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Artefact

Techniques, histoire et sciences humaines


15 | 2021
Technique,Technologie

Canguilhem et « la technique »
La crise de la raison et la critique de la thèse réduisant « la technique » à
l’application de « la science »
Canguilhem and ‘‘technology’’
The ‘‘crisis of reason’’ and the criticism of the thesis reducing ‘‘technology’’ to
the application of ‘‘science’’

Timothée Deldicque

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/artefact/11504
DOI : 10.4000/artefact.11504
ISSN : 2606-9245

Éditeur :
Association Artefact. Techniques histoire et sciences humaines, Presses universitaires du Midi

Édition imprimée
Pagination : 201-238
ISBN : 978-2-8107-0778-2
ISSN : 2273-0753

Référence électronique
Timothée Deldicque, « Canguilhem et « la technique » », Artefact [En ligne], 15 | 2021, mis en ligne le 22
février 2022, consulté le 24 mars 2022. URL : http://journals.openedition.org/artefact/11504 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/artefact.11504

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Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
La technologie :
paradigmes grecs
d’une science sociale française
Leopoldo Iribarren

Résumé
Cette étude porte sur les contributions d’Alfred Espinas (1844-1922) et de Jean-
Pierre Vernant (1914-2007) à la définition de la technologie historique comme
science sociale. Appartenant à des générations différentes et mobilisant des 175
cadres théoriques antagonistes (Durkheim et Marx, respectivement), leurs tra-
vaux ont en commun le recours au paradigme grec pour fonder notre compré-
hension de l’agir technique comme fait social. Il s’agira d’analyser les ouvertures
et les limites de chacune de ces approches.

Mots-clés
Alfred Espinas, Jean-Pierre Vernant, Karl Marx, Émile Durkheim, technologie,
Grèce Ancienne, historiographie, sociologie

” Leopoldo Iribarren, « La technologie : paradigmes grecs d’une science sociale


française », Artefact, 15, 2021, p. 175-200.
Leopoldo Iribarren

Technology: Greek paradigms


of a French social science
Abstract

This study focuses on the contributions of Alfred Espinas (1844-1922) and Jean-
Pierre Vernant (1914-2007) to the definition of technology as social science. Be-
longing to different generations and using antagonistic theoretical frameworks
(Durkheim and Marx, respectively), their works have in common the recourse to
the Greek historical paradigm to found our understanding of technical action
as a social fact. The aim is to analyse the scope and limits of each of these ap-
proaches.

Keywords
Alfred Espinas, Jean-Pierre Vernant, Karl Marx, Émile Durkheim, technology,
176 Ancient Greece, historiography, sociology

E
n dehors de la pensée marxiste, qui en fait la clef de voûte de son
système, la technique a conservé en France un caractère curieuse-
ment périphérique comme objet d’étude des sciences sociales au
cours de la première moitié du xxe siècle. Le contraste est en effet saisis-
sant entre, d’un côté, le postulat massif du matérialisme historique, selon
lequel l’état de la technique (des forces productives) à un moment donné
détermine l’organisation de la société, et de l’autre, la position relativement
marginale qu’occupe la technique comme fait social dans l’architectonique
de la sociologie comme discipline qui se donne pour objet l’« homme
total ». À première vue, cette position semble d’autant plus paradoxale que
la constitution de la sociologie comme discipline scientifique promue par
Durkheim est contemporaine des grandes mutations historiques et sociales
qui trouvent leur origine, entre autres facteurs, dans l’industrialisation.
La technologie : paradigmes grecs d’une science sociale française

Comme l’a montré Nathan Schlanger dans son introduction aux écrits
sur les techniques de Marcel Mauss, les raisons d’un tel désintérêt de la
sociologie durkheimienne pour la technique comme activité humaine sont
d’ordre épistémologique et idéologique liées en grande partie au climat
intellectuel de la France à la fin du xixe siècle1. En se donnant pour tâche
la définition d’un cadre institutionnel censé garantir aux individus le bon
exercice de la solidarité, la sociologie a privilégié l’étude des systèmes sym-
boliques (religieux, moraux, juridiques, etc.) où se manifeste la cohérence
d’une conscience collective, au détriment des pratiques instrumentales,
dès lors circonscrites au domaine infra-social de la subsistance organique
individuelle. Héritière d’un vieux préjugé philosophique, la sociologie
naissante manifeste dans la sélection et la formulation de ses objets de
connaissance un certain dédain pour la problématisation de l’agir tech-
nique. Dès lors, l’un des défis épistémologiques auxquels sont confron-
tées les sciences sociales dans la première moitié du siècle dernier est de
ramener la technique dans leur champ d’étude en l’envisageant à partir de
ses trois dimensions constitutives : la dimension proprement sociologique,
avec ses multiples aspects synchroniques, la dimension historique, et la
dimension physio-psychologique. 177

Dans les pages qui suivent, je m’intéresserai aux contributions d’Alfred


Espinas (1844-1922) et de Jean-Pierre Vernant (1914-2007) à la défini-
tion de la technologie historique comme science sociale. Appartenant à
des générations différentes et mobilisant des cadres théoriques antagonistes
(Durkheim et Marx, respectivement), leurs travaux ont en commun le
recours au paradigme grec pour fonder la compréhension de l’agir tech-
nique comme fait social. En effet, pour Espinas comme pour Vernant, la
pensée de la technique en Grèce ancienne présente la particularité d’être à
la fois un objet historique et une question théorique au cœur des débats sur
la place de la technique dans la société moderne. Qu’il s’agisse du rapport
de l’homme à la nature, de la place du travail dans les sociétés humaines ou
du rapport entre la rationalité technique et les autres sphères d’activité, le
cas grec est sans cesse invoqué et sommé de fournir un récit des origines.
J’adopterai ici une approche internaliste cherchant à mettre en lumière
aussi bien les constructions théoriques des deux auteurs analysés que la
logique qui préside à la sélection des textes grecs à leur disposition.

1. Schlanger, 2012.
Leopoldo Iribarren

Durkheim et le matérialisme historique


Pour comprendre la position conflictuelle qu’occupe la technique dans
l’architectonique de la sociologie naissante, il n’est pas inutile de revenir
sur la question souvent débattue du rapport qu’entretient la doctrine de
Durkheim avec le matérialisme historique2. Cette relation conflictuelle,
faite d’analogies méthodologiques et d’oppositions principielles, constitue
l’axe d’un tournant majeur dans la pensée de Durkheim. En effet, c’est à
partir d’une prise de position contre la primauté dont jouit la technique
dans le système de Marx que Durkheim érige la religion en phénomène
social de base, autour duquel s’articulera son œuvre de maturité.
À en juger par ses écrits des années 1890, il est difficile de préciser ce
que Durkheim connaissait effectivement de l’œuvre de Marx. Dans les
débats théoriques et idéologiques qu’il engage dans ces années-là, sa vision
du marxisme semble correspondre à l’interprétation mécaniste du maté-
rialisme historique, dérivée de la Première Internationale et répandue en
France par Jules Guesde3. Cette interprétation est certainement présente
178 à l’esprit de Durkheim à l’époque où il rédige De la division du travail
social (1893), dont l’ambition théorique sous-jacente est de proposer une
alternative à l’explication marxiste de la division du travail dans la société
industrielle. Rappelons combien cette question est importante chez Marx,
où l’histoire résulte des relations de contradiction entre trois facteurs –
forces productives, rapports de production et conscience – qui entrent en
conflit par la division du travail. Prenant la thèse matérialiste à contre-pied,
le premier grand livre de Durkheim cherche à élucider l’essence même
des rapports sociaux dont la division du travail ne représenterait qu’un
phénomène dérivé4. La division économique du travail, qui chez Marx

2. Sur la position de Durkheim vis-à-vis du marxisme, voir Cuvillier, 1948 ; Filloux, 1977 ; Alexan-
der, 2005 ; Schlanger, 2012.
3. Voir notamment la « Note sur la définition du socialisme » et les leçons sur le socialisme dans
Durkheim, 1893 ; 1895-1896.
4. Le passage suivant, à propos de la division du travail dans la grande industrie anglaise à la fin du
xixe siècle, est révélateur de la position théorique de Durkheim : « C’est qu’en effet la division du
travail, étant un phénomène dérivé et secondaire, comme nous venons de le voir, se passe à la sur-
face de la vie sociale, et cela est surtout vrai de la division du travail économique. Elle est à fleur de
peau. […] Il suffit ainsi qu’une circonstance quelconque excite chez un peuple un plus vif besoin de
bien-être matériel pour que la division du travail économique se développe sans que la structure so-
ciale change sensiblement. […] Il ne faut pas juger de la place qui revient à une société sur l’échelle
La technologie : paradigmes grecs d’une science sociale française

détermine l’infrastructure de la société, se situe pour Durkheim « à la sur-


face de la vie sociale ». Elle est l’expression seconde d’une différenciation
sociale plus profonde – à savoir, celle qui résulte du passage de la solidarité
« mécanique », caractéristique des sociétés de petite échelle, à la solidarité
« organique » des sociétés modernes – que l’auteur vise de manière priori-
taire dans son analyse. Pour Durkheim, c’est la question du lien social, du
type de consensus permettant aux individus de surmonter les conflits de la
vie collective, qui doit expliquer les modalités de la division du travail et
non l’inverse. Comme cela ne pouvait pas échapper à ses premiers lecteurs
marxistes, une forme de matérialisme, perceptible notamment dans la réi-
fication du lien social, sous-tend la thèse déployée dans De la division du
travail social5. Bien que Marx ne soit mentionné qu’une seule fois dans ce
texte (à propos de l’accroissement du rendement qui résulte de la division
du travail), il n’en demeure pas moins un interlocuteur privilégié dont
Durkheim tient à se démarquer.
On trouve une prise de position plus explicite à l’égard du matérialisme
historique dans un compte rendu des Essais sur la conception matérialiste
de l’histoire (1897), du théoricien et militant marxiste italien Antonio 179
Labriola, réunis et préfacés par Georges Sorel6. Ce compte rendu sert de
prétexte à Durkheim pour présenter publiquement sa méthode comme
une véritable alternative sociologique à la pensée de Marx. Le texte com-
mence par reconnaître l’intérêt scientifique du matérialisme historique,
qui s’écarte aussi bien des « fantômes de l’imagination dont on faisait,
jusqu’à présent, les moteurs du progrès7 » que du darwinisme politique et
social dont les concepts opératoires relèvent du naturalisme. Sur un plan
théorique, la sociologie et le marxisme coïncident, selon Durkheim, dans
le présupposé que la vie sociale s’explique par des causes profondes qui
échappent à la conscience de ceux qui y prennent part ; ces causes doivent
être recherchées en priorité dans la façon dont sont groupés les individus,
c’est-à-dire dans ce que Durkheim appelle le « substrat » de la société et
Marx l’« infrastructure », même si ces deux concepts ne recoupent pas

sociale d’après l’état de sa civilisation économique ; car celle-ci ne peut être qu’une imitation, une
copie et recouvrir une structure sociale d’essence inférieure ». Durkheim, 1893, p. 266-267, n.
5.Voir les propos élogieux de Georges Sorel (1895) à l’égard de la méthode de Durkheim dans
Labriola, 1897.
6. Labriola, 1897 ; Durkheim, 1897.
7. Durkheim, 1897, p. 647.
Leopoldo Iribarren

exactement les mêmes réalités sociales. En d’autres termes, ce n’est pas la


conscience des hommes qui détermine la réalité, mais la réalité sociale qui
détermine leur conscience. On explique la façon de penser des individus
par les rapports sociaux dans lesquels ils sont intégrés. La tâche du socio-
logue consiste dès lors à repérer des « représentations collectives intelli-
gibles » qui, dépassant les représentations individuelles, reflètent la manière
dont les membres d’une société sont « socialement combinés8 ». Une fois
ces analogies méthodologiques établies entre le matérialisme historique et
la sociologie, c’est au niveau des principes que Durkheim situe leur ligne
de partage. Elle se trouve précisément dans la position prééminente occu-
pée par la technique dans le système de Marx :
Autant il nous paraît vrai que les causes des phénomènes
“ sociaux doivent être recherchées en dehors des représentations
individuelles, autant il nous paraît faux qu’elles se ramènent, en
dernière instance, à l’état de la technique industrielle et que le
facteur économique soit le ressort du progrès. Sans même opposer
au matérialisme économique aucun fait défini, comment ne pas
180 remarquer l’insuffisance des preuves sur lesquelles il repose ?9
La primauté de la technique est contestée d’abord sur le plan de l’évidence
empirique, insuffisante aux yeux de Durkheim pour être érigée en principe
universel. Pourtant, le véritable enjeu de la critique ne se situe pas tant
dans la méthode employée pour induire le principe du changement social,
que dans la nature même du principe posé :
Non seulement l’hypothèse marxiste n’est pas prouvée, mais
“ elle est contraire à des faits qui paraissent établis. Sociologues
et historiens tendent de plus en plus à se rencontrer dans cette
affirmation commune que la religion est le plus primitif de
tous les phénomènes sociaux. C’est d’elle que sont sorties, par
transformations successives, toutes les autres manifestations de
l’activité collective, droit, morale, art, science, formes politiques,
etc. Dans le principe tout est religieux. Or nous ne connaissons
aucun moyen de réduire la religion à l’économie ni aucune
tentative pour opérer réellement cette réduction. […] Plus
généralement, il est incontestable que, à l’origine, le facteur

8. Durkheim, 1897, p. 648.


9. Durkheim, 1897, p. 649.
La technologie : paradigmes grecs d’une science sociale française

économique est rudimentaire, alors que la vie religieuse est, au


contraire, luxuriante et envahissante10.
Dans la substitution du monisme matérialiste par le monisme religieux,
Durkheim opère à la fois un tournant majeur dans l’orientation program-
matique de la sociologie, désormais portée sur les formes de la vie reli-
gieuse, et une tentative de réduction épistémologique du marxisme, dont le
principe du changement social (l’état des forces de production) est dès lors
conçu comme étant dérivé du religieux. S’il accorde une certaine influence
à l’état des techniques dans la vie sociale, elle se situe loin du « substrat » de
la société qui est, quant à lui, religieux11. Dépourvue de potentiel symbo-
lique et de force spirituelle, l’activité technique ne constitue pas, aux yeux
de Durkheim, un palier de la réalité sociale.
La position marginale que la technique occupe dans la pensée de
Durkheim est pour ainsi dire matérialisée dès 1901, dans la septième sec-
tion des « Divers » de l’Année Sociologique. Le programme de la rubrique
« Technologie », qui sera animée par Henri Hubert, manifeste clairement
la distance prise avec le matérialisme historique : les objets techniques
(outils, armes, vêtements, habitations) qu’il s’agira d’étudier seront désor- 181
mais considérés comme des « produits de l’activité collective […] toujours
symptomatiques d’un état de civilisation déterminé12 ». Loin de détermi-
ner l’ensemble de la société, l’état des techniques n’est pour la sociolo-
gie durkheimienne qu’un symptôme, un marqueur perceptible de l’état de
développement matériel d’une civilisation.

La « technologie générale » d’Espinas


La question de savoir comment la technique et les autres sphères de la
vie sociale se conditionnent mutuellement n’entre pas comme telle dans
le programme de la sociologie durkheimienne. Mais elle n’est pas pour
autant laissée en pâture à la pensée marxiste, comme en témoigne, dès
1897, l’ouvrage d’Alfred Espinas, collègue de Durkheim à Bordeaux et l’un
des maîtres de Marcel Mauss, intitulé Les origines de la technologie : étude
sociologique. Agrégé de philosophie, traducteur d’Herbert Spencer avec le

10. Durkheim, 1897, p. 650.


11. Durkheim, 1968 (1912), p. 319-320.
12. Hubert, 1901-1902, p. 567-568.
Leopoldo Iribarren

psychologue Théodule Ribot, Espinas est connu à son époque pour être
l’auteur d’une thèse de doctorat remarquée, Des sociétés animales (1877),
qui développe le double postulat du primat du corps social sur l’individu et
du fait social comme fait biologique – tous les deux fort controversés par la
philosophie spiritualiste alors dominante en France13. Traduit en allemand
deux ans après sa parution en France, Des sociétés animales fournira par ail-
leurs à Nietzsche la notion d’organisme social, qui va alimenter sa réflexion
sur l’évolution des espèces et l’émergence de la conscience individuelle14.
Pour en revenir aux Origines de la technologie, si le sous-titre de l’ouvrage
l’inscrit de fait dans l’horizon d’une sociologie historique de la technique,
en l’occurrence centrée sur la Grèce ancienne, son ambition n’en est pas
moins philosophique. En effet, Espinas conçoit son projet comme une
« technologie générale » ou « praxéologie », c’est-à-dire comme une philo-
sophie de l’action portant sur l’ensemble des activités humaines qui abou-
tissent à des procédés opératoires15. Chez Espinas, la catégorie de l’action
technique recouvre indifféremment toute pratique réfléchie impliquant un
savoir-faire codifié, qu’elle soit d’ordre symbolique (religion, mantique,
esthétique), instrumental (les techniques proprement dites) ou éthique
182 (droit, politique). Dans ce vaste projet épistémologique, l’élargissement de
la notion commune de technique s’appuie sur la signification du mot grec
ancien technê. Dans la langue courante, ce terme recouvre un champ qui
va du savoir-faire dans un métier jusqu’à la ruse et la tromperie. Dans la
réflexion épistémologique, notamment chez Platon (Gorgias, 465a, 501a)
et Aristote (Métaphysique i), le terme désigne un mode de connaissance se
situant entre le savoir-faire empirique (empeiria) qui traite de l’individuel
et du contingent, et la science (epistêmê) des philosophes, qui vise l’uni-
versel et traite du nécessaire. Plus précisément, la connaissance technique
examine, chez Platon et chez Aristote, la nature et la cause de ce dont

13. Espinas est l’auteur d’une thèse de doctorat complémentaire sur la pensée politique de Platon,
soutenue à l’ENS en 1877 et intitulée De civitate apud platonem qua fiat una. Son étude sur les
sociétés animales constitue sa thèse principale, soutenue à la Faculté des lettres de Paris. Sur les
répercussions de cette thèse dans l’histoire de la philosophie et de la sociologie françaises, voir
Feuerhahn, 2011.
14. Un exemplaire abondamment annoté de la traduction allemande de Des sociétés animales, pu-
bliée en 1879, se trouvait dans la bibliothèque personnelle de Nietzsche. Ses réflexions sur l’ou-
vrage d’Espinas se trouvent consignées dans les écrits posthumes des années 1880-1884, cf. KSA 9,
11 [316] et KSA 10, 8 [9], p. 343. Voir à ce propos Moore, 2002.
15. Espinas, 1897, p. 7-10. Sur les sources philosophiques de la praxéologie d’Espinas, voir Os-
trowski, 1973.
La technologie : paradigmes grecs d’une science sociale française

elle traite et en rend raison, sans pour autant se rapporter aux premiers
principes de toute chose, qui sont l’apanage de la philosophie. C’est sur
la base de l’acception épistémologique de technê qu’Espinas construit son
projet de technologie générale. Pour l’auteur, seules échappent à la caté-
gorie de technique « les pratiques simples ou coutumes, qui s’établissent
spontanément, antérieurement à toute analyse », à savoir des pratiques
qui recoupent la notion d’habitus que Durkheim commence à mobiliser
dans ces année-là16. Pour le dire autrement, toutes les actions susceptibles
d’une forme ou une autre de rationalisation tombent selon Espinas sous
la catégorie de technique. Chacune « implique une technologie particu-
lière en sorte que l’ensemble de ces études partielles forme naturellement
la Technologie générale systématique17 ». Selon Espinas, une rationalité
transversale, de type technique et instrumental, semble parcourir ainsi
l’ensemble des sphères de l’activité humaine, permettant de les réunir dans
une grande synthèse historique.
Toute compréhension de l’action est ici subordonnée, en dernière analyse,
au schéma de la rationalité technique. Ce réductionnisme touche aussi
les savoirs théoriques et spéculatifs. Dans la mesure où la technique est le 183
stade de la connaissance réfléchie qui précède la théorie, on devrait pou-
voir établir, selon l’auteur, « quelles inventions nouvelles ont provoqué
chez les théoriciens les réflexions d’où sont sorties leurs doctrines18 ». Sans
doute à son insu, la technologie générale d’Espinas rejoint la grande thèse
du matérialisme historique selon laquelle le mode de production de la vie
matérielle domine le développement de la vie sociale, politique et intel-
lectuelle. C’est ainsi qu’en cherchant à synthétiser en une phrase toutes
les dimensions de la vie sociale en Grèce archaïque (du viie au ve siècle
av. J.-C.), Espinas affirme : « Tous les arts, depuis les plus simples jusqu’aux
plus complexes, ont donc à cette époque le même caractère et ce caractère
est déterminé, en vertu de la loi de corrélation de la croissance, par l’état
de la technique industrielle qui fournit le type selon lequel toute action
collective s’exerce19 ». L’idée de relier des systèmes sociaux à l’état des tech-
niques à un moment donné est ici posée comme une relation nécessaire.

16. Sur l’histoire de la notion d’habitus, voir Sapiro, 2021.


17. Espinas, 1897, p. 8.
18. Espinas, 1897, p. 11-12.
19. Espinas, 1897, p. 155.
Leopoldo Iribarren

L’ironie étant qu’Espinas, à l’instar de Durkheim, tenait à se démarquer


idéologiquement de Marx20.
Suivant un schéma évolutionniste, Espinas tente d’établir une rela-
tion de causalité terme à terme entre les pratiques artisanales (avec leurs
contraintes matérielles et sociales) et les théories de l’action élaborées en
Grèce ancienne, d’Homère à Aristote. Combinant indistinctement des
sources mythologiques, philosophiques et techniques – qui pourtant ne
partagent ni les mêmes visées, ni les mêmes présupposés théoriques –,
Espinas délimite deux grandes périodes historiques, caractérisées chacune
par un type de rapport spécifique entre technique et action collective : la
période « physico-théologique » et la période de « l’organon ».
Dans ce schéma historiographique, la période « physico-théologique », qui
s’étend du viiie au viie siècle av. J.-C., est caractérisée par l’emprise du sen-
timent religieux sur l’agir artisanal. Les techniques sont conçues comme
des dons divins et leur transmission est fondée exclusivement sur l’imita-
tion et la tradition. À cette période, où la conscience pratique de l’indi-
vidu dérive de la conscience pratique sociale, la nouveauté technique serait
184 rejetée comme une source potentielle d’impiété qui risque chaque fois de
mettre en danger la fixité des normes sociales et la cohésion du groupe21.
Cette conception des principes de l’action :
consiste au fond à rattacher la volonté individuelle, dans ce qu’elle a
“ d’ordonné et de permanent, à la volonté et à la sagesse du groupe ;
elle dérive la conscience pratique de l’individu de la conscience
pratique sociale. En suivant la tradition, en imitant ses ancêtres,
l’homme ainsi formé imite Dieu même et s’identifie avec les dessins
du daimôn, âme de la cité, ou de la divinité, quelle qu’elle soit22.
Il résulte de l’analyse d’Espinas que les techniques de la période archaïque
se développent sous le signe du religieux, que ce soit l’écriture, les éléments
de mesure, la monnaie, l’art militaire et la politique. Toutes les techniques

20.Engagé dans l’aile sociale du camp républicain, Espinas se défend pourtant des accusations
de « socialiste » que lui adresse Paul Janet. Dans un article intitulé « Les études sociologiques en
France » Espinas affirme : « Nous repoussons de toutes nos forces les tendances socialistes qu’on
nous a attribuées et qui aboutiraient à élever l’individualité sociale sur les ruines des individualités
partielles. » Espinas, 1882, p. 345. Voir à ce propos les analyses d’Ostrowski, 1973, p. 241-242 ;
Feuerhahn, 2011.
21.Espinas, 1897, p. 34-39, 73-74.
22.Espinas, 1897, p. 34.
La technologie : paradigmes grecs d’une science sociale française

de cette époque auraient les mêmes caractères : traditionnelles, imperson-


nelles, locales. Pourtant, les données textuelles à la disposition d’Espinas
sont plus complexes que ce que son analyse ne le laisse croire. Ainsi, pour
ce qui est de la question de l’origine divine des techniques et du refus de
l’invention, il n’existait pas en Grèce ancienne un consensus. Certes, le
mythe de Prométhée, qu’Espinas passe en revue dans ses différentes ver-
sions (Hésiode, Eschyle, Protagoras), rend compte de l’origine divine des
techniques, mais chaque version vise un aspect différent de la technique
dans son rapport au monde social, ce qu’Espinas tend à sous-estimer au
profit d’une lecture unifiée. Chez Hésiode, le mythe de Prométhée est
employé une première fois, dans la Théogonie, pour rendre compte de la
coupure ontologique qui sépare les dieux et les mortels ; puis une seconde
fois, dans Les Travaux et les Jours, pour expliquer le lien entre subsistance
et travail imposé par Zeus aux mortels comme conséquence du vol du feu
par Prométhée. Dans les deux versions hésiodiques, le don de Prométhée
aux mortels se limite au feu, comme l’élément indispensable à l’autono-
mie et à l’émancipation des hommes. Bien que dépendantes réflexive-
ment des poèmes d’Hésiode, les versions tragique (Eschyle) et sophistique
(Protagoras) du mythe de Prométhée opèrent une réorientation radicale 185
de sa visée anthropologique, en ce sens que chacune déploie un catalogue
de dons visant un type spécifique de rationalité. Chez Eschyle, la liste des
dons de Prométhée rassemble des activités obéissant à des règles techniques
qui s’appuient sur un savoir empirique : la construction d’habitations, la
menuiserie, la prédiction météorologique, l’arithmétique, l’écriture (défi-
nie comme mnémotechnique, plutôt que comme pratique symbolique),
la domestication des bêtes, la navigation, la médecine, la divination, l’ex-
traction minière et la métallurgie (Eschyle, Prométhée enchaîné, v. 436-
506). La rationalité qui sous-tend les activités mentionnées dans ce cata-
logue est celle qui correspond à l’accroissement des forces productives et à
l’extension du pouvoir à disposer techniquement des choses. Contrastant
avec la rationalité technique, la version du mythe proposée par le sophiste
Protagoras met l’accent sur l’interaction sociale entre les humains. Ainsi,
dans cette autre version du mythe, les dons de Prométhée consistent en la
construction d’autels et d’images divines, le langage articulé, l’habillement,
l’art politique, le respect et la justice (Platon, Protagoras, 320d-322d). Ces
pratiques symboliques instaurent les normes et les valeurs qui définissent
les comportements réciproques dans une organisation sociale complexe.
Leopoldo Iribarren

L’opposition est marquée, chacune des listes de dons prométhéens pointe


clairement vers un mode de rationalité spécifique répondant à une logique
propre – dans l’un prédomine la technique, dans l’autre, la politique. Cette
distinction tranchante des deux modes de rationalité constitue la première
thématisation de la discontinuité fondamentale qui sépare ces deux cadres
de référence en Grèce ancienne qu’Espinas tient à gommer au profit de la
technique comme catégorie unique de l’action.
Quant à l’autre trait définitoire de la technologie archaïque, selon Espinas,
celui qui concerne la sujétion de la conscience pratique de l’individu à
celle de la société, il est, lui aussi, difficilement compatible avec les données
historiques que l’auteur connaissait. Il suffit de penser au poème didac-
tique le plus connu de l’Antiquité, qui est aussi le premier traité d’agricul-
ture et d’économie domestique de la culture occidentale, Les Travaux et les
Jours d’Hésiode, datant du viie siècle23. Dans ce poème, Hésiode chante la
bonne Lutte, une divinité qui incite au travail individuel et à l’enrichisse-
ment personnel, par opposition à la mauvaise Lutte, qui incite à la guerre :
Elle [la bonne Lutte] éveille au travail jusqu’à l’homme indolent,
186
“ Car chacun sent le besoin de travailler lorsqu’il en voit un autre,
Un riche, qui s’applique à labourer et planter
Et à faire prospérer son domaine ; et le voisin jalouse son voisin
Qui s’applique à s’enrichir. Cette Lutte-là est bonne pour les
mortels.
Le potier a de l’animosité (kotos) pour le potier, le charpentier pour
le charpentier,
Le mendiant a de l’envie (phtonos) envers le mendiant, le poète
envers le poète.
(v. 20-26, traduction li)
On conviendra que ces vers programmatiques s’accordent mal avec l’idée
d’une société où la solidarité du groupe ou de la corporation serait une
valeur indépassable, même si, dans l’analyse d’Espinas, la société archaïque
peut ménager une place pour « l’homme qui devient, du moins dans une
certaine mesure et sous condition […] l’artisan de sa destinée24 ».

23. Espinas consacre relativement peu de place à l’analyse de ce traité technique. Espinas, 1897,
p. 20-24.
24. Espinas, 1897, p. 23.
La technologie : paradigmes grecs d’une science sociale française

La période « physico-théologique » est suivie, dans le schéma historiogra-


phique d’Espinas, par celle de « l’organon », qui s’étend du viie au ve siècle
av. J.-C. Elle est caractérisée par la différenciation croissante des métiers et
la sécularisation des pratiques. L’accroissement dans la division sociale du
travail, que l’on voit apparaître à cette époque en Grèce, serait le corrélat,
dans la sphère technique, de la substitution des oligarchies par des tyran-
nies. En vertu d’une certaine solidarité transversale des mutations sociales,
l’instauration des nouveaux régimes politiques coïnciderait avec la légiti-
mation, dans les différentes corporations d’artisans, des procédés qui ont
pour seul principe l’utilité25. On remarquera que le fil conducteur qui relie
les deux périodes de la praxéologie historique est celui du processus de
sécularisation de l’ensemble des conduites sociales en Grèce entre le viiie et
le ive siècle av. J.-C.
Sans entrer dans le détail de cette périodisation, discutable tant par ses
catégories opératoires que par l’utilisation qu’y est faite des sources, on
perçoit dans le schéma historiographique d’Espinas un écho de la théorie
durkheimienne de la solidarité exposée dans De la division du travail social,
publiée quatre ans auparavant. Rappelons que pour Durkheim, la solida- 187
rité « mécanique » est une solidarité par similitude, au sens où les membres
d’une collectivité se ressemblent parce qu’ils adhèrent aux mêmes valeurs
et reconnaissent le même sacré, à l’instar de ce qu’Espinas décrit pour la
période « physico-théologique » de la technique grecque. Cette solidarité
est à l’œuvre dans des sociétés formées par des « segments » relativement
autonomes composés d’individus étroitement intégrés, telles les corpora-
tions d’artisans. Dans ce type de société, la division du travail relève de
la force de la tradition plutôt que des considérations économiques. En
revanche, lorsque s’opère le passage vers la solidarité « organique », comme
c’est le cas dans les sociétés qui pratiquent une division économique du tra-
vail, Durkheim observe une réduction de la sphère de la conscience collec-
tive corrélative à une différenciation accrue des métiers. La division du tra-
vail qui caractérise ces sociétés est l’expression d’une différenciation sociale
plus profonde où la cohésion qui tient ensemble le groupe est fondée sur
la recherche du consensus plutôt que sur la similitude des individus quant
aux valeurs partagées. À lire les passages qu’Espinas consacre à la relativisa-
tion des valeurs, à la sécularisation de la loi et à la diversification des métiers

25. Espinas, 1897, p. 75-156.


Leopoldo Iribarren

qui caractériseraient la période de « l’organon » en Grèce ancienne26, il est


difficile de ne pas retrouver les traits distinctifs des sociétés que Durkheim
croit fondées sur la solidarité organique. D’un côté, le schéma historiogra-
phique d’Espinas, d’une période à l’autre, laisse entrevoir, en arrière-plan,
les catégories de la sociologie durkheimienne du travail. De l’autre, bien
que conçu à l’écart des thèses du matérialisme historique, le projet d’Espi-
nas n’aboutit pas moins à une forme de déterminisme. S’il est indéniable
qu’on peut relier des systèmes sociaux et des doctrines philosophiques à
l’état des techniques à un moment donné, cette relation n’est ni toujours
nécessaire, ni surtout terme à terme.
La technologie générale d’Espinas est donc une tentative de concilier deux
monismes philosophiques : d’une part, le matérialisme historique (non
avoué), qui prétend faire dériver le monde social de l’état des techniques,
et, de l’autre, la sociologie durkheimienne, qui érige le religieux en phé-
nomène dont dépendent toutes les formes de solidarité sociale. Or on ne
peut pas soutenir en même temps que l’état de la technique à un moment
donné détermine l’organisation de la société, et que des formes d’orga-
188 nisation et de solidarité sociale, qui dépendent en dernière instance d’un
sentiment religieux, structurent l’histoire d’une civilisation. Toujours est-il
que cette impasse théorique a eu le grand mérite de rendre visible un angle
mort des sciences sociales françaises au tournant du xxe siècle, à savoir
l’analyse des diverses fonctions que revêt l’agir technique dans la création
d’ensemble que représente chaque système social. Bien que mineure, la
technologie devient, à partir de l’étude d’Espinas, une branche des sciences
sociales françaises, comme en témoigne la diversité d’approches dont elle
fait l’objet par la suite27.

Le travail comme « fonction


psychologique » chez Vernant
Une cinquantaine d’années après la publication des Origines de la techno-
logie, la Grèce ancienne redevient, chez Jean-Pierre Vernant, le paradigme
26. Espinas, 1897, p. 89, 145-154.
27. Ce sera notamment le cas pour l’anthropologie sociale de Marcel Mauss (voir Schlanger, 2012) ;
pour l’historiographie des Annales, dont le numéro 36 (1935) est consacré à l’histoire des tech-
niques ; et pour l’ethnographie d’André Leroi-Gourhan dans L’homme et la matière (1943) et Milieu
et technique (1945).
La technologie : paradigmes grecs d’une science sociale française

d’une approche totalisante de la pensée de la technique, recouvrant notam-


ment ses dimensions socio-économique, psychologique, philosophique et
religieuse. L’approche de Vernant se situe à l’intersection de deux hori-
zons théoriques qui sont les références majeures de son œuvre : d’un côté
la psychologie historique d’Ignace Meyerson, de l’autre le matérialisme
historique de Marx. Avant d’exposer la méthodologie de Vernant et son
évolution, il n’est pas inutile de dire un mot sur Meyerson, un penseur
relativement méconnu dont Vernant n’a jamais cessé de se revendiquer.
La psychologie historique de Meyerson apparaît dans la première moitié du
xxe siècle, au même moment où l’anthropologie, la sociologie et l’histoire
se disputent la prééminence comme science de « l’homme total ». Dans
la surenchère à la « totalité » qui caractérise l’épistémologie des sciences
sociales françaises à cette époque-là, la psychologie historique ne se donne
pour objet d’enquête rien de moins que l’ensemble de ce que l’homme a
créé et produit dans tous les domaines au long de son histoire (outils et
techniques, langues, religions, institutions sociales, systèmes de sciences
et séries des arts)28. La tâche consiste à répertorier, dans leur déploiement
historique, les « fonctions psychologiques » qui déterminent les conduites 189
humaines et leurs objectivations possibles. De ce point de vue, l’agir tech-
nique est un objet d’étude privilégié par la discipline fondée par Meyerson :
Nous sommes amenés à considérer l’homme total et à envisager
“ le travail non seulement comme une technique, mais comme
une conduite […] : il est à la fois une activité forcée, une activité
créatrice d’objets et de valeurs ayant une utilité dans un groupe,
une conduite dont le motif peut être personnel, mais dont l’effet
concerne les autres hommes […]. Il n’y a pas eu une morale et une
psychologie du travail, mais une histoire où chaque moment a eu sa
propre complexité psychologique29.

28. Sur la constitution des sciences sociales en France, voir Karsenti, 1997 ; sur la psychologie his-
torique en particulier, voir Fruteau de Laclos, 2007.
29. Meyerson, 1948, p. 16. Ce texte figure dans un recueil composé de communications présentées
le 23 juin 1941 à la Journée de psychologie et d’histoire du travail et des techniques organisée par
la Société d’études psychologiques de Toulouse. La Société s’assigne un but comparatiste : « essayer
de saisir la plénitude des conduites, spécialement des actes, des tâches et des œuvres complexes de
l’homme, et par là comprendre l’homme total ». Ibid., p. 7. Parmi les contributeurs figurent Marcel
Mauss, Lucien Febvre, Marc Bloch et Georges Friedmann. Ce recueil a été récemment l’objet d’une
édition scientifique accompagnée d’une remarquable étude de contextualisation historique réalisée
par Isabelle Gouarné, 2019.
Leopoldo Iribarren

On constate dans ce texte le basculement de la catégorie de « technique »,


prédominante dans l’historiographie et dans l’anthropologie, vers celle,
transhistorique, de « travail », qui correspond davantage à la pensée
marxiste avec son idée de « travail abstrait » – une catégorie qui n’existe pas
comme telle dans les sociétés préindustrielles, caractérisées par l’attache-
ment traditionnel à un savoir-faire tout à fait déterminé que l’on assimile
à la notion de technique30. La substitution de la catégorie de technique
par celle de travail trahit donc une certaine orientation idéologique latente
dans la discipline créée par Meyerson. Cette orientation devient explicite
chez Vernant qui, au début des années cinquante, conçoit la psychologie
historique à la fois « comme un nouvel outil d’enquête objective dans le
champ des sciences de l’homme et comme une conception générale, une
philosophie de l’histoire éclairant et justifiant l’effort d’édification d’une
société socialiste de construction d’un homme nouveau31 ». En d’autres
termes, la nouvelle discipline permet à Vernant de répondre à la néces-
sité d’une approche psychologique de la catégorie de travail dans l’hori-
zon d’une historiographie marxiste. Pour accomplir ce programme, il se
donne simultanément deux terrains empiriques : le monde grec ancien
190 et le monde socialiste contemporain, comme pour mieux exemplifier une
téléologie historique déterminée par la lutte des classes. Si le premier de
ces terrains a donné lieu à des études devenues aujourd’hui classiques,
le second a été l’objet d’une série de travaux à fort contenu idéologique,
aujourd’hui méconnus, où des réalités soviétiques telles que le stakhano-
visme ou le Plan sont présentées comme l’accomplissement historique de
la « fonction psychologique » du travail32.
Pour ce qui est des premières analyses que Vernant consacre à la technique
et au travail en Grèce ancienne, notamment dans « Prométhée et la fonc-
tion technique » (1952), la structure mentale de l’homme apparaît comme
l’expression corrélative d’une infrastructure matérielle contraignante. Le
cas d’étude est fourni par le mythe de Prométhée, qui avait déjà servi à
Espinas dans sa démonstration de l’impact de la technique sur des pra-
tiques symboliques. Vernant, quant à lui, s’intéresse à la manière dont la
« fonction technique » et plus généralement une « idéologie du travail »
prennent forme dans la « mentalité » grecque archaïque. Il est intéressant

30. Voir à ce propos D’Ercole, 2018.


31. Vernant, 1995, p. ix.
32. Vernant, 1950, 1951.
La technologie : paradigmes grecs d’une science sociale française

de constater que le postulat méthodologique qui guide cette étude est le


même que Vernant explicite une année auparavant dans un article intitulé
« L’homme et le travail en société socialiste », publié dans La nouvelle cri-
tique (liée au PCF) : « Nous avons constamment associé dans notre étude
l’idéologie du travail, les notions morales sur le travail avec la fonction psy-
chologique elle-même. En même temps nous les avons rapportés les unes
et les autres à la réalité sociale. C’est que réalités sociales, idéologiques,
notions morales, fonctions psychologiques sont solidaires33. » Appliqué au
mythe de Prométhée, ce postulat méthodologique lui permet d’arriver à la
conclusion suivante :
Le décalage a souvent été noté entre le niveau technique et
“ l’appréciation du travail dans la Grèce ancienne : malgré la place
déjà prise dans la vie des hommes, et en dépit des transformations
mentales importantes qu’elles paraissent leur avoir apportées,
l’activité technique et le travail n’ont que très difficilement accès à
la valeur morale. Il faut ajouter qu’ils ne sont pas non plus encore
dégagés comme fonction psychologique, ils n’ont pas cette forme
dense de conduite humaine organique que nous leur connaissons 191
aujourd’hui34.
Il n’est pas difficile de constater dans cette conclusion que l’« anachro-
nisme » méthodologique pratiqué à cette époque par Vernant pâtissait
d’une identification à sens unique : il s’agissait de poser aux textes grecs
des questions du présent sans pour autant s’autoriser à revenir vers le
présent lesté des problèmes anciens qui auraient pu, sinon modifier, du
moins problématiser la méthode35.
Pour traiter la question de la sécularisation et de la rationalisation à l’œuvre
dans la pensée technique ancienne, qui restera un thème majeur de ses
recherches tout au long de sa vie, Vernant se donne un cadre théorique
qui relève à la fois de la sociologie de Durkheim (lien social, « densité »
morale) et de celle de Weber (pour le concept de rationalisation)36. En
l’occurrence, Vernant cherche à comprendre le passage historique d’une
pensée « mythique » de la technique, dominante à l’époque archaïque,

33. Vernant, 1951, p. 59.


34. Vernant, 1996 (1952), p. 273.
35. Sur la « bonne » pratique de l’anachronisme en histoire, qui implique justement un aller-retour
pour procéder aux distinctions nécessaires, je renvoie à Loraux, 1993.
36. Le recours à Weber reste inavoué chez Vernant. Voir à ce propos Yu, 2015.
Leopoldo Iribarren

à son expression rationnelle et positive, dominante à l’époque classique.


La technique est pour Vernant un des exemples éminents – l’autre étant
l’émergence de la philosophie comme pratique intellectuelle autonome –
d’un processus de sécularisation et de naturalisation commandé par les
dynamiques internes de la cité : un processus qu’il résume dans une phrase
devenue célèbre : « la pensée rationnelle est fille de la cité37 ». Mais alors
que la philosophie, dans son processus de différenciation d’avec le mythe,
reste dépendante des représentations de la religion et du droit, la rationa-
lisation de l’agir artisanal répondrait, selon Vernant, à une exigence pure-
ment économique, entraînant l’appauvrissement de la pensée technique et
du prestige social de l’artisan. C’est la thèse qui sous-tend les deux textes de
Vernant, « Travail et nature dans la Grèce ancienne » et « Aspects psycholo-
giques du travail dans la Grèce ancienne », publiés respectivement en 1955
et 1956. Vernant distingue, entre la période archaïque (exemplifiée par Les
travaux et les jours d’Hésiode) et l’époque classique (Aristote est sa source
principale), deux mentalités différentes, correspondant à des activités et
à des valeurs divergentes. D’un côté, le travail de la terre (ergazesthai),
encadré par la vie paysanne, en lien direct avec la pratique religieuse, et de
192 l’autre côté, la pratique artisanale qui serait le reflet d’une pensée positive :
[Le travail agricole et le métier d’artisan] se rapportent à deux plans
“ d’expérience qui dans une large mesure s’excluent. L’activité de
l’artisan appartient à un domaine où s’exerce en Grèce une pensée
déjà positive. L’agriculture reste au contraire intégrée à un système
de représentation religieux. L’aspect technique et instrumental du
travail ne peut y apparaître : entre l’effort humain et son résultat, la
distance, temporelle et technique, est trop grande38.
Une telle opposition, qui recoupe en grande partie la périodisation d’Es-
pinas déjà analysée, se heurte, dans la pratique, au contenu du premier
manuel d’agriculture qui soit parvenu jusqu’à nous, Les travaux et les jours
d’Hésiode où l’activité agricole, certes liée à des pratiques rituelles occa-
sionnelles, ne fait pas moins partie d’une économie domestique rationnelle
et d’un projet économique d’enrichissement du petit propriétaire paysan
obéissant à des règles techniques, comme nous l’avons déjà évoqué.

37. Vernant, 1996 (1957), p. 402.


38. Vernant, 1996 (1955), p. 281.
La technologie : paradigmes grecs d’une science sociale française

Outre l’opposition mythe/pensée positive, Vernant mobilise l’opposition


vie rurale/vie urbaine pour mieux structurer un changement de mentalité
vis-à-vis de la technique :
C’est en fonction du fait urbain de la division du travail que
“ se définit, dans une double direction, une notion positive de la
technê : activité spécialisée, contribuant avec d’autres à l’équilibre
du corps social ; ensemble de règles permettant de réussir dans
divers domaines de l’action. […] Autant on sentait, dans les
attitudes psychologiques engagées dans l’agriculture, une continuité
depuis les temps archaïques, autant, pour le travail des artisans, se
marque la rupture de la cité avec un passé légendaire39.
Vernant place l’artisanat à l’époque classique dans une lumière toute
rationnelle, soulignant sa dimension économique et politique. Comme
nous l’avons signalé plus haut, il identifie dans la technique l’un des grands
vecteurs de rationalisation (l’autre étant la pensée philosophique) qui lui
permettent, à partir du ve siècle, de postuler une discontinuité historique
entre une époque sémantiquement déterminée par son contenu religieux
et une cité dont la religion civile n’est pas sans rappeler une certaine idéolo- 193
gie républicaine. Pour Vernant, qu’il s’agisse d’institutions politiques, éco-
nomiques, juridiques ou de pratiques artisanales, c’est un même processus
d’abstraction et de démocratisation qui se déploie. À considérer l’ensemble
des secteurs constitutifs de l’activité humaine, on est frappé par la solidarité
transversale des mutations, qui, pense Vernant, peuvent dès lors être consi-
dérées comme autant de manifestations d’une même rationalité politique.
Mais l’analyse de Vernant ne se contente pas de postuler la solidarité et la
teneur politique des diverses manifestations de la rationalité grecque. À
l’instar d’Espinas, il cherche une correspondance terme à terme entre la
pratique artisanale et les théories de l’action, selon le principe du matéria-
lisme historique qui veut une correspondance entre l’infrastructure tech-
nique et économique d’une société et ses manifestations dans le système
des institutions, dans les pratiques symboliques et les idéologies. Ainsi,
partant de la Métaphysique d’Aristote et de son point de vue téléologique
sur le devenir des choses naturelles et humaines, l’artisan et son art existent
« en vue » du produit, et le produit « en vue » du besoin (la cause finale).
Pour l’Aristote de Vernant, lu à travers le prisme de Marx, il ne peut en être
39. Idem, 1996 (1955), p. 284.
Leopoldo Iribarren

autrement tant que le produit du travail est considéré, comme c’est le cas
dans le monde antique, exclusivement sous son aspect de valeur d’usage et
non de valeur d’échange40. En tant que valeur d’usage, le produit se définit
par les services qu’il rend à celui qui s’en sert. Dans cette perspective, c’est
seulement en tant que valeur d’échange qu’il peut être envisagé indépen-
damment de son utilité concrète, par rapport au travail qu’il a demandé.
Transposé du plan de l’économie sur celui de la réflexion philosophique,
ce système de rapports entre l’artisan, son activité, le produit et l’usager,
trouve son expression dans une théorie générale de l’activité démiurgique.
Dans toute production démiurgique, l’artisan est cause motrice. Il opère
sur un matériau (cause matérielle) pour lui donner une forme (cause for-
melle) qui est celle de l’ouvrage achevé. Cette forme constitue en même
temps la fin de toute opération (cause finale). C’est elle qui commande
l’ensemble de l’activité démiurgique dans la Métaphysique d’Aristote. La
véritable causalité du processus opératoire réside non pas dans l’artisan,
mais hors de lui, dans le produit fabriqué. L’essence du produit fabriqué
est elle-même indépendante de l’artisan, de ses procédés de fabrication, de
son habilité ou de ses innovations techniques. Modèle immuable et inen-
194 gendré, l’essence de l’artefact se définit en termes de finalité par rapport au
besoin qu’elle doit satisfaire chez l’usager :
En s’aliénant dans la forme concrète du produit, dans sa valeur
“ d’usage, le travail de l’artisan se manifeste comme service d’autrui,
esclavage […]. Dans ce système social et mental, l’homme “agit”
quand il utilise les choses, non quand il les fabrique. L’idéal de
l’homme libre, de l’homme actif, est d’être universellement usager,
jamais producteur41.
On reconnaît dans ce passage l’opposition aristotélicienne poiêsis/praxis
dans une transposition idéologique qui tend à ignorer que le schème des
techniques, tel que mobilisé par les philosophes grecs, notamment par
Platon et par Aristote, ne correspond pas totalement à la réalité sociale.
La technique déploie dans les discours des philosophes une puissance
réflexive qui fait d’elle le schème analogique par excellence dans la des-
cription de toute action téléologique, qu’elle soit naturelle ou artificielle42.

40. Voir à ce propos les analyses de Hoffmann, 2003.


41. Vernant, 1996 (1956), p. 301.
42. Voir à ce sujet Iribarren, 2018.
La technologie : paradigmes grecs d’une science sociale française

Vernant s’attache à montrer comment la philosophie impacte les pratiques


artisanales et groupes sociaux qui en sont les porteurs, mais il néglige la
question de savoir comment les pratiques artisanales impactent la pensée
philosophique.
Dans les travaux que Vernant consacre à la pensée de la technique en Grèce
ancienne, subsiste donc une tension non résolue entre, d’une part, l’ou-
verture que la notion d’infrastructure matérielle permet, avec ses possi-
bilités réflexives sur les diverses pratiques sociales et symboliques qu’il ne
cesse lui-même de signaler, et, d’autre part, la théorie de la valeur, qui,
dans l’application massive qui y est faite, ne perçoit que l’aspect concret et
quantifiable du travail en Grèce ancienne, rétrécissant considérablement
la portée de la technique comme schème de pensée. Il est significatif que
cette réduction de la technique à une fonction économique soit réévaluée
vingt ans plus tard dans l’étude co-écrite avec Marcel Detienne43 consacrée
à l’intelligence rusée, la mêtis, ce refoulé de la technique rationnelle qui,
en échappant aux méthodes et aux concepts, crée de fait un lien avec la
« pensée mythique » et devient par-là même une compensation à l’aliéna-
tion de l’agir artisanal. Chez Vernant, le champ de la pensée technique en 195
Grèce ancienne, tel qu’il l’a lui-même configuré, a suivi l’itinéraire de ses
propres « intérêts de la connaissance » qui, pour le dire très brièvement,
vont de l’étude des conditions de formation de la pensée positive vers celui
des limites de la raison grecque face à la force versatile du mythe.
En dépit d’un certain déterminisme imposé par les cadres théoriques de
Durkheim et de Marx, les travaux d’Espinas et de Vernant ont fortement
contribué à dessiner le champ de la technologie historique dans les sciences
sociales françaises. À partir d’un terrain empirique précis, en confrontant
sources littéraires et philosophiques, ils ont entamé la reconstruction de
l’un des aspects de la pensée de la technique en Grèce ancienne. Car, à
la lecture d’Espinas et de Vernant, il est difficile de résister au sentiment
que la pensée de la technique qu’ils considèrent est avant tout celle des
grands auteurs : Hésiode, Eschyle, les Sophistes, Platon, Aristote, qui, sans
dire ce qu’il en est de la technique elle-même, nous disent comment ils la
théorisent et la métaphorisent selon des points de vue sociaux et discursifs
définis. Reste que la pensée de la technique est aussi celle des techniciens

43. Detienne et Vernant, 1974.


Leopoldo Iribarren

eux-mêmes – là où selon Mauss « s’élabore la véritable raison pratique44 »


– qui, bien que recouverte par la positivité de ses propres réalisations, nous
a laissé des témoignages sous la forme de traités (agriculture, architecture,
médecine, mécanique, génie militaire, rhétorique), de représentations
visuelles et d’inscriptions rendant compte des pratiques et de la construc-
tion sociale du technicien. Dès nos jours, poursuivre le chemin ouvert par
Espinas et Vernant demande d’intégrer cette autre pensée de la technique,
certes moins riche en témoignages que celle des grands auteurs, tout en
convoquant des disciplines comme la philologie, l’archéologie, l’anthro-
pologie des techniques, l’histoire des sciences et techniques, et l’histoire
économique des mondes anciens. À l’heure où les sciences sociales théo-
risent les différents processus empiriques au moyen desquels la technique
et les autres sphères d’activité se construisent conjointement, une reprise
novatrice de ce chantier est plus que jamais nécessaire.

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L’auteur
Leopoldo Iribarren est philologue et philosophe, maître de conférences à l’EHESS
(Centre Anhima). Il est l’auteur de plusieurs articles sur l’histoire de la pensée
grecque ancienne et d’un livre intitulé Fabriquer le monde : technique et cosmo-
gonie dans la poésie grecque archaïque (Classiques Garnier, Paris, 2018). Il rédige
actuellement un ouvrage sur la technique et langage comme modes d’objectiva-
tion du monde dans la philosophie moderne et contemporaine.
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