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Octobre 2022
Article 14
Discrimination
En l’espèce, le requérant a été contrôlé par la police en public, à bord d’un train, selon
lui en raison de sa couleur de peau et donc pour des motifs raciaux. Il a indiqué à l’appui
de cette allégation qu’il avait constaté que, sur l’ensemble des personnes qui étaient
présentes dans les différents compartiments de la voiture du train dans laquelle ils se
trouvaient, sa fille et lui étaient les seules personnes à avoir la peau foncée et les seules
personnes dont l’identité avait été contrôlée. Il a ajouté que les explications du policier
qui avait mené le contrôle ne faisaient apparaître aucun autre motif objectif expliquant le
choix de le contrôler lui plutôt qu’un autre voyageur. La Cour ne peut donc souscrire à la
thèse du Gouvernement selon laquelle, dans les circonstances de l’espèce, le requérant
ne pouvait pas prétendre de manière défendable avoir été ciblé en raison de ses
caractéristiques physiques ou ethniques. Par ailleurs, le requérant a affirmé que, compte
tenu des conditions dans lesquelles il s’était déroulé, ce contrôle d’identité avait porté un
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préjudice grave à sa vie privée, en ce qu’il avait suscité chez lui des sentiments de
stigmatisation et d’humiliation tels qu’il n’avait plus pris le train pendant plusieurs mois.
Le requérant a étayé sa thèse selon laquelle le contrôle d’identité dont il a fait l’objet
dans ces conditions spécifiques a eu des conséquences suffisamment graves pour porter
atteinte à son droit au respect de sa vie privée. Ce contrôle relève donc du champ
d’application de l’article 8. En conséquence, l’article 14 trouve à s’appliquer.
Dans certaines circonstances, l’obligation pour les autorités d’enquêter sur d’éventuelles
attitudes racistes peut découler des responsabilités qui leur incombent en vertu de
l’article 14. Dans le contexte d’allégations de violation de l’article 14 combiné avec
l’article 3, les autorités nationales doivent prendre toutes les mesures raisonnables pour
déterminer si la personne mise en cause était animée par des motivations racistes et si
des sentiments de haine ou des préjugés liés à l’appartenance ethnique ont joué un rôle
dans les événements. Elles doivent prendre les mesures raisonnables au vu des
circonstances pour recueillir et conserver les éléments de preuve, étudier l’ensemble des
moyens concrets de découvrir la vérité et rendre des décisions pleinement motivées,
impartiales et objectives, sans omettre des faits douteux susceptibles d’être révélateurs
d’un acte de violence motivé par des considérations raciales. Pour qu’une enquête soit
effective, il faut que les institutions et personnes qui en sont chargées soient
indépendantes de celles qu’elle vise. Cela suppose non seulement une absence de lien
hiérarchique ou institutionnel, mais aussi une indépendance concrète. La responsabilité
d’assurer le respect sans discrimination des valeurs fondamentales qui incombe aux
autorités en vertu de l’article 14 de la Convention peut aussi s’appliquer lorsque sont en
cause dans le contexte de l’article 8 des attitudes potentiellement racistes ayant entraîné
la stigmatisation de la personne concernée.
Dans le contexte d’un grief défendable de discrimination raciale, il faut noter que la
discrimination raciale, prohibée par l’article 14, est une forme de discrimination
particulièrement grave qui, compte tenu de la dangerosité de ses conséquences, exige
une vigilance spéciale et une réaction vigoureuse de la part des autorités. À cet égard, la
Cour renvoie également à la conclusion de la Commission européenne contre le racisme
et l’intolérance (ECRI) selon laquelle le profilage racial, en particulier, entraîne la
stigmatisation et l’aliénation des personnes qui le subissent.
Il ressort des éléments exposés ci-dessus que, dès lors que la personne concernée peut
prétendre de manière défendable qu’elle a été visée en raison de caractéristiques
raciales et que les actes litigieux atteignent le seuil décrit ci-dessus et relèvent en
conséquence du champ d’application de l’article 8, il y a lieu de considérer que
l’obligation pour les autorités de rechercher s’il existe un lien entre des attitudes racistes
et un acte accompli par un agent de l’État découle des responsabilités qui leur incombent
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en vertu de l’article 14 combiné avec l’article 8. Cette démarche est essentielle pour que
la protection contre la discrimination raciale ne devienne pas théorique et illusoire
lorsqu’il s’agit d’actes non violents relevant d’un examen sous l’angle de l’article 8. Elle
est nécessaire pour assurer la protection des personnes concernées contre la
stigmatisation et pour prévenir la diffusion des attitudes xénophobes.
Dans ses observations, le Gouvernement indiquait que l’autorité de police dont relevait le
bureau de la police fédérale pour lequel travaillait le policier qui avait procédé au
contrôle d’identité en cause avait mené une enquête interne sur les faits. La Cour
considère cependant que, eu égard aux liens institutionnels et hiérarchiques qui
existaient entre l’autorité d’enquête et l’agent de l’État auteur de l’acte litigieux, cette
enquête ne peut pas passer pour indépendante.
Dans ces conditions, les autorités nationales ont manqué à l’obligation qui leur incombait
de prendre toutes les mesures raisonnables pour déterminer, par l’intermédiaire d’un
organe indépendant, si une attitude discriminatoire avait joué un rôle dans le contrôle
d’identité. Elles n’ont donc pas mené une enquête effective à cet égard. La Cour est en
conséquence dans l’impossibilité de trancher la question de savoir si c’est en raison de
son appartenance ethnique que le requérant a fait l’objet du contrôle d’identité.