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1.

Les fonctions
exécutives
Tous le proclament très tôt : « Moi tout seul!»

Ôtez cette chaussure des mains d'un enfant de 2 ans qui s'efforce de la
mettre, et voici que soudain, alors qu'il souriait quelques secondes
auparavant, il se tend, se jette en arrière, se roule par terre. L'enfant,
outré par cette violence qui vient de lui être faite, hurle de rage. Un
puissant bras de fer s'engage et il n'est pas dit que nous en sortions
vainqueurs : nous n'entrons pas en conflit avec l'enfant mais avec ses
directives biologiques intérieures. Ses circuits exécutifs - qui sous-
tendent sa capacité à agir seul - traversent un déploiement
incandescent : ses fonctions exécutives sont en plein développements.

Nous y voici ! Les fonctions exécutives sont des compétences


cognitives qui nous permettent d'agir de façon organisée pour atteindre
nos objectifs. Elles regroupent trois compétences :

1. la mémoire de travail (capacité à garder une information en


mémoire sur un temps court),
2. le contrôle inhibiteur (capacité à se contrôler, à se
concentrer et à inhiber les distractions),
3. la flexibilité cognitive (capacité à détecter ses erreurs, à
les corriger, à persévérer et à se montrer créatif).

Un puissant instinct le pousse alors irrésistiblement à se mettre en


activité et à se défendre de tout ce qui l'en empêcherait. L'enfant fronce
les sourcils, gronde, nous repousse, s'énerve. Il n'a pas « mauvais
caractère », il passe par la période sensible de développement de son
système d'action. La réaction est impressionnante. Ce n'est pourtant pas
un caprice: lorsqu'il s'efforce de mettre sa chaussure seul alors qu'il ne
maîtrise ni ses gestes ni l'ordre dans lequel les effectuer, lorsqu'il tente
de manger seul alors que tenir sa cuillère et la mener jusqu'à sa bouche
lui est encore difficile, lorsqu'il nous aide à vider le lave-vaisselle alors
qu'il tient debout depuis quelques semaines à peine, lorsqu'il tente de
couper des fruits ou des légumes alors qu'il lui est encore compliqué de
tenir un objet tout en exerçant une pression dessus, ou lorsqu'il décide
de ramasser les feuilles mortes dans la cour en ayant des difficultés à
s'organiser, le jeune enfant exerce de manière puissante ses fonctions
exécutives.

Il doit mémoriser les différentes actions requises et les organiser ;


inhiber les distractions, focaliser son attention, contrôler ses gestes et
émotions qui pourraient l'empêcher d'atteindre son but ; enfin, il fait
preuve de flexibilité : il doit détecter ses erreurs, trouver des solutions à
ses problèmes, et persévérer jusqu'à atteindre son but. Et si nous ne
l'empêchons pas, il l'atteindra. Il veut faire seul et il doit faire seul. Il
n'est pas « têtu », il est vivant.

Ses fonctions exécutives se développent et il doit les exercer. Et


lorsqu'il les exerce, c'est le processus, la suite d'actions qui le met au
défi et qui l'intéresse. Ce n'est pas le résultat. C'est pourquoi, si, par
impatience, nous lui retirons des mains cette boîte qu'il tente de fermer
seul avec difficulté, que nous la fermons nous-mêmes et la lui rendons
en lui disant : «Tiens, voilà, c'est fermé!», il hurlera et nous serons
saisis, plongés dans l'incompréhension la plus totale. «Mais, ce n'est pas
ce que tu voulais faire?» L'enfant est inconsolable. Peu lui importe que
la boîte soit fermée. Ce qu'il veut, c'est essayer de la fermer. C'est
l'effort qui l’intéresse ! C'est pourquoi, une fois le balai passé ou le lave-
vaisselle vidé, il est fort probable qu'il remette un peu de terre au sol et
quelques assiettes propres dans la machine : défiant toute notre logique
adulte, il voudra recommencer ! La finalité n'est pas extérieure, elle est
intérieure. Ce qui l'intéresse, ce n'est pas que le sol soit propre, mais ce
que cela construit en lui lorsqu'il s'exerce à maîtriser toute la suite
d'actions que requiert l'activité. Après plusieurs essais qui ont pu
aboutir, il s'arrête. Il est satisfait. Serein. Un besoin intérieur a été
comblé.

Lorsque ces compétences ont correctement pu être développées, nous


sommes capables, à l'âge adulte, d'atteindre tous les objectifs que nous
nous fixons : nous pouvons réguler nos émotions, nos comportements,
réfléchir avant d'agir, planifier, détecter nos erreurs, trouver des
solutions, persévérer, créer, innover. Nous sommes confiants, maîtres de
nous-mêmes, nos relations sont plus durables. Le bon développement
des fonctions exécutives est souvent plus prédictif pour notre
épanouissement global - scolaire, professionnel, relationnel - qu'un score
élevé de QI.

Si le jeune enfant, dès sa première année de vie, peut s'engager dans


des tâches qui mettent son intelligence au défi, le niveau de maîtrise de
ses compétences exécutives augmentera rapidement entre 3 et 5 ans.
L'enfant sera de plus en plus capable de se contrôler, de rester
concentré, de différer une envie et d'attendre pour parler. Il sera capable
de tenir le fil d'une conversation sans changer soudainement de sujet. Il
saura prendre du recul, analyser les situations avant d'agir. Il grandira
en ayant confiance en lui, en ses capacités : il saura qu'il peut trouver
des solutions à ses problèmes, seul ou avec un peu d'aide. Se tromper ne
lui fera pas peur. Face à un blocage, il ne se découragera pas. II
cherchera des solutions. Et il en trouvera de très judicieuses. Il aura le
courage de persévérer. Il saura que, toujours, une solution peut être
trouvée. Un tel enfant aura de solides ressources cognitives pour
conquérir de nouvelles compétences et connaissances.

À l'inverse, lorsque nous prenons l'habitude de tout faire à la place de


l'enfant, par manque de temps ou par croyance («Il n'est pas capable»,
«C'est un caprice»), l'enfant n'a tout simplement pas l'occasion de
construire son intelligence exécutive. C'est aussi simple et dramatique
que cela. Il tentera bien de se faire entendre par des protestations
spectaculaires, mais face à l'adulte déterminé, plus fort, plus sûr, la
plupart des enfants finiront par capituler. Ils abandonneront leur dignité
à l'entrée de la maison en tendant mollement leurs petits pieds à l'adulte
qui les chaussera avec empressement. Ils l'abandonneront dans la
cuisine en ne pouvant participer à rien ou si peu ; dans la salle de bains,
en se laissant laver par leurs parents. Malheureusement, s’ils ne peuvent
pas développer leurs fonctions exécutives à la maison, cela leur sera
également difficile dans un fonctionnement scolaire traditionnel.

Bien que l'enfant soit encouragé à faire seul les gestes du quotidien, la
difficulté et la fréquence proposées sont très insuffisantes au regard des
expériences ambitieuses, fréquentes et prolongées qui lui sont
nécessaires pour épanouir ses compétences d'action. Si, en parallèle, il
subit en plus les effets toxiques des écrans qui excellent à le rendre
inactif et à détraquer son système attentionnel, les symptômes d'un
sous-développement exécutif apparaîtront inévitablement. Apprendre
relèvera d'un effort colossal, extrêmement laborieux.

À l'école maternelle et primaire, il rencontrera des difficultés à


mémoriser une consigne et à planifier les différentes actions requises.
Manquant de contrôle inhibiteur, il aura du mal à rester concentré, il se
laissera facilement distraire. Son attention sera vagabonde. Il sera
comme un bateau sans gouvernail en pleine mer : il se laissera
influencer, il ira à gauche, à droite, oubliant où il devait se rendre
initialement. Il sera complètement absorbé par les sollicitations
extérieures. Si un camarade se jette par terre, il le suivra volontiers sans
réfléchir. Ses gestes seront probablement désordonnés, maladroits. Ses
pensées seront sans fil logique. Il passera d'une idée à l'autre, en un
instant : nous lui parlerons de la sortie scolaire à venir, il nous répondra,
avec légèreté, qu'il va regarder ce soir ce super programme à la télé. Il
ne comprendra pas pourquoi notre visage arbore soudainement un air
interrogatif. Inattentif, il aura l'habitude de se prendre les pieds dans les
chaises. Ces enfants font souvent preuve d'impulsivité, ils se
chamaillent sans arrêt et en réfèrent constamment à l'adulte (« Il m'a dit
ça !», «Il m'a fait ça !»). Ils ne peuvent pas régler leurs conflits seuls, ils
n'ont pas développé les capacités de contrôle, de recul, d'analyse et de
flexibilité nécessaires pour le faire. Ayant d'immenses difficultés à
contrôler leurs impatiences et leurs frustrations, ils ont du mal à
attendre qu'on les interroge ; ils coupent sans cesse la parole et ne
lèvent pas la main. Manquant de flexibilité cognitive, ces enfants auront
par ailleurs probablement de grandes difficultés à détecter leurs
erreurs ; et si nous les leur indiquons, ils ne sauront pas quoi faire de
cette nouvelle information : ils n'auront pas les ressources pour
persévérer et trouver des solutions adaptées. Ils se décourageront
facilement et ne termineront pas leurs activités. Le moindre effort
cognitif les fera bâiller.

Voici une autre représentation de ces compétences : imaginez une


classe d'enfants de primaire dans laquelle certains sont incapables de
contrôler leurs impulsions, d'attendre leur tour, de rester concentrés sur
leur travail ou de se souvenir des consignes. Même lorsque deux enfants
seulement possèdent des compétences exécutives sous-développées,
une classe entière peut être désorganisée, et un temps précieux
détourné des activités d'apprentissage. Cela peut avoir un impact
profond sur le climat général de la classe et est souvent rapporté par les
enseignants comme étant une source d'exaspération et de burn-out» Ces
compétences sont aujourd'hui considérées par les chercheurs comme
les fondations biologiques de l'apprentissage.

« Arriver à l'école avec une base solide de ces fonctions


exécutives est plus important pour les enfants que de
connaître les lettres ou les chiffres.»

Sans ces compétences, les enfants ne peuvent pas apprendre. Si nous


insistons tout de même pour qu'ils apprennent alors qu'ils n'ont pas les
moyens de le faire, nous nous épuiserons mutuellement en répétant :
«Attends !» « Écoute !» « Mais ce n'est pas possible, tu ne vois pas le
problème ?» « Arrête de regarder ailleurs !» «Oh ? Je te parle !» « Arrête
d'écouter les bêtises de ton camarade !» «Tu as déjà oublié ?» L'adulte
et l'enfant finiront par redouter ces temps de transmission qui devraient
être passionnants. Souvent, ces moments deviennent le lieu de la
frustration, de l'échec, du conflit, de l'agacement, de l'impuissance et de
l'ennui. L'enfant n'est pas prêt. En voulant le faire progresser à tout prix,
nous ne ferons qu'augmenter ses difficultés et son manque de confiance
en lui. Il faut traiter la cause ; ne plus se focaliser sur les connaissances
scolaires à acquérir, et faire un pas de côté. Il nous faut réparer ce qui a
été endommagé ou n'a pas pu correctement s'élaborer.

Au-delà de l'apprentissage, sans ces compétences, nous ne pouvons tout


simplement pas avoir un comportement intentionnellement organisé et
contrôlé pour atteindre un but - quel qu'il soit. La recherche indique en
effet que les personnes ayant correctement développé ces fonctions
sont plus heureuses, réussissent mieux leurs examens, ont des postes
professionnels qui les satisfont, sont moins sujettes aux addictions, ont
des relations sociales plus apaisées et durables, sont en meilleure
santé, ont moins d'accidents de voiture. Ces personnes savent mieux se
contrôler, prendre du recul et analyser les situations avant d’agir ; et,
lorsqu'il faut agir, elles agissent de manière efficace, au bon moment.
Elles sont capables de changer complètement de stratégie s'il le faut ou
de persévérer jusqu'à atteindre leur but, même si cela requiert au
préalable de relever une suite de défis particulièrement laborieux.

Nous le savons aujourd'hui clairement : « Offrir aux enfants les moyens


de construire ces compétences à la maison, dans les programmes
d'éducation précoces, et dans tous les autres contextes où ils vivent
régulièrement, est l'une des plus importantes responsabilités de la
société ». Un sous-développement exécutif pendant la petite enfance est
un risque majeur de difficultés académiques et sociales dans la vie
future de l'être humain. Nous savons aussi que les enfants issus de
milieux défavorisés sont plus à même de développer des fonctions
exécutives déficitaires.

N'attendons plus. Commençons dès le plus jeune âge. Ne pensons pas


qu'il faille attendre le moment où il commence à mieux planifier ces
actions ou à maîtriser ses gestes, ses émotions et ses pensées - c'est-à-
dire aux alentours de 4 et 5 ans. Ce serait une grande erreur. Ce serait
comme décider de parler à l'enfant lorsqu'il se met à bredouiller ses
premiers mots. Le niveau de maîtrise que l'on constate entre 4 et 5 ans,
l'enfant l'a construit avant. À 5 ans, il exprime ce qu'il a pu élaborer
précédemment. C'est donc avant 5 ans qu'il est crucial de
l'accompagner.

L'exemple du langage est éloquent : il «explose» vers 2 ans, pourtant


l'enfant n'apprend pas à 2 ans ce qu'il exprime à 2 ans. Il manifeste, à
l'extérieur, ce qui s'est encodé préalablement mais qui était demeuré
insondable jusque-là. Pendant deux ans, il a été extrêmement sensible à
notre voix, attentif à nos mots, à nos histoires, à nos chansons ; il
incorporait progressivement, par des connexions de neurones, les sons,
la mélodie, la syntaxe de notre langage. À 1 an, toute la structure
linguistique était déjà assimilée. Le jour où ses organes physiques ont
été prêts, il s'est mis à parler. Il se produit la même chose avec les
fonctions exécutives.

Après 5 ans, le niveau de maîtrise des enfants continue d'augmenter,


mais, comme cela se perçoit aisément sur le graphique suivant, ce
niveau prendra appui sur les bases jetées lors des premières années.
Parents, grands-parents, grands frères, grandes sœurs, enseignants de
maternelle, éducateurs de jeunes enfants, assistants maternels, votre
rôle est capital et incroyablement mésestimé. Le jeune enfant que vous
accompagnez est certes physiquement né, mais il se trouve toujours
dans une phase embryonnaire qui doit être nourrie et protégée. Le jeune
enfant forme, avec notre aide et dans le monde, son endostructure.

Dès que l'enfant manifeste le besoin d'agir seul, par des gestes ou des
mots, nous devons lui permettre de le faire. Les enfants nous guident
toujours très clairement, avant même d'être capables de parler : ils
repoussent nos mains, nous tournent le dos pour poursuivre leur
exploration sans nos interventions dérangeantes. Ils peuvent même nous
lancer un « Non !» ou un «Moi!». Bientôt, ils trouveront enfin des mots
clairs, ni appris ni entendus, puisés dans leur plus profonde intériorité :
«Moi tout seul !»
2.Comment aider ?
Les environnements favorables au bon développement exécutif, à tout
âge, sont ceux dans lesquels l'adulte accompagne précocement et
progressivement l'enfant vers une autonomie de plus en plus maîtrisée.
Il ne s'agit pas de le laisser livré à lui-même. L'autonomie, c'est lorsque
l'on peut faire seul car la présence de l'autre, son étayage et sa
bienveillance ont été intériorisés.

A. Parler avec l'enfant


Interagir avec l'enfant, dès ses premiers mois de vie, est une des
activités les plus simples et les plus importantes que nous puissions
mener. Nos échanges avec lui activent l'ensemble de son cerveau, ce
qui favorise la création de liens solides, un bon câblage, entre les
différentes régions cérébrales. Ces liaisons renforcées ont un fort
impact sur les capacités globales de l'enfant, et particulièrement sur ses
fonctions exécutives.
Échangeons, conversons, parlons avec lui, tôt et souvent - même si c'est
juste pour répondre à des gazouillis. « Aucun jouet ni technologie ne
sont nécessaires. Vous pouvez interagir avec l'enfant à tout moment de
la vie de tous les jours - pendant que vous faites les courses, que vous
prenez la voiture ou que vous vous préparez le matin ». L'enfant se sent
par ailleurs considéré, entendu. Il prend confiance en lui, il sent qu'il est
encouragé à explorer, à poser des questions, à parler de ce qu'il ressent.
La relation avec l'adulte qui naît de ces échanges est sécurisante et
solide. Conversations, encouragements, explorations, liens chaleureux,
sont des paramètres très favorables à un bon développement exécutif.

B. Être chaleureux
Les neurosciences affectives nous envoient en effet un message très
fort : la présence à l'autre, l'amour, développe l'intelligence humaine au
maximum de ses possibilités. Les connexions cérébrales foisonnent
dans tout le cerveau - y compris dans le cortex préfrontal, qui abrite les
fonctions exécutives. Une analyse réalisée en 2015 par Rianne Kok, de
l'université de Leyde aux Pays-Bas, montre que lorsque les deux parents
offrent un étayage sensible et empathique dès la naissance, l'enfant
possède à 8 ans un volume de matière grise et un volume cérébral plus
importants que des enfants n'ayant pas bénéficié, plus jeunes, d'un tel
soutien chaleureux. L'impact puissamment bénéfique de la relation
positive touche tous les milieux socio-économiques. L'enfant est en
capacité de construire une intelligence épanouie, et un système exécutif
hautement fonctionnel. Les profonds bienfaits du lien humain chaleureux
ne se limitent pas à la relation adulte-enfant. Ils peuvent être
démultipliés lorsque les enfants ont des comportements et des
attentions empathiques entre eux, toute la journée. D'autant que la
relation positive génère des bienfaits moléculaires et structurels tant
dans le cerveau de celui qui manifeste l'intention chaleureuse que dans
le cerveau de celui qui la reçoit. Favoriser l'entraide, la générosité, la
compréhension, l'amitié entre les enfants est peut-être le levier le plus
accessible, le plus simple et le plus porteur qui soit pour le bon
développement de l'intelligence globale et de l'intelligence d'action en
particulier.

C. Aider l'enfant à se calmer


Le cerveau de l'enfant est très immature, la partie préfrontale
particulièrement, siège de ces fonctions exécutives. Tant que ses
fonctions exécutives ne sont pas développées, il ne peut pas se calmer
seul, prendre du recul, analyser la situation et s'apaiser. Il traverse alors
de véritables tempêtes émotionnelles : son cerveau est envahi de
molécules liées au stress (cortisol) qui, si ce stress se prolonge, peuvent
endommager son cortex préfrontal. Cette zone abrite nos capacités les
plus sophistiquées, mais c'est aussi la région la plus vulnérable au
stress. Le réflexe est d'apaiser l'enfant le plus vite possible par un
contact physique affectueux. En le prenant dans nos bras, la libération
de cortisol est stoppée par la libération d'ocytocine (molécule du lien et
de l'empathie).
Nous protégeons ainsi ses fonctions exécutives. Un enfant recevant
l'aide de l'adulte pour se calmer développera de bien meilleures
capacités d'action et d'autorégulation qu'un enfant qui serait
régulièrement renvoyé dans sa chambre pour se calmer seul, alors qu'il
ne peut pas le faire : son cerveau serait soumis à un stress répété et
prolongé, donc toxique. Ses zones préfrontales seraient inévitablement
affectées et ses compétences exécutives, malmenées. Contrairement à
l'enfant qui bénéficiera de l'aide stable, empathique et sécurisante de
l'adulte, le second continuera à avoir de grandes difficultés à se
contrôler, à prendre du recul et à analyser les situations qu'il traverse.
Une fois l'enfant calmé, il est fondamental de l'aider à mettre des mots
sur ce qu'il ressent ; cela l'apaise encore plus profondément. Grâce à cet
étayage de notre part, il analysera par ailleurs chaque fois mieux ce qu'il
traverse. Ses fonctions exécutives seront exercées, nourries et
renforcées ; il sera de plus en plus apte à réguler seul ses émotions.

D. Aider l'enfant à s'exprimer


Aider l'enfant à analyser ce qu'il ressent est un premier pas.
L'aider à s'exprimer est un deuxième pas fondamental pour le bon
développement de ses fonctions exécutives. En s'efforçant à nous
raconter ce qu'il traverse - par exemple ce petit frère qui vient de lui
arracher un jouet des mains -, l'enfant exerce pleinement, et de manière
coordonnée, ses fonctions exécutives. Il doit mémoriser les différents
éléments à évoquer, les analyser, les organiser de manière
compréhensible et contrôler son envie de dire les choses telles qu'elles
lui viennent à l'esprit. Il doit aussi réajuster ses propos s'il perçoit que
l'adulte n'a pas très bien compris. Et tout cela, sans perdre patience. Il
exerce ainsi puissamment son contrôle inhibiteur à un âge où il est
encore peu développé. Prendre l'habitude d'aider le jeune enfant à
s'exprimer aura un impact fort sur son développement exécutif. À
l'entrée en maternelle, la différence sera grande entre un enfant qui aura
été soutenu dans ses élans langagiers et un enfant qui ne l'aura pas été :
le premier saura mieux s'exprimer, il sera plus en mesure de réguler ses
émotions et sera probablement moins impulsif. Les capacités de
contrôle qu'il aura développées en essayant de s'exprimer clairement le
rendront plus attentif. En 2016, une étude montre un lien significatif
entre les capacités de langage et d’attention : les enfants qui ont des
difficultés de langage à 3 ans ont plus de risque de développer des
symptômes d'inattention et/ou d'hyperactivité.

E. L’aider à patienter
Toutes les aides que nous apporterons à l'enfant pour lui permettre de
réguler ses impulsions auront un fort impact sur son développement
exécutif. L'aider à s'exprimer clairement sans précipitation en est une.
Lui donner des stratégies pour patienter lorsqu'il désire ardemment
quelque chose (mais ne peut pas y accéder dans l'immédiat) en est une
autre, essentielle. Les enfants nous sollicitent souvent vigoureusement
lorsque nous sommes déjà engagés dans une conversation ou dans une
tâche qui requiert toute notre attention. Ces situations sont idéales pour
leur faire exercer efficacement leurs capacités d'autorégulation. Au lieu
d'interrompre notre conversation, nous pouvons inviter l'enfant à poser
délicatement sa main sur notre épaule. Grâce à ce contact physique, il
n'a pas besoin de nous déranger ou de nous couper la parole : nous
savons qu'il a besoin de nous, et il sait que nous savons. Cela l'apaise et
l'aide à patienter. Dès que nous le pourrons, nous serons disponibles
pour l'écouter. Selon l'âge et les capacités de l'enfant, il nous revient de
le faire patienter plus ou moins longtemps : si nous lui imposons un
temps d'attente trop long pour ses capacités, ce dispositif ne
fonctionnera pas. Il finira par nous interrompre. Allongeons
progressivement le temps d'attente. De telles stratégies sont simples,
accessibles à tous et extrêmement efficaces pour aider l'enfant à
réguler ses impulsions. Nous sommes là pour lui, il est en sécurité, il sait
qu'il sera écouté pleinement ; il attend.

F. Favoriser l'autonomie quotidienne


Aidons les jeunes enfants à être autonomes du matin au soir. Montrons-
leur, dès leur plus jeune âge, comment s'habiller seuls, se chausser
seuls, se laver les mains correctement, se moucher, fermer une porte
délicatement, ranger leur chaise après s'être levés, se déplacer
calmement, verser de l'eau dans leur verre sans en renverser, mettre la
table, manger seuls avec de la vraie vaisselle qui casse et oblige à des
gestes délicats. Proposons-leur de prendre part aux tâches pratiques de
la vie en collectif. Selon leur âge et leurs capacités, ils pourront
s'occuper d'un potager, couper des fruits et des légumes pour préparer
un repas, écaler des œufs, presser des fruits, laver la vaisselle, balayer,
nettoyer les vitres, le sol, les tables, les chaises ; ramasser les feuilles
mortes dans la cour, nourrir les poules, construire un poulailler, faire la
cuisine, faire du savon, s'occuper d'un enfant plus jeune, etc.

G. De la difficulté
Les activités dans lesquelles s'engage l'enfant doivent mettre son
intelligence au défi. Pour exercer ses fonctions exécutives, il doit y avoir
un effort cognitif soutenu de sa part. Comme le rappelle continuellement
Adèle Diamond, neuroscientifique spécialiste des fonctions exécutives :
« Les fonctions exécutives peuvent être développées, mais pour ce faire,
elles doivent être continuellement challengées, pas seulement utilisées,
mais challengées.»
H. Du sens
L'esprit humain recherche le sens. Une expérience montre que, après un
temps de sommeil, l'enfant retient une séquence motrice apprise sur un
piano seulement si l'adulte attire son attention sur la mélodie. Si l'adulte
ne concentre son attention que sur la suite de gestes à effectuer,
l'enfant ne la retient pas.
Veillons à proposer à l'enfant des activités qui l'élèvent et qui font sens.
L'enfant aura envie de s'y engager, de se perfectionner ; ses
compétences d'action seront efficacement exercées.

I. Suivre ses motivations


Lorsque l'enfant s'engage dans des activités qui le motivent
personnellement, de manière endogène, intrinsèque (qui vient de
l'intérieur), il aura envie de se perfectionner, d'atteindre des objectifs
ambitieux. Ses fonctions exécutives seront puissamment exercées. Par
ailleurs, il apprendra mieux et plus vite puisque la motivation endogène
active fortement les circuits de la mémoire. Un autre bénéfice, et pas
des moindres, est que l'enfant reste connecté à lui-même : au lieu de
mettre son intelligence au service des autres, de répondre à ce que l'on
attend de lui, il met son intelligence au service du développement de sa
propre personnalité.

J. Accueillir l'erreur
Nous gérons parfois difficilement l'erreur. Or il faut qu'il y ait un
décalage entre nos projections et la réalité (une erreur donc) pour que le
cerveau soit surpris et réajuste ses circuits. L'erreur ne fait pas
seulement partie intégrante du processus d'apprentissage, elle en est la
condition : il faut se tromper pour apprendre. Nous voulons que nos
enfants apprennent, mais sans se tromper.
Ce jugement négatif de l'erreur a de graves conséquences sur le
développement exécutif des enfants tétanisés à l'idée de décevoir et
d'être jugés, ils n'osent plus s'engager dans des activités, prendre des
initiatives ; ils sont paralysés.
Au lieu de sanctionner l'erreur, accueillons-la comme l'alliée et la grande
enseignante qu'elle est : aidons l'enfant à travailler avec. Il sera alors
dans les meilleures conditions pour développer une excellente flexibilité
cognitive : il saura détecter et comprendre ses erreurs pour progresser.

K. Encourager l'effort
Avec les mots et les manières qui seront les nôtres, tentons de faire
comprendre à l'enfant qu'apprendre est un processus qui prend du temps
et qui demande des efforts importants. Il faut persévérer. Nous pouvons
l'aider à comprendre cela en valorisant ses efforts plutôt que leur
résultat : «Oh, tu as mis ton manteau tout seul ! La fermeture était
difficile à remonter, mais tu as persévéré !» S'il n'arrive pas à atteindre
ses objectifs du premier coup, l'enfant aura moins tendance à se
dévaloriser et à abandonner. Il saura que ne pas réussir du premier coup
est normal, qu'il faut persévérer, répéter, pour finalement apprendre et
maîtriser.

L. Moins diriger
Les activités très dirigées, où l'adulte fixe lui-même l'objectif, planifie
l'organisation des tâches, détecte les erreurs et donne à l'enfant les
stratégies à mettre en place, n'aident pas l'enfant à devenir autonome.
Assouplissons nos activités très structurées en permettant par exemple
aux enfants de se fixer eux-mêmes des objectifs, que nous les aiderons
ensuite à atteindre. Leurs compétences d'action sont ainsi davantage
mises à l'épreuve.

M. Individualiser
L'individualisation, en classe ou à la maison, permet d'identifier
rapidement les enfants qui rencontrent des difficultés à se contrôler, à
mémoriser ou à modifier leurs stratégies, et de leur apporter un étayage
approprié. Ils progresseront plus rapidement.

N. Réduire les écrans


Les écrans (télévisions, portables, consoles) détournent l'enfant d'un
temps précieux qu'il devrait consacrer à exercer activement son
intelligence. Et dans le même temps, en hypnotisant l'enfant, ils
détraquent littéralement son système exécutif et attentionnel en plein
développement. C'est une double peine qui coûte cher à l'enfant. Jusqu'à
3 ans, l'exposition aux écrans et leur utilisation devraient être
proscrites. Alors qu'il devrait passer ce temps à façonner son
intelligence en étant actif et en lien avec l'autre, l'enfant le passe à
abîmer ses circuits neuronaux préfrontaux. Ses compétences d'action
sont directement impactées. Une étude publiée en décembre 2018 va,
comme tant d'autres, totalement en ce sens. Elle a été menée auprès de
plusieurs milliers d'enfants âgés de 2 à 17 ans. Elle indique que passer, à
ces âges, plus d'une heure par jour derrière un écran (téléphone,
ordinateur, appareil électronique, jeu électronique et télévision) est
associé à une diminution de la curiosité, du contrôle de soi, de la
persévérance, à une augmentation des troubles de l'attention, de
l'instabilité émotionnelle, de l'impulsivité, ainsi que de l'incapacité à
terminer les tâches engagées.

O. Améliorer la qualité du sommeil


Le manque de sommeil enraye lui aussi directement les fonctions
exécutives. Un adulte qui a mal dormi aura des difficultés à «
fonctionner » correctement. L'enfant, lui, n'aura pas seulement des
difficultés à fonctionner, il rencontrera également des difficultés à créer
ses fonctions exécutives en plein développement.
Les arguments s’accumulent : une fraction non négligeable des enfants
hyperactifs et atteints de troubles de l'attention pourrait ne souffrir que
d'un manque de sommeil, c’est également le cas pour les respirateurs
buccaux.
Lorsqu'il semble difficile d'agir sur des éléments environnementaux qui
fragilisent considérablement les fonctions exécutives de l'enfant, tels
que les écrans, le stress ou le manque de sommeil, ne nous
décourageons pas pour autant. L'expérience dans les classes montre
qu'un environnement fortement soutenant permet d'apporter
d'importants bienfaits, même si, par ailleurs, des éléments perturbateurs
subsistent. L'enfant finit souvent par faire spontanément des choix plus
adaptés. Il est courant, par exemple, que des enfants hautement
exposés aux écrans - dès le matin et jusqu'à l'endormissement -
reprennent tant goût à l'activité et à l'apprentissage actif qu'ils
délaissent ces objets. Les parents font alors les mêmes commentaires
étonnés : « Il ne veut plus regarder la télé. Il préfère lire !» Leur cœur
balance entre l'amusement et l'interrogation sceptique : « Est-ce que
c'est normal ? » Par ailleurs, si les enfants apprennent à mieux se
contrôler, ils seront plus à même de gérer les situations de stress qu'ils
traversent - même lorsque nous ne sommes pas à leurs côtés. Lorsque
l'on ne peut pas agir sur des situations qui sont hors de notre portée,
concentrons notre attention sur celles qui le sont. Enclencher un cercle
vertueux d'un côté suffit parfois à faire levier.

Avant de mettre en œuvre ce nouveau fonctionnement, quelques


aménagements (espace, mobilier, tri d'activités) sont nécessaires. Les
enseignants sont invités à focaliser toute leur réflexion et leurs
pratiques sur l'exercice des fonctions exécutives, en renforçant les
éléments favorables mentionnés précédemment, et en veillant, dans la
mesure du possible, à réduire les éléments entravants. Le
fonctionnement des classes se transformera peu à peu : les enfants
seront accompagnés individuellement à devenir autonomes au quotidien,
et, dans les classes, à choisir eux-mêmes des activités qui les motivent,
parmi une sélection ambitieuse et pleine de sens soigneusement
réalisée par l'adulte. Les enfants seront aidés à les mener à leur terme
seul ou en tout petit groupe de deux ou trois enfants ; à patienter, à
s'entraider, à s'exprimer clairement, etc.

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