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Comment l'Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde", de Jack Goody
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Les nouvelles bilingues du "Monde"
En réaction à cette tendance, d'autres affirment que la supériorité de l'Occident est une invention qui a permis
à l'Europe de justifier ses conquêtes. Ainsi de Martin Bernal rappelant les racines afroasiatiques de la culture
classique. Ou de Dipesh Chakrabarty, un des auteurs phares des études postcoloniales.
L'anthropologue britannique Jack Goody renvoie dos à dos ces deux attitudes. S'il dénonce la justification de
la guerre en Irak par l'introduction de la démocratie, il critique également les excès littéraires du
postcolonialisme. Selon lui, la "supériorité" de l'Occident ne tient ni à une "mentalité européenne" qui
résisterait à la contingence des événements, ni à un discours colonial que la globalisation effacerait comme
une époque révolue. Elle tient plutôt à un ensemble de "technologies de l'intellect" que l'Europe a empruntées
aux autres civilisations, et dont elle a fait un usage particulièrement retors : listes, catalogues, livres de
comptes...
http://mobile.lemonde.fr/livres/article/2010/10/14/levoldelhistoirecommentleuropeaimposelerecitdesonpasseaurestedumondedejackgood… 1/2
01/08/2016 "Le Vol de l'Histoire. Comment l'Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde", de Jack Goody
D'où lui vient cette singularité ? La réponse de Goody peut s'énoncer ainsi : c'est parce qu'elle est intervenue
au moment où l'Europe était en train de s'effondrer que la redécouverte des textes classiques a produit une
"renaissance" ; cette effervescence a conduit à forger l'image d'une Antiquité idéale en occultant la
conservation de ces mêmes textes en Orient.
La Renaissance ne marque donc ni l'apparition d'une nouvelle mentalité ni l'invention d'un nouveau discours,
mais un usage singulièrement intense des technologies d'information et d'échange. "Pourquoi ne pas
reformuler la discussion sur l'avantage pris par l'Occident à l'époque moderne en des termes autres ceux
d'une intensification de l'activité économique et d'autres activités au sein d'un cadre à long terme qui serait
celui du développement des villes et des activités de production et d'échange ?", demandetil. C'est ce que
Goody appelle le "vol de l'Histoire", qui ne suppose pas une mauvaise intention mais plutôt l'oubli d'une
dette.
Cette méthode conduit l'anthropologue à regarder la "grande divergence" entre l'Orient et l'Occident pour
reprendre la formule de l'Américain Kenneth Pomeranz depuis son expérience de terrain en Afrique. Au
moment de l'indépendance du Ghana, Goody a pu observer l'effervescence qui accompagne l'appropriation
des textes classiques. Il note que "lorsqu'en 1947 une université fut créée au Ghana c'estàdire dans celui
des Etats coloniaux africains qui sera le premier à accéder à l'indépendance le premier département à
employer un personnel entièrement africain fut celui des lettres classiques".
Une telle méthode doit beaucoup à l'héritage de Marx. Goody se réclame ici de deux historiens marxistes :
Gordon Childe (1892 1957), archéologue de "l'âge de bronze", et Perry Anderson, historien du féodalisme.
Dans une telle optique, le "vol de l'Histoire" n'est ni le décollage d'une civilisation ni l'usurpation d'un
pouvoir : c'est une série d'emprunts et de reprises dont l'issue reste imprévisible. Goody donne là une
surprenante actualité à la phrase de Marx selon laquelle les hommes font l'histoire sans savoir qu'ils la font.
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