Vous êtes sur la page 1sur 20

UNIVERSITE MOHAMMED V – RABAT

Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales Agdal

Master Sciences juridiques 2023/2024

Répartition des acquêts


(Dispositions de l’article 49 de la MOUDAWANA)

Plan
INTRODUCTION
I/ LA REPARTITION DES ACQUÊTS PATRIMONIAUX DANS LES
TEXTES
1/ L’ARTICLE 49 DE LA MOUDAOUANA

2/ MODE DE GESTION DES ACQUÊTS ET DE LEUR SÉPARATION


EN CAS DE DÉSUNION : LECTURE COMPARATIVE

REPARTITION DES ACQUETS 1


II/ LA RÉPARTITIONS DES ACQUÊTS PATRIMONIAUX DANS LA
PRATIQUE

1/ LE PARTAGE DES ACQUÊTS DU MARIAGE, DROIT SOUS


UTILISÉ

2/ LES DIFFICULTÉS APPRÉHENSION DE L’ARTICLE 49

3/ LES ENTRAVES À L’APPLICATION DE L’ARTICLE 49

CONCLUSION

INTRODUCTION

La répartition des acquêts patrimoniaux est le fait de mettre en communauté les


biens achetés1 pendant le mariage et de les répartir entre les époux en cas de
désunion. Ces biens sont en effets les fructifications résultant du travail et des

1 C’est pourquoi le terme « acquêts » est utilisé.]

REPARTITION DES ACQUETS 2


revenus de chacune des époux, des efforts qu’il a accomplis et des charges qu’il a
assumées en vue de faire croitre les biens de la famille.

La réforme du code de statut personnel, appelé communément « Moudawana »,


intervenue en 2004, a permis d’améliorer de manière significative le statut juridique
des femmes et d’ouvrir de nouvelles perspectives de changement de leur condition
au sein de la famille.

La genèse de l’idée du partage des biens acquis pendant l’union est apparue
officiellement dans le projet du plan d’action pour l’intégration de la femme dans le
développement PANIFD en 1999, dans un souci d’équité par rapport aux femmes
qui ayant, largement contribué à la constitution du patrimoine familial grâce à leur
travail au sein du foyer et/ou grâce à leur activité professionnelle, se retrouvent
dénudées de tout appui matériel, social ou de renforcement et d’habilitation, elles se
retrouvaient le plus souvent dans une situation de dépendance en cas de
séparation. Cette proposition a suscité de violentes réactions de la part du
mouvement conservateur.

En dépit de cette opposition, et compte tenu des mutations démographiques et


socio- économiques à savoir, l’allongement de la période du célibat, le travail des
femmes et la contribution aux charges familiales, et afin de diminuer les conflits au
moment de la rupture du lien conjugal, cette proposition a été intégrée dans le code
de la famille en 2004, par l’article 49 qui a ébauché de nouvelles perspectives en
matière de partage des biens acquis pendant le mariage, en ouvrant la possibilité
aux époux de se mettre d’accord sur les conditions de fructification et de répartition
des biens qu’ils auront acquis pendant le mariage, au moment de la rupture du lien
conjugal.

Cet article observe quatre principes à savoir : la séparation des biens qu’est d’ordre
public, la contribution aux fructifications, l’autonomie de la volonté et les règles
générales de preuve.

L’article 49 pose ainsi de multiples questions : Dans quelle mesure, les mariages
contractés depuis l’entrée en vigueur du code de la famille font-ils référence et
intègrent un contrat sur le partage des biens ? Quelle est la nature de ce contrat, sur
quoi porte-t-il ? Comment agissent et décident les juges pour le partage des biens ?
Quels sont les entraves au recours à ce contrat et les difficultés de l’application de
l’article 49 ?

Autant de questions complexes auxquelles nous essaierons de répondre, en dépit


de la carence des recherches sur la question et de l’insuffisance de la jurisprudence
en la matière.

Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de clarifier d’abord le contenu de


l’article 49, d’interroger son référentiel, d’évaluer son application afin d’identifier les
difficultés réelles de son application et de faire quelques propositions.

I. La répartition des acquêts patrimoniaux dans la


Moudawanah

A) L’article 49 de la Moudawanah

REPARTITION DES ACQUETS 3


L’article 49 représente une innovation révolutionnaire par rapport au code antérieur,
en termes de revisite des rapports matrimoniaux. Il a pour objet d’organiser et
d’ordonnancer les effets du mariage de manière consensuelle en vue de garantir les
droits des deux époux.
Introduit dans le titre VI du code de la famille, cet article stipule que :

« Les deux époux disposent chacun d’un patrimoine propre.

Toutefois, les époux peuvent se mettre d’accord sur les conditions de fructification et
de répartition des biens qu’ils auront acquis pendant le mariage. Cet accord fait
l’objet d’un document distinct de l’acte de mariage. Les Adouls avisent les deux
parties, lors de la conclusion du mariage, des dispositions précédentes.
A défaut de l’accord susvisé, il est fait recours aux règles générales de preuve, tout
en prenant en considération le travail de chacun des conjoints, les efforts qu’il a
fournis et les charges qu’il a assumées pour fructifier les biens de la famille ».

Ainsi, cet article annonce certaines mesures qui, si elle est bien appliquée,
atténuerait la rigidité du régime de la séparation des biens.

1. Le référentiel de l’article 49
La règle de contribution au cumul des biens n’est pas étrangère au droit marocain
d’avant 2004. En effet, les termes (‫ )الكد والسعاية‬El Kadd et Si’Ayah étaient d’usage
dans quelques régions du Maroc (Jbala et Souss) et qui ont étaient entérinée par la
jurisprudence. Cette pratique fût appliquée au Maroc par certains juges, au profit de
femmes ayant contribué par leur travail, domestique, agricole, artisanal, au
patrimoine de l’époux, sur la base des fatwas de Ibn Ardoune et de Mokhtar Soussi.
Il est considéré par la jurisprudence marocaine comme un droit réel coutumier (Cour
administrative de Rabat dans le jugement du 15 mai 1997) et appuie de plus en plus
la jurisprudence récente relative à l’application de l’article 49.

Juridiquement ces termes veulent dire : l’acquisition de droits sur les biens
accumulés, en fonction de la contribution de chacun, quand plusieurs personnes
concourent à la fructification de ces biens. Ce sont les droits acquis par l’épouse en
contre partie de son effort déployé et de son travail, au foyer ou à l’extérieur, aux
côtés de son époux dans la période maritale, sans pour autant remettre en cause les
Droits que lui confère la chariaâ et sans porter atteinte à l’indépendance des
patrimoines des époux. Selon les anciens Oulémas cette contribution s’applique à
tous les membres de la famille, mais elle devient plus persistante lors de décès d’un
conjoint ou en cas de divorce.
Par ses règles, ce droit se rapproche de la participation aux acquêts, admise par
certaines législations qui admettent la séparation des biens comme régime
matrimonial entre époux.

Par conséquent, code de la famille de 2004 a consacré le principe d’Al Kad wa


S’aya, de droit musulman afin de garantir l'équité et la justice dans les rapports
sociaux au sein de la famille.

Ce principe d’Al Kad wa S’aya a un fondement religieux concrétisé par le Coran, la


Souna et le Fiqh :

2. L’article 49 : L’interprétation officielle

REPARTITION DES ACQUETS 4


L’interprétation officielle de l’article 49, qui ressort du guide pratique du ministère de
la justice, publié en 2005, présume que cet article a pour but de consacrer la
situation antérieure selon laquelle les patrimoines respectifs des conjoints sont
distincts et que chaque conjoint a la libre disposition de ses biens. Néanmoins, dans
un esprit de responsabilité et de solidarité familiale, le législateur a reconnu la
possibilité pour les conjoints de se mettre d’accord, en vertu d’un acte séparé, sur la
gestion des biens à acquérir après la conclusion du mariage. Cet acte peut, bien
entendu, être établi à tout moment de l’union conjugale, il concerne évidemment
même les mariages conclus avant l’entrée en vigueur du nouveau code de la famille
en 2004. [Benradi, 2012]
Il s’agit en fait d’un accord optionnel fondé sur l’autonomie de la volonté qui confère
à toute personne le droit de gérer ses biens, de les administrer et d’en disposer
librement. Cet accord doit fixer la part des biens acquis par chaque conjoint après la
conclusion du mariage. En cas de litige, chacun des conjoints doit apporter la
preuve de sa participation au développement des biens de l’autre. Il est fait
application des règles générales de preuve.
La décision ne portera jamais sur les biens que possédait chacun des époux avant
le mariage. Elle se limitera aux biens acquis durant la période du mariage et ce, à la
lumière du travail accompli, des efforts déployés et des charges assumées par le
demandeur pour le développement des biens du conjoint.

L’évaluation ne s’entend pas de la répartition à parts égales des biens acquis


pendant l’union, elle a pour objet de déterminer les efforts fournis par chaque
conjoint et leurs effets sur l’acquisition des biens. Cette évaluation est du ressort du
pouvoir d’appréciation du juge, qui doit apprécier l’importance des efforts fournis,
leur nature et leurs effets sur les biens acquis durant la période du mariage. C’est
pourquoi cette évaluation va se heurter à des difficultés importantes de mise en
œuvre de l’article 49.

3. L’article 49 : La nature des biens objet de partage


En effet, a côté des biens propres, le couple acquiert des biens qu’il achète durant le
mariage. La contribution au cumul des biens ne concerne que les biens achetés au
cours de mariage, qui veut dire les fructifications résultant du travail et des revenus
des époux, et de leurs efforts.

En droit musulman le mariage n’a aucune influence sur les rapports patrimoniaux
des époux. Leurs relations patrimoniales sont régies par les règles de droit commun.
Seuls les biens meubles se trouvant au domicile conjugal échappaient à cette règle.
Car, malgré le régime de séparation absolue des biens en droit marocain, la
communauté de vie entraîne une confusion des biens mobiliers se trouvant au
domicile conjugal, biens qui risquent de faire l’objet de contestations soit entre les
ex-conjoints soit entre l’un des époux et les héritiers de l’autre. C’est pourquoi, en
l’absence de preuve certaine de propriété, l’article 39 de l’ancienne Moudawana
avait repris la règle classique du droit musulman, celle de la présomption de
propriété fondée sur la vraisemblance et appuyée de serment2. Mais, la répartition
des biens fondée sur la présomption de propriété profite beaucoup plus au mari qu’à
l’épouse pour ce qui concerne les biens d’usage commun. Car en l’absence de

2 ART.39. En cas de contestation au sujet de la propriétaire des objets mobiliers contenus dans la maison et en
l’absence de preuve certaine, il sera fait droit. Aux dires du mari, appuyés par serment, s’il s’agit d’objets d’un
usage habituel aux hommes ; Aux dires de l’épouse, après serment, pour les objets qui, habituellement, sont à
l’usage des femmes. Si contestation porte sur les marchandises, celle-ci seront attribuées à celui des conjoints
qui aura justifié de son activité commerciale au moyen de preuves. Les objets qui sont utilisés indistinctement
par les hommes et par les femmes seront, après serment de l’un et de l’autre époux, partagés entre eux.

REPARTITION DES ACQUETS 5


preuve certaine fournie par l’épouse, les biens mobiliers se trouvant au domicile
conjugal sont réputés appartenir au mari qui est, en droit musulman, tenu de fournir
à son épouse un domicile, l’équiper et l’y est invitée. Or, actuellement, surtout pour
les femmes salariées, elles participent à l’équipement du logement familial et parfois
ce sont elles qui en supportent la charge. Et si l’épouse ne garde pas toutes les
factures, ce qui est le cas si le couple a passé des décennies en mariage, les biens
reviennent au mari en cas de divorce. C’est d’ailleurs pourquoi une solution à ce
problème a toujours fait partie des revendications chaque fois qu’une réforme de la
famille s’est posée. [Wautelet, 2012]

4. L’article 49 : Lecture descriptive

Une première lecture de cet article indique, d’abord qu’il est en parfaite harmonie
avec les autres dispositions allant dans le sens de l’égalité entre les genres et dans
le sens de la protection de la dignité des conjoints, telles que : égalité de l’âge au
mariage entre les filles et les garçons, suspension de la tutelle matrimoniale, égalité
des conjoints en matière de responsabilité familiale, divorce par compensation et
divorce pour impossibilité de vie commune (Chiqa’q), legs obligatoire profite aux
petits enfants de fille au même titre que les petits enfants du côté du garçon.
Ensuite, cet article s’agence avec les valeurs du code la famille et vient pour
confronter le principe de l’égalité entre les époux d’une part et l’élimination des
formes de discrimination qui marquaient l’ancien code d’autre part.

L’article 49 pose trois règles pour la gestion des biens des époux et leur répartition
après la dissolution du mariage, par décès ou divorce :
D’abord, cet article consacre le principe de la séparation des biens entre les deux
conjoints et leur droit à disposer chacun de ses propres biens, « chacun des époux
dispose d’un patrimoine distinct du patrimoine de l’autre ». Le régime des biens des
époux est la séparation des biens. La préservation de l’autonomie matérielle de
chacun des époux est effective dans la mesure où le mariage n’entraine pas
forcément la communauté des biens. En effet, le principe de la séparation des biens
entre les époux reste de mise et l’épouse garde le droit d’administrer et de disposer
de son propre patrimoine au même titre que l’époux ; Ensuite, il ménage un cadre
contractuel, indépendant de l’acte de mariage, pour la gestion des biens acquis
pendant le mariage « les époux peuvent se mettre d’accord sur les conditions de
fructification et de répartition des biens qu’ils auront acquis pendant le mariage. Cet
accord fait l’objet d’un document distinct de l’acte de mariage. Les adouls avisent les
deux parties, lors de la conclusion du mariage, des dispositions précédentes ». La
reconnaissance de la séparation des biens par le droit ne dénie pas pour autant le
droit des époux à conclure un contrat, distinct du contrat du mariage, qui cadre la
répartition des biens acquis par les conjoints durant le mariage, aussi les adouls
doivent informer les époux de ces dispositions au moment du mariage. Enfin, en
l’absence de contrat « il est fait recours aux règle générales de preuve, tout en
prenant en considération le travail de chacun des époux et les efforts qu’il a
accomplis et les charges qu’il a assumées en vue de développement des biens de la
famille ». Il consacre, ainsi, la prise en compte des efforts déployés par chacun des
conjoints et les responsabilités assumées par chacun par rapport aux époux qui
n’ont pas conclu de contrat de gestion des acquis au mariage.

REPARTITION DES ACQUETS 6


Tous ces éléments viennent pour corriger l’iniquité observée relativement à la
gestion des biens acquis au mariage dans l’ancienne
Moudawana.
En outre, les valeurs fondatrices qui soutiennent l’article 49 peuvent se décliner
comme suit :
L’équité : en tablant sur la contractualisation comme pratique régulatrice des
rapports matériels entre les deux conjoints, les époux bénéficient d’une protection
formelle accompagnée de plus de sécurité et de sérénité.
L’égalité : du fait que l’article 49 protège aussi bien les femmes que les hommes
dans un esprit d’égalité, valeur consacrée dans le préambule du code de la famille.

La dignité : à travers la reconnaissance explicite et formelle du principe de la


participation à la fructification du patrimoine familial, le législateur vise la sauvegarde
de la dignité de la femme.

La solidarité familiale : l’article 49 veille à promouvoir une famille centrée sur les
valeurs de la cohésion, de l’entraide et de solidarité, valeurs lourdement menacées
par les différends entre époux en période de divorce.
Eu égard à ces éléments, le juge donnera-t-il à la notion de travail un sens allant
avec l’ouverture du code de la famille ou sera-t-il devant les difficultés et défis posés
par l’article l’amenant à réduire sa portée ?

B) Mode de gestion des acquêts et de leur répartition en cas de


Désunion : lecture comparative
Le mode de gestion des acquêts et leur répartition en cas de désunion, est différent
d’un pays à l’autre. Généralement, il existe quatre principaux régimes matrimoniaux,
à savoir : la séparation des biens, la communauté universelle, la communauté des
acquêts et la participation aux acquêts

1. Le Maghreb : Séparation des biens avec une option d’un régime


facultatif
a/ Séparation complète de bien
Le concept de régime matrimonial entant que corps de règles spécifiques aux
relations pécuniaires des époux était une notion étrangère aux législations de la
famille au Maghreb. Seule la séparation des biens était en vigueur.

L’absence de régimes matrimoniale et l’indépendance des patrimoines assurent en


principe l’égalité entre les époux, or en pratique cette égalité se révèle étant
simplement formelle. Au fait, l’introduction dans les codes d’un nouveau régime
facultatif des biens cherche à établir l’égalité entre les conjoints.

Les trois codes, marocain, tunisien et algérien, proclament le principe du droit


musulman, de la séparation complète des patrimoines pendant le mariage et après
sa dissolution. Les articles 49 et 37 des codes marocain et algérien posent
clairement cette règle, quant au code tunisien, cette règle peut être déduite de son
article 24.

La mise en commun par les conjoints de leurs biens pendant le mariage et


l’acquisition de nouveaux biens posent parfois le problème de l’identification du
propriétaire lors de la dissolution du lien conjugal. Les trois codes ont repris une
règle classique du droit musulman qui fonde la présomption de propriété sur la

REPARTITION DES ACQUETS 7


vraisemblance basée sur le serment. Il est prévu qu’en cas de contestations au sujet
des biens mobiliers entre les époux, le serment sera conféré à l’époux ou à l’épouse
selon que l’objet est d’usage masculin ou féminin. Les objets d’un usage commun
entre les hommes et les femmes seront partagés entre les époux sur le serment de
chacun.

Le régime de la séparation complète des biens assure en principe l’égalité entre les
époux, cette égalité peut être observée lorsque les deux époux disposent d’un travail
rémunéré, or lorsque l’épouse se consacre exclusivement à la gestion du foyer
conjugal et à l’éducation des enfants, ce régime fragilise sa situation pécuniaire en
cas de divorce, car sa contribution en nature, qui enrichie toutefois le ménage, n’est
pas prise en compte par le droit. Dans ce cas l’égalité formelle ne correspond pas à
l’égalité réelle.

Les réformes récentes introduites au droit de la famille au Maghreb ont tenté plus ou
moins de remédier à cette situation en proposant aux époux l’option pour un régime
facultatif des biens.

b/ La communauté facultative des biens

La communauté de vie que le mariage exige a pour conséquence une communauté


d’intérêts entre les conjoints que se soit au niveau des relations personnelles que
patrimoniales. Le principe de la séparation absolue des biens se heurte à cette
réalité, d’où le besoin d’une option pour un régime de communauté de bien.

Les législateurs des trois pays ont réagi à cette nécessité en prévoyant un nouveau
régime matrimonial pour les époux qui le souhaitent, ainsi ce n’est qu’en 2004 et
2005 à l’occasion des réformes introduites aux codes, que les législateurs marocain
et algérien ont inauguré cette nouvelle voie. Tout en affirmant le principe de la
séparation des biens, les législateurs ont introduit de nouvelles règles permettent
aux époux de partager les biens acquis pendant le mariage. Il incombe à l’officier
public chargé de rédiger l’acte de mariage (en Tunisie) et aux adouls (au Maroc)
d’aviser les époux de la possibilité que leur offre la loi de choisir un régime des biens
différent.

Il existe cependant plusieurs divergences entre les trois pays du Maghreb dans leur
consécration d’un régime matrimonial différent de la séparation des biens.

L’article 49 du nouveau code marocain donne en effet le choix aux époux de recourir
à de nouveaux régimes. Il restreint toutefois le choix des époux en le limitant aux
seuls biens acquis pendant le mariage. Leur accord doit par ailleurs faire l’objet d’un
écrit distinct de l’acte de mariage contrairement au droit algérien et tunisien. Ces
derniers permettent aux époux de mentionner leur choix quant au régime des biens
soit dans l’acte de mariage soit dans un document indépendant de ce dernier.

La Tunisie, en avant-gardiste a adopté dès le 9 novembre 1998, une loi qui régit
exclusivement le régime de la communauté des biens entre époux3. Cette loi est
indépendante des dispositions du code de statut personnel, elle réglemente de
manière claire et détaillé le nouveau régime matrimonial contrairement aux codes
marocain et algérien qui demeurent lacunaires et très sommaires sur cette question,
en effet ils se contentent de signaler que les époux peuvent recourir à un régime

3 Loi n 98-91 du 9 novembre 1998 relative au régime de la communauté des biens entre époux.

REPARTITION DES ACQUETS 8


matrimonial différent de celui de la séparation des biens sans aucune mention sur la
nature des biens communs, sur leur gestion ou leur partage, ce qui entrave le choix
de ce régime qui est à la fois nouveau pour les conjoint et qui suscite également
méfiance et prudence à défaut d’un cadre juridique claire et précis.

L’institution du nouveau régime facultatif des biens traduit la volonté des législateurs
de faciliter la transition vers une véritable famille conjugale coopérative et
associative. En revanche, cette ambition des législateurs se trouve limitée par le
laconisme des dispositions des nouveaux codes marocain et algérien, et par
l’insuffisance des apports de la loi tunisienne.

Les codes marocain et algérien ont passé sous silence plusieurs questions
concernant l’administration, la gestion et la dissolution des biens communs entre les
conjoints. Les silences traduisent les faiblesses et les limites de la nouvelle règle.

La loi tunisienne réglemente en détail le nouveau régime mais révèle dans le fond
plusieurs insuffisances qui risquent de dénaturer et de limiter la portée de ce
nouveau régime matrimonial. En premier lieu le nouveau régime institué par le
législateur tunisien se rapproche en apparence du régime de la communauté
d’acquêts du droit français. Il n’est question que des biens acquis pendant le
mariage et qui ne doivent pas être transférés par voie de succession, donation ou
legs. Contrairement au droit français, l’article premier de la loi tunisienne limite le
domaine de la communauté des biens entre les époux. Seuls les immeubles
tombent dans la communauté. Les biens meubles, les gains et salaires sont de ce
fait exclus d’une manière ambigüe. Néanmoins, la loi permet aux époux de convenir
de l’élargissement du domaine de la communauté à condition d’en faire mention
expresse. En suite, il faut noter que tous les immeubles ne sont pas concernés par
la communauté des bines, seuls ceux destinées à l’usage familial ou à l’intérêt
propre a celle-ci tombent dans la communauté. C’est une restriction qui manque de
clarté, le législateur limite ainsi d’une manière excessive et injustifiée la communauté
des biens des époux, il réduit l’intérêt familial au seul logement occupé par les époux
entant que domicile familial.

Au demeurant, l’institution d’un régime matrimonial autre que la séparation des biens
bascule les traditions et apporte un souffle nouveau dans les relations pécuniaires
des conjoints sans pour autant être incompatible avec l’Islam. En maintenant le
régime légal de la séparation des biens et en introduisant un nouveau régime, le
législateur a réussi un compromis entre la tradition juridique islamique et la
recherche de l’innovation. Le partage des biens entre les époux assurera non
seulement l’égalité entre eux mais surtout l’équité et la justice.

2. La France : un régime ordinaire de la participation aux acquêts


a. Le régime ordinaire ou légal de la participation aux acquêts
Conçu par les allemands et les suisses. Au mariage il adopte le régime de
séparation de biens et à la fin de mariage c’est le régime de la communauté des
acquêts qui est appliqué.

La règle en France est le régime ordinaire ou légal de la participation aux acquêts,


chaque époux à la gestion, l’administration et la jouissance de ses biens. En
l’absence d’un accord sur un autre régime conclu devant un notaire, selon la
nouvelle loi, ils vivent donc sous le régime légal ou ordinaire de la participation aux
acquêts, qui a remplacé l’ancien régime de l’union de biens.

REPARTITION DES ACQUETS 9


Sous ce régime les biens des époux se composent de quatre parties: les biens
propres de l’époux, ainsi que ses acquêts, les biens propres de l’épouse et ses
acquêts. En cas de dissolution de l’union conjugale, chaque époux dispose en
principe de ses biens propres et de ses acquêts, à une importante restriction
toutefois : chaque époux participe pour moitié aux acquêts de l’autre. Si l’on ne sait
pas à qui appartient un bien ou de quelle masse il fait partie, on admet que ce bien
appartient par moitié à chacun des époux et qu’il fait partie des acquêts. En outre, si
l’un des époux a contribué à l’accroissement de la fortune de l’autre, il a droit à une
part de la plus-value. [Wolfgang, 2010]

b. Contrat de mariage : Dérogations au régime légal

Un contrat de mariage permet aux époux de modifier le régime légal de la


participation aux acquêts ou de le remplacer par un autre régime, afin, par exemple
d’avantager le conjoint survivant par rapport aux autres héritiers, de mieux protéger
les biens matrimoniaux contre les créanciers ou pour tenir compte d’une situation
particulière.

a. Séparation des biens

La séparation de biens divise les biens matrimoniaux en deux parts, pas de


patrimoine commun, chaque époux répond de ses dettes sur tous ses biens. C’est
ainsi qu’un commerçant peut transférer à sa femme toute sa fortune personnelle qui,
en règle générale, est ainsi à l’abri des créanciers en cas de faillite. C’est un régime
conseillé aux professions à risque, mais porte préjudice au conjoint sans ressources.

La différence entre séparation de biens et participation aux acquêts produit surtout


ses effets à la liquidation du régime. Les époux ne peuvent émettre de prétention sur
l’augmentation de fortune de leur conjoint. Leurs biens n’ont pas à être distingués
entre acquêts et biens propres, car il n’y a pas de bénéfice à calculer.

b. Communauté des biens

La communauté de biens est le régime du mariage parfait. Les deux époux n'ont
plus qu'un seul patrimoine à part les objets personnels, ce régime réunit les biens du
mari et ceux de la femme en un tout qui appartient aux deux en copropriété et dont
ils ne peuvent disposer qu’en commun. Il n’est plus question de part de l’un et part
de l’autre, mais seulement de biens communs. Cette communauté de biens générale
peut toutefois être limitée par contrat de telle sorte que la communauté ne s’applique
qu’aux acquêts. Il est possible aussi d’exclure de la communauté certains biens tels
que bien-fonds, exploitation commerciale ou même revenu du travail d’un époux.
Dès
que l’on s’écarte de la communauté de biens générale, il y a automatiquement des
biens propres que chaque conjoint gère séparément et dont il peut disposer
librement. Ce régime est favorable à la protection du conjoint, mais il présente
l’inconvénient de la solidarité des époux envers d’éventuels créanciers. [Wolfgang,
2010]

c. Union des biens

Dans l’ancien droit du mariage, l’union des biens était le régime matrimonial normal
ou légal. Il n’est plus envisagé par le nouveau droit. Les époux mariés sous le
régime de l’union des biens ont eu la possibilité de conserver ce régime en

REPARTITION DES ACQUETS 10


adressant une déclaration écrite commune au préposé au registre des régimes
matrimoniaux dans un délai d’une année après l’entrée en vigueur du nouveau droit.

II. La répartition des acquêts patrimoniaux dans la pratique

Malgré les nouvelles mesures apportées par la réforme autorisant les époux à
annexer à leur acte de mariage un contrat additif, gérant les aspects patrimoniaux de
leur relation. Rares sont les couples marocains qui négocient un contrat de mariage
dans lequel chaque conjoint impose ses conditions. Depuis 2004, peu de nouveaux
mariés recourent au contrat de partage de biens acquis pendant le mariage. En
2015, sur plus de 301.000 actes de mariages, on note uniquement 611 contrats. En
2016, uniquement 123 couples ont recouru à cette disposition. Ce chiffre est de 538
en 2017 et 143 en 2018. L’ignorance de l'existence de ce type de contrats, les gênes
et tabous à discuter de l'argent dans les relations matrimoniales naissantes
expliquent à coté d’autres facteurs ce faible poids.

1. Etat des lieux : partage des acquis du mariage, droit sous utilisé

1.1 Le très faible recours à la contractualisation de la gestion des


biens

Pour mieux appréhender les chiffres inhérents au partage des acquis du mariage, il
est important de se référer à ceux relatifs au mariage et aux accords entre conjoints
portant sur la gestion des biens acquis pendant la durée du mariage. Contrairement
aux rumeurs développées sur l’impact potentiel négatif des nouvelles dispositions du
code de la famille sur l’évolution du mariage, les chiffres montrent que les contrats
de mariage conclus sont nettement en évolution.

Néanmoins, l’application de la disposition relative à la contractualisation du partage


des biens est insignifiante, elle varie à peine entre 0,04% et 0,3% des mariages
contractés. Les statistiques mettent au premier rang Casablanca, avec une absence
totale des cas de recours à l’article 49 dans plusieurs villes. Quelles en sont les
explications ?

De même, le nombre de cas ayant recouru à la contractualisation relative à la


gestion et partage des acquis au mariage, reste très faible par rapport au nombre de
mariages conclus. A titre indicatif, en 2011, le nombre de mariages conclus a attient
325415 cas, en parallèle, les cas de contrats de gestion des acquis au mariage
enregistrés n’a pas dépassé 609 (0,18%), chiffre insignifiant au regard des enjeux
esquissés par cette disposition. Sur le plan évolutif, les chiffres notifiés n’indiquent
pas d’une quelconque progression soutenue.

Concernant la cartographie des contrats de gestion et de partage des acquis du


mariage, des disparités entre les villes sont observées. Certaines villes plus que
d’autres connaissent un recours aux contrats des acquis. C’est le cas des villes de
Casablanca, de Kenitra, et d’Oujda. Pour d’autres villes, les jeunes mariés ne
semblent pas trouver intéressant d’y recourir (Tanger, Tétouan, Ouarzazate...).

En contrepartie, les cas relatifs à l’article 49, traités par la justice, restent très limités
et se comptent selon les propos des juges. Les jugements restent très variables

REPARTITION DES ACQUETS 11


selon les régions, les juges et leurs propres backgrounds et leur appréciation
personnelle des éléments contenus dans le dossier.

Si les contrats de gestion des acquis du mariage semblent si insignifiants, cette


sous-utilisation interpelle sur les tenants et les aboutissants de la pratique, surtout
que la disposition se présente comme réponse à des attentes sociales et à des
revendications dument exprimées par le mouvement féminin et de droits humains.

Concernant l’application dudit article, il importe cependant de préciser que chaque


cas, présenté des particularités spécifiques. Les jugements dépendent alors de
l’appréciation des juges, qui agissent en fonction des éléments disponibles dans les
dossiers présentés certes, mais aussi en fonction de leur propre appréhension des
dits dossiers. Cet aspect rend la contractualisation indispensable et lui octroie une
portée capitale.

2. Les difficultés d’appréhension de l’article 49

Bien que le législateur ait essayé d’innover en matière de partage des acquêts,
l’article 49 du code de la famille pose une série de problèmes inhérents à son
appréhension par la société et par les professionnels.

2.1 La défaillance de la communication et de la sensibilisation

L’article 49 n’est pas suffisamment divulgué auprès des communautés, par


conséquent, son utilisation par les concernés est limitée.

Dans la plupart des cas, les couples ignorent même l'existence de possibilité d’un
contrat aditif de mariage. Ils sont souvent surpris quand on leur demande s'ils
veulent annexer à leur acte de mariage un contrat stipulant des clauses qu'ils
définissent eux-mêmes.

Et même, dans le cas contraire, faute de sensibilisation et absence de procédure


d’établissement de ce contrat, les futurs époux demeurent réticents à l’égard des
vertus de l'article 49 et tombent souvent dans l’illusion et la méfiance au sujet des
fructifications des biens matrimoniaux.

Cette tendance ne favorise nullement le cumul et encore moins la construction d’un


référentiel aidant les professionnels à prononcer leurs jugements. Le volet
informationnel et communicationnel est ainsi vivement avancé comme déficient.

2.2 Les entraves de la culture et de l’éducation sociale


Cette règle se heurte aux représentations et aux coutumes marocaines qui
considèrent inapproprié de parler des conséquences financières du divorce au
moment de la conclusion du mariage.

De même, souvent, les nouveaux mariés trouvent qu’il est particulièrement


embarrassant de traiter la question du partage des biens au moment même où l’on
s’apprête à signer le contrat de mariage. Ils hésitent à inclure des clauses
conventionnelles dans leur acte de mariage, au motif que leur démarche serait
synonyme de méfiance vis-à-vis de leur futur conjoint. Quand les adouls évoque le
mot contrat, certains se sentent carrément offensés et qualifie la conclusion de
contrat fixant des conditions en cas de divorce de honteux.

REPARTITION DES ACQUETS 12


Aussi, les résistances des époux à partager les biens acquis pendant le mariage,
pour lesquels ils estiment qu’ils sont les seuls à avoir consenti les efforts, le travail
domestique n’est pas considéré comme un travail pouvant permettre à l’épouse de
demander une part des biens pour lesquels seul l’époux a travaillé.

Il est un autre fait qui se rapporte à l’éducation reçue, basée sur la division sexuelle
du travail traditionnelle et au statut social de la plupart des femmes qui se marient,
du fait que la majorité de ces dernières sont des femmes au foyer, et donc,
n’exercent pas un travail à l’extérieur, elles ont tendance, elles et leurs familles, à
renoncer à mettre en œuvre la proposition du Adel, et acceptent dès le départ leur
dépendance économique à l’égard de l’époux. Cette tendance est soutenue d’autant
plus par le peu d’importance que la culture et la société accordent au travail
domestique en tant que contribution économique et social dont bénéficie, non
seulement la famille, mais la société dans son ensemble.

Les femmes mariées n’ont pas encore le courage, ni le réalisme nécessaire


d’adresser clairement à leur époux une demande de reconnaissance juridique de
leur part des biens familiaux. Elles subissent toujours les effets d’une éducation
traditionnelle qui leur a inculqué l’idée qu’une femme doit se tenir à l’écart du calcul
économique, et qu’elle doit remettre toute la responsabilité de ce qui s’y déroule
entre les mains de l’époux.

2.3 L’occlusion des droits de la femme

Souvent les femmes méconnaissent leurs droits et compte tenu de la crise de


l’institution du mariage, la société les pousse à se contenter de se marier et à être
ravi de trouver un mari.

En fait, plusieurs femmes n’ont pas encore pris conscience, qu’étant même «
femmes au foyer », elles ont le droit néanmoins de revendiquer, à partir même de
cette position, leur part des biens familiaux.

En outre, les procédures en vigueur pour la conclusion des contrats de mariage ne


facilitent en rien l'application de l’article 49. La femme ne dispose pas de
suffisamment de temps ni d'un lieu privé afin de se renseigner auprès de l'ADOUL et
de discuter de son contrat de mariage sur la base des informations complètes, et
même en cas de conflit elle n’ose pas revendiquer ses droits.

2.4 La faible implication des professionnels


L’article 49 du code de la famille stipule que le Adel doit informer les deux époux de
l’intérêt de signer un contrat relatif à la gestion des biens et propriétés. Or, dans la
plupart des cas cette disposition n’est pas respectée par les Adouls.

De même, par rapport à des femmes qui ont fait recours au dit article, elles ont
manifesté certaines difficultés de trouver des avocats désireux de prendre en charge
leur requête, compte tenue de la difficulté de constituer un dossier solide et soutenu.
La constitution des preuves confirmant la part prise par la femme dans la
fructification du patrimoine familial est un défi de taille. Entre la mobilisation des

REPARTITION DES ACQUETS 13


témoins et la présentation de documents justificatifs dans un contexte marqué par la
culture orale, le processus devient un vrai parcours dont les avocats ont tendance à
esquiver.

3. Les entraves à l’application de l’article 49

En dépit du caractère innovateur de l’article 49, dans la pratique, ses dispositions


posent une série de problèmes qui rendent difficile leur mise en œuvre. Ces
difficultés sont inhérentes aux problèmes de preuves et des critères d’évaluation,
divergences d’interprétations des juges et la notion du travail domestique.

3.1 Problèmes de preuves et des critères d’évaluation des apports


Les juges rencontrent de nombreuses difficultés dans la mise en œuvre de l’article
49, notamment, en l’absence du contrat additif sur la gestion des biens lors de la
conclusion du mariage. En effet l’article fait référence aux notions de travail de
chacun des époux, des efforts fournis et des charges assumées pour fructifier les
biens de la famille, ce qui soulève un certain nombre de question quant à la
définition et à la dimension de ces notions.

L’article 49 stipule que la femme doit recevoir des droits selon sa contribution.
Certains magistrats limitent cette contribution à la composante matérielle, alors que
d’autres y incluent également la composante physique. D’ailleurs, le concept « d’el
Kadd Wa Sia’ya » incite à compenser l’effort physique de la femme. Il peut être
estimé en prenant en compte la durée de mariage et la différence en termes de
biens acquis entre le début du mariage et le moment du divorce.

Cependant, la difficulté majeure réside dans l’apport de preuves, soit pour démontrer
que les biens accumulés l’ont été après la conclusion du contrat de mariage, soit
pour estimer la proportion de la contribution féminine à l’accumulation de ces biens «
familiaux ». Lorsqu’il s’agit du partage des biens entre les époux en instance de
divorce ou de l’estimation de la part qui revient à la femme des biens et propriétés
qui se sont accumulés tout au long de la durée du mariage, le tribunal dans
l’absence de critère d’évaluation recourt aux règles générales de preuve, que ce lui
qui prétend la propriété d’un bien le prouve, et parfois, aux services d’un expert-
comptable. En effet, il est difficile de prouver la contribution de chacun des époux
dans l’accumulation des biens même dans les cas où tous les deux travaillent hors
du foyer. La raison à cela c’est que la femme travaille, souvent, sur deux fronts,
interne et externe, et utilise, elle aussi, son salaire pour subvenir aux besoins de sa
famille. Elle apporte ainsi, une contribution productive qui épargne au mari le recours
à un travailleur salarié. Aussi, l’homme, plus que la femme, a tendance à enregistrer
tous les biens acquis par le couple en son nom propre. A cela s’ajoute le fait que
même des femmes instruites et fonctionnaires négligent d’établir un contrat de
partage des biens au moment du mariage. Il arrive ainsi que des femmes finissent
par tout perdre y compris leur capital initial qui a servi de point de départ à la fortune
familiale.

En plus, la détermination de la part qui pourrait revenir à la femme bute


généralement contre le secret qui entoure les revenus et/ou les propriétés réelles du
mari et la difficulté de prouver leur existence.
La connaissance de cette contribution ne peut résulter, en l’absence de preuve, que
de la reconnaissance du mari, chose qui est rare. Dans ce cas, les juges font usage
de leur pouvoir d’appréciation pour rendre relativement justice à de telles femmes,

REPARTITION DES ACQUETS 14


en prenant en considération, surtout du nombre d’années de mariage, et du
caractère arbitraire ou non du recours au divorce de la part du mari.

Le problème devient inextricable lorsque l’épouse contribue à l’acquisition de biens


immobiliers, enregistrés et titrés au seul nom du mari et dont elle n’a aucune preuve
écrite, alors qu’elle a contribué à leur acquisition en prenant en charge d’autres
dépenses familiales, notamment les frais d’entretien de la famille, les frais de
scolarité des enfants, les frais du personnel domestique, les frais des vacances,
pour lesquelles toutes les preuves demeurent difficiles à fournir.

La transparence dans la saisie du patrimoine est un des obstacles auquel se heurte


l’application du principe du partage des biens acquis pendant l’union conjugale.
Cette opacité vient d’une part, de la volonté de l’époux de dissimuler une partie de
son patrimoine à son épouse et de la volonté du détenteur du patrimoine d’éviter la
déclaration au fisc et d’autre part, de procéder à l’enregistrement des biens au nom
d’autres proches de la famille.

D’autre part, un autre problème surgit relatif à l’enquête qui doit être menée pour
amasser les preuves et cumuler les informations fiables sur le parcours et le vécu
des deux conjoints, le tribunal n’entreprend pas systématiquement d’enquêtes visant
à déterminer avec précision l’ampleur et la véracité d’une telle participation. En fait le
seul propriétaire que reconnaît le tribunal est celui dont le nom figure sur les
documents de propriété. Or, vu la nature patriarcale du pouvoir au sein de la famille
marocaine, les biens familiaux sont souvent enregistrés au nom des hommes. Le
tribunal reconnaît à la femme le droit de bénéficier d’une partie des biens, et ce, sur
la base d’une estimation globale de sa contribution aux biens accumulés pendant le
mariage. En outre, la mise en ouvre de cette enquête, exige aussi bien une
formation spécialisée que des techniques appropriées pour la collecte des données.

3.2 Difficulté d’évaluation et de comptabilisation du travail


domestique
L’article 49 a suscité un débat sur le travail domestique, sa comptabilisation d’une
part et sur les modalités de sa prise en compte dans la fructification du patrimoine
familiale, d’une autre part.

Les juges rencontrent des difficultés pour évaluer le travail domestique des femmes
au foyer, c’est un problème complexe et difficile à traiter. En effet, contrairement aux
autres pays développés où le travail domestique de la femme est relativement
reconnu, et parfois même rétribué, au Maroc, ce même travail n’a pas encore reçu le
statut d’une activité productive et utile pour le développement du pays. L’estimation
par le juge de la contribution des femmes au foyer, pose actuellement un problème
réel. Mais le fond du problème reste, sans doute, la définition de critères objectifs à
même de permettre une évaluation crédible de cette contribution à la richesse et au
bien-être de la famille.

Face à ce problème, le recours à l’expert-comptable n’en diminue pas les effets,


celui-ci calcule la part qui doit revenir à une femme au foyer qui n’a pas de titres de
propriété en multipliant le nombre d’années de mariage par le salaire moyen d’une
travailleuse domestique. Ce procédé arbitraire et injuste réduit la contribution de la
femme dans ses différentes facettes affective, éducative, familiale, domestique et
sociales à la seule dimension domestique.

REPARTITION DES ACQUETS 15


Cette problématique s’est traduite par des interprétations différentes par les juges,
d’où l’apparition de deux courants, le premier considère cet effort comme un travail
volontaire de la femme qui ne mérite pas d’être récompenser. Normalement, le
contrat de mariage n’oblige pas une femme à faire les travaux ménagers, par
conséquent, si elle le fait, c’est par générosité, et parce que la coutume l’exige. Dans
ce cas, elle ne mérite aucune compensation pour des services qu’elle a prodigués
de son propre vouloir et sans qu’elle soit obligée à le faire.

La cour d’appel d’Agadir dans son arrêt n°285 en date de 27/05/2003 a considéré
que la plaignante n’a pas pu produire les preuves de sa contribution par son
assistance à son mari en sa qualité d’avocat, étant donné que le travail de son mari
nécessite des compétences professionnelles et des expériences pratiques rendant
ainsi ses revendications infondées.

Par contre un second courant favorable à la reconnaissance du travail domestique


comme contribution à la fructification du patrimoine, rapporte que si les femmes
effectuent ces travaux, la valeur de cette contribution généreuse devrait, alors, être
estimée, en reconnaissant à cette femme aussi des droits pour les services rendus à
sa famille. Ce courant estime que la prise en considération des travaux domestiques
de la femme, de sa contribution à l’éducation des enfants est indépassable. Si la
femme hérite de son mari quand il décède, elle doit aussi recevoir des droits quand
elle divorce. L’option privilégiée au tribunal d’Agadir, c’est d’inclure les droits
correspondant à cette reconnaissance dans le don de consolation (Mout’â). Puisque
le mari a eu la jouissance non seulement du corps de la femme, mais aussi de ses
services ménagers.

Dans ce sens le TPI de Casablanca dans son jugement n°4478 en date de


24/04/2006 a jugé que le travail quotidien de l’épouse au foyer est une participation
productive puisqu’elle n’est pas tenue des travails ménagers selon les juristes
consultes musulmans.

3.3 L’interprétation des juges


La justice et l’équité entre les époux sont des conditions essentielles de la stabilité
familiale et dépendent certes de la législation mais aussi de l’interprétation et du
pouvoir d’appréciation des situations par le juge. Cependant, la jurisprudence n’est
pas unanime et dépend, dans une large mesure, de l’appropriation ou non, par les
juges de la philosophie du nouveau code de la famille et du principe d’égalité dont il
est porteur.

Les juges traditionalistes tendent de prendre peu le travail domestique comme


contribution de la femme au foyer aux biens acquis par l’époux durant l’union, ils
argumentent par la division sexuelle du travail : « l’époux travaille dehors pour
entretenir la famille, l’épouse travaille dedans pour s’occuper de son foyer et de ses
enfants, c’est sa fonction normale », pourtant le fiqh a bien reconnu le travail
domestique des femmes comme donnant droit Al Kad wa Si Aya.

A l’inverse, les juges « modernistes », sont plus enclins à prendre en considération,


dans l’évaluation, le travail domestique des femmes, la durée de l’union, le nombre
des enfants élevés, la situation financière du mari et l’abus dans la demande de
divorce. Les juges qui y sont favorables appuient l’application de l’article 49 par le
recours à la pratique d’Al Kad wa Si Aya.

REPARTITION DES ACQUETS 16


En somme, les divergences entre les points de vue des juges, leur angle d’optique et
leurs appréciations du travail domestique se traduisent par une divergence entre les
jugements, en termes d’acceptation ou de rejet du principe d’Al Kad ou S’iaya, en
termes d’estimation de la quote-part des plaignantes dans les cas où les plaintes
acceptées et les jugements rendus.

REPARTITION DES ACQUETS 17


Conclusion
La lecture de l’article 49 laisse entendre que le code de la famille s’agence bien avec
la culture égalitaire. Toutefois, il existe un grand écart entre l’esprit égalitaire qui a
animé l’élaboration de cet article et la réalité que vive les femmes à cause des
déficiences notifiées au niveau des lois, des procédures, des pratiques judicaires et
des comportements culturels et traditionnels des communautés, laissant une marge
importante de l’interprétation.

La fréquence des cas de litige devant les tribunaux, en matière du partage des biens
acquis pendant le mariage nécessite une action aussi bien de la part du ministère de
la justice que de la société civile, d’abord, pour clarifier les dispositions de l’article 49
aussi bien dans son volet concernant le contrat sur les biens que dans celui qui
concerne la problématique de la preuve de la contribution de la femme à
l’enrichissement de la famille. Ensuite pour renforcer la sécurité juridique et la
prévisibilité des décisions judiciaires et leur harmonisation.

Pour une meilleure application de l’article 49, des propositions peuvent être formulés
comme suite :

Elaborer une grille d’évaluation des biens accumulés pour permettre


l’harmonisation des jugements dans la répartition des biens.

Renforcer l’interprétation de cet article 49 dans le sens de l’égalité par des


programmes de formation des juges et par la coordination entre les acteurs de la
justice.

Concevoir et diffuser des modèles de protocole de partage des biens, pour limiter
les effets des considérations psychologiques, sociologiques et culturelles qui
freinent l’adhésion du couple au principe de contractualisation au moment de
la conclusion du mariage. Il est nécessaire de s’inspirer des lois et des
procédures des pays où le dispositif a fait ses preuves.

Prendre en compte le travail non rémunéré des femmes au niveau de l’estimation


de la contribution des femmes au foyer à l’enrichissement familial.

Mener des compagnes de sensibilisation sur le bien-fondé du contrat des acquis du


mariage auprès des différentes cibles, intervenus et acteurs concernés et
renforcer l’interprétation positive de l’article 49 allant dans le sens de l’équité
et de l’égalité.

REPARTITION DES ACQUETS 18


Bibliographie
Association Marocaine de lutte contre la Violence à l’égard des femmes
(AMVEF), « L’application du code de la famille acquis et défis », 2005.

Association marocaine de lutte contre la violence à l’égard des femmes


(AMVEF), « La perception du code de la famille et de son environnement
social et professionnel », 2007.

Code de la famille « La Moudawana », Dahir N°1- 04-22 du 12


Hija 1424 (3 Fevrier 2004), Portant promulgation de la loi N°70-03
Pourtant code de la famille.

Fatna Sarehane, « Droit économique de la femme divorcée », 2008.

Malika Benradi, « Egalité de genre dans le partage du patrimoine :


Lecture de l’article 49 du code de la famille », 15 juin 2012,
Bruxelles - Maison des Notaires.

Mariam Monjid, « L’islam et la modernité dans le droit de la famille au


Maghreb, étude
Comparative : Maroc, Algérie, Tunisie », 2008.

Ministère de la justice et des libertés, royaume du Maroc, «


Guide pratique du code de la famille »,
2005.

Ministère de la justice et des libertés, royaume du Maroc, «


Statistiques des sections de la
Justice de la famille Année 2011 », Septembre 2012.

Mohamed Ali BEN MALEK, « Le régime de la communauté des biens en


Tunisie », .2004

Patrick Wautelet, « Régimes matrimoniaux : Relations belgo-


turques/marocaines », 2012.

Rajae Naji El Mekkaoui, « La Moudawanah : Le Réferentiel et le


Conventionnel en Harmonie », 2009.

REPARTITION DES ACQUETS 19


Réseau national des centres d’écoute des femmes victimes de violences
(AMVEF), « Les violences fondées sur le genre au Maroc : mariage des
mineurs et partage des biens acquis pendant le mariage lacunes du
éme
texte et difficultés de l’application », 4 rapport, Mai .2012 Sami A.
Aldeeb et Abu-Sahlieh, « Les régimes matrimoniaux en droits arabe et
musulman – cas de l’Egypte et du Maroc : normes matérielles et normes
de conflit », 2007. Wolfgang Salzmann, « Partage et succession :
Principes et pratiques des régimes
Matrimoniaux et du droit successoral », 2010.

REPARTITION DES ACQUETS 20

Vous aimerez peut-être aussi