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SÉANCE 6

PARTIE 2. LA SÉPARATION DES BIENS DES ÉPOUX DANS LE CODE DE LA


FAMILLE

La lecture du code de la famille permet de constater que plusieurs dispositions s'adressent


aux époux et cherchent à régler certains aspects spécifiques de leur patrimoine propre,
particulièrement, ceux relatifs à la séparation et au partage des biens conjugaux. Il s'agit
d'une nouveauté dans ce code. Ce sont ces dispositions en particulier qui nous
intéresseront dans cette deuxième partie de cours, principalement l’article 49 du code de
la famille qui constitue un cadre juridique permettant aux deux époux de choisir les
conditions de fructification et de répartition des biens qu'ils auront acquis pendant leur
mariage. C’est un régime conjugal qui perpétue le principe de la séparation des biens et
ce, en permettant aux époux de se mettre d'accord sur la façon de gérer conjointement
leurs biens acquis pendant le mariage. C’est un accord qui explique, en revanche, la
possibilité de reconnaitre la contribution de la femme dans le patrimoine acquis pendant
le mariage.

La lecture de cette disposition juridique permet de soulever trois éléments essentiels qui
feront l’objet de notre analyse. Nous souhaitons en premier lieu traiter la question de
l'indépendance financière de chacun des époux. Par la suite, l’analyse portera sur la
nature de l’accord qui concerne la gestion de leurs biens acquis pendant le mariage.
Enfin, nous abordons le pouvoir d’appréciation de juge de décider de la répartition des
biens entre époux en cas d’absence du dit accord.

Section 1. L’indépendance financière de chacun des époux

Tout d’abord, rappelons que le droit musulman n’a pas fait du mariage l’une des raisons
de l’interdiction (‫ )التحجير‬de l’un des époux. Chacun d’eux a donc le droit de conserver
son nom de famille, sa pleine personnalité juridique et son patrimoine propre séparément
de l’autre conjoint. Le droit musulman confirme l’indépendance financière de chacun des
époux soit avant, pendant ou après le mariage. En principe, l’épouse, comme l’époux, une
fois qu’elle soit apte d’exercer ses droits personnels et patrimoniaux et que ses actes
soient valides, elle devient pleinement autonome et compétente sur le plan économique.
Autrement dit, l’épouse, pendant ou après le mariage, est libre de ses transactions
financières tant qu'elle est saine d'esprit. Elle a son indépendance économique et
financière. Dans cette perspective, la Sharia ne fait pas de discrimination entre les sexes
dans l'acquisition des droits et le respect des devoirs. Dans ce sens, Dieu dit : « Leur
Seigneur les a alors exaucés (disant) : " En vérité, Je ne laisse pas perdre le bien que
quiconque parmi vous a fait, homme ou femme, car vous êtes les uns des autres » (3 Al-
Imran / La famille d’Imran : 195).

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Dans le même ordre d’idées, en droit marocain, la lecture de certaines dispositions
permet de constater que le législateur marocain reconnait la personnalité indépendante de
l’épouse par rapport à celle de son mari. Dans l’institution familiale, il n’y a pas de
discrimination entre la femme et l'homme dans l'exercice de ses droits et de ses
obligations. Elle a le droit de posséder des biens et d’être indépendante sur le plan
économique et financier. Par exemple, la dot, conformément à l’article 29 du code la
famille, devient la propriété de l’épouse qui en a la libre disposition et l’époux ne peut
exiger d’elle, en contrepartie, un apport quelconque en ameublement ou autres. De même,
le législateur marocain a également aboli, conformément à l'article 17 du code de
commerce, la capacité réduite de l’épouse dans le domaine commercial en permettant à la
femme mariée d’exercer le commerce sans autorisation de son mari. De telles
dispositions impliquent l'indépendance financière de l’épouse par rapport à son mari.
Puis, viendra l'article 49 du code de la famille pour confirmer cette indépendance en
stipulant : « Les deux époux disposent chacun d’un patrimoine propre. Toutefois, les
époux peuvent se mettre d'accord sur les conditions de fructification et de répartition des
biens qu'ils auront acquis pendant leur mariage […] ». Cette disposition affirme
clairement l'indépendance financière de chacun des époux. À ce propos, elle permet aux
époux, dans le cadre de la gestion des biens dont ils feront l'acquisition pendant le
mariage, à se mettre d'accord sur un cadre légal de leur fructification et répartition.
Autrement dit, le législateur marocain donne la possibilité aux époux de parvenir à un
accord pour gérer et partager leur patrimoine acquis pendant la relation conjugale.

Mais quelles sont les composantes du patrimoine que dispose chaque époux?
Quant à l'épouse, les composantes de son patrimoine propre peuvent être identifiées
comme suit :
1. Les biens mobiliers et immobiliers acquis avant la conclusion du contrat de
mariage.
2. Les dettes envers autrui et les dettes au profit d'autrui.
3. Ce qui peut lui incomber par donation, héritage, testament ou compensation
personnelle.
4. Dotation et cadeaux fournis par le mari lors des fiançailles et à la conclusion du
contrat de mariage.
5. Ce que l’épouse apporte au domicile conjugal, y compris les meubles, les
bagages, les bijoux et autres matériaux.

Quant au mari, son propre patrimoine comprend :


1. Les biens mobiliers et immobiliers acquis avant la conclusion du contrat de
mariage.
2. Les dettes qui lui sont dues par autrui et les dettes qu'il doit au profit d'autrui.
3. Ce qui peut lui incomber par donation, héritage, testament ou autre, ou par
compensation personnelle.

L’article 49 du code de la famille est venu confirmer le statu quo selon lequel la
responsabilité financière de chacun des époux est indépendante de l'autre et en dispose à
sa guise. Cependant, dans le cadre de la nouvelle perspective et de la dimension
recherchée par le législateur marocain qui vise prévaloir l’entraide et la contribution des

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époux dans leur vie conjugale, l’article 49 du code de la famille a donné la possibilité aux
époux de convenir dans un contrat séparé de la gestion des biens acquis pendant le
mariage. Il s'agit d'un accord facultatif qui relève du principe de l'autorité de la volonté (
‫)مبدأ سلطان اإلرادة‬, qui donne à chacun des époux le droit de gérer ses affaires et ses biens,
et d'en disposer de la manière qu'il juge appropriée sans enfreindre les règles impératives.
Cet accord détermine la part de chacun dans le patrimoine acquis après le mariage.

L'adoption de cet article 49 du code de la famille est venue résoudre les conflits
financiers qui peuvent surgir entre les époux soit pendant le mariage ou soit lorsque celui-
ci prend fin par divorce ou par décès. La lecture de cette disposition permet de souligner
qu’il s’agit d’une possibilité offerte pour les deux époux. À cet égard, la femme a le droit
de réclamer ses droits financiers vis-à-vis du mari et vis-versa. Nous sommes donc devant
un texte général venu garantir les droits financiers des deux parties et non pas seulement
de l’épouse1.

Notons aussi que cette disposition n'a rien à voir avec les règles de l'héritage. Il s’agit
d’une distribution ou transmission des biens pendant la vie de son titulaire. De telle
action ne peut pas être considérée comme héritage, également le cas d'autres actions qui
se font avec ou sans compensation, comme la charité, le don, la vente, etc.

La lecture de l'article 49 du code de la famille permet aussi de soulever un autre élément


relatif à l’application de cette disposition dans le temps. C’est la question de savoir si
cette disposition peut être appliquée à des litiges financiers matrimoniaux antérieurs à
l’entrée en vigueur du code de la famille en 2004. Dans ce cas, le principe de la non-
rétroactivité des lois s’applique. C’est-à-dire, l'article 49 du code de la famille n'est pas
appliqué rétroactivement, car les différends financiers liés aux relations matrimoniales
survenus avant le 5 février 2004 restent soumis à la loi abrogée sur le statut personnel.
Dans cette perspective, Mohamed Kachbour, professeur spécialiste en droit de la famille,
précise que l'article 49 du code de la famille ne peut pas être appliqué rétroactivement et
ne peut pas bouleverser les situations établies avant le 5 février 2004, parce que nous
sommes confrontés à une base législative objective et non procédurale, et à partir de là,
nous devons respecter le principe de non-rétroactivité des lois2.

En résumé, par rapport aux conditions relatives aux biens, l'article 49 du code de la
famille prévoit donc un régime légal de la séparation des biens par lequel chacun des
deux époux peut gérer son patrimoine propre pendant le mariage et le récupérer en cas de
dissolution. Il s’agit d’une des réformes du code de la famille marocain dont le législateur
a introduit la possibilité pour les époux d’établir un contrat de mariage dans lequel ils
prévoient, dans un accord, la gestion de leurs biens acquis pendant le mariage. Cet accord
doit être consigné dans un document séparé de l'acte de mariage.

1
Mohammed Kachbour, L’essentiel dans l’exégèse du code de la famille, Casablanca, Librairie Al-Najâh,
troisième édition, 2015, p. 603. (Traduction personnelle de cette référence).
2
Mohammed Kachbour, op. cit, p. 605.

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