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Revue internationale de droit

comparé

La condition de la femme en droit camerounais de la famille


Alex-François Tjouen

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Tjouen Alex-François. La condition de la femme en droit camerounais de la famille. In: Revue internationale de droit
comparé. Vol. 64 N°1,2012. pp. 137-167;

doi : https://doi.org/10.3406/ridc.2012.20179

https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_2012_num_64_1_20179

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Résumé
La femme camerounaise fait face à de nombreux problèmes qui ne datent pas d’aujourd’hui et
vont au-delà de l’accès au mariage. Pendant la vie conjugale, à la dissolution ou en dehors de
celle-ci, elle continue de subir des discriminations dues entre autres à l’influence des coutumes
ancestrales ; ce qui remet en cause non seulement l’égalité de sexes et de droits prônée par les
textes internationaux, mais aussi et surtout sa propre dignité. Mais quelque soit son statut
(concubine, fiancée, épouse, divorcée, veuve, etc.), et malgré l’influence toujours considérable
des coutumes, depuis quelques années, les droits de la femme n’ont cessé de croître aussi bien
sur le plan international que sur le plan national avec beaucoup d’espoir fondé sur le projet de
code des personnes et de la famille. Alors que ce projet fait l’objet d’une large réflexion, une
question qui peut se poser est de savoir si in fine, à force de s’intéresser à la promotion des droits
de la femme (comme cela semble parfois être le cas), le législateur camerounais ne risque pas de
basculer dans une certaine inégalité au détriment de son compagnon, l’homme. L’analyse des
droits africains et étrangers qui ont emboité le pas au législateur camerounais sur ces questions
permet d’aider ce dernier à éviter de tomber dans le travers d’un excès au profit de la femme ou
de l’homme. En réalité, seule une législation adaptée au contexte local et intégrant les éléments
de modernité permettra en définitive d’aboutir à une meilleure prise en compte de la condition de
la femme camerounaise.

Abstract
For quite a long time, the Cameroonian woman has been subjected to discrimination. These
difficulties are due, among other things, to the influence of ancestral customs. But whatever her
status, her rights have not ceased to increase both nationally and internationally, with a lot of
hope, based on the project of family and people code. However, by being too concerned with the
promotion of woman’s rights, does the Cameroonian legislation not run the risk of getting mixed up
with certain inequalities at the detriment of her male counterpart ? It is only a legislation that is well
adapted to the local context and which integrates elements of modernism that would avoid falling
into the snare of excessive favour of one sex or the other. This will end up creating room for a
better handling of the Cameroonian woman.
R.I.D.C. 1-2012

LA CONDITION DE LA FEMME EN DROIT


CAMEROUNAIS DE LA FAMILLE

Alex-François TJOUEN*

La femme camerounaise fait face à de nombreux problèmes qui ne datent pas


d’aujourd’hui et vont au-delà de l’accès au mariage. Pendant la vie conjugale, à la
dissolution ou en dehors de celle-ci, elle continue de subir des discriminations dues entre
autres à l’influence des coutumes ancestrales ; ce qui remet en cause non seulement
l’égalité de sexes et de droits prônée par les textes internationaux, mais aussi et surtout sa
propre dignité.
Mais quelque soit son statut (concubine, fiancée, épouse, divorcée, veuve, etc.), et
malgré l’influence toujours considérable des coutumes, depuis quelques années, les droits
de la femme n’ont cessé de croître aussi bien sur le plan international que sur le plan
national avec beaucoup d’espoir fondé sur le projet de code des personnes et de la
famille.
Alors que ce projet fait l’objet d’une large réflexion, une question qui peut se poser
est de savoir si in fine, à force de s’intéresser à la promotion des droits de la femme
(comme cela semble parfois être le cas), le législateur camerounais ne risque pas de
basculer dans une certaine inégalité au détriment de son compagnon, l’homme.
L’analyse des droits africains et étrangers qui ont emboité le pas au législateur
camerounais sur ces questions permet d’aider ce dernier à éviter de tomber dans le
travers d’un excès au profit de la femme ou de l’homme.
En réalité, seule une législation adaptée au contexte local et intégrant les éléments
de modernité permettra en définitive d’aboutir à une meilleure prise en compte de la
condition de la femme camerounaise.

For quite a long time, the Cameroonian woman has been subjected to
discrimination. These difficulties are due, among other things, to the influence of
ancestral customs. But whatever her status, her rights have not ceased to increase both

*
Docteur en droit privé de l’Université de Paris II (Panthéon Assas), Enseignant à la Faculté
des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Yaoundé II (Cameroun).
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nationally and internationally, with a lot of hope, based on the project of family and
people code.
However, by being too concerned with the promotion of woman’s rights, does the
Cameroonian legislation not run the risk of getting mixed up with certain inequalities at
the detriment of her male counterpart? It is only a legislation that is well adapted to the
local context and which integrates elements of modernism that would avoid falling into
the snare of excessive favour of one sex or the other. This will end up creating room for a
better handling of the Cameroonian woman.

INTRODUCTION

« La femme doit rester à la maison » avait dit un auteur 1 . Cette


conception a perduré pendant des années dans les sociétés occidentale et
africaine2. Plus qu’une femme au foyer, la plupart des coutumes camerounaises
l’ont même depuis longtemps considérée comme un bien à vendre au
prétendant et à partager au décès de son conjoint. Dans le premier cas, elle
faisait l’objet d’un véritable contrat de vente de marchandise 3 . Dans le
second cas, les familles pratiquaient le lévirat ou le sororat4.
La femme, comme l’homme, a un statut variable en droit de la famille :
elle peut être célibataire, concubine, fiancée, épouse, divorcée ou veuve.
Mais quelle que soit sa situation matrimoniale, sa condition est régie par des
principes proclamés dans les conventions internationales et intégrés dans
l’ordre juridique interne camerounais à partir de la Constitution de la
République5. L’idée générale sous-jacente dans ces textes est l’égalité de
droits. Ainsi en est-il de l’article 1er de la Déclaration Universelle des Droits

1
Martin Luther (moine allemand, fondateur de la religion protestante) cité par Ney
BENSADON : Les droits de la femme, des origines à nos jours, « Que sais-je ? », PUF, 1980, p. 36.
2
N. BENSADON, op. cit.
3
Mme A. ROUHETTE (spécialiste des questions de droit coutumier des pays du tiers monde)
a ainsi pu dire que « la femme constitue sans équivoque l’objet du contrat d’échange : prix contre
femme », v. « La dot à Madagascar », Encyclopédie Universelle, t. I, Annales malgaches, 1965. Lire
également dans ce sens : M. NKOUENDJIN YOTNDA, Le Cameroun à la recherche de son droit
de la famille, Paris, LGDJ, 1975, p. 60 et s. ; C. VON MORGEN, À travers le Cameroun du Sud au
Nord, 1889-1891, ouvrage publié en Allemagne, tiré en offset par l’Université de Yaoundé ; J. C.
BAHOKE, La famille chez les Banan, thèse de 3e cycle en Lettres, Sorbonne, 1963.
4
Le lévirat et le sororat sont des pratiques coutumières. La première consiste pour la veuve à
rester dans la famille du défunt afin qu’elle épouse son héritier ou un autre membre de sa famille
parmi les aînés. La seconde est une pratique qui consiste à pérenniser l’union des deux familles en
remplaçant l’épouse décédée par l’une de ses sœurs.
5
Loi no 6 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972, JO numéro
spécial, 30 janvier 1996, modifiée le 14 avril 2008. Il est ainsi écrit dans le préambule : « Le peuple
camerounais … affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration
universelle des droits de l’homme, la Charte des Nations Unies, la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées … ».
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de l’Homme (DUDH) aux termes duquel : « Tous les êtres humains naissent
libres et égaux en dignité et en droits ». Dans le même sens, l’article 6 de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789 dispose
que : « La loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle
punisse. Tous les citoyens étant égaux, sont également admissibles à toutes
dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction
que celle de leurs vertus et de leurs talents ». La Charte Africaine des Droits
de l’Homme et des peuples6, quant à elle, dispose plus simplement en son
article 3(1) que : « Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant
la loi ».
Mais le texte fondateur de la liberté nuptiale est l’article 16(1) de la
DUDH qui dispose qu’ « à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans
aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de
se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du
mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution ». L’article 16(1)(a) de la
Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes (CEDEF) 7 insiste davantage sur la nécessité pour la femme
d’avoir « le même droit de contracter mariage » que l’homme.
Depuis quelques années, les droits de la femme n’ont donc cessé de croître
sur le plan international. Mais des entraves existent quant à leur appropriation
par le droit interne camerounais8. Ainsi, par exemple, conformément à l’article
6(6) du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
relatif aux droits des femmes dit Protocole de Maputo9, « l’âge minimum de
mariage pour la fille est de 18 ans ». Pourtant aux termes de l’article 52(1)
de l’Ordonnance camerounaise no 81-2 du 29 juin 1981 portant organisation
de l’état civil10 : « Aucun mariage ne peut être célébré si la fille est mineure
de 15 ans ou le garçon mineur de 18 ans ».
La question qui se pose est alors de savoir quelle est la condition de la
femme en droit camerounais de la famille ?
Sur le point de la hiérarchie des normes, l’article 45 de la Constitution
dispose clairement que « les traités ou accord internationaux régulièrement
approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à

6
Cette charte a été adoptée le 27 juin 1981 à Nairobi au Kenya, lors de la 18e Conférence de
l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). Elle est entrée en vigueur le 21 octobre 1986.
7
La CEDEF a été adoptée en septembre 1981 et ratifiée par le Cameroun le 23 août 1994.
8
V. AKOMNDJA AVOM, « L’énonciation de la coutume en droit camerounais de la famille:
leurre ou réalité ? », Penant, no 854, janvier-mars 2006, p. 60 et s. ; J. ZATCHONG, Les
discriminations à l’égard des femmes en droit camerounais, Mémoire de DEA en droit privé,
Université de Yaoundé II-Soa, 2004-2005.
9
Ce Protocole a été adopté le 11 juillet 2003, lors du second sommet de l’Union africaine à
Maputo, au Mozambique. Le Cameroun l’a ratifié par Décret du Président de la République
o
n 2009/143 du 28 mai 2009.
10
Cette ordonnance a été modifiée le 9 mai 2011.
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celle des lois … ». C’est donc à juste titre que le projet de code des
personnes et de la famille équilibre la capacité nuptiale à 18 ans pour le
garçon et la fille11. L’on peut tout de même se demander si « l’âge nubile »
recommandé par l’article 16(1) de la DUDH doit être quantitativement le
même ou alors devrait-il tenir compte des différences biologiques et
psychologiques des deux sexes ? Quoiqu’il en soit, la tendance qui se
dégage des textes internationaux est une égalité parfaite des droits entre
l’homme et la femme. Ainsi, le mariage célébré alors que la fille est mineure
de 18 ans pourrait 12 être contesté devant le juge sur la base de l’anti
conventionalité de l’Ordonnance de 1981, le juge camerounais s’appuyant
de plus en plus (bien qu’encore timidement) sur cet argument 13 grâce à
l’influence de la doctrine14.
Les problèmes auxquels la femme camerounaise fait face ne datent pas
d’aujourd’hui 15 et vont au-delà de l’accès au mariage. Pendant la vie
conjugale, à la dissolution ou en dehors de celle-ci, elle subit des
discriminations qui remettent en cause non seulement l’égalité prônée par
les textes internationaux, mais aussi et surtout sa propre dignité16.

11
Art. 228. Le projet suit ainsi les traces du droit malien par exemple dont l’article 282 du
Code des personnes et de la famille dispose : « L’âge minimum pour contracter mariage est fixé à
dix huit ans ».
12
La nuance est utile à cause du processus d’intégration du Protocole de Maputo : sur le plan
international, il ne peut avoir de valeur juridique que 30 jours après le dépôt du 15e instrument de
ratification. Sur le plan interne, en plus de la ratification, il doit être publié. Or si le Cameroun l’a
déjà ratifié, il ne serait pas encore opposable aux citoyens à cause du défaut de sa publication.
13
Ex. : TPI de Ngaoundéré, jugement correctionnel no 404 du 12 mai 2003, aff. Ministère
public c/ Mohamadou Sani, Zainabou, Balla Seidou ; TGI du Mfoundi, jugement civil no 224 du 17
janvier 2007, aff. Dame Njomou c/ Zebaze Jules ; CA du Centre, arrêt du 17 octobre 2007, aff.
Dame Yonkeu Christine c/ Liman Saibou et Mamoudou Saibou, in Y. L. AKOA (Magistrate, Juge au
TPI de Yaoundé, Centre administratif), « La mise en œuvre de la convention sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) », première partie, Miroir du
Droit, no 002, juil.-août-sept. 2009, p. 49 et s.
14
A. D. OLINGA, « Réflexion sur le droit international, la hiérarchie des normes et l’office du
juge au Cameroun », Juridis périodique, no 63, juil.-août-septembre 2005, pp. 3-19 ; EYIKE-
VIEUX, « Le droit international devant le juge camerounais : regards d’un magistrat », Juridis
périodique, no 63, juil.-août-sept. 2005, pp. 100-106 ; M. R. NGUEFACK, « Le droit international,
instrument pour la défense devant le juge camerounais : regard de l’avocat », Juridis périodique, no
63, 2005, pp. 107-117 ; Y. L. AKOA, « La mise en œuvre de la convention sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) », seconde partie, Miroir du
Droit, no spécial, janv.-fév.-mars 2010, pp. 79-94.
15
N.-C. NDOKO, « Le statut juridique de la femme camerounaise », RDA, 1985, CREJA,
p. 30 et s.
16
D’après le Dictionnaire Le Petit Robert de la langue française, la dignité est définie comme
le respect que mérite quelqu’un. La définition juridique n’est pas si différente car le Droit entend la
dignité comme étant la considération due à la personne humaine (R. GUILLIEN et J. VINCENT, Le
lexique des termes juridiques, 14e éd., Dalloz, 2003, v. Atteinte à la dignité).
A.-F. TJOUEN : LA FEMME AU CAMEROUN 141

L’égalité de droits peut sommairement s’entendre comme « l’absence


de discrimination »17. Mais au fond, la définition de ce concept est en réalité
plus nuancée : il signifie que compte tenu des spécificités du genre humain,
des distinctions plus ou moins importantes sont inévitables18. Comme l’a
relevé le professeur François Terré 19 , « toutes les discriminations de
traitement ne sont pas interdites, mais seulement celles qui ne reposent pas
sur des justifications objectives et raisonnables »20. L’étude sur la condition
de la femme camerounaise est donc l’occasion d’évaluer le droit appliqué
sur le fondement des différences entre l’homme et elle mais aussi entre les
femmes aux statuts différents.
S’il est admis que des distinctions peuvent être permises, la difficulté
du droit camerounais fondé sur le pluralisme juridique et judiciaire21 est de
concilier les règles de droit écrit favorables à l’égalité de sexes quel que soit
l’état matrimonial de la femme22 et les règles de droit coutumier qui vont
parfois jusqu’à la réifier. L’article 2 du Décret du 19 décembre 196923 tente
de régler la question en prévoyant implicitement qu’en cas de conflit entre le
droit écrit et le droit coutumier, c’est le premier qui l’emporte 24 . Mais
l’analyse n’est pas aussi simple car la condition de la femme est un sujet à la
fois vaste avec des aspects variés selon le statut retenu et dynamique parce
que cette condition est en perpétuelle évolution.
Pour la présente étude, la femme qui n’est pas en couple, bien
qu’appartenant à la famille, n’occupera pas notre plume parce que son

17
J. SALMON (dir.), Dictionnaire de Droit international public, Université francophone,
Bruylant/AUF, 2001, p. 414.
18
T. ATANGANA MALONGUE, « Le principe d’égalité en droit camerounais de la
famille », RIDC, 3-2006, p. 835.
19
F. TERRÉ, Introduction générale au droit, 5e éd., Dalloz, 2003, p. 230.
20
En d’autres termes et toujours selon l’auteur, une discrimination n’est licite que si elle tend
vers un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre moyens et fins.
21
V. A. MARTICOU RIOU, « L’organisation judiciaire du Cameroun », Penant, 1969, p. 33
et s. ; B. BANAMBA, « Regard nouveau sur un texte déjà trentenaire : le cas du décret du 19
décembre 1969 portant organisation et fonctionnement des juridictions traditionnelles de l’ex-
Cameroun oriental », RASJ, 2000, pp. 102-140 ; S. MELONE, « Les juridictions mixtes de droit
écrit et de droit coutumier dans les pays en voie de développement. Du bon usage du pluralisme
judiciaire en Afrique », RIDC, no 2-1986, pp. 327-346.
22
Lire dans ce sens, l’article 1er de la CEDEF.
23
Décret no 69/DF/544 du 19 décembre 1969 fixant l’organisation judiciaire et la procédure
devant les juridictions traditionnelles du Cameroun Oriental.
24
Cet article dispose expressément que : « … Nonobstant toutes dispositions contraires, la
juridiction de droit moderne devient compétente dans le cas où l’une des parties décline la
compétence d’une juridiction de droit traditionnel ». Lire aussi utilement S. MELONE, « Le code
civil contre la coutume : la fin d’une suprématie ; à propos des effets patrimoniaux du mariage »,
RCD, 1972, no 1, p. 12 et s. ; V. AKOMNDJA, « L’énonciation de la coutume … », op. cit., p. 59
et s.
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indépendance lui accorde à peu près les mêmes droits 25 que les autres
membres de la famille mais dans la limite du respect de ceux-ci 26 et de
l’intérêt de ses éventuels enfants. Par contre la femme accompagnée ne subit
pas les mêmes règles même si sa condition est différente selon qu’elle est
mariée ou qu’elle ne l’est pas.

I. LA CONDITION DE LA FEMME NON MARIÉE

La femme non mariée est celle qui ne l’a pas encore été. Elle peut être
concubine ou fiancée. Si l’une est juridiquement marginalisée, l’autre par
contre semble bénéficier d’un minimum de protection.

A. – La marginalisation de la concubine

Le mariage n’intéresse pas certaines personnes et fait peur à d’autres.


Pour diverses raisons27, les couples hésitent à s’y engager préférant vivre en
concubinage. Mais le droit camerounais les ignore afin de préserver
l’institution du mariage. Au regard du nombre croissant de ces unions28, l’on
se serait attendu à voir le législateur s’emparer de ce phénomène juridique ;
ce n’est pourtant pas le cas. Cela pose le problème général de l’adaptation
du droit au fait29. La question juridique précise qui se pose est de savoir s’il
faut réglementer l’union libre. Les opinions sont si divisées sur cette
sempiternelle 30 question que le débat a parfois tendance à déraper sur le
terrain de la passion.

25
En droit coutumier musulman par exemple, la règle du privilège de masculinité interdit
encore à la femme d’avoir les mêmes droits que l’homme.
26
R. CHEMMENGUE, La femme camerounaise et le droit civil, Mémoire de maîtrise,
Université de Yaoundé, 1986, p. 31 et s.
27
Comme l’a relevé le Doyen Gérard CORNU : « Certaines unions sont résolument formées,
dans le refus de l’institution, comme une compagnie sauvage, d’autres plutôt vécues, par négligence
ou habitude, sous l’effet des circonstances, d’autres subies, fautes d’en pouvoir sortir … »
(G. CORNU, Droit civil, la famille, 9e éd., Montchrestien, 2006, p. 85).
28
À défaut de statistiques fiables, le fait pour le gouvernement camerounais de célébrer des
mariages « collectifs » en série traduit son inquiétude face à l’augmentation du nombre de couples
vivant en concubinage. S. MBOMBACK, alors Ministre de la promotion de la femme et de la
famille, a d’ailleurs déclaré que « l’objectif de ces cérémonies est d’éveiller les consciences des
populations sur l’importance du mariage légal, élément qui sécurise et stabilise la famille, car il n’y
a pas de société stable sans famille stable ». Extrait de A. NKWIDJA : Cameroun : mariages en
séries pour lutter contre le concubinage, mars 2007, www.fasopresse.net/index.php3.
29
C. ATIAS et D. LINOTTE, « Le mythe de l’adaptation du droit au fait », D. Sirey, 1977,
chron. 34.
30
Le débat relatif à l’union libre ne date pas d’aujourd’hui. Lire dans ce sens :
L. JOSSERAND, « L’avènement du concubinat », D. 1932, chron., p. 35 et s. ; P. ESMEIN, « Le
A.-F. TJOUEN : LA FEMME AU CAMEROUN 143

En France, la pression des faits a emporté une semi victoire sur


l’autorité du Droit à travers l’institution du pacte civil de solidarité (Pacs)31.
Trois types de couples cohabitent désormais en droit français : le couple
légal issu du mariage, le couple de fait constituant le concubinage et un
couple intermédiaire formé à la faveur du Pacs. L’ex-Cameroun oriental,
ancienne colonie française, a parfois habitué l’observateur averti à le voir
suivre la trace de son ancien maître sur des questions juridiques 32 . Mais
compte tenu du grand écart culturel entre la France et le Cameroun, une
réglementation de l’union libre est-elle opportune en droit camerounais ?
Entre mimétisme et culturalisme, le choix de la seconde voie nous paraît
plus réaliste car lorsque la réclamation d’une réglementation est fondée sur
des arguties, parfois l’inertie juridique s’avère paradoxalement être la
meilleure solution.

1. Les arguties d’une réglementation du concubinage


Deux arguments principaux sont souvent avancés pour justifier
l’opportunité d’une réglementation du concubinage en droit camerounais.
Mais chacun emporte de sérieuses limites.
D’une part le concubinage serait une source de frustration pour la
concubine en tant que femme33. Il faut cependant souligner que la distinction
fondée sur le sexe des concubins pour établir la discrimination est
aujourd’hui un argument léger et obsolète compte tenu de l’influence
croissante du principe d’égalité en droit de la famille. Autant le droit
camerounais vient « au secours de la concubine »34, autant est-il attentif à la
situation du concubin. Seulement, ces situations semblent plus récurrentes à
l’égard de la femme qui est souvent sans profession alors qu’elle a un ou
plusieurs enfants à sa charge. L’accroissement du nombre de femmes
exerçant une profession pourrait cependant faire évoluer le sort de la
concubine « dans le sens d’un moindre protectionnisme »35. Mais nous en
sommes encore loin.
D’autre part le concubinage serait une situation de non-droit, source
d’injustice36. Mais si le non-droit se définit comme l’absence du droit dans

problème de l’union libre », RTDciv., 1935, p. 749 et s. ; M. NAST, « Vers l’union libre ou le
crépuscule du mariage légal », D.H. 1938, chron., p. 37.
31
Loi no 99-944 du 15 novembre 1999 (JO 16 nov.), JCP 1999, III, 20172 ; D. 1999, L. 515.
32
S. MELONE, « La technique de la codification en Afrique : pratique camerounaise », Revue
juridique et politique indépendance et coopération, no 3 et 4, 1986, p. 312.
33
B. MEGNE FONKOUA, Le concubinage en droit camerounais, Mémoire de DEA,
Université de Yaoundé II-Soa, 2005-2006, p. 65 et s.
34
R. MEVOUNGOU NSANA, Travaux dirigés de droit des obligations, 1ère éd., Yaoundé,
Camup, 2004, p. 71.
35
G. CORNU, Droit civil, la famille, op. cit., p. 92, note 24.
36
B. MEGNE FONKOUA, op. cit., pp. 64-65.
144 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 1-2012

un certain nombre de rapports humains où le droit aurait eu vocation


théorique à être présent37, peut-on dire que le concubinage en fait partie ? La
réponse nous semble négative pour deux raisons au moins. D’une part, le
droit a vocation à réglementer les rapports humains certes, mais dans le
respect des libertés fondamentales reconnues à chaque individu. En droit de
la famille, la liberté nuptiale est consacrée par les textes internationaux.
Chacun est libre de s’engager dans une relation légale ou d’opter pour une
situation de fait. Autrement dit, chacun a la liberté de s’enfermer dans « la
nasse » que constitue le mariage ou de demeurer dans une relation dépourvue
d’obligations appelée concubinage38. D’autre part, si le concubinage n’est pas
spécialement réglementé39, il lui est tout de même appliqué les règles du droit
commun relatives aux actes et faits juridiques, aux quasi-contrats, ou encore à
la théorie de l’apparence40.

2. L’intérêt d’une continuité juridique sur le concubinage


L’absence de réglementation spéciale constitue-t-elle une interdiction ?
Plus précisément, faut-il réglementer le concubinage pour qu’il soit
légitime ? Il est une règle juridique élémentaire selon laquelle ce qui n’est
pas interdit est permis. Sur le fondement de la liberté nuptiale, tous les
couples ont le choix entre une aventure (l’union libre) et une institution (le
mariage). Les concubins ne sont pas des hors-la-loi qui revendiqueraient une
légitimation de leur statut car le droit positif camerounais de la famille ne
renie pas cette forme d’union. Il ne lui reconnaît simplement pas des effets
juridiques. Le législateur ne semble d’ailleurs pas prêt à les admettre au
regard du silence gardé sur ce sujet par le projet de code des personnes et de
la famille.
Le concubinage constitue à l’heure actuelle au Cameroun un fait
juridique. Il n’est qu’un événement susceptible de produire des effets de
droit 41 puisqu’il n’y a eu aucune promesse encore moins des obligations
entre les concubins. Chacun des partenaires est juridiquement un étranger

37
J. CARBONNIER, Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, 1re éd., LGDJ,
2001, p. 26.
38
Comme l’a justement rappelé le Doyen CORNU (op. cit., p. 92) : « La liberté qui est de
l’essence de [l’union libre] en marque la sortie autant que l’entrée ».
39
Le TPD New-Bell Bassa à Douala l’a confirmé en ces termes : « Les tribunaux de premier
degré n’ont aucune qualité pour prononcer les dissolutions de l’union de fait que constitue le
concubinage, que la loi ignore » (TPD New-Bell Bassa Douala, jugement no 756 du 8 septembre
1977, aff. Ngo Nyemeck c/ Kolong).
40
Lire utilement, CS, arrêt no 2/L du 29 octobre 1998, aff. Sintcheu Isaïe c/ Mafowa, in
F. ANOUKAHA (dir.), Les grandes décisions de la jurisprudence civile camerounaise, coll. « Les
grandes décisions », éd. Lerda, 2008, p. 131 et s., note S. OMBIONO.
41
S. GUINCHARD et G. MONTAGNIER (dir.), Lexique des termes juridiques, 14e éd.,
Dalloz, 2003, V. fait juridique.
A.-F. TJOUEN : LA FEMME AU CAMEROUN 145

pour l’autre si bien qu’un engagement quelconque de responsabilité serait


fondé sur l’article 1382 du Code civil. D’ailleurs la Cour suprême rappelle
qu’une éventuelle reconnaissance judiciaire d’une existence légale de cette
situation de fait constituerait une violation manifeste des dispositions
relatives au mariage et porterait gravement atteinte à l’ordre public social42.
L’éventualité d’une réglementation quelle que soit la formule 43 nous
paraît inopportune en droit camerounais si l’on tire les leçons des
expériences gabonaise et française. Le Code civil gabonais a réglementé
l’union libre. Pour le distinguer du mariage, il le confirme comme étant,
bien que temporairement 44 , un fait juridique qui peut être prouvé par la
possession d’état45. Ainsi, l’un ou les deux concubins doivent par exemple
établir qu’ils ont vécu « ensemble dans la même maison comme mari et
femme, sans avoir contracté mariage l’un avec l’autre » 46 . La doctrine
gabonaise que nous approuvons, ne partage pas cette position. Pour elle, au
lieu d’une cohabitation, « des fréquentations régulières, l’entretien de la
concubine 47 et la présence d’enfants communs justifieraient, à certains
égards, la stabilité requise pour emporter la qualification juridique d’union
libre »48. Les obligations de cohabitation et de communauté de vie imposées
par le législateur gabonais semblent d’autant plus excessives qu’il considère
explicitement comme irrégulier49 le cas de ceux qui, vivant sous des toits
différents, entretiennent tout de même une relation stable et continue50.
En droit français, à côté de l’union libre et ancienne fondée sur une
grande liberté des concubins, il existe depuis 1999 51 une nouvelle forme
d’union dénommée Pacte civil de solidarité (Pacs)52. Mais quelques années
après l’adoption du texte fondateur du Pacs, au moins deux reproches lui

42
CSCO, arrêt no 70 du 18 juin 1963, Bull. no 8, p. 556 ; CS, arrêt no 198/P du 21 mars 2002,
in F. ANOUKAHA (dir.), Les grandes décisions…, op. cit., p. 316, note J. P. TCHOU-BAYO.
43
C’est-à-dire une semi réglementation comme en France ou une réglementation complète
comme au Gabon.
44
Art. 379 de la loi gabonaise : « L’union libre ne produit d’effets juridiques que si elle a duré
au moins deux années consécutives… ».
45
Art. 378 de la loi gabonaise.
46
Art. 377 de la loi gabonaise.
47
Nous inclurions aussi le concubin par respect du principe d’égalité.
48
J. C. JAMES, « Les unions para-matrimoniales en droit gabonais de la famille », Afr. jur. et
pol., Cerdip, vol. 2, no 1, janvier-juin 2003, p. 124.
49
Le titre IV du Code civil gabonais dont le chapitre II traite de cette question, est ainsi
intitulé : « De l’union libre et de la liaison irrégulière ».
50
Précisons que certains couples préfèrent rester en concubinage pour justement éviter de
remplir l’obligation de vivre sous le même toit à cause des risques de disputes constantes dues à la
présence permanente de l’autre.
51
Loi précitée no 99-944 du 15 novembre 1999.
52
Le Pacs est un contrat sui generis, une modalité conventionnelle d’organisation de la vie
commune hors mariage entre deux personnes mais qui, dans ses règles (excepté par exemple
l’indifférence de sexe), se rapproche beaucoup du mariage. En un mot, « le Pacs n’est ni le mariage,
ni l’union libre » (G. CORNU, op. cit., p. 106).
146 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 1-2012

sont faits par la doctrine. D’une part, elle constate un amalgame. « Donner
un statut à l’union libre n’est pas seulement une contradiction dans les
termes, c’est fabriquer un mariage parallèle, un ‘‘mariage bis’’ et par effet
pervers, placer un sous-mariage en position d’attraction dominante »53. Si
donc le Pacs « n’est pas ‘‘le mariage’’, [c’est] ‘‘un mariage’’ »54 qui ne dit
pas son nom car « il obéit à un régime juridique de plus en plus proche de
l’institution de référence »55. D’autre part, si la forme diffère, les règles de
fond relatives au Pacs, bien que sensiblement les mêmes que celles du
mariage56, sont très critiquées. Pour le Doyen Cornu par exemple, « c’est un
bricolage d’amateur [car] les règles qui gouvernent [sa] formation
amalgament les conditions de fond et les formalités »57.
Autant d’éléments suffiraient à attirer l’attention du législateur
camerounais sur les risques d’une réglementation du concubinage. Cette
éventuelle initiative serait dangereuse car bien que de portée générale, elle
n’aurait pour but que de satisfaire une frange de la société qui manque souvent
de courage pour s’engager dans une institution pourtant historiquement forte
en symboles.

B. – La protection de la future épouse

Les fiançailles sont le préalable au mariage en droit camerounais. À la


différence des concubins, les fiancés se sont promis de convoler en justes
noces. Plus proches de l’institution, la future épouse et son fiancé ont donc
plus de considération pour le législateur que les concubins. Pourtant, la
fiancée camerounaise serait encore insuffisamment protégée par la
réglementation des fiançailles et l’encadrement juridique de la dot.

1. La réglementation des fiançailles


Le statut de fiancé(e) n’est pas spécialement encadré par le droit
camerounais : c’est la volonté du législateur qui refuse de conférer aux
fiançailles la nature d’acte juridique. Aussi ne sont-elles « ni obligatoires, ni
bannies » 58 . Les parties à l’union, malgré leur promesse réciproque et
53
G. CORNU, op. cit., p. 116.
54
Th. REVET, « Mariage(s) », RTDciv., 2000, chron., p. 173 et s. ; lire aussi : P. SIMLER et
P. HILT, « Le nouveau visage du Pacs : un quasi-mariage », JCP, 2006, I, 161, no 32 ;
Ph. MALAURIE et H. FULCHIRON, Droit civil, la famille, Defrénois, 3e éd., 2008, no 357.
55
L. MAUGER-VIELPEAU, « Les dix ans du Pacs (la relecture de la décision du Conseil
constitutionnel du 9 novembre 1999, dix ans plus tard) », Petites Affiches, janv. 2010, no 5, p. 6.
56
Ce sont par exemple les conditions de fond dans la formation du Pacs, les règles
matrimoniales, fiscales, etc.
57
G. CORNU, op. cit., p. 117.
58
G. CORNU, op. cit., p. 268.
A.-F. TJOUEN : LA FEMME AU CAMEROUN 147

solennelle59 de mariage, disposent d’une liberté de gestion et de rupture de


la relation. Les fiançailles constituent donc dans le droit positif camerounais
un fait juridique, ce d’autant plus que l’article 16(2) de la CEDEF dispose
qu’ « [elles] n’ont pas d’effets juridiques ». Pour protéger l’un ou l’autre des
fiancés, il leur est offert la possibilité de recourir à l’article 1382 du Code
civil afin de réclamer la réparation du dommage causé par une rupture
abusive.
Ces règles semblent cependant insuffisantes pour rassurer la fiancée
plus exposée aux méfaits d’une rupture dite normale surtout lorsque la
relation a été prolongée. Pour mieux la protéger, le projet de Code des
personnes et de la famille prévoit, en plus des conditions de fond exigées
pour le mariage, d’autres propres aux fiançailles. Mais derrière les
imprécisions dudit projet, se cacherait une nature juridique nouvelle qui
porterait atteinte au principe du respect de la hiérarchie des normes.
Selon le projet, les fiançailles n’obligent pas les fiancés à contracter
mariage (art. 246 al. 3) car chacun d’eux peut les rompre unilatéralement
(art. 250 al. 1). En cas de rupture, la responsabilité de l’auteur ne peut être
que délictuelle (art. 251 al. 2)60. Ces premiers éléments concourent à penser
que les fiançailles seraient, d’après ce texte, un fait juridique 61 . Cette
conception rejoindrait la thèse majoritaire selon laquelle les fiançailles ne
constituent pas une convention légalement formée au sens de l’article 1134
du Code civil 62 . Elles ne seraient pas « civilement obligatoires » car
« civilement inefficaces »63.
Pourtant d’autres dispositions du même projet imposent une réflexion
différente. Certaines des nouvelles conditions laisseraient plutôt penser que
les rédacteurs, dans l’optique de protéger la fiancée, ont voulu ériger les
fiançailles en acte ou promesse d’acte juridique64. Elles pourraient être un

59
Le caractère solennel se manifeste d’une manière particulière en Afrique. C’est ainsi que
l’article 279 du Code malien des personnes et de la famille précise que : « Les fiançailles sont une
convention par laquelle un homme et une femme, en accord avec leur famille, se promettent
mutuellement le mariage ».
60
Telle est aussi la conception du droit malien dont l’article 280 du Code des personnes et de
la famille dispose expressément : « La rupture, sans motif légitime, peut donner droit à réparation en
application des dispositions de la loi portant Régime Général des Obligations ».
61
Lire dans ce sens M. F. BIYEMBE, Les fiançailles dans l’avant-projet de loi portant Code
des personnes et de la famille, Mémoire de DEA, Université de Yaoundé II, 2005-2006.
62
Dans l’ancien système français, la nature juridique des fiançailles a connu une évolution.
D’abord dans le droit canonique, elles étaient considérées comme un acte juridique (Encyclopédie
Dalloz, Droit civil IV – Mariage, no 70, p. 6.). Plus tard, le Code civil de 1804 est resté muet sur la
question. Mais depuis un arrêt de la Cour de cassation française de 1838 (Cass. civ., 30 mai 1838,
Sirey, 1838, I, 492), les fiançailles ont cessé d’être un acte juridique pour devenir un fait juridique ;
conception demeurée admise par le droit camerounais qui a hérité du droit français d’avant 1960.
63
G. CORNU, op. cit., p. 150.
64
Cela est d’autant plus vrai que dans les précédentes moutures, notamment l’Avant-projet, au
lieu d’« engagement », c’est plutôt le mot « convention » qui avait d’abord été utilisé, faisant
148 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 1-2012

acte juridique pour trois raisons au moins. D’abord la promesse


d’engagement de fiançailles doublée de son caractère solennel (art. 221 al.
1) constitue une manifestation de volonté, premier élément distinctif de
l’acte juridique. Ensuite, l’engagement est matérialisé, selon l’article 223
alinéa 2, par un certificat de fiançailles65 (dont on s’interroge d’ailleurs sur
la finalité)66 contrairement au fait juridique qui est un événement en principe
non consigné dans un document quelconque : c’est le deuxième élément
distinctif. Enfin, l’article 225, alinéa 2 du projet prévoit que la durée des
fiançailles ne peut excéder deux ans à compter de la date de l’engagement :
c’est le troisième élément distinctif de l’acte juridique et plus précisément le
contrat à durée déterminée. Le fait juridique par contre n’est pas
particulièrement conditionné par le temps.
Malgré ces analyses, il n’est pas tout à fait juste de conclure que les
fiançailles telles que réglementées par le projet, constituent un acte juridique
pour la simple raison qu’il ne s’agit pas encore de convention mais d’une
promesse de convention. Cependant il ne s’agit pas pour autant d’un fait
juridique. Elles seraient plutôt une variété d’avant-contrats appelée
promesse synallagmatique de contracter67.
Une ambiguïté demeure pourtant car les avant-contrats « sont de
véritables contrats » 68 , ce qui signifie qu’ils obligent les parties à
l’engagement. Or l’article 221, alinéa 3 du projet est on ne peut plus clair :
« Les fiançailles n’obligent pas les fiancés à contracter mariage ». Ainsi, le
délai de deux ans imposé serait plus un moyen de pression qu’une obligation
juridique car aucune sanction n’y est directement attachée. Les rédacteurs
veulent par là inciter les fiancés et plus précisément l’homme à accélérer le
processus de mariage afin d’éviter surtout à la femme, les conséquences
dommageables de la rupture d’une relation très prolongée.

référence à l’acte juridique. S’agit-il alors dans le texte actuel d’une hypocrisie ou d’une simple
prudence des rédacteurs ? La seconde hypothèse nous parait la plus vraisemblable.
65
Le certificat de fiançailles pose cependant un problème : le texte ne précise pas quelle est
l’autorité habilitée à l’établir. S’agit-il des représentants des deux familles ou alors du maire comme
en France (dans ce sens, lire le Méga Code civil, 7e éd., Dalloz, 2007, p. 269) ? Dans ce dernier cas,
la procédure de transcription s’avère nécessaire conformément à l’article 81 de l’Ordonnance du 29
juin 1981 portant organisation de l’état civil.
66
Ce certificat est-il une condition de validité des fiançailles ou alors a-t-il une simple valeur
de preuve ? À notre avis, c’est la seconde hypothèse qui doit être retenue. (Sur la preuve des
fiançailles, lire par ex. B. DJUIDJE CHATUE, La rupture des fiançailles, PUA, Yaoundé, 2010,
p. 87 et s.).
67
Cette promesse se définit comme une situation dans laquelle deux personnes s’engagent
l’une envers l’autre à passer plus tard tel ou tel contrat. (L. BOYER, « Les promesses
synallagmatiques de vente. Contribution à l’étude des avant-contrats », RTDciv., 1989, p. 1 et s.)
68
F. TERRÉ, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil, les obligations, 8e éd., Dalloz, 2002,
p. 188.
A.-F. TJOUEN : LA FEMME AU CAMEROUN 149

Finalement, le projet a de quoi troubler car la nature juridique des


fiançailles semble encore confuse dans l’esprit des rédacteurs. En réalité, ces
dispositions traduisent l’embarras du législateur camerounais sur cette
question car en même temps qu’il essaye de protéger principalement la
femme, il a à l’esprit que les fiançailles doivent autant que possible relever
du domaine de la liberté des fiancés : « elles ne sont juridiquement ni le
préalable nécessaire du mariage, ni un passage illicite »69. Mais alors, quel
est l’intérêt d’une telle conclusion sur la condition de la fiancée ? En fait, le
législateur essaye tant bien que mal de la mettre à l’abri des manœuvres
dolosives de son partenaire tout en respectant la liberté de celui-ci de se
marier ou non.
Malgré l’embarras, il y a au moins une certitude : si le projet est adopté,
voté et promulgué en l’état, il sera anti-conventionnel compte tenu des
dispositions précitées de l’article 16(2) de la CEDEF qui privent les
fiançailles d’effets juridiques. De ce fait, l’éventuelle loi devrait subir le cas
échéant, la procédure du contrôle a posteriori par le juge. Autrement dit,
quelle que soit la formule choisie par le législateur camerounais, il doit
rester dans la logique de conférer aux fiançailles la nature de fait juridique
puisqu’il peut par la même occasion protéger la fiancée. En réalité, la
CEDEF lui impose d’éviter une protection excessive au risque de porter
atteinte à l’un des fondements des fiançailles : la liberté nuptiale.

2. L’encadrement juridique de la dot


En droit coutumier, le versement de la dot suffit à considérer le mariage
valable. Mais le droit écrit a fragilisé cette règle. L’article 70 de
l’Ordonnance de 1981, dont l’idée est reprise par l’article 248 du projet,
dispose en effet que le versement de la dot n’est plus une condition de
validité du mariage. Cette nouvelle règle s’accommode de la réalité
contemporaine selon laquelle la dot constitue « le prix d’achat de la
femme » alors considérée comme un objet.
L’Ordonnance de 1981 n’a cependant pas interdit les mariages
coutumiers. Au contraire, le législateur les admet à condition qu’ils soient
transcrits dans les registres d’état civil du lieu de naissance ou de résidence
de l’un des époux (art. 81-1 ord. 1981) : c’est une forme de légitimation des
pratiques coutumières. Mais depuis la ratification de la CEDEF par le
Cameroun, la question se pose de savoir quelle est la valeur de ces
dispositions ? Aux termes de l’article 5(a) de ladite Convention, les États
parties, dont le Cameroun, doivent prendre toutes les mesures appropriées
pour « modifier les schémas et modèles de comportement socio-culturel de

69
G. CORNU, op. cit., p. 268.
150 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 1-2012

l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et


des pratiques coutumières (...) qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou
de la supériorité de l’un ou de l’autre sexe ... ». Par conformité à ces
dispositions, le législateur, au lieu d’accorder son onction aux mariages
coutumiers, ne devrait-il pas plutôt les interdire ?
L’article 81(2) de l’Ordonnance de 1981 semble aller dans ce sens mais
la règle n’est pas contraignante. Il dispose que malgré l’autorisation de
transcription prévue à l’alinéa 1er, le Président de la République peut, par
décret, interdire sur tout ou partie du territoire, la célébration desdits
mariages. Cette disposition serait critiquable dans la mesure où elle accorde
au Président de la République une simple faculté d’interdiction alors que la
CEDEF semble en faire une obligation pour les États. Mais la convention
n’a pas précisé avec exactitude la méthode de lutte. Il est simplement prévu
à l’article 2(f) que « les États ... s’engagent à prendre toutes les mesures
appropriées, y compris des dispositions législatives, pour modifier ou
abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui
constitue une discrimination à l’égard des femmes ».
Certes la lettre des dispositions de la CEDEF laisse le choix de la
technique, mais dans son esprit, les États doivent éliminer toute pratique
coutumière constituant une discrimination à l’égard des femmes. En
attendant, l’article 357 du Code pénal donne la possibilité à l’homme de
poursuivre la famille de la fille en justice pour versement d’une dot abusive.
L’idée est que la femme ne doit plus être achetée comme un bien précieux70
car sur le plan social, cela éviterait par exemple à certaines épouses les
railleries de l’entourage 71 . Mais l’exploitation de l’article 357 est-elle
favorable au prétendant ? Une telle initiative n’est pas envisageable pour
celui qui reste déterminé à épouser sa fiancée car elle serait incompatible
avec l’un des objectifs du mariage : l’union et la paix entre les deux
familles. Par contre, pour le fiancé qui estime ne plus vouloir se marier, il
réclamera plutôt le remboursement de la dot conformément à l’article 71(2)
de l’Ordonnance de 1981. Mais il n’est pas à l’abri d’une poursuite
judiciaire engagée par la fiancée déçue qui réclamerait des dommages-
intérêts pour rupture abusive des fiançailles.
Finalement l’article 357 du Code pénal est d’application délicate. Il a
pourtant l’avantage, contrairement aux dispositions précitées de

70
Il arrive en effet que le futur gendre n’achète que les ¾ ou 90% de ce qui lui est demandé.
Dans ce cas, certaines familles acceptent ces biens comme de simples cadeaux le renvoyant, fou de
rage, exécuter la commande à 100%.
71
« La femme qui n’a pas été achetée, ou qui l’a été, mais pour un prix peu élevé se sentira
méprisée ». Tel avait été le constat fait par M. NKOUENDJIN, op. cit. p. 75. L’auteur a pu rapporter
ces propos parfois entendus dans des disputes de femmes : « Je te méprise toi qui n’a été achetée que
pour le prix d’une paire de chaussures, voilà ce que tu es, une semelle… ».
A.-F. TJOUEN : LA FEMME AU CAMEROUN 151

l’Ordonnance de 1981, d’éviter la sanction d’être anti-conventionnel. Mais


la loi camerounaise reste perfectible. Dans ce sens, faut-il suivre la voie du
Code malien de la famille qui a légitimé la dot tout en lui restituant son
caractère symbolique72 ou alors adopter des mesures plus radicales ? À notre
avis, la règle de l’article 289 du Code malien de la famille pose le même
problème que celui de l’article 357 du Code pénal camerounais examiné ci-
dessus : théoriquement admissible, elle est d’application subjective car
difficilement contrôlable à moins d’exiger une preuve telle qu’un reçu par
exemple73. Une solution plus ferme peut aussi être explorée pour améliorer
le droit camerounais. Dans ce sens, deux mesures consécutives pourraient
être prises : la suppression de l’article 81(1)(2) de l’Ordonnance de 1981 au
profit d’une nouvelle disposition interdisant explicitement les mariages
coutumiers. C’est justement le sens de l’article 248 précité du projet.
Si cette solution est juridiquement inévitable compte tenu du respect de
la hiérarchie des normes (art. 45 de la Constitution), elle pose tout de même
deux problèmes, l’un d’ordre social et l’autre d’ordre juridico-culturel. Sur
le plan social, l’insuffisance des centres d’état civil et le risque
d’encouragement du concubinage justifieraient la tolérance des mariages
coutumiers 74 . La solution d’interdire lesdits mariages, surtout dans les
localités très éloignées des centres d’état civil, ne serait pas opportune dans
l’immédiat. En attendant d’atteindre le nombre de centres escompté, la
célébration foraine (c’est-à-dire non pas au centre d’état civil mais dans le
village de l’une ou l’autre famille) serait une solution exceptionnelle et
transitoire ; la célébration du mariage dans les locaux du centre d’état civil
n’étant pas une condition de fond du mariage, mais plutôt la célébration par
un officier d’état civil assermenté75 sur son territoire de compétence.
Sur le plan juridico-culturel, interdire les mariages coutumiers serait
fragiliser le pluralisme juridique qui constitue la particularité du droit
camerounais fondé sur la variété de cultures. Au lieu de s’affronter, le droit
écrit et le droit coutumier devraient plutôt se compléter. C’est l’esprit de
l’article 81(1) de l’Ordonnance de 1981. Mais la pratique de la dot a été
dévalorisée76 au profit de la valeur marchande de la femme. Pourtant les
deux droits doivent cohabiter, mais cela dans le respect de la dignité

72
Aux termes de l’article 289 dudit Code : « La dot a un caractère symbolique. Elle ne peut en
aucun cas excéder la somme de 15 000 francs ».
73
Convenons qu’une telle hypothèse reste très difficilement admissible par les familles.
74
En plus de la volonté de conserver les coutumes locales, les mariages coutumiers auraient
été maintenus afin de combattre les unions libres en permettant aux familles résidant dans des
localités très enclavées et dépourvues de centre d’état civil de pouvoir célébrer coutumièrement leur
mariage avant la transcription prochaine dans un registre d’état civil.
75
Art. 7 Ord. 1981.
76
R. DECOTIGNIES, « Requiem pour la famille africaine », Annales africaines, 1965, p. 251
et s. ; B. DJOBO, « La dot chez les Kotokoli de Sokodé », Penant, 1962, no 693, p. 546 et s.
152 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 1-2012

humaine afin que « la modernité alliée à l’africanité [aboutisse] à un surcroît


d’efficacité »77.

II. LA CONDITION DE LA FEMME MARIÉE

La notion de femme mariée est logiquement entendue comme étant


celle qui vit dans le mariage : c’est l’épouse. Si l’on observe que le droit
camerounais lui accorde de plus en plus de droits pendant le mariage, sa
situation est plutôt variable à la dissolution de son mariage.

A. – L’évolution des droits de l’épouse pendant le mariage

Les droits de l’épouse évoluent positivement au Cameroun et en


Afrique 78 grâce à la rationalisation croissante des règles coutumières et
l’influence de plus en plus marquée du principe d’égalité entre époux. Il faut
cependant faire attention à ce qu’une protection excessive de la condition de
l’épouse ne fragilise le mariage.

1. La rationalisation des règles coutumières


Les règles coutumières camerounaises sont largement défavorables à
l’épouse à tel point qu’elle est quelquefois réifiée. C’est l’une des raisons
pour lesquelles, il y a quelques décennies, la doctrine estimait que « le droit
coutumier est conçu comme un droit qui n’a pas encore réussi à s’élever au
niveau du droit moderne. Il s’agit d’un droit sous-développé, inférieur,
primitif »79. Heureusement, certaines coutumes ne sont pas déshumanisantes
et les mentalités évoluent. Ainsi, le droit de retraite80 a toujours été reconnu
à l’épouse en cas de défaillance ou d’abus de droit de son mari sans que cela
puisse heurter les sensibilités. Au contraire, c’est un moyen noble et

77
S. MELONE, « La technique de la codification en Afrique », op. cit., p. 313.
78
C’est le cas du Sénégal. Lire par ex. A. SOW SIDIBE, « L’évolution de l’autorité dans les
familles sénégalaises », Afr. jur. pol., Cerdip, vol. 2, no 1, 2003, p. 125 et s.
79
A. MIGNOT, « Droit coutumier et anthropologie juridique », Penant, no 755-758, 1977,
p. 355.
80
Le droit de retraite a été défini comme celui dont dispose « la femme qui s’estime
maltraitée, malmenée ou malheureuse dans son ménage du fait du comportement de son mari – voire
de sa belle famille – (…) de se retirer provisoirement pour échapper à son sort en attendant des jours
meilleurs, par exemple que son mari revienne à la raison et se calme, ou qu’on – amis, parents – l’y
fasse revenir. » (G. B. DZEUKOU, « Un droit coutumier de la femme mariée : le droit de retraite »,
Penant, no 856, juill.-sept. 2006, p. 353).
A.-F. TJOUEN : LA FEMME AU CAMEROUN 153

relativement efficace dont elle dispose pour contraindre son mari à respecter
sa dignité81 ou à agir dans l’intérêt de la famille.
Contrairement aux mentalités, le droit camerounais ne semble pas avoir
évolué sur certaines questions dont principalement le droit de correction
dont dispose le mari sur son épouse. Pourtant la raison des juges, influencée
par le législateur82 et la doctrine83 mais s’adaptant surtout à la modernité,
devrait de plus en plus l’emporter sur la force de la coutume africaine
déshumanisante. La jurisprudence sur le droit de correction84 devrait donc, à
moins de l’avoir déjà été85, connaître un revirement d’ailleurs très attendu
afin de respecter les droits de l’Homme dont les principes ont été intégrés
dans la Constitution du 18 janvier 1996. Il est prévu dans son préambule
que : « Toute personne a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale.
Elle doit être traitée en toute circonstance avec humanité. En aucun cas, elle
ne peut être soumise à la torture, à des peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants ».
Mais cette évolution serait insuffisante car des souhaits restent formulés
dans le sens de l’amélioration de la condition de l’épouse. Le premier est de
contenir la polygynie qui est le fait pour l’époux d’avoir plusieurs femmes86.
Bien qu’accordant d’importants privilèges au mari 87 , la polygynie est
permise parce qu’elle aurait un intérêt économique 88 . Cependant, sur le

81
Selon G. B. DZEUKOU (op. cit. pp. 368-369) : « Le droit de retraite serait ainsi le pendant
ou la contrepartie nécessaire du droit de correction que le droit coutumier reconnaît exclusivement
au mari sur sa femme ».
82
C’est le cas des articles 276 et s. du Code pénal qui ne font aucune distinction entre les
violences et coups infligés par le mari ou un tiers.
83
M. NKOUENDJIN-YOTNDA, « Du droit de « boxer » sa femme », Penant, no 755, 1977,
pp. 5-9 ; T. ATANGANA MALONGUE, op. cit., p. 838 et s.
84
V. par ex. CS arrêt no 42/L du 4 janv. 1972, BACS, no 26, p. 3463. Dans le cas d’espèce,
l’épouse demandait le divorce pour avoir été « sauvagement » battue par son mari. Son action fût
rejetée au motif que la coutume des époux reconnaît au mari un droit de correction sur sa femme.
V. aussi CS arrêt no 17/L du 5 déc. 1967, BACS, no 17, p. 1901 : dans cette affaire, la Cour suprême,
reconnaissant le droit de correction du mari sur sa femme, avait débouté celle-ci de sa demande de
divorce au motif que « les sévices dont l’intimée fait état n’ont été que de justes corrections que le
droit et la coutume permettent au mari bafoué d’infliger à l’épouse infidèle ».
85
En l’état actuel de nos recherches, il nous apparait que les juridictions de droit coutumier
reconnaissent toujours le droit de correction au mari. Par contre, sur la base des sévices ou
d’infractions telles que les blessures par exemple, la jurisprudence de droit écrit condamne
régulièrement les époux qui ont usé de leur droit de correction pour porter la main sur leur femme.
86
Dans le système polygamique camerounais, la polyandrie (c’est-à-dire le fait pour la femme
d’avoir plusieurs époux) est interdite.
87
Il a le pouvoir de choisir soit une résidence commune (qui impliquerait la cohabitation des
épouses), soit des résidences séparées. Quant au devoir de fidélité, il crée un « système de
roulement » (P.-G. POUGOUE, op. cit., p. 211) qui oblige les co-épouses à se répartir les nuits à
passer avec leur mari parfois selon un calendrier préalablement établi et connu de toutes (TGI
Mfoundi, 3 juin 1987, no 268 ; TGI Wouri, 6 déc. 1991, no 134).
88
En effet dans certaines coutumes, la richesse et la puissance semblent être fonction du
nombre de femmes d’un individu ; d’autres familles, à défaut de trouver un prétendant célibataire, se
154 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 1-2012

fondement de l’égalité entre les époux, elle est contestable et contestée89


malgré l’effort jurisprudentiel d’adaptation de la coutume aux règles de droit
écrit90. La doctrine s’accorde à dire que l’ingéniosité jurisprudentielle en la
matière ne semble pas suffisante 91 car elle est loin d’être une panacée.
« Quelle que soit la volonté législative et jurisprudentielle, les solutions
apportées à la polygamie ne seront que rafistolage »92.
Mais le moyen le plus réaliste de résoudre ce problème serait d’éviter
les solutions extrémistes telles que l’admission d’une « polygamie
intégrale »93 ou la suppression pure et simple de la polygynie. Ne pouvant
lui procurer la béatitude dans un contexte très marqué par les coutumes, le
droit camerounais devrait trouver le moyen d’alléger les souffrances de
l’épouse. Le moindre mal serait alors de marginaliser la polygynie. La
formule ne serait donc pas comme c’est le cas dans le projet94, de revenir sur
la règle actuelle en faisant de la polygynie une exception 95 . Il serait
préférable d’opter pour une polygynie raisonnable limitée par le législateur à
un nombre déterminé d’épouses : l’homme marié ne devrait plus
indéfiniment agrandir son harem au nom de la polygamie. Au-delà d’un
nombre précis de mariages contractés et non dissous, les mariages
subséquents devraient être sanctionnés soit par l’opposition des premières
épouses avant le mariage, soit par la nullité absolue pour atteinte à l’ordre
public lorsque le mariage a été célébré. Cette solution aurait au moins le
double avantage de réduire les conflits et de permettre aux épouses de
partager plus souvent les confidences de leur mari. Plus il multiplie ses
foyers, plus il y a des risques de tensions et moins ses épouses sont
satisfaites de lui. Pourtant, bien qu’ayant opté bon gré mal gré pour la
polygynie, elles ne demandent pas bien plus que d’être heureuses c’est-à-
dire au moins d’être le plus souvent proches et en harmonie avec leur époux.

résignent à proposer leur fille en mariage à des polygames afin d’être débarrasser d’une charge et
dans l’espoir d’en tirer des avantages. Lire aussi S. TEPI, Le droit traditionnel dans le droit positif
camerounais, Thèse de doctorat en droit, Univ. Yaoundé II, nov. 1996, p. 149 et s.
89
S. MELONE, La parenté et la terre dans la stratégie du développement, Paris, éd.
Klincksieck, 1972, p. 119.
90
Pour le Pr T. ATANGANA MALONGUE (op. cit., p. 844) par exemple, « il est difficile de
se réjouir du travail prétorien d’adaptation des dispositions du Code civil au mariage polygamique.
La question est de savoir si cette élaboration prétorienne œuvre dans le sens de l’égalité. Force est de
constater qu’intrinsèquement, la polygamie crée l’inégalité et l’insécurité juridique dans la famille ».
91
F. ANOUKAHA, L’apport de la jurisprudence… op. cit., p. 412.
92
T. ATANGANA MALONGUE, op. cit.
93
La « polygamie intégrale » consisterait à légaliser la polyandrie tout en conservant la
polygynie.
94
L’article 255(2) dispose que « lorsque ce choix n’a pas été expressément opéré par les
époux, l’option qui leur est appliquée est la monogamie ». Lire dans le même sens T. ATANGANA
MALONGUE, op. cit.
95
Actuellement en droit camerounais, la polygamie est le principe et la monogamie
l’exception.
A.-F. TJOUEN : LA FEMME AU CAMEROUN 155

Le second souhait est d’évoluer vers une meilleure reconnaissance des


droits de l’épouse sur ses enfants. La loi camerounaise actuellement en
vigueur accorde au mari la « puissance paternelle » aussi bien dans la
famille légitime (titre 9 du C. civ.) que dans la famille naturelle (art. 47 de
l’Ordonnance de 1981) bien que les modalités d’exercice soient
différentes96.
La doctrine s’est surtout intéressée à la puissance paternelle dans la
filiation naturelle97, considérant parfois que l’expression est excessive98. Au
sein de la famille légitime, le débat nous semble tout aussi utile. L’article 373
du Code civil dispose que « le père exerce seul la puissance paternelle durant
le mariage ». En tant que chef de famille (art. 213 C. civ.), il détient l’essentiel
du pouvoir sur la personne de l’enfant99 et sur ses biens qu’il administre et
dont il a la jouissance légale. De son coté, la mère ne peut exercer son pouvoir
qu’en cas de crise100. L’expression « puissance paternelle » parait ainsi trouver
tout son sens car, dans l’hypothèse d’une vie normale, le pouvoir de la mère
sur ses enfants serait inexistant. En réalité, il existe mais elle ne l’a pas
souvent exercé tambours battants101.
L’expression « puissance paternelle » dans la famille légitime nous
semble donc également excessive car le père n’est pas si « puissant » qu’on
peut croire. Certes il demeure le principal responsable de la famille, mais
non seulement la consultation de son épouse s’impose à lui (car il peut être
poursuivi pour abus de son droit), il doit aussi tenir compte de l’intérêt de
l’enfant. La question se pose alors de savoir si au lieu de la « puissance
paternelle », ne faudrait-il pas plutôt employer l’expression « autorité
parentale ». Le droit comparé offre des pistes de réponse. Le législateur
sénégalais a la même position que son homologue camerounais : le mari est

96
Dans le premier cas, le mari exerce pleinement cette fonction tandis que dans le second, elle
est « conjointement exercée par la mère et par le père à l’égard duquel la filiation a été légalement
établie » (art. 47 ord. 1981).
97
Entre autres : F. ANOUKAHA, « La filiation naturelle au Cameroun après l’ordonnance
n° 81-02 du 29 juin 1981 », Penant, 1987, n° 793, p. 7 et s. ; L. ELOMO NTONGA, L’enfant
naturel en droit camerounais, Mémoire Master’s degree, Université de Yaoundé, 1979.
98
Selon le Professeur ANOUKAHA par exemple (op. cit., p. 30) : « n’est-il pas paradoxal de
parler de puissance paternelle dans une hypothèse où la mère est appelée à intervenir bien plus
souvent que le père. Le qualificatif de ‘‘parentale’’ n’aurait-il pas mieux valu ? ».
99
Il a le droit de garder l’enfant au lieu de résidence qu’il a choisi pour la famille. Il est aussi
seul à pouvoir permettre ou empêcher les atteintes aux attributs de la personnalité de l’enfant.
100
Incapacité, déchéance ou absence du père, séparation de corps, etc.
101
L’épouse-mère camerounaise est très active mais est longtemps restée discrète. Elle est
autant responsable de ses enfants que son mari si bien que les décisions ne sont pas toujours prises
par lui de façon unilatérale. Elles devraient être le fruit d’une concertation entre les deux époux.
Mais en cas de désaccord profond conduisant à une impasse, le mari a le dernier mot en vertu des
articles 213 et 373 du Code civil à condition que sa solution prenne en compte l’intérêt de l’enfant.
Dans le cas contraire, son épouse devrait pouvoir s’y opposer (soit devant le juge, soit en usant de
son droit de retraite) autant que lorsqu’il a décidé seul sans la consulter.
156 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 1-2012

le chef de famille102 et il exerce la puissance paternelle103. Le Code de la


famille béninois et le Code civil français sont également explicites lorsque,
privant le mari de la qualité de chef de famille, prévoient que la direction du
ménage (art. 213 C. civ.) et l’autorité sur les enfants (art. 371 al. 1 C. civ.)
sont conjointement assurées par les deux époux (art. 155 Code bén.).
Cette dernière approche proposée par le professeur Thérèse Atangana
Malongue 104 , est retenue par le projet 105 . Cela permettrait sans doute de
respecter les dispositions de l’article 16 de la CEDEF, mais à notre avis, il
serait préférable d’explorer une autre piste en droit camerounais. Dans la
culture africaine, malgré l’influence des notions de « chef » et de
« puissance » sur le comportement des peuples 106 , l’évolution des mœurs
autorise la femme à exercer plus d’influence sur les décisions de son mari à
l’égard de leurs enfants. Dans cet esprit, il devrait être reconnu au mari non
plus la « puissance », mais une simple « autorité ». Par contre, dans la
mentalité commune et pour éviter d’interminables conflits d’autorité qui
aboutiraient malheureusement devant le juge, il doit rester le principal
responsable des droits et devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant
(d’où l’idée de conserver l’adjectif « paternelle »).
Finalement, au lieu de puissance paternelle ou d’autorité parentale,
chacun excessif à divers points de vue, la notion d’autorité paternelle serait
aujourd’hui, plus adaptée au contexte camerounais. Aussi convient-il de
penser que l’« autorité parentale » retenue par le projet de loi ne devrait pas
avoir le même contenu qu’en droit français où les deux parents assurent ce
rôle conjointement et jusqu’au bout. Afin d’éviter le plus possible
l’intervention du juge, le mari devrait, en cas de profond désaccord, être
autorisé à prendre la décision qui s’impose dans l’intérêt des enfants.

2. L’influence du principe d’égalité entre époux


La condition de la femme au sein du couple est aujourd’hui
indissociable du principe d’égalité entre les époux. Certes le droit accorde à
l’épouse une considération croissante, mais contrairement à l’opinion d’un
auteur 107 et à l’idée véhiculée par l’article 16 de la CEDEF, une égalité

102
Art. 152 du Code de la famille. Lire dans ce sens A. SOW SIDIBE, L’évolution de
l’autorité dans les familles sénégalaises, op. cit.
103
Art. 277(2) du Code de la famille.
104
Pour elle, « il convient d’enlever au mari sa qualité de chef de famille et d’attribuer
conjointement aux deux époux la direction du ménage ». T. ATANGANA MALONGUE, op. cit.,
p. 839.
105
Art. 342 et s.
106
T. ATANGANA MALONGUE, op. cit.
107
Selon STENDHAL, « l’admission des femmes à l’égalité parfaite serait la marque la plus
sûre de la civilisation et doublerait les forces intellectuelles du genre humain ». STENDHAL cité par
A.-F. TJOUEN : LA FEMME AU CAMEROUN 157

parfaite dans le couple est utopique108. La question qui se pose est de savoir
ce qu’il adviendrait si les époux titulaires des mêmes droits et
responsabilités conformément à la CEDEF, se trouvaient dans une impasse
due à une mésentente profonde. Certes l’assistance sociale voire le juge
serait sollicité, mais le couple serait du même coup exposé à une influence
extérieure. Les problèmes conjugaux doivent autant que possible demeurer
dans le foyer conjugal sinon dans la famille au sens large du terme109. Aussi
à défaut de consensus, l’un des conjoints doit-il avoir le dernier mot dans
l’intérêt du ménage. L’inégalité semble donc inévitable. Même si l’écart se
réduit constamment, il en serait toujours ainsi : aujourd’hui elle profiterait à
l’homme, demain profitera-t-elle peut-être à la femme.
Pourtant la règle de l’inégalité est contraire à tous les principes énoncés
par le droit international des droits de l’Homme car « dans un État laïc et
démocratique comme le Cameroun, les droits des conjoints ne peuvent se
fonder sur le droit religieux (…), mais sur les principes énoncés par [les
conventions internationales dont] la CEDEF » 110 . Cependant la lettre des
textes internationaux aurait elle-même un défaut car elle semble établir une
égalité parfaite entre les époux. En réalité les dispositions des conventions
internationales doivent être interprétées non pas littéralement mais
téléologiquement (c’est-à-dire selon leur esprit). Au lieu d’une impossible
égalité parfaite, elles prôneraient plutôt l’idée plus réaliste d’une égalité
dans la différence. En effet, comme l’a relevé le professeur Léopold
Donfack Sokeng, « la femme et l’homme ne peuvent avoir une condition
sociale identique parce que la société ne leur assigne guère le même rôle.
Naturellement différents l’un de l’autre, ils jouissent cependant des mêmes
droits parce que partageant la même dignité d’être humain (…). L’important
est que l’un et l’autre soient également épanouis en vue du bien-être de la
famille ... »111.

F. KAUDJHIS-OFFOUMOU (avocat et enseignante de droit en Côte d’Ivoire), Les droits de la


femme en Côte d’Ivoire, éd. KOF et NETER, 1995, p. 13.
108
Outre les textes, de moins en moins d’hommes et de femmes admettent que l’idée même
d’égalité de droits entre l’homme et la femme est aberrante. Mais cette conception n’a pas toujours
emporté l’unanimité. L’auteur Colette (1873-1954) a dit un jour : « Une femme qui se croit
intelligente réclame les mêmes droits que l’homme, une femme intelligente y renonce » (citée par N.
BENSADON, Les droits de la femme… op. cit. p. 105).
109
Sur la notion de famille large ou restreinte, lire entre autres : A. BENABENT, Droit civil :
La famille, 2e éd., Litec, 2001, p. 6 ; P. COURBE, Droit de la famille, 4e éd., Armand Colin, 2005,
p. 6 et 7.
110
Y. L. AKOA, La mise en œuvre de la convention sur l’élimination …, op. cit., p. 83.
111
L. DONFACK SOKENG, « Le sexe du droit au Cameroun, À propos de l’égalité entre la
femme et l’homme », Sup. infos, no 15, mai 2010, p. 37.
158 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 1-2012

Les difficultés de mise en œuvre de l’égalité se perçoivent bien en droit


pénal112 et plus précisément en droit pénal de la famille à propos du viol
entre époux 113 . Lequel serait le violeur ? Aux termes de l’article 296 du
Code pénal camerounais114, ce serait le mari en tant que l’homme et son
épouse, la victime. Mais en vertu du principe de l’égalité consacré par la
CEDEF, le droit camerounais ne devrait-il pas évoluer sur cette question ?
La réponse est certainement positive. Mais il se poserait un problème
d’application du principe d’égalité. Deux interprétations de cette règle sont
possibles : soit, sur le fondement d’une égalité parfaite, l’épouse peut aussi
être auteur de viol sur la personne de son mari, soit alors, sur le fondement
d’une égalité qui tient compte des spécificités des genres115, seul le mari
pour « des raisons anatomiques et grammaticales évidentes »116, demeure le
seul violeur.
A priori, la seconde hypothèse devrait être retenue car il est difficile
pour l’épouse de violer son conjoint qui ne désire pas avoir de rapports
sexuels entendus comme « coït sexuel complet imposé par un homme à une
femme »117. Cependant, si comme en droit pénal français118, le contenu de la
notion de relations sexuelles dont il est question à l’article 296 du Code
pénal camerounais venait à (encore que compte tenu des conventions
internationales sur l’égalité, il devrait) s’étendre à un sens large comme
« tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit, commis sur
la personne d’autrui », alors il est possible que l’épouse, par tous actes y
compris ceux contre nature, puisse aussi répondre de viol sur la personne de
son mari. C’est le concept juridique de « femme violeuse »119.
Finalement le principe d’égalité entre époux est d’application variable
selon les situations. Dans certains domaines de la vie de couple, l’égalité
parfaite est réalisable (ex. les obligations de fidélité et d’assistance,
l’éducation des enfants), mais dans d’autres elle semble impossible sans

112
C. GUIMBANG A KEDI, Sexualité et droit pénal, Mémoire de DEA, Université de
Yaoundé II-Soa, 2001-2002.
113
En droit camerounais comme en droit français, le principe a longtemps été qu’il n’y a pas
viol entre époux sauf si les rapports sexuels non consentis, sont anormaux (Cass. crim. 25 juin 1857,
Bull. crim. 240). Mais la jurisprudence française a évolué considérant par la suite qu’il y a viol entre
époux (Grenoble, ch. d’accus., 4 juin 1980, Min. publ. c/ Pongi et autres).
114
L’article 296 Cp dispose expressément : « Est puni d’un emprisonnement de cinq à dix ans
celui qui à l’aide de violences physiques ou morales contraint une femme, même pubère, à avoir
avec lui des relations sexuelles ».
115
P. BOURDIEU, La domination masculine, Paris, Seuil, 1998 ; J. C. MEBU CHIMI, Le
genre au Cameroun : diagnostic, politiques et stratégies de valorisation du potentiel féminin,
GTZ/BC, Yaoundé, 1996, dactyl.
116
R. VOUIN et M. L. RASSAT, Droit pénal spécial, 6e éd., Dalloz, 1988, p. 450.
117
R. VOUIN et M. L. RASSAT, loc. cit., p. 449.
118
Art. 332 al. 1er, C. pén.
119
D. MAYER, « Le nouvel éclairage donné au viol par la réforme du 23 décembre 1980 », D.
1981, chron. 283.
A.-F. TJOUEN : LA FEMME AU CAMEROUN 159

causer de dégâts (ex. la direction du ménage). Pour préserver l’équilibre du


couple, l’un seulement des conjoints devrait être le principal responsable de
la famille pourvu bien entendu d’agir dans l’intérêt du ménage et de tenir
compte de l’opinion de l’autre. Le mari camerounais, compte tenu de la
réalité africaine, devrait conserver son statut de directeur du ménage. Mais
la femme, toujours aux côtés de son conjoint, mériterait plus de
considération afin que le mariage s’apparente à une voiture que le couple
conduit sur l’autoroute de la vie : il y a un seul chauffeur (le mari) et un seul
« chef de bord » (la femme). Les rôles pourraient être inversés soit à cause
d’une incapacité ou la faiblesse120 du mari, soit d’un commun accord des
conjoints. Toujours est-il que les deux, assis sur les sièges avant du véhicule,
ont une même visibilité de la route. Ainsi, chacun a une responsabilité au
cours du trajet : l’un conduit, l’autre contrôle. En installant l’épouse sur la
banquette arrière (ce qui la dévaloriserait) ou à la même place que le
chauffeur, le couple courrait à la catastrophe qui, en droit, n’est autre que la
dissolution du mariage par le divorce voire le décès provoqué de l’un ou les
deux conjoints. Pour éviter d’arriver à ce stade, chaque conjoint devrait,
pensons-nous, rester dans son rôle afin que la famille apparaisse « comme
une association des époux avec prééminence contrôlée du mari,
exceptionnellement de la femme »121.

B. – La situation variable de l’épouse à la dissolution du mariage

Le mariage se dissous soit par le divorce judiciairement prononcé, soit


par le décès de l’un des conjoints. Mais si le sort de la femme divorcée reste
ambigu, celui de la veuve par contre évolue.

1. L’ambigüité sur le sort de la femme divorcée


En cas de divorce, le droit camerounais accorde à la femme des droits et
devoirs sur les plans personnel et patrimonial. Sur le plan personnel, elle a
par exemple le droit de conserver le nom de son mari et le devoir de
respecter le délai de viduité au cas où elle voudrait se remarier. Ce délai est
de 300 jours à compter du prononcé du divorce122. Repris par le Projet de

120
Le Professeur Henri Mazeaud observait que « si la nature a fait l’homme plus apte que la
femme à la direction du foyer, il existe des ménages où le sexe faible est le sexe fort. Mais la loi est
faite pour la situation normale et elle prévoit, pour les cas exceptionnels, la possibilité de
dérogations. » (H. MAZEAUD, « Une famille sans chef », D. 1951-1, chron. 33, p. 143).
121
H. MAZEAUD, op. cit., p. 141.
122
Une précision s’impose à ce sujet à propos des dispositions du Code civil et de
l’Ordonnance de 1981. Selon le premier texte, le délai de viduité est de 300 jours aussi bien pour la
femme divorcée que pour la veuve. Mais d’après l’Ordonnance de 1981, ce délai est de 180 jours
160 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 1-2012

Code des personnes et de la famille (art. 278), le délai de 300 jours est à la
fois logique et raisonnable parce qu’il permet d’éviter la confusion des pères
d’un enfant qui viendrait à naître au cours de cette période. En droit
camerounais, si l’enfant légitime a pour père le mari de sa mère, encore faut-
il qu’il soit conçu ou né pendant leur mariage123 . Or il peut arriver que,
conçu dans le premier mariage de sa mère, il naisse dans un second après la
dissolution du premier parce qu’elle n’a pas respecté le délai de viduité. La
période de 300 jours accorde donc suffisamment de temps à la femme
enceinte de son premier mari pour accoucher avant de s’engager dans un
nouveau mariage.
Sur le plan patrimonial, si la femme divorcée peut réclamer une pension
alimentaire pour elle-même et ses enfants, la situation est plus compliquée
lorsqu’il s’agit du partage des biens de la communauté. Dans un système
fondé sur le pluralisme juridique, le problème porte sur la difficulté à
appliquer à la fois les règles de droit écrit et celles de droit coutumier. Le
droit écrit ne reconnaît que le mariage monogamique dont la dissolution par
le divorce entraine le partage par moitié des biens de la communauté
(art. 1474 du Code civil). En droit coutumier par contre, la règle est la
polygamie et aux conjoints s’appliquent en principe le régime de la
séparation des biens. Mais lorsque les parties ont opté pour le régime de la
communauté, la jurisprudence a réussi à consacrer dans ce cas un régime dit
de communauté sous condition de participation de l’époux demandeur qui
est bien souvent la femme124.
En vertu de la règle établie par la Cour suprême selon laquelle
« l’option de juridiction emporte option de législation »125, la juridiction de
droit écrit (c’est-à-dire le tribunal de grande instance) doit appliquer les
règles du Code civil et celle de droit coutumier (en l’occurrence le tribunal
de premier degré) doit se référer à la coutume des parties. Pourtant au fil du
temps, cette règle a été remise en cause en matière de partage de la
communauté. Jusqu’à nos jours, la Chambre civile et commerciale126 de la

pour la veuve. Sur la base de la règle selon laquelle specialia generalibus derogant, cela signifie que
ce délai est de 180 jours pour la veuve.
123
Aux termes de l’article 312 du Code civil : « L’enfant conçu pendant le mariage a pour
père le mari de sa mère ». Mais la jurisprudence a élargi cette conception de l’enfant légitime en
décidant qu’est également légitime : l’enfant conçu avant mais né pendant le mariage (Cass. civ.,
8 janv. 1930, aff. Degas, Sirez 1930, I, p. 257) et celui conçu pendant le mariage mais né après
celui-ci (C.S., arrêt no 65 du 4 juin 1963, aff. Ogez, Bull., p. 552).
124
C.S., arrêt no 30/L du 12 janv. 1971, Rev. Cam. Droit, no 1, p. 64 ; arrêt no 87/L du 28 mars
1972, Rev. Cam. Droit, no 5, p. 71, arrêt no 41/L du 2 mai 1985, Juridis infos, no 2, 1990, p. 49.
125
C.S., arrêt no 28/CC du 10 déc. 1981, aff. Angoa Parfait c/ Beyidi Pauline, Rev. Cam.
o
Droit, n 21-22, p. 301.
126
Actuelle Section civile et commerciale de la chambre judiciaire conformément à la dernière
réforme de la Cour suprême (loi no 2006/016 du 29 décembre portant organisation et fonctionnement
de ladite Cour).
A.-F. TJOUEN : LA FEMME AU CAMEROUN 161

Cour suprême juge que pour bénéficier d’une partie des biens du mariage
dissout, la femme doit démontrer avoir contribué à leur acquisition127.
Alors que l’on observe une évolution vers « l’unification du droit par la
neutralisation de la coutume »128, s’agissant du partage de la communauté,
c’est plutôt la tendance contraire : « C’est la transposition devant la
juridiction de droit écrit du régime de communauté sous condition de
participation naguère appliqué devant les juridictions traditionnelles
seulement. L’application du Code civil recule donc sur cette question »129.
Entre la solution de moitié prévue par le Code civil et « rien » pour la
femme selon le droit traditionnel, le juge suprême a préféré une solution
intermédiaire jugée plus équitable. Mais, comme l’avait prédit la doctrine130,
les juges ne savent plus aujourd’hui quel droit appliquer si bien que la
solution semble être prise au cas par cas. À notre avis, la solution de la
Haute cour ne serait pas critiquable en soit si les juges ne faisaient que
l’adapter à chaque espèce. Mais encore faudrait-il qu’ils restent objectifs
dans leurs analyses.

2. L’amélioration du sort de la veuve


Le droit écrit a progressivement amélioré le sort de la veuve. En plus
d’avoir supprimé la pratique du lévirat à l’article 77(2) de l’Ordonnance du
29 juin 1981 portant organisation de l’état civil 131 , le législateur
camerounais n’opère pas de distinction entre le mari et la femme dans la
répartition les droits successoraux : qu’il s’agisse du veuf ou de la veuve, ils
ont tous deux les mêmes droits en tant que conjoint survivant dans une
succession ab intestat132.

127
C.S., arrêts nos 88/CC du 15 juillet 1985 et 64/CC du 16 janv. 1987, Rev. Jurid. Afr., 1990,
no 3, p. 75, note ANOUKAHA ; arrêt no 24/CC du 14 oct. 1993, Juridis Infos, no 20, 1994, p. 72,
obs. J. M. TCHAKOUA.
128
T. MBENG, « Où en est-on avec le droit de la famille au Cameroun ? », Penant, no 852,
juil.-sept. 2005, p. 351.
129
F. ANOUKAHA, « L’apport de la jurisprudence à la construction d’un droit de la famille
au Cameroun », in D. DARBON et J. DU BOIS DE GAUDUSSON (dir.), La création du droit en
Afrique, Paris, Karthala, 1997, p. 415.
130
Selon le Pr ANOUKAHA (op. cit.), la solution intermédiaire « ne manque pas de génie
sauf qu’à la longue on ne sait plus de quel droit il est fait application ».
131
En réalité, le lévirat avait déjà été supprimé par l’article 16 de la loi no 66-2-COR du 7
juillet 1966 portant diverses dispositions relatives au mariage. On peut cependant regretter que seul
le lévirat soit concerné contrairement au sororat qui semble emporter une légitimation implicite par
le législateur de 1981. Le projet devrait fermement et explicitement marquer l’interdiction de ces
deux pratiques coutumières.
132
Art. 767 du Code civil : « Lorsque le défunt ne laisse ni parents au degré successible, ni
enfants naturels, les biens de sa succession appartiennent en pleine propriété au conjoint non divorcé
qui lui survit et contre lequel n’existe pas de jugement de séparation de corps passé en force de
chose jugée ».
162 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 1-2012

L’intervention du législateur n’arrive cependant pas à anéantir la force


de la coutume africaine qui repose sur une discrimination à l’égard de la
veuve à cause de la défense des intérêts patrimoniaux : on lutte pour que les
biens restent dans la famille du défunt. Si la veuve devient héritière, elle
risque de se remarier et d’apporter les biens dans une autre famille133. Les
règles actuellement prévues par le Code civil camerounais n’échappent pas à
cette influence car elles font du conjoint survivant un successeur irrégulier,
c’est-à-dire un étranger 134 dans la famille 135 . Une lueur d’espoir semble
transparaître du projet de code des personnes et de la famille à travers
l’aménagement de ses droits. Cela nous paraît cependant être insuffisant tant
que les régimes matrimoniaux ne sont pas pris en compte dans la dévolution
successorale.

a) L’aménagement des droits du conjoint survivant


Le sort du conjoint survivant est une question universelle et
ancienne136. Mais dans l’ensemble des pays africains, la détermination des
droits successoraux de la veuve au décès de son mari est un problème
beaucoup plus dynamique que celui du sort des droits du mari au décès de
l’épouse137.
La jurisprudence est, depuis longtemps, incertaine sur la nature du droit
du conjoint survivant à succéder si bien que l’article 767(3) n’est pas
toujours appliqué 138 . Cette hésitation crée dans le pays des situations

133
A.-D. TJOUEN, « Les droits successoraux », Encyclopédie juridique de l’Afrique, t. 6,
Dakar, Les nouvelles Éditions Africaines, 1982.
134
L’expression « héritier irrégulier » n’est que trompeur.
135
Il ressort des termes de l’article 767 du Code civil précité que la loi camerounaise actuelle
écarte hypocritement le conjoint survivant du partage de la succession du défunt puisque la société
africaine conçoit la famille dans un sens très large qui intègre tous les ascendants, tous les
descendants et tous les collatéraux. Ce n’est donc que dans le cas impossible où toutes ces personnes
n’existent pas ou bien, vivantes, sont toutes frappées d’indignité (art. 725 et 726 C. civ) que le
conjoint survivant non séparé de corps pourra accéder à la pleine propriété des biens du decujus. Le
Pr Alexandre-Dieudonné TJOUEN a justement dit que : « la notion de famille, au sens large en
Afrique, contraint que l’on puisse toujours trouver un successeur ». (A.-D. TJOUEN, op. cit.,
p. 457).
136
Lire entre autres : BOISSONADE, Histoire des droits de l’époux survivant, Paris 1873 ;
BOURSEAU, Les droits successoraux du conjoint survivant, Bruxelles, 1982 ; R. RODIÈRE,
« Évolution comparative des droits successoraux du conjoint survivant », Bull. Société législation
comparée, 1937 ; L. BACH, « Contribution à l’étude de la condition juridique du conjoint
survivant », RTDciv., 1965, p. 545 et s.
137
Lire entre autres : C. MEKE-ME-ZE, La problématique des biens de la femme mariée en
droit positif camerounais, Thèse de doctorat de troisième cycle en droit, Univ. de Yaoundé, 1981 ;
G. A. PUATI, « La vocation héréditaire du conjoint survivant en droit congolais de la famille »,
Penant no 854, janvier-mars 2006, p. 29.
138
Deux tendances se dégagent de la jurisprudence : l’une est hostile à la vocation
successorale de la veuve. Elle se fonde sur la règle traditionnelle de l’« exhérédation » de la femme
pour l’écarter de la succession de son mari (TPD Nsangmelima, jugement n° 79 du 15 mars 1978,
A.-F. TJOUEN : LA FEMME AU CAMEROUN 163

d’injustice pour certains conjoints et surtout les veuves lorsque ce sont les
juridictions de droit traditionnel qui sont saisies car les juges décident sur la
base du droit coutumier largement défavorable à la femme. Par contre,
devant les juridictions de droit écrit, c’est l’article 767 qui s’applique
conformément au principe établit par la Cour suprême selon lequel l’option
de juridiction emporte l’option de législation139.
L’incertitude semble persister dans l’élaboration du Code des personnes
et de la famille car les règles prévues dans la première mouture du projet
sont différentes de celles contenues dans la dernière. Aux termes de l’article
490 de la première mouture : « (1) Le testateur est libre de disposer de tout
ou partie de son patrimoine ». Mais, précisait l’alinéa 2, « cette liberté est
limitée par la réserve héréditaire au profit du conjoint du défunt ». Loin de
faire l’unanimité, cette disposition avait déjà suscité des réactions. Pour les
partisans de la réserve héréditaire du conjoint survivant, cette vocation se
justifierait par la position et le comportement de la femme140 mais surtout
par le caractère et le rôle moral du mariage. Il se crée entre les époux une
association qui les oblige réciproquement : « l’union des corps
s’accompagne de l’union des patrimoines et les liens qui unissent les époux
paraissent aussi respectables et puissants que les liens de sang, car ceux-ci
sont formés par la volonté, fortifiés par le temps et consacrés par le
devoir »141.
Pour les opposants à la réserve héréditaire du conjoint survivant, les
arguments sont nombreux : la précarité du mariage qui demeure frappé du
vice de dissolubilité142 , l’atteinte à la réserve héréditaire traditionnelle143 .
Pour le professeur Catala, le seul droit intangible devant être reconnu au
conjoint survivant devrait se limiter à une maintenance. Il n’y aurait donc

TPD Bafoussam, jugement n° 74 du 19 mai 1982). L’autre reconnaît des droits à la veuve mais
aboutit à des solutions diverses : elle est tantôt gérante de la succession (TPD Sangmelima, jugement
n° 68 du 17 janv. 1972), tantôt administratrice des biens du défunt (TPD New – Bell et Bassa –
Douala, jugement du 17 mai 1979), tantôt usufruitière (CA Yaoundé, arrêt no 49 du 19 oct. 1983) ou
héritière (CA Yaoundé, arrêt n° 666/C du 27 sept. 1972, RCD 1976, n° 8, p. 83).
139
CS, arrêt du 10 déc. 1981, aff. Angoa Parfait c/ Beyidi Pauline. Il semble cependant que ce
principe réglant le pluralisme judiciaire, sera prochainement abrogé par le Nouveau Code de
Procédure Civile (actuellement à l’étude) au profit d’une unité de juridictions.
140
La réserve héréditaire doit être accordée à la veuve « surtout si [elle] se considère comme
membre de la famille du défunt, passant outre le régime matrimonial ». (R. CHEMMEGNE, La
femme camerounaise et le droit civil, Mémoire de Maîtrise en Droit, Univ. de Yaoundé, sept. 1986,
p. 67).
141
F. BAWA TOUZOU, Le conjoint survivant dans l’avant projet de loi portant code
camerounais des personnes et de la famille, Mémoire de DEA, Yaoundé II, 2005-2006. V. dans le
même sens E. L. BACH, « Contribution à l’étude de la condition juridique du conjoint survivant »,
RTDC, 1965, p. 555 et s.
142
T. OLOMO-BESSOMO, Le droit des successions au Cameroun, entre tradition et
modernité, Thèse de Doctorat, Yaoundé II Soa, 2003.
143
Lire les articles 913, 914 et 915 du C. civ.
164 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 1-2012

aucun impératif à instituer un droit sur une quotité de la succession mais


uniquement celui d’accorder une réserve alimentaire et d’habitation144. Deux
arguments supplémentaires peuvent être avancés : le fondement de la quotité
disponible et l’ignorance de la liquidation du régime matrimonial.
Dans les dispositions de la dernière mouture du projet, la question a été
réglée autrement. L’article 511(1) dispose que « le conjoint survivant a droit
à la moitié de la masse successorale. Il est également usufruitier de la part
des héritiers ». Cette disposition suscite de nombreuses interrogations : faut-
il penser que dans le contexte africain qui considère la famille au sens très
large, le législateur veuille faire du conjoint survivant l’héritier principal ?
Comment comprendre qu’après avoir reçu des biens à l’issue du partage de
la communauté et en plus de la moitié prévue à l’article 511(1), le conjoint
survivant ait encore droit au quart (c’est-à-dire en définitive aux trois quarts)
de la succession lorsque le défunt ne laisse ni descendants, ni père et mère
(art. 512 al. 1), ou à la moitié (c’est-à-dire à la totalité) de la succession
lorsqu’aucun de ces parents n’est vivant (art. 512, al. 2) ? Les régimes
matrimoniaux n’auraient-ils aucune influence sur les règles relatives aux
successions ? Quel est finalement l’intérêt de la quotité disponible ?
La quotité disponible est fondée sur la liberté du testateur de léguer une
partie de ses biens à n’importe qui et n’importe comment145. Si les liens qui
l’unissaient à son épouse étaient suffisamment forts, rien n’empêche qu’il
lui réserve tout ou partie de cette quotité. Mais la limite de cette solution est
que le légataire doit avoir laissé un testament, ce qui n’est pas toujours le
cas. Par contre, la prise en compte de la liquidation du régime matrimonial
ne tiendrait pas compte de cette condition.

b) L’influence des régimes matrimoniaux sur la dévolution successorale


Le régime matrimonial adopté dès l’entrée dans le mariage doit être
liquidé avant l’ouverture de la succession du défunt 146 . Cette précaution
prévue pour la fin du mariage vise à assurer la paix et l’harmonie du
ménage147, mais aussi la protection financière du conjoint survivant surtout

144
P. CATALA, « Le problème du droit successoral », Droit de la famille hors série, déc.
2000, p. 35.
145
Pour éviter la caducité du legs, son attribution doit cependant être possible : par exemple, le
testateur doit être vivant au décès du testateur, le légataire doit avoir accepté le legs, etc.
146
Le but de cette opération préalable est d’éviter que les biens qui reviennent de droit au
conjoint survivant du fait du mariage, ne rentrent dans la masse successorale à partager aux
successibles dont il (elle) ne fait en réalité pas partie. Sa volonté, manifestée par la signature d’un
contrat ou la célébration du mariage, doit d’abord être respectée.
147
Selon Françoise KAUDJHIS-OFFOUMOU, « lorsque [la veuve] sait qu’au décès de son
mari, elle participera étroitement au partage de la fortune du ménage, elle ne peut que sentir la
solidité de son lien avec son conjoint pendant le mariage ». (F. KAUDJHIS-OFFOUMOU, op. cit.,
p. 94). D’après une étude statistique du taux de divorce devant les tribunaux de Douala, il apparaît
A.-F. TJOUEN : LA FEMME AU CAMEROUN 165

l’épouse, souvent plus exposée à un appauvrissement. Mais encore faut-il


qu’à l’occasion du choix du régime matrimonial, elle n’ait pas opté pour le
régime séparatiste mais pour l’une des multiples formes de communautés de
biens148. Dans ces cas, elle recueillerait au moins149 la moitié des biens du
ménage avant l’ouverture de la succession. « Il est évident que cet avantage
résulte de la loi sur le mariage et non de celle relative aux successions »150.
À la dissolution du mariage et avant l’ouverture de la succession, le
conjoint survivant et surtout la veuve qui a souhaité être commune en biens
a déjà un patrimoine qu’elle n’aurait probablement pas eu si elle n’avait pas
été mariée puisque jusqu’à une période récente, seul son mari était considéré
comme « faiseur d’argent ». La dissolution de son mariage lui a permis
d’obtenir des autres plus de reconnaissance grâce au patrimoine acquis :
c’est pourquoi on l’appelle souvent dans la société camerounaise « la veuve
joyeuse ». Mais avec le mouvement d’émancipation, elle ne veut plus être
considérée par rapport au patrimoine de son mari seulement, mais aussi à
partir de ses biens propres, fruit de ses efforts personnels consacrés parfois
avant le mariage.
Quel que soit le régime matrimonial choisi, il profite au conjoint
survivant seul. Les successibles n’y ont aucun droit puisque, l’aspect
patrimonial du mariage n’étant pas encore effectivement dissous, la
succession ne peut être ouverte. Mais en plus de ce qu’il a déjà acquis à la
dissolution du mariage, faudrait-il encore reconnaître au conjoint survivant
une quote-part sur les biens du défunt ? La question intéresse surtout la
veuve qui, généralement (bien que de moins en moins) dans le besoin, est
malgré tout souvent arbitrairement écartée par les autres membres de la
famille à l’occasion du partage des biens de feu son mari. Plusieurs visions
s’opposent : à la lecture de l’article 767 du Code civil, la réponse est
négative car la veuve n’est qu’un successeur irrégulier. En revanche, et
comme déjà dit, l’article 490 de la première mouture du projet de loi portant
code des personnes et de la famille, soutenu par une partie de la doctrine, lui
reconnaissait la vocation à la réserve héréditaire. L’article 511 de la dernière
mouture du projet dispose pour sa part qu’elle a droit à la moitié de la masse
successorale en plus d’être usufruitière de la part des héritiers.
À notre avis, aucune de ces solutions, strictement entendue, ne serait
convenable si l’on ne tient pas compte de la relation qui unit les régimes

que bon nombre sont prononcés à l’encontre des couples démunis. À l’inverse, les couples qui ont
des moyens, résisteraient plus longtemps.
148
Communauté universelle, des meubles et acquêts, réduite aux acquêts, …
149
Deux hypothèses peuvent permettre d’augmenter le patrimoine de la veuve : la possibilité
des récompenses par la communauté qui a tiré profit de ses biens propres (art. 1433 C. civ.) et
l’application du régime légal de la communauté des meubles et acquêts qui oblige à lui ajouter la
moitié des meubles acquis par le défunt avant leur mariage.
150
F. KAUDJHIS-OFFOUMOU, op. cit.
166 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 1-2012

matrimoniaux et le droit successoral. Le Doyen Cornu ne nous rappelle-t-il


pas que « dans l’esquisse d’une histoire du droit de la famille, le
développement des régimes matrimoniaux serait indissociable non
seulement du devenir de la condition personnelle des époux, mais de
l’évolution du droit des successions et libéralités et de l’adaptation que les
intéressés s’en font à eux-mêmes, d’un milieu ou d’une génération à
l’autre »151. La législation actuelle et le projet de code des personnes et de la
famille ignoreraient pourtant la volonté des époux.
L’intention de chacun de s’immiscer ou non dans la gestion des biens
de l’autre était déjà affirmée par le choix du régime matrimonial. L’ordre
successoral établi par le législateur devrait en tenir compte. Lorsqu’ils
optent pour un régime séparatiste, ils expriment leur volonté commune de ne
pas s’impliquer l’un dans la gestion du patrimoine de l’autre : « chacun
dispose de l’intégralité des pouvoirs sur ses biens » 152 . Dans ces cas,
l’intention du de cujus doit être respectée au-delà de la liquidation du régime
matrimonial. C’est l’une des raisons pour lesquelles a été prévue la quotité
disponible dont dispose le testateur pour léguer une partie de ses biens à qui
il veut. Le conjoint survivant, considéré par le défunt comme étranger dans
la gestion de ses biens propres et réservés, doit le demeurer : il doit rester
successeur irrégulier tel que cela est prévu par les dispositions actuelles du
Code civil. En effet, comment comprendre que le régime séparatiste choisi
pour la vie de couple se transforme subitement pour cause de mort, et sans
volonté expresse du défunt, en une sorte de communauté, bien que
désormais partagée avec les autres successibles ? « Il serait tout de même
passablement curieux de faire bénéficier le conjoint survivant d’abord d’un
enrichissement sur la masse commune, ensuite d’un enrichissement sur les
propres du prédécédé ! »153.
En revanche, si les époux avaient opté pour la communauté de biens, le
conjoint survivant devrait bénéficier de la réserve héréditaire, mais à trois
conditions : d’abord son héritage se limiterait à la part des acquêts revenant
au défunt après la liquidation du régime matrimonial car en plus des siens, le
ou la survivant(e) a aussi contribué à acquérir ceux du prédécédé. Ensuite,
s’il s’agit d’une succession intestat, le conjoint survivant ne doit avoir
bénéficié d’aucune part dans la quotité disponible. Enfin il ou elle entrerait
en concours soit avec les ascendants ordinaires154 s’ils sont vivants, soit avec

151
G. CORNU, Les régimes matrimoniaux, PUF, 2e éd., 1977, p. 33.
152
A. RIEG, F. LOTZ et J. PATARIN, Technique des régimes matrimoniaux, Litec, 1977,
p. 26.
153
A. SERIAUX, Les successions, les libéralités, 1ère éd., PUF, 1986, p. 94.
154
Ils occupent actuellement le troisième ordre successoral, c’est-à-dire qu’ils ne sont appelés
qu’après les descendants, puis les ascendants et collatéraux privilégiés.
A.-F. TJOUEN : LA FEMME AU CAMEROUN 167

les collatéraux ordinaires155. Cette mesure permettrait d’équilibrer d’une part


les droits successoraux de la famille qui continuerait la personne du défunt
au-delà de la mort et d’autre part ceux du conjoint survivant qui a contribué
à les acquérir. Il s’agirait dans ce cas, non pas de récompenses déjà
éventuellement reçues à l’occasion de la liquidation du régime
matrimonial 156 , mais d’un héritage symbolique (dont la quotité serait
déterminée par le législateur) car quoiqu’on dise, le conjoint survivant, bien
qu’à un degré relativement inférieur157, fait partie de la famille du défunt au
moment du partage de la succession, même s’il viendrait à s’en détourner
par la suite.

CONCLUSION

En définitive, la condition de la femme est un domaine très dynamique


en droit camerounais de la famille. Mais le degré de cette évolution est
variable selon son statut. Doit-on espérer qu’un jour sa condition soit
identique qu’elle soit mariée ou pas ? Il faut croire que non puisque jusqu’à
présent, la différence entre le mariage et le concubinage par exemple est que
le premier cas est une institution tandis que le second, qu’il soit volontaire
ou imposé, n’est pas réglementé. Le droit camerounais doit continuer à tenir
compte de cette réalité pour éviter de tomber dans les travers de certains
droits étrangers qui, à force de vouloir satisfaire tout le monde, ont dû créer
des institutions qui, semble-t-il, s’avèrent de plus en plus inefficaces. La
modernité n’est pas forcément synonyme d’abandon de la culture locale. Le
droit africain en général et camerounais en particulier, doit s’adapter à la
mentalité moderne tout en préservant les cultures qui n’avilissent pas la
femme. La difficulté, nous semble-t-il, est alors de savoir quelles cultures
sont concernées ?

155
Ils occupent le quatrième ordre.
156
G. CORNU, op. cit., p. 485.
157
À cause du lien d’alliance qui peut être rompu contrairement au lien de sang qui est naturel.

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