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RSA : le flou règne toujours sur les 15 heures


d’activité obligatoires
14 décembre 2023 / par Emma Bougerol, Rachel Knaebel

er
À partir du 1 janvier, les deux millions d’allocataires du RSA seront
soumis à au moins 15 heures d’activité obligatoires par semaine. Sur le
terrain, personne ne sait encore quelles seront ces activités, qui va les
contrôler et comment.

SOCIÉTÉ 7 minutes

#protections sociales

L
er
e1 janvier, Pôle emploi devient France Travail. Dans le
même temps, les allocataires du RSA seront en principe
soumis à 15 heures d’activité obligatoires par semaine pour
pouvoir recevoir l’allocation, de 607 euros pour une personne seule.
Conditionner le RSA à des heures d’activité était une promesse de
campagne d’Emmanuel Macron en 2022. La mesure a été définitivement
adoptée à l’automne. La loi finalement votée mi-novembre prévoit même
d’élargir cette obligation à tous les chômeurs, sous peine de sanction.

Que seront exactement ces « heures d’activité » ? Qui contrôlera qu’elles


sont réalisées ? Tous les quelque deux millions d’allocataires du RSA y
seront-ils soumis ? Qui pourra en être exempté ?

Pour l’instant, personne sur le terrain ne semble vraiment savoir


comment cette mesure sera mise en œuvre. 19 départements
expérimentent déjà un dispositif similaire depuis l’an dernier. Mais
aucune évaluation globale de cette expérience n’a été rendue publique.
Alors que la mesure doit être généralisée à tout le monde dans deux
semaines, le flou règne toujours.

Une agente de la Caf nous dit n’avoir reçu aucune information sur les
modalités de ces heures d’activité obligatoires. « On a reçu beaucoup de
communication sur France Travail. On nous a fait voter sur le nouveau
logo, le directeur de Pôle emploi a enregistré des vidéos pour nous
vanter son successeur, mais on n’a aucune communication sur
comment on va faire concrètement avec les heures d’activité », confie
ainsi Daniel Mémain, agent à Pôle emploi et porte-parole de la section
Solidaires en Occitanie. Lors d’une réunion de son service début
décembre, « pendant une heure on nous a présenté France Travail avec
un diaporama de 15 pages … Pas une seule référence aux 15 heures
d’activités ! » ajoute-t-il.

15 heures minimum, pas de durée


maximum
« On essaie de se renseigner et de réunir des infos, mais c’est assez flou ;
même nos contacts syndiqué·es à Pôle emploi et au département ne
savent pas trop comment ça va se traduire en pratique et quelles seront
les marges de manœuvre », confirme Pierre, qui anime à Lille une
permanence d’entraide entre allocataires de la Caf et de Pôle emploi.
Dans cette incertitude, « l’aspect des 15 heures d’activité inquiète pas
mal de personnes, nous y compris, note-t-il. Il y a aussi des gens qui
pensent que ça va être complètement inapplicable. »

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Sur le papier, la loi adoptée en novembre prévoit la mise en place d’un


« plan d’action » pour les demandeurs d’emploi « précisant les objectifs
d’insertion sociale et professionnelle et, en fonction de la situation du
demandeur d’emploi, le niveau d’intensité de l’accompagnement requis
auquel correspond une durée hebdomadaire d’activité du demandeur
d’emploi d’au moins quinze heures ». Cette durée des 15 heures, c’est le
minimum, ajoute le texte de loi. Mais elle « peut être minorée, sans
pouvoir être nulle, pour des raisons liées à la situation individuelle de
l’intéressé ».

Les personnes rencontrant des difficultés « en raison de leur état de


santé, de leur handicap, de leur invalidité ou de leur situation de parent
isolé sans solution de garde pour un enfant de moins de douze ans »
pourraient ainsi échapper à ces 15 heures obligatoires. En revanche, le
texte ne prévoit pas de limite maximum des heures d’activité. En théorie,
on pourrait donc demander à un allocataire du RSA 20 heures, 30 heures,
voire 40 heures d’activité hebdomadaire.

Formation ou bénévolat ?
En plus, le texte ne loi ne dit pas de quel type d’activité il s’agira
exactement. Pour avoir une idée, il faut consulter le rapport de
préfiguration de France Travail, rendu public au printemps [1]. Parmi les
activités possibles, il mentionne : suivre une formation, préparer un CV,
passer des entretiens d’embauche, démarcher des entreprises, être
accompagné pour la création d’entreprise, ou effectuer une activité
bénévole. Mais la loi, elle, ne donne aucune précision.

C’est l’un des points dénoncés par les députés Nupes « Si le bénévolat
dans leur recours déposé contre la loi au Conseil devient
constitutionnel. « En ne précisant pas en quoi obligatoire, ça
consiste exactement “l’activité” à réaliser dans le
devient un
cadre du contrat d’engagement, ni son périmètre ni
travail. Alors, il
son contenu, le projet de loi ici contesté crée ainsi
faut un salaire, et
une obligation pour les demandeurs d’emploi, qui
des cotisations
n’est pas clairement définie », défend le recours.
sociales »
Les parlementaires de gauche contestent aussi
l’absence de plafond maximum des heures d’activité :
« Le projet de loi ici contesté n’ayant pas prévu de plafond maximal
d’heures hebdomadaires d’activité à réaliser, des personnes inscrites à
France Travail accompagnées dans le cadre d’un contrat
d’engagement pourraient avoir à réaliser un nombre élevé d’heures,
proche du régime de droit commun d’un salarié à plein temps ».

Risque d’un contrôle déshumanisé


« L’analyse syndicale qu’on porte sur ces heures d’activité, c’est que cela
ne peut pas fonctionner d’un point de vue du service rendu aux usagers,
abonde Daniel Mémain, de Sud. Ce ne sera pas réalisable de contrôler
des millions de personnes sur les 15 heures d’activité. Donc cela va
forcément être un système déshumanisé, automatisé, comme cela
existe aujourd’hui pour les absences à des rendez-vous, pour lesquels le
système déclenche automatiquement une procédure de sanctions sans
intervention humaine. Pour les 15 heures d’activité, on pense que le
système va être construit sur un contrôle a priori. Ce sont les personnes
qui n’auront pas su ou ne pourront pas techniquement remplir leur
journal de recherche d’emploi qui seront victimes des sanctions ou des
suspensions. Le système va renforcer la déshumanisation de la
relation. »

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À Mulhouse, dans les bureaux de l’association Maison de la citoyenneté


mondiale (membre du Mouvement national des chômeurs et précaires
) qui vient en aide à des allocataires du RSA, Isabelle Maurer, elle-même
allocataire, « refuse de rentrer dans ce nouveau dispositif ». Elle est
pourtant déjà très active, comme bénévole, et ce depuis des années.

« Je suis bénévole depuis 1988. Et je n’ai pas attendu un député ou un


sénateur pour savoir que pour toucher le RSA, il y a des obligations, dit-
elle. Mais pour faire du bénévolat, il faut encore avoir les moyens de
locomotion et une santé qui leur permet. » Elle se demande aussi « qui
sera habilité à dire ce qui rentre dans ces heures d’activité », et si au sein
de son association, « nous serons habilités à tamponner des attestations
à des allocataires »

Activité ou travail ?
Dans son association, aucune info n’a circulé. « Le directeur territorial de
Pôle emploi nous a dit qu’il contrôlerait en fonction de la situation de
chacun. Mais nous craignons que ce soit bâclé », explique Serge Bertelli,
actif au sein de l’association mulhousienne.

« Si pour ces heures d’activité, il s’agit d’apprendre à rédiger un CV,


c’est vrai qu’il y a des besoins pour les gens les plus éloignés de
l’emploi », constate le militant. Mais il rejette la perspective d’obliger les
allocataires à faire du bénévolat. « C’est une activité libre. Le bénévolat
obligatoire, c’est un non-sens », dénonce Serge Bertelli.

« Si le bénévolat est obligatoire, ça devient un SUR LE MÊME SUJET

travail. Alors, il faut un salaire, et des cotisations


Avec France Travail, « on
sociales, souligne Isabelle Maurer. Si l’objectif du va créer une main-
projet est de vouloir aider les gens, c’est bien. Mais d’œuvre corvéable de
avec ce dispositif, on va tuer le Smic, critique-t-elle. travailleurs pauvres »
J’incite plutôt les gens à réclamer un salaire, avec
Payer pour percevoir ses
feuille de paie et charges sociales. » Comme la aides : le désengagement
bénévole, les allocataires du RSA ne cotisent pas. Ils et de l’État laisse place au
privé
elles ne cotiseront pas plus avec 15 heures, ou plus,
d’activité obligatoire. Qui sont les vrais
fraudeurs sociaux ?
Rachel Knaebel et Emma Bougerol

Photo : ©Nicolas Lee/Encrage ■

[1] Voir le rapport ici.

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France Travail : « La RSA : « Les agriculteurs RSA, Caf, Pôle Emploi :
pression mise sur les vont-ils effectuer 15 une « brigade des Payer pour percevoir ses
chômeurs n’a pas d’effet heures d’activités avant fauchés » mobilisée face aides : le désengagement
significatif sur le retour ou après la traite ? » aux réformes et aux de l’État laisse place au
en emploi » Par Sophie Chapelle galères privé
Par Ludovic Simbille Les agricultrices et Par Nils Hollenstein Par Emma Bougerol
er agriculteurs qui peinent à tirer Faire valoir ses droits au RSA
Ce 1 janvier, Pôle emploi est Une expérimentation, encore
devenu France Travail. un revenu de leur travail sont floue, de la réforme du RSA est ou à une allocation devient de
Derrière le changement de visés par la réforme du RSA qui sur les rails dans 18 plus en plus compliqué. Des
nom se cache plus de contrôle conditionnera à partir de 2025 départements. Lyon en fait sociétés privées se saisissent
sur les chômeurs. Mais l’allocation à 15 heures partie. Dans cette ville, la de cette opportunité et de la
contrôler plus ne fait pas d’activités par semaine. Brigade des fauché·e·s, un désorganisation des caisses de
baisser le chômage, défendent collectif de précaires, donne sécurité sociale pour
les sociologues Jean-Marie conseils et soutien face à une marchander l’accès aux aides.
Pillon et Luc Sigalo Santos. administration opaque.
Entretien.

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