Vous êtes sur la page 1sur 2

01/08/2016 "Le Vol de l'Histoire.

Comment l'Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde", de Jack Goody

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies pour vous proposer des
contenus et services adaptés à vos centres d’intérêts. En savoir plus et gérer ces paramètres.
Connexion | S'inscrire

S'abonner dès 1 €

Le Monde.fr Mise à jour à 20h05 – Paris

Livres
Culture
Livres
Bande dessinée
Apprendre à philosopher
Les nouvelles bilingues du "Monde"

"Le Vol de l'Histoire. Comment l'Europe a imposé le récit de son


passé au reste du monde", de Jack Goody : l'exception occidentale
LE MONDE DES LIVRES | 14.10.2010 à 11h30 • Mis à jour le 14.10.2010 à 11h30

Par Frédéric Keck


aA Facebook Twitter Google + Linkedin Pinterest Abonnez­vous au
Monde.fr dès 1 €

Que s'est­il passé ? Depuis une dizaine d'années, la question du


destin de l'Occident intéresse à nouveau les historiens, sur fond de
"conflit des civilisations" et de montée des puissances asiatiques.
Quels facteurs expliquent le développement exceptionnel de
l'Europe au XVIe siècle ? Ces facteurs permettent­ils de prévoir un
maintien de sa suprématie au moment où elle est contestée ?
A l'instar de Bernard Lewis, qui a fait de cette question le titre d'un de ses ouvrages sur l'islam (Gallimard,
2002), les historiens montrent souvent que l'Europe possède quelque chose qui manque aux autres
civilisations : la démocratie, l'individualisme, l'amour courtois. Ces valeurs éparses peuvent être réunies dans
un ensemble cohérent, une "mentalité européenne", et liées au développement du capitalisme, dont l'esprit
d'entreprise détache l'individu des liens traditionnels, comme l'ont illustré les travaux classiques de Max
Weber, Karl Polanyi ou Fernand Braudel.

En réaction à cette tendance, d'autres affirment que la supériorité de l'Occident est une invention qui a permis
à l'Europe de justifier ses conquêtes. Ainsi de Martin Bernal rappelant les racines afro­asiatiques de la culture
classique. Ou de Dipesh Chakrabarty, un des auteurs phares des études postcoloniales.

L'anthropologue britannique Jack Goody renvoie dos à dos ces deux attitudes. S'il dénonce la justification de
la guerre en Irak par l'introduction de la démocratie, il critique également les excès littéraires du
postcolonialisme. Selon lui, la "supériorité" de l'Occident ne tient ni à une "mentalité européenne" qui
résisterait à la contingence des événements, ni à un discours colonial que la globalisation effacerait comme
une époque révolue. Elle tient plutôt à un ensemble de "technologies de l'intellect" que l'Europe a empruntées
aux autres civilisations, et dont elle a fait un usage particulièrement retors : listes, catalogues, livres de
comptes...

L'oubli d'une dette

http://mobile.lemonde.fr/livres/article/2010/10/14/le­vol­de­l­histoire­comment­l­europe­a­impose­le­recit­de­son­passe­au­reste­du­monde­de­jack­good… 1/2
01/08/2016 "Le Vol de l'Histoire. Comment l'Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde", de Jack Goody

D'où lui vient cette singularité ? La réponse de Goody peut s'énoncer ainsi : c'est parce qu'elle est intervenue
au moment où l'Europe était en train de s'effondrer que la redécouverte des textes classiques a produit une
"renaissance" ; cette effervescence a conduit à forger l'image d'une Antiquité idéale en occultant la
conservation de ces mêmes textes en Orient.

La Renaissance ne marque donc ni l'apparition d'une nouvelle mentalité ni l'invention d'un nouveau discours,
mais un usage singulièrement intense des technologies d'information et d'échange. "Pourquoi ne pas
reformuler la discussion sur l'avantage pris par l'Occident à l'époque moderne en des termes autres ­ ceux
d'une intensification de l'activité économique et d'autres activités au sein d'un cadre à long terme qui serait
celui du développement des villes et des activités de production et d'échange ?", demande­t­il. C'est ce que
Goody appelle le "vol de l'Histoire", qui ne suppose pas une mauvaise intention mais plutôt l'oubli d'une
dette.

Cette méthode conduit l'anthropologue à regarder la "grande divergence" entre l'Orient et l'Occident ­ pour
reprendre la formule de l'Américain Kenneth Pomeranz ­ depuis son expérience de terrain en Afrique. Au
moment de l'indépendance du Ghana, Goody a pu observer l'effervescence qui accompagne l'appropriation
des textes classiques. Il note que "lorsqu'en 1947 une université fut créée au Ghana ­ c'est­à­dire dans celui
des Etats coloniaux africains qui sera le premier à accéder à l'indépendance ­ le premier département à
employer un personnel entièrement africain fut celui des lettres classiques".

Une telle méthode doit beaucoup à l'héritage de Marx. Goody se réclame ici de deux historiens marxistes :
Gordon Childe (1892­ 1957), archéologue de "l'âge de bronze", et Perry Anderson, historien du féodalisme.
Dans une telle optique, le "vol de l'Histoire" n'est ni le décollage d'une civilisation ni l'usurpation d'un
pouvoir : c'est une série d'emprunts et de reprises dont l'issue reste imprévisible. Goody donne là une
surprenante actualité à la phrase de Marx selon laquelle les hommes font l'histoire sans savoir qu'ils la font.

LE VOL DE L'HISTOIRE. COMMENT L'EUROPE A IMPOSÉ LE RÉCIT DE SON PASSÉ AU


RESTE DU MONDE (THE THEFT OF HISTORY) de Jack Goody. Traduit de l'anglais par Fabienne
Durand­Bogaert. Gallimard, "NRF Essais", 478 p., 30 €.
Par Frédéric Keck
aA Facebook Twitter Google + Linkedin Pinterest Abonnez­vous au
Monde.fr dès 1 €

Contenus sponsorisés par Outbrain

Sur le même sujet

L’appel libérateur du Kamtchatka, de Linda Bortoletto Post de blog


La sélection livres du « Monde »
Yves Bonnefoy : « Il faudrait jouer Shakespeare dans le noir »

Édition abonnés Contenu exclusif

Colum McCann, à l’aise dans les baskets d’autrui


Francis Geffard : « Aux Etats­Unis, l’écrivain est en position d’observateur »
Enquête sur un Primo Levi méconnu

© Le Monde.fr ­ Données personnelles ­ Mentions Légales ­ Qui sommes­nous ? ­ Accéder au site complet

http://mobile.lemonde.fr/livres/article/2010/10/14/le­vol­de­l­histoire­comment­l­europe­a­impose­le­recit­de­son­passe­au­reste­du­monde­de­jack­good… 2/2

Vous aimerez peut-être aussi