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Agncullore - Juneral

REESE LIBRARY
AGRIC.
LIBRARY OF THE

UNIVERSITY OF CALIFORNIA .

Received 1890
July

Accessions No. 41426 Shelf No.


MÉTÉOROLOGIE

ET

PHYSIQUE

AGRICOLES .
Typographie Firmin-Didot. - Mesnil (Eure ).
MÉTÉOROLOGIE

ET

PHYSIQUE

AGRICOLES ,

PAR

Hippolyte MARIE - DAVY ,


DIRECTEUR DE L'OBSERVATOIRE DE MONTSOURIS.

DEUXIÈME ÉDITION.

REESE LIS RY
OF THE
UNIVERSITY
CALIFORNIA.

PARIS ,

LIBRAIRIE AGRICOLE DE LA MAISON RUSTIQUE ,


26 , RUE JACOB , 26.
1880 .
Tous droits réservés.
3600

M3
AGRIC.
LIBRARY

41426
INTRODUCTION .

L'agriculture entre de plus en plus dans les voies


de la science , et le bénéfice qu'elle en retire est de
nature à accélérer le mouvement si bien commencé.

Le temps n'est pas éloigné sans doute où on com-


prendra qu'un grand pays comme la France ne peut
pas fonder son développement intellectuel sur l'en-
seignement primaire des écoles communales et l'en-
seignement littéraire des lycées, sans rien pour com-
bler l'intervalle qui les sépare. Une nation est comme
une armée ; il lui faut un état-major ayant reçu une
instruction large et solide ; il lui faut de nombreux
soldats ; mais il lui faut aussi des sous-officiers sé-
rieusement préparés à leurs fonctions . Les lycées
peuvent et doivent fournir l'état- major ; les écoles
communales devraient préparer les soldats ; mais où
peuvent se recruter les sous-officiers qui sont la so-
lidité d'une armée?
Sous la pression des exigences multiples des so-
a
VI INTRODUCTION.

ciétés modernes, on a surchargé l'enseignement des


lycées destinés à dresser sur un même plan tous les
Français pour toutes les carrières. On y a scindé
les études ; on a manié et remanié les programmes ,
et on s'est aperçu finalement qu'on abâtardissait
l'enseignement classique qui doit rester fortement
constitué , et qu'on ne donnait qu'une insuffisante sa-
tisfaction aux nécessités de l'agriculture, du com-
merce et de l'industrie.

L'enseignement primaire, lui-même , ne répond


que d'une manière incomplète à son objet , car il
est plus en rapport avec les besoins des villes qu'avec
ceux des campagnes . De tous côtés , cependant , la
bonne volonté est grande ; mais les instituteurs ne
peuvent enseigner que ce qu'on leur a appris, et l'en-
seignement des notions scientifiques applicables aux
champs est limité à des écoles spéciales trop peu
nombreuses pour être à la portée des maîtres des
écoles normales .
C'est aux colléges d'arrondissement qu'il appar-
tiendrait de former le lien entre les deux ordres ex-
trêmes de nos écoles publiques . Ils ont préféré se
faire les pâles copies des lycées. Ils sont désertés par
les fils des cultivateurs qu'ils détournent de la vie
des champs ; et aux enfants peu aisés des villes , ils
donnent l'apparence d'une éducation dite libérale, im-
propre à leur fournir aucune des qualités qui en
feraient les hommes de leur situation. Ces colléges
sont des pépinières de déclassés , aussi inutiles à
INTRODUCTION. VII

eux-mêmes qu'au pays quand ils n'ont pas assez de


ressort pour refaire à neuf une éducation dévoyée .
Il est d'un intérêt public et pressant de remédier à
une situation qui depuis près d'un siècle a fait tant
de mal à la France.
Dans les grandes villes , et particulièrement à Pa-
ris , les colléges Chaptal ou Turgot , consacrés au vẻ-
ritable enseignement secondaire , intermédiaire entre
l'enseignement primaire et l'enseignement classique ,
se multiplient, et le lendemain du jour où ils sont
ouverts , leurs murs sont trop étroits pour le nombre
de leurs élèves . Une pareille prospérité naîtrait pour
les colléges , s'ils savaient se plier au besoin du
temps et retourner à leurs vieilles traditions .
En ce moment, il est vrai , les professeurs leur
feraient souvent défaut pour . les applications de la
science à la pratique agricole . Il faut donc encore
monter plus haut et s'efforcer de constituer l'ensei-
gnement supérieur de l'agriculture. Lorsque cet en-
seignement aura porté ses fruits , que le collége de
chacun de nos arrondissements agricoles aura son
professeur de physique et de chimie , et son labora-
toire d'essai , l'agriculture française ainsi que le com-
merce et l'industrie seront promptement et solide-
ment assis sur les larges bases de la science qui ,
elle-même , en recevra une forte impulsion .
En attendant cette transformation, inévitable parce
que elle est nécessaire , il est du devoir des hommes
de science, voués au progrès agricole de leur pays,
VIII INTRODUCTION.

d'aider au mouvement en propageant les notions.


utiles . Tel est l'objet de ce livre.
Pour en faciliter la lecture , nous en avons écarté
les notions abstraites et les chiffres qui ne nous ont
pas paru indispensables. Nous avons au contraire
insisté sur tous les points pouvant être d'une utilité
réelle aux agriculteurs .
La science dont nous exposons les éléments est
encore loin d'être définitivement constituée . Nous

avons indiqué les désidérata qu'elle présente et les


principales recherches qu'elle exige. Parmi ces dési-
dérata se placent en première ligne le rôle de l'eau
et celui de la lumière dans la végétation .
Pour cultiver avec économie et profit , il ne suffit
pas de connaître sa terre et son climat ; il faut en-
core savoir de quelle façon la plante que l'on cul-
tive met à profit tous les éléments mis à sa portée
et la quantité qu'elle en exige.
La pratique agricole nous a sans doute enseigné
que l'eau est indispensable à la végétation ; mais on
ignorait pour le blé , on ignore encore pour la plu-
part des espèces végétales cultivées ce qui est con-
sommé d'eau par kilogramme de récolte obtenue.
Pour un même champ , l'eau consommée est en rap-
port exact avec le poids du produit qu'il fournit , en
sorte que si l'eau manque le produit est diminué
dans la même proportion ; et comme on ne dispose
pas des pluies à son gré , il importe d'aménager sa
terre, de l'approfondir par le labour de manière à
INTRODUCTION. IX

accroître sa réserve en eau pour les temps de séche-


resse. Il importe aussi de travailler à restituer
aux terres l'eau qui se rend à la mer sans profit
pour nous , alors qu'on en pourrait tirer de si riches
produits. Il existe, en outre , un moyen d'obtenir un
plus grand produit d'une même somme d'eau dis-
ponible et d'élever la limite du rendement d'une
terre, c'est d'augmenter la richesse de cette eau en
matières assimilables dissoute par elle . C'est , en
somme le mécanisme de l'action des fumures dans

l'accroissement des produits du sol qui est ainsi scruté


dans ses détails , afin d'arriver à l'emploi le plus
profitable de ces fumures .
L'eau et les substances assimilables qu'elle four-
nit à la plante , celle que cette dernière puise direc-
tement dans l'air , ne sont que les matériaux mis en
œuvre. Chaque graine a en elle- même un pouvoir
d'organisation qui lui est spécial et qu'elle transmet
à l'individu né d'elle ; mais elle n'a pas en elle la
somme de travail que la plante arrivée à son entier
développement doit avoir accumulé dans ses tissus .
Cette somme de travail lui est fournie par les rayons
solaires sans lesquels sa force vitale resterait sans
emploi. Les progrès de la végétation sont donc di-
rectement liés aux radiations solaires comme ils le
sont à l'apport des matériaux assimilables que la
force vitale de la plante organise en y appliquant la
force vive des rayons du jour.
Quelle est la somme de ces derniers nécessaire à
X INTRODUCTION.

la formation d'un grain de blé ? A quelle phase de


sa végétation lui sont-ils le plus profitables ? Ces
questions résolues , il nous suffira d'évaluer par les
procédés les plus simples la somme de lumière quo-
tidiennement versée sur un champ pour apprécier
les progrès des céréales qu'il nourrit et pour en dé-
duire ce qui leur reste à acquérir avant d'arriver à
maturité. Tout accroissement dans le degré d'éclai-
rement du ciel ou dans la durée de cet éclaire-
ment , surtout avant la floraison , constitue une avance
de la végétation dont on peut exactement préciser
l'étendue.

Il est encore un point d'un intérêt élevé. Ce qu'une


récolte emporte avec elle en substances minérales ,
phosphore , potasse , chaux .... ou en azote , repré-
sente-t-il la totalité de ce qui a été prélevé par elle?
Est-ce là , par suite , ce qui doit être restitué au sol
pour maintenir son degré de fertilité?
Les travaux de laboratoire montrent que , en ce
qui concerne les substances minérales , le blé prend
plus qu'il ne garde , et qu'une partie de ces sub-
stances, après leur assimilation par la plante, retourne
au sol dans un état propre à une assimilation ulté-
rieure . Pour l'azote , le résultat final est différent.
La plante assimile également plus d'azote qu'elle
n'en conserve à sa maturité ; mais elle consomme pour
elle-même , en tant qu'être vivant , une partie des
produits qu'elle a organisés sous l'action des rayons
solaires et l'azote correspondant redevenu libre
INTRODUCTION. XI-

semble perdu pour la végétation . Mais l'atmosphère


intervient avec ses effluves électriques qui déter-
minent l'oxydation de l'azote par l'oxygène ozonisé
et lui permettent de rentrer par la plante dans le
cercle organique d'où il était sorti.
Ce sont là, entre autres , des points qui touchent
aux parties les plus délicates et les plus élevées de
la physiologie tout en éclairant la pratique agricole.
Il en est d'autres plus familiers aux agriculteurs et
qui sont du domaine de la météorologie proprement
dite. Cette branche très-ancienne de nos connais-
sances paraîtra peut-être n'avoir pas fait de très-
grands progrès , dans le sens pratique , depuis l'é-
poque où M. de Gasparin rédigeait son traité d'a-
griculture . Elle aussi , cependant est entrée depuis
une dizaine d'années dans une voie nouvelle et fé-
conde. Le mouvement parti de Paris s'est rapide-
ment étendu à tous les pays civilisés ; et si dans
le nôtre il s'est ralenti au milieu des vicissitudes

que traverse notre organisation météorologique , ce


temps d'arrêt a été largement compensé , pour la
science du moins , par un redoublement d'activité
dans les divers pays d'Europe. Chaque nation à
constitué son système d'avertissements météorolo-
giques dont les désastres du Midi pouvaient montrer
toute l'importance pratique. Nous sommes donc en
droit d'espérer qu'un jour viendra où l'agriculture
puisera dans la science du temps de précieux élé-
ments de succès . En attendant, nous nous sommes
XII INTRODUCTION.

efforcé d'aider la pratique individuelle à tirer un


meilleur parti des instruments que la météorologie
met à notre portée.

6 Juillet 1875.

MARIÉ DAVY.
RY
SE LIBRA
REE F
O HE
T
UNIVERSITY
CALIFORNIA.

PREMIÈRE PARTIE .

MÉTÉOROLOGIE GÉNÉRALE.

CHAPITRE PREMIER.

L'ATMOSPHÈRE , SA COMPOSITION , SES PROPRIÉTÉS.

. Hauteur de l'atmosphère.

L'atmosphère est la masse d'air qui enveloppe la terre


ct dans laquelle vivent les animaux et les plantes.
Sa hauteur nous est inconnue ; on peut réduire à deux
les différentes méthodes employées pour l'évaluer d'une
manière approximative. La première est très-ancienne et
remonte à Alhazen , auteur arabe du onzième siècle . Elle a
fait l'objet d'un mémoire important de la Hire. Elle s'appuie
sur la distance à laquelle se trouve le soleil au-dessous de
l'horizon au moment où cesse le crépuscule et où commence
l'aurore. La fin du crépuscule correspond au moment où les
couches supérieures de l'atmosphère, encore éclairées par le
soleil quand il est déjà caché à nos yeux, cessent de nous en-
voyer une lumière appréciable. Ce résultat se produit en
chaque lieu quand le soleil est descendu environ à 18 de-
grés au-dessous de l'horizon de ce lieu. De la Hire en a
conclu que les dernières couches de l'atmosphère dont
l'éclairement soit sensible à nos yeux doivent être à une
1
2 PHYSIQUE AGRICOLE.

hauteur d'environ 73 kilomètres. Mais rien n'indique qu'il


faille arrêter à cette distance les limites de notre atmos-
phère , les dernières couches pouvant avoir une densité
trop faible pour que la lumière qu'elles réfléchissent vers
nous puisse impressionner nos yeux.
L'observation des étoiles filantes qui sert de base à une
méthode plus moderne oblige déjà à reculer ces limites
au delà de 300 kilomètres, et en réalité nous ne savons ni
où, ni comment se termine l'atmosphère. Quoi qu'il en soit,
les phénomènes multiples dont notre atmosphère est le
siége, et dont nous ressentons les effets à la surface du sol ,
se produisent dans une couche d'un petit nombre de lieues
d'épaisseur; au delà , la densité de l'air est tellement fai-
ble que l'ensemble des couches supérieures n'est qu'une
imperceptible fraction de la masse totale. Les nuages sont
les derniers témoins que nous puissions consulter utilement
sur les mouvements de l'atmosphère, mouvements que
nous avons tant d'intérêt à connaître.

Composition de l'atmosphère.

L'atmosphère terrestre est formée par un mélange de


substances gazeuses réunies en proportions inégales,
auxquelles viennent se joindre divers produits d'origine
organique ou minérale.
L'oxygène et l'azote en forment la base essentielle . 100 vo-
lumes d'air pur renferment 20,8 volumes d'oxygène et
79,2 volumes d'azote. Ces proportions se retrouvent , dans
l'air libre, sur tous les points du globe et à toutes les hau-
teurs. A peine a-t-on pu constater quelques différences très-
faibles dans des circonstances toutes spéciales et très-limi-
tées ; c'est ainsi que Lewy a trouvé seulement 20,6 d'oxygène
au lieu de 20,8 dans la couche d'air qui repose à la surface
de la mer du Nord pendant les temps calmes. Les propor-
L'ATMOSPHÈRE, SA COMPOSITION, SES PROPRIÉTÉS . 3
tions des autres substances sont au contraire très-variables.

Oxygène. L'oxygène est l'agent ordinaire des com-
bustions , qu'elles aient lieu dans nos foyers , ou dans l'in-
timité des organes des animaux ou des plantes. La con-
sommation qui s'en fait chaque jour est considérable ; mais
la provision qui en existe à la surface du globe est pres-
que illimitée. En supposant que le total des hommes et des
animaux vivant à la surface du globe puisse être considéré
comme équivalant à mille millions d'hommes , cette masse
d'êtres animés mettrait d'après M. Dumas , 8000 siècles à
consommer tout l'oxygène existant actuellement dans l'at-
mosphère ; or les plantes tout en respirant , dans certaines
conditions, à la manière des animaux sont en réalité une
source de régénération de l'oxygène fixé par ces derniers.
La combustion est excessivement vive dans l'oxygène
pur ; la vie d'un animal y acquiert une activité fiévreuse
et notre organisme approprié à d'autres conditions s'y al-
térerait avec rapidité.
Azote. L'azote est impropre à la respiration, mais il
tempère l'action de l'oxygène. Là , toutefois , n'est pas son
rôle principal. Il entre comme élément essentiel dans la
composition de nos organes. Il nous est fourni par
les plantes qui , à leur tour, le reçoivent de matières or-
ganiques en décomposition ou le puisent dans l'atmosphère
par des procédés directs ou indirects. Un petit nombre de
plantes , il est vrai , semblent s'assimiler l'azote pris en
nature dans l'air ; mais diverses actions météorologiques
ou d'ordre purement chimique lui font subir une première
préparation en l'introduisant dans des combinaisons qui
le rendent assimilable par tous les végétaux.
A côté des éléments fixes et en proportions définies qui
forment la masse principale de l'atmosphère , il en est d'au-
tres d'une importance non moins grande malgré leurs fai-
bles proportions.
4 PHYSIQUE AGRICOLE.

Acide carbonique. L'acide carbonique est l'un des prin-


cipaux produits de la combustion vive qui s'effectue dans
nos foyers; il naît aussi de la combustion lente qui s'opère
dans les organes des animaux à la suite de l'acte respira-
toire, dans les tissus des végétaux pendant l'exercice de
certaines fonctions vitales , ou dans le sol pendant la dé-
sorganisation des végétaux ou des animaux privés de vie.
Cette substance gazeuse est au contraire absorbée par les
plantes qui, sous l'influence de la lumière, fixent le carbone
pour en former un des éléments de leurs tissus et resti-
tuent l'oxygène à l'air. Il y a donc un certain balance-
ment entre deux actions inverses ; et suivant que l'une ou
l'autre domine, la proportion d'acide carbonique libre aug-
mente ou diminue. L'effet est d'autant plus sensible que
cette proportion reste toujours très-faible.
L'air contient en effet d'ordinaire de 4 à 6 dix-millièmes
en poids, ou de 2 à 3 dix-millièmes en volume, d'acide car-
bonique. La proportion est plus forte la nuit que le jour
parce que les plantes ne décomposent l'acide que sous l'ac-
tion de la lumière ; elle augmente pendant les grands froidss ;
elle s'annule complétement pendant les pluies abondantes
et prolongées , parce que l'eau dissout le gaz et le dépose
sur le sol, Mais le sol en dégage par lui-même , les ani-
maux en produisent , les couches d'air non lavées en four-
nissent , et le gaz acide reparaît bientôt . L'air des villes en
contient plus que celui des campagnes. MM. Boussingault
et Lewy en ont trouvé 3,19 à Paris , et 2,98 à Montmo-
rency. Cette proportion est beaucoup plus élevée dans les
lieux d'habitation mal aérés ou réunissant un trop grand
nombre d'hommes ou d'animaux.
On connaît l'effet produit sur l'homme par l'acide car-
bonique qui se dégage des cuves en fermentation . Il y a
non-seulement asphyxie , mais véritable empoisonnement ,
bien que l'acide carbonique ne soit pas aussi vénéneux
L'ATMOSPHÈRE, SA COMPOSITION, SES PROPRIÉTÉS. 5
que l'oxyde de carbone résultant d'une combustion moins
complète du charbon. Si à dose très-faible il est sans in-
convénient, à dose un peu plus forte son action prolongée
amène plus ou moins lentement des troubles assez graves
dans les fonctions animales.
Il n'en est pas de même dans les plantes. D'après de
Saussure , la végétation est favorisée par un accroissement
dans la dose d'acide carbonique s'élevant à 80 litres par
mètre cube. Cette proportion , mortelle pour les animaux ,
donnerait aux plantes un développement considérable .
La dose d'acide carbonique renfermée dans l'atmosphère
a-t-elle changé dans les temps passés ? change-t- elle dans
le temps présent? Liebig évalue à 2,000 kil. la quantité
de carbone fixé annuellement par les plantes sur chaque
hectare de bonne terre. Or le prisme d'air qui s'élève jus-
qu'aux limites de l'atmosphère sensible, et qui a pour
base un hectare, renferme seulement de 16,000 à 18,000 kil .
de carbone. La huitième ou la neuvième partie de ce poids
est donc enlevée annuellement . Nous sommes bien loin
des chiffres fournis par l'oxygène , et la provision de l'at-
mosphère en carbone serait vite épuisée si elle ne se renou-
velait pas. Mais il convient de remarquer qu'à l'exception
des plantes qui vont s'enfouir au fond des mers , tout ce
qui naît à la surface du globe y périt et restitue tôt ou tard
à l'atmosphère , directement ou non , les éléments qui lui
ont été empruntés. L'énorme quantité de houille déposée
dans certaines couches du globe et les dimensions consi-
dérables des plantes dont les débris s'y sont conservés ,
permettraient de supposer que dans les temps géologiques
la proportion d'acide carbonique , comme la chaleur et
l'humidité , ont été plus grandes que dans les temps ac-
tuels. Aujourd'hui l'industrie tend à rendre à l'atmosphère
ce charbon si longtemps mis en réserve ; mais les dimen-
sions du globe sont tellement vastes, toutes les parties de
6 PHYSIQUE AGRICOLE.

l'atmosphère sont si activement mélangées par les vents ,


que tout changement dans la composition de l'air ne peut
être appréciable à nos moyens d'analyse les plus précis
qu'après une longue suite d'années.
Vapeur d'eau. La vapeur d'eau est un élément si im-
portant et si variable dans la constitution de l'atmosphère
que nous en ferons l'objet de chapitres à part dans cet
ouvrage.
Gaz accidentels. Ozone. - En dehors des substances pré-
cédentes , l'air contient constamment des traces , en quan-
tités variables , d'acide sulfhydrique, d'hydrogène phos-
phoré, d'hydrogène carboné , d'ammoniaque, etc... prove-
nant de la décomposition incessante des matières d'origine
organique. L'hydrogène phosphoré et l'hydrogène sulfuré
se brûlent spontanément au contact de l'air humide ; les →
hydrogènes carbonés disparaissent sous l'action de pro-
duits secondaires. L'ammoniaque est absorbée par les
plantes. Il en est de même des composés nitreux qui se
forment par la combinaison de l'oxygène et de l'azote de
l'air sous l'influence des actions électriques de l'atmos-
phère.
Ces actions électriques modifient la constitution de
l'oxygène de l'air et le transforment en ozone, dont les affi-
nités chimiques sont plus développées que dans l'oxygène
ordinaire.
L'ozone est caractérisé par son odeur alliacée toute spé-
ciale que l'on retrouve sur le passage de la foudre et que
l'on confond d'ordinaire avec celle du soufre. Son exis-
tence dans l'air est très-fugitive. Il n'y existe jamais
qu'en proportion excessivement faible, et il passe rapide-
ment à l'état d'eau oxygénée ou de produit nitreux par sa
combinaison chimique avec l'eau ou l'azote de l'air ; ou bien
il disparaît en présence des produits d'origine organique
qu'il oxyde.
L'ATMOSPHÈRE, SA COMPOSITION, SES PROPRIÉTÉS . 7

Une fois assimilé par un organisme vivant, l'azote re-


vient rarement à l'état primitif ; il reste d'ordinaire dans
un état de combinaison plus ou moins avancé qui lui per-
met d'être repris par la plante ; mais dans sa rotation con-
tinuelle de la plante à l'animal , de l'animal à la plante ,
l'azote ainsi organisé subit nécessairement des pertes soit
par des fixations permanentes , soit par des réductions chi-
miques définitives ; la somme totale de matière organisée
diminuerait donc graduellement à la surface du globe si
de l'azote en nature ne pouvait être repris à l'atmosphère.
L'ozone dérivé des actions électriques est une des voies
les plus importantes par lesquelles ce retour a licu ; mais
elle est loin d'être la seule, et certaines réactions chimiques
qui se produisent dans le sol au contact de débris organi-
' ques concourent au même résultat.
Quant à l'action directe de l'ozone sur l'homme ou les
animaux, ou sur l'état sanitaire d'un temps ou d'un lieu ,
elle est très-douteuse . Toutes les études entreprises sur
ce sujet ont donné des résultats négatifs ou contradic-
toires; et il y a toujours danger à se laisser entraîner aux
conclusions hâtives tirées de coïncidences le plus souvent
fortuites . Nous ne connaissons pas encore assez bien , ou
mieux nous connaissons encore trop mal , la composition
de l'atmosphère pour attribuer à l'un de ses éléments ce
qui appartient peut-être à tout autre.
Substances minérales. Les vents soulèvent des pous-
sières non-seulement sur le sol , mais encore à la surface
des mers, et ils les transportent à de grandes distances. La
masse des corpuscules ainsi entraînés peut être telle que le
soleil en soit obscurci. L'atmosphère des grandes villes est
troublée fréquemment par les fumées qui s'en dégagent.
Le phénomène est surtout marqué quand l'air est calme.
Quand l'atmosphère est agitée , ces brumes sèches sont en-
levées à mesure et charriées au loin ; elles disparaissent dans
8 PHYSIQUE AGRICOLE.

la masse générale de l'atmosphère, à moins qu'elles ne


soient en masses considérables. A diverses reprises , une
grande partie de l'Europe a été envahie par de sem-
blables brouillards provenant soit d'éruptions volcaniques
en Islande , soit d'incendies de forêts ou de combus-
tions de tourbières dans le nord de l'Europe; sou-
vent on recueille en Italie des sables venus d'Afrique
et transportés par les vents par-dessus la Méditerranée.
L'air le plus pur en apparence contient encore en sus-
pension des grains de matière minérale. Les meubles et
le parquet d'un appartement bien clos et inhabité se re-
couvrent peu à peu d'une couche de ces matières , et il
suffit pour accuser leur présence dans l'air de le faire
traverser par un rayon isolé du soleil. Au reste , nous ver-
rons tout à l'heure que les poussières de l'air sont loin
d'être exclusivement d'origine minérale. Toutes ces sub-
stances jouent un rôle en agriculture , les unes en bien les
autres en mal . Dalton trouva 1 partie de sel marin dans
1,000 parties d'eau de pluie recueillie à Manchester, dans
le voisinage de la mer. D'après de Gasparin , la quantité
de matières salines enlevées à la mer et déposées à l'intérieur
des continents à une assez grande distance du rivage peut
s'élever à 65 kilog. par hectare de terre et par an. Elle est su-
périeure dans beaucoup de cas et constitue un amendement
très-utile. Elle s'augmente encore des poussières prises au
sol en un lieu et reportées sur d'autres points. Ces faits
expliquent la présence de la chaux, par exemple , dans des
plantes croissant sur un sol qui n'en contient pas.
M. Boussingault ayant établi sur une terrasse placée
entre deux jardins , près de la place royale , un entonnoir
en métal de mètre carré de superficie à son ouverture ,
put partager en cinq prises faites successivement l'eau
d'une très-forte averse survenue le 3 janvier 1854 vers les
neufheures du soir. Le dosage de l'ammoniaque dans ces
L'ATMOSPHÈRE , SA COMPOSITION , SES PROPRIÉTÉS . 9

cinq volumes d'eau lui donna les résultats suivants :


Eau reçue Pluie Ammoniaque
en en dans l'eau reçue
Prise. litres. millimètres . en milligrammes.
[re 0,67 1,34 3,37
2º 0,85 1,70 3,73
ge 1,10 2,20 3,30
4€ 0,69 1,38 1,52
5e 0,76 1,52 0,60
TOTAL..... 4,07 8,14 12,52

Soit, en moyenne , 3 millig., 08 d'ammoniaque par litre


d'eau de pluie.
L'eau des brouillards est encore plus chargée d'ammo-
niaque, et dans une expérience faite par M. Boussingault
en janvier 1854 la proportion d'alcali s'est élevée jusqu'à
138 milligrammes par litre d'eau. Ce sont là des exceptions.
La proportion est au contraire moins forte dans les eaux
météoriques recueillies dans la campagne que dans celles
des villes , comme on le voit par les observations suivantes
faites au Liebfrauenberg par M. Boussingault

Eau reçue Pluie Ammoniaque


Dates. en en dans l'eau reçue
1853. litres. millimètres. en milligrammes.
2 juin 44,3 9,00 11,08
5 juin 34,4 7,00 17,06
30 juin.. 42,3 8,60 18,19
2 septembre ... 50,6 10,27 21,71
25 septembre .... 40,1 8,14 9,63
9 octobre.. 38,5 7,81 20,40
14 octobre.. 46,6 9,47 11,66
E LIT
TOTAL. 29,68 60,29 109,73

En outre de l'ammoniaque, l'atmosphère et les eaux qui


en découlent renferment des produits nitreux dont le rôle
·en agriculture est des plus importants. Il est à désirer que
1*
10 PHYSIQUE AGRICOLE.

des observations régulières nous apprennent la quantité


d'azote que les pluies , les neiges , les brouillards et les rosécs
apportent aux plantes sous forme d'ammoniaque et de com-
posés nitreux ; la quantité que ces plantes peuvent en
prendre directement à l'atmosphère ; celle que le sol con-
dense avec la vapeur de l'air en vertu de son hygroscopi-
cité. Par contre , il faudrait connaître aussi celle que le
sol perd par voie de diffusion dans l'air ou de dissolution
dans les eaux de ruissellement et d'infiltration .
Voici déjà quelques indications tirées par M. Barral de
ses nombreuses analyses des pluies recueillies par M. Lau-
gier sur la terrasse de l'observatoire de Paris.

Poids d'ammoniaque et d'acide azotique exprimé en kilo-


grammes par hectare , obtenu par M. Barral.

Ammoniaque. Acide azotique.


En juillet 1851.. 3k ,15 5,026
août ...... 1,04 4,078
septembre.. 0,77 9,435
octobre .. 0,53 3,064
novembre . 1,01 2,381
décembre ..... 1 ,17 6,879
TOTAL.. 7,67 30,863

Substances organiques. En dehors des substances in-


diquées plus haut , Brandes trouva dans ses analyses d'eau
pluviale de la résine et du mucus. L'air ordinaire préala-
blement desséché , passant dans un tube chauffé au rouge ,
donne de l'acide carbonique et de l'eau : il contient donc
des matières hydrogénées et carbonées. Exposé à l'action
des rayons solaires concentrés au moyen de lentilles dans
des tubes presque entièrement vides d'air, ou d'un autre
gaz , il se produit une coloration d'un beau bleu , qui n'est
probablement autre que celle de la fumée de charbon très-
L'ATMOSPHÈRE, SA COMPOSITION , SES PROPRIÉTÉS, 11
divisé éclairé par la lumière du soleil , et provenant de cor-
puscules de matières organiques invisibles à leur entrée
dans le tube.
Un grand nombre de maladies qui frappent l'homme ,
les animaux et même les plantes , se propagent par l'inter-
médiaire de l'air, sans compter celles qui résultent de la
seule action des variations du temps et des intempéries
des saisons.
Les maladies transmises par l'air sont attribuées à des
miasmes d'origine organique , animale ou végétale. On sait
combien sont malsains les bords des marais , des étangs
d'eau douce ou salée périodiquement mis à sec. Les fièvres
intermittentes ou pernicieuses , la peste, la fièvre jaune ,
le choléra... y sont endémiques , chacune selon les régions
et les climats. Les vents qui traversent ces foyers d'infec-
tion étendent et propagent les maladies très-avant dans l'in-
térieur des terres et quelquefois même au delà des océans ;
les relations entre les peuples aident aussi à ces migrations.
Les terrains submergés qui ont été longtemps sous les
eaux conservent pendant une longue série d'années la pro-
priété d'émettre des miasmes . Les terres neuves soumises
pour la première fois à la culture sont également miasma-
tiques. La culture est le meilleur moyen d'assainir ces
terres, parce que leur retournement et la pénétration de l'air
dans leur masse aide au dégagement et à la combustion
de ces principes délétères ; mais les premières années of-
frent des dangers contre lesquels il importe de se prému-
nir en se conformant aux préceptes de l'hygiène.
L'étude des miasmes présente donc un intérêt de pre-
mier ordre qu'égale seule la difficulté qu'elle présente. Les
idées des hommes de science ont , du reste , été fort con-
tradictoires sur leur nature et leur mode d'action. Liebig,
dans son traité de toxicologie traduit en 1841 par Gerhardt,
combat vivement l'opinion qu'ils agissent à la manière des
12 PHYSIQUE AGRICOLE.

êtres vivants. « Un pareil système, dit-il, ne soutient pas


l'épreuve de la discussion. N'a-t-il pas conduit les savants
qui cherchent l'explication des phénomènes dans la forme
de la matière , à considérer de même la levûre de bière
comme animée , à en faire des végétaux ou des animalcules
qui se nourrissent de sucre et rendent comme excréments
l'alcool et l'acide carbonique ? >>
Nous rappelons cette phrase du célèbre chimiste alle-
mand pour montrer le danger, dans la science, de certaines
préoccupations qui lui sont étrangères. Admettre la vie
des miasmes ne serait pas chercher « l'explication des
phénomènes dans la forme de la matière , » pas plus qu'é-
tudier une machine à vapeur en dehors du mécanicien qui
doit la conduire ou qui l'a construite n'oblige à nier l'exis-
tence du mécanicien . Qu'est-ce d'ailleurs que la force chi-
mique invoquée par Liebig et quelle en est l'origine ? La
plupart des savants ne mettent plus en doute la nature
vivante de la levûre de bière et de divers autres ferments.
Est-ce à dire que tous les miasmes et tous les ferments
soient constitués par des êtres ayant leur vitalité propre ?
Ce serait sortir par un point opposé des limites de la science
dans son état présent .
Les physiologistes se rapprochent de plus en plus de
cette doctrine que la plupart des maladies qui atteignent
l'homme , les animaux et les plantes sont dues à des tissus
hétéromorphes nés d'une déviation de fonctionnement des
derniers éléments de notre organisme, ou à des organismes
parasites se transmettant soit par contact, soit , le plus
souvent, par l'intermédiaire de l'air, des eaux ou des ali-
ments. Il y a là une mine féconde à exploiter.
Quelle qu'en soit la nature , les miasmes échappent aux
moyens ordinaires d'analyse. Moscati s'est servi pour les
concentrer dans les rizières du Piémont , d'un globe de
verre rempli de glace qui condensait à sa surface la vapeur
L'ATMOSPHÈRE, SA COMPOSITION, SES PROPRIÉTÉS. 13

d'eau. Rigaud , de Lille, employait dans le même but une


sorte de toiture de verres à vitres sur laquelle la rosée
abondante des marais du Languedoc venait se déposer.
M. Boussingault opérait autrement dans ses excursions en
Amérique. Peu après le coucher du soleil il posait deux
verres de montre sur un support. Dans l'un il versait de
l'eau distillée chaude pour élever sa température au-dessus
de celle de l'air ; l'autre se refroidissait par l'effet du rayon-
nement nocturne et ne tardait pas à se couvrir d'une rosée
abondante que le verre chaud ne condensait pas. Ajoutant
alors une goutte d'acide sulfurique dans chaque verre et
évaporant à siccité , il voyait une trace de matière char-
bonneuse adhérente au verre où s'était déposée la rosée ,
tandis que l'autre restait net. Cette expérience constate
bien l'existence de la matière charbonneuse mais n'en mon-
tre pas la nature. Or toutes les matières animales ou végé-
tales ne sont pas délétères. Un miasme en décomposition
peut ne l'être plus. Rigaud , de Lille, a constaté que l'odeur
marécageuse n'annonçait pas toujours l'infection palu-
déenne et qu'elle était surtout à craindre dans les lieux où
l'air paraissait pur et inodore. C'est donc le miasme en
quelque sorte vivant qu'il faudrait rechercher, et qu'il
faudrait étudier soit physiquement à l'aide du microscope ,
soit physiologiquement en examinant les produits qui en
dérivent dans les fermentations , ou les effets qui découlent
de leur introduction dans les organes d'autres êtres vivants.
Des études semblables devraient être faites sur le sol et sur
les eaux .

Poids de l'atmosphère .

L'air est pesant comme tous les corps. Si son poids spé-
cifique est faible , son volume est considérable , en sorte
que son poids total est très-élevé .
14 PHYSIQUE AGRICOLE.

La pression que l'atmosphère exerce à la surface du sol


est mesurée par le baromètre. Elle est égale pour chaque
mètre superficiel au poids d'une colonne de mercure d'un
mètre de base et d'une hauteur égale à la hauteur de la co-
lonne barométrique. Elle est de 10,333 kilogrammes quand
l'instrument marque 760 millimètres, et elle change dans
le même sens que cette hauteur.
Dans une atmosphère en repos , la pression de l'air me-
sure son poids vrai ; mais si l'air est agité par les vents la
pression se complique d'effets de vitesse ou de force vive
dont nous examinerons ultérieurement la nature.
L'influence des variations de la pression barométrique
sur l'économie animale est changeante suivant la rapidité
avec laquelle ces variations s'effectuent. Le sang tient en
dissolution certains gaz tels que l'azote , l'oxygène , l'acide
carbonique. La pression de l'air aide à leur absorption .
Lorsque cette pression diminue brusquement , ainsi qu'il
arrive dans les grandes ascensions aérostatiques, une partie
des gaz dissous devient libre et occupe une place distincte
dans le sang, dont le volume apparent semble augmenté ;
les bulles de gaz enrayent la circulation. On observe alors
une turgescence très-marquée des organes , le sang suinte
quelquefois à la surface des muqueuses , et divers accidents
se produisent. D'autre part , l'oxygène de l'air devenu plus
rare pénètre en moindre quantité dans le sang , et l'héma-
tose incomplète amène la prostration des forces , tandis
que le froid intense que l'on trouve à ces grandes hauteurs
exigerait une production de chaleur plus active. Des effets
analogues s'observent dans les ascensions sur les hautes
montagnes mais ils sont moins marqués et ils sont dans
tous les cas peu durables. L'économie se plie aisément à ces
conditions nouvelles. On vit sans fatigue sur les hauts pla-
teaux du Mexique , du Pérou et de la Bolivie. Des batailles
meurtrières y ont été livrées exigeant un grand déploic-
L'ATMOSPHÈRE , SA COMPOSITION , SES PROPRIÉTÉS . 15

ment d'activité physique . Les battements du cœur et les


mouvements respiratoires s'y accélèrent seulement , en
raison de la raréfaction de l'air.
Quelques personnes, cependant, attribuent une influence
fâcheuse aux variations barométriques relativement très-
faibles qui se succèdent en un même lieu. Les variations
extrêmes du baromètre à Paris sont de 50 millimètres en-
viron ; et pour en faire naître une semblable , il suffit de
monter sur un lieu élevé de moins de 600 mètres. En ce
temps de voyages rapides on éprouve fréquemment des
transitions au moins aussi grandes et beaucoup plus rap-
prochées sans même s'en apercevoir.
Sans nier d'une manière absolue que tout changement
dans les conditions du milieu où nous vivons ait son
contre-coup dans l'état de nos organes , nous ferons obser-
ver que les variations barométriques en un même lieu y
sont toujours accompagnées de changements dans l'état
général de l'atmosphère. L'influence de ces derniers sur la
santé peut être très-réelle chez les individus affaiblis ou
sur les rhumatisants ; et il est très-aisé , au milieu de con-
ditions multiples de se tromper sur celles qui nous affec-
tent.
L'action des variations barométriques sur la végétation
paraît être renfermée dans les mêmes limites. Une plante
périrait dans le vide comme un animal ; mais elle peut vi-
vre, comme l'homme, dans un air comprimé à plusieurs
atmosphères ou raréfié jusqu'à une certaine limite. La plu-
part des espèces végétales ne peuvent dépasser une cer-
taine hauteur dans les régions montagneuses ; mais cette
limite est fixée par la température et non par la pression
barométrique. Les céréales réussissent sur les hauts pla-
teaux du Mexique et de l'Amérique du Sud comme dans nos
plaines de la zone tempérée , parce qu'elles y trouvent des
conditions analogues de chaleur, de lumière et d'humidité.
16 PHYSIQUE AGRICOLE.

Mais si les variations de la hauteur du baromètre sont ,


par elles-mêmes sans influence marquée sur la vie des
plantes et des animaux , il n'en est plus ainsi quand on les
envisage dans leurs rapports avec les variations du temps.
Le baromètre fournit aussi le moyen le plus simple et
l'un des plus précis de mesurer l'altitude des divers points
de la surface d'un pays au-dessus du niveau de la mer, et
de prendre ainsi une idée sommaire de la température
moyenne de ces lieux en se fondant sur la règle générale
que nous examinerons plus loin , et d'après laquelle la
température moyenne diminue de 1 degré environ pour
chaque hauteur de 180 mètres dont on s'élève au-dessus de
la mer.

Mobilité de l'atmosphère .

L'air est un gaz très -dilatable par l'action de la chaleur.


Une élévation de quelques degrés dans sa température
augmente son volume d'une manière très- appréciable ,
quand rien ne s'oppose à son expansion. 1 mètre cube d'air
pesant 1,293 à 0°, ne pèse plus que 1,247 à 10° si la pres-
sion n'a pas changé. 46 grammes de gaz sont donc sortis
du mètre cube par l'effet de l'échauffement. Or, la tempé-
rature de l'air est très-différente , non- seulement d'une cou-
che à l'autre , mais encore d'un point à l'autre d'une même
couche. Les parties les plus chaudes tendent à monter et
les plus froides à descendre ; et ces mouvements sont d'au-
tant plus prononcés que l'air étant plus léger il lui faut
une moindre force motrice pour se mettre en mouvement.
L'ombre d'un nuage suffit à troubler l'équilibre de l'at-
mosphère. Cet équilibre n'est donc jamais atteint ; et le fût-
il qu'il serait nécessairement éphémère. Nous verrons les
effets de cette mobilité dans l'étude des vents.
Ajoutons pour terminer que l'air est un corps éminem-
L'ATMOSPHÈRE, SA COMPOSITION, SES PROPRIÉTÉS . 17

ment élastique et compressible ; que la compression dimi-


nuant son volume met en liberté une portion de la chaleur
qu'il renferme à l'état latent ; que le retour du gaz à son
volume primitif donne lieu à un retour correspondant de
la chaleur libre à l'état latent. Nous trouverons dans cette
propriété une des causes principales du froid des régions
élevées de l'atmosphère et de la chaleur des régions basses,
malgré l'échange d'air qui s'effectue incessamment entre
ces régions.

Transparence de l'atmosphère.

L'air atmosphérique pur est doué d'une transparence


presque parfaite pour la chaleur comme pour la lumière ;
mais les substances qui viennent se mélanger à lui dimi-
ruent beaucoup cette propriété. L'air balayé et rafraîchi
par une pluie d'été laisse voir les objets à une très-grande
distance ; il en est de même pendant certains jours où le
ciel est couvert, l'air peu agité et la température unifor-
mément répartie sur le sol et dans l'air.
La transparence de l'air n'est cependant pas complète.
Chaque particule aérienne réfléchit ou dévie de sa direc-
tion une partie des rayons lumineux qui passent dans son
voisinage. Quelque faible que soit cette partie, la répéti-
tion du même effet finit par le rendre sensible.
La réflexion porte surtout sur les rayons bleus de la
lumière solaire : de là la teinte bleue du ciel quand il
est pur. Si on enlève du bleu à la lumière blanche , il reste
de l'orangé : c'est la couleur du ciel à l'horizon aux heures
de l'aurore ou du crépuscule, alors que la couche atmos-
phérique traversée par la lumière est à son maximum d'é-
paisseur et que, par suite, la séparation des couleurs est le
plus tranchée.
Les éléments constitutifs de l'atmosphère interviennent
18 PHYSIQUE AGRICOLE.

à des degrés divers dans la production de ces phénomènes


de coloration. L'azote et l'oxygène y prendraient une fai-
ble part, tandis que la vapeur d'eau y jouerait le principal
rôle : de là ces rapports bien connus des cultivateurs et
des mari.is entre le temps probable du jour et du lende-
main et la couleur du ciel au lever et au coucher du soleil.
De là aussi la splendeur des couchers de soleil dans les ré-
gions voisines de l'équateur et leur pauvreté relative dans
les pays du nord où la variété d'aspects fournis par les
nuages donne au ciel une beauté d'un autre ordre.
Quand l'atmosphère est chargée de poussières d'origine
organique ou minérale , ou quand la vapeur d'eau s'y est
condensée en globules microscopiques formant ce qu'on
nomme vapeur vésiculaire, sa transparence diminue rapi-
dement, au point que la lumière du jour peut être à peu
près complétement interceptée et qu'on cesse de distinguer
les objets à une distance de quelques pas.
Il est des cas cependant où l'air est à peu près pur, où il
ne contient pas de vapeur vésiculaire, et où les objets se
couvrent d'un voile bleuâtre, même à de faibles distances .
Cet effet se produit surtout quand l'air est calme, le ciel
sans nuage ou peu nuageux et la chaleur élevée . Dans ce
cas le sol est fortement échauffé ; de nombreux filets d'air
chaud s'en élèvent et montent au travers des couches d'air
à températures plus basses. Les rayons lumineux sont dé-
viés de leur direction normale en traversant les surfaces de
ces filets ; et comme ces derniers sont d'une grande mobi-
lité dans leurs cours, les rayons et les objets d'où ils éma-
nent deviennent ondulants. Le phénomène est très-mar-
qué lorsqu'on regarde un objet dans une direction rasant
un sol frappé par les rayons solaires en été , et surtout
dans le voisinage des eaux soit à cause de la vapeur qui
s'en dégage, soit par un effet de l'opposition entre la tem-
pérature du sol et celle de l'eau. Quand l'ondulation
L'ATMOSPHÈRE , SA COMPOSITION, SES PROPRIÉTÉS. 19

échappe à la simple vue, l'emploi des lunettes la fait repa-


raître. Les rayons de lumière jetés ainsi hors de leur voie
directe éclairent le champ des objets auxquels ils sont
étrangers et contribuent à les couvrir d'un voile plus ou
moins épais. Ces vapeurs apparentes n'annoncent pas
l'approche des pluies, mais elles peuvent persister jusqu'à
l'arrivée d'un orage .
Il n'en est plus de même lorsque la scintillation des
' étoiles devient très-marquée , ou , comme on dit , qu'elles
baignent dans l'eau. C'est généralement un signe que les
régions moyennes de l'atmosphère sont traversées par des
courants du sud-ouest chauds et humides et les pluies peu-
vent être peu éloignées,

Propriétés électives de l'atmosphère .

La transparence de l'air est également très-variable avec


la nature et l'origine des rayons qui tendent à le traver-
ser. Là encore la vapeur d'eau joue le principal rôle.
Les rayons solaires sont peu affaiblis dans leur trajet
au travers de l'atmosphère lorsqu'ils la traversent norma-
lement et dans sa plus faible épaisseur ; mais lorsqu'ils
s'inclinent sur l'horizon et surtout quand ils nous arrivent
dans une direction rasant la surface terrestre , l'épaisseur
de la couche atmosphérique parcourue s'accroît rapide-
ment et la proportion des rayons qui s'y éteignent aug-
mente dans le même rapport.
Les rayons de chaleur obscure qui émanent des corps
terrestres trouvent dans tous les cas l'atmosphère beau-
coup plus rebelle à leur sortie , et c'est à cette propriété
que nous devons le degré moyen de chaleur dont nous
jouissons à la surface de la terre alors que notre globe
voyage au milieu d'espaces célestes dont la température
est d'une centaine de degrés au- dessous de zéro. L'atmos-
20 PHYSIQUE AGRICOLE.
phère agissant comme une serre, laisse arriver facilement
jusqu'à nous la chaleur solaire et met obstacle à sa déper-
dition dans l'espace.

CHAPITRE II.

SOURCES DE CHALEUR A LA SURFACE DU GLOBE.

Chaleur propre de la terre.

On avait depuis longtemps reconnu l'existence d'une cha-


leur sensible dans l'intérieur des mines profondes. Gen-
sonné paraît être le premier qui ait démontré par des expé-
riences faites au moyen du thermomètre dans les mines de
plomb de Giromagny près Belfort , en 1740, que la tempé-
rature augmente graduellement avec la profondeur. Depuis
cette epoque , des expériences du même genre ont été ré-
pétées en divers points de la surface du globe par un grand
nombre d'observateurs , parmi lesquels nous citerons de
Saussure , Humboldt , Daubuisson, Arago , Walferdin, Bec-
querel. Les résultats obtenus ont varié suivant les localités
et la nature des terrains traversés ; mais de leur ensemble
on peut conclure que la température monte, en moyenne ,
de 1 degré par trente mètres environ d'abaissement au-
dessous de la surface terrestre. En supposant que cette loi
se vérifie pour toutes les profondeurs , à 3,000 mètres au-
dessous de Paris on rencontrerait une température de 110
SOURCES DE CHALEUR A LA SURFACE DU GLOBE. 21

degrés ; à 30,000 mètres , c'est-à -dire à un peu moins de


huit lieues de profondeur, la température serait d'environ
1,000 degrés , point de fusion de la fonte très-fusible ; à
48,000 mètres le fer serait fondu.
Nul ne peut préciser de tels nombres ; tout nous porte
à croire cependant qu'à une faible distance de la surface
terrestre les parties centrales de la terre possèdent encore
une température assez élevée pour les maintenir à l'état
fluide ou pâteux .

Refroidissement terrestre.

Il est difficile de révoquer en doute que la terre à des


époques lointaines n'ait présenté l'aspect d'une masse im-
mense de gaz ou de vapeur en état d'incandescence. Le re-
froidissement graduel de la masse a condensé les vapeurs en
un globe liquide dont la surface s'est d'abord solidifiée. Dès
ce moment la déperdition de la chaleur s'est localisée pres-
qu'exclusivement sur la croûte solide qui en se rétrécissant
à mesure devenait graduellement trop étroite pour contenir
son noyau liquide. Des ruptures s'y produisaient par les-
quelles le fluide intérieur faisait éruption au dehors. Au
bout d'un temps dont nous ne pouvons calculer la durée ,
la croûte superficielle s'étant mise à peu près en équilibre
de température avec les espaces planétaires , elle n'a guère
livré au dehors que la chaleur fournie par les parties cen-
trales qui reprirent le cours de leur refroidissement graduel
temporairement suspendu, tandis que l'enveloppe conservait
à peu près sa température.
Imaginons un grand lac dont les eaux s'écoulent par un
canal de plusieurs kilomètres de longueur et fermons ce
canal à son extrémité opposée au lac. L'eau s'y mettra de
niveau dans toute sa longueur. Si nous ouvrons l'orifice,
l'eau du canal s'écoulera d'abord jusqu'à ce que la Ypente
IBRAR
REESE L
OF THE
UNIVERSITY
OF
CALIFORNIA
22 PHYSIQUE AGRICOLE.

se soit régularisée et propagée jusqu'au lac. A partir de ce


moment , les eaux du lac fourniront à peu près seules à la
dépense, et le niveau du canal ne baissera plus qu'en raison
de l'abaissement du niveau dans le réservoir.
C'est dans cette situation que se trouve actuellement, et
depuis une longue série de siècles, la chaleur terrestre. Le
noyau central se refroidissant , son volume diminue. La
croûte terrestre n'ayant pas, à cause de sa faible épaisseur,
la solidité nécessaire pour conserver sa forme et son volu-
me propres , est obligée de suivre le noyau dans ses dimi-
nutions de volume ; elle se plisse et ses plis successifs ont
produit les grandes chaînes de montagnes qui se croisent
à sa surface , et que les eaux tendent sans cesse à niveler.
Pendant cette longue période , les climats terrestres ont
subi des variations considérables. La chaleur propre de la
terre noyait sous son action uniforme les inégalités de
l'influence solaire. Les débris végétaux qui composent la
houille témoignent , pour l'époque de la formation de ces
dépôts , d'une richesse végétale dont quelques parties pri-
vilégiées de la zone torride peuvent seules aujourd'hui
donner une idée approchée. Cette magnifique végétation
alors également répandue sur les régions tropicales , les
régions tempérées et sur celles même qui sont actuellement
couvertes d'éternels frimats , ne peut s'expliquer que par
l'action d'une chaleur terrestre assez élevée pour unifor-
miser les climats. Les eaux plus chaudes devaient d'ail-
leurs fournir d'abondantes vapeurs et des pluies copieuses.
Dans les temps actuels , et malgré l'existence d'un im-
mense foyer de chaleur centrale , la conductibilité de la
croûte solide est assez faible pour ne laisser arriver jusqu'à
nous qu'une quantité de chaleur presque imperceptible , ca-
pable d'élever de un vingtième ou d'un trentième de degré
tout au plus la température du sol. Aussi le refroidissement
de notre globe se fait-il avec une lenteur extrême.
SOURCES DE CHALEUR A LA SURFACE DU GLOBE. 23

Si depuis les temps historiques ce refroidissement eût


été sensible , le volume de la terre s'amoindrissant d'une
quantité correspondante , la durée du jour aurait diminué
d'une façon appréciable , par suite d'une accélération dans
la vitesse de la rotation du globe sur lui-même. Or, 200 ans
avant l'ère chrétienne , on a déterminé la durée de la ro-
tation de la lune en partant du jour sidéral de l'époque ,
et la durée de cette rotation, évaluée aujourd'hui en partant
du jour sidéral actuel , se trouve, dans la limite de préci-
sion des anciennes observations , être exactement la même
que deux mille ans auparavant. Il faudrait donc supposer
que la lune se soit rapprochée de la terre dans la même
proportion que le volume de celle-ci aurait diminué. Il est
vrai qu'une cause à peu près du même ordre agit en sens
contraire. Le flot soulevé par la lune, et constituant les
marées, éprouve dans sa rotation autour de la terre une
résistance qui , d'après M. Delaunay , aurait pour consé-
quence de ralentir la vitesse de rotation de la terre et d'ac-
célérer celle de la lune . Il serait donc possible que l'accé-
lération due au refroidissement terrestre et le ralentissement
dû au transport des marées s'annulassent à peu près com-
plétement.
Il est un autre phénomène encore plus sensible peut-
être . En admettant que les parties centrales à l'état fondu
se dilatent par la chaleur comme le mercure, et que leur
température ait baissé de 1 seul degré, la circonférence de
la terre aurait dû diminuer de 4,800 mètres, plus d'une
lieue. Un énorme plissement de la croûte terrestre en au-
rait été la conséquence obligée. Le dernier plissement de
ce genre , celui des Andes, en Amérique , remonte à des
temps très-reculés. Depuis cette époque la température
moyenne de toute la masse du globe n'a pas baissé de
1 degré. Les mouvements lents d'exhaussement de cer-
taines régions de la surface terrestre et d'abaissement
24 PHYSIQUE AGRICOLE.

d'autres régions accusent bien des traces de refroidisse-


ment , mais ils montrent en même temps combien ce re-
froidissement est faible.

Températures des sources.

L'accroissement de la température avec la profondeur,


cstimé en moyenne à 1 degré par hauteur de 30 mètres est
loin d'être constant. Un puits foré au Creuzot, à une pro-
fondeur de 816 mètres, a donné au fond une température
de 38º3, tandis qu'un puits creusé à Neuffen, en Wurten-
berg, a donné 38°7 à une profondeur de 338 mètres seule-
ment. Dans le premier cas , l'accroissement est de 1 degré
par 28 mètres, et dans le second de 1 degré par 10™, 5 . Ces
différences, qui doivent en amener de correspondantes dans
la quantité de chaleur fournie par les couches profondes à
la couche superficielle , sont dues à la nature des roches
sous-jacentes et à leur origine.
Paris est placé au dessus de roches sédimentaires d'une
grande puissance , remontant à l'époque tertiaire et à la
fin de l'époque secondaire. Le Creuzot repose presque im-
médiatement sur le grès bigarré, dont l'épaisseur est de
371 mètres ; au-dessous on trouve le terrain houiller, dans
lequel la sonde a pénétré à 445 mètres, total 816. Le forage
de Neuffen traverse du schiste noirâtre bitumineux et des
couches calcaires et marneuses du lias ; mais à côté se
trouvent des basaltes , roches d'origine ignée et qui sem-
blent avoir conservé des traces de leur chaleur primitive ,
si on en juge par les températures de leurs sources .
Les eaux des sources participent de la température des
couches qu'elles ont traversées ; quelques-unes possèdent
un degré de chaleur très-élevé . Le tableau suivant en ren-
ferme quelques exemples pris en divers pays.
SOURCES DE CHALEUR A LA SURFACE DU GLOBE. 25

TEMPÉRATURES DE SOURCES THERMALES.


Aix-la-Chapelle (Prusse)... 610,7
Borset (Prusse).. 70°,0
Carlsbad (Bohême) . 73°,9
Chaudes aigues .... 90°,0
La Trinchera (Amérique).. 990,1
Reckum (Islande) .. 100°,0
Geyser, au fond (Islande).. 1240,0

Avec l'accroissement moyen de 1º par 30 mètres admis


pour le terrain parisien , une source d'eau à 100° devrait
remonter d'une profondeur d'environ 3,000 mètres, ce qui
n'est pas impossible. Avec l'accroissement observé à Neuf-
fen, il suffirait d'une profondeur de 1,000 mètres pour pro-
duire le même effet. Remarquons en outre que la plupart
des sources thermales se rencontrent dans les pays mon-
tagneux , à une assez faible distance de roches d'origine
ignée, quelques fois très-anciennes, d'autres fois relativement
très-récentes. Dans ces divers cas, la loi d'accroissement
des températures doit être assez profondément modifiée.
Les sources provenant de nappes d'eau plus superfi-
cielles ont une température très-voisine de la température
moyenne de l'air dans le lieu où elles sourdent. Leur de-
gré moyen de chaleur est toutefois influencé par l'origine
des eaux qui les alimentent. En Suède , en Allemagne , en
en Russie , où le maximum de pluie tombe en été, la tem-
pérature moyenne des sources est un peu supérieure à la
moyenne température de l'air. Le contraire a lieu sur les
côtes occidentales de l'Europe , et particulièrement sur
celles de Norvège, où le maximum des eaux de pluie ou de
neige tombe en automne et en hiver. La différence est en-
core plus marquée pour les sources alimentées par les
glaciers. En Italie, comme sous les tropiques , les sources.
sont plus froides que la moyenne température de l'air.
La température des sources est loin de présenter les
26 PHYSIQUE AGRICOLE.

mêmes variations que celle de l'air. Les oscillations ther-


mométriques de la surface terrestre s'effacent en effet très-
rapidement à mesure qu'on pénètre dans l'intérieur de la
terre. Les sources d'origine peu profondes sont cependant
plus chaudes dans l'été et l'automne que dans l'hiver et le
printemps. L'apparence contraire est due à ce que nos or-
ganes n'accusent que des différences immédiates dans les
impressions qu'ils reçoivent. Les sources plus chaudes en
été qu'en hiver sont cependant plus froides que l'air en été
et plus chaudes que l'air en hiver.

Chaleur solaire.

La chaleur propre de la terre n'exerçant qu'une influence


inappréciable sur les températures de sa surface , toutes les
variations qu'on y constate doivent avoir une origine ex-
térieure. Le soleil en est la cause première, mais ses effets
tirent leurs principaux caractères du froid qui règne dans
les espaces planétaires où voyage notre globe.
La chaleur solaire a été l'objet de nombreuses recher-
ches ayant pour objet d'en mesurer la quantité.
Les expériences de M. Pouillet l'ont conduit à ce ré-
sultat que si la chaleur annuellement versée par le soleil
à la surface du globe y était uniformément répartie , elle
serait capable d'y fondre une couche de glace d'une épais-
seur de 31 mètres environ. Si on tient compte des dis-
tances, si on réfléchit que le soleil rayonne indistincte-
ment tout autour de lui, et que la terre n'intercepte qu'une
partie extrêmement minime de la chaleur ainsi lancée dans
toutes les directions, on sera au contraire frappé de l'énor-
mité de cette dernière.
SOURCES DE CHALEUR A LA SURFACE DU GLOBE. 27

Variations de la chaleur à la surface du globe.

La portion de chaleur solaire prise par la terre est très-


inégalement répartie à sa surface.
Pendant chaque période diurne l'ardeur et l'éclat des
rayons solaires nous semblent s'accroître depuis le lever
de cet astre jusqu'à midi. Le soleil cependant reste sensi-
blement à la même distance de nous. Deux causes pro-
duisent ces inégalités d'action apparentes.
A mesure qu'un même faisceau de rayons solaires vient
frapper plus óbliquement la surface terrestre, il en couvre
une plus grande étendue et chaque unité de surface reçoit
par cela seul moins de chaleur. C'est pour cette raison que
les terrains inclinés vers le midi sont plus chauds, toute
proportion gardée, que les terrains exposés au nord . Et
cependant, comme l'inclinaison ne peut être que locale et
que l'agitation de l'air tend à mélanger sans cesse les cou-
ches voisines, l'effet paraît toujours moindre qu'il ne le se-
rait sans cette cause.
Mais il est une autre raison de l'affaiblissement des
rayons inclinés sur l'horizon. C'est qu'avant d'arriver jus-
qu'à nous ils ont dû traverser l'atmosphère en y suivant
une route d'autant plus longue qu'ils sont plus obliques.
Or dans cette traversée ils s'y éteignent graduellement.
M. Pouillet a déduit de ses expériences qu'en suppo-
sant à l'air une sérénité parfaite dans toute son étendue ,
l'hémisphère terrestre éclairé par le soleil ne recevrait à sa
surface que les 5 ou 6 dixièmes de la chaleur qui se pré-
sente aux limites supérieures de l'atmosphère. Les 4 ou 5
dixièmes sont arrêtés en route. Pour les rayons traversant
l'atmosphère dans sa plus faible épaisseur, suivant la ver-
ticale, l'extinction n'est que de 2 dixièmes ; elle augmente
rapidement avec l'obliquité. Elle change plus rapidement
28 PHYSIQUE AGRICOLE .

encore avec l'état de l'atmosphère . Même à l'état de vapeur


parfaitement transparente, l'eau est douée d'un pouvoir
absorbant beaucoup plus élevé que l'azote et l'oxygène. La
vapeur vésiculaire ou globulaire qui constitue les brouil-
lards ou les nuages , les corpuscules solides tenus en sus-
pension dans l'air ont les uns et les autres un pouvoir ex-
tincteur très-actif. Remarquons cependant que la chaleur
ainsi arrêtée avant d'arriver jusqu'à nous n'est pas entiè-
rement perdue pour nous : elle est prise par l'air qu'elle
échauffe et nous sert encore , bien que d'une manière
moins directe.

Froid des espaces planétaires .

Quelle que soit la chaleur qui nous arrive, la provision


s'en accroîtrait indéfiniment s'il n'en était fait aucun
emploi ou s'il n'existait pas une voie par où elle s'écoule.
Nous verrons plus loin l'emploi qui est fait sur la surface
de la terre de la chaleur solaire ; il ne s'en consomme ainsi
qu'une très-faible proportion ; mais les espaces planétaires
avec leur température extrêmement basse forment un ré-
cipient indéfini dans lequel elle se perd par la double voie
de la conductibilité de l'air et du rayonnement.
Les auteurs varient beaucoup sur la température qu'ils
attribuent aux espaces planétaires dans le voisinage de la
terre. D'après Fourier, elle serait de 52 degrés au-dessous
de zéro; M. Pouillet la porte à 142 degrés au-dessous de
zéro. Le premier nombre est trop faible , car il est des
points de la terre où la température atteint presque ce de-
gré. Le second nous semble trop fort, et d'après les expé-
riences mêmes de M. Pouillet nous croyons que la tempé-
rature vraie qui serait donnée par un thermomètre isolé
dans les espaces planétaires serait voisine de 100 degrés
au-dessous de zéro. Mais il n'en reste pas moins vrai que
SOURCES DE CHALEUR A LA SURFACE DU GLOBE. 29

la terre joue, au milieu des espaces planétaires, le rôle


d'un corps chaud tendant constamment à se refroidir.
La chaleur du sol se transmet à l'air, et successivement
de couche en couche jusqu'aux limites extérieures où elle
se perd. Cette voie est lente parce que l'air est un corps
très -mauvais conducteur de la chaleur ; mais la transmis-
sion est activée par les mouvements de la masse atmosphé-
rique qui mélangent toutes ses couches et tendent à por-
ter la chaleur de bas en haut et le froid de haut en bas.
La chaleur terrestre se perd aussi et surtout par voie
de simple rayonnement ainsi qu'il arrive pour un corps
chaud placé dans le vide. Mais ce rayonnement terrestre
a lieu au travers de l'air ; et nous retrouvons dans l'air,
surtout dans l'air humide les propriétés électives déjà si-
gnalées plus haut. Si l'air met obstacle à l'arrivée des
rayons solaires , il en met un plus grand encore à la sortie
des rayons terrestres. Les premiers fournis par un astre
fortement incandescent traversent les corps transparents
en y éprouvant des pertes relativement très-faibles , tandis
que les seconds provenant d'une source obscure à la tem-
pérature basse sont soumis à une absorption considérable.
Tandis que dans une atmosphère pure , traversée dans sa
moindre épaisseur par les rayons d'un soleil situé au zé-
nith la perte est d'environ 0,2, elle est de 0,9 pour les
rayons de chaleur terrestre se présentant à la sortie dans
la même direction ; et le même rapport se conserve entre
les deux proportions sous toutes les obliquités . Cette pro-
priété de l'atmosphère a pour effet de maintenir la terre à
une température beaucoup plus élevée que ne le compor-
terait sans cela le froid des espaces planétaires ; elle a aussi
pour effet d'adoucir les transitions entre les températures
du jour et de la nuit, de l'été et de l'hiver. Sans doute les
perturbations de l'atmosphère nous amènent des variations
thermométriques dont la brusquerie nous fait souffrir ;
2.
30 PHYSIQUE AGRICOLE.

mais si comme la lune la terre était dénuée d'atmosphère


sensible , à quelques lieues ou à quelques jours de distance
le thermomètre franchirait des intervalles d'une centaine
de degrés .
L'atmosphère amortit ces changements extrêmes ; elle
ne les supprime pas complétement. Pour apprécier le rôle
qu'elle joue dans la production des froids nocturnes ,
M. Pouillet a cherché quelle devrait être la température
d'une calotte sphérique noircie au noir de fumée qui, subs-
tituée pour un point du globe à la voûte céleste y compris
l'atmosphère produirait sur ce point le même effet de re-
froidissement. Il donne à cette température le nom de
température zénithale.
La température zénithale qui est relativement très-
élevée dans le jour par l'effet de la présence du soleil baisse
rapidement pendant la nuit , et , même dans les mois les
plus chauds de l'été elle descend à plusieurs degrés au-
dessous de zéro , quand le ciel est bien pur. Elle est beau-
coup moins basse quand l'atmosphère contient des va-
peurs s'étendant sur le ciel en forme de voile même à peine
perceptible. Quelques nuages isolés sur un ciel clair n'ont
souvent , au contraire , qu'une influence peu marquée.
Voici , comme exemple , quelques-uns des résultats ob-
tenus par M. Pouillet. Il employait comme actinomètre
pour mesurer le refroidissement , un thermomètre couché
sur un lit de duvet de cygne et gradué à l'avance au moyen
d'un vase à fond noirci , contenant divers mélanges réfri-
gérents , et qu'il substituait à la voûte céleste , en le pla-
çant au-dessus de l'actinomètre. Les expériences suivantes
ont été faites dans une nuit du 10 au 11 avril sous un ciel
très-clair.
SOURCES DE CHALEUR A LA SURFACE DU GLOBE. 31
Tempéra- Température Température
ture de l'acti- Température moyenne de
Heures. de l'air. nomètre. zénithale . l'atmosphère.
7 h. du soir.... 10°2 + 3°9 4°0 -- 23°5
8 h. » 9º9 + 3°0 - 5°6 25°5
9 h. D 9°6 + 2º2 - 7°0 27°0
10 h. D 9°0 + 1°8 - 7°2 - 27°5
5 h. du matin ... 5°0 3°0 13°0 - 35°0
5 h. 30m. » 5°0 3°0 - 13°0 35°0
6 h. > 5°5 -- 2°3 - 12°0 34°0

L'ensemble du ciel et de l'atmosphère rayonnait donc


vers l'actinomètre comme une enveloppe sphérique placée
à quelques pieds de distance, et dont la température eût
été à 5 heures du matin de 13 degrés au-dessous de zéro ,
alors que le thermomètre à l'air libre marquait 5 degrés
au-dessus. Il y a bien loin de ces 13° aux 100 degrés
de froid des espaces planétaires. Une couche de nuages
même à 0 degré aurait beaucoup ralenti le refroidissement
du sol.
Dans des expériences ayant même objet , nous avons
remplacé l'actinomètre de M. Pouillet par une pile ther-
moélectrique donnant des indications plus rapides et plus
précises et permettant par suite de suivre les phases du
rayonnement nocturne dans toutes ses variations. L'une
des faces de la pile était fermée par le fond noirci au noir
de fumée d'une petite caisse cylindrique renfermant de
l'eau et un thermomètre ; l'autre était armée d'un cône
poli qu'on dirigeaft vers les divers points du ciel. Pour gra-
duer l'instrument , on avait préalablement dirigé le cône
vers la face également noircie d'un vase plein d'eau à di-
vers degrés .
Le 27 juin 1869 à 7 heures 45 minutes du soir, le ciel
étant sans nuages, l'instrument tourné vers le sol marquait
une température de 20º, 2, dirigé vers le zénith il marquait
-
9°1 . La différence entre la température zénithale et la
32 PHYSIQUE AGRICOLE.

température du sol était donc de 29º,3 , à 10 heures, l'ins-


trument dirigé vers le sol marquait 17°, 1 , et - 6º,5 quand
on le relevait vers le zénith : la différence n'était plus que
de 23º, 6. A 10 heures 45 minutes , un massif d'arbres
éloigné d'une vingtaine de mètres accusait une tempéra-
ture de 15°, 8, et le zénith une température de - 7º,2, dif-
férence 23°.
La température zénithale ne va pas en diminuant d'une
manière continue depuis le coucher jusqu'au lever du so-
leil , ainsi qu'il résulte des nombres suivants :
27 JUIN 1869.
Heures. Température zénithale.
7 h. 46 m. - 9°1
8 h. 02 m. - 7°8
8 h. 17 m. - 7°2
10 h. 02 m. - 6°5
10 h. 20 m. 7°0
10 h. 43 m. 7°2

26 JUIN 1869.
Heures . Température zénithale.
9 h. 27 m. 997
9 h. 35 m. 9º9
9 h. 43 m. 9°3
9 h 49 m. 9°0
10 h . 20 m. ― 10°2

25 JUIN 1869.
Heures. Température zénithale.
8 h . 48 m. 10°8
8 h. 57 m. - 10°5
9 h. 05 m. - 10°2
9 h. 10 m. 9°9
9 h. 27 m. - 10°1
10 h. — 9°6
10 h. 30 m. - 9°4
10 h. 37 m. - 8º6 des nuages apparaissent.
SOURCES DE CHALEUR A LA SURFACE DU GLOBE. 33

La température zénithale, d'abord très-basse vers le cou-


cher du soleil, se relève un peu vers 9 ou 10 heures. Le
premier effet du refroidissement de l'atmosphère dans ses
régions moyennes est de condenser des vapeurs qui, pour
être imperceptibles à nos yeux, n'en contrarient pas moins
le rayonnement nocturne. Quand ces vapeurs se dissolvent
la température zénithale se reprend à baisser comme les
26 et 27 juin ; mais si la condensation des vapeurs repa-
raît et que des nuages se montrent, la température zéni-
thale se relève comme le 25 juin.
Le 29 juin par un temps très-clair, 9 h. 50m, la tempé-
rature de l'air fut trouvée de 14°6, celle de la superficie du
sol de 11°9, tandis que la température zénithale était de
— 12º7. Le 24 juin, au contraire, le ciel étant couvert de
nuages pommelés laissant voir les étoiles entre leurs bords,
la température zénithale était de + 0°5 celle de l'air étant
de 15°4, à 10 h. du soir.
Dans le jour les phénomènes sont très-différents ; ils va-
rient d'ailleurs avec l'état du ciel , comme le montrent les
résultats suivants.

25 JUIN 1869.

Température
Hcure. zénithale. État du ciel.
8 h. 50 m. + 18°4 Ciel couvert.
8 h. 52 m. + 52°9 id.
9 h. 15 m. + 24°9 Ciel très-couvert.
Midi 10 m. 171°1 Ciel nuageux .
11 m. + 381°0 id.
> 12 m. + 617°5 Des nuages plus ou moins
D 13 m. + 665°9 légers passent devant le so-
D 14 m. + 207°7 leil.

A partir de midi , l'instrument placé dans le méridien


suivit le soleil dans sa marche.
34 PHYSIQUE AGRICOLE.

Le 26 juin, l'appareil fut mis en marche de manière à


suivre le soleil, mais le ciel était chargé de nuages qui
passaient devant l'instrument ; voici les résultats que nous
avons obtenus :

26 JUIN .
Heures. Température zénithalc.
9 h. 45 m. matin. 636°0
10 h. 4 m. 320°0
10 h. 6 m. 45°4
10 h. 13 m. 505°0.

Nous disons température zénithale et non température du


soleil , parce que bien que le cône ait été remplacé par un
cylindre limitant l'étendue du ciel visible par la pile, le so-
leil était très-loin d'occuper toute cette étendue.
Le 27 juin le ciel étant pur et l'instrument étant placé
dans l'ombre projetée par le bâtiment , la pile fut succes-
sivement dirigée vers une partie du sol éclairée par le so-
leil, puis vers un massif d'arbres placés en plein soleil , puis
vers un mur blanc également frappé par les rayons so-
laires et placé à une distance de 50 à 60 mètres, puis enfin
vers une partie du ciel teintée d'un beau bleu. Nous avons
obtenu les résultats suivants, en rappelant à leur occasion
que la pile absorbe tous les rayons lumineux ou obscurs et
que lumière et chaleur ne sont pour nous que deux aspects
d'un même phénomène.

27 JUIN 1869.

Objet visé
Heures. par l'instrument . Température.
8 h. 15 m. matin . Sol éclairé par le soleil. 24°6
8 h. 20 m. Arbres id . 23°0
8 h. 23 m. Mur blanc id. 2798
8 h. 25 m. Ciel bleu id. 12°4
1

SOURCES DE CHALEUR A LA SURFACE DU GLOBE. 35

La présence de nuages dans un ciel bleu augmente son


irradiation , mais aux dépens des points de la surface ter-
restre qui sont dans l'ombre de ces nuages .
On voit par ce qui précède combien sont variables en un
même lieu les causes de réchauffement et de refroidisse-
ment. L'équilibre des températures ne peut s'y produire
qu'autant qu'il y ait égalité entre la perte et le gain de
chaleur. Cet équilibre est toujours cherché ; à peine est-il
atteint que ses conditions sont déjà changées. Ces condi-
tions elles-mêmes varient suivant les lieux , leur distance de
l'équateur ou des pôles , leur éloignement ou leur proxi-
mité des Océans , leur hauteur au-dessus du niveau de la
mer. Ce sont là autant de causes qui diversifient les climats .
Toute la chaleur qui parvient à la surface du sol n'y est
d'ailleurs pas directement sensible au thermomètre . Une
partie est employée à vaporiser l'eau qui le mouille . Cette
chaleur est restituée quand la vapeur d'eau se condense ;
mais elle l'est en des lieux autres que ceux où elle a été
prise. Une autre partie est consommée par les plantes et
emmagasinée par elles dans leurs tissus. Cette chaleur re-
devient libre quand le produit végétal se résout en ses élé-
ments constitutifs soit dans l'animal qui s'en est nourri ,
soit pendant la décomposition spontanée qui s'en produit
dans l'air ou dans le sol ; mais la restitution s'opère en
d'autres temps et en d'autres lieux ; et si la moyenne tem-
pérature de la terre n'est pas sensiblement diminuée par
ces échanges , il en résulte du moins une certaine solida-
rité entre les climats.
36 PHYSIQUE AGRICOLE.

CHAPITRE III.

TEMPÉRATURES DE L'AIR.

Température propre de l'air.

La température propre de l'air est difficile à déterminer


d'une manière précise. A chaque instant du jour et de la
nuit, cette température dépend , d'une part , de la quantité
de chaleur que l'air prend par son contact avec les objets
voisins quand ces objets sont plus chauds que lui , et de
celle qu'il emprunte aux radiations qui le traversent. Elle
dépend, d'autre part, de la quantité de chaleur que l'air
abandonne par voie de rayonnement direct et de celle qu'il
perd par son contact avec les objets voisins quand ces ob-
jets sont plus froids que lui.
La température indiquée par un thermomètre plongé
dans l'air est soumise aux mêmes conditions générales.
En ce qui concerne la perte et le gain de chaleur par
contact avec l'air, cette perte et ce gain étant proportion-
nels à la différence des températures, le thermomètre sera
toujours un peu en retard . Quand il monte, il reste un peu
au-dessus de la température de l'air ; quand il descend ,
il reste un peu au-dessous. La différence , toutefois , sera
d'autant plus faible que la masse du thermomètre sera
moindre et que l'air sera plus agité.
En ce qui concerne les radiations , les influences sont
d'un ordre plus variable et plus élevé. L'air, qui possède
un pouvoir absorbant considérable quand il est envisagé
sous de grandes épaisseurs , n'en a plus qu'un très-faible
TEMPÉRATURES DE L'AIR. 37

sous une épaisseur de quelques mètres seulement. Sa tem-


pérature est donc peu influencée par les radiations qui le
traversent. Ces radiations au contraire sont arrêtées par le
thermomètre qui en profite et dont la température s'élève
en proportion durant le jour. Pendant la nuit les rayons
de chaleur et de lumière diffuse disparaissent presque
complétement ; mais ce sont alors le thermomètre et les
objets terrestres qui rayonnent plus que l'air et dont la
température descend au-dessous de la température de l'air.
Toutefois , il ne faut pas exagérer l'importance de ces
diverses causes d'erreur qu'un bon emplacement du ther-
momètre peut réduire dans des limites assez étroites.
En Angleterre et en Allemagne, pour éviter l'influence
des radiations diffuses , on place généralement les thermo-
mètres dans des caisses dont les parois sont formées par
des persiennes. En France nous préférons les installer à
l'air libre, au milieu d'un gazon , loin des murs exposés
aux rayons solaires. L'installation est du reste des plus
simples quatre forts piquets en chêne sont plantés en terre
aux quatre coins d'un carré d'environ 0m, 80 de côté et
exactement orienté. Les deux piquets placés du côté du
nord s'élèvent environ à 2,50 au-dessus du niveau du sol ;
les deux piquets du midi ont 20 centimètres de moins. Sur
ces piquets on fixe un toit plat carré, de 1 mètre de côté, en
bois ou en zinc. Ce premier toit arrête les rayons solaires,
et comme il s'échauffe et pourrait influencer les thermo-
mètres, on dispose au-dessous et parallèlement à lui un se-
cond toit plus petit, distant du premier de 10 à 15 centi-
mètres , de manière que l'air puisse librement circuler
entre les deux. Le second toit peut être en bois ou en
zinc peint en vert sombre sur sa face inférieure , ou sim-
plement en lustrine verte. C'est au dessous du second toit
et vers son bord septentrional qu'on dispose les thermo-
mètres. Le soleil ne devant jamais les atteindre , on plante
3
38 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

quelques arbustes verts à l'est et à l'ouest pour les abriter


des rayons du soleil levant ou couchant. Divers météoro-
logistes , à la suite des recommandations d'Arago, font
usage du thermomètre fronde. C'est un thermomètre ordi-
naire, de petite dimension, qu'on suspend au doigt par une
ficelle et auquel on imprime un mouvement de fronde assez
rapide. On augmente ainsi dans une forte proportion la
masse d'air en contact avec l'instrument ; on diminue donc
l'écart entre sa température et celle de l'air ; et, sans faire
disparaître l'influence du rayonnement , on en affaiblit
considérablement la valeur relative. Nous donnons ci-des-
sous les moyennes températures observées à l'observatoire
de Montsouris pendant les mois de juillet 1872 et de mars •
1873 à l'aide du thermomètre placé sous son toit-abri et
du thermomètre fronde. Ces moyennes s'obtiennent en
faisant la somme de toutes les observations faites à une
même heure , et en divisant la somme par le nombre des
observations.
JUILLET 1872.
Thermomètre Thermomètre Différences.
fixe. fronde.
7 h. matin. 150,07 15º, 23 + 0°,16
9 h. matin. 17º,65 17º,84 0°,19
• Midi. 20°,66 20°,86 0°,20
3 h. soir. 210,43 210,56 0º,13
6 h. soir . 19º,98 20°,07 0º,09
9 h. soir. 17º,15 17º,16 0°,01
Minuit . 15º,18 15º,14 - 0°,04
Moyennes . 17º,66 17º,75 0°,09
MARS 1873.
8 h. matin. 6º,09 6º,18 0°,09
9 h. matin. 7°,50 7°,63 0º,13
Midi . 10°,60 10°, 82 0°,22
3 h. soir. 110,75 11º,90 0º,15
6 h. soir. 10°,08 10º,15 0°,07
9 h . soir. 8°,14 8°,16 0°,02
Minuit. 6º,95 6º,92 -0°,03
Moyennes. 8°,40 8º,38 + 0°,08
TEMPÉRATURES DE L'AIR. 39

Dans le jour le thermomètre-fronde, malgré le courant


d'air qu'on établit artificiellement autour de lui, donne
des indications plus élevées que le thermomètre fixe ; l'é-
cart maximum a lieu à midi , heure du maximum d'éclaire-
ment. C'est que pendant sa rotation opérée à l'ombre , le
thermomètre-fronde voit une grande partie du ciel et en
reçoit des rayons , tandis que le thermomètre fixe placé
sous son abri ne voit guère que l'horizon . A minuit c'est
l'inverse, le thermomètre-fronde perd plus par rayonne-
ment que le thermomètre abrité. Ce dernier donne donc
mieux que l'autre la température de l'air.
Sans doute les radiations sont un élément météorolo-
gique au moins aussi essentiel à connaître que la tempé-
rature propre de l'air ; mais pour obtenir des résultats pré-
cis , il est nécessaire de les évaluer l'un et l'autre par des
méthodes distinctes isolant leurs effets.
Au point de vue de la végétation, les extrêmes thermo-
métriques ont une importance au moins aussi grande que
la température moyenne du jour. Quelques heures de
gelée blanche suffisent au printemps pour détruire les
récoltes les mieux préparées ; des coups de chaleur à l'é-
poque de la floraison ou de la fructification peuvent éga-
lement produire de grands dommages. Aussi presque tous
les météorologistes ont-ils adopté l'usage des thermomètres
à maxima et à minima , alors même qu'ils exécutent des
observations à heures fixes.
Le thermomètre à minima est un thermomètre à alcool
renfermant dans sa tige un petit index en émail. Cet
instrument doit être disposé horizontalement , ou mieux
très-légèrement incliné sur l'horizon , le réservoir en bas,
pour éviter que des gouttelettes d'alcool se détachent de
la colonne et ne faussent ainsi les indications. Pour le
mettre en expérience , on redresse l'instrument, le réservoir
en haut , pour faire glisser l'index jusqu'à l'extrémité de
40 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

la colonne, puis on le replace dans sa position horizon-


tale. A mesure que le thermomètre baisse pendant la nuit,
l'index est ramené en arrière ; il reste en place au con-
traire quand le thermomètre monte et il accuse ainsi le
point le plus bas auquel la température est descendue.
Le thermomètre à maxima est un thermomètre à mer-
cure d'un usage plus délicat que le précédent. Le meilleur
est celui qu'on désigne en France du nom de Walferdin.
La colonne de mercure y est divisée vers son extrémité
libre par une petite bulle d'air qui en sépare un index
long de quelques centimètres. Quand la température monte,
l'index est poussé en avant ; quand elle baisse, l'index
reste en place et montre à quel degré il a été porté . Ce
thermomètre présente l'inconvénient de se déranger faci-
lement pendant le transport. Il est très-facile de le re-
mettre en bon état ; mais c'est une opération qu'il faut
avoir vu faire et à laquelle il faut s'être exercé. Dans le
thermomètre à maxima de Negretti, la division de la co-
lonne se fait d'elle-même dans un étranglement pratiqué
au point de jonction de la colonne et du réservoir. La
colonne s'allonge à mesure que la température monte ;
elle reste en place quand la température descend. Après
la lecture du thermomètre, on le redresse, le réservoir en
bas, et, au moyen de quelques chocs avec le doigt, on fait
rentrer le mercure dans le réservoir. Cet instrument
pistonne quelquefois, c'est-à-dire que sa colonne monte
par secousses dues aux gouttelettes de mercure qui sortent
du réservoir pour s'ajouter à la colonne. C'est là un dé-
faut qui nécessite un choix dans les appareils.
Quand on ne peut pas installer ses thermomètres sous l'a-
bri que nous avons indiqué plus haut, on peut les adosser
à un mur ou en avant d'une fenêtre exposée au nord , loin
des bâtiments qui pourraient les influencer. Afin de com-
parer les indications fournies dans ces deux conditions ,
TEMPÉRATURES DE L'AIR. 41

nous avons placé des thermomètres à maxima et à minima


à 0m40 du mur nord de l'observatoire de Montouris sous
une galerie très-élevée et largement ouverte formant por-
tique extérieur. Voici les moyennes des résultats obtenus
en mars 1873.

Mars 1873. Moyennes Moyennes Moyennes


des des du
minima. maxima. mois.
Thermomètres en plein air. 3º,7 12º,9 8º,3
Thermomètres de la galerie. 40,0 120,4 8°,2
Différences. + 0º,3 - 0°,5 - 0º,1

En plein air et sous notre faible abri les minima sont


un peu plus bas et les maxima un peu plus hauts que sous
le portique, bien que celui-ci et le bâtiment de l'observatoire
soient extrêmement légers. Les cages employées en Alle-
magne doivent donner des résultats analogues.
Les différences obtenues à l'observatoire de Paris avec
les thermomètres d'Arago et les thermomètres actuels mis
en plein air sous leur abri , ont été encore plus marquées
comme le montrent les chiffres suivants. Les thermomètres
d'Arago sont un peu volumineux ; ils sont placés sur le
côté ouvert d'une sorte de tambour métallique suspendu
lui-même à un mètre environ du mur nord de la salle
méridienne.

Mars 1872. Moyennes Moyennes Moyennes


des des du
minima. maxima. mois.
Thermomètres en plein air . 4º,0 13º,9 8°,95
Thermomètres d'Arago . 4º,8 120,1 80,45
Différences . + 0°,8 10,8 - 0°,50

Les gros thermomètres , les abris et le voisinage des gros


murs , ont donc pour effet d'élever les minima , d'abaisser
les maxima et d'affaiblir ainsi les variations diurnes. De
42 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

plus, dans la masse d'ombre projetée par un grand bâtiment


la température moyenne en été peut être sensiblement plus
basse qu'à l'air entièrement libre ; elle peut, par contre,
être plus élevée en hiver, ce qui tend à diminuer l'écart
entre les données thermométriques des deux saisons.
Il est d'autres cas au contraire où la proximité de bâti-
ments chauffés par le soleil peut donner des résultats beau-
coup trop élevés.
M. le Dr Fines de Perpignan et M. Beguin , directeur de
l'École normale de la même ville , sont deux météorolo-
gistes très-experts et très-dévoués à leurs travaux d'ob-
servation ; mais l'École normale de Perpignan est placée
dans des conditions peu favorables à une bonne instal-
lation des thermomètres. Son observatoire météorolo-
gique est composé d'un petit pavillon construit sur la
toiture de l'École et mesurant intérieurement 2m35 de
côté sur une hauteur de 2 mètres . C'est un carré parfait
dont les diagonales sont orientées nord- sud et est- ouest .
Les thermomètres vérifiés avec soin une fois par an par
M. Fines sont fixés sur une planchette mobile autour de
deux pivots plantés sur un des montants de la fenêtre qui
regarde le nord-ouest. Ils sont abrités du côté du couchant
par deux planches éloignées l'une de l'autre de 0,20. Au-
dessus , et à une distance de 0,75 s'avance un abri en zinc
qui protége les instruments contre la pluie et le soleil.
M. Fines a installé d'autres instruments dans des condi-
tions plus favorables , sur un terrain appartenant à l'ad-
ministration du chemin de fer et placé près de la gare.
Deux poteaux solidement fixés dans le sol soutiennent un
abri formé par deux plans en bois , parallèles , éloignés l'un
de l'autre de 0,10 et inclinés au sud d'un angle de 30 de-
grés sur l'horizon. Le plan supérieur a 1 mètre carré , le
plan inférieur n'a que 0m, 90 de côté. Les faces qui regar-
dent le ciel sont peintes en gris , celles qui regardent la
TEMPÉRATURES DE L'AIR. 43

terre sont peintes en noir. Les instruments sont au ni-


veau inférieur de l'abri et à une distance de 1,50 du sol
gazonné. Une double cloison dont les parois sont éloignées
l'une de l'autre de 0,10 est vissée sur la face extérieure
des poteaux pour abriter les instruments du soleil levant
ou couchant.
M. Fines a également placé des thermomètres dans un
jardin qu'il possède sur la rive gauche de la Basse. Ce jar-
din a une contenance de 165 mètres carrés ; il est fermé
au nord et au sud par les murs des maisons voisines , à
l'ouest par un mur de clôture de 3 mètres et à l'est par
une simple palissade en roseaux. Les thermomètres étaient
à 1,50 au-dessus du sol et à 1 mètre en avant du mur dont
la face regarde le nord et qui est élevé d'une hauteur de
trois étages. Voici les résultats obtenus simultanément
dans ces trois stations d'une même ville.

MOYENNES DES TEMPÉRATURES MINIMA.


Hiver. Printemps. Été. Automne. Année.
Chemin de fer. 3º,31 8°,95 16º,68 10º,15 9°,77
École normale . 3º,61 10°,60 180,02 11º,31 10°,88
Jardin encaissé. 20,98 9º,91 17º,72 10°,92 10º,38

MOYENNES DES TEMPÉRATURES MAXIMA.


Hiver. Printemps. Été. Automne. Année.
Chemin de fer. 11º,68 20°,55 29°,22 210,65 20°,77
École normale. 11º,33 20°,64 29°,36 21º,19 20°,63
Jardin encaissé. 10°,03 19º,63 27°,76 19°,72 19º,28

MOYENNES DES MAXIMA ET MINIMA.


Hiver. Printemps. Été. Automne. Année.
Chemin de fer. 6º,99 140,75 220,95 15°,90 15º,15
École normale. 70,46 15°,60 23º,74 16º,26 15°,76
Jardin encaissé. 6º,49 14°,77 22°,97 15º,30 140,88
44 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

ÉCARTS MOYENS DES MAXIMA ET MINIMA.


Hiver. Printemps. Été. Automne. Année.
Chemin de fer. 9º,37 11º,60 120,54 110,50 11º,25
École normale . 7º,72 10°,04 110,34 9°,88 9°,75
Jardin encaissé. 7º,13 9°,76 9°,76 7°,63 8°,57

Les écarts thermométriques moyens sont ici , comme dans


les comparaisons précédentes , d'autant plus élevés que le
lieu où sont installés les thermomètres et que les thermo-
mètres eux-mêmes sont moins abrités. Entre la gare
du chemin de fer et l'École normale , la différence des
écarts moyens et de 1º,5 et varie assez peu avec les saisons.
Entre la gare et le jardin de M. Fines , la différence
moyenne est de 2º,7, et tandis qu'elle est de 1º,8 au prin-
temps elle s'élève à 3º, 9 en automne. Ces écarts, que l'on
considère généralement comme une des caractéristiques
des climats, varient donc beaucoup avec l'emplacement et
le mode d'installation des thermomètres. Ajoutons que
même dans les conditions les plus favorables, les thermo-
mètres à maxima et à minima ne donnent jamais les tem-
pératures extrêmes par lesquelles passent les plantes des
champs. Celles-ci descendent plus bas la nuit et montent
plus haut le jour que ne l'indiquent les thermomètres
bien installés .
Les températures moyennes déduites des maxima et mi-
nima sont moins influencées, tout en l'étant cependant
d'une manière sensible. A l'École normale , la moyenne
annuelle surpasse de 0°,6 celle de la gare du chemin de
fer. En automne, saison des pluies, l'excès n'est que 0º,36 ;
en hiver il monte à 0º,5 sous l'influence de la chaleur qui
se dégage des habitations ; au printemps et en été il at-
teint 0°, 8 sous l'influence de l'échauffement des toits par
le soleil. La température moyenne observée dans le jardin
que des murs élevés abritent en partie du soleil et où le
TEMPÉRATURES DE L'AIR. 45
renouvellement de l'air est gêné, est au contraire inférieure
de 0º, 3 à celle de la gare. La différence est négligeable
au printemps et en été ; elle s'élève à 0°, 6 en automne et
à 0°, 5 en hiver. Elle est notablement plus élevée certains
jours que d'autres.
Une uniformité complète dans le mode d'installation des
instruments serait donc aussi désirable qu'elle est difficile
à réaliser ; tout au moins est-il nécessaire , pour apprécier
avec justesse les données thermométriques d'une station ,
de bien connaître les conditions dans lesquelles elles ont
été obtenues. Il devient alors possible de déterminer exac-
tement la répartition générale de la chaleur à la surface
d'un grand pays et les variations périodiques ou acciden-
telles qu'elle subit dans le cours des années successives .
La configuration du sol, sa nature , son élévation, son degré
d'humidité , son état de culture, etc. , amènent des varia-
tions locales que les vents tendent à amoindrir sans les
effacer complétement .
Ajoutons enfin que la température de l'air est une résul-
tante des températures de tous les objets terrestres qu'il
entoure et sur lesquels il se promène, mais que chacun de
ces objets peut avoir son degré de chaleur propre dépen-
dant de sa nature et de son exposition.

Variations diurnes de la température de l'air .

La température de l'air en un même lieu oscille géné-


ralement chaque jour entre deux températures extrêmes ,
le maximum et le minimum, séparés l'un de l'autre par un
intervalle plus ou moins grand suivant la saison , l'état
du ciel et la position du lieu.
Dans les régions à climat constant , comme on en trouve
entre les tropiques , la marche du thermomètre offre une
grande régularité et se reproduit à peu près la même pen-
3.
46 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

dant des mois entiers . Sous nos climats variables , il en


est tout autrement, et presque chaque jour présente une
physionomie différente de celle de la veille. Pour dégager
la marche générale du phénomène des perturbations acci-
dentelles qui l'altèrent , il faut multiplier les séries d'ob-
scrvations et prendre des moyennes.
Observer le thermomètre d'heure en heure , la nuit
comme le jour, et cela sans interruption pendant des an-
nées entières, serait un travail impossible à un seul homme,
et fatigant même pour un groupe d'observateurs exercés .
Aussi, peu de météorologistes ont-ils eu cette patience.
Heureusement , les moyennes températures horaires aux-
quelles ils sont arrivés présentent une telle concordance
qu'il est possible d'étendre la loi trouvée à des localités
plus nombreuses au moyen d'observations faites chaque
jour à des heures moins multipliées.
Nous prendrons comme exemple des résultats obtenus
ceux qui sont fournis par M. Quételet, directeur de l'obser-
vatoire de Bruxelles, et que nous avons construits graphi-
quement dans la figure 1. Dans cette planche , les li-
gnes verticales correspondent aux heures paires ; les li-
gnes horizontales figurent les degrés, le zéro correspon-
dant à la ligne la plus basse. Pour chaque mois , on a fait
la somme des températures observées à une même heure
du jour et de la nuit dans la série des cinq années com-
mençant à 1843 et finissant à 1847 , et on a divisé la somme
par le nombre des observations, ce qui donne leur moyenne.
Cette moyenne obtenue a été portée sur la ligne horaire
correspondante. En opérant ainsi pour chacune des vingt-
quatre heures et en réunissant par une ligne continue les
points marqués sur le quadrillé, nos avons la courbe diurne
des températures du mois. Afin d'éviter la superposition
et le mélange de ces courbes de températures dont le zéro
est placé pour toutes sur une même base horizontale, nous
TEMPÉRATURES DE L'AIR. 47

les avons partagées en deux groupes . Le premier corres-


pond aux sept mois rangés dans l'ordre suivant : janvier,

June Juillet
200
Mai

150
Avril

10°
Mars

Février

Janvier
12 2 4 6 8 10 12 2 4 6 8 10 12
Bruxelles 1843-1847

Aout
20
Septembre

Octobre

Ποσ
Novembre

Décembre

12 2 4 6 8 10 12 2 4 6 8 10 12
Figure 1.

février, mars, avril, mai, juin et juillet ; l'autre correspond


aux cinq mois allant d'août à décembre.
48 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

L'amplitude de l'oscillation thermométrique diurne est


très-inégale dans les divers mois de l'année ; elle est faible
en hiver et beaucoup plus prononcée en été.
Le maximum thermométrique moyen arrive entre une
heure et deux heures du soir dans les mois d'hiver ; il re-
cule jusque vers trois heures dans les mois d'été. Le déplace-
ment est encore plus marqué pour le minimum dont l'ap-
parition précède de une demi-heure environ le lever du
soleil.
Les circonstances locales peuvent changer un peu la
position de ces températures extrêmes ; c'est ainsi que dans
le voisinage de la mer les brises marines rapprochent de
midi le maximum thermométrique du jour. Les brises de
montagne produisent des effets du même genre , mais en
sens inverse, sur les lieux élevés.
Les maxima et minima vrais de chaque jour sont loin
de tomber toujours aux heures moyennes ; l'amplitude de
l'oscillation diurne telle qu'elle est figurée dans la plan-
che 1 se trouve amoindrie par ce défaut de concordance.
On peut opérer autrement, calculer isolément la moyenne
des maxima vrais et celle des minima vrais de chacun des
jours d'un même mois et en prendre la différence. On ob-
tient ainsi une moyenne plus exacte de l'étendue de la fluc-
tuation thermométrique diurne. C'est cette fluctuation
qui est représentée dans la planche 2. Ici, chaque ligne
verticale correspond à un mois de l'année désigné par sa
lettre initiale. La courbe qui y est tracée s'éloigne d'au-
tant plus de la base inférieure que l'écart moyen entre les
maxima et minima du mois est plus considérable. L'écart
minimum tombe en décembre , sa valeur y est de 3º,2 :
c'est l'époque de l'année pendant laquelle le soleil reste le
moins longtemps sur l'horizon et s'y élève le moins haut.
L'écart maximum , 10°, 1 , tombe en juin, mois dans le-
quel les jours ont leur maximum de durée et pendant le-
TEMPÉRATURES DE L'AIR, 49

quel le soleil atteint le plus haut point au-dessus de l'ho-


rizon.
L'état, habituel du ciel modifie sensiblement ces résul-
tats. Dans les pays et dans les mois à ciel brumeux , l'os-
cillation diurne est moindre que dans ceux où le ciel est
habituellement dégarni de nuages. Les brises de mer ou de
montagnes amènent aussi des changements appréciables
dans l'amplitude de ces oscillations comme dans la position
de leurs termes extrêmes. Mais en laissant de côté pour le
moment ces conditions locales, on trouve généralement que
l'écart moyen entre les maxima et minima diurnes est

Amplitude moyenne de l'oscillation diurne


Bruxelles
10°

DJ F M A M J J A S O N D
Figure 2.

d'autant plus grand qu'on pénètre plus avant dans l'inté-


rieur des continents et qu'on se rapproche davantage des
régions équatoriales. Dans la zone même des pluies équato-
riales il diminue au contraire à cause des nuages perma-
nents qui couvrent le ciel.
Nous avons figuré dans la planche 3 les courbes ther-
mométriques diurnes des mois de janvier et juillet dans
quatre localités différentes. A Leith, en Écosse, le thermo-
mètre ne varie pas de 2 degrés en moyenne dans les jours
de janvier. A Bruxelles l'oscillation diurne moyenne est un
peu plus forte. Elle est encore plus grande à Padoue , plus
grande encore à Göttingue. Des résultats analogues se
50 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

produisent en été. On remarquera en même temps que les


courbes accusent une oscillation diurne plus forte en été
qu'en hiver et que l'ordre de leur distribution change d'une
saison à l'autre. En outre de sa position septentrionale ,
Leith est placée à peu de distance de la mer et participe

Mois de Juillet .
30

25 GoPa
ttdou
in e
ga
e
O
20. Br
ux
el
le
s
15 Lei
th
O
10
Mois de Janvier
39
Leith
Padoue
O Bruxelles

Gottingue
.69

12 2 46 8 10 12 2 .8 10 12
Figure 3..

des températures peu variables de ses eaux. Bruxelles est à


une latitude moins élevée et est un peu plus éloignée de la
mer. Padoue est plus méridionale que Göttingue, mais
cette dernière ville est située plus avant dans les terres et
placée à un niveau plus élevé au-dessus de la mer.
Ces différentes allures du thermomètre correspondent à
TEMPÉRATURES DE L'AIR. 51

des changements nécessaires dans les usages des divers


pays. Les températures basses mais peu variables pendant
la durée du jour dans les climats marins du Nord , n'exi-
gent pas les mêmes précautions que la fraîcheur des nuits
succédant aux fortes chaleurs du jour dans les pays chauds
situés à une certaine distance des océans. Par contre cette
fraîcheur des nuits repose d'une chaleur dont la continuité
deviendrait difficile à supporter. Des effets analogues se
remarquent dans la végétation.

Variations annuelles de la température de l'air.

La variation moyenne annuelle de la température suit,


quant à son amplitude, une loi presque inverse de la varia-
tion diurne . Elle est en effet très-faible dans les régions
équatoriales et augmente rapidement à mesure qu'on s'a-
vance vers les pays froids. Toutefois nous remarquerons
qu'à latitude égale , la mer agit dans le même sens sur les
températures annuelles que sur les températures diurnes ;
l'oscillation thermométrique diminue sous son influence ;
elle augmente quand on s'en éloigne pour pénétrer dans
l'intérieur des grands continents. La planche 4 en fournit
des exemples.
Dans cette planche , chaque ligne verticale correspond ,
comme dans la planche 2, à l'un des mois de l'année. Les
lignes horizontales correspondent aux températures qui vont
de 38 degrés au- dessous de zéro jusqu'à 28 degrés au-dessus
du même point. Les quatre lignes courbes qui y sont tracées
passent par les points correspondant aux températures
moyennes mensuelles des quatre localités dont les noms
sont d'ailleurs placés sur la droite des courbes correspon-
dantes. A Hawaï, située au milieu de l'océan Pacifique ,
la température moyenne varie très-peu d'un mois à l'autre.
A Moscou la température moyenne atteint à peu près au
52 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Havai
+20

+10

Paris

100

-10
Moscou

-20

₤30
Boothia

JF M A M J J A S OND

Figure 4.
TEMPÈRATURES DE L'AIR. 53

même degré en été qu'à Paris ; le maximum y arrive seu-


lement environ un mois plus tôt. Mais dans le centre de la
Russie l'été est très-court et la température moyenne du
mois de janvier descend à près de 12 degrés au-dessous de
zéro, tandis qu'à Paris elle est d'environ 2 degrés au-dessus
du même point. A Boothia Felix, dans le nord du Canada,
la température moyenne de juillet a été trouvée de 5º,4
mais celle de mars serait de 35°,4 au-dessous de zéro . A
mesure qu'on monte vers le pôle, la température moyenne
des mois de la saison chaude diminue, mais avec assez de
lenteur ; la longueur des jours supplée à la faiblesse des
rayons solaires. Rien ne supplée à la longueur des nuits
dans les hautes latitudes si ce n'est la mer dans les régions
où affluent les courants chauds de l'Océan. L'Irlande, l'É-
cosse , les Hébrides , les Shetland , les Feroë , les Loffoden,
jouissent d'un climat relativement tempéré en hiver,
comme les îles de la Manche.

Températures moyennes annuelles .

Les températures moyennes annuelles s'obtiennent en


faisant la somme des températures moyennes de chacun
des jours de l'année et en divisant la somme par le nombre
des jours. Quelquefois aussi , après avoir déterminé la
température moyenne de chacun des douze mois , on en
fait la somme qu'on divise par douze. On attribue ainsi le
même poids à tous les mois malgré l'inégalité de leur du-
rée , mais l'erreur commise est négligeable.
Les températures moyennes annuelles sont loin d'avoir
au point de vue agricole le même intérêt que les observa-
tions directes ou les moyennes diurnes, et même que les
moyennes mensuelles. Les temps relativement froids ou
chauds s'enchevêtrent tellement dans le cours d'une même
année qu'ils se compensent à peu près. La compensation ,
54 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

toutefois, n'est jamais complète , et dans les 68 dernières an-


nées, de 1804 à 1872, la température moyenne annuelle est
descendue dix fois au-dessous de 10° centigrades et elle s'est
élevée trois fois au-dessus de 12°. La plus grande variation
est celle qu'ont présentée les années 1829 dont la moyenne
a été de 9º 1 , et 1834 dont la moyenne a été de 12º 3. L'é-
quilibre s'établit à peu près dans le cours d'un petit
nombre d'années , et les résultats moyens qu'on obtient
acquièrent une grande importance au point de vue de la
répartition générale de la chaleur à la surface du globe
et de la détermination des causes qui modifient cette ré-
partition. C'est à ce point de vue que nous reproduisons
ici (planche 5) la carte générale des isothermes, ou des lignes
qui passent par les points de la surface du globe, pour les-
quels la température moyenne annuelle est la même et re-
présentée par le chiffre placé à droite de chaque courbe.
Ces lignes ne tiennent aucun compte des conditions pu-
rement locales telles que l'exposition, la pente et la hau-
teur du lieu au-dessus du niveau de la mer. Le problème
a été réduit à ses termes les plus simples , pour mettre
mieux en évidence l'influence des causes générales , sauf à
revenir ultérieurement sur les causes d'une origine plus
rapprochée.
L'inspection de la carte des isothermes montre que les
questions de latitude n'interviennent pas seules dans la
répartition de la chaleur à la surface de la terre . La partie
occidentale de l'Europe est beaucoup mieux partagée, sous
ce rapport, que sa partie orientale, et la différence est d'au-
tant plus fortement accusée qu'on remonte plus haut vers
le pôle. Le même effet se remarque dans l'Amérique du
Nord.
En ce qui concerne notre continent , en particulier, nous
voyons que l'isotherme de 10° passe dans le sud de l'Ir-
lande et de l'Angleterre , puis de là s'incline vers le midi
TEMPÉRATURES DE L'AIR. 55

en traversant la Belgique , la Bavière, l'Autriche et le


nord de la mer Noire. Les isothermes de 5º et 0° attei-
SU

GRO
D

ENL
AN

Figure 5.- Lignes isothermes ou d'égales températures moyennes annuelles.

gnent des hauteurs proportionnellement plus grandes en-


core sur les côtes occidentales de l'Europe que dans l'inté-
56 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .
rieur du continent. Nous étudierons les causes de ces
inégalités dans les chapitres où nous traiterons de la cir-
culation de l'atmosphère et des mers ; mais la planche 6
peut dès ce moment nous faire comprendre l'étendue et
le mode de leur action. Dans cette planche , les lignes à
trait continu passent par les points qui ont même tem-
pérature moyenne en hiver on les nomme isochimènes ;
les lignes pointillées passent par les points qui ont même
température moyenne de l'été : on les nomme isothères.
A l'inverse des isothermes , les isothères ont une tendance
marquée à remonter vers le pôle en pénétrant sur le con-
tinent. L'intérieur des terres s'échauffe plus fortement
en été que la mer et les côtes qu'elle baigne ; par contre ,
en hiver, c'est la mer qui se refroidit le moins. Nous voyons
en effet l'isochimène de zéro degré passer à une petite
distance au sud de l'Islande , arriver avec une assez faible
déviation jusque vers les côtes de Norwége , puis des-
cendre brusquement vers le midi au travers de la Norwége
et du Danemark, et s'abaisser ensuite plus lentement jus-
que dans le sud de la Crimée. L'isothère de 10° et l'iso-
chimène de 0° se confondent presque dans les parages de
l'Islande où la température moyenne de l'été et celle de
l'hiver ne diffèrent ainsi que d'une dizaine de degrés. Ces
deux lignes au contraire s'écartent déjà notablement l'une
de l'autre en arrivant près des côtes de Norwége , et sur
la Russie elles sont distantes de presque toute la largeur
du continent. Dans la province d'Arkangel la tempéra-
ture moyenne des saisons passe de - 15° en hiver à +
10° en été. L'oscillation est de 25°, c'est-à-dire deux fois
et demie l'oscillation observée dans le sud de l'Islande ;
et l'oscillation est encore plus considérable plus à l'est ,
dans la Sibérie.
Les plantes sensibles au froid, sans exiger cependant une
grande chaleur en été, pourront donc s'élever plus haut
TEMPÉRATURES DE L'AIR. 57
dans le nord sur les côtes occidentales de l'Europe que
dans l'intérieur du continent. Celles qui , sans être aussi
20

-15

OT
+150

UI
10

I HE
RQ
ALLEMAGNE

C
TU

AFRIQUE
0
°
ANGLETERRE

GNE
SAND

SRA
°0
1

Figure 6. - Lignes d'égales températures de l'hiver.


+++ Lignes d'égales températures de l'été.

impressionnables au froid, ont besoin de beaucoup de chaleur


en été pour arriver à maturité , pourront au contraire s'é-
58 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

lever plus haut vers le nord dans l'intérieur du continent


que sur les côtes.

Variation de la température avec la hauteur.

Dans tous les climats et par tous les temps , la tempérɛ-


ture de l'air décroît plus ou moins rapidement à mesure
qu'on s'élève plus haut dans l'atmosphère. Gay-Lussac, dans
son voyage aérien du 16 septembre 1804, trouva un froid
de 10 degrés au-dessous de zéro à une hauteur de 7,000 mè-
tres. Dans la cour de l'Observatoire d'où il était parti , le
thermomètre marquait 28° ; l'abaissement total était donc
de 38°, soit de 1º en moyenne par 180 mètres de hauteur.
Dans leur ascension du 26 juillet 1850, MM. Barral et
Bixio trouvèrent 39 degrés de froid à la même hauteur de
7,000 mètres. Le froid se développa très-brusquement dans
la traversée d'un nuage dont l'épaisseur fut évaluée à
5,000 mètres au moins et qui était formé de petites aiguilles
de glace. On constate, en effet , d'assez grandes différences
dans la vitesse du décroissement de température à mesure
qu'on s'élève plus haut au-dessus du niveau de la mer, sui-
vant l'heure , l'état du ciel , la direction du vent , le relief
du sol, etc.
La planche 7 représente la série des hauteurs moyennes
correspondantes à un abaissement de température de 1 de-
gré dans chacun des mois de l'année. Ce calcul a été fait de
la manière suivante . On a pris les températures moyennes
du mois de janvier, par exemple, à Genève et au grand Saint-
Bernard ; on en a fait la différence, puis on a divisé par
cette différence la hauteur du grand Saint-Bernard au-des-
sus de Genève et on a ainsi obtenu la hauteur moyenne cor-
respondant à un abaissement de 1 degré. On a opéré de la
même manière pour chacun des douze mois , puis on a porté
les nombres obtenus chacun.sur la ligne verticale du mois
TEMPÉRATURES DE L'AIR. 59

correspondant à partir de la base commune, et en donnant à


chaque interligne horizontal une valeur de 10 mètres. On a
réuni tous les points ainsi obtenus par un trait plein. Le
trait pointillé correspond à une opération semblable faite
entre l'Allemagne méridionale et l'Italie septentrionale.
Cette dernière courbe étant placée au-dessous de la pre-
mière nous indique que la décroissance de la température

200

150

100 Genève et S. Bernard


Allemagne Meridionale
50 . et Italie Septemtrionale

DJ F M A M J J A S O N D
Figure 7.

est plus rapide sur le versant italien des Alpes qu'entre


Genève et le Saint-Bernard . La décroissance est également
plus rapide en été qu'en hiver. Elle est à son minimum en
janvier : c'est le mois dans lequel la stabilité de l'atmos-
phère est en général à son maximum dans nos pays , mais
elle est très- changeante d'un jour à l'autre.
Cette décroissance de température est due à plusieurs
causes. La surface du sol absorbe à elle seule une plus grande
60 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

proportion de chaleur quela couche atmosphérique dans toute


son épaisseur. La terre est en outre un très-mauvais conduc-
teur qui ne laisse que très - difficilement la chaleur pénétrer
de la surface dans les couches sous-jacentes. Il en résulte
que cette surface s'échauffe beaucoup en été. La couche
d'air qui la recouvre immédiatement participe de cette
température , tandis que la couche limite en contact avec
les espaces planétaires ressent de ces espaces un froid
très-vif. La température décroît nécessairement d'une fa-
çon plus ou moins régulière entre ces deux limites . Mais il
est une autre cause plus importante encore.
L'air en s'élevant en hauteur est de moins en moins
comprimé par le poids des couches supérieures. Si nous
supposons qu'un ballon à parois extensibles isole une cer-
taine masse d'air à la surface du sol et que nous le fassions
monter, l'air qu'il contient sera de moins en moins com-
primé et son volume augmentera. Or, par le seul fait de
son extension en volume , une partie de sa chaleur libre ,
sensible au thermomètre , est employée à effectuer ce chan-
gement ; elle devient latente et la température du gaz di-
minue. Si nous ramenons le ballon à son point de départ ,
toute la chaleur sensible disparue pendant la dilatation
reparaît par le fait même de la compression et on revient à
i
la température initiale. La variation de température pro-
venant de cette seconde cause serait de 1 degré par 80 mè-
tres d'accroissement en hauteur pour de l'air complétement'
sec; elle est d'autant moins rapide que l'air est plus hu-
mide , et elle est encore retardée quand le froid produit
amène une condensation de vapeur sous forme de nuages
ou de pluie ou neige. Il en résulte que l'air peut être brassé
dans tous les sens par des vents de toute nature et de toute
origine, il sera toujours d'autant plus froid qu'on le prendra
à une plus grande hauteur, sans préjudice des influences
accidentelles ou locales. Nous en verrons plus loin les con-
TEMPÉRATURES DE L'AIR. 61

séquences. En nous tenant pour le moment aux moyennes,


nous voyons que , avec une vitesse de décroissement de
1 degré par 180 mètres , la température du mois le plus
chaud de Paris n'y serait plus que de 9º environ à une
hauteur de 1,800 mètres au-dessus du niveau de la mer.
La plupart de nos arbres exigeant une température de
10° pour végéter ne pourraient plus vivre à cette hau-
teur. A 1,200 mètres le mûrier ne pourrait pousser ses
bourgeons ; à 120 mètres la culture de la vigne ne serait
plus praticable, et à la surface même du sol actuel elle est
très-précaire. Par contre, dans les pays tropicaux , on ren-
contre sur les hauts plateaux nos cultures des climats tem-
pérés , nos céréales et nos fruits.

Variations accidentelles de la température de l'air.

Dans les pages précédentes nous n'avons considéré que


les moyennes , expression générale de l'ensemble des causes
qui constituent notre climat. La réalité des faits est très-
éloignée de cette régularité qu'on ne rencontre guère que
dans certains points les plus favorisés des régions inter-
tropicales.
Les températures effectives des diverses heures d'un
même jour ne suivent presque jamais en France les courbes
tracées dans la planche 1 , page 47, et les écarts entre leurs
extrêmes sont loin de s'accorder toujours avec la courbe des
planches 2 et 3, pages 49 et 50. Il en est de même des fluctua-
tions de lachaleur dans le cours de l'année représentées dans
la planche 4, page 52. A Paris, comme dans toute l'Europe,
chaque jour, chaque mois, chaque année ont leur caractère
propre , non-seulement sous le rapport de la chaleur, mais
aussi de chacun des éléments climatériques. En partant des
soixante années d'observations faites à l'Observatoire de
Paris de 1806 à 1870, nous avons calculé isolément la tem-
4
62 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

pérature moyenne de chacun des 365 jours de l'année ,


366 pour les années bissextiles. La courbe figurative de
ces moyennes est encore loin d'être régulière. Les inéga-
lités de chaque jour ne se reproduisant pas aux mêmes
dates ne se superposent pas exactement ; des jours froids
s'ajoutent à des jours chauds de même date pris dans une
autre année et diminuent leur influence dans les moyen-
nes , mais sans la faire complétement disparaître. Soixante
années d'observations n'y suffisent pas. Y parviendrait-
on par un plus grand nombre d'années ? Oui , si les faits
météorologiques de notre pays sont un simple jeu du ha-
sard. Nous ne saurions admettre une pareille conclusion.
Tout dans la nature est soumis à des lois dont les plus
simples peuvent se plier à nos formules, mais dont la plu-
part nous échappent , malgré les tentatives faites pour les
découvrir et les espérances toujours déçues que nous con-
cevons de les avoir surprises. Mais la science ne connaît
pas le découragement et chaque jour d'ailleurs soulève un
coin du long voile qui nous masque les lois si ardemment
poursuivies.
Dans la planche 8, nous avons figuré par un trait plein
les moyennes températures de chaque jour des mois de no-
vembre et décembre déduites de vingt et une années d'ob-
servations par Bouvard ( 1816-1826 ) : elles diffèrent très-
peu de celles que nous avons ultérieurement déduites de
soixante années. Nous y avons joint les courbes pointillées
des températures réelles observées pendant les jours des
mêmes mois de l'année 1868. Chaque mois comprend deux
courbes pointillées. La courbe supérieure correspond aux
températures moyennes déduites des maximums et mini-
mums vrais ; la courbe inférieure correspond aux tempéra-
tures minima observées. Novembre 1868 a été un mois
froid ; pendant presque toute sa durée , la température
moyenne vraie a été inférieure à la moyenne normale dé
TEMPÉRATURES DE L'AIR. 63

duite de l'ensemble des années antérieures. L'inverse a eu


lieu en décembre 1868. Non-seulement les températures
moyennes, mais même les températures minima vraies ont
été supérieures aux moyennes normales. Des faits analo-
gues sont très-fréquents.
Les planches 9 et 10 représentent , d'autre part , la mar-

Novembre 1868. Paris

H
MI
D
T+
D

Décembre 1868
10

Jours 5 10 15 20 25 30
Figure 8.

che des températures moyennes mensuelles dans deux an-


nées , l'une froide 1816 , l'autre chaude 1822 .
La courbe pleine qui est reproduite dans les deux plan-
ches correspond à l'année normale ; les courbes pointillées
figurent la marche des températures observées dans les
deux années .
En 1816, tous les mois, à l'exception de janvier et d'oc-
64 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

tobre ont été des plus froids que la moyenne. L'écart a été
surtout marqué dans les mois d'été , mai , juin , juillet et
août.

Paris.
15

10
་་་

Année Moyenne.

5° 1087

Année 1816.
O 994
O
DJ F M A M J JASON D
Figure 9.

En 1822 , au contraire , tous les mois , à l'exception de

Paris.

15

10

Année Moyenne 10.7


Année 1822 2.6

DJ F M A M J J A S O N D
Figure 10.

décembre , ont été plus chauds que la moyenne. Les plus


TEMPÉRATURES DU SOL . 65

grands écarts sont survenus en mars , mai et juin. Dans le


plus grand nombre des années, la courbe ponctuée oscille
autour de la courbe pleine, les mois étant alternativement
plus chauds et plus froids que la moyenne.

CHAPITRE IV.

TEMPÉRATURES DU SOL .

Action de la chaleur du sol.

La proportion de chaleur prise par l'atmosphère aux


rayons solaires qui la traversent, étant répartie dans toute
l'étendue de la masse gazeuse , n'y produit qu'une élé-
vation de température très-peu sensible. Il en est tout
autrement pour les objets terrestres. Une partie des
rayons qu'ils reçoivent est renvoyée dans l'espace ; c'est
par ces rayons réfléchis dans tous les sens qu'ils sont rendus
visibles. La plus grande part est absordée par leur surface
ou l'effet produit se localise et s'accumule, et amène une
élévation de température plus ou moins forte. C'est sur-
tout par son contact avec les objets terrestres que l'air
s'échauffe dans ses couches inférieures. Par contre, c'est
aussi par son contact avec les mêmes objets qu'il se re-
froidit durant les nuits.
Le degré de chaleur auquel parvient un corps sous l'ac-
tion des rayons solaires varie suivant la nature de ce
66 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

corps, son état, ses dimensions, le degré d'agitation de


l'air qui l'entoure, l'emploi qu'il fait de la chaleur reçue.
Quatre thermomètres dont l'un était à boule de verre
transparent ordinaire, et dont les trois autres étaient en
émail blanc, bleu et noir, ont été placés par M. Quetelet,
directeur de l'observatoire de Bruxelles, à 1 mètre environ
du sol et en plein soleil. Ces thermomètres situés à côté
les uns des autres ont été observés régulièrement à midi
pendant trois années. Les résultats obtenus sont résumés
dans le tableau ci-dessous qui renferme aussi, comme
terme de comparaison, les températures données par le
thermomètre ordinaire placé à l'ombre.

TEMPÉRATURE AU SOLEIL DONNÉE


Mois. Température PAR UN THERMOMÈTRE.
à l'ombre.
ordinaire. blanc. bleu. noir.
Janvier 3º,4 5,0 5,0 5,7 5,3
Février 2,9 5,1 4,8 5,6 5,4
Mars. 7,1 10,4 10,2 11,0 11,3
Avril.. 12,5 16,7 16,2 17,2 17,7
Mai 15,0 16,8 16,4 16,9 17,0
Juin . 19,3 21,8 21,2 21,9 22,2
Juillet. 20,9 24,6 23,9 24,7 25,1
Août. 21,8 26,5 26,1 26,6 27,1
Septembre 17,8 23,2 23,2 23,3 24,0
Octobre . .... 13,6 17,5 17,1 18,1 18,2
Novembre. 5,3 6,4 6,3 6,8 6,6
Décembre. 4,2 5,9 5,7 6,1 5,9
Moyenne ... 12,0 15,0 14,7 15,3 15,5

Les deux premières colonnes de ce tableau ont servi à


construire les courbes de la planche 11. La courbe pleine
donne les températures au soleil ; la courbe pointillée
donne les températures à l'ombre. Ces températures
moyennes comprennent à la fois celles des jours clairs et
celles des jours couverts ou pluvieux ; l'écart moyen est
TEMPÉRATURES DU SOL. 67

encore de 5º,3, en août, entre le thermomètre à l'ombre


et le thermomètre au soleil. Les différences de chaque
jour atteignent à un degré plus élevé pendant les beaux
temps.
Des effets analogues se présentent pour les végétaux
exposés au soleil, mais ils sont moins prononcés. D'une
part, les plantes consomment, pour l'élaboration de leurs
tissus, une partie de la chaleur qu'elles reçoivent, et cette

Bruxelles 1854 – 1856

Temp. au Soleil
id à l'ombre T

DJ F M A M J J A S O N D
Fig. 11.

chaleur ainsi cachée au thermomètre ne reparaît que dans


la combustion des produits formés. D'autre part , les
plantes évaporent et la vapeur emporte avec elle de la
chaleur qu'elle restitue seulement quand elle reprend la
forme liquide. Enfin les feuilles des plantes étant peu
épaisses présentent à l'air une large surface par laquelle
s'écoule rapidement leur excès de chaleur.
Les écarts sont aussi très-accentués entre la tempé-
rature de l'air et la température du sol exposé au soleil.
68 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

La fig. 12 reproduit la série de ces écarts à Bruxelles


pendant les divers mois de l'année. La ligne ponctuée re-
présente la courbe des températures moyennes de chaque
mois dans l'air à l'ombre; la ligne supérieure donne la
courbe des moyennes températures mensuelles à la surface
du sol exposé au soleil ; la ligne inférieure donne la courbe
des moyennes températures mensuelles à la surface du sol
au nord du bâtiment et à l'ombre. La courbe des tempé-
ratures de l'air est, comme on voit, intermédiaire aux

Bruxelles 1886 1852.


20

"x
15
7 #
10

5 +++ Solau Soleil


Sola lombre
Air.
D J FMA M J J A SOND
Fig. 2.

deux autres . C'est le sol insolé qui échauffe l'air ; c'est


l'air qui échauffe le sol à l'ombre et qui doit en même
temps lui fournir la chaleur consommée par l'évaporation.
Une sorte d'anomalie se présente en janvier par le ren-
versement dans l'ordre de succession des courbes. Le sol
exposé au soleil y est plus froid que l'air, et l'air y est
plus froid que le sol à l'ombre . Il y a là une question
d'abri contre le vent et contre le rayonnement nocturne.
Le maximum d'intensité des rayons solaires tombe en
TEMPÉRATURES DU SOL. 69

juin ; le maximum de température du sol au soleil survient


en juillet ; pour l'air il oscille entre juillet et août ; pour le
sol à l'ombre il tombe en août. Le maximum moyen est
de 21 ° 3 à Bruxelles, sur la surface extérieure du sol ; il
est de 20°,8 sur la surface intérieure , c'est-à-dire à quel-
ques millimètres au-dessous de la surface. Ici, comme pour
la planche 11 , les nombres comprennent à la fois les jours
couverts et les jours clairs. Dans ces derniers, la tempéra-
ture du sol au soleil peut monter à 40° et quelquefois à
46° centigrades.

Mouvement de la chaleur dans le sol,

La chaleur absorbée par la surface du sol pénètre avec


une grande lenteur dans les couches inférieures. D'après
les travaux mathématiques de Fourier, sa vitesse de péné-
tration y serait d'environ 5 centimètres par jour. Ce
nombre peut être exact pour certaines terres compléte-
ment dépourvues d'humidité ou pour les couches profondes ;
il est cinq ou six fois trop faible pour le parc de Mont-
souris dans la couche superficielle et dans les conditions
de l'année 1873. Les eaux pluviales et celles que le sol
retient par capillarité jouent en effet un rôle marqué
dans la propagation de la chaleur dans la terre. Les eaux
de pluie en s'infiltrant dans les couches inférieures y por-
tent une partie de la chaleur des couches supérieures
qu'elles ont traversées. D'autre part, une sorte de distil-
lation a lieu des couches les plus chaudes vers les plus
froides, et la vapeur ainsi formée dans les premières et
condensée dans les secondes y transporte avec elle sa cha-
leur latente.
Les variations diurnes et annuelles de la température
extérieure se font sentir dans la partie superficielle de la

REESEOF LIBRA
THE RY
UNIVERSITY
OF
CALIFORNIA
70 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES ,

terre ; mais elles s'effacent rapidement à mesure qu'on pé-


nètre plus avant dans le sol.
Dans nos climats, la variation annuelle disparaît à une
profondeur de 20 à 25 mètres. Dans les climats brumeux
du nord de l'Écosse, où la différence entre la température
de l'été et celle de l'hiver est moindre qu'en France , la
couche à température invariable y est moins éloignée de
la surface. Il en est de même dans les régions équatoriales
ou dans les îles isolées au milieu des grands océans. Dans
les pays à variations annuelles extrêmes, comme la Russie,
la Sibérie, le Canada, la couche à température invariable
est, au contraire, plus profondément située. La nature des
terrains modifie d'ailleurs beaucoup sa distance, ainsi que
le montrent les chiffres suivants :

TABLE DES PROFONDEURS


OU LA VARIATION ANNUELLE EST DE 0°01 .
Localités. Nature du terrain. Profondeur.
Heidelberg .. Terreau sur argile compacte. ... 27m5
Schwelzingen. Terrain sablonneux. • ... 29, 6
Paris.... Sables et calcaire grossier . 23, 0
Édimbourg .. Trapp • • 18, 3
Id. Sable. 21, 8
Id. Sandstone . • 31, 9

Variations mensuelles de la température du sol.

Les premières expériences faites sur les variations de


la température du sol suivant les saisons sont dues à Ott.
Elles ont été faites à Zurich de 1762 à 1767. Elles ont été
reprises à Genève par le même physicien en 1796, 1797
et 1798. La planche 13 résume ces dernières observations.
La courbe à trait continu indique la marche des tempé-
ratures de l'air qui nous servent de point de repère. La
courbe pointillée supérieure donne les températures du
sol à une profondeur de 8 centimètres . En décembre, jan-
TEMPÉRATURES DU SOL. 71

vier et mars, ces dernières sont plus basses que les tempé-
ratures de l'air ; mais à partir d'avril elles s'élèvent nota-
blement au-dessus. A 1,29 de profondeur, les deux courbes
se suivent de beaucoup plus près ; elles ne s'écartent un
peu que d'août à décembre.

Genève 1796, 1797 1798 .

20

15

10

Sot.
Air.
80

‫ــمـ‬
10

29

D`J F M A M J J A S O N D
Fig. 13.

Les observations faites par Leslie à Leith en 1816 et


1817 et résumées dans la planche 14 semblent conduire à
des conclusions opposées. Ce sont les températures de
l'air qui l'emportent sur celles du sol : durant toute
l'année à la profondeur de 0,30 ; de mars en octobre à la
profondeur de 1,29. On en peut conclure d'après les ob
72 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

servations de M. Quetelet résumées dans la planche 12.

Leith 1816-1817.1

030

Ο.

1.22
Air
Sol

CJ F M A M J J A S O N D
Fignre 14.

que Leslie opérait sur un sol placé à l'ombre, tandis que

M. Pouriau 1860 Saulsaie

Air
Solao, 25
Sota 2100

J F M A M J J A S O N D
Figure 15.

Ott opérait sur un sol exposé au soleil . Toutefois , la nature


TEMPÉRATURES DU SOL . 73

du terrain, son mode de culture, son état d'humidité


habituel, exercent une grande influence sur les résultats
obtenus. Un terrain aride et sec s'échauffe beaucoup sous
l'action des rayons solaires ; mais s'il est garni d'une vé-
gétation touffue, si la plante qu'il porte pousse et éva-
pore activement, la chaleur
Canada 1858.
qu'il reçoit directement du
Air
soleil peut être en grande
Sola o. 61
partie consommée dans l'acte
+++ Solǎ o.
de la végétation . Et comme
la température de l'air est
une sorte de moyenne entre
les températures des divers
terrains d'une même localité,
elle peut être ici plus élevée,
là plus basse que la tempéra-
ture du sol.
Les résultats obtenus par
T M. Pouriau à la Saulsaie
+
1
T pendant l'année 1860, sont en
-15 quelque sorte intermédiaires.
T
+ entre ceux de Ott et de Les-
+
20 lie, ainsi qu'on en peut juger
par la fig. 15. La courbe des
températures obtenues à 2m
de profondeur montre en
ND J F M A M J
même temps combien le froid
Figure 16. pénètre avec lenteur dans la
terre. Les observations faites en 1858 au Canada par
M. Pouriau, et que nous avons résumées dans la plan-
che 16, en sont peut-être une preuve encore plus frap-
pante. De novembre à février la température de l'air qui
était déjà de 6°, s'est abaissée au-dessous de 21° de
froid. Dans le même temps , la température du sol
5
74 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

n'est descendue qu'à ― 7°6 à la profondeur de Om61


et à 5°4 à la profondeur de 0m91 .

Variations diurnes de la température du sol.

L'oscillation diurne de la température, par la brièveté


de sa période, ne peut se faire sentir qu'à une très-faible
profondeur. Voici quelques-uns des résultats obtenus dans
le parc de Montsouris, dans un sol gazonné exposé au
soleil, mais dont le gazon ne recevant que l'eau des pluies
sur un terrain très-léger est d'ordinaire assez maigre.

TEMPÉRATURES MOYENNES DE L'AIR ET DU SOL EN JUIN 1873.

Heures Température du sol


Température
d'observation. de l'air.
à 0m,02 à 0m,30 à 1,0
6h matin. 140,0 15º,8 16,9 14º,6
9 17, 4 18, 2 16, 7 14, 7
midi. 19, 6 20, 7 16, 7 14, 7
3h soir. 20, 0 21, 0 16, 9 14,7
6 19, 0 19, 7 17, 2 14, 7
9 16, 3 17, 9 17, 4 14, 7
minuit. 14, 2 16, 8 17, 4 14, 7
E
Moyennes des 24 heures.T
16, 7 18, 2 M
17, 1 14, 7
TEMPÉRATURES MOYENNES
DE L'AIR ET DU SOL EN FÉVRIER 1873.

Heures Température Température du sol à


d'observation. de l'air.
0,02 0m,10 0m,20 0¹¹,30 1m
8h matin. 1º,1 20,0 20,5 2º,7 3º,1 40,7
9 1, 5 2, 1 2, 5 2,7 3, 1 4, 7
midi. 3, 1 2, 8 2, 5 2, 6 3, 1 4, 7
8h soir. 3, 9 3, 5 3, 0 2,7 3, 1 4, 7
6 3, 1 3, 0 3, 1 2, 9 3, 2 4, 7
9 2, 3 2, 5 2, 9 2, 9 3, 2 4, 7
minuit. 1, 8 2, 3 2, 8 2, 9 3, 2 4, 7
Moyennes 2, 4 2,7
des 24 heures . 2, 1 2, 8 3, 2 4, 7
TEMPÉRATURES DU SOL. 75

En juin , l'oscillation de la température de l'air, de 6


heures du matin à minuit, a été en moyenne de 6º. Elle
est de 5º,2 pour le sol à la profondeur de 0,02. A 0,30
elle n'est déjà plus que de 0° , 5 et à 1m elle est à peu près
nulle. On comprend que les températures des sources n'é-
prouvent aucun changement sensible du jour à la nuit.
Leurs changements annuels sont eux-mêmes très-fai-
bles et ne dépassent guère 1 ou 2 degrés , à moins que la
source ne soit toute superficielle. Dans nos climats, elles
atteignent en général leur maximum thermométrique
vers le mois de septembre et leur minimum vers le mois
de mars .
Malgré la lenteur avec laquelle se meut la chaleur dans
les couches terrestres, les fluctuations thermométriques,
dans la couche remuée par la charrue , suivent cependant
d'assez près celles de l'air tant que la température est su-
périeure à zéro degré. Chaque mois nous publions dans
le bulletin de l'observatoire de Montsouris la marche com-
parée des températures moyennes diurnes de l'air et du
sol à diverses profondeurs. Les courbes qui les figurent
offrent les mêmes inflexions, sauf que leurs sinuosités sont
d'autant moins accentuées qu'elles correspondent à une
couche plus éloignée de la surface, et que, d'autre part,
elles retardent de plus en plus à mesure qu'on descend
davantage dans le sol. La fig. 17 résume les observations
faites par M. E. Risler à Calèves en 1868. Elles sont d'ac-
cord avec les nôtres d'une manière générale.
L'humidité du sol retarde son réchauffement et son
refroidissement en dehors de l'influence de l'évaporation .
La conductibilité du sol est cependant accrue par la pré-
sence de l'eau, mais sa capacité calorifique et, par suite,
la somme de chaleur qui lui est nécessaire pour monter
de 1 degré se trouve accrue dans une plus forte propor-
tion. L'évaporation , qu'elle ait lieu par la plante ou par
76 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

le sol, ralentit d'autre part l'échauffement et accélère le


refroidissement en enlevant au sol de la chaleur sous
forme latente.
Dès que la température descend au-dessous de zéro ,
un autre phénomène intervient . L'eau du sol pour se con-

Caleves 1868. m.Risler)

Sola 0,25

Jours 3 10 15 20 25 30
Figure 17.

geler sans changement de température doit perdre autant


de chaleur qu'il lui en faudrait pour s'échauffer de 79
degrés. Il lui faut beaucoup de temps pour écouler cette
chaleur ; il lui en faut aussi beaucoup pour la reprendre
après la gelée avant de revenir à l'état d'eau.

Approfondissement de la gelée dans le sol .

Flaugergues avait proposé de prendre pour mesure de


la rigueur du froid l'épaisseur de la glace formée à la sur-
face d'une eau tranquille et profonde. De Gasparin pré-
férait rompre chaque jour la glace formée dans un vase
ouvert, abrité du rayonnement sur ses parois latérales au
moyen de paille . Il mesurait chaque jour l'épaisseur de la
glace formée. Ce procédé est plus commode que celui de
Flaugergues et il peut être plus facilement rendu compa-
rable à lui-même, l'effet produit dépendant des dimen-
TEMPERATURES DU SOL. 77

sions du vase et de son mode d'installation . Les résultats


ainsi obtenus varieront toutefois beaucoup d'un lieu à un
autre même très-rapproché du premier. Ils feront con-
naître l'intensité et la durée du froid dans le point où ils
ont été obtenus ; mais l'effet produit dans le sol dépendra
en outre de la nature et de l'état de la terre.
Flaugergues, en opérant dans un carré de jardin passé
à la bèche et bien nivelé, obtint les résultats suivants
pour la profondeur de la terre gelée à Paris, pendant plu-
sieurs périodes de froid.

PROGRESSION DE LA GELÉE DANS LE SOL.


Profondeur
Nombre Minimum de la terre gelée.
Années. de jours absolu. Date.
de gelée. en total. par jour
moyen.
millim. millim.
1766 32 11º,1 10 janvier. 466 14,6
1767 13 11, 1 11 » 257 19,7
1768 8 12, 5 5 » 244 30,5
1776 7 '12, 9 31 >> 238 34,0
1778 11 6, 2 9 >> 243 22,1
1779 21 8, 4 16 >> 392 18,7
1782 14 10, 0 • 18 février. 284 20,3
1784 21 8, 8 21 et 26 janvier. 298 14,2
1789 33 18, 1 31 décembre 1788. 585 17,7

Ces nombres comme on voit sont très-variables ; ils


dépendent de la répartition et de l'intensité du froid
pendant sa durée. De Gasparin a trouvé de son côté qu'à
Orange, avec une température minimum absolue de -8°8,
l'approfondissement moyen de la gelée en terre variait de
14mm,2 à 18mm,7 par jour. Cette vitesse est sensiblement
moindre que celle de la propagation de la chaleur dans
un sol non gelé.
Flaugergues a aussi prétendu qu'une couverture de
78 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

neige de 0,30 d'épaisseur ne ralentissait pas la vitesse de


pénétration du froid en terre. Les expériences de M. Bous-
singault contredisent ce résultat . L'un et l'autre cepen-
dant sont dans le vrai suivant les conditions de l'expé-
rience. La neige agit d'une manière très-sensible comme
écran pendant les nuits claires ; son action est faible ou
nulle pendant les nuits couvertes ou brumeuses. Il en est
de même, mais dans un sens contraire quand le soleil est
brillant. La neige modère donc le froid nocturne et l'é-
chauffement diurne des couches sous-jacentes . Elle a de
plus pour effet d'accroître l'épaisseur de la croute ter-
restre et par suite de relever la couche à température in-
variable ; enfin, en donnant de l'humidité au sol, elle aug-
mente sa capacité calorifique et par suite la lenteur de son
refroidissement . Mais tous ces résultats changent avec la
température du sol au moment où la neige tombe. Si à ce
moment le sol est déjà gelé, le rôle protecteur de la neige
sera beaucoup moins marqué que dans les conditions op .
posées. Nous ne parlons ici que de l'effet thermométrique
et non de l'action que la gelée produit sur les racines des
plantes. La gelée dans une terre mouillée est beaucoup
plus grave que dans une terre bien ressuyée, parce que
l'expansion de la glace y est plus prononcée, et que les ra-
cines fixées par le gel peuvent y être plus facilement rom-
pues.

Mesure des températures du sol .

Avant de terminer ce sujet, nous décrirons brièvement


les instruments que l'on emploie pour mesurer les tempé-
ratures du sol à diverses profondeurs .
Quand on veut atteindre à plusieurs mètres ou plusieurs
dizaines de mètres, le meilleur procédé consiste à faire
usage du thermomètre électrique de M. Becquerel. Ce
TEMPÉRATURES DU SOL. 79

thermomètre consiste en deux fils de cuivre et de fer que


l'on soude l'un à l'autre à leurs deux bouts , et que l'on
maintient séparés sur tout le reste de leur longueur par
des enveloppes isolantes en gutta-percha et chanvre gou-
dronné. L'une des soudures est descendue à la profondeur
voulue dans un trou de sonde que l'on remplit ensuite de
béton ou de ciment coulé fluide. L'autre soudure est placée
dans un vase dont on élève ou abaisse graduellement la
température jusqu'à ce que toute trace de courant élec-
trique disparaisse. A ce moment les deux soudures sont
exactement au même degré, qu'un thermomètre ordinaire
fait connaître. Ce procédé très-ingénieux est excellent
dans un observatoire bien monté. L'agriculture a peu à
se préoccuper de ces températures profondes qui n'inté-
ressent que la physique du globe.
Dans la couche terrestre occupée par les racines des
plantes, on fait usage de thermomètres ordinaires dont le
réservoir est enfoui dans le sol à la profondeur où on veut
observer, et dont la tige est assez longue pour que ses di-
visions soient placées au-dessus du sol. Cette disposition
est excellente, mais elle exige que le thermomètre soit
installé à poste fixe et mis à l'abri des accidents.
Pour la pratique ordinaire , la disposition suivante peut
donner de bons résultats. Prenons un cylindre de bois ou
de verre, long de 30, 40, 50 centimètres, selon la profon-
deur où nous voudrons atteindre, d'un diamètre extérieur
de cinq ou six centimètres, percé de part en part, dans le
sens de sa longueur, d'un trou bien cylindrique de trois
centimètres environ de diamètre. Terminons inférieure-
ment ce tube par un cône creux en fer ou en cuivre, et
armons son extrémité supérieure d'une virole extérieure.
Nous aurons ainsi une enveloppe mauvais conducteur de
la chaleur, que nous pourrons facilement enfoncer dans
le sol surtout s'il est ameubli, et que nous pourrons
80 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
laisser à demeure ou transporter d'un lieu à l'autre sui-
vant les besoins de l'observation. Pour juger plus aisé-
ment de la profondeur à laquelle est descendu le cône ,
nous pourrons même graver sur sa face extérieure une
échelle graduée en centimètres.
Prenons, d'autre part, un thermomètre ordinaire, à ré-
servoir sphérique, gradué avec soin ; introduisons à frot-
tement dur, sur sa tige, un bon bouchon de liége aussi
long que possible, d'un diamètre un peu moindre que la
cavité du cylindre , un peu évidé à sa base inférieure
pour qu'il embrasse une partie du réservoir du thermo-
mètre ; puis recouvrons réservoir et bouchon d'une double
ou triple flanelle , de manière que le liége ainsi revêtu
glisse à frottement modérément doux dans la cavité cylin-
drique.
Le cylindre de bois étant mis en place, nous introdui-
rons notre thermomètre dans sa cavité de manière que le
réservoir soit à peu près au centre du cône métallique ;
puis nous remplirons le reste de la cavité avec un man-
chon fait de plusieurs doubles de flanelle. Le bois et le
liége étant mauvais conducteurs de la chaleur, et l'air ne
pouvant plus circuler dans l'instrument, le thermomètre
donnera, sans erreur sensible, la température de la couche
très-limitée dans laquelle est placé le cône métallique.
Une double ficelle attachée au bouchon permettra de re-
tirer le thermomètre pour chaque lecture. Ce thermo-
mètre, lui-même, pourrait être encastré dans un cylindre
de bois de la grosseur de notre bouchon, de manière que,
recouvert d'un étui de flanelle, il puisse remplir la cavité
cylindrique. Dans ce cas, la flanelle aura surtout pour
effet de laisser assez de jeu entre les deux cylindres pour
qu'une déformation ou un gonflement du bois ne rende
pas impossible la manoeuvre du cylindre intérieur, tout
en ne permettant pas les mouvements de l'air dans l'ap-
TEMPÉRATURES DES VÉGÉTAUX. 81

pareil. Un bon bouchon achèvera de fermer le tube de


bois, et un très-petit abri , tel qu'un pot renversé, le pré-
servera de la pluie.

CHAPITRE V.

TEMPÉRATURES DES VÉGÉTAUX.

Aux phénomènes d'ordre purement physique présentés


par l'air ou la terre, se joignent, dans les végétaux, des
phénomènes d'ordre physiologique propres à modifier les
résultats observés.
Les plantes ont spécialement pour mission de créer des
produits organiques dans lesquels elles emmagasinent une
portion de la force vive qui leur vient du soleil sous forme
de lumière et de chaleur, et de la mettre ainsi à la dispo-
sition des animaux qui vont l'y puiser sous forme d'ali-
ments. Mais les végétaux en consomment eux-mêmes
une certaine portion pour leur propre usage, particuliè-
rement dans ceux de leurs actes qui se rattachent à la
conservation de l'espèce. La graine en germination, la
fleur, surtout au moment de la fécondation , le fruit pen-
dant sa maturation , absorbent de l'oxygène et dégagent de
l'acide carbonique comme les animaux ; comme eux ils
dégagent de la chaleur. Dans le bois, dans les feuilles les
mêmes effets se reproduisent mais avec plus de lenteur, et,
dans le jour, ils sont masqués par l'effet inverse qui ac-
compagne le travail d'assimilation sous l'action de la lu-
mière. Nous devons donc nous demander quel est le degré
5.
82 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

d'importance de cette production de chaleur végétale et


si la plante peut, comme l'animal, en recevoir une tempé-
rature qui lui soit propre.
De Lamarck et de Candolle ont les premiers signalé un
dégagement de chaleur dans l'arum. Il y est assez in-
tense, en effet, au moment de l'émission du pollen pour
être facilement constaté. Suivant Sennebier, l'élévation
de température est de 7° au-dessus de la température am-
biante. Dans la fleur d'un caladium primatifidum vigou-
reux l'élévation de température a été de 4 à 5 degrés.
Murray, Van Beck et Bergsma ont étendu ces recherches
aux fleurs d'autres plantes. Ils ont obtenu des résultats
analogues bien que moins développés. Les effets sont plus
marqués dans les fleurs simples que dans les fleurs dou-
bles, plus dans les organes mâles que dans les organes
femelles.
Mais en général, en dehors de la fécondation l'acte vital
par excellence, la chaleur dégagée dans les végétaux est
tellement faible, tellement lente à se produire, qu'elle
n'influe que d'une manière presqu'imperceptible sur leur
température. Celle- ci est donc liée à la température de
l'air et à celle du sol. La température du sol détermine
celle des racines et peut modifier celle des tiges traver-
sées par la séve ascendante. La température des parties
aériennes est déterminée par celle de l'air, sauf les varia-
tions apportées par les radiations solaires et par l'évapo-
ration foliaire.
Les premières expériences faites avec précision sur la
température des arbres sont dues à Pictet et Maurice ;
elles remontent à 1796. Nous avons résumé dans la
fig. 18 celles faites dans l'année 1797 dans un tronc de
marronnier de 0,64 de diamètre, à une profondeur de
0,162 dans la partie du tronc regardant le nord. Le mois
de juin fut très-froid cette année ; les courbes des tempé-
TEMPÉRATURES DES VÉGÉTAUX. 83
ratures du sol à 0,081 et de l'air à l'ombre présentent

Genève 1797

* Arbre
10: Air
a 0. 08
+++ Sol à
Sol à 1. 29

J F M A M J J A S O N D
Figure 18.

une dépression très-marquée correspondant à ce mois. La

Genève 1796-1798 .

10°
Arbre
+ Air
5 D +++ Solà o. 08
Sol à 1, 29

O
DJ F M A M J J A S O N D
Figure 19.

même dépression a lieu dans la courbe des températures


de l'arbre ; mais elle y est moins accusée.
84 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Les courbes de la fig. 19 correspondent aux moyennes


des trois années 1796, 1797 , 1798. Les températures de
l'arbre et de l'air se suivent de très-près. Celles-ci l'empor-
tent sur celles-là en mai, juin et juillet ; elles leur sont
inférieures en mars, en avril et en septembre. La tempé-
rature du sol à 0,08 est toujours de beaucoup supérieure ;
celle du sol à 1,29 l'emporte de mai en février ; de février
en mai elle est moindre que celles de l'air et de l'arbre.
Si on considère les températures moyennes de chaque
année entière, on trouve les résultats suivants :

Températures moyennes
Années.
de l'air. de l'arbre.
1796 7,87 7,65
1797 8,34 8,27
1798 8,00 7,98
1799 7,47 7,34
1800 8,38 8,62
8,01 7,97

Les résultats sont donc, en somme, à peu près identi-


ques ; et s'il y a de la chaleur dégagée dans le tronc, elle
a été compensée par la très-faible évaporation qui s'ef-
fectue au travers de l'écorce.
La fig. 18 nous a déjà montré que la fluctuation des
températures du tronc de marronnier a été moins forte
que celle de l'air. La fig. 20 nous en fournira un autre
exemple. En janvier, époque où la végétation sommeille
les courbes des températures de l'air et de l'arbre présen-
tent des sinuosités à peu près correspondantes, mais d'am-
plitudes très-inégales ; celles de l'arbre qui sont les plus
faibles sont, en outre, en retard d'un jour environ sur
celles de l'air. En août, époque où l'ascension de la séve
est encore très - active pour fournir à l'évaporation des
TEMPÉRATURES DES VÉGÉTAUX. 85

feuilles, les deux courbes se suivent peut-être encore de


plus près .
D'un autre côté M. Rameaux a constaté , par des obser-
vations analogues faites sur un jeune peuplier, que la
température de l'arbre augmente pendant le jour et di-
minuc pendant la nuit.
Ces divers résultats conduisent à une conséquence toute
naturelle. La chaleur propre du tronc des arbres est à peu
près nulle ; cette chaleur est empruntée à l'air d'abord et

Geneve Janvier 1797

Aout 1797

AI
Arbre
25

5 10 15 20 25 30
Figure 20,

ensuite au sol. Le tronc étant mauvais conducteur, les


fluctuations de la température extérieure n'y pénètrent que
lentement comme dans l'intérieur du sol ; elles s'y attar-
dent et s'y affaiblissent. D'un autre côté , le tronc est le
canal commun à toute la séve qui s'élève vers les feuilles,
et.cette séve puisée dans le sol en avait primitivement la
température. A mesure qu'elle monte, elle tend à s'équili-
hrer avec la température de l'air et celle-ci prédomine de
plus en plus à mesure qu'on se rapproche des branches
et des feuilles. M. Rameaux a trouvé, en effet, qu'avant
86 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

le lever du soleil , et même quelque temps après , la


température centrale décroissait du pied de l'arbre à son
sommet. Le contraire avait lieu dans le reste de la jour-
née. Dans le premier cas , le sol où plongent les racines
est plus chaud que l'air ; il est plus froid dans le second.
M. Rameaux a constaté de plus que , dans le jour, la
température d'une section l'emportait d'autant plus sur
la température des sections inférieures que la chaleur
ambiante était plus forte.
Enfin, le même auteur a tué par empoisonnement quel-
ques-uns des arbres sur lesquels il opérait, ou les a ébran-
chés ; immédiatement, les fluctuations de la chaleur s'y
sont considérablement accrues. L'action de la séve régu-
larisant les températures de l'arbre par celles du sol, se
trouvait alors interrompue.
Ces divers résultats ont été vérifiés par des expériences
très-nombreuses et faites avec beaucoup de soin par
M. Becquerel, au moyen de son thermomètre électrique.
Il a également montré combien, dans certaines circons-
tances, les variations de température peuvent être consi-
dérables dans des arbres de petites dimensions, isolés
d'autres arbres et exposés en plein soleil dans un lieu
abrité du nord. Dans un prunier, de 6 mètres de haut
et de 0,35 de diamètre, placé dans de semblables condi-
tions, la température a été, du 2 au 11 septembre, de 2º 2
plus haute en moyenne que celle de l'air. Les variations
de température s'y sont élevées à 24 ou 25° pendant plu-
sieurs jours ; aussi à la fin de septembre les feuilles se
flétrirent, les fruits tombèrent et tout annonçait une mort
prochaine. Une enveloppe de paille, de 3 à 4 centimètres
d'épaisseur réduisait au tiers environ l'étendue de ces
variations.
La température des feuilles minces et des tiges herba-
cées suivrait de plus près encore les variations thermo-
TEMPÉRATURES DES VÉGÉTAUX. 87

métriques de l'air et du sol sans l'énorme pouvoir absor-


bant ou émissif et rayonnant dont sont doués ces organes .
Les expériences faites par M. Becquerel au jardin des
plantes montrent que la température de l'air qui enve-
loppe la cime d'un marronnier est plus élevée dans le

jour et dans la soirée que celle de l'air pris à une cer-
taine distance de l'arbre. Le feuillage absorbe abondam-
ment les rayons solaires ; il est loin de les employer tous
à son travail physiologique ; il s'échauffe plus que l'air
auquel il transmet son excès de chaleur, Après une journée
chaude et par une nuit sereine, la fraîcheur est lente à venir
sous le couvert des arbres. Il faut d'abord que le feuillage
se refroidisse et quand le rayonnement nocturne lui a
enlevé son excès de chaleur, il préserve encore de cette
source de froid les objets qu'il recouvre.
Il en est de même des champs et des prairies qui ne
sont pas très-humides ; pendant le jour, la température y
est plus élevée au niveau des plantes qu'à quelques mè-
tres de hauteur ; mais elle l'est beaucoup moins que sur
un sol nu et sec doué d'un égal pouvoir absorbant.
L'inverse a lieu pendant la nuit. Les végétaux ont un
pouvoir rayonnant égal à leur pouvoir absorbant. Le
rayonnement nocturne leur enlève rapidement leur cha-
leur superficielle et leur chaleur à toute profondeur s'ils
sont déliés.
Wells, au commencement de ce siècle, avait remarqué
que, dans une prairie, la nuit, par un ciel sans nuage et
un temps calme, des thermomètres couchés sur l'herbe in-
diquent une température plus basse qu'à 1 ou 2 mètres
de hauteur, et que la différence peut s'élever à 7 ou 8°.
La couche d'air qui baigne l'herbe suit son degré de cha-
leur en restant un peu en retard sur elle ; mais la diffé-
rence entre les deux températures en contact peut être
encore de 2 à 3º. Les 4 ou 5 autres degrés se répartissent
88 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

dans la couche d'air qui repose immédiatement au-dessus.


Ces nombres varient beaucoup avec l'état du ciel et le
degré d'agitation de l'air.

Gel des arbres.

Pendant les froids de l'hiver, lorsque la circulation de


la séve est suspendue, il se produit un effet analogue à
celui que l'on constate dans les arbres morts. L'influence
de la température du sol transportée par la séve disparaît ;
les variations de température du bois deviennent beau-
coup plus fortes. Elles sont moindres cependant que celles
de l'air à cause de la mauvaise conductibilité du bois pour
la chaleur. Un froid brusque et peu durable ne se fait
sentir dans un tronc d'arbre qu'à une très-faible profon-
deur. La chaleur latente dégagée par l'eau qui se congèle
s'ajoute au défaut de conductibilité du bois pour limiter
sa variation de température. Mais il n'en résulte qu'un
retard et, si le froid se prolonge, l'arbre gèle. Dès lors il
obéit plus rapidement à l'action réfrigérente de l'air exté-
rieur. Au commencement de janvier 1828 , un peuplier mis
en expérience à Tubingue par Neuffer et Halder présentait
une température de 10° plus élevée que celle de l'air ; en
février les deux températures étaient à peu près égales.
Plusieurs arbres furent coupés ; on les vit gelés par cer-
cles concentriques jusqu'aux profondeurs suivantes :

millim.
Esculus hippocastanum . 18,3
Abies excelsa . 28,2
Acer pseudoplatanus . 34,3
Fraxinus excelsior 37,9
Corylus avellana. 38,1
Salix fragilis . .. .. 39,0
Eau d'un étang voisin, couche de glace. 19,9
TEMPÉRATURES DES VÉGÉTaux. 89

M. Bravais à Bossekop et M. Thomas à Kaafiord , firent


des expériences analogues sur des pins dans l'hiver de
1839 à 1840. Le diamètre de l'arbre dans le centre duquel
M. Bravais avait porté son thermomètre était de 0 ™, 16.

Jamzer 1858. Canada


Am
+++ Populus balsamifera
+ Sbl a 9.60

20
25
20

10 15 20 25 30 ,
jours. 5
Figure 21.

Une observation quotidienne montra que les températures


suivaient dans l'intérieur du tronc la courbe des tempé-
ratures de l'air, avec un retard de 8 à 12 heures . Un dia-
mètre plus fort eût donné un retard plus grand . Le mi-
nimum observé dans l'arbre a été de 220,7; le mini-
90 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES,

mum de l'air correspondant fut de ---- 23°, 5 . M. Thomas


opéra à la fois sur deux gros troncs, l'un mort l'autre vi-
vant. Ils se comportèrent à peu près de même, le dernier
étant un peu plus chaud tant que la circulation de la séve
fut appréciable.
La planche 21 construite d'après les observations faites
par M. Bourgeau au Canada sur le peuplier balsamifère,
donnera une idée de la marche du froid dans les arbres
et du degré auquel certains d'entre eux peuvent descendre
sans périr. Le tronc du peuplier balsamifère a atteint 30
degrés au-dessous de zéro, l'air étant descendu à - 35º.
Pendant ce temps, la température du sol à 0,60 de pro-
fondeur n'arrivait qu'à 5 degrés au-dessous de zéro .

CHAPITRE VI.

CIRCULATION GÉNÉRALE DE L'ATMOSPHÈRE ET DES MERS,

Circulation générale de l'atmosphèro.

Les vents qui soufflent à la surface de la France et de


l'Europe sont d'une extrême variabilité soit dans leur di-
rection soit dans leur force. Tant qu'on les a étudiés
d'une manière locale sans rattacher les faits observés en
un point avec ceux qui se produisent en d'autres lieux,
on s'est perdu dans un dédale dont il était impossible de
sortir. Le jour au contraire où les regards se sont portés
sur l'ensemble du globe, on a vu se développer une circu-
lation régulière de l'atmosphère à la surface de chacun des
deux hémisphères ; et les accidents mêmes qui troublent
CIRCULATION DE L'ATMOSPHÈRE ET DES MERS . 91

fréquemment ce mouvement régulier se sont montrés


soumis à des lois faciles à saisir dans leur caractère gé-
néral.
Dans notre traité des Mouvements de l'atmosphère et des
mers nous avons examiné dans son ensemble et dans ses
principaux détails la double circulation aérienne et ma-
rine. Nous ne pourrions , sans sortir de notre cadre, re-
prendre avec tous ses développements cette question ca-
pitale en météorologie. Nous nous bornerons à en résumer
brièvement les principaux traits, en renvoyant à notre
traité le lecteur désireux de plus amples détails.
En nous reportant à la planche 5 que nous reprodui-
sons fig. 22, nous trouvons vers le bas de la gravure une
ligne pointillée s'étendant de l'Amérique à l'Afrique au
travers des océans, et comprise entre les deux isothermes
de 25 degrés. Cette ligne pointillée , assez flexueuse , est
ce qu'on nomme l'équateur thermique. C'est la région du
globe où la température est la plus élevée. Nous l'avons
tracée dans sa position moyenne ; en réalité elle se déplace
dans le cours des saisons . Elle se relève vers le nord dans
l'été, s'abaisse vers le sud en hiver en suivant d'un peu
loin la marche du soleil dans les deux hémisphères.
Nappe équatoriale ascendante. Sur toute la longueur
de l'équateur thermique, et particulièrement sur les par-
ties des océans qu'il traverse et où les mouvements
aériens sont le plus libres, l'air fortement échauffé s'élève
en masse vers les hautes régions de l'atmosphère et forme
ce qu'on nomme la nappe équatoriale ascendante, dont
nous verrons plus loin les propriétés .
Alizés, contre-alizės. - Parvenue à une certaine hauteur
qui nous est inconnue, mais qui dépasse plusieurs kilo-
mètres , la nappe d'air ascendant se partage en deux
nappes horizontales s'étalant dans la direction des deux
pôles.
92 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Le mouvement ascensionnel ainsi produit donne lieu à


la surface du sol ou de la mer à un appel d'air des deux
SUS
DU
D

GRO
ENL
AND

Figure 22. -- Lignes isothermes ou d'égales températures , moyennes annuelles.

côtés de l'équateur thermique. Deux autres nappes horizon-


tales , rasant la surface du globe , se dirigent des régions
CIRCULATION DE L'ATMOSPHÈRE ET DES MERS. 93

tempérées vers la zone centrale. Ces dernières par leur


position même peuvent être l'objet d'une observation de
chaque jour : elles constituent les vents alizės. Les deux
nappes supérieures qui, dans leur partie la plus élevée,
échappent d'ordinaire aux constatations directes prennent
le nom de contre-alizés supérieurs.
Jusqu'ici, le circuit n'est pas complet. Il se ferme vers
les régions tropicales par l'abaissement graduel des contre-
alizés supérieurs qui viennent se fondre dans les alizés
pour les alimenter.
C'est dans la nappe équatoriale ascendante, dans sa
température élevée et dans la grande masse de vapeur
d'eau qu'elle charrie, que réside la principale force motrice
de l'ensemble de l'atmosphère ; cette nappe est nettement
définie et limitée ; ses pérégrinations dans le voisinage
de l'équateur sont régulières comme la marche du soleil.
Les alizés et les contre-alizés présentent le même degré
de régularité dans le voisinage de l'équateur thermique ;
mais à mesure qu'on s'éloigne de cette région centrale,
les causes perturbatrices deviennent plus nombreuses et
rencontrent moins d'obstacles à leur action. Les nappes
tropicales descendantes des contre-alizés supérieurs vers les
alizés sont diffuses et présentent une grande mobilité.
Souvent elles franchissent brusquement, et sans cause
appréciable pour nous, de larges espaces en latitude, d'où
naît la variabilité de nos climats.
Telle serait la situation si la terre était immobile dans
l'espace et si c'était le soleil qui tournât autour d'elle. La
rotation diurne de la terre autour de son axe, tout en
conservant au double circuit les caractères généraux que
nous venons d'indiquer, lui en imprime d'autres d'un
autre ordre et que nous allons résumer.
Les parallèles géographiques n'ont pas tous le même
rayon et le même développement en longueur. Ils vont en
94 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .
diminuant de l'équateur aux pôles, et la diminution est
d'autant plus rapide qu'on s'approche plus de ces der-
niers. Comme tous les points de la surface terrestre effec-
tuent une rotation complète dans la même période de 24
heures, leur vitesse doit varier selon leur distance à l'é-
quateur et dans le même rapport que les rayons des cer-
cles qu'ils décrivent.
A l'équateur même, la vitesse est de 416 lieues à l'heure
dans le sens de l'ouest à l'est ; elle n'est plus que de 273
lieues à Paris ; elle descend à 238 lieues à Newcastle sur
le 55me degré de latitude ; au pôle même elle est nulle. Un
corps en repos apparent à Newcastle se meut donc en
réalité avec une vitesse de translation de 238 lieues à
l'heure dans le sens de l'ouest à l'est. Imaginons qu'on le
transporte brusquement à Paris dont la vitesse de trans-
lation dans le même sens est de 273 lieues. Alors que
dans une heure Paris aura parcouru 273 lieues, l'autre
n'en aura parcouru que 238 ; il se trouvera donc en ar-
rière de 35 lieues ; et comme Paris nous semble immobile,
le corps nous paraîtra marcher de l'est à l'ouest, en sens
contraire de la rotation terrestre, avec une vitesse de 35
lieues à l'heure. L'inverse aurait lieu pour un corps que
l'on supposerait brusquement transporté de Paris à New-
castle ; il y semblerait animé d'une vitesse de translation
de 35 lieues à l'heure dans le sens du mouvement ter-
restre, c'est-à-dire de l'ouest à l'est.
Toute masse d'air qui tend ainsi à se rapprocher de
l'équateur et à s'éloigner des pôles incline en même temps
vers l'ouest. Toute masse d'air qui tend à s'éloigner de
l'équateur et à se rapprocher des pôles incline en même
temps vers l'est.
Les alizés qui règnent à la surface du globe des deux
côtés de l'équateur ne marcheront donc pas, comme nous
l'avons supposé d'abord, du N. au S. dans notre hémi-
CIRCULATION DE L'ATMOSPHÈRE ET DES MERS. 95
sphère et du S. au N. dans l'hémisphère opposé. Les uns
et les autres porteront à l'ouest comme l'indique la fig. 23.
Arrivés dans la nappe équatoriale ascendante, ces alizés

PE
EURO

Atlantique du Nord"

AFRIQUE

Equateur
AMERIQUE
BUYSUD
Pacifique du Sud Atlantique du Sud

Figure 23.

conservent une partie de leur vitesse acquise dans le sens


de l'est à l'ouest et vont inonder l'Amérique du sud où se
trouve le fleuve le plus vaste du globe.

Courant équatorial.

Les contre -alizés supérieurs gardent peut-être encore


à leur début une portion de cette vitesse ; mais comme ils
marchent de l'équateur vers les pôles, ils ne tardent pas
à porter de plus en plus vers l'est ; et quand ils s'abaissent
vers la surface terrestre ils constituent le grand courant
qui domine dans nos climats, et qu'on y désigne du nom
de courant équatorial du S. O. à cause de sa direction
générale et de son origine éloignée.
Le courant équatorial du S. O. ne comprend pas la
totalité des masses d'air charriées par les contre- alizés
96 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

supérieurs. Une partie de ces masses d'air vient directe-


ment se fondre dans les alizés d'où ils émanent, et, sous
l'influence des obstacles que les continents opposent à
leur libre développement, ils complètent la circulation
locale de chacun des deux grands océans ; mais une autre
partie plus ou moins grande de ces masses d'air fran-
chissent ces obstacles et vont porter leur contingent dans
d'autres bassins. Sans doute, l'équilibre s'établit toujours
entre la quantité d'air que la nappe ascendante verse
dans les contre-alizés supérieurs et celle que lui apportent
les alizés inférieurs ; mais d'un côté les courants supérieurs
peuvent se partager en deux portions inégales et va-
riables entre les deux hémisphères ; et, d'autre part, chacun
de ces deux hémisphères peut contribuer dans des propor-
tions inégales et variables aussi à l'alimentation de la
nappe ascendante par les alizés. Toutes les parties du globe
sont ainsi rendues solidaires l'une de l'autre, et les chan-
gements incessants de l'état du temps à la surface de
notre pays, changements qu'on tend malgré soi à ratta-
cher à des influences toutes locales, ont une origine bien
plus lointaine.
Ajoutons enfin, et cela nous touche de plus près, que les
masses d'air versées dans notre hémisphère par notre contre
alizé supérieur se partagent, en proportions sans cesse va-
riables , entre le courant équatorial du S. O. et le courant
vertical qui relie plus directement le contralizé supérieur
à l'alizé. C'est à la variabilité de ce partage que sont dus
surtout les irrégularités des années successives dans nos
climats.
Si, sans nous occuper des courants qui se produisent
dans l'atmosphère à une hauteur que nous ne pouvons
atteindre, nous envisageons seulement les faits constatés
sur la surface du globe, nous trouvons d'abord près de
l'équateur une zone dite des calmes équatoriaux, parce que
CIRCULATION DE L'ATMOSPHÈRE ET DES MERS. 97

l'air ascendant n'y a qu'une vitesse horizontale très-faible


On pourrait dire tout aussi bien zone des brises variables,
zone des nuages, des pluies et des orages perpétuels : c'est
le pot au noir des marins français. La chaleur y est étouf-
fante, bien qu'à la surface même de la mer la tempéra-
ture y soit peut-être un peu moins élevée qu'ailleurs à
cause de la présence des nuages ; mais la température
moyenne de la colonne d'air qui repose à sa surface y est
maximum, l'humidité y est très-grande et le baromètre y
est généralement peu élevé.
De chaque côté de la zone équatoriale se trouvent les
deux zones alizées, à vents réguliers, à ciel presque tou-
jours pur, où les pluies sont à peu près inconnues.
Au delà, nous trouvons deux autres zones dites des
calmes tropicaux où l'air est descendant et où la pression
barométrique est maximum. Le ciel y est généralement
nuageux mais sans pluie.
Au delà encore, vers les régions tempérées, règne le
contre-alizé descendu des hautes régions de l'atmosphère
vers la surface du sol, qu'il parcourt horizontalement
sur de vastes étendues, ou ce qu'on nomme le courant
équatorial. Les pluies y sont fréquentes, sans avoir ce-
pendant ni l'abondance ni la continuité qu'elles présentent
dans la zone équatoriale ascendante. Des accidents nom-
breux, ayant tous le caractère de mouvements tournants
ou de tourbillons, se produisent dans ce contre-alizé et se
propagent avec lui, semant sur leur passage les tempêtes,
les pluies et les orages.
Le soleil dont l'action produit en résumé tous ces effets,
se déplace à la surface du globe suivant le cours des sai-
sons. Il est rapproché du pôle nord pendant le printemps
et l'été ; il en est éloigné pendant l'automne et l'hiver.
L'équateur thermique, les calmes équatoriaux, les alizés,
les calmes tropicaux, le courant équatorial, le suivent de
6
98 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

loin dans sa marche et en reçoivent un balancement ré-


gulier du nord au sud et du sud au nord.
Ajoutons enfin aux causes générales que nous venons
de passer en revue, que notre hémisphère, dans ses ré-
gions polaires, se refroidit fortement en hiver et se ré-
chauffe en été , tandis que l'inverse a lieu dans l'hémi-
sphère opposé. Sous l'influence des dilatations et des con-
tractions qui en résultent dans son volume une partie de
l'atmosphère voyage d'un pôle à l'autre dans le cours
d'une année. Les alizés et les contre-alizés en reçoivent
alternativement un affaiblissement où un accroissement
d'intensité particulièrement sensibles dans l'automne et
dans le printemps. Toutes ces causes générales impriment
leur cachet aux régimes des vents et des pluies sur chaque
région et dominent toutes les causes accidentelles et lo-
cales dont l'influence apparaît seulement dans le détail
des phénomènes .

Circulation générale des mers , Gulfs'- stream.

Chacun sait combien est grande l'action des vents sur


la surface des eaux qu'ils parcourent. Cette action est
familière aux populations maritimes. Partout où le vent
souffle avec une certaine constance, d'une direction quel-
conque, la mer obéit à l'impulsion et se transporte dans
la même direction si elle était primitivement en repos,
ou se rapproche de cette direction si elle avait antérieu-
rement une vitesse acquise d'un sens différent.
La régularité des vents alizés sur les océans Atlantique
et Pacifique donne lieu à de vastes courants marins d'une
régularité semblable dont nous avons cherché à donner
une idée générale dans la planche 24 en négligeant les
effets secondaires. Sur l'Atlantique, et dans les parages de
CIRCULATION DE L'ATMOSPHÈRE ET DES MERS. 99

l'équateur, les eaux superficielles sont entraînées de l'est


à l'ouest ; elles se rassemblent dans les parages des An-
tilles et du golfe du Mexique où leur température est très-

d
an
nl
oe
Gr Islande

EUROPE
AMERIQUE
DE NORD
Atlantique
AFRIQUE

AMERIQUE

Pacifique

Figure 24.

élevée parce qu'elles ont longuement subi l'action d'un so-


leil ardent. Là elles sont arrêtées par le continent amé-
ricain. Elles refluent vers le nord , et forment dans les
100 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

passes de la Floride un vaste courant de 400 à 500 mètres


de profondeur et dont la vitesse dépasse celle du Mis-
sissipi et de l'Amazone : c'est le Gulfs'- stream, rivière du
golfe. A ces eaux du détroit viennent se joindre celles qui
ont passé au nord des Antilles.
Le Gulfs'- stream longe d'un peu loin les côtes méridio-
nales des États -Unis dont il est séparé par un courant
inverse à température beaucoup moins élevée, descendant
des parages du nord . Puis , soit par l'effet de la direction
des côtes américaines, soit surtout par l'influence de la
rotation de la terre et par celle des vents d'O. qui domi-
nent aux latitudes moyennes , le Gulfs' -stream incline gra-
duellement vers l'est, puis court franchement à l'est, et
vient s'étaler sur les côtes occidentales de l'Europe qu'il
enveloppe dans toute leur étendue.
Dans ce long parcours, les eaux du Gulfs '-stream se re-
froidissent graduellement, mais avec une grande lenteur.
Leur température est, au maximum, de 30° dans les passes
de la Floride. Le capitaine Duchesne voulut bien, à notre
prière, prendre dans une de ses traversées quelques tem-
pératures des eaux de ce courant aux latitudes moyennes.
Le 11 novembre 1865 à 8 heures du soir, étant par 40° 25′
de latitude nord, et par 70° 5' de longitude ouest , il trouva
pour température de la mer 15°, celle de l'air étant 4°. Le
lendemain 12 , à 9 heures du matin, étant par 40° 56' de
latitude nord et par 67°, 15' de longitude ouest, il trouva
pour température de la mer 21 °, celle de l'air étant tou-
jours de 4º. « La mer fumait comme une chaudière en
ébullition, » nous écrivait la capitaine Duchesne. La vi-
tesse du courant était d'environ 1 kilomètre par heure.
Tous nos vents d'O. et S. O. ont parcouru la surface de ces
eaux chaudes ; ils s'y sont attiédis, mais en même temps,
ils s'y sont chargés de vapeur.
Arrivé sur les côtes de l'Europe, le Gulfs'-stream se par-
CIRCULATION DE L'ATMOSPHÈRE ET DES MERS . 101

tage en deux branches. L'une descend vers les côtes d'Es-


pagne et retourne au courant équatorial ; l'autre longe
les côtes d'Angleterre et de Norwége en remontant vers
le nord. Le parcours de cette dernière branche est nette-
ment accusé par l'élévation de la température et par la
tiédeur qu'il apporte en hiver dans ces régions éloignées
de l'équateur. Son influence reste sensible jusqu'aux alen-
tours du pôle où de Haven, Penny et Kane, ont constaté
l'existence d'une mer libre entourée d'une ceinture de
glaces.
Cet afflux d'eaux chaudes vers le pôle doit donner lieu
à un contre-courant d'eaux froides qui, descendant du nord
vers des parallèles à plus grand rayon, tend toujours à
porter vers l'ouest. Le Gulfs '- stream est en effet bordé sur
sa rive gauche ou occidentale, vers le Groënland et le Ca-
nada, par des courants froids produisant sur ces côtes des
hivers d'une grande rigueur. Des effets semblables mais
moins marqués se produisent à la surface du Pacifique
nord. Le Pacifique sud et l'Atlantique sud, largement ou-
vert vers le pôle austral sont traversés par des courants
plus diffus.

Action du Gulfs'- stream sur la circulation


de l'atmosphère.

La circulation de l'Atlantique nord déterminée par la


circulation atmosphérique réagit à son tour sur cette
dernière.
Nous avons vu que le contre-alizé supérieur parvenu
vers le 30me ou 40me degré de latitude nord tend à des-
cendre vers la surface du globe où il est attiré par l'alizé
inférieur qui a besoin de s'alimenter. Cette descente et ce
retour du contre-alizé supérieur vers l'alizé ne se font
6.
102 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
pas également bien sur toute la largeur de l'océan. Le
phénomène est à peu près complet dans la partie orien-
tale du côté de l'Afrique et du Portugal ; il est très-loin
de l'être au même degré sur la partie occidentale, du
côté du continent américain. Le contre-alizé y reste plus
longtemps soutenu par la chaleur des eaux du Gulfs'- stream ,
et c'est là surtout que s'en détache la branche que nous
avons désignée sous le nom de courant équatorial. L'at-
mosphère qui repose sur l'Atlantique nord semble donc y
exécuter dans le plan superficiel à la mer une rotation
semblable à celle que nous avons décrite dans les eaux
océaniques. Près de l'équateur, ces vents marchent en
moyenne vers le sud-ouest près des côtes d'Afrique , vers
l'ouest- sud-ouest au milieu de l'Océan , vers l'ouest- nord-
ouest près des Antilles. Plus au nord , et près des 40me et
50me degrés de latitude, un renversement s'opère avec des
transitions aux deux extrémités. A peu de distance de
l'Amérique, le vent porte en moyenne vers le nord-est ;
plus loin il porte à l'est, et près de l'Espagne il porte au
sud-est. Mais là ne s'arrête pas le mouvement. Le courant
équatorial s'étale plus loin vers le nord, et assez fréquem-
ment il s'y élève jusqu'aux plus hautes latitudes de l'Eu-
rope. Il n'est point arrêté par les terres comme le cou-
rant marin ; il pénètre sur le continent et s'y étend dans
l'est à des distances variables. Ce n'est qu'après avoir
ainsi parcouru sur l'Europe et même l'Asie une trajec-
toire plus ou moins étendue qu'il s'incline à son tour vers
le sud pour alimenter l'alizé très -loin des points d'où il
s'en est détaché. Il ne reste cependant pas entier dans
tout son parcours, et dans une grande partie de son
trajet sur l'Europe il abandonne une partie de son air
dans des courants partiels dérivant vers le sud.
Cette portion de la circulation aérienne ne présente
plus la même régularité d'allures que dans les régions
CIRCULATION DE L'ATMOSPHÈRE ET DES MERS. 103

intertropicales. Dans la saison où elle prend tout son dé-


veloppement, c'est-à-dire l'automne et quelquefois l'hiver,
alors que le refroidissement du pôle nord et le réchauffe-
ment du pôle sud amènent un transport général de l'at-
mosphère du sud au nord, et que d'ailleurs la tempé-
rature du Gulfs ' - stream présente un excès de température
plus marqué sur celle des eaux voisines, le courant équa-
torial est très-abondant ; il s'élève très-haut dans le nord,
s'étend très-loin dans l'est et sa branche descendante, le
courant polaire, est faible et diffuse. C'est la saison des
grandes tempêtes du S. O. , grandes non-seulement par la
force du vent, mais aussi par leur étendue. A la fin de
l'hiver ou au commencement du printemps, au contraire,
l'hémisphère nord se réchauffe et l'hémisphère sud se re-
froidit; un transport général de l'atmosphère a lieu du
nord au sud. Le courant équatorial est moins abondant,
monte moins haut vers le nord, s'étend moins dans l'est ;
sa branche descendante ou courant polaire est mieux
fournie, elle est plus près de nous et souvent elle traverse
l'Allemagne qu'elle aborde par la mer du Nord, ou même
la France ; c'est la saison des giboulées, et des gelées
tardives ou printanières. En été, il reprend sa position
moyenne, mais il est moins rapide et plus calme parce
que la température des eaux du Gulfs'- stream diffère moins
des températures voisines. C'est la saison des orages.
Tels sont les faits généraux ; mais les faits particuliers
sont plus changeants, sans parler des vents que nous res-
sentons sur la surface du sol et qui diffèrent essentielle-
ment du courant général comme nous le verrons dans le
chapitre suivant.
Le courant équatorial dans son ensemble, et le courant
polaire qui le complète, subissent des oscillations quelque-
fois très-brusques et très-étendues. Le lit du premier,
toujours assez limité dans sa largeur, tantôt remonte vers
104 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

le nord, tantôt descend vers le midi . Tantôt sa trajectoire


se développe longuement dans l'est, tantôt elle s'infléchit
vers le midi dès qu'elle a touché l'Europe, même aux
époques où l'effet contraire est l'état normal. Quelque-
fois même, le courant équatorial disparaît presque com-
plétement et l'alizé simulant un courant polaire s'étend
jusque vers le nord de l'Atlantique et de l'Europe. C'est
que les régions polaires peuvent recevoir de l'air non-seu-
lement par l'Atlantique, mais aussi par le Pacifique, et que
nos saisons restent, dans une certaine mesure, subordon-
nées aux phénomènes produits sur ce dernier océan. Quand
le courant équatorial cesse de régner sur l'Europe en hiver,
le Gulfs' - stream lui-même semble s'écarter de nous et le
froid devient rigoureux ; mais quand le courant équatorial
est actif et persistant, les eaux chaudes sont en même
temps poussées plus vivement sur nos côtes ; l'hiver y
est doux et humide.

CHAPITRE VII.

VENTS ET TEMPÊTES.

Tempêtes tropicales , cyclones .

Les perturbations atmosphériques sont rares et peu


durables dans les régions intertropicales ; mais quand elles
s'y produisent , elles y acquièrent une incomparable vio-
lence. Il n'est personne qui n'ait lu quelque relation des
désastres causés par les ouragans des Antilles , par les
VENTS ET TEMPÊTES. 105

typhons de l'Inde, que leur caractère commun et constant


a fait nommer cyclones (du grec cyclos, cercle) .
Le cyclone est constitué par une masse d'air considé-
rable animée d'un mouvement de rotation très-rapide au-
tour d'un axe à peu près vertical : c'est un gigantesque
tourbillon de vent, dont nos trombes sont une imitation
sur une très-petite échelle .
La rotation du disque tournant a constamment lieu ,
dans notre hémisphère, de l'ouest à l'est en passant par le
sud, c'est-à-dire en sens inverse du mouvement des ai-
guilles d'une montre ; dans l'hémisphère opposé il a lieu
dans le sens inverse , de l'ouest à l'est en passant par le
nord.
Les cyclones prennent naissance entre l'équateur et les
tropiques à une latitude sensiblemeut égale à celle du so-
leil, à l'époque où il commence à retourner sur ses pas
vers l'hémisphère opposé. Une fois formés ils vont presque
toujours en s'éloignant de l'équateur. La planche 25 nous
montre la trajectoire d'un de ces météores. Dans l'At-
lantique nord ils montent à peu près parallèlement aux
côtes nord du Brésil ; ils passent en vue des Antilles qu'ils
atteignent et ravagent trop souvent ; ils s'approchent des
côtes méridionales des États-Unis, s'y redressent vers le
nord, puis vers le nord -est en suivant à peu près le cours
du Gulfs'- stream ; ils s'inclinent ensuite comme ce fleuve
pour courir dans l'est et abordent finalement l'Europe à des
latitudes plus ou moins élevées . Leur diamètre initial
varie de 250 à 400 kilomètres ; vers la fin de leur course,
après huit ou dix jours de durée, ils s'étalent sur une su-
perficie de 1,500 à 2,000 kilomètres de diamètre. Leur
énergie s'est affaiblie en raison de leur accroissement d'é-
tendue.
Leur vitesse de translation varie de 15 à 45 kilomètres
par heure ; leur vitesse de rotation est également variable
106 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

d'un tourbillon à l'autre. Au centre même règne souvent


un calme complet interrompu quelquefois par de violentes
rafales avec sautes brusques du vent. La force du vent
augmente graduellement à mesure qu'on s'éloigne du
centre jusqu'à une certaine distance où elle est à son
maximum et au delà de laquelle elle décroît de nouveau.
Mais cette force n'est pas la même tout autour et à égale
distance du centre. Sur une moitié du disque tournant,

AMERIQUE

Figure 25.

située sur la droite de la route suivie par le centre dans


notre hémisphère, les vitesses de rotation et de translation
sont de même sens et s'ajoutent : c'est le côté dangereux
des cyclones. Dans la moitié opposée, les deux vitesses
sont de sens contraires et se retranchent : c'est le côté ma-
niable.
A l'arrivée dans nos parages, la vitesse apparente du
vent est très-faible sur le côté maniable dirigé le plus
souvent vers le nord, là où les vents devraient souffler
VENTS ET TEMPÊTES. 107
d'entre S. E. et N. E. La vitesse du vent est au contraire
considérable sur le côté dangereux dirigé d'ordinaire vers

755 760
-745 750
Feat

046

735

730

750

755

780

Figure 26.

le sud, là où les vents soufflent d'entre S. et v. ou N. O.


C'est ce qui , pendant longtemps, a fait méconnaître le
108 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

caractère de rotation propre à ces grandes tempêtes dans


leur passage sur notre continent. La planche 26 nous
montre une de ces tempêtes dont le centre de rotation se
trouvait sur le canal Saint-Georges, entre l'Irlande et l'An-
gleterre, à la date du 8 novembre 1863 à 8 heures du
matin. Les flèches indiquent la direction du vent ; le
nombre de leurs pennes marque la force du vent ; les points
noirs indiquent un ciel couvert ou pluvieux ; les cercles
blancs correspondent au beau temps. Les lignes concen-
triques passent par les points où le baromètre a même
hauteur. C'est au centre que le mercure est le plus bas
et c'est là le caractère le plus constant de ces tempêtes,
sur lequel nous reviendrons. Le centre du mouvement
tournant progressait vers le nord- est ; ce sont les vents
d'entre S. et S, O. , qui ont le plus d'énergie ; les vents
ont le plus faibles. La direction du
d'entre N. E. et N.
vent maximum change du reste avec la direction de la
route parcourue par le centre du tourbillon.
En dehors des ouragans, les régions tropicales sont
fréquemment troublées dans la saison des pluies par des
orages d'une grande violence, mais dont les caractères
généraux sont, à l'intensité près, semblables à ceux de nos
contrées.

Tempêtes d'Europe.

Les tempêtes d'Europe qui sont dues à des cyclones


parvenus de la région équatoriale de l'Atlantique jus-
qu'à nous sont rares. Nos tempêtes sont au contraire très-
fréquentes ; la plupart ont done une autre origine. Toutes,
cependant, revêtent le même caractère de tourbillonne-
ment. Une circonstance, en effet, domine tous les trou-
bles de l'atmosphère : c'est l'inégale vitesse de rotation
des points du globe situés à des latitudes différentes,
VENTS ET TEMPÊTES. 109

inégale vitesse dont nous avons déjà signalé l'influence


sur les directions successives des vents qui parcourent la
surface terrestre .
Rappelons-nous ce qui se passe dans un vase plein
d'eau percé au fond d'une ouverture par laquelle a lieu
l'écoulement. Tant que les masses d'eau latérales conver-
gent directement vers le centre , aucune particularité
ne se produit ; mais si les filets convergents dévient dans
un sens , on voit la masse d'eau s'animer dans le même
sens d'un mouvement de rotation plus ou moins rapide
autour de l'orifice. Très-fréquemment ce résultat se pro-
duit de lui-même sans cause apparente : la translation
terrestre peut le déterminer à elle seule . Pareil effet se
produit inévitablement dans l'atmosphère. Qu'un appel
d'air en un lieu soit produit par une cause quelconque, et
nous analyserons plus loin d'après M. Peslin la princi-
pale d'entre elles, l'air qui descend du nord vers ce lieu
déviera vers l'ouest par l'effet de la rotation terrestre ;
l'air qui remonte du midi déviera vers l'est, et la rotation
sera la conséquence obligée de cette double influence. Or
les circonstances qui produisent ces appels d'air présentent
leur plus grand degré de développement et de fréquence
à la surface du Gulfs '-stream, au sein du courant équatorial,
quelquefois sur sa rive droite, mais particulièrement sur
sa rive gauche.
La plupart de nos tempêtes naissent en effet sur la rive
gauche ou septentrionale du Gulfs'-stream, dans les parages
des États-Unis , de Terre-Neuve, de l'Islande, et elles nous
arrivent ainsi toutes formées de la surface de l'Atlantique.
D'autres naissent dans les parages des Açores ; d'autres
enfin semblent se former sur l'Europe elle-même, parti-
culièrement dans les golfes de Gênes ou du Lion. Il est
très-rare que le courant équatorial règne depuis quelques
jours sur l'Europe sans que nous voyions apparaître des
110 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLE.

mouvements de tourbillonnement de l'air plus ou moins


accusés, plus ou moins intenses.
Ces mouvements tournants produisent sur l'état du
ciel, sur la chaleur et les pluies, des effets qui se succèdent
toujours dans le même ordre et que nous examinerons
successivement. En ce moment nous n'envisageons que
le vent en lui-même.

Rotation des vents .

La rotation des vents s'opère de deux manières et dans


des conditions très- différentes de durée. Sur tous les points
parcourus par le courant équatorial, le vent souffle d'entre
O. et S. O. sur l'Europe occidentale, d'entre O. et N. O.
sur l'Europe orientale. Mais ce courant n'occupe pas
d'ordinaire une étendue bien considérable en largeur. Sa
rive méridionale est presque toujours limitée par une zone
de l'Europe assez étroite dans le sens transversal. Sur cette
rive, le baromètre est haut, l'air est en général très- calme
avec une tendance à marcher d'entre E. et N. vers les
points opposés de l'horizon . Cette tendance s'accuse de
plus en plus à mesure que l'on s'écarte vers le sud. Nous
trouvons ainsi fréquemment sur l'Europe une zone de fortes
pressions qui la traversent diagonalement du Portugal au
centre de la Russie. Au nord règne le courant équatorial,
au sud règne le courant opposé que l'on nomme encore
courant polaire et qui n'est alors qu'une prolongation de
l'alizé. Mais le lit du courant équatorial est soumis à des
balancements graduels . S'il remonte vers le nord, les
vents d'entre O. et S. O. céderont la place aux vents op-
posés sur les régions que ce courant désertera successive-
ment. S'il revient au contraire vers le midi, l'inverse aura
lieu ; seulement, comme l'air tiède et humide charrié par le
VENTS ET TEMPÊTES. 111

courant équatorial est moins dense que l'air plus sec et


plus froid du contre-courant, c'est par les régions élevées
de l'atmosphère que les vents du S. O. débutent ; et les
nuages marchent déjà de cette direction que les vents
contraires soufflent encore à la surface du sol. Ces chan-
gements ne sont jamais très-brusques. Les rotations ra-
pides et répétées que nous voyons souvent se produire
ont une autre origine.
Le lit du courant équatorial ne se déplace pas seule-
ment dans le sens du méridien ; l'orbe qu'il décrit, tantôt
s'allonge dans l'Est, tantôt se limite aux régions occiden-
tales ; il descend alors par la mer du Nord sur l'Allemagne
ou par l'Angleterre ou l'Irlande sur la France. Cette dis-
position fréquente au printemps est dangereuse pour
l'agriculture. Nous nous trouvons alors sur la branche
descendante du courant équatorial ; la direction générale
des vents y est comprise entre O. et N. L'air est déjà
plus froid et la moindre bourrasque qui nous arrive est
accompagnée de neige, de grésil ou de gelées blanches.
S. O. , O., N. O. , N. , N. E. Telles sont les directions nor-
males du vent sur la France et l'Europe suivant qu'on
s'y trouve dans le courant équatorial proprement dit,
dans sa branche ascendante ou dans le courant de retour.
Mais chacune de ces directions subit une oscillation très-
étendue à chaque mouvement tournant qui passe, et il
n'est guère de jour dans l'année où on n'en voie passer
un sur quelque partie de l'Europe ; quelquefois même on
peut en compter jusqu'à quatre.
Nous avons représenté par des flèches A (fig. 27 ) la di-
rection du vent autour du centre A d'un mouvement
tournant dont l'axe est supposé immobile. Sur toute l'é-
tendue de chaque cercle , l'air a même vitesse absolue ;
mais, nous l'avons vu, le tourbillon dans son ensemble est
entraîné par le courant équatorial. Supposons-le donc
11.2 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

animé d'un mouvement de translation dans le sens A B


de l'ouest à l'est . Les vents d'E. du bord supérieur vont
se trouver amoindris dans leur vitesse de toute la vitesse
de translation ; les vents d'O. du bord inférieur seront au
contraire augmentés de la même quantité. Quant aux vents
du S. et du N. des bords antérieur et postérieur, ils seront
seulement modifiés dans leur direction qui inclinera vers
l'O. Considérons un lieu placé en D où régnait d'abord
un vent d'O. modéré ; et au lieu de faire progresser le mou-
vement tournant de l'ouest à l'est, supposons que ce soit
le point D qui chemine de l'est à l'ouest, les situations rela-
tives ne seront pas chan-
a b
gées. Le vent y tournera
graduellement au S., puis C' D'
du S. au S. O. , à l'O. et
au N. O., après quoi il re- B
prendra sa direction pri-
mitive à moins qu'un se-
cond mouvement tournant D
ne suive le premier. L'O. a
sera le plus violent. Si le
lieu est en D' au lieu d'ê- Figure 27.
tre en D, le vent tournera au S. E. à l'E. et au N. E. On se
croira dans le courant polaire bien qu'en plein courant équa-
torial. Cette opposition des vents est très-marquée dans la
carte du 8 novembre 1863 , malgré les déviations impri-
mées au vent par les saillies du sol. Toutes les fois que le
centre du mouvement tournant passe au nord d'un lieu, le
vent tourne en ce lieu du S. au N. par l'O. Remarquons
que cette rotation est précisément contraire à celle du
mouvement tournant, ce qui fait illusion à beaucoup d'ob-
servateurs. Toutes les fois que le centre passe au sud d'un
lieu, le vent y tourne du S. au N. par l'E. Cette fois au
contraire les deux rotations se font dans le même sens.
VENTS ET TEMPÊTES. 113
Si le mouvement tournant au lieu de progresser de
l'ouest à l'est, progresse du sud-ouest au nord-est (fig. 28)
comme il arrive souvent sur les côtes occidentales de l'Eu-
rope, le vent y tourne du S. E. au N. O. pour les points
situés à droite du centre et le S. O. est le plus violent.
Si le mouvement tournant progresse du nord-ouest vers
le sud-est (fig. 29) , le vent tourne du S. O. au N. E. par le
N. O. pour les points situés sur la droite de la route du
centre et le N. O. est le plus violent. Ce trajet s'observe
fréquemment quand un mouvement tournant vient heurter

BA D
BA

Figur 25. Figure 29.

contre l'extrémité méridionale de la chaîne des Alpes


scandinaves et se trouve rejeté de la mer Noire sur l'Al-
lemagne.
Il arrive enfin assez fréquemment que le centre d'un
mouvement tournant traverse la France presque du nord
au sud. Le vent tourne alors de l'O. à l'E. sur nos côtes
occidentales et le vent du N. est le plus violent : nous
sommes sur la branche descendante du courant équato-
rial. Ces rotations accidentelles et rapides se reprodui-
sant à chaque bourrasque qui passe, et, je le répète, elles
se succèdent à des intervalles de temps rapprochés ; elles
doivent être soigneusement distinguées des substitutions
114 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

vraies du courant équatorial au courant polaire, ou inver-


sement.

Origine des tempêtes , causes de leur persistance .

Les tempêtes sont probablement produites par des causes


multiples suivant les temps et les lieux où elles prennent
naissance ; mais quelle que soit leur origine, leur durée
souvent considérable se rattache à un phénomène à peu
près unique.
Dans les régions équatoriales , spécialement sur l'At-
lantique, les deux alizés ne pénètrent pas dans la zone
équatoriale ascendante avec des vitesses également incli-
nées des deux côtés de l'équateur, surtout quand la nappe
ascendante ne coïncide pas avec cette ligne. L'alizé du
N. E. a franchement cette direction générale du N. E.;
l'alizé du S. E. en franchissant la ligne pour pénétrer dans
l'hémisphère nord gagne des parallèles plus étroits et
animés d'une vitesse moindre de l'ouest vers l'est. Il tend
donc à se redresser vers le nord. Or quand deux cours
d'eau se rencontrent ainsi avec deux vitesses dissimétri-
ques, des tourbillons naissent à leurs points de jonction.
Là est probablement l'origine des tornades ou tempêtes
tournantes de la zone des pluies équatoriales ; et, quand
les conditions sont favorables à leur développement
anormal, ces tornades deviennent des cyclones . Des effets
semblables dus à une cause analogue donnent sans doute
naissance aux typhons de la mer des Indes à l'époque du
renversement des moussons.
Sur les bords du courant équatorial, à la surface du Gulfs'-
stream, dans les parages du Canada, de Terre-Neuve, du
Groënland et de l'Islande, les conditions sont différentes.
Le courant équatorial y marche il est vrai du S. O. mais
en longeant une masse d'air dont la vitesse générale serait
VENTS ET TEMPÊTES . 115

plutôt du N. O. Nous avons donc encore ici deux courants


qui se côtoyent avec des vitesses inégales et disparates
et ces conditions suffiraient à produire nos tornades ou
tempêtes tournantes. Mais une autre action s'ajoute à la
première. Le courant équatorial est chaud et humide ;
toutes les masses d'air qu'il côtoye vers le nord, sur le
Canada, Terre-Neuve, le Groënland, les mers Polaires,
l'Islande, sont au contraire froides et couvertes de glace
en hiver. En été même, d'immenses blocs de glace déta-
chés des mers polaires viennent à la dérive jusque dans
le Gulfs ' - stream . De ces mélanges résultent d'abondantes
condensations de vapeur qui déterminent un appel d'air
des régions latérales vers le lieu où la condensation s'est
produite , et l'inégalité des vitesses d'air convergentes
amène inévitablement le mouvement tournant.
Quelque rapide que soit un semblable mouvement, il
ne tarderait pas à s'user dans les frottements que toute
masse d'air en mouvement rencontre à la surface du sol.
Au contraire , dès qu'ils ont pris naissance on les voit
rapidement grandir, s'étendre, et persister quelquefois une
quinzaine de jours en parcourant l'immense étendue com-
prise entre les côtes du Brésil, le nord de l'Europe et
le centre de l'Asie.
C'est ici qu'intervient un phénomène naturel étudié
avec soin par M. Peslin.
Nous avons vu dans les chapitres précédents que la
température de l'air descend rapidement à mesure qu'on
s'élève dans l'atmosphère. Ce refroidissement graduel
n'est pas dû à la seule influence du froid glacial des espaces
planétaires ; il est aussi la conséquence naturelle du décrois-
sement de la densité de l'air dans le sens de la hauteur.
Si nous pouvions isoler un mètre cube d'air dans une
enveloppe infiniment mince et parfaitement extensible, et
si nous portions cet air successivement à des hauteurs
116 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
croissantes, son volume augmenterait par suite de la di-
minution de la pression barométrique à sa surface. En
même temps que son volume croîtrait, sa température
baisserait dans le même rapport, et par le seul fait de la
dilatation. Pour de l'air sec l'abaissement du thermomètre
serait de 1 degré par 80 mètres parcourus en hauteur.
Imaginons qu'une masse d'air sec à 15 degrés tende à
être soulevée de la surface de la terre vers les hauteurs
par l'effet de l'agitation perpétuelle de l'air. Arrivée à une
hauteur de 800 mètres, cette masse d'air se serait refroidie
de 10° et ne marquerait plus que 5º. La loi naturelle de dé-
croissance de la température de l'atmosphère dans le sens
de la hauteur est très-variable ; elle oscille généralement
entre 150 et 200 mètres pour un abaissement de 1 degré.
Notre masse d'air ascendante deviendra donc graduelle-
ment plus froide et plus dense que les couches au milieu
desquelles elle se trouvera portée ; sa tendance à redes-
cendre s'accentuera de plus en plus et ne tardera pas à
annuler la force qui l'avait poussée en haut. Dans ces con-
ditions l'air est stable puisque les forces qui tendent à
troubler l'équilibre au lieu de se régénérer dans l'effet
qu'elles produisent y trouvent au contraire une cause d'é-
puisement. Mais si l'air sec se refroidit de 1 degré par 80
mètres de hauteur, l'air humide se refroidit beaucoup plus
lentement parce que la vapeur qu'il contient est un ré-
servoir de chaleur. Le refroidissement devient surtout
très-lent dès que l'air atteint et dépasse son point de
rosée ; la vapeur en se condensant alors abandonne sa
chaleur latente qui devient sensible au thermomètre ou
supplée aux pertes subies.
Supposons maintenant que notre mètre cube d'air à 15
degrés soit humide au lieu d'être sec et que sa décroissance
de température pendant la montée soit de 1 degré par 200
mètres au lieu de 80. Arrivé à la hauteur de 800 mètres
VENTS ET TEMPÊTES. 117

il ne se sera refroidi que de 4 degrés et sa température


sera de 11 degrés. Si le refroidissement dans l'atmosphère
est de 1 degré par 150 mètres, la couche atmosphérique
située à 800 mètres n'aura que 9° 7. Notre mètre cube
d'air sera plus chaud et plus léger, et cette différence de
densité tendra à le faire monter plus haut . La force
quelle qu'elle soit qui aura donné à notre mètre cube d'air
sa première impulsion se régénèrera donc au lieu de s'é-
puiser et le mouvement commencé s'entretiendra de lui-
même. Telle est l'origine d'un grand nombre de pertur-
bations locales, particulièrement en été. A certains jours
de cette saison, la chaleur et l'humidité sont fortes à la
surface du sol tandis que la température décroît rapide-
ment dans le sens de la hauteur. Tous les terrains ne
s'échauffent pas également ; les uns sont secs et nus,
d'autres sont plus humides ou couverts de plantes. L'air
qui repose à leur surface participe toujours un peu de
leur température. L'air le plus chaud tendra à monter
et cette tendance sera favorisée par les saillies du sol, les
pentes exposées au soleil tendant par elles-mêmes à pro-
duire ce mouvement. Une fois commencée l'ascension s'en-
tretient d'elle-même. De là les colonnes d'air ascendant,
invisibles pour nous sinon par les masses de nuages ar-
rondis qui les surmontent et qui grandissent quelquefois
avec une rapidité surprenante. C'est le temps des orages.
Les tempêtes tournantes s'alimentent à la même source
de mouvement, et c'est ce qui donne tant d'intérêt aux
observations météorologiques faites simultanément en des
lieux placés à des hauteurs différentes telles que le Puy-
de-Dôme et Clermont ; le pic du Midi et les vallées voi-
sines, etc. Ces observations peuvent donner à chaque heure
une mesure du degré de stabilité de l'atmosphère.
Pour bien comprendre comment s'entretiennent les
tempêtes et les tornades qu'on nomme ordinairement
7.
118 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

bourrasques faute d'un autre nom français ( tornada est


un mot espagnol et portugais qui signifie bourrasque
tournante), nous devons compléter l'examen du phéno-
mène.
Tout fluide animé d'une rotation plus ou moins rapide,
se meut en même temps du centre vers la circonférence.
Une force centrifuge tend à l'éloigner de l'axe de rotation
avec une vitesse d'autant plus grande que la rotation est
elle-même plus rapide ; c'est sur ce principe qu'est fondé
l'emploi des tarares. Un vide tend donc à se former dans
l'axe de rotation tandis que l'air refoulé sur le pourtour
y acquiert une densité plus grande. Ce phénomène est
nettement accusé dans la figure 30 et il est constant
dans toutes les tempêtes. Les lignes courbes tracées sur la
carte passent chacune par les points où le baromètre cor-
rigé de l'altitude du lieu, atteignait, le 8 novembre 1863
à 8 heures du matin, le même degré de hauteur marqué
sur la courbe. Le centre du mouvement tournant se
trouve sur le canal Saint-Georges, près de Liverpool. Lat
courbe centrale passe par tous les points où le baromètre
marquait 730 millimètres ; au centre même du cercle il
était encore plus bas. Sur les cercles extérieurs concen-
triques au premier, le baromètre marque les hauteurs
735mm, 740mm, 745mm, etc.; il atteint 760 sur les Pyrénées
et sur le golfe de Botnie.
Dans toute tempête ou bourrasque tournante, il existe
ainsi un point central à pression barométrique minima ,
et qui se déplace à la surface du globe avec la tempête. La
dépression barométrique est d'autant plus profonde que
la tempête est plus violente et qu'elle couvre une plus
grande étendue. Elle est peu marquée dans nos trombes
malgré leur énergie parce qu'elles sont très-circonscrites.
Mais le vide que le mouvement tournant tend à pro-
duire dans son axe y engendre un appel d'air, exactement
VENTS ET TEMPÊTES. 119
comme dans un tarare l'air est appelé dans l'axe pour se
porter sur le pourtour et de là dans la buse. L'alimenta-

755 760
745 750

760

vry 735

730

OT

7453

750

755

760

Figure 30.

tion dans l'axe a lieu par de l'air pris dans tous les sens,
à l'est et à l'ouest, au nord et au midi. De ces deux der-
120 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
nières directions l'air arrive animé déjà de vitesses diffé-
rentes dans le sens de l'ouest à l'est. L'air venu du nord
incline à l'ouest ; l'air venu du midi incline à l'est, et ce
défaut de concordance produit et entretient la giration.
D'un autre côté les deux mouvements centripète et cen-
trifuge, l'un allant vers le centre, l'autre s'en éloignant,
sont reliés entre eux par des mouvements dans le sens de
la verticale. Là où l'air est ascendant il gagne des régions de
plus en plus froides ; sa vapeur se condense ; nous avons
des nuages, des pluies et souvent des orages . Mais en
même temps la chaleur provenant , dans les hautes ré-
gions, de cette condensation de la vapeur, alimente à son
tour la force ascensionnelle et compense les pertes de vi-
tesse dues au frottement. Là où l'air est descendant, le ciel
est généralement beau.
Les changements barométriques qui précèdent l'arrivée
d'une tempête permettent de signaler son approche. Les
conditions nécessaires à sa permanence peuvent rensei-
gner sur sa durée et sur les lieux qu'elle peut atteindre.
Il lui faut un air humide pour se propager ; aussi ces mé-
téores suivent-ils de préférence le cours du Gulfs ' - stream
et du courant équatorial. Souvent une bourrasque ap-
paraît sur nos côtes qu'elle menace ; mais elle ne tarde
pas à s'évanouir faute d'aliments : la pluie est dure à
venir sur un sol et dans un air secs.
Dans quelle région d'un disque tournant l'air est-il
ascendant à la surface du sol ?
L'atmosphère étant d'autant plus dense qu'elle est prise
plus près de la surface terrestre, c'est près de cette sur-
face que la force centrifuge aura le plus de prise . Ce sont
donc les régions supérieures qui devraient fournir à l'a-
limentation de l'air par l'axe du mouvement tournant, et
l'air doit y être descendant. Mais d'autre part les frotte-
ments sur la surface inégale de la terre tendent à y ra-
VENTS ET TEMPÊTES. 121

lentir la vitesse de rotation qui atteint son maximum à


une certaine hauteur. Or la force centrifuge est liée à la
vitesse de rotation ; elle sera donc plus grande à une cer-
taine hauteur qu'à la surface même du sol. L'alimentation
par les alentours de l'axe pourra donc se produire aussi de
bas en haut dans les couches superficielles à la terre. Ce
sont-elles d'ailleurs qui renferment le plus de vapeurs et
qui par suite peuvent le mieux réparer les pertes dues au
frottement. Les taches du soleil qui, elles aussi , semblent
d'après M. Faye être dues à des tourbillons analogues
aux nôtres, sont un effet du mouvement descendant de
la masse gazeuse suivant l'axe dans ses hautes régions.
Les nuages lumineux qui donnent au soleil son éclat se
dissolvent dans ce mouvement descendant ; ils acquièrent
au contraire une plus grande densité sur le pourtour, là
où l'atmosphère est ascendante. Les nuages terrestres in-
diquent la position des courants ascendants dans les cou-
ches inférieures de notre atmosphère , et la figure 30
montre que les nuages se trouvaient groupés autour du
centre. Tous les points noirs y indiquent en effet des
pluies sur l'Angleterre ; tous les points blancs annoncent
l'absence de pluie sur la France, l'Allemagne, les Pays-Bas,
la Suède et la Norvège, qui ont été mouillées postérieu-
rement, par suite du mouvement de progression du phé-
nomène dans le sens de l'ouest vers l'est.

Vents locaux.

Jusqu'à présent nous avons examiné les vents dans


leurs allures générales sans nous préoccuper des influences
locales. Celles-ci prennent en France une importance très-
grande, à cause des chaînes de montagnes qui bordent
nos frontières à l'est, au sud-est et au sud-ouest. Si nous
122 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

considérons le courant équatorial en lui-même, le plateau


central qui comprend le Puy-de- Dôme, le Cantal et des
portions des départements voisins , produit un premier
partage des masses d'air en mouvement. La plus grande
partie dérive vers le nord, l'autre dérive vers le sud, pour
franchir la chaîne moins élevée des Cévennes . Une se-
conde bifurcation se produit à la rencontre du grand
massif des Alpes et les vents dominants dans la vallée du
Rhône sont des vents du N. Toutefois, quand le centre
d'un mouvement tournant un peu intense passe à proxi-
mité de nos côtes , son action s'étend sur toute la surface
du territoire, et les vents en Provence et dans la vallée du
Rhône soufflent plus ou moins directement du sud . Mais
quand le centre du mouvement tournant a franchi vers
l'est le méridien de Paris, les vents remontant vers l'O.
sur la France occidentale , les dérivations vers le sud
reparaissent et acquièrent d'autant plus d'énergie que la
direction du mouvement général incline plus vers le sud-
est. Le mistral devient alors très-violent parce que l'air
s'engage dans un défilé compris entre les Alpes et les
Pyrénées et que ce défilé très-large à son entrée vers le
nord-ouest est assez étroit à son débouché vers le sud-est sur
le grand bassin de la Méditerranée. On observe très-fré-
quemment un excès de pression barométrique dans les
points où le défilé commence, et un excès contraire sur
les golfes du Lion et de Gênes ; dans l'intervalle l'air
descend comme l'eau dans un rapide provenant d'un
étranglement du lit d'un fleuve.
Toutes les montagnes donnent cependant lieu à de vé-
ritables brises locales dues à l'inégalité des températures.
Durant le jour, le sol frappé par les rayons solaires est, à
toute hauteur, plus chaud que l'air ambiant. L'air direc-
tement en contact avec lui participe de cet excès de tem-
pérature ; devenu plus léger, il monte. Une brise ascen-
VENTS ET TEMPÊTES. 123

dante s'élève ainsi le long des flancs des montagnes . La


nuit, il se produit un phénomène inverse : le sol se re-
froidit plus que l'air ; une brise descendante succède à la
première. La brise ascendante porte dans les hautes ré-
gions la chaleur et l'humidité qu'elle a prises au sol dans
son parcours ; la brise descendante apporte à la plaine le
froid qu'elle a emprunté durant la nuit au sol refroidi
par voie de rayonnement.
Les brises de terre et de mer qui soufflent sur les côtes
ont une origine analogue. La température du sol change
beaucoup du jour à la nuit ; celle de la mer varie peu.
Durant le jour, le sol est plus chaud que la mer ; l'air y
est ascendant et appelle la brise de mer qui rafraîchit
l'atmosphère. L'inverse a lieu durant la nuit. Ce sont là
des phénomènes locaux étrangers à la circulation générale
que nous avons esquissée plus haut.
Ces diverses brises en se combinant avec les vents gé-
néraux et avec la dilatation de l'air dans les méridiens où
passe successivement le soleil , produisent la rotation
diurne constatée dans un grand nombre de localités. On
dit que le vent tourne avec le soleil.

Progression des vents.

On voit assez fréquemment les vents se transporter à


la surface du globe en sens contraire de leur direction.
Un vent du N., par exemple, commencera à souffler dans le
midi d'une région avant de s'y propager dans le nord. Ce
phénomène est expliqué par la production de centres
d'appel dus à des influences diverses et spécialement au
vide produit par des condensations de vapeur. La plupart
du temps, ces vents ne sont en réalité que des vents de
remous, ou bien des vents tournants appartenant à un
124 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

tourbillon dont le centre se déplace progressivement. Dans


ce dernier cas, les vents qui soufflent dans la direction du
transport de l'axe progressent dans le sens dans lequel
ils soufflent ; les vents opposés progressent à l'envers de
leur mouvement propre.
Les vents soufflent rarement d'une manière égale et
continue; ils éprouvent de nombreuses intermittences
dans leur force et même dans leur direction. Les vents ac-
cusés par les nuages offrent plus de régularité sauf dans
les temps d'orage. C'est que rien ne gêne les mouvements
de l'air dans les régions élevées, loin des aspérités du sol.
Les résistances que ces mouvements éprouvent à la sur-
face de la terre ont pour effet de produire des irrégula-
rités très-grandes dans la marche des vents superficiels .
Non-seulement ces derniers suivront les lignes de moindre
résistance et se diviseront en mille filets suivant les val-
lées, mais encore ils sembleront se renverser en arrière des
obstacles. Dans le mouvement tumultueux qui en résulte,
les lignes de plus grande vitesse oscillent à la surface du
sol ; chaque point passe par des alternatives de calme et
d'agitation. Des alternatives semblables, mais moins ra-
pides, se produisent même sur les océans. L'air court
moins vite à leur surface que dans les hauteurs ; il se pro-
duit donc des remous dans le sens vertical comme dans le
sens horizontal ; et d'ailleurs les mouvements tournants
ne peuvent conserver la verticalité de leur axe dans ces
conditions d'inégale vitesse de transport des couches aé-
riennes superposées. La partie supérieure ou moyenne de
l'axe prend de l'avance sur la partie inférieure ; et quand
le désaccord arrive à une certaine limite, la portion supé-
rieure de l'axe se détache, continue sa route en s'abaissant
graduellement vers le sol et quand elle l'a atteint les
mêmes effets se reproduisent . Le vent redouble à chaque
contact ; il mollit à chaque division.
VENTS ET TEMPÊTES. 125

Les amas de poussière ou de neige ont lieu surtout sous


le vent des abris, c'est-à-dire en arrière d'eux par rapport
au vent. Un peu plus loin, là où le vent relevé par l'obs-
tacle revient plonger sur le sol, la surface terrestre est
tourmentée, la terre en est soulevée, les plantes déchaus-
sées et quelquefois déracinées. C'est en général derrière
les abris, et à une certaine distance, que les vents causent
le plus de désordres.
La violence du vent acquiert dans certains pays et à
certains moments une énergie extraordinaire. Nos trombes
limitées qui déracinent les arbres ou les brisent, qui em-
portent les toitures, dessèchent des étangs, ne nous don-
nent qu'une idée imparfaite des ouragans des Antilles ou
des typhons de l'Inde. Ces ravages sont fréquemment ac-
crus par des tremblements de terre auxquels on attribue
les tempêtes tandis que l'examen des faits montre que ces
tempêtes existaient avant et après et que ce sont elles au
contraire qui déterminent une rupture de l'équilibre ter-
restre lentement préparée.

Fréquence relative des vents à Paris.

M. Haeghens a fait le relevé des vents notés à Paris


pendant 40 ans, de 1806 à 1845, et il en a pris le total.
Puis, dans ce total, il a pris séparément chacune des huit
directions principales du vent, il a fait la somme des vents
ayant soufflé dans une direction donnée, S. , par exemple,
et a divisé cette somme par le total des vents. Il a pu
construire ainsi la table suivante de la fréquence relative
des vents à Paris. Pour éviter les fractions, les quotients
obtenus ont été multipliés par 1,000 . Les nombres du
tableau expriment donc le nombre de fois sur 1,000 que
chaque vent a soufflé.
126 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Les vents les plus fréquents à Paris, en année moyenne,


sont : le S. O. en décembre, janvier, mars, mai, septembre
et novembre ; le S. en février et octobre ; l'O. en mars,
juin, juillet, août ; le N. E. et le N. en avril. Les vents
les moins fréquents sont le N. en novembre et décembre ;
l'E. en janvier, février, juin, juillet, août, septembre et
octobre ; S. E. en mars, avril et mai. Mais sous ce rap-
port les années successives présentent les plus grandes
divergences.

FRÉQUENCE RELATIVE
DES HULT VENTS PRINCIPAUX A PARIS DE 1806 A 1845.
Directions.
Mois . N. N. O. 0. S. O.S. S. E. E. N. E.
Décembre . 69,8 90,1 151,3 168,4 99,5
226,4 72,6 121,9
Janvier.. 115,5 94,5 154,7 176,0
157,8 110,2 68,2 123,1
Février 101,2 102,4 175,0 170,9
192,8 100,2 61,4 93,1
Mars. 123,2 100,5 171,8 171,8
122,8 63,6 66,0 180,3
Avril • · 153,1 118,4 141,4 136,0
140,6 71,1 85,8 153,6
Mai 127,2 105,0 149,1 130,5 83,9
182,3 85,9 136,1
Juin . 131,0 129,8 210,7 200,692,6 58,6 53,6 123,1
Juillet. 97,1 143,9 257,3 210,2
106,1 48,8 45,5 91,1
Août. 89,0 124,3 249,2 219,9
122,0 43,1 61,4 91,1
Septembre.. 98,9 98,5 150,0 208,3 161,8 72,9 86,8 127,8
Octobre . 76,9 101,7 160,3 186,8 198,5 105,4 77,7 92,7
Novembre. 61,7 91,1 165,4 235,5 181,8 103,3 68,0 93,2

Influence des vents sur la température à Paris.

M. Haeghens a également relevé les températures ob-


servées à l'heure de midi pendant la même période de 40
années, et il a classé ces températures d'après la direction
du vent à l'heure de l'observation ; puis il a pris pour
chaque mois et pour chaque vent la moyenne des tem-
VENTS ET TEMPÊTES. 127

pératures observées. Il est arrivé ainsi au tableau suivant :


Les vents les plus chauds sont le S. O. en novembre,
décembre, janvier et février ; le S. E. en mars, avril, mai ,
juin, juillet, août, septembre et octobre ; en octobre le S. E.
et le S. ont même température moyenne. Les vents les
plus froids sont le N. E. en novembre, décembre , janvier,
février et mars ; le N. en avril et octobre ; le N. O. en mai,
juin, juillet, août et septembre.
Ce qui est vrai à Paris en année moyenne, ne l'est pas
nécessairement pour d'autres lieux ni même à Paris pour
une année en particulier. Les vents du N. O. , par exemple,
n'auront pas les mêmes propriétés sur les côtes de Pro-
vence et sur celles de l'Algérie. La configuration des con-
tinents, leur position par rapport aux bassins maritimes
amèneront sous ce rapport des différences tranchées.

TEMPÉRATURES MOYENNES A MIDI , PAR LES DIFFÉRENTS VENTS.


N. N. O. 0. s. o. S. S. E. E. N. E.
Décembre . 0,9 4,3 7,3 8,3 5,9 3,9 1,7 -- 0,2
Janvier... 0,3 2,5 5,4 6,8 4,8 2,0 0,0 -- 0,4
Février... 2,7 5,0 7,3 8,6 7,7 5,6 2,3 1,8
Mars .... 6,3 8,2 9,9 10,9 11,1 11,8 9,4 6,1
Avril . 10,7 11,2 12,9 14,2 16,1 17,2 14,7 12,2
Mai. 15,8 14,7 16,3 18,3 20,0 21,3 19,2 17,0
Juin 19,7 19,1 19,7 20,8 22,5 23,9 23,5 21,3
Juillet.. 21,3 20,4 21,0 22,2 23,8 25,9 24,4 22,7
Août . 21,3 20,7 21,1 21,7 23,6 25,0 24,8 22,2
Septembre. 18,9 17,6 17,9 19,3 20,3 21,7 19,8 18,7
Octobre... 11,4 11,7 13,5 14,8 15,6 15,6 13,1 12,3
Novembre . 5,5 7,2 9,1 14,5 10,1 7,8 5,7 4,4

D'autre part, beaucoup de vents ne sont que des remous


d'un courant plus général et la déviation que leur im-
prime les saillies du sol ne leur enlève pas toutes leurs
propriétés primitives . Il est cependant certaines lois géné-
128 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

rales qui dominent les influences accidentelles et locales :


c'est à celles-là seulement que nous devons nous arrêter.
En hiver, l'excès de la température de la mer sur celle
du continent est à son maximum ; les vents marins seront
donc les plus chauds. Ils sont d'ailleurs chargés d'humi-
dité et les nuages dont ils couvrent le ciel s'opposent au
rayonnement nocturne. Si l'on joint à cela que la tempé-
rature monte en général à mesure qu'on se rapproche du
midi sur un même méridien , on comprendra que le vent
le plus chaud ne soit pas le vent d'O. , mais le vent de S. O.
D'ailleurs, à cause de la tendance que nous avons déjà si-
gnalée dans l'air en mouvement à tourner autour d'un
axe vertical, un vent qui souffle du S. O. à Paris ne vient
pas de cette direction même, mais d'une direction plus
relevée vers l'O . Par une raison analogue, les vents qui
soufflent du N. E. auront parcouru des continents froids
dont ils transmettront jusqu'à nous la température. Gé-
néralement , il est vrai , on accorde aux vents soufflant des
régions N., N.-E. ou E. , une origine beaucoup plus lointaine
qu'ils ne l'ont en réalité. On voit en effet très-souvent ces
vents souffler sur la France , alors que la Suède , la Russie
et même l'Allemagne sont sous l'influence de vents d'O. ou
S. O. Les froids que nous ressentons alors ne nous
viennent donc pas de ces régions de l'Europe orientale ou
septentrionale. Mais par cela même que nous sommes en
dehors du courant équatorial, nous sommes privés du
contingent de chaleur qu'il nous apporte d'ordinaire ; et
comme en même temps le ciel est beau , le refroidissement
nocturne devient très-actif. Il arrive cependant des cas où
nos vents d'E. ou N. E. viennent réellement de latitudes
élevées : dans ce cas , le froid est non-seulement rigoureux,
mais encore très-prolongé.
En été , c'est le continent qui est plus chaud que la
mer ; les vents d'E. doivent donc être plus chauds que les
VENTS ET TEMPÊTES. 129

vents d'O. , ce qui a lieu généralement en effet pour le ther-


momètre. Il n'en est pas toujours ainsi lorsque nous nous
en rapportons à nos seules impressions : c'est qu'une autre
cause intervient. Les vents d'E. sont généralement secs ,
soit parce qu'ils ont parcouru des continents étendus où les
eaux sont relativement rares , soit surtout parce qu'ils ont
franchi des plateaux élevés où ils se sont dépouillés de
l'humidité dont ils pourraient s'être accidentellement char-
gés. En arrivant sur la France , ils ont donc un grand
pouvoir d'évaporation. Avec la vapeur qu'ils enlèvent à la
surface de notre corps disparaît une partie de la chaleur
produite en nous et dont nous sommes gênés.
Cet excès de température des vents d'E. sur les vents d'O .
explique la rétrogradation du S. O. au S. E. du vent le
plus chaud pendant l'été. Le vent du S. E. est redouté des
agriculteurs à l'époque de la floraison des blés et jusqu'au
moment de la maturité. Au maximum de température
correspond d'ordinaire un maximum d'éclairement . Le
travail des plantes s'exagère et si le sol ne présente pas un
degré suffisant d'humidité, elles ne peuvent suffire aux
pertes d'eau qu'elles subissent par voie de transpiration.
La récolte s'en trouve compromise.
Dans la même saison , et pour les mêmes causes , les
vents les plus froids rétrogradent du N. E. vers le N. O.
Dans les saisons du printemps et de l'automne, nous
rencontrons des faits intermédiaires à ceux des saisons
extrêmes.

Influence des massifs montagneux sur les tempéra-


tures des vents .

On attribue souvent une influence exagérée aux neiges


qui couvrent les hauts plateaux des Alpes ou des Pyré-
nées sur les vents qui ont passé par-dessus leurs cimes.
130 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Cette influence est réelle dans certains cas , quand les


neiges commencent à fondre non par l'action du soleil ,
mais par la chaleur propre de l'air. Cet air perd alors une
partie de sa chaleur et cette perte peut rester sensible mal-
gré le réchauffement qui résulte ultérieurement de l'abais-
sement du vent dans la plaine. L'effet est alors analogue
à celui qu'on ressent la nuit dans la plupart des vallées
creusées sur les pentes des plateaux. Le rayonnement noc-
turne abaisse la température du sol de ces plateaux et celle
de l'air qui les recouvre. Cet air froid descend dans les val-
lées et produit l'impression qui a fait donner à plusieurs de
ces gorges le nom de Vallée du refroidi. Mais il est d'autres
cas au contraire où le passage des vents sur les sommets
des montagnes les plus élevées et même couvertes de neige
est pour eux une source de chaleur à leur retour dans la
plaine. Tel est le cas du foehn des Alpes , vent tellement
chaud qu'on l'y considère comme une continuation du
sirocco d'Afrique, alors que son origine est tout autre. Un
exemple numérique fera comprendre notre pensée.
Imaginons qu'une masse d'air soit assez peu chargée
d'humidité pour que dans son ascension elle ne donne
lieu à aucun dépôt de vapeur d'eau ; supposons, de plus,
que sa température ne s'abaisse par le seul effet de l'as-
cension que de 1 degré par chaque 100 mètres parcourus
verticalément. A 1,000 mètres de hauteur, sa température
aura baissé de 10 degrés. Si alors elle redescend à son
niveau primitif , elle gagnera 1 degré par chaque 100
mètres parcourus dans la verticale ; elle reprendra donc
sa température première avec son premier niveau .
Supposons au contraire que pendant son ascension l'air
se dépouille d'une partie de sa vapeur sous forme de pluie
ou de neige. Cette condensation de vapeur aura été accom-
pagnée d'un dégagement de chaleur latente compensant les
pertes dues à l'expansion de l'air pendant sa montée . Au
EAU ATMOSPHÉRIQUE. 131

lieu de descendre de 10 degrés, la température de cet air


aura baissé peut -être de 5 degrés seulement. Mais dans la pé-
riode de descente le réchauffement restcra semblable dans
les deux cas, à moins que quelques nuages résidus de la pluie
ne se fondent dans l'air échauffé et ne ralentissent son ré-
chauffement. Ce réchauffement fût-il de 8 degrés seulement
au lieu de 10, que nous aurions encore 3 degrés de béné-
fice. Le foehn est un vent du S. O. que l'on ressent sur les
versants nord des Alpes. Il s'est dépouillé d'une grande
partie de sa vapeur d'eau sur les versants méridionaux
qu'il a arrosés pendant sa montée ; à la descente il se
trouve surchargé d'une grande partie de la chaleur la-
tente rendue libre par cette condensation . Les montagnes
sont donc fréquemment une cause de chaleur en même
temps que de sécheresse pour leurs versants opposés aux
vents pluvieux, une cause de chaleur et de pluie pour les
versants exposés à ces vents .

CHAPITRE VIII.

EAU ATMOSPHÉRIQUE .

L'atmosphère contient des quantités très-variables de


vapeur d'eau. L'air n'en est jamais complétement dé-
pourvu ; il en est très-rarement saturé.
L'eau et la glace elle-même se transforment graduelle-
ment en vapeur à toute température. Les mers, les rivières,
le sol toujours plus ou moins humide, et tous les êtres vi-
vants, versent sans cesse dans l'atmosphère de la vapeur
132 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

d'eau qui se résout ultérieurement en pluie ou neige, en


brouillards ou rosée.
La vapeur d'eau , en effet , présente cette particularité ,
d'ailleurs commune à toutes les vapeurs , qu'un espace
donné n'en peut renfermer qu'un poids déterminé par la

30 gr.

25gr
.

20gr

15gr.

10gr.

gr

-5 0 +5 10 15 20 25 30 35

Figure 31.

température de l'espace , et d'autant plus grand que cette


température est plus élevée. Toute quantité de vapeur su-
rajoutée sans élévation de température donnerait immé-
diatement lieu à une condensation de vapeur sous forme
d'eau ou de glace ; tout abaissement de température pro-
EAU ATMOSPHÉRIQUE. 133
duira le même effet si l'air est saturé , ou l'approchera de
sɔn point de saturation s'il en est éloigné.
La planche 31 contient le tracé graphique des quantités
maxima de vapeur d'eau que puisse contenir 1 mètre cube
d'air aux températures ordinaires. Les températures y
sont marquées par les lignes verticales du quadrillé ; les
poids de vapeur y sont marqués par les lignes horizon-
tales. La courbe qui coupe transversalement ces deux
sortes de lignes passe par tous les points d'intersection des
poids avec les températures correspondantes. Ainsi , cette
courbe passant par le point de rencontre de la ligne ver-
ticale 15 avec la ligne horizontale 13 , nous en concluons
qu'à 15° un mètre cube d'air saturé contient 13º de va-
peur d'eau. A 30° il en contiendrait 298,4 . Ce genre de
constructions graphiques a l'avantage de faire saisir à
la simple vue la marche du phénomène , mais il n'a pas
le même degré de précision que les chiffres , parce que
la main du graveur peut dévier légèrement ou à droite ou
à gauche. C'est ainsi que la courbe donne 55, au lieu de 5º,4
pour le poids de la vapeur contenue dans 1 mètre cube
d'air saturé à zéro degré. Par contre , elle montre nette-
ment que la congélation de l'eau n'apporte aucune pertur-
bation dans la marche des quantités de vapeur qu'elle
fournit. La glace évapore comme le ferait de l'eau à la
même température .

Degré hygrométrique de l'air.

La quantité de vapeur d'eau contenue dans l'air est


presque toujours moindre que celle qu'on déduit de la
courbe ci-dessus. Le rapport de ces deux quantités est ce
qu'on nomme état ou degré hygrométrique , qu'il ne faut
pas confondre avec le degré de l'hygromètre. D'après la
8
134 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

courbe , l'air saturé à 20° devrait renfermer 17% d'eau par


mètre cube ; s'il n'en contient que 88,5 il n'est qu'à moitié
saturé , son état hygrométrique est un demi , ou 0,5 , ou
bien encore 50 en prenant le degré de saturation égal
à 100 pour éviter les fractions.
Mais si nous refroidissons graduellement cet air sans lui
donner ni lui prendre de vapeur, son degré hygrométrique
va monter par le seul fait de l'abaissement de la tempéra-
ture. A la température de 8 degrés il sera saturé puisqu'il
ne peut contenir à cette température que 88,5 de vapeur
d'eau ; son degré hygrométrique sera 100. En descendant
à une température plus basse il sera sursaturé , c'est-à- dire
qu'une portion de sa vapeur se sera condensée en eau sous
forme de rosée ou de brouillard. A zéro degré, plus de
3 grammes se seront ainsi déposés.
Le degré hygrométrique de l'air fait donc connaître sa
fraction de saturation , mais ne donne pas directement la
quantité de vapeur qu'il renferme. Il faut connaître de
plus la température de l'air. Si nos instruments nous indi-
quent, par exemple, que l'air à 20 degrés du thermomètre a
un état hygrométrique égal à 40 , nous chercherons sur la
courbe le poids de vapeur qui sature l'air à 20° : nous
trouvons pour ce poids 178. Nous multiplierons alors 175
par 40 , ce qui nous donne 680 et nous divisons par 100,
ce qui nous donne 68,8. La même courbe nous montre
que, ce même air, qui est relativement sec à 20° serait sa-
turé par le même poids de vapeur entre 4 et 5 degrés.
Par contre, de l'air saturé à 15° paraîtrait très- sec à 35°,
car son état hygrométrique descendrait à 35 centièmes.
Tous les phénomènes atmosphériques qui se rattachent
à la présence de la vapeur d'eau dans l'air trouvent leur
explication naturelle dans les faits précédents, et c'est pour
ce motif que nous nous y sommes arrêtés un peu lon-
guement.
EAU ATMOSPHÉRIQUE. 135

L'air ne contient généralement pas plus de vapeur le


soir ou le matin que durant le jour, et très-souvent il en
contient moins ; mais comme il est plus froid, il est plus
près de son point de saturation et paraît plus humide.
Le degré hygrométrique d'un lieu variera donc, en géné-
ral , en sens inverse de la marche de la température . Il est
à son maximum vers le lever du soleil, au moment le plus
froid de la journée ; il atteint son minimum vers deux ou
trois heures, à l'instant le plus chaud du jour. Les mêmes
effets généraux se manifestent dans le cours de l'année.
Le degré hygrométrique est maximum en hiver ; il est
minimum en été. Mais les faits particuliers sont fréquem-
ment en contradiction avec cette règle sommaire , et ce
sont ces anomalies journalières qui nous renseignent sur
l'état probable du temps. Le degré hygrométrique de
l'air est assez uniforme à la surface des mers. L'air y
est toujours très-près du point de saturation , surtout
à une certaine distance des côtes, bien que l'eau salée
ne donne pas autant de vapeur que l'eau pure à tem-
pérature égale. Ce degré hygrométrique est au contraire
très-variable à la surface du sol où l'évaporation est
en moyenne beaucoup moindre que sur l'eau. Il en ré-
sulte que la direction d'où le vent souffle en un lieu
exerce une grande influence sur le degré d'humidité qu'on
y trouve et sur la rapidité de l'évaporation qu'il produit.
En France , la plus grande partie du territoire est directe-
ment sous le vent de l'Océan . Quand ce vent règne en
hiver, l'air est tiède et humide et la pluie fréquente ; quand
soufflent , au contraire, les vents d'E. ou de N. E. , le temps
est sec et froid ; il devient froid et brumeux quand ces deux
vents soufflent à une faible distance l'un de l'autre. Dans
l'un et l'autre cas , l'évaporation est peu abondante durant
l'hiver dans nos climats. Elle peut cependant y être ac-
crue notablement par la violence du vent.
136 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

Durant l'été , l'opposition des températures propres aux


différents vents est moins marquée. Les vents d'entre
N. et N. E. restent secs et sont encore chauds ; ils pro-
duisent une évaporation très-active . Les vents opposés ne
sont pas toujours pluvieux et peuvent encore enlever beau-
coup de vapeur au sol et aux plantes , surtout quand on
est sur la rive droite du courant équatorial et qu'on n'est
pas dans son lit même. Dans ce dernier cas encore , la
terre étant plus chaude que la mer, l'air saturé sur l'océan
s'écarte de son point de saturation en pénétrant sur le conti-
nent ; les pluies sont transportées plus avant dans les terres.
L'air en montant dans l'atmosphère se refroidit néces-
sairement , par le fait seul de son ascension , son degré
hygrométrique croît donc avec l'altitude jusqu'à la couche
de condensation. Dans la couche des nuages, l'air est à peu
près saturé ; mais au-dessus il ne l'est plus , et à de
grandes hauteurs sa sécheresse est souvent extrême. Les
effets seront donc très-variés sur les montagnes élevées ,
suivant l'état général du temps et la direction des ver-
sants par rapport à celle du vent. L'air sera toujours plus hu-
mide sur les versants exposés au vent régnant que sur les
versants contraires. Le versant nord-ouest des Cévennes a
son maximum d'humidité sous l'influence des vents d'O.;
leur versant sud-est a son maximum d'humidité par les
vents du S.-E. Les brises de terre et de mer, de montagnes
et de vallées , modifient pareillement les conditions nor-
males de l'humidité dans l'air.

Instruments hygrométriques .

Le degré d'humidité de l'air est souvent mesuré au


moyen de l'hygromètre à cheveu de de Saussure. C'est un
instrument très-sensible; excellent entre les mains de son
EAU ATMOSPHÉRIQUE. 137

auteur et que les constructeurs modernes ont souvent gâté.


Cependant le degré marqué par l'hygromètre à cheveu
n'est jamais le degré hygrométrique vrai. Des tables ont
été construites pour passer de l'un à l'autre ; malheureu-
sement ces tables ne conviennent qu'à l'instrument même
pour lequel elles ont été dressées. C'est là le défaut le plus
grave de l'hygromètre à cheveu , outre qu'il s'altère facile-
ment à cause de la délicatesse du cheveu. Cependant, pour
les usages ordinaires et comme renseignement sur l'état du
temps, il peut rendre de grands services.
Dans les observatoires météorologiques , on lui préfère
le psychromètre. Cet instrument se compose d'un thermo-
mètre ordinaire qu'on installe avec les précautions néces-
saires pour avoir aussi exactement que possible la tempéra-
ture de l'air à l'ombre, et à côté duquel on en dispose un
second semblable au premier, mais dont le réservoir est re-
vêtu d'un fourreau de mousseline. Quelques minutes avant
l'expérience on plonge ce dernier dans un verre plein
d'eau à la température ordinaire pour mouiller la mous-
seline , on retire le verre et on attend. Quand la saison le
permet il vaut encore mieux que la mousseline soit ren-
due continuellement humide si les observations doivent
être fréquentes. L'évaporation de l'eau abaisse la tempéra-
ture du thermomètre mouillé. Cette température étant
arrivée à son point le plus bas , ce qui n'exige qu'un pe-
tit nombre de minutes à l'air libre, on l'inscrit et on note
en même temps la température du thermomètre sec. Avec
ces deux données et au moyen des tables psychrométri-
ques insérées dans l'annuaire météorologique de l'obser-
vatoire de Montsouris, on déduit l'état hygrométrique et
la tension de la vapeur d'eau contenue dans l'air. C'est
moins simple , mais plus sûr qu'avec l'hygromètre à
cheveu.

8.
138 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Evaporation à la surface du sol.

La vitesse d'évaporation de l'eau dépend de plusieurs


circonstances . Toutes choses égales d'ailleurs , elle est plus
grande pour l'eau pure que pour l'eau mélangée à d'autres
substances. Cependant la terre imbibée d'eau évapore à
très-peu près comme de l'eau pure ayant même tempéra-
ture. Il faut même qu'elle soit arrivée à un degré de sic-
cité assez avancé pour que l'évaporation de son eau soit
ralentie dans une proportion bien notable. Il est vrai que
dans le jour la température de la surface de la terre est en
général notablement plus élevée que celle de l'eau, et que
quelques degrés de chaleur en plus suffisent à activer
l'évaporation dans une forte proportion.
L'évaporation dépend en outre du degré hygrométrique
de l'air et de la rapidité avec laquelle cet air se renouvelle,
ou de son degré d'agitation. Nous allons encore citer quel-
ques nombres à ce sujet.
De l'air saturé à 5 degrés contiendrait environ 7 grammes
d'eau par mètre cube. Si son état hygrométrique est de
40 centièmes, il n'en renferme en réalité que 28,8 : la diffé-
rence est de 4º,2.
De l'air saturé à 35 degrés contiendrait 38 grammes
d'eau. Si son état hygrométrique est le même que ci-dessus,
40 centièmes , il en renferme en réalité 158,2 : la différence
est de 22,8 au lieu de 48,9. Le degré d'agitation de l'air
et son état hygrométrique ne changeant pas , les pouvoirs
évaporants de l'air aux températures de 5 et de 35 degrés
seront entre eux comme les nombres 4,2 et 22,8 : l'évapo-
ration sera cinq fois plus active dans le second cas que
dans le premier.
Si , dans notre air à 35 degrés , dont l'état hygrométrique
est de 40 centièmes et dont le pouvoir évaporant est chif-
EAU ATMOSPHÉRIQUE. 139
fré 22, 8, nous plaçons un corps humide à la température
de 40 degrés , l'air qui confine ce corps participera de sa
température, son pouvoir évaporant montera de 22,8 à 34,
parce que l'air saturé à 40 degrés contient de la vapeur
dans la proportion de 498,22 au lieu de 38 grammes par
mètre cube.
D'un autre côté , l'air dans lequel s'effectue l'évaporation
en reçoit un surcroît de vapeur. S'il est stagnant , son
degré hygrométrique monte et son pouvoir évaporant
descend; si au contraire il est rapidement renouvelé, il se
présente toujours dans le même état autour du corps qui
évapore.
Mais il nous faut immédiatement faire observer que ,
dans tout ce qui précède nous n'avons eu en vue que
l'évaporation des corps humides tels que l'eau et la terre.
L'évaporation des plantes est soumise à de tout autres lois :
c'est un phénomène physiologique et non plus un fait phy-
sique. Elle dépend non de l'état hygrométrique de l'air,
mais du degré de lumière qui éclaire la plante.
On a cherché depuis longtemps à mesurer le pouvoir
évaporant de l'air à la surface du sol, et l'emploi de bassins
d'évaporation à l'observatoire de Paris remonte aux années
qui ont suivi sa fondation , vers la fin du XVIIe siècle.
Une des séries d'observations les plus complètes en ce genre
est due à M. de Gasparin. L'instrument qu'il employait
sous le nom d'atmidomètre ou d'évaporomètre se composait
d'un vase de métal de 10 décimètres carrés , de 50 centi-
mètres de profondeur, dont les bords extérieurs étaient
entourés d'un bourrelet de laine pour empêcher leur échauf-
fement par le soleil. Le vase était d'ailleurs placé au centre
d'un cadre en bois de 1 mètre de côté , percé d'un trou
carré de la dimension du vase évaporatoire dont il affleurait
les bords. Ce cadre était garni d'un canevas sur lequel
on collait un papier de tenture d'un gris tendre destiné à
140 METEOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

évaluer les gouttes d'eau que le vent pourrait enlever à la


surface du liquide. Vers l'un des angles du vase se trouvait
une pointe mobile , que par le moyen d'une vis on pouvait
descendre jusqu'à la surface de l'eau pour mesurer la quan-
tité dont cette surface avait été abaissée par l'évaporation.
Un thermomètre donnait la température de l'eau.
Les observations faites par M. de Gasparin à l'aide de
cet instrument lui ont montré que quand le ciel est clair
ou couvert uniformément d'un léger voile , l'évaporation
augmente de quantités proportionnelles à la vitesse du
vent, et qu'un vent ayant une vitesse de 8 à 9 lieues à
l'heure suffisait pour la rendre triple de ce qu'elle est dans
un air entièrement calme. Il n'en est plus ainsi quand
le ciel se couvre de gros nuages épais ( cumulus ) , souvent
orageux. Dans ce cas , l'évaporation s'accélère dans une
proportion d'autant plus remarquable que ces nuages sont
assez souvent précurseurs de la pluie. Ce fait important
a été attribué à l'électricité de l'air.
L'expérience , il est vrai , a démontré depuis longtemps
qu'une eau électrisée s'évapore beaucoup plus vite qu'une
eau non à l'état électrique. L'intervention de l'électricité
de l'air dans l'évaporation du sol semblera donc d'autant
plus plausible , que les cumulus sont très-souvent chargés
de quantités considérables d'électricité. Mais ces mêmes
nuages accusent en même temps un mouvement vertical
dans l'atmosphère, mouvement presque insensible pour
nous , et dont l'effet est de porter de bas en haut les couches
d'air qui se sont chargées de vapeur au contact du sol , et
de les remplacer par d'autres couches amenées des régions
supérieures par des contre-courants. Ce genre de mouvement
favorise plus l'évaporation qu'un transport horizontal
laissant la même masse d'air plus ou moins longtemps en
contact avec la surface des eaux. Il est très- probable même
que l'électricité de nos machines n'accélère l'évaporation
EAU ATMOSPHÉRIQUE. 141

que par les courants d'air qu'elle produit autour des corps
électrisés . Rien ne prouve que l'électricité joue un rôle
direct sur la tendance de l'eau à se transformer en vapeur.
La méthode employée par M. de Gasparin, conforme d'ail-
leurs à celle qui est usitée presque partout , présente d'assez
graves inconvénients et deux atmidomètres placés à peu
de distance l'un de l'autre seront loin de fournir des résul-
tats pareils. Le degré d'échauffement de la surface d'eau
qui évapore modifie dans une énorme proportion les pertes
constatées , et cette température change beaucoup avec les
dimensions et avec les conditions d'installation des appa-
reils. M. Piche a proposé de remplacer l'atmidomètre par
un simple tube de verre gradué qu'on remplit d'eau chaque
matin et qu'on renverse après avoir appliqué sur son ouver-
ture un disque de papier buvard. Le papier s'imbibe d'eau
qui s'évapore graduellement en laissant dans le tube un
vide dont les progrès sont faciles à mesurer. La tempéra-
ture du papier humide est d'ailleurs donnée par le ther-
momètre mouillé du psychromètre ; elle peut donc être
exactement déterminée et se trouve dans des conditions
d'uniformité aussi grandes que possible. Cet instrument
est régulièrement observé sept fois par jour à l'observa-
toire de Montsouris ; sa grande sensibilité permet de sui-
vre pas à pas la marche de l'évaporation aux diverses pha-
ses de la journée.
Quoi qu'il en soit , l'évaporomètre donne la mesure du
pouvoir évaporant de l'air et non celle des terres nues
ou cultivées. Chaque parcelle de terre a sa température
particulière et , de plus, son état de sécheresse ou d'humi-
dité change suivant les temps et les lieux. A l'évaporation
du sol vient en outre s'ajouter celle des plantes qu'il nour-
rit, et cette dernière est encore mal connue. Cependant
il existe sur ces divers points certaines données qu'il importe
de rappeler en attendant des résultats plus complets.
142 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

Dès la fin du siècle dernier , Maurice de Genève compa-


rait la hauteur de la tranche d'eau fournie au sol par les
pluies à la tranche d'eau qu'il perd par voie d'évaporation.
Il opérait à l'aide de vases de tôle vernie percés de trous
au fond. Ces vases remplis de terre étaient enfoncés dans
le sol jusqu'au niveau de leur bord ; ils étaient retirés et
pesés chaque jour.
Des expériences de même genre ont été effectuées par
M. de Gasparin , à Orange dans les années 1821 et 1822.
Les nombres obtenus sont résumés dans les deux tableaux
suivants.

Rapports entre les eaux fournies par les pluies et celles qui sont
enlevées par l'évaporation.

GENÈVE ( 1796-1797).

Évaporation
Pluie. Reste de l'eau
de l'eau. de la terre. météorique.
Janvier. 4,5 5,6 53,5 + 47,9
Février. 5,0 27,3 111,7 + 84,4
Mars . 46,0 35,6 10,4 25,2
Avril. 136,3 23,2 9,2 - 14,0
Mai. 109,4 31,8 23,7 ― 8,1
Juin 116,2 66,1 97,2 + 31,1
Juillet 147,5 58,2 79,2 + 21,0
Août .. 219,7 47,4 42,9 - 4,5
Septembre . 163,5 33,4 40,8 + 7,4
Octobre. 191,7 35,4 95,4 + 60,0
Novembre . 63,4 20,3 42,9 + 22,6
Décembre.. 7,0 17,9 46,7 +28,8
Total. ..... 1210,2 402,2 653,6 251,4
EAU ATMOSPHÉRIQUE. 143

ORANGE 1821-1822.

Évaporation Reste de l'eau


Pluie.
de l'eau. du sol. météorique.
Janvier. 57,2 12,3 46,1 + 33,8
Février . 88,2 56,0 52,7 3,3
Mars . 159,0 77,0 41,4 35,6
Avril . 186,7 49,0 57,6 +8,6
Mai. 227,7 68,0 61,5 6,5
Juin. 297,3 85,0 47,0 38,0
Juillet • 378,5 21,7 28,1 + 6,4
Août . 306,1 17,7 49,2 +31,5
Septembre . 180,7 35,4 105,0 + 69,6
Octobre.. 181,2 76,0 101,5 + 25,5
Novembre . 103,3 45,2 82,6 + 37,4
Décembre 115,4 36,0 49,3 + 13,3
2281,3 579,3 722,0 + 142,7

A Genève , sur une tranche d'eau de 0,643 fournie


par les pluies , 0,402 ont disparu par évaporation du sol ;
0,241 ont pu seuls parvenir dans les couches profondes.
A Orange sur une tranche d'eau pluviale de 0,722, 0™,579
ont été évaporés par le sol ; le résidu a été seulement de
0,143. Si au lieu d'envisager l'année tout entière , on ne
considère que les sept mois de mars à septembre , on trouve
qu'à Orange l'excès de l'eau de pluie sur l'eau évaporée n'est
que de 0,036 sur 0,390. L'évaporation y serait même
supérieure à la pluie tombée si on s'arrêtait au mois d'août.
Quelque faible qu'on fasse la part des végétaux , on com-
prendra que les eaux d'infiltration dans les champs ne puis-
sent donner aux nappes souterraines qu'un faible contin-
gent. Or nous verrons plus loin que les plantes évaporent
beaucoup. Elles diminuent sans doute l'évaporation propre
du sol qu'elles recouvrent , mais ce qu'elles versent par
elles-mêmes dans l'atmosphère est supérieur à ce qu'elles
144 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

économisent d'autre part. Même dans le nord de la France


ou sur les plateaux du centre , les pluies d'été sont presque
sans action sur le débit des sources et des rivières suivant
la loi formulée par M. Dausse , et les sources ne sont guère
alimentées que par l'infiltration progressive des eaux plu-
viales de l'automne , de l'hiver et quelquefois du printemps.

Froid produit par l'évaporation.

Un kilogramme d'eau , pour se transformer en vapeur ,


absorbe et fait passer à l'état latent , sans que sa tempé-
rature en soit modifiée , une quantité de chaleur égale à
celle qu'il faudrait donner à 536 kilogrammes d'eau pour
l'échauffer de 1 degré. La vapeur qui s'échappe d'un sol
humide tend donc à le refroidir , ou du moins , l'empêche
de s'échauffer autant qu'il le ferait s'il était sec. Aussi , en
dehors de leur faculté plus ou moins grande d'absorber la
chaleur solaire , les terres sont-elles plus ou moins fraîches
ou chaudes , sous un même ciel , suivant qu'elles sont plus
ou moins humides et qu'elles cèdent plus ou moins faci-
lement leur eau à l'atmosphère. Toutefois , on l'entend
souvent d'une autre manière dans le langage ordinaire
des agriculteurs . Sans que la température y intervienne
d'une manière bien marquée , on dit qu'un terrain est
brûlant quand ses réserves en eau sont insuffisantes pour
les besoins des plantes qu'il porte ; on dit au contraire
qu'il est froid quand la végétation y manque d'excitant.
Nous devons encore distinguer l'évaporation du sol de
celle de la plante qu'il nourrit. La terre ne peut rendre son
eau à l'atmosphère que sous forme de vapeur. L'évaporation
du sol disparaîtrait complétement dans un air saturé. Ilen
est tout autrement pour les plantes qui émettent de l'eau
dans un espace plein de vapeur , à peu près comme dans un
EAU ATMOSPHÉRIQUE. 145

air sec. C'est sous forme de gouttelettes très-fines , mais


cependant visibles à l'œil nu, que certains arbres expulsent
leur eau par les stomates ; et le sol qu'ils recouvrent est
tapissé de petites taches brunes provenant de ces goutte-
lettes. Cependant , dans la plupart des cas , l'eau émise par
les feuilles se vaporise sinon sur la feuille même , du moins
dans la couche d'air qui la confine et le résultat physique,
l'absorption de chaleur, est à peu près le même.
La chaleur prise à la surface du sol et des plantes par
l'eauqui s'y vaporise, redevient libre et sensible au thermo-
mètre quand la vapeur retourne à l'état d'eau ou de neige.
Mais la condensation ne s'opère pas aux lieux où l'évapora-
tion s'est produite. C'est en général dans les hautes régions
de l'air qu'elle s'effectue. La température de ces régions
s'en trouve accrue , mais sans atteindre au degré thermo-
métrique du sol . La pluie est donc une cause de froid par
elle-même et par l'évaporation ultérieure à laquelle elle
donne un aliment.
Les irrigations produisent des effets du même genre. Il
en est de même des prairies et des forêts . L'évaporation
d'un sol nu n'a lieu qu'à la superficie ; ce n'est que lente-
ment qu'elle soutire l'eau des couches profondes. L'herbe
va l'y puiser par ses racines et la répand dans l'air par
ses feuilles. L'herbe toutefois , à l'exception de la luzerne ,
n'atteint qu'à de faibles profondeurs ; l'arbre descend plus
avant ; et en admettant même que les bois ralentissent
l'écoulement des eaux pluviales à la surface du sol et
favorisent l'imbibition de ce dernier, ils ne tardent pas à lui
enlever une grande partie de son humidité pour la rejeter
dans l'atmosphère. Ils sont donc par là même une cause
de fraîcheur en été.
REESEOF LIBRARY
UNIVERSITY
OF
CALIFORNIA
CHAPITRE IX .

MÉTÉORES AQUEUX.

Vapeurs.

La vapeur d'eau est invisible et ne trouble pas la trans-


parence de l'air tant qu'elle conserve son état gazeux ; mais
elle prend divers aspects soit qu'elle reprenne l'état liquide
sous forme de globules très -fins , creux ou pleins , qu'on
appelle vapeur vésiculaire, soit qu'elle passe à l'état solide
sous forme de fines aiguilles de glace que l'on confond d'ordi-
naire, à distance , avec le premier état. La réunion de ces
globules ou de ces aiguilles en masses diffuses et très -peu
denses , forme ce qu'on nomme en langage ordinaire les va-
peurs qui jettent un voile blanchâtre sur le ciel. Quand la
concentration est plus accentuée et qu'elle est vue à dis-
tance on a des nuages . Si on est placé au milieu de ces nuages
ils apparaissent sous forme de brouillards. Le nuage et le
brouillard ne diffèrent en effet l'un de l'autre que par la dis-
tance d'où on l'observe ; et en s'élevant dans l'atmosphère , le
brouillard qui nous enveloppait devient nuage sans chan-
ger en rien de nature .
Que les globules de vapeur condensée se réunissent en
gouttelettes plus volumineuses , on a de la bruine ou de la
pluie ; que les cristaux de glace prennent de l'extension ou
se soudent entre eux , on a de la neige ; que les flocons de
neige soient roulés par le vent, on a du grésil : que ces
grains de grésil se forment dans une atmosphère chaude
brusquement refroidie et brassée par une tempête orageuse,
il se forme de la grêle.
MÉTÉORES AQUEUX. 147

Que la condensation de la vapeur , au lieu de s'opérer


dans le sein même de l'atmosphère , s'effectue à la surface
des objets terrestres , nous aurons de la rosée par une
température supérieure à 0° ; de la gelée blanche ou du givre
par une température inférieure à 0º.

Rosées , gelées blanches.

Pendant les nuits sereines , la surface terrestre ou les


objets qui la recouvrent se refroidissent plus rapidement
que l'air , de même qu'ils s'échauffent plus rapidement
pendant le jour. Il n'est pas rare de voir un peu avant le
lever du soleil un thermomètre couché sur l'herbe, dans un
champ bien découvert , marquer 5 ou 6 degrés au-dessous
de la température donnée par un thermomètre suspendu à
1 mètre plus haut, et , par suite, marquer 10 ou 12 degrés
au-dessous d'un thermomètre suspendu à une fenêtre dans
les rues d'une grande ville. Il arrivera donc souvent que la
mince couche d'air qui touche directement les objets ter-
restres se trouvera descendue à une température inférieure
à son point de saturation ou à son point de rosée, tandis que
les couches d'air un peu supérieures n'auront pas atteint
cette limite. L'air restera transparent ; mais de la vapeur
d'eau se condensera sur les objets sous forme de rosée.
Pareil effet se produit quand on introduit une carafe d'eau
froide dans une atmosphère chaude en été. En hiver, après
les grands froids, quand survient un brusque dégel , on
voit souvent l'eau ruisseler à la surface des murs : la cause
en est encore la même , la présence d'un corps à une tem-
pérature inférieure à celle qui amènerait la saturation de
cet air. Sile mur est poreux, l'eau y pénètre et s'y dissimule ;
s'il est compact ou couvert d'un enduit imperméable, l'eau
coule à la surface, et, trompé par les apparences, on dit quel-
quefois que ces enduits attirent l'humidité.
148 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

La courbe de la figure 32 nous fournit un moyen


facile de déterminer le point de rosée d'un air dont on
connaît la température et le degré hygrométrique. Sup-
posons la température à 30 degrés dans le jour , et l'état
hygrométrique à 40 centièmes. Cet air, s'il était sa-

35 gr.

30gr.

25gr.

2001:

15gr.

10gr.

gr
353
20
0

10 15 25 30
Figure 32.

turé, renfermerait 298,4 d'eau par mètre cube ; ce nom-


bre multiplié par 0,40 donne 118,8 pour le poids de la
vapeur réellement contenue dans l'air. Cherchons main-
tenant le point de la courbe distant de 11,8 de la base ho-
rizontale du quadrillé ; nous trouverons qu'il est compris
entre les lignes verticales qui correspondent aux tempé-
MÉTÉORES AQUEUX. 149

ratures 13 et 14 degrés. Tant que l'air en se refroidissant


n'aura pas atteint 14 degrés il restera transparent. A 13
degrés de la vapeur vésiculaire s'y sera déjà formée ; à 10 de-
grés il s'en sera déposé plus de 2 grammes. Si maintenant
dans cet air transparent à plus de 13 degrés nous plongeons
un corps à 10 degrés , l'air continuera à être transparent ,
mais le corps se couvrira de rosée.
Plus l'air sera humide, moins le corps aura besoin d'être
froid pour que la rosée s'y dépose. Mais, d'autre part , plus
le ciel est clair et l'horizon étendu, plus les objets terrestres
se refroidissent par le rayonnement nocturne , et plus aussi
le dépôt de rosée tend à devenir abondant , surtout si l'air
sans être très-agité n'est pas complétement en repos . Un
peu d'agitation renouvelle autour des corps l'air qui y a
déposé sa vapeur en excès ; une agitation trop vive empêche
les corps de se refroidir et enlèverait même la rosée qui s'y
serait déposée.
Tout obstacle au rayonnement nocturne entrave le refroi-
dissement des corps et retarde ou arrête le dépôt de roséc
à leur surface. Une simple claie d'osier cachant le ciel amène
ce résultat. Les nuages produisent le même effet par la
même cause.
Dans les pays méridionaux , le ciel est généralement d'une
pureté inconnue dans nos climats. Le refroidissement noc-
turne y est très- actif et le désert même a ses rosées. Les
Indiens se procurent de la glace en déposant la nuit des
jattes d'eau peu profondes sur un lit de paille dans un lieu
bien découvert. Les rosées sont en général très- abondantes
dans ces régions à température élevée durant le jour, et
les gelées blanches n'y sont pas rares. A Orange la gelée
blanche est inconnue en juin, juillet, août et septembre ;
à Rome on en trouve encore 9 sur 10 années en juin , 1
sur 10 années en août et 23 en septembre. Elles sont
beaucoup plus rares sur les côtes de la Manche.
150 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Eau fournie par les rosées .

Malgré l'abondance apparente de certaines rosées, la


quantité d'eau qu'elles fournissent est généralement très-
peu considérable. Flaugergues, qui la mesurait au moyen
d'un plateau de fer-blanc peint à l'huile et isolé à 1 mètre
du sol, a trouvé, par un total de 125 rosées réparties sur
toute une année, une hauteur d'eau égale à 6mm,43, ce
qui donne une moyenne de 5 centièmes de millimètre par
rosée. Raddi et Nacca trouvèrent à Florence 7 centièmes
de millimètre par rosée moyenne. Le résultat obtenu par
M. de Gasparin à Orange est intermédiaire aux deux pré-
cédents . C'est un résultat bien minime. Cependant, il faut
tenir compte de la superficie des feuilles que mouille la
rosée. D'après M. de Gasparin une tige de blé peut recevoir
dans les fortes rosées du Midi 08г. 225 d'eau. C'est encore
là une imperceptible fraction de la quantité d'eau que la
même tige perd par évaporation durant le jour et il est très-
douteux même que les feuilles profitent directement de
l'eau qu'elles reçoivent par cette voie ; tout au moins ,
la plus grande partie de cette eau s'évapore-t-elle aux pre-
miers rayons du soleil levant. On s'exagère donc beaucoup
sous ce rapport l'importance des rosées. La turgescence des
feuilles après une nuit fraîche provient de ce que les ra-
cines continuent à puiser de l'eau dans le sol , tandis que
les feuilles cessent d'émettre de l'eau pendant l'obscurité
des nuits d'autant plus longues en été qu'on descend plus
avant dans le Midi. Il est un autre point cependant qui
mériterait d'être étudié ; c'est le dépôt de l'humidité des
nuits à la surface même du sol qui en condense des quan-
tités encore mal connues. Cette eau est directement ac-
cessible aux racines. Toutefois l'eau tenue en réserve dans
les couches profondes du sol est encore la véritable source
MÉTÉORES AQUEUX. 151

à laquelle doivent puiser ces racines. Mais nous verrons


plus loin que si les rosées n'ont sur la végétation qu'une in-
fluence très-secondaire par l'eau qu'elles fournissent, elles
reprennent toute leur importance par l'ammoniaque et l'a-
cide nitrique dont elles sont chargées.

Brouillards,

Nous assistons tous les jours à la formation des brouil-


lards.La vapeur de notre haleire enhiver, celle qui s'échappe,
même en été, d'une surface d'eau chaude, n'en diffèrent ni
par leur nature ni par leur mode de formation. Les personnes
qui habitent les vallées arrosées, le bord des rivières et des
étangs, les voient s'élever, s'épaissir, se modelant exacte-
ment sur les contours de l'eau. Ces brouillards sont dus
au refroidissement de l'air d'abord, puis ensuite à ce que
l'eau moins refroidie continue àdonner des vapeurs que l'air
ne peut conserver en cet état.
Dans les lieux naturellement humides, des brouillards
pourront se former presque toutes les nuits ; dans les en-
droits plus secs, ils n'apparaîtront qu'aux époques où l'hu-
midité est accrue par l'influence des vents ou de la saison;
dans d'autres ils ne se montreront que d'une manière ac-
cidentelle.
Les vents d'entre S. et O. sont favorables en France à la
production des brouillards parce que ces vents sont humi-
des ; quelquefois même ils transportent, tout formé, jusqu'à
nous l'épais brouillard qui recouvre en hiver les eaux chau-
des du Gulfs'-stream. Les vents du N. ou N.E. les produisent
très- souvent à leur début en hiver, lorsqu'ils pénètrent
dans une atmosphère relativement humide et tiède qu'ils
refroidissent ; s'ils durent ou prennent de la force, le brouil-
lard disparaît.
152 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
Pour une raison un peu différente, les vallées entourées
de hauts plateaux sont plus fréquemment couvertes de brouil-
lards que les vallées largement ouvertes. Le refroidisse-
ment nocturne est rapide sur les lieux élevés, et l'air de-
venu plus dense par le froid glisse le long des pentes vers
les lieux les plus bas. Dans ceux-ci, la température de l'air
descend promptement au-dessous de la température du sol ;
et cet air est déjà saturé de vapeur que le sol lui en fournit
encore. L'effet est surtout marqué dans les vallées arrosées
par des cours d'eau.
Il existe cependant des brouillards sans humidité. Leur
origine est tout autre. Nous avons déjà parlé de la brume
des jours très-chauds. Le voile bleuâtre qui couvre alors
les objets est dû à la dissémination des rayons lumineux
à la surface des filets d'air inégalement chauds et humides.
qui s'élèvent du sol dans l'atmosphère. L'évaporation est
alors très-active.
Pendant certains jours de calme, à baromètre haut, la
masse d'air est animée d'un mouvement général de des-
cente qui rabat vers le sol toutes les fumées et les poussières
qui s'en dégagent : l'effet est surtout marqué dans les vil-
les industrielles.
L'écobuage, l'incendie des tourbières ou des forêts, les
éruptions volcaniques chargent quelquefois l'atmosphère
de fumées épaisses que les vents charrient à de très-grandes
distances et que l'on a vues souvent couvrir successivement
la plus grande partie de l'Europe d'un brouillard sec plus
ou moins épais. La forme visible des brouillards met sou-
vent en évidence des influences locales qui, sans cela pas-
seraient inaperçues. Kaemtz rapporte qu'étant près de Wies-
baden, après une forte pluie à laquelle avait succédé le
soleil, il vit une colonne de brouillard s'élever constam-
ment d'un même point. Il y courut : c'était une prairie
fauchée entourée de pâturages couverts d'une herbe très-
MÉTÉORES AQUEUX. 153

haute. La partie nue s'échauffant plus rapidement que les


parties voisines donnait lieu à une colonne ascensionnelle
alimentée par de l'air qui avait rasé la surface des parties
voisines et s'était chargé d'une quantité surabondante de
vapeur. Les courants ascendants ainsi produits par l'iné-
gale température des diverses parties du sol sont l'origine
de toute une classe de nuages.
Les brouillards, sans nuire par eux-mêmes aux plantes
auxquelles ils fournissent au contraire un contingent ammo-
niacal appréciable, ont une action plus fâcheuse sur l'homme
et ses animaux. En dehors même de l'excès d'humidité
qu'ils accusent, ils retiennent près du sol une grande partie
des miasmés que celui-ci laisse dégager, et, de plus, la di-
rection des courants descendants qui accompagnent leur
formation ramène en bas les miasmes qui durant le jour se
sont disséminés dans l'atmosphère. Leur action est ainsi
concentrée.

Nuages.

Les nuages ont des origines diverses. Dans les froides


matinées d'automne , on peut voir du sommet des monta-
gnes , les vallées couvertes d'un épais brouillard simulant
une vaste nappe d'eau. Lorsque les rayons solaires commen-
cent à échauffer l'atmosphère, la nappe unie se tourmente,
des espèces de vagues s'y élèvent peu à peu, de profondes
vallées s'y dessinent, et des lambeaux s'en détachent entraî-
nés le long des flancs des montagnes par les courants
ascendants qui s'y produisent.
D'autres fois , alors que l'atmosphère de la plaine est
douée d'une transparence parfaite, on voit des masses nua-
geuses se former au sommet des montagnes élevées et y
paraître immobiles, tandis que dans le voisinage d'autres.
nuages détachés sont rapidement emportés par les vents.
9
154 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Le nuage immobile ne l'est qu'en apparence. La vapeur


apportée de la vallée dans ces hautes régions s'y condense
à mesure, mais à mesure aussi la vapeur vésiculaire produite
est entraînée par le vent ou disparaît transformée de nou-
veau en vapeur. Le nuage marque le lieu froid mais abrité
où s'opère la condensation temporaire ; ses éléments se re-
nouvellent sans cesse .
Toute cause tendant à inégaliser les températures à la
surface du sol aide à la formation de courants ascendants
locaux et à la production de nuages isolés. Aussi, ces nuages
sont-ils fréquents, même dans les pays où il ne pleut pres-
que jamais. Les plus petits îlots des mers tropicales sont
ainsi surmontés d'une couronne de nuages qui les dési-
gnent au loin aux yeux exercés des navigateurs. On com-
prend dès lors comment ces amas de vapeurs plus denses
que l'air peuvent cependant s'y tenir suspendus. Leur repos
n'est qu'apparent ; leur masse se transforme et se renou-
velle sans cesse. Ils montent durant le jour ; ils s'abaissent
sur le soir. Leurs limites sont marquées par les couches d'air
atteignant le point de rosée. Tous ces nuages ont des
formes arrondies. Ce sont les nuages de la belle saison,
les cumulus. Les autres apparaissent dans des conditions
différentes.
Par un beau ciel et une brise soufflant des régions N. ou E.,
le courant du S. O. commence-t-il à s'établir dans les hau-
tes régions de l'atmosphère, un léger voile d'aiguilles de
glace se forme sur la surface de séparation des deux cou-
rants. Cette surface contournée , inégale, nous apparaîtra
ici perpendiculairement à sa direction et le ciel semblera à
peine voilé ; là, elle se montrera à nous par sa tranche, dans
un de ses replis, et nous verrons une bande nuageuse
légère et finiment découpée : ce sont les cirrus. Leur vo-
lume et leur densité augmentent à mesure que le courant
du S. O. se rapproche de nous.
MÉTÉORES AQUEUX. 155

Si le courant du S. O. humide et chaud en hiver s'étend


jusqu'à la surface du sol, il se refroidit graduellement à
mesure qu'il pénètre plus avant sur les terres moins chaudes
que la mer. La condensation de la vapeur a lieu alors par
masses étendues dont l'épaisseur dépasse souvent plusieurs
centaines de mètres. La masse est encore plus continue
quand l'atmosphère tiède et humide se trouve refroidie par
une rotation des vents vers le N. ou N.E.

Formes des nuages.

Malgré la mobilité incessante des nuages, on peut donc


les ranger en deux ou trois classes distinctes par leur ori-
gine et les indices qu'on en peut déduire sur le temps pro-
bable.
Howard admet trois formes principales de nuages, aux-
quelles se rattachent quatre formes de transition.
1º Les CIRRUS ou queues de chat des marins se compo-
sent de filaments déliés et transparents dont l'aspect res-
semble à des barbes de plume ou à un réseau léger et iné-
gal. Ce sont les nuages les plus élevés. Même en été, ils
sont toujours formés par des aiguilles de glace. Ce sont eux
qui produisent les phénomènes optiques connus en physi-
que sous les noms de halos et de parhélies.
Lescirrus accompagnent leretour des vents du S. O. dé-
butant par les hautes régions de l'atmosphère. Lorsque ce
vent gagne peu à peu les régions plus basses, les cirrus de-
viennent plus denses ; ils prennent l'aspect de coton cardé.
Ils se transforment en cirro-stratus. Leur blancheur se fond
peu à peu en une teinte grisâtre correspondant à la fusion.
des aiguilles de glace et à leur transformation en vapeur
globulaire. Ils s'abaissent en même temps et la pluie ne
tarde généralement pas à venir.
156 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
Plus rarement les cirro-cumulus succèdent aux cirrus .
Ces nuages, très-légers, donnent au ciel un aspect pommelé ;
ils n'indiquent pas une pluie aussi prochaine que les cirro-
stratus.
Les CUMULUS, nuages d'été ( balles de coton des marins),
sont, comme nous l'avons vu, le produit des courants as-
cendants. Petits et rares d'abord, leur volume semble croî-
tre de l'intérieur à l'extérieur ; ils grossissent, s'accumulent
et forment des masses toujours nettement circonscrites,
terminées par des lignes courbes et entassées les unes sur
les autres. Leur nombre et leur volume augmentent jusque
vers trois ou quatre heures, puis ils diminuent et dispa-
raissent au coucher du soleil. Ils reparaissent souvent dans
la première moitié de la nuit. Leur hauteur est assez faible
le matin ; ils montent jusqu'au moment de la plus forte
chaleur, puis redescendent le soir.
Ces nuages ne se produisent guère dans nos climats que
quand le courant du S. O. règne à une assez faible distance
dans le nord ; ils indiquent un temps incertain , pouvant
se conserver assez longtemps sans pluie mais pouvant aussi
engendrer des orages suivant les conditions générales de
l'atmosphère. Si, au lieu de disparaître le soir ils deviennent
plus nombreux et plus épais , ils constituent les cumulo-
stratus. Leurs bords sont alors moins brillants , leur teinte
plus foncée. La pluie et les orages sont imminents , surtout
si dans les intervalles qu'ils laissent entre eux , on voit ap-
paraître les cirrus.
L'action du soleil sur ces divers nuages donne lieu à des
variations atmosphériques bien connues des cultivateurs.
Quelquefois il pleut abondamment le matin par suite du
refroidissement nocturne ; puis le soleil échauffant l'air
et les nuages, ceux-ci disparaissent. Les courants ascen-
dants portent alors les vapeurs en de plus hautes régions
où le froid les condense de nouveau ; la pluie tombe encore
MÉTÉORES AQUEUX. 157

Sur le soir, les courants ascendants faiblissent et sont rem-


placés par des courants inverses qui entraînent avec eux
les nuages. L'air contracté par sa descente s'échauffe ; les
nuages disparaissent jusqu'à ce que les progrès du refroidis-
sement nocturne ramènent la condensation et la pluie.
Ces intermittences qui sont l'état normal de la saison
pluvieuse dans les régions tropicales , ne se reproduisent
chez nous que dans des conditions spéciales de proximité
du courant du S. O.
Les STRATUS sont de longues bandes de nuages s'étendant
à l'horizon le soir au coucher du soleil et quelquefois à son
lever. Ce sont des couches de vapeur vésiculaire que la pers-
pective nous montre par leur tranche. Ils nous sont ainsi
rendus visibles alors même que du lieu qu'ils recouvrent ils
n'ont que l'aspect d'un léger voile étendu sur le ciel. C'est
donc une apparence plutôt qu'une forme particulière de
nuage,
Il en est de même du NIMBUS , nuage très-bas se résolvant
en pluie.

Action des nuages sur la chaleur solaire.

En dehors des pluies qu'ils nous versent et dont l'action


sur la végétation est si grande , les nuages ont un autre
effet non moins important . Ils ralentissent le rayonne-
ment nocturne et tempèrent le froid des nuits. Par contre ,
durant le jour, ils interceptent les rayons solaires , abais-
sent la température du jour et diminuent l'action de la
lumière sur les plantés. Ce dernier effet cependant n'est
pas toujours aussi grand qu'on pourrait le croire quand le
ciel n'est pas entièrement couvert. Dans l'ombre projetée par
™ nuage l'action directe du soleil est interceptée , mais ce
nuage lui-même, s'il n'est pas très-dense, et les nuages voi-
158 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

sins nous envoient de la lumière qui , sans eux , ne nous


parviendrait pas. Ils suppléent ainsi en partie à la perte
que l'ombre occasionne. A l'ombre , sinon au soleil , les jours
les plus lumineux ne sont pas ceux où le ciel est sans nuages.
Les plus hauts degrés d'éclairement accusés par l'actino-
mètre correspondent à certains ciels nuageux. C'est aussi
dans ces jours que l'évaporation des plantes est la plus ac-
tive, que la température est la plus haute et la plus pénible
à supporter et que l'on voit survenir ce qu'on nomme les
coups de chaleur.

Formation des gouttes de pluie.

Les globules de vapeur d'eau qui constituent les brouil-


lards et les nuages ordinaires sont tous animés d'un mouve-
ment de descente dans la masse d'air qui les contient. Si on
voit souvent leur ensemble monter dans l'atmosphère , c'est
que cet air possède une vitesse ascensionnelle supérieure à
leur vitesse de chute . Cette vitesse de chute est d'ailleurs
d'autant plus faible que les dimensions des globules sont
plus petites ; elle croît avec leur volume.
A mesure que les globules deviennent moins ténus , soit
par l'effet des progrès de la condensation, soit parce que.
dans leurs mouvements divers plusieurs d'entre eux se
rencontrent et se fondent en un seul , leur chute s'accélère.
Dans leur descente , au travers du nuage , ils rencontrent
d'autres globules plus petits et animés d'une moindre
vitesse ; ils les absorbent leur masse et leur vitesse de
chute s'en trouvent accrues.
A la sortie du nuage un autre effet se produit. Si l'air
est sec et que les gouttelettes de pluie soient à une tempéra-
ture supérieure à son point de rosée , elles s'évaporent peu
à peu et disparaissent avant d'atteindre le sol : c'est un
MÉTÉORES AQUEUX. 159

fait qui se reproduit souvent , mais qui est en général peu


durable , parce que sous son influence la quantité de vapeur
contenue dans l'air augmente en même temps que sa tem-
pérature diminue. Si , au contraire , la température des
gouttelettes est inférieure au point de rosée de l'air, la
vapeur se condense à leur surface et leur volume augmente.
C'est ainsi que l'on voit quelquefois de larges gouttes de
pluie tomber d'un ciel en apparence sans nuage. Souvent
aussi les gouttes de pluie proviennent de grains de grésil
ou de grêle : beaucoup de pluies dans la plaine sont des nei-
ges dans la montagne , et cette origine aide au développe-
ment des gouttes par dépôt de rosée à leur surface.
C'est par un phénomène du même genre qu'on a cherché
à expliquer l'excès d'eau pluviale accusé par un pluviomètre
placé au niveau du sol , sur celle qui est fournie par un
pluviomètre élevé de plusieurs mètres au-dessus de ce niveau .
De 1817 à 1827 , le pluviomètre de la cour de l'observatoire
de Paris a reçu en moyenne 57 centimètres de pluie annuelle.
Celui de la terrasse de l'observatoire placé à 27 mètres au-
dessus du premier n'en accuse que 50 centimètres. La chaleur
dégagée par les 7 centimètres de pluie que l'on supposerait
condensée dans l'intervalle qui sépare les deux instruments
suffirait pour élever de 75 degrés la température des 50
autres. Rien de pareil ne se produit. La différence constatée
est due tout entière à la déviation des filets de pluies pro-
duite par les remous de vent engendrés par le bâtiment .
Quelques peupliers plantés près du pluviomètre de la cour
ont presque fait disparaître la différence observée , en ap-
portant dans la direction des filets une perturbation du
même ordre que celle qui est produite par le bâtiment.
160 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Neige.
La légèreté des flocons de neige , la grande surface qu'ils
présentent à la résistance de l'air, et par suite , la lenteur de
leur chute , expliquent facilement la dimension qu'ils ac-
quièrent, d'autant plus que les cristaux ont la faculté de
favoriser le dépôt de nouveaux cristaux à leur surface et de
s'accroître dans des conditions où la cristallisation n'aurait
pas lieu si elle n'était pas commencée.
Il est difficile d'évaluer exactement d'après la hauteur
de neige tombée la quantité d'eau qui proviendra de sa
fusion. A Milan où il en tombe souvent de grandes quan-
tités , et où le peu d'inclinaison des toits rend la charge
dangereuse pour leur solidité , on a fait des expériences
comparatives qui ont conduit en 1830 aux résultats sui-
vants sur un mètre carré.
En hauteur d'eau Rapport des
Hauteur de neige.
correspondante. deux hauteurs.
Décembre.. 4 centim . 7 millim. 0,175
Janvier.. 55 38,5 0,073
Février . 32 34,5 0,108
De son côté , M. Quetelet a trouvé que la hauteur de
l'eau provenant de la fusion d'une couche de neige variait
de 0,053 à 0,357 de la hauteur de cette couche. Le seul
moyen d'évaluation consiste donc à peser la neige ou à la
faire fondre. Du reste , la neige par sa légèreté est encore
plus influencée par le vent que la pluie. Aussi quand on
veut la mesurer exactement, convient-il de faire reposer
l'entonnoir du pluviomètre sur le sommet d'une caisse en
bois dans l'intérieur de laquelle on place une ou deux
veilleuses allumées pendant les temps de neige. La faible
chaleur dégagée par les veilleuses suffit à faire adhérer la
neige au métal , à l'empêcher ainsi d'être entraînée par le
vent et à la faire fondre à mesure de manière à évaluer direc-
tement l'eau qui provient de sa fusion.
CHAPITRE X.

ORAGES.

Origine électrique des orages.

L'explication des orages par l'électricité remonte à la


découverte même de cet agent, et la première étincelle
tirée de l'ambre par Wall fut immédiatement comparée
aux éclats de la foudre. Mais c'est à Franklin qu'appar-
tient la démonstration directe de l'identité des deux phé-
nomènes, bien qu'il ait été devancé par un Français dans
l'expérience qu'il se proposait d'exécuter. Dans les pre-
miers mois de 1750 Franklin développait ses opinions sur
l'origine de la foudre dans deux lettres adressées à P.
Collinson . Il était tellement convaincu de l'exactitude de
ses idées, qu'il indiquait un moyen de préserver de la fou-
dre les églises, les maisons et les navires. Cette partie de
sa lettre est une description succincte du paratonnerre.
Tout en invitant les physiciens à exécuter l'expérience qui
devait résoudre la question, il attendait pour la faire lui-
même la construction projetée d'un clocher à Philadelphie.
L'expérience fut réalisée par Dalibard le 10 mai 1752 à
Marly-la-Ville. Dans un jardin situé au milieu d'une plaine
élevée, il fixa solidement sur un support isolé une barre
de fer ronde de 27 millimètres de diamètre à la base, de
13 mètres de hauteur , et terminée par une pointe d'acier
poli. Au moment où des nuages orageux passèrent au
zénith la barre s'électrisa assez fortement pour donner de
longues et brillantes étincelles .
Dans le courant de la même année, en juin 1752,
162 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Franklin impatient des lenteurs apportées dans la cons-


truction du clocher qu'il attendait, imagina de faire usage
d'un cerf-volant qu'il lança à l'approche d'un orage. Les
premiers effets furent nuls ; mais une petite pluie fine
ayant humecté la corde et l'ayant rendue conductrice, il
put tirer de vives étincelles de l'extrémité fixée à un sup-
port isolant. Les expériences de Dalibard et de Franklin
furent de toutes parts répétées avec le même succès.
Richman, de l'Académie de Saint-Pétersbourg fut foudroyé
en répétant celle de Dalibard.
Electricité de l'atmosphère. L'atmosphère est cons-
tamment chargée d'électricité même pendant les plus
beaux temps. Le Monnier, de Saussure, Becquerel et
Breschet, Peltier... l'ont démontré successivement au moyen
d'appareils spéciaux appelés électromètres, et ces études se
continuent régulièrement plusieurs fois par jour dans les
observatoires de Bruxelles , de Rome, de Naples, de Vienne,
de Bade, ainsi qu'en Angleterre et aux États -Unis ; ils le
seront prochainement à l'observatoire de Montsouris .
On n'obtient généralement aucun signe électrique dans
les lieux bas ou dominés par des arbres ou des édifices. En
rase campagne et même sur les hauts plateaux, c'est seule-
ment à quelques mètres au-dessus du sol que les signes
deviennent sensibles . Ils augmentent graduellement à
mesure qu'on élève plus haut l'appareil ou qu'on le met en
rapport par des fils conducteurs avec des objets lancés à
une plus grande hauteur.
Par un temps serein, quand l'atmosphère est compléte-
ment dépourvue de nuages, les signes obtenus sont cons-
tamment positifs ; c'est-à-dire que l'atmosphère est chargée
d'électricité positive ou vitrée, à la manière du verre frotté
avec de la laine.
On ignore les variations que peut éprouver, dans sa
quantité, l'électricité totale de l'atmosphère; aucune expé-
ORAGES. 163
rience n'a pu être établie d'une manière permanente à de
très-grandes hauteurs ; mais on sait que, dans les couches
inférieures elle subit une double oscillation diurne et an-
nuelle et, de plus, des oscillations accidentelles atteignant
quelquefois une grande amplitude. Les oscillations diurnes
et annuelles sont dues à la combinaison de plusieurs causes :
aux mouvements électriques qui s'opèrent avec une rapidité
variable des hautes régions vers la surface du sol ; à la fa-
cilité plus ou moins grande avec laquelle les couches infé-
rieures de l'air cèdent au sol leur électricité ; enfin à l'afflux
plus ou moins grand de l'électricité des régions équatoriales
vers les régions polaires par les hauteurs de l'atmosphère.
Les fluctuations irrégulières dues à l'exagération des
mêmes causes ont une amplitude beaucoup plus grande
que les autres. L'état du temps et la direction du courant
aérien général ou local produisent des changements très-
prononcés dans l'état électrique des couches inférieures de
l'atmosphère.
Quand le ciel se couvre de nuages le phénomène prend
un tout autre caractère. Non- seulement les signes électri-
ques acquièrent plus d'énergie, mais leur mobilité est ex-
trême et la nature même de l'électricité change fréquem-
ment.
L'origine de l'électricité atmosphérique est mal connue ;
l'hypothèse la plus probable la rattache à l'évaporation, et
peut-être même au retour de la vapeur gazeuse à l'état de
vapeur vésiculaire, de pluie ou de neige. C'est dans les ré-
gions intertropicales, là où l'évaporation est la plus active
et la condensation la plus abondante que les orages se mon-
trent avec le plus de fréquence et d'énergie. Les aurores bo-
réales qui ne sont que de grandes manifestations électriques
dans les régions voisines du pôle sont toujours accompa-
gnées du retour du courant équatorial dans ces hautes ré-
gions ; nos orages eux-mêmes apparaissent invariablement
164 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

dans des conditions analogues. La principale source de l'é-


lectricité atmosphérique doit donc être placée au foyer de
l'évaporation la plus active , dans les régions intertropicales.
De là, elle se répand sur les deux hémisphères par le contre
alizé supérieur et le courant équatorial. L'évaporation
produite à la surface des régions tempérées apporte aussi
son contingent à l'atmosphère.
Électricité des nuages. - La plupart des nuages sont
électrisés positivement, comme l'atmosphère où ils se for-
ment. Ils réunissent en eux l'électricité disséminée dans la
masse d'air qui leur a fourni sa vapeur ; et comme ils sont
bons conducteurs de l'électricité, ce fluide se condense à
leur surface au lieu de rester dans l'intérieur de leur masse ;
il y acquiert alors un haut degré de tension .
Les nuages électrisés d'une manière inverse, négative-
ment ou à la manière de la résine frottée avec du drap,
sont toutefois assez fréquents. Les deux électricités op-
posées s'attirent mutuellement , tandis que deux corps
électrisés de la même manière se repoussent. D'un autre
côté, quand un corps est électrisé positivement, par exemple,
tous les corps voisins s'électrisent par influence et d'une
manière inverse, leur électricité négative se porte vers le
premier corps électrisé positivement ; leur électricité positive
s'en éloigne. Le contraire aurait lieu sous l'influence d'un
corps électrisé négativement. Il en résulte que sous l'in-
fluence de l'électricité positive de l'atmosphère, le sol, et
surtout ses points en saillie, se trouvent électrisés négati-
vement.
Les courants aériens qui s'élèvent le long des flancs des
massifs montagneux , arrivés à une certaine hauteur ,
laissent déposer leur vapeur sous forme de nuages ; ces
nuages directement en contact avec un sol négatif seront
eux-mêmes électrisés négativement.
D'autres nuages voyageant en liberté dans l'atmosphère
ORAGES. 165

se trouvent souvent interposés entre le sol négatif et une


couche de nuages positifs placés à une hauteur plus grande.
Leur électricité positive repoussée par en haut, attirée par
en bas, se porte sur la base du nuage et est emportée par
les premières pluies ; de l'électricité négative se montre
graduellement sur leur face supérieure et se répand ensuite
sur tout le nuage quand les vents l'ont soustraite à l'action
de la couche plus élevéc.
L'orage éclate lorsque des nuages parvenus à un certain
degré d'électrisation se trouvent à proximité d'autres nuages
ou des objets terrestres sur lesquels ils peuvent se décharger
de leur excès d'électricité. Il n'est pas rare cependant de
voir un éclair jaillir d'un nuage isolé , dans lequel la tension
électrique dépasse la limite de résistance de l'air. Ces
éclairs se ramifient généralement beaucoup et se perdent
dans les hauteurs.
Sur terre , le bruit du tonnerre peut être entendu à 6
ou 7 lieues de distance au plus du point où jaillit l'éclair.
L'éclair lui-même ou l'illumination qu'il produit peut au
contraire être aperçu à une distance de 30 ou 40 lieues. De
là les éclairs sans tonnerre ordinairement appelés éclairs de
chaleur. Ils sont tous dus à des orages lointains.

Formation des orages .

Les orages des régions intertropicales , dans la zone des


pluies , se forment généralement sur place , au milieu de la
masse de nuages produits par la condensation des vapeurs
de la nappe équatoriale ascendante. Ils y sont en permanence
comme les nuages et les pluies et , comme eux , se déplacent
annuellement à la surface du globe à la suite du soleil.
Dans nos régions tempérées , les orages sont beaucoup
plus rares ; ils sont loin d'accompagner toutes les pluies ;
mais quand ils se forment les conditions de leur formation
166 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

sont à peu près les mêmes que dans le voisinage de l'é-


quateur.
Les brises ascendantes le long des flancs méridionaux
ou occidentaux des massifs montagneux produisent des
nuages locaux assez fréquemment accompagnés d'orages
également limités. Mais c'est particulièrement sur le par-
cours du courant équatorial et lors du passage d'un mouve-
ment tournant que les orages se produisent en Europe.
Nous avons vu précédemment que ces mouvements sont
accompagnés d'une double circulation - horizontale à une
certaine hauteur autour de l'axe vertical , verticale et
descendante dans les hautes parties de l'axe, ascendante
au contraire dans les alentours de son extrémité inférieure.
Dans son mouvement ascensionnel ainsi favorisé par
l'action du tourbillon , l'air se refroidit graduellement , sa
vapeur se condense et l'on voit apparaître les cumulus, gros
nuages à formes arrondies qui croissent rapidement sur
place et deviennent des foyers d'orages. L'électricité dont
ils sont chargés les attire vers la terre électrisée d'une
manière inverse et les oblige souvent à descendre très-bas.
Depuis que nous avons commencé l'étude des orages à
l'aide des documents recueillis simultanément sur toute la
France , nous n'en avons pas vu un seul un peu étendu se
produire sans qu'un mouvement tournant n'apparût en
même temps ; et toujours les rapports généraux entre ces
deux ordres de phénomènes sont restés les mêmes . Les
orages d'origine exclusivement locale sont extrêmement
rares.
Lazone orageuse est concentrique aumouvement tournant
et notablement éloignée du centre ; elle le suit au loin dans
ses pérégrinations à la surface de l'Europe ; et , dans son
déplacement graduel , la zone orageuse peut passer à deux
reprises sur une même localité , d'abord par sa partie anté-
rieure où les vents généraux soufflent du sud-ouest puis
ORAGES. 167

par sa partie postérieure où les vents généraux soufflent


d'entre ouest et nord-ouest ce qui donne deux séries
d'orages distincts. A chaque passage d'ailleurs il peut se
présenter des interruptions dans la masse des nuages, ce
qui multiplie le nombre des orages successifs.
Plus la saison est chaude , moins il est nécessaire que les
mouvements tournants soient intenses pour amener des
orages ; mais ces mouvements peuvent en produire même.
en hiver quand ils ont une certaine énergie.
Les orages à leur tour, par la pluie qu'ils versent à la
surface du sol , par les actions électriques intenses qu'ils
déterminent entre eux et la terre, peuvent engendrer des
mouvements tournants secondaires très-limités , mais très-
énergiques. Ce sont les trombes orageuses dont les effets
destructeurs sont quelquefois si redoutables.
Les deux cartes , fig. 33 et fig. 34, nous donneront une
idée de la progression des orages à la surface de la France.
Le 7 mai 1865 , trois centres de mouvements tournants
existaient simultanément autour de la France. Au premier
situé le matin sur les côtes orientales de l'Écosse , correspond
le groupe d'orages situés dans le nord de la France. Ce
groupe débute dans le département de la Manche à 10 heures
du matin, puis se propage à l'est jusqu'à 7 heures du soir
où on perd ses traces dans la Belgique. Au second mouve-
ment tournant dont le centre est sur la Manche correspond
le second groupe d'orages qui débute vers 3 heures du soir
dans le département du Puy-de-Dôme , traverse les dépar-
tements de l'Allier, de la Loire , du Rhône , de l'Ain , de
Saône-et-Loire , du Jura , du Doubs , de la Côte-d'Or, de la
Haute- Saône , des Vosges , de la Meurthe , de la Meuse , de
la Moselle et arrive le lendemain à 9 heures du matin sur
la frontière belge. L'Allier, la Loire et la Saône-et- Loire
sont très-maltraités par la grêle. Au troisième centre situé
à 50 ou 60 lieues dans l'ouest de Rochefort correspondent
168 METEOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

les trois autres groupes secondaires d'orage qui sont situés


dans l'ouest et dans le sud des deux premiers.
Le 9 mai, le centre d'une quatrième bourrasque tournante
apparaît sur l'Océan à la hauteur de la pointe de Bretagne.

Orages du 7 Mai 1865.

A 2 m
Minui

Midi 10
10h,
gh

Figure 33.

Sous son influence éclatent les orages dont nous avons re-
tracé la marche dans la figure 34. Ces orages débutent dans
la Gironde à 8 heures 1/2 du matin , marchant dans l'est-
nord-est. En approchant du plateau central, le courant
se partage en deux branches dont l't.ne se relève vers le
ORAGES. 169

nord et l'autre s'incline vers le midi. Cette dernière branche


éprouve un ralentissement sensible dans sa marche sur les
rampes des Cévennes et s'élargit rapidement vers les Pyré-
nées. Les derniers orages signalés y ont paru aux limites

Orages du 9 Mai 1865 .


Minu
it

Mi
di

Figure 34.

de l'Aveyron et de l'Hérault. La première branche prend


au contraire une marche plus rapide vers le centre de la
France, les orages arrivent à minuit sur la frontière belge.
Les grêles et les dégâts produits par elles ont commencé
presque dès le début du phénomène dans la Dordogne et
10
170 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

la Haute-Vienne ; ils ont continué jusqu'à 4 heures dans la


branche méridionale et jusqu'à 10 heures dans la branche
septentrionale.
Dans ce long parcours , ce ne sont évidemment pas les
mêmes nuages qui ont transporté l'orage. La cause seule
de leur formation s'y est déplacée progressivement . Dès
que l'orage éclate , les actions électriques , les nuages , les
pluies arrêtent le mouvement ascendant de l'air et le trans-
forment au contraire localement en mouvement descendant ;
le mouvement ascensionnel n'en prend que plus d'activité
en avant ; de nouvelles masses nuageuses se forment plus
loin et les mêmes causes se reproduisent pas à pas dans le
sens de progression général de l'air sur la portion du disque
tournant où ces phénomènes se succèdent. Les contre-
courants verticaux engendrent à leur tour des mouve-
ments tournants secondaires qui forment les trombes et les
grêles.
D'autre part , les mouvements ascensionnels de la péri-
phérie du disque tournant sont gênés ou favorisés par les
inégalités de la surface terrestre et les mêmes régions seront
très-fréquemment visitées par les orages tandis que d'autres
le seront rarement. Enfin , une masse de nuages orageux
étant formée , elle obéira aux vents règnant à la hauteur
où elle se trouve. Si cette hauteur est grande et le pays peu ac-
cidenté, l'orage franchira monts et vallées sans en recevoir
de déviations sensibles ; si la hauteur est au contraire faible
ou si le pays présente de fortes ondulations, la masse d'air
en mouvement se partagera en filets secondaires , suivant
le cours des vallées , y entraînant les nuages, et les orages
en décriront toutes les sinuosités.
ORAGES. 171

Grêles .

Le mode de formation de la grêle est encore fort obscur.


Pendant longtemps on admit après Volta qu'elle prenait
naissance entre deux couches de nuages superposés , élec-
trisés de sens contraires et donnant lieu à un va-et-vient
rapide des grêlons de l'une à l'autre. Mais des grêles redou-
tables se produisent même quand il n'existe qu'une seule
couche de nuages. L'explication de Volta est donc insuf-
fisante.
Par contre, il n'est pas de grêle qui ne soit accompagnée
d'une violente agitation dans la masse nuageuse, et très-
souvent elles marchent avec de véritables trombes dont
l'axe descend jusqu'à la surface du sol ; il est probable que
ces trombes existent dans la région nuageuse alors même
qu'elles ne se font pas sentir jusqu'à nous. Ces trombes
qui se produisent surtout quand la température décroît
rapidement dans le sens de la hauteur, ont pour effet de
mélanger brusquement les couches d'air d'inégales tempé-
ratures ; d'accroître encore le froid par la raréfaction de l'air
dans l'axe du tourbillon ; de brasser violemment les grains
de neige , de grésil ou de grêle , de les entrechoquer, de les
souder les uns aux autres et d'augmenter ainsi leur volume
par des condensations et congélations successives dans leur
passage d'une couche plus froide à une couche plus chaude
ou inversement, enfin par des agglomérations de grêlons en-
tre eux. Ce sont les chocs de grêlons les uns contre les au-
tres qui produisent le bruit caractéristique qui précède les
nuages à grêle ; et tous les observateurs qui se sont acciden-
tellement trouvés au milieu de ces nuages ont été témoins
de la violente agitation qui se produit en eux et dont l'ap-
parence est encore visible à de grandes distances.
Le tableau ci-après donnera une idée de la fréquence
des orages dans les diverses régions du globe.
172 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

NOMBRES DE JOURS D'ORAGE EN ANNÉE MOYENNE.

Calcutta.. GO Padoue.. 17,3


Patna (Indes). 53 Strasbourg 17
Rio Janeiro. 50,6 Maestricht. 16,5
Maryland . 41,0 Toulouse. 15,4
Martinique 39 Utrecht 15
Abyssinie . 38 Paris. 13,6
Guadeloupe . 37 Leyde 13,5
Viviers (Ardèche) 34,7 Athènes . 11,0
Quebec (Canada) . 23,3 Polpéro (Cornouailles). . 10
Buenos Ayres .. 22,5 Pétersbourg. 9,1
Denainvilliers (Loiret). , 20,6 Londres . 8,3
Smyrne 19 Pékin 5,8
Berlin . 18,3 Le Caire. 3,5

CHAPITRE XI.

PLUIES , LEUR RÉPARTITION GÉNÉRALE.

Pluies entre les tropiques .

Dans les zones des vents alizés , les pluies sont très -rares ;
elles n'y surviennent guère que dans certaines régions mar-
quées par le passage des ouragans. On conçoit qu'il en doive
être ainsi. L'air y progresse régulièrement des régions tro-
picales vers la zone du globe où la température est la plus
élevée ; sa capacité de saturation va donc en croissant en
même temps que sa vapeur augmente. Tout s'y réduit à des
rosées nocturnes généralement très-abondantes.
L'aspect du ciel change d'une manière complète quand
on approche de la zone des calmes équatoriaux qui sépare
PLUIES , LEUR RÉPARTITION GÉNÉRALE. 173
les deux alizés. Là viennent s'accumuler toutes les vapeurs
amassées par les alizés dans leur long parcours à la surface
de l'Océan. Ces vapeurs sont entraînées par la nappe équa-
toriale ascendante dans les hautes régions de l'atmosphère.
Dans ce mouvement ascensionnel, leur température s'abaisse
par le fait de l'expansion de l'air moins comprimé. Elles s'y
condensent en grande partie et forment cette voûte de nuages
perpétuels qui , vers l'équateur, entourent la terre comme
d'un anneau obscur. Les pluies y sont fréquentes et torren-
tielles , la chaleur molle et accablante , les orages nombreux
et violents , le bruit du tonnerre presqu'incessant. Cepen-
dant, le ciel est assez souvent clair le matin ; souvent aussi
les nuits s'écoulent sans pluie. En mer, c'est de 4 heures du
matin à 4 heures du soir que l'eau tombe en plus grande
abondance. Sur les continents , la différence entre les tem-
pératures du jour et de la nuit est beaucoup plus grande
qu'à la surface des océans ; il en résulte des oppositions
périodiquement alternantes entre la terre et l'eau. Des
oscillations correspondantes, favorisées par les saillies du
sol , se produisant dans les mouvements de l'atmosphère
pour constituer les brises alternantes , la pluie et l'orage
peuvent alors survenir plus tard ; mais aussi ils se prolon-
gent plus avant dans la nuit. Dans certaines parties du
Mexique l'orage et la pluie commencent régulièrement
(dans la saison des pluies) , vers 2 heures du soir , et la
pluie continue jusque vers 5 heures du matin. Dans d'autres
la pluie cesse pendant la nuit , dans d'autres encore elle
dure à peine quelques heures. Ces divergences résultent des
rapports de position de la terre et de la mer , de la direction
des chaînes de montagnes , de la hauteur du lieu considéré
et de sa position sur le versant exposé au vent marin ou sur
le versant opposé .
La zone des calmes équatoriaux se déplaçant annuellement
à la surface du globe , la zone des pluies éprouve un dépla-
10,
174 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

cement semblable. Entre les limites extrêmes de son par-


cours , à Bogota par exemple , il existe annuellement deux
saisons pluvieuses et deux saisons sèches. En s'approchant
de ces limites , les deux sai-
sons pluvieuses se rappro-
chent l'une de l'autre , et 20 Dec.
l'une des saisons sèches di-
minue graduellement de
durée. Aux limites même 15
on n'a plus qu'une seule
saison pluvieuse alternant 10
avec une seule saison sèche.
Cette saison pluvieuse uni-
que correspond à notre été 5

près du tropique nord et à Anjarakandy


notre hiver près du tropi-
que sud.
Nous avons figuré dans
10 Déc.
la figure 35 la marche
des pluies dans les deux
villes de Anjarakandy 5
et Calcutta situées dans
l'Inde et dans la ville de Calcutta.
Madère. Chacune des li-
gnes verticales correspond
à l'une des quatre saisons ; 5DS Madere.
chaque interligne hori-
zontal correspond à une To Déc.
tranche d'eau pluviale de I P E A II
1 décimètre. L'origine des Figure 35.
hauteurs change pour cha-
que courbe. A Anjarakandy , la pluie est à peu près
complétement inconnue en hiver ; au printemps , la
tranche d'eau pluviale s'élève à deux décimètres environ ;
PLUIES , LEUR RÉPARTITION GÉNÉRALE. 175

elle dépasse 5 décimètres en automne ; mais en été elle


atteint presque à 22 décimètres. C'est l'un des lieux de la
terre où il pleut le plus. La répartition des pluies est à peu
près exactement la même à Calcutta , sauf qu'elles y sont
moins abondantes. A Madère , au contraire, l'été est la
saison sèche bien que nous soyons dans le même hémisphère.
Mais nous sommes alors en dehors de la zone des pluies
intertropicales.

Pluies en dehors des tropiques.

En dehors des tropiques , au delà des régions alizées , nous


retrouvons les deux zones de calmes tropicaux , là où les
contre-alizés supérieurs s'abaissent vers la surface du globe
pour alimenter les alizés. Cette masse d'air descendante
se contracte et s'échauffe. Des nuages peuvent s'y montrer
sous l'influence de perturbations atmosphériques qui se pro-
duisent assez souvent à leur limite supérieure par l'effet des
oscillations qu'elle subit dans le sens du nord au sud ou
du sud au nord ; mais les pluies y sont très-rares surtout
dans sa partie où le vent incline vers le sud (vents de N.
ou N. E. ) dans notre hémisphère. Il n'en est plus de même
dans sa partie où le vent incline vers le nord (vents d'O.
ou S. O. ), pour former le courant équatorial. Ce dernier ga-
gnant des latitudes de plus en plus froides , sa vapeur se
condense en nuages et en pluies. Nous retrouvons ainsi au
delà de chacun des tropiques , dans la direction des pôles ,
deux nouvelles zones de pluies , qui se déplacent à la surface
du globe au cours des saisons comme la zone des pluies
équatoriales.
En nous en tenant d'abord à ce qui se passe dans notre
hémisphère , nous voyons la zone des pluies extra-tropicales
marcher vers le nord en été , et descendre vers le midi en
hiver. Vers la limite de son excursion hivernale , il existe
176 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

une seule saison pluvieuse qui correspond à l'hiver tel est


le cas de l'île de Madère.
Entre la région des pluies d'été tropicales , comprenant
sur l'ancien continent les bassins du Sénégal , du Niger , du
lac Tchad , du Nil supérieur , l'Indoustan et l'Indo- Chine ,
et la région des pluies d'hiver en dehors des tropiques .
comprenant le nord de l'Afrique et l'Asie centrale , nous
trouvons une longue zone de déserts où il ne pleut presque
jamais.
En remontant graduellement vers le nord , la saison
des pluies d'été s'étale ;
elle tend à se bifur- Lisbonne
quer en deux séparées par ++ Vallée du Rhône.
une seconde saison sèche O.C. Paris.
Russie.
qui s'accentue d'une ma-
nière très-nette en cer-
taines régions. Cette der- 130
nière s'étale à son tour,
et les deux saisons primi- 20 C.
tivement confondues dans
l'hiver , tendent à se rap-
10.cen.
procher de l'été et à s'y
fondre en une seule sai-
O
son. H Ꮲ E A H
La figure 36 peut Figure 36.
nous donner une idée de
cette transformation graduelle du régime des pluies avec la
latitude. La courbe pleine appartient à Lisbonne. La saison
sèche de l'été et la saison pluvieuse de l'hiver y sont nette-
ment accusées. Dans la vallée du Rhône, le minimum de l'été
est encore très-sensible ; mais un autre minimum apparaît
en hiver ; au printemps et à l'automne nous avons deux
maximum de pluie. Dans la Russie , au contraire , le maxi-
mum tombe en été. A Paris , comme dans toute l'Europe
PLUIES , LEUR RÉPARTITION GÉNÉRALE. 177

occidentale , depuis la Bretagne jusqu'au nord de la Nor-


wége, la présence du Gulfs'-stream nous donne des pluies en
toute saison . Toutefois , à mesure qu'on s'éloigne de l'équa-
teur la régularité des phénomènes tend à disparaître gra-
duellement ; les maximums et minimums se rapprochent
les uns des autres sous le rapport de la quantité.
Certaines modifications semblent d'ailleurs se produire
lentement dans nos cli-
Montpellier mats , dont nous ignorons
encore l'origine et la cause.
x
Les hivers tendraient à s'a-
20
doucir en Angleterre , sans
H
doute sous l'action d'une
15 plus grande abondance des
eaux du Gulfs' - stream dans
10 ces parages ; d'autre part ,
il semblerait que le climat
de Montpellier serait ac-
5c.m. tuellement moins méri-
Pluies de 1767 à 1485.
+++ Pluies de1786 à 1812. dional que sur la fin du
Pluies det835 à 1850. siècle dernier, du moins si
H PE A H on en juge par les courbes
Figure 37. de la figure 37. De 1767
à 1785 la courbe des pluies
se rapproche d'avantage de celle de Lisbonne que ne le font
la courbe des pluies de 1786 à 1812 et surtout celle des
pluies de 1835 à 1850. Rien ne prouve, toutefois , que
ces modifications soient permanentes et qu'elles ne soient
pas soumises à une période dont les limites nous sont
inconnues. De semblables périodes ont déjà pu être cons-
tatées sur divers points de l'Europe où les observations
embrassent une assez longue durée.
178 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Abondance des pluies.

Sous le rapport des quantités , les pluies donnent une


hauteur totale d'eau annuelle d'autant plus grande , en
général, qu'on est plus rapproché de l'équateur dans la
région intertropicale , ou qu'on est moins éloigné de la zone
des déserts dans les latitudes plus élevées. Toutefois , la posi-
tion des lieux par rapport à la mer et à la direction du
vent dominant produit des différences considérables.
Dans les régions intertropicales , en Amérique , en Asie,
en Afrique et dans les grandes îles de l'Océanie , les côtes
orientales placées sous le vent des alizés ou des moussons
sont copieusement arrosées. Il en est ainsi en particulier ,
du Brésil et des républiques de l'Équateur en Amérique ;
des royaumes de Siam , d'Anam et de la Chine méridic-
nale, en Asie ; des côtes d'Ajan , de Zanguebar, de Mo-
zambique ; des côtes de l'Inde pendant la mousson plu-
vieuse. Tandis que la moyenne d'eau pluviale recueillie dans
les environs de Paris est de 0,50 environ , à Saint- Benoît ,
dans l'île de la Réunion, M. Maillard a recueilli 16,50
d'eau pluviale en quatre ans, de 1846 à 1850, soit en moyenne
4,10 par an. Le mois de janvier seul en a donné 0,74, c'est-
à-dire plus qu'il n'en tombe à Paris dans toute l'année la
plus mouillée. Dans l'Inde , la quantité d'eau annuelle
varie de 2 à 3 mètres suivant les localités ; il en est à peu
près de même dans l'Amérique centrale et la Sénégambie.
Si l'on considère que dans ces régions il ne pleut que pen-
dant un petit nombre de mois et seulement pendant une
partie du jour, le contraste avec les pluies de nos climats
paraîtra plus frappant. Les gouttes d'eau sont énormes ,
très-serrées et arrivent avec une grande vitesse. Une seule
averse peut donner 40 millimètres d'eau , ce qui dans nos
pays produirait de véritables désastres. Dans l'intérieur des
PLUIES , LEUR RÉPARTITION GÉNÉRALE. 179

terres , cependant , l'abondance des pluies diminue d'une


manière notable. A Séringapatam dans l'Inde , et à Bo-
goța en Amérique , elle est à peine supérieure à celle des
pluies d'Europe. L'influence de la distance à la mer est ici
considérable ; celle de l'altitude et de l'orientation des ver-
sants ne l'est pas moins.
Les quantités d'eau annuellement versées sur les latitudes
moyennes des deux continents présentent entre elles des
différences du même ordre que dans les régions intertro-
picales. Les averses y sont beaucoup moins copieuses ; mais
en quelques points , les pluies , les brouillards ou les rosées
donnent presque tous les jours de l'eau au pluviomètre ;
telles sont en particulier l'Irlande et certains points de la
Bretagne et la Manche.
Influence du courant équatorial sur les pluies d'Europe.
- Chaque région a ses vents pluvieux : ce sont en première
ligne les vents qui ont parcouru de grandes nappes d'eau
avant de pénétrer sur la région. Ces vents deviennent encore
plus humides s'ils marchent du chaud vers le froid , c'est -à-
dire s'ils s'éloignent de l'équateur et se rapprochent des
pôles , ou s'ils s'élèvent dans l'atmosphère pour franchir
les chaînes de montagnes. Les saisons, à leur tour, en faisant
varier les rapports de température entre les mers et les
continents , modifieront en plus ou en moins le degré de
pluviosité d'un vent humide.
Si nous considérons particulièrement l'Europe , nous la
trouvons soumise à une double influence. Quand le courant
équatorial s'étale à sa surface , plus ou moins haut vers le
nord , plus ou moins avant dans l'est , il y apporte avec
lui les vapeurs dont il s'est chargé sur l'Atlantique. Dans la
première partie de son cours il marche du sud- ouest vers
le nord-est ; il gagne des régions de moins en moins
chaudes , la condensation de sa vapeur y est progressive ct
continue. A mesure qu'il s'infléchit vers l'est , les progrès
180 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

de la condensation se ralentissent. Dans sa branche descen-


dante vers le sud- est ou le sud , un phénomène inverse
se produit. Le courant gagne des régions de plus en plus
chaudes ; son état hygrométrique s'abaisse ; il devient sec.
Supposons-nous dans l'automne. Les eaux de l'Atlan-
tique nord sont encore très-près de leur maximum de
température qu'elles atteignent à la fin de septembre. La
température de l'Europe s'est déjà notablement abaissée ;
elle descendra rapidement pendant l'hiver, tandis que la
mer se refroidira peu à peu et lentement. Le courant équa-
torial possède d'ailleurs à cette époque une grande activité.
Le résultat est facile à comprendre. Les conditions d'humi-
dité et de refroidissement progressif se trouvent réunies
à un haut degré, les pluies comme les nuages seront à peu
près continus sur les régions où le courant équatorial aura
établi son cours. Ce courant n'a jamais une bien grande
étendue en largeur ; la zone pluvieuse sera limitée comme
lui et dans le même sens ; mais cette zone s'élargit considéra-
blement par les oscillations fréquentes du lit du courant
équatorial , tantôt vers le nord , tantôt vers le midi de
l'Europe. Plus la différence des températures entre la terre
et l'eau est grande , plus la condensation est rapide. Dans
l'hiver le courant équatorial, dépouillé d'une grande partie
de sa vapeur sur les côtes occidentales de l'Europe , ne porte
que peu d'eau dans les régions orientales. Le contraire a
lieu pendant l'été. Dans cette dernière saison , c'est le sol
qui est plus chaud que l'Océan ; le courant équatorial y
conserve sa vapeur et peut la transporter au loin dans les
terres. Aussi voyons-nous les pluies d'été dominer en
Russie , en Suède et même en Allemagne , tandis que les
pluies d'automne et d'hiver sont en général dominantes en
Norwége, en Irlande et sur la France occidentale. Les pluies
ou les neiges seraient même à peu près continues en automne
et en hiver sur nos côtes , tant que le courant équatorial y
PLUIES , LEUR RÉPARTITION GÉNÉRALE. 181

est établi, et elles y seraient au contraire à peu près incon-


nues en été , sans les accidents atmosphériques dont nous
avons déjà parlé sous le nom de mouvements tournants
de l'atmosphère.
Chaque mouvement tournant qui aborde l'Europe y
change la direction générale du vent ; il y modifie la vitesse
de l'air, augmentant la force des brises qui courent dans le
sens de progression de l'axe du mouvement tournant et
diminuant celle des vents opposés ; il y change pareillement
la répartition des pluies en reportant sur une moitié du
disque tournant ce qui eût tombé sur l'autre moitié en
l'absence de la perturbation. Et comme les mouvements
tournants se succèdent généralement à quelques jours
d'intervalle , là où le ciel eût été constamment gris avec des
pluies continues mais très-peu abondantes , on a des pluies
plus copieuses séparées par des intervalles de beau temps.
On comprend toutefois combien cet état de choses fait
perdre de sa précision à la désignation des vents pluvieux.
Il n'y a réellement pour la France et l'Europe qu'un seul
courant pluvieux , le courant équatorial, surtout sur sa
branche ascendante , beaucoup moins sur ses branches des-
cendantes. Mais dans ce grand courant , les mouvements
tournants font naître une série de vents accidentels qui
tour à tour peuvent nous donner des pluies. Que le centre
d'un mouvement tournant traverse la France, par exemple,
il y pleuvra par tous les rhumbs de vent , suivant le sens
de progression du mouvement.
Influence de l'altitude et de l'orientation des versants.
Les accidents du sol peuvent produire naturellement l'effet
constaté dans les mouvenients tournants. Tous les vents qui
montent sur les flancs des massifs montagneux y deviennent
des vents de pluies s'ils sont naturellement humides. Les
vents qui descendent les versants opposés sont généralement
secs parce qu'ils ont antérieurement perdu une grande
11
182 METEOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

partie de leur vapeur. Nous parlons ici surtout des vents


généraux et directs et non des remous dont la direction
est souvent renversée . La grande chaîne des Alpes scandi-
naves qui sépare la Suède de la Norwége est abondamment
arrosée par les vents des régions d'ouest sur son versant
occidental ; sonversant oriental est beaucoup moins mouillé.
A Bergen, sur la côte norwégienne , il tombe année mo-
yenne 2,25 d'eau , plus qu'en aucune autre ville d'Europe ;
en Suède , il n'en tombe en moyenne que 0,54.En Norwé-
ge il pleut surtout en automne et en hiver, lorsque le
refroidissement de l'hémisphère boréal et le réchauffement
de l'hémisphère austral donnent lieu à une surexcitation
des vents de sud-ouest et d'ouest. A ce moment aussi la
mer est chaude et la terre est froide ; la condensation des
vapeurs commence immédiatement à leur arrivée sur les
terres fortement en saillie des Alpes scandinaves. Le cou-
rant équatorial s'en dépouille vite , et à une certaine dis-
tance des côtes, au delà du massif montagneux, il pleut beau-
coup moins. En été , au contraire , la terre plus chaude que
l'eau , donne lieu à une condensation moins continue et
moins profonde ; le courant équatorial garde plus long-
temps sa vapeur, de là le maximum des pluies d'été signa-
lé en Suède , en Russie et en Allemagne.
La répartition des pluies à la surface de notre continent
est donc soumise à l'influence de causes multiples. La
cause générale dominante tient à l'existence du courant
équatorial , aux déplacements de son lit du nord au sud ou
du sud au nord, à l'extension de son cours vers les régions
orientales de l'Europe ou à sa limitation aux contrées oc-
cidentales. La mobilité extrême de ce grand courant, les
mouvements tournants qui s'y développent d'une manière
à peu près continue et sont entraînés dans son cours ,
donnent à nos climats une mobilité tout aussi grande.
Nous reproduisons ci-dessous quelques nombres tires
PLUIES , LEUR RÉPARTITION GÉNÉRALE. 183

de l'ouvrage de M. de Gasparin et propres à montrer


l'étendue des influences locales sur la répartition des pluies
en Europe. Letableau suivant contient la liste des lieux où
il tombe annuellement plus de 1 mètre d'eau.

HAUTEURS ANNUELLES DE PLUIE SUR DIVERS POINTS DE L'EUROPE.

Tolmezzo ( États vénitiens 2,422


Bergen (Norwége). 2,250
Cercivento ( États vénitiens ) . • 2,000
Udine. • 1,702
Chambéry . 1,654
Saint- Rambert (Ain) . 1,650
Sacile ( États vénitiens ) . 1,581
Genkingen ( Forêt noire ). 1,541
Mont Saint-Bernard 1,513
Ivrée .. 1,470
Marciat (Ain) . 1,450
Saint-Jean de Bruel (Lozère) 1,387
Camajore (Apennins) . 1,378
Kendal (Angleterre) . 1,364
Gènes. . . . 1,346
Saint-Étienne de Vallefrancesque (Lozère) 1,328
Conegliano ( États vénitiens ) 1,292
Bourg (Ain) 1,220
Brescia. .. 1,251
Pise ... 1,244
Joyeuse (Ardèche). • 1,241
Douvres. 1,194
Tegernsée (Alpes bavaroises) • 1,185
Aurillac. 1,140
Berne . 1,139
Spilberg (États vénitiens ) 1,117
Vicence. • 1,106
Pontarlier • 1,105
Trieste • 1,068
Augsbourg . · 1,019
Lancaster. 1,007

Cette liste n'est pas complète et les nombres qu'elle


184 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

contient ne sont pas d'une rigueur absolue ; l'emplacement


du pluviomètre , ses dimensions et la période d'années
pendant lesquelles sont faites les observations influant
beaucoup sur les résultats obtenus. Il convient surtout
d'envisager l'ensemble. Or toutes ces localités ont pour
caractère topographique commun d'être situées au pied
d'une grande chaîne de montagnes opposées à la direction
des vents qui ont traversé de grandes nappes d'eau. Tous
les pays situés dans l'entonnoir qui limite la terre ferme
de Venise sont de ce nombre. Ce vaste golfe terrestre est
une des régions les plus pluvieuses de l'Europe. Bergen,
situé au pied du massif le plus considérable des Alpes
scandinaves ; la plaine de Chambéry, sur le versant sud-
onest des Alpes suisses ; Genkingen, au fond des gorges
de la Forêt noire ; Saint-Étienne de Vallefrancesque,
Joyeuse, au pied méridional des Cévennes ; Camajore , Gê-
nes, Pise , dans la même position par rapport aux Apen-
nins, sont un exemple de l'influence des massifs . De sembla-
bles résultats apparaîtront d'une manière encore plus
complète sur la carte des pluies de la France.
Le tableau suivant nous fera connaître la répartition
moyenne des pluies sur les principales régions de l'Europe.
Ces nombres sont approximatifs.

Millimètres.
Russie. 360
Scandinavie. . . 480
France septentrionale , Allemagne.. 680
Angleterre , régions de l'est . • 690
Côtes occidentales de l'Europe . 740
Italie au sud des Apennins , France méridionale. 810
Angleterre , régions de l'ouest. 920
Italie au nord des Apennins. 1220
PLUIES , LEUR RÉPARTITION GÉNÉRALE. 185

Distribution des pluies par saisons et par mois.

La figure 38 nous montre le mode de répartition des pluies,


par saison, dans les mêmes régions. Dans la France

Italie

30 au Sud des Apennins au Nord des. 30


-Apennins

20. c.m. 20

30 France 30

Septentrionale.
20.c.m Meridionale. 20

10 Paris. 10
Europe
Occidentale.
20 Centrale. 20

10 10 10
Occidentale. Angleterre
Orientale.
20 20 20
20

10 10
Europe
du Nord
10 10
Suede. Russie.

0
I Р E A H H P E A H
Figure 38.
186 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

méridionale et dans l'Italie au sud des Apennins , la saison


d'été est sèche ; les pluies y sont peu nombreuses et l'éva-
poration très-active . Dans l'Italie , l'hiver est un peu plus
mouillé que le printemps ; il l'est sensiblement moins en
France. Au nord des Apennins, l'automne est très -pluvieux;
la saison où il tombe le moins d'eau est l'hiver ; le
printemps et l'été en reçoivent un peu plus. Sur l'Europe
occidentale , l'Angleterre , l'ouest de la France , la saison
où il tombe le moins d'eau est le printemps ; l'automne est
encore celle qui en reçoit la plus forte proportion . En
Suède , en Allemagne , en Russie , la saison la plus mouillée
est l'été. Au point de vue agricole , l'examen des saisons ne
suffit pas encore ; leur étendue est encore trop grande par
rapport à la durée de chaque phase de la végétation , et
dans la figure 39 , nous avons représenté la répartition des
pluies par mois. On peut en tirer des conclusions générales
plus précises ; mais cette répartition changeant beaucoup
d'une année à l'autre , on n'arrivera qu'à des résultats
moyens dont les écarts accidentels caractériseront les années
climatériques. Dans la France méridionale et dans l'Italie,
au sud des Apennins , les mois de mars , avril , mai , sont
assez mouillés pour que la culture des céréales puisse y
prospérer dans les terres qui ne sont pas sèches par nature
ou par position. Dans le mois d'avril , qui précède la
floraison du blé, la pluie atteint en moyenne 64 millimètres ;
mais l'évaporation y est très-considérable ; elle atteint
dans ce mois 200 millimètres à Orange , et comme la pluie
varie beaucoup d'une année à l'autre , le nombre des années
sur 100 défavorable à cette culture s'élèvera rapidement
à mesure qu'on pénétrera dans les contrées plus sèches et
moins accessibles à l'irrigation. La vigne et les arbustes y
sont alors préférés. Dans l'Italie située au nord du Pô ,
la terre reçoit en moyenne 85 millimètres d'eau en avril,
et l'évaporation est au contraire moins active que dans le
PLUIES , LEUR RÉPARTITION GÉNÉRALE. 187
midi de la France ; de plus cette quantité de pluie monte
encore en mai et en juin. La récolte en blé doit y être
généralement plus abondante en paille qu'en grain. C'est

Italie au Nord des Apenmns.


10.cm.
ocm
A
5.c.m. Italic au Sud des Apen. 10
France Meridionale
5.c.m. 5.c.m.

10 10
Europe Occidentale
1

5.c.in.

10 10
France du Nord. Allemagne.
5c.m

5 c.m. Scandinavie.

5.c. 5

Russie.
O 0
D J. F M A M J J A 0 ND
S

Figure 39.

là une des causes qui, dans l'Italie, au nord du Pô, font


préférer la culture des prairies , du riz et du maïs qui
fructifie plus tard, tandis que la rive droite du Pô est plus
188 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

favorable aux céréales . Dans la France du nord, dans le


voisinage des côtes, le maximum moyen des pluies tombe
en juin; juillet et août sont également très-mouillés. Ces
conditions sont défavorables aux céréales ; on y éprouve
souvent des intempéries à l'époque de la floraison ou de la
moisson, ce qui porte les cultivateurs à préférer les récoltes
fourragères ; mais à Paris et dans le centre de la France

e
tal
iden
Occ
15 Jours
Angleterre

10 terre rientale
Angle O
ns
ni
u d s en
Ya Su de Ap
10 JFrance Meridioonal
e
Italie
e
J magn
Alle
France Septentrionate

10j .

tsjt
J F M A M J J A S O N D J
Figuro 40.

le maximum des pluies tombe entre mai et juin ; juillet et


août sont plus secs ; les céréales y sont dans de meilleures
conditions. La Russie présente un régime de pluies analogue
à celui de la France du nord , mais les pluies y sont moins
abondantes ; cette circonstance, jointe à l'excellente qualité
des terres, ne suffit cependant pas à compenser l'imperfection
des cultures, et le rendement en grain y est encore peu
élevé.
Nombres de jours de plute. ― Aux résultats généraux
DES PLUIES EN FRANCE. 189

qui précèdent, nous ajouterons l'indication aes nombres


moyens de jours pluvieux et la hauteur moyenne d'eau
tombée à chaque pluie.
Dans l'Angleterre occidentale , le mois le moins pluvieux
est en général le mois de juin, 9,2 jours de pluie. La courbe
des nombres de jours de pluie (fig. 40 ) y subit une dépression
très-marquée ; et comme cette dépression ne se reproduit pas
dans la courbe des hauteurs d'eau (fig. 39), il faut en
conclure que les averses sont plus copieuses que dans le
reste de l'année. En juillet le nombre moyen des jours de
pluie remonte à 11 ; il atteint 13,7 en août, mois où a lieu
la moisson. Le grain mûrit, mais la moisson est souvent
contrariée. La hauteur moyenne d'eau par pluie oscille de
4mm,5 au printemps à 6mm,5 en été et 6mm,3 en automne.
Cette région , toujours fraîche , est une région à pâturages.
Dans l'Angleterre orientale , la courbe des jours de pluie
suit à peu près celle de l'Angleterre occidentale , à l'excep-
tion des mois d'août , septembre et octobre, où les pluies
sont notablement moins nombreuses que dans la région
opposée ces pluies sont également moins abondantes ;
elles sont en moyenne de 4mm,2 en hiver, de 3mm, 6 au prin-
temps, de 5,0 en été et de 5º ,2 en automne. Ce régime
est plus favorable aux céréales que celui de la partie oc-
cidentale.

CHAPITRE XII.

DES PLUIES EN FRANCE.

Répartition des pluies sur la France .

La répartition des pluies sur la France est soumise aux


11.
190 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

mêmes influences que sur l'ensemble du globe. D'une ma-


nière générale , les pluies sont moins nombreuses , plus
abondantes et moins disséminées dans le Midi que dans le
Nord. Il pleut davantage et plus souvent dans le voisi-
nage des côtes que dans l'intérieur des terres , et enfin les
montagnes sont une cause d'accroissement dans le total
de l'eau versée annuellement , surtout sur leur versant ex-
posé aux vents marins.
Le midi de la France reçoit donc en général plus d'eau
pluviale que le nord , mais les pluies y sont moins fré-
quentes. La température y étant plus élevée , l'air y con-
tient plus de vapeur d'eau à égal degré de l'hygromètre.
Quand la condensation de la vapeur s'y produit , elle
fournit davantage. Mais les condensations sont plus rares
et comme l'évaporation y est très-active , les périodes de
sécheresse sont longues et quelquefois très-intenses.
Les côtes baignées par l'Océan et par la Manche sont
plus souvent mouillées que l'intérieur des terres. L'eau
pluviale s'élève annuellement à 0,80 dans les Landes,
dans l'Angoumois , le long de la baie de Cancale , sur les
côtes ouest du Cotentin , ainsi que sur le littoral compris
entre Fécamp et Calais. Les côtes françaises de la Médi-
terranée font exception à cette règle ; la pluie annuelle
n'y est en moyenne que de 0,60 malgré leur position
méridionale. C'est que les vents pluvieux pour le centre
de la France n'arrivent dans le bassin méditerranéen
qu'après avoir franchi les Cévennes sur lesquelles ils per-
dent la plus grande partie de leur eau. Les pluies n'y
surviennent guère que par les vents du S. ou S. E. qui se
produisent au début de certaines tourmentes envahissant
le nord de la France ou pénétrant sur la Méditerranée .
A mesure qu'on s'éloigne des côtes la hauteur annuelle
des eaux pluviales diminue ; mais elle commence à croître
de nouveau quand on s'approche des massifs montagneux .
DES PLUIES EN FRANCE. 191

Le fait est très-marqué sur le plateau des Ardennes, moins


sur les Vosges qui sont un peu abritées par le plateau cen-
tral contre l'action pluvieuse des vents du S. O. Il l'est
davantage au contraire sur le plateau central , sur le
Morvan, sur les Cévennes, le Jura, les Alpes et sur la par-
tie des Pyrénées la plus exposée aux vents du golfe de
Gascogne. La pluie dépasse 1 mètre sur les parties élevées de
ces massifs et spécialement des Pyrénées et des Alpes.
Dans certaines stations des Alpes elle est même supérieure
à 2 mètres.
Le relief du sol exerce donc une influence très-marquée
sur la totalité de la pluie recueillie ; elle augmente avec
l'altitude, du moins jusqu'à une certaine hauteur au delà
de laquelle elle décroît ; mais cette influence de l'altitude
ne s'exerce que là où les rampes obligent les vents plu-
vieux à s'élever dans le sens vertical ; elle s'y exerce en
proportion de la hauteur franchie et de la quantité de
vapeur restant dans l'air ascendant. Ainsi, dans le plateau
´central , il tombe moins de pluie vers son milieu , dans les
montagnes de la Margeride, que sur son versant occi-
dental. De même, il tombe plus de pluie à Saint-Étienne
qui est à l'ouest du Pilat et des montagnes du Beaujolais,
qu'à Lyon et à Bourg-Argental sur le versant oriental.
Les régions les moins pluvieuses de la France sont :
d'une part , une longue bande suivant la vallée de l'Allier
depuis Nevers jusqu'à la hauteur du Puy ; et de l'autre ,
une région assez arrondie comprise entre Paris, Épernay,
Soissons et Troyes.

Répartition des pluies par bassin.

Voici, d'après M. Delesse, le tableau des surfaces occu-


pées par les différentes zones de pluie dans les principaux
bassins de la France.
192 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Surface en hectares
Indication des bassins et des zones.
des zones. des bassins.
Au-dessous de 0,40
de hauteur d'eau. 897,700
de 0,40 à 0,60 3,891,700
Bassin de la Seine. de 0,60 à 0,80 5,193,000 11,281,900
de 0,80 à 1,00 1,279,100
de 1,00 à 1,20 16,300
de 1,20 à 1,40 4,100
de 0,40 à 0,60 2,616,500
de 0,60 0,80 9,386,300
de 0,80 à 1,00 1,364,600
Bassin de la Loire. 13,666,600
de 1,00 à 1,20 281.600
de 1,20 à 1,40 12,700
de 1,40 à 1,60 4,900
de 0,40 à 0,60 493,500
Bassin du Rhin
de 0,60 à 0,80 2,713,300 4,101,200
(partie française) . de 0,80 à 1,00 894,400 }
de 0,40 à 0,60 522,100
de 0,60 à 0,80 6,054,000
de 0,80 1,00 4,663,000
de 1,00 à 1,20 652,700
Bassin de la Garonne. 12,497,800
de 1,20 à 1,40 278,800
de 1,40 à 1,60 246,700
de 1,60 à 1,80 58,500
Au-dessus de 0,80 22,000
de 0,40 à 0,60 1,045,000
de 0,60 à 0,80 3,719,000
de 0.80 à 1,00 2,806,400
de 1,00 à 1,20 1,435,700
Bassin du Rhône. 11,884,200
de 1,20 à 1,40 1,000,000
de 1,40 à 1,60 1,815,900
de 1,60 à 1,80 51,700
Au-dessus de 1,80 10,500
Total général . • 53,431,700

La somme des quantités de pluie tombant année


moyenne sur la France est d'environ 411,589,500,000
mètres cubes. En divisant ce nombre par la surface totale
DES PLUIES EN FRANCE. 193

de la France, on a 0,77 pour la hauteur moyenne d'eau


tombant annuellement sur la surface de notre pays. Ce
chiffre est vraisemblablement un peu trop faible, car les
régions élevées possèdent rarement des stations météoro-
logiques. Les observations manquent surtout sur les som-
mets des Ardennes, des Vosges, des Alpes, sur la chaîne
du Merlerault, et sur les montagnes de Bretagne.
En considérant spécialement les principaux bassins, on
trouve que la hauteur moyenne de pluie est ainsi répartie.

Bassin de la Seine. 0,631


Bassin de la Loire. 0m,691
Bassin du Rhin (partie française) 0¹,720
Bassin de la Garonne . 0m,823
Bassin du Rhône.. 0m,956

En multipliant 0,631 par la superficie du bassin de la


Seine, on trouve pour le volume d'eau reçue annuellement
par ce bassin une moyenne de 71,188,789 , 000 mètres
cubes. Si toute cette eau se rendait à la mer, par un fleuve
dont le débit ne changerait pas d'un bout à l'autre de
l'année, la Seine verserait à son embouchure dans la
Manche 2,256 mètres cubes par seconde. Il est très-loin
d'en être ainsi. Une très-grande partie des eaux pluviales
s'évapore sur place, directement ou par l'intermédiaire des
plantes ; le reste qui ne forme guère que la septième ou la
huitième partie du total se rend à la Seine avec une rapi-
dité variable suivant la nature du sol et du sous-sol et suivant
la déclivité du terrain sur lequel tombe la pluie. L'état
de culture du sol exerce également une influence marquée
sur la somme des eaux qui s'écoulent en moyenne par les
rivières. Cette dernière, déjà faible, se trouve en outre ac-
cumulée en grande partie sur l'automne ou l'hiver, saisons
où ces eaux ont le moins d'utilité pour l'agriculture, du
moins dans les pays où les pluies manquent en été.
194 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

Pluies dans le bassin de la Seine. Nous retrouvons ici


les influences locales dont l'action a été signalée dans la
répartition des pluies soit à la surface du globe, soit à la
surface de l'Europe, soit à la surface de la France.
Au phare de Fatouville ( Eure) il est tombé 950 millim .
d'eau en 1867 ; il en est tombé 915 au Havre durant la
même année. Paris plus éloigné de la mer ena reçu 631
millim. Dans le bassin de l'Oise on a obtenu :

Millimètres.
Hirson 657
Laon . 730
Berry au Bac . 493
Vauxrot (près Soissons) . 457
Venette (Compiègne). • 416
Beauvais . 581
Pontoise . 604
Moyenne de la vallée d'Oise. · 563

de même on a observé :
Millimètres.
Courbeton ( Montereau). 635
Conflans-sur-Seine près Romilly 557
Sommesous (Champagne sèche). 504
Reims ( id. ) 497

Si nous remontons vers les points élevés du bassin, nous


trouvons :

Mètres. Millimètres.
Settons (Nièvre) . Altitude 597 Harteur de pluie 1837
Paunetière (id.) 277 936
Saulieu 539 1003
Pouilly 396 824
Grosbois. 412 864
Chanceaux (Côte- d'Or) . >> 1009
Langres (sur le plateau) • 460 1081
Chaumont ( id.) • 350 657
DES PLUIES EN FRANCE. 195

Mètres. Millimètres.
Joinville. · » 990
Bar-le-Duc . 196 885
Côte de Biesme ( près Ste-
Ménehould ) 251 724

Les hauteurs de pluie ne sont pas exactement dans le


rapport des altitudes : il faut tenir compte de l'entourage ;
l'influence de l'altitude n'en est pas moins incontestable.
Elle est tellement dominante qu'on en observe les effets
même dans des régions d'une faible étendue. Dans le dé-
partement de la Seine- Inférieure où les pluviomètres sont
nombreux, M. Tarbé a montré que le maximum de pluie
correspond d'une part à la pointe occidentale formant
presqu'île entre la Manche et la Seine, et d'autre part à
la grande ligne de faîte séparant le versant de la Manche
du bassin de la Seine.

Pluies dans les années individuelles.

A côté des faits d'ensemble qui dominent la météorologie


et qui se traduisent dans les moyennes, se trouve toujours
l'accident qui donne à chaque année son caractère spécial.
Le bassin de la Seine qui résume à peu près les faits mé-
téorologiques de la plus grande partie de la France et dont
l'hydrométrie est aujourd'hui parfaitement connue grâce
aux travaux de M. Belgrand, va nous servir de base pour
cette étude de l'accident météorologique. Les nombres
suivants sont extraits du résumé des observations centra-
lisées par le service hydrométrique du bassin de la Seine
par MM. Belgrand et Lemoine ( 1 ).

(1) Annuaire de la Société météorologique de France, tome XVI.


196 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

PLUIES DE L'ANNÉE 1867.


Hiver. Printemps. Été. Automne.
Les Settons . 748 497 416 296
Paunetière. 286 283 223 168
Saulieu • 349 302 285 155
Pouilly 227 229 247 151
Auxerre . 203 186 152 86
Châtillon-sur-Seine. 268 250 159 138
Montbard . 275 272 196 115
Langres . 410 320 199 155
Chaumont. 311 329 183 138
Vitry-le-Français . 218 223 160 103
Bar-le- Duc • · 334 237 179 171
Reims 87 155 160 103
Sommesous 133 138 140 98
Hirson. 177 197 155 110
Laon. 183 224 172 137
Paris (moyenne des 8 stations). 129 213 182 135
Rouen .. 230 215 213 175
Fatouville . 268 288 240 164
Moyennes. 268 253 203 144

Si nous comparons cette répartition des pluies avec la


répartition générale indiquée dans les fig. 38 et 39 , nous y
trouvons une différence notable. Le maximun des pluies
oscille généralement entre l'été et l'automne dans la ré-
gion septentrionale de la France ; l'hiver y est la saison
où il tombe le moins d'eau. C'est le contraire en 1867. A
Paris, la saison où la hauteur de pluie est la plus grande
en 1867 est le printemps ; c'est l'hiver pour l'ensemble du
bassin ; le printemps vient immédiatement après . Cette
comparaison explique deux faits remarquables de l'année
1867. Les fourrages y ont été d'une abondance tout à fait-
exceptionnelle ; l'énorme quantité de pluie tombée en hiver
et au printemps en a été la cause. La même raison a main-
tenu les rivières hautes pendant toute l'année.
D'un autre côté l'automne a reçu une quantité de pluie
DES PLUIES EN FRANCE. 197

très-inférieure à la moyenne ; aussi , la période estivale des


cours d'eau s'est prolongée jusque vers la fin de décembre,
c'est-à-dire d'une manière tout à fait inaccoutumée.
Hiver. La saison d'hiver 1866-1867 se caractérise par trois
grandes crues ordinaires dépassant 4m à Paris.
Crue du 20 décembre 1866 atteignant 4m,30 ; montée 2m.
15 janvier 1867 5,60 ; montée 2m.
- 9 février 1867 5,70 ; montée 2m.

Les nappes d'eau souterraines se sont élevées partout


notamment à Paris, où un grand nombre de caves des
quartiers bas de la rive droite (rues de la Victoire, de Pro
vence, la Fayette ; boulevards Sébastopol, Haussmann , Ma-
lesherbes), ont été inondées.
Printemps. Le printemps est marqué par une quatrième
grande crue du 30 mars atteignant 4m, 90 ; montée 2,60.
Du 8 au 26 mars il était tombé :

Settons. • • 204 millim. soit 14 % de la hauteur annuelle.


Saulieu 107 10
Chatillon-sur-Seine. . 104 15
Vitry-le-Français. • • 63 10
Bar-le-Duc 80 9
Reims . 35 7
Hirson. 56 7& 8
Paris. 60 10

Ces pluies sont des phénomènes très-généraux ayant des


degrés d'intensité très-analogues dans les différents points
d'une grande partie du bassin. Dans le mois de mai les
phénomènes orageux commencent à se montrer.
Été. Les pluies se rattachent de plus en plus à des orages
concentrant une extrême intensité en des points particuliers
autour desquels on en suit plus ou moins loin la continuité.
Ces pluies sont donc très-inégalement réparties.
Automne. Les mêmes phénomènes se prolongent en
automne qui reste généralement assez sec.
198 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Evaporation sur les diverses régions de la France .

L'évaporation est la contre-partie de l'arrosement par les


pluies. Ce phénomène varie beaucoup suivant les temps
et les lieux. Si l'on considère d'abord les moyennes an-
nuelles par région , on obtient les résultats sommaires ci-
dessous, auxquels nous joignons comme termes de compa-
raison l'évaporation sur diverses contrées de l'Europe. Il
s'agit ici de l'évaporation à la surface de l'eau et non à la
surface du sol.
Millimètres.
Plaines du nord de la France. 620
Plaines de l'ouest • 680
Plateaux de la région centrale 870
France méridionale. 2230
Scandinavie ... 300
Vallée du Danube 670
Italie septentrionale • 1860
Italie du sud . 2040

La quantité d'eau emportée par l'évaporation est ainsi


supérieure dans la plus grande partie des régions à la
quantité d'eau fournie par les pluies ; mais nous rappel-
lerons que l'évaporation réelle du sol est moins élevée
que celle de l'eau et d'autant moins que le sol est plus
sec.
Si nous envisageons quelques points isolés , les différen-
ces entre l'évaporation des eaux sur ces points devien-
nent encore plus tranchées.

Milimètres. Millimètres.
Arles .. 2562 Rome . 2362
Marseille 2300 Catane 1602
Orange 2151 Genève . 1210
Bordeaux . 2044 Londres . 755
DES PLUIES EN FRANCE. 199

Millimètres. Millimètres.
Toulouse 649 Gættingue . 480
Paris 587 Manheim . 535
Montmorency 512 Stockholm • 392
Laon. 484 Copenhague 210

Si on s'en tient aux mois de mai, juin, juillet, août, on


trouve pour ces localités les nombres suivants , auxquels
nous avons joint la fraction d'évaporation des quatre mois
sur l'année entière.

Arles . 1367 ou 0,53 Rome • 1218 ou 0,51


Marseille . 1192 0,52 Catane . 741 0,46
Orange . 1243 0,58 Genève. 593 0,49
Bordeaux. 1136 0,55 Londres 391 0,52
Toulouse . 358 0,55 Gættingue. 279 0,58
Paris .. 330 0,56 Manheim 332 0,62
Montmorency 438 0,64 Stockholm.. 306 0,77
Laon 283 0,58 Copenhague .. 139 0,66

D'une manière générale l'évaporation augmente à mesure


qu'on se rapproche du midi , qu'on s'éloigne de la mer
dans l'intérieur de l'Europe , ou qu'on s'élève en hauteur
entre certaines limites. Mais , et nous insistons de nouveau
sur ce point , il s'agit ici de l'évaporation à la surface de
l'eau ou de la puissance d'évaporation de l'air. L'évaporation
réelle du sol est moindre et d'autant moindre que la surface
du sol est plus sèche ce qui tend à diminuer l'écart entre les
divers pays. Il est d'ailleurs une autre cause d'évaporation
très-active qui obéit à de tout autres lois , c'est l'évaporation
par les plantes , dont il est parlé plus loin.
DEUXIÈME PARTIE .

PHYSIQUE AGRICOLE.

CHAPITRE PREMIER.

EFFET DES VENTS SUR LA VÉGÉTATION.

Les vents modérés sont utiles en agitant les plantes ;


ils favorisent l'évaporation foliacée et la circulation de la
séve ; ils semblent fortifier leurs fibres ; ils aident à la dis-
persion du pollen et la fécondation paraît plus complète
pour les plantes qui ne sont pas entièrement abritées.
Enfin , M. de Gasparin pensait qu'ils tendent à enraciner
plus fortement les végétaux. Il observa que dans un même
champ les touffes de froment abritées du vent étaient
moins nombreuses et moins fortes que celles qui se trou-
vaient exposées à son action. Ce sont là des idées assez gé-
néralement admises et auxquelles nous ne contredirons
pas d'une manière absolue. Cependant nous inclinerions
fortement à croire que tous ces bons effets ne sont point
dus à une simple action mécanique du vent.
La plante s'alimente dans l'air par ses feuilles comme
dans le sol par ses racines. Elle puise dans l'atmosphère
le carbone de l'acide carbonique et l'azote de l'ammonia-
que et des acides azotiques et azoteux. Or ces produits y
sont très-peu abondants et seraient vite épuisés dans un
air calme. Le renouvellement de l'air amène en même
temps le renouvellement de la provision d'azote assimi-
lable qui y est contenu. On ne saurait toutefois rien dire
201
202 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

d'absolu à cet égard. Les acides azotique et azoteux se


X forment au sein de l'air sous l'action de l'électricité at-
mosphérique. Ceux qui prennent naissance dans le sol par
voie de nitrification y restent fixés ou, s'ils sont entraînés
par les pluies, ne s'évaporent point avec elles. L'agitation
de l'air ne peut donc avoir d'autre effet que de les mettre
en contact avec les appareils foliacés . Pour l'ammoniaque
et l'acide carbonique, il en peut être autrement. Leur ori-
gine est dans le sol. Les terres riches peuvent en dégager
des proportions notables qui dans un air absolument calme
restent à la disposition des plantes que ces terres nour-
rissent , tandis que l'agitation dissémine l'alcali dans l'air
ou sur les champs voisins. Il importerait de distinguer
dans l'action des vents ce qui est dû à leur force mécani-
que et ce qui est dû à une toute autre cause.
Quand dans un pays les vents soufflent habituellement
d'une même direction et avec force , les plantes en sont
gênées dans leur croissance ; elles se courbent sous le vent
et conservent cette direction inclinée même dans les temps
calmes. Les racines les plus fortes se trouvent du côté op-
posé comme pour mieux retenir au sol l'arbre penché . Le
mouvement imprimé aux fibres des plantes est -il pour
elles une cause de force ou faut-il la chercher exclusive-`
ment dans une évaporation plus active des feuilles les
plus directement frappées par le vent , ou, mieux encore ,
le plus exposées à l'action de la lumière par la position
même que leur donne le vent ?
Le chanvre cultivé dans la vallée du Rhône donne une
filasse très-grossière, tandis que dans la plaine de Grenoble
et dans la vallée du Grésivaudan elle est beaucoup plus
fine. C'est là une question de chaleur, de lumière et d'eau
bien plus que de vent, et l'on sait combien , dans un même
lieu, les années influent sur la qualité de certains produits
suivant qu'elles sont sèches ou humides.
ACTION DE LA CHALEUR SUR LA VÉGÉTATION. 203

Cependant, il est des plantes qui, par leur organisation


ne peuvent guère supporter l'action des vents un peu forts,
et auxquelles, dans les pays qui y sont exposés il faut donner
un abri. Il en est d'autres qui supportent difficilement le
contact des poussières, des grains siliceux , ou des matières
salines que le vent enlève au sol ou à la mer. En dehors
de ces faits et des ravages que des vents violents peuvent
exercer dans les récoltes arrivées à un certain degré de
développement , les qualités des différents vents importent
plus que leur vitesse.

CHAPITRE II.

ACTION DE LA CHALEUR SUR LA VÉGÉTATION.

Limites des températures nécessaires aux plantes.

Les plantes n'ont pas la faculté de produire la chaleur


dont elles ont besoin pour accomplir leurs fonctions ;
elles sont , comme nous l'avons vu précédemment, sous la
dépendance des températures de l'air et du sol où elles
vivent. Leur habitat est donc limité aux régions dans les-
quelles les fluctuations thermométriques sont renfermées
dans certaines limites variables avec les espèces ou les
variétés végétales .
Ces limites sont , toutefois, difficiles à déterminer d'une
manière précise, parce que elles varient beaucoup avec les
circonstances dans lesquelles elles se produisent. La vie
des plantes se compose, en effet, d'une série de phénomè-
nes complexes qui ne sont pas tous influencés de la même
manière par la température. Au lieu donc d'envisager en
204 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

bloc son action sur une plante en particulier, il serait


préférable d'isoler certains groupes de phénomènes , d'é-
tudier l'influence que la chaleur exerce sur eux , et de
comparer les effets observés avec les conditions climate-
riques des diverses régions du globe ou de la France.
Le degré de chaleur nécessaire aux premiers dévelop-
pements du germe varie beaucoup d'une espèce à l'autre ,
sans être toujours dans un rapport constant avec celle
qu'exige l'accroissement de la plante , sa floraison , sa
fructification . La température nécessaire à l'élaboration
des principes constitutifs du végétal n'est pas la même
que celle où s'effectue l'emploi de ces principes à l'accrois-
sement des tissus. Beaucoup de plantes , d'autre part ,
semblent prendre un accroissement normal sans pouvoir
atteindre la phase de floraison ou de fructification ; d'au-
tres manqueront dans un climat trop tempéré de certains
principes spéciaux qu'un climat plus chaud développe
abondamment en elles ; d'autres enfin, soumises à une éva-
poration trop active, manquent des qualités qu'on y re-
cherche. Ce sont là des points sur lesquels la pratique four-
nit les renseignements nécessaires en l'absence de données
théoriques suffisantes ; mais l'expérience est quelquefois
chèrement acquise.
D'une manière générale, cependant , nous pouvons dire
que le plus grand nombre des plantes ne commencent à
végéter que lorsque la température est de plusieurs degrés
au- dessus de zéro et cessent de vivre au delà de 50 degrés
centigrades. La première limite , il est vrai , semble pré-
senter des exceptions nombreuses. Les pervenches, les épa-
tiques , les pâquerettes , les ellébores noires , commen-
cent à montrer leurs boutons sous la neige. Mais ces
plantes ont fait pendant la saison chaude une provision de
principes organisés mis en réserve dans les parties sou-
terraines; elles peuvent utiliser cette réserve à la produc-
ACTION DE LA CHALEUR SUR LA VÉGÉTATION. 205

tion des fleurs sans que, à cette température de zéro degré,


leur pouvoir d'assimilation soit mis en jeu.
Certaines plantes microscopiques de la famille des al-
gues et de celles des champignons semblent cependant se
développer régulièrement sur la neige, ou du moins y
parcourir la première phase de leur existence. La tempé-
rature de 0º n'est donc pas par elle-même une limite ab-
solue au développement de toute vie végétale ; mais l'ac-
tion que cette température exerce sur l'eau , un des agents
principaux de la végétation , suffirait pour suspendre la
plupart des fonctions organiques si tout dans la nature
n'était pas coordonné d'autre part.
On rencontre également quelques traces de vie dans les
eaux de certaines sources thermales à température élevée ;
mais aux deux limites de l'échelle ces traces disparaissent
rapidement. Nous allons examiner séparément , et autant
que le permettent les données de la science , les principales
fonctions des plantes généralement répandues dans nos
climats.
Germination. - Sachs a déterminé avec soin les limites
inférieures et supérieures de la température de germina-
tion d'un certain nombre de graines. Le minimum serait
d'environ 5º pour l'orge et le blé ; il serait sensiblement
plus bas pour le trifolium pratense , medicago sativa,
ervum lens , raphanus sativus , brassica napus et rapa.
Il serait, au contraire, au-dessus de 6º pour le trapæolum
majus , et l'helianthus annuus. Il atteindrait 9 °4 pour le
phaseolus multiflora , le zea maïs ; 13º7 pour le cucurbita
pepo. Ces chiffres d'après Sachs n'ont de valeur que pour
le développement des premières parties du germe aux dé-
pens des principes élaborés contenus dans la graine. Lors-
que ces principes sont épuisés , la plante a vraisemblable-
ment besoin d'un degré de température plus élevé pour
assimiler sous l'influence de la lumière. Pour le zéa maïs ,
12
206 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

le mimosa pudica , l'assimilation ne paraît commencer


qu'au-dessus de 15°, puisqu'au-dessous ces plantes cessent
de se développer après l'épuisement des matières conte-
nues dans la graine (1 ). Ces déterminations auraient besoin
d'être précisées et étendues à d'autres plantes pour appré-
cier exactement le rôle des températures dans la végétation.
Les limites supérieures trouvées par Sachs sont très-
élevées . Des graines de zéa maïs , phaseolus multiflora ,
cucurbita pepo , germèrent en 48 heures dans un sol à
une température moyenne de 42° avec un maximum de
46°2 pendant quelques heures. Du blé germa par une tem-
pérature moyenne de 38°2, avec un maximum de 43° ; de
l'orge germa à une température de 36 à 37° ; des pois ger-
mèrent encore à 38°2 avec un maximum momentané de
42º5. Sachs ignore si, à ces températures , le germe formé
pourrait assimiler et croître..
Absorption par les racines. - Elle est liée dans de certai-
nes limites à la température. Dans le tabac et la courge
par exemple elle cesse au-dessous de 5º c. ou du moins
devient insuffisante. Nous avons vu que le peuplier bal-
samifère commence à pousser quand le sol qui entoure ses
racines est encore gelé. Certaines plantes de serre, au con-
traire, exigent que leurs racines plongent dans un sol
chauffé tels sont les Palmiers, les Pandanées , etc. La
chaleur tend à favoriser les phénomènes d'endosmose et
par conséquent, la succion des racines ; elle n'a guère de
limite que celle qui amènerait l'altération des tissus ou
des fluides végétaux.
Accroissement de la plumule. - Sachs a cherché à déter-
miner numériquement la rapidité de la croissance des ra-
dicelles et de la gemmule de diverses graines à différentes
températures , comme il avait fait pour la germination.

(1) Physiologie végétale de Sachs, traduite par Michel , p. 59.


ACTION DE LA CHALEUR SUR LA VÉGÉTATION. 207

La figure 41 représente la construction graphique de quel-


ques-uns de ses résultats obtenus avec le zea maïs , le
phaseolus multiflora , et le pisum sativum. Nous les con-
sidérons plutôt comme un essai que comme un résultat
définitif. On voit , par ces courbes , que la croissance s'ac-
célère à mesure que la température monte jusqu'à une
certaine limite passé laquelle la croissance est ralentie.
Le maximum aurait lieu vers 34° pour le maïs , vers 33 °
pour le phaseolus , et vers 27 ° pour le pisum sativum. Ces
limites sont probablement liées au degré d'humidité de
l'air et du sol , à la nature de ce dernier, à l'abondance
des matières assimilables qu'y rencontre la plante , et à
l'intensité de la lumière qu'elle reçoit.

10.

Zea Mais
Pisum Sativum
Phaseolus Multiflo.

20 25° 30° 35° 40°


Figure 41.

Assimilation. - Toujours d'après Sachs , la limite in-


férieure de la température à laquelle la chlorophylle du
phaseolus multiflora et du zea maïs commence à verdir
à la lumière est comprise entre 6° et 15°. Pour le brassica
napus et le sinapis alba, elle est également supérieure à 6º.
La limite supérieure de la température à laquelle la chlo-
rophylle verdit encore est au-dessus de 33° pour le pha-
seolus , le zea maïs , le cucurbita pepo ; elle est au-dessus
de 36° pour l'allium cepa.
208 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

La décomposition de l'acide carbonique par les parties


vertes et l'élimination de l'oxygène sous l'influence de la
lumière commencent , suivant Cloez et Gratiolet, lorsque
la température de l'eau dans laquelle plonge la plante
pour juger de l'apparition des bulles, dépasse 15°. Lors-
que la température descend graduellement au-dessous de
10°,, le dégagement du gaz disparaît. Sachs, de son côté ,
a observé un dégagement abondant de bulles de gaz dans
le vallisneria spiralis par une température de 17°5 à la lu-
mière diffuse ; à 8° les bulles étaient plus rares ; à 6° elles
avaient tout à fait cessé. Il serait important de connaître
les limites supérieures de la température à laquelle s'ar-
rête le phénomène d'assimilation du carbone et de l'hy-
drogène.

Action de la chaleur sur la végétation.

En l'absence de données plus précises, nous avons les ef-


fets observés dans les conditions ordinaires de culture. A
mesure que la température monte, si on fournit à la plante
une humidité correspondant à l'accroissement de son éva-
poration , la végétation s'accélère et devient plus luxu-
riante . Dans ces conditions, les parties herbacées et la tige
se développent largement , de nouveaux bourgeons ne ces-
sent de se former et d'éclore. Si quelques-uns fleurissent,
ils donnent peu de fleurs , la sève étant sans cesse appelée
vers le haut par l'éclosion et l'élongation de ces nouveaux
bourgeons. L'accroissement en hauteur ne se ralentit qu'à
mesure que, la température restant la même ou croissant
encore , l'humidité diminue et cesse d'être surabondante.
Alors les bourgeons fleurissent plus complétement et fi-
nissent par fructifier.
Les courbes de la figure 41 , bien que n'ayant pas toute
la précision désirable rendent cependant raison de ce
ACTION DE LA CHALEUR SUR LA VÉGÉTATION. 209

fait, signalé déjà par M. de Gasparin ( 1 ) que chaque vé-


gétal exige pour parvenir à son entier développement et à
sa maturité complète une succession de chaleur qui n'est
pas exactement exprimée par les températures moyen-
nes. Il lui faut, en outre, des moyennes de maxima propor-
tionnées aux besoins de ses organes. « En 1843, dit M. de
Gasparin, les olives n'ont pas bien mùri en Provence, elles
ont rendu peu d'huile. La température moyenne , bien
qu'un peu plus basse que dans les années ordinaires, n'ex-
plique pas ce défaut de maturité. Elle a été complète dans
des années qui n'avaient pas une moyenne supérieure ;
mais les maxima ont donné plus de 3º de moins que leur
moyenne annuelle, et 7° de moins que les années chaudes. »
Il n'y a pas là seulement une question de simple chaleur,
mais aussi de lumière.

Dommages produit par l'excès de chaleur.

Sachs a maintenu pendant 45 minutes un pied de ni-


cotiana rustica, ayant cinq à six feuilles, dans une atmo-
sphère chauffée à 45º sans que la plante ait souffert. Après
quinze minutes d'exposition dans un air chauffé à 51º, la
plante parut d'abord intacte ; mais au bout de six jours
les feuilles développées se décolorèrent un peu et les plus
jeunes périrent plus tard. La même expérience répétée sur
un grand nombre de végétaux conduisit aux mêmes résul-
tats : une température de 51 ° fut toujours mortelle en quel-
ques minutes ; une température de 2º ou 3º au dessus est
supportée pendant longtemps sans inconvénient si l'humi-
dité ne fait par défaut. La mort, quant elle est produite,
paraît occasionnée par la désorganisation des cellules végé-
tales. Les graines sèches peuvent supporter une tempéra

(1) De Gasparin, Cours d'agriculture, t. II.


12.
210 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

ture beaucoup plus élevée qu'une plante imprégnée de


sucs.
La chaleur est rarement nuisible par elle-même dans
nos climats. Dans les pays les plus chauds, c'est moins la
chaleur que le manque d'eau qui entrave la végétation
et il en est de même des coups de chaleur observés quel-
quefois dans nos pays. Cependant , un degré de chaleur
que supporte accidentellement une plante pourra compro-
mettre son existence ou modifier la nature de ses produits ,
s'il est trop prolongé ou trop répété. Il existe, pour la cul-
ture de chaque espèce végétale des climats tempérés, une
limite méridionale comme une limite septentrionale qu'elle
ne peut dépasser à moins de gagner des hauteurs qui ra-
mènent la température dans les conditions convenables.

Dommages produits par excès de froid.

Les effets du froid sur les plantes sont mieux connus


que ceux d'une chaleur extrême, parce qu'ils sont plus fré-
quents dans nos pays ; mais ces effets semblent contradic-
toires quand on ne tient pas compte des conditions dans
lesquelles ils se produisent.
Lorsque la température d'une plante descend au-dessous
de la limite où elle peut végéter, le travail vital s'arrête
d'une manière plus ou moins complète ; mais la plante
n'est pas nécessairement endommagée : le plus souvent, la
végétation reprend avec une nouvelle activité dès que la
température devient favorable. Pour amener des lésions
organiques dans la plante, il faut, d'ordinaire, un abaisse-
ment de température d'un assez grand nombre de degrés
au-dessous de la limite où elle végète, ou bien la réunion
de circonstances particulières dépendant de la phase de
végétation où la plante est parvenue , dépendant surtout
de la rapidité du dégel.
ACTION DE LA CHALEUR SUR LA VÉGÉTATION. 211

Un certain nombre de plantes originaires des pays


chauds périssent de froid, même avant d'atteindre 0°. Tels
seraient , entre autres, d'après Bierkander, le cucumis sa-
tiva et melo, cucurbita pepo, solanum tuberosum.
On attribue généralement à l'expansion de la glace au
moment où elle se forme, le mal causé aux plantes par le
froid. Cette explication n'est pas applicable aux espèces ci-
dessus ; elle ne l'est guère mieux aux espèces plus rustiques.
D'une part , l'eau possède la propriété , même quand elle
est pure, de conserver l'état liquide à plusieurs degrés au-
dessous de 0° ; elle peut même atteindre - — 10° ou 12º sans
se congeler quand elle est renfermée dans des tubes étroits,
clos et abrités des agitations de l'air. Il en est de même à
plus forte raison de l'eau chargée de matières en dissolu-
tion. Les plantes tuées par un froid de 1° ou 2° ont donc,
ainsi que les cucumis, cucurbita et solanum, généralemen
succombé sans qu'il se soit formé de glace dans leurs tissust
D'autre part , un grand nombre de plantes peuvent être
converties en un bloc de glace qui les rende fragiles comme
du verre, des aiguilles de glace peuvent même faire hernie
au dehors, et, par conséquent, avoir lacéré leurs tissus , sans
que l'individu gelé cesse de végéter régulièrement quand
la température se relève. Durant les hivers froids', on en-
tend souvent dans nos forêts des sortes de détonations ;
ce sont des arbres qui éclatent intérieurement sous l'ef-
fort de la gelée. Comme le froid et le gel n'y pénètrent que
couche par couche, les couches extérieures sont déjà ren-
dues rigides quand les parties intérieures tendent à se di-
later à leur tour : de là la rupture violente de l'arbre. Ce-
lui-ci n'en continue pas moins à vivre, et la lésion n'appa-
raît plusieurs années après, que quand l'arbre est abattu et
débité. Le vieux bois, il est vrai , n'est pas aussi facile à
désorganiser que les jeunes pousses ; mais on voit des
plantes geler et dégeler sans être endommagées, qui , tel
212 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

jour, seront tuées dans des conditions exactement pareilles,


sauf que le dégel aura été plus rapide. Il semble donc que
la mort d'un végétal par le froid soit dû bien moins à
des déchirures d'ordre purement mécanique, qu'à un phé-
nomène physiologique analogue à celui qui amène la gan-
grène dans un membre gelé, et d'autant plus sûrement
que le dégel est plus prompt. Si sur des plantes en plein
air, telles que le tabac, on touche avec le doigt chaud des
feuilles gelées , les parties qu'on a touchées se désorgani-
sent tandis que le reste de la feuille se dégelant lentement
à l'air froid ne souffre pas. Les pommes, les pommes de
terre , les raves, les têtes de choux,... peuvent geler sans
grand dommage pourvu qu'elles dégèlent avec une extrême
lenteur. D'après Sachs, les cellules des plantes gelées sont
dans un état particulier qui les rend beaucoup plus per-
méables aux liquides ; les matières albuminoïdes dont elles
sont tapissées, la cellulose dont leur membrane est formée,
se concrètent par le froid et l'eau de constitution s'en sé-
pare ; elles ont alors une grande tendance à se vider. La
plupart perdent cet état anormal quand survient un dégel
très-lent ; mais si la température se relève au point de ré-
tablir le mouvement vital avant que les cellules aient re-
pris leur état normal, elles se vident et meurent. Cette ex-
plication très-ingénieuse est très-probablement la vraie ;
le physiologiste allemand reconnaît cependant qu'elle au-
rait besoin d'être confirmée par des observations micros-
copiques directes qui manquent encore. Quoi qu'il en soit,
le dégel paraît plus à redouter que le gel lui-même ; et le
danger final est d'autant plus grand que la plante est plus
gorgée d'eau, et d'un plus faible volume. Un moment suf-
fit pour détruire le bourgeon baigné de rosée ; il faut
plus longtemps pour le rameau ; le tronc ne périt qu'après
une longue succession de froids ; la racine résiste presque
toujours. Quand sa racine est atteinte, l'arbre pousse néan-
ACTION DE LA CHALEUR $ SUR LA VÉGÉTATION. 213
moins avec assez de vigueur au printemps ; mais il se fane
et périt bientôt .

Dommages produits par les gelées blanches .

Les considérations énumérées dans la première partie


de ce livre, chapitre IV, trouvent ici leur application.
Dans les régions équatoriales, la température varie peu
d'une saison à l'autre, mais elle varie beaucoup du jour à
la nuit. Dans l'Inde on peut se procurer artificiellement
de la glace en plaçant une jatte d'eau peu profonde sur
un lit de paille peu pressée : le refroidissement par voie
de rayonnement nocturne y est très-actif pendant les nuits
sans nuages. A Rome la gelée blanche se montre quelque-
fois jusqu'en juin alors que le thermomètre de l'air s'élève
à 15º. A Orange, le refroidissement nocturne ne dépasse
pas 8°. A mesure qu'on remonte vers le nord, les hivers
deviennent de plus en plus rigoureux, mais la fluctuation
thermométrique du jour à la nuit devient de plus en plus
faible , parce que les nuits d'été sont courtes et le ciel ra-
rement d'une pureté comparable à celle des pays méridio-
naux. L'éloignement des mers augmente cette fluctuation,
leur proximité la diminue.
A Orange , de 1813 à 1830 on a éprouvé quatre gelées
blanches à la fin d'avril et au commencement de mai ,
après le développement de la feuille de mûrier ( 1 ) , de ma-
nière à gâter la feuille. Cet événement s'y produit en
moyenne une fois sur cinq ans et amène la perte d'un
quart de la récolte. C'est donc une réduction de en
moyenne par an dans la plaine d'Orange. A Paris la ré-
duction moyenne ne serait que de 4. Pour la vigne le
danger est beaucoup plus grand, parce que si la gelée

(1) Gasparin, Cours d'agriculture, t. 2, p. 67.


214 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

n'empêche pas la foliation qui s'en trouve seulement re-


tardée, elle détruit souvent la récolte en vin.
Lorsque les froids du printemps sont dus à l'action
persistante des vents du Nord, ils s'étendent sur de vastes
régions ; mais en général le mal en chaque lieu est amoin-
dri par la sécheresse qui accompagne d'ordinaire cette di-
rection du vent. Par contre le froid peut devenir très-rude
et occasionner de véritables désastres malgré la sécheresse.
Les moyens de préservation par les nuages artificiels sont
alors sans efficacité.
Lorsque la gelée blanche survient à la suite de pluies
plus ou moins abondantes, elle trouve les plantes dans un
état qui les rend plus sensibles au froid. En quelques mi-
nutes une récolte entière peut être irrémédiablement com-
promise. Le mal est alors plus ou moins localisé et sa cause
peut être combattue avec plus de succès.
La gelée blanche est le résultat du refroidissement des
objets terrestres produit par le rayonnement nocturne.
Elle suppose un ciel pur, un air modérément agité et une
température déjà un peu abaissée durant le jour . Ces con-
ditions se trouvent réalisées pour nous quand une bourras-
que traverse la France au printemps ou quand elle passe
sur l'Allemagne à proximité de notre pays.
Tant que la ligne parcourue par le centre de ces mou-
vements tournants s'étend dans la direction générale de
l'ouest à l'est en passant dans le nord , le temps reste
chaud et pluvieux. Après chaque passage le vent remonte
vers le nord-ouest, et le thermomètre baisse ; mais bien-
tôt un second mouvement tournant succédant au premier,
le vent rétrograde au sud-ouest, le thermomètre remonte
et le ciel se couvre. Cette situation est sans danger au
point de vue des gelées blanches ; mais il est rare que
dans le cours du printemps elle ne soit pas interrompue par
une situation toute différente. Dans cette saison, en effet,
ACTION DE LA CHALEUR SUR LA VÉGÉTATION. 215

l'atmosphère qui recouvre l'hémisphère nord commence


à s'échauffer d'une manière assez rapide, tandis qu'un
effet inverse se produit dans l'hémisphère opposé. Un trans-
port général de l'atmosphère a donc lieu du nord au sud
et le courant équatorial tend à s'infléchir vers le midi.
L'effet n'est pas toujours sensible dans notre pays parce
que le mouvement de transport général a, pour s'effectuer,
toute la circonférence de la terre ; mais il est rare que de
la fin d'avril au milieu de mai il ne s'accuse pas plus ou
moins dans nos régions.
Dans ces conditions, les mouvements tournants au lieu
de progresser de l'ouest à l'est, marchent du nord-ouest
au sud-est , du nord au sud , quelquefois même du nord-
est au sud-ouest, sur la France, l'Allemagne ou la Russie,
l'Autriche et l'Italie du Nord . C'est déjà là une cause d'a-
baissement du thermomètre.
De plus , à l'arrivée d'un mouvement tournant , le ther-
momètre monte tant que nous sommes placés dans son
demi- cercle méridional , là où le vent souffle des régions
sud ou sud-ouest. L'eau et la chaleur donnent une im-
pulsion à la végétation . Mais dès que le centre du mou-
vement tournant a passé au plus près de nous la scène
change, la température baisse, le ciel se découvre, le rayon-
nement nocturne devient d'autant plus actif que l'air a été
rendu plus pur par les pluies antérieures, et la gelée sur-
vient. Il est donc essentiel de surveiller de très-près l'état
du ciel et des vents pendant la période critique. L'approche
d'une bourrasque tournante est accusée par une hausse
temporaire du baromètre en même temps que la chaleur
monte et que le ciel se découvre. On croit à la venue du beau
temps : le vent est alors faible du sud, plus ou moins incliné
de l'est ou de l'ouest ; mais bientôt le baromètre baisse :
on entre alors dans le cercle d'action du disque tournant.
Le vent incline vers l'ouest ; le ciel se charge de nuages,
216 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

Le baromètre continue à descendre tant que le centre


s'approche de nous ; en même temps le thermomètre com-
mence à baisser et des grains ou des giboulées survien-
nent. Dès que le baromètre cesse de descendre , les vents
rallient l'ouest en inclinant vers le nord ; la baisse thermo-
métrique s'accélère en même temps que le baromètre
monte et que le ciel se découvre la gelée est imminente.
Ce n'est pas à dire qu'elle ne puisse apparaître que dans
ce cas ; mais c'est là une condition éminemment favorable
à sa production, pouvant la produire à elle seule et ne fai-
sant que fortifier les autres. Il importe donc de suivre at-
tentivement le baromètre, d'observer avec soin la direction
dans laquelle marchent les nuages, en s'aidant pour cette
observation de repères fixes quand il existe plusieurs cou-
ches de nuages superposés ; les plus bas ont en effet une
allure en apparence plus vive que les nuages plus élevés ,
et peuvent produire une illusion relativement à direction
suivie par les derniers. L'apparition des cirrus, nuages lé-
gers et très-élevés est une sorte de garantie quand ils vont
du sud-ouest vers le nord-est.
Il importe d'ailleurs dans cet examen de consulter aussi
l'impression que produit en nous le grand air. Cette im-
pression toutefois peut être trompeuse, et il serait préfé-
rable de coucher sur le sol à l'air libre et loin de tout abri
un thermomètre à mercure ou à alcool et de consulter ses
indications.
Les faits les plus bizarres peuvent se produire dans la
distribution du gel. De deux vignes voisines situées en ap-
parence dans les mêmes conditions, l'une peut être frappée
et l'autre épargnée. Dans la première, la gelée peut sévir
irrégulièrement et seulement par places. Les causes de
ces accidents sont nombreuses.
La température de l'air à 1 ou 2 mètres au-dessus du sol
peut ne pas descendre au-dessous de 5 ou 6 degrés de chaud
ACTION DE LA CHALEUR SUR LA VÉGÉTATION. 217

sans empêcher les plantes de geler, parce que par un ciel


pur la température des plantes peut s'abaisser à 7 ou 8 de-
grés au-dessous de la température de l'air ; mais le moindre
obstacle au rayonnement réduit beaucoup cet écart thermo-
métrique . Un voile de vapeur presqu'imperceptible à l'œil
nu gêne sensiblement le rayonnement nocturne . D'un
autre côté, à égal degré de pureté du ciel donnant lieu à
un même écart, la température des plantes descendra
d'autant plus bas que la température de l'air sera moins
élevée. Or, dans les pays dont le sol est plus ou moins on-
dulé, l'air qui se refroidit par son contact avec le sol tend
à descendre vers les points les plus bas , en suivant les di-
rections sinueuses présentées par les lignes de plus grande
pente. La température peut donc varier de plusieurs de-
grés d'un point à l'autre d'une même pièce de terre ; et
quand on est près de la limite du gel, ces variations peu-
vent en amener de correspondantes dans l'effet subi par la
plante . Supposons en même temps que l'air se trouve à une
température voisine du point de rosée, un surcroît dans la
baisse thermométrique qui devrait amener une pareille
baisse dans la température de la plante , pourra produire
un effet inverse parce qu'un nuage vaporeux se sera formé.
Les bas fonds gèlent plus souvent que les points plus
élevés, parce que l'air refroidi sur ces derniers descendvers
les premiers ; mais le contraire peut arriver, parce qu'un
abaissement trop marqué dans la température de l'air
aura fait naître dans le bas fond une brume qui aura ar-
rêté le rayonnement nocturne des plantes qui y vivent.
L'air y sera plus froid que sur le coteau , mais la plante y
sera moins froide . Ajoutons à cela que le gel n'est pas le
fait le plus dangereux et que le dégel est encore plus à
craindre s'il est trop prompt ; or des causes analogues à
celles qui ont retardé la gelée peuvent retarder le dégel
et faire passer inaperçu le premier accident.
13
218 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Dommages produits par le gel et le dégel du sol.

Les plantes peu sensibles à la gelée par elles -mêmes peu-


vent en souffrir cependant dans leur appareil radiculaire.
Le sol en gelant augmente d'autant plus de volume appa-
rent qu'il est plus compact et plus imprégné d'eau soit par
sa nature , comme les terres argileuses , soit par l'effet des
pluies antérieures. La surface du sol est soulevée et les
racines peu profondes peuvent en être rompues. Lors du
dégel, la terre se pulvérise et les radicelles superficielles
peuvent être mises à nu ou se trouver dans une terre trop
poreuse et trop peu consistante qu'il faut alors rouler pour
lui rendre la compacité nécessaire. Par contre , les gels
et dégels successifs favorisent la désagrégation des roches ,
des sables , des terres trop compactes , et ils contribuent
à renouveler les matières solubles entraînées par les eaux
ou fixées dans les récoltes précédentes.

CHAPITRE III.

ACTION DE LA LUMIÈRE SUR LA VÉGÉTATION .

Un certain nombre de plantes parasites n'exigent pour


végéter qu'une chaleur plus ou moins élevée sans l'inter-
vention de la lumière ; quelques-unes même seraient
plutôt gênées par l'action de cet agent qu'elles n'en se-
raient aidées. Ces plantes ne produisent pas de matière
organique ; elles assimilent, transforment et consomment
la matière organique formée par le sujet sur lequel elles
vivent.
Il en est de même des graines des plantes aériennes
ACTION DE LA LUMIÈRE SUR LA VÉGÉTATION. 219

pendant leur période de germination ; mais dès que les


plantules sortent de terre , la lumière leur devient aussi
indispensable que la chaleur.
Une plante verte n'augmente en poids utile qu'à la
condition de fixer du carbone, de l'hydrogène et de l'azote
pris à l'acide carbonique , à l'eau et aux produits azotés.
Or ce travail ne s'effectue que sous l'influence de la lu-
mière favorisée par une température convenable. La plante
peut croître cependant et augmenter de volume , malgré
l'insuffisance de la lumière et même dans une obscurité
complète ; mais elle le fait en utilisant la somme de ma-
tière organique élaborée sous l'action de la lumière et
mise en réserve dans ses tissus. Une fois la réserve em-
ployée la plante s'arrête et meurt. Bien plus , une portion
de cette réserve est consommée par la respiration , en
sorte que la plante , tout en augmentant de volume,
diminue cependant de poids utile : son augmentation
de poids apparent est dû à l'eau dont elle s'est impré-
gnée.
Ces faits ont été mis hors de contestation par les expé-
riences de M. Boussingault. Nous reproduisons ci-des-
sous les résultats obtenus par cet éminent agronome.
I. Dix pois, après a voir végété du 5 mai au 1er juillet dans
une chambre obscure , avaient perdu 52,9 pour cent de
leur matière organique ; les plantes avaient cependant
poussé de 1m en hauteur.

Poids
I DÉTAIL DES POIDS DES SUBSTANCES
de la
Pois. substance
Hy. Oxy-
desséchée Car- Azote. Cendres.
à 110° C. bone. drogène. gène.

Pois avant l'expérience. 28,237 1,040 0,137 0,897 0,094 0,069


Plante étiolée . . . 1, 076 0.473 0,065 0,397 0,072 0,069
Perte.. • 1 , 181 0,567 0,072 0,500 0,022 0,000
220 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

II . 46 grains de blé semés dans une chambre sombre du


5 mai au 25 juin ; plantes étiolées , 2-3 décimètres de haut.

Poids
II de la Car- Hy- Oxy.
Blé. substance Azote. Cendres.
desséchée bone. drogène. gène.
à 110° C.
Grains avant l'expérience. 15,665 0,758 0,095 0,718 0,057 0,038
Plante étiolée . . . . . . . 0, 713 0,293 0,043 0,282 0,057 0,038
Perte. · 0,952 0,465 0,052 0,436 0,000 0,000

III . Un grain de maïs , semé dans l'obscurité le 2 juin;


plante étiolée, haute, le 22 juin , de 20 centimètres .

III Poids de
la substance Carbone. Hydrogène. Oxygène. Azote. Cendres.
Maïs. desséchée.
Graine ... 0,5292 0,2354 0,0336 0,2420 0,0086 0,0096
Plante.... 0,2900 0,1448 0,0195 0,1160 0,0087 0,0100
Perte .. 0,2392 0,0906 0,0141 0.1260 +0,0001 +0,0004

IV. Le 26 juin , deux fèves furent semées dans de la


pierre ponce qui avait été chauffée au rouge et arrosée
ensuite avec de l'eau distillée. L'une fut laissée à la lu-
mière , l'autre dans l'obscurité, jusqu'au 22 juillet.
Lumière. Obscurité.
Poids de la graine .. 05,922 05,926
Poids de la plante . . 1 , 293 0, 566
Gain ... 0, 371 Perte. 0, 360

Des expériences du même genre faites par Sachs ont


conduit à des résultats semblables ( 1 ). Sachs prit dix vases
de 13 centimètres de haut sur 13 de diamètre ; il les rem-
plit de terre de jardin ; il sema , le 19 avril , dans chaque
vase 4 graines de trapæolum majus. Le 28 , les germes

(1) Physiologie végétale, p. 23.


ACTION DE LA LUMIÈRE SUR LA VÉGÉTATION. 221

sortaient de terre ; c'est alors que commença l'expérience .


Les vases furent distribués comme il suit :

(a) Deux vases furent enfermés dans une armoire tout à fait sombre.
(b) Deux vases furent placés derrière le panneau qui séparait deux
fenêtres tournées vers l'ouest. Ils ne recevaient que la lumière diffuse.
(c) Deux vases étaient apportés chaque jour à 6 heures du matin sur
la fenêtre tournée vers l'ouest et remportés à 1 heure après-midi dans
une armoire sombre. Ils recevaient ainsi durant 7 heures , chaque jour,
la lumière de la partie occidentale du ciel , jamais le soleil direct.
(d) Deux vases étaient apportés à 1 heure après-midi sur la même
fenêtre et y restaient jusqu'au lendemain matin. Ils recevaient la lu-
mière directe du soleil jusqu'à son coucher.
(e) Enfin les deux derniers vases restaient tout le temps sur la fenêtre
et recevaient à eux seuls autant de lumière que (c) et (d) réunis.

Le 22 mai, les plantes (a) et (b) commencèrent à péri-


cliter : les pétioles étaient mous ; les premières , qui ne
recevaient aucune lumière , avaient les limbes jaunes et
très petits ; les secondes , qui recevaient la lumière diffuse
de la chambre, avaient les limbes plus grands et colorés
en vert ; mais plus tard la chlorophylle se résorba , les feuil-
les se marquèrent de taches jaunes . Dans les plantes (c),
(d) et (e) toutes les feuilles étaient saines. Les plantes (a)
et (b) ne pouvant pas supporter l'expérience plus long-
temps , furent enlevées et desséchées ainsi que les plantes
de l'un des deux vases de chacun des trois autres groupes.
Voici les résultats de ce premier examen :

Poids de Longueur Longueur Surface Nombre


Dési- quatre des deux des deux Couleur de feuilles
gnation des plantes ded'une
la tige
premiers premières des feuilles visibles
plantes. desséchées pétioles. feuilles. les plus âgées. par
à 110° C. plante. plante.
(a) 05,238 0m,48 0,09 0,5 Jaunes étiolées. 4
D'abord vertes,
6678

(b) 0, 264 0, 38 0, 105 2,0 puis jaunes.


(c) 0, 3012 0, 09 0, 14 10,0 Vertes.
(d) 0, 480 0, 105 0, 15 7,5 Vertes.
(e) 1, 292 0, 076 0, 165 9,5 Vertes.
222 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Il restait un vase de chacun des trois groupes ( c) ( d) et


(e) avec lesquels l'expérience fut continuée de la même
manière jusqu'au 29 juillet. Le 22 juin , les plantes qui ne
recevaient de lumière que la moitié du jour ne montraient
encore aucun bouton ; deux des plantes recevant la lu-
mière tout le jour avaient épanoui leurs premières fleurs
qui se renouvelèrent régulièrement jusqu'au 29 juillet ;
quelques graines purent même mûrir. Dans les deux ou trois
dernières semaines , les plantes qui recevaient le soleil le
soir et restaient à l'obscurité de 6 heures à 1 heure donnè-
rent des boutons longs seulement de 3 à 6 millimètres :
ces boutons se flétrirent et périrent. Sur les plantes n'ayant
de jour que de 6 heures du matin à 1 heure du soir sans
soleil, les boutons ne dépassèrent pas 0,6, restèrent blancs
et se flétrirent . L'examen des plantes donna alors les ré-
sultats suivants :

Plantes séchées à 110 C. (c) (d) (e)


Racines... • • 0,413 0,264 1,006
Limbes des feuilles. • 1,907 1,714 3,592
Tiges et pétioles . 2,900 3,231 12,098
Fleurs et fruits . » > 3,608
Poids total . 5,220 5,209 20,304

Il est à regretter que Sachs , dans son ouvrage , ne


donne aucun renseignement sur la température et le degré
d'éclairement dans cette série d'expériences . Cette lacune
n'existe pas dans d'autres expériences que nous citons plus
loin.
De son côté , M. de Gasparin avait fait des expériences
du même genre sur trois mûriers de la même variété ,
l'un exposé de toutes parts aux rayons du soleil ; l'autre
ne le recevant que le matin et en étant privé à partir de
1 heure par l'interposition de murs élevés ; le troisième
entièrement à l'ombre et ne recevant que de la lumière
diffuse. Les feuilles de ces mûriers dépouillées de leurs
ACTION DE LA LUMIÈRE SUR LA VÉGÉTATION. 223

pétioles et desséchées ont donné , pour 1 de matières fraî-


ches :
Le premier 0,45 de matière solide.
Le second 0,36
Le troisième 0,27

Pour rendre les faits encore plus saillants , M. de Gas-


parin avait divisé une plate-bande en deux parties par une
cloison en planches s'étendant de l'est à l'ouest ; il y
avait ajouté deux ailes qui , au nord de la cloison, empê-
chaient le soleil de frapper le matin et l'après-midi. Dix
grains de fève furent semés au sud et au nord de la cloi-
son. Au midi la levée des plantes eut lieu le 1er avril ; elle
eut lieu le 7 pour les plantes du nord. Le 1er mai des bou-
tons à fleur se montrèrent sur les fèves du midi ; ils n'ap-
parurent que le 8 sur les plantes du nord.
Les plantes cueillies le 23 juin donnèrent les résultats
suivants :
Kil.
Poids des plantes du midi , en vert . . . . 1,835
du nord, 1,009 rapport 1,82
du midi , à l'état sec .. 0,581
- du nord , - 0,337 - 1,72
Nombre de gousses des plantes du midi . . 131
du nord. . 47 2,78

C'est donc principalement en herbe qu'a poussé le lot


du nord , tandis que celui du midi a donné une fructifica-
tion abondante. C'est un fait vulgaire que les plantes
d'ornement réussissent mal dans les appartements si on
ne les met pas très-près des fenêtres et même au-dehors :
on dit qu'elles manquent d'air. C'est la lumière surtout
qui leur fait défaut quand d'ailleurs elles sont suffisam-
ment arrosées .
C'est à l'influence de la lumière et à son inégale répar-
tition sur les diverses régions , soit par l'effet de l'inégale
224 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

durée des jours, soit par suite du degré variable de nébu-


losité du ciel , qu'il faut rattacher les faits caractéristiques
de leur agriculture. L'olivier improductif à Agen avec 14°
de température moyenne est fertile en Dalmatie avec 13º.
La vigne s'arrête à 12° sur les bords de la Loire et atteint
10° sur les bords du Rhin. La moisson se fait à Londres
avec une température estivale de 17° 1 , en même temps.
qu'à Upsal, qui n'en a pourtant que 15°1 . C'est à la même
influence qu'est due la richesse de la végétation alpine
comparée à celle des climats du Nord dans lesquels l'at-
mosphère a la même température moyenne ; c'est à elle
aussi qu'est due la rapidité de cette végétation comparée
à celle des vallées d'une température plus chaude.
L'énergie de la radiation solaire sur les montagnes
avait frappé de Saussure. Pour la bien constater, il fit
construire une caisse de sapin de 0,24 de longueur sur
0,22 de large et 0,24 de profondeur. Cette caisse était
doublée intérieurement de plaques de liége de 27 milli-
mètres et noircies ; elle était fermée par trois coulisses
garnies de glaces bien transparentes posées les unes au-
dessus des autres . Un thermomètre était placé au fond de
cette caisse.
Le 16 juillet, de 2 heures 12 minutes à 3 heures 12 minutes
il exposa cet appareil à la radiation solaire sur le sommet
du Cramont. Le thermomètre de la boîte monta à 87º , tandis
qu'un thermomètre extérieur placé sur ces plaques de
liége noircies et exposé au soleil montait à 26°25 et qu'un
thermomètre ordinaire placé à l'ombre marquait seule-
ment 6°25.
Le lendemain , à Courmayeur, à 1514 mètres plus bas
et aux mêmes heures, le thermomètre de la boîte monta à
86°20, celui de la plaque de liége à 33°75 et celui de l'om-
bre à 23°75. L'excès de température a donc été
ACTION DE LA LUMIÈRE SUR LA VÉGÉTATION. 225

Montagne. Vallée.
Thermomètre de la boîte. 81º,25 42°,45
Thermomètre du liége .. 20° ,00 100,00

Une autre observation faite à la Chenalette et dans la


vallée a donné

Thermomètre de la boîte. 76°,25 150,0

Organe récepteur du travail lumineux.

Les cellules à chlorophylle qui constituent les parties


vertes des plantes sont les organes chargés de recevoir le
travail lumineux et de l'employer à la formation des prin-
cipes organiques que la plante a mission de constituer.
Le dégagement d'oxygène, conséquence de l'assimilation,
ne s'accomplit que dans les cellules à chlorophylle isolées
ou réunies en tissus , et jamais dans les autres parties de
l'organisme qui dégagent au contraire de l'acide carboni-
que. M. Cloëz a démontré que les feuilles de couleurs di-
verses qui éliminent de l'oxygène ne le doivent qu'aux
grains de chlorophylle qu'elles contiennent.
Les grains de chlorophylle destinés à utiliser le travail
lumineux se développent à leur tour sous la même in-
fluence. Un petit nombre de plantes peuvent verdir à une
lumière presque nulle ; mais, pour la plupart, les grains ne
se développent entièrement que sous l'action d'une lu-
mière assez intense. Cette lumière nécessaire n'est cepen-
dant pas suffisante ; il faut y joindre une température
convenable.
Pendant le mois de juin si froid de l'année 1862 , beau-
coup de plantes vivant en pleine terre végétèrent mal.
Les feuilles restèrent jaunes et ne verdirent que postérieu-
rement par un temps plus chaud. Toutefois comme à cette
13.
226 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
indication il n'en est joint aucune autre concernant le
degré de lumière fournie aux plantes pendant ce mois ,
on n'en peut tirer aucune conclusion précise. Les expé-
riences qui suivent sont plus probantes, bien que là encore
les mesures d'éclairement fassent défaut.
Sachs exposa à la lumière de jeunes individus étiolés
de diverses plantes. Les conditions de températures étant
différentes , il obtint les résultats suivants :

Phaseolus multiflorus , de 30° à 33°, verdissement en quelques heures ,


mais à la lumière seulement.
de 17° à 20°, verdissement beaucoup plus lent.
de 8° à 10°, aucune trace de verdissement après
7 heures de lumière.
au-dessous de 6º, rien , après 6 jours d'exposition à
la lumière.
Zéa maïs, de 24° à 35°, aucune coloration dans l'obscurité. A la lumière
faible d'une chambre, forte coloration en 7
heures.
de 16° à 17°, traces visibles au bout de 5 heures.
de 13° à 14°, rien encore au bout de 7 heures.
au-dessous de 6º, quinze jours de lumière sans aucune action.
Brassica napus, de 13° à 14°, sur la fenêtre , verdissement au bout de
24 heures.
de 3º à 5º, coloration sensible au bout de 3 jours. Co-
loration complète en 7 jours.
Allium cepa au sortir de l'oignon.
de 0° à 9º4, aucune coloration après 9 heures en plein air.
à 15°, coloration vert-clair au bout du même temps.
de 20° à 30°, vert foncé dans le même temps à l'intérieur de
la chambre, d'autres plantes ont donné des
résultats analogues.

Les rôles distincts de la chaleur et de la lumière sont


ainsi nettement mis en évidence ; ils varient d'ailleurs avec
les espèces .
Ainsi qu'on devait s'y attendre , d'après ce qui précède ,
la chlorophylle exerce un pouvoir absorbant très-intense
sur les rayons lumineux , et surtout sur les rayons les plus
ACTION DE LA LUMIÈRE SUR LA VÉGÉTATION. 227

réfrangibles du spectre , bleus , violets , ultra-violets . Elle


réfléchit la lumière verte et laisse passer le rouge. Sachs
en regardant par transparence , dans son diaphanoscope,
des feuilles superposées en nombre variable de différentes
plantes, les vit colorées d'abord en vert sous une épaisseur
faible , puis en rouge sous une épaisseur plus grande. Les
feuilles des plantes viennent mal en photographie ; elles
absorbent tous les rayons actifs qui dépassent l'épaisseur
de leur épiderme. Cependant , malgré ce pouvoir électif
qu'elles exercent sur les rayons les plus réfrangibles , ce
sont encore les rayons les plus éclairants et les plus abon-
dants qui produisent l'assimilation et le verdissement le
plus rapides.
L'action en quelque sorte créatrice de la lumière ne
s'exerce que sur la chlorophylle vivante. La chlorophylle
extraite des feuilles par l'alcool jaunit vite à la lumière
solaire et , plus lentement , à la lumière diffuse. Les rayons
les plus éclairants du spectre sont ici encore les plus ac-
tifs.
La chlorophylle vivante se résorbe , dans les tissus vi-
vants lorsque la lumière fait défaut , et même quand la
lumière est fournie en quantité insuffisante ; enfin , sous
l'action d'un soleil ardent , la coloration verte de certaines
plantes pâlit pour reprendre son intensité normale dès
que la lumière faiblit. Nous trouvons donc là en présence
deux forces opposées , dont la réunion constitue le phéno-
mène d'assimilation : une force qui tend à produire la
chlorophylle chargée de recevoir le travail lumineux, une
force qui tend à utiliser ce travail par la transformation
de l'organe qui l'a reçu. C'est cette mutabilité de la chlo-
rophylle qui en fait un organe essentiel de nutrition des
végétaux.
Les fleurs , les fruits , et généralement toutes les parties
non colorées en vert dans les plantes se développent dans
228 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

des conditions différentes ; elles n'assimilent pas , ne pro-


duisent pas , elles transforment et consomment. Ces par-
ties se forment aux dépens des principes organisés sous
l'influence de la lumière et mises en réserve dans la plante.
C'est ainsi que se développent sous terre les boutons de
hyacinthe orientale , de tulipe , de crocus , d'iris... qui
peuvent donner des fleurs parfaites dans une obscurité
complète. Ces fleurs ont puisé leur substance dans le bulbe
ou tubercule; mais si la lumière fait défaut aux feuil-
les , la provision épuisée ne se renouvelle pas et la plante
meurt.
De même quand une fleur à feuilles vertes a préparé ses
boutons , l'obscurité n'arrêtera pas le développement de
ceux-ci, si la plante a pu faire une provision suffisante des
produits que la fleur lui demandera. Après la floraison ,
la plante replacée à la lumière ne périra pas si la fleur ne
l'a pas trop épuisée et si elle peut réparer le temps perdu
pour reconstituer sa réserve. Sous ce rapport , la plante
se comporte comme l'animal qui peut vivre de sa propre
substance , dans certaines conditions et certaines limites ,
et quand l'alimentation est nulle ou insuffisante. De là
l'influence si variée que la répartition de la chaleur et de
la lumière dans le cours de l'existence d'une plante exerce
sur les différentes espèces. Pour les unes à réserve faible ,
la chaleur et la lumière doivent croître à mesure que la
plante formant ses fleurs et ses fruits doit fournir à une
consommation plus abondante. Pour les autres à forte ré-
serve , c'est après la floraison que l'assimilation se déve-
loppe pour fournir à la fructification et préparer les ma-
tériaux de la floraison suivante.
Nous devons rappeler ici que sous le nom de lumière
nous n'entendons pas seulement celles des radiations so-
laires qui impressionnent l'œil. Les rayons que nous en-
voie le soleil étant dispersés par le prisme donnent un
ACTION DE LA LUMIÈRE SUR LA VÉGÉTATION. 229

spectre beaucoup plus allongé que la partie visible pour


nous. Les moins réfractés impressionnent fortement le
thermomètre alors que l'œil humain n'en est pas affecté ,
ne serait-ce que parce que ces rayons sont en grande partie
arrêtés par les humeurs de l'œil. Les plus réfractés sont
déjà invisibles pour nous qu'ils impressionnent encore les
plaques daguerriennes ou les substances photographiques.
On dit que le soleil nous envoie des rayons lumineux, des
rayons calorifiques et des rayons chimiques. Ce ne sont
pas trois espèces de rayons : ce sont trois aspects sous les-
quels on peut les envisager d'après les effets qu'ils pro-
duisent dans telle ou telle circonstance déterminée . Nous
aurions dû dire , au lieu de lumière , radiations solaires si
nous n'avions préféré ne pas nous écarter du langage or-
dinaire.

Mesure des radiations solaires.

Ces radiations solaires qui jouent dans nos champs


un rôle essentiel et qu'il serait si utile d'évaluer d'une
manière précise, ont été déjà l'objet d'études nombreu-
ses. On a proposé et mis en pratique pour mesurer leur
quantité des procédés divers que nous allons passer ra-
pidement en revue. Les instruments employés sont les
actinomètres.
Nous avons déjà parlé des expériences de Pouillet sur
la chaleur solaire. L'actinomètre dont il faisaitusage et qu'il
nommait aussi pyrhéliomètre, se compose d'une boîte cir-
culaire à fond plat, pleine d'eau, dont l'un des fonds est
noirci au noir de fumée. Un thermomètre dont le réser-
voir plonge dans l'eau de la caisse en indique la tempéra-
ture. L'appareil est exposé au soleil pendant cinq minutes
de manière que les rayons tombent d'aplomb sur le fond
noirci de la boîte. On note le nombre de degrés dont la
230 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
temperature de l'eau s'est élevée sous l'action solaire,
puis, pour corriger le résultat obtenu du refroidissement
produit par le contact de l'air, on intercepte les rayons so-
laires par un écran et on note de combien la température
baisse pendant cinq autres minutes .
L'appareil de Pouillet , très-exact , a cependant l'incon-
vénient d'exiger un temps assez long pour l'observation
et quelques calculs pour en déduire le résultat cherché.
Ce n'est point un instrument d'observation courante , et
s'il donne le rayonnement direct du soleil, il ne fait pas
la part des rayons diffusés par l'atmosphère ; or les uns et
les autres ont leur importance dans la végétation.
M. de Gasparin a substitué à la caisse du pyrhéliomètre
qu'il faut orienter à chaque observation , une sphère en
bois ou en métal noircie extérieurement, et à l'intérieur de
laquelle se trouve un thermomètre. Cette sphère exposée
en plein air, dans un lieu non abrité est toujours prête
pour l'observation. Il en est de même d'un thermomètre
à réservoir sphérique également noirci, et qui, couché ho-
rizontalement ou mieux encore placé verticalement , le ré-
servoir en haut , présenterait constamment ce réservoir
aux rayons du ciel.
Cet appareil a l'inconvénient que l'enveloppe ou le ré-
servoir dont on mesure l'échauffement est exposé à l'ac-
tion des vents qui , suivant leur force, tendent à réduire
l'échauffement. Il est difficile d'apprécier l'erreur qui en
résulte. En l'absence d'actinomètres plus précis, les résul-
tats obtenus par M. de Gasparin ou rassemblés par lui de
divers points de l'Europe, méritent déjà de fixer l'atten-
tion.
Nous les résumons dans le tableau suivant :
RADIATIONS
MOYENNES
HEURES
24
DES
DIVERS
LES
PENDANT
L'ANNÉE
DE
.MOIS

ars
A.MJanv
Fvril
évr .Mai Juin
. Août Oct.
Sept.
.Juillet Déc
.Nov.
Orang
. e 1,09
1,52
2,18 3,10
3,06 3,95 4,21
3,69 2,16 1,50 1,25
3,46
Versailles 1,09
0,49
1,91 3,06
2,76 2,51
3,25
2,39 2,79 1,72 1,11 0,42

Bruxelles
.. 0,93
1,51
1,94 2,33
3,30 4,05 4,06 2,63 3,35 1,93 1,06 0,31
Saint
P-. étersbourg 0,94
0,05
0,29 3,02
1,67 3,76 4,78 3,82 2,90 1,31 0,22 0,00
Bernard
Saint
.du
Hospice 2,73
4,03
3,35
5,25 1,87 4,31 4,83 4,07 3,75
4,77 2,67 2,54
Lougan 0,46 0,94
1,73
4,35
2,60 5,73 6,34 6,06 2,11
4,06 1,08 0,44
.
Tiflis 2,35 2,13
3,18 4,02 4,18 5,66 6,85 6,59 4,08 4,49 1,48
2,28
Barnaou
. l 3,63
4,75
1,14 5,49
4,61 7,15 7,47 5,43 4,74 2,47 1,12
1,29
Zlatoous
. t 3,42
2,32
3,51
1,29 3,04 5,35 5,56 4,13 2,65 1,52 0,87 1,14
Catheri
.. nbourg 3,63
2,51
1,89
0,68 3,44
3,92 4,94 3,36 2,48 1,82 0,76 0,56
.
Bogoslowsk 1,05 2,79
1,65 3,31 3,44 5,32 5,75 3,87 3,18 1,25 0,68 0,62
Nertchinsk
. >> 6,2
>> 6,0 6,8 7,4 7,4 7,6 3,9 3,3 3,9 3,0
Pékin
. 2,41 2,59 2,99 2,73 3,78 4,26 4,74 5,05 5,36 3,50 2,87 3,59
Sitk
. a 0,21 0,69 1,01
1,91
1,60 3,49 2,34 2,18 0,96
0,81 0,32 0,12
ACTION DE LA LUMIÈRE SUR LA VÉGÉTATION. 231
232 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Pour compléter ces données nous avons réuni dans le


tableau suivant les coordonnées géographiques des locali-
tés et les dates des observations ainsi que leur durée.

Latitude. Longitude. Altitude. Années d'observation.


Orange. . • 46°8' 2°18' E. 46m 1851 à 1854
Versailles. 48°48' 0°13' O. 123 1852 à 1853
Bruxelles. 51°51' 2º8' E. - 1844 à 1847
Saint-Pétersbourg. 59°57' 27°58' E. 1846 à 1848
Saint-Bernard . 44°50' 4°44' E. 2473 1852 à 1855
Lougan.. • 41°35' 37°1' E. 1844 à 1850
Tiflis .. 41°41' 42°31' E. 1845 à 1846
Barnaoul. • 53°19' 81°43' E. 1843 à 1850
Zlatooust. 55°11' 57°25' E. 1845 à 1850
Catherinbourg. . . 56°50′ 58°14' E.
Bogoslowsk · 59°35' 57°39' E. 1844 à 1850
Nertchinsk. • 51°18′ 117°1′ E. 660 1850
Pékin. 39°54' 114°9 ′ E. 1850
Sitka . 57°3' 137°38' E. 1843 à 1850 fragments .

Les résultats inscrits au tableau qui précède ne tiennent


compte que des jours de soleil ; or les jours nuageux
ou couverts sont loin d'être dépourvus de lumière et
d'être sans action sur la végétation. D'un autre côté, le dia-
mètre des boules ayant une influence marquée sur l'éléva-
tion de leur température , il en résulte une nouvelle source
de difficultés dans la comparaison des nombres. Ces nom-
bres, toutefois, peuvent donner une idée approchée de la
variation du degré d'éclairement dans les divers mois de
l'année dans chacun des localités désignées.
L'actinomètre qui est employé à l'observatoire de Mont-
souris et que divers observatoires ont adopté, soit en France
soit à l'étranger, se compose de deux thermomètres à mer-
cure , à réservoir sphérique, l'un nu , l'autre recouvert
d'une couche de noir de fumée. Chacun de ces deux ther-
momètres est renfermé dans un tube de verre terminé à
l'une de ses extrémités par un petit ballon au centre du
ACTION DE LA LUMIÈRE SUR LA VÉGÉTATION. 233

quel est placé le centre du réservoir thermométrique. Le


vide est fait dans ces appareils que l'on place côte à côte
dans un lieu bien découvert, d'où les réservoirs puissent
voir toute la surface du ciel. Les deux thermomètres mar-
chent d'accord pendant la nuit. Dès que le jour s'élève,
pendant les temps couverts ou pluvieux comme pendant
les temps clairs, la température du thermomètre noir s'élève
au-dessus de la température du thermomètre nu. On prend
la différence T-t des deux températures . Les observations
sont régulièrement faites à 6 et 9 heures du matin, à midi,
et à 3 et 6 heures du soir. Pour avoir l'éclairement moyen
du jour, on fait la somme des 5 observations et on la di-
vise par 5 .
Deux années d'observation ont permis de se rendre un
compte exact de la valeur de cet appareil actinométrique.
Si on envisage seulement les jours sans nuage et dont
le ciel est pur, on voit que les résultats obtenus concordent
avec la formule de Bouguer.

0 = Apε.

dans laquelle est le degré marqué par l'instrument,


ou la différence T-t;
A est la constante solaire , c'est-à-dire le degré que
marquerait l'instrument s'il était transporté en dehors des
limites de l'atmosphère ;
p représente le coefficient de transmission dans l'air,
dans la direction verticale. Ce nombre toujours plus petit
que l'unité est la fraction des rayons solaires qui pénétre-
raient jusqu'au sol en suivant la verticale ; 1 -p serait la
fraction de ces rayons qui seraient arrêtés en route par la
couche atmosphérique ;
ε est l'épaisseur de la couche atmosphérique traversée par
les rayons solaires, l'épaisseur suivant la verticale étant
234 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

prise pour unité. Cette épaisseur augmente rapidement


avec l'obliquité des rayons.
Pour l'actinomètre de l'observatoire de Montsouris, A =
17° 0 ; P - 0,875 ; d'ailleurs varie suivant les saisons et
les heures du jour. En appliquant la formule ainsi obtc-
nue,

Tt 17°, 0 (0,875)

au calcul des valeurs de T-t , et rapprochant ces valeurs


calculées des valeurs réellement observées, on obtient le
tableau suivant :

DEGRÉS ACTINOMÉTRIQUES , T- t , A MIDI.


Dates. Calculés. Observés. Ecarts. Valeurs de ɛ.
1873 27 janvier. 12º,2 120,2 0°,0 2,496
25 mars. 14º,0 140,0 0°,0 1,455
22 juin. 140,7 140,5 0°,2 1,106
20 juillet. 14°,6 140,5 -0°,1 1,134
25 140,6 14°,6 0°,0 1,145
31 140,6 140,5 -- 0º,1 1,161
5 août. 140,5 140,4 - 0º,1 1,177
15 - 140,4 140,4 0º,0 1,216
24 septembre. 13º,8 13º,7 0º,1 1,524
31 décembre. 11º,3 10°,7 0°,6 3,064
1874 6 février. 120,6 12º,3 0º,3 2,256
11 mars. 130,7 130,4 0º,3 1,627
21 avril. 140,4 149,7 + 0º,3 1,247
23 140,4 14°,4 0°,0 1,237
27 140,4 140,6 + 0º,2 1,217
5 juin. 140,7 149,3 - 0°,4 1,114
11 - 140,7 14º,3 0°,4 1,106
21 mai. 140,6 14º,9 + 0°,3 1,138

Dans le calcul de ces nombres, nous avons supposé p


constant ; or la transmissibilité des rayons dans l'atmo-
sphère change sans cesse avec l'état de l'atmosphère et la
quantité de vapeur qu'elle renferme. Un très-faible change-
ACTION DE LA LUMIÈRE SUR LA VÉGÉTATION. 235

ment dans la valeur de p annulerait tous les écarts du ta-


bleau. En général, ces écarts, faibles au début d'une pć-
riode de beaux jours, s'accroissent assez rapidement dans
les jours suivants, sans que les nuages apparaissent encore,
le ciel devient seulement moins bleu, plus vaporeux. En
voici quelques exemples.

T -t
Dates. Différences.
Calculés. Observés.
1873 17 février. 130,0 120,4 0°,6
18 -- 130,0 10°,7 2º,3
25 mars . 140,0 140,0 0°,0
26 140,0 130,6 0°,4
27 ― 140,0 110,6 -- 2º,4
5 août. 14º,5 140,5 0º,0
6 - 24°,5 140,4 - 0º,1
7 140,5 130,8 - 0°,7
15 - 140,5 140,4 - 0º,1
16 14°,4 13°,6 0°,8
24 septembre. 13º,9 13º,7 0º,2
25 130,9 130,5 0°,4
26 13º,9 120,9 1º,0
27 130,8 120,6 1º,2
28 13º,8 11º,3 - 20,5

Pour faire concorder les résultats calculés avec les résul-


tats observés dans la série des 25 , 26 et 27 septembre , il
faudrait prendre pour coefficient de transparence de l'air
les nombres 0,875 ; 0,857 et 0,766. L'air se chargeait gra-
duellement de vapeurs qui arrêtaient une partie des rayons
et les nuages ne tardaient pas à paraître.
Dans les jours sans nuages, le degré actinométrique ob-
servé est égal ou inférieur au degré actinométrique cal-
culė ; l'inverse a lieu d'ordinaire dans les jours nuageux,
pourvu que les nuages ne portent pas ombre sur l'actino .
mètre. En voici quelques exemples choisis parmi les jours
de ciel demi-couvert.
236 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
T -t
Ecarts.
Calculés. Observés.
1873 2 mai. 140,7 16º,7 + 2 ,C
9 --- 140,7 149,9 + 0º,2
12 - 142,8 150,6 + 0,8
18 - 140,8 16º,2 + 10,4
26 140,8 140,9 + 0º,1
9 juin. 140,9 150,5 + 0°,6
10 140,9 16°,6 + 1º,7
16 142,9 140,8 0º,1
20 14°,9 16º,3 + 1°,4
26 140,9 150,8 + 0°,9
L'écart dépend de la nature et de la position des nua-
ges. Il est dû à ce que les rayons interceptés par les nua-
ges et dont sont privés les lieux ombragés par eux, sont
diffusés dans tous les sens et s'ajoutent aux rayons qui
parviennent directement du soleil dans les autres lieux.
Dans l'ombre même des nuages le degré actinométrique
est notablement réduit. Le tableau suivant montre dans
quelles limites ce degré peut varier. Nous avons choisi le
mois de mai et l'heure de midi.

VALEURS OBSERVÉES DE T - t , A MIDI , EN MAI 1874.


Dates. T -t Ciel. Dates. T -t Ciel.
1 16º,3 Nuageux. 16 9º,1 Couvert.
150,6 Couvert. 17 12º,9 Couvert .
3 16º,3 Très-nuageux. 18 5º,0 Couvert.
4 15º,3 Couvert. 19 15º,2 Très-nuageux.
5 15º,1. Couvert , pluie. 20 140,5 Nuageux.
6 16º,5 Très-nuageux. 21 140,9 Sans nuages .
7 5º,2 Pluie. 22 1º,6 Pluie.
8 7°,7 Pluie. 23 110,5 Couvert.
9 7°,8 Couvert. 24 2º,8 Pluie, orage.
10 12º,2 Très-nuageux. 25 9º,2 Couvert.
11 140,7 Très-nuageux. 26 14°,4 Très-nuageux.
12 120,7 Très-nuageux. 27 15°,5 Très - nuageux.
13 2º,2 Pluie. 28 10°,9 Très-nuageux.
14 16º,4 Très-nuageux . 29 170,0 Très- nuageux.
15 4º,6 Pluie. 30 15º,2 Nuageux.
SOMME DE CHALEUR ET DE LUMIÈRE NÉCESSAIRE. 237
On remarquera sans doute le résultat du 29 jour, où le
degré actinométrique s'est élevé à 17 comme au delà des
imites de l'atmosphère .
L'action solaire est évidemment toujours la même en
dehors de l'atmosphère. Si donc la constante solaire
change , ce ne peut être que du fait de l'actinomètre et
de ses dimensions variables d'un modèle à un autre. On
peut rendre ses indications comparables en tous lieux en ra-
menant cette constante à une valeur uniforme, 100 par
exemple , ce que nous ferons en multipliant tous nos ré-
sultats par 5,88, quotient de 100 divisé par 17. Cette opé-
ration toutefois n'a de valeur que si on opère sur la même
variété d'actinomètres. L'actinomètre de M. de Gaspa-
rin , par exemple , recevant directement les rayons solaires
sur une surface noire , sans interposition d'une lame
de verre, se prêterait mal à ce genre de réduction. L'acti-
nomètre de l'observatoire de Montsouris élimine en effet
les rayons de chaleur obscure qui ne traversent pas le verre
et qui sont aussi arrêtés en plus forte proportion que les
autres par l'atmosphère. La constante atmosphérique p
sera donc un peu plus forte pour nous que pour M. de
Gasparin et aussi que pour M. Pouillet, dont le pyrhélio-
mètre ordinaire n'était, non plus, garanti par aucune lame
de verre. En effet, tandis que pour nous p = = 0,875 , il est
pour M. de Gasparin de 0,80 et M. Pouillet lui attribue
une valeur variable de 0,75 à 0,82.
Nous avons réuni dans le tableau suivant les moyens
degrés actinométriques mensuels observés à Montsouris
de juillet 1872 à juin 1874. Nous y avons joint les degrés
actinométriques moyens, déduits du calcul. Le même ta-
bleau donne en outre les rapports des deux séries de nom-
bres.
238 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

DEGRÉS ACTINOMÉTRIQUES MOYENS


Rapports en
Observés en
Calculés. 1872-73. 1873-74.
1872-73. 1873-74.
Juillet . ... 120,9 8",1 9º,3 0,63 0,72
Août . 120,0 6º,8 7°,6 0,57 0,63
Septembre. 99,8 5º,4 5º,3 0,51 0,54
Octobre... 7°,3 2º,9 3º,3 0,40 0,45
Novembre .. 6º,2 1º,5 20,4 0,24 0,39
Décembre . 5º,4 1º,8 1º,5 0,33 0,28
Janvier... 5º,9 2º,4 2º,2 0,41 0,37
Février. 7º,1 2º,1 32,0 0,30 0,42
Mars . 7º,8 40,4 4º,8 0,56 0,62
Avril. 11º,3 5º,2 6º,5 0,46 0,58
Mai. • 120,6 79,6 7°,9 0,60 0,63
Juin 130,0 7°,9 8°,9 0,61 0,68

La comparaison des deux dernières colonnes de ce ta-


bleau montre qu'à l'exception des mois de décembre et
janvier les rapports contenus dans la seconde colonne sont
notablement supérieurs à ceux de la première.

CHAPITRE V.

SOMME DE CHALEUR ET DE LUMIÈRE NÉCESSAIRE


AUX PLANTES .

Somme des températures moyennes .

Dès le commencement du siècle dernier, Réaumur pro-


posait d'étudier les rapports existant entre l'époque de
CHALEUR ET LUMIÈRE NÉCESSAIRES AUX PLANTES. 239

maturité d'une plante et la chaleur de l'année , et d'éten-


dre ces comparaisons aux divers climats et aux diverses
saisons. « On fait, dit Réaumur, des récoltes des mêmes
grains dans des climats fort différents ; on verrait avec
plaisir la comparaison de la somme de degrés de chaleur
des mois pendant lesquels les blés prennent la plus grande
partie de leur accroissement et parviennent à une parfaite
maturité dans les pays chauds comme en Espagne, en
Afrique, etc.; dans les pays tempérés comme en France ;
dans les pays froids comme le Nord . »
Adanson, l'abbé Cotte, Boussingault , de Gasparin ,
Quételet..... se sont occupés successivement de cet impor-
tant sujet. Les opinions sont assez divergentes sur les
bases des calculs à exécuter. Le plus grand nombre font
simplement la somme des températures moyennes des jours
écoulés depuis le réveil de la plante jusqu'à sa maturité
complète. C'est ainsi que M. Boussingault admet que le
blé exige une somme de 2000° degrés de chaleur moyenne.
Le blé commence à végéter d'une manière sensible quand
la température moyenne atteint 6°. Cette température ar-
rive en moyenne à Orange le 1er mars , à Paris le 15 mars ,
à Upsal le 20 avril. La récolte a lieu, année moyenne : à
Orange le 25 juin , à Paris le 1er août , à Upsal le 20 août.
La durée de la végétation est donc de 117 jours pour
Orange, 138 jours pour Paris , 122 jours pour Upsal.
Les sommes des degrés moyens de température corres-
pondants sont 1601 ° pour Orange , 1970° pour Paris ,
1546° pour Upsal. Ces nombres diffèrent sensiblement. La
différence devient beaucoup plus grande si on remonte
plus haut vers le nord. A Lynden près le cap Nord, à 70
degrés environ de latitude septentrionale , on a des récol-
tes de blé abondantes , dans les lieux abrités des vents de
mer. Cependant la neige n'y disparaît que le 10 juin. La
moisson se fait à la fin d'août. Le froment a poussé, fleuri
240 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
et fructifié en 72 jours pendant lesquels la somme des de-
grés de température moyenne a été de 675° seulement .
Nous résumons ces divers nombres dans le tableau sui-
vant :

Nombre Somme
Localités. de jours. des degrés.
Orange. 117j 1601°
Paris . 138 1970
Upsal. 122 1546
Lynden. 72 675

La considération des simples températures moyennes


est donc insuffisante , quand on veut l'appliquer à des ré-
gions très-éloignées l'une de l'autre. Elle est insuffisante
même quand on se borne à comparer les années successi-
ves dans un même lieu. Cependant , à défaut d'autres don-
nées plus précises , on peut encore en tirer des indications
utiles, d'abord parce que la température est par elle même
un élément important du problème , et ensuite parce que, si
on tient compte d'ailleurs de l'inégale durée des jours , la
température moyenne et le degré actinométrique moyen
sont liés entre eux d'une manière assez intime , sauf les
cas où comme en 1874 les vents des régions nord conser-
vent une prédominance anormale.
D'après une moyenne de 60 années , la somme des tem-
pératures moyennes du 15 mars au 31 juillet est de 1970.
En 1816 , le nombre de degrés moyens observés entre les
mêmes dates n'a été que de 1710 ; il en manquait 230 et
pour les obtenir il fallait remonter jusqu'au 15 août qui
lui même a été froid. La moyenne température a été en
effet de 15 °5 au lieu de 18°4. De tels écarts supposent un
temps habituellement couvert et pluvieux , auquel la lu-
mière manque plus encore que la chaleur. Non-seulement
les blés ont été en retard dans l'année 1816 , mais en
CHALEUR ET LUMIÈRE NÉCESSAIRES AUX PLANTES. 241

beaucoup de points ils n'ont pas mûri ; en beaucoup d'au-


tres ils ont germé sur pied.
En 1822 au contraire , du 11 mars au 1ºr août la somme
des degrés moyens de chaleur a été de 2270. Le nombre
moyen 1970 était atteint avant le 15 juillet.
En 1873 , la somme des degrés moyens de chaleur, du
15 mars au 31 juillet , n'était que de 1917 , mais les 15
premiers jours de mars avaient été chauds et , si on en
tient compte , on revient au chiffre moyen 1970. Toute-
fois la chaleur n'y fut pas régulièrement répartie ; les froids
d'avril et mai, joints aux coups de chaleur de juillet , nui-
sirent beaucoup aux récoltes.
En 1874 , nous trouvons un mois de mai encore plus
froid, mais mars et avril sont meilleurs. Le total des de-
grés de chaleur jusqu'au 31 juillet est de 2058 avec un
excès de 88 seulement. Mais les blés n'ont pas attendu
cette échéance du 31 juillet ; la moisson s'est généralement
faite vers le 15. La somme des degrés de chaleur des 15
premiers jours de juillet étant de 339 , qu'il faut ajouter
aux 1392 des mois précédents , donne un total de 1731
notablement inférieur au total moyen 1970. En 1874 , les
blés auront donc exigé moins de chaleur à Paris qu'en
année ordinaire. Mais nous avons vu dans le chapitre pré-
cédent que le degré actinométrique de 1874 a été plus
élevé que celui de 1873 d'une quantité équivalente à plus
de 12 jours de juillet moyen , c'est-à-dire à peu près au
nombre de jours dont les blés sont en avance.
On s'explique donc aisément les écarts présentés par le
tableau de la page 238. A Orange le ciel est plus souvent
clair qu'à Paris ; au même nombre de degrés thermomé-
triques correspond un nombre plus élevé de degrés acti-
nométriques ; ou , si l'on veut, au même nombre de de-
grés actinométriques correspond un plus petit nombre
de degrés thermométriques à Orange qu'à Paris , bien
14
242 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

que le climat d'Orange soit plus chaud que celui de


Paris.
Le même effet se produit à Upsal et à Lynden, bien que
dans des conditions très -différentes . A Upsal , les jours
d'été sont plus longs qu'à Paris. Cet accroissement du jour
est encore plus sensible à Lynden où les jours d'été ont
24 heures. Il faut ajouter que Lynden forme une sorte
d'oasis au nord de la Scandinavie. Les montagnes qui
l'entourent du côté de la mer la préservent des vents plu-
vieux et , l'été , le ciel y est habituellement d'une grande
pureté. Le degré actinométrique y est donc relativement
très-élevé.
La culture du maïs donne lieu à des considérations du
même ordre. Le maïs mûrit mal à Paris ; il mûrit bien
dans l'Alsace. La comparaison des températures moyennes
à l'ombre ne suffit pas pour expliquer cette différence.
Mais le climat de l'Alsace est moins nébuleux que celui de
Paris ; le degré actinométrique y est donc plus élevé en été
qu'à Paris. En 1836 , du maïs semé à Paris au commence-
ment de mai fut mûr le 1er novembre ; il mit près de 6
mois à arriver à maturité, après avoir reçu 2840 degrés
de température moyenne (thermomètre à l'ombre) . C'est
870 de plus que le blé. C'est également la chaleur d'une
année moyenne à Paris. Mais 1845, par exemple, n'en au-
rait fourni que 2620 dans le même intervalle. Or, dans
l'automne , la température moyenne descend très- vite au-
dessous du degré nécessaire pour la maturation du maïs
et il est difficile de gagner en temps ce qui manque à la
chaleur reçue. D'après Schwerz , de l'autre côté du Rhin le
maïs ne met que 5 mois pour arriver à maturité ; en Alsace
on l'obtint en 122 jours en 1836 ; semé à Orange au com-
mencement d'avril , on le récolte en septembre.
Des comparaisons du même genre et plus complètes de-
vraient être entreprises pour chaque plante. Tel végétal
CHALEUR ET LUMIÈRE NÉCESSAIRES AUX PLANTES. 243

exige plus de chaleur pour germer, former ses feuilles ,


épanouir ses fleurs , nouer et mûrir ses fruits , qu'il n'en
faut à un autre végétal. Les uns se contenteront de cha-
leur et de lumière diffuse , les autres voudront toujours la
lumière directe ; d'autres pourront mûrir à l'une ou à
l'autre suivant l'intensité des radiations solaires. La durée
du jour, très- variable suivant les latitudes , exerce égale-
ment une grande influence sur les progrès de la végéta-
tion et tous ces éléments concourent à différencier les
climats agricoles .

• Température au soleil.

Le juste sentiment des besoins de la végétation que


possédait M. de Gasparin l'avait conduit à rejeter la sim-
ple considération des températures moyennes à l'ombre ,
et à se rapprocher davantage de la vérité en y substituant
les températures observées au soleil.
Une même température moyenne peut d'ailleurs corres-
pondre à des allures très- différentes dans la marche des
températures pendant la période diurne. Un minimum de
0° et un maximum de 20° donnent la même demi-somme
qu'un minimum de 8° et un maximum de 12. Or ces deux
fluctuations thermométriques si distinctes devront avoir,
suivant les cas , des effets très- différents. Envisageons d'a-
bord la première hypothèse. A 0° les jeunes pousses peu-
vent être gelées ; à la même température , et jusqu'à 4°
le blé n'assimilera pas ; sa végétation sera suspendue. Mais
comme la végétation sommeille pendant la nuit , ou du
moins , comme dans l'obscurité la plante s'allonge seule-
ment aux dépens des principes élaborés pendant le jour
précédent , il en résulte que la température basse de la
nuit est sans inconvénient pour les plantes insensibles à
244 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

la gelée. La température de 20° qui succéderait à un froid


nocturne de 0°, indiquerait un ciel pur et un soleil ardent.
Les pousses saisies par la gelée périraient infailliblement ;
mais les autres végéteraient avec une grande vigueur si
l'eau ne leur fait pas défaut. Il en sera différemment dans
la seconde hypothèse. Un minimum de 8° et un maximum
de 12° supposent au contraire un ciel couvert, ou un soleil,
naturellement très-pâle comme on en trouve dans certaines
régions du nord , même par un beau temps. La gelée noc-
turne est alors inconnue et la vie des plantes est très-uni-
forme et régulière. Durant la nuit l'assimilation n'aura
pas plus lieu que par un temps plus froid sous un ciel plus
clair ; dans le jour elle sera très-modérée comme la lumière
dont elle dépend . Si la faiblesse des rayons solaires est due
seulement à une latitude élvée la végétation sera encore
modérée durant le jour ; mais comme ce jour dure 24
heures , la persistance de l'assimilation peut compenser sa
faiblesse relative. Toutefois les produits qui exigent une
grande lumière et une température élevée ne se formeront
pas ou se formeront d'une manière incomplète. Les blés de
Lynden sont loin de ressembler à ceux de la France du
nord, et encore moins à ceux d'Afrique.
Au lieu donc de prendre la moyenne température des
24 heures , il faudrait prendre celle des heures de jour et ,
de plus, multiplier cette moyenne par le temps que le so-
leil reste au-dessus de l'horizon . Encore ce calcul , pour
être rigoureux, supposerait-il que l'activité de la végétation
est proportionnelle à la température , ce qui n'est pas exact
d'après les courbes de Sachs que nous avons représentées
page 207. Il ne faudrait cependant pas , dans un sujet
où règne encore tant de causes d'incertitude , s'attacher dès
le début à une rigueur illusoire ; et si, au lieu de partir de
notre zéro purement conventionnel , on partait pour chaque
plante de la température à laquelle cette plante commence
CHALEUR ET LUMIÈRE NÉCESSAIRES AUX PLANTES. 245

à végéter, on ne s'éloignerait pas beaucoup des limites


d'exactitude que comporte actuellement le point en dis-
cussion. Cette méthode un peu laborieuse a été peu ap-
pliquée , sans doute parce qu'elle exige la connaissance
exacte de la température à laquelle la végétation com-

Paris 1838-1842
O
30

25

20

15%
Temperatures
du mur a
à 2. $ . +
O
10 delair à
a2 .

что
DJ F M A M J J A S O N D
Figure 45.

mence et que cette température n'est que très-imparfaite-


ment déterminée pour la plupart des plantes.
M. de Gasparin a proposé et appliqué une autre mé-
thode. Il a observé ou fait observer pendant 7 ans à Orange,
et pendant 5 ans à Paris , la température d'un thermomè-
tre placé à l'ombre et celle d'un thermomètre placé contre
un mur exposé au midi. Il y a joint pour Orange celle d'un
thermomètre placé au soleil sur le sol et recouvert d'une
11.
246 METEOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .
couche de quelques millimètres de sable fin . Les résultats
obtenus sont figurés par les courbes des figures 42 et43 .
Dans les deux localités , le mur a été beaucoup plus

Orange
40
1836-1842

35 +
+
O *
30
+
+
土+
25
x क
+土
*म ·

15 i+
Temperatures
du mur à2 s
Q a pas
del'air à
10
T dela surface du sol.

σ
DJ F M A M J J A S O N D
Figuro 43.

chaud que l'air à l'ombre ; mais la différence est beaucoup


plus marquée à Orange qu'à Paris, ce qui montre que
l'activité des rayons solaires est notablement plus grande
dans la première localité que dans la seconde. D'autres
CHALEUR ET LUMIÈRE NÉCESSAIRES AUX PLANTES . 247

conclusions peuvent être tirées de l'examen de ces courbes.


Pour Paris , la dépression que l'on rencontre en juin dans
la courbe des températures du mur accuse la fréquence
des nuages dans ce mois pendant la période des cinq an-
nées d'observation. Un effet analogue , mais moins pro-
noncé, se présente en mai , dans la courbe d'Orange, tandis
que mars y serait relativement très-clair.
Ces divers résultats peuvent être groupés d'une autre
manière et par saisons, ainsi que le montre le tableau sui-
vant dans lequel on a ajouté des observations semblables
faites à Preissenberg .

TEMPÉRATURE TEMPÉRATURE
DE L'AIR A L'OMBRE A 2 H. DU MUR AU SOLEIL A 2 H.

Paris. Preissenberg. Orange. Paris. Preissenberg. Orange.


Hiver.... 4º,9 0°,2 8°,4 9º,23 6º,9 199,9
Printemps . . 14",8 70,85 180,0 23º,3 150,8 320,3
Été. 22º,9 150,15 299,7 290,8 24°,2 43°,4
Automne. 140,9 5°,91 180,9 19°,7 110,8 320,6

L'excès des températures du mur à Orange sur celles de


Paris sont : hiver 10°7 , printemps 9°, été 13° 6, automne
12º9. On comprend tout ce que de semblables différences
peuvent produire sur la végétation quand l'eau ne manque
pas et que l'irrigation vient suppléer aux pluies ; mais
aussi combien doivent souffrir dans le midi les espèces qui
craignent la sécheresse et les coups de chaleur. Ajoutons
toutefois que les résultats fournis par les thermomètres
appendus à un mur au soleil , bien que précieux pour la
pratique, n'équivaudront jamais aux résultats fournis
par un bon actinomètre.
Si maintenant on substitue aux moyennes températures
à l'ombre les moyennes températures fournies par un ther-
momètre exposé au soleil , on trouve pour la maturation
du blé, 2433° à Paris et 2468 à Orange. L'égalité se trouve
248 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

rétablie pour Orange. En opérant de même pour Lynden,


on trouve 1582. L'écart est encore de 850 à 880 ; il dis-
paraîtrait à peu près complétement si on tenait compte de
l'inégale durée des jours à Orange, à Paris et à Lynden .
M. de Gasparin a fait le calcul des degrés de chaleur
nocturne qu'il faudrait retrancher du total d'Orange ; il
obtient le chiffre de 816 qui, soustrait de 2468, donne 1652
au lieu de 1582 à Lynden. On peut donc en conclure, d'a-
près M. de Gasparin, que pour amener le blé à maturité
il faut qu'il reçoive 1582º au moins de chaleur solaire.
La discussion à laquelle nous venons de nous livrer a
eu pour objet moins de donner des nombres absolus que
de rendre évidente la relation qui existe entre la durée
de la végétation sous les climats les plus divers et la somme
de chaleur et de lumière qui est départie à chacun d'eux.
Quant aux nombres eux-mêmes , il y règne une grande
incertitude parce que les méthodes employées pour les
obtenir ont été défectueuses. La température d'un mur
au soleil dépend sans doute de l'activité des rayons so-
laires , mais elle dépend aussi du degré d'agitation de
l'air et de diverses autres conditions dont il est difficile
à priori d'apprécier l'influence , telles que la hauteur du
mur, sa longueur, sa couleur, la nature des matériaux dont
il est construit et de l'enduit qui le recouvre. On peut
sans doute, avec les données de M. de Gasparin, compa-
rer entre elles des années successives d'un même lieu ,
mais moins sûrement pour des lieux différents ; or c'est cette
dernière comparaison qui offrirait le plus d'intérêt et con-
duirait aux résultats les plus féconds. Lorsque les acti-
nomètres seront plus répandus il deviendra possible de
préciser d'une manière plus rigoureuse les divers climats
et les cultures qui leur sont le mieux appropriées.
En attendant que ces données soient réunies , on peut
tirer déjà des indications utiles des résultats actinométri-
CHALEUR ET LUMIÈRE NÉCESSAIRES AUX PLANTES. 249

ques fournis par l'observatoire de Montsouris pendant les


années agricoles 1873 et 1874 , et que nous résumons dans
le tableau suivant dans lequel nous avons tenu compte de
la durée de chaque mois :

SOMME DES DEGRÉS ACTINOMÉTRIQUES MOYENS.


En 1872-73. En 1873-74.
Novembre... 450,0 720,0
Décembre.. 550,8 46°,5
Janvier . 740,4 68º,2
Février . 580,8 840,0
Mars.. 1360,4 1480,8
Avril.. 156°,0 1950,0
Mai . 235°,6 244°,9
Juin. 2370,0 267°,0
Total. 9990,0 1126°,4

Au 30 juin 1874 , les céréales avaient reçu 127,4 degrés


actinométriques moyens de plus qu'au 30 juin 1873 ;
aussi, la récolte dans l'année 1874 s'est-elle trouvée nota-
blement en avance sur l'année précédente. La moisson en
1873 a commencé dans les premiers jours du mois d'août ;
en 1874 , elle a commencé vers le 15 juillet : l'avance est
d'au moins 15 jours. Le mois de juillet 1873 , très-chaud
et très-lumineux , a donné 288,3 degrés actinométriques
moyens ; les 15 premiers jours de juillet 1874 en ont
donné 139 ; la température a été encore plus élevée qu'en
juillet 1873; mais le degré actinométrique moyen a été
moins élevé. Si nous ajoutons ces deux derniers nombres
aux précédents , nous trouvons

1287 du 1er novembre 1872 au 31 juillet 1873.


1265 du 1er novembre 1873 au 15 juillet 1874.

C'est une différence de 22 degrés en faveur de 1873 ; mais les


ensemencements gênés par les pluies se sont trouvés un
250 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

peu retardés en 1872 et très-peu de blés se trouvaient le-


vés au 1er novembre. Nous pensons donc être très-près de
la vérité en fixant à 1260 le nombre de degrés actinomé-
triques moyens nécessaires au froment depuis sa germi-
nation jusqu'à sa maturité. Ce nombre 1260 suppose que
pour l'actinomètre employé la constante solaire est de 17º.
Si on ramène cette constante à 100° , il faut multiplier
1260 par 100 et diviser le produit par 17 , ce qui donne
7412 .

CHAPITRE VI.

ACTION DE L'EAU SUR LA VÉGÉTATION .

L'action des pluies ou des eaux courantes sur la végéta-


tion est très-complexe. L'eau par elle-même est indispen-
sable à toute plante vivante. Il lui faut , pour croître et mû-
rir, une quantité déterminée de carbone , d'hydrogène, d'a-
zote et de diverses autres substances minérales ; l'air et
le sol sont chargés de les lui fournir ; les radiations so-
laires de leur côté lui apportent la somme de travail lumi-
neux nécessaire pour mettre en œuvre ces divers maté-
riaux. Mais alors même que tous ces éléments existeraient
à la portée de la plante en proportion supérieure à ses be-
soins , ils resteraient sans emploi s'il ne s'y joignait pas
l'eau nécessaire soit à leur préparation dans la terre et à
leur introduction dans l'organisme végétal , soit au trans-
port des principes élaborés des feuilles où cette élabora-
tion s'est effectuée , dans les organes destinés à leur donner
leur forme définitive.
ACTION DE L'EAU SUR LA VÉGÉTATION. 251

Les pluies sont la source ordinaire et naturelle des eaux


qui mouillent le sol. Quand elles sont insuffisantes , on y
supplée par l'irrigation partout où les ressources locales ou
l'état avancé de l'agriculture permettent de recourir à ce
précieux auxiliaire.
Mais les eaux n'agissent pas seulement par elles-mêmes ;
elles contiennent en dissolution divers produits minéraux
dont le rôle en agriculture est loin d'être négligeable. Par
contre , il n'y a pas de pluie sans nuages et les nuages in-
terceptent une notable proportion des rayons solaires. Soit
pour cette dernière cause , soit par l'évaporation du sol
qu'elles ont mouillé , soit par suite de la direction des
vents dont elles sont la conséquence , les pluies sont aussi
généralement suivies d'un abaissement dans la tempéra-
ture.
On règle à son gré les irrigations quand on peut les
pratiquer ; il faut attendre les pluies ou les subir ; car si
elles sont indispensables , elles sont souvent nuisibles
quand elles sont intempestives ou trop prolongées. Les
étés froids et humides ne sont pas toujours ceux où
il tombe le plus d'eau. De fortes averses suivies d'un
ciel clair et chaud produiront un effet tout autre qu'un
ciel couvert ou brumeux. Le sol , la saison , la plante , la
phase de sa végétation sont avec l'état général du ciel et la
température , les circonstances les plus influentes sur le
rôle des eaux dans la production végétale.
Dans les régions intertropicales , les pluies sont nette-
ment groupées sur une ou deux saisons humides alternant
avec une ou deux saisons à peu près complétement dépour-
vues d'eau pluviale. La végétation y subit de semblables
intermittences. Le sommeil des plantes y correspond à la
saison sèche au lieu de l'hiver qui n'y existe point. La zone
des déserts sans pluie n'est pas infertile par elle-même , et
les oasis se développent partout où les eaux souterraines
252 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

peuvent être ramenées à la surface pour suppléer par les


irrigations à l'extrême rareté des eaux pluviales. La cul-
ture y est toutefois spécialisée par l'élévation de la tempé-
rature , par la sécheresse habituelle de l'air et par l'extrême
rapidité de l'évaporation. Il ne suffit pas , en effet , de don-
ner de l'eau aux racines ; il faut encore que ces dernières
aient une puissance d'absorption capable de pourvoir aux
pertes effectuées par la surface des feuilles ; et il est pour
chaque plante une limite inférieure et une limite supé-
rieure à l'évaporation , limites qu'il ne faut pas dépasser
d'une manière trop prolongée, alors même que l'humidité
du sol est convenable.
En ce qui concerne les plantes des cultures ordinaires
de la France , et les conditions générales qui leur con-
viennent , M. de Gasparin estimait que , pour maintenir les
récoltes en bon état , la terre ne devait pas , à la profon-
deur de 30 centimètres , retenir moins du dixième de la
quantité d'eau qu'elle possède à l'état de saturation , et
qu'elle ne devait pas non plus en renfermer plus de 23 cen-
tièmes de cette même quantité .
La première limite est assez généralement vraie. Une
terre qui à saturation prend 50 pour 100 de son poids
d'eau, étant réduite au dixième de cette provision et ne
renfermant plus que 5 pour 100 de son poids d'eau , est in-
capable de nourrir la plupart des plantes qu'on lui confie.
Mais les diverses plantes ont sous ce rapport des aptitudes
assez diverses .
Un sol artificiel composé par Sachs d'un mélange de
sable et d'humus de hêtre pouvait retenir après l'arro-
sage 46 pour 100 de son poids d'eau.
Une plante de tabac commença à se faner lorsque le
sol en contenait encore 12,3 pour 100 : il en avait cédé 33.7
pour 100.
Une autre plante de tabac tout à fait analogue se fana
ACTION DE L'EAU SUR LA VÉGÉTATION. 253
dans la chambre pendant une nuit pluvieuse , dans un sol
argileux , lorsque cette terre qui pouvait retenir 52 % de son
poids d'eau n'en contenait plus que 8 %. Dans les deux
cas , la dessiccation du sol n'avait pas encore atteint la li-
mite indiquée par M. de Gasparin ; mais aussi les plantes
étaient placées dans des pots et leurs racines ne se trou-
vaient pas dans des conditions normales. En pleine terre,
les racines se ramifient dans tous les sens à la recherche de
l'eau dont elles ont besoin. Dans les pots , celles qui ren-
contrent les parois se trouvent arrêtées ; elles suivent les
parois qu'elles tapissent ; la consommation de l'eau y est ra-
pide surtout si le vase est poreux et c'est la portion de terre
qu'elles occupent et non la terre totale dont il faudrait me-
surer l'humidité. Une troisième plante de tabac enracinée
dans du sable quartzeux à gros grains se fana lorsque le sol
contenait encore 1,5 % d'eau alors que saturé il en rete-
nait 20,8 % , ici la limite du dixième est dépassée. Mal-
heureusement Sachs ne fait connaître ni le degré d'éclai-
rement, ni l'activité de la végétation de ses plantes , ni leur
consommation en eau ; or ce sont là autant d'éléments
essentiels dans la discussion qui nous occupe.
Une autre expérience de Sachs est intéressante à un
autre point de vue. Dans cette expérience , des pieds de
haricots restèrent verts dans un sol argileux ne recevant
aucun arrosage , mais seulement la vapeur qui s'échap-
pait d'une couche d'eau placée dans un plat voisin.
Le feuillage de la plante était à l'air libre ; le sol et l'eau
voisine se trouvaient au contraire isolés de l'air par une
cloche les recouvrant tous les deux. Ce fait montre que le
sol ne reçoit pas seulement l'eau des pluies et que si ,
dans un air sec il perd par évaporation , dans un air hu-
mide il peut condenser directement de la vapeur sans que
celle-ci ait passé d'abord à l'état d'eau pluviale. De là l'ef-
fet remarquable des rosées dans les pays chauds . On s'est
15
254 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

efforcé de mesurer la quantité d'eau que ces rosées dépo-


sent sur les feuilles afin d'expliquer par des chiffres leur
action bienfaisante : cette quantité est insignifiante si on
la compare à ce que la plante perd dans une journée par
voie de transpiration. Son action réellement efficace tient
surtout à l'acide carbonique , à l'ammoniaque et aux com-
posés nitreux qu'elle renferme. Mais si la quantité d'eau
que la rosée dépose sur les feuilles est peu abondante et
leur est peu profitable comme eau , il n'en est plus de même
de celle qu'un sol ameubli peut condenser durant les nuits
claires et humides des pays méridionaux. C'est aux racines
qu'elle profite , et c'est par ces racines qu'elle pénètre utile-
ment dans l'organisme végétal avec toutes les substances
qu'elle dissout dans le sol. C'est à cette hygroscopicité de la
terre qu'il faut attribuer la persistance de la végétation dans
des terres qu'aucune pluie ne mouille pendant de longs
mois et qui semblent complétement dépourvues d'eau. Nous
ne voulons pas dire , toutefois , que certaines plantes ne
puissent prendre de l'eau à l'air par leurs feuilles comme
elles y puisent l'acide carbonique et l'ammoniaque ; nous
croyons seulement, avec M. Duchartre, que ce n'est pas là
la voie par laquelle la plante pourvoit d'ordinaire à ses be
soins en eau.
La seconde limite posée par M. de Gasparin à l'humi-
dité du sol pour rendre la végétation facile ne nous pa-
raît pas aussi exacte que la première. Depuis bientôt huit
mois nous élevons une touffe de gazon sur un grillage en
fil de fer étamé placé au- dessus d'un vase plein d'eau sans
aucune trace de terre. La touffe est vigoureuse ; le gazon
a fleuri et fructifié sans que rien en lui indique une gêne
quelconque dans son développement. L'eau contient seu-
lement en dissolution des proportions convenables de phos-
phates et de composés azotés et alcalins. Des blés semés
dans des pots en verre ou en porcelaine et sans ouverture
ACTION DE L'EAU SUR LA VÉGÉTATION. 255

au fond, ont prospéré dans une terre gorgée d'eau chaque


soir. Si en réalité les plantes périssent dans un sol trop hu-
mide et trop longtemps humide , ce n'est donc pas par l'ac-
tion directe de l'eau, mais pour d'autres causes qui peuvent
se manifester en présence d'un excès d'eau. L'eau aspirée
par les racines doit apporter aux plantes certaines subs-
tances nécessaires à leur alimentation et qu'elle doit puiser
dans le sol. Si ces substances sont diluées dans une trop
grande masse de liquide , comme les racines ne peuvent pas
absorber au delà d'un certain volume de ce dernier, elles
manqueront des principes nutritifs sans lesquels elles ne
peuvent prospérer. L'absence de l'air dans le sol y suspen-
dra d'ailleurs la préparation de ces principes et deviendra
un nouvel obstacle à l'alimentation de la plante. Aussi
malgré la commodité qu'elle présente, l'habitude de mettre
les pots à fleurs sur un plat garni d'eau nous paraît-elle
vicieuse. L'eau se renouvelant ainsi par le bas dans la terre
y atteint toujours le même niveau , tandis que chaque ar-
rosage par la surface déplace un certain volume d'air qui
se trouve ainsi renouvelé. Mais que le sol soit suffisamment
riche en principes assimilables et ne puisse en être dé-
pouillé par des eaux superflues qui les entraîneraient au
loin , que la chaleur et la lumière ne fassent pas défaut
d'autre part et la végétation prendra un large essor.
Il en est, du reste, pour l'eau comme pour la lumière et
la chaleur. Chaque plante a ses exigences qui changent
avec les conditions extérieures de son habitat et avec sa
phase de végétation.
D'après M. de Gasparin , l'humidité sensible produite
par une pluie tombant sur un terrain sec , argilo- calcaire ,
en jachère , pénètre en un jour à une profondeur moyenne
égale à 6 fois la hauteur de la couche d'eau tombée : ainsi
une pluie de 10 millimètres pénétrerait en un jour à une
profondeur de 60 millimètres. Ce n'est que par une lente
256 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .
imbibition et d'une manière insensible qu'elle fournit de
l'humidité aux couches plus profondes. Les très-fortes
pluies tombant sur le sol plus rapidement que la terre
ne peut les absorber ruissèlent à sa surface et sont perdues
en partie pour lui. Les pluies trop faibles en été mouillent
seulement la surface et sont évaporées avant d'avoir péné-
tré jusqu'aux racines.
Dans le Midi , on estime qu'il suffit d'arroser tous les
quinze jours pendant l'été les terrains qui ne contiennent
pas plus de 20 % ou 0,20 de sable ; tous les huit ou dix
jours ceux qui en contiennent 0,40 ; tous les cinq jours
s'ils en renferment 0,60 ; enfin tous les trois jours s'ils en
ont 0,80. Ces données générales changent évidemment
avec la nature de la plante cultivée. Il est des pays en
France où il tombe de la pluie à peu près un jour sur trois ;
dans d'autres points au contraire il pleut à peine une ou
deux fois par mois d'été. Les conditions de culture sont
donc essentiellement différentes en ces diverses régions ,
surtout si dans les pays à étés secs on ne supplée pas par
l'irrigation à la disette des eaux pluviales.
Les exemples de terres arides rendues fertiles par la pré-
sence de l'eau sont nombreux en Espagne et surtout en
Afrique ; l'usage des irrigations dans la plupart des con-
trées de la France accroîtrait les produits du sol dans une
forte proportion. Les effets qu'elles produisent ont été étu-
diés avec soin par M. Hervé Mangon , soit dans le dépar-
tement de Vaucluse , soit dans les Vosges.
Dans le midi de la France , comme en Espagne et en
Italie , l'irrigation a surtout pour but de fournir au sol
l'eau nécessaire aux récoltes. On y opère sur des quantités
d'eau relativement faibles. Pendant l'année 1860 , qui a été
pluvieuse , une prairie située à Taillades (Vaucluse ) a
reçu treize arrosages de cinquante minutes environ cha-
cun. L'épaisseur moyenne de la couche d'eau déversée sur
ACTION DE L'EAU SUR LA VÉGÉTATION. 257

la prairie à chaque arrosage a été de 0m126 , ce qui donne-


rait pour les treize arrosages 164 ; en année moyenne
elle s'élève à 3m10 ; elle s'élève même à 7m3 pour les terres
plantées en légumes. Dans ces diverses conditions l'eau d'ir-
rigation apporte et laisse dans le sol de 20 à 50 kilogrammes
d'azote par hectare , alors que la récolte en enlève de 145
à 430 kilogrammes. L'irrigation ne remplace pas la fu-
mure ; et cependant , sous l'influence des treize arrosages
de la prairie plantée en luzerne , on a tiré de cinq coupes
plus de 20,000 kilogrammes de foin , c'est-à-dire à peu
près le double de ce que donnent les luzernières non ar-
rosées.
Dans l'Est , l'irrigation a lieu surtout en hiver ; on y em-
ploie d'énormes quantités d'eau qui fournissent au sol plus
d'azote que les récoltes n'en renferment. Dans un premier
essai , la prairie de Saint- Dié a reçu , de novembre 1859 à
septembre 1860 , plus de 1,500,000 mètres cubes d'eau. En
calculant approximativement la quantité d'azote contenue
dans l'eau d'entrée et dans l'eau de sortie , M. Hervé
Mangon trouve

Azote donné par l'irrigation , par hectare. 206*55


Azote de la récolte , 70 86

Quant aux matières minérales apportées , elles sont


dans tous les cas supérieures à celles des récoltes. Des
résultats analogues ont été obtenus dans une seconde
série d'essais faits sur deux prairies à Habeaurupt
(Vosges).

Azote donné par l'irrigation , par hectare. 261 *12


Azote de la récolte , 102 06

Dans le premier cas le poids de la récolte a été de


6,340 kilogrammes par hectare; il a été de 8,639 dans le
second.
258 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

97. Action des neiges sur la végétation. Dans les con-


trées méridionales , les agriculteurs se préoccupent sur-
tout de la répartition des pluies ; celle des neiges est d'une
importance tout aussi grande dans les régions du Nord ,
ou sur les sommets des massifs montagneux. Elles forment
une des sources principales de l'alimentation des cours
d'eau ; elles constituent , de plus , un abri pour le sol et les
plantes herbacées contre le refroidissement dans l'hiver ;
enfin elles renferment des quantités appréciables d'ammo-
niaque et de produits nitrés : les résultats suivants dus à
M. Boussingault ne laissent aucun doute à cet égard. Les
expériences furent faites en février 1841 sur un champ
couvert depuis un mois d'une couche de neige de 10 centi-
mètres d'épaisseur.

Température Température
de l'air.
sous la neige. sur la neige.
11 février, 5 h. du soir. ·0º,0 1º,5 2º,5
12 id. 7 h. du matin. - 3º,5 120,0 3º,0
5 h. du soir. 0°,0 10,4 + 3º,0
13 février, 7 h. du matin. -- 2º,0 8°,4 3º,8
5 h. du soir. 0°,0 - 1º,0 + 4°,5
14 février, 7 h. du matin. 0°,0 0º,0 + 2º,0

Les variations du thermomètre placé à la surface du


sol , sous la neige , ont été moindres que celles de l'air et
beaucoup moindres surtout que celles de la couche exté-
rieure de la neige. Celle-ci ne s'échauffe ni se refroidit
comme ferait le sol nu ; mais les fluctuations de température
à sa surface ne sont pas supérieures à ce qu'elles seraient
à la surface du sol nu : la couche de neige les amoindrit
pour le sol couvert ; elle empêche le gel de pénétrer aussi
profondément en terre et garantit les plantes d'un dégel
trop rapide. Par contre , quand elles sont trop abondantes
elles retardent l'action des premières chaleurs parce que
ACTION DE L'EAU SUR LA VÉGÉTATION. 259

leur surface blanche réfléchit les rayons solaires et que


la fusion en est lente quand il ne pleut pas. On hâte cette
fusion en recouvrant la neige d'une faible couche de terre
qui augmente l'absorption des rayons de chaleur et par
suite la fusion qui en résulte.
Dans le midi de l'Europe , la neige fond en tombant ou
du moins ne reste que peu de jours sur la terre , sauf sur
les hautes montagnes. Elle doit donc être considérée
comme une pluie froide tombant avec peu d'abondance et
durant tout le temps que la neige met à fondre. L'eau qui
en résulte pénètre entièrement dans la terre. Plus haut
vers le nord et surtout le nord-est , vient une région inter-
médiaire où la durée de la neige est plus longue , où quel-
quefois elle persiste tout l'hiver. Les récoltes n'y courent
des chances bien fâcheuses qu'autant qu'une année sans
neige est en même temps très-froide. Le froid peut alors
les compromettre. Plus haut encore vient la région des
traîneaux. Là , l'absence de neige en hiver est une calamité.
La carte des isothermes de l'hiver- ( fig. 44) nous permet-
tra de suivre les limites de ces trois régions. Tous les
points situés au-dessous de la ligne noire marquée du
chiffre 5º n'ont que des neiges éphémères. Tous les points
situés au-dessus de la ligne noire marquée du chiffre 0°
ont des neiges persistant tout l'hiver. Entre ces deux
lignes se trouve la région intermédiaire. Nous rappellerons
toutefois que ces lignes supposent toutes les localités ra-
menées au niveau de la mer et qu'une élévation de 150 à
200 mètres produit un abaissement de 1 degré dans la tem-
pérature moyenne. Une localité placée à une hauteur de
1,000m sur le trajet de la courbe 5º se trouvera donc dans
les mêmes conditions que si elle était au niveau de la mer
sur la courbe 0°. Il en serait de même des points atteignant
la cote de 2,000m sur la courbe de + 10° qui traverse
l'Espagne. Le sommet du Mont- Blanc, dont la hauteur est

REESEOFLIBRA
THE RY
UNIVERSITY
OF
CALIFO RNIA
260 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

de 4,000 mètres environ, a donc une température moyenne


d'hiver de - 15° comme la Russie du nord.
20

-15

-10
S
1$5
100

E
UI
ICHE
RQ
ALLEMAGNE

TU
+5

AFRIQUE
E
I
L
A
RRLE
E

CE
TEGI

E
GN
AN

PA
SAND

ES

Figure 44. 1- Lignes d'égales températures de l'hiver.


+++ Lignes d'égales températures de l'été.

Dans la Russie d'Asie, à Iakoutsk, à 127° de longitude ,


le mois d'octobre est le plus neigeux : c'est l'époque où le
QUANTITÉ D'EAU CONSOMMÉE PAR LES PLANTES. 261

courant équatorial a le plus d'ampleur vers l'est. A Bar-


naoul, à 81 ° de longitude , c'est novembre qui donne le plus
de neige; il en est de même à Nijné Taquilsk , Zlatouste ,
Catherinebourg. A Moscou, c'est janvier. A Petersbourg et
dans le reste de la zone neigeuse de l'Europe, février pré-
sente le plus grand nombre de jours de neige. Sur le Saint-
Gothard, cette époque n'arrive qu'en mars. Le courant équa-
torial se replie de plus en plus vite vers le sud et pénètre de
moins en moins dans l'est , jusqu'à ce que , au commence-
ment du printemps, il traverse la France du nord-ouest au
sud-est.

CHAPITRE VII.

QUANTITÉ D'EAU CONSOMMÉE PAR LES PLANTES .

Les chimistes se livrent chaque jour à des études mi-


nutieuses pour déterminer la nature et le poids des subs-
tances minérales qui entrent dans la composition des
plantes, afin de préciser ce que chaque nature de récolte
enlève au sol, et de permettre ainsi à l'agriculteur de four-
nir à sa terre les engrais propres à en obtenir de gros
rendements sans l'épuiser. Il est tout aussi important de
connaître le volume total des eaux que consomme chaque
récolte ; car si ce volume d'eau n'est point fourni à la
plante , les engrais deviennent superflus et quelquefois
nuisibles , ce qui occasionne une double dépense en pure
perte.
L'eau contenue dans les récoltes forme souvent une
très-forte proportion de leur noids ; elle est loin toutefois
15.
262 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

d'approcher de la quantité qui pénètre dans la plante par


les racines et s'en échappe par les feuilles après y avoir
laissé les principes nutritifs dont elle était chargée à son
entrée. Cette importante fonction de transpiration des
feuilles a été étudiée depuis longtemps par S. H. Woodward
qui vivait dans le XVIIe siècle. Ce savant physiologiste
anglais plaça diverses plantes aquatiques dans des flacons
remplis d'eau qu'on renouvelait à mesure qu'elle dispa-
raissait. Pour empêcher l'évaporation de la surface libre
du liquide , les flacons étaient recouverts d'un disque percé
d'une ouverture étroite donnant passage à la plante dont
les racines plongeaient dans l'eau. Les vases étaient ex-
posés au soleil sur une fenêtre. Les expériences durèrent
du 20 juillet 1691 au 5 octobre de la même année. Voici
les résultats obtenus dans une des séries de ces essais faits
sur des jets de menthe placés dans des eaux de diverses
provenances .

Accroissement Eau évaporée


Nature de l'eau. du poids
de la plante. totale. par gramme
d'accroissement.
Eau de source. .... 08,96 1638,6 1708
Eau de pluie. 1, 09 192, 3 176
Eau de la Tamise. 1, 66 159, 5 96

La quantité d'eau consommée pour produire un ac-


croissement de 1 gramme dans le poids de la plante a
varié de 96 à 170 suivant la nature de l'eau. L'eau de
pluie a donné lieu à la dépense la plus forte , l'eau de la
Tamise à la plus faible.
Ce résultat est encore plus accusé dans la série suivante ,
faite également sur des jets de menthe placés dans des
eaux différentes.
QUANTITÉ D'EAU CONSOMMÉE PAR LES PLANTES. 263
Eau évaporée
Accroissement
Nature des eaux. du poids pargramme
de la plante. totale. d'accrois-
sement.
gr. gr. gr.
Eau distillée . 2,624 563,39 214
Eau de Hyde Park seule 9,796 840,86 94
- avec 188 de terre ordinaire. 10,752 663,78 63
avec 188 de terre de jardin. 11,768 656,60 56
concentrée par évaporation. 6,043 278,02 46

Woodward n'a fait connaître ni la composition de ses


eaux, ni l'accroissement réel en poids sec des plantes sou-
mises à l'expérience , ce poids sec pouvant être très-diffé-
rent du poids apparent. Il n'en est pas moins très-intéres-
sant d'entrevoir que la quantité d'eau consommée par une
plante pour produire un même poids de matière organisée
varie avec la richesse en principes nutritifs des eaux qui
baignent les racines .
Malgré l'importance de ces résultats envisagés soit en
eux-mêmes, soit au point de vue de la pratique agricole ,
les physiologistes qui suivirent ne semblent pas s'en être
occupés. M. Lawes a cependant traité la même question
Woodward et dans des conditions plus rapprochées de
la pratique. Voici les résultats de ses expériences :

PERTE D'EAU TOTALE DU 19 MARS AU 7 SEPTEMBRE.


Cultivée avec engrais.
Cultivée
Plante.
sans engrais. Minéraux seuls. Minéraux et sels
ammoniacaux.
Blé • 79458 6860g 3913
Orge. 8400 8980 4357
Haricot . 7854 8246 mort.
Pois. 7620 9768 mort.
Trèfle .. 3850 3759 952
264 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Nous ignorons quel a été le poids des produits ainsi que


leur composition. Nous ne pouvons donc tirer de ces
nombres aucune conclusion précise et certaine.
Les physiologistes qui ont étudié la transpiration des
plantes se sont plus particulièrement proposé de décou-
vrir son mécanisme et les conditions de chaleur et de lu-
mière sous l'influence desquelles le phénomène a lieu. Il
faut y distinguer deux cas essentiellement différents.
Les plantes vivantes évaporent à l'air comme les plantes
mortes , comme la terre, comme un corps quelconque ren-
fermant plus d'eau que l'air ambiant. Cette évaporation a
lieu la nuit comme le jour, dans l'obscurité comme en
pleine lumière. Son activité dépend de la température , du
vent , de l'humidité de l'air, de la proportion d'eau
contenue dans la plante, du degré de perméabilité de son
épiderme c'est là un fait purement physique. Par cette
voie la plante perd incontestablement de l'eau pendant
les jours sans pluie ; elle peut en perdre aussi pendant un
certain nombre de nuits. En quelles proportions ? Nul ne
le sait , parce qu'aucune tentative , croyons-nous , n'a été
faite pour isoler l'une de l'autre les deux causes de con-
sommation d'eau par les plantes. Dans les jours pluvieux ,
dans les nuits à rosées abondantes , la plante peut gagner
au contraire si, dans le jour précédent, elle s'était suffi-
samment appauvrie.
A l'évaporation, phénomène purement physique , se
joint la transpiration , phénomène physiologique de toute
autre nature , ne se produisant que sous l'influence de la
vie et sous l'action de la lumière , phénomène indépendant
des vents et de l'état hygrométrique de l'air, et que nous
ne pouvons mieux comparer qu'au phénomène de trans-
piration cutanée chez les animaux. Quand la sueur perle
à la surface de la peau , la cause en est interne et non
externe. Sans doute si l'air est sec et agité , ces goutte-
QUANTITÉ D'EAU CONSOMMÉE PAR LES PLANTES. 265

lettes peuvent être emportées par évaporation à mesure


qu'elles tendent à se former, tandis que dans l'air immo-
bile ou saturé elles pourront grossir et ruisseler ; mais
l'excrétion de l'eau au travers des pores de l'épiderme
est étrangère à l'humidité de l'air qui en change seule-
ment l'apparence extérieure et les effets physiologiques :
la sueur évaporée à mesure qu'elle est sécrétée laissant
sur place les produits solides qu'elle tient en dissolution ,
tandis que la sueur ruisselante les emporte avec elle.
Il en est ainsi pour les plantes. Par les pores de leur
épiderme, ou mieux par leurs stomates , elles excrètent
physiologiquement de l'eau que l'air dissout à mesure
qu'elle apparaît , ou qui forme à la surface des feuilles
des gouttelettes plus ou moins volumineuses , ou qui ,
enfin , est projetée au loin par une contraction physiolo-
gique des stomates.
La transpiration cutanée des plantes , indépendante de
l'humidité de l'air, est-elle influencée par la chaleur ?
C'est probable , bien qu'aucune démonstration directe et
précise n'en ait été donnée ; mais elle est incontestable-
ment dominée par l'action de la lumière , comme l'ont
démontré les expériences de Guettard en 1748, et comme
l'ont démontré d'une manière encore plus précise les ex-
périences de M. Dehérain .
Guettard avait introduit trois branches de morelle
grimpante ordinaire ( dulcamara ) dans trois ballons de
verre fermés après l'introduction de la plante. L'un des
ballons était exposé au soleil sans aucun abri ; un second
était à l'ombre d'une serviette dont les quatre coins étaient
noués à quatre supports ; le troisième était recouvert
d'une serviette posée directement sur le verre. Du 10 sep-
tembre à 7 heures du matin jusqu'au 16 à pareille heure ,
la branche du ballon découvert avait transpiré 82 , 83 ;
elle pesait 138,45. Celle du ballon qui était à l'ombre de
266 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

la serviette pesait 135,39 ; elle avait donné par transpira-


tion 435 , 02. Celle dont le ballon était exactement recou-
vert n'avait transpiré que 148 , et elle pesait cepen-
dant 158,41 .
Je ne m'attendai pas, dit Guettard , à voir une différence
s
considérable entre les poids de la liqueur transpirée de la
branche du ballon qui était à la lumière libre et de celle
qui était seulement à l'ombre . Lorsque je vis le résultat
je m'imaginai que l'action immédiate du soleil pouvait
être nécessaire pour augmenter la transpiratio et qu'une
n
plante qui serait dans un lieu plus chaud mais privé des
rayons du soleil pourrait transpirer moins que dans un
endroit plus froid mais qui recevrait ces rayons .
M. Dehérain a opéré comme Guettard en vase clos ,
en introduisant les tiges ou les feuilles d'une plante vivant
en pot ou en pleine terre, dans un ballon ou dans un
tube de verre dont l'orifice était ensuite fermé par un
bouchon percé ou fendu pour laisser passer la tige. L'é-
vaporation y était donc négligeable, et le poids de l'eau
transpirée se traduisait par l'augmentation du poids du
vase. Voici le résumé des résultats obtenus.

Nature Tempéra- Poids Ean


Exposition.ture de la
de la plante. de la fenille . transpirée .
plante.
gr. gr.
Soleil. 28° 2,419 0,882
Nº 1 , Blé. Lumière diffuse. 22 1,920 0,177
Obscurité. 22 3,012 0,011
Soleil. 19 1,510 0,742
Nº 2, Orge. Lumière diffuse. 16 1,215 0,180
Obscurité. 16 1,342 0,023
Soleil. 22 1,850 0,718
Nº 3, Blé.
{ Obscurité. 16 2,470 0,028
Soleil. 25 1,750 0,703
Nº 4, Blé. Lumière diffuse. 22 1,810 0,060
Obscurité. 22 1,882 0,007
QUANTITÉ D'EAU CONSOMMÉE PAR LES PLANTES. 267
Les résultats contenus dans ce tableau sont d'autant
plus concluants que, dans l'expérience n° 3, la température
au soleil n'était que de 22 degrés comme à l'ombre dans
l'expérience nº 1 , et que la transpiration dans ce dernier
cas a été 4 fois plus faible que dans le premier. Dans l'obs-
curité, l'évaporation a toujours été extrêmement faible ; si
elle n'a pas été nulle , c'est que l'obscurité n'a pas été
complète et que , d'ailleurs, l'excitation lumineuse persiste
quelque temps après que la cause a cessé d'agir.
Afin de bien démontrer que la transpiration est due à
la lumière et non à la température , M. Dehérain a placé
le tube renfermant les feuilles de blé dans un manchon
traversé par un courant d'eau à température peu va-
riable , dans les environs de 15°. Au soleil, la transpiration
fut de 0,939 par heure et par gramme de feuille ; dans
l'obscurité produite par une enveloppe de papier noir,
elle ne fut que de 0,016. L'eau ayant été remplacée par
de la glace fondante , l'eau transpirée au soleil fut de
18,088 par gramme de plante. Il ne faudrait pas toutefois,
prenant à la lettre ces derniers résultats, en conclure que
le froid favoriserait la transpiration. M. Dehérain ne fait
connaître ni l'intensité ni la nature des rayons transmis
au travers de l'eau ou de la glace , et on sait que cette in-
tensité est très-variable d'un jour à l'autre ou d'une heure
à l'autre. D'un autre côté, dans une enceinte à zéro , la
plante, étant maintenue à une température plus élevée ,
par l'afflux de la séve et l'action des rayons solaires, l'éva-
poration doit reparaître, et elle doit ajouter son effet à
celui de la transpiration.
Si on rapproche ces divers résultats de l'action bien
constatée de la lumière sur le travail d'assimilation et
d'organisation des plantes , on peut en induire aisément
que la transpiration est liée d'une manière intime à l'acte
même du développement utile de la plante. Le végétal
268 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

expulse de ses tissus l'eau qui les remplit et qui y a fait pé-
nétrer les matières salines indispensables à leur organisa-
tion. Par là, elle rend possible l'introduction de nouvelles
quantités d'eau par les racines et, en même temps, de nou-
velles provisions de matières salines. L'activité de ce double
mouvement est en rapport avec l'agent qui règle le travail
d'organisation . Mais une condition nécessaire est que l'eau
ne fasse pas défaut à la plante , qu'il s'en trouve toujours
des quantités suffisantes à sa disposition.
Quelle est la quantité totale d'eau nécessaire pour pro-
duire 1 kilogr. de récolte ?
Schleiden, en opérant à Iéna, sur un mélange de trèfle
et d'avoine semé dans une caisse en tôle remplie de terre
et pesée à des intervalles déterminés , a trouvé que la
quantité d'eau évaporée du 12 avril au 19 août équi-
valait à une tranche de 0,3284 évaporée en 129 jours.
C'est une évaporation moyenne de 2,5 millimètres par
jour. Dans le même intervalle de temps, les pluies et les
rosées n'en avaient donné à la terre qu'une tranche de
0m3088. La différence 0,0196 aurait été fournie par
l'eau contenue dans la terre et dont la provision aurait
diminué d'autant, ou bien elle aurait été reprise par la
terre à l'air en vertu de son pouvoir hygroscopique .
M. E. Risler de Calèves a déduit de plusieurs années
d'expériences de laboratoire et d'observations faites sur
un champ drainé, placé dans des conditions favorables à
ce genre de recherches , les résultats suivants pour la
consommation moyenne diurne d'un certain nombre de
plantes cultivées.

CONSOMMATION MOYENNE QUOTIDIENNE D'EAU


EXPRIMÉE EN MILLIMETRES.
Luzerne , de 3,4 à 7,0
Prairies naturelles, 3,1 7,3
Avoine, 2,9 4,9
QUANTITÉ D'EAU CONSOMMÉE PAR LES PLANTES. 269
Fèves , plus de 3,0
Maïs , de 2,8 à 4,0
Blé, 2,7 2,8
Trèfle , 2,9
Seigle , 2,3
Vigne, 0,9 1,3
Pommes de terre , 0,7 1,4
Sapin , 0,5 1,1
Chêne , 0,5 0,8

Prenons pour exemple le blé , et admettons que le


nombre moyen 2,7 s'étende sur une période de temps
égale à celle de Schleiden, 129 jours. La tranche d'eau
totale enlevée au sol sera de 0,3483, nombre très-voisin
de celui de Schleiden. Dans la même période de temps , la
tranche moyenne d'eau pluviale qui tombe à Paris est de
0m,188 ; 0,150 auront donc dû être pris sur la réserve du
sol en eau. C'est le maximum qu'un sol ordinaire saturé
d'eau puisse fournir sur une épaisseur de 0,20 à 0,25 ;
il est vrai que les couches profondes cèdent toujours de
leur eau aux couches superficielles par voie de capillarité
ou de distillation , en sorte que l'emprunt portant sur une
épaisseur de terre plus grande la dessiccation du sol est
moins complète.
L'étude de la quantité d'eau consommée par les plantes
depuis la germination de la graine jusqu'à la maturité
de la récolte est l'objet d'une attention particulière à l'ob-
servatoire de Montsouris ; elle sera nécessairement très-
longue ; mais, bien que les résultats obtenus jusqu'à ce
jour ne soient pas encore définitifs et complets , ils offrent
assez d'intérêt pour que nous les résumions brièvement.
Le 28 mai 1873 , quatre touffes de blé victoria de mars ,
semé dans le parc le 21 mars , ont été transplantées dans
un seau en zinc , de 26 centimètres de hauteur sur 22 cen-
timètres de diamètre à l'orifice , sans ouverture au fond.
270 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Ces touffes se composaient ensemble de 54 tiges de blé


atteignant au moment de la transplantation une hauteur
maxima de 0,55. Un pot de même dimension et rempli
de la même terre a été placé à côté ; aucune plante n'y a
été introduite ; il était destiné à servir de témoin pour
l'évaporation du sol. Les deux pots étaient pesés chaque
jour, et chaque jour aussi on y versait un poids d'eau
égal à celui qui avait disparu depuis la veille , sauf dans
une période de cinq jours , du 16 au 20 juin, pendant la
quelle la proportion d'eau a été laissée intentionnelle-
ment moindre. Les deux pots d'ailleurs ont été placés
sous une serre-abri entièrement vitrée sur toutes ses faces
et n'interceptant qu'une très-faible proportion de lumière.
Bien que la serre fût largement ouverte à ses deux extré-
mités pendant le jour, la température y était sensiblement
plus élevée qu'au dehors et on y ressentait une impression
de chaleur en disproportion avec la température marquée
par le thermomètre, ce qu'il faut attribuer au calme re-
latif de l'air et à la diminution qui en résultait dans l'é-
vaporation cutanée. Le degré actinométrique était d'ail-
leurs noté chaque jour aux heures ordinaires.
La reprise du blé a été rapide sous l'influence d'un ciel
couvert et pluvieux ; aussi les observations régulières ont-
elles pu commencer dès le 1er juin pour être continuées
jusqu'à la récolte. Nous avons réuni dans le tableau sui-
vant les rapports calculés par périodes de cinq jours
entre l'eau perdue par la transpiration du blé d'une part et
la température ainsi que le degré actinométrique d'autre
part. En écartant la période du 16 au 20 ( *) pendant
laquelle l'humidité du sol avait été réduite , ce qui a réduit
aussi la transpiration , les rapports entre le volume d'eau
transpirée et le degré actinométrique moyen suivent une
marche très-régulière. Ils augmentent progressivement
jusqu'à la période du 26 au 30 juin qui correspond à la
QUANTITÉ D'EAU CONSOMMÉE PAR LES PLANTES . 271
Rapport
entre le poids de l'eau transpirée et
Périodes.
la température. le degré actinométrique.
Du 1 au 5 juin. 0,38 0,99
6 10 0,65 1,10
11 15 0,79 1,79
16 20 0,65 (*) 1,22 (*)
21 25 0,92 1,99
26 30 0,80 2,17
1 au 5 juillet. 0,67 1,90
6 10 0,66 1,86
11 15 0,70 1,54
16 20 0,39 0,86
21 25 0,27 0,61
26 30 0,13 0,32

floraison du blé mis en expérience , puis ils décroissent


jusqu'à la maturité , époque à laquelle la transpiration est
nulle. La végétation du blé passe donc par un maximum
d'activité qui correspond à la période de la fécondation et
de la préparation du grain. Les rapports entre la transpira-
tion et la température présentent une marche analogue.
Cela se conçoit, dans la saison où ont été faites les pesées
la température étant généralement en rapport avec le
degré actinométrique. Mais la concordance est loin d'être
absolue et des désaccords sensibles se manifestent entre les
nombres des deux séries de rapports.
Si nous passons à la consommation totale en eau, nous
trouvons que, dans les soixante jours écoulés du 1er juin
au 30 juillet, elle s'élève à 26,601 , correspondant à une
tranche d'eau de 0,667 d'épaisseur. La transpiration a
donc enlevé une tranche de 0,0111 d'eau en moyenne par
jour. C'est là un résultat excessif et hors de comparaison
avec ce qui se passe dans les cultures ordinaires de la
France. Mais avant de conclure il faut avoir égard aux
chiffres qui suivent.
272 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLE.

Le blé complétement sec a été coupé le 1er août. Il a


donné 40 épis contenant 969 grains du poids de 378,92
et d'une densité de 0,8 ou de 80 kilog. à l'hectolitre. Le
poids de la paille a été de 598,50, celui des racines de
268,47. Le poids du grain est donc de 64 pour 100 du
poids de la paille, ce qui est une proportion très-élevée et
rarement obtenue dans la pratique. D'un autre côté la sur-
face du pot étant de 0,04, un rendement en grain de
378,92 correspondrait à un rendement de 9475 kilog. , ou
de 118 hectolitres à l'hectare. Il n'est pas surprenant qu'une
récolte disproportionnée à ce que donnent les champs les
mieux cultivés ait perdu par transpiration une tranche
d'eau également anormale. Chaque tige de blé transpire
pour son propre compte. A égalité de développement de la
plante, a égalité aussi dans la température, dans le degré
actinométrique, dans le degré d'humidité de l'air et du sol,
la quantité d'eau consommée sera proportionnelle au nom-
bre des tiges ou au rendement total . Dans les conditions
de nos expériences, une récolte de 12 hectolitres à l'hec-
tare aurait pris au sol une tranche d'eau de 1mm, 13 seule-
ment par jour moyen. Une récolte de 30 hectolitres en
aurait pris 2mm, 82, ce qui est le nombre donné par M. E.
Risler. Les expériences faites en pot peuvent sans doute
conduire à des résultats en apparence étrangers aux faits
de la pratique, et cela est même inévitable ; mais en allant
au fond des choses, on reconnaît que les lois de la végéta-
tion n'en sont nullement changées. Ces lois peuvent donc
être ainsi mises en évidence d'autant plus sûrement que
l'expérimentation isole successivement et au gré de l'opé-
rateur chacun des facteurs du problème à résoudre. Que si
ensuite les résultats obtenus sont en désaccord avec la pra-
tique, c'est qu'il est des facteurs dont on n'a pas tenu
compte et qu'il faut rechercher
L'expérience que nous discutons ne nous fait pas encore
QUANTITÉ D'EAU CONSOMMÉE PAR LES PLANTES. 273
connaître la quantité d'eau qu'il faut au blé pour produire
1 kilogramme de paille ou 1 kilogr. de grain, puisqu'au mo-
ment où la plante a été mise en expérience, elle était déjà
très-développée.
Bien que la saison fut très-avancée, nous avons pu pro-
fiter de la rapidité de la végétation sous la serre abri pour
faire une expérience complète sur divers grains. Du blé,
du seigle, de l'orge, du millet, du maïs , du lin, ont été se-
més dans les premiers jours de juin dans des pots de faïence
vernis sans ouverture au fond. A côté se trouvaient des
pots semblables sans semence ; les uns et les autres ont été
couverts d'un paillis pour diminuer l'évaporation du sol
qui a été faible malgré les arrosages. Les pots ont été pesés
chaque jour et l'eau évaporée leur était restituée chaque
jour. Le blé a bien végété, sans atteindre une grande hau-
teur ; sa maturité toutefois ne s'est pas faite avec autant
d'ensemble que pour le blé semé en mars. La plupart des
épis commençaient déjà à jaunir, alors que deux ou trois
autres étaient encore en fleur. Comme le blé mûr ne trans-
pire plus, cette inégalité dans la pousse des épis n'a pas
une grande importance quant à l'évaluation de l'eau con-
sommée, mais elle exagère la durée de la végétation.
La récolte a été faite le 29 septembre ; le poids du grain
recolté a été de 55,76 , celui de la paille a été de 138,97 ,
ce qui correspond à 41 de grain pour 100 de paille : c'est
à peu près le rapport moyen.
L'eau totale consommée par la plante du 12 juin au
29 septembre a été de 10,349 , ce qui donne 1796 d'eau
pour produire 1 de grain, ou bien 525 d'eau pour produire
1 de paille et de grain réunis.
Si du poids nous passons au volume de la récolte en
grain, nous trouvons que, dans les conditions de l'expé-
rience, le blé consommerait 143,680 kilogr. d'eau pour pro-
duire 1 hectolitre de grain du poids de 80 kilogr. Ce poids
274 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

d'eau correspond par hectare à une tranche d'eau de


14mm,37 d'épaisseur. Une récolte de 12 hectolitres au-
rait donc enlevé au sol une quantité d'eau équivalente
à une tranche de 0,172 ; une récolte de 30 hectolitres
en enlèverait 0™,431 : c'est presque la totalité d'eau qui
tombe à Paris en année moyenne. Une récolte de 45 hec-
tolites en exigerait , toujours dans les mêmes conditions ,
0m, 646, c'est plus qu'il n'en tombe à Paris dans tout le cours
d'une année humide, d'autant plus que le blé n'occupant
pas la terre pendant toute l'année, il faudrait ajouter à
l'eau consommée par la plante celle qui est évaporée direc-
tement par le sol cultivé et qui forme une portion notable
du total des pluies.
Ces nombres sont -ils d'accord avec les précédents et
avec les résultats obtenus par M. E. Risler dans ses champs
d'expériences ? Prenons un rendement de 30 hectolitres . La
consommation du blé sera de 431 millimètres d'eau, d'après
ce nous avons dit plus haut. M. Risler donne de son côté
pour l'évaporation moyenne quotidienne 2mm,7 à 2mm, 8
pour 122 jours de végétation, compris du 1er avril au 31
juillet. Prenons 2mm,8, parce que la terre de nos pots a été
toujours très-humide, nous arrivons au nombre 0,342 . La
différence entre ce nombre et le nôtre serait de 0™, 090 à
répartir sur toute la durée de la végétation d'hiver, depuis
la germination jusqu'au 31 mars , ce qui expliquerait l'a-
vantage des semis faits de bonne heure. Avec une récolte
de 25 hectolitres au lieu de 30, la tranche d'eau consommée
par le blé serait de 0,359 et l'écart à mettre à la charge
de la saison d'hiver descendrait à 0,017 . Entre les résul-
tats de nos expériences et ceux qui ont été obtenus en
plein champ par M. E. Risler, il n'y a donc rien de contra-
dictoire.
Si le nombre de 14",37 exprimant la hauteur de la
tranche d'eau consommée par hectare pour chaque hecto-
QUANTITÉ D'EAU CONSOMMÉE PAR LES PLANTES . 275

litre de rendement en blé, était appliquable à tous les cas,


il en résulterait cette conséquence très-grave, que dans les
environs de Paris le rendement des terres aurait une limite
que les fortes fumures ne permettraient pas de dépasser.
Une tranche d'eau de om,359 disponible pour la végétation
du blé, ne pourrait fournir qu'un rendement maximum .
de 25 hectolitres , et pour dépasser cette limite il faudrait
accroître l'eau mise à la disposition de la plante. Il tombe
plus d'eau à Paris année moyenne ; mais il faut faire la
part de l'évaporation directe du sol. Quand il pleut davan-
tage, le degré actinométrique faiblit et il en résulte un au-
tre obstacle au rendement des récoltes . L'irrigation sous
un beau ciel permettrait seule d'atteindre les rendements
élevés que poursuivent les agriculteurs.
Mais alors une autre question se présente. Quel est le
rôle que la nature du sol et que les engrais qu'on lui donne
jouent dans l'emploi des eaux par les plantes . Nous avons
vu déjà par les expériences de Woodward et de M ? Lawes
que la quantité d'eau nécessaire pour produire 1 gramme
de matière verte varie avec la nature de l'eau et des subs-
tances qu'elle tient en dissolution.
En réalité, la transpiration n'est pas le but du végétal ;
elle est un moyen employé par lui pour se procurer les
substances qui lui sont indispensables pour accomplir son
évolution. Suivant que l'eau aspirée par ses racines sera
plus ou moins chargée de ces substances, la quantité qui
en sera nécessaire sera elle-même plus ou moins grande.
Pour déterminer dans quelles limites la nature du sol
et des substances assimilables qu'il renferme influe sur la
consommation du blé en eau, nous avons semé le même
nombre de grains du même blé dans une série de flacons
de verre contenant diverses terres fumées à des degrés
divers au moyen d'engrais variables. Tous ces pots ont été
pesés à de courts intervalles et ont reçu à chaque fois le
276 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

volume d'eau disparue depuis l'opération précédente. Tous


les semis ont été faits dans les premiers jours d'octobre 1873 .
La récolte pour tous a été faite du 13 au 15 juillet 1874.
Voici les résultats obtenus :

MOYENNE DES RÉSULTATS FOURNIS PAR DIVERS ENGRAIS,


LES MÊMES POUR CHAQUE ESPÈCE DE TERRE.
Poids
Naturc de la terre. Rapport.
de l'eau. du grain.
gr. gr.
Terre du parc de Montsouris. 4245 4,50 943
Terre de Saint-Ouen. 5175 5,48 950
Terre de Gravelle. 5210 5,65 922
Terre de Vincennes. 4238 4,85 873
Terre d'Ivry. 5624 4,75 1184
Terre de Dornecy (Nièvre). 4807 4,81 1000

MOYENNES DES RÉSULTATS FOURNIS PAR DIVERSES TERRES,


LES MÊMES POUR CHAQUE ESPÈCE D'ENGRAIS.
Poids
Nature et poids Rapport.
de l'engrais par flacon de 2 litres. de l'eau. du grain.
gr. gr.
Pas d'engrais. 3045 2,3 1824
15 phosphate acide de chaux , sel de nitre , sel
marin et plâtre.. . . 5590 6,3 887
15 phosphate d'ammoniaque , sel de nitre , sel
marin et plâtre. . 6053 5,2 1164
18 phosphate de soude, carbonate de potasse,
calcaire . • · 3282 2,6 1262
18 nitrate de potasse, sel marin, plâtre. 4567 5,0 913
Dissolution phosphatée en arrosage . ..... 5379 4,2 1280
1 dixième de terreau et dissolution phosphatée. 6418 7,5 854
1 dixième de terreau en poids. 6418 5,3 1211
2 dixièmes >> 5382 5,2 1035
4 dixièmes ‫ע‬ ‫נג‬ 8355 9,7 830

Si nous envisageons séparément le résultat fourni par


le flacon renfermant de la terre du parc de Montsouris
QUANTITÉ D'EAU CONSOMMÉE PAR LES PLANTES. 277

sans engrais, nous trouvons qu'il a fallu 2557 gr. d'eau


pour produire 184 de grain, soit 1820 pour 1. L'année
précédente, nous avions trouvé dans des conditions analo-
gues 1796. Ces résultats sont à peu près identiques ; mais
ils changent en passant d'une terre à l'autre , puisque la
moyenne de six terres de nature et de fertilité très-diver-
ses est de 1324 ou de 1 tiers environ plus faible que
le résultat individuel fourni par la terre du Parc.
Toutefois, le premier des deux tableaux précédents nous
montre que les qualités des terres s'égalisent à très-peu
près quand elles sont pourvues d'engrais appropriés et à
dose suffisante. Par contre, ces divers engrais ont une in-
fluence très-variable sur la quantité d'eau exigée pour for-
mer un poids constant de grains de froment.
Le plus faible produit exigeant la plus forte proportion
d'eau est fourni par les terres auxquelles il n'a été ajouté
aucune sorte d'engrais. Le plus fort produit exigeant la plus
faible proportion d'eau a été fourni par les mêmes terres
additionnées des quatre dixièmes de leur poids d'excellent
terreau. C'est là une proportion tout à fait anormale qu'on
ne rencontre que dans les jardins de maraîchers. Mais dans
ces derniers, l'addition a été progressive ; le terreau s'est in-
corporé à la terre et les effets qu'il y produit doivent être
différents de ceux que nous avons obtenus. C'est ce qui ex-
plique sans doute que le rendement obtenu par nous a été,
en moyenne, moindre avec deux dixièmes de terreau qu'avec
un seul, bien que la proportion d'eau consommée ait suivi
une progression régulière et inverse de la quantité de ter-
reau ; c'est ce qui explique probablement aussi les résul-
tats contradictoires fournis par les cases de végétation, ré-
sultats dont nous donnons le résumé dans le tableau ci-des-
sous.
Afin de rapprocher davantage des conditions ordinaires
de la pratique la végétation de nos blés, tout en permet-
16
278 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

tant de mesurer le volume d'eau qu'ils consomment par


transpiration, les douze cases de végétation de l'observa-
toire de Montsouris, d'une surface de 1 mètre carré et d'une
capacité de 1 mètre cube, ont été remplies avec les terres
dont il a été parlé plus haut et qui ont été additionnées
de quantités variables de terreau. Les cases ont été se-
mées en blé bleu dans les derniers jours d'octobre 1873 ;
mais le semis de la case n° 2 ayant été endommagé a
dû être en entier renouvelé le 2 mars 1874. La récolte
a été faite pour toutes les cases le 19 juillet. La terre
n'a reçu que l'eau des pluies, sauf un arrosage de 10 li-
tres d'eau par case donné dans le mois de juin. La terre
saturée d'eau un peu avant le semis était desséchée au mo-
ment de la récolte ; elle a été saturée de nouveau après la
récolte et l'eau nécessaire pour la remettre en son premier
état a été ajoutée à l'eau des pluies et à l'eau d'arrosage
pour former le total de l'eau évaporée ou transpirée par les
cases et leur produit en froment.
Voici les résultats obtenus :

RÉSULTATS FOURNIS PAR LES CASES.


Rapport
Poids Rendement Poids du poids
Terres et engrais des cases. du grain en hectol. de l'eau de l'eau
récolté. à l'hectare. évapor. au poids
kil. du grain.
Terre du Parc, 25 kil. de terreau. • 394 50,5 451 1144
Terre de Saint- Ouen, 25 187 25,0 430 2353
- ― 50 300 38,5 417 1389
Terre de Gravelle, 25 380 48,5 414 1089
- 50 303 38,5 410 1353
Terre de Dornecy (a), 50 256 33,0 433 1691
Terre de bruyères , pas de terreau. ... 328 42,0 413 1273
Terre de Dornecy (b), 75 kil. de terrean.. 324 40,0 397 1225
Terre de Vincennes, 25 312 40,5 408 1307
50 808 39,0 429 1392
Terre d'Ivry, 25 813 40,6 416 1329
50 236 31,0 446 1830
QUANTITÉ D'EAU CONSOMMÉE PAR LES PLANTES. 279

On remarquera, non sans quelque surprise, que des six


cases ayant reçu trois sortes de terre additionnées de 25 et
de 50 kilogrammes de terreau et dans lesquelles les semis
sont de même date, celles qui ont reçu le plus de terreau
ont donné le moins de grain et perdu la plus forte pro-
portion d'eau. Nous ne voudrions pas généraliser ce résultat
parce que le mélange n'a pu être intime, que le terreau s'y
montrait en grains distincts de la terre et que dans les
flacons où l'eau a été fréquemment renouvelée cet écart ne
se retrouve plus au même degré .
La case nº 2 a donné moins de grain et perdu une plus
forte proportion d'eau que la case nº 3. Nous devons rap-
peler que la première a été ensemencée à nouveau le 2
mars, quatre mois après l'autre. Pendant ces quatre mois,
la terrre nue a évaporé directement une tranche d'eau qui
est portée au compte du froment. D'autre part, la plante
ayant dû pousser très-rapidement pendant une période
de grande sécheresse a donné moins de grain qu'elle en eût
fourni dans les conditions normales.
Les terres (a) et (b) de Dornecy sont de natures très-diffé-
rentes. La première (a) est une terre d'alluvion très-fertile,
mais fatiguée par douze années de mauvaise culture et de
fumures insuffisantes. L'autre est une terre franche, d'un
rouge foncé, très-riche en oxydes de fer et de manganèse et
bien cultivée pour le pays. Sans être fraîche, la terre (b)
résiste bien aux sécheresses, l'autre (a) les redoute davantage
bien qu'on rencontre une nappe d'eau à 1 mètre à peine
de profondeur. Cette qualité d'être brûlante que les culti-
vateurs lui attribuent trouve son explication dans la pro-
portion d'eau qu'elle consomme pour mener sa récolte à
maturité. Quand cette terre est sans engrais la proportion
d'eau qu'elle perd est de 2470 pour 1 de blé. Une addi-
tion de terreau dans la proportion de 500,000 kilogr. par
hectare fait descendre ce nombre de 2470 à 1691 ; il est
280 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

tombé à 800 par la seule addition, dans la proportion de


4500 kilogr. à l'hectare, d'un engrais chimique composé de
2 parties de phosphate acide de chaux, de 2 parties de ni-
trate de potasse, de 1 partie de sel marin et 1 partie de
sulfate de chaux.
La composition physique et chimique du sol arable est
extrêmement variable d'un point à un autre d'un même
canton, sans que son analyse rende exactement compte de
sa valeur agricole. La quantité de rayons solaires qu'il re-
çoit étant d'ailleurs suffisante, son produit végétal sera
proportionné à le somme de matières minérales, y compris
l'azote, que l'eau aspirée par les racines peut fournir à la
plante.
Si on dispose de beaucoup d'eau pour dissoudre les matiè-
res minérales rebelles à l'action du liquide, de beaucoup de
chaleur pour favoriser leur dissolution et de beaucoup de lu-
mière pour hâter l'excrétion de l'eau qui a fourni son con-
tingent à la plante et pour l'assimilation de ces matières , il
sera possible de tirer d'un sol pauvre de gros produits . Et
par beaucoup d'eau nous n'entendons pas des eaux stagnan-
tes, mais une humidité assez fréquemment renouvelée par
l'irrigation à défaut de pluies. Des pluies fréquentes avec
peu de lumière et de chaleur exigeront une solubilité plus
grande des matières minérales nécessaires, et par suite un
sol plus riche.
La fertilité d'une terre n'a donc rien d'absolu ; elle
change de base suivant les climats, et même d'une année à
une autre , suivant la somme de lumière , de chaleur et
d'eau que cette terre reçoit. La quantité d'eau nécessaire
pour produire une récolte donnée n'a rien non plus d'ab-
solu ; elle dépend de la somme de matières minérales uti-
les dont l'eau peut se charger.
Dans une certaine mesure l'eau supplée aux engrais.
Dans une certaine mesure aussi l'engrais peut suppléer à
QUANTITÉ D'EAU CONSOMMÉE PAR LES PLANTES. 281

l'eau, et il est de ces engrais qui, suivant les terres, amènent


une économie plus ou moins forte dans la masse d'eau con-
sommée. L'action solaire est la seule que nous ne puissions
modifier sur place.
La quantité d'eau dépensee par hectare pour produire
30 hectolitres de blé du poids de 80 kilogr. équivaut à
'une tranche d'eau pouvant varier de 0,190 à 0™,590
suivant la nature du sol et des engrais employés. La
moyenne pour nos cases fortement fumées avec du terreau
s'élèverait à 0,330 . Ajoutant à ce nombre l'eau évaporée
par le sol depuis la moisson jusqu'aux semailles, on arrive
bien près de la tranche d'eau pluviale qui tombe en moyenne
dans le cours d'une année à Paris. Or le blé n'est pas la
plante qui dépense le plus d'eau. D'après des expériences
directes faites soit en pot, soit dans un champ drainé, soit
dans ses cultures ordinaires, M. E. Risler est arrivé, pour
la consommation moyenne quotidienne de diverses plantes,
aux nombres déjà cités qui montrent que certaines plan-
tes fourragères exigent plus d'eau que les froments . Nous
les reproduisons ici.
Millim. Millim.
Luzerne . de 3,40 à 7,00
Prairies naturelles . 3,14 7,28 :
Avoine.. 2,90 4,90
Fève. plus de 3,00
Maïs . 2,80 4,00
Blé. 2,67 2,80
Trèfle . 2,86
Seigle.. 2,26
Vigne 0,86 1,3
Pommes de terre. 0,74 1,4
Sapin . 0,50 1,10
Chêne . 0,45 0,80

Il est regrettable que ces résultats ne soient pas accom-


pagnés du rendement des récoltes. Il n'en est pas moins
16.
282 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
aisé d'en conclure combien il est essentiel de conserver dans
le sol le plus d'eau possible, dans les couches profondes
quand elle gêne à la surface. Alors même que les racines
n'iraient pas l'y chercher, elle en remonte progressivement
par voie de capillarité et en retire avec elle des matières
minérales utiles à la plante. Plus on creusera la question,
plus, nous en sommes convaincus, on verra grandir le rôle
de l'eau en agriculture et mieux aussi on sentira la néces-
sité d'en bien ménager l'emploi.

CHAPITRE VIII.

RÉGIME DES EAUX COURANTES .

Appauvrissement des cours d'eau .

Les observations de Berghaus sur le volume des eaux


de l'Oder et de l'Elbe ont réveillé depuis une trentaine
d'années les craintes qu'inspirent le déboisement des mon-
tagnes et son influence prétendue sur la répartition des
pluies et sur le régime de nos cours d'eau. Berghaus af-
firme que le volume de ces fleuves ne cesse de diminuer
d'après les observations faites de 1778 à 1835 sur l'Oder et
de 1728 à 1836 sur l'Elbe. Il établit que ces rivières ces-
seront d'être bientôt propres à la navigation , et que si la
diminution fait les mêmes progrès que depuis 1781 , il
faudra dès 1860 changer entièrement la forme des bateaux
usités sur l'Elbe et en construire d'autres qui aient moins
de tirant d'eau. La prévision ne s'est pas réalisée.
RÉGIME DES EAUX COURANTES. 283

Cette question si grave a été étudiée avec beaucoup de


soin par M. de Gasparin. Nous résumerons d'abord son opi-
nion qui est la nôtre.
Le fait signalé par Berghaus a été immédiatement at-
tribué au déboisement des montagnes.
Le même appauvrissement se fait remarquer dans les
eaux du Volga. Au commencement du XVIIIe siècle les
barques à sel destinées pour la Sibérie pouvaient recevoir
une charge de 300 tonneaux ; aujourd'hui elles n'en peu-
vent plus recevoir que 180. Est-il possible, demande M. de
Gasparin, d'attribuer un aussi grand changement aux dé-
frichements des rives de ce fleuve et au déboisement de
l'Oural causé par le développement des usines métallurgi-
ques ? Si l'on examine sur une carte le faible espace qu'oc-
cupent les points cultivés et les forges, et si on le compare
à l'immensité du bassin qui alimente le Volga, on sera
porté à rechercher des causes plus générales de la diminu-
tion de ses eaux. D'un autre côté, Mérian a constaté que
les hauteurs moyennes de dix en dix années du Rhin su-
périeur, qui au-dessus de Basle est alimenté par d'immen-
ses glaciers et traverse des pays où le déboisement s'est fait
peu sentir, ont éprouvé cependant les mêmes réductions.
Il faut donc chercher ailleurs la cause de ce phénomène
général, du moins en Europe.

Influence des hauteurs de pluies annuelles sur la hau-


teur moyenne des cours d'eau .

Faut-il l'attribuer à une diminution dans la quantité


annuelle d'eau pluviale ?
On connaît la quantité de pluie tombée à Paris depuis
1689 ; en prenant les moyennes des diverses séries d'ob-
servations, on obtient les résultats suivants :
284 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
Hauteurs Hauteurs
Périodes. Périodes.
moyennes de pluie. moyennes de pluie.
1689-1698 0,518 1789-1797 0,421
1699-1708 0, 484 1804-1813 0, 515
1709-1718 0, 492 1814-1823 0, 483
1719-1728 0, 363 1824-1833 0, 517
1729-1738 0, 383 1834-1843 0, 498
1739-1748 0, 422 1844-1853 0, 540
1749-1754 0, 510 1854-1863 0, 508
1773-1782 0, 528 1864-1873
1783-1788 0, 542

La première colonne de ce tableau accuse nettement


une oscillation dont les deux extrêmes correspondent à
deux maxima séparés par un minimum très-prononcé. La
variation est moins régulière dans la seconde colonne , ou
du moins elle serait à période beaucoup plus courte. Quoi
qu'il en soit, la période d'appauvrissement des cours d'eau
signalée plus haut d'après Berghaus correspondrait à un
accroissement dans la quantité d'eau pluviale. Ce fait n'est
pas particulier à Paris. Césaris reconnaît le même accrois-
sement de 1763 jusqu'en 1824 pour la ville de Milan .
Voici les nombres obtenus pour cette ville :

De 1764 à 1773 moyenne 935 millimètres.


1774 1783 866
1784 1793 992
1794 1803 972
1804 1813 1033
1814 1824 1224

Même résultat à la Rochelle de 1777 à 1840 ; même


résultat encore dans le bassin du Rhône de 1778 à 1817 .
Dans une note sur le climat de Montpellier nous avons,
en 1851 , étudié la variation des pluies dans cette ville, et
nous avons relevé les résultats suivants, qui diffèrent sen-
siblement des premiers .
RÉGIME DES EAUX COURANTES. 285
De 1767 à 1673 801 millimètres. Poitevin.
1774 1783 717 Id.
1784 1791 863 Id.
1796 1802 688 Id.
1806 1812 800 Id .
1835 1842 590 Castelnau.
1836 1850 700 Id.

Mais Montpellier, comme toutes les côtes françaises de la


Méditerranée, forme un climat à part, n'ayant que des rap-
ports assez indirects avec les climats voisins. On ne peut
guère dire que les pluies y aient diminué. Dans les cinq
premières séries , la moyenne oscille entre des limites assez
étroites, surtout si on observe qu'en 1770 on n'a recueilli
que 434 millim. , tandis que 1772 en a donné 1168, et que
des oppositions aussi marquées ne sont pas rares , dans
cette ville , entre des années peu éloignées l'une de l'autre.

• Influence des nombres de jours de pluie.


La diminution de la quantité d'eau pluviale ne pouvant
expliquer celle des fleuves, M. de Gasparin a cherché si le
nombre des jours de pluie n'aurait pas changé, car on sait
que de grandes pluies tombant dans un temps court four-
nissent généralement plus d'eau aux rivières que la même
quantité de pluie divisée en plusieurs jours séparés par des
intervalles secs. Il a trouvé pour Paris les nombres suivants :
1773 à 1785 moyenne 140 jours de pluie.
1786 1795 152
1796 1805 124
1806 1815 134
1816 1825 153
1826 1835 148
Deux maxima ont lieu en 1786-1795 et en 1816-1825 ;
entre ces deux maxima distants d'une trentaine d'années
se trouve un minimum tombant de 1796 à 1805 .
Viviers lui a donné :
286 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
1778 à 1787 83
1788 1797 94
1798 1807 106
1808 1817 108

Ici l'accroissement est plus continu ; il tend à accroître


aussi l'imbibition des terrains mais cela, n'explique pas en-
core les changements observés dans le régime des cours
d'eau.
Montpellier nous donne les résultats suivants :

De 1767 à 1773 76,4


1774 1783 81,0
1784 1791 92
1796 1802 81,7
1806 1812 71,0
1813 1817 62,6

Le résultat ici est l'inverse du précédent. Si le nombre


des jours pluvieux augmente jusque vers 1786, période où
nous trouvons les années 1783, 1784, 1785 et 1786 ayant
de 95 à 111 jours pluvieux, ce nombre diminue ensuite et
l'année 1817, par exemple, ne donne que 55 jours de pluie
à Montpellier tandis que sur la France du centre et du
nord les pluies ont été très-nombreuses.
Notons en passant que s'il fallait attribuer l'accroisse-
ment général du nombre des pluies au déboisement, on
serait en contradiction avec l'opinion d'après laquelle les
bois rendraient un climat plus humide.

Influence de la répartition des pluies dans le cours


de l'année.

M. de Gasparin touche de plus près au vif de la ques-


tion quand il recherche le mode de répartition des pluics
RÉGIME DES EAUX COURANTES. 287

dans le cours des saisons. Voici les résultats qu'il trouve


pour Milan.
Pluies Pluies
de l'année. de l'été. Rapport.
De 1764 à 1773 935 mm 223 mm 0,238
1774 1783 866 223 0,261
1784 1793 992 189 0,191
1794 1803 971 205 0,211
1804 1813 1033 254 0,245
1814 1823 1224 310 0,253

Le rapport des pluies d'été aux pluies de l'année à


Milan passe par un minimum bien marqué de 1784 à 1793.
A partir de ce moment , il s'élève d'une manière progres-
sive. L'accroissement est également sensible à Paris. Le
rapport des pluies d'été aux pluies de toute l'année y est
de 0,440 dans la période comprise entre 1804 et 1813 ;
ce rapport monte à 0,519 dans la période suivante , de
1814 à 1823.
Montpellier nous donne d'autre part les nombres sui-
vants, l'été comprenant les mois de mai , juin , juillet ,
août et septembre.

De 1767 à 1771 236 0,360


1772 1781 284 0,365
1782 1791 205 0,250
1835 1850 223 0,363

Nous retrouvons ici, comme à Milan un minimum de


pluies estivales bien marqué dans la période de 1782 à
1791. Si au lieu de s'en tenir aux moyennes annuelles ou
estivales, nous considérons les quatre saisons, fig. 45, nous
voyons s'y opérer graduellement une transformation re-
marquable. De 1767 à 1785, la courbe des pluies présente
un seul maximum entre l'automne et l'hiver, et un coul
minimum en été. C'est à peu près le régime du Portugal et
288 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

du nord de l'Afrique , mais avec une opposition beaucoup


moins marquée entre les quantités d'eau recueillies dans
les deux saisons , sèche et mouillée. De 1786 à 1812 , la
saison pluvieuse commence à se scinder en deux ; un se-
cond minimum de pluies se montre en hiver ; le prin-
temps au contraire est un peu plus mouillé. Le change-
ment est encore plus nettement accusé dans la 3º période.
Dans les trois mois de l'été, il ne tombe plus en moyenne

Montpellier

x
20
+

15

10

5c.m.
Pluies de 1767 à 1185.
+++ Pluies de1786 à 1812.
Pluies de1835 à 1850.
HP E A H
Figure 45.

que 60 millim . d'eau, au lieu de 108 dans la première pé-


riode ; l'automne en reçoit au contraire 248 millim . : l'hi-
ver descend à 166 et le printemps se relève à 188. Ces con-
ditions sont moins favorables que les premières à l'abon-
dance des eaux courantes. Ces fluctuations successives sou-
mises à des lois de périodicité qu'on retrouve également
dans les températures, dans les vents moyens, dans le de-
gré de nébulosité du ciel , dans l'étendue des glaciers des
Alpes, ont une cause météorologique beaucoup plus géné-
RÉGIME DES EAUX COURANTES. 289

rale que le déboisement de quelques portions du sol. Cette


cause réside dans les fluctuations du courant équatorial à
la surface de l'Europe : c'est de ces dernières qu'il faut
chercher l'origine. Elle n'existe ni en France ni même en
Europe ; on la trouvera d'une part dans les régions équa-
toriales où est le cœur de la circulation atmosphérique,
et d'autre part dans les régions polaires , le Canada , le
Groenland, l'Islande. On paraît maintenant vouloir éten-
dre les recherches jusqu'au soleil lui-même.

Influence des forêts.

M. Belgrand a étudié avec soin l'influence que peuvent


avoir les bois sur le régime de nos cours d'eau et sa conclu-
sion est que cette influence est très-faible si elle n'est pas nulle.
Les observations faites sur deux rivières torrentielles ,
le Cousin dont le bassin est boisé au tiers, et le Ru de la
Grenetière dont le bassin est entièrement boisé, ont donné
des résultats semblables. Du 17 novembre 1850 au 1er mai
1853 , les plus basses eaux du ruisseau de la Grenetière
ont donné 9 litres par secondes en hiver et 0 en été ; les
plus hautes eaux ont donné 750 litres en hiver et 49 en
été or dans cet intervalle les deux hivers ont été très-secs
et l'été très-pluvieux. Dans ce bassin entièrement boisé ,
les passages du régime d'hiver au régime d'été, et récipro-
quement, ont lieu en mai et octobre comme dans les bassins
déboisés. Dans les bassins boisés comme dans les autres, la
partie des eaux pluviales qui arrive jusqu'aux ruisseaux est
insignifiante en été et très-considérable en hiver. Ce n'est
donc pas du reboisement qu'il faut attendre une meilleure
répartition des eaux courantes entre ces deux saisons.
Si au lieu des eaux superficielles on considère les eaux
souterraines qui alimentent les sources , on arrive à des
résultats analogues. D'immenses forêts occupent les deux
17
290 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

tiers ou peut- être les trois quarts du bassin de l'Ource ,


rivière presque entièrement alimentée pas des eaux sou-
terraines. Les pluies d'été n'y profitent pas plus aux sour-
ces qu'aux thalwegs , et la rivière elle-même disparaît
presque entièrement dans une partie de son cours. En hiver
au contraire , et au printemps, des inondations ont lieu
presque chaque année. Les pluies douces de la saison hu-
mide et surtout les neiges abondantes suivies d'un dégel
progressif sont la véritable origine des eaux courantes.
Si nous examinons maintenant la Champagne pouilleuse ,
presque complétement nue, les crues y sont presque in-
signifiantes ; et, suivant M. Doré , le niveau des eaux de
l'Ardusson, principal affluent de la Seine en Champagne, ne
varie que de 0,20 dans les plus fortes crues. Toute con-
sidération météorologique mise à part, le régime des cours
d'eau dépend essentiellement de la nature des terrains qui
forment son bassin. Ces terrains peuvent, sous ce rapport,
se partager en trois classes bien distinctes.
1° Terrains perméables absorbant les eaux pluviales au
moment de leur chute à moins qu'elles ne soient d'une abon-
dance exceptionnelle. La culture des prairies y est confinée
autour des cours d'eau, dans la partie plate et submersible
du fond des vallées. Quand ces vallées n'ont pas de cours d'eau
elles sont toujours sèches. Ces terrains ont toujours un as-
pect triste même lorsqu'ils sont doués d'une grande fertilité.
2º Les terrains imperméables par nature laissant écouler
à leur surface une grande partie des eaux pluviales, même
lorsqu'elles sont peu abondantes . Les prairies s'y rencon-
trent sur les coteaux comme au fond des vallées ; les sour-
ces sont disséminées sur toute la surface du sol ; le moin-
dre pli de terrain renferme soit un ruisseau soit une flaque
d'eau entourée d'herbes aquatiques. Ils ont un aspect
riant et une certaine apparence de richesse même lors-
qu'ils sont médiocrement fertiles.
RÉGIME DES EAUX COURANTES. 291

3º Les terrains imperméables par position c'est-à-dire


dont l'inclinaison est assez grande pour que l'eau coule
rapidement à leur surface.
Les cours d'eau à versants imperméables par nature ou
par position sont à crues torrentielles , que ces versants
soient ou non boisés. Les crues se composent toujours
d'une première partie courte et élevée suivie d'une longue
crue moyenne due à l'égouttement des terres. Dans les
cours d'eau à versants perméables les crues s'élèvent len-
tement et décroissent de même : là sont les cours d'eau
tranquilles.
Mais si les bois sont sans effet sur le régime général
des eaux courantes d'un grand pays, il peut n'en être plus
de même de leur action locale. Nous ne voulons nullement
contester ici la valeur économique du boisement des mon-
tagnes ni l'utilité des abris que les arbres peuvent donner
à certaines cultures, ni surtout l'influence heureuse qu'ils
exerçent sur la conservation du sol, sur les pentes rapides
de certaines régions montagneuses que l'engazonnement
est insuffisant à préserver du ravinement des eaux.
La nudité du sol n'a pas partout les mêmes inconvé-
nients et sa mise en culture ne doit pas être partout sou-
mise aux mêmes règles. Dans les pays à pluies douces et
fréquentes , à pentes modérées , le ravinement des terres
est beaucoup moins à craindre que dans les pays à pluies
torrentielles et fortement accidentés. Si dans les premiers
le sol est de plus imperméable par nature, des fossés de
niveau suffiront à créer des pâturages et les terres seront
fixées d'une manière complète. Si le sol est perméable , les
céréales, les plantes arbustives, les arbres devront être
préférés selon les conditions du sol et du pays. Dans les
seconds au contraire , les longues sécheresses ren-
dront l'engazonnement plus difficile ; la déclivité des
pentes et surtout les abus du pacage rendront la con-
292 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

servation du sol impossible sans l'intervention du boi-


sement. Le déboisement de ces derniers terrains est une
faute ; leur reboisement est une œuvre d'utilité publi-
que ; mais cette opération qui rend productifs des ter-
rains à peu près stériles ou d'une culture trop dispen-
dieuse , qui fixe des terres livrées sans défense à l'ac-
tion des torrents, qui préserve les lits des rivières d'un
encombrement propre à accroître les désastres produits
pas des eaux rapides et désordonnées , sera impuissante à
procurer un bon aménagement des eaux , c'est-à-dire à
diminuer d'une manière sensible le débit de nos cours
d'eau pendant l'hiver pour l'accroître dans l'été ; or c'est
là que doivent tendre tous les efforts des ingénieurs . Que
les forestiers poursuivent et accélèrent leur œuvre éminem-
ment utile et profitable au pays. Les raisons qu'ils peu-
vent invoquer à l'appui de cette œuvre sont assez puis-
santes, sans y joindre des motifs plus que contestables et
dont le grand tort à nos yeux serait de faire croire que
tout est là, alors qu'il est pour l'agriculture générale du
pays une question plus élevée et plus urgente , l'aména-
gement des eaux qui manquent à beaucoup de nos terres
dans la saison où elles leur sont le plus nécessaires . « On
est souvent frappé, dit M. Surel, en parcourant le dépar-
tement des Hautes-Alpes, par l'aspect d'un monticule
aplati placé à la sortie d'une gorge et dont la surface est
dressée en éventail suivant des pentes très-régulières. C'est
le lit de déjection d'un ancien torrent. Le long du mon-
ticule découle un petit ruisseau qui sort de la gorge et
traverse paisiblement les champs, c'est lui qui formait l'an-
cien torrent. » Le ravinement des terres est empêché ,
mais les crues n'en gardent pas moins leur caractère tor-
rentiel. Pour les réduire en hauteur et les allonger en durée,
il faut avoir recours à des barrages très-multipliés, à des
fossés de niveau nombreux et, partout où on le peut , à
RÉGIME DES EAUX COURANTES. 293

des réservoirs. L'Égypte cesserait d'être arrosée par le


Nil pendant la saison sèche si le lac Nyanza ainsi que les
neiges accumulées sur les montagnes de la Lune ne conti-
nuaient à l'alimenter. Le Niagara et le Saint-Laurent ont
pour réservoirs les grands lacs d'Amérique ; leur débit
reste constant, les pluies et les sécheresses ne semblent pas
l'influencer. Le Mississipi sort du lac Hasca ; il en ren-
contre un grand nombre d'autres dans la partie supérieure
de son cours et il en est de même de ses premiers affluents.
Au-dessous de Memphis, dans le Tennessé, il en est autre-
ment. La crue qui en amont du lac Pepin ne dépasse guère
2 ou 3 mètres, va , au sud de Memphis, jusqu'à 27 mètres.
L'Italie septentrionale est, sous ce rapport, admirable-
ment partagée. On y rencontre de nombreux lacs ; fleuves
et rivières trouvent en outre dans les neiges perpétuelles
des Alpes un aliment inépuisable. Un grand nombre d'é-1
tangs , de maraisont disparu en France. Ces réservoirs à bords
mal délimités étaient une cause d'infection paludéenne qui
a disparu avec eux ; mais le régime d'été des cours d'eau a
dû s'en ressentir. Dans beaucoup de localités surtout dans
le Midi , il serait utile de rétablir de semblables réservoirs
dans de meilleures conditions de capacité et d'hygiène .

Influence des cultures.

En dehors des déboisements , et de l'assainissement du


sol par la suppression des mares , marais ou étangs , la
culture du sol, la suppression des jachères , l'aménagement
des eaux pour l'irrigation , le drainage des terres hu-
mides , ont une influence réelle et très-marquée sur l'abon-
dance des eaux courantes.
Dans les lieux cultivés, la pluie pénètre aisément dans
le sol et l'imbibe , tandis que dans ceux qui ne le sont pas
elle court à la surface et pénètre peu profondément. En
294 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

Amérique , M. Boussingault remarquait qu'avant les


guerres de la révolution on se plaignait de la diminution.
des eaux; mais qu'après celles- ci , les lacs et les rivières
avaient repris leur ancien niveau partout où l'on avait
interrompu la culture, tandis que les lacs placés dans les
bassins où la guerre n'avait pas éclaté et où la culture
avait suivi son cours, avaient continué à être bas. Il
importe toutefois de remarquer qu'un géologue américain,
M. Dawson, a pu tracer année par année , et depuis 1788,
la courbe des hauteurs moyennes annuelles de la hauteur
des eaux du lac Erié, et que cette courbe présente une série
d'ondulations très-caractéristiques , dont les maxima sont
distants de 10 à 12 années. L'auteur semble vouloir ratta-
cher ces périodes à celles des taches solaires, ce qui montre
combien nous sommes ignorants de leurs causes générales.
A côté de ces causes encore inconnues , il en est une qui
se manifeste de plus en plus à mesure qu'on l'étudie
mieux, et qui jette son empreinte sur les oscillations d'o-
rigine plus lointaine. C'est la consommation croissante
des eaux du sol par des récoltes dont les progrès inces-
sants de l'agriculture élèvent graduellement le rendement.
Une très-faible partie des eaux pluviales se rendent
dans les cours d'eau, soit directement par ruissellement à
la surface du sol, soit indirectement par égouttement des
terres vers les nappes souterraines qui alimentent les
sources. Une grande partie retourne dans l'atmosphère par
voie d'évaporation du sol ou de transpiration des plantes.
Nous avons vu dans le chapitre précédent quelles sont
les proportions d'eau consommées par les diverses plantes
cultivées. Nous avons dit que pour le blé elles pouvaient
varier de 0,190 à 0,590 suivant les terres et les engrais ,
et que la moyenne déduite de nos terres en cases forte-
ment fumées avec du terreau s'élevait à 0,330 pour
un rendement de 30 hectolitres à l'hectare. Le terrain
RÉGIME DES EAUX COURANTES . 295

circonscrit où elles ont été faites pouvant laisser quelques


doutes dans l'esprit, nous citerons les résultats obtenus
par M. Risler.
M. E. Risler opérait sur une pièce de terre de 12,300
mètres carrés, située à la partie culminante d'un plateau
d'argile glacière , à Calèves près de Nyon, dans le canton
de Vaud. Cette terre avait été drainée à une profondeur
de 1,20. Aucune eau des terres voisines ne peut y ar-
river ; le sous-sol est tellement compacte que les drains
en tuyaux de terre cuite disposés en lignes espacées de
10 mètres , recueillent toute l'eau qui pénètre dans la
couche arable et qui ne s'évapore pas. La pente du
terrain est seulement de 1 % dans un sens ; dans l'autre
elle est de 2 %; mais l'extrémité de cette dernière est
bordée par un chemin empierré dont le talus domine
le bas du champ. Cette pièce de terre remplissait donc
toutes les conditions nécessaires pour le but que se
proposait M. Risler, l'évaporation du sol dans l'état
ordinaire de culture. Chaque jour il évaluait l'eau écoulée
par le drain collecteur, la transformait en hauteur milli-
métrique d'une tranche d'eau dont la base aurait occupé
toute la surface du champ. Il mesurait en même temps la
hauteur de pluie tombée depuis la veille. La différence
des deux sommes lui donnait la tranche d'eau perdue par
évaporation et transpiration. Voici les résultats qu'il a
obtenus en 1867 et 1868.

1867 1867-68

Pluie Eau Eau Pluie


tombée. évaporée. tombée. évaporée.
Millim. Millim
Novembre .. 7,5 7,5
Décembre .. Millim. Millim. 39,3 39,3
Janvier. 137,5 34,7 60,8 38,0

A reporter .. 137,5 $4,7 107,6 84,8


296 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
1867 1867-68

Pluie Eau Eau Pluie


tombée. évaporée. tombée. évaporée.
Millim. Millim. Millim. Millim.
Report . 137,5 34,7 107,6 84,8
Février. 63,2 20,5 9,5 0,9
Mars . 206,8 112,4 93,9 45,1
Avril . 156,8 85,6 66,0 62,0
Mai. 100,9 82,9 41,9 40,7
Juin . 80,8 80,1 47,3 47,3
Juillet . 31,5 31,5 119,5 119,5
Total. .. 777,5 447,7 485,7 400,3
Août. 49,8 49,8 73,8 73,8
Septembre. 99,2 99,2 157,9 155,8
Octobre . 93,8 90,5 106,6 82,3
Total. 242,8 239,5 338,3 311,9
Total général. 1020,3 687,2 824,0 712,2

Il ne faut pas considérer les nombres inscrits dans


ce tableau comme exprimant individuellement et d'une
manière exacte l'évaporation de chaque mois , parce que le
degré d'humidité du sol y était variable. C'est au résultat
final seul qu'il convient de s'arrêter. Au reste M. Risler,
dans une troisième série d'expériences , a écarté cette ob-
jection en sondant sa terre et mesurant le poids d'eau
qu'elle perdait à l'étuve. Il a pu ainsi corriger ses nombres
des quantités d'eau que le sol avait pu perdre ou gagner
à la fin de chaque mois. Les résultats ainsi obtenus par
lui sont renfermés dans le tableau suivant :

1868-1869 Variation
moyenne d'humi- Eau
Pluie Eau écoulée dité du sol en évaporée.
tombée. par les drains. millim. d'eau.
Millim. Millim. Millim. Millim.
Novembre... 50,3 19,9 30,4
Décembre. 204,5 145,5 ‫ע‬ 59,0
A reporter . 254,8 165,4 89,4
RÉGIME DES EAUX COURANTES. 297
1868-1869 Variation
moyenne d'humi- Eau
Pluie Eau écoulée dité du sol en évaparée.
tombée. par les drains. millim. d'eau.
Millim. Millim. Millim. Millim.
Report .. 254,8 165,4 ‫כג‬ 89,4
Janvier . 47,9 23,2
«
24,6
Février 67,7 40,7 4,0 31,0
Mars. 63,3 48,1 4,0 11,1
Avril · 35,8 0,0 16,0 51,8
Mai . • 124,4 2,7 14,0 135,6
Juin . 69,2 1,3 1,3 69,2
Juillet. 44,7 0,0 6,3 51,0
Total. • 707,8 311,4 463,7
Août.. 41,9 0,0 8,8 50,7
Septembre. 80,6 0,0. - 13,3 93,9
Octobre . 34,7 0,0 10,5 24,1
Total. • 157,2 0,0 168,7
Total général. 865,0 311,4 632,4

Du 1er novembre au 31 juillet , la quantité d'eau éva-


porée a été dans ces trois années de 0,448, 0m, 400, 0,464
La moyenne pour nos douze cases a été de 0,422, en
1874. Nos cases étaient plantées en blé ; le champ de
M. È. Risler était garni en partie de blé , en partie de
trèfle ou luzerne ou pommes de terre.
A Calèves il pleut beaucoup plus qu'à Paris. Sur une
tranche moyenne de 0,971 d'eau tombée durant les trois
années d'expériences, 0,256 en moyenne se sont écou-
lés par les drains ; le reste a été évaporé dans tout le cours
de l'année. Mais cette tranche d'eau pluviale 0m, 971 est de
beaucoup supérieure à celle qui tombe en moyenne sur
toute la France , et en supposant que la végétation y ait ,
en moyenne aussi , la même activité qu'à Paris ou à Ca-
lèves, le résidu des eaux qui s'écoulent dans les thalwegs
se trouve singulièrement réduit ; on comprend dès lors
combien le plus faible changement dans le mode de ré-
298 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

partition des pluies peut influer sur le débit de nos cours


d'eau et combien aussi un accroissement même faible dans
le rendement des terres peut amoindrir ce débit. Les
régions à faibles pluies et à riches cultures comme la Beauce
ne peuvent fournir aux nappes souterraines qu'un contin-
gent très-minime. Toute l'eau qu'elles reçoivent est à peine
suffisante à leurs récoltes. Les terres élevées du plateau cen-
tral , des Vosges , des Alpes , des Pyrénées , plus abondam-
ment arrosées par les pluies, forment le principal appoint des
eaux courantes de la France. C'est de là qu'émergent nos
principales rivières ; c'est là qu'il faut agir pour les amé-
nager au mieux des intérêts du pays, et pour les distribuer
ensuite sur les points où les pluies sont insuffisantes. Mais
en même temps , partout où elles manquent, il faut par
les défoncements et par des engrais appropriés s'efforcer
d'en faire un emploi plus avantageux. Telles sont les rè-
gles générales. Dans leur application pratique il entre un
autre élément essentiel , le prix de revient. Pour accroître
le rendement vaut-il mieux opérer sur l'eau ou sur l'en-
grais ? La réponse variera suivant les lieux. Produire
beaucoup est le but vers lequel on doit tendre ; produire
avec économie pour augmenter la rémunération du travail
est le seul moyen efficace d'atteindre ce but.

CHAPITRE IX .

LIMITES IMPOSÉES A LA CULTURE .

Les phénomènes météorologiques dont nous avons fait


l'examen se résument pour chaque lieu dans ce qu'on
LIMITES IMPOSÉES A LA CULTURE. 299

nomme son climat , et, au point de vue agricole, dans ses


produits. Toutefois , sur ce dernier point , les données
météorologiques n'interviennent pas seules et il faut faire
une assez large part aux données économiques. Ces
données se sont modifiées d'une manière très- sensible
depuis l'époque ( 1844 ) où M. de Gasparin publiait son
Cours d'agriculture ; mais l'éminent agronome avait une
trop haute intelligence de son sujet pour ne pas prévoir
les changements qui devaient en résulter. Ses considé-
rations sur les limites des cultures sont restées vraies et
nous serviront de guide pour ce qui va suivre.

Limites générales des cultures.

Arthur Young paraît être le premier qui ait essayé de


déterminer exactement les limites des climats agricoles .
Dans son voyage en France , il établit pour ce pays quatre
régions distinctes. La première est celle du Nord où l'on
ne peut cultiver utilement ni la vigne ni le maïs ; plus bas
vers le Midi, en vient une seconde où l'on peut encore
cultiver la vigne sans y voir mûrir le maïs ( 1 ) ; à celle-ci
en succède une autre où croit la vigne et murit le maïs,
mais qui n'admet pas l'olivier ; puis vient enfin la région
de l'olivier. Il a indiqué les limites de ces régions au
moyen de 3 lignes droites obliquant du sud-ouest au
nord-est et parallèles entre elles. La première partant
de Guérande et passant par Senlis et Coucy, porte cette
inscription : Pas de vigne au nord de cette ligne ; la se-
conde se dirige de l'embouchure de la Garonne sur Bourges
et porte Pas de maïs au nord de cette ligne ; la troisième
enfin, partant de Carcassonne et passant par Montélimart
est intitulée : Pas d'olivier au nord de cette ligne.

(I) Le maïs comme grain et non comme fourrage.


300 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
Ces lignes correspondent à peu près à la direction
générale des courbes d'égale température estivale. Toute-
fois, les limites agricoles sont très-loin d'être aussi net-
tement arrêtées. Les abris et certaines convenances lo-
cales reportent fréquemment la culture au delà de la
limite générale qui lui est assignée ; par contre les ac-
croissements d'altitude la font descendre au-dessous, d'une
manière très-rapide ; les limites vraies sont donc très-
flexueuses et très-accidentées.
Schouw, dans sonouvrage sur le climat de l'Italie, a égale-
ment tracé les limites géographiques des différentes cultures.
La culture de l'oranger (fig. 46) , partant de la côte ouest
de la péninsule ibérique au nord de l'embouchure du
Minho, coupe transversalement l'Espagne pour aboutir à la
côte est , un peu au nord de Barcelone ; de là, traversant
le golfe du Lion, elle entame la France vers Toulon et
Hyères, longe la côte jusqu'à Parzane , traverse la pénin-
sule , tombe à la pointe de Raguse , embrasse la Grèce
et va se perdre dans l'Orient.
La limite de l'olivier, longe les côtes de Biscaye et vient
se réunir en France à celle tracée par Arthur Young ,
de Carcassonne à Montélimart ; elle se prolonge ensuite
sur deux lignes parallèles , l'une courant le long des
Apennins , l'autre suivant le contour méridional des
grandes Alpes. Cette dernière embrasse la Dalmatie et se
dirige vers le nord de la Grèce.
La limite du maïs (fig. 47 ) , suit à peu près en France la
limite tracée par Arthur Young ; elle se relève ensuite en
Allemagne , et s'étend en Orient en embrassant la Hon-
grie. Nous l'avons relevée jusqu'à l'embouchure de la
Loire. Le maïs mûrit assez bien jusqu'à cette limite , bien
qu'il n'y soit plus cultivé sur la même échelle.
La limite de la vigne est parallèle à celle du maïs et
se réunit à elle en Hongrie.
LIMITES IMPOSÉES A LA CULTURE. 301

La limite des arbres fruitiers , traverse l'Écosse puis la


Norwége , la Suède et la Finlande. On voit à Christiania
des poires , des cerises et des abricots.
Le froment, s'étend en Norwége jusqu'au 70° degré de
latitude. Il s'abaisse vers le golfe de Bothnie , puis se
relève vers le nord-est en Sibérie. Dans les pays à neige,
le froment passe très-bien l'hiver, et c'est la lumière et la
-
chaleur solaire de l'été qui règlent ses limites. Le seigle,
mûrissant avec une moindre somme de chaleur, se cultive
plus loin et plus haut que le froment. En Écosse on le
trouve jusque sur les hautes terres , tandis que les basses
terres seules y donnent du froment.
Les limites de l'orge s'élèvent encore plus vers le nord ;
elle est cultivée en Scandinavie, au delà du cercle polaire.
On connaît mal ses limites en Asie.
Les lignes que nous venons d'indiquer ne doivent être
envisagées que comme des données sommaires sur la ré-
partition des cultures. Des influences nombreuses vien-
nent briser ces lignes et localiser les régions propres à
chaque genre de produit. Prenons, par exemple , la ligne
indiquée comme limite pour les oliviers , et tirée de
Carcassonne à Montélimart, se prolongeant vers l'est à
travers les Alpes. A peu de distance de son point de
départ , elle rencontre le massif des Cévennes, dont l'al-
titude ne comporte l'olivier qu'au fond de quelques val-
lées. Au delà de Montélimart viennent les Alpes qui re-
poussent également l'olivier ; et si cet arbuste se retrouve
près des lacs de Côme et de Garde , il ne peut être avan-
tageusement cultivé dans les plaines de la Lombardie
placées plus au sud.
D'un autre côté , la culture de la vigne s'étend certaine-
ment au nord de la ligne où le vin cesse d'être un produit
bon et économique relativement à ce qu'il coûte dans sa
véritable région ; mais on trouve encore avantage à obtenir
302 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

sur les lieux une mauvaise boisson que l'on préfère à une
boisson meilleure rendue plus chère par les frais de trans-

E
VEG
NOR
n
pi
Pe
ers
es
iti
br
fru
ar

GLETER

Limite des
RES

e
Ismit de

Limite de la vigne
CHE

Limite de l'olivier
Oran Or
ger

Figure 46. 1 Limites générales des cultures.

port et par des droits fiscaux dont sont à peu près af-
franchis les consommateurs de leur propre récolte. D'ail-
LIMITES IMPOSÉES A LA CULTURE. 303

leurs les vins aigres du Nord jouent par leur acide tartrique

t
en
om

s
fr

Herb a g e
--

du
-

Limites
s
age
rb
He

Limites du mais

Figure 47. - Limites générales des cultures.

un rôle important dans le coupage des vins plus alcooli-


ques du Midi.
L'agriculture est de plus en plus dominée par deux
304 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
ordres de faits très-distincts. Les uns se résument dans les
prix auxquels atteignent dans chaque région les produits
similaires nés dans d'autres régions ; ils peuvent subir
de brusques changements résultant des variations de la
législation et de l'extension des communications entre
les diverses parties du globe. Les autres se résument dans
le prix de revient de chaque produit local eu égard à sa
qualité. Ici le climat et le sol jouent le principal rôle, bien
qu'ils n'entrent pas seuls en ligne de compte. Pendant
longtemps , les entraves apportées aux échanges , soit par
les règlements ou les lois , soit par les rivalités nationales ,
soit par l'insuffisance des moyens de transport , ont fait
réunir dans une même région les cultures les plus dispa-
rates et les moins propres aux conditions climatériques de
la région. Les produits ainsi obtenus ne devenaient ré-
munérateurs que par le prix artificiel auquel ils étaient
portés. Cette situation se modifie rapidement et se modi-
fiera de plus en plus. De plus en plus aussi il faudra ne
demander au sol rien qu'il ne puisse donner dans les con-
ditions les plus avantageuses d'après sa nature et son
climat. Il serait donc essentiel de bien connaître ces con-
ditions. Nous sommes encore loin d'en être arrivés là. En
l'absence des données précises qui nous font défaut, nous
allons passer en revue avec M. de Gasparin les limites
générales imposées aux cultures .

Limites météorologiques des cultures.

Ces limites naissent de plusieurs causes ; il faut que la


plante puisse parcourir toutes les phases de sa végétation
sans exiger des soins spéciaux hors de proportion avec la
valeur du produit ; il faut de plus qu'au milieu des vi-
cissitudes de l'atmosphère la récolte ne soit pas trop sou-
vent compromise et qu'elle ne soit pas rendue trop labo-
LIMITES IMPOSÉES A LA CULTURE. 305

rieuse par les intempéries. Il y a donc à considérer d'abord,


relativement à chaque plante , 1º le degré de froid qu'elle
peut supporter en hiver ; 2º le degré de chaleur, de lumière
et d'humidité qui lui sont nécessaires à chacune des périodes
de sa végétation. Puis, relativement à la région, 1º la tem-
pérature moyenne de l'hiver, ses températures extrêmes ,
la fréquence et la rapidité des gels et dégels, l'approfon-
dissement moyen et maximum de la gelée dans la terre ,
la fréquence et la durée des neiges ; 2º la distribution de
la chaleur dans les mois du printemps, de l'été et de l'au-
tomne ; 3º la proportion des nuages et l'intensité de la
lumière solaire dans ces divers mois ; 4° la répartition des
pluies, leur abondance , leur fréquence moyenne et ex-
trême , le rapport de l'eau tombée à l'eau évaporée ; 5º la
fréquence et l'intensité des perturbations atmosphériques
au point de vue de chacun des éléments ci-dessus, ainsi
qu'au point de vue du vent et des orages ; 6° les qualités
particulières du sol comprenant son pouvoir absorbant ,
sa faculté de conserver l'eau ou de la laisser perdre , ses
aptitudes culturales.
Ces deux ordres d'éléments relatifs soit au climat et au
sol , soit aux exigences de chaque plante , sont encore im-
parfaitement connues.
L'étude du climat de la France a fait de grands progrès
depuis quelques années ; mais les observations météoro-
logiques déjà nombreuses ont besoin de se multiplier da-
vantage en se faisant plus pratiques et plus appropriées
aux besoins de l'agriculture. L'étude du sol est assez peu
avancée quant à sa nature et à ses aptitudes ; ces dernières
sont d'ailleurs susceptibles de varier dans de très-grandes
limites par l'effort du cultivateur. L'emploi des eaux
et leur aménagement exigeraient de grands travaux. L'é-
tude des plantes laisse encore plus à désirer. Leur com-
position , leur structure ont été l'objet de nombreuses re-
306 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
cherches ; mais les sommes de chaleur, de lumière , d'hu-
midité de l'air et du sol nécessaires aux diverses phases
de leur végétation sont beaucoup moins connues. C'est aux
résultats définitifs de la culture qu'il faut s'adresser pour
déterminer les conditions qui lui sont favorables ou
nuisibles ; mais comme ces conditions sont d'ordres
très-divers , il est extrêmement difficile de faire la juste
part de chacune d'elles , et de ne pas errer dans ses
conclusions.
Il existe deux moyens seulement de sortir de ces diffi-
cultés. L'un deux consiste à expérimenter sur les plantes ,
c'est-à-dire à faire varier artificiellement l'une des condi-
tions en laissant les autres constantes et à les prendre
ainsi tour à tour, et successivement pour chaque plante.
L'autre consiste à observer la même plante dans des con-
ditions naturelles assez variées pour que le départ de cha-
que élément s'y fasse de lui-même. Ce dernier moyen, le
plus simple en apparence, est de beaucoup le plus long, le
plus pénible et le plus incertain. L'un et l'autre doivent
être mis à contribution.
Au reste , il se fait actuellement un mouvement très-
marqué vers l'expérimentation agricole et vers les études
de climatologie. Les agriculteurs en y prenant part hâte-
ront la solution des problêmes à résoudre. « La facilité
« de ces recherches qui ne demandent qu'un peu d'attention
« et d'exactitude , l'intérêt qu'elles donnent à la nature.
<< qui nous entoure , l'utilité directe qu'elles doivent avoir
« pour les cultivateurs, exciteront ceux qui habitent la
<< campagne à instituer une suite d'observations vraiment
« agricoles. Sans déranger en rien leurs travaux, ils y
<< trouveront un véritable amusement ( 1 ). »

(1) De Gasparin , Cours d'agriculture.


LIMITES IMPOSÉES A LA CULTURE. 307

Limites économiques des cultures.

Les limites économiques dépendent de calculs assez com-


pliqués dont les éléments sont réunis avec soin par des agri-
culteurs habiles et soigneux de leurs intérêts, mais encore
peu nombreux. Ces éléments sont : 1° les produits moyens
des cultures dans la situation que l'on examine ; 2º les prix
que ces produits obtiennent sur les marchés ; 3° les dépenses
que la culture exige . En multipliant le produit moyen par
sa valeur moyenne , on obtient le rendement en argent. En
comparant ensuite ce rendement à la somme des frais de
culture et du loyer de la terre , on en déduit le bénéfice de
l'opération. Si le même calcul est fait pour chaque plante ,
on arrive aisément à déterminer le genre de culture le
plus favorable à la région . Dans cette comparaison tou-
tefois , nous trouvons des éléments sinon fixes , du moins
indépendants de l'homme c'est le climat et jusqu'à un
certain point le sol lui- même ; nous en trouvons d'autres
qui peuvent varier suivant les temps , c'est le prix de la
main-d'œuvre et des engrais , c'est aussi le prix des pro-
duits qui dépendent de l'extension des cultures similaires,
et de l'abaissement des frais de transport. Nous rappelle-
rons ici l'un des exemples cités par M. de Gasparin .
« L'olivier fructifie encore sous les coteaux de Sainte-
Foy à Lyon ; mais sa culture s'est arrêtée à Beauchatel ,
à 18 kilomètres au sud de Valence sur la rive droite , et à
Donzère, à 59 kilomètres au sud du même point sur la rive
gauche. Au delà de ces localités les produits deviennent.
faibles , incertains ; ils couvriraient difficilement les frais et
ne pourraient lutter avec les produits d'un autre genre ,
la vigne et le mûrier, qui se sont emparés de toutes les
expositions favorables. Il y a eu un temps où on plantait
l'olivier dans toutes les positions qui en étaient suscepti-
308 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
bles en dedans de cette limite ; alors l'industrie de la soie
était peu développée. D'autre part , les routes étaient peu
nombreuses , mal entretenues ; on n'avait guère que des
chemins faits seulement pour des mulets. Des voies de
communication si difficiles rendaient onéreux tout trans-
port d'une marchandise encombrante comme le vin qui
occupait seulement les abords du fleuve ; tandis que l'huile
représentant une plus grande valeur sous le même poids
supportait les frais de voyage. Il faut bien que , compara-
tivement à d'autres cultures , le compte de l'olivier se soit
soldé en perte depuis que les circonstances sont changées, car
ceux qui sont morts dans les grands hivers n'ont pas été
remplacés vers la limite de la région ; et partout où ils ont
laissé une place vide , le mûrier et la vigne l'ont occupée.
A la même latitude, près de Nyons (Drôme) , un excellent
abri donnant des récoltes plus assurées et plus abondan-
tes , l'olivier est resté en honneur et continue à être cul-
tivé en première ligne comme par le passé. »
Des changements analogues dans les cultures ont pu
faire croire à des changements correspondants dans le cli-
mat. Bien qu'il soit parfaitement démontré que certains
climats se modifient , les arguments tirés des cultures doi-
vent être maniés avec réserve, et il est nécessaire de bien
se rendre compte des motifs qui ont guidé dans l'intro-
duction d'une plante nouvelle ou dans l'abandon d'une
plante ancienne dans un pays.
L'industrie et la législation contribuent aussi à limiter
les cultures autrement qu'elles le seraient dans la nature ;
mais l'action législative tend sous ce rapport à s'effacer
graduellement devant la nécessité des échanges , et par
suite des avantages qui en résultent pour l'ensemble des
populations.
LIMITES IMPOSÉES A LA CULTURE. 309

Limites statistiques des cultures.

M. de Gasparin désigne de ce nom celles qui naissent de


la force et de la densité des populations.
Dans les pays à grandes cultures de céréales , le nombre
d'ouvriers nécessaires pour cultiver et ensemencer la terre
est tout à fait insuffisant pour les travaux de la moisson ;
il faut avoir recours à des populations étrangères. Dans
le nord de la France de nombreuses troupes de Belges
viennent abattre les blés. Dans le midi de la France , ce
sont les montagnards dont les blés ne sont pas mûrs et
qui descendent pour faire les moissons de la plaine en
attendant que celles de leurs propres champs soient bon-
nes à couper. C'est encore de la même manière que les
choses se passent en Toscane, à Rome, à Naples. En em-
ployant même la faux qui est la méthode la plus expédi-
tive quand on opère à bras d'homme , la moisson exige
2 hommes et 2 femmes par hectare; la culture exige seu-
lement un homme par 20 hectares ; si donc on n'employait
dans une ferme que la population de la ferme , la moisson
durerait 40 jours. Le défaut de populations supplémen-
taires qu'on puisse appeler d'un pays voisin peut donc
poser une limite à certaines cultures. La création des ma-
chines est le seul moyen de combattre cet obstacle.
La culture de la vigne à bras , telle qu'on la pratique
dans le nord de la France , en Allemagne , en Suisse ,
exige aussi une nombreuse population occupée toute l'an-
née. La culture à la charrue usitée dans une grande partie
du Languedoc n'occupe pas plus de bras que la culture du
blé ; aussi y a-t-elle pris une très-grande extension ; mais
la vendange emploie une population supplémentaire.
La culture du mûrier et l'éducation des vers à soie qui s'y
rattache nécessairement, conduisent aux mêmes résultats.
310 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Chaque 100 kilogrammes de cocons produits est l'œuvre de


2 ouvriers. Le département du Gard, pour fournir 2,700,000
kilogr. de cocons, y emploie la moitié de sa population au-
dessus de 12 ans. La production est donc naturellement
limitée par le chiffre des individus disponibles pendant la
huitaine qui termine l'éducation des vers à soie.
Ces limites se rapportent à la quantité du produit ; mais
il est évident que la nécessité de faire appel temporaire-
ment à des populations étrangères au pays ou au genre
de culture , peut créer des difficultés et des accroissements
de prix de main d'œuvre qui limitent même les régions où
la culture serait encore possible.

Limites agricoles des cultures .

Il est des cultures qui s'excluent sous l'influence des


causes que nous venons d'énumérer. Ainsi dans les ré-
gions où la récolte du foin se rencontre avec le dernier
âge des vers à soie , la culture du mûrier sera limitée par
l'absence de bras. Dans les pays où les semailles des cé-
réales doivent se faire de bonne heure en automne , on
n'introduira pas la culture de la garance en grand ,
l'arrachage de cette plante se faisant dans cette même
saison et à grand renfort de bras.
Les limites agricoles tiennent aux modes de tenure et
de culture généralement adoptés dans chaque pays et à
la distribution du temps des ouvriers employés à ces cul-
tures. Elles peuvent donc être facilement changées dans
certains pays par les grands propriétaires du sol et les
grands fermiers . Il est très-loin d'en être ainsi partout ,
et il faut beaucoup de temps pour faire pénétrer dans les
pays où la terre est très-divisée , des modifications un peu
importantes dans les procédés de culture. Il en est ainsi
particulièrement dans les fermes peu étendues dont les
LIMITES IMPOSÉES A LA CULTURE . 311
baux sont à faible durée. La difficulté est beaucoup
moindre quand la terre est cultivée par le propriétaire
même et que l'amélioration n'exige qu'une dépense de
temps sans grande dépense d'argent. Mais si les limites
économiques , statistiques , agricoles , peuvent être plus ou
moins modifiées par des changements dans la législation ,
par l'extension et l'amélioration des voies de communica-
tion, par la création des machines, par la découverte d'en-
grais nouveaux , par l'acclimatation de nouvelles espèces
animales ou végétales , par la création de nouveaux be-
soins à satisfaire , les limites météorologiques sont beau-
coup plus constantes.
« L'olivier reçu en Provence de la main des Grecs Pho-
céens Ꭹ vit encore et n'a pas dépassé ses anciennes limi-
tes ; la vigne plantée dans les Gaules peut produire ses
fruits partout où l'histoire signale d'anciennes récoltes de
vin; le palmier fructifère n'a pas franchi la Méditerranée ;
toutes les grandes cultures ont trouvé successivement
leurs limites , mais elles n'ont pas quitté les lieux où elles
étaient établies. Les convenances statistiques , économi-
ques , agricoles , ont causé des oscillations mais point de
grands changements . C'est donc aux limites météorolo-
giques seules qu'il faut s'attacher pour décrire les régions
culturales , tout en indiquant les anomalies amenées par
les causes qui leur sont étrangères .
312 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

CHAPITRE X.

RÉGIONS AGRICOLES .

Détermination des régions agricoles.

La détermination des régions agricoles devrait être basée


sur les deux ordres de faits indiqués précédemment et re-
latifs les uns à la plante, les autres au sol et au climat où
elle doit vivre. Les données journalières de la pratique peu-
vent jusqu'à un certain point suppléer à l'insuffisance des
données scientifiques dans un pays où nous vivons habituel-
lement et pour les plantes qui nous sont familières. Dans
un pays neuf pour nous , où dans le cas d'introduction de
cultures nouvelles , nous sommes obligés de recommencer
les tâtonnements inséparables d'une pratique qui n'est pas
guidée par une théorie sûre d'elle-même.
Dans les conditions actuelles , nous devons rechercher
quelle est dans chaque région la plante qui fournit les
récoltes les meilleures , les plus abondantes et les plus as-
surées ; puis , quelles sont les plantes accessoires dont la
réussite moins certaine présente cependant encore une
suffisante somme d'avantages , et enfin quelles sont les
plantes dont la culture est fondée sur des circonstances
artificielles et doit disparaître avec elles. Cette connais-
sance , jointe à celle du climat et du sol, nous renseigne
sur les exigences des plantes soumises à l'examen et nous
permet de prévoir dans d'autres lieux , dont le climat et le
sol seraient également connus , les espèces que l'on pour
RÉGIONS AGRICOLES. 313

rait introduire le plus avantageusement dans la culture.


Si le sol ou la plante sont nouveaux pour nous , il est un
autre moyen de s'éclairer.
Parmi les nombreuses plantes vivant à l'état naturel
sur les terres cultivées ou non , il en est de caractéristi
ques du sol et du climat ; il faut s'attacher à les bien con-
naître et , parmi elles , rechercher celles qui sont propres
aux régions où chaque culture est placée dans les condi-
tions les meilleures , et celles qui commencent à se mon-
trer là où les conditions commencent à devenir moins
bonnes ou mauvaises. On obtient ainsi des renseignements
naturels pouvant acquérir une grande valeur.
Les régions agricoles ne peuvent être homogènes que
dans les pays de plaines ; encore la nature du sol peut-elle
y varier beaucoup d'un point à l'autre. Les parties de la
région où le sol est imperméable aux eaux ou fortement
irrigué seront dans des conditions tout autres que celles
où le sol est perméable et mal arrosé : les premières seront
plus humides, plus propres aux herbages, les secondes se-
ront plus sèches et plus propres aux céréales ou aux cul-
tures arborescentes. Dans les pays accidentés , à cette di-
versité dans la nature du sol viennent se joindre les diffé-
rences d'altitude, d'exposition , d'abri. Aussi dans une ré-
gion agricole bien caractérisée dans son ensemble , pourra-
t-on trouver çà et là des parties appartenant à une tout
autre région et où les habitants commettraient une grande
erreur en suivant les pratiques de leurs voisins autrement
partagés. On voit quelquefois l'olivier, la vigne, les céréa-
les transportées à des hauteurs où leur maturité est tar-
dive et douteuse. Ces cultures y prospèrent dans les années
très -favorables ; mais le nombre des années mauvaises aug-
mente à mesure que l'on s'éloigne davantage du climat
propre à chaque culture. Les plantes qui aiment le soleil
réussiront mal sur les versants nord des massifs monta-
18
314 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

gneux; celles qui prospèrent à l'exposition du midi sur


les hauts plateaux dépérissent rapidement dans la plaine
où la lumière est moins vive , même en plein soleil, tan-
dis que les plantes qui aiment l'exposition du nord dans.
la montagne s'acclimatent très-bien dans la plaine. Imiter
ses voisins n'est donc pas toujours la conduite la plus sage .
Du moins faut-il s'assurer que les conditions de chaleur,
de lumière et d'humidité sont semblables .
Dans l'examen rapide que nous allons faire des princi-
pales régions agricoles , nous ferons abstraction des lieux
élevés ou de ceux dont le climat naturel est modifié par
l'irrigation. C'est en pénétrant ensuite dans le détail de
chaque région que ces influences locales apparaîtront dans
toute leur importance .
Si nous envisageons l'Europe dans son ensemble , nous
y trouvons trois grandes divisions. Au sud et au sud- est ,
ce sont des arbres et des arbustes qui tiennent le premier
rang parmi les produits du sol : la vigne , le mûrier, l'oli-
vier. Le sol est trop sec à la surface pour que les plantes
herbacées puissent y prospérer d'une manière régulière.
Au nord-est et au nord on ne cultive plus que des plan-
tes herbacées avec quelques arbres fruitiers pour la table.
Plus au nord encore , on retrouve les arbres mais en forêt
et pour leur bois. Du bas en haut des montagnes on ren-
contre la même succession : les végétaux arborescents
cultivés pour leurs fruits , puis les cultures herbacées , en-
fin les forêts .
La première division présente deux grandes régions
bien distinctes par le climat comme par le genre et les
procédés de culture : celle où la culture de l'olivier est
possible , celle où cette culture n'étant plus possible par
manque de chaleur solaire de l'été , les cultures les plus
riches des terres sèches sont la vigne et le mûrier.
La seconde division où domine la culture des plantes
RÉGIONS AGRICOLES. 315

herbacées se distingue aussi en deux régions celle où


prédomine la culture des céréales ; celle où prédominent les
herbages et les racines alimentaires.
La troisième division, elle aussi , peut se partager en
deux sous-divisions ; dans l'une on trouve réunis les arbres
verts et les arbres à feuilles caduques ; dans l'autre , les ar-
bres verts n'admettent d'autre mélange que celui du bou-
leau qui termine la série des végétaux utiles dans le nord.

Région des oliviers.

La côte septentrionale de l'Afrique paraît être la patrie


de l'olivier. Cet arbre y acquiert de grandes dimensions ,
y constitue de véritables bois et y serait le pivot principal
de la culture si le pays était suffisamment peuplé. Cepen-
dant, les terres non cultivées se garnissent au printemps
de fourrages abondants parmi lesquels s'élève le sainfoin
d'Espagne (sulla) ; on y cultive avec fruit les céréales :
le blé dur qui supporte le mieux la sécheresse ; le blé
barbu de Roussillon , qui la supporte également bien. La
coupe a lieu vers le 25 mai ; mais la sécheresse de la terre
ne permet plus jusqu'à l'année suivante d'obtenir de nou-
veaux produits là où l'irrigation ne vient pas suppléer à
l'absence de pluies d'été. Les cultures arbustives permet-
traient seules de mettre le terrain en plein rapport ; et
parmi elles celle de l'olivier, qui n'exige pas le concours
d'une population très-nombreuse , doit l'emporter sur le
mûrier et la vigne dont l'exploitation exige un plus nom-
breux personnel.
Les îles de la Méditerranée se trouvent à peu près dans
les mêmes conditions. Des cantons entiers de la Sardaigne,
de la Corse , des îles Baléares sont plantés en oliviers aux-
quels s'associe la vigne. En Sicile l'olivier n'a jamais oc-
316 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

cupé des espaces bien étendus. Cette île , que l'antiquité


faisait la patrie de Cérès , était surtout renommée par l'a-
bondance de ses blés. De mauvaises conditions économi-
ques ont détruit l'agriculture de cette fertile contrée et
les seuls cantons restés prospères sont ceux où se pressent
les oliviers, les mûriers et les orangers , et ceux tels que
Palerme où l'irrigation fait cesser l'interdiction que la sé-
cheresse oppose durant six mois de l'année à la culture
des plantes herbacées .
La Grèce, la Judée , l'Asie Mineure sont couvertes de
beaux oliviers . Le mûrier s'y montre partout où la popu-
lation se condense. L'Égypte, grâce aux inondations du
Nil, peut se passer des cultures arbustives.
L'olivier s'élève , en orient , jusqu'en Crimée. Dans
l'ouest, sur les côtes occidentales de la péninsule ibérique ,
il ne remonte pas au delà du Portugal. Les vents du sud-
ouest qui règnent fréquemment au delà pendant l'été ,
abaissent la température de cette saison. Mais sur la côte
méditerranéenne de l'Espagne , l'olivier se montre partout
au premier rang. Dabord il est associé à la canne à sucre
vers Grenade , puis à la vigne et au mûrier en avançant
vers les Pyrénées. Au nord de cette chaîne de monta-
gnes , on le rencontre au pied des Corbières. En partant
de là , il ne suit pas la ligne droite tracée par Arthur
Young, mais contournant le fond des vallées , il a pour
limites en France Arles (Ariége), Olette , Carcassonne ,
Sidobre, Saint-Chignan , Saint-Pons , Lodève , le Vigan ,
Saint-Jean du Gard , Alais , les Vans , Joyeuse , Aubenas ,
Beauchatel, Donzère, Montsegur, Nyons, Villeperdrix, Le
Buis , Sisteron , Digne , Bargemont.... Dans les différentes
vallées où il pénètre , il atteint les altitudes suivantes :
à Alais 300m ; à Saint- Saturnin 423m; à Vieux- Beausset
365m ; à Vialard 365m ; à Bargemont 602m ; à Seillans
611m , à Fayence 622m , à Grasse 453m, à Vence 433. Dans
RÉGIONS AGRICOLES. 317

ces mêmes contrées le chêne blanc s'arrête à 1,000m d'é-


lévation.
Traversant les Alpes pour gagner le pied méridional
des Apennins , l'olivier s'étend jusqu'au royaume de Na-
ples où on le trouve sur les deux pentes de la chaîne , puis
sur le bord opposé de l'Adriatique, en Dalmatie , et de là
il gagne la Grèce.
Deux contrées isolées de la région que nous venons de
circonscrire , les bords des lacs de Garde et de Come, ren-
ferment encore des oliviers. Il paraît qu'il en existait une
troisième près de Bex en Suisse ; mais l'olivier a disparu
de cette localité.
La région des oliviers peut se diviser naturellement en
deux sous-régions : celle où l'arbre ne gèle jamais ; celle
où il succombe quelquefois aux froids de l'hiver. Dans la
première où la température ne descend jamais au-dessous
de 5º et qui n'a annuellement que 10 à 12 jours de
gelée , on peut cultiver l'oranger, le coton herbacé , le ca-
roubier, le sulla , le figuier d'Inde ( cactus opuntia ). L'a-
gave , le styrax officinal et l'anagrys fétide achèvent de
caractériser cette sous -région .
Dans la seconde sous-région où l'olivier gèle quelque-
fois , cet arbre atteint des dimensions moins élevées , mais
il est mieux soigné et produit des récoltes qui , déduction
faite des années consacrées à la reproduction des sujets
qui ont péri , peuvent encore lutter avec ceux de la pre-
mière. Cette seconde sous-région comprend le midi de la
France à l'exception de quelques cantons bien abrités au
bord de la mer. On reconnaît que l'on passe de la pre-
mière à la seconde , par la disparition du caroubier, du
figuier d'Inde , de l'oranger et des autres plantes qui lui
sont spéciales. Mais on y voit encore le pin pignon , le pin
d'Alep , le genévrier faux cèdre et de Phénicie, qui ne sor-
tent pas de la région des oliviers.
18.
318 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Caractères météorologiques de la région des oliviers.


- La région des oliviers doit présenter deux
caractères
principaux et essentiels : la température de l'hiver ne
doit pas descendre au-dessous de 7 ou 8 degrés de
froid ; si elle y descend accidentellement , ce froid ne
doit pas durer plus d'une huitaine de jours ; autrement
l'olivier perd ses rameaux si le dégel est trop prompt.
D'un autre côté , la somme de chaleur lumineuse de l'été
doit être assez forte pour que l'arbre puisse mûrir ses
fruits.
M. de Gasparin, en partant de calculs dont nous avons
indiqué les bases , chapitre III , page 218 , trouve , pour la
quantité de chaleur totale atmosphérique et solaire , les
nombres suivants : 3977 à Orange depuis la floraison de
l'olivier jusqu'aux premiers froids, 3284 à Toulouse entre
les mêmes limites. Orange est un peu en deçà vers le sud
de la limite des oliviers ; Toulouse est un peu au delà vers
le nord ; c'est donc entre ces deux nombres qu'est comprise
la somme de chaleur nécessaire à l'olivier. On peut em-
ployer dans un premier aperçu un autre mode de calcul
basé sur les seules températures maxima et minima à
l'ombre , qui sont généralement observées ( 1 ). En prenant
deux fois le maximum , une fois le minimum , divisant la
somme par 3 et multipliant ensuite le tiers par la durée
du jour exprimée en heures, nous trouvons les résultats
suivants pour les mois de mai , juin , juillet , août , septem-
bre, octobre :

Perpignan 63200
Montpellier. 61100
Marseille . 59000

(1) L'emploi des actinomètres rendra ces déterminations beaucoup


plus précises.
RÉGIONS AGRICOLES. 319
Brignolles • 56500
Orange. 57900
Toulouse . 51200

55000 degrés horaires du 1er mai au 31 octobre forment


done à peu près la limite du nécessaire pour l'olivier.
Mais cette somme nécessaire n'est pas toujours suffisante :
elle est dépassée à Milan où on ne cultive pas l'olivier
parce qu'on y dispose d'eaux abondantes , et aussi parce
que les froids de l'hiver feraient trop fréquemment périr
la plante. Dès que les abris modifient cette dernière cir-
constance , l'olivier reparaît sur les terrains secs comme
aux alentours des lacs de Garde et de Come.
L'olivier n'exclut pas les céréales. La culture du blé qui
mûrit à la fin du printemps, avant la dessiccation complète
de la terre, y est au contraire générale. Son grand ennemi
est la sécheresse du printemps : quand les pluies font dé-
faut en cette saison , ce qui arrive trop souvent , la récolte
est compromise à moins que des irrigations abondantes
ne viennent suppléer à l'absence des pluies comme en
Égypte. Même dans les printemps où l'eau ne manque pas ,
le blé talle peu du pied , sauf dans les terres fraîches , mais
il graine bien ; sa paille n'est pas très-abondante , mais
elle est résistante et nutritive ; la récolte est facile , le dé-
piquage peut s'en faire en plein air et le grain est d'un
bon poids et riche en gluten. Malgré tous ces avantages ,
les cultures arbustives seront toujours la grande ressource
des habitants de la région des oliviers quand la population
est un peu condensée. Quand elle est rare et disséminée ,
qu'elle dispose de larges espaces dans un pays très-acci-
denté, c'est aux troupeaux qu'elle a recours. La végétation
des plantes fourragères est luxuriante pendant la saison .
des pluies ; elle peut nourrir de nombreux troupeaux.
A l'arrivée de la saison sèche toute cette végétation dis-
320 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
paraît. Il faut gagner la montagne où la chaleur est moins
forte, où les pluies durent plus longtemps , où l'humidité
se conserve mieux et où la végétation herbacée se maintient
assez bien jusqu'au retour des pluies. Malheureusement les
abus de la dépaissance ont été une cause de ruine pour
certains pays montagneux qui ont été dénudés par l'action
des eaux .

Région des vignes .

La culture de la vigne a pour limites, au midi , celles


de la région des oliviers. Ces deux régions , de la vigne
et de l'olivier, ne sont toutefois pas séparées par une
ligne bien définie ; elles se superposent dans une étendue
variable suivant les pays. La vigne exige moins de cha-
leur que l'olivier ; mais elle a besoin de plus d'humidité
pour développer ses feuilles et ses fruits. Ses produits
plus encombrants exigent aussi des moyens de commu-
nication plus faciles. Elle pénètre donc plus ou moins
avant , suivant les lieux , dans la région des oliviers,
de même que ceux-ci empiètent sur la région des vignes
là où les circonstances locales y donnent avantage.
La région des vignes embrasse une grande partie du
plateau central de l'Espagne et toutes ses côtes ouest et
nord. En France , elle dépasse ses limites naturelles vers
le nord. On y trouve quelques vignes sur des points bien
exposés des côtes méridionales de la Bretagne. La limite
se relève un peu au nord de Paris , traverse le Rhin et
s'arrête aux environs de Dresde pour descendre ensuite
vers le sud-est ; mais sur la partie centrale de l'Europe ,
elle éprouve des inflexions considérables dues aux massifs
montagneux qui s'y développent sur une large échelle. De
Dresde où elle s'arrête , la ligne limite rétrograde le long
des frontières de la Bohême pour venir reprendre le Rhin
au nord de Coblentz ; elle suit ce fleuve et enferme les
RÉGIONS AGRICOLES. 321

bords du lac de Constance ; elle retourne alors vers l'ouest


à l'approche des hautes montagnes de la Suisse , ne com-
prend dans son enceinte que les parties inférieures des
vallées de l'Aar, de la Thièle , le lac Léman ou de Genève,
et le Valais. Elle traverse les Alpes vers le milieu de ce
dernier canton ; elle en suit les pentes méridionales, em-
brasse la Vénétie ; puis elle traverse de nouveau les Alpes
pour envelopper la basse Autriche, la Hongrie, la Valachie,
et s'étend en orient jusqu'en Crimée. Les pays montagneux,
la Servie , la Bulgarie , sont seuls exceptés et forment des
îles terrestres appartenant à la région des céréales et à
celle des pâturages.
Cette vaste enceinte comprenant tous les points où on
cultive la vigne pour le vin , n'est pas également propre à
cette culture. Dans la partie méridionale , la vigne peut
être cultivée en plaine , sans abris. Dans la partie septen-
trionale , au contraire, il faut lui choisir des expositions
favorables ; elle devient en quelque sorte la spécialité de
ces expositions au milieu d'une culture toute différente.
La culture du maïs, telle qu'elle est délimitée dans la carte
(fig. 47), se trouve dans les mêmes conditions. La limite de
la région du maïs s'arrête à une ligne allant de l'embou-
chure de la Garonne à Spire ; nous l'avons reportée plus
haut pour y comprendre tous les points où le maïs peut
encore être cultivé avec quelque avantage, soit à cause de
l'exposition, soit à cause de convenances locales.
Caractères météorologiques de la région des vignes. -
Si nous calculons les degrés horaires de chaleur lumineuse
correspondant aux mois de mai , juin , juillet , août et
septembre dans l'année 1868 , nous trouvons les résultats
suivants :

Montpellier 55900
Ichtratzeim 51000
Blois . 50200
322 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
Doulevant le Château . 48700
La Charité. · • 48600
Tours. 48600
Montargis 48400
Metz . 47800
Caleves. 47700
Chatillon. 47300
Paris . 46800
Soissons. 46600
Verdun. 44600
Beauficel . 43400
Fécamp. 40400
Bruxelles. 40800
Berne. 44800
Cracovie . 45800
Vienne , Autriche . 49900

Montpellier est au cœur de la région des vignes. Le


nombre des degrés horaires de chaleur diurne s'y élève à
55900. Cette somme est à Palerme de 56500. A Guibar-
Bou-Aoun, en Algérie, elle monte à 63000 environ ; c'est
une limite extrême. La vigne exige de la chaleur, mais ,
son produit s'altère quand elle en reçoit trop. La chaleur
diminue assez rapidement à mesure qu'on s'élève vers le
nord ou sur les plateaux. Au-dessous de 50000 degrés ho-
raires la vigne a besoin d'abris ; au -dessous de 45000 les
abris ordinaires ne suffisent plus et on sort complétement
de la région des vignes.
D'après M. Chatin, la truffe a les mêmes limites, à très-
peu près que la vigne ; elle s'élève sur les collines à quel-
ques dizaines de mètres à peine au-dessus du point où
s'y arrête la vigne.
Le maïs, au contraire , monte moins haut. Metz est placé
près de la limite de cette plante qui fructifie encore à Paris
dans les bonnes années. La somme de chaleur qui lui est
nécessaire est donc voisine de 47000 degrés horaires. Le
maïs d'ailleurs ne peut pas supporter les terrains secs
RÉGIONS AGRICOLES. 323
comme l'olivier ou la vigne ; et comme les terrains humides
ne s'échauffent pas autant que les terrains secs , c'est une
nouvelle cause de limite à l'extension de la culture de cette
plante vers le nord , du moins de sa culture en plein champ.
Si au contraire on la plante en bordure en lui laissant toute
la lumière qu'elle peut prendre , elle s'étend plus loin ( 1) .
Dans le Midi , la limite du maïs est déterminée par le
degré d'humidité du sol en été. En Italie , comparons la
Toscane à la Lombardie.

A Florence, la quantité de pluie estivale est de. 135mm,3


- le nombre de jours de pluie est de . 17,1
A Milan, la quantité de pluie et de jours plu-
vieux sont 223, 24,7
A Vicence, >> 261, 3 24,9

On a donc à Florence en moyenne tous les 5 jours une


pluie de 8mm, soit 1mm6 d'eau par jour moyen.
A Milan on a moyennement , tous les 4 jours , une pluie
de 9mm, soit 2mm2 d'eau par jour moyen.
A Vicence on a, tous les 4 jours en moyenne, une pluie
de 10mm, soit 2mm5 par jour moyen.
De plus , à Florence , l'évaporation de l'eau est 10 fois
la hauteur d'eau tombée ; à Vicence elle est seulement de
3 fois la hauteur d'eau pluviale. On voit, d'après ces nom-
bres , combien la terre est plus fraîche en Lombardie qu'en
Toscane. La même différence existe entre la plaine d'O-
range et celle de Toulouse.

A Orange, la quantité et le nombre de jours de pluie sont. 110mm 18,5


A Toulouse, >> >> 154 25
Ce qui donne par jour moyen , à Orange, 1mm,2
>> >> à Toulouse, 1 , 9
De plus, l'évaporation de l'eau est, à Orange de 9,2 fois la pluie tombée
à Toulouse de 1,9 "

(1) Nous rappelons qu'il s'agit ici du maïs en grain.


324 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
Les bassins du Pô et de la Garonne sont donc beau-
coup plus favorables à la culture du maïs que la Toscane
et la plaine d'Orange.
Le froment est cultivé dans toute l'étendue de la région
des vignes , mais à des degrés inégaux. Dans la partie
méridionale de la région , le maïs l'emporte souvent sur
le blé. Ainsi , d'après M. de Gasparin , la Lombardie en-
tière regarde tellement le maïs comme étant l'aliment de
première nécessité que , malgré l'infériorité réelle de son
pouvoir nutritif, le prix de ce grain s'élève même au-
dessus de celui du froment dans les années où sa récolte
vient à manquer le froment n'y supplée pas le maïs.
Dans la Franche- Comté et le Languedoc , ces deux grains
servent concurremment à la nourriture. A mesure qu'on
s'avance davantage vers le nord , l'usage du maïs pour
l'homme diminue graduellement en se conservant plus
loin pour les animaux.
Le blé d'automne est , dans toute la région , celui qui
donne le plus grand produit. La fraîcheur de la terre au
printemps dans la partie nord de cette région permet
d'en semer aussi dans cette saison. Par contre l'avoine
qui peut supporter l'hiver dans la partie méridionale n'est
plus semée qu'au printemps dans la partie nord. Aussi ,
dans la sous -région du maïs , les assolements biennaux
faisant revenir les céréales tous les deux ans, sont-ils plus
répandus que dans l'autre sous- région où les assolements
triennaux sont au contraire préférés. Ces pratiques se mo-
difient d'ailleurs assez rapidement suivant les lieux à me-
sure que la terre est mieux cultivée et qu'on apprend à
en tirer un meilleur parti.

Région des céréales .

A mesure que la chaleur de l'été diminue , que la


RÉGIONS AGRICOLES. 325

culture de la vigne se localise davantage dans les terres


abritées , sèches et favorablement exposées , que cette
culture exige plus de soins et plus de frais , les céréales
reprennent le premier rang. Un peu plus haut dans le
nord et dans l'ouest , les céréales à leur tour céderont le
premier rang aux pâturages , aux racines , à l'élevage et à
l'engraissement des animaux ; parce que l'excès d'humi-
dité y compromet les récoltes du blé , tandis que les four-
rages y sont abondants et assurés.
La nature du sol et du sous-sol , son inclinaison , son
exposition , ses aptitudes , les convenances locales , pourront
étendre plus ou moins haut la culture des céréales ; tandis
que les conditions inverses du sol , et l'abondance des
eaux employées aux irrigations pourront étendre plus ou
moins bas les récoltes racines et les plantes fourragères.
Si l'on envisage seulement les influences générales , on
trouve que la région des céréales , c'est-à-dire celle où les
céréales sont la principale et la plus riche culture , laisse
en dehors de sa limite une partie des côtes du Poitou , de
la Bretagne , de la Normandie , de la Picardie. Il en est
de même des côtes de la Belgique , de la Hollande tout
entière , et de certaines parties de la Westphalie , du Da-
nemark et de la Norwége. L'Irlande est tout entière en
dehors ; l'Écosse pareillement , ainsi que la partie occiden-
tale de l'Angleterre la partie orientale moins humide
que la partie occidentale est à cheval sur les deux ré-
gions ; elle peut , suivant les convenances , rester livrée à
la culture des céréales ou s'adonner de plus en plus à
l'élève des bestiaux. Au moment ou Arthur Young décri-
vait l'agriculture de l'Angleterre , le labourage y était pres-
que universel ; malgré l'accroissement de l'industrie et de
la population, les céréales y ont graduellement fait place
au pâturage et à l'élève des bestiaux , qui généralement y
est l'industrie de la terre la plus profitable comme elle
19
326 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

l'est en Irlande , sur les côtes ouest d'Angleterre et dans


les hautes terres de l'Écosse. Le midi de la Suède et la
Russie paraissent faire partie de la région des céréales
quand ces pays ne passent pas à la région forestière . La lon-
gueur des hivers y donne un grand désavantage à l'élève
des bestiaux comparativement à la culture des céréales.
Dans la zone des céréales , le passage du blé aux fourra-
ges est donc surtout une question d'humidité , ou de rap-
port entre la pluie et l'évaporation. Ce rapport n'est guère
mieux connu aujourd'hui qu'à l'époque où écrivait M. de
Gasparin voici les nombres donnés par cet agronome
dans son Traité d'agriculture , pour les pays à pâturages.
L'évaporation y est exprimée en fraction de la hauteur d'eau
tombée prise pour unité.

Copenhague . évaporation. 0,6


Middelbourg . 0,7
Vegernsée. • 0,6
Pontarlier. 0,8
Göttingue. 0,8

Pour les pays de la région des céréales les plus voisins


des pâturages :

Stockholm • 1,2
Bruxelles. 1,0
Munich . 1,4
Lons-le-Saulnier . 1,2

Nous avons déjà dit que l'humidité propre du sol dé-


pendant de sa nature , de sa position , de son arrosement.
le font , dans le même pays, passer dans la région des pâtu-
rages ou dans celle des céréales : des convenances locales
produisent le même effet. La nécessité de nourrir les bes-
tiaux et la difficulté de transporter les fourrages à cause
de leur volume donne un prix artificiel aux prairies dans
RÉGIONS AGRICOLES. 327

la région où elles sont rares , et oblige à associer aux cé-


réales les récoltes fourragères , telles que colza , seigle ,
trèfle, vesces , pois , sarrasin , moha , maïs , millet, etc.
De même, la difficulté du transport des grains dans les
pays où les communications sont difficiles , fait conserver
les céréales en dehors des lieux qui leur conviennent le
mieux. L'Égypte doit ses blés aux inondations du Nil ; là
où les eaux du fleuve ne peuvent s'épandre commence le
désert. La basse Camargue, les environs d'Hyères et de
Fréjus , les Maremmes de Toscane , les marais Pontins ,
bien que placés dans la région des oliviers , rentrent dans
la région des pâturages à cause de leur faible hauteur au-
dessus de la mer et de la faible pente qu'ils présentent à
l'écoulement des eaux. En Norwége , dans le Lyngenfiord,
sous le 70me degré de latitude , la neige ne disparaît que
du 15 au 20 mai , et cependant ce point très-enfoncé dans
les terres et loin de la mer est considéré comme un excel-
lent pays à blé , tandis que cette céréale disparaît au-des-
sous , jusqu'à Christiana , le long de la côte. C'est que , par
sa position très-élevée vers le nord et loin de la mer, le
ciel y est presque toujours serein , et que le soleil y reste
près d'un mois sur l'horizon. Le blé y donne 10 à 12 fois
la semence , selon Lessing, mais le grain est peu riche en
azote.
En Russie et en Sibérie la région des céréales est limitée
par la rigueur et la durée des hivers.

Région des pâturages.

La région proprement dite des pâturages, celle où la


production spontanée de l'herbe et la nourriture des
animaux sont le mode le plus avantageux de tirer parti
de la terre , se partagent en plusieurs sous-régions.
1º Celles où l'herbe est en toute saison si abondante et
328 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

si assurée que le résultat économique de cette récolte ve-


nant sans frais l'emporte sur celui des autres récoltes , d'au-
tant plus que l'état habituel d'humidité de l'air et du sol,
caractéristiques de cette région , oblige à un redoublement
d'activité dans la culture. Les pays ainsi favorisés consti-
tuent la sous-région des pâturages pérennes.
2º Celles où l'herbe très-abondante en hiver se dessèche
en été , mais où la population est trop rare, ou l'air trop
malsain pour permettre une culture active : telles sont
certaines parties de l'Afrique , les Maremmes de la Toscane
les environs de Rome ( 1) ; ou bien celles où le sol est aride,
trop peu fertile pour que les récoltes paient les cultures ,
telle que la plaine de la Crau. Ces pays forment la sous-
région des pâturages d'hiver.
3º Celles où pendant l'hiver, la rigueur et la durée du
froid , l'abondance des neiges , ne permettent aucune végé-
tation , mais où l'herbe est abondante en été : tels sont
les pays du nord et les plateaux montagneux même dans
les pays chauds. Ils forment la sous-région des pâturages
d'été. La première et la troisième sous-région sont dues
au climat ; la seconde , quand la terre est fertile , rentre-
rait dans les régions des oliviers , des mûriers , des vignes
ou des céréales le jour où les miasmes auraient disparu.
La sous-région des pâturages pérennes comprend, en
France , la partie du Poitou , de la Bretagne , de la Nor-
mandie , la plus rapprochée des côtes , et surtout celle qui
forme le fond des vallées .
La sous-région des pâturages d'hiver comprend les
Landes , les plaines de la Crau , près d'Arles , et d'autres

(1 ) Ces conditions actuellement existantes ne sont point nécessaires .


Des capitaux et des bras permettraient de les changer d'une manière
complète. Les conditions économiques dominent ici absolument les
conditions de climat,
RÉGIONS AGRICOLES. 329

plateaux caillouteux en Languedoc et en Provence , la


basse Camargue et plusieurs autres espaces attenants à la
mer en Languedoc et en Provence , les côtes de Corse, des
terrains très-vastes en Algérie. Le désalement des terres
pratiqué avec succès dans la Camargue en a rendu une
partie à la grande culture.
Enfin la troisième sous-région comprend les cimes et
les plateaux des Pyrénées , des Alpes , une partie du pla-
teau central des Cévennes , des Vosges...
On cultive du blé dans la région des pâturages pérennes
et des pâturages d'été ; mais les conditions favorables aux
herbages sont mauvaises pour les grains. Le plus beau blé
de l'Europe et du monde entier se trouve constamment
dans les pays secs dont le degré actinométrique est élevé.
L'Irlande a beaucoup souffert pour avoir agi en dehors
des conditions de son climat. « Si en s'efforçant d'imiter
l'Angleterre , dit M. de Gasparin , elle n'avait pas perdu
de vue ses intérêts réels elle fournirait de bétail l'Europe
entière , et on n'y verrait pas une population famélique
dont le travail est si mal récompensé par le sol, et qui est
réduite à chercher dans le produit des pommes de terre
les ressources alimentaires que les récoltes chanceuses du
froment lui refusent. » Ce n'est pas là la cause unique des
souffrances de l'Irlande ; mais on ne peut s'empêcher de
reconnaître qu'elle a beaucoup contribué à les accroître.

Région des forêts.

La région des forêts s'étend au milieu des autres sur des


terrains trop pauvres pour passer à l'état de pâture. Elle
embrasse au nord une vaste étendue où la longueur des hi-
vers et le peu de développement des herbes pendant l'été
ne permettent pas de nourrir avec profit des animaux. Elle
330 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

occupe encore les parties escarpées des montagnes où


l'élévation produit le même effet que le rapprochement du
pôle.

CHAPITRE XI.

MÉTÉOROGNOSIE .

La météorognosie a pour objet d'appliquer les connais-


sances acquises en météorologie à l'établissement des pro-
babilités du temps à venir : c'est l'art de prévoir les phé-
nomènes météorologiques prochains par l'examen des faits
actuels ou des faits passés.
La météorognosie remonte aux époques les plus reculées.
Les peuples primitifs dont la vie se passait au grand air,
les pasteurs toujours placés en regard du ciel dont la con-
templation formait pour eux une des occupations princi-
pales soit pour y lire les heures, soit pour y trouver
l'annonce des perturbations qui pouvaient les atteindre,
ont laissé dans leurs traditions des indices des connais-
sances pratiques acquises par eux dans cette science con-
jecturale. Les populations agricoles et surtout les marins
montrent fréquemment une aptitude remarquable à saisir
dans l'atmosphère les premiers signes des changements
qui s'y préparent. Cette aptitude développée par une
longue expérience, est très-loin cependant de suffire à nous
mettre en garde contre les météores les plus redoutés. Il
est nécessaire de recourir à une organisation qui, mettant
à profit toutes les ressources de la science, puisse rensei-
gner sur les conditions météorologiques des pays plus ou
moins lointains, y saisir les perturbations atmosphériques
MÉTÉOROGNOSIE. 331

au moment de leur formation, tracer à l'avance la route


qu'elles devront suivre et prévenir les régions menacées.
Une semblable organisation bien établie et bien conduite
rendrait à l'agriculture et à la marine d'incontestables ser-
vices . Nous ne devons nous occuper ici que des signes pou-
vant être individuellement perçus et interprétés. Si à eux
seuls ils ne peuvent suppléer à une organisation complète,
ils en seront le complément nécessaire, et ils ont leur pro-
pre importance.
Nous partagerons notre étude en deux parties, exami-
nant séparément les pronostics du temps prochain et les
influences cosmiques dont l'action plus générale pourrait
nous fournir les éléments d'une prévision à plus longue
échéance si elles étaient mieux connues.

PRONOSTICS DU TEMPS.

Pronostics fournis par les animaux et les végétaux,

Un grand nombre de personnes dont le système nerveux


a acquis un certain degré d'irritabilité, soit par suite de
maladies ou d'affections rhumatismales, soit par un affai-
blissement du système musculaire ou sanguin, soit par
toute autre cause, ressentent fréquemment des indisposi-
tions plus ou moins graves ou légères à chaque change-
ment de temps. Les préoccupations journalières nous font
d'ordinaire passer indifférents devant ces avis tirés de nos
impressions, ou du moins nous empêchent de rechercher
les rapports existant entre les effets que nous ressentons et
les causes extérieures. Si l'impression trop vive nous force
à l'attention, les termes de comparaison nous manquent
ou sont incomplets ; nos conclusions sont fréquemment
332 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

démenties et nous perdons confiance. Bien que moins ver-


sés dans l'étude de l'atmosphère qu'on ne l'est au temps
présent, les anciens ont donc pu être plus habiles que nous
dans l'art de prévoir le temps, parce que leur vie plus con-
templative et moins affairée leur permettait de mieux ob-
server leurs impressions et les faits atmosphériques dont ils
étaient témoins.
Les animaux restés étrangers aux préoccupations hu-
maines ont alors été consultés . A l'approche de la pluie,
les hirondelles rasent la terre de leur vol, les lézards se
cachent, les chats se fardent, les oiseaux lustrent leurs
plumes, les mouches piquent plus fortement, les poules se
grattent et se couvrent de poussière, les oiseaux aquati-
ques battent des ailes et se baignent. Tous ces actes se rat-
tachent à des causes diverses ; l'accroissement de chaleur et
le calme humide qui précèdent l'arrivée des orages , les
mouvements électriques de l'air et du sol, tout aussi bien
que l'approche de la pluie en elle- même. Les signes four-
nis par les animaux comme ceux fournis par l'homme lui-
même, n'auront de valeur pratique que si une observation
attentive a permis de rattacher ces signes à l'état de l'at-
mosphère et à ses changements habituels. C'est là une
science individuelle d'une transmission difficile, dans la-
quelle les anciens sembleraient avoir excellé et dont ils
n'ont pu nous transmettre le secret en le formulant scien-
tifiquement.
Depuis le milieu du siècle dernier où l'emploi du baro-
mètre avait porté l'attention des observateurs sur les chan-
gements du temps, on a préconisé successivement les sang-
sues, les actinées ( Delamarre), les araignées ( Quatremère ,
Disjenval), la rainette ... etc. Puis quand d'autres person-
nes ont voulu contrôler scientifiquement les résultats an-
noncés on n'a rien trouvé. Il en est à peu près de même
des signes fournis par les végétaux. On a remarqué que la
MÉTÉOROGNOSIE. 333

fleur de l'hibiscus trionum se ferme, que celle de la pim-


prenelle s'ouvre ; que les tiges du trèfle et des autres légu-
mineuses se redressent quand l'air se charge d'humidité.
Linnée a observé que le souci d'Afrique, calendula humilis,
ouvrait ses fleurs le matin entre six et sept heures et les re-
fermait à quatre heures du soir par un temps sec ; mais que
s'il devait tomber de la pluie il ne s'ouvrait pas le matin ;
que lorsque le laiteron de Sibérie, sonchus sibericus ferme sa
fleur pendant la nuit, on a du beau temps le lendemain ;
que si au contraire elle reste ouverte on doit s'attendre à
de la pluie. Bierkemder annonçait que la carline, carlina
vulgaris, desséchée , se contractait par un temps humide et
s'ouvrait par un temps clair et sec. Plus récemment on a
eu recours à des produits chimiques et le water glass d'o-
rigine anglaise commence à se répandre en France.
Nous pensons qu'un objet quelconque, animal ou plante,
ou même un simple pavé, devenant le prétexte d'une obser-
vation attentive des phénomènes de l'atmosphère et ser-
vant artificiellement à les relier entre eux, conduirait à des
résultats très-utiles, mais restant une conquête individuelle
impossible à généraliser et à transmettre autrement que
par un effort égal à celui d'où ils sont nés. Pour la même
somme d'efforts, les résultats obtenus seront d'autant
plus nets et plus sûrs ; leur généralisation et leur transmis-
sion seront d'autant plus faciles, qu'on s'adressera à des
signes en rapport plus immédiat avec les causes des chan-
gements du temps.

Résumé des causes des changements de temps .

Sur l'Europe toutes les vicissitudes de nos climats sont


sous la dépendance des fluctuations du courant équatorial
à la surface de l'Europe , et des mouvements tournants
qui s'y produisent.
19.
334 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Le ciel est toujours nuageux ou couvert sur le trajet du


courant équatorial, d'autant plus qu'on est plus près des
côtes ou qu'on est plus élevé sur le versant occidental des
grands massifs montagneux ; d'autant moins qu'on est placé
plus avant dans l'intérieur des terres ou qu'on est mieux
abrité par les montagnes. Le ciel est pur dans les régions
où sont établis les courants de retour ou courants polai-
res. Il est généralement beau mais d'une manière moins
constante dans la région comprise entre le courant équato-
rial et le courant polaire de retour. Là, quand le ciel est sans
nuage, l'air est encore vaporeux en été , brumeux en hiver.
Les massifs montagneux produisent des déviations quel-
quefois considérables dans le courant équatorial ou po-
laire. Chaque branche dérivée donnera lieu à des probabi-
lités de pluie d'autant plus grandes qu'elle marchera de ré-
gions plus chaudes vers des régions plus froides ; les pro-
babilités se changeront presque en certitude à l'arrivée de
chaque bourrasque tournante.
Il est presque sans exemple qu'un mouvement tournant
de l'air ait abordé l'Europe sans y semer des pluies, et
qu'une pluie survienne sans se rattacher au passage
plus ou moins proche ou lointain d'un mouvement tour-
nant.
Le passage d'un mouvement tournant dans un lieu donné
ne dure généralement qu'un petit nombre de jours ; les
pluies qu'il amène sont encore moins prolongées, surtout
dans la saison d'été ; mais ces phénomènes se suivent sou-
vent à des intervalles très-rapprochés, et leur ensemble peut
constituer toute une saison pluvieuse .
Les orages suivent la marche des pluies. Il ne s'en forme
jamais dans la région occupée par le courant polaire, mais
seulement dans le courant équatorial. Quelquefois cepen-
dant des orages apparaissent dans la branche descendante
de ce dernier courant, vers le sud, alors que limité à l'Eu-
MÉTÉOROGNOSIE. 335

rope centrale ou occidentale, il pénètre au travers de l'Al-


lemagne ou de la France sur le bassin de la Méditerranée.
La hauteur du baromètre en un lieu varie avec la direc-
tion du courant général qui règne en ce lieu. Elle est moin-
dre que la hauteur moyenne quand on est en plein cou-
rant équatorial ; elle augmente graduellement quand on
s'approche de la rive méridionale du lit de ce courant ; elle
est supérieure à la moyenne quand on est placé en dehors
du courant dans la concavité de l'orbe qu'il décrit, entre le
courant équatorial et le courant de retour ou courant po-
laire. L'oscillation des courants équatorial et polaire à la
surface de l'Europe produit donc des oscillations corres-
pondantes dans les hauteurs des baromètres ; mais elles
sont généralement progressives et à longues périodes, du-
rant plusieurs semaines, quelquefois des mois entiers.
Les oscillations barométriques à plus courtes périodes
sont dues au passage des mouvements tournants. Chaque
bourrasque tournante est précédée et suivie d'une hausse
barométrique ; elle est au contraire accompagnée d'une
baisse qui atteint son maximum au centre même du tour-
billon. L'oscillation est d'autant plus brusque que l'on est
plus près de la route parcourue par le centre ; elle est d'au-
tant plus profonde que la bourrasque est plus intense.
En suivant la marche du baromètre on reconnaîtra par
un retour à la hausse que le centre s'est approché au plus
près et qu'il commence à s'éloigner.
C'est en partant de ces considérations que nous allons
examiner individuellement chacun des instruments mé-
téorologiques.

Pronostics tirés du baromètre.

Le baromètre, dès qu'il fut connu, attira l'attention des


observateurs. On remarqua bientôt qu'il baissait par les
336 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

temps pluvieux, qu'il montait avec le beau temps ; et on


se hâta de placer à côté du mercure une échelle du temps
qui s'est perpétuée jusqu'à nos jours.
Au point où s'arrête le mercure, dans sa position
moyenne, on marqua variable. Au-dessus, à des distances
croissant de 9 en 9 millimètres environ, on marqua beau
temps, beau fixe, très-sec. Au-dessous, également de 9 en 9
millimètres, on inscrivit les mots pluie ou vent, grandepluie,
tempête. La hauteur moyenne du baromètre variant avec
l'altitude du lieu où il est situé, l'échelle doit être dépla-
cée dans le même sens ; ses divisions du temps doivent éga-
lement se rapprocher à mesure qu'on est en lieu plus élevé.
Les indications ainsi fournies par le baromètre sont très-
souvent fautives si on les considère en elles-mêmes ; elles
reposent cependant sur une idée juste mais incomplète.
Un baromètre de 5 à 6 millimètres plus haut ou plus
bas que sa hauteur moyenne est l'indice d'un trouble at-
mosphérique. Dans le premier cas on est en dehors du cer-
cle d'action directe des mauvais temps mais on peut en
être très-près ; dans le second on a pénétré dans leur cer-
cle d'action, mais on peut se trouver assez loin du centre
pour que les effets ressentis ne soient pas très-marqués.
Un baromètre bas peut coexister avec un temps calme
et beau mais d'une manière passagère : on est alors à proxi-
mité du centre d'un mouvement tournant. Un baromè-
tre haut est rarement accompagné par la pluie, mais il
n'exclut pas les coups de vents surtout quand un mouve-
ment tournant vient de passer dans le voisinage se rendant
sur la Méditerranée. Si les pluies surviennent pendant ce
passage , elles sont peu durables.
Si on s'en tient à la seule indication actuelle du baromè-
tre, sans se préoccuper de ses indications antérieures, on a
les probabilités suivantes déduites par le P. Cotte de ses
observations de Montmorency près Paris.
MÉTÉOROGNOSIE. 337

Hauteur Probabilités Probabilités


du baromètre. de pluie. de neige.
De 728 à 738mm 0,70 0,22
738 742 0,58 0,04
742 751 0,46 0,04
751 760 0,19 0,01
760 769 0,08 >>
769 781 0,00

D'après les mêmes observations, sur 1000 pluies il en est


tombé 734 pendant que le baromètre était au-dessous de la
moyenne et 346 pendant qu'il était au-dessus.
Si au lieu de l'observation faite au moment présent, on
suit les variations successives du baromètre, on trouve que
les probabilités de pluie augmentent quand le baromètre
est en baisse ; qu'elles diminuent au contraire quand le mer-
cure est en hausse. Les figures 48 et suivantes prises parmi
les diagrammes mensuels du Journal d'agriculture pratique,
nous en fourniront des exemples. Comme elles résument
les principaux éléments météorologiques, à l'exception de
l'évaporation mal connue, et qu'elles sont toutes construi-
tes de la même manière, nous en allons donner la descrip-
tion en nous appuyant particulièrement sur l'une d'elles,
figure 48. Le quadrillé qui les recouvre se compose d'abord
de lignes verticales correspondant à chacun des jours du
mois ; les lignes horizontales croisant les premières ser-
vent à représenter en quantité les divers éléments à
figurer.
En haut de chaque diagramme , nous voyons des traits
noirs très-accentués partant tous du trait horizontal le plus
élevé et s'étendant sur un certain nombre d'interlignes ho-
rizontaux. Ils sont proportionnels à la hauteur moyenne de
pluie tombée sur 32 stations météorologiques assez réguliè-
rement réparties sur le territoire de la France. On a fait la
somme des hauteurs de pluie recueillies sur toutes les sta-
338 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

tions pendant chacun des jours du mois, et on a divisé la


somme par le nombre des stations. On a trouvé ainsi que

Mois de Janvier 1869 .

Barometre

1760

Thermometre
France.

Paris.

HRD

1
1

5 10 15 20 25 30
Figure 48.

le 28 janvier 1869, par exemple, la hauteur moyenne de pluie


a été de 7mm,5 : le trait noir s'étend sur 7 interlignes et
MÉTÉOROGNOSIE. 339

demi. En comparant les courbes des divers mois on peut


donc se représenter l'arrosement moyen de la France par
les pluies , et les variations subies par ces pluies.
Un peu au-dessous, nous trouvons une première ligne
brisée : elle correspond aux nombres de pluies. Il est très-
rare qu'il pleuve le même jour sur toutes les stations. Cha-
que jour on compte le nombre des stations mouillées ; on
multiplie ce nombre par 10 et on divise le produit par le
nombre total des stations. On obtient ainsi le nombre
moyen de stations mouillées sur 10. Le 12 janvier il y en
a eu 0, 6 ; le 15 il y en a eu 5,5 le 28 on en trouve 9,5 sur 10.
Plus la courbe s'abaisse, plus les pluies ont été nombreuses ;
plus elle se relève, plus les pluies sont rares.
En comparant les hauteurs d'eau aux nombres cor-
respondants des pluies , on voit qu'elles ne marchent pas
exactement d'accord : toutes les pluies, en effet, sont loin
d'être également copieuses.
Au-dessous de la ligne des nombres de pluie vient la
courbe des hauteurs du baromètre à Paris. Pour ne pas
donner trop de longueur à la figure, nous avons réduit no-
tre échelle verticale : chaque interligne de 2 millimètres de
hauteur représente deux millimètres de mercure, en sorte
que les mouvements de la colonne mercurielle sont repré-
sentés de grandeur naturelle, tandis que les hauteurs d'eau
sont à une échelle double. Les hauteurs du baromètre de
Paris sont ramenées au niveau de la mer ; la hauteur
moyenne est donc de 761 millimètres environ ; et comme
la ligne 760 est toujours indiquée, on peut reconnaître
quand le baromètre est au-dessus ou au- dessous de sa
moyenne et en même temps voir s'il monte ou descend.
Les lignes placées au-dessous du baromètre correspon-
dent aux températures de la France ou de Paris.
Si nous comparons les courbes du baromètre et des pluies,
nous voyons que le 8 janvier 1869, par exemple, il a plu
340 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

dans 3,3 stations sur 10 et que la hauteur moyenne d'eau


recueillie a été de 0,6 millimètre, bien que le baromètre mar-
quât 777 millimètres à Paris. Les 11 , 12 et 13 avril, au con-

Mois de Février 1869 .

(2)/ 200

10.

5 10 15 20 25

Figure 49.

traire , il n'y a de pluie nulle part bien que le baromètre


marque seulement 764 à 771 millimètres à Paris (1) .

(1) Pour avoir la hauteur vraie réellement observée à Paris et non plus
au niveau de la mer, il faut retrancher environ 6 millimètres des nombres
précédents ; mais alors le mot variable correspond à la hauteur 755.
MÉTÉOROGNOSIE. 341

Au lieu d'envisager les hauteurs absolues du baromètre,


examinons ses variations , et nous trouverons un parallé-

Mois de Mars 1869

760

(5)

HH

Figure 50.

lisme très-accentué entre la courbe des nombres de pluies


et la courbe des hauteurs barométriques. A de rares excep-
tions près, nous les voyons descendre et monter ensemble,
342 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .
non de quantités égales, mais d'une manière concordante
Le minimum des pluies apparaît aussi, assez souvent, après
le maximum des hauteurs barométriques, les diagrammes

Mois de Avril 1869 .

(6)
1
T
35
5.

30

10 15 20 25 30
Tigo 51.

suivants sont, sur ces points, d'accord avec celui de janvier.


Il en est de même dans l'été , bien que les oscillations
du baromètre y soient moins étendues.
Nous remarquerons, en terminant, que toute variation
MÉTÉOROGNOSIE, 343

brusque duthermomètre, soit en baisse, soit même en hausse,


est peu durable ; elle est une preuve de l'agitation de l'at-
mosphère et de l'existence des bourrasques.

Mois de Novembre 1869.

Plutes en France .

Barometre
1760
de Paris.

Temperatures de Paris .

‫ה‬

Temperat delaFrance

5 10 15 20 25 30

Figure 2.

Températures.

Dans nos diverses figures , de 48 à 52, nous avons


dessiné, au-dessous de la courbe des hauteurs barométri-
344 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
ques, deux systèmes de courbes thermométriques . L'un des
systèmes compris sous le nom de températures de Paris se
compose 1º des températures moyennes de chaque jour,
ligne pleine ; 2º des températures minima de chaque jour,
ligne à traits interrompus ; 3º des températures moyennes
correspondant pareillement à chaque jour et déduites de
40 années d'observations faites à l'observatoire de Paris :
c'est ce qu'on nomme quelquefois températures normales ;
la ligne est pointillée.
L'autre système comprend les températures moyennes et
minima des 32 stations de la France. On a fait la somme
des moyennes températures observées le même jour dans
les 32 stations et on a divisé cette somme par 32. Il en a
été fait de même pour les minima.
Si nous comparons entre elles les courbes thermométri-
ques de Paris avec la courbe correspondante du baromètre
pour chaque mois, nous ne trouvons au premier abord au-
cune relation simple : tantôt le thermomètre et le baromètre
montent en même temps, tantôt ils marchent de sens contrai-
res (janvier fig. 48). C'est que deux causes très-distinctes
se superposent dans la production des fluctuations thermo-
métriques : ce sont, d'une part, la position et la direction du
courant équatorial ; d'autre part le passage des bourrasques.
En hiver, la température est relativement douce sur le
trajet du courant équatorial, en même temps que le ciel est
couvert ou pluvieux. Sur le courant de retour ou courant
polaire elle est au contraire froide et d'autant plus que ce
courant polaire vient de plus loin dans le nord-est. La sé-
cheresse et l'agitation de l'air contribuent à rendre le froid
plus pénétrant. Entre les deux courants, l'air est calme, le
ciel souvent brumeux ; le froid moins vif est plus humide et
plus désagréable.
Durant l'été, la température baisse au contraire en plein
courant équatorial, sous l'action des nuages et des pluies.
MÉTÉOROGNOSIE. 845

Le courant polaire est chaud et sec ; l'évaporation qu'il dé-


termine à la surface de notre corps nous aide à supporter
la chaleur ; mais il hâle les récoltes et souvent les fait souf-
frir de la sécheresse. Entre les deux courants, l'air est calme
chaud et humide ; la chaleur est pénible ; et cependant l'é-
vaporation des plantes est assez abondante. Les oscillations
du courant équatorial à la surface de l'Europe ; les dépla-
cements de son lit soit vers le nord soit vers le sud, son ex-
tension dans l'est ou sa restriction sur les régions moyennes
ou occidentales de l'Europe, amèneront donc des fluctua-
tions correspondantes dans les températures successives
d'un même lieu. Ces fluctuations, toutefois, sont générale-
ment à périodes assez prolongées. Pendant des semaines,
quelquefois même pendant tout un mois le thermomètre
restera au-dessus ou au-dessous de sa moyenne normale,
tout en subissant des alternatives plus courtes d'abaisse ·
ment ou d'élévation. Ces dernières sont dues au passage de
bourrasques.
Sur chaque disque tournant , la température est ma-
ximum sur le bord méridional et antérieur ; elle est mini-
mum sur le bord septentrional et postérieur. Chaque bour-
rasque tournante qui passe est précédée par une hausse et
suivie par une baisse du thermomètre. Le phénomène est
d'autant plus marqué pour nous que le centre du mouve-
ment tournant passe plus près de nous. La hausse du ther-
momètre domine si le centre passe près de nous en mar-
chant dans le sens du sud-ouest au nord- est. C'est la direc-
tion suivie dans les mois de décembre 1868 et février 1869
qui ont été chauds. La baisse thermométrique domine si
le centre passe près de nous en marchant dans le sens du
nord-ouest au sud-est : c'est la direction suivie dans le
mois de mars 1869 qui a été très- froid.
Le passage d'une bourrasque est précédé d'une hausse
du baromètre ; il est accompagné d'une baisse et suivi d'une
346 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

hausse de cet instrument. Le passage d'une bourrasque


est également précédé d'une hausse et suivi d'une baisse
du thermomètre ; mais ces deux fluctuations ne coïncident
pas exactement. En général , le thermomètre continue à
monter que le baromètre est déjà en baisse et le thermo-
mètre continue à baisser que le baromètre a déjà repris
son mouvement ascendant. Le retard du minimum thermo-
métrique sur le minimum du baromètre est variable suivant
la distance à laquelle passe la bourrasque : il est de deux
jours , par exemple , pour la bourrasque du 17 avril 1869 ;
de moins de un jour pour les bourrasques des 2, 11 et 20 du
même mois. Le minimum thermométrique précéde au con-
traire de deux jours le minimum barométrique dans la
bourrasque du 15 janvier 1869.
A l'époque des gelées tardives , il importe donc beau-
coup de suivre le baromètre. Les froids survenant par un
baromètre haut sont généralement secs et peu redoutables
pour les campagnes ; mais si le baromètre baisse , les pluies
surviennent ; l'humidité jointe à la chaleur allonge les
jeunes pousses et les gorge de sucs ; dès que la baisse ba-
rométrique fait place à un retour à la hausse , le ciel se
nettoie et les gelées blanches sévissent dans nos cam-
pagnes.
Si nous comparons maintenant les courbes thermomé-
triques de France avec celles de Paris , nous serons frappés
de leur parallélisme. Quand le thermomètre baisse ou
monte à Paris , il baisse ou monte sur l'ensemble de la
France. La simultanéité de ces mouvements n'est cepen-
dant pas absolue. La baisse ou la hausse arrivera , suivant
les cas , un jour plus tôt dans l'ouest , un jour plus tard dans
l'est , ou réciproquement. Dans d'autres cas , c'est du nord
au sud ou du sud au nord que se fera la progression du
mouvement thermométrique. L'amplitude de l'oscillation
ne sera pas non plus la même sur toute l'étendue de la
MÉTÉOROGNÉSIE. 347

France. Si les bourrasques passent dans le nord, c'est le


nord qui sera le plus éprouvé ; si elles passent dans le
midi , ou si elles descendent du nord au sud , c'est le Midi
qui sera le plus fortement atteint. Mais , à part ces diver-
gences dépendant de la position et de l'ampleur du cou-
rant équatorial , les grands changements de température
sont généraux en France.

Pronostics tirés du thermomètre.

Le thermomètre à minima, le moins cher, le moins suscep-


tible de dérangement et le moins difficile sur le choix de son
emplacement est en même temps le plus utile dans la prati-
que. On peutvoir par l'examen des courbes thermométriques,
que les courbes des minima ont en général les mêmes allures
que les courbes des températures moyennes. Le thermomè-
tre à minima, à alcool, peut donner la température du jour,
quoique moins exactement que le thermomètre à mercure ;
il donne seul le froid de la nuit qu'il importe tant de con-
naître à certaines époques de l'année. Nous ne parlons pas
ici pour les observateurs munis de tous les instruments
météorologiques, mais pour le plus grand nombre des pra-
ticiens qui , tous , devraient avoir un thermomètre à mi-
nima et un baromètre , de même que chaque commune ru-
rale devrait en posséder dans une position propre à être
consultés par les habitants. C'est surtout du thermomètre
à minima qu'il est question dans le paragraphe suivant.
Suivant M. de Gasparin , le vent soufflant de la région
chaude et humide , la baisse des minima thermométriques
est un signe presque assuré de pluie le jour même ou le
jour suivant.
Si le minimum monte avec les vents froids et secs , ils
sont près de leur fin et il peut y avoir pluie par l'entrée des
LIBRARY
REESE
OF THE
UNIVERSITY

CALIFORNIA.
348 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .
vents du sud sans abaissement des minima thermomé-
triques. La fixité des minima annonce la continuation du
même temps .
Les minima haussant graduellement annoncent que l'air
devient moins sec , qu'il se sature de vapeur et marche
vers la pluie.
L'arrivée d'une bourrasque tournante est précédée d'une
hausse de la température en même temps que d'une hausse
barométrique ; mais le thermomètre continue à monter
quand le baromètre est déjà à la baisse. Quand le baro-
mètre est à son point le plus bas , si les vents des nuages
soufflent d'eutre sud-ouest et ouest , la baisse thermomé-
trique sera faible ; si les vents soufflent de l'ouest la baisse
thermométrique sera plus marquée ; si les vents soufflent
d'entre ouest et nord-ouest , la baisse thermométrique sera
forte. Ce dernier cas est surtout à craindre au printemps :
c'est à lui que nous devons nos gelées tardives les plus
funestes .

Pronostics tirés du ciel et des vents.

Ces pronostics varient suivant les saisons et les lieux.


L'expérience locale peut seule permettre de les interpréter
avec succès. Nous nous bornerons à indiquer les faits gé-
néraux (1).
Le baromètre étant haut , le ciel sans nuage , le thermo-
mètre bas en hiver, haut en été , si le baromètre commence
à baisser, s'il se forme dans les régions élevées de l'atmo-
sphère des nuages légers (cirrus ), marchant avec lenteur
du sud-ouest au nord-est , le courant équatorial s'ap-
proche de nous et déjà il commence à régner dans les

(1) Voir le Traité des mouvements généraux de l'atmosphère et des mers,


par H. Marie Davy.
MÉTÉOROGNOSIE. 849

hautes régions : la température nocturne s'adoucit en hi-


ver, la chaleur devient plus molle en été, l'hygromètre
marche vers l'humide.
Tant qu'aucune perturbation n'apparaît, les phénomènes
précédents s'accentuent graduellement ; le ciel devient
moutonneux, des cumulus isolés se forment ; le beau temps
peut se conserver assez longtemps.
Si le vent s'accélère des régions comprises entre le
nord-est et le sud-est à la surface du sol , si les nuages
chassent plus vivement d'entre sud et ouest , une bour-
rasque tournante passe dans le nord-ouest. Les pluies ac-
compagnent assez rarement les premières apparitions de
ces phénomènes , si ce n'est à une petite distance de la
ligne parcourue par leur centre. Mais si la baisse baro-
métrique est rapide , si la colonne mercurielle descend au-
dessous de sa hauteur moyenne avant que la direction des
nuages ait atteint l'ouest , la pluie est d'autant plus pro-
bable qu'on est plus près des côtes , ou plus élevé sur le
versant occidental des massifs montagneux. La pluie
sera d'autant plus abondante que l'air est plus chaud et
plus humide , que la baisse barométrique est plus rapide et
. plus profonde ; elle est d'autant plus prolongée que le
vent tourne plus lentement vers l'ouest ou le nord-
ouest.
Si la hausse barométrique qui suit est rapide , si le vent
dépasse le nord- ouest vers le nord sans perdre beaucoup
de sa vitesse , la pluie peut revenir par les vents du nord
ou nord nord-est. La bourrasque tournante redescend du
nord vers le sud au travers de l'Allemagne.
Si pendant cette hausse rapide du baromètre , la force
des vents tombe en atteignant le nord , ou même avant de
l'atteindre, si la température a peu baissé , le retour au
beau temps sera peu durable : une nouvelle bourrasque
suit la première .
20 .
350 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

Si la température s'est soutenue , et si les vents rétro-


gradent vers l'ouest ou le sud-ouest , la suspension de la
pluie est encore plus courte. Les pluies se succèdent
presque sans interruption jusqu'à ce que le baromètre re-
vienne à sa hauteur moyenne ou au-dessus et que les vents
dépassent le nord-ouest vers le nord. Les bourrasques
tournantes se succédant généralement à trois ou quatre
jours d'intervalle , la recrudescence des pluies suit la même
loi ; mais les intervalles peuvent se resserrer ou s'é-
tendre.
La baisse barométrique étant rapide , les vents au lieu
de tourner vers l'ouest peuvent tourner au sud-est ,
et même rétrograder jusqu'au nord-est. Dans ce cas , la
bourrasque tournante au lieu de passer dans le nord passe
dans le sud. Le temps peut rester beau pour le nord de la
France ; les mauvais temps sont pour le Midi. C'est ce qui
arrive en particulier quand une bourrasque tournante
aborde la France par le golfe de Gascogne , longe les Pyré-
nées et s'étend sur la Méditerranée : quand les bour-
rasques descendent des côtes de Bretagne , à travers la
France , vers la Méditerranée , le Nord et le Midi sont
mouillés ; quand elles passent sur l'Angleterre , la Suède -
et la Russie , le nord de la France est mouillé , le Midi
reste sec ; quand elles se rabattent de la mer du Nord vers le
midi au travers de l'Allemagne , le temps est variable avec
vent du nord sur la France du nord et de l'ouest ; le Midi
et particulièrement l'Italie sont arrosés.
Le centre d'une bourrasque est toujours sur la gauche
du vent régulier et non dévié par les chaînes de mon-
tagnes ce centre est donc à l'ouest pour des vents du
sud ; au nord pour des vents de l'ouest ; à l'est pour des
vents du nord ; au sud pour des vents de l'est. Cela ne
veut pas dire qu'une bourrasque existe chaque fois que
souffle un de ces vents ; cependant, à part certaines régions
MÉTÉOROGNOSIE. 351

(le nord de la France pour les vents faibles d'entre est et


nord , la vallée du Rhône pour les vents du nord , le
Languedoc et la Provence pour les vents d'entre ouest
et nord) , un vent d'une force au-dessus de la moyenne et
un baromètre au-dessous , particulièrement quand il
pleut , indiquent une bourrasque qui vient , qui passe ,
ou qui s'éloigne , suivant l'état du baromètre,

PÉRIODICITÉ DES PHÉNOMÈNES MÉTÉOROLOGIQUES.

Périodicité des températures.

Si la prévision du temps à courte échéance présente de


réels avantages pour l'agriculture, la prévision du caractère
général d'une année à venir serait pour elle un véritable
bienfait ; car elle permettrait d'adapter les cultures au ré-
gime de chaque année, comme on les adapte au sol et au cli-
mat. De nombreuses tentatives ont été faites pour arriver à
ce résultat ; mais jusqu'à présent aucun des systèmes dévoi-
lés ou non par leurs auteurs n'a pu supporter le contrôle des
faits. La solution du problème est-elle impossible ? Nous
ne le croyons pas. Les vicissitudes du temps ne sont pas
livrées au hasard ; tous les faits de la nature sont régis par
des lois très-simples ; mais la superposition de plusieurs
de ces lois , ou la multiplicité des causes individuelles
qui interviennent dans la production des phénomènes mé-
téorologiques , donnent à ces derniers une mobilité sin-
gulière. Pour préciser le retour lointain de l'un d'eux, il fau-
drait résumer dans une synthèse complète tout l'en-
semble des circonstances qui participeront à sa formation.
L'atmosphère forme un tout harmonique et toute pertur-
bation ressentie en un quelconque de ses points retentit
352 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

sur tous les autres , comme elle est la conséquence de l'état


général antérieur. Or nos études sont encore restreintes à
une très faible partie de la surface terrestre. Nous avons
pu constater que les troubles de l'atmosphère nous arrivent
par l'ouest ; que leur propagation sur l'Europe est influen-
cée par l'état de l'atmosphère dans le nord , dans l'est ,
dans le midi , en dehors des lieux soumis à nos investiga-
tions . Dans ces conditions nous pouvons discerner les
premiers symptômes de l'arrivée de l'une de ces perturba-
tions ; et , d'après la manière dont elle se présente , con-
jecturer sa force et les lieux qu'elle devra parcourir : nous
n'assistons point à sa naissance et nous ne connaissons pas
l'état des lieux où elle naît. Il faut nécessairement que la
science du temps élargisse le champ de ses études et l'é-
tende à toute la surface du globe.
En attendant ce résultat encore éloigné qui permettrait
de prendre l'édifice par sa base , les météorologistes ont
recours à d'autres moyens moins directs , plus complexes ,
conduisant à des conclusions moins certaines , mais prépa-
rant toutefois le terrain sur lequel on édifiera la science :
ils discutent les faits restreints dont ils disposent et s'ef-
forcent d'en découvrir les rapports et les causes. La terre
leur faisant défaut , ils se lancent quelquefois dans les es-
paces planétaires , vont chercher dans les taches du soleil ,
dans les conjonctions des astres , des raisons qu'ils trouve-
raient probablement bien plutôt sur la terre elle-même si
elle nous était mieux connue.
La périodicité des saisons , malgré les anomalies qu'elles
présentent trop souvent dans nos climats , a conduit , dès
l'origine , à supposer une périodicité semblable dans le re-
tour de ces anomalies elles-mêmes. « Les innombrables
proverbes ou dictons populaires que l'on retrouve , sous des
formes diverses, chez toutes les nations de l'Europe, témoi-
gnent suffisamment de la croyance générale et tradition-
MÉTÉOROGNOSIE. 353

nelle qu'avaient nos ancêtres à certains retours périodiques


des mêmes influences atmosphériques . Cette météorologie
empirique, née , comme l'astronomie chaldéenne , de l'ob-
servation incessante et intéressée des populations agricoles,
contenait assurément des enseignements précieux qu'une
discussion intelligente en eût dégagés. Malheureusement ,
à peine les météorologistes furent-ils en possession des
instruments , la plupart si imparfaits encore , dont ils dis-
posent , qu'ils se hâtèrent d'envelopper dans un égal dé-
dain tous ces dictons populaires , condensation originale
de l'expérience des siècles. Nous avons même vu de nos jours
des esprits de l'ordre le plus élevé entreprendre l'examen
ou plutôt la réfutation de quelques- uns de ces aphorismes
météorologiques en leur appliquant un mode d'interpréta-
tion littéral qui était là absolument déplacé (1 ). »
Dans l'ordre physique , la science doit tout discuter,
mais elle ne doit rien dédaigner. Les dictons populaires
ont le plus souvent leur base dans des faits mal interpré-
tés , il est vrai , mais réels , et ces faits sont des éléments
de la science. MM. Brandes , Mædler, Erman , Fournet ,
Charles Martins , Crahay, Buijs Ballot , Petit , Quetelet ,
se sont occupés successivement de la périodicité des tem-
pératures , et depuis 1857, M. Charles Sainte- Claire De-
ville s'y livre avec une grande ardeur embrassant dans
la même étude tous les éléments météorologiques.
Nous avons reproduit dans les figures 48 à 52 les courbes
des températures moyennes calculées à l'aide des observa-
tions faites pendant quarante années ( 1816-1856 ), à l'ob-
servatoire de Paris , pour les mois de janvier, février, mars,
avril et novembre. Nous y joignons , pour le mois de mai,
le diagramme de 1869 (fig. 53).

( 1 ) M. Ch. Sainte-Claire Deville , Annuaire de la Société météorologi-


que , XVI , p. 270.
20.
354 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.
Malgré le grand nombre d'années employées au calcul
de ces moyennes , les résultats obtenus sont loin de con-
duire à des courbes régulières desquelles auraient disparu

Mois de Mai 1869 .

760

b T
101-

1151

5 10 15 20 25 30
Figure 53.

toute trace des accidents météorologiques. En embrassan


un nombre d'années beaucoup plus considérable , dépas-
sant un siècle , M. Charles Sainte-Claire Deville retrouve
MÉTÉOROGNOSIE. 355

encore un résultat analogue , et il en conclut avec raison


que les perturbations doivent se présenter plus fréquem-
ment à certains jours qu'à d'autres , sous l'influence de
causes à déterminer. La fin de janvier et le milieu de fé-
vrier surtout sont remarquables par deux minima ther-
mométriques séparés par un maximum , ceux-là et celui-ci
très-accentués. Ce fait avait déjà été signalé par Brandes
au commencement de ce siècle. « Le décroissement singu-
lier et inattendu (de la température jusqu'au 12 février,
après la hausse qui succède au minimum de janvier ) est
très-prononcé , dit Brandes , dans les observations de
Stockholm , et on le retrouve de même dans celles que j'ai
consultées pour la Rochelle , pour Mannheim et pour le
Saint-Gothard , bien qu'elles aient été faites à des époques
essentiellement différentes , et ne puissent , par consé-
quent , être affectées des accidents individuels propres à
quelques années. >>
La fin d'avril et le milieu de mai présentent une parti-
cularité semblable. En 1834, Mædler annonçait qu'un re-
froidissement momentané survient , sous la latitude de
Saint-Pétersbourg, vers les 9 et 10 mai ; et que pour les sta-
tions plus méridionales , telles que Prague , Dresde , Ber-
lin , ce minimum est retardé jusqu'aux 11 et 12. M. Charles
Martins annonçait, en 1849, à M. Quetelet, qu'il avait trouvé,
par la discussion de trente années d'observation à Paris,
que le minimum y tombait en moyenne les 13, 14 et 15 .
La discussion de quarante années faites par M. Charles
Sainte-Claire Deville donne deux minima moyens corres-
pondants l'un au 10 , l'autre aux 14 et 15. M. Deville en
conclut qu'il existe , dans l'année , des influences ramenant
périodiquement des élévations ou des dépressions de la
température. Mais il ajoute avec beaucoup de raison : « Ces
influences ne se font pas sentir de la même manière sur
tcutes les années ou sur tous les groupes d'années , et il y a
356 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

lieu de rechercher s'il n'y aurait pas là aussi quelque chose


de périodique , s'il n'existerait pas un cycle d'années qui
ramènerait périodiquement , sur les mêmes jours , les in-
fluences semblables. » La découverte d'un semblable cycle
aurait un très-grand intérêt pour la science et pour l'agri-
culture.

Prévision du caractère des saisons et des années


futures.

Ce que nous venons de dire des températures est vrai,


aux dates près , pour les hauteurs du baromètre et pour les
pluies. Ces phénomènes se reproduisent avec une régularité
remarquable dans les régions intertropicales , et malgré les
causes nombreuses qui peuvent modifier, et modifient en
effet la circulation atmosphérique vers les limites nord ,
on retrouve encore dans nos climats des traces de cette
régularité en partie masquées par des accidents nombreux.
Ces accidents eux-mêmes se rattachent à des causes d'un
ordre assez élevé pour que leur influence se maintienne
pendant des mois et même des années. Si elles étaient
connues , elles permettraient encore d'induire d'une an-
née à l'année suivante. On en est réduit jusqu'à présent
à des rapprochements empiriques , et à des règles à peu
près aussi fréquemment démenties qu'elles sont confir-
mées : d'où il faut conclure que la météorologie est très-
peu avancée , ce que personne ne saurait nier. Mais nous
ajouterons qu'elle ne commence à se constituer que depuis
un petit nombre d'années et que la plupart des sciences
aujourd'hui les plus précises et les plus fécondes ont eu de
semblables débuts.
Le calcul des probabilités a été pendant longtemps à
peu près la seule ressource des météorologistes : c'est là ,
suivant nous, une mauvaise voie qu'on ne doit suivre qu'en
MÉTÉOROGNOSIE. 357

l'absence d'une autre meilleure. La manipulation des


chiffres dans les calculs de probabilités distrait de la re-
cherche des causes . Un même chiffre peut tirer des signifi-
cations très-diverses des conditions où il s'est produit ;
dans une addition il n'a que sa valeur numérique. Le cal-
cul des probabilités peut cependant conduire à quelques
résultats utiles en attendant mieux.
Giovene part de ce principe , qu'il y a à peu près un
égal nombre d'événements en dessus ou en dessous des
moyennes obtenues par un grand nombre d'observations.
Que si la pluie a été pendant 2 , 3, 4 ans plus forte que la
moyenne , il y aura 2 , 3 , 4 degrés de probabilité qu'elle
sera moindre l'année suivante. Ce système des compensa-
tions n'est pas sans valeur ; il est extrêmement rare que deux
années successives aient le même caractère ; une année
chaude est fréquemment suivie d'une année froide , une
année pluvieuse, d'une année sèche. Nous avons déjà cons-
taté d'autre part que , sans être semblables , les années se
groupent assez souvent par périodes d'années présentant
un caractère général commun , suivies de périodes d'an-
nées présentant un caractère général opposé. Une série
d'années mauvaises fait quelquefois renoncer à une cul-
ture au moment où commence une série d'années favora-
bles. Cela montre au moins que l'on est bien près de la
limite de la région favorable à cette culture.
En 1829 , M. Hubert-Burnan d'Yverdon annonça un
hiver rigoureux pour 1830 en s'appuyant sur le système
des compensations. L'événement justifia le pronostic ;
mais combien de fois a-t-on attendu d'année en année un
grand hiver fondé sur des considérations du même ordre !
Nous pensons donc qu'il faut apporter une grande pru-
dence dans ses conclusions.
Au reste ces conclusions doivent changer avec les cli-
mats , même sur un territoire limité comme celui de la
358 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

France et les prédictions qui s'étendent à tout lepays sont ,


par cela même , entachées d'erreurs. Kirwan admettait ,
avec quelque raison , que si la terre était privée en été
d'une partie de la chaleur qu'elle reçoit d'ordinaire, le dé-
ficit devrait être sensible durant l'hiver suivant. A un été
froid succéderait donc un hiver froid et réciproquement.
Cette hypothèse a été soumise au calcul par M. de Gaspa-
rin, qui est arrivé aux résultats suivants :
Sur 10 étés chauds on trouve⚫

à Paris. à Orange.
Hivers chauds . 3,7 6,0
Hivers froids. 6,3 4,0
Hivers humides . 7,1 2,9
Hivers secs. 2,9 4,0

Sur 10 étés froids on trouve :

à Paris. & Orange.


Hivers chauds . 5,0 6,5
! Hivers froids. 5,0 3,5
Hivers humides 7,0 7,8
Hivers secs. 3,0 2,2

A Paris, les hivers chauds succèdent plus rarement que


les hivers froids à un été chaud. L'été froid n'indique rien
pour l'hiver. L'hiver humide est aussi fréquent après un
été froid qu'après un été chaud.
A Orange, un été froid et un été chaud donnent les mê-
mes probabilités pour la température de l'hiver suivant.
Il n'en est plus de même pour la pluie ; un hiver humide
succède plus fréquemment à un été froid qu'à un été
chaud.
Pour nous , la chaleur et les pluies sont liées aux fluc-
tuations du courant équatorial sur l'Europe. Ce sont ces
fluctuations dont il faut trouver les causes et les lois. Pour
MÉTÉOROGNOSIE. 359

y parvenir, il faut étudier pendant une série d'années non


un lieu déterminé, ni même une région comme la France,
mais au moins l'Europe , l'Atlantique et l'Amérique du
Nord. C'est ce que nous avons fait durant cinq années.
Des faits très-importants sont déjà ressortis de ces tra-
vaux naissants qui se poursuivent avec plus ou moins
d'ardeur en Amérique, en Angleterre , en France, en Bel-
gique, en Suède et Norwége, en Russie , en Autriche, en
Allemagne, en Italie, en Espagne et Portugal, et même
en Turquie. L'avenir dira ce qu'en peut attendre la science
du temps .

Pronostics lunaires.

Parmi les dictons les plus enracinés dans les masses


se trouvent ceux qui s'appuient sur les phases de la
lune : ce sont aussi les plus controversés parmi les mé-
téorologistes. Nous le répétons, il n'est pas un dicton po-
pulaire qui ne soit fondé sur un fait réel, et qui ne mé-
rite d'être contrôlé sérieusement et impartialement par
la science. Beaucoup de ces dictons , tout en partant
d'un fait vrai , en donnent une interprétation fausse et
transportent l'attention du fait en lui-même sur un fait
concomitant facile à constater mais complétement étranger
au premier. Tel est par exemple le cas de la lune rousse.
Cette lunaison coïncide à peu près avec la période critique
des gelées tardives. Aux temps où les cultivateurs sachant
lire étaient peu nombreux , cette lunaison facile à suivre
dans le ciel leur tenait lieu d'almanach et d'instruments mé-
téorologiques. Quand la lune brille, le ciel est clair ; quand
le ciel est clair , le refroidissement nocturne est intense au
printemps et les gelées blanches sont à craindre. Elles
le sont bien davantage encore si le ciel couvert pendant
une série de jours pluvieux vient à se dégager pendant
360 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES.

la nuit. On comprend donc l'intérêt qui s'attachait et s'at-


tache encore à la lune rousse en mettant même de côté
l'action des phases de la lune sur le temps, action que nous
examinons plus loin.
Beaucoup d'autres dictons ont pris naissance dans cer-
tains climats et ont été transportés dans d'autres où la
tradition les a conservés, bien qu'ils n'y trouvent plus au-
cun fondement, parce que des années anormales viennent
encore de temps à autre leur donner quelque sanction au-
près des masses, et que des préceptes tracés à l'avance dis-
pensant de tout travail intellectuel, trouvent toujours un
accueil favorable , même auprès des gens instruits.
L'action des phases de la lune sur les hauteurs du baro-
mètre a été l'objet de nombreux travaux ; tous ont montré
que cette action est très-faible et que la différence entre
le maximum et le minimum s'élève à peine 1 ou 2 milli-
mètres. Si l'on compare cette variation due à l'action lu-
naire avec les variations dues aux accidents météorologi-
ques et pouvant s'élever à 50 ou 60 millimètres, on la trou-
vera bien faible ; aussi les météorologistes éprouvent- ils
généralement une certaine tendance à dénier à la lune
toute influence appréciable sur le temps.
Cependant, si on envisage les pluies au lieu de la hau-
teur du baromètre , les résultats de la comparaison sont
moins minimes.
En 1777, Poitevin trouva pour Montpellier les nombres
de jours de pluie suivants, tirés de 10 années d'observations.

Pour 100 jours de nouvelle lune. . . 25 jours de pluie.


1230

premier quartier. 14
pleine lune.
dernier quartier . 25

Cotte trouva, pour Montmorency, les nombres suivants ,


qui different sensiblement des premiers :
MÉTÉOROGNOSIE. 361

Pour 100 jours de nouvelle lune. . . . 29 jours de pluie.


premier quartier . . 28
pleine lune . 39
dernier quartier 31
apogée . 33
périgée . -36

Pilgram a trouvé pour Vienne en Autriche des résul-


tats encore différents :

Pour 100 jours de nouvelle lune. 26 jours de pluie.


pleine lune . 29
Moyenne des deux quartiers 25
36
Périgée
20
Apogée
Schübler a déduit de 28 années d'observations faites à
Stuttgard et à Augsbourg :

Pour 100 jours de nouvelle lune. 30,6 jours de pluie.


premier octant . 30,6
premier quartier. 32,5
deuxième octant . · 34,1
pleine lune . • 33,7
troisième octant 31,3
dernier quartier 28,4
quatrième octant. 29,0

Nous réunissons dans le tableau suivant les résultats


calculés par M. de Gasparin pour Paris et Orange et ceux
calculés pour Carlsruhe par M. Eisenlhor. Les uns et les
autres sont rapportés à 100.

Jours. Paris. Orange. Carlsruhe.


Avant 4 40,6 22,1 45,2
3 40,2 22,0 44,6
2 42,5 18,8 41,8
Nouvelle lune. 40,2 22,6 46,3
1 2 1 43,6 25,2 48,9
1 22,0 1 47,1
3 43,2
21
362 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .
Après 4 41,4 26,0 43,3
Avant 4 42,7 20,9 48,2
3 42,6 26,3 46,0
2 40,4 22,6 47,1
Premier quartier. 41,8 27,3 46,0
2 46,9 25,9 50,9
42,6 28,2 49,5
Après 47,7 23,9 51,5
Avant 4 46,7 23,0 47,3
3 43,5 22,4 51,5
2 43,2 24,5 51,7
Pleine lune. 43,9 22,1 46,4
2 41,8 23,3 41,8
3 46,8 28,8 49,3
Après 4 42,2 23,6 47,1
Avant 4 41,3 20,4 44,1
3 42,9 20,7 47,9
2 43,5 22,4 43,6
Dernier quartier. 39,1 23,3 42,6
2 41,8 21,3 43,6
3 37,8 23,2 44,6
Après 4 37,7 24,8 46,5

Ces nombres présentent de grandes irrégularités et il


est bien difficile d'en tirer aucune loi un peu nette. Les
désaccords qu'ils présentent dans les trois localités tien-
nent-ils à ce qu'on n'a pas fait usage d'observations faites
pendant les mêmes années ou bien à la différence des cli-
mats ? Probablement à l'une et à l'autre cause. Il semble
cependant résulter de ces nombres qu'il pleut un peu moins
entre le 4me jour avant le dernier quartier et le 4me jour
avant le 1er quartier qu'entre le 4me jour après la nouvelle
lune et le 4me jour après la pleine lune, comme le montrent
les chiffres suivants :
Lune Lune Rapport
croissante. décroissante. des deux.
Paris . . . 612 pluies. 578 pluies. 1,059
Carlsruhe. 674 630 1,070
Orange . 842 815 1,086
MÉTÉOROGNOSIE.
363
Ce sont encore là des différences bien faibles . Malgré
cela , nous admettons que la lune exerce sur le temps une
influence réelle analogue à celle que les marées exercent
sur les pluies ou les orages près des côtes de l'Océan ou
de la Manche . On y voit en effet les orages aborder la terre
ou s'en éloigner suivant que la mer est montante ou des-
cendante . Une influence du même genre peut s'exercer
sur l'emplacement du lit occupé par le grand courant
équatorial, surtout quand le courant est faible . Le dépla-
cement de ce courant , soit vers le nord , soit vers le sud,
aura pour effet d'amener le beau temps en certains lieux
et la pluie sur d'autres. Pour un même lieu , la même
phase lunaire peut produire des effets inverses suivant
la position du courant à la surface de l'Europe , en sorte
que les moyennes auront pour effet de masquer le phéno-
mène que l'on veut mettre en lumière . C'est donc sur la
position du courant équatorial qu'il faut rechercher l'in-
fluence des phases lunaires : là cette influence nous semble
réelle ; mais le nombre des années auxquelles s'étendent les
études est encore trop faible pour en tirer des conclusions
certaines . Ce que nous croyons pouvoir affirmer , c'est que
la considération des seules phases de la lune , quelque com-
binaison qu'on adopte, est insuffisante pour asseoir les pré-
visions du temps à longue échéance . Le lit du courant
équatorial est plus ou moins déplacé par l'influence lu-
naire , mais par lui- même et dans ses allures successives il
est indépendant des lunaisons . En résumé et au point de
vue pratique dont nous nous occupons surtout ici nous
ne pouvons que reproduire les sages paroles de M. de Gas-
parin .
« Nous dirons aux hommes les plus prévenus en faveur
des influences lunaires : ou vous pensez que ces influences
résident principalement dans les modifications qu'elles im-
priment à l'atmosphère , et par contre - coup à la végétation.
364 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE AGRICOLES .

Alors simplifiez votre tâche ; adressez-vous aux résultats


sans remonter aux causes ; consultez l'état du terrain pour
planter et semer. Il se trouvera le plus souvent d'accord
avec vos principes, mais quelquefois il en différera , parce
que les influences lunaires elles-mêmes sont plus compli-
quées que vous ne pensez. Mais dans l'un et l'autre cas ,
vous arriverez au but que vous vous proposez. Ou bien vous
croyez que l'influence lunaire se fait sentir sur les organes
du végétal lui-même , sur la marche occulte de la séve , etc. ,
et alors votre opinion manque de bases expérimentales et
ne peut être prise en considération que quand vous aurez
pu lui en donner, »
TABLE DES MATIÈRES.

PREMIÈRE PARTIE.

MÉTÉOROLOGIE GÉNÉRALE.

CHAPITRE PREMIER.

L'ATMOSPHÈRE , SA COMPOSITION , SES PROPRIÉTÉS.


Pages.

12
Hauteur de l'atmosphère ....
Composition de l'atmosphère ..
Oxygène. - Azote. - Acide carbonique . - Vapeur d'eau.
Gaz accidentels, - Ozone. Substances minérales.
Substances organiques.
Poids de l'atmosphère ... 13
Mobilité de l'atmosphère .... 16
Transparence de l'atmosphère.... 17
Propriétés électives de l'atmosphère . 19

CHAPITRE II.

SOURCES DE CHALEUR A LA SURFACE DU GLOBE.

Chaleur propre de la terre .. 20


Refroidissement terrestre . 21
Température des sources .. 24
Chaleur solaire .... 26
Variations de la chaleur à la surface du globe ,. 27
Froid des espaces planétaires ... 28
21.
366 TABLE

CHAPITRE III .

TEMPÉRATURES DE L'AIR.
Pages.
Température propre de l'air .... 36
Variations diurnes de la température de l'air ... 451
Variations annuelles de la température de l'air . 51
Températures moyennes annuelles ..... 53
Variation de la température avec la hauteur ... 58
Variations accidentelles de la température de l'air ... 61

CHAPITRE IV.
TEMPÉRATURES DU SOL.
Action de la chaleur sur le sol .. 65
Mouvement de la chaleur dans le sol . 69
Variations mensuelles de la température du sol.. 70
Variations diurnes de la température du sol .. 74
Approfondissement de la gelée dans le sol .. 76
Mesure des températures du sol .. 78

CHAPITRE V.

TEMPERATURES DES VÉGÉTAUX.


Température des végétaux .. 81
Gel des arbres . 88

CHAPITRE VI.

CIRCULATION GÉNÉRALE DE L'ATMOSPHÈRE ET DES MERS .


Circulation générale de l'atmosphère . 90
Courant équatorial ....... 95
Circulation générale des mers, Gulf'- stream . 98
Action du Gulf'-stream sur la circulation de l'atmosphère ..... 101

CHAPITRE VII.

VENTS ET TEMPÊTES.
Tempêtes tropicales, cyclones .... 104
Tempêtes d'Europe ..... 108
DES MATIÈRES. 367
Pages.
Rotation des vents .... 110
Origine des tempêtes, causes de leur persistance... 114
Vents locaux .. 121
Progression des vents .. 123
Fréquence relative des vents à Paris . 125
Influence des vents sur la température à Paris .. 126
Influence des massifs montagneux sur les températures des vents. 129

CHAPITRE VIII.

EAU ATMOSPHÉrique.

Vapeur d'eau .. 131


Degré hygrométrique de l'air . 133
Instruments hygrométriques... 136
Évaporation à la surface du sol . 138
Froid produit par l'évaporation.. 144

CHAPITRE IX.

MÉTÉORES AQUEUX.

Vapeurs.... 146
Rosées, gelées blanches .. 147
Eau fournie par les rosées . 150
Brouillards . 151
Nuages .. 153
Formes des nuages ... 155
Action des nuages sur la chaleur solaire .. 157
Formation des gouttes de pluie .. 158
Neige ..... 160

CHAPITRE X.

ORAGES.

Origine électrique des orages . 161


Formation des orages .. 165
Grêles .... 171
368 TABLE

CHAPITRE XI.

PLUIES, LEUR RÉPARTITION GÉNÉRALE.


Pages.
Pluies entre les tropiques .. 172
Pluies en dehors des tropiques . 175
Abondance des pluies .. 178
Distribution des pluies par saisons et par mois . 185

CHAPITRE XII.

DES PLUIES EN FRANCE.

Répartition des pluies sur la France . 189


Répartition des pluies par bassin. 191
Pluies dans les années individuelles . 195
Évaporation sur les diverses régions de la France . 198

DEUXIÈME PARTIE.

PHYSIQUE AGRICOLE .

CHAPITRE PREMIER.

EFFETS DES VENTS SUR LA VÉGÉTATION.

Effets généraux du vent sur la végétation .. 201

CHAPITRE II.

ACTION DE LA CHALEUR SUR LA VÉGÉTATION . 201

Limites des températures nécessaires aux plantes ... 203


Action de la chaleur sur la végétation .... 208
Dommages produits par l'excès de chaleur .. 209
Dommages produits par excès de froid... 210
Dommages produits par les gelées blanches... 213
Dommages produits par le gel et le dégel du sol... 218
DES MATIÈRES. 369

CHAPITRE III.

ACTION DE LA LUMIÈRE SUR LA VÉGÉTATION.


Pages.
Action de la lumière sur la végétation .. 218
Organe récepteur du travail lumineux .. 225
Mesure des radiations solaires ... 229

CHAPITRE V ( 1) .

SOMME DE CHALEUR ET DE LUMIÈRE NÉCESSAIRE AUX PLANTES.

Somme des températures moyennes. 238


Somme des températures solaires ... 243

CHAPITRE VI.

ACTION DE L'EAU SUR LA VÉGÉTATION........ 250

CHAPITRE VII.

QUANTITÉ D'EAU CONSOMMÉE PAR LES PLANTES. .... 261

CHAPITRE VIII.

RÉGIME DES EAUX COURANTES.

Appauvrissement des cours d'eau ...... 282


Influence des hauteurs de pluies annuelles sur la hauteur
moyenne des cours d'eau ..... 283
Influence de la répartition des pluies dans le cours de l'année .. 286
Influence des forêts ...... 289
Influence des cultures... 293

(1) Par suite d'une erreur typographique, le chapitre qui devait être le qua-
trième de cette seconde partie a été numéroté Ch. V, et l'erreur s'est continuée
jusqu'à la fin.
370 TABLE DES MATIÈRES.

CHAPITRE IX.

LIMITES IMPOSÉES A LA CULTURE.


Pages.
Limites générales des cultures .... 299
Limites météorologiques des cultures .. 304
Limites économiques des cultures .. 307
Limites statistiques des cultures . 309
Limites agricoles des cultures .. 310

CHAPITRE X.

RÉGIONS AGRICOLES.

Détermination des régions agricoles . 312


Régions des oliviers ... 315
Région des vignes . 320
Région des céréales .. 324
Région des pâturages . 327
Région des forêts.. 329

CHAPITRE XI.

MÉTÉOROGNOSIE.
Pronostics du temps. -- Pronostics fournis par les animaux et les
végétaux... 331
Résumé des causes des changements de temps . 333
Pronostics tirés du baromètre . 335
Pronostics tirés du thermomètre .. 347
Pronostics tirés du ciel et des vents . 348
Périodicité des phénomènes météorologiques. - Périodicité des
températures ... 351
Prévision du caractère des saisons et des années futures ... 356
Pronostics lunaires ...... 359

REESEOFLIBRARY
THE
FIN DE LA TABLE. UNIVERSITY
CALIFORNIA.

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