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Inès Chometon, Droit des régimes matrimoniaux, devoir maison

Droit civil : commentaire de l’article 214 du Code civil

L’illustre professeur de droit privé et juriste Jean Carbonnier considérait le mariage


comme « la plus vieille coutume de l’humanité ». Effectivement, ce mode d’union a longtemps
mis en exergue un rapport de force de l’homme envers la femme, lequel s’est notamment
illustré à travers la répartition des tâches et charges ménagères.
Cette vision du fonctionnement du couple marié découlant de la pensée augustinienne
ainsi que de la société d’Ancien Régime a peiné à ne plus être considérée comme la norme
sociale. C’est du moins ce que l’on constate à la lecture des anciennes versions de l’article 214
du Code civil.

La première, datant du 20 février 1938, prévoit pour la femme une contribution aux charges
du mariage « sur les biens dont elle a l’administration ». Cela peut sembler paradoxal eu égard
à l’incapacité dont elle est frappée. Effectivement, il lui est impossible de gérer ses biens sans
le consentement de son époux. Il faut ainsi attendre la loi du 13 juillet 1965 pour que cette
incapacité soit levée.

Plus tard entrera en vigueur une nouvelle version de l’article 214 du Code civil. Cette dernière
n’offre guère de réjouissance quant à l’égalité entre les époux. Il est ainsi prévu que l’époux est
autorisé à exercer une profession afin d’entretenir le train de vie du ménage. Quant à l’épouse,
celle-ci contribue au mariage par ses apports en dot ou en communauté ainsi que par des
prélèvements effectués sur les ressources personnelles dont l’administration lui est réservée.
On comprend alors que l’obligation à la contribution pèse sur l’époux à titre principal, selon ses
facultés et son état.
La vision égalitaire de la contribution aux charges du mariage entre les époux ne sera mise en
avant qu’à la suite d’une recherche sociologique approfondie élaborée par le Doyen
Carbonnier. Ce dernier a ainsi permis l’apparition de la célèbre loi du 13 juillet 1965 ayant
consacré l’émancipation juridique de la femme mariée. Cette loi intervient dans le contexte du
nouveau mouvement féministe en France et en Allemagne, consistant en la revendication
d’une égalité de droit entre femmes et hommes mais surtout, en la volonté d’abolir les relations
de pouvoir dans tous les domaines, notamment celui de la vie privée.
L’article 214 du Code civil dispose désormais que : « Si les conventions matrimoniales ne règlent
pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs
facultés respectives. Si l'un des époux ne remplit pas ses obligations, il peut y être contraint par
l'autre dans les formes prévues au code de procédure civile ». Ces dispositions auront le mérite
de fonder le droit positif.
Ainsi, chacun des époux peut et doit contribuer à l’ensemble des charges découlant du mariage,
à proportion de ses facultés respectives. On saisit alors à la lecture de cette nouvelle rédaction,
que la consécration de l’égalité entre les époux est désormais énoncée comme un devoir dont
le manquement est sanctionné. Cette nouveauté fonde le point de départ d’une véritable
révolution sur la perception de cette institution.
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Bien que le regard porté sur la notion du mariage ait subi de véritables révolutions tout
au long des siècles, il convient d’en retenir sa définition actuelle consistant en un acte juridique
reçu en forme solennelle par l’officier d’état civil dans lequel deux personnes consentent à s’unir
d’un commun accord et à adhérer à un statut légal préétabli, celui des gens mariés. À cheval
entre contrat et institution juridique, le mariage est un accord de volonté en vue d’adhérer à
un modèle légal. Une fois le mariage conclu, les époux sont assujettis à un ensemble de devoirs,
parmi lesquels figure l’obligation de contribuer aux charges du mariage. La notion de
contribution consiste en une participation financière supportée par chacune des personnes
partageant un intérêt commun. Quant à la charge, il s’agit d’une prestation qu’une personne
accepte de supporter en contrepartie de l’avantage qu’elle reçoit. Il apparaît important
d’ajouter que les « charges du mariage » renvoient à une catégorie particulière et spécifique
puisqu’elles représentent l’ensemble des dépenses de vie courante dont découle la vie
commune des époux. L’obligation de contribution aux charges du mariage est ainsi une
obligation légale découlant de l’article 214 du Code civil renvoyant à l’obligation pour un époux
de participer financièrement aux dépenses engendrées par la vie commune et aux dépenses
d’agrément du couple en proportion de ses facultés respectives. Si l’un des époux manque à
cette obligation, l’autre peut le contraindre à s’exécuter dans les formes prévues au sein du
Code de procédure civile. L’époux doit alors participer à ces dépenses en fonction de ses
« facultés respectives », ce qui sous-tend qu’il doit participer en fonction de son salaire puisque
l’homme et la femme ont le même droit d’exercer un emploi et d’autonomie financière et en
fonction de ses ressources respectives. Cela évoque donc directement la question de savoir
comment les juges apprécieront une contribution inéquitable dés lors que les deux époux
seront placés dans des situations financières différentes.

Ainsi, il convient de se poser la question suivante : dans quelle mesure les époux sont-
ils assujettis à l’obligation de contribution aux charges du mariage ?

L’obligation de contribution aux charges du mariage est supplétive de volonté (I).


Cependant, elle demeure impérative en ce que son manquement est sanctionnable sur le
terrain des procédures civiles (II).
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I/ Le champ d’application de l’obligation de contribution aux charges du mariage

« Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges
du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives ». Deux options sont ainsi
envisagées à l’article 214 du Code civil : le régime matrimonial légal imposant une contribution
à hauteur des facultés respectives des époux (A) et les conventions matrimoniales (B).

A/ La portée élargie de l’obligation aux charges du mariage

En premier lieu, il apparaît essentiel d’expliciter le principe de contribution aux charges du


mariage et de le distinguer de la notion de participation à la dette énoncée à l’article 220 du
Code civil. Celui-ci dispose : « « Chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui
ont pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants : toute dette ainsi contractée
par l'un oblige l'autre solidairement. La solidarité n'a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses
manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l'utilité ou à l'inutilité de
l'opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant. Elle n'a pas lieu non plus, s'ils n'ont
été conclus du consentement des deux époux, pour les achats à tempérament ni pour les
emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins
de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d'emprunts, ne
soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage. »

Il ressort de cet article que toute dette contractée par un époux, même seul, pour les besoins
du ménage, engage son conjoint auprès du créancier, et l’engage de manière solidaire à la
totalité de la dette. Certaines exceptions existent néanmoins (dépenses excessives, emprunts
non modestes et achats à tempérament). Cette solidarité des dettes ménagères se distingue
ainsi de l’obligation de contribution aux charges du mariage qui implique que chaque époux
doive participer ab initio ou a posteriori à celles-ci.

Cette contribution s’opère sous forme pécuniaire (financement des dépenses), en


industrie (organisation quotidienne, éducation des enfants ou encore, collaboration à l’activité
professionnelle de l’autre époux), ou en nature (par la mise à disposition d’un bien propre afin
de constituer le logement familial par exemple).
Les charges du mariage renvoient généralement aux dépenses de logement, de nourriture, de
santé, d’habillement, d’éducation des enfants (c’est-à-dire à la majorité des dépenses soumises
à la solidarité) auxquelles s’ajoutent les dépenses d’agrément et de loisirs. Ont ainsi été admis
par la jurisprudence comme charges du mariage, les frais exposés pour les vacances des époux,
voire pour l’acquisition d’une résidence secondaire (en tant que dépenses d’agrément). La
première chambre civile de la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la contribution des
époux aux charges du ménage est distincte, par son fondement et par son but, de l’obligation
alimentaire et peut inclure des dépenses d’agrément » (Cass. 1ère civ. 20 mai 1981). La Cour de
cassation a en outre considéré que des dépenses d’investissement visant à acquérir le
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logement familial pouvaient être qualifiées de charges du mariage (Cass. 1ère civ. 12 juin 2013,
11-26748). Sont également considérées comme des charges du mariage les dépenses
d’aménagement de la résidence familiale (Cass. 1ère civ. 15 mai 2013, n°11-26933). Cependant,
l’impôt sur le revenu n’entre pas dans les dépenses que la jurisprudence qualifie de « charges
du mariage » alors même qu’il s’agit d’une dépense donnant lieu à solidarité (en application de
l’article 1691 bis du Code général des impôts).
N’a cependant pas été considéré comme une charge du mariage nécessitant la contribution
des époux l’achat par l’un d’un investissement locatif destiné à constituer une épargne (Civ,
1ère, 5 octobre 2016, 15-25.944). En l’espèce, un époux avait financé seul l’achat d’un
appartement indivis avec son épouse, destiné à la location. À la suite d’opérations liquidatives
et de partage découlant de leur divorce, les juges du fond ont considéré cet investissement
locatif comme un acte rémunératoire et indemnitaire au profit de l’épouse. Cet investissement
a donc été considéré comme une épargne ayant permis aux époux de subvenir à leurs besoins
après la cessation de leur capacité d’activité rémunératrice et ayant donc permis de protéger
la famille et a été donc considérée en appel comme un mode de contribution aux charges du
mariage. Cependant cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa de l’article 214
du Code civil.
Ainsi les charges du mariage incluent à la fois les dépenses soumises au principe de
solidarité découlant de l’article 220 du Code civil mais également les dépenses d’agrément et
de loisirs.

En effet, il a déjà été affirmé que certaines dépenses considérées comme superflues puissent
constituer des charges du mariage. Ainsi, « les charges du mariage comprennent toutes les
dépenses qui permettent aux époux de vivre suivant leur rang social, même les dépenses qui (…)
(ne) contribuent (qu’à leur) bien-être (…), telles que les frais d’aménagement de l’habitation,
gages des domestiques, frais de voyage et de villégiature, etc. » (Paris, 17 nov. 1966). Ainsi,
lorsque des époux acquièrent un immeuble, les juges du fond peuvent admettre que le
remboursement de l’emprunt souscrit pour financer l’opération relève des charges du mariage,
qu’il s’agisse d’acheter le logement de la famille (Civ. 1 re, 14 mars 2006, n° 05-15.980 ; Civ. 1re,
15 mai 2013, n° 11-26.933 ; Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-21.892) ou une résidence secondaire
(Civ. 1re, 18 déc. 2013, ; Civ. 1re, 20 mai 1981). En effet, une dépense d’investissement pour
l’acquisition d’une résidence secondaire justifie l’application de l’article 214 du Code civil au
financement de l’intégralité de l’immeuble par l’un d’eux : c’est ce que retient l’arrêt précité
du 18 décembre 2013. En d’autres termes, l’acquisition d’une résidence secondaire peut
relever de la contribution aux charges du mariage donc ce financement ne donne droit à
aucune créance sauf s’il a été établi de manière disproportionnée aux facultés respectives de
l’un.

Sur ce point, Hugues Letellier, dans son article Mariage – Accord sur la contribution aux charges
du mariage (LETELLIER Hugues, LexisNexis, droit de la famille n°2, Février 2012, form. 2) définit
les charges du mariage comme « l'ensemble des dettes ménagères (frais ordinaires de
logement, d'habillement, de nourriture et de scolarité) et des dettes non immédiatement
nécessaires mais relatives à la vie de la famille (paiement par un époux de l'emprunt ayant
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financé partiellement l'acquisition du logement de la famille par l'autre, acquisition d'une


résidence secondaire, dépenses d'agrément et de loisirs...) ».

L’époux est par conséquent tenu de contribuer aux charges du mariage, rien ne justifie
sa non-contribution si celle-ci entre dans le cadre de ses facultés.

La contribution aux charges du mariage peut alors avoir plusieurs points de départ.
Le premier est la solidarité. Ainsi, l’époux qui a remboursé une dette ménagère à la place de
l’autre peut ensuite se retourner contre celui-ci s’il s’avère que ce non-remboursement est un
défaut de participation eu égard à ses facultés. Cependant, ladite contribution aux charges peut
prendre la forme d’autres manifestations. Ainsi, cette dernière peut consister pour un époux à
affecter un bien dont il est personnellement propriétaire à l’usage du ménage pour en faire le
logement familial. En cas de séparation de fait, le juge pourra alors en application de l’article
258 du Code civil en octroyer la jouissance à son conjoint. La contribution aux charges du
mariage peut également prendre la forme d’une industrie : accomplissement de tâches
domestiques par exemple entretien du foyer ou éducation des enfants, collaboration à l’activité
professionnelle de l’autre uniquement si cette collaboration consiste en la fourniture d’une
prestation matérielle productrice de valeur économique. La contribution aux charges du
mariage peut donc se faire selon ces trois modalités, étant précisé qu’il est fréquent qu’elles se
combinent les unes entre elles, le couple marié disposant d’une totale liberté en la matière.
Il semble important de préciser que la contribution aux charges du mariage incluant plusieurs
types de dépenses (dépenses liées à la solidarité et dépenses d’agrément) se distingue de
diverses autres catégories de dettes et de prestations. Tout d’abord il convient de distinguer la
notion de charge du mariage de celle de pension alimentaire. En effet, la pension alimentaire
intervient dans le cadre d’une situation particulière, celle du devoir de secours de l’article 212
du Code civil également régi donc par le régime primaire impératif. Cette pension alimentaire
intervient lors de la manifestation d’un état de besoin d’un des deux époux qui ne peut plus
assurer seul sa subsistance : la pension alimentaire est calculée eu égard au train de vie du
ménage. La contribution aux charges, elle, ne nécessite aucunement l’état de besoin de l’un
des deux. Celles-ci se distingue également de la prestation compensatoire laquelle est versée
par l’un quand le divorce a été de nature à détériorer la situation économique de l’autre. La
prestation compensatoire se traduit par le versement d’un capital ou d’une rente viagère. Cette
notion est définie à l’article 270 du Code Civil. Elle est versée en fonction des besoins de l’époux
demandeur, des capacités financières de l’époux débiteur de la prestation, de leur situation
durant la période du divorce et de l’évolution prévisible de cette situation.
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B/La portée supplétive de l’obligation aux charges du mariage

L’article 1388 du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent déroger ni aux devoirs ni aux
droits qui résultent pour eux du mariage, ni aux règles de l’autorité parentale, de
l’administration légale et de la tutelle. »
Cependant, l’article 214 du Code civil est un texte supplétif de volonté car applicable sous
réserve de l’absence de dispositions régissant la contribution aux charges dans une convention
matrimoniale. Le texte dispose effectivement que : « Si les conventions matrimoniales ne
règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de
leurs facultés respectives ». Le principe de contribution proportionnée aux facultés respectives
des époux constitue ainsi un second recours, à défaut de clause dans la convention
matrimoniale ou dans une autre convention fixant une répartition.

La forme de l’accord est libre mais l’écrit reste à privilégier ad probationem.


L’accent est ainsi mis sur la liberté contractuelle. Ce principe même de liberté contractuelle
dans la fixation de la contribution aux charges a été consacré dans un arrêt rendu par la
première chambre civile de la Cour de cassation le 3 février 1987 : « l’engagement librement
pris par un époux et accepté par l’autre, en dehors du contrat de mariage, pour déterminer la
contribution aux charges du ménage, est valable et qu’en conséquence, son exécution peut être
demandée en justice, sous réserve de la possibilité pour chacun des époux d’en faire modifier le
montant à tout moment en considération de la situation des parties » (Cass. 1ère civ. 3 févr.
1987, n°84-14.612).

L’interrogation qui en découle légitimement est la suivante : quel est le champ laissé à
cette liberté contractuelle ?

Bien que cette liberté semble laisser un champ assez large aux époux, cela doit être nuancé.
Effectivement, la Cour de cassation a estimé dans un arrêt rendu en sa première chambre civile
le 13 mai 2020 que la liberté contractuelle ne saurait déroger à la limite prévue par l’article
214, celle de la contribution à proportion de leurs facultés respectives. En effet l’arrêt précise
dans son attendu que la présomption mise en place par une clause prévoyant que les époux
avaient contribué « au jour le jour » aux charges du mariage et s’engageaient à ce titre à ne
rien réclamer à l’autre était une présomption simple et que celle-ci devait être écartée dès lors
que l’époux avait apporté une contribution inférieure à celle dont il aurait dû s’acquitter eu
égard aux revenus respectifs des époux.En l’espèce, deux époux mariés sous le régime de la
séparation de biens vivent séparément depuis 2013. Le 28 juin 2016, l’époux assigne sa
conjointe en participation aux charges du mariage et engage en parallèle une procédure de
divorce. C’est finalement ’époux qui est condamné par jugement du 5 mai 2017 à verser à son
épouse une somme mensuelle lde 3 000 euros au titre de la contribution aux charges du
mariage due sur la période du 1er janvier 2016 au 10 mars 2017, date de l’ordonnance de non-
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conciliation. L’épouse saisit alors la Cour d 1’appel d’une demande de fixation judiciaire de
contribution aux charges du mariage à compter de la date de l’assignation. Cependant, les juges
du second degré déclarent cette demande irrecevable au titre d’une clause figurant au contrat
de mariage. La Cour de cassation censure cette décision au visa de l’article 214 du Code civil.
En effet, une clause figurant dans leur contrat de mariage estimait que chacun serait réputé
s’être acquitté au jour le jour de sa part contributive aux charges du mariage et c’est en
considération de cette clause et de la liberté contractuelle que la Cour d’appel avait estimé qu’il
ressortait de la volonté des époux que cette présomption interdisait de prouver que l’un ou
l’autre ne s’était pas acquitté de cette obligation. D’ailleurs, la Cour de cassation réaffirme le
caractère souverain de cette présomption mise en place par la liberté contractuelle cependant
elle lui donne le caractère de présomption simple pouvant être renversée par la preuve que le
mari n’avait pas apporté une part contributive proportionnelle à ses facultés respectives. Pour
la doctrine, le principe de contribution aux charges du mariage est un principe d’ordre public
qu’il serait illicite d’écarter. Cependant, ce principe peut, on l’a vu être soumis à la liberté
contractuelle : pendant le mariage, les époux peuvent déterminer librement le montant de leur
contribution. Pour Hugues Letellier1, cette liberté contractuelle quant au montant de cette
fixation est contradictoire puisqu’elle est présente pendant le mariage et non en cas de rupture.
En effet, il est fréquent qu’en cas de rupture un époux assigne l’autre en participation aux
charges estimant qu’il a sur-participé et le juge devra trancher.
Les juges du fond ont une appréciation souveraine et casuistique quant à la validité de telles
clauses. Ainsi, la liberté contractuelle peut primer sur la règle d’ordre public.

À titre d’illustration, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu une décision le
18 novembre 2020 (pourvoi n°19-15.353). En l’espèce deux époux mariés sous le régime de
séparation de biens avaient prévu dans le contrat de mariage que « Les époux contribueront
aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives. Chacun d’eux sera réputé
avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu’ils ne seront assujettis à aucun
compte entre eux ni à retirer à ce sujet aucune quittance l’un de l’autre » .Durant le mariage,
l’épouse avait remboursé seule un emprunt commun souscrit pour financer la construction
d'une maison destinée à constituer le logement familial. À la suite du prononcé du divorce, l’ex-
épouse s’estime créancière au titre d’une dette entre époux de 74 723,19 euros. La Cour
d’appel lui donne droit dans un arrêt du 20 février 2019 en affirmant que la clause constituait
une présomption n’empêchant pas un époux de démontrer que sa contribution avait excédé
ses facultés contributives de sorte que la sur-contribution rendrait la clause inefficace. Un
pourvoi en cassation est formé au titre que la présomption était de nature irréfragable et
interdisant ainsi aux époux de prouver que l’autre ne se serait pas acquitté de son obligation.
La Cour de cassation, contre toute attente, censure l’arrêt de la Cour d’appel notamment au
visa de l’article 214 du Code civil .La Haute juridiction rend une décision semblant critiquable
car au lieu d’écarter la présomption mise en place par la clause conventionnelle elle accorde à
l’inverse à cette clause une présomption irréfragable.

1
(LETELLIER Hugues, LexisNexis, droit de la famille n°2, Février 2012, form. 2)
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Il s’agit donc d’une décision contraire à celle rendue le 13 mai 2020. On comprend alors que la
portée de la présomption (simple ou irréfragable) est laissée à l’appréciation des juges du fond.

Le champ laissé à la liberté contractuelle est alors sous leur entier contrôle : ces derniers
peuvent faire primer les clauses contractuelles ou la règle d’ordre public de l’article 214 du
Code civil.

La contribution aux charges du mariage telle qu’entendue au sens large par l’article 214 du
Code civil (I) répond à des règles strictes en matière d’exécution (II).

II/ L’impérativité de l’obligation aux charges du mariage et les conséquences de son non -
respect

Dans le cadre de l’exécution de cette obligation, plusieurs composantes entrent en jeu (A). De
plus, sa potentielle inexécution peut laisser place à diverses sanctions (B).

A/ Le champ d’application large de l’exécution de l’obligation de contribution aux charges du


mariage

L’obligation de contribuer aux charges du mariage semble avoir un champ d’application


large. Effectivement, la jurisprudence l’invoque fréquemment pour permettre à un époux
d’être épaulé dans le remboursement d’une créance si celle-ci dépasse ses facultés respectives,
Ainsi, si les époux achètent en indivision un bien et que l’un d’eux rembourse seul l’emprunt y
étant afférent, celui-ci doit prouver que le remboursement dépasse ses facultés pour bénéficier
d’une contribution commune.. C’est ce qui a été jugé par la Cour de cassation le 24 septembre
2014 : « Les juges du fond ne pouvaient accorder une telle créance au bénéfice de l'un des époux
sans rechercher si le règlement, par l'époux revendiquant cette créance, des échéances d'un
emprunt ayant financé l'acquisition d'un immeuble indivis, participait de l'exécution de son
obligation de contribuer aux charges du mariage ». Les juges recherchent donc si le
remboursement des emprunts nécessaires à l’acquisition du logement familial par l’un des
époux participe ou non à son obligation de contribution. À ce titre, s’il n’a pas remboursé en
proportion de ses facultés respectives, il pourra être contraint à s’exécuter.
La contribution commune aux charges du mariage peut donc valoir dans le remboursement
d’un emprunt immobilier : les dépenses ménagères et d’agrément de l’article 214 sont donc
appréciées largement.
D’autres décisions similaires ont été rendues par les juges du fond. Il a par exemple été
jugé que le paiement par le mari d'un emprunt ayant financé partiellement l'acquisition par
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l'épouse du logement de la famille participe de son obligation de contribuer aux charges du


mariage (Civ. I, 14 mars 2006, n° 05-15.980). Il a également été admis que sous le régime de la
séparation de biens, le financement, par un époux, d'un immeuble indivis dans lequel la famille
a son logement ne peut donner lieu à créance contre l'indivision que si cette contribution
excède ce qui est dû au titre de l'obligation de contribuer aux charges du mariage (Cass. Civ. I,
12 juin 2013, n° 11-26.748).
En d’autres termes, la contribution peut englober aussi bien l’emprunt d’un époux destiné à
financer l’acquisition au nom de l’épouse du logement de famille que le financement par un
époux d’un immeuble indivis pour en faire le logement familial si bien que si ce financement
excède les facultés respectives de l’époux il pourra être titulaire d’une créance.

Le principe est que l’obligation de contribution aux charges du mariage doit s’exécuter tout au
long du mariage. Cette obligation perdure durant la séparation de fait sauf si celle-ci est
imputable à un époux. Enfin, cette obligation s’achève au divorce. Ainsi, seuls le divorce et la
séparation fautive sont susceptibles de mettre un terme à cette obligation. On comprend donc
a contrario que la seule séparation est sans incidence sur ladite obligation.

En effet, un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 6 janvier


1981 a jugé que « l’action en contribution aux charges du mariage n’implique pas l’existence
d’une communauté de vie entre les conjoints, sauf la possibilité pour les juges du fond, de tenir
compte, à cet égard, des circonstances de la cause ».

La doctrine explicite ladite solution par le lien étroit qu’il existe entre la contribution aux
charges et l’obligation de communauté de vie. Ainsi, la séparation de fait étant une violation
du devoir de communauté de vie, elle ne dispense aucunement les époux de contribuer aux
charges.
Cela a été réaffirmé par la première chambre civile de la Cour de cassation le 19 novembre
1991 selon laquelle « l’action en contribution aux charges du mariage n’implique pas l’existence
de la communauté de vie entre les époux et que c’est au conjoint, tenu par principe de contribuer
à ces charges » (Cass. 1ère civ. 19 nov. 1991, n°90-11320).

L’article 258 du Code civil dispose que : « Lorsqu’il rejette définitivement la demande en divorce,
le juge peut statuer sur la contribution aux charges du mariage, la résidence de la famille et les
modalités de l’exercice de l’autorité parentale. »

Il l’a été précisé, la séparation de fait fautive peut cependant mettre à la charge d’un époux sur
seulement l’obligation de contribution. C’est ce qui a été jugé le 16 octobre 1984 par la
première chambre civile de la Cour de cassation. La Haute juridiction considère que : « Si
l’action en contribution aux charges du mariage n’implique pas l’existence d’une communauté
de vie entre les conjoints, il appartient aux juges du fond de tenir compte, à cet égard, des
circonstances de la cause » (Cass. 1ère civ. 16 oct. 1984, n°83-13739). « Les circonstances de la
cause » sont les fautes potentiellement imputables à un époux qui peuvent faire peser sur lui
uniquement l’exécution de la contribution aux charges (Cass, 1ere civ, 18 décembre 1978).
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B) Les sanctions de l’inexécution de l’obligation de contribution aux charges du mariage

La potentielle inexécution de l’obligation de contribuer aux charges du mariage est régie


par l’alinéa 2 de l’article 214 du Code civil qui prévoit « si l’un des époux ne remplit pas ses
obligations, il peut y être contraint par l’autre dans les formes prévues au Code de procédure
civile. »

Concernant la compétence du juge, il résulte de la réforme de la procédure civile intervenue à


la fin de l’année 2019 et des dispositions résultant des articles 1070 à 1074 et des articles 1137
à 1143 du Code de procédure civile que c’est le juge aux affaires familiales qui doit être saisi.
Ce juge aura ainsi le pouvoir de rendre une décision à caractère exécutoire en matière de
contribution aux charges du mariage. Il est saisi par l’époux créancier de l’obligation de
contribuer aux charges du mariage, lequel souhaite que son conjoint participe à ce titre.
L’époux peut alors saisir le JAF pour obtenir en dehors de tout divorce ou de toute séparation,
le montant de la contribution aux charges que l’époux devra verser.

La sanction première consistera à contraindre l’époux ayant participé en dehors de ses facultés
respectives à s’exécuter c’est-à-dire verser le montant adapté.

En outre, le défaut de contribution aux charges de mariage peut être constitutif d'une faute et
être au fondement d'une demande de divorce.

À l’occasion d’un divorce, un état des comptes va être effectué entre les époux afin de
déterminer si chacun a contribué aux charges à hauteur de ses facultés respectives. Deux
situations problématiques peuvent alors survenir : l’un a contribué en dessous de ses facultés
contributives ou au-delà de ses facultés contributives.
Dans la première situation, il faut noter que la règle « aliments ne s’arréragent pas » n’est pas
applicable. Cette règle implique que le créancier de l’obligation qui n’a pas réclamé paiement
à son débiteur ne peut demander le remboursement de cette dette plus tard. Celui n’ayant pas
exécuté son obligation de contribution aux charges du mariage peut-il alors être actionné en
paiement le jour de la dissolution ? Cette situation obéit à une règle qui a été précédemment
étudiée : lorsqu’un contrat de mariage a été établi et que celui-ci contient une clause prévoyant
que l’obligation de contribution aux charges du mariage est réputée être exécutée au jour le
jour, il ne pourra être actionné en exécution de cette contribution. Cependant il convient de
rappeler que cette présomption est simple et donc qu’elle peut être renversée par l’apport de
la preuve contraire (Cass. 1ère civ. 13 mai 2020, n°19-11.444). S’il est prouvé alors que l’un des
deux époux a manqué à son obligation de contribution, il pourra obtenir du juge une
compensation pécuniaire.
Inès Chometon, Droit des régimes matrimoniaux, devoir maison

Dans la seconde situation, lorsque l’un des deux a contribué au-delà de sa part contributive, il
a été admis qu’il puisse réclamer le trop versé sur le fondement de l’enrichissement sans cause
des articles 1303-1 et suivants du Code civil.

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