TROISIÈME PARTIE 359

[l]Le Surréalisme et nous

L de surréalisme nous a révélé l'importance morale de

l'acte non préconçu1.
Ils mirent spontanément l'accent sur le hasard. Cependant,
involontairement, ils reportèrent cet accent, au fur et à mesure 5
de leur évolution, sur la valeur intentionnelle2.
Cette valeur est sans espoir pour nous.
L'intentionnalisme chrétien révéla involontairement lui
aussi le vice suprême de l'intention.
L'acte, fruit d'une activité passionnelle - résultante phy- 10
sico-psychique3 -, n'est lié à l'intention (nécessaire, non suffi-
sante) que par la magie du désir ; magie prise dans le sens de
l'imprévisible transformation apportée par le désir4.
Face à l'acte, il est facile de déceler l'intention plus ou
moins lointaine de son auteur. Mais l'intention ne peut nous ré- 15
vêler la réalité sensible de l'acte. Seules les relations formelles
propres à l'objet, involontaires à l'auteur, ont une réalité sensi-
ble.
Le reste est relatif, si passionnant, si nécessaire qu'il fût.
VARIANTES : I manuscrit, 6 f. (T. 257-III-B) ; II : dactylographies, 4L (T.
257-III-C et 257-III-D) ; III : dactylographies, 4 f., texte de base (T. 257-III-E).
4 1,11 mirent d'abord spontanément III R mirent d'abord spontanément
5 I R involontairement, insensiblement, ils 1,11 cet espoir au III cet [R espoir A ac-
cent] au 61 évolution vers la 8 1,11 chrétien redécouvrit involontairement III
chrétien [R redécouvrit A révéla] involontairement 9 1,11 aussi la non-valeur objec-
tive de l'intention. // III aussi [R la non-valeur objective de l'intention A le vice suprême de
l'intention]. // 11 1,11 à son intention III à [R son A /] intention 121 désir. //
Magie prise 1 6 1 acte. // Seules 1 7 1 l'auteur ont 19 1,11 passionnant
fût-il, si III R passionnant fût-il, si 1,11 fût. // Si devant ce III fût. // [R Si] [V de-
vant] ce

1. Idée fondamentale du surréalisme, développée notamment dans le Pre-

mier manifeste du surréalisme d'André Breton (1924).
2. « Intentionnelle » renvoie à l'intervention de la raison, qui vient rompre
le processus de l'acte non préconçu.
3. Sur la relation étroite que met Borduas entre l'activité passionnelle et la
matière biologique, voir le Retour, p. 263, et la Transformation continuelle, p. 282.
4. Cette phrase définissant le terme « magie » figure dans la lettre du 21 jan-
vier 1948 à Leduc et sera reprise dans les Commentaires, p. 307.
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20 Devant ce dessin qui m'était inconnu tout à l'heure, si j'ai la

certitude d'être devant un Mousseau, ce n'est certes pas pour
telle ou telle intention de son auteur ; cette intention put m'être
inconnue avant la prise de contact avec le dessin et ma
mémoire5 prise au dépourvu.
25 Si j'ai la certitude d'être devant un Mousseau, c'est à cause
d'une relation formelle constante à Mousseau que ma mémoire
me rappelle comme unique et propre à Mousseau, à tous les sta-
des connus de son évolution.
Si je reconnais encore telle aquarelle comme de Riopelle
30 (pour me servir d'exemples de la dernière exposition 6 ), ce n'est
pas à cause de la technique employée, volumes, lumière, mou-
vements, matières, couleurs, [2]ce sont à peu près les mêmes de-
puis toujours, c'est uniquement à cause d'une autre relation for-
melle propre et aussi involontaire à Riopelle que sa vie.
35 Le désir-passion façonne l'objet en exprimant la relation
individuelle.
Un désir choisi détruit involontairement la relation sensi-
ble et la remplace par une relation impersonnelle.
Toutes relations formelles sont reproductibles mécanique-
40 ment par n'importe quel moyen. Nous avons dans ces cas, re-
productions ou copies des similitudes de ces relations ; elles ont

20 1,11 l'heure, j'ai III A l'heure, si j'ai 211 Mousseau ce 22 I auteur,

cette 1,11 intention aurait pu m'être III intention, [R aurait] pu m'être 23 1,11
avec ce dessin III Pavée et dessin I dessin, alors ma 24 1,11 mémoire aurait été
prise III R mémoire aurait été prise 27 1,11 comme une chose unique III R
comme une chose unique 1,11 stades de III A stades connus de 29 1,11 comme
étant de III R comme étant de 32 I mêmes en soi depuis 33 I R toujours,
malgré des conditions économiques très diverses : uniquement 34 I Riopelle, que
35 1,11 désir-passion transforme l'objet III désir-passion [R transforme A façonne]
l'objet 40 I moyen. // Nous 41 I relations. // Elles [V auront] la

5. Le terme « mémoire » renvoie toujours, chez Borduas, à une fixation sur

le passé, donc à un cran d'arrêt imposé au mouvement de la passion (voir
p. 303).
6. La rédaction s'étant échelonnée de février 1947 à février 1949, on ne
saurait préciser à quelle exposition Borduas fait référence ici.
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la valeur de toutes similitudes 7 : elles sont relatives et font dou-

ble emploi.
Le surréalisme nous a révélé l'importance morale de l'acte
non préconçu. Cependant ils abordèrent l'amour dans un état 45
préjudiciable à l'amour, à la connaissance de la vérité.
Ils abordèrent l'amour dans l'espoir chrétien d'une mono-
gamie indissoluble (à tout jamais liée à l'idée d'éternité). « L'iso-
lement du couple dans l'univers, cellule se suffisant à
elle-même8 », est considéré comme un bien, le plus grand bien 50
moral, non comme un moyen. Espoir en la permanente effica-
cité d'un « choix libre » comme si l'amour était un objet fixe, im-
mobile et passé. L'enfant fut permis au moment délibérément
choisi, moment se présentant comme le plus grand risque.
En dépit d'expériences malheureuses dans leurs person- 55
nés, en dépit de l'impossible justification de ces espoirs autour
d'eux d'abord, dans l'histoire ensuite, ils persistent systémati-
quement à vouloir y croire.
Ne serait-il pas plus généreux d'obéir à l'amour sans res-
trictions, sans préjugés, sans défenses. 60
La passion peut être follement lucide, il lui semble bien in-
terdit d'être préconçue dans son parcours, comme dans sa du-
rée.
La liberté du choix9 est aussi illusoire lorsqu'il s'agit de
l'objet de l'amour que pour tous les objets de nos désirs vivants. 65
[3]L'amour peut peut-être conduire les amoureux vers des
horizons insoupçonnés malgré les conditions sociales exécra-
bles, malgré les déficiences individuelles inévitables, si la sim-

421 V elles seront relatives I Vêt feront double 45 I état d'esprit préjudi-
ciable 46 I connaissance à la 49 I univers comme une cellule 56 I dépit
l'impossible 59 I sans restriction, sans 60 11,111 V sans défiances. // 62 I
parcours, dans 67 I malgré des conditions 68 I malgré des déficiences

7. Ce terme de « similitudes » renverrait, dans un vocabulaire plus mo-

derne, à des unités codées. Ainsi Borduas parlera, comme il le fait ici, de valeurs
anciennes, alors que, ailleurs, il parlera de nouvelles valeurs, celles de l'automa-
tisme, sous l'expression de « similitudes nouvelles » (p. 312).
8. Voir, p. 357, la citation de Breton.
9. Le choix, impliquant une activité de la raison (voir p. 279), est évidem-
ment donné comme illusoire.
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plicité est suffisante. Au-delà de l'isolement habituellement né-

70 cessaire, habituellement d'une durée assez longue aussi, n'y
aurait-il pas une phase possible de parfaite intelligence de ces
deux êtres dans l'univers ?
À la limite de la phase délirante exclusive, est-il impossible,
si on le permet, une phase plus délirante encore, non exclusive,
75 au contraire embrassant tous les êtres et les choses ?
Seul : deux : tous.
En tout cas, toute direction imposée à l'amour ne pourra ja-
mais que le détruire. Toute action choisie n'est bonne qu'à
émonder.
80 Coupons largement les branches mortes du pommier, cou-
pons aussi largement les branches du milieu, que le soleil, la
chaleur puissent pénétrer au cœur de l'arbre. Soyons ardents,
attentifs, peut-être les fruits seront-ils plus parfaits.
De toute façon, nous aurons fait ce qu'il était possible de
85 faire. Nous avons toujours cru que le possible devait suffire à
notre espoir.
Le surréalisme fut pour nous l'occasion de notre évolution
sensible. Il permit les contacts brûlants des généreux scandales
que sans lui nous n'aurions probablement pas connus, embour-
90 bés que nous étions dans des préjugés sans nombre.
Le surréalisme replaça l'œuvre d'art à sa place dans l'acti-
vité de l'homme. Il permit de mieux connaître le mécanisme de
la création poétique. Il nous révéla la continuité des
prophéties10.

69 I suffisante. // Au-delà 70 I R habituellement momentané d'une I

aussi n'y 73 II,III exclusive est-il <Nous retenons la leçon de I.> 74 I
non exclusive celle-là, au 75 III A choses ? // Seul : deux : tous. // En 77 I
cas, toutes directions imposée 78 I détruire. // Toute I choisie, n'est 82 I
Soyons ardent, attentif. // Peut-être les 88 1,11 II nous permit III R II nous permit
93 I révéla [R l'ininterruption A la continuité] des

10. Sont prophétiques, pour Borduas, les œuvres qui transgressent les va-
leurs établies. Dans la Transformation continuelle (p. 283) et dans Refus global (p.
340), Borduas nomme Lautréamont et Sade.
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Le surréalisme fut pour nous un magnifique exemple de 95

courage, d'ardeur. Le surréalisme, par tout son comportement,
nous révéla une large tranche de nous-mêmes.
Nous sommes les fils imprévisibles, presque inconnus d'ail-
leurs du [4]surréalisme. Des fils illégitimes peut-être, dont la fi-
liation se fit à distance, non volontairement de notre part, mais 100
par la force des choses.

96 I ardeur. // Le 98 I imprévisibles presque 100 1,11 non par volonté

de III non [Rpar] [Vvolonté] de 1,11 part par III A part, mais par 101 1,11 cho-
ses. Enfin, nous avons le sentiment d'être à [I «0 »] [RII,III «0 » A zéro.] // De destruction
en destruction, de désespoir en désespoir nous avons atteint par-delà la nausée la simple
réalité. // Seuls nos sentiments demeurent. // Une raison d'être, un espoir sans limites [I
sans limite] s'ouvre devant nous. Nos attaches sentimentales avec le passé, attaches qui nous
masquaient la réalité de toutes choses sous de faux signes, de faux accents, dans des espoirs
desséchés sont rompus. [I rompus. Rien] // Rien ne devrait maintenant entraver notre [III
R notre A pour la] marche en avant vers [R III vers] la libération complète de nos possibilités
[R III nos possibilités A notre potentiel d'énergie].