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Bierzaneck Remigiusz. La non-reconnaissance et le droit international contemporain. In: Annuaire français de droit
international, volume 8, 1962. pp. 117-137;
doi : https://doi.org/10.3406/afdi.1962.960
https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1962_num_8_1_960
Remigiusz BIERZANEK
(Ibis) Déclaration du Chancelier Adenauer du 21 octobre 1949. Cf. Kaufmann, Die These
von den zwei deutschen « Teilstaaten » oder « Teilvôkern », Bulletin des Presse und
Informationsdienstes der Bundesregierung, 1955, n° 3, p. 18. L'attitude du Gouvernement de
la R.F.A. est présentée par Marshall von Bieberstein (Zum Problem der vôlkerrechtlichen
Anerkennung der beiden deutschen Regierungen, 1959, p. 187) de la manière suivante : ...
« halt die Bundesregierung an dem Fortbestand der staatlichen Einheit Deutschlands fest und
beansprucht die Stellung und aile Rechte der einzigen legitimen Regierung und recht-
mâssigen vôlkerrechtlichen Vertreterin Gesamtdeutschlands ». Cette attitude a été confirmée
par l'Acte final de la Conférence de Londres du 3 octobre 1954 dans lequel les Gouvernements
des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni ont déclaré qu'ils considèrent le
Gouvernement de la R.F.A. comme ayant le droit de prendre la parole au nom de l'Allemagne en tant
que représentant de ce pays dans les relations internationales (cf. Europa-Archiv, 1954, p. 6982)
et par la déclaration du 28 septembre 1955 où les mêmes Puissances ont confirmé leur point
de vue selon lequel ce n'est que le Gouvernement de la R.F.A. qui est « entitled to speak for
Germany as the representative of the German people in international affair » (Department
of State Bulletin, 10 octobre 1955, p. 559) .
(2) Frankfurter Allgemeine Zeitung, 10 décembre 1955.
(3) M. Adenauer a déclaré, le 22 septembre 1955, que le maintien des relations
diplomatiques entre la R.F.A. et l'U.R.S.S. ne signifie pas la reconnaissance du statut territorial
actuel (Bulletin des Presse u. Informationsdienstes 1955, Nr 179, p. 1495) . D'autre part, le
Gouvernement de l'U.R.S.S. a déclaré dans son communiqué que son attitude en ce qui
concerne l'existence des deux Etats allemands reste inaltérée (Communiqué de l'agence Tass
du 16 septembre 1955) . L'inconsistance logique de l'attitude du Gouvernement de la R.F.A. qui
n'étend pas la doctrine Hallstein à l'U.R.S.S., bien que la reconnaissance de la R.D.A. par
cette dernière Puissance soit certainement un élément de haute importance politique, a été
expliquée par le fait que l'U.R.S.S. est une des grandes Puissances responsables de l'avenir
de l'Allemagne et que l'intérêt de la réunification de l'Allemagne justifie le caractère
exceptionnel des relations avec l'U.R.S.S. (Cf. le débat au Bundestag du 31 janvier 1957, Verhand-
lungen des Deutschen Bundestages, 1957, Bd. 34, p. 1066 et s. et Die Welt du 1er février 1957).
(4) La note remise par M. von Brentano à l'ambassadeur yougoslave Kveder le 19 octobre
1957 (cf. Dokumentation zur Deutschlandfrage, éd. H. von Siegler, p. 703) . Les Gouvernements
des Puissances occidentales n'ont répondu au communiqué du 15 octobre que par la déclaration
exprimant leur regret. M. Ollenhauer, au nom de la S.P.D., a recommandé au Gouvernement
fédéral de ne pas dépasser la déclaration susmentionnée. (Cf. Die Welt, 17 octobre 1957 et
Franf. Allgem. Zeitung, 21 octobre 1957) .
(5) Le Président de la R.D.A. a reçu le 5 mars 1960 l'ambassadeur de la Guinée, M.
Seydou Conte, qui lui a remis une lettre de son président, M. Sékou Touré, ce qui a été
considéré à Berlin comme l'établissement des relations diplomatiques entre les deux pays.
Le Gouvernement de la R.F.A. a rappelé son ambassadeur à Conakry et a menacé de rompre
LA NON-RECONNAISSANCE ET LE DROIT INTERNATIONAL CONTEMPORAIN 119
les relations diplomatiques. Le Président Sékou Touré a donné l'assurance, dans l'entretien
du 3 avril 1960, au représentant du Gouvernement de la R.F.A., M. von Etzdorf, que la Guinée
n'entretient pas de relations diplomatiques avec la R.D.A., ce qui a été considéré à Bonn
comme satisfaisant (cf. Franf. Allgem. Zeitung, 9 avril 1960) .
(6) Die Welt, 13 mai 1961.
(7) Cf. la déclaration du Ministère des Affaires Etrangères de la R.F.A. qui a pris acte
de la communication du Chef de l'Etat du Cambodge, le Prince Sinahouk, au représentant
du Gouvernement de la R.F.A. « mit der Aufnahme konsularischer Beziehungen nient die
diplomatische Anerkennung impliziert sei » (Bulletin de Presse du 27 juin 1962) .
(8) P. e. le rapport entre la doctrine Hallstein ayant pour base la fiction de droit
constitutionnel de l'identité de la R.F.A. et de l'Etat allemand d'avant-guerre avec la conception de
droit international — considéré comme « atisseres Staatsrecht » et « Untergesetzesrecht » par
l'école de Bonn. Cf. à cet égard Zorn, Grun&zùge des Vôlkerrechts, 1903, p. 7 et s. : « Vôl-
kerrecht ist positives Recht wenn und soweit es Staatsrecht ist... als Bestand des nationalen
Rechts ».
(9) Pour les Romains qui faisaient des guerres incessantes et pour qui, pour cette raison,
la guerre était un domaine important des relations avec les autres Etats, la guerre précédée par
la déclaration formelle de guerre entraînait un effet juridique différent que la guerre non
déclarée. Dans le premier cas, la guerre était considérée comme juste, solennelle, on observait
des règles déterminées dans sa conduite et les adversaires étaient considérés comme public!
hostes. Dans le second cas, les adversaires étaient traités comme des brigands (Dig. 41, 16, 24) .
Ce n'étaient pas seulement les critères de réflectivité des organisations en question (on ne
déclarait pas la guerre aux peuples qui n'avaient pas d'organisation politique), mais aussi des
critères purement politiques (les guerres civiles) qui décidaient du classement de la guerre
dans l'une ou l'autre catégorie.
120 LA NON-RECONNAISSANCE ET LE DROIT INTERNATIONAL CONTEMPORAIN
(19) Le gouvernement des Etats-Unis comptait certainement parmi les plus fidèles
partisans de ces principes depuis une longue période. C'est pourquoi le Secrétaire d'Etat Stimson
pouvait en 1931 caractériser la pratique des Etats-Unis de la manière suivante : « The practice
of this country as to the recognition of new governments has been substantially uniform
from the days of the Secretary of State Jefferson to the days of the Secretary of State
Bryan in 1913... The general practice, as thus observed, was to base the act of recognition,
not upon the constitutional legitimacy of the new government, but upon its de facto capacity
to fulfill its obligations as a member of the family of nations ». Cf. Marshall-Brown (A.J.I.L.,
1948, p. 622).
(20) Cf. Wesilake, Traité de droit international, 1924, p. 46 et s.; Moore, Digest. I, 18
et s.; Rivier, Principes du droit des gens, 1896, I, p. 57; Phillimore, Commentaries, 1879, II,
p. 20; Twiss, Law of Nations, 1875, I, p. 20, Nys, La doctrine de la reconnaissance des Etats,
(Revue de Droit Int. et de Lég Comp., 1903, p. 292), Hall, Treatise on Int. Law, 1904, p. 82.
(21) La conception de la non-reconnaissance, entendue comme sanction internationale,
LA NON -RECONNAISSANCE ET LE DROIT INTERNATIONAL CONTEMPORAIN 123
était à la base de la note du Secrétaire d'Etat américain Stimson du 7 janvier 1932 aussi bien
que de la résolution de l'Assemblée de la S.D.N. du 11 mars 1932. La même conception a
guidé la politique de nombreux Etats dans leur attitude prise à l'égard des conquêtes faites
par le Japon sur le continent asiatique et par l'Italie en Afrique.
(22) Maeshall-Bbown, The recognition of new States and new Governments (A.J.I.L.,
1936, p. 689) a parfaitement raison de constater que la doctrine Tobar « was clearly a
departure from accepted principles and practice ».
(23) Foreign Affairs, vol. Ill, 1924-25, p. 316.
(24) Lauteepacht, Recognition in international law, 1947, p. 3.
124 LA NON -RECONNAISSANCE ET LE DROIT INTERNATIONAL CONTEMPORAIN
(25) Selon Erich, Moore et Fauchille sont partisans de la théorie constitutive, selon
Chen, les mêmes auteurs représentent la théorie déclarative; selon Lauterpacht, Kunz et
Verdross sont déclarativistes, selon Chen, ils représentent le groupe « mi-déclaratif —
mi-constitutif », Bluntschli est constitutive selon Chen et déclarativiste selon Kunz et Bobrow.
(26) Latjterfachx (op. cit., p. 1), caractérise cette opinion comme « probably still the
predominant view in the literature of international law ».
(27) Lador-Lederer, Recognition (Ada scandinavica juris gentium, 1957 nr 1-2, p. 64).
(28) Bien qu'il y ait du point de vue théorique une différence essentielle entre la
reconnaissance des Etats et celle des Gouvernements, les effets pratiques des deux reconnaissances
sont souvent bien semblables : la reconnaissance d'un Gouvernement nouveau ne se conçoit
pas sans reconnaissance de l'Etat et la reconnaissance de l'Etat nouveau ne peut être séparée
de celle du Gouvernement. Dans les deux cas, l'Etat frappé par la non reconnaissance est
limité dans l'entretien des rapports internationaux avec l'étranger et dans sa participation
aux travaux des organisations internationales. C'est pourquoi Marshall Brown (Annuaire
de l'I.D.l., 1934, p. 56) constate que « la pratique ignore souvent cette distinction ». La
situation est particulièrement compliquée dans le cas « des nations divisées » où même
l'existence de l'un ou des deux Etats fait l'objet de différends juridiques.
(29) Cf. entre autres l'opinion de Kaufmann, op. cit., p. 19) selon laquelle les organismes
politiques non reconnus comme Etats et Gouvernements n'existent pas pour les Gouvernements
et les Etats refusant la reconnaissance, ils ne sont « ni Etats ni Gouvernements » et le fait
que les Etats tiers ont donné sa reconnaissance « n'a aucune importance pour les Etats
refusant la reconnaissance ».
LA NON -RECONNAISSANCE ET LE DROIT INTERNATIONAL CONTEMPORAIN 125
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legihus solutus ?
Ou bien — au contraire — faut-il admettre une thèse diamétralement
opposée, celle soutenue par les partisans de la doctrine Estrada, qui a été
une protestation contre l'intervention des Puissances étrangères dans les
affaires des pays de l'Amérique Latine, intervention effectuée sous prétexte
du principe de légitimité constitutionnelle (30). Faut-il donc admettre —
conformément à cette doctrine — que la reconnaissance, étant une pratique
offensante et attentatoire à la souveraineté d'autres nations, n'introduit aucun
changement substantiel dans les relations juridiques entre les Etats intéressés
et que les Etats sont tenus de traiter tous les gouvernements, reconnus ou
non reconnus, de la même manière ?
Avant de répondre à ces questions, il nous semble utile de présenter le
statut juridique de l'Etat non reconnu ou de l'Etat avec un gouvernement
non reconnu tel qu'il se dégage de la pratique internationale, pratique
surabondante de nos jours.
La jurisprudence, dans beaucoup de pays, est unanime à admettre que les
intérêts privés des citoyens des Etats non reconnus, et même ceux de l'Etat
lui-même, sont, dans une mesure plus ou moins étendue, protégés par le droit
international. Sous la pression des besoins de la vie, les tribunaux de
différents pays ont trouvé une solution à la majorité des questions pratiques
soulevées par la non-reconnaissance.
La jurisprudence des tribunaux des Etats-Unis donc du pays dont le
Gouvernement a proclamé plusieurs fois un programme de
non-reconnaissance est, à cet égard, bien caractéristique. Comme dit Dickinson (31), les
tribunaux américains ont tendance à réduire le rôle de la reconnaissance « à
la fonction politique ». Ils ont permis aux citoyens et aux sociétés du pays
ayant un gouvernement non reconnu d'ester en justice; ils ont reconnu
également la validité des actes officiels des gouvernements non reconnus, aussi
bien que la validité des lois des mêmes pays. Les tribunaux américains ont
introduit une ingénieuse distinction juridique entre les actes du
Gouvernement « in its personal character » (les actes purement politiques) et les actes
du Gouvernement « in its impersonal character » (32) . Les tribunaux —
selon Dickinson — évitent de prendre position sur la nature juridique de la
reconnaissance : « moving conservatively from case to case, have found a way
to resolve most of the problems presented without doing violence to justice
or policy » (33) .
(30) Bobrow, Deux problèmes de la reconnaissance des nouveaux Etats et
Gouvernements («L'Etat soviétique et le Droit», en russe, 1958, p. 88).
(31) Dickinson, Recognition cases, 1925-1930 (A.J.I.L., 1931-2, p. 216 et s.).
(32) Cf. La décision sur la validité des actes du Gouvernement Huerta, ibidem, p. 235.
(33) Ibidem, p. 237.
126 LA NON -EECON NAISSANCE ET LE DROIT INTERNATIONAL CONTEMPORAIN
(34) Verdross. Vôlkerrecht, 1955, p. 182; Ch. de Visscher (Théories et réalités en droit
international public, 1955, p. 294) présente une évolution bien symptomatique de la
jurisprudence à cet égard.
(35) Cf. Les décisions du tribunal d'arbitrage dans l'affaire du Gouvernement Tinoco en
1923 et de la Cour Permanente d'Arbitrage dans l'affaire entre la France et le Pérou en 1921.
(36) Dickinson, en donnant une appréciation positive de la jurisprudence américaine,
propose que les tribunaux « may take another step, if indeed they are not already on the
point of taking it, and recognize frankly that the withholding of political recognition presents
no obstacles to the normal functioning of the conflict of law process » (loc. cit., p. 237) .
(37) Voir Marshall Brown, Annuaire de l'I.D.I., 1934, p. 304; Lachs après avoir analysé la
pratique dans le domaine des traités conclus par les différents Etats non reconnus constate
« the trend towards establishing treaty relations without prior act of recognition ».
(Recognition and modern methods of international co-operation », B.Y.B.I.L., 1960, p. 253 et s.) .
(38) Charpentier, La reconnaissance internationale et l'évolution du droit des gens,
1955, p. 5.
(39) Cette idée a été exprimée pendant les débats au Bundestag le 30 mai 1956. Le
député Dr Mommer a dit à propos des négociations sur les communications et le commerce
entre les deux gouvernements allemands ce qui suit : « Trotz dieser Verhandlungen, die seit
Jahren stattfinden, wird kein Mensch behaupten, dass die Bundesregierung die Regierung in
Pankow anerkannt habe.
Abg. Dr Rinke : Technisch.
Dr Mommer: Ja, technisch, auf bestimmte Problème beschrânkt... Aber wir môchten
dièse Dinge auf die technischen Fragen beschrànken. Wenn unser Verkehrsminister etwa mit
LA NON -RECONNAISSANCE ET LE DROIT INTERNATIONAL CONTEMPORAIN 127
dem « Teufelsverkehrsminister » auf der anderen Seite sprâche, lâge darin keine Anerken-
nung; im Gegenteil, indem er an der Beseitigung der skandalosen Verkehr sgrenzen innerhalb
Deutschlands arbeitete, arbeitete er daran dass die Wiedervereinigung Deutschlands ein
Stuck vorwâtskâme ». (Verhandlungen des deutschen Bundestages, 1956, Bd. 30, p. 7717).
(40) Cf. Marschall von Bieberstein, op. cit., p. 187.
(41) Voir le texte du protocole dans Internationales Recht und Diplomatie, 1960, 2,
p. 154 et s.
(42) Selon la déclaration du Président du Parti libéral Allemand à Hamburg
M. Engelhard (« Neues Deutschlands du 14 janvier 1961). La documentation abondante sur
les relations de la R.D.A. avec les différents Etats est présentée dans « Dokumente der
Aussenpolitik der Regierung der D.D.R. » vol. I-IX.
(43) Verdross, Die vôlkerrechtliche Anerkennung (« Juristische Blatter, 1948, nr 21).
(44) Cf. Marshall Brown, Annuaire de l'I.D.I., 1934, p. 304.
128 LA NON-RECONNAISSANCE ET LE DROIT INTERNATIONAL CONTEMPORAIN
(45) Cf. à cet égard le projet de Déclaration des droits et des devoirs des Etats (art. 3) :
« L'existence politique de l'Etat est indépendante de sa reconnaissance. Avant même d'être
reconnu l'Etat a le droit de défendre son intégrité et son indépendance, de veiller à sa
sauvegarde et à sa prospérité et en conséquence de s'organiser de son mieux, de légiférer dans
son domaine propre, d'administrer ses services et de déterminer sa juridiction et la
compétence de ses tribunaux» (Doc. O.N.U.-A.C.N. 4/2, 1949, p. 35).
(46) Lauterpacht. Recognition, p. 53.
(47) Erich, La naissance et la reconnaissance des Etats, (R.C.A.D.I., 1926, III, p. 431) .
(48) Sibert, Traité de droit international public, 1951, I, p. 192.
(49) C'est de ce point de vue que Chen (The international law of recognition, 1951, p. 3)
fait la critique de la théorie constitutive : « The fact is the basis of international law. The
constitutive theory in closing its eyes to this fact, indulges in the illusion that the rights of
Power, as long as it is not recognized, may be infringed with impunity. Such a theory is
highly detrimental to international harmony and would defeat the purpose of international
law ». Selon Dahm (op. cit., I, p. 133) la non reconnaissance crée un « Leerraum fur
rechtsfreies Handeln ». Ch. de Visscher (op. cit., p. 290) est d'avis que « dans les périodes de
haute tension des rapports internationaux, la reconnaissance n'est parfois qu'un instrument
de la politique de puissance ».
(50) Pour la première fois on a employé le mot « reconnaissance » dans le sens
juridique au Digeste, 10, 5, 2 par rapport aux documents « descriptum et recognitxim ».
LA NON-RECONNAISSANCE ET LE DROIT INTERNATIONAL CONTEMPORAIN 129
(51) Le partisan de la théorie constitutive Lauterpacht, bien qu'il nous assure que la
situation de l'Etat non reconnu n'est pas « as terryfying as it may appear at first sight » nous
donne la description de cette situation qui est loin d'être attirante pour l'Etat non reconnu.
Il dit que territoire de cet Etat « is liable to invasion » et ensuite ajoute à titre de consolation
que la situation de l'Etat reconnu n'est à cet égard pas beaucoup meilleure étant donné que
« under traditional international law a State may invade the territory of a recognized State
as soon as it has gone through the formality of declaring war or has ortherwise manifested
its animus belligerendi ». Pendant la guerre — selon le même auteur — « in all probability
mutual observance of most rules of warfare will naturally follow for reasons of humanity, of
fear of retaliation, of military convenience or of conservation of military energy » op. cit.,
p. 52 et 53.
(52) Fauchille, Traité de droit international public, 1922, I, p. 317.
(53) RivrEB, Principes, op. cit., I, p. 57.
(54) Hackworth, Digest, I, p. 161.
(55) Mac Nair, The Sti-mson doctrin, (B.Y.B.I.L., 1933, p. 66).
(56) Fischer Williams, loc. cit., p. 238.
(57) Kunz, Anerkennung von Staaten und Regierungen, 1928, p. 43 et « Critical remarks
on Lauterpacht's », Recognition in international Law (A.J.I.L., 1950, p. 713) .
(58) Hyde, International law chiefly as interpreted and applied by the U.S., 1947, I, p. 147.
(59) Dahm, Vôlkerrecht, 1958, I, p. 127.
(60) Une telle opinion est représentée par Oppenheim-Lauterpacht, International law,
& éd., I, p. 122.
130 LA NON-RECONNAISSANCE ET LE DROIT INTERNATIONAL CONTEMPORAIN
(61) Liszt, Vôlkerrecht, op. cit., p. 52. Cf. aussi Bluntschli, Dos moderne Vôlkerrecht der
civilisirten Staaten, 1878, p. 72 et 75.
(62) Lauterpacht, op. cit., p. 6.
(63) Times du 6 janvier 1960.
(64) Voir Khôger, Dos demokratische Vôlkerrecht und die Grundlagen der Hallsteîn-
Doktrin (Staat und Recht, 1961, n° 7, p. 1190).
(65) Ewgeniew dans le «Manuel de droit international» (en russe), 1947, p. 113.
(66) « Staat und Recht », 1959, Nr 8, p. 923 et s.
(67) Kohl, Vertretung China's im internationalen Verkehr, 1957, p. 78.
(68) Herczeg, .La reconnaissance des Etats et des Gouvernements (Les problèmes
juridiques, en hongrois, 1959, Nr 9).
(69) Voir Cuth, Quelques problèmes de la reconnaissance des Etats, en tchèque (Pravny
obzor », 1955, n° 9, p. 515 et s.) ; Kroger (loc. cit., p. 1190) observe justement que cette
dernière vue n'a pas de consistance logique suffisante.
LA NON-RECONNAISSANCE ET LE DROIT INTERNATIONAL CONTEMPORAIN 131
(70) Si l'on admet la conception des droits fondamentaux des Etats, il n'y a pas de
difficultés à déduire le droit à la reconnaissance du droit fondamental à l'existence ou au
légitime développement. En outre, le droit à la reconnaissance est une conséquence directe
des buts des Nations Unies : « développer entre les nations des relations amicales fondées sur
le principe de l'égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes »
(art. 1, 2 de la Charte).
(71) De Visscher, op. cit., p. 287; Lauterpacht (p. 237) est d'avis en ce qui concerne les
belligerents que leur droit à la reconnaissance est « purely theoretical » et « imperfect ».
(72) Selon Bluntschli (op. cit., p. 76), la reconnaissance « erscheint freilich in der Form
eines freien Actes souverâner Staaten, aber sie ist doch nicht ein Act der absoluter Willkûr ».
Cf. aussi les remarques du Gouvernement britannique sur le projet de Déclaration des droits
et des devoirs des Etats : « les intérêts du droit international exigent que le champ
nécessairement laissé aux arguments purement politiques soit limité le plus possible » (A/CN 4/2,
XII, 1948, p. 53).
132 LA NON-RECONNAISSANCE ET LE DROIT INTERNATIONAL CONTEMPORAIN
(73) Cf. Alexandrowi.cz Alexandee, The quasi- judicial function in recognition of States
and Governments (A.J.I.L., 1952, p. 631) selon lequel la décision en matière de
reconnaissance « is neither absolute nor arbitrary » et la fonction de la reconnaissance a un caractère
quasi-judiciaire avec toutes les conséquences juridiques. Quincy Wright, Some thoughts
about recognition, A.J.I.L., 1950, p. 555) dit que « recognition is the expression of judgement
by a state... that a condition of facts has legal consequences ».
(74) Cf. Sibert, Traité, II, 564 et les résolutions de l'Institut de droit international en
1934 (Annuaire, 1934, p. 709).
LA NON-RECONNAISSANCE ET LE DROIT INTERNATIONAL CONTEMPORAIN 133
l'Etat non reconnaissant se fait alors souvent des illusions sur la possibilité
de refaire l'unité de celui-ci.
Tout ce qui vient d'être dit ne concerne pas les Etats tiers. Ceux-ci ne
sont pas liés par le fait que l'Etat immédiatement intéressé n'a pas encore
donné sa reconnaissance (75). Le droit de reconnaître avant que l'Etat
immédiatement intéressé ne l'ait fait, était autrefois contesté (76), mais il
appartient aujourd'hui aux droits bien établis.
Dans cet état de choses, la question se pose de savoir comment on doit
qualifier, du point de vue du droit international, la pression politique exercée
par l'Etat non reconnaissant sur les Etats tiers, et particulièrement la rupture
ou la menace de rompre des relations diplomatiques dans le but de contraindre
ainsi l'Etat tiers à reconnaître ou à refuser la reconnaissance à un Etat
nouveau ?
Nous avons constaté plus haut que le droit de reconnaître appartient aux
droits étroitement liés à la souveraineté des Etats. La pression exercée par une
Puissance sur une autre dans le but de faire usage de ce droit d'une manière
déterminée signifie la limitation du droit de reconnaître. Si cette limitation
n'a pas de fondement juridique, elle constitue la violation des droits de
l'autre Etat.
Les Etats ont certainement le droit de rompre les relations diplomatiques
et de décider de l'étendue de leurs rapports internationaux. Mais en faisant
libre usage de leur droit, ils ne peuvent pas le faire arbitrairement. Ils ne
pourraient pas notamment faire usage de ce droit pour exercer une pression
sur un autre Etat dans un but illégitime, p. ex. dans le but de contraindre
cet Etat à voter à l'Assemblée générale de l'O.N.U. ou d'une autre organisation
internationale en faveur de telle ou telle proposition. De même, ils ne
pourraient pas faire usage de ce droit pour extorquer à un Etat tiers la
reconnaissance ou le refus de reconnaissance d'un Etat nouveau ou d'un
Gouvernement nouveau. Le principe du droit privé — qui jure jure suo utitur
neminem laedit — ne peut en aucun cas trouver son application en droit
international pas plus que dans beaucoup de systèmes modernes de droit
interne.
V. Conclusions.
(77) Alexandrowicz Alexandkh (loc. cit., p. 633) mentionne que le refus non justifié de
reconnaissance constitue un détournement du pouvoir.
(78) Kiss, L'abus de droit en droit international, 1953; Lacxerpacht (op. cit., p. 9),
qualifie la reconnaissance prématurée comme « an abuse of the power of recognition ».
(79) Kiss, op. cit., p. 179-188.
(80) Ibidem, p. 190.
LA NON -RECONNAISSANCE ET LE DROIT INTERNATIONAL CONTEMPORAIN 135
(81) Mac Nair (The Stimson doctrin of the non-recognition, B.Y.I.L., 1933, p. 73) donne
la réponse suivante à la question de savoir si la politique purement négative peut produire
les effets juridiques concrets : « I think the answer must be disappointing one. It is difficult
to see how such a policy can do more harm to the wrongdoer State than to the non
recognizing State. It is idle to think that mere non-recognition can solve the problem as an
adequate sanction... But there is a danger of its becoming a slogan which will serve as an
excuse for thinking that an effective method of preventing breeches of international law has
been discovered and that no further action is required beyond a declaration of
non-recognition ». Voir aussi Chen (op. cit., p. 131) : « Non recognition as a sanction exists only in legal
concept. It does not alter a situation of fact, unless it is accompanied by the use of physical
or moral forces. It is an illusion that non recognition can be a substitute for other more
vigourous measures in the upholding of law ». Selon Ross, Lehrbuch des Vôlkerrechts, 1951,
p. 113 et s.), la non reconnaissance des positions établies d'une manière définitive — sans
la lutte effective dans le but de faire un changement — peut facilement devenir comique : la
non reconnaissance n'est alors que « idealistischer Protest ».
(82) De Visscher, op. cit., p. 296.
(83) Voir Dickinson (loc. cit., p. 214) ; Anderson, Our policy of non-recognition in Central
America (A.J.I.L., 1931, p. 305).
136 LA NON-RECONNAISSANCE ET LE DROIT INTERNATIONAL CONTEMPORAIN
(84) Les effets de la non reconnaissance qui limite le champs d'application du droit
international s'étendent même sur le droit de la guerre. A cet égard une discussion bien
caractéristique a eu lieu à la première réunion des H.P.C. de la Convention sur la protection
des biens culturels en cas du conflit armé tenue à Paris les 16-26 juillet 1962. Après que la
réunion eut décidé d'admettre à ses débats en qualité d'observateurs les représentants des
pays qui ne sont pas membres de l'O.N.U. ou de l'U.N.E.S.C.O., le délégué du Viet-Nam du
Sud a protesté contre l'admission du représentant du Viet-Nam du Nord en disant que ce
pays ne possède pas les caractères nécessaires pour être qualifié comme Etat. Le délégué de
la Pologne, contestant le point de vue du délégué du Viet-Nam du Sud, a soulevé que le
danger de conflit armé entre les Gouvernements des nations divisées est certainement bien
plus probable qu'entre des Etats reconnus qui maintiennent les relations diplomatiques, qu'il
faudrait donc faire des efforts pour assurer l'applicabilité de la Convention de La Haye aux
conflits armés entre les Etats qui ne sont pas reconnus. Pour sa part il a déclaré que lui-
même serait heureux de voir tous les biens culturels de l'Europe Centrale sous la protection
de la Convention et tous les pays de cette région européenne comme Parties contractantes
de la Convention sus-mentionnée, et particulièrement l'Etat Fédéral Allemand qui n'entretient
pas de relations diplomatiques avec la Pologne. Cf. Procès-Verbaux de la réunion, séance
plénière du 23 juillet.
(85) Ross (Lehrbuch der Vôlkerrechts, 1951, p. 114) caractérise de ce point de vue la
théorie constitutive comme « praktisch widersinnig und theoretisch unmôglich »... « dièse
absurde Théorie ist ein Phantasiegebilde, die nie das Licht der Welt erblickt hâtte, wenn es
nicht als rein konstruktive Konsequenz der falschen Théorie vom Vôlkerrecht als Vertrags-
recht entsprungen wâre ». Baïy (The Canon of international law, 1930, p. 204) démontre
l'absurdité de la théorie constitutive parce qu'elle est obligée d'admettre la relativité de
l'existence des Etats. L'Etat reconnu, par exemple par Costa Rica, ne serait existant que pour
ce pays. Baty conclut que la reconnaissance « as its name implies, it is only evidence of the
State or Governement, it does not create it; extraordinary confusion would arise if it did ».
(86) Cf. Tunkin, Diplomatie und Vôlkerrecht, (Oest. Zeitschrift fur Aussenpolitik, 1961,
5, p. 299).
(87) Cf. parmi les autres — une opinion relativiste de Kelsen (The law of nations, 1951,
p. XIII) : « traditional jurisprudence is rarely inclined to admit that a legal norm has two
or more meanings or, if such should be the case, that there is no juristic reason to prefer
one of the various meanings to another. The view however, that the verbal expression of a
legal norm has only one « true » meaning which can be discovered by correct interpretation
is a fiction, adopted to maintain the illusion of legal security, to make the law-seeking public
believe that there is only one possible answer to the question of law in a concrete case ».
LA NON-RECONNAISSANCE ET LE DROIT INTERNATIONAL CONTEMPORAIN 137
aux Etats, de choisir entre les relations diplomatiques avec l'une ou l'autre
Puissance. Etant donné que la doctrine Hallstein n'est en fait appliquée qu'aux
Etats petits et moyens, la généralisation de cette doctrine serait
particulièrement pénible pour les Etats de cette catégorie.
Enfin, la non-reconnaissance étant un moyen puissant de créer un état
d'incertitude juridique et de tension internationale, empêche que le droit
international puisse accomplir la fonction essentielle de tout système
juridique, c'est-à-dire assurer la sécurité juridique. Ceux qui voudraient
soumettre le droit international aux appréciations effectuées du point de vue de
telle ou telle légitimité, ne devraient pas oublier que, même d'après les
conceptions philosophiques idéalistes, le droit n'a pas seulement pour but de
réaliser la justice, quel que soit le contenu de cette notion, mais aussi
d'assurer la sécurité juridique tant il est vrai que « même le droit injuste n'est pas
inutile » (88) . Le principe, per eat mundus fiat justitia, hostile à tout système
juridique dans toutes les époques, devient particulièrement dangereux dans
les relations internationales de l'ère atomique.
Bien que les effets de la non-reconnaissance soient, à un certain degré,
neutralisés par les tribunaux et les administrations (89), le besoin de la
sécurité juridique est à l'heure actuelle loin d'être satisfait. Du point de vue
de la paix mondiale — et c'est cela que nous considérons comme l'essentiel
— le droit capable de créer les bases juridiques de la coexistence pacifique
entre les pays à systèmes politiques différents et entre tous les Etats existants
a une importance primordiale (90) . Un tel droit, même s'il est regardé comme
moins satisfaisant du point de vue idéologique déterminé, ne peut en aucun
cas être remplacé par un droit régional ou un droit d'une communauté
idéologique (91).
(88) Cf. Radbruch (Einfûhrung in die Rechtswissenschaft, 1919, p. 195) : « ... dass selbst
das ungerechte Recht nicht zwecklos ist, dass das Recht auch ohne Rucksicht auf seine
Gerechtigkeit durch seine Geltung einen Zweck erfùllt : den der Rechtssieherheit ».
(89) Cf. aussi l'opinion de Ch. de Visscher (op. cit., p. 295) : « le pouvoir judiciaire,
en agissant ainsi, s'applique à sauvegarder... la sécurité juridique ».
(90) Chen (op. cit., p. 4) présente les dangers de la théorie soutenant « that family of
States is a close corporation, into which no new member can be admitted without the
arbitrary consent of those which exist » et qualifie cette théorie comme « decaying dogma »
en disant que « the view that the international community is in the nature of a closed club
is erronous ». Ce n'est pas sans influence de la théorie susmentionnée qu'on observe parfois
la tendance dans les pays nouveaux de se libérer du droit international, celui-ci n'étant
qu'une invention du monde occidental sans force obligatoire pour le reste du monde. Cf. à
ce sujet l'opinion d'un ministre indonésien cité par Rolin (Le droit des gens en 1961,
Chronique de politique étrangère, XIV, 4, p. 492) qui déplore ce phénomène dangereux.
(91) Rolin (loc. cit., p. 495) dit à ce sujet : « Enfin, ces accords régionaux devraient être
compris et mis en exécution comme des contributions positives à la sécurité et à la
coopération universelle ». L'auteur déplore « un dénigrement systématique des organisations
universelles » et conclut ainsi : « celles-ci demeurent pour moi l'essentiel ».