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- Les relations patrimoniales entre les époux

La première remarque à faire est que du point de vue patrimonial, la femme jouit
traditionnellement d’une indépendance remarquable. Le régime matrimonial tel qu’il est
connu dans les systèmes occidentaux, en France en particulier, n’existe pas dans le droit
musulman classique et le législateur marocain est resté fidèle à cette idée. En partant de ce
constat, il y a deux lignes qui se dégagent :

la gestion des biens (1)

et les charges du mariage (2).

1- La gestion des biens

La communauté des biens est inexistante dans le droit musulman et par conséquent en droit
marocain qui retient la séparation totale des biens entre les époux. L’épouse conserve ainsi
l’administration et la disposition de ses biens. Elle a aussi une capacité entière pour tous ses
actes administratifs et peut saisir la justice en vue de la gestion et de la conversation de son
patrimoine. Elle peut disposer de ses biens soit par des actes qui accroissent son patrimoine
soit par des actes aléatoires permettant d’aliéner ses biens. L’époux ne peut, dans ce cas,
intervenir contrairement à ce qui prévaut en droit malékite.

Le législateur n’a pas retenu la règle malékite qui restreint la capacité de la femme mariée. Il
n’y a aucune allusion dans le livre IV à l’autorisation maritale lorsque l’épouse forme le projet
de faire une libéralité entre vifs ou se porter caution dans l’intérêt exclusif d’un tiers, et que
plus du tiers de son patrimoine se trouve concerné. En conséquence, « la capacité de la femme
mariée est totale et la séparation des patrimoines est effective ». Dans le cas de conflits entre
les époux, l’article 39 a prévu des présomptions, en l’absence de preuves certaines.

2- Les charges du mariage

Il s’agit de la division des charges du ménage entre les époux. Le législateur a retenu la
division traditionnelle imposée par le rite malékite, en imposant à l’épouse la responsabilité
de la marche du foyer et de son organisation et à l’époux de l’entretenir quelle que soit la
fortune et le patrimoine de sa femme. Cette division maintient évidemment la dépendance
matérielle de l’épouse vis-à-vis de son mari et impose aussi l’idée que sa place naturelle est au
foyer puisque le rôle qu’elle joue dans l’organisation du ménage est aussi important que les
obligations pécuniaires de l’époux. Or, cette division des charges du mariage est inégalitaire
puisqu’elle ne permet que le maintien de la prééminence maritale et emprisonne la femme
dans le foyer en la privant ainsi de toute émancipation et participation sociale. La suprématie
maritale s’exprime même en dehors de la moudawana. La femme marocaine devait
obéissance au mari même pour gérer son propre argent et ne pouvait exercer une activité
commerciale ou accéder au monde du travail sans l’autorisation du mari. C’est ce qui était
prévu par l’article 6 de l’ancien code de commerce qui exigeait de la femme l’autorisation
maritale pour exercer une activité commerciale. Cette disposition a soulevé bien des débats
pour l’amélioration de la condition de la femme marocaine avant son abrogation par la
réforme du Code de commerce de 1995498 Il était impensable de maintenir cette solution
sachant que le Maroc entrait dans une ère nouvelle exigeant la participation de la femme au
système économique marocain. Le législateur ne pouvait pas prendre en considération que la
capacité de l’épouse de disposer de ses biens mais aussi la liberté d’exercer une activité qui
peut convenir ou non aux intérêts de la famille, dont le mari est juridiquement le seul gardien
et chef. Ainsi le mari peut s’opposer à ce que la femme participe même aux affaires publiques
du pays comme le signale l’article 38 de la moudawana. Il faut comprendre que ces
dispositions étaient imposées par le colonisateur français à l’époque du protectorat même si
elles sont contraires aux préceptes musulmans. Le législateur en rédigeant le Code du
commerce s’est inspiré du droit français quand la femme française était frappée d’incapacité
sans prendre en considération les règles du droit musulman permettant à la femme musulmane
d’exercer une activité commerciale sans aucune autorisation qu’elle soit maritale ou pas. Des
militants politiques et des juristes se sont levés contre cette disposition qui ne répondait ni à
l’esprit de la société marocaine ni aux dispositions religieuses. Le législateur marocain s’est
écarté de cette solution dans le nouveau code de commerce de 1996 dont l’article 17 dispose
que « la femme mariée peut exercer le commerce sans autorisation de son mari. Toute
convention contraire est réputée nulle ». La réalité économique et sociale a imposé cette
réforme sachant que de plus en plus de femmes étaient instruites, diplômées et participaient
activement au développement du Maroc. Malgré ce développement, le législateur a maintenu
le droit de l’épouse à l’entretien. Le mari n’a jamais de créance alimentaire à l’encontre de
l’épouse quelle que soit sa fortune, comme il ne peut la contraindre à travailler pour l’aider à
subvenir aux besoins du foyer. La moudawana le rappelle dans deux de ses articles, l’article
35 qui précisait que « les droits de l’épouse à l’égard de son mari sont :

1) l’entretien prévu par la loi telle que la nourriture, l’habillement, les soins médicaux et le
logement.
2) l’égalité de traitement avec les autres épouses en cas de polygamie ». Puis l’article 115
dispose que toute « personne subvient à ses besoins par ses propres ressources, à l’exception
de l’épouse dont l’entretien incombe à son époux ».

Le mari doit la nafaqua, l’entretien à son épouse dès qu’il y a eu consommation et non dès la
conclusion du mariage. Le mari peut échapper à cette obligation en retardant la
consommation. Reste que la femme peut le mettre en demeure de lui verser sa nafaqua dès
lors qu’elle l’a invité à la consommation du mariage.

L’existence de cette invitation, oblige le mari à accomplir son devoir d’entretien.

Cette obligation incombe à l’époux même si l’épouse abandonne le domicile conjugal et


qu’elle refuse d’entretenir des relations sexuelles avec lui. La seule exception est celle d’une
condamnation par le juge à réintégrer le domicile et de refus d’exécution. De même, pour la
femme répudiée, elle continue de percevoir la nafaqua pendant sa retraite de continence. Ce
droit prend fin avec la mort de l’époux ou dans le cas de la femme ayant fait l’objet d’une
répudiation révocable, quittant le domicile conjugal sans le consentement de son époux. En
cas du décès de l’épouse, la moudawana est muette sur les frais funéraires qui restent à la
charge du mari selon les règles malékites. Le défaut d’entretien de la femme par son époux est
un des aspects du délit de l’abandon de famille. Ainsi, la femme peut poursuivre son époux en
justice pour l’exécution de l’obligation d’entretien. Cette obligation est précisée par l’article
118 de la moudawana. En conclusion, le législateur, à l’aube de l’indépendance du Maroc, n’a
pas pris en compte le rôle que peut jouer la femme dans la société en tant qu’élément actif,
accédant à tous genres de fonctions, même à haute responsabilité. Il a maintenu une vision
traditionnelle des tâches matrimoniales, maintenant la femme naturellement et
obligatoirement au foyer. A vrai dire, les mentalités ont pris quelques décennies pour changer
l’image de l’épouse et de sa condition. Plusieurs enquêtes menées dans les années soixante-
dix dans le milieu rural comme dans le milieu urbain arrivent à la conclusion que la place
naturelle de l’épouse est son foyer. Même si elle a un travail rémunéré, cela ne la dispense pas
du travail domestique qui reste la tâche la plus importante pour qu’elle soit considérée comme
une bonne épouse, non seulement par son mari mais aussi par sa belle-famille et par toute la
société. F. Mernissi écrit « comment voulez- vous, que dans une société où les deuxtiers
vivent en totale dépendance vis-à-vis de ceux qui ont accès à un travail rémunéré, des
hommes adultes dans leur grande majorité puissent changer quoi que ce soit aux relations
médiévales qui régissent les relations entre les générations et les sexes dans nos familles ? ».
II- Les rapports pécuniaires entre les époux

Sous l’ancien régime, l’épouse avait le droit de gérer ses biens en toute liberté sauf que la loi
mettait quelques obstacles à ce principe. Avant la réforme du Code de commerce de 1996, la
femme ne pouvait pas exercer le commerce sans l’autorisation de son époux. La répartition
des tâches mettait l’épouse dans une situation de subordination par rapport à son mari qui était
seul à pouvoir et devoir subvenir aux besoins de la famille. L’actuel Code, en permettant aux
époux d’être partenaires et coresponsables du foyer, a aboli la répartition de tâches qui existait
avant et qui permettait le maintien de l’épouse dans la dépendance matérielle vis-à-vis de son
mari. Sauf que le législateur n’a pas exclu l’obligation d’entretien qui incombe toujours à
l’époux ce qui s’éloigne de l’esprit égalitaire du Code (A). En revanche, il a introduit une
nouveauté dans la gestion des biens en permettant aux époux d’établir, au moment de la
conclusion du mariage, un contrat sur la gestion commune des biens (B).

B- La gestion des biens entre époux

Le droit marocain, même avec la réforme du Code de la famille, n’a pas instauré un régime
matrimonial tel qu’il est conçu dans le droit français. La séparation totale entre les biens des
époux est la règle inscrite en droit marocain de la famille. Ainsi, l’article 49 rappelle que «
chacun des époux dispose d'un patrimoine distinct du patrimoine de l'autre ». Maurice Hamou
et Najat El-Khayat insistent sur le fait qu’en droit musulman marocain, il n’y a pas de liberté
des conventions matrimoniales. Que les époux marocains musulmans aient ou non établi un
contrat de mariage stipulant un autre régime que celui de la séparation des biens, ils restent
soumis, en ce qui concerne leurs rapports matrimoniaux au Maroc, à la lex fori, c’està-dire au
Code du statut personnel (la Moudawana), lui-même repris du droit musulman classique. Dès
lors, tout couple de Marocains musulmans ou dont un des époux est Marocain musulman est
de plein droit soumis au principe de séparation de biens pure et simple et les droits et devoirs
réciproques des époux sont fixés par la Moudawana.

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