulièrement adaptée à l’esprit communautaire africain en général et paysan en
particulier. Pour la réussite d’une telle initiative, la coordination technique devrait être
assurée par l’Etat dans un premier temps pour s’assurer de sa bonne évolution. Elle
pourra regrouper deux ou plusieurs villages. C’est par ce biais que les paysans pourront
apprendre l’exigence d’une vie villageoise rénovée, et de ce fait, ils seront introduits, en
douceur, dans le circuit social et économique national.574
L’amélioration des conditions de travail aura un impact sur la femme qui est
considérée comme une main d’œuvre à la disposition du mari. En effet, celui-ci n’aura
plus besoin des services de la femme et sera disposé de la libérer pour qu’elle s’adonne à
ses activités personnelles. Cette amélioration des conditions de vie aura sûrement un
impact positif sur la situation de la femme en ce qui concerne ses droits fonciers.
573
I. Utshudi Ona, La décentralisation en RDC : opportunité pour une gestion foncière décentralisée, in
L’Afrique des Grands Lacs. Annuaire 2008-2009, p316
574
C.Munzirihiwa, op.cit, p 54
293
CONCLUSION GENERALE
Mais sur le domaine foncier privé de l’Etat, la loi foncière consacre pratiquement
trois catégories de terres : terres urbaines, terres rurales et terres occupées par les
communautés locales. Ces terres n’obéissent pas au même régime juridique. Les terres
urbaines et rurales sont régies par la loi foncière, c’est-à-dire qu’elles peuvent faire
l’objet de concession foncière et les terres occupées par les communautés locales sont
soumises, en vertu de la foncière, à la coutume.
En effet, le dualisme juridique subsiste du fait que la loi foncière qui avait entre
autres objectifs d’unifier les droits fonciers congolais, avait, tout en domanialisant les
terres occupées par les communautés locales, prévu qu’une ordonnance du Président de la
République allait être prise pour réglementer les droits de jouissance acquis
régulièrement sur ces terres. Depuis lors, cette ordonnance n’a jamais été prise, avec
comme conséquence que ces terres sont toujours régies par les coutumes locales. Ainsi, la
575
La concession ordinaire a une durée de vingt cinq ans renouvelable indéfiniment.
294
femme accède à la terre dans des conditions différentes selon qu’il s’agit des terres
coutumières ou des terres urbaines et rurales régies par le droit écrit.
En outre, le code de la famille consacre l’incapacité de la femme mariée, en la
soumettant au régime de l’autorisation maritale pour tous les actes juridiques qui
entrainent pour sa part une prestation personnelle ayant un impact sur le ménage. Or, la
loi prévoit que l’accès aux terres urbaines et rurales passe par la conclusion d’un contrat
synallagmatique. D’où pour y accéder, la femme mariée doit obtenir l’autorisation de son
mari. Ce qui la met dans une situation d’inégalité par rapport à celui-ci.
Ainsi, pour confirmer ou infirmer ces hypothèses, nous avons procédé dans un
premier temps par une approche empirique à l’analyse de la situation foncière de la
femme sur les terres occupées par les communautés locales. Cela nous a conduit à relever
les principes fondamentaux qui régissent ces terres, avant de se focaliser sur la question
spécifique de l’accès de la femme à ces terres.
Dans un second temps, nous avons aussi, par une approche empirique combinée
avec une analyse positive du droit, voulu savoir la situation foncière de la femme sur les
terres urbaines et rurales. Ainsi, après avoir analysé les règles régissant ces deux
catégories de terres, nous avons ensuite porté notre intérêt sur les droits fonciers de la
femme tels que prévus par la loi mais aussi en rapport avec la jurisprudence en la matière.
1. Sur les terres appartenant aux communautés locales régies par la coutume, la
femme dispose des droits fonciers moins étendus par rapport à l’homme et ses droits
sont aussi fonction des rapports qui la lie au groupe. En effet, en tant que membre du
groupe ‘’propriétaire de la terre,’’ elle ne peut pas en principe être chef de terres, ce
295
pouvoir est l’apanage de l’homme. Mais elle a le droit d’exploiter la terre au même titre
que l’homme tant qu’elle y habite encore.
Si elle est liée au groupe par le mariage, elle accède à la terre par l’entremise de
son mari. A ce titre, elle peut exploiter la terre que la communauté a mise à la disposition
de ce dernier. Mais lorsque le lien de mariage est rompu, elle est obligée de rentrer dans
sa famille, en laissant la terre exploitée au profit du mari ou de la famille de celui-ci. Il
convient de noter que le mariage peut prendre fin par le divorce ou par le décès du
conjoint. Dans tous les cas, la femme ne bénéficie pas de l’héritage ni de partage de la
terre mise en valeur à deux ou seule.
En cas d’héritage, tous les enfants n’ont pas les mêmes droits. Dans le système
patrilinéaire où les enfants peuvent hériter de leur père, seuls les garçons sont héritiers.
Dans le système matrilinéaire où l’héritage va dans la lignée de la femme, la préférence
est accordée aux personnes de sexe masculin au détriment de celle de sexe féminin. Il
s’agit précisément des neveux au détriment des nièces.
2. Sur les terres urbaines et rurales, la situation de la femme est différente. D’une
manière générale, les lois accordent à la femme des droits en matière foncière au même
titre que l’homme, sauf en cas de mariage. En effet, le droit de jouissance sur ces terres
étant individuel, la femme célibataire a le droit d’y accéder sans entrave. En cas de
divorce, la femme reçoit la moitié de terres acquise pendant le mariage si le régime
matrimonial choisi par les époux lors du mariage l’autorise. En cas de veuvage, la veuve
est héritière de la deuxième catégorie et elle bénéficie en outre, de l’usufruit du conjoint
survivant qui porte sur la maison que le couple habitait ainsi que la moitié des terres que
le défunt exploitait personnellement. Cela suppose que le couple était uni par un mariage
régulier. Ainsi, la femme qui vit dans une union de fait ne peut pas prétendre à un
quelconque héritage et en cas de séparation, elle ne bénéficie pas du partage des biens
fonciers, alors qu’au sein de la société, cette situation est une réalité.
prévoit que pour la validité de ce genre de contrat, la femme doit être autorisée par son
mari avant de le conclure.
De ce qui précède, il ressort que tant la coutume que la loi sont discriminatoires à
l’égard de la femme, quant à ses droits fonciers. Ce qui nous amène à affirmer que nos
hypothèses de base sont bien corroborées.
Ce qui nous a amené par une démarche prospective de proposer de lege ferenda
l’harmonisation du système juridique en rapport avec le sujet qui nous intéresse. Ainsi,
avons-nous proposé la révision de certains textes pour les mettre en harmonie avec la
Constitution et les traités internationaux ratifiés par la République Démocratique du
Congo en matière des droits de l’homme. Cette réforme se présente comme suit :
1.La suppression dans la loi foncière, les dispositions de l’article 389 qui prévoit que les
droits de jouissance sur les terres communautaires seront réglés par une ordonnance du
Président de la République. Etant donné que cette ordonnance n’a jamais été prise, nous
préconisons d’insérer directement dans la loi foncière les dispositions en rapport avec
les droits de jouissance acquis sur les terres communautaires conformément aux
coutumes locales ou aux usages locaux. Ces dispositions vont laisser la coutume régir
ces terres mais en lui imposant des limites notamment en matière de discrimination à
l’égard de la femme ainsi que de la fille. Mais, compte tenu du fait que cette matière
relève constitutionnellement de la compétence concurrente entre les pouvoirs
provinciaux et central, on peut aussi imaginer la possibilité de renvoyer son règlement
aux provinces, dans le même sens que nous venons d’indiquer. Les deux solutions sont
donc alternatives.
2.Le code de la famille devra également être modifié sur un certain nombre des
dispositions. La première disposition concerne l’autorisation maritale qui devra céder la
297
La deuxième disposition est celle qui prévoit l’usufruit du conjoint survivant. Elle
devra aussi être modifiée pour préciser que cet usufruit existe même sur les terres
appartenant aux communautés locales.
L’union de fait qui est une réalité vivante, ne devrait pas continuer à être ignorée
par le législateur. C’est ainsi que nous pensons, pour des raisons d’équité, qu’elle peut
produire des effets juridiques au même titre que le mariage si elle a été d’une longue
durée.
3.Au niveau du code pénal, nous prévoyons que des dispositions soient prises, rendant
infractionnels les comportements discriminatoires à l’égard de toute personne et
particulièrement à l’égard de la femme. Ces dispositions auront pour but de dissuader
ceux qui auront tendance à résister à la réforme.
Pour accorder à cette réforme la chance de réussite, nous pensons qu’il est
nécessaire de la faire accompagner par des mesures socio-économiques qui aboutiront à
la transformation du monde rural. En effet, c’est dans le monde rural qu’on peut
rencontrer la résistance à une telle réforme. Cela se justifie par le fait que l’attachement à
la terre dans ce milieu s’explique, au-delà des considérations métaphysiques, aussi par
des raisons économiques. La terre constitue une source des revenus indispensable pour la
vie des ruraux. Ainsi, ils la conservent jalousement contre toute intrusion extérieure.
Pour faciliter cet attachement au sol, et de ce fait, accorder à la femme la possibilité
d’accéder à la terre, nous proposons des mesures ci-après :
1. Sur le plan social, nous préconisons d’abord de mettre sur pied des politiques
appropriées en matière de formation pour réduire le taux d’analphabètes et de
donner aux ruraux notamment la possibilité d’améliorer leur méthode de travail
ou d’avoir la possibilité d’embrasser d’autres métiers qui pourront leur offrir la
possibilité de se détacher de la terre.
Enfin, il faut que la femme s’engage elle-même aussi pour obtenir le changement
en rapport avec sa situation. Cet engagement devra se faire par le biais de l’éducation
suivie de la mise sur pied des structures d’encadrement pour qu’il soit efficace.
2. Sur le plan économique, nous préconisons d’abord la mise sur pied d’une
politique favorisant les investissements à caractère économique dans le milieu
rural. Celle-ci peut se traduire par des mesures incitatives dans le but de faciliter
299
Ensuite, on peut aussi imaginer la possibilité de faire des paysans de véritables agents
économiques, en leur octroyant des crédits pour leur installation. Celle-ci peut se faire à
titre individuel ou en coopérative.
Tous ces droits sont garantis aux Congolais sans distinction de sexe et de
condition sociale. L’accomplissement de ces droits constitue des devoirs pour l’Etat.
C’est dans ce sens que la Constitution dispose en son article 60 que :
Il appartient donc à la population de tout mettre en œuvre pour que ces droits
deviennent une réalité. Si ces droits sont réellement mis en œuvre, la situation des
Congolais en général changera et de celle de la femme en particulier.
L’histoire démontre que les droits humains sont souvent arrachés par la lutte. Si
les dirigeants politiques ne sont pas pressés, ils ne prendront jamais des mesures urgentes
pour que la situation de la population en général change et de la population rurale en
particulier.
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304
2. ARTICLES
ANNEXE
315
INTERVENANT
13 Nom de l’enquêté
.
14 Sexe de l’enquêté Masculin……………....= 1
Féminin……………….= 2
Primaire……………….= 2
C.O…………………….= 3
Secondaire…………...= 4
professionnel………….= 5
Sup. / Univ…………….= 6
Si Oui, comment ?
30 ……………………………………………………………………………………………………..
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Si Non, pourquoi ?
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