3) « Malaise dans la civilisation » (Freud) (https://1000idcg.
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Le malaise dans la civilisation révèle le développement de la culture à l’aune du psychisme individuel.
Très frappé par la Première Guerre mondiale, Freud, qui a eu comme patients des vétérans souffrant de syndrome post-traumatique, montre dans Le Malaise dans la civilisation que la guerre est comparable au rêve dans la mesure où elle opère un « déshabillage moral », c’est-à-dire qu’elle rend possible, en supprimant la censure morale, l’expression des pulsions agressives refoulées en temps normal par les contraintes sociales. Cette comparaison lui sert à comprendre comment s’édifie la civilisation (ou culture). Le malaise dans la civilisation résulte de frustrations. En rapprochant le développement de l’individu et celui de la civilisation, Freud affirme en effet que la culture se construit sur le renoncement pulsionnel. Il la définit plus précisément comme « la somme totale des réalisations et dispositifs par lesquels notre vie s’éloigne de celle de nos ancêtres animaux et qui servent à deux fins : la protection de l’homme contre la nature et la réglementation des hommes entre eux » (Le Malaise dans la civilisation). Le fondement de la civilisation résiderait donc dans la nécessité de restreindre la liberté individuelle pour permettre la vie en commun. Cette nécessité est assurée tant au niveau de l’individu, par le père et par le Surmoi (la structure morale du psychisme), qu’au niveau collectif, grâce à la culture, dont la fonction est de pousser l’individu à faire passer l’intérêt collectif avant son intérêt individuel. Ainsi, la communauté des hommes génère elle aussi une forme de Surmoi dont les exigences se manifestent sous la forme d’une éthique de l’amour opposée à la violence, de manière à contenir le penchant naturel à l’agression. Or, pour Freud, la violence humaine trouve sa source dans la contradiction entre le Moi, qui dicte l’égoïsme, et le Surmoi, qui dicte l’altruisme. Le malaise dans la civilisation naît d’un antagonisme de pulsions. Pour Freud, en effet, l’homme est habité par deux forces qui s’affrontent dans un combat vital sans fin. Tout d’abord, l’amour, ou Éros, est la base de la culture parce qu’il fonde la vie en communauté, dont les membres sont liés de manière libidinale. Pour autant, aimer l’étranger comme soi-même est dépourvu d’intérêt, et cela semble même impossible et absurde puisque la nature humaine comporte l’hostilité à l’égard de tout individu potentiellement menaçant. Freud conçoit donc aussi Éros en opposition à la culture dans la mesure où il s’épanouit dans la sphère privée et où il subit les restrictions de la culture (valeurs morales, tabous, normes et interdits). D’autre part, la pulsion d’agression et de mort, ou Thanatos, se déploie contre l’amour : « l’existence de ce penchant à l’agression, écrit Freud, (…) est le facteur qui perturbe notre rapport au prochain » (Le Malaise dans la civilisation).
Otto Rapp, Eros Tanathos II (2017)
1 Les pulsions ne sont donc pas toutes de la même espèce. À côté de la tendance expansive de l'Éros (tendance à rassembler la substance vivante en unités de plus en plus grandes, à créer des sociétés humaines de plus en plus vastes en liant les individus), Freud postule dans la dernière période de sa pensée, l’existence d’une autre pulsion, opposée à elle, qui tend à dissoudre ces unités : la pulsion de mort. Cette pulsion destructrice est paradoxalement au service de l’Éros (elle détruit autre chose que soi) ; la destruction est en effet source de jouissance (narcissique) car elle réalise les anciens souhaits de toute-puissance du moi.