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UNIVERSITÉ D’ÉTAT D’HAITI

École Normale Supérieure

2ème Année Philosophie

Cours de Philosophie de l’Histoire à l’ère postmoderne

Dispensé par : LOUIS Thomas Rodrigue

Mardi 8h-10h

Devoir : Compte rendu du texte Le vol de l’histoire

Rédigé par : Shakespeare EMILE

Le 30-05-2022
À travers la conceptualisation d’un ensemble de catégories comme : l’État, la Société, la
politique, l’Occident plus spécifiquement l’Europe a généralement cette tendance à faire passer
son histoire comme l’Histoire de l’humanité. C’est comme si l’humanité se résumerait
uniquement à l’Europe. Tout au cours du déroulement de son histoire, des travaux ont été
effectués par différents auteurs : économiste, sociologue, philosophe, historien, dans le but
d’arriver à cette fin, la domination historique de l’Europe. Cette tendance qu’on pourrait qualifier
d’ethnocentrisme, c’est-à-dire celle à considérer le monde à partir de sa propre culture comme
modèle, ne cesse de susciter la curiosité de pas mal d’intellectuel. Certain arrive même à
qualifier de vol une telle tendance. C’est le cas de l’anthropologue anglais, Jack GOODY, né en
1919, qui a effectué au cours de sa carrière beaucoup d’enquêtes de terrain dans des sociétés
comme le Ghana du nord et qui du même coup, à cause de ces travaux, arrive à refuser
l’eurocentrisme qui est une forme d’ethnocentrisme. Ce refus qui n’est pas synonyme de rejet
sera clairement exprimé dans son texte, Le vol de l’histoire, texte sur lequel se portera l’essentiel
de notre travail.

Publié pour la première fois en 2006 en anglais, il sera par la suite traduit et édité en 2010 dans
la langue française par l’édition Gallimard, le texte comporte 608 pages et il est divisé en trois
parties qui seront subdivisées en dix (10) chapitres. La première partie se porte sur une lecture
similaire faite par l’auteur des œuvres de trois Historiens dans la civilisation occidentale à
savoir : Joseph Needham, Fernand Braudel et Norbert Elias, sur l’appropriation de la
périodisation et de la chronologie de l’histoire. Dans la deuxième partie, il sera question de
procéder à une généalogie socioculturelle de l’occident et ces inventions, de comprendre ce qui a
favorisé l’émergence de l’idée de la supériorité de l’Europe. Finalement, dans la troisième partie
l’auteur attire notre attention sur ce qu’on appellerait un vol des institutions et des valeurs.
L’Europe revendique un ensemble d’institutions et de sentiments comme étant des institutions
particulières, cependant ils étaient déjà présents dans d’autre civilisation. Ce n’est pas que ces
institutions existaient sous la même forme qu’elles existent en Europe, mais sous des formes
différentes. Et de ce constat découle le titre du livre, Le vol de l’histoire. Il entend par vol de
l’histoire la mainmise de l’occident sur l’histoire, en faisant passer son histoire comme l’histoire
de l’humanité. Ce vol traduit une forme d’ethnocentrisme spécifique, l’Eurocentrisme, qui n’est
pas selon l’auteur une maladie propre à l’Europe, car il y a une variété d’ethnocentrisme, par
exemple ; on a l’orientalisme. On pourrait dire que le travail de Goody ne consiste pas à déplacer
l’Histoire de l’occident vers d’autre contré. Ce n’est pas un travail de déplacement, mais un
travail de confrontation. Son but est de confronter l’ensemble de contradiction qu’il y a entre les
autres civilisations et la civilisation occidentale. Le texte se porte sur l’histoire, la conception
européenne de l’histoire. Il est question d’une critique de l’Histoire en tant qu’un grand récit qui
s’inscrit dans une temporalité, passé, présent, futur, d’où l’idée d’une Histoire européenne
unifiée. Parlé de vol sous-tend qu’il y aurait un voleur, un volé et un objet à voler. Or dans ce cas
il est question d’un vol de l’histoire, non pas un vol dans l’histoire. De là le mieux aurait été de
se demander, Qui a volé quoi ? Et qui a volé qui ? Comment peut-on voler l’histoire d’un
peuple ? Finalement, il serait nécessaire de se questionner sur l’enjeu d’un tel vol. Pourquoi on a
volé?

Dans sa perspective, Goody veut éviter toute interprétation téléologique de l’histoire. Cette
interprétation doit être remplacée par une périodisation plus flexible qui s’abstient de
l’eurocentrisme et qui replacera l’histoire de l’Europe au sein de la culture commune. C’est une
autre façon de dire que le monde ne se résume pas à l’Europe, mais cette dernière n’en est
qu’une partie, une province pour répéter Schackrabarty. En plus d’être un travail de
confrontation, il est un travail de replacement ou de repositionnement, replacement de l’histoire
de l’Europe dans l’histoire de l’humanité.

En effet, dans la première partie titrée ; Trois historiens, une même lecture, l’auteur a
subdivisé son analyse en trois chapitres. Le premier chapitre fait l’objet d’une analyse de la
science et de la civilisation dans l’Europe renaissante à partir de l’œuvre du biologiste de
formation et également historien Joseph Needham. D’entré Goody se met dans une posture
critique par rapport aux ensembles de travaux effectués par certains auteurs européens voulant
faire croire que la modernité serait une modernité essentiellement européenne. C’est comme s’il
y aurait une seule façon de penser le progrès et qu’aucune autre société ne peut pas y arriver sans
passer par la renaissance. C’est pourquoi Goody nous dit ce qui suit : « Selon la plupart des
auteurs européens, il n’est aucune marche possible vers la modernité sans la renaissance – d’où
l’idée que le monde moderne est un phénomène purement européen, comme sont européens tous
les progrès issus de la renaissance : le capitalisme, la laïcité etc.1 » C’est une tendance à
vouloir tout ramener à l’Europe pour montrer que la renaissance est un phénomène

1
JACK, Goody (2010). Le vol de l’histoire , Paris, Gallimard, p. 37.
particulièrement européenne tout comme l’humanisme et qu’il existerait une seule renaissance et
que d’autres renaissances ne s’étaient pas produites dans d’autres époques. Cependant, à l’avis
de l’auteur de La raison graphique. La domestication de la pensée. « En soi, le phénomène de ré-
naissance n’a rien d’unique […]. En effet, toute culture écrite dispose toujours de la possibilité
de faire retour certaines phases antérieures de son histoire, et d’opérer une renaissance (de
l’antiquité par ex.). L’écriture est précisément ce qui nous permet de faire cela. 2»
L’interprétation est à l’antipode de celle de Needham parce que, pour Goody, Needham fait de
l’histoire une lecture à contre-pied de ce qu’il faut, en adoptant une perspective téléologique à
partir de développement du passé. L’essentiel de ce premier chapitre se porte sur ce que l’auteur
appelle le problème de Needham qui est ainsi formulé : « Pourquoi, en dépit de l’avance
initialement prise par la Chine, ce fut l’occident, et non l’Orient, qui inaugura le passage de la
science moderne 3? » L’auteur de Le vol de l’histoire a traité ce problème sous un triple aspect :
Politique, économique et culturel. Selon l’avis de l’auteur, on a comme l’impression que le
problème de Needham si ce dernier n’expliquait pas la science moderne qu’à l’aune de
l’occident, car Goody admet que d’autres pistes peuvent être explorées. Sur le plan économique,
Needham défendait la thèse de l’inexistence d’une bourgeoisie chinoise et que cela est l’un des
points en plus de l’absence de lois et d’ordre publique sur le plan politique qui empêche à la
chine d’accéder à la modernité.

Jack Goody, contrairement à Needham a préféré parler de la bourgeoisie en tant qu’un


phénomène international qui n’a pas eu le même pouvoir partout, pour la simple et bonne raison
qu’aucune explication des récentes avancées spectaculaires de l’Asie en matière de Capitalisme
ne serait possible sans l’existence des structures au préalable. Il est plutôt de l’avis d’Elvin qui
pense que : « Needham a de la chine une conception totalement anhistorique, dans laquelle ni la
culture ni la société ne changent avec le temps 4. » Par rapport à toutes ces considérations, on
peut dire que le fait même de penser la bourgeoisie que par rapport l’occident c’est déjà tomber
dans l’eurocentrisme qui favorisera le discours hégémonique de l’Europe.

Outre les travaux de Needham, il y a également ceux d’Elias et de Braudel qui ont contribué
grandement dans la construction de cette conception universalisant de l’histoire Européenne.

2
Ibid. p. 40.
3
Ibid, p. 45
4
Ibid, p. 80.
L’analyse des travaux de ces auteurs constitue respectivement le chapitre II et le chapitre III du
texte de Goody. Pour continuer à retracer l’idée de vol dans le sens d’une main mise sur quelque
chose, avec Norbert Elias il y a l’idée du vol de la civiliation qui est présente et chez Braudel
c’est celle du vol du capitalisme. Dans le premier cas, plus précisément avec Elias, il y aurait
une forme de confinement exclusif à la seule modernité Européenne la notion de la formation
d’Etat et de la civilisation. D’ailleurs Elias le dit clairement que : « Le concept de civilisation,
dans sa fonction générale et ses caractéristiques commune, exprime la conscience que l’occident
a de lui-même... ». La civilisation est un processus, mais un processus qui se veut essentiellement
européenne en se liant uniquement à la modernisation européenne. Par rapport à une telle idée, la
question serait de se demander est-ce qu’il existe une seule civilisation ? Et la civilisation dans le
sens Occidental a-t-elle une évolution unilinéaire ? Pour asseoir son idée au sujet du caractère
unique de la civilisation occidentale, il part du rapport qu’il y a entre toute sociogenèse et la
psychogénèse. Toute évolution sociale ou sociogenèse s’accompagne toujours d’une
psychogenèse. C’est dans le sens de contrôle des émotions et des comportements qui sont liés
directement à la naissance de l’Etat. À l’avis de Goody ce phénomène ne concerne pas
exclusivement à l’Europe. Pour Elias, au contraire, tout commence et finit avec l’Europe. S’il y a
un radicalisme dans la façon dont il a conçu la civilisation ce qui est pour Goody une exagération
grossière, avec Braudel ce n’était pas totalement le cas.

En effet, dans son ouvrage Civilisation matérielle, Economie et Capitalisme Braudel soumet une
analyse du capitalisme, de la modernisation et l’industrialisation en trois volumes. Selon lui, la
grande innovation qui révolutionne l’Europe n’est pas l’introduction du papier, mais celle de
l’alcool, de la boisson obtenue par distillation. Il continue pour dire que : « Le commerce au long
cours, le capitalisme à grande échelle,.., dépendent de la capacité de parler la langue commune
du commerce mondiale5. » Il y aurait un rapport entre le développement du commerce et le
développement de la langue. Outre le rapport de l’économie avec la langue, il a mis l’accent
également sur le rapport entre les villes et l’économie. Et c’est peut-être par rapport à ce
deuxième aspect que Braudel se laisse prendre dans le piège de l’eurocentrisme, car pour lui
l’élément déclencheur du capitalisme est le développement des villes et là n’est nullement le
problème. Le véritable problème du travail de Braudel, selon Goody, c’est le fait de considérer
les villes européennes comme modèle de légitimation et la description qui est faite des villes
5
Ibid, p. 145
orientales par opposition aux villes de l’occident qui est une description critique avec ces
dernières comme modèle. Goody constate qu’il y a une description erronée de la structure sociale
des pays orientaux. Il estime que, l’idée selon laquelle le féodalisme aurait préparé la voie au
capitalisme, idée très présente dans les travaux de Braudel, reflète la chronologie européenne et
n’a aucune validité causale. Et de ces constats, l’auteur du vol de l’histoire termine le deuxième
chapitre par une remise en question de l’utilité du concept de capitalisme qui semble toujours
infléchir l’analyse dans une direction eurocentrique.

Une fois terminée avec la première partie du texte, Goody en a introduit la deuxième
intitulé une généalogie socioculturelle. L’idée même de généalogie présuppose un
dénombrement des ancêtres, de ce qui est ancien. D’entrée, une question fondamentale est posée,
celle de savoir qui a volé quoi ? La réponse à cette question est pour le moins évidente dans la
mesure où cette question vise l’objectif principal du livre, à savoir l’ethnocentrisme, plus
spécifiquement l’eurocentrisme. C’est la mainmise sur la construction de l’histoire mondiale par
l’Europe qui est visée dans cette partie. Goody tente de donner des possibilités pour le
renversement de l’histoire du monde monopolisé par les européens. Pour se faire, il donne des
méthodes à adopter pour contrer cet inévitable ethnocentrisme. Il faut adopter un point de vue
critique qui présuppose quatre considérations. D’abord, on doit considérer avec scepticisme toute
prétention occidentale à avoir inventé des formes et des valeurs telles que la démocratie ou la
liberté. Ensuite, il faut suivre le cours de l’histoire selon un mouvement descendant plutôt
qu’ascendant, c’est-à-dire il faut éviter toute interprétation téléologique de l’histoire. Et puis, on
doit accorder au passé non européen la place et l’influence qui lui reviennent car on ne doit pas
prioriser le passé européen en le faisant pour un passé universel. Finalement, il faut garder
présent à l’esprit que l’ossature même de l’historiographie-la localisation des événements dans le
temps et dans l’espace- est variable, soumise à la construction sociale et par là même aux
changements. C’est une façon de dire qu’il n y a pas des catégories immuables dans l’histoire.
Cette idée est également présente chez Odo Marquard qui lui-même l’avait tiré chez Hegel qui
nous dit qu’il n’y a pas vraiment des fins universelles dans l’histoire indépendamment des
conditions de réalisation 6qui sont liés à des états historiques bien spécifique. L’histoire nous dit
Jack Goody : « est une succession d’étapes, chacune dérivant de la précédente et menant à la

6
ODO Marquard, (1973). Des difficultés avec la philosophie de l’histoire, Paris, EMSH, p.40
suivante jusqu’au stade ultime7. » On a comme l’impression par rapport à ce que nous dit Goody
que toute les étapes qui se succèdent dans l’histoire du monde seraient déterminées par des
évènements produits uniquement en Europe de l’ouest. Alors, Goody essaie de comprendre
comment en est-on venu à définir l’histoire du monde en fonction d’une succession d’étapes
purement occidentales ? Un tel comportement des européens pourrait avoir des conséquences
graves sur la façon dont on pense les rapports entre les sociétés, cela peut causer la mise à l’ecart
de quelques sociétés au profit de quelques autres. Et de fait, c’est ce que nous vivons
actuellement dans le monde. Il y a des peuples subalternisés, dominés et leurs histoires ont été
oubliées comme s’ils n’ont jamais existé. On pense tout á travers l’Europe comme si en dehors
de lui, il n’a pas d’autres contrés. Cette critique de Goody de l’eurocentrisme est sa façon à lui de
dire qu’il n’existe pas une seule tradition épistémique permettant d’atteindre la « vérité » et
« l’universalité ».8 C’est un appel à un universel concret et non abstrait qui ne se limite pas au
seul canon occidental ou un universel particulier, mais plutôt le fruit d’un dialogue critique qui
vise à construire un monde pluriversel comme pourrait le dire Edelyn Dorismond.

Finalement nous arrivons à la troisième partie du texte où l’auteur jette un regard sur un
ensemble d’institutions comme les villes, les universités, et un ensemble de valeurs comme
l’Humanisme, l’individualisme et la démocratie. Au sujet des villes, elles n’avaient pas toujours
eu l’importance qu’elles ont actuellement dans l’histoire européenne. Elles refont surface dans
l’histoire européenne, d’après ce que nous dit Goody : « dès l’instant où l’homme accomplit ses
premiers pas en direction du capitalisme, reflétant le passage des sociétés agraires aux sociétés
industrielles. 9» La réapparition des villes dans les sociétés occidentales ont de très grave
conséquences sur la culture de ses sociétés, tandis que ce ne fut pas le cas pour les sociétés
Orientales parce que les villes orientales avaient une marge de progression intéressante surtout
sur le plan culturelle. Contrairement à ce que pourraient penser beaucoup de spécialiste, Goody a
remarqué que d’une manière générale il existe entre les villes occidentales et les villes Asiatiques
un grand nombre de ressemblance concernant le volume et la densité de population,
l’organisation générale, les structures éducatives et les disciplines enseignées, les marchés, les
hôpitaux, le commerce etc. Les villes n’ont rien d’essentiellement pariculière à l’Europe
occidentale.
7
Opcit. Le vol de l’histoire,p.210
8
Rámon Grosfoguel, Vers une decolonization des Uni-versalismes occidentaux, p.1.
9
Opcit. Le vol de l’histoire, p.390

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