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Blot Ambre, TD9, séance 4

Sujet : L’organisation patrimoniale du couple marié (hors contrat de mariage)

Dans la jungle complexe du droit de la famille, l’organisation patrimoniale du couple


marié est un concept qui attire l’attention tant par sa richesse que par sa subtilité. Comme le
disait l’écrivaine Jane Austen, « C’est une vérité universellement reconnue qu’un homme
célibataire pourvu d’une belle fortune doit être en quête d’une épouse » (page 1, ligne 1,
Orgueil et Préjugés, 1813). Cette maxime, bien que datant du XIXe siècle, révèle une réalité
intemporelle : l’union conjugale est souvent liée à des considérations patrimoniales. Dans cette
optique, l’organisation patrimoniale du couple marié se pose comme un défi juridique majeur,
dans lequel les enjeux patrimoniaux conjuguent aux dimensions personnelles et sociales la vie
de couple. L’organisation patrimoniale renvoie à l’ensemble des mécanismes et dispositifs
juridiques mis en place par les conjoints afin de gérer et de structurer leur patrimoine commun
ou individuel. Quand au couplé marié, il désigne deux personnes unies par les liens du mariage,
qui est un contrat d’adhésion a une institution.
Le mariage, institution millénaire, n’est pas seulement une alliance entre deux individus mais
également une union de leurs biens et intérêts. Par cela, l’organisation patrimoniale devient un
élément central de la vie conjugale en conditionnant la gestion quotidienne du foyer, les projets
d’avenir et parfois même la stabilité émotionnelle du couple. Face à cette réalité, le droit de la
famille a instauré des règles visant à organiser et encadrer les relations patrimoniales entre les
époux.
Dans un monde en constante évolution, l’organisation patrimoniale du couple revêt une
importance accrue. Les mariages d’aujourd’hui sont le reflet de sociétés plurielles et
cosmopolites dans lesquelles des questions d’héritages, de succession, de partage des biens et
de responsabilité financière sont au cœur des préoccupations. Parallèlement, les transformations
législatives et sociales, telles que l’essor du mariage pour tous (Loi n° 2013-404 du 17 mai
2013) ont profondément boulversé les paradigmes traditionnels du couple et de la famille.
L'union personnelle que le droit institue entre couples mariés se prolonge naturellement quant
aux biens. Cette union patrimoniale a d'ailleurs été renforcée par la loi du 3 décembre 2001 qui
a profondément modifié le statut successoral du conjoint survivant. Pour autant, le droit veille
aussi à l'indépendance de chacun. L'article 216, dispose que « chaque époux a la pleine capacité
de droit ». Dans d'autres cas, elle laisse aux époux la liberté de déterminer eux-mêmes, par des
stipulations volontaires, la part d'union et d'indépendance de chacun.
Il convient à présent de se questionner sur cette organisation et articulation de la gestion des
biens et finances entre les époux, comment le droit appréhende-t-il l’organisation patrimoniale
du couple marié ?
Nous allons analyser d’abord l’interdépendance effective entre les époux, aussi bien dans la
gestion courante que dans les choix patrimoniaux significatifs (I), puis explorer les divers
aspects et ramifications des pouvoirs de gestion des biens au sein du couple marié (II).

I. Une interdépendance réelle des époux

L’interdépendance des époux se manifeste dans les dispositions concernant les charges du
mariage (A) et l’obligation aux dettes ménagères (B).

A. La contribution aux charges du mariage

La contribution aux charges du mariage est prévue à l’article 214 du Code civil qui dispose
« si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du
mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives ».
L’obligation de contribuer aux charges du mariage est une responsabilité commune des deux
époux, requérant une exécution simultanée et se distinguant ainsi du devoir de secours entre
conjoint, lequel est une obligation alimentaire distincte. En d’autres termes, lors d’une
procédure de divorce, le juge conciliateur désigne systématiquement un époux débiteur et un
époux créancier pour la pension alimentaire liée au devoir de secours, tandis que l’obligation
de contribuer aux charges du mariage est intrinsequement réciproque. La réciprocité énoncée
dans l’article 214 du code civil s’inscrit dans la continuité de l’article 213 du même code,
conférant aux deux époux une direction matérielle conjointe de la famille. À travers cette
disposition, le législateur exprime sa volonté d’établir, en vertu des effets directs du mariage,
un fonctionnement communautaire pour les aspects relatifs à l’entretien familial et à l’éducation
des enfants, indépendamment du régime matrimonial choisi.
Ainsi, l’article 214 impose aux deux époux, traités de manière équitable depuis la loi du 11
juillet 1975, de contribuer financièrement à la constitution d’une communauté économique
familiale, même en cas de mariage sous un régime de separation des biens. Cette obligation,
tout comme les autres obligations du régime primaire impératif, revêt un caractère d’ordre
public.
En jurisprudence, il est établi que seul l’époux incapable de contribuer peut être désigné comme
unique débiteur de la contribution aux charges du mariage, comme l’a confirmé la cour d’appel
de Lyon le 30 novembre 1983. Cette décision concerne un cas ou l’épouse, sans emploi, était
également gravement déprimée à la suite de l’abandon du domicile conjugal par son mari,
l’empêchant ainsi d’exercer une activité professionnelle. Cette obligation englobe les besoins
essentiels de la famille tels que le logement, la nourriture, la santé, ainsi que les frais relatifs à
l’éducation des enfants et parfois même des dépenses de loisirs ou d’agrément. En revanche,
les juridictions précisent ce qui doit être exclu des charges, notamment l’imposition sur les
revenus. (Cass. civ 1, 4 juillet 2007).
Il convient également de souligner qu’en cas de désaccord entre les époux, la jurisprudence de
la Cour de cassation précise que le juge doit prendre en compte toutes les charges de l’époux
demandeur correspondant à des dépenses utiles ou nécessaires pour déterminer le montant de
la contribution d’un époux aux charges du mariage (Cass, civ 1, 15 novembre 1989). En plus
de la contribution aux charges du mariage, les époux sont tenus de partager les dettes ménagères
selon un principe de solidarité.

B. La solidarité aux dettes du ménage

Relativement à la solidarité aux dettes il convient de distinguer le principe des nombreuses


exceptions. Le principe est selon l’article 220 du code civil que « chacun des époux a pouvoir
pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants
: toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement ».
Le même article énumère également les exceptions, notamment les dépenses qui sont
manifestement excessives en comparaison avec le train de vie du foyer, l’utilité de l’opération,
et la bonne ou mauvaise foi des tiers, telles que les achats à tempérament et les emprunts, sauf
s’ils concernent des montants modestes nécessaires aux dépenses courantes et que leur total, en
cas de plusieurs emprunts, n’est pas déraisonnable par rapport au niveau de vie de la famille. Il
est important de différencier les exclusions basées sur la nature de la dette (non considérée
comme une dette du ménage) des exclusions spécifiquement énumérées à l’article 220 du code
civil.
Pour illustrer le premier cas, ont été considérées comme des dettes du ménage les charges telles
que le loyer (Cass, civ 2, 3 octobre 1990), les frais de copropriété (Cass, civ 3, 1 décembre
1999), les frais hospitaliers des enfants (Cass, civ 2, 10 juillet 1997) ainsi que l’achat d’un
véhicule automobile (Cour d’appel de Grenoble, 24 novembre 1999). En revanche, les voyages
effectués par un seul des époux ont été exclus des dettes du ménage (Cour d’appel de Paris, 5
juillet 1996).
Pour illustrer le second cas, il convient de rappeler que les achats à tempérament sont ceux dont
le paiement est échelonné dans le temps. Par exemple, l’achat d’un magnétoscope de 14 000
francs a été considéré comme une dépense excessive (Cour d’appel de Paris, 21 mai 1982), de
même que l’acquisition d’une argenterie par l’épouse (Cour d’appel de Rouen, 1e chambre, 30
juin. 1987) ou encore l’achat de matériel d’outillage important (Cour d’appel de Nancy, 2e
chambre, 18 mai 1987).

II. Les pouvoirs de gestion des biens, entre cogestion et autonomie.

Les pouvoirs de gestion des biens au sein du couple marié comprennent une implication de la
gestion du logement familial (A) ainsi que des comptes bancaires et revenus personnels des
deux époux (B).

A. Le logement familial, un élément particulièrement encadré

Le logement familial fait l’objet d’une protection particulière car c’est un bien important.
Par logement familial, on entend tout lieu qui abrite la famille et qui par la volonté des époux
revêt un caractère familial, par tout lieu on entend par exemple maison, appartement, chalet etc.
L’article 215 alinéa 3 du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer
des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il
est garni. Celui des deux qui n’a pas donné son consentement à l’acte peut en demander
l’annulation : l’action en nullité lui est ouverte dans l’année à partir du jour où il a eu
connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime
matrimonial s’est dissous ».
Cette règle est considérée comme d’ordre public, ce qui signifie qu’elle s’applique
indépendamment du régime matrimonial choisi par les époux et qu’elle leur est contraignante,
ne pouvant être exclue. Elle s’applique également même si le bien constituant le logement
familial appartient à un seul des deux époux, même si ce bien a été acquis avant le mariage. De
plus, l’article 1751 du code civil établit un principe de cotitularité du droit au bail pour la
résidence principale des deux époux exigeant leur accord pour tout acte sur ce bail.
Le logement familial désigne le lieu effectif de résidence, une notion basée sur les faits, excluant
ainsi les résidences secondaires telles que les maisons de vacances du champ d’application de
l’article 215 alinéa 3 (Cass, civ 1, 19 octobre 1999). Une problématique s’est posée concernant
l’application du principe de cohésion aux logements de fonction liés à l’activité professionnelle.
Les juridictions ont répondu affirmativement, en précisant que si l’autonomie professionnelle
est maintenue (par exemple, le choix de démissionner ou d’accepter une mutation), le logement
de fonction, s’il correspond effectivement au logement familial, doit être soumis au principe de
cogestion (Cass, civ 1, 4 octobre 1983)
Cette protection s’étend également aux meubles meublants garnissant le logement familial.
Cette notion est définie à l’article 534 du Code civil qui dispose que « les “meubles meublants”
ne comprennent que les meubles destinés à l’usage et à l’ornement des appartements, comme
tapisseries, lits, sièges, glaces, pendules, tables, porcelaines et autres objets de cette nature.
Les tableaux et les statues qui font partie du meuble d’un appartement y sont aussi compris,
mais non les collections de tableaux qui peuvent être dans les galeries ou pièces particulières.
Il en est de même des porcelaines : celles seulement qui font partie de la décoration d’un
appartement sont comprises sous la dénomination de “meubles meublants” ».

En ce qui concerne les actions susceptibles d’affecter le logement familial, il est stipulé que les
époux ne peuvent pas « disposer » de celui-ci, ce qui fait référence aux actes de disposition tels
que la vente, la donation ou l’échange, c’est-à-dire les actions qui aboutiraient à priver la famille
de son lieu de résidence. Pour ces actions, le principe est celui de la cogestion, ce qui signifie
que les époux doivent consentir à l’acte sous peine de nullité, dans le délai d’un an selon les
modaltés énoncées dans l’article 215 alinéa 3.
Cette protection et ces conditions s’appliquent pendant toute la durée du mariage, y compris en
cas de divorce en cours de procédure. La cogestion reste le principe et la nullité pourrait être
demandée si l’un des époux, par exemple, vend le bien immobilier constituant le logement
familial sans le consentement de l’autre. L’obligation prend fin au prononcé déinitif du divorce
ou en cas de décès si le mariage est ainsi dissous.
B. La gestion des comptes bancaires et la perception des gains et salaires

L’article 221 du Code civil dispose que « chacun des époux peut se faire ouvrir, sans le
consentement de l’autre, tout compte de dépôt et tout compte de titres en son nom personnel.
L’époux déposant est réputé, à l’égard du dépositaire, avoir la libre disposition des fonds et des
titres en dépôt ». Cet article 221 du Code civil crée une présomption de pouvoir de libre
disposition vis-à-vis du dépositaire.
Il est complété par l’article 223 du même code selon lequel « chaque époux peut librement
exercer une profession, percevoir ses gains et salaires et en disposer après s’être acquitté des
charges du mariage ». Ces articles entraînent plusieurs observations :
Premièrement, l’ouverture d’un compte n’est pas soumise à l’accord de l’autre époux, ce qui
signifie qu’il est permis à l’un des conjoints d’ouvrir un compte de dépôt (tel qu’un compte
cheque ou des livrets) ou encore un compte-titres.
Deuxièmement, en ce qui concerne la relation avec l’établissement bancaire, un seul des époux
est habiltié à effectuer diverses actions telles que des dépôts de fonds, des virements ou des
paiements. En ce qui concerne les fonds disponibles, une fois que l’époux a rempli ses
obligations envers les charges du mariage mentionnées précédemment, il dispose librement des
fonds. Par conséquent, le principe de cogestion, ou l’un des époux soit approuver les actions de
l’autre n’est pas applicable. Ainsi, un conjoint peut acheter des biens ou faire des donations,
entre autres actions.
Il est important de rappeler que les salaires englobent tous les revenus provenant de l’activité
salariée d’une personne, y compris les salaires et les primes, ainsi que les allocations chômages
etc tandis que les gains font référence aux revenus provenant d’autres sources que le salariat,
comme les dividendes ou les honoraires des professions libérales telles que les avocats.
Finalement, nous pouvons comprendre à travers cette étude des effets patrimoniaux dans le
cadre du mariage que l’organisation patrimoniale du mariage est un devoir continu, une alliance
complexe entre l’indépendance et la collaboration, la prudence et la générosité.

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