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11-033-C-10
Tachycardie de la jonction
auriculoventriculaire
B Brembilla-Perrot
Résumé. – Les tachycardies de la jonction auriculoventriculaire sont dues à des tachycardies par réentrée
dont au moins une des voies du circuit passe par le nœud auriculoventriculaire. Elles sont paroxystiques dans
90 % des cas et, si l’électrocardiogramme intercritique est normal, la réentrée intranodale représente leur
mécanisme essentiel (75 % des cas). Les formes chroniques sont plus rares (10 %) mais sont faciles à
documenter par opposition aux formes paroxystiques. Elles ont sensiblement le même mécanisme.
Suivant la fréquence de la tachycardie, qui peut varier de 130 à 280/min, et l’âge de survenue, la sémiologie
fonctionnelle et le pronostic sont très variables d’un patient à l’autre, allant d’une affection bénigne à une
affection parfois potentiellement grave aux deux âges extrêmes de la vie. Toutefois, le traitement curatif par
ablation par radiofréquence du circuit a permis de transformer le pronostic des patients à risque. Il reste plus
discutable chez les enfants et les jeunes adultes où le pronostic de l’affection est excellent.
© 2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Introduction
Les tachycardies de la jonction auriculoventriculaire sont des
tachycardies dont le trajet total ou partiel utilise le nœud de Tawara
et/ou le faisceau de His jusqu’à sa bifurcation. Les formes les plus
fréquentes sont les tachycardies jonctionnelles paroxystiques,
appelées autrefois tachycardies de Bouveret. Toutefois, ce nom tend
à être moins utilisé car il s’agissait d’une description clinique,
réalisée en 1889, susceptible d’avoir inclus des tachycardies de
natures diverses.
L’affection est assez fréquente, probablement sous-estimée car les
crises peuvent être rares ou avoir des manifestations très atypiques.
Aux États-Unis, il y a 89 000 nouveaux cas par an et 570 000 patients
atteints par des tachycardies supraventriculaires paroxystiques [50].
Cela correspond à une prévalence de 2,25/1 000 personnes et une
incidence de 35/100 000 personnes. L’affection peut toucher tous les
âges de la vie. Elle a une sémiologie fonctionnelle parfois trompeuse
et un pronostic variable.
Les principaux problèmes cliniques sont celui de la mise en évidence
de la tachycardie puis celui de l’attitude thérapeutique, qui peut
aller de l’abstention à l’indication d’un traitement curatif mais
invasif. 1 Différentes tachycardies de la jonction auriculoventriculaire par rythme récipro-
que.
Les deux figures de gauche correspondent aux tachycardies paroxystiques. À gauche,
Mécanismes des tachycardies réentrée dans un faisceau de Kent (25 % des tachycardies paroxystiques avec électro-
cardiogramme [ECG] intercritique normal). L’auriculogramme suit le ventriculo-
de la jonction auriculoventriculaire gramme. À droite, réentrée nodale typique (75 % des tachycardies paroxystiques avec
ECG intercritique normal). Descente de l’impulsion par la voie lente et remontée par la
voie rapide. L’auriculogramme est dans le ventriculogramme, avec un faux aspect de re-
PHÉNOMÈNE DE RÉENTRÉE OU RYTHME RÉCIPROQUE tard droit en V1.
La majorité de ces tachycardies sont dues à un phénomène de Les deux figures de droite correspondent aux tachycardies chroniques ou permanentes.
réentrée ou rythme réciproque (fig 1). À gauche, réentrée nodale atypique. L’impulsion descend par une voie rapide et re-
monte par une voie lente. L’auriculogramme est loin derrière le ventriculogramme. À
droite, réentrée dans un faisceau de Kent à conduction lente. L’auriculogramme est
donc loin du ventriculogramme.
Béatrice Brembilla-Perrot : Praticien hospitalier, cardiologie, centre hospitalier universitaire de Brabois, rue NAV : nœud auriculoventriculaire.
du Morvan, 54500 Vandœuvre-Lès-Nancy, France.
Toute référence à cet article doit porter la mention : Brembilla-Perrot B. Tachycardie de la jonction auriculoventriculaire. Encycl Méd Chir (Encyclopédie Scientifique et Médicale Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Cardiologie,
11-033-C-10, 2001, 9 p.
11-033-C-10 Tachycardie de la jonction auriculoventriculaire Cardiologie
Une des voies du circuit des réentrées au moins passe par le nœud
de Tawara. Suivant les propriétés électrophysiologiques des voies
en cause, la tachycardie peut être paroxystique ou chronique.
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Cardiologie Tachycardie de la jonction auriculoventriculaire 11-033-C-10
¶ Chez l’adolescent
La tachycardie peut être méconnue et seuls les signes reliés à l’arrêt
de la crise peuvent être rapportés, avec soit une réaction de panique,
soit un malaise ou une syncope de nature vagale.
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5 Aspects de l’auriculogramme à rechercher en tachycardie pour identifier le circuit 6 Schéma du bloc de branche ralentisseur, d’après Slama et al [60]. Illustration
de réentrée. de l’effet d’un bloc de branche gauche chez un sujet où la réentrée se fait dans un fais-
En haut, l’auriculogramme (A) suit le ventriculogramme (V). L’activité est négative en ceau de Kent latéral gauche : le temps de conduction rétrograde s’allonge et la
D3 et D1, V6. La négativité en D1 est évocatrice d’une réentrée dans un faisceau de tachycardie est plus lente en cas de bloc de branche gauche. La fréquence de la
Kent gauche. En cas d’enregistrement œsophagien, la précession de l’auriculogramme tachycardie n’est pas affectée par le bloc de branche droit. Un schéma identique a été
œsophagien par rapport à l’auriculogramme en V1 est aussi un signe de réentrée dans proposé pour le bloc de branche droit et la réentrée dans un faisceau de Kent droit, mais
un faisceau de Kent gauche. l’effet est inconstant car la branche droite est plus longue que la gauche et le niveau
En bas, deux aspects de tachycardie par réentrée intranodale : en haut, réentrée classi- du bloc de branche droit peut être situé en dessous de l’insertion du faisceau de Kent.
que avec un auriculogramme dans ou juste à la fin du ventriculogramme (faux aspect La fréquence de la tachycardie n’est alors pas affectée.
de retard droit en V1). Cette crise est apparue après un allongement brutal de l’espace
AV (voie rapide en période réfractaire, descente de l’extrastimulus par la voie lente). En
bas, tachycardie jonctionnelle avec un auriculogramme qui suit le ventriculogramme, que la réentrée utilise un faisceau de Kent postérolatéral
mais variations de l’espace VA de 100 à 140 ms, ce qui exclut une remontée dans un
gauche [52]. Toutefois, ce signe peut être noté également dans les
faisceau de Kent classique qui conduit à vitesse constante.
réentrées utilisant un faisceau de Kent antéroseptal [59]. Lorsque
l’on peut disposer d’un enregistrement de l’auriculogramme par
parfois beaucoup plus difficile dans les formes paroxystiques qui voie œsophagienne, la présence d’une activité auriculaire en V1,
s’arrêtent souvent spontanément avant qu’un ECG puisse être notée après la survenue de l’auriculogramme œsophagien, est un
réalisé. signe de réentrée dans un faisceau de Kent gauche [4] ;
Différents éléments peuvent être utilisés pour poser le diagnostic de
tachycardie jonctionnelle et évoquer son mécanisme électro- – l’activité auriculaire peut être dissociée des ventricules : 10 %
physiologique : des tachycardies par réentrée intranodale sont associées à la
survenue d’un bloc 2/1 vers les ventricules [46]. Une dissociation
– la fréquence cardiaque varie de 130 à 280/min [44]. Classiquement, auriculoventriculaire au cours d’une tachycardie à QRS fins peut
elle est le plus souvent aux alentours de 180/min ; être observée dans certaines tachycardies par réentrée intranodale,
– la tachycardie est régulière ; mais est également un signe de tachycardie hisienne par
automatisme. Une dissociation auriculoventriculaire au cours
– les complexes QRS sont fins ou comportent une aberration de d’une tachycardie avec bloc de branche gauche survenant chez
conduction similaire à celle qui est notée en rythme sinusal. Chez un sujet qui a un aspect de préexcitation ventriculaire sur l’ECG
certains patients, il y a une alternance électrique, les complexes QRS en rythme sinusal est un signe de réentrée dans un faisceau de
changeant de morphologie une fois sur deux, surtout dans la Mahaim nodoventriculaire ;
dérivation V1 [26]. Ce signe est retrouvé plus souvent dans les
tachycardies utilisant un faisceau de Kent mais il n’est pas – la mise en évidence de l’activité auriculaire est souvent difficile
spécifique ; si la tachycardie est rapide ou s’il existe une aberration de
conduction. Les signes sont également parfois trompeurs, avec des
– l’activité auriculaire doit être recherchée. La place de aspects pouvant évoquer des tachycardies atriales [62] ;
l’auriculogramme par rapport au ventriculograme et sa morphologie
doivent être notées (fig 5) : – les tachycardies rapides présentent parfois, lors de leur initiation,
un bloc de branche fonctionnel. Normalement, la fréquence
– l’activité peut être invisible ou apparaître à la fin du cardiaque est soit inchangée, soit plus rapide lors de l’aberration de
ventriculogramme et se traduire par un aspect de bloc incomplet conduction. En cas de réentrée dans un faisceau de Kent gauche et
droit en V1 : il s’agit d’une réentrée intranodale [27] ; en présence d’un bloc de branche gauche transitoire, la tachycardie
– l’activité auriculaire peut être clairement visible après le est plus lente que la tachycardie à QRS fins. Il s’agit du phénomène
ventriculogramme ; elle est négative en D2, D3, VF. Si par ailleurs de bloc de branche ralentisseur dont le mécanisme a été explicité
l’onde P est négative en D1, il y a une forte présomption pour par Slama et al [60] (fig 6). Exceptionnellement, en cas de réentrée
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Cardiologie Tachycardie de la jonction auriculoventriculaire 11-033-C-10
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11-033-C-10 Tachycardie de la jonction auriculoventriculaire Cardiologie
Bilan Traitement
ECG normal, crises rares, bien tolérées 0 0
WPW, crises rares Étude électrophysiologique (œsophagienne) 0 si forme bénigne ou ablation si forme maligne
ECG normal, crises non documentées, mal tolérées Holter, épreuve d’effort, étude électrophysiologique (œso- Traitement médical
phagienne)
Ablation si traitement mal toléré ou inefficace
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Cardiologie Tachycardie de la jonction auriculoventriculaire 11-033-C-10
En cas de signes fonctionnels notables, comme des signes – Si l’état cardiaque préalable du patient est inconnu, il vaut mieux
d’insuffisance cardiaque ou des malaises, ou chez le sujet âgé, un utiliser de l’amiodarone injectable (150 à 300 mg) ou privilégier, en
bilan cardiologique complémentaire comportant au moins une milieu hospitalier, la mise en place d’une sonde endocavitaire pour
échocardiographie est indiqué. établir la nature de la tachycardie à QRS larges, puis arrêter la
tachycardie par stimulation auriculaire ou ventriculaire.
– Certaines tachycardies antidromiques sont très rapides et sont mal
INDICATIONS DES MÉTHODES D’EXPLORATION
tolérées. Une cardioversion en urgence et après sédation est parfois
Le bilan est extrêmement variable d’un sujet à l’autre et dépend de nécessaire.
l’âge du patient et du caractère invalidant ou non des crises.
– Il ne s’impose pas si l’ECG intercritique est normal et les crises TRAITEMENTS PRÉVENTIFS
rares. ¶ Possibilités thérapeutiques
– Il s’impose quand il y a un syndrome de Wolff-Parkinson-White Les moyens sont actuellement nombreux.
qui ne disparaît pas brutalement à l’épreuve d’effort, même chez un
sujet peu gêné, pour vérifier la nature de ce syndrome, l’examen Traitements médicamenteux
pouvant se faire par voie transœsophagienne ou endocavitaire. Les médicaments agissant sur la conduction nodale sont les mieux
– Lorsque le patient a des tachycardies non documentées mais indiqués. Le traitement par bêtabloquant est le traitement de choix.
récidivantes, dans un contexte d’angoisse, il est souhaitable de En cas de contre-indication, le vérapamil (120 à 360 mg/j) est
prouver qu’il s’agit de tachycardies jonctionnelles avant de proposer préconisé, sauf chez le sujet qui a un syndrome de Wolff-Parkinson-
un éventuel traitement curatif. L’étude électrophysiologique peut White et tant que la nature exacte du syndrome n’a pas été vérifiée
être faite par voie transœsophagienne puisque sa sensibilité est par étude électrophysiologique.
excellente (95 %) [12]. Chez les sujets qui ont des réentrées dans un faisceau accessoire
latent ou patent, les antiarythmiques de classe I ont une action
– Si les crises sont documentées et récidivantes, l’étude dépressive sur le faisceau.
électrophysiologique doit se faire par voie endocavitaire dans le but
L’association des antiarythmiques à un bêtabloquant ou l’utilisation
de procéder, après l’étude électrophysiologique et l’établissement du
d’amiodarone permettrait généralement de contrôler la majorité des
mécanisme exact, à l’ablation par radiofréquence du circuit de
tachycardies.
réentrée en cause.
Les risques des traitements antiarythmiques doivent être rappelés,
notamment chez les sujets âgés et chez les patients qui ont des
troubles de conduction spontanés ou une cardiopathie sous-jacente,
Traitement cardiomyopathie et/ou antécédents d’infarctus.
Traitements curatifs
TRAITEMENTS DE LA CRISE DE TACHYCARDIE
Depuis une dizaine d’années, il y a eu une explosion des traitements
Ils ont peu évolué depuis de nombreuses années. curatifs par ablation par radiofréquence des circuits de réentrée des
tachycardies jonctionnelles.
¶ Manœuvres vagales De nombreuses études ont montré qu’il est possible de traiter de
façon curative, dans au moins 90 % des cas, les tachycardies par
Les traitements de la crise de tachycardie font appel avant tout aux
réentrée intranodale en réalisant l’ablation de la voie lente de
manœuvres vagales [64] : gorgée d’eau glacée, manœuvre de Valsalva,
préférence à l’ablation de la voie rapide [28, 35, 37], et les tachycardies
massage sinocarotidien, réflexe oculocardiaque...).
utilisant un faisceau de Kent latent ou patent par l’ablation de ce
faisceau [34].
¶ En cas de tachycardie à QRS fins
Il faut néanmoins rappeler les risques inhérents à la technique qui
– En l’absence de traitement antiarythmique au long cours et s’il y doivent être mis en balance avec l’évolution spontanée de la
a échec des manœuvres vagales classiques, l’injection de 20 à 40 mg maladie. Indépendamment des risques du cathétérisme et de
d’ATP (Striadynet) ou de 5 à 10 mg de vérapamil (Isoptinet) sont l’application du courant de radiofréquence qui représentent 1 à 10 %
les traitements de choix. Certains auteurs utilisent également des cas suivant les séries et la gravité de la complication, il y a des
l’injection de 2,5 mg d’esmolol (Brevibloct), bêtabloquant de très risques propres à l’ablation des tachycardies jonctionnelles par
courte demi-vie. L’ATP est déconseillé chez les sujets avec réentrée intranodale : le principal risque est celui d’un bloc
antécédent d’asthme. Tous ces produits injectables doivent être auriculoventriculaire qui peut être définitif dans 0,5 à 1 % des cas [10].
utilisés avec une prudence extrême (demi-doses) ou doivent être Dans le cas des réentrées dans le faisceau de Kent, le même risque
évités chez les sujets âgés ou avec suspicion de troubles de existe pour les réentrées dans les faisceaux de Kent antéroseptaux
conduction sinoauriculaire ou auriculoventriculaire. situés près du faisceau de His.
– En cas de contre-indication aux médicaments précédents, ou en De plus, les complications liées au cathétérisme et à l’ablation
cas de traitement préalable, il est préférable d’utiliser un digitalique augmentent chez les sujets âgés [5, 16].
injectable dont l’action est cependant retardée. Chez le jeune enfant, ¶ Indications (tableau II)
la digoxine injectable est également le traitement de choix.
Généralement, l’abstention thérapeutique s’impose tout
– Il est exceptionnel d’avoir recours à une stimulation auriculaire particulièrement chez un sujet jeune qui a des crises spontanément
pour arrêter la crise. courtes relativement bien tolérées et qui a un ECG intercritique
normal ou une forme bénigne de syndrome de Wolff-Parkinson-
¶ En cas de tachycardie antidromique avec aspect White. L’évolution naturelle de la maladie peut se faire vers une
de préexcitation maximale guérison spontanée.
– Le vérapamil et la digoxine sont formellement contre-indiqués car Crises rares
ils peuvent faciliter la conduction dans la voie accessoire en bloquant
Si les crises sont rares mais nécessitent un moyen médicamenteux
la conduction dans les voies normales.
pour les arrêter, un traitement au coup par coup de la crise peut
– Quand le syndrome de Wolff-Parkinson-White est connu et que le s’envisager, avec la prise orale d’un bêtabloquant (par exemple
diagnostic de tachycardie antidromique est hautement probable, 40 mg de propranolol ou 80 mg de vérapamil), le délai d’action étant
l’injection de flécaïnide (1 à 2 mg/kg) est la drogue de choix. d’au moins 15 minutes.
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