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Volkswagen Coccinelle

La Volkswagen Coccinelle — officiellement Volkswagen type 1 — est l'automobile la plus


vendue de tous les temps, construite par le constructeur allemand Volkswagen, créé pour
l’occasion et dont le nom signifie Voiture du peuple. Apparue en 1938, elle a été conçue par
l'ingénieur autrichien Ferdinand Porsche à la demande du chancelier Adolf Hitler, alors à la tête
du Troisième Reich allemand. D’abord outil de propagande pour le régime national-socialiste, elle
deviendra, après-guerre, célèbre de par le monde pour sa production en des quantités
exceptionnellesN 1 ainsi que sa longévité. Elle dépasse, le 17 février 1972, le record mondial de
diffusion auparavant détenu par la Ford T. Elle fut au total produit à plus de
21 529 464 exemplaires à travers le monde.
Elle est initialement dénommée « KdF Wagen »N 2, pour « Kraft durch Freude » (La force par la
joie), du nom d'une branche du Front du travail nazi. Connue en interne sous le nom de code
« Type 1 », ou encore « 1100 », « 1200 », « 1300 », « 1500 » et « 1600 », en rapport avec
la cylindrée des différentes motorisations. En raison de ses formes très rondes, elle est souvent
surnommée affectueusement le « scarabée » dans différentes
langues : « Käfer » en Allemagne, « Beetle » au Royaume-Uni, « Kever » aux Pays-Bas,
ou « Escarabajo » en Espagne. Mais on l'appelle « Maggiolino » (hanneton) en Italie,
et « Coccinelle » en France et au Québec.
La Volkswagen fut remarquée à sa sortie, en 1938, mais, à cause de la Seconde Guerre
mondiale, elle ne fut vendue pour la première fois qu’en 1946.

Historique

Outil de propagande
En février 1933, soit à peine un mois après son accession au pouvoir, Adolf Hitler annonce
vouloir transformer l'industrie de l'automobile afin d'en faire l'un des fers de lance de
sa politique sociale en faveur des familles de travailleurs allemands. L'automobile devient l'un des
secteurs industriels privilégiés par le gouvernement pour rétablir la prospérité économique de
la nation allemande. Le parc automobile qui est d'environ 561 000 automobiles en 1932, dépasse
le nombre de 961 000 quatre ans plus tard4.
Le Führer contrôle étroitement les entreprises automobiles et leur ordonne, par exemple, de
réduire le nombre de modèles. Puissance et vitesse sont les mots clés du discours déclamé par
les partisans du système national-socialiste. Cette volonté s'exprime bien avant la création de
Volkswagen. En effet, l'État allemand pousse très tôt les compagnies
automobiles Mercedes et Auto-Union dans les courses automobiles, les Grands Prix et autres
compétitions, les subventionnant de façon importante pour développer des techniques
poussées5.
Par ailleurs, Hitler s'affaire à développer le système autoroutier allemand, avec le déploiement de
larges Autobahnen à travers tout le pays sur le modèles des Autostrade italiennes. L'objectif est
de faciliter les communications entre les différentes villes, mais également de permettre à
l'aviation de décoller ou atterrir sur les autoroutes. Ce développement est de plus, l'affirmation de
la volonté du pouvoir de faciliter l'accession de la population allemande à la mobilité individuelle5.
Prototype de Ferdinand Porsche

Illustration du refroidissement à air.

Parallèlement au gouvernement allemand qui prend de plus en plus de place dans le domaine de
l'automobile, Ferdinand Porsche, ingénieur âgé de 56 ans en 1931 sans emploi après sa
démission de directeur technique de la société Daimler6, décide de monter son propre bureau
d'études avec à l'esprit l'idée de créer sa propre marque ainsi que de produire une automobile
bon marché pour les masses populaires. Il engage une petite équipe qui sous sa direction, va
travailler sur la première commande du bureau, issue du constructeur Zündapp, qui souhaite
lancer une voiture populaire. L'équipe définit dès lors un cahier des charges pour le moins
original : moteur à l'arrière, châssis-poutre, roues indépendantes et barres de torsion. Sourd aux
injonctions de Zündapp qui réclame un moteur en étoile 5 cylindres, Porsche dessine
un 4 cylindres à plat refroidi par air. Trois prototypes (Type 12) sont alors construits mais
demeurent peu convaincants. Cependant, Zündapp est en proie à des difficultés financières
importantes et décide alors d'abandonner le projet7.

Photo de Ferdinand Porsche en 1940.


Ferdinand Porsche se tourne alors vers NSU et convainc les dirigeants de la pertinence de ses
recherches. Une ligne de crédit lui est accordée, ce qui lui permet d'agrandir son bureau d'étude
et de se lancer dans des évolutions d'importance. Il impose son idée du 4 cylindres à plat et
conçoit un 1 500 cm3 développant 30 ch et permettant d'atteindre la vitesse de 115 km/h. Les
lignes de la nouvelle voiture s'arrondissent et s'abaissent. Bien que les phares demeurent très
classiques, l'ensemble commence à ressembler à ce que sera la future Coccinelle. Trois
prototypes (Type 32) sont également construits. Pourtant, une fois de plus, Porsche doit stopper
le développement de son projet, d'abord parce que Fiat, partenaire de NSU, exige l'arrêt
immédiat d'un projet qui pourrait concurrencer ses propres productions, ensuite parce que NSU
voit ses ventes de motos s'envoler et que la firme doit rapidement transformer ses chaînes pour
faire face à la demande7.

Projet : « la voiture du peuple »


Sous le régime d’Hitler, une course pour rattraper le niveau de production des États-Unis et de
la Grande-Bretagne s'engage, notamment en vue de la guerre qui s'annonce. Au même moment,
il dissimule ses intentions en promettant au peuple allemand des améliorations de son niveau de
vie. Dans son discours inaugural au Salon de l'Automobile de Berlin (de) (Berlin Motor Show)
de 1934, Hitler martèle son intention de produire « une voiture du peuple », une voiture à la
portée de tous basée sur la production de masse et la consommation de masse. Le dictateur
rêve de donner aux Allemands la version germanique de la Ford T8. Hitler persuade alors les
décisionnaires de la RDA, nom du syndicat allemand de la construction automobile, de signer un
contrat avec Porsche pour la réalisation de cette nouvelle voiture, financée par l'État 6. En
collaboration avec l’entreprise automobile Porsche, les plans de la première Volkswagen
allemande sont tracés9.
Préalablement à cette annonce, en 1934, le pouvoir donne dix mois à l’ingénieur Ferdinand
Porsche pour construire un prototype10. Contrairement aux idées reçues, ce n'est pas Hitler qui
contacte Ferdinand Porsche, mais bien l'inverse. En effet, Porsche contacte le ministère des
transports et, le 17 janvier 1934, il explique sa vision d'une voiture populaire. Après quoi, Porsche
est contacté par Hitler pour le suivre à Berlin et pour avoir un entretien individuel7. En 1933,
Jacob Werlin, concessionnaire Mercedes-Benz, organise ainsi la rencontre entre Ferdinand
Porsche et le Führer. Cela se fera discrètement à l’hôtel Kaiserhof de Berlinpl 1.
Le cahier des charges fixé par le gouvernement allemand est contraignant. Hitler fixe dans son
discours, un prix maximum de moins de 1 000 reichsmarks7, afin de convenir au plus grand
nombre. Elle doit ainsi être puissante mais surtout économique à l'achat mais également à
l'usage. Ainsi, la voiture doit être propulsée par un moteur de 1 litre d'une consommation
maximum de 5 litres d’essence aux 100 km et d'une vitesse pouvant atteindre 100 km/h6. Par
ailleurs, la nouvelle voiture doit être capable de loger confortablement quatre personnes voire
cinq. Le poids maximum fixé est de 600 kg. De plus, étant donné que les garages pour véhicule
sont assez rares à l'époque, la voiture doit être capable de résister à tout type d'intempéries, tout
particulièrement le froid11.
Le régime nazi, qui a interdit les partis politiques de gauche et les syndicats ouvriers (en
confisquant leurs avoirs) a enrégimenté les forces de production au sein du Front du
Travail (DAF) une organisation qu'il contrôle entièrement.
Pour donner au régime une vitrine sociale le DAF a créé le mouvement Kraft durch Freude (dirigé
par un apparatchik du parti nazi, Robert Ley) sur le modèle d'une organisation similaire de l'Italie
fasciste (œuvre du doppolavoro). Le DAF et le KDF, qui ont financé des villages de vacances ou
des croisières à prix réduit pour les ouvriers allemands prennent en main la diffusion de la KdF
Wagen ou VolksWagen (voiture du Peuple).
Le financement de l'achat du véhicule se fait par souscription, chaque acheteur épargnant sur un
livret spécial où il colle des coupons achetés 5 marks, jusqu'à atteindre la somme cible de
1 000 Marks (plus 200 pour deux années d'assurance). 300 000 foyers allemands mettent leurs
économies dans le projet, mais ils seront floués car avec l'arrivée dès 1938 d'une économie
tournée vers l'armement et l'entrée dans la Seconde Guerre mondiale, l'ensemble des outils de
production est réquisitionné par les militaires : la KdF Wagen devient une auto d'officiers tandis
que sont lancés parallèlement des modèles tout terrain (Kübelwagen) et même amphibies
(Schwimmwagen), reposant sur des structures mécaniques adaptées à l'usage militaire.
L'usine VW est, après-guerre, en bonne partie rétrocédée aux syndicats allemands, dans le
cadre de la dénazification imposée par les Alliés et au titre des compensations des dommages de
guerre, ce qui explique la tradition de cogestion qui a longtemps été de mise chez VW12.

Développement
Prototypes

Ligne définitive de la Volkswagen.

En 1936, Adolf Hitler inaugure l'usine KdF-Stadt (les Alliés la renommeront Wolfsburg en 1945)
qui va fabriquer la Volkswagen à Fallersleben, en Basse-Saxe. La société Volkswagen GmbH est
inscrite au registre du commerce en 193813. L’usine est presque totalement terminée en 1939 et
dispose des meilleures machines américaines disponibles.
Dans la perspective d'une production de masse et pour parvenir au prix très bas exigé par Hitler,
Porsche part aux États-Unis pendant l'été 1936. Il va y apprendre les techniques industrielles de
fabrication à grande échelle, que seule l'Amérique connaît alors. Il effectue des visites aux
usines Packard, Ford et General Motors, ainsi que chez le carrossier Budd, le spécialiste du
tout acier (et de la carrosserie autoportante, plus légère que les carrosseries traditionnelles avec
châssis séparé). Il en revient convaincu que la hauteur des investissements nécessaires requiert
la garantie de l'État allemand, les capitaux privés ne pouvant seuls faire face à l'ampleur du
financement8.
Porsche, à la tête de Gezuvor, société chargée du développement du projet5, et sa petite équipe
réussissent à terminer un premier prototype dès la fin de 1935. Deux autres construits tout aussi
artisanalement dans le garage de la villa de la famille Porsche, entament à leur tour une série
d'essais l'année suivante. La Volkswagen, après avoir satisfait à de longs tests d'endurance
en 1937, reçoit dans le même temps une carrosserie nettement plus civilisée dotée notamment
de deux petites ouïes triangulaires en guise de lunette arrière 14. La ligne générale est créée par le
styliste Erwin Komenda15. Une trentaine de voitures pilotes (connues sous le nom VW30), dont
une partie de la fabrication est confiée au constructeur Mercedes-Benz, sont testées. Placés
sous la responsabilité de Ferry Porsche, le fils de Ferdinand, les essais sont réalisés par 200
membres des S.S., qui se relaient jour et nuit au volant des voitures16. Au total, elles parcourent
2,4 millions de kilomètres10.

Mise en scène

Jouet mécanique créé en 1940 par Georg Fisher, Hambourg, Museum der Arbeit.

Dévoilée publiquement le 26 mai 1938, lors de la pose de la première pierre de l'usine


de Wolfsburg, elle est alors baptisée officiellement KdF-Stadt (pour Kraft durch Freude, la force
par la joie), du nom d'une branche du front du travail nazi 14. Le seul objectif de cette organisation
affiliée au Front allemand du travail est de détourner l’attention des Allemands en leur proposant
des loisirs pour renforcer leur adhésion au régime. La production en série de la Volkswagen
relève cependant tout autant de la mise en scène à des fins de propagande que d'une réelle
volonté de propager l'automobile dans le pays10. Les candidats automobilistes, obligatoirement
membres de cette organisation, devront de surcroît épargner et effectuer le paiement d'avance. Il
fallait acheter des timbres spéciaux de 5 reichsmarks à apposer sur un carnet d'épargne avant
d’obtenir un livret d’épargne. Ce système, nommé VW Sparen, est planifié dès le début puisque
officialisé le 1er août 193817. 990 reichsmarks pour la voiture, plus 50 pour la livraison, et encore
200 pour 2 ans d’assurance doivent être versés pour obtenir la Volkswagen6.
336 688 allemands18 enverront ainsi une partie de leurs économiesN 4 à cet organisme, sans
qu'aucune voiture soit jamais livrée19.
Pendant et après la Seconde Guerre mondiale

Volkswagen Type 82e.

La guerre retarde en effet le lancement de la KdF Wagen car l'usine est utilisée par l'armée, et ce
n'est qu'en 1948 que la production industrielle commence réellement13. Les chaînes de montage
sont utilisées pour construire des « Kübelwagen », équivalent allemand de la Jeep, et
des « Schwimmwagen », véhicules amphibies5. L'idée de voiture utilitaire n'est pas totalement
abandonnée durant la Seconde Guerre mondiale étant donné que
des « Kommandeurwagen » sont produites. Ce sont des véhicules équipés d'une carrosserie
KdF Wagen mais avec un châssis de Kübelwagen et équipés de pneumatiques tout-terrain.
En mai 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'usine de Wolfsburg est en partie détruite.
Les troupes américaines occupent la région de Wolfsburg, et en vertu des accords passés entre
Alliés, remettent l’usine aux Forces d’occupation britanniques. Dès lors, un détachement du
REME (« Royal Electrical and Mechanical Engineers »), s’occupe de remettre en route les
chaînes de montage endommagées durant le conflitpl 2. Envoyé pour évaluer les dégâts,
le major britannique Ivan Hirst découvre deux KdF Wagen assemblées bénévolement par
quelques ouvriers de l'usine. Abasourdi par une telle volonté et impressionné par cette drôle de
voiture, il donne son accord pour que la production soit remise en route.
Les difficultés sont immenses dans le contexte d'un pays en ruine, mais le jeune Major Hirst (qui
a une solide formation industrielle) sait faire preuve de pragmatisme et parvient à fédérer les
énergies à l'intérieur de l'usine et à se concilier l'État-major des forces d'occupation qui passe
commande de 20 000 véhicules. Hirst doit résoudre de nombreux problèmes comme le
ravitaillement en nourriture des ouvriers de l'usine (il utilisera parfois le troc), leur habillement (il
réquisitionne des stocks militaires) et la gestion de la dénazification des cadres et du personnel :
au titre du passage d'une gestion fasciste et centralisée à une forme de démocratie indirecte et
de co-gestion, il institue un Comité d'entreprise, lui donne des pouvoirs étendus à partir de 1946
et celui-ci tisse des liens avec les représentants des diverses catégories de personnel. Inquiet de
l'avenir de l'usine, il tente d'intéresser des industriels issus des pays alliés à l'idée d'un rachat en
bloc de l'usine, mais sans succès.
Trois gros industriels de l'automobile britannique visitent Wolfsburg, missionnés par le
gouvernement travailliste de Clement Attlee. Rootes, patron du groupe qui porte son nom
(Humber, Hillman, Sunbeam), est surtout intéressé par la récupération de machines-outils et
déclare à Ivan Hirst : « Si vous imaginez pouvoir fabriquer des voitures dans un endroit pareil,
jeune homme, vous êtes un fieffé imbécile »20. Les missions présidées par Len Lord et William
Richard Morris (patron d'Austin Morris) ne sont pas plus favorables ; ils produisent un rapport
négatif, considérant que « le véhicule n'atteint pas les critères techniques fondamentaux d'une
automobile », et [qu'il] « est particulièrement peu attractif pour un client moyen, [et finalement]
construire un tel véhicule à titre commercial serait une entreprise entièrement non-rentable »21.
Ford refusera aussi de s'intéresser à l'usine, l'estimant trop proche de la zone d'occupation
soviétique (la future RDA), de même que le tandem Citroën-Michelin.
Uniquement destinée aux forces d'occupation, la production atteint rapidement
1 000 exemplaires par mois, par rapport aux 1 800 par jour prévuspl 3.
Hirst quitte VW en 1949 (il ne touchait que sa solde de lieutenant-colonel) le personnel de l'usine
veut lui faire cadeau d'une Coccinelle, ce qu'il refuse par éthique, il accepte cependant un
rarissime modèle réduit réalisé à la main (qui a dû coûter autant en main d'œuvre qu'une vraie
voiture). La ville de Wolfsburg baptisera de son nom un boulevard proche de l'usine22.
Lorsque Heinrich Nordhoff, ancien cadre d'Opel, qu'Ivan Hirst a lui-même recruté, prend la tête
de Volkswagen, la production de la Coccinelle est déjà relancée14.
Néanmoins, son rôle n'est pas mineur dans l'histoire de la Coccinelle. Il est le responsable de
sa relative qualité de construction et mettra en œuvre un réseau et un service après-vente, dont
l'excellence sera l'un des éléments décisifs du succès de la Coccinelle16.
La Coccinelle devra beaucoup commercialement, notamment aux États-Unis, aux publicités de
l'agence DDB. Certaines sont devenues cultes.

Une voiture inspirée par les travaux de Tatra ou Škoda

La Volkswagen KdF est très similaire au prototype Tatra V570, développé par Hans Ledwinka,
ingénieur du constructeur automobile tchèque Tatrapl 4, et partage par ailleurs de nombreuses
similitudes mécaniques avec une ligne de modèles aérodynamiques à moteur arrière développés
par la marque dans les années 1930. Tatra lancera ainsi une action en justice, mais elle sera
arrêtée lorsque l'Allemagne envahira la Tchécoslovaquie. Dans l'ouvrage Car Wars, l'auteur J.
Mantle précise que Ferdinand Porsche aurait avoué s'être quelque peu inspiré de la Tatra V570
lors de la conception de la Coccinelle23.
Ledwinka avait travaillé dès 1922 à la création d'une petite voiture économique, la Tatra Type 11,
qui fut lancée en 1923. La Tatra 11 possédait un châssis à tunnel central et suspensions
indépendantes, propulsée par un bi-cylindre à plat de 1,1 litre refroidi par air. Il semble qu'Adof
Hitler ait possédé une Tatra Type 11, à bord de laquelle il se serait déplacé pendant ses
premières campagnes politiques.
Durant les années 1930, alors que Tatra réalisait différents modèles aérodynamiques et que
Ferdinand Porsche avançait sur le prototype de la KdF-Wagen, lui et Ledwinka se sont
régulièrement rencontrés pour partager les résultats de leurs travaux. Tatra avait, en 1933,
réalisé un prototype de voiture à 4 places qui préfigure l'architecture de la Tatraplan, la V570. Elle
possède une carrosserie en acier et est propulsée par un moteur bicylindre de 845 cm3 refroidi
par air placé à l'arrière. En 1932, Porsche avait réalisé le prototype T12 pour le constructeur
automobile allemand Zündapp, qu'on compare souvent à la Tatra V570, mais qui possède
notamment un pare-brise plus incliné mais un avant moins aérodynamique.
En 1934, Tatra dévoile la T 77, une voiture aérodynamique très basse à 4 portes, dotée d'un 8-
cylindres en V de 3 litres, capable d'emmener 6 personnes à 140 km/h. Elle est suivie en 1936
par la T 97, une voiture plus petite propulsée par un 4-cylindres à plat à l'arrière, considérée à
l'époque comme la petite voiture la plus évoluée de son temps. Les deux Tatra possèdent un
capot arrondi que l'on retrouvera sur la Coccinelle. La KdF-Wagen de Porsche est lancée en
1938. Elle repose elle aussi sur un châssis à tunnel central à suspensions indépendantes, et elle
est propulsée par un 4 cylindres à plat refroidi par air et logé à l'arrière.
Il est vraisemblable que Ferdinand Porsche a subi une pression intense de la part d'Adolf Hitler,
qui souhaitait que ce grand projet aboutisse rapidement, pour des raisons politiques. À la fin des
années 1930, il est probable que Porsche ait utilisé différents brevets déposés par Tatra, pour
des contraintes de temps et de coût. Hitler aurait également demandé que la T77 ne soit pas
exposée au Salon automobile de Berlin, car ses ressemblances avec la KdF-Wagen auraient pu
faire de l'ombre à celle-ci. Tatra déposa donc dix recours en justice contre VW et Porsche était
apparemment sur le point d'arriver à un arrangement avec Tatra quand il fut stoppé par Hitler, qui
lui dit qu'il « se chargerait de ce problème ». La Tchécoslovaquie fut envahie peu de temps après
et les occupants prirent le contrôle des usines Tatra. La production de la Tatra T97 fut arrêtée
mais celle du modèle T87 continua durant les premières années de la guerre. Cette automobile,
dont la rapidité et la tenue de route faisait d'elle un véhicule parfaitement adapté aux
nouvelles autobahns allemandes, fut très prisée par les dignitaires militaires et les officiers du
régime nazi.
Après la Seconde Guerre mondiale, et à la suite du succès de la Coccinelle, la société
Volkswagen indemnisera la société Tatra à la hauteur de 3 000 000 marks24,25, cette dernière
estimant que des technologies et le design de la Volkswagen provenaient de leur entreprise26.
En 1932, un an après les premiers prototypes de la Tatra V570, le constructeur automobile
tchèque Škoda, rival de Tatra, avait lui aussi réalisé deux exemplaires d'un prototype susceptible
d'avoir inspiré Ferdinand Porsche. La Škoda 932 était équipée d’un 4 cylindre de
1 498 cm3 de 30 ch, refroidi par air monté sur un châssis poutre. Si la carrosserie avait des lignes
conventionnelles pour l'époque malgré le moteur à l'arrière, la forme arrondie du coffre à l'avant
correspond de manière frappante à celui de la Coccinelle plus tard, bien plus que ceux des
prototypes Tatra. Il est donc possible que Porsche ait emprunté à différentes sources les lignes et
les caractéristiques techniques de la KdF-Wagen.

Succès populaire
L'Amérique
Si les premiers clients allemands sont enfin servis, la plus grande partie de la production est
exportée massivement vers les États-Unis où son succès est phénoménal. En effet, en pleine
période de Trente Glorieuses, synonyme de prospérité, une véritable société de consommation
éclot. Les foyers américains ne se contentent plus d'une seule voiture. Les femmes, par ailleurs,
deviennent de grandes consommatrices et désirent acquérir une automobile plus coquette et plus
maniable, contrairement aux imposantes automobiles américaines de l'époque. La Coccinelle
répond ainsi à ces nouvelles demandes et devient de plus, la première automobile étrangère à
s'imposer sur le marché américain27.
Néanmoins, dans les années 1970, à une époque où le dessin automobile italien atteint son
apogée, le design de la Coccinelle apparaît obsolète. L'habitabilité, un défaut inhérent à sa
forme, ne suffit plus, si bien que sa production est arrêtée en 1978 en Europe28.
Le succès fut tel aux États-Unis, que la Volkswagen Coccinelle, dans une déclinaison spéciale
dénommée Export, est exportée vers le Brésil et l'Afrique du Sud. Elle est également diffusée
dans de nombreux pays d'Europe. Les marchés extérieurs représentent 41 % de la production
en 1952. L'année suivante, la voiture est assemblée au Brésil29. L'arrêt définitif de la production
s'opère le 10 juillet 2019, le dernier modèle sort de l’usine de Puebla au Mexique.
Dénomination
Grâce à son succès populaire à travers le monde dans la deuxième moitié du XXe siècle, elle
reçut de nombreux surnoms. Avant-guerre, lors de sa conception, elle portait le nom de KdF-
Wagen (Kraft durch Freude, soit « La Force par la Joie »). Après-guerre, on l'appelait tout
simplement Volkswagen (« la voiture du peuple ») en Allemagne, puis Volkswagen Type 1 avec
l'arrivée de nouveaux modèles chez la marque (le combi « Type 2 » par exemple).

Liste des surnoms

Crise pétrolière
En 1956, le président égyptien Gamal Abdel Nasser nationalise le canal de Suez, alors lieu
important d'échange de pétrole. Le monde fait alors face à la Crise du canal de Suez, faisant
vaciller les économies du monde et particulièrement l'industrie automobile. Les automobiles trop
gourmandes en carburant sont très vite délaissées au profit de voitures plus économiques. Cette
crise étant soudaine, les constructeurs américains mettront des années avant de développer des
automobiles compactes et faibles consommatrices. Cependant, les voitures européennes
répondent déjà à ces critères ; une est déjà connue aux États-Unis : la Volkswagen Coccinelle.
La jeunesse américaine s'empare alors de cette automobile11.
Médiatisation

Choupette, la vedette des films de Walt Disney Pictures.


Article détaillé : La Coccinelle (série).
La Coccinelle est devenue un véritable succès commercial, en partie du fait de sa médiatisation.
Elle est la vedette des studios Walt Disney Pictures dans toute une série de cinq films, que l'on
nomme communément « La Coccinelle », débutée par Un amour de Coccinelle (1969 en France)
avec Dean Jones. L'héroïne principale de ces films, dénommée ChoupetteN 5, est une Coccinelle
blanche de 1963 portant le numéro 53, douée de vie, et dont le spectateur suit les aventures de
par le monde, notamment en compétition automobile. Les films sont un extraordinaire succès.
La Volkswagen fait par ailleurs d'autres nombreuses apparitions au cinéma et à la télévision,
comme dans The Arrival ou encore dans la série animée Transformers où Bumblebee se
transforme en Coccinelle jaune. Super Bug mettant en scène les aventures de deux cascadeurs
et leur Coccinelle jaune truffée de gadgets en tous genres est une série télévisée allemande en
douze épisodes.
La Beetle est également l'une des voitures les plus couramment reproduites en modèle
réduit. Hot Wheels et Matchbox ont produit de nombreuses petites automobiles Coccinelle. La
plupart des fabricants de voitures miniatures ont inclus une Coccinelle dans leurs lignes à un
moment ou à un autre.
Le rallye Monte-Carlo[modifier | modifier le code]
La Coccinelle a obtenu ses meilleurs résultats en 1964 lors de sa première apparition, avec une
victoire de classe 2 de Wallrabenstein et Herborn30 (Pauli Toivonen et Berndt Jansson terminant
respectivement 10e et 14e sur VW 1500S en partant d'Oslo31). L'année du premier film de la
licence Disney (1968), les Beetles réapparaissent justement après deux abandons de VW 1500S
en 1965, toujours avec deux équipages : l'un casse (les norvégiens Knut Moberg et Thor
Sundene, sur 1500) mais l'autre termine à la 57e place, avec les néerlandais Ben Pon et Jooks
Klein sur 1600, engagés sous le numéro de course 120, le fameux no 53 étant réservé à la Fiat
125 des Autrichiens Myrteza Dani et Gerd Blasl (abandon)32. En 1977 (Herbie Goes to Monte
Carlo) il n'y a plus de Coccinelle au Monte-Carlo depuis 9 ans déjà, mais uniquement des VW
Golf.
Sur circuit (Beetle Chevrolet 1976)...

... sur glace (lac du Wisconsin)...


... comme dans la boue (championnat d'Europe de rallycross 1985 avec Mikael Nordström sur VW 1303S
Turbo 4x4 500CV).

Victoires en rallyes (1951 - 1973)


de la 1100

 Rallye Alger-Le Cap : classe <1,1 L. en 1951 pour Mme d'Ieteran33;


de la 1200

 Rallye Safari : classe A en 1953 pour Alan M. Dix (avec Johnny W. Larsen, 1re édition),
classement général en 1954 pour Vic Preston Sr (avec D P Marwaha) et en 1962
pour Tommy Fjastad (avec Bernhard Schmider), classe en 1960 pour Joginder Singh (9e) ;
 Tour d'Australie (en) (épreuve de régularité) : 1955 (Laurie Whitehead), 1956 (Eddie
Perkins), 1957 à deux reprises (Jack Witter puis de nouveau Laurie Whitehead), et 1958
(Eddie Perkins de nouveau) ;
 Rallye Hankib: en 1955 pour Heikki Puustinen ;
 Rallye de Suède (Soleil de Minuit) : en 1956 pour Harry Bengtsson (avec Åke Righard) ;
o 1957 : 2e du rallye des 1000 lacs Bengtsson et Righard ;
o 1959 : 3e du rallye des 1000 lacs encore Bengtsson et Righard ;
 Championnat d'Angleterre des rallyes : 1960 pour Bill Bengry et D.Skeffington ;
de la 1300

 Tour d'Amérique du Sud : classe A en 1978 pour les brésiliens Christiano Nayaagard et Neri
Reolón ;
de la 1500(S)

 Championnat d'Angleterre des rallyes : 1961 encore pour Bill Bengry (et toujours
D.Skeffington) ;
 Rallye Croix du Sud : en 1967 pour Barry Ferguson et Dave Johnson ;
o 1963 : 2e du rallye de Grande-Bretagne Harry Källström ;
o 1965 : 3e du rallye des 1000 lacs Pauli Toivonen et Kalevi Leivo ;
o 1965 : 3e du rallye de Suède Björn Waldegaard ;
de la 1600

 Rallye Arctique : victoires finlandaises en 1966 (Kari Sohlberg, 1re édition), 1967 (Raimo
Kossila) et 1968 (Hans Laine) ;
 Rallye de Grande-Bretagne : victoire de classe en 1966 pour Sten Lundin (8e) ;
de la 1302S

 Rallye de Cristal : 1971 pour DrGeorg Fischer et Hans Richter ;


 Championnat d'Autriche des rallyes : 1972 (Günther Janger) et 1973 (Dr Georg Fischer) ;
 Coupe Martha (Autriche) : 1972 (Günther Janger) ;
 Coupe d'hiver internationale Rex : 1972 (Dr Georg Fischer) ;
 Rallye Jänner : 1973 Achim Warmbold (avec John Davenport pour copilote) et 1978 Beppo
Sulc (associé à Fritz Weixelbraun) ;
 Rallye Seiberer : 1973 pour Franz Wittmann et Helmut Berger ;
 Rallye dell'Isola d'Elba : 1973 (Italie, Achim Warmbold avec Gunnar Häggbom pour copilote).
(voiture alors TS -Tourisme Spécial- du Groupe 2, autre pilote notable l'autrichien Dr Gernot
Fischer de 1970 à 1972, avec le team Salzburg; Björn Waldegård lui-même effectua ses débuts
sur une 1200 puis une 1600 entre 1962 et 1966 34, terminant 6e du rallye de Suède 1973 sur une
1302S en WRC et remportant la classe 235)
Victoires en rallycross

 Championnat d'Europe de rallycross : l'autrichien Franz Wurz en 1974 lors de la deuxième


édition (1302S 2,4 L), et le hollandais Kees Teurlings en 1975 (1303S 3 L à moteur
de Porsche Carrera).
(nb : en France Jacques Aïta36 remporta dans sa catégorie plusieurs manches du championnat
de France de rallycross durant les années 1970-80).

Technique

Intérieur d'une Coccinelle de 1949.


Intérieur d'une Coccinelle de 1957.

Sa conception, passée au fil du temps d'avant-gardiste à obsolète, conjuguée à l'austérité de sa


présentation ne sera jamais un handicap. Au contraire, elle rassure et sa fidélité inspire la
sympathie. Innovatrice et ingénieuse lors de sa conception, la Coccinelle affiche pourtant bien
des aspects dépassés au temps de son âge d'or : un quatre cylindres anémique, bruyant et
gourmand, une boîte longtemps dépourvue de synchros, une suspension tressautante, un
comportement souvent flou. Heinrich Nordhoff déclare même : « Je vois bien que la Coccinelle
est adorée du public, mais je ne comprends vraiment pas pourquoi ! ».

Si le refroidissement par air du moteur simplifie les opérations d'entretien et garantit un


fonctionnement régulier de la mécanique, il a pour conséquence un habitacle bruyant en raison
de la turbine. Quant à la position du moteur en porte-à-faux arrière, qui évite le recours à des
organes de transmission longs ou de joints complexes (joints homocinétiques pour une traction),
elle est la cause d'une tenue de route aléatoire, même si elle lui procure une très bonne motricité.
Le réservoir d'essence est disposé à l'avant.

Le système de chauffage se compose de deux boîtes situées de part et d’autre des sorties
d’échappement du véhicule. L’air chaud est transféré par l’intermédiaire de deux tubes flexibles
vers les trappes d’aération situées au sol et au niveau du pare-brise pour le désembuage.
L’inconvénient majeur de ce système est qu’il occasionne une importante dégradation des
longerons.
Versions
À partir du modèle de l'après-guerre, motorisé par un 1 131 cm3 développant 25 ch, l'évolution
technique de la Coccinelle va se faire sous la forme d'augmentations répétées, mais prudentes,
de la cylindrée dans le but de trouver les chevaux qui manquent cruellement :
1 192 cm3 et 30 ch en 1954, puis 34 ch en 1960, 1 285 cm3 et 40 ch en 1965,
3 3
1 493 cm et 44 ch en 1966, 1 584 cm et 50 ch en 1972 . 29

Intérieur d'une Coccinelle de 1962.


Une berline artisanalement transformée en cabriolet.

Une Coccinelle 1303 de 1976


Du point de vue esthétique, des remodelages successifs tenteront de moderniser la ligne en lui
donnant des volumes, tout en sauvegardant le look29.
La millionième Coccinelle sort des usines de Wolfsburg le 5 août 1955 à 14 h 10.
1 200 admirateurs sont présents pour cet événement. La Coccinelle est pour l’occasion habillée
d’une couleur or métallisée. Elle parcourt 5 000 km à travers l’Allemagne avant d’être
définitivement entreposée au musée de la firme à Wolfsburgpl 6.
En 1998, Volkswagen décide de « ressusciter » le mythe en présentant une version totalement
refondue au goût du jour, sobrement dénommée Volkswagen New Beetle.

Reconnaître un millésime
Pour déterminer l'année d'une Coccinelle, il suffit de jeter un coup d’œil sur certains détails. Par
exemple, les modèles d'avant 1953 possèdent une glace arrière en deux parties dite « split
window » en anglais ou « Bretzel » en allemand. Les modèles de 1953 à 1958 possèdent une
glace arrière ovale, puis les modèles suivants sont dotés d'une vitre de forme rectangulaire. Dès
1968, la Coccinelle adopte des pare-chocs carrés avec une bande de caoutchouc au milieu.
La Coccinelle 1303 est facile à identifier car c'est la seule version qui reçut un pare-brise bombé
et non plat.

Cabriolet

Volkswagen 1302 S (1600cc) - Karmann, datant de 1972


Le cabriolet Coccinelle est apparu dès 1949, carrossé par Hebmüller (deux places, le plus
élégant) et Karmann (quatre places). Le succès de ce dernier sera considérable et il sera produit
jusqu'en 198029. La production du cabriolet deux places fut arrêtée par l'incendie des ateliers
dans lesquels il était produit, seuls 696 unités sortiront des chaines de production jusqu'à cet
incident en 1950.
Un modèle de cabriolet quatre-places, le Type 18A, doté de portes en toile, sera développé par
Hebmüller spécialement pour la police allemande.

Utilitaire
Autre dérivé équipé des éléments mécaniques de la Coccinelle, le premier utilitaire Volkswagen
sort en 1950. C'est le célèbre Combi, un véhicule de légende qui s'illustrera sur tous les chemins
d'aventure, particulièrement pour la génération hippie lors des décennies suivantes. Cinq ans
plus tard est présenté le coupé Karmann Ghia, dessiné par Ghia et fabriqué chez Karmann. Il
sera suivi en 1957 de la version cabriolet.

Dérivés basés sur la mécanique VW


Même s'il est gourmand et bruyant, le moteur quatre-cylindres à plat de la VW est robuste, avec
un service de pièces détachées omniprésent dans le monde entier. Son refroidissement par air le
rend précieux dans les climats extrêmes où les systèmes de refroidissement à eau, plus
performants, sont fragilisés. Il n'en faut pas plus pour que des applications exotiques, pas du tout
prévues à l'origine, aient vu le jour.
Aviation
Les avions légers Fournier RF3, RF4 et RF5 entre autres, sont équipés d'un moteur de VW
adapté à cet usage : son architecture à plat est voisine des moteurs américains Continental
ou Lycoming utilisé par les avionneurs Cessna et Piper Cub, elle est favorable au refroidissement
et à la diminution de la traînée.
Automobile
Les premières Porsche, jusqu'à la 356 sont des dérivés toujours plus sophistiqués et performants
de la Coccinelle VW, mais la mécanique est revue (distribution, radiateur d'huile) et largement
« gonflée ». La tardive Porsche VW 914 (elle porte les deux badges constructeurs) est aussi
propulsée par le 4 cylindres VW, réalésé à 1 700 cm3 et placé en position centrale dans sa
version d'entrée de gamme.
Par la suite, la firme de Stuttgart produira un six-cylindres, beaucoup plus puissant mais
l'architecture à plat à pistons opposés (dite « Boxer ») sera conservée.
Les voitures récréatives de plage de type Buggy, initiées par le Meyers Manx, aux États-Unis,
sont majoritairement des dérivés de la Coccinelle VW (moteur-boîte, mais aussi trains roulants et
soubassement raccourci).
Motocyclisme
Les moteurs refroidis par air ont longtemps été la règle en matière motocycliste, de nombreux
constructeurs artisans ont donc tenté d'adapter à la moto des moteurs automobiles refroidis par
air, comme le Panhard « Tigre » de 850 cm3 ou le 4-cylindres à plat de la Citroën GS (sur la moto
BFG) en France, par exemple. Le quatre-cylindres de la Coccinelle, très répandu en Amérique
latine (usines au Mexique et au Brésil), a donc lui aussi été à l'origine d'une tentative de créer
une grosse moto pour le marché de la police et de l'administration : dénommée « Amazonas
1600 » cette moto s'est avérée peu performante, lourde et difficilement maniable37.
Culture populaire

Modèle réduit usagé.

En 1968, les studios Walt Disney ont sorti un film dont le personnage principal est une Coccinelle
particulièrement performante : Un amour de Coccinelle (voir plus haut). Était également le
personnage principal des films The Love Bug de 1968 et Herbie: Fully Loaded de 2005.
La Volkswagen Beetle 1968, modèle 1500 de couleur blanc lotus, photographiée à Londres le 8
août 1969 et qui se trouve à gauche sur la pochette du disque Abbey Road du groupe
britannique The Beatles est aujourd'hui exposée au Stiftung
AutoMuseum (de) à Wolfsburg en Allemagne38.
Dans la série The Transformers de 1984, un Transformer nommé Bumblebee se transforme en
un Coccinelle de 1973.
Sur la pochette de l'album Autobahn de Kraftwerk, on peut voir sur la voie de droite une
Coccinelle grise.
Les mémoires d’une automobile (pas) comme les autres. La
Coccinelle VW et ses mises en histoire
Memoirs of an (un)usual car. The ‘VW Beetle’ and its historical narratives
Pierre LANNOY

Résumé | Index | Plan | Texte | Bibliographie | Notes | Illustrations | Citation | Auteur

Résumés

FrançaisEnglish

Cet article vise à rendre compte d’une manière sociologiquement intelligible de la profusion des formes
d’exposition publique de l’histoire de la Coccinelle Volkswagen. Sur la base de l’analyse d’un matériau étendu et
divers, il trace les idéaux-types de ces formes, appelées filières mémorielles. Pour les identifier, il recense les
figures et les activités caractéristiques observables en chacune d’elles, il distingue les diverses modalités de la mise
en histoire de ce modèle automobile qui y ont cours, ainsi que les différents modes sur lesquels celui-ci vient à
exister comme objet à travers elles, engageant des définitions distinctes de sa nature et de sa généalogie. Au total,
ce sont quatre filières qui sont présentées : une filière hagiographique, faisant exister la Coccinelle comme objet
technique unique soulevant les passions ; une filière académique, la faisant exister comme objet épistémique
appelant des interprétations ; une filière politique, la faisant exister comme objet éthique nécessitant des prises de
position ; et une filière iconique, la faisant exister comme objet sémiotique jouant sur les évocations. C’est par le
travail social incessant qui animent ces différentes filières que se construit le mythe « Coccinelle » et que cet engin
de transport s’insère dans le paysage culturel de nos sociétés.
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Entrées d’index

Mots-clés :
automobile, Volkswagen, Porsche, mémoire, histoire, passion, nazisme

Keywords :
motorcar, Volkswagen, Porsche, memory, history, passion, nazism

Géographie :
Allemagne, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne

Index chronologique :
1945-2010

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Plan

Une typologie des mises en histoire

La filière hagiographique

La filière académique

La filière politique

Conclusion : un panorama d’historiques

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Texte intégral
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The history of the Volkswagen Beetle has by now become part of the
collective consciousness of the Western World.
Karl Ludvigsen, Battle for the Beetle

The Bug’s biography is a story of the way history can be forgotten,


reshaped, and revived.
Phil Patton, Bug

1Si la mobilité contemporaine possède une mémoire, c’est notamment à travers les « processus de
fétichisation et de célébration » (PASSALACQUA, 2009) dont sont l’objet les moyens de transport,
au rang desquels les véhicules automobiles comptent parmi les plus commémorés. Ces
commémorations s’incarnent dans des pratiques multiples et polymorphes, allant de la publication
de livres ou de revues jusqu’aux reproductions miniatures de véhicules, en passant par
l’organisation de rassemblements d’ancêtres (DANNEFER, 1981) ou la création de musées (DIVALL
& SCOTT, 2001). Autrement dit, il existe une grande diversité de pratiques sociales visant à faire
partager l’histoire de l’automobile. Comment rendre compte de cette foisonnante production ?
L’objectif de ce texte est d’apporter des éléments de réponse à cette question. Plus précisément, il
s’agira de développer une sociologie des mises en histoire empiriquement observables dans le
monde automobile, en dégageant les formes, les activités et les logiques qui y apparaissent comme
les plus caractéristiques.

2Pour ce faire, nous travaillerons sur le cas de la Coccinelle Volkswagen (VW), non seulement
parce que cette voiture possède un passé long et chargé, parce qu’elle détient un des plus hauts
chiffres de la production automobile (soit 21,5 millions d’exemplaires), mais également parce
qu’elle fait l’objet d’une vénération continue depuis sa création, fournissant un matériau
pléthorique pour l’observateur des phénomènes sociaux. Le but de notre enquête, en effet, n’est
pas de proposer une historiographie de ce célébrissime modèle, mais bien d’instruire
sociologiquement les diverses « présences publiques de son histoire » (JEWSIEWICKI &
LÉTOURNEAU, 1996, 13). De notre point de vue, le travail des historiens professionnels n’est
qu’une de ses présences parmi d’autres, ceux-ci n’ayant le monopole ni du rappel de son passé ni
de l’écriture de sa mémoire. C’est précisément la multiplicité de ses modes de présence qui fait de
cette voiture un mythe, et il s’agira, dans les lignes qui suivent, d’étudier les manières dont elle a
été insérée (et est sans cesse réinsérée) dans le paysage culturel de nos sociétés. Nous partirons
de l’hypothèse que les activités au travers desquelles des mémoires de cet objet sont socialement
construites constituent une des voies principales par lesquelles s’opère cette insertion. Plus
précisément, nous chercherons à décrire les différentes filières au travers desquelles se bâtissent
des histoires à la fois distinctes et enchevêtrées de la Coccinelle VW, rendue ainsi mémorable par
ce travail social incessant.

La Coccinelle VW en quelques dates


1898-1931 : l’ingénieur autrichien Ferdinand Porsche (1875-1951) développe de nombreux
modèles de voitures pour différentes firmes automobiles
1931 : création du bureau Porsche à Stuttgart
1933 : janvier, Adolf Hitler (1889-1945) accède au pouvoir ; février, il prononce son premier
discours sur sa politique de motorisation de l’Allemagne
1934 : Porsche se lance dans la conception d’une « Volkswagen » répondant aux critères émis par
Hitler
1938 : pose de la première pierre de l’usine de Fallersleben (Wolfsburg) et présentation de la
voiture baptisée « KdF-Wagen » par Hitler
1940 : la production de voitures est convertie en production de matériels militaires, véhicules et
armements
1945 : suite à la capitulation de l’Allemagne, la gestion de l’usine et de la ville est confiée à l’armée
britannique, sous la direction du major Ivan Hirst, qui relance la production de la Coccinelle
1948 : Heinrich Nordhoff, ancien cadre de chez Opel, est nommé à la direction de l’usine VW. Il y
restera jusqu’à son décès, en 1968
1949 : la société VW est fondée sous le statut de société par actions ; le land de Basse-Saxe est
l’actionnaire majoritaire (aujourd’hui ses parts sont de l’ordre de 20 %, la majorité étant détenue
par le groupe Porsche) ; premières exportations vers les Etats-Unis
1955 : le million d’exemplaires de la Coccinelle est atteint
1978 : arrêt de la production des Coccinelles en Europe
1998 : VW dévoile son nouveau modèle de Coccinelle, la New Beetle
2003 : la dernière Coccinelle (modèle originel) sort des chaînes de montage de l’usine de Mexico

Une typologie des mises en histoire


3L’essai qui suit trouve son origine dans notre désir de mettre de l’ordre dans une masse de
matériaux hétérogènes relatifs à la Coccinelle VW, accumulés depuis plusieurs années. Nous avons
cherché à dégager les principales logiques sociales qui semblent présider à la production de ces
matériaux, en nous centrant plus particulièrement sur ceux qui contiennent une dimension
mémorielle, au travers de laquelle l’histoire de cette voiture est, d’une manière ou d’une autre,
rendue visible. En d’autres termes, nous avons tenté d’identifier les formes typiques prises par ce
travail social de mémorialisation, lequel ne se limite ni aux productions des amateurs, ni à celles
des historiens professionnels. En effet, les rappels du passé de cette voiture prennent des formes
diverses, qui chacune en augmente la réalité : usages, ouvrages et pages de passionnés, pratiques
artistiques (travaux photographiques, images publicitaires, illustrations de pochettes de disques,
etc.), mobilisations politiques, investigations historiographiques… Par conséquent, nous n’avons
exclu a priori aucune « présence publique de l’histoire » de la VW, cherchant à construire une
typologie de leurs logiques de production.

4Pour saisir ces diverses pratiques discursives (FOUCAULT, 1971) par lesquelles est mis en
histoires cet objet qu’est la Coccinelle, nous nous sommes doté d’un cadre conceptuel dont il nous
faut présenter la teneur. Nous partons du postulat que l’histoire, en tant que récit au sujet du
passé, est le résultat d’une pratique sociale de narration. Cette pratique narrative est sociale,
précisément, parce qu’elle s’inscrit dans des configurations ou des arènes collectives, qui lui
confèrent chacune une certaine forme. Pour désigner ces espaces sociaux engendrant des
productions narratives différenciées, nous parlerons de filières mémorielles – un des traits des
récits produits étant qu’ils construisent la mémoire de quelque chose (ici de la Coccinelle VW). Une
filière mémorielle sera donc entendue comme un ensemble d’activités et de figures sociales
typiques entretenant une mise en histoire caractérisée d’un objet donné. Pour chaque filière, on
pourra ainsi identifier des producteurs, un ou des publics et le cadre qui les relie (BECKER, 2006).

5Par ailleurs, toute filière ainsi entendue engendre et entretient un certain mode d’existence de son
objet (SOURIAU, 2009), distinct de ses autres modes d’existence, prévalant dans les autres filières.
Contrairement à ce que pourrait laisser penser le titre du célèbre ouvrage de Simondon, Du mode
d’existence des objets techniques, l’objet technique ne possède pas qu’un seul mode d’existence. Il
peut en effet être pris dans d’autres visées que celle de sa fonctionnalité et donc être
l’objet d’autres pratiques. Chaque filière constitue ainsi un « milieu associé », pour reprendre
l’expression de Simondon, qui confère un certain mode d’existence à l’objet. Et ce qui caractérise
les filières mémorielles en tant que telles (c’est-à-dire en tant qu’elles diffèrent d’autres genres de
filières – comme par exemple les filières industrielles où sont produits les objets, ou les filières de
bricolage où ils sont transformés), c’est qu’elles s’organisent autour de la mise en histoire de leur
objet.

6Par l’expression de mise en histoire, nous désignons tout traitement discursif d’un objet donné qui
mobilise des éléments de son passé. Pour repérer les formes typiques prises par cette mobilisation,
nous nous sommes donné deux indicateurs : le positionnement axiomatique et l’arrangement
généalogique sur la base desquels l’objet est traité. Le premier consiste à fixer la nature première
de l’objet, déterminant consécutivement les registres discursifs pouvant (ou non) être utilisés de
manière pertinente à son sujet ; le second consiste à rendre compte de l’origine de l’objet d’une
certaine manière. Autrement dit, toute mise en histoire d’un objet implique que son producteur
précise, explicitement ou implicitement, sa nature et son origine : de quel genre d’objet est-il
question, et de quel milieu est-il issu ? Cependant, notre démarche analytique ne cherchera ni à
déterminer quelles seraient objectivement cette nature et cette origine, ni à montrer que ces deux
traits du passé de la Coccinelle engendreraient de facto la singularité de son histoire. Nous allons
au contraire observer comment ces deux opérations sont mises en œuvre dans nos matériaux par
les acteurs eux-mêmes. Les différentes filières mémorielles pourront alors être distinguées
précisément en fonction de la position qui y est tenue à ce sujet, du statut qui y conféré à l’objet et
des figures et activités typiques qui y sont attachées. En ce qui concerne la Coccinelle VW, il
semble que l’on puisse distinguer quatre filières mémorielles, que nous allons maintenant décrire
de manière détaillée en reprenant pour chacune d’elles la grille d’analyse qui vient d’être
présentée.
La filière hagiographique
 1 Précisons que nous n’avons considéré que les ouvrages parus en anglais, français et néerlandais, ne (...)

7Un des premiers aspects qui ne peut manquer de frapper celui qui en vient à s’intéresser à la
Coccinelle VW est d’abord et avant tout l’abondante littérature qui lui est consacrée par des
« passionnés ». On trouve en effet des dizaines d’ouvrages amateurs retraçant l’histoire du
véhicule. Le tableau 1 fournit la liste de ceux que nous avons consultés (et qui est évidemment non
exhaustive, mais que nous estimons suffisamment indicative1), tandis que le tableau 2 fournit un
aperçu de l’évolution chronologique de leur parution, par décennies. On constate que c’est à partir
de l’arrêt de sa production industrielle en Europe (soit après 1978) que le nombre de livres sur la
Coccinelle a connu une croissance décisive, avec une forte concentration dans la seconde moitié
des années 1990.

Tableau 1. Liste des ouvrages hagiographiques consultés pour cette recherche.

TODTMANN H., TRITSCHLER A., Petite Voiture, Grande Classe, Offenburg,


H1 1949
Burda, 1950.

HOPFINGER K.B., Beyond Expectation. The Volkswagen Story, London, Foulis.


H2 1954
[trad. franç. : Le scarabée de la route, Verviers, Marabout, 1961]

NITSKE W.R., The Amazing Porsche and Volkswagen Story. A History of the
H3 1958 Accomplishments of the Prolific Designer Ferdinand Porsche, New York, Comet
Press.

VON FRANKENBERG R., Histoire des grandes marques : Porsche [Die


H4 1960
ungewöhnliche Geschichte des Hauses Porsche], Verviers, Marabout, 1968.

KOLLING F., Volkswagens Lopen Van de Band. Geschiedenis van de Volkswagen


H5 1962
[Ein Auto zieht Kreise. Herkunft und Zukunft des Volkswagens], Zeist, N.I.B., s.d.

H6 1962 ULLYETT K., The Porsche and Volkswagen Companion, London, Stanley Paul.

NELSON W.H., Small Wonder. The Amazing Story of the Volkswagen, Boston,
H7 1965
Little, Brown and Company, 1970.

H8 1966 POST D., Volkswagen. Nine Lives Later, Arcadia, Horizon House.

H9 1968 SAINT-LOUP, Dix millions de Coccinelles, Paris, Presses de la Cité.

H1 ROWSOME F., Think Small. The Story of Those Volkswagen Ads, New York,
1971
0 Ballantine Books.

H1 STRACHE W., 100 Years of Porsche Mirrored in Contemporary History,


1975
1 Esslingen, Bechtle-Druck, s.d.

H1 CLARKE R.M., ed., VolksWagen Cars 1936-1956, Cobham, Brooklands Books,


1975*
2 s.d.

H1 PORSCHE F., BENTLEY J., We at Porsche. The Autobiography of Dr. Ing. H.c.
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3 Ferry Porsche, Sparkford, Haynes/Foulis.

H1
1980 FRY R., The VW Beetle, Newton Abbot, David & Charles.
4

H1 1980 SLONIGER J., The VW Story, Cambridge, Patrick Stephens.


5

H1
1981 VOLKSWAGEN, A Brief Illustrated History, Germany, Volkswagenwerk AG.
6

H1
1982 BODDY W., VW Beetle. Type 1 & the New Generation, Oxford, Osprey, 1999.
7

H1
1985 RAILTON A., “The Beetle”. A Most Unlikely Story, Pfäffikon, Eurotax.
8

H1 SHULER T., The Origin and Evolution of the VW Beetle, Princeton, Princeton
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1986
0 Haynes, 1987.

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1988
1 Haynes, 1998.

H2
1989 BATAZZI M., Volkswagen Beetle, Vimodrone, Giorgio Nada, 1991.
2

H2
1989 BLERIOT M. & L., Ferdinand Porsche. Professor Beetle, Paris, Adrien Maeght.
3

H2
1989 WOOD J., The Volkswagen Beetle, Buckinghamshire, Shire, 2003.
4

H2
1990 CAMPBELL C., Hommage à la Coccinelle, Paris, Gründ, 1991.
5

H2
1990 PREW C., VW Beetle, London, Grange Books.
6

H2
1990 SABATES F., MOREL J., La Cox. Une voiture en or, Paris, Massin, s.d.
7

H2
1993* COWDERY R.R., Your KdF-Car, [1939], Lakeville, USM.
8

H2 TODTMANN H., TRITSCHLER A., Petite Voiture, Grande Classe, [1949], Paris,
1993*
9 Rétroviseur.

H3 MAYER-STEIN H.G., Volkswagens of the Wehrmacht. A Photo Chronicle, Atglen,


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0 Schiffer.

H3
1994 MEREDITH L., Original VW Beetle, Bideford, Bay View Books.
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H3
1996 DAVIES R., VW Beetle. The Complete Story, Ramsbury, Crowood Press.
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1996
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STATIONARY OFFICE (THE), People’s Car. An Investigation into the Design


H3
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7 Transporter to 412, Sparkford, Haynes, 1999.

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1998
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H3 MCLEOD K., Beetlemania. The Story of the Car that Captured the Hearts of
1999
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0 Press.

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1999 MEREDITH L., VW Beetle, Gloucestershire, Sutton Publishing.
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H4 SEUME K., The Beetle. Keith Seume’s Celebration of the World’s Favorite Car,
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3 New York, CLB.

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1999 SHULER T., Volkswagen KdF-Wagen 1934-1945, Indianapolis, Beeman Jorgensen.
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2000 PAGNEUX D., Coccinelle Volkswagen. Une sacrée légende, Paris, Hermé.
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2002
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8 America, New York, Wiley.

H4 PATTON P., Bug. The Strange Mutations of the World’s Most Famous Automobile,
2002
9 New York, Simon & Schuster.

H5 THIRIAR M., L’Epopée Porsche/Porsche Epic (Tome I : 1875-1948), Bruxelles,


2002
0 Eder, s.d.

H5
2002 WRIGHT D.K., The Story of Volkswagen Beetles, Milwaukee, Gareth Stevens.
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H5 BARBER C., Birth of the Beetle. The Development of the Volkswagen by Ferdinand
2003
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H5 TAYLOR B., Volkswagen Military Vehicles of the Third Reich. An Illustrated


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H5 PARVULESCO C., Coccinelle. Triomphe de la voiture populaire, Boulogne-


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4 Billancourt, E-T-A-I.

H5
2007 SCHLEGELMICH R.W., LEHBRINK H., Porsche, Paris, Place des Victoires.
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2009 LUDVIGSEN K., Ferdinand Porsche. Genesis of Genius, Cambridge, Bentley.
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H5 SCHILPEROORD P., Het Ware Verhaal van de Kever. Hoe Hitler het Ontwerp van
2009
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H5 MEREDITH L., Ferdinand Porsche and the Legacy of Genius, New Romney, Bank
2010
8 House Books.

H5 MILLER F.P., VANDOME A.F., MCBREWSTER J., ed., Volkswagen Coccinelle,


2010
9 Beau Bassin, Alphascript.

H6
2010 NONNENKAMP M.E., Volkswagen. The Peoples’ Car, Baltimore, PublishAmerica.
0

Ont été retenus uniquement ceux entièrement consacrés à VW ou Porsche et proposant une histoire de la
marque. Ceux marqués de * sont des textes réédités à l’initiative d’autres personnes que leurs auteurs
originaux (la date de la première parution est indiquée entre crochets). Quand une date est fournie en fin
de référence, elle indique l’édition consultée.

8A cette liste d’ouvrages, il faut également ajouter non seulement les très nombreux articles parus
dans des magazines de toutes natures (notamment ceux spécifiquement consacrés à VW), les
ouvrages sur l’automobile de portée plus générale (c’est-à-dire qui ne se limitent pas aux seuls cas
de VW et Porsche), ainsi que la population, sans cesse croissante elle aussi, des sites électroniques
disponibles sur Internet et consacrés partiellement ou entièrement à la Volkswagen. Bien que notre
travail se fonde essentiellement sur les textes parus sous forme de livres, l’analyse que nous en
proposons s’applique largement à ces autres supports de publication, qui animent de manière
intensive cette première filière. Il est à noter cependant que le livre conserve, dans ce cadre, un
statut particulier, puisqu’il se présente, à l’instar de la Coccinelle elle-même, comme un objet de
contemplation et de collection pour le passionné, ce qui explique le fait que sa production est loin
de s’éteindre. Même plus : l’addition, depuis une dizaine d’années, des parutions de livres et des
ouvertures de sites électroniques donnent à l’activité de mise en histoire de la VW un volume
quantitativement inédit.

Tableau 2. Evolution des volumes de parution d’ouvrages hagiographiques


Agrandir Original (png, 43k)

(source : tableau 1)

 2 Dans sa préface de l’ouvrage de Thiriar (H50), Ferry Porsche, le fils de Ferdinand, saisit avec jus (...)

9Tous ces ouvrages s’inscrivent dans une même filière mémorielle qui se caractérise par une
volonté de célébration de la Coccinelle, présentée comme hors du commun dans l’histoire de
l’automobile, et pour cette raison objet mémorable et vénérable. Pour caractériser cette filière, que
nous dirons hagiographique, nous pouvons d’abord chercher à identifier les figures et les activités
typiques qui l’animent. Premièrement, les auteurs possèdent des traits particulièrement marqués,
dont le fait, essentiel, de se présenter comme des passionnés : hommes (on ne trouve qu’une
seule femme dans notre échantillon), auteurs par amour pour leur objet, souvent récidivistes (avec
plusieurs publications à leur actif), on ne retrouve parmi eux aucun historien professionnel, ni
aucun chercheur universitaire. D’ailleurs, certains ouvrages, principalement les plus anciens, ne
mentionnent tout simplement aucune information au sujet de leur auteur. Lorsqu’une présentation
biographique est fournie, deux figures typiques de l’auteur passionné se dégagent : soit le « Beetle
enthusiast », spécialiste autoproclamé et parfois reconnu, soit le journaliste, exerçant
principalement dans le domaine automobile2. Fréquemment, ces deux traits se superposent, le
journaliste étant devenu passionné (voire employé) de VW, ou le passionné étant devenu
éditorialiste pour des périodiques automobiles. Mais tous ces auteurs partagent un point commun :
ils fournissent aux lecteurs, d’une manière ou d’une autre, les gages de leur passion personnelle
pour la Coccinelle. La jaquette, le quatrième de couverture ou la préface de chaque ouvrage
précise en effet les années de fréquentation, d’exploration et de partage de l’histoire de la voiture
du peuple, par exemple en détaillant les personnes et les archives consultées pour la rédaction du
texte, les liens personnels avec la firme VW, ou encore le nombre de véhicules VW possédés. On
trouve aussi fréquemment une préface signée par un protagoniste célèbre de l’histoire de la
Coccinelle, voire même une photographie de l’auteur en sa compagnie, ou de l’auteur posant
devant sa propre Coccinelle (H34, H41, H45, H50, H52). Nous verrons que cette figure typique de
l’auteur se distingue très nettement de celle des acteurs des autres filières mémorielles que nous
présenterons par la suite.

Tableau 3. La passion personnelle pour VW comme norme de présentation de soi dans la


filière hagiographique : quelques exemples

The author. […] Since his childhood he has been a fanatical car enthusiast and a Beetle addict ever
since his father bought an early model. His trade is window cleaning and he travels with his ladders
in a yellow Beetle. (H14)
For nearly a quarter century, the author has been a student of the Beetle phenomenon. In the
early years, I studied it as a journalist, looking at it from the outside. Later, I watched its success,
and indeed shared in it, from the inside as an executive with Volkswagen of America. (H18)
Laurence Meredith is a motoring journalist and lifelong fan of air-cooled Volkswagens. Despite
having a wide interest in cars, past and present, it is still the Beetle for which he holds most
affection today. His own car is a restored 1970 Beetle 1500. […] His hobbies and interests are
connected, almost without exception, to motor cars and motor sport. (H31)
Simon Parkinson says he has been a Beetle enthusiast from birth (his father was the proud owner
of a Beetle in 1955) an dis today an active member of Britain’s Historic Volkswagen Club. (H33)
Keith Seume is a Volkswagen enthusiast of long standing, having driven his first Beetle at the age
of 14. He became a motoring journalist in 1976. In 1987 he launched Volksworld magazine, a
publication devoted to the VW Beetle, of which he is currently Consultant Editor. He is author of
several other illustrated books on the Beetle in its many guises. (H43)
Chris Barber, a self-confessed Beetle nut who writes columns in Volksworld and Volkswagen Driver
magazines, has driven air-cooled VWs for 40 years and still owns a Beetle for everyday use. (H52)
Mr. Nonnenkamp’s family has owned four Volkswagens since 1961. His aunt worked for
Volskwagen of Canada from 1952-1991, initially with Mr. J. Stewart Perkins who became the
President of Volkswagen of America, Inc. (H60)

10Le produit de l’activité de ces auteurs, le livre, revêt lui aussi des traits particulièrement
typiques. Les ouvrages de passionnés peuvent à première vue sembler très différents les uns des
autres. Formats, volumes, compositions varient en effet fortement. Il nous semble cependant que
deux ensembles peuvent être distingués en regard de la place qu’y occupe l’iconographie, toujours
abondamment présente : d’un côté, on trouve les ouvrages dont le principe de composition est le
texte, les illustrations (dessins ou photographies) venant s’ajouter à celui-ci ; d’un autre côté, on
rangera les livres dont la logique de composition est inverse, c’est-à-dire dans lesquels les images
commandent leur organisation interne. De nombreux ouvrages de passionnés se présentent en
effet comme des histoires « illustrées » de la VW, où l’originalité et la quantité de l’iconographie
sont centrales.

11Au-delà de cette distinction morphologique, les ouvrages de passionnés partagent (au moins)
deux traits communs, qui les apparentent fondamentalement. Le premier est le mode sur lequel ils
font exister la Coccinelle, à savoir celui d’un objet unique, historiquement et technologiquement. Le
second est l’axiomatique commune à partir de laquelle ils traitent son histoire : cet objet est avant
tout un objet technique, caractère qui expliquerait en dernier ressort son destin.

12Si la Coccinelle soulève tant de marques de passion à son égard, c’est d’abord parce qu’elle fait
l’objet d’un travail de qualification incessant des passionnés par lequel son histoire est présentée
comme singulière : « The Beetle is unique » (H31 : 6). Cette singularité est mise en scène au
moyen de diverses opérations qui sont utilisées de manière récurrente. Parmi celles-ci, on compte
le développement détaillé de la « carrière » de l’objet (BROMBERGER & CHEVALLIER, 1999) et des
biographies de ses concepteurs, la quête de l’inédit (images et documents d’archives originaux,
entretiens exclusifs, photographies « specially commissioned » (H31), etc.), la mise en valeur de la
pièce rarissime (on exposera le modèle unique d’un prototype, ou le très rare exemplaire d’une
série disparue, etc.), ou encore l’usage de qualificatifs explicites dans le titre même de l’ouvrage :
« Amazing story » (H3, H7), « History of the world’s most popular car » (H36), « Une fabuleuse
histoire » (H47), « L’Epopée » (H50)… En outre, la mention même de la période nazie de la
Coccinelle semble conférer à son histoire un caractère singulier, alimenté par le statut « hors du
commun » de ce régime politique et de ses principaux protagonistes (« Few other machines have
had such picturesque lineage », H10 : 27), dont l’évocation n’est donc jamais un acte anodin.

13Si nous voyons mieux ainsi par quelles modalités les ouvrages des passionnés fabriquent le
caractère historiquement unique de la Coccinelle, l’axiome qu’ils partagent tous peut également
être identifié : cet objet a une nature technique. Son histoire sera donc technologique, au sens où
sa logique doit être rapportée à sa facture technique. Autrement dit, la filière hagiographique fait
reposer ses récits au sujet de la Volkswagen sur son caractère d’objet technique unique. Or, si les
passionnés construisent par leurs pratiques discursives la singularité de son histoire, ils font de
même pour sa « nature » technique, qui est sans cesse affirmée et épurée, par la performativité
même de l’écriture. Ces deux schèmes typiques – l’affirmation et l’épuration – se retrouvent en
effet dans l’ensemble des publications hagiographiques. Le premier s’incarne dans la présentation
systématique de fiches techniques (généralement en fin d’ouvrage), de différentes esquisses et
prototypes, de développements détaillés au sujet des caractéristiques de la conception, de la
motorisation et de la carrosserie, ou encore de plans et de clichés « anatomiques » du véhicule.
Dans certains cas (H21, H31, H37, H40), ce schème se transforme même en schéma général, les
livres se présentant comme des « histoires de modèles » où chaque chapitre procure les détails
techniques relatifs à chaque version de la Coccinelle produite par la firme allemande.

14Mais, dans ces publications de passionnés, la nature censément technique de la VW est


également instituée par le traitement généalogique qui lui est réservé. En effet, plusieurs procédés
y sont mis en œuvre pour dégager son histoire de toute dimension autre que « technique », pour
lui rendre sa nature de « pur » objet technique, malgré les fers politiques, culturels et moraux qui
l’enserrent – et qu’incarne à titre principal le régime hitlérien. Le premier est ce qu’on pourrait
appeler le dédouanement moral de l’histoire de la VW. Ainsi, certains ouvrages ne font aucune
mention, écrite ou visuelle, du contexte politique dans lequel la Coccinelle est née : le nom de
Hitler n’est pas cité, ou aucune image de lui n’est montrée, il n’est pas fait référence au nazisme,
ou aucun symbole de ce régime n’est visible sur les photographies présentées (H1, H16, H47, H51,
H55). Est ainsi évitée toute occasion potentielle d’une lecture moralisante de l’enfance de la
Coccinelle. On peut également observer la formule consistant à poser que tous les
« accomplissements » du régime hitlérien ne méritent pas un même opprobre moral. Elle fut
utilisée notamment par Paula Wolf, la sœur d’Hitler, qui déclara après la guerre à un journaliste
venu l’interroger : « L’autobahn et la VW sont probablement les meilleures choses que mon frère
ait laissées derrière lui » (ROSENBAUM, 1998, 215), soulignant la neutralité morale de ces
réalisations techniques. On retrouve la même trame argumentative dans un ouvrage de 1990 :
sous une photographie de Porsche serrant révérencieusement la main de Hitler, on peut lire cette
légende : « Nous avions décidé de dédicacer, en exergue, ce livre à peu près de la façon suivante :
« A Monsieur Adolf H. pour la seule chose de bien qu’il ait faite dans sa vie », mais cet humour un
peu grinçant, sinon déplacé, nous ayant paru trop provocant face à l’abomination du personnage,
nous y avons renoncé. Mais une question se pose tout de même : sans Hitler, la VW aurait-elle
existé ? » (H27 : 9). D’autres ouvrages opèrent même un double mouvement de dédouanement de
la Coccinelle par rapport au nazisme, en affirmant, d’un côté, que son développement n’a pas de
lien essentiel avec lui, et en aseptisant, d’un autre côté, la nature politiquement incorrecte de ce
régime. Un excellent exemple est ici l’ouvrage de Nonnenkamp, qui attribue le succès de la VW au
génie mécanique (et donc apolitique) de Porsche et à la libéralisation du marché allemand après la
guerre, muselé par le socialisme du Troisième Reich ; dans le même temps, l’auteur euphémise le
racisme radical d’Hitler et, à un rappel de l’existence même de l’extermination des Juifs, préfère
l’évocation des souffrances endurées par le peuple allemand sous les coups des armées alliées
(H60 : 23, 32). Dans cet exemple, comme dans tous les ouvrages de passionnés, l’attachement à
l’histoire de la Volkswagen semble donc devoir passer par un détachement moral vis-à-vis de
l’épisode nazi : la nature liberticide, meurtrière et destructrice du régime hitlérien ne concernerait
en rien – ou pas fondamentalement – la biographie de la Coccinelle, ce qu’expriment concrètement
les modalités de sa mise en histoire.

15Un deuxième procédé d’inoculation généalogique consiste en une dramatisation du destin de la


Coccinelle. Ici, sa période nazie n’est pas niée, bien au contraire : si de nombreux détails sont
fournis, dans le texte et dans les images, à ce sujet, le régime hitlérien se voit attribuer le rôle
d’adjuvant ou d’opposant au projet technique que constitue, en lui-même et au-delà de toute
considération politique, le développement d’une voiture populaire et robuste. Se dessine alors le
récit d’une quête, celle de la perfection socio-technique (la voiture idéale pour tous), qui traverse,
non sans péripéties, l’épisode nazi, mais sans lui appartenir par essence.

 3 Ainsi, sur la jaquette du livre L’épopée Porsche (H50) on trouve alignés le profil de différents vé (...)

16Une autre déclinaison, très fréquente dans les ouvrages hagiographiques, de cette dramatisation
de l’histoire de la Volkswagen est le recours à la figure de l’ingénieur génial, ou du « génie de la
mécanique » (H2). Le destin de notre voiture est ici rapporté à des personnalités présentées
comme animées d’une seule passion (l’amour de l’automobile) et pourvues d’incommensurables
talents, traits qui feraient d’elles des personnages par nature apolitiques. C’est principalement la
figure de Ferdinand Porsche qui occupe cette place dans les ouvrages des passionnés, lesquels ne
manquent pas de rappeler que sa carrière déborde par l’aval et par l’amont l’épisode hitlérien – et
ne s’y réduit donc pas. Raconter la vie de Porsche, c’est parler de la « genèse » et de « l’héritage »
d’un génie de la technique (H56, H58), et non de politique. Quelques formules marquantes se
retrouvent ainsi de manière récurrente, soulignant l’indépendance des préoccupations de Porsche
par rapport à celles du régime politique qui, pourtant, l’employait : l’absence de propos ou de
positions politiques de sa part, le fait qu’il n’ait jamais été porteur ni de la carte du parti nazi ni de
l’uniforme de la Wehrmacht, ou encore l’attribution de toute la dimension technique du projet VW à
sa seule personne (Hitler étant alors présenté comme le destinateur du projet, mais pas comme
son concepteur)… Quant à ses réalisations militaires (Kübelwagen, Schwimmwagen, chars
« Tigre », etc.), elles sont présentées de manière neutre, comme autant de prouesses techniques
méritant l’admiration de tout passionné du génie militaire, mais jamais comme contributions
prouvant l’adhésion de Porsche au projet politique nazi3.

Tableau 4. La dramatisation comme procédé de mise en histoire : l’apolitisme de Ferdinand


Porsche.

« While Porsche was totally nonpolitical, far more interested in engines than institutions, he
welcomed any support that helped him turn his ideas into metal. Hitler in turn was an auto buff
whose position allowed him to support his tastes. » (H10 : 30)
« Porsche ne fut jamais nazi et il devait lui en coûter de lever le bras pour certaines occasions
officielles, quand il ne pouvait pas faire autrement. Hitler ne fut pour lui que la possibilité matérielle
d’aller au but. Qu’importe le flacon… dit le dicton. » (H27 : 8)
« Si le Dr Porsche a rencontré Hitler au début de la guerre, c’est uniquement pour des obtenir des
fonds afin de développer un projet de voiture de course révolutionnaire. Il n’adhère alors pas à
l’idéologie nazie, mais cherche seulement à tirer profit de sa réputation pour obtenir le financement
indispensable à ses travaux. A l’inverse de son fils, Ferdinand Porsche n’au aucun sens politique.
Obsédé par son métier d’ingénieur, il ne se pose pas de questions morales. Si des subventions
publiques sont disponibles, qu’il s’agisse d’une voiture de course ou d’un char, il cherche
simplement à être le meilleur. » (H47 : 14).
 4 Propos de Schilperoord sur son site « The True Story of the Beetle » (www.ganz-volkswagen.org).

 5 Ganz dit à propos de sa vie qu’elle constitue « a crime story even Hitchcock could not invent » (H5 (...)

17Cependant, un ouvrage paru récemment, en 2009, ouvre une controverse qui se veut radicale
au sujet de l’origine de la Coccinelle. Son auteur, « journaliste technique et scientifique », y
soulève la question de l’attribution de sa paternité à Porsche, qui aurait masqué le travail du
« génie juif » Josef Ganz, « the engineering father of the Volkswagen Beetle »4. On pourrait alors
penser qu’il s’agirait là d’une tentative de repolitisation de l’histoire de notre voiture. Il n’en est
rien : dans sa quête de la vérité historique, ce livre active lui aussi le trope du dédouanement
politique : en montrant comment ce projet technique, né de l’imagination d’un noble ingénieur
indépendant, a été usurpé par un régime politique ignoble, il montre en effet que la politique est
étrangère à la technique, et que si la Volkswagen a été portée sur les fonds baptismaux par les
Nazis, elle n’appartient pourtant pas à la famille de leurs productions. Le drame personnel de Ganz,
objet d’une légitime et nécessaire dénonciation morale5, n’a alors d’égal que l’épopée industrielle
de VW, sujet d’une évolution fondamentalement amorale. D’un autre côté, la célébration des
« génies » de l’histoire VW d’après-guerre, principalement Ivan Hirst et Heinrich Nordhoff, pose
évidemment beaucoup moins de problèmes : leur action se déploie en effet dans un contexte
politique démocratique d’emblée légitime aux yeux des auteurs et des lecteurs.

18A travers l’objet Coccinelle, c’est donc à la fois le génie et son œuvre que célèbrent ces ouvrages
de passionnés qui, comme celui-là et comme leurs lecteurs, se présenteraient comme animés par
une passion exclusive : la performance automobile. Est ainsi établie la nature fondamentalement
technique de la Volkswagen : quels que furent ses lieu et date de naissance, elle n’en resterait pas
moins un véhicule automobile, assurant les mêmes fonctionnalités et relevant du même ordre
industriel que les autres voitures politiquement mieux nées. Son histoire peut ainsi être présentée
comme un cas (parmi d’autres) d’accomplissement automobile, à la fois comparable aux autres
(puisque relevant du même ordre de phénomènes) et incomparable (car « unique », c’est-à-dire
inégalé). Autrement dit, l’affirmation et l’épuration de la nature technique de cet objet qu’opèrent
les mises en histoire des passionnés rendent possibles la célébration candide de la technologie,
l’expression d’une passion purement automobile, la mise en scène d’un « Beetle enthusiasm »
libéré de toute interférence axiologique. Mais c’est précisément un tel rabattement de l’histoire de
la VW sur le seul registre technique que vont remettre en question d’autres filières mémorielles.

La filière académique
 6 A l’exception notable de H45, dont l’auteur est reconnu comme une autorité en matière d’histoire de (...)
19Une des caractéristiques centrales des productions de la filière hagiographique – sans doute
même la plus décisive – est le fait qu’elles sont dues à des amateurs et non à des professionnels de
la mise en histoire (bien qu’il existe parmi les passionnés, comme on l’a vu, des figures faisant
autorité en matière d’écriture de l’histoire de la Coccinelle). Par contraste, il est possible d’identifier
une autre filière mémorielle, animée, précisément, par les professionnels de l’écriture historique, à
savoir les chercheurs attachés à des universités ainsi que les intellectuels dits indépendants. D’un
point de vue formel, plusieurs traits permettent de caractériser un texte appartenant à cette
seconde filière. Premièrement, le profil des auteurs est présenté de manière radicalement
différente par rapport à celui des amateurs : si, pour ces derniers, il est fait mention de leur
attachement personnel à la Coccinelle, cette dimension est systématiquement absente de la
présentation des premiers, qui précise au contraire leur affiliation institutionnelle, leur domaine de
recherche et surtout la liste de leurs travaux antérieurs (dont les sujets ne se réduisent jamais à la
seule VW). Deuxièmement, ces études font l’objet de publications dans des maisons d’édition
universitaires ou reconnues pour la qualité intellectuelle de leurs collections, ou encore sous forme
d’articles dans des revues académiques. Chacune des deux filières (hagiographique et académique)
possèdent des réseaux distincts de publications, les critères de production et d’évaluation étant
profondément différents dans l’une et dans l’autre. Troisièmement, les productions de la filière
académique recourent systématiquement à un appareillage de notes infrapaginales, permettant de
préciser les raisonnements déployés et les sources utilisées, et fournissent toujours une
bibliographie générale. Si on trouve assez souvent une bibliographie, même sommaire, dans les
ouvrages de passionnés, les notes de renvoi y sont quant à elles particulièrement rares, étant
considérées comme rébarbatives pour le lecteur aux yeux de la majorité des éditeurs actifs dans
cette filière6. Quatrièmement, la composition matérielle des textes académiques n’est jamais
commandée, contrairement aux cas de nombreux livres hagiographiques (se présentant comme
des « histoires illustrées »), par la logique iconographique : les illustrations y sont généralement
absentes, ou en nombre très réduit.

 7 Pour reprendre l’expression de Passeron (2006, 557), qui fait de ce découpage la première opération (...)

20Indissociablement lié à ces aspects formels, le contenu même des productions académiques fait
exister l’histoire de la Coccinelle sous un mode propre. Contrairement aux ouvrages de passionnés
qui animent la filière hagiographique, les pratiques discursives académiques instituent la VW en
objet de recherche, ce qui implique que soient mobilisés des matériaux déterminés et que soient
développées des interprétations à leur sujet. Pour les passionnés, le caractère génial de l’histoire
de la Coccinelle et de ses protagonistes ne fait aucun doute, son affirmation n’est en rien une
interprétation, mais bien plutôt une narration, une célébration (au sens liturgique du terme), qui
relève d’une sorte de positivisme radical, mêlant l’évidence des faits et celle de leur découpage
sémantique7. Par contre, dans les essais académiques ou apparentés, la préoccupation qui anime
l’écriture est de démontrer le bien-fondé d’une interprétation, que les faits ne livrent jamais toute
faite. Ici, l’histoire de la voiture du peuple appelle, comme nécessité intellectuelle, la construction
d’une intelligibilité argumentée, car sa « nature » ne va nullement de soi : comment comprendre le
phénomène VW, en quoi consiste-t-il ? Les distinctions à l’intérieur de la filière académique se
dessinent alors précisément selon les réponses apportées à cette question, autrement dit selon les
diverses interprétations avancées ou les perspectives disciplinaires adoptées. La mise en histoire
est ici truffée de controverses « axiomatiques », que viennent nourrir les différents intervenants.
Mobilisant des sources diverses dans leurs formats et des cadres interprétatifs distincts dans leurs
postulats, les essais des historiens et autres intellectuels professionnels se multiplient et se
répondent plus ou moins explicitement, enserrant la Volkswagen dans un espace narratif largement
distinct de celui qu’animent les passionnés : non seulement les emprunts réciproques sont assez
rares, mais en outre la production académique se définit elle-même, et explicitement, comme
opposable à la production hagiographique, dont la qualité est dénigrée. Ainsi, le célèbre historien
américain de l’automobile, James J. Flink, ouvre son ouvrage fondateur, The Car Culture (1975),
par ces mots acerbes :

21“Most automotive history has been written by and for the automobile buff. We are indebted to
him for much of what we know about the history of automobile racing and the mechanical evolution
of the modern motorcar. But for the general reader as well as the scholar, the automobile buff’s
approach to automotive history leaves much to be desired. Invariably beginning with a statement
about the author’s long and passionate love affair with the car, such books are often uncritical,
esoteric, and antiquarian. Many are simply high-priced picture books, soon to be remaindered at
bargain prices, and designed primarily to be attractive ornaments for the coffee table.” (A4 :3).
Tableau 5. Liste des publications académiques consultées. Quand une date est fournie en fin
de référence, elle indique l’édition consultée.

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22Il est évidemment impossible de détailler dans ces pages le contenu des nombreux essais
appartenant à la filière académique, et dont le tableau 5 propose une liste indicative. Relevons
seulement les principales problématiques qui y sont traitées : le débat sur la visée économique ou
militaire du projet « KdF-Wagen » (A3, A6, A9) ; l’influence des structures et des événements
politiques (dont le nazisme) sur les développements technologiques nationaux et sur les
performances économiques des firmes automobiles (A5, A20, A23) ; l’étude des symbolismes
développés par le régime hitlérien, notamment dans le cas du projet Volkswagen (A16, A24, A36) ;
l’approche comparative de politiques socioéconomiques ou de pratiques professionnelles dans
différents pays au cours de périodes données, dont le développement du projet Volkswagen
compte parmi les expressions significatives (A39, A42) ; l’instruction historiographique de certains
aspects du développement de la Coccinelle, principalement l’organisation du travail au sein de
l’usine de Wolfsburg sous le nazisme (A27, A28) et son héritage (A14, A23, A30) ; l’étude critique
du phénomène de la motorisation, dans ses aspects politiques, géographiques ou culturels (A4,
A13, A15, A22, A34, A41) ; une histoire détaillée et comparée de l’industrie automobile, y compris
allemande (A7, A17, A32, A38) ; l’analyse sociopolitique du fonctionnement de l’Etat sous le
Troisième Reich, au sein duquel le projet Volkswagen prend sens (A1, A8, A12, A21, A37) ;
l’établissement de biographies assurées (A11, A18, A35) et d’ouvrages référentiels (A26, A31) ;
l’étude des modèles productifs et de la place qu’y occupe l’entreprise Volkswagen (A10, A19,
A29) ; ou encore l’analyse de l’impact sur le paysage publicitaire et culturel américain de
l’innovante campagne promotionnelle pour la Beetle développée par l’agence new-yorkaise Doyle
Dane Bernbach dans les années 1960 (A2, A25)… Comme on le constate, les prises sur le sujet
« Coccinelle » sont nombreuses et l’intensité de son traitement varie sensiblement d’une recherche
à l’autre, allant de l’exposition sommaire à la monographie approfondie.

23Mais au-delà des différences de contenu interprétatif et empirique qui les séparent, les
productions de la filière académique possèdent un trait commun fondamental qui les distinguent
des autres types de mises en histoire : celles-ci visent toujours la VW au travers d’une
problématique de recherche explicitement définie (c’est-à-dire fondée empiriquement et structurée
conceptuellement) et qui jamais ne s’épuise dans – ni n’épuise – la biographie de la Coccinelle.

La filière politique
24La filière dite politique est sans aucun doute celle quantitativement la moins fournie, et
certainement la moins visible, mais elle est néanmoins régulièrement alimentée. Sa visibilité est
moindre dans la mesure où les activités typiques ne sont plus ici des publications, comme dans les
deux filières précédentes, mais prennent des formes plus évanescentes : appels publics, mots
d’esprits, sites ou postes sur Internet, expressions prenant sens dans des arènes socialement
structurées. Dans cette filière, raconter l’histoire de la Coccinelle se présente comme prémisse ou
comme réaffirmation du bien-fondé d’une position politique, présentée comme plus large et plus
fondamentale que la seule biographie de la voiture du peuple. Le sens de cette histoire se retrouve
d’ailleurs entièrement épuisé par sa lecture politique : la Volkswagen y devient un objet éthique
appelant des prises de position individuelles, idéologiquement chargées. L’automobile se fait le
véhicule de valeurs relevant du jugement moral des individus mis en sa présence. En effet, ceux
qui s’expriment ici ne se présentent ni comme experts ni même comme car enthusiasts, mais avant
tout comme citoyens, comme membres d’une communauté politique ou culturelle. C’est à partir
d’un autre point de vue qu’ils prennent la parole : le rapport à la VW prend sens au sein d’une
préoccupation de nature axiologique, au nom des valeurs fondant cette communauté à laquelle les
locuteurs se disent appartenir. Ainsi, contrairement aux deux filières précédentes, l’instruction du
cas VW n’est pas seulement factuelle ou intellectuelle ; ici, les acteurs instruisent l’histoire de la
VW au sens normatif que peut revêtir ce terme : il s’agit de juger cette histoire, et d’en tirer le
positionnement moral et politique adéquat.

25On observe alors que le rattachement généalogique de la Coccinelle au régime national-socialiste


est central dans cette instruction politique. En effet, ses origines nazies feraient d’elle un objet
politiquement marqué, appelant différents positionnements idéologiques de la part de ceux qui en
parlent. Comme le note un observateur, la Coccinelle apparaît comme « one of the most politically
controversial cars ever built » (H45). En réalité, la saisie politique de l’histoire de la Volkswagen
dessine une arène sociale dans lequel se déploient trois modalités typiques d’expression : l’appel
au boycott, le trait d’humour et le témoignage du respect. Ces trois formes d’énoncés ont pour
point commun de faire de la Coccinelle un produit nazi, cette marque de naissance constituant à
leurs yeux son caractère essentiel, par lequel elle est d’abord saisie.

26La première de ces expressions politiques est l’appel au boycott de la VW qui a circulé parmi la
communauté juive de différents pays en Europe et aux Etats-Unis, mais également en Israël,
principalement dans les années d’immédiat après-guerre. Ce message se présentait comme une
mise en application concrète pour ses membres de l’exigence éthique du devoir de mémoire de la
Shoah : la « voiture du peuple » étant une production hitlérienne, son acquisition était présentée
comme un affront affectant la mémoire des victimes de la barbarie nazie. Plusieurs témoignages
font état de cette attitude anti-allemande parmi la communauté juive, notamment aux Etats-Unis
et en Israël (voir tableau 6). Cependant, cette censure de la Coccinelle fit assez rapidement place à
une autre forme de traitement, moins radicale, de son pedigree nazi : l’humour. On trouve des
mentions régulières d’une blague au sujet de la VW circulant dans la communauté juive, fondée sur
la référence implicite à son origine nationale-socialiste, et qui témoigne du fait que cette
généalogie ne laisse pas indifférent : elle consiste à demander combien de Juifs peuvent entrer
dans une Coccinelle, la réponse étant « au moins une centaine, dans le cendrier »
(SCHISSLER, 2001, 11).

Tableau 6. L’appel au boycott de la Coccinelle comme acte politique : quelques témoignages.

« Many Israelis still flatly refuse even to ride in a Volkswagen – and more than just a few North
American Jews will not consider buying VWs. »
« Should an Israeli Buy a Volkswagen ? », Time, 93, April 11, 1969, p. 92.
« I remember when the first Volkswagen was manufactured in Brazil, many Jews would not hear of
buying one and were even outraged when they heard of someone who had. »
T. Landau, « Childhood in Germany », in K. Morris, ed., Odyssey of Exile. Jewish Women Flee the
Nazis for Brazil, Detroit, Wayne State University Press, 1996, p. 31
« [In] the immediate postwar years […] there was also significant anti-German feeling within
American Jewish community, leading to a tacit Jewish boycott of Volkswagen automobiles, Grundig
radios, and travel to Germany. »
G. Cocks, The Wolf at the Door. Stanley Kubrick, History and the Holocaust, New York, Peter Lang,
2004, p. 67.

27A l’autre extrémité du spectre politique, les adeptes du néo-nazisme saisissent eux aussi, mais à
leur manière, la « Käfer » comme objet fondamentalement hitlérien : son succès est expliqué
précisément par la nature du régime politique qui l’a inventée. Elle est présentée comme un
produit aryen, incarnation matérielle de la supériorité de la « race blanche » en matière technique,
économique et politique. Raconter l’histoire de la Coccinelle est l’occasion pour ces citoyens
d’extrême droite, de prouver, si besoin en était, la grandeur du régime hitlérien et d’entretenir la
fascination pour une époque, à leurs yeux malheureusement, révolue. Les positions de ces
admirateurs du nazisme apparaissent donc comme strictement inverses par rapport à celles
observables du côté de la communauté juive. On trouve de telles expressions sur des sites
électroniques d’organisations d’extrême droite ou de nostalgiques du nazisme, qui consacrent des
rubriques ou des forums à l’histoire de la Coccinelle : par exemple, dans la rubrique « Volkswagen
Photos » sur le site de la White Nationalist Community américaine (www.stormfront.org), ou sur le
site « informatif » consacré à Hitler et intitulé « Adolf the Great » (www.adolfthegreat.com), dont
un volet est consacré à la Beetle.

28Objet de jugements de valeur, parce que saisie dans sa nature politique, la Coccinelle semble
jouir dans cette filière mémorielle d’une familiarité moins importante de la part des acteurs, si on la
compare à celle qu’entretiennent avec elle les passionnés et les essayistes dont on a parlé
précédemment. Les connaissances au sujet de son histoire ne résultent visiblement pas, comme
pour ces derniers, d’un frayage personnel avec elle, mais sont mobilisées dans un discours qu’on
pourrait dire de second degré : l’objet témoigne par devers lui de ce que seraient ses qualités
politiques propres (qualités niées par les passionnés au profit de ses qualités techniques, et
problématisées par les essais académiques au travers de cadres interprétatifs spécifiques). Il n’est
nullement besoin d’être un Beetle enthusiast ou un historien averti pour juger ici de la nature de
cette voiture.

29Ce que nous pouvons également observer est l’existence de productions mémorielles mêlant
plusieurs caractères décrits jusqu’ici. C’est le cas, notamment, d’ouvrages de passionnés contenant
des signes évidents d’une lecture politique de l’histoire de la VW, alimentant l’expression de la
fascination plus ou moins explicite de leurs auteurs pour le régime qui l’a développée. L’exemple le
plus accompli de ces produits hybrides est le livre de Saint Loup, Dix millions de Coccinelles, paru
en 1968 (H9). Derrière un format et un style de facture hagiographique se déploie une lecture
fondamentalement idéologique du phénomène VW. Dès l’avertissement qui ouvre le livre, le lecteur
est amené à considérer que « l’automobile représente un moyen d’expression pour la race blanche
et les individualités puissantes qui se meuvent sur le front de son évolution » (p.5). Il présente
d’ailleurs l’écriture de son livre comme « dominée par la nostalgie du surhomme » : « Dans Dix
Millions de Coccinelles […] c’est Friedrich Nietzsche qui tient le volant » précise la jaquette. Les
destins personnels de Porsche et Hitler, ainsi que leur collaboration, sont lus à travers une grille
racialisante largement parente de l’idéologie nazie : la famille Porsche est décrite comme une
lignée « de toutes petites gens, mais issus des profondeurs biologiquement intactes des races
germaniques et ouverts à ce titre aux plus grandes destinées créatrices » (p.16), tandis qu’il est
fait plusieurs fois mention de la fourberie des industriels et financiers juifs à laquelle Porsche aurait
eu à faire face, au même titre qu’Hitler (p.18, 33). On comprendra mieux cette mobilisation de la
Coccinelle dans un tel projet d’éducation « des jeunes générations avides de rudes batailles et de
sommets difficiles, des générations auxquelles les autres maîtres à penser de l’heure ne proposent
absolument rien » (nous sommes en 1968 !) si l’on sait que Saint-Loup adhéra au national-
socialisme dans les années 1930 et fut pendant la Seconde Guerre mondiale un actif collaborateur
et devint membre de la Légion des Volontaires Français puis de la Waffen-SS sur le front de l’Est
(auxquelles il consacra d’ailleurs des ouvrages après-guerre). De leur côté, les publications
académiques supervisées par le célèbre historien Hans Mommsen (A27, A28) contiennent
également une dimension politique, mais strictement contraire par rapport à l’orientation de Saint-
Loup : les recherches historiques sur le travail forcé à l’usine de Wolfsburg y viennent soutenir
différentes initiatives d’éducation des jeunes et moins jeunes à l’antifascisme et à la démocratie –
mise en œuvre d’un devoir moral qui serait nécessairement appelé par cet épisode de l’histoire de
VW.

30La filière iconique

 8 Voir le site du Trésor autrichien (www.austrian-mint.at). La légende de la nouvelle pièce précise q (...)

 9 Welle:Erdball, Vw-Käfer & 1000 Tage, Hannover, SPV, 2001. Plusieurs passages du texte de cette chan (...)

31Si, dans la filière politique, la mise en histoire de la Coccinelle rattache inévitablement celle-ci à
ses racines nationale-socialistes, il en va tout autrement dans une quatrième et dernière filière
mémorielle, que nous dirons iconique. En effet, il est possible de dégager un autre ensemble de
pratiques et de figures typiques par lesquelles se déploie un mode spécifique de traitement de
notre voiture. Elle se voit ici intégrée dans une démarche de production culturelle, insérée dans un
style d’expression propre à son auteur, qui saisit la VW comme image faisant référence, comme
signe de l’histoire – plus exactement de l’histoire d’un collectif, auquel l’énoncé iconique fait
précisément allusion, de manière plus ou moins explicite. Ces énonciations iconiques, outre le fait
qu’elles s’incarnent dans des objets d’une grande diversité (cf. infra), se caractérisent par deux
principaux traits communs. Le premier est le fait que l’histoire de la VW y est détachée de son
épisode nazi. Dans certains produits, celui-ci est simplement absent ; dans d’autres, il est
mentionné, mais par le recours à divers procédés similaires à ceux utilisés par les passionnés de la
filière hagiographique, il est présenté comme élément contextuel sans lien essentiel ou
indépassable avec la Coccinelle – à défaut de quoi l’auteur risquerait de voir son produit considéré
comme support idéologique, caractère incompatible avec la visée iconique. On préfère ici évoquer
la période de renaissance et de croissance de la production de la Coccinelle, qui s’étend sur les
décennies 1950 et 1960, ou la figure de Ferdinand Porsche, qui traverse le vingtième siècle sans se
limiter ou se résumer au moment du Troisième Reich. Le second trait commun aux productions de
la filière iconique est qu’elles s’adressent à un public qui n’est pas d’abord ou uniquement celui des
passionnés automobiles, voire même qui ne les inclut que par incidence, ou de manière dérivée.
Ces productions visent des publics différenciés, attachés non pas (d’abord) à la Volkswagen mais
aux types mêmes de ces productions, ou éventuellement à des amateurs d’automobiles en un sens
plus général. Quand le romancier allemand Günter Grass consacre un des cent chapitres de son
livre Mon siècle (Seuil, 1999) à l’achat d’une Coccinelle par un ménage ouvrier allemand avant la
guerre et à son désarroi, au début des années 1950, de ne pas encore l’avoir reçue, il s’adresse à
l’ensemble de son lectorat potentiel, et non aux seuls passionnés de ce modèle ; quand l’Etat
autrichien frappe une pièce de 50 schillings à l’effigie de Ferdinand Porsche 8, les numismates font
partie du public potentiellement intéressé, aussi bien que les adeptes de la marque automobile ;
quand le groupe de musique électronique allemand Welle :Erdball produit en 2001 un morceau
intitulé « VW-Käfer »9, il vise avant tout le public des amateurs de ce genre musical, bien plus que
– sinon nullement – les Beetle enthusiasts.

32Il nous faut néanmoins préciser en quoi ces productions iconiques s’apparentent à des mises en
histoire. Comment, en effet, le caractère mémoriel s’y manifeste-t-il ? Sans aborder ici la question
de la réception et de l’interprétation de ces produits par les publics (opération dans lesquelles on
situe généralement les mécanismes de l’évocation historique), il est possible de dégager trois
modalités de mobilisation de la mémoire :

1. la patrimonalisation, entendue comme processus de production d’objets de célébration de


l’histoire de la VW ou de ses protagonistes par des autorités institutionnelles : pièces de
monnaie, timbres postaux, plaques de rue, etc. ;
2.
o 10 Modèle produit par la marque italienne Rio, spécialisée dans les « voitures d’époque miniatures de (...)

le traitement vintage, c’est-à-dire la production d’objets de consommation les plus divers


mobilisant une iconographie ancienne de la VW. On peut citer ici quelques exemples de tels
produits « rétros » : un modèle réduit de la « Volkswagen KdF 1939 »10, une tasse en fer
blanc flanquée d’un ancien emblème VW, un calendrier perpétuel dénommé « European
Vintage Cars » (édité par Thusita) dont l’image du mois d’août est une vieille publicité « The
Beetle : Amazing », la reproduction d’anciennes affiches publicitaires VW sur différents
supports (cadres en verre ou plaques émaillées), un « scrapbook » (album de découpages)
intitulé « Millenium Bug », mais aussi le disque du groupe Welle Erdball mentionné plus haut,
illustré d’images de la VW datant des années 1950 ;

3.
o 11 C’est notamment le cas de romans, de films et séries télévisées (comme « The Love Bug » de Walt Dis (...)

le commentaire associé, qui accompagne la diffusion de l’œuvre : dans de nombreux cas, les
objets proposés ne contiennent aucune référence historique explicite, et ceux-ci ne peuvent
donc être considérés comme des productions mémorielles au sens strict11 ; par contre, pour
un certain nombre d’entre eux, les commentaires qui sont associés à leur publicisation en
précisent les significations par un passage par la mise en histoire. Exemple célèbre : le disque
« Autobahn » du groupe allemand Kraftwerk, sorti en 1974, est illustré par une jaquette
représentant une autoroute, traversant un paysage bucolique et ensoleillé, sur laquelle
circulent deux autos : une Mercedes et une VW. Si cette illustration ne contient en elle-même
aucune référence historique explicite (les modèles des voitures étant ceux en circulation à
l’époque), il reste que les commentaires fournis par les membres de Kraftwerk lors
d’interviews et par les journalistes après eux ne manquent pas de faire référence au passé de
l’autobahn et de la Coccinelle (Bussy, 1996, 63-68). On peut également mentionner dans cette
rubrique la publication de l’œuvre du photographe allemand Peter Keetman intitulée « Eine
Woche im Volkswagenwerk » : réalisée en avril 1953, cette série photographique consacrée à
l’usine VW ne sera publiée pour la première fois sous forme d’ouvrage qu’en 1985,
accompagnée de trois essais précisant différents aspects de l’histoire de la Coccinelle et
permettant de mieux saisir le sens et la portée de l’œuvre (Sachsse, 1987). De son côté,
l’ouvrage de Günter Grass déjà cité « ne prétend pas constituer une grande fresque ni
retracer même sommairement l’Histoire, pourtant constamment présente », précise le
quatrième de couverture : la mise en scène de l’épisode Volkswagen à travers le regard d’une
femme modeste joue comme évocation (et non comme historiographie) de l’histoire du
peuple allemand.

 12 Par exemple : J.B. Twitchell, Twenty Ads that Shook the World, New York, Three Rivers Press, 2000 ; (...)

 13 Les éditions « Porsche Museum » développent une politique de publications prestigieuses et multilin (...)

33Dans tous ces cas, la « mise en œuvre » de la VW passe ainsi par sa mise en histoire, incluse
dans l’objet lui-même ou attachée à ses entours. Mais contrairement à ses traitements passionnels,
intellectuels ou politiques, sa saisie se veut avant tout le moyen d’une évocation : la Coccinelle fait
signe pour autre chose qu’elle-même, engageant un jugement d’ordre ludico-esthétique de la part
des auteurs et des récepteurs de ces œuvres, ici rassemblés par le jeu du bel objet (le beau
timbre, le beau calendrier, le bon disque, les belles photographies, etc.). Et aux frontières de cette
filière mémorielle, on trouve, comme dans les cas précédents, des produits au statut hybride,
mêlant la saisie iconique avec d’autres logiques. Citons notamment les travaux académiques qui
prennent précisément comme objet la dimension iconique du phénomène VW (A2, A25, A33, A41),
des ouvrages grand public consacrés à des objets (dont la Cox) devenus des icônes du temps 12, ou
encore l’auto-iconisation entretenue par les musées VW « Autostadt » (Wolfsburg) et Porsche
(Stuggart) – formes institutionnalisées de la passion – non seulement dans l’exposition des
véhicules ou l’organisation de visites des usines (OTGAAR ET AL., 2010) mais également dans la
publication de livres à la composition luxueuse, objets d’admiration alimentant l’admiration de leur
objet13. Et là comme ailleurs, ces produits ne manquent de fournir leur historique de la Coccinelle…

Conclusion : un panorama d’historiques


34Cherchant à rendre compte d’une manière sociologiquement intelligible de la profusion des
formes d’exposition publique de l’histoire de la Coccinelle VW, nous avons tracé les figures idéales-
typiques du traitement qui pouvait lui être réservé. Pour identifier ce que nous avons appelé des
filières mémorielles, nous avons distingué les diverses modalités de la mise en histoire de ce
modèle automobile, ainsi que les modes sur lesquels celui-ci venait à exister à travers elles,
engageant eux-mêmes des définitions distinctes de sa nature et de sa généalogie. Au total, ce sont
quatre filières qui ont été présentées : une filière hagiographique, faisant exister la Coccinelle
comme objet technique unique soulevant les passions ; une filière académique, la faisant exister
comme objet épistémique appelant des interprétations ; une filière politique, la faisant exister
comme objet éthique nécessitant des prises de position ; et une filière iconique, la faisant exister
comme objet sémiotique jouant sur les évocations. Comme nous avons pu le signaler à plusieurs
reprises, ces filières possèdent entre elles à la fois des traits communs et des caractères distincts.
Cela signifie que, d’un point de vue théorique, elles ne sont pas articulées les unes aux autres sur
le mode d’une simple liste, de la seule juxtaposition ; elles partagent au contraire un même espace
fait d’attributs partagés, mais qu’elles combinent chacune différemment. En d’autres termes, il est
possible non pas seulement d’en dresser la liste, mais également d’en dessiner la typologie.

35Pour ce faire, il nous semble opportun de se fonder sur les deux dimensions qui apparaissent
comme les plus discriminantes pour l’identification des différentes filières mémorielles, à savoir,
d’un côté, la nature de la révélation qu’opère le travail de mise en histoire aux yeux de ses auteurs
et, d’un autre côté, la logique de filiation qui anime ce même travail. En effet, on peut d’abord faire
une distinction entre les pratiques discursives qui valorisent la révélation des faits, d’une part, et
celles qui privilégient la révélation des symboles, d’autre part. Dans les filières hagiographiques et
académiques, on cherche à révéler des faits, et ce qui peut être révélé à propos de la Volkswagen
ne peut provenir que des faits ; par contre, dans les filières politiques et iconiques, ce sont
nécessairement des ensembles symboliques (idéologies, valeurs, œuvres, etc.) qui se révèlent à
travers ses mises en histoire. Par ailleurs, une autre distinction générale peut être opérée entre des
traitements qui considèrent l’épisode nazi comme central ou au contraire comme périphérique dans
l’histoire de la Coccinelle, comme synecdoque ou au contraire comme anecdote de cette histoire.
Alors que les filières hagiographiques et iconiques opèrent un découplage entre ces deux destinées
(celle du régime hitlérien et celle du véhicule automobile), les filières académiques et politiques
essentialisent leur relation, notamment en la chargeant de questions fondamentales, à la fois
épistémologiques et morales. L’espace typologique comprenant les quatre filières mémorielles peut
alors se dessiner de la manière suivante :

Tableau 7. Typologie des filières mémorielles

Filières Révélation de faits Révélation de symboles

Dé-nazification Hagiographique Iconique

Re-nazification Académique Politique

36Au terme de cette enquête, il apparaît assez clairement que, derrière ce qui peut être perçu
comme une constellation insaisissable de productions discursives hétérogènes évoquant l’histoire
de la Coccinelle, se déploient des constructions mémorielles certes fort différentes, mais néanmoins
récurrentes et consistantes. Leurs caractères respectifs proviennent de la combinaison
différentielle, dans les pratiques concrètes des acteurs, d’un nombre restreint d’axiomes au sujet
de la nature de cet objet et de son histoire, ainsi que de l’application d’une gamme relativement
limitée de procédés expressifs. Et si, précisément, il existe non pas une mais des mémoires de la
Coccinelle, c’est parce que, selon nous, ses traits d’objet-possédant-un-passé offrent des prises
diverses, mais non point infinies, pour ceux qui désirent en véhiculer, en discuter ou en
commémorer l’histoire (JEWSIEWICKI & LÉTOURNEAU, 1996, 15-16). Entrer en sociologue dans les
arcanes de ces multiples mises en histoire est alors une manière, parmi d’autres, d’étudier les
cadres sociaux de la mémoire collective, dont Halbwachs (1925, 221) disait avec raison qu’elle « ne
conserve pas le passé, mais le reconstruit ».

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Bibliographie

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Notes

1 Précisons que nous n’avons considéré que les ouvrages parus en anglais, français et néerlandais, ne
maîtrisant pas d’autres langues. Bien qu’il existe évidemment de nombreuses publications en allemand
sur le sujet qui nous intéresse ici, il faut savoir qu’une partie importante d’entre elles ont fait l’objet de
traductions en anglais.

2 Dans sa préface de l’ouvrage de Thiriar (H50), Ferry Porsche, le fils de Ferdinand, saisit avec justesse
la figure typique de l’auteur passionné : il s’agit d’individus « who devoted so much of themselves to
Porsche, even though their profession has nothing to do with our marque ». On recense ainsi, parmi eux,
un employé bancaire (H60), un pédiatre (H50), des employés du secteur automobile (H45, H18), un
laveur de vitres (H14), un gérant de commerce devenu journaliste (H3)… Parmi les ouvrages consultés,
22 sont signés par des auteurs se présentant comme journalistes.

3 Ainsi, sur la jaquette du livre L’épopée Porsche (H50) on trouve alignés le profil de différents véhicules
dessinés par Porsche, de la Coccinelle au char Tigre, en passant par le Type A de l’Auto Union, signifiant
graphiquement leur appartenance commune à une lignée de purs objets techniques. Même les quelques
ouvrages entièrement consacrés aux véhicules militaires du Troisième Reich conçus par Porsche (H30,
H53) se présentent comme animés par la seule passion du génie technique, et non par celle du nazisme.

4 Propos de Schilperoord sur son site « The True Story of the Beetle » (www.ganz-volkswagen.org).

5 Ganz dit à propos de sa vie qu’elle constitue « a crime story even Hitchcock could not invent »
(H57 :10).
6 A l’exception notable de H45, dont l’auteur est reconnu comme une autorité en matière d’histoire de la
VW.

7 Pour reprendre l’expression de Passeron (2006, 557), qui fait de ce découpage la première opération
caractérisant la saisie du monde empirique par les disciplines relevant des sciences historiques.

8 Voir le site du Trésor autrichien (www.austrian-mint.at). La légende de la nouvelle pièce précise que
Porsche est « le constructeur de la voiture la plus vendue au monde : la Coccinelle Volkswagen ».

9 Welle:Erdball, Vw-Käfer & 1000 Tage, Hannover, SPV, 2001. Plusieurs passages du texte de cette
chanson ont des résonances historiques : l’expression « Die Welt ist schön » évoque le titre homonyme
du célèbre essai photographique d’Albert Renger-Patzsch (chef de file du mouvement Neue Sachlichkeit,
la Nouvelle Objectivité) paru en 1928, tandis qu’un sampling reprend la voix d’une publicité pour la VW
datant des années 1950 (« … un der läuft und läuft und läuft… »). Sur l’album Die Wunderwelt der
Technik (SPV, 2002), où est repris ce morceau, le groupe adresse également ses pensées à Ferdinand
Porsche.

10 Modèle produit par la marque italienne Rio, spécialisée dans les « voitures d’époque miniatures de
collection », comme le précisent les indications sur l’emballage.

11 C’est notamment le cas de romans, de films et séries télévisées (comme « The Love Bug » de Walt
Disney) ou d’œuvres d’art (pour plusieurs exemples, voir SILK, 1984) qui, bien que la mobilisant,
n’expriment aucune mise en histoire de la Coccinelle VW.

12 Par exemple : J.B. Twitchell, Twenty Ads that Shook the World, New York, Three Rivers Press, 2000 ;
C. Sievers & N. Schröder, Objets. Les objets cultes du XXe siècle, Paris, La Martinière, 2007 [2001] ; P.
Massó, L’héritage des 60’s. Objets, mode, design, moments, styles de vie, Paris, YB Editions, 2010.

13 Les éditions « Porsche Museum » développent une politique de publications prestigieuses et


multilingues, dont ces deux ouvrages : Ferdinand Porsche and the Volkswagen (Köln, DuMont, 2009)
et The Porsche Book. The Best Porsche Images (Kempen, TeNeues, 2010), livres aux formats originaux
et aux prix impressionnants !
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Titre Tableau 2. Evolution des volumes de parution d’ouvrages


hagiographiques

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Pour citer cet article

Référence électronique
Pierre LANNOY, « Les mémoires d’une automobile (pas) comme les autres. La Coccinelle VW et ses mises
en histoire », Conserveries mémorielles [En ligne], #17 | 2015, mis en ligne le 04 juin 2015, consulté le
30 octobre 2022. URL : http://journals.openedition.org/cm/2136
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Auteur

Pierre LANNOY
METICES – Institut de Sociologie - Université libre de Bruxelles

Pierre Lannoy est Chargé de cours en sociologie à l’Université libre de Bruxelles (Belgique). A côté de ses
enseignements en sociologie générale, en méthodologie qualitative et en épistémologie, il développe des
recherches au sujet des pratiques de mobilité spatiale, d’une part, et des processus sociohistoriques qui
ont institué l’automobile comme objet d’investissement pour différents savoir-faire, professionnels ou
profanes, d’autre part. Sur ces thèmes, il a notamment publié : « Les visiteurs et leurs clichés, figures de
l’activité photographique au musée Autoworld de Bruxelles » (avec V. Marziali), in Chaumier S., Krebs A.,
Roustan M., dir., Visiteurs photographes, Paris, La Documentation française, 2013 ; « Montrer la nation
au travail. Productions et usages des images du travail dans l’industrie automobile durant l’entre-deux-
crises (1929-1973) », in Géhin J.P., Stevens H., dir., Images du travail, travail des images, Rennes,
Presses Universitaires de Rennes, 2012 ; « L'usine, la photographie et la nation. L'entreprise automobile
fordiste et la production des photographes industriels », Genèses, 80, 2010 ; « Le deuxième corps du
soi. Le tuning automobile et le gouvernement des passions », in Lebeer, G., Moriau, J., dir., (Se)
Gouverner. Entre souci de soi et action publique, Peter Lang, Bruxelles/Berlin/Oxford, 2010 ; « Produire
la voiture populaire et sauver le peuple de la ville. Les desseins du populisme automobile chez Ford,
Hitler et Renault », Articulo. Journal of Urban Research, Hors série n° 1, 2009 ; La mobilité généralisée,
Bruxelles, Academia-Bruylant, 2007.

Pierre Lannoy (b. 1972, Ph.D in Sociology) is Assistant Professor at the Université Libre de Bruxelles
(Belgium). He is responsible for courses in Sociological Theory, Qualitative Methodology, and
Epistomology. His research work is devoted to two main fields : sociological studies of spatial mobilities,
and the sociocultural frames of automobilism. On these topics, his main publications are : Les visiteurs et
leurs clichés, figures de l’activité photographique au musée Autoworld de Bruxelles (with V. Marziali), in
Chaumier S., Krebs A., Roustan M., dir., Visiteurs photographes, Paris : La Documentation française,
2013 ; Montrer la nation au travail. Productions et usages des images du travail dans l’industrie
automobile durant l’entre-deux-crises (1929-1973), in Géhin J.P., Stevens H., dir., Images du travail,
travail des images, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2012 ; L'usine, la photographie et la
nation. L'entreprise automobile fordiste et la production des photographes industriels, Genèses,
80/2010 ; Le deuxième corps du soi. Le tuning automobile et le gouvernement des passions, in Lebeer,
G., Moriau, J., dir., (Se) Gouverner. Entre souci de soi et action publique, Bruxelles/Berlin/Oxford : Peter
Lang, 2010 ; Produire la voiture populaire et sauver le peuple de la ville. Les desseins du populisme
automobile chez Ford, Hitler et Renault, Articulo. Journal of Urban Research, Special Issue 1/2009 ; La
mobilité généralisée, Bruxelles : Academia-Bruylant, 2007.

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 La hantise du précédent en photographie. Généalogies médiumniques et formes de revenances dans la


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Paru dans Conserveries mémorielles, #18 | 2016

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 #23 | 2018
Que pense le jeu vidéo ?

 #22 | 2018
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 #21 | 2017
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 #20 | 2017
L'Histoire du temps présent : Amérique Latine, Caraïbes, Espagne

 #19 | 2016
Objets, phares des musées canadiens

 #18 | 2016
Revenances et hantises

 #17 | 2015
Mobilité, espace et temps. Quelle mémoire pour la réalité augmentée ?

 #16 | 2014
Patrimoines et images animées : mutualiser les regards
 # 15 | 2014
Les courbes du temps: trajectoire, histoire et mémoire

 #14 | 2013
Les saints et la sainteté.

 #13 | 2013
Frontières, barrières, horizons. Réinterroger l'histoire et les mémoires de la migration

 # 12 | 2012
Publics de cinéma. Pour une histoire des pratiques sociales

 # 11 | 2011
Mémoire et travail

 # 10 | 2011
Angles morts

 #9 | 2011
Les représentations du passé : entre mémoire et histoire

 #8 | 2010
Foules, événements, affects

 #7 | 2010
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La Part de fiction dans les images documentaires

 #5 | 2008
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