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Thèse 2010 Open Access

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Les déterminants des investissement en efficacité énergétique des


entreprises : dimensions stratégique et culturelle de la décision d'investir

Cooremans, Catherine

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COOREMANS, Catherine. Les déterminants des investissement en efficacité énergétique des


entreprises : dimensions stratégique et culturelle de la décision d’investir. 2010. doi: 10.13097/archive-
ouverte/unige:14997

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Publication DOI: 10.13097/archive-ouverte/unige:14997

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LES DETERMINANTS DES INVESTISSEMENTS EN EFFICACITE
ENERGETIQUE DES ENTREPRISES
Dimensions stratégique et culturelle de la décision d'investir

Thèse présentée à la Faculté des sciences économiques et sociales de l’Université


de Genève

Par Mme Catherine Cooremans

pour l’obtention du grade de


Docteur ès sciences économiques et sociales
mention : gestion d'entreprise

Membres du jury de thèse :

M. Pascal DUMONTIER, Professeur, Co-directeur de thèse, CERAG, Grenoble


M. Eberhard JOCHEM, Professeur, ETH Zürich
M. Michel ORIS, Professeur, Président du jury, Université de Genève
M. Olivier OUZILOU, Responsable de l’unité Bâtiment, Energie, Territoire (BET), BG
Ingénieurs Conseils, Lausanne
Mme Susan SCHNEIDER, Professeure, Co-directrice de thèse, Université de Genève

Thèse N° 736
Genève, le 29 septembre 2010
La Faculté des sciences économiques et sociales, sur préavis du jury, a autorisé
l’impression de la présente thèse, sans entendre, par là, n’émettre aucune opinion
sur les propositions qui s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la
responsabilité de leur auteur.

Genève, le 29 septembre 2010

Le doyen
Bernard MORARD

Impression d’après le manuscrit de l’auteur


Executive summary

La rentabilité est un facteur secondaire dans les choix d'investissement des entreprises.
Le caractère stratégique de l'investissement est le facteur d'influence prioritaire dans ces
choix. En contradiction avec l'approche dominante économico-financière, telle est la thèse
soutenue dans la recherche. Elle est formulée et développée en appliquant les concepts et
résultats des domaines de la décision stratégique et de la finance organisationnelle au domaine
de la décision d'investissement en efficacité énergétique.
Cette approche conduit à aborder sous un angle complètement nouveau la question de
l'"energy-efficiency gap", ce déficit d'efficacité énergétique souvent observé dans les
entreprises, qui se traduit par un potentiel rentable d'économies d'énergie.

1. Contexte et questions de recherche

Pourquoi des entreprises à but lucratif négligent-elles des opportunités


d'investissement susceptibles d'accroître leur profit ? Cette question fait l'objet de débats
depuis quatre décennies. Les économistes de l'énergie soutiennent que ces investissements ne
sont pas décidés parce que leur rentabilité n'est qu'apparente (en raison de coûts de
transaction, de coûts cachés ou d'un niveau élevé de risque) et/ou parce qu'un certain nombre
de défauts, dans les marchés de l'énergie ou dans les organisations (market ou organizational
failures) empêchent les marchés de l'énergie de fonctionner correctement. Cette
argumentation n'est pas satisfaisante, d'une part, parce qu'elle ne permet pas d’expliquer les
différences de comportement qui ont été constatées entre entreprises du même secteur
d’activité et, d'autre part, parce que la rentabilité estimée de certains projets est tellement
élevée qu’aucune des explications proposées ne permet d’expliquer pourquoi ils sont rejetés
par l’investisseur potentiel. Un courant de recherche "alternatif" au mainstream des
économistes de l'énergie met en évidence le rôle de nombreux facteurs humains et
organisationnels sur la décision d'investir, rôle qui relativise ipso facto l'importance
décisionnelle des critères financiers de rentabilité; mais il n'explique pas les modalités et les
conséquences de ces influences faute d'un cadre théorique.

I
Dans ce contexte, les questions de recherche suivantes sont formulées:

• Pourquoi existe-t-il dans de nombreuses entreprises un potentiel


rentable d'économies d'énergie ?
 Pourquoi les entreprises ont-elles des comportements différents en
matière de décisions d’investissement en efficacité énergétique, et
plus généralement, en matière de gestion de l’énergie?

Ces questions n'ont pas trouvé de réponses satisfaisantes à ce jour. Elles prennent une
importance nouvelle dans un monde menacé par le changement climatique et l'insécurité
énergétique: l'efficacité énergétique1 est en effet le moyen le plus efficace, le plus rapide et le
plus économique de lutter contre ces problèmes.

2. Cadre théorique, thèse et hypothèses

Pour répondre à ces questions, un cadre conceptuel est proposé après avoir effectué
une exploration théorique de la décision d'investir dans le domaine de la décision dans les
organisations. J'ai construit le schéma ci-dessous pour le représenter.

Contexte externe
Facteurs environnementaux

Contexte interne
Facteurs organisationnels

Processus d’investissement
Build up Evaluation Mise en
Initial idea Diagnosis
solutions & Choix œuvre

Caractéristiques de l’investissement
Caract. analytiques, contenu, nature stratégique
Acteurs
Facteurs individuels

Figure 1 – Les déterminants de la décision d'investissement

1
Energy efficiency refers to the ratio between energy output (services such as light, heat and mobility) and input
(fuels).” (IEA, 2002, p. 3).

II
Comme le montre ce schéma, quatre catégories de facteurs influencent les choix
d'investissement des organisations. Ces catégories sont les suivantes : le processus décisionnel
et les contextes organisationnel et externe dans lesquels ce processus décisionnel est inséré;
les acteurs participant au processus et, enfin, les caractéristiques de la décision d'investir elle-
même. Parmi les caractéristiques, la nature stratégique de l'investissement considéré est un
facteur décisionnel important, plus important que la rentabilité.
Au terme d'une exploration théorique des notions de stratégie et de décision
stratégique (voir pp. 192 et ss.), une définition de la décision stratégique d'investir est
proposée, qui est la suivante : une décision d'investissement est stratégique si elle contribue à
créer, maintenir ou développer un avantage concurrentiel durable. Cette définition implique
d'une part qu'une décision n'est pas simplement stratégique ou non stratégique, mais plus ou
moins stratégique – ou non stratégique. Cette définition implique d'autre part que la
contribution à l'avantage concurrentiel est la composante principale du caractère stratégique
de la décision d'investissement.
Deux grands courants de la littérature en management stratégique ont prôné les
moyens permettant de construire ou de développer l'avantage concurrentiel : l'approche par les
activités et l'approche par les ressources. Ces deux courants s'accordent sur le concept d'un
avantage concurrentiel à deux composantes : d'une part la valeur de l'offre qu'une entreprise
propose à ses clients et, d'autre part, les coûts qu'elle supporte pour construire cette offre.
Cette approche d'un avantage concurrentiel à deux dimensions – valeur et coûts –
semble cependant incomplète : il y manque la dimension du risque. En effet, toute décision
comporte une part de risque, puisqu'une décision consiste à faire un choix dans l'incertain2.
Différents cadres théoriques – risque stratégique, dépendance des ressources et RBV
conduisent à prendre le risque en compte comme la troisième composante de l'avantage
concurrentiel, en complément des dimensions valeur et coût identifiées plus haut. Selon
l'analyse menée dans la section Mesure de l'avantage concurrentiel du chapitre Méthodologie
(voir pp. 248 et ss.), il convient de définir l'avantage concurrentiel comme un concept
tridimensionnel, formé de trois composantes interreliées : coûts – valeur – risques. J'ai
construit le schéma ci-dessous pour représenter très simplement ces trois dimensions.

2
Selon la définition donnée p. 116.

III
Valeur

Coûts Risque

Figure 44 – Les trois composantes de l'avantage concurrentiel

Cependant les investissements ne sont pas stratégiques – ou pas seulement – pour des
raisons objectives. Ils sont interprétés comme tels par les décideurs, et par les organisations,
notamment par l'intermédiaire des systèmes de contrôle, ou de gestion, qui jouent un rôle de
filtre.
Basée sur le cadre théorique de la décision d'investissement résumé très brièvement ci-
dessus3, la thèse suivante est formulée, en réponse aux questions de recherche :

Il existe un potentiel rentable d'économies d'énergie dans les


entreprises principalement parce que les entreprises considèrent
comme faiblement stratégiques les investissements en efficacité
énergétique qui permettraient de réduire ce potentiel; la perception du
caractère stratégique de l’investissement est influencée par le niveau
de gestion de l’énergie des entreprises, ce qui explique, au moins en
partie, les différences de comportement entre entreprises.

Pour compléter cette assertion, deux hypothèses sont formulées, en réponse aux
questions de recherche :

 Hypothèse no. 1 : les décisions d'investissements en efficacité


énergétique ont un faible caractère stratégique pour de nombreuses
entreprises.
 Hypothèse no. 2 : le niveau de gestion de l’énergie de l’entreprise exerce
une influence sur la perception du caractère stratégique de
l’investissement en efficacité énergétique.

3
Décrit plus longuement p. 232 et ss.

IV
3. Méthodologie
Pour tester ces hypothèses, la recherche empirique a été menée avec le concours du
Service Cantonal de l'Energie de Genève, dans le cadre du programme genevois de réduction
de la demande d'électricité, NOE, toujours en cours actuellement, dont l'objectif est de réduire
la consommation électrique des bâtiments ou des sites industriels, toutes activités confondues,
qui consomment plus de 1 GWh d'électricité par an. Les entreprises, administrations
publiques et organisations internationales participantes, "les requérants", postulent de manière
volontaire. Cent trente bâtiments ou sites participent au programme, qui totalisent environ
22% de la consommation totale d'électricité du canton de Genève. Ces bâtiments
correspondent à environ 70 requérants, dont cinquante-neuf entreprises. Trente-cinq de ces
entreprises (voir p. 263 et ss.) ont participé à l'enquête, qui a consisté en deux volets
complémentaires (voir p. 268 et ss.) : interviews et questionnaires s'adressant aux
responsables de l'énergie dans les entreprises; questionnaires s'adressant aux responsables
financiers.

4. Résultats et discussion

Dans le contexte de classification des projets et de compétition entre eux, et au-delà


des questions que peuvent susciter les pratiques financières parfois peu orthodoxes des
entreprises, le caractère stratégique des projets est bien le déterminant principal des choix
d'investissements. Les réponses des managers genevois confirment les résultats des études
antérieures4, en relativisant l'influence de la rentabilité et des méthodes d'évaluation
financière. La rentabilité de l'investissement apparaît comme une condition généralement
nécessaire mais non suffisante. Presque toutes les entreprises classent les projets
d’investissements selon une typologie préexistante. La catégorie influence la/les démarches
d'analyse appliquées au projet (études de rentabilité, de risque, commerciale, technique,
juridique, écologique, voir p. 277), les méthodes financières utilisées pour évaluer la
rentabilité, et les étapes que doit suivre le dossier. Dans la typologie utilisée par les

4
Plusieurs recherches empiriques ont montré l'importance des facteurs stratégiques dans la prise de décision et
du lien entre décisions d'investissement et objectifs ou enjeux stratégiques de l'entreprise : non seulement celles
de De Bodt et Bouquin (2001) et Van Cauwenbergh et al. (1996), reprises pour la présente recherche, mais aussi
celles d'Alkaraan et Northcott (2007, 2006); Burcher et Lee (2000); Butler (1991); Carter (1971); Carr et
Tomkins (1996); Maritan (2001); Putterill, Maguire, Sohal (1996); Segelod (1995). Voir p. 176 et ss.

V
entreprises, les catégories utilisées le plus fréquemment sont les catégories en lien avec le
métier (voir p. 271 et ss.).
En ce qui concerne plus précisément les investissements en efficacité énergétique (voir
p. 285 et ss., et p. 292 et ss.), trois conclusions principales se détachent des résultats de la
recherche empirique: premièrement, les investissements en efficacité énergétique sont perçus
en moyenne comme peu stratégiques par les managers du secteur secondaire et comme
modérément stratégiques par les managers du secteur tertiaire. L'hypothèse no. 1 est donc
corroborée pour les entreprises du secteur secondaire et partiellement corroborée pour les
entreprises du secteur tertiaire. Deuxièmement, des trois variables qui composent le caractère
stratégique de l'investissement, c'est la variable "coûts" qui est perçue comme étant la plus
importante. Cependant les coûts énergétiques sont perçus comme peu importants par les
managers finance, et la perspective d'une réduction des coûts n'est donc pas une motivation
très puissante pour une décision d'investissement. Le poids de la logique financière doit à
nouveau être relativisé. La troisième conclusion importante à retirer des résultats de la
recherche est celle de la diversité des comportements et des interprétations d'une entreprise à
l'autre – y compris des entreprises actives dans le même secteur d'activités – et d'un manager à
l'autre. Cette diversité se manifeste dans tous les domaines analysés par la recherche :
procédures générales d'investissement (méthodes d'analyse et d'évaluation de la rentabilité,
fixation du taux d'actualisation et durée de l'investissement), comportement d'investissement
en efficacité énergétique, évaluation du caractère stratégique de cette catégorie
d'investissement, évaluation des facteurs stimulants et bloquants ces investissements, niveau
de gestion de l'énergie.
A propos de la dimension culturelle des investissements en efficacité énergétique,
quatre conclusions importantes peuvent être tirées des résultats de la recherche :
premièrement, le lien entre le niveau de gestion de l'énergie de l'entreprise et la perception du
caractère stratégique des investissements en efficacité énergétique n'est pas établi (voir p. 310
et ss.) et l'hypothèse 2 n'est pas validée par la recherche; deuxièmement, des influences
culturelles jouent néanmoins, de façon incontestable, un rôle important sur les perceptions que
se font les gestionnaires de ces investissements et expliquent, au moins en partie, les
différences de comportement entre entreprises; troisièmement, la culture de l’entreprise joue
un rôle plus important que la culture du secteur d’activité; quatrièmement, le niveau
généralement bas de la gestion de l'énergie dans les entreprises est un résultat qui n'est pas
anodin et mérite discussion.

VI
La thèse énoncée peut être considérée comme raisonnablement5 validée dans sa
première partie : un potentiel rentable d'économies d'énergie (energy-efficiency gap)
existe dans les entreprises principalement parce que les entreprises considèrent comme
faiblement stratégiques les investissements en efficacité énergétique qui permettraient de
réduire ce potentiel"; et comme non validée dans sa deuxième partie, qui proposait que "la
perception du caractère stratégique de l’investissement est influencée par le niveau de
gestion de l’énergie des entreprises, ce qui explique, au moins en partie, les différences
de comportement entre entreprises".

5. Conclusion

La recherche s'est avérée utile en ce qu'elle a permis d'augmenter la connaissance des


phénomènes étudiés : décision générale d'investir d'une part, décision d'investir en efficacité
énergétique d'autre part.

Limites et "next steps"

Un certain nombre de défauts ou limites peuvent être reprochés à la recherche


empirique : mode de sélection (choix raisonné) et petite taille de l'échantillon (35 entreprises),
présence du directeur du Service cantonal de l'énergie à certains entretiens, différences dans le
mode d'administration des questionnaires.
En dépit de ses limites, la recherche - la première à faire un lien entre les domaines de
la décision et de la finance organisationnelles d’une part et le domaine des investissements en
efficacité énergétique d’autre part, la première également à tenter d'identifier des différences
dans les perceptions et réponses d'acteurs de différentes fonctions au sein des entreprises 6 - a
quand même réussi à mettre en évidence des tendances intéressantes en matière de
comportement général d'investissement des entreprises, et à valider, au moins partiellement,
un cadre théorique cohérent.
Des recherches complémentaires sont nécessaires. Les travaux futurs doivent
s'inscrire dans deux axes : le premier axe concerne la décision générale d’investissement dans
les entreprises, qui reste mal connue. Beaucoup est à faire, en particulier, pour mieux
comprendre l’impact des caractéristiques du projet considéré sur le processus et les choix

5
Elle n'est pas totalement validée car les entreprises du secteur tertiaire de l'échantillon considèrent comme
"moyennement" stratégiques ces investissements. Ce point mérite aussi une recherche plus approfondie.
6
Dans le domaine de recherche des investissements en efficacité énergétique.

VII
d’investissement. Le deuxième axe de recherche concerne les investissements en efficacité
énergétique.

Contributions de la recherche. "Redesigning the Barriers Framework"

Le modèle théorique proposé est validé comme un outil utile pour analyser les choix
d'investissement des entreprises (et donc, si nécessaire, pour les influencer en amont). La
recherche confirme en effet que la décision d'investir n'est pas le résultat d'une évaluation
financière; elle est le produit du déroulement complexe d'un processus influencé par les
perceptions et le pouvoir des acteurs, par le contexte, et par les caractéristiques du projet
d'investissement lui-même, en particulier son caractère plus ou moins stratégique. Il n'y a pas
de choix optimal en matière d'investissement. Il n'y a pas une rationalité mais des rationalités,
entendues comme les raisons qui sous-tendent les choix des agents économiques, individus et
organisations. L'approche interprétative7 qui sous-tend cette analyse conduit à conclure au
caractère normatif – par opposition à descriptif – de la théorie économique des choix
d'investissement, en relativisant le rôle de la rentabilité, qui est au cœur de cette théorie. Cette
approche conduit aussi à questionner le pouvoir explicatif du modèle de la rationalité limitée
(modèle explicatif "élargi" de l'approche économique8), en mettant en évidence des influences
culturelles qui, en modifiant les interprétations des décideurs, jouent un rôle qui va au-delà de
celui des biais cognitifs mis en exergue par cette théorie.
Ce modèle de la décision d'investir permet de mieux comprendre pourquoi, dans de
nombreux cas, les propositions d'investissements en efficacité énergétique aboutissent à des
non-décisions (en restant en suspens dans les tiroirs des décideurs, comme c'est le cas pour de
nombreux audits énergétiques), ou à des décisions négatives. Au terme de la recherche
théorique et empirique menée au carrefour des domaines de l'économie de l'énergie et de la
décision dans les organisations, l'explication proposée est que l'absence de lien (perçu) avec le
métier conduit à ce qu'un investissement soit catégorisé comme non stratégique, ce qui
implique qu'il sera soumis à des critères de choix plus durs (par exemple un pay-back simple
de très courte durée) et à des restrictions en capital. La mise en évidence du rôle joué par
la/les cultures présentes dans les entreprises sur la perception du caractère stratégique de
l'investissement en efficacité énergétique, permet d'expliquer les différences de comportement
ayant été observées entre entreprises appartenant au même secteur d'activité et présentant les
mêmes caractéristiques.

7
Voir p. 205 et ss.., p. 219 et ss...
8
Voir p. 67 et ss.

VIII
Cette analyse conduit aussi à revisiter le concept de barrières organisationnelles à
l'efficacité énergétique et à proposer une explication nouvelle à l'existence d'un "energy
efficiency gap", cette situation étrange dans laquelle des entreprises à but lucratif, négligent
des sources d'accroissement de leur profit. Notre modèle théorique de la décision d'investir,
et les résultats de la recherche empirique, conduisent en effet, en alternative à l'approche
dominante des économistes de l'énergie, à proposer un autre modèle explicatif des barrières
organisationnelles à l'efficacité énergétique, qui est représenté par le tableau ci-dessous.

Barrière
“cachée”
Barrière
“réelle”
Barrières
“symptômes”
Barrière
“base” Dimension
Caractère culturelle
non
Coûts cachés
stratégique
Accès au capital,
Information Risque, etc.

Figure 54 – "Redesigning the Barriers Framework"

Ce schéma explicatif comprend quatre niveaux de barrières organisationnelles aux


investissements en efficacité énergétique, chacun d'eux exerçant une influence sur le ou les
niveaux situés en-dessous. J'ai donné des noms à ces barrières : "barrière base", "barrières
symptômes", barrières "réelle" et "cachée".

• La barrière "base", c'est le manque d'information. Un problème dans les entreprises


qui n'ont pas de gestion de l'énergie, mais aussi dans celles qui ont mis en place un
tel système de gestion, en raison des aspects souvent complexes des mesures
d'efficacité énergétique (tout au moins dans les grands bâtiments), qui nécessitent
des compétences techniques pluridisciplinaires.
• Le deuxième niveau est constitué des barrières "symptômes", qualifiées ainsi parce
qu'elles ne sont que la manifestation de problèmes plus profonds ou
d'interprétations erronées. Par exemple, le capital ne manque pas mais il est
IX
attribué à d'autres investissements ; on prétend qu'il y a un niveau élevé de risque,
alors que le risque n'est pas pris en compte dans les évaluations; de même la mise
en avant de coûts cachés est une explication commode parce que, par définition,
impossible à quantifier.
• Le troisième niveau représente la barrière "réelle", le problème à l'origine des
symptômes : le faible caractère stratégique des investissements en efficacité
énergétique pour l'activité des entreprises. Le caractère non-stratégique de l'énergie
pour les entreprises est la première méta-barrière (selon la formule d'Eyre, 1997) à
l'efficacité énergétique, qui sous-tend les autres barrières ayant été généralement
identifiées par la recherche et les praticiens.
• Le quatrième niveau est la barrière "cachée" : ce sont les influences culturelles qui
conduisent les organisations, et les décideurs en leur sein, à considérer comme non
stratégique cette catégorie d'investissements, au-delà de possibles raisons
objectives. La dimension culturelle de l'énergie est la deuxième méta-barrière à
l'efficacité énergétique.

"Make it strategic!"

Dans ses aspects théorique et empirique, la recherche a contribué à relativiser le rôle


de la dimension financière, elle a confirmé l'influence des dimensions stratégique et culturelle
sur les choix d'investissements des entreprises et elle a amélioré la compréhension de la
manière dont cette influence s'exerce. Elle a mis en évidence, en particulier, le fait que de
nombreuses entreprises considèrent que les investissements en efficacité énergétique ne
contribuent que médiocrement à renforcer leur métier et leur avantage concurrentiel. Cette
catégorisation défavorable influence par suite négativement la manière dont le projet
d'investissement est traité (choix des méthodes d'évaluation et des critères de sélection), ainsi
que le pouvoir et le niveau hiérarchique des "champions" de l'investissement.
En prenant en compte l'influence des dimensions stratégique et culturelle des décisions
d'investissements, on est amené à basculer d'une perspective principalement financière sur une
perspective stratégique interprétative pour comprendre, partiellement prévoir et, in fine,
influencer les (non-)décisions d'investissement en efficacité énergétique. Cette nouvelle
perspective appliquée à la problématique du sous-investissement en efficacité énergétique
dans les entreprises conduit à formuler différemment les programmes publics de promotion de
l'efficacité énergétique. Ces programmes devraient chercher à augmenter la stratégicité perçue
des investissements en efficacité énergétique, en mettant l'accent sur leur contribution à
X
l'avantage concurrentiel des entreprises, au lieu d'être axés sur leur rentabilité (en fournissant
information et/ou subventions), en mettant l'accent sur la réduction des coûts énergétiques.
Pour être atteint, ce but doit s'incarner dans trois approches complémentaires à
l'attention des entreprises :

• Une approche personnalisée : chaque entreprise présente des caractéristiques


individuelles qui sont liées à son histoire, à son contexte interne particulier et aux
acteurs impliqués dans les projets d'investissement. Ces particularités doivent être
prises en compte dans le dialogue. Cette approche est possible en raison du fait que
le nombre de grands consommateurs (définis comme les organisations dont un
bâtiment au moins consomme 1 GWh au moins par an) n'est pas très élevé (à
Genève, moins de 200 organisations, entreprises et administrations publiques).
• Une approche stratégique. Cette approche suppose de chercher comment
l'efficacité énergétique peut contribuer à renforcer le métier des entreprises, ce qui
est généralement obtenu par l'intermédiaire de services énergétiques de meilleure
qualité. Ceci suppose d'intégrer dans les analyses de projets les aspects techniques
et les aspects de gestion d'entreprise. Un nouveau métier est ici à créer, qui passe
aussi par un élargissement des compétences des gestionnaires de l'énergie dans les
entreprises et des consultants extérieurs qui les assistent.
• Une approche systémique : elle consiste à développer la culture de l'efficacité
énergétique au niveau de l'entreprise dans son ensemble, de façon à créer un
contexte interne favorable à la catégorisation positive des projets d'investissements
en efficacité énergétique. Ceci suppose d'aider les entreprises à développer un
système de gestion de l'énergie. Ceci suppose aussi de transformer la culture de la
"fée énergie" pour aller vers une meilleure compréhension de la rareté et de la
dangerosité de la ressource.

Cette triple approche contribuerait à activer les immenses potentiels d'économies


enfouis dans les bâtiments et les sites industriels des entreprises, diminuant ainsi la
pression des problèmes vitaux provoqués par la consommation d'énergie : pollutions,
sécurité d'approvisionnement énergétique, et changement climatique.

XI
Catherine COOREMANS

LES DETERMINANTS DES INVESTISSEMENTS


EN EFFICACITE ENERGETIQUE DES ENTREPRISES

DIMENSIONS STRATEGIQUE ET CULTURELLE DES DECISIONS D'INVESTISSEMENT

The oil wars, The Economist, April 29, 2004

"If you had to name the world’s largest industry, which would you
pick? No, not the information technology or telecommunications,
nor defence or car manufacturing. Lee Raymond, the chairman of
ExxonMobil has the answer : "Energy is the biggest business in
the world…" The Economist, 8 février 2001.

Energy : "Both everywhere, and nowhere, it remains a mysterious


if not magical feature of everyday life" Shove (1997).

"The finance profession has concentrated on how capital


investment decision should be made, with little systematic study on
how they actually are made in practice". Jensen (1993).
2
3

Remerciements

Mes remerciements vont d'abord à la communauté académique, au sein de


laquelle j'ai trouvé aide et encouragements : le professeur Haurie, qui m'a incitée à ce
doctorat, dans le cadre de son groupe de recherche du NCCR Climate ; les professeurs
Dumontier et Schneider, qui ont codirigé ma thèse avec rigueur et patience, dont
l'exigence intellectuelle et l'esprit critique m'ont stimulée, et qui m'ont assistée dans les
obstacles administratifs et financiers les plus décourageants; le professeur Lachal, qui m'a
prêté en tous temps une oreille attentive et, le moment venu, m'a donné accès à l'aide
indispensable d'un statisticien; le professeur Oris qui a accepté de bonne grâce, et sans
me connaître, d'assumer la présidence du jury de soutenance; le professeur Jochem, enfin,
qui m'a fait l'honneur de faire partie de mon jury. Que tous trouvent ici l'expression de ma
profonde gratitude.
Mes remerciements vont ensuite à Olivier Ouzilou, dont la curiosité intellectuelle,
l'anticonformisme et la confiance m'ont été si précieux depuis notre rencontre à Marseille
en janvier 2004. Sans lui, l'accès privilégié aux entreprises n'aurait pas été possible et le
Service cantonal de l'Energie n'aurait pas financé une partie de ma recherche.
Un message de remerciement particulier pour Jean-Luc Bertholet, statisticien
"surdimensionné", dont les analyses, la patience, l'esprit caustique et le sens de l'humour
m'ont accompagnée depuis septembre 2008.
Merci à Sandrine Perruchoud, pour son aide, son écoute et ses commentaires
judicieux sur mon travail, et à Alexandra Stampfli, ma roommate à Unimail, pour sa
complicité compatissante ou amusée.
Mes remerciements vont enfin à M. Robert Gay, en souvenir d'une chère amitié
sans laquelle cette aventure n'aurait pas été possible. A ma fille Emilie. A son amour et à
son soutien sans faille, dans les tribulations et remous traversés ensemble. A mes parents,
bien sûr, pour tout ce qu'ils m'ont apporté et permis de réaliser.
Faire un doctorat, c'est comme faire un chemin de Compostelle en solitaire.
Parfois il pleut, il vente, on est transi et découragé. Parfois la lumière est belle, le paysage
magnifique, et on a des moments de grâce. Tout bien pesé, l'aventure en a valu la peine.
4
5

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION .................................................................................................. 7

1. 1ERE PARTIE : ENERGIE, EFFICACITE ENERGETIQUE ET


INVESTISSEMENTS .......................................................................................... 12

1.1 SYSTEME ENERGETIQUE ET ELECTRICITE .........................................................................................14


1.1.1 L’électricité en bref ....................................................................................................................15
1.1.2 Quelques chiffres : contextes genevois et mondial .....................................................................17
1.1.2.1 Le canton de Genève et NOE ............................................................................................18
1.1.2.2 Production et consommation d’énergie dans le monde ....................................................23
1.1.3 Energie et changement climatique ..............................................................................................30

1.2 L’EFFICACITE ENERGETIQUE ..............................................................................................................38


1.2.1 "Energy efficiency gap": un sujet controversé ...........................................................................44

1.3 INVESTISSEMENTS EN EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE DES ENTREPRISES ...............................................48


1.3.1 To be or not to be profitable .......................................................................................................50
1.3.1.1 La théorie financière des choix d’investissement ..............................................................50
1.3.1.2 Investissements en efficacité énergétique..........................................................................55
1.3.2 Barrières à l’efficacité énergétique .............................................................................................68
1.3.2.1 Barrières conditionnées par le marché .............................................................................70
1.3.2.2 Barrières organisationnelles.............................................................................................75
1.3.3 "The human dimension"..............................................................................................................98

1.4 CONCLUSIONS DE LA 1ERE PARTIE: PROBLEMATIQUE ET QUESTIONS DE RECHERCHE .................103


1.4.1 Energie, métier, culture ............................................................................................................105
1.4.2 Influence partielle de l'information et des critères financiers ...................................................109
1.4.3 Quel cadre théorique? ...............................................................................................................110

2. 2EME PARTIE : DECISIONS ET ORGANISATIONS ............................... 114


2.1 LES FONDAMENTAUX .........................................................................................................................115
2.1.1 Décision et rationalité(s)...........................................................................................................115
2.1.2 Homo economicus versus homo sociologicus ..........................................................................120
2.1.3 Modèles décisionnels................................................................................................................125
2.1.3.1 Rationalité parfaite .........................................................................................................126
2.1.3.2 Rationalité limitée et biais cognitifs................................................................................129
2.1.3.3 Les modèles politiques de l’organisation ........................................................................136
2.1.3.4 Les modèles aléatoires. ...................................................................................................144
2.1.4 Conclusion ................................................................................................................................145

2.2 LES DÉTERMINANTS DE LA DÉCISION DANS LES ORGANISATIONS ...................................................147


2.2.1 La décision, étape d’un processus ............................................................................................147
2.2.2 Influence du contexte ...............................................................................................................157
2.2.3 Les acteurs de la décision .........................................................................................................160
2.2.3.1 Cognition individuelle.....................................................................................................162
2.2.3.2 Cognition et culture(s) organisationnelles......................................................................170
2.2.4 Caractéristiques de la décision .................................................................................................180
2.2.5 Conclusion ................................................................................................................................182
6

2.3 DÉCISIONS STRATÉGIQUES ET DÉCISIONS D'INVESTISSEMENT ........................................................184


2.3.1 Investissement et stratégie ........................................................................................................184
2.3.2 Décision stratégique et stratégie ...............................................................................................192
2.3.3 Strategic Issue Diagnosis ..........................................................................................................213
2.3.3.1 Filtres individuels ...........................................................................................................216
2.3.3.2 Filtres organisationnels ..................................................................................................221
2.3.4 Conclusion ................................................................................................................................226

2.4 CONCLUSIONS DE L' EXPLORATION THÉORIQUE SUR LA DECISION D'INVESTISSEMENT ................227

2.5 CADRE THÉORIQUE DE LA DÉCISION D'INVESTIR ET HYPOTHÈSES .................................................232

3. 3EME PARTIE : RECHERCHE EMPIRIQUE............................................... 246


3.1 METHODOLOGIE ................................................................................................................................247
3.1.1 Mesure des concepts .................................................................................................................247
3.1.1.1 Caractère stratégique de la décision d'investissement....................................................248
3.1.1.2 Dimension(s) culturelle(s) de la décision d'investissement .............................................253
3.1.2 Echantillon................................................................................................................................263
3.1.3 Collecte des données et questionnaires.....................................................................................268
3.1.3.1 Questionnaire "Energie" .................................................................................................268
3.1.3.2 Questionnaire "Caractéristiques de l'entreprise" ...........................................................269
3.1.3.3 Questionnaire "Finance" ................................................................................................269

3.2 RESULTATS ........................................................................................................................................271


3.2.1 Comportement d'investissement ...............................................................................................271
3.2.1.1 Comportement général d'investissement .........................................................................271
3.2.1.2 Poids des logiques financière et stratégique sur la décision d'investir ...........................282
3.2.1.3 Catégories d'investissement et investissements en efficacité énergétique .......................285
3.2.2 Caractère stratégique des investissements en efficacité énergétique ........................................292
3.2.2.1 Contribution à l'avantage concurrentiel .........................................................................292
3.2.2.2 Facteurs bloquants et stimulants les investissements en efficacité énergétique..............301
3.2.3 Gestion de l’énergie et "stratégicité" ........................................................................................310

4. 4ÈME PARTIE : DISCUSSION .................................................................... 319


4.1 Choix d’investissements : primauté de la logique stratégique sur la logique financière ...........321

4.2 Faible caractère stratégique des investissements en efficacité énergétique ................................327

4.3 Influence(s) culturelle(s) ..................................................................................................................335

4.4 Conclusion de la 4ème partie .............................................................................................................351

5. CONCLUSION ........................................................................................... 353


Limites et "next steps" ....................................................................................................................353

Contributions de la recherche. "Redesigning the Barriers Framework"....................................356

"Make it strategic!"..........................................................................................................................362

6. BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................... 364


7. TABLES DES ILLUSTRATIONS .............................................................. 383
8. ANNEXES ................................................................................................. 385
7

Introduction

Ressource vitale, l’énergie est au cœur des modes de vie des sociétés industrielles
et post-industrielles. Dans ses formes dominantes - fossiles et nucléaire – l’énergie est à
l’origine de problèmes majeurs et interreliés : changement climatique, sécurité
d’approvisionnement et pollutions diverses. L'efficacité énergétique1 est le moyen le plus
efficace, le plus rapide et le plus économique de lutter contre ces problèmes : certains
équipements ou technologies, plus efficaces, offrent le même service énergétique
(éclairage, chauffage ou mobilité) en consommant moins d’énergie.
Pourquoi des entreprises à but lucratif négligent-elles des opportunités
d'investissement susceptibles d'accroître leur profit ? Cette situation, est souvent
constatée dans le domaine de l'efficacité énergétique. Pour une entreprise, l'amélioration
de l'efficacité énergétique (au moyen de l’adoption d'équipements plus efficaces au plan
énergétique) implique en général une décision d’investissement. Selon les économistes de
l’énergie, alignés sur le courant dominant de la finance d’entreprise, cette décision est
déterminée par la rentabilité de l’investissement, qui doit être analysée au moyen des
différentes techniques d’évaluation mises à disposition par la théorie financière. Au terme
de l'analyse, la décision d’investir est prise dans le respect des principes suivants : tout
investissement dont la rentabilité est supérieure au coût du capital de l'entreprise – ou
bien l’investissement le plus rentable en cas de compétition entre différents
investissements – sera décidé. Or de nombreuses études montrent que, en contradiction
avec ces principes, de nombreuses opportunités d’investissements rentables en efficacité
énergétique2 sont négligées par les entreprises.
Depuis 30 ans, cette situation a engendré une littérature importante autour des
notions de "energy efficiency gap" ou "energy efficiency paradox". Différentes
explications ont été proposées, et âprement débattues : les économistes de l'énergie
soutiennent que ces investissements ne sont pas décidés parce que leur rentabilité n'est
qu'apparente (en raison de "coûts cachés", de coûts de transaction et en raison d'un niveau

1
Energy efficiency refers to the ratio between energy output (services such as light, heat and mobility) and
input (fuels).” (IEA, 2002, p. 3).
2
Nous définissons l’investissement en efficacité énergétique comme un investissement dans lequel la
réduction de la consommation énergétique (au moyen de technologies plus efficaces) est le/un facteur
prioritaire de décision.
8

élevé de risque) et/ou parce qu'un certain nombre de défauts, dans les marchés de
l'énergie ou dans les organisations (market ou organizational failures) empêchent les
marchés de l'énergie de fonctionner correctement. Cette argumentation n'est pas
satisfaisante pour trois raisons principales : 1) la rentabilité estimée de certains projets est
tellement élevée qu’aucune des explications proposées ne permet d’expliquer pourquoi ils
sont rejetés par l’investisseur potentiel; 2) cette analyse ne permet pas d’expliquer les
différences de comportement qui ont été constatées entre entreprises du même secteur
d’activité; 3) les économistes font mention de coûts cachés mais jamais de "bénéfices
cachés", lesquels ont pourtant été démontrés solidement3. Un courant de recherche
"alternatif" au mainstream des économistes de l'énergie met en évidence le rôle de
nombreux facteurs humains et organisationnels sur la décision d'investir, rôle qui
relativise ipso facto l'importance décisionnelle des critères financiers de rentabilité; il
constate l'importance du lien entre l'investissement et le métier de l'entreprise, et le rôle
joué par la culture organisationnelle de l'efficacité énergétique sur la décision d'investir,
mais il n'explique pas les modalités de ces influences faute d'un cadre théorique.

• Pourquoi existe-t-il dans de nombreuses entreprises un


potentiel rentable d'économies d'énergie ?
 Pourquoi les entreprises ont-elles des comportements
différents en matière de décisions d’investissement en efficacité
énergétique, et plus généralement, en matière de gestion de
l’énergie?

Ces questions n'ont pas trouvé de réponses satisfaisantes à ce jour. Elles prennent
une actualité nouvelle dans un monde préoccupé par la question du changement
climatique. L'enjeu est important : répondre à ces questions permettrait de mieux
comprendre le comportement des entreprises (increasing knowledge), et in fine
d’améliorer les programmes publics de promotion de l’efficacité énergétique (translating
knowledge into action), avec des effets favorables sur les problématiques de l’énergie.

3
Voir à ce sujet la littérature sur les bénéfices indirects aux investissements en efficacité énergétique.
9

Deux domaines de recherche peuvent fournir des éléments de réponse : d’une part
le domaine de la finance organisationnelle, qui a montré l’influence de la dimension
stratégique de l’investissement sur la décision d’investir ainsi que l’influence de la
culture des décideurs sur la décision et sur le processus d’investissement; d’autre part, et
surtout, le vaste domaine de la décision dans les organisations - dans lequel s'inscrivent
les recherches de la finance organisationnelle - qui a mis en évidence l’influence
déterminante de trois autres catégories de facteurs : les acteurs impliqués dans le
processus décisionnel, les contextes interne et externe du processus d'investissement et,
last but not least, les caractéristiques de la décision considérée.
Le cadre conceptuel que je propose après avoir effectué une exploration théorique
de la décision d'investir dans le domaine de la décision dans les organisations, me conduit
à formuler la thèse suivante :

Il existe un potentiel rentable d'économies d'énergie dans les


entreprises principalement parce que les entreprises considèrent
comme faiblement stratégiques les investissements en efficacité
énergétique qui permettraient de réduire ce potentiel; la
perception du caractère stratégique de l’investissement est
influencée par le niveau de gestion de l’énergie des entreprises, ce
qui explique, au moins en partie, les différences de comportement
entre entreprises.

Pour compléter cette assertion, les hypothèses suivantes sont formulées, basées
sur le modèle théorique et en réponse aux questions de recherche, relativement aux
dimensions stratégique et culturelle des décisions d'investissements :

 Hypothèse no. 1 : les décisions d'investissements en efficacité


énergétique ont un faible caractère stratégique pour de nombreuses
entreprises.
10

 Hypothèse no. 2 : le niveau de gestion de l’énergie de l’entreprise


exerce une influence sur la perception du caractère stratégique de
l’investissement en efficacité énergétique.

Pour tester ces hypothèses, la recherche empirique a été menée avec le concours
du Service Cantonal de l'Energie de Genève, dans le cadre du programme genevois de
réduction de la demande d'électricité, NOE, toujours en cours actuellement. L'objectif de
ce programme est de réduire la consommation électrique des bâtiments ou des sites
industriels, toutes activités confondues, qui consomment plus de 1 GWh d'électricité par
an. Les entreprises, administrations publiques et organisations internationales
participantes, "les requérants", postulent de manière volontaire. Cent trente bâtiments ou
sites participent au programme, totalisant environ 22% de la consommation totale
d'électricité du canton de Genève. Ces bâtiments correspondent à environ 70 requérants,
dont cinquante-neuf entreprises. Trente-cinq de ces entreprises ont participé à l'enquête,
qui a consisté en deux volets complémentaires : interviews et questionnaires s'adressant
aux responsables de l'énergie dans les entreprises; questionnaires s'adressant aux
responsables financiers.
Quelques mots sur la genèse de cette recherche. Au début de mon doctorat, j'ai
assisté à des conférences sur des thèmes de l'énergie. Dans ces conférences, des "success
stories" en matière d'énergies renouvelables ou d'efficacité énergétique étaient présentées,
si convaincantes que je me suis demandé pourquoi les solutions décrites ne se répandaient
pas rapidement et partout. J'ai pensé que c'était parce que les nombreux avantages de ces
solutions n'étaient pas décrits correctement, qu'ils devaient être mis en forme, traduits,
pour mieux correspondre au langage et aux préoccupations de la gestion d'entreprise.
Lors d'un exposé en 2004 devant des dirigeants d'entreprise à l'occasion d'une réunion du
WBCSD4, j'ai alors fait de mon mieux pour montrer en quoi l'efficacité énergétique est
une façon rentable de lutter contre le changement climatique, en utilisant des concepts de
stratégie et de finance d'entreprise. A la fin de mon exposé, l'un de mes auditeurs a dit
quelque chose comme "oui c'est bien, mais c'est cher". Cette remarque m'a étonnée car
elle allait exactement à l'encontre de ce que j'avais essayé de démontrer durant vingt

4
World Business Council for Sustainable Development, Genève.
11

minutes : c'était comme si je n'avais rien dit. C'est probablement à ce moment-là que mes
questions et hypothèses de recherche ont commencé à se former.
Dans l'ensemble, la question de la décision, qu'elle soit individuelle ou collective,
est une question complexe et ardue. Elle l'est d'autant plus que les termes qui sont au
cœur des différentes problématiques du sujet, sont rarement définis dans les textes qui les
utilisent. Il est ainsi extrêmement difficile pour le néophyte de comprendre le sens exact
de termes aussi importants que : comportement, culture, cognition, rationalité, intuition,
jugement. On se dit d'abord innocemment qu'il suffit d'aller examiner les concepts de
base des disciplines concernées pour trouver la réponse. Et l'on se retrouve
immédiatement noyé par une multiplicité de perspectives et de théories plus ou moins
divergentes, sans avoir trouvé les réponses cherchées. On comprend finalement que les
mots eux-mêmes, et leur signification, sont un enjeu entre les différentes théories, et les
différents paradigmes qui englobent ces théories, et que leur signification ou leur emploi
relèvent souvent d'une forme d'idéologie. On passe alors un temps infini à essayer de
trouver le sens, l'essence pourrait-on dire, de certains mots et à identifier les enjeux qui se
cachent derrière leur façade apparemment uniforme et innocente. Durant cette quête, on
réalise avec stupéfaction le cloisonnement généralisé entre les disciplines.
Les première et deuxième parties de ce travail sur les investissements en efficacité
énergétique et sur la décision dans les organisations sont le résultat de cette quête. Leur
rédaction a constitué un exercice difficile, et le résultat est exposé à la critique. Chaque
sujet est présenté de façon à être compréhensible pour des non-spécialistes, et court donc
parfois le risque d'être considéré comme imprécis ou trop généraliste par les spécialistes.
La troisième partie tente de lier les deux domaines discutés dans les 1ère et 2ème partie –
celui des investissements en efficacité énergétique et celui de la décision dans les
organisations. Elle utilise le cadre théorique décrit à la fin de la deuxième partie pour
analyser, selon une approche nouvelle, les décisions d'investissement en efficacité
énergétique. Elle décrit la méthodologie utilisée pour tester les hypothèses énoncées et les
résultats obtenus. La quatrième partie est consacrée à une discussion des résultats et de
leurs implications. Enfin, la conclusion esquisse certaines pistes qui pourraient conduire
les entreprises à prendre un plus grand nombre de décisions positives en matière
d'investissements en efficacité énergétique.
12

1. 1ère partie : Energie, efficacité énergétique et


investissements

Cette première partie de la thèse présente le contexte de la recherche sur les


déterminants des investissements en efficacité énergétique des entreprises. Cette
catégorie d'investissements est liée au vaste domaine de l'énergie. En ces temps troublés,
les questions énergétiques et climatiques font souvent la une des médias, mais elles sont
généralement traitées de façon sensationnelle, incomplète et confuse, voire incorrecte. Le
domaine de l’énergie est mal connu, parce qu'il est complexe. On peut l'aborder de
différentes façons : la plus fréquente - mais pas la plus utile - est celle qui consiste à
opposer énergies fossiles et énergies renouvelables (classification qui ne prend pas en
compte l’énergie nucléaire). On peut considérer l’offre et la demande d’énergies. On peut
considérer les filières de production : les métiers du pétrole, du gaz, du charbon et de
l’électricité. On peut aussi considérer les énergies destinées à la mobilité (carburants
automobiles pour le transport des personnes et des marchandises) et les énergies destinées
à un usage fixe pour un usage domestique, secondaire ou tertiaire (bâtiments d’habitation,
administratifs, commerciaux ou industriels ; production agricole et industrielle). On peut
considérer enfin les formes centralisées et décentralisées de production d’énergie. Tous
ces aspects de l'énergie peuvent faire l'objet de décisions d'investissement. Je
m’intéresserai quant à moi en particulier à la filière de la production et de la
consommation d’électricité, puisque c’est cette forme d’énergie qu’adresse le programme
genevois de gestion de la demande (NOE) sur lequel s'est appuyée ma recherche
empirique.
Le premier chapitre de cette première partie sera consacré à une présentation
synthétique du domaine de l'énergie : problématiques et enjeux liés à la production et à la
consommation de différentes formes d'énergie et système énergétique. Le deuxième
chapitre introduit la notion d'efficacité énergétique et la question débattue de l'existence
d'un déficit – ou sous-investissement - en efficacité énergétique. Le troisième chapitre est
dédié à un examen de la littérature sur les investissements en efficacité énergétique selon
un triple volet : rentabilité de ces investissements, barrières à l'efficacité énergétique et,
13

enfin, "dimension humaine", selon l'expression courante, de l'usage de l'énergie. La


conclusion de cette première partie est consacrée à une discussion critique de la
littérature. Elle met en évidence les questions qui n'ont pas trouvé de réponses
satisfaisantes ou les questions qui n'ont pas été pas posées, constat qui débouche sur une
formulation des questions de recherche de la thèse. D'autres perspectives de recherche
sont introduites, basées sur les résultats des travaux sur la décision dans les organisations,
perspectives qui pourraient permettre de combler, au moins en partie, les lacunes des
recherches actuelles sur les déterminants des investissements en efficacité énergétique, en
répondant aux questions posées.
14

1.1 SYSTEME ENERGETIQUE ET ELECTRICITE

“Some crazy-haired visionary may even now be at work on a wondrously efficient, completely
clean power plant on wheels that will heat and light your home as well as serving as a sporty car.”
The Economist, 27 mai 1999.

Le modèle de production d’énergie décrit ci-dessus par The Economist n’est pas
encore d’actualité : la production d’énergie pour les usages de mobilité et de non mobilité
est généralement strictement séparée en deux filières différentes, bien que l'arrivée en
masse, peut-être prochaine, de la voiture électrique puisse changer cette situation.
Cependant, cette citation décrit aussi une situation dans laquelle le consommateur
fabrique lui-même sa propre énergie, sur le lieu de consommation, une situation qui
existe déjà dans la réalité, bien que très marginalement. Le schéma de la page suivante
représente le système énergétique global et la transformation d’énergie primaire en
"énergie utile", réalisée de façon centralisée dans le système énergétique traditionnel (à
gauche de la ligne en pointillés) ou bien de façon décentralisée, du côté de la demande
d'énergie (à droite de la ligne), par les consommateurs eux-mêmes.
Ce schéma montre comment, une fois obtenue par transformation d’énergie
primaire, de façon centralisée ou décentralisée, l’énergie utile (sous ses différentes
formes : électricité, gaz, hydrogène, fuel domestique) est combinée à différents
équipements (technologies & devices, dans le schéma ci-dessus) pour produire les
services énergétiques : chauffage, éclairage, communication, production industrielle, etc.
La notion de service énergétique est fondamentale : les différentes formes d’énergie ne
présentent en effet aucun intérêt intrinsèque. Ce qui est consommé par l’utilisateur final,
c’est le service énergétique, qui pourra être de plus ou moins bonne qualité : éclairage,
chauffage, refroidissement, ventilation, etc.
15

Supply side
Energy production Demand side
Buildings, industry,
CENTRALIZED PRODUCTION transport
Primary energy: oil, gas, coal, nuclear,
renewables DECENTRALIZED ENERGY
Renewables (hydro, wind, solar
thermal, solar photovoltaïque,
Energy efficiency geothermal)
Cogeneration (fuel cell)

Energy efficiency
FINAL ENERGY
Electricity, gas, district
heating, heating oil, wood TECHNOLOGIES
pellets FINAL ENERGY
& DEVICES Electricity, district heat,
domestic fuel
heating oil, natural gas,
Energy efficiency bio gas

ENERGY SERVICES
Heating, lighting, communication, etc
Energy conservation

Figure 1 - Le système énergétique: production et consommation

1.1.1 L’électricité en bref

L'électricité est dite une forme "secondaire" d'énergie, parce qu'on a besoin pour
la produire de sources primaires : pétrole, gaz naturel, charbon, nucléaire, renouvelables.
L’électricité est un flux d’électrons : pour produire de l’électricité, comme l’a
découvert en 1831 le savant anglais Michael Faraday, il faut "détacher" des électrons de
leur atome d’origine: c’est leur mouvement "libre" qui constitue le courant électrique.
Pour "libérer" les électrons, on utilise un générateur constitué d’un aimant tournant à
grande vitesse au centre d’une bobine de fil de cuivre. Faraday a appelé sa découverte
"l’induction électromagnétique".
16

Figure 2 – Génération thermique d’électricité – Source : Free (2001, p. 14)

Le schéma ci-dessus illustre le processus traditionnel de production d'électricité.


La machine généralement utilisée pour actionner le générateur est une turbine dont les
pales sont mises en mouvement par le passage d’un fluide (qui peut être de la vapeur, du
gaz, de l’eau ou du vent). Dans le cas de la turbine à vapeur, on porte de l’eau à
ébullition, généralement en brûlant un combustible fossile (charbon, gaz naturel, pétrole)
dans les énormes chaudières des centrales thermiques, mode traditionnel de production de
l'électricité hérité des premiers âges de la révolution industrielle, ou par fission de noyaux
d’uranium dans les centrales nucléaires. Les turbines à vapeur des centrales thermiques
ou nucléaires, sont le mode de production d’électricité le plus fréquent actuellement.
Mais c’est aussi le mode de production le plus inefficace (voir schéma p. 40), car la plus
grande partie de la chaleur accumulée dans l’eau est perdue (comme le montre la vapeur
s’échappant des énormes tours de refroidissement). Dans le cas de la turbine à gaz, on
brûle du gaz naturel et les gaz de combustion activent directement la turbine. Dans le cas
des énergies éolienne et hydraulique, la turbine est activée par la force du vent ou de
l’eau, sans passer par le stade de la vapeur.
Une autre manière d’activer le générateur est d’utiliser un moteur à combustion au
lieu d’une turbine, alimenté par du diesel ou du gaz. Cette solution est utilisée de façon
décentralisée dans des lieux isolés ou, en usages commerciaux ou industriels pour fournir
un courant de secours en cas de rupture de la fourniture de courant par le réseau.
Enfin, deux formes de production électricité doivent être mentionnées, qui sont
chimiques et non mécaniques, par opposition au précédentes, le photovoltaïque
17

(transformation d’énergie solaire) et la pile à combustible (fuel cell). Ces deux modes de
production permettent des productions décentralisées, à petite échelle.
Dans l'ensemble la production d'électricité aujourd'hui est "centralisée", c'est-à-
dire que l'électricité est produite en grandes quantité par les centrales thermiques – mais
aussi de nos jours parfois par des "wind farms" (des groupements d'éoliennes) - loin de
son lieu de consommation, parfois à des centaines de kilomètres. Elle est ensuite injectée
sur le réseau de transmission (lignes à haute tension) qui la transporte vers des sous-
stations où des transformateurs réduisent la tension (mesurée en volts). Finalement elle
est acheminée sur le réseau local de distribution (lignes à moyenne tension) pour être
enfin livrée aux différents secteurs de consommation, immeubles d'habitation, sites
industriels ou immeubles administratifs ou commerciaux, comme l’illustre le schéma
suivant :

Figure 3 – Système électrique centralisé –


Source : Finat, Conférence COGEN, mars 2005

1.1.2 Quelques chiffres : contextes genevois et mondial

Cette section comprend deux parties : la première partie présente brièvement le


contexte genevois en matière de politique publique et de consommation de l’énergie,
ainsi que le programme NOE, programme genevois de réduction de la consommation
d’électricité dont les entreprises participantes ont été interviewées dans le cadre de la
18

recherche empirique décrite dans la 3ème partie de la thèse5. La deuxième partie brosse un
tableau synthétique des grandes tendances passées et futures en matière de production et
de consommation d’énergie dans le monde. Ces chiffres concerneront tout d’abord les
énergies primaires, puis l’électricité, puisque cette forme d’énergie est celle qui est prise
en compte dans le programme NOE.

1.1.2.1 Le canton de Genève et NOE

Le programme d'actions de l'Office fédéral de l'énergie SuisseEnergie s'est fixé les


objectifs suivants pour 2010 :
• réduire la consommation d’énergies fossiles et les émissions de CO2 de 10
% par rapport à leur niveau de 1990 ;
• limiter la progression de la demande d’électricité à 5 % au maximum par
rapport à 2000 ;
• exploiter pleinement le potentiel hydraulique, même dans le cadre de la
libéralisation des marchés de l’électricité ;
• augmenter, par rapport à 2000, la part des nouvelles énergies renouvelables
de 1 % dans la production de courant et de 3 % dans la production de
chaleur.
La politique cantonale de l’énergie de l’Etat de Genève s'inscrit dans ce cadre
suisse et s’appuie sur deux volets, élaborés par le Conseil d'Etat : un volet stratégique, qui
s'incarne dans la Conception générale de l’énergie (CGE), et un volet opérationnel, le
Plan directeur de l'énergie (PDE). La Conception générale de l'énergie définit les
orientations durables de la politique cantonale, en tenant compte de l’évolution du
contexte international, des ressources énergétiques, et des traités internationaux. Le Plan
directeur de l'énergie reprend les orientations de la CGE, les traduit en objectifs chiffrés,
et définit les actions nécessaires à leur réalisation. Il s'appuie sur les principaux acteurs
cantonaux, le Service cantonal de l’énergie (ScanE) et les Services Industriels de Genève
(SIG), et fait intervenir aussi des partenaires publics et privés.

5
Voir p. 256 et ss.
19

Le canton de Genève a défini une politique d'avant-garde, ambitieuse, et originale,


dans le domaine de l'énergie, en adoptant dans sa Conception générale de l'énergie de
2005 la vision de la société à 2000 watts sans nucléaire.

Figure 4 – La société à 2000 watts (Plan directeur de l'énergie de


Genève 2005-2009, p. 11).

Le concept de la société à 2000 watts a été développé par des chercheurs des
Écoles polytechniques fédérales (EPF), en collaboration avec différents instituts de
recherche regroupés dans le cadre du projet Novatlantis6, supervisé par le professeur
Eberhard Jochem. Outre le canton de Genève, il a été adopté par les cantons de Bâle,
Zurich et Berne.
L'objectif de la société à 2000 watts est d'amener, d'ici à 2050, chaque habitant de
la planète à utiliser, en moyenne, une puissance continue de 2000 watts. Cela suppose
pour certains habitants, tels les américains du nord, de diviser leur consommation par six
(pour passer des 12'000 watts actuels aux 2'000 watts recherchés), et pour d'autres, tels
les Africains, d'augmenter leur consommation. En Suisse en 2005, la consommation est
d'environ 5000 watts par habitant, un niveau légèrement inférieur à la moyenne
européenne (valeur qui ne tient pas compte de l'énergie grise nécessaire à la fabrication
des produits importés)7.

6
http://www.novatlantis.ch/en/2000-watt-society/white-book.html
7
Plan directeur de l'énergie 2005-2009, p. 11.
20

Deux moyens sont définis pour atteindre la société à 2000 watts sans réduction de
confort et changement drastique de mode de vie, au moyen de technologies déjà
existantes :
• Amélioration de l'efficacité énergétique;
• Augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique
au détriment des énergies fossiles. La part des énergies fossiles devrait
s'abaisser à 500 watts contre plus de 3000 watts en 2005, de façon à permettre
de ramener l'émission moyenne de CO2 par personne et par an de 5 tonnes en
2005 à moins d'une tonne en 2050, autre objectif de la société à 2000 watts.

Le tableau ci-dessous donne les chiffres de l'évolution de la consommation


d'énergie primaire (en watts par habitant) dans le canton de Genève depuis 1990. Les
objectifs pour 2010 et les perspectives à long terme sont également indiqués. Les chiffres
ci-dessous sont encourageants, puisqu'ils montrent une légère diminution par habitant
genevois des watts d'origine fossile et une progression des énergies renouvelables.

Objectif Perspectives
Scénario modéré Scénario ambitieux
Etat 1990 Etat 2005 2010 2035 2050 2035 2050
Fossile 3300 3200 3000 2200 1800 1400 500
Renouvelable 700 900 1000 1300 1500 1300 1500
Nucléaire 600 0 0 0 0 0 0
Total 4600 4100 4000 3500 3300 2700 2000
Tableau 1 - Consommation dans le Canton de Genève 1990 – 2050
(Plan directeur de l'énergie de Genève 2005-2009, p. 15)

La tarification de l'électricité est aussi du ressort du Conseil d'Etat. C'est dans ce


contexte que le programme NOE (Nouvelle Offre de l'Electricité) est né en 2004 : une
hausse de prix a été décidée pour inciter les grands consommateurs (consommant plus d'1
GWh par an) à "mieux et moins consommer". Le principe était simple : pour éviter qu'ils
ne soient pénalisés par la hausse du prix de l'électricité, on proposait aux grands
consommateurs un programme d'assistance leur permettant de réduire leur consommation
d'électricité en améliorant l'efficacité énergétique de leurs installations.
21

NOE est un progamme novateur, "à l'époque, un des seuls programmes structurés
de ce genre au monde"8, par la chaîne très complète d’actions qu’il propose, encadre et
finance aux organisations requérantes : bilan énergétique, audit préliminaire multi-
fluides, audit approfondi électrique, mesures d’utilisation rationnelle de l’énergie. Ces
différentes étapes sont illustrées dans la figure suivante :

Figure 5 – Mesures d'accompagnement environnementale de la Nouvelle Offre de l'Electricité (NOE)


(Documentation SIG – ScanE, 2007)

Après le dossier énergétique, qui récapitule l’état des consommations


énergétiques du site, un audit énergétique préliminaire est réalisé sur les consommations
d’eau et d’énergies du bâtiment ou du site industriel concerné (électricité, mazout, gaz,
réseau de chauffage à distance). Si l’audit préliminaire a identifé un potentiel prometteur
d’économies d’électricité, un audit électrique approfondi des consommations du site
concerné est décidé et financé (au moins partiellement). L'audit approfondi évalue le
potentiel d'économies d'énergie réalisables sur le site au moyen d'un certain nombre
d'actions "d'utilisation rationnelle de l'énergie" (URE), qui sont décrites et
approximativement chiffrées. Ces mesures URE doivent être ensuite précisées et traduites
en projets d'investissement pour pouvoir être décidées et mises en œuvre par les
entreprises. La CANOE, commission multi-partite (elle réunit des représentants du
Service cantonal de l’énergie, de SIG, des entreprises genevoises, des associations de

8
Olivier Ouzilou, email du 24 août 2010.
22

locataires et de professionnels du bâtiment), statue sur le rendu de chaque étape et sur la


pertinence d’engager et de financer l’étape suivante.
Le 5 août 2010 la nouvelle loi genevoise sur l'énergie et son règlement sont entrés
en vigueur, qui imposent des exigences accrues en matière de construction et de
rénovation de bâtiments. Le programme NOE, quant à lui, est en voie d'être intégré dans
le nouveau programme ECO21 de SIG, programme de gestion de la demande genevoise
d'électricité, qui poursuit un objectif de réduction de 150.000.000 KWh à horizon 2013,
correspondant environ à 5% de la consommation électrique du canton en 2000. Cet
objectif est ambitieux en regard de la forte hausse de la demande constatée à Genève au
cours des décennies passées, illustrée par le graphique ci-dessous :

Figure 6 – Cédric Jeanneret, Le programme Eco21, Présentation au ScanE


du 26/06/2009.

Cette tendance à une forte hausse de la demande d'électricité (1,5-3% par an),
préoccupante à tous égards, correspond aux évolutions en cours actuellement dans les
pays industrialisés. En Chine, la demande d'électricité augmente de 14% par an, ce qui
correspond à un doublement de la demande tous les 5 ans environ. La section suivante
brosse un tableau rapide de la production et de la consommation d'énergies et d'électricité
dans le monde, en récapitulant les évolutions passées et en présentant des chiffres
possibles pour le futur.
23

1.1.2.2 Production et consommation d’énergie dans le monde

Les chiffres qui sont indiqués dans les pages suivantes sont issus du World
Energy Outlook 2009 de l’Agence Internationale de l’énergie (AIE). Le World Energy
Outlook, publié chaque année et qui fait autorité dans le domaine de l’énergie, propose
une représentation modélisée du système énergétique mondial et des différents
paramètres qui influenceront son évolution future. A cet égard, souvenons-nous
cependant que les modèles se trompent souvent et qu’un scénario – y compris un scénario
de référence - n'est jamais qu'une évolution possible, parmi une multitude d'autres.
L'énergie primaire sert à produire de l'électricité, mais elle permet aussi le
transport des biens et des personnes, la production de produits agricoles ou industriels,
ainsi que le chauffage et la cuisson des aliments. Les besoins en énergie primaire,
multipliés par la croissance de la population et de l'économie mondiales ainsi que par les
changements de mode de vie, sont en augmentation constante et soutenue, depuis les
premiers âges de la révolution industrielle.
De 1973 à 2007, comme le montre le graphique de la page suivante de l'Agence
Internationale de l'Energie (AIE/IEA, 2009b), la production mondiale d'énergie primaire
a pratiquement doublé, passant de 6.115 Mtoe à 12.029 Mtoe9. La part de l'énergie fossile
dans le total a décru quelque peu, passant de 86,6% à 81,4%. La différence est comblée
par l'énergie nucléaire qui passe de 0,9% à 5,9%. Le pourcentage d'énergies
renouvelables (hydraulique, biomasse et déchets, et autres10) est resté constant, à environ
12% du total.

9
Millions de tonnes équivalent pétrole, l'unité de mesure commune à toutes les formes d'énergie primaires.
10
La catégorie "autres", qui est passée de 0,2 à 1,1% de 1973 à 2007, comprend les énergies solaire,
éolienne, chaleur et géothermique. Il faut noter que l'expression "combustible renewables" fait référence
surtout aux forêts, dont le bois est brûlé pour le chauffage ou la cuisson des aliments.
24

Figure 7 – IEA (2009b, p. 5). World Total Primary Energy Supply by Fuel

Dans les pays de l'OCDE, l'augmentation durant la même période n'est "que" de
46%, mais la progression du nucléaire est assez spectaculaire (qui passe de 1,3 à 10,9%
du total), tandis que la part de l'ensemble des renouvelables dans le total progresse de
moins de 3%, en passant de 4,6% en 1973 à 7,2% en 2007 du total de l'offre d'énergie
(IEA, 2009b).

Figure 8 – IEA (2009b, p. 24). Evolution from 1971 to 2007 of world electricity
generation by fuel (TWh)11

La demande globale d'énergie primaire va continuer de croître à l'avenir. Pour la


période 2007-2030, les projections du World Energy Outlook 2009 montrent une

11
”Other includes geothermal, solar, wind, combustible renewable& waste, and heat” (IEA, 2009 b., p. 24).
25

persistence de la tendance forte à l'augmentation de la demande mondiale d'énergie,


comme l'illustre le graphique ci-dessous12, moins forte cependant que celle qui a marqué
les 35 ans de la période 1973-2007.

Figure 9 – IEA (2009a, p. 75). World primary energy demand by fuel


in the reference scenario.

Les éléments les plus importants à relever dans le graphique ci-dessus sont les
suivants : de 2007 à 2030, la demande mondiale d'énergie primaire augmente d'environ
35% (après une baisse en 2009, qui est dûe aux répercussions économiques de la crise
financière). La hausse la plus importante en volume est celle de la demande de charbon
qui croît à un taux annuel de 1,9% (plus de la moitié de cette demande future est d'origine
chinoise, la Chine étant le 1er producteur mondial de charbon), suivie par le gaz naturel
(1,5% de hausse annuelle) et le pétrole. La demande pour les "nouvelles" ou "modernes"
énergies renouvelables (énergies éolienne, solaire, géothermale, marée motrice et vagues,
par opposition à la classique énergie renouvelable hydraulique) augmente fortement en
volume, mais elle reste marginale dans le total, passant de 1% de la demande mondiale
d'énergie en 2007 à 2% en 2030. Par conséquent, en 2030, selon le scénario de référence
de l'AIE, les énergies fossiles restent de loin les sources d'énergie dominantes : leur part
en volume dans la demande mondiale d'énergie primaire reste stable à 80% (en baisse de
1% par rapport à 2007). La part du pétrole, première énergie en volume, baisse de 34% à

12
IEA, 2009a, p. 75.
26

30%, tandis que celle du charbon, deuxième énergie en volume, augmente de 27 à 29%13.
Selon les projections du scénario de référence du weo2009 (IEA, 2009a, p. 76), 90% de la
hausse de la demande pendant la période 2007-2030 a lieu dans les pays non-membres de
l'OCDE (en particulier la Chine et l'Inde).
En ce qui concerne l’électricité, les chiffres sont encore plus impressionnants. En
effet, pendant que la production d'énergie primaire doublait, entre 1973 et 2007, la
production mondiale d'électricité faisait plus que tripler, comme le montre le graphique
de la page suivante, alimentée en particulier par une forte demande dans les pays non-
OCDE. Durant cette période, la part de l'OCDE dans le total a en effet diminué de 72,9%
à 53,9%, tandis que celle de la Chine passait de 2,8% à 16,8%. Les chiffres sont bien sûr
très différents d'un pays à l'autre. En voici quelques exemples pour l'année 2007 qui
donnent un ordre de grandeur en matière de consommations14 : Suisse 61,64 TWh15,
Allemagne 591,03 TWh, Russie 897,68 TWh, Chine 3.072,67 TWh, USA 4.113,07 TWh.
Comme celle de la demande d'énergie primaire, la hausse globale de la demande
d'électricité est liée à celle de la population mondiale et à la croissance économique, ainsi
qu'aux changements de mode de vie. Cependant, en 2007, 1,5 milliard d'habitants de la
planète n'ont toujours pas accès à l'électricité (weo 2009a, p. 109). En Suisse en 2007, la
consommation d'électricité à augmenté de 2,3%16.
Comme on le voit à la lecture du graphique ci-dessous, la génération d'électricité
au niveau mondial est basée sur l'utilisation intensive d'énergies fossiles (charbon, gaz,
pétrole), bien que leur part dans le total soit en baisse : 68% en 2007 contre 75,1% en
1973. En ce qui concerne le mix énergétique utilisé pour produire l'électricité, les
évolutions marquantes sont les suivantes : remplacement du pétrole par le gaz naturel ou
par le nucléaire, augmentation légère de la proportion du charbon dans le total, baisse

13
IEA weo 2009, pp. 97-98.
14
La consommation d'électricité est égale à la production brute (qui inclut la consommation des centrales
pour compte propre) + imports – exports – pertes de transmission/distribution.
15
L'unité de mesure de l’électricité est le watt. Un kilowatt représente 1.000 watts ; l’électricité qu’une
centrale produit ou qu’un utilisateur consomme sur une période de temps donnée est mesurée en
kilowattheure (KWh) : un kilowattheure est égal à l’énergie de 1000 watts consommée en une heure. Un
megawattheure (MWh) est égal à un million de wattheures, un gigawattheure est égal à un milliard de
wattheures et un tetrawattheure (TWh) est égal à un trilliard de wattheures.
16
Office fédéral de l'énergie (OFEN), Statistique suisse de l'électricité 2008, Berne
27

sensible de l'énergie hydraulique (qui passe de 21% à 15,6%), légère progression des
autres renouvelables.

Figure 10 - IEA (2009b, p. 24). 1973 and 2007 fuel shares of electricity generation.

A nouveau bien sûr ces chiffres masquent de grandes différences de mix


énergétique d’un pays à l’autre : par exemple, en 2007 (IEA, 2009b), près de 80% de
l’électricité produite en France est d’origine nucléaire (57 centrales), alors que 98,2% de
l'électricité produite en Norvège et 84% de l'électricité produite au Brésil sont de source
hydraulique. Quant aux USA, plus de 48% de l'électricité y est produite dans des
centrales thermiques fonctionnant au charbon17. En 2007, selon l'Office fédéral de
l'énergie, le mix énergétique de la production d'électricité en Suisse était le suivant :
énergie hydraulique, 56,1%, énergie nuclaire 39%, énergies fossiles (production
thermique classique) 4,9%. Les chiffres suisses sont très différents des moyennes
européennes (EU/CE-15): énergie hydraulique 10,9%, énergie nuclaire 29%, énergies
fossiles (production thermale classique) 56,2%, autres énergies renouvelables 3,9% (3,7%
énergie éolienne, 0,2% géothermie)18.

17
US Energy Information Administration,
http://tonto.eia.doe.gov/energyexplained/index.cfm?page=electricity_in_the_united_states
18
Office fédéral de l'énergie (OFEN), Statistique suisse de l'électricité 2008, Berne
28

Les évolutions prévues dans le domaine de l’électricité sont également


spectaculaires. Durant la période 2007-2030, la production d'électricité19 progresse de
près de 41%, dans le scénario de référence du weo2009, soit une hausse moyenne
annuelle de 2,5%. Le charbon reste la "colonne vertébrale" du système électrique
mondial, selon la formule de l'AIE, sa part dans le mix énergétique passant de 42% en
2007 à 44% en 2030. La part des renouvelables non-hydrauliques progresse sensiblement,
de 2,5% en 2007 à 9% en 2030. Le nuclaire progresse dans toutes les régions, à
l'exception de l'Union européenne (cependant le regain d'intérêt pour le nucléaire qu'on
constate actuellement dans plusieurs pays européens pourrait changer cette tendance)
mais sa part dans le mix énergétique global est quand même en baisse. Le graphique de la
page suivante illustre ces tendances.

Figure 11 - IEA (2009, p. 97), weo 2009.

Plus de 80% de la hausse de la production d'électricité est alimentée par la


demande croissante de pays non-membres de l'OCDE, au premier rang desquels la Chine
(dont la demande progresse d'environ 14% par an depuis plusieurs années). Le tableau ci-
dessous indique les projections d'augmentations par région selon le scénario de référence
du WEO 2009 (hausse moyenne annuelle composée). On voit que la hausse de la

19
La production d'électricité inclut la demande finale d'électricité, les pertes de transport sur le réseau,
l'utilisation pour compte propre des centrales électriques et "l'autre secteur énergétique" (IEA, 2009a, p.
97).
29

demande d'électricité dans les pays asiatiques est projetée partout comme étant supérieure
à 4,5% par an.

Figure 12 - Figure 9. IEA (2009, p. 96), Final electricity consumption by region in the
Reference Scenario (TWh), WEO 2009.

En résumé, on peut dire que les évolutions les plus importantes pour les 20
prochaines années, à retenir du scénario de référence du weo2009, sont les suivantes :
augmentation de la demande d'énergie primaire de 35% avec un pourcentage d'énergies
fossiles stable dans le total à environ 80%, augmentation de la production d'électricité de
41%, augmentation de la part du charbon dans le mix énergétique mondial (29% de la
demande mondiale d'énergie primaire, en 2ème place derrière le pétrole, 44% du mix de
génération d'électricité, à la 1ère place, très loin devant le gaz naturel).
Comme nous le rappelle l'AIE (weo 2009, p.75), le scénario de référence du
World Energy Outlook "provides a baseline picture of how global energy markets would
evolve if the underlying trends in energy demand and supply are not changed".
Autrement dit, il décrit un futur dans lesquels les gouvernements ne font aucun
30

changement dans les politiques existantes, qui sont susceptibles d'affecter le secteur de
l'énergie. Les projections de ce scénario ne peuvent donc en aucune façon être
interprétées comme des prévisions de ce qui se passera réellement, dans la mesure où il
devient de "plus en plus probable" que les gouvernements prendront des mesures
rigoureuses pour relever les défis énergétiques qui se posent. En particulier, "le
changement climatique pourrait devenir le moteur principal des politiques dans ce
domaine dans les prochaines décades"20. Cette déclaration, formulée avant la 15ème
Conférence des parties (COP) de la Convention-cadre des Nations Unies sur les
changements climatiques21, qui s'est tenue à Copenhague en décembre 2009 avec
l'objectif de définir un "après-Kyoto 2012", peut sembler optimiste en regard de
l'incapacité que les Etats ont montrée à s'entendre sur des objectifs ambitieux, précis et
contraignants de réduction des gaz à effet de serre (GES). Pourtant les défis énergétiques
à relever sont de taille, comme nous allons le voir maintenant, et les tendances actuelles
du système énergétique mondial les amplifient au lieu de les réduire.

1.1.3 Energie et changement climatique

La hausse constante des besoins en énergie, avec son corrolaire l’utilisation


intensive des énergies fossiles, et l'organisation majoritairement centralisée du système
énergétique traditionnel dominant posent trois problèmes majeurs : pollutions, sécurité
d’approvisionnement énergétique et, le plus préoccupant des trois, le changement
climatique. Après un rapide survol des deux premiers problèmes, cette section s’attachera
à décrire les causes du changement climatique, en particulier en lien avec la production
d’électricité.

20
"As explained in the Introduction, the Reference Scenario describes a future in which governments are
assumed to make no changes to their existing policies and measures insofar as they affect the energy sector.
The projections in this scenario are most definitely not a forecast of what will happen: we do not expect
governments to do nothing. On the contrary, it is becoming increasingly likely that governments around the
world will take rigorous action to address the central energy challenges that we have identified in past
Outlooks — climate change, energy security and energy poverty — and put the global energy system onto a
more sustainable path. Climate change could become the main driver of policy in the coming decades. A
critical factor will be the outcome of the climate negotiations in Copenhagen in December 2009 and how
the commitments adopted there are implemented. But we cannot know exactly what governments will
decide to do." (IEA, World Energy Outlook 2009, p. 76).
21
http://unfccc.int/essential_background/items/2877.php
31

La pollution due à la production d’électricité en Suisse et dans une grande partie


de l’Union européenne est faible, en raison d’un mix énergétique global basé sur les
énergies nucléaires et hydrauliques, où la part du charbon, source d’énergie primaire
hautement pollutante, est en baisse. Aux Etats-Unis, la moitié de l’électricité est produite
dans des centrales thermiques qui fonctionnent au charbon, mais la législation anti-
pollution (telle le Clean Air Act de 1990) endigue les effets de cette situation. Par contre,
en Chine et dans de nombreux pays en développement, la pollution liée à la production
d’électricité fait des ravages sur la santé publique. En Europe la pollution liée à la
combustion des énergies fossiles pour les usages de mobilité reste préoccupante, comme
le montre cet exemple : "Environmental problems endanger the health and lives of
people. In 2003, for example, 3400-5700 people died earlier in the Netherlands because
of fine dust in the air, mainly caused by the diesel engines of vehicles" (Egmond, 2006).
Au plan de la sécurité énergétique, la situation en Europe et en Suisse est
préoccupante : en 2006, l'Union européenne est dépendante de ses importations pour ses
besoins en énergies à concurrence de 50% et prévoit que ce chiffre passera à 70% d'ici 20
à 30 ans22. Par comparaison, les Etats-Unis sont beaucoup moins vulnérables car ils sont
très riches en ressources23 : 3ème producteur mondial de pétrole (derrière l'Arabie
Saoudite et la Russie), 2ème producteur de gaz naturel (derrière la Russie), 2ème producteur
mondial de charbon (derrière la Chine) et 1er producteur mondial d'électricité d'origine
nucléaire. Les USA ont aussi d'énormes besoins qui les amènent à être importateurs net :
le 1er importateur mondial de pétrole et le 2ème importateur mondial de gaz. La situation
des USA est cependant nettement moins vulnérable que celle de l'Union européenne. En
effet, les Etats-Unis sont aujourd'hui dépendants de leurs importations pour 26% de leurs
besoins en énergies et prévoient que cette dépendance baissera à environ 21% en 203024.

22
"Notre dépendance envers les importations augmente. À moins d’améliorer la compétitivité de l’énergie
autochtone, les importations – dont certaines en provenance de regions menacées d’insécurité – couvriront
d’ici 20 à 30 ans environ 70 % des besoins de l’Union en énergie, contre 50 % aujourd’hui. Les réserves
sont concentrées dans quelques pays. Actuellement, la moitié environ du gaz consommé dans l'UE provient
de trois pays seulement (Russie, Norvège, Algérie). Si les tendances actuelles se maintenaient, la part du
gaz importé passerait à 80 % du total au cours des 25 années à venir." Commission des communautés
européennes (2006a), p. 3.
23
Ces chiffres sont extraits des chiffres de l'Agence internationale de l'énergie (IEA, 2009b), Key World
Energy Statistics.
24
Energy Information Administration (2009), p. 8. http://www.eia.doe.gov/oiaf/aeo/overview.html
32

Par rapport aux grandes puissances, traditionnelles ou montantes, riches en ressources


énergétiques - USA, Russie, Chine, Brésil – l’Europe est bien démunie et vulnérable.
La dépendance énergétique de la Suisse est très élevée également, comme le montre le
graphique ci-dessous.

Figure 13 – Dépendance énergétique de la Suisse (Office fédéral de la statistique)


http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/21/02/ind32.indicator.72508.3211.html

Comme le remarque le commentaire de l'Office fédéral de la statistique à propos


de ce tableau, 80% des besoins de la Suisse en énergie sont couverts par des importations,
composées d’énergies fossiles et de combustibles nucléaires, donc d'énergies non
renouvelables. Les mesures prises pour accroître l'efficacité énergétique permettent de
réaliser des économies, mais celles-ci sont neutralisées par l'augmentation constante de la
consommation d'énergie25.
Au-delà des graves questions de sécurité énergétique, le problème le plus
préoccupant de tous, en raison de son irréversibilité et de l’importance de ses impacts,
c’est le changement climatique. Le climat de la terre est en train de changer en raison de
l’augmentation de la température globale de la planète, provoquée elle-même en grande

25
http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/21/02/ind32.indicator.72508.3211.html
33

partie par la hausse de la concentration des gaz à effet de serre (GES) émanant d’activités
humaines. Les conséquences du réchauffement, bien qu’encore incertaines, seront
dévastatrices et les coûts du réchauffement énormes.
En 2007, la combustion d'énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole) est à l’origine
de 80-85% des émissions de GES des pays industrialisés26. Le premier gaz en quantité
émise est le gaz carbonique ou dioxyde de carbone (CO2). Il représente à lui seul environ
80% du total des émissions (ramenées en CO2 équivalent, l'unité de mesure commune)27.
Les déterminants principaux des émissions dues à la consommation d'énergie sont les
suivants :
 Population (nombres et modes de vie).
 Economie : état (croissance, décroissance, etc.), structure (importance relative des
différents secteurs) et intensité énergétique.
 Efficacité énergétique : elle décrit la relation entre input et output énergétiques,
c'est-à-dire le rendement des différentes opérations de transformation, de transport
et de conversion de l'énergie, de l'énergie primaire à l'énergie utile (voir p. 38).
 Mix énergétique : le contenu en carbone varie d'une source primaire d'énergie à
l'autre. Lors de sa combustion, le charbon émet presque deux fois plus de GES
que le gaz naturel et environ 40% de GES de plus que le pétrole. L’énergie
nucléaire n'entraîne des émissions que lors des opérations d'extraction et de
transport des matières nucléaires. Les énergies renouvelables n’émettent pas de
GES, (mais des émissions sont associées à la production des différents
équipements, ou à l'utilisation d'engrais et de carburant pour la culture de la
biomasse).
La production d'électricité entraîne des émissions de gaz à effet de serre très
différentes, en fonction du contenu en carbone plus ou moins élevé des énergies primaires
utilisées. Le graphique ci-dessous indique le "contenu en gaz à effet de serre" (kg
équivalent carbone par tonne d'équivalent pétrole, tep, en fait essentiellement ici le
contenu en gaz carbonique) par tonne équivalent pétrole d'énergie finale pour diverses

26
http://unfccc.int/files/ghg_data/ghg_data_unfccc/ghg_profiles/application/pdf/ai_ghg_profile.pdf
27
(IEA, 2001, p.18 ; UNFCCC http://unfccc.int/ghg_data/ghg_data_unfccc/ghg_profiles/items/4625.php)
34

énergies. L'électricité est convertie sur l'équivalence énergie finale28 1 TEP = 11,6 MWh.
Les points d'interrogation signifient que l'auteur, Jean-Marc Jancovici, à "une vague idée
de l'ordre de grandeur, mais que les chiffres précis varient d'une analyse à l'autre"29.

Figure 14 - Jancovici, J.M. (2007), d'après PNUE, Ademe, EDF.


http://www.manicore.com/documentation/serre/kaya.html

Le tableau ci-dessus est intéressant parce qu'il donne des ordres de grandeur. Mais
le rendement, actuel ou futur, des centrales à charbon ou à gaz peut être évalué de façon
plus ou moins optimiste, ce qui peut donner lieu à des évaluations différentes. TEP
Energy (2009, p. 7) situe l’intensité CO2 des centrales à charbon un peu plus bas entre
"850 et 950 g CO2/kWhe (houille), et celle des centrales à gaz, entre 500 et 600 g
CO2/kWhe actuellement, et entre 350 et 400 g CO2/kWhe à l’avenir".
En Suisse, comme nous l'avons vu, les energies fossiles n'entrent dans le mix
énergétique de production d'électricité qu'à concurrence d'environ 5% (voir p. 23 et ss.),
l'essentiel du courant étant produit au moyen d'énergie hydraulique ou nucléaire, avec des
émissions associées qui sont donc nulles ou très faibles. Cependant un pourcentage

28
Voir http://www.manicore.com/documentation/equivalences.html pour plus de précisions.
29
http://www.manicore.com/documentation/serre/kaya.html
35

significatif d'électricité est importé de l'étranger (en particulier d'Allemagne), au moyen


d'un mix énergétique plus émissif en CO2, et, par conséquent, l'intensité CO2 du courant
vendu aux clients finaux est loin d'être négligeable : selon TEP energy (2009, p. 8), elle
se situe actuellement entre 80 et 110 g de CO2/kWh.
Au plan mondial, l'évolution des émissions de CO2, telle qu'elle est projetée dans
le scénario de référence du weo2009, est loin d'aller vers une réduction. Les tendances
fortes de l'évolution du système énergétique mondial que nous avons décrites dans la
section précédente – en particulier la hausse de la demande mondiale d'énergie primaire
et la proportion croissante du charbon dans le mix énergétique mondial – entraînent en
effet une augmentation de 40% des émissions mondiales de GES entre 2007 et 2030,
selon le scénario de référence du weo2009. Cette évolution est représentée dans le
graphique ci-dessous.

Figure 15 - IEA (2009, p. 111). Energy-related CO2 emissions by fuel and region in the
Reference Scenario, weo2009.

Selon le scénario de référence, les émissions de CO2, liées à la production


d'énergie, qui sont passées de 20.9 Gt en 1990 à 28.8 Gt en 2007, atteindraient 34.5 Gt en
2020 et 40.2 Gt en 2030, soit une croissance annuelle moyenne de 1,5% sur l'ensemble de
la période. Les pays non-OCDE seraient seuls responsables de cette hausse des
émissions: le scénario prévoit en effet une légère baisse des émissions des pays membres
de l'OCDE de 2007 à 2030, en raison d'une réduction de la demande (due principalement
à une augmentation de l'efficacité énergétique) et à l'usage croissant du nucléaire et des
36

énergies renouvelables, évolutions dues en grande partie à des politiques déjà adoptées
pour lutter contre le changement climatique et améliorer la sécurité énergétique
(weo2009, p. 110-111).
Les possibilités de réduction des émissions de GES se répartissent aujourd'hui en
trois grandes catégories :
 Changement de mix énergétique : transfert vers des sources d’énergies moins
émettrices de GES, soit en passant du charbon au pétrole, et du pétrole au gaz
naturel, soit en passant vers des formes d’énergies non fossiles telles que le
nucléaire ou les énergies renouvelables. Les préoccupations liées au changement
climatique entraînent un regain d’intérêt pour l’énergie nucléaire dans de
nombreux pays, après son bannissement généralisé dans la foulée des accidents de
Three Miles Island aux Etats-Unis et de Tchernobyl en URSS. Le choix du
nucléaire pour la génération d’électricité dans les années à venir entraînerait des
problèmes de sécurité à différents égards : celui qui est mentionné le plus souvent
est celui du stockage des déchets mais des risques géopolitiques doivent aussi être
pris en compte.
 Séquestration du carbone : de nouvelles techniques permettent de séparer le CO2
des combustibles fossiles ou des gaz issus de leur combustion et de le stocker
dans le sol. Ces techniques sont coûteuses mais semblent incontournables étant
donné l'évolution du système énergétique mondial (en particulier le rôle croissant
du charbon) et une recherche intensive leur est consacrée à l'heure actuelle.
 "Utilisation rationnelle de l’énergie" : elle comprend la conservation énergétique,
qui fait référence à des modes de consommation de l’énergie et donc aux
comportements des consommateurs, et l’efficacité énergétique qui fait référence à
des modes de production d’énergie ou de services énergétiques et donc aux
technologies employées (voir p. 38). Une utilisation plus rationnelle de l'énergie
est le mode de réduction des consommations d'énergie - et des émissions de GES
qui y sont associées – le plus rapide et le moins coûteux.

De façon préoccupante, on assiste aujourd’hui à une interaction entre changement


climatique et sécurité d’approvisionnement énergétique (AIE, 2007). Certains
événements climatiques extrêmes (inondations, tempêtes) menacent le transport de
37

l’électricité, tandis que d’autres (sécheresses, vagues de chaleur) menacent la génération


traditionnelle d’électricité en raison des problèmes de disponibilités d’eau mais aussi de
température de rejet de l’eau dans les rivières (comme l’a montré l’épisode caniculaire de
2003). Face à ces différentes menaces, et dans la mesure où il est impossible pour des
raisons techniques et/ou financières d’enterrer les lignes à haute tension, les modes
centralisés de production d’électricité qui dominent aujourd’hui sont donc hautement
vulnérables par opposition à des modes de génération décentralisés, plus nombreux et
plus diffus, qui augmentent l’autonomie locale et réduisent donc les risques de rupture
d'approvisionnement.
38

1.2 L’EFFICACITE ENERGETIQUE

“The most environmentally sound, inexpensive and reliable power plant is the one we don’t have to
build because we’ve helped our customers save energy.
… Energy efficiency is the ‘fifth fuel’ — after coal, gas, renewables and nuclear. Today, it is the
lowest-cost alternative and is emissions-free. It should be our first choice in meeting our growing
demand for electricity, as well as in solving the climate challenge.”
Jim Rogers, chairman and chief executive of Duke Energy, USA
(in Thomas, Friedman, “Go Green and Save Money”, The New York Times, 21 août 2007)

De l'énergie primaire jusqu'à l'énergie utile, différentes opérations de


transformation, de transport et de conversion ont lieu. A chacune de ces étapes, un certain
pourcentage d'énergie est perdu. Car, tout au long de la chaîne de transformation et
d’utilisation de l’énergie, du côté de l’offre comme du côté de la demande, divers
procédés, appareils ou équipements peuvent être utilisés. Ces technologies peuvent être
plus ou moins efficaces, avec un rendement énergétique plus ou moins élevé. L’efficacité
énergétique exprime ces différences de performance. Elle est le ratio entre l'output
énergétique d'un process ou d'un système et l'input énergétique, ou entre un service
énergétique et l'énergie utile30.
Les services énergétiques sont le produit d’une association entre un appareil
(device or appliance) et une forme d’énergie. L'éclairage est ainsi le résultat de
l’association entre un appareil d'éclairage et de l’électricité, la mobilité est le résultat de
l’association entre un véhicule équipé d’un moteur et un carburant, etc. Ces appareils
peuvent être plus ou moins efficaces, ou autrement dit consommateurs de plus ou moins
d’énergie pour produire le même service énergétique. La différence d’efficacité
énergétique entre différents appareils peut être très élevée. Une efficacité supérieure se
traduit généralement par une réduction de leur coût d’utilisation (qui dépend en grande
partie de leur consommation énergétique).

30
Energy efficiency is the "ratio of the energy output of a conversion process or a system to its energy input
or of an energy-serve to its useful energy input" (Jochem Editor, Novatlantis, 2004, p. 60). Useful Energy is
"the energy use related to all energy losses incurred by end-uses (heated rooms, moving vehicles) to
dissipate heat at ambient temperature" (idem, p. 61).
39

Le système énergétique mondial est très peu efficace: "Today, more than 400,000
31
PJ per year of global primary energy demand deliver almost 300,000 PJ of final energy
to customers, resulting in an estimated 150,000 PJ of useful energy after conversion in
end-use devices. Thus, 250,000 PJ or two thirds of primary energy demand are presently
lost in energy conversion, mostly as low- and medium-temperature heat" (Jochem Ed.,
Novatlantis, 2004, p. 11). En Suisse les pertes du système électrique sont moins élevées
qu'au plan mondial en raison de l'importance de l'hydroélectricité dans le mix énergétique
(env. 55%), dont l'efficacité de transformation est bien meilleure que celle des centrales
thermiques; cependant cet avantage est presque totalement gommé par les pertes
importantes liées à la conversion de l'énergie finale en énergie utile dans les véhicules de
transport (efficacité de conversion de 20% seulement, avec 80% de pertes sous forme de
chaleur). Au total, les pertes liées à la transformation de l'énergie primaire en énergie
finale (env. 24%), au transport vers le lieu de consommation (env. 1,9%), et à la
conversion de l'énergie finale en énergie utile (37,2%) s'élèvent à 62,9% (idem). Le
diagramme ci-dessous représente les flux d'énergie en Suisse en 2001, entre énergie
primaire et services énergétiques, en passant par l'énergie finale et l'énergie utile.

Figure 16 - Jochem Ed. (2004, p. 11). Le système énergétique des services à l'énergie utile, finale et
primaire en Suisse, 2001.

31
Le PJ = Petajoule = unité de mesure d'énergie du système international valant 1015 joules.
40

Le mode de génération centralisée d’électricité au moyen de centrales thermiques,


qui domine au niveau mondial à l’heure actuelle est encore moins efficace, comme le
montre le schéma ci-dessous de Cogen32, basé sur les chiffres de l’Agence Internationale
de l’Energie (Cogen, 2003).

Figure 17 – Source : Cogen, Conférence annuelle (2003)

Le schéma montre qu’environ les deux tiers de l’énergie sont perdus (représentés
par les sections rouges du schéma). La plus grosse partie est perdue sous forme de
chaleur au moment de la transformation des différentes formes d’énergie primaire
(représentées en blanc sur le schéma) en électricité (en vert) dans les centrales
thermiques. Par la suite une partie significative de l’électricité (env. 1%) est perdue lors
de son transport vers l'usager final sur les réseaux de transmission et de distribution. Le

32
European Trade Association for the Promotion of Cogeneration, http://www.cogeneurope.eu/
41

schéma ci-dessus n'indique pas les pertes de conversion de l'énergie finale en énergie
utile.
En Europe, la libéralisation des marchés de l’électricité, initiée par l’Union
européenne en 1997, ainsi qu'une législation plus contraignante sur les émissions de
carbone a entraîné une amélioration de l’efficacité énergétique dans le secteur de l’offre
(en raison d'une pression vers une réduction de l'énergie primaire utilisée pour la
génération d'électricité, pour réduire les coûts de production et/ou pour réduire les
émissions de CO2) mais des améliorations importantes sont encore possibles, soit en
développant des technologies de transformation plus efficaces dans les centrales
traditionnelles, soit en adoptant des techniques de production décentralisée.
Du côté de la demande d'énergie, un potentiel important d'efficacité existe aussi.
De nombreuses solutions sont disponibles pour réduire les pertes au niveau de l'énergie
utile : immeubles à basse consommation, véhicules plus légers, ré-utilisation de la chaleur
perdue. On peut aussi développer des matériaux moins intensifs en énergie, ou moins
consommateurs, ou modifier leurs conditions d'utilisation (telle la formule du car-
sharing)33.
Mais des progrès considérables ont déjà été réalisés. Le tableau ci-dessous en
donne un exemple, celui de l’amélioration remarquable de l’efficacité énergétique (et des
besoins en eau) des lave-linges en Europe depuis 30 ans, ainsi que des économies
financières associées :

Figure 18 - Ceced (2006, p. 21) Energy-Efficiency, A shortcut to Kyoto Targets.

33
Jochem Editor, Novatlantis, 2004, p. 12.
42

On peut également mesurer l’efficacité énergétique d’un immeuble, calculée au


moyen d’une unité de mesure unique (le mégajoule Mj) qui traduit et comptabilise les
consommations de toutes les formes d’énergies par m2 (square foot ft2 dans les pays
anglo-saxons). Là aussi les différences d’efficacité sont frappantes, comme l’illustre le
schéma suivant qui montre les consommations standard des immeubles d’habitation
suisses répartis en quatre catégories: immeubles existants, immeubles neufs construits
selon la dernière réglementation en vigueur en Suisse (SIA380/1) et deux formules
d'immeubles à basse consommation (Minergie et maison passive). On voit que la
consommation cumulée de l'énergie primaire utilisée pour le chauffage, la production
d'eau chaude et l'électricité, varie du simple (environ 400 mégajoules par m2) au triple
(1.300 mégajoules par m2) entre les bâtiments basse consommation et les bâtiments
existants. Il faut noter aussi que la consommation cumulée d'énergie est divisée par deux
entre les bâtiments existants et les nouveaux bâtiments construits selon la législation
SIA380/1.

Figure 19 - Primary energy consumption of typical Swiss


multi-family houses (Novatlantis – 2000 Watt Society)

L’importance de l’efficacité énergétique est évidente aussi dans le tableau ci-


dessous, qui montre la progression de la consommation des différentes sources d’énergies
primaires en Europe (25 Etats) depuis 1971 et la consommation évitée grâce à
l’amélioration de l’efficacité énergétique. Sans cette amélioration, la consommation en
2004 aurait été supérieure de 60% environ. Le tableau ci-dessous "montre qu'en 2005 les
43

"Négajoules" (ou la consommation énergétique évitée du fait des économies) sont


devenues la plus importante ressource énergétique" (Commission des communautés
européennes, 2006c, p. 5).

Figure 20 - Evolution de la demande d'énergie primaire et des "négajoules" (= économies


d'énergie calculées d'après l'intensité énergétique en 1971) (Commission européenne, 2006c, p. 5)

L’efficacité énergétique est source de conséquences favorables pour tous les


acteurs de la société : une utilisation plus efficace de l’énergie constitue une solution aux
trois problématiques de l’énergie. Pour les administrations publiques, les entreprises et les
ménages une utilisation plus efficace de l’énergie se traduit par des économies d’énergies
et donc par des coûts en baisse. En outre des bénéfices indirects peuvent être liés à une
meilleure efficacité énergétique, tels que, par exemple, une amélioration du confort
thermique, du confort visuel, et de la qualité de l'air, qui se traduisent par un absentéisme
en baisse et donc une rentabilité en hausse dans les entreprises et un chiffre d’affaires en
hausse dans les surfaces commerciales : “There is a growing recognition of the large
health and productivity costs imposed by poor indoor environmental quality (IEQ) in
commercial buildings – estimated variously at up to hundreds of billions of dollars per
year. This is not surprising as people spend 90% of their time indoors, and the
concentration of pollutants indoors is typically higher than outdoors, sometimes by as
much as 10 or even 100 times … The costs of poor indoor environmental and air quality
44

– including higher absenteeism and increased respiratory ailments, allergies and asthma
– are hard to measure and have generally been “hidden” in sick days, lower
productivity, unemployment insurance and medical costs.” (Kats, Alevantis, Berman,
Mills, Perlman, 2003, p. 55-56). Quel est le potentiel d'amélioration de l'efficacité
énergétique? La réponse à cette question a fait - et fait encore – couler beaucoup d'encre.

1.2.1 "Energy efficiency gap": un sujet controversé

"Les Européens doivent apprendre à économiser l’énergie. L’Europe gaspille au moins 20% de l’énergie
qu’elle consomme. En économisant de l’énergie, l’Europe contribuera à résoudre les problèmes liés au
changement climatique, ainsi qu’à sa consommation croissante et à sa dépendance vis-à-vis des
combustibles fossiles importés de pays tiers … L’efficacité énergétique est cruciale pour l’Europe: si nous
agissons maintenant, le coût direct de notre consommation d’énergie pourrait être réduit de plus de 100
milliards d’euros par an d’ici à 2020 ; nos émissions de CO2 diminueront du même coup d’environ 780
millions de tonnes par an."
Andris Piebalgs, Commissaire européen en charge de l'énergie, Commission européenne, "Économiser
20% d’ici à 2020: la Commission dévoile son plan d’action pour l’efficacité énergétique", communiqué
de presse IP/06/1434, 19/10/2006.

L’importance de l’efficacité énergétique en matière de politique énergétique a été


soulignée pour la première fois par Amory Lovins en 1976, dans un article devenu
célèbre "Energy Strategy : the Road not Taken " (Lovins, 1976). Dans cet article, Amory
Lovins fait le constat d’une utilisation inefficace des ressources énergétiques, qui se
traduit par un déficit d’efficacité ("efficiency gap").
De fait, de nombreux témoignages semblent confirmer l’existence d’un potentiel
inexploité considérable d’efficacité énergétique. En voici quelques exemples:
• “The potential magnitude of energy-efficiency savings in the electric sector
are reported to be enormous: According to a recent EPRI study, assuming a
100% penetration of the most efficient end-use technologies could reduce US
energy consumption in the year 2000 anywhere from 24% to 44%. … Lovins
claims that at least 75% of current US electricity-use can be saved with sate-
of –the-art technology – and at economical cost” (Sioshansi, 1991, p. 231).
45

• “…it was estimated that, if actual energy services needs in 1978 had been met
with the least-cost mix of energy supply and demand technologies, the country
[USA] would have used 48% less energy than was actually used in that year”
(Robinson, 1991, p. 33).
• “Good practice energy consumption [is] normally in the range of 30% to 50%
below average values. To achieve such reductions of around half to a third of
the energy consumption, organisations were expected to use technology that
was commonly available and not necessarily the very latest and therefore
unproven technology.” (Rigby, 2002, p. 11).
• "L’Agence suisse pour l’efficacité énergétique [S.A.F.E.] vient d’achever une
étude sur la consommation d’électricité de 1500 ménages suisses. Le résultat
est impressionnant: les ménages pourraient baisser de 40% en moyenne leur
consommation de courant électrique … " (S.A.F.E, 2005, p. 1).

Le secteur des bâtiments, qu’ils soient à usage d'habitation ou à usage


professionnel (administratif ou commercial), présente un potentiel d’économies d’énergie
très élevé:
• "C’est par des travaux simples sur les installations techniques du bâtiment que
se réalisent souvent les plus grandes économies soit, réglage des horloges et
consignes des températures. Certaines méthodes de gestion ou d’optimisation
des consommations en énergie … ne nécessitent pas d’investissement majeur.
L’expérience montre que ces mesures peuvent offrir des gains pouvant aller de
15 % sur le thermique et de 20% pour l’électricité et environ 25% pour l’eau
sanitaire." Audit énergétique SIG (Services Industriels de Genève).
• "Il existe d’énormes différences de consommation d’énergie selon les
bâtiments. Alors que certains bâtiments neufs se contentent de moins de 3 à 5
litres de fioul (ou équivalent) par mètre carré par an, les bâtiments existants
consomment en moyenne environ 25 litres par mètre carré, cette valeur
pouvant même atteindre 60 litres par mètre carré. Les matériaux de
construction et les techniques d’installation actuelles permettent d’améliorer
considérablement les performances énergétiques d’un bâtiment, réduisant
46

ainsi sa consommation d’énergie et produisant un bénéfice net, les économies


annuelles réalisées dépassant le coût annuel du capital investi." (Commission
des communautés européennes, 2008)

Figure 21 - EU Directorate General for Energy and Transport (2001), Improving the energy
efficiency of buildings Short presentation of the Commission's proposal for a Directive.
Avril 2001, slide 11/12, http://euroace.org/comdocs/OP_010401.pdf

Le diagramme ci-dessus illustre, à titre d'exemple, la réduction de la


consommation d'énergie de chauffage qui serait réalisée si les bâtiments européens (UE
15) appliquaient la législation danoise en matière de construction. L'objectif de la
Directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments34 est d'activer le
potentiel d'économies d'énergie des bâtiments européens35 (qui est estimé pour 2010 à
20% de leur consommation de 2006 par la Commission européenne36). Atteindre cet
objectif permettrait de réduire la consommation d'énergie totale de l'UE de 5 à 6% en
2020 (ce qui correspond à la consommation cumulée actuelle de la Belgique et de la
Roumanie) et ses émissions de CO2 de 5% (Commission des communautés européennes,
2008).
Même l’industrie présente un potentiel d’économies d’énergie impressionnant,
comme le montre une étude récente de l’Agence Internationale de l’Energie :

34
Directive 2002/91/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2002 sur la performance
énergétique des bâtiments.
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2003:001:0065:0071:FR:PDF
35
Qui sont responsables de 40% de la consommation d'énergie et de 36% des émissions de CO2 en Europe,
http://ec.europa.eu/energy/efficiency/buildings/buildings_en.htm
36
"Bien que l'efficacité énergétique se soit considérablement améliorée au cours des dernières années, il est
encore possible, économiquement et techniquement, d'économiser au moins 20% de l'énergie primaire
totale d'ici à 2020". (Commission des communautés européennes, 2006c, p. 5).
47

• “… manufacturing industry can improve its energy efficiency by an impressive 18


to 26%, while reducing the sector’s CO2 emissions by 19 to 32%, based on proven
technology” (IEA, 2007, p. 23). Cette conclusion de l’IEA est d’autant plus
frappante qu’elle concerne des industries intensives en énergie: aluminium, fer et
métaux, chimie et pétrochimie, ciment, papier et pulpe de papier.

Beaucoup d'autres chiffres décrivant le potentiel d'efficacité énergétique dans les


différents secteurs de consommation d'énergie auraient pu être cités. Cependant, une
distinction importante doit être faite entre le potentiel technique d’efficacité
énergétique37, qui ne prend en compte que la performance de la technologie utilisée sans
considération de coût, et le potentiel économique, qui prend en compte également la
rentabilité de l’investissement nécessaire pour mettre en place des technologies plus
efficaces. Le potentiel économique peut donc être défini comme “the difference between
levels of investment in energy efficiency that appear to be cost effective based on
engineering-economic analysis and the (lower) levels actually occurring (Solar Energy
Research Institute, 1981, cité par Golove et Eto, 1996, p. 6).
Pour certains, en majorité économistes, le potentiel d’efficacité énergétique n’est
que technique. Pour les autres, en majorité ingénieurs, le potentiel est aussi économique,
ce qui signifie que des investissements rentables sont délaissés par les investisseurs
potentiels, provoquant une situation de sous-investissement. Au niveau des entreprises,
cette situation de non investissement dans des solutions techniquement plus efficaces et
économiquement rentables a été qualifiée par l'économiste américain Stephen DeCanio
de paradoxe de l’efficacité, “because it represents a case in which business firms, which
are often presumed (or taken axiomatically) to be economically efficient, make decisions
that do not maximize profits” (DeCanio, 1993, p. 441).
Ces positions contrastées sont à l’origine d’un débat qui dure maintenant depuis
un quart de siècle sans qu’un des deux camps ait vraiment réussi à démontrer et à imposer
son point de vue. Car ce débat est sous-tendu par plusieurs questions délicates :
qu’entend-on par rentabilité d’un investissement ? Quels sont les critères utilisés pour

37
“Where the same service would be provided using the best commercially available technology available
at the time, regardless of the cost”, Janssen, 2004, p. 13
48

l’estimer ? Quelle est la latitude du décideur dans l’estimation des différents paramètres?
Quelle est l’influence du critère de la rentabilité de l’investissement sur la décision
d’investir? Et, finalement, quels sont les enjeux qui se cachent à l’arrière plan du débat ?

1.3 INVESTISSEMENTS EN EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE DES ENTREPRISES

"Many scholars have puzzled over the energy paradox. Some have concluded that no gap between
measured energy use and achievable efficiency potential exists, while others claim to have shown
that there is systematic under-investment in energy efficiency throughout the economy. Of those
who agree about the existence of a gap, there is disagreement about its size, severity, and policy
implications. What is one to make of all this?”
Susan Kulakowski (1999, p. A-1)

L'efficacité énergétique (voir p. 38) est le ratio entre l'output énergétique d'un
process ou d'un système et l'input énergétique, ou entre un service énergétique et l'énergie
utile38. Autrement dit, elle exprime la performance des équipements et des appareils qui
produisent output ou services énergétiques. L'efficacité énergétique fait donc référence à
la dimension technique de l'énergie. Par opposition, la notion d'usage énergétique fait
référence à la dimension humaine de l'énergie, à la façon dont les utilisateurs eux-mêmes
consomment de l'énergie dans les gestes quotidiens de leurs modes de vie.
Ces deux dimensions se traduisent dans deux comportements : un comportement
d’investissement – qui concerne l'efficacité énergétique - dans des appareils plus
efficaces en énergie; et un comportement d’usage de ces appareils, plus ou moins
intensif, plus ou moins optimal, qui fait référence à la notion de conservation de l'énergie.
Un exemple simple illustre la différence entre ces deux comportements dans le domaine
de l'éclairage: le comportement d'investissement consistera à acheter des ampoules à
basse consommation pour remplacer de classiques ampoules à incandescence. Le
comportement d'usage consistera à éteindre la lumière en quittant une pièce. Les deux
comportements - s'équiper d'ampoules à basse consommation (dimension technique) ou

38
Energy efficiency is the "ratio of the energy output of a conversion process or a system to its energy input
or of an energy-serve to its useful energy input" (Jochem Editor, Novatlantis, 2004, p. 60). Useful Energy is
"the energy use related to all energy losses incurred by end-uses (heated rooms, moving vehicles) to
dissipate heat at ambient temperature" (idem, p. 61).
49

éteindre la lumière en quittant une pièce (dimension humaine) - se traduiront par une
baisse de la consommation d'électricité et donc par une baisse de coûts pour le
consommateur. Comportement d'investissement et comportement d'usage concernent les
individus mais aussi les organisations : une entreprise peut s'équiper d'ordinateurs moins
gourmands en électricité (investissement) et habituer son personnel à éteindre ses
ordinateurs lorsqu'ils ne sont pas utilisés (usage).
Les recherches sur les investissements et les usages ont été strictement
cloisonnées entre les sciences économiques et les sciences sociales de l'énergie : le
comportement d'investissement a été étudié surtout par des économistes et des ingénieurs,
tandis que le comportement d'usage, sous la dénomination de "dimension humaine" de
l'énergie, était du ressort des chercheurs en sciences sociales. Economistes et ingénieurs
étant largement majoritaires dans le domaine de l'énergie, l'étude du comportement
d'investissement a dominé l'étude du comportement d'usage.
Des trois niveaux d'analyse envisageables – individus, organisations et marché –
le niveau organisationnel est celui qui a été le moins étudié car les chercheurs en sciences
économiques se sont concentrés sur l'étude du marché, et les chercheurs en sciences
sociales se sont concentrés sur l'étude du niveau individuel (individus et ménages) dans
les immeubles d'habitation39.
Sous l'influence des économistes, le débat sur l’existence éventuelle d’un sous-
investissement en efficacité énergétique s’est axé sur deux thèmes principaux : celui de la
rentabilité de ces investissements et celui de l'existence de barrières à l'efficacité
énergétique, qui bloqueraient les investissements en efficacité énergétique. Dans chacun
de ces deux thèmes, un modèle technico-économique d'analyse, basé sur le paradigme
économique néo-classique, a dominé.
La première section de ce chapitre analysera la problématique de la rentabilité des
investissements en technologies efficaces en énergie. La deuxième section présentera la
question des barrières à l’efficacité énergétique, telles qu’elles sont envisagées dans la
littérature sous différentes perspectives et à différents niveaux (marchés, organisations,
individus).

39
En cherchant, par exemple, à comprendre pourquoi certains appartements identiques, situés dans le même
immeuble, occupés par des familles de taille similaire présentent des différences considérables de
consommation, parfois du simple au double ou au triple.
50

1.3.1 To be or not to be profitable

Pour tenter de confirmer ou d’infirmer l’existence d’un sous-investissement en


efficacité énergétique, une piste de recherche, empruntée par les économistes, a consisté à
évaluer leur rentabilité, en opposant rentabilité apparente et rentabilité réelle. Pour la
majorité des économistes les facteurs déterminants la décision d'investir sont en effet
exclusivement les facteurs financiers, définis sur la base des éléments techniques du
projet. Si des investissements en efficacité énergétique ne sont pas décidés, c'est parce
que leur rentabilité n'est qu'apparente.
La théorie financière stipule en effet que tout investissement dont la rentabilité est
égale ou supérieure au coût du capital de l'investisseur doit être décidé et fournit les outils
qui permettent d'évaluer la rentabilité. En cas de compétition entre investissements, la
théorie financière stipule que le plus rentable doit être choisi. Il convient donc tout
d'abord de présenter brièvement ces outils, les méthodes de calcul de la rentabilité de
l’investissement, proposées – ou prescrites – par la théorie financière des choix
d’investissements.

1.3.1.1 La théorie financière des choix d’investissement

Selon une définition strictement juridique, fiscale ou comptable, "est un


investissement l’achat d’un bien immobilisable" (De Bodt et Bouquin, in Charreaux
2001, p.123). Il s’agit donc de l’affectation d’une dépense aux postes de l'actif
immobilisé (immobilisations incorporelles, corporelles et financières) en fonction de
certains critères légaux ou comptables (tel par exemple le montant de la dépense). Dans
une perspective économique, "l'investissement est la réalisation ou l'acquisition d'un
capital fixe, c'est-à-dire une accumulation de facteurs physiques, principalement de
production et de commercialisation. Ces actifs industriels ou commerciaux augmentent le
potentiel économique de l'entreprise et contribuent à son fonctionnement sur plusieurs
cycles de production successifs" (Conso et Hemici, 2002, p. 372). Selon cette définition,
l’investissement consiste donc essentiellement en une augmentation des capacités de
51

production ou de commercialisation de l’entreprise, sous une forme matérielle


(équipements). Dans une perspective financière, Charreaux (1996, p. 13) définit
l’investissement comme : "toute dépense qui conduit à l’acquisition ou à la constitution
d’un actif en vue de créer de la valeur ". Cette conception élargit la notion
d'investissement puisqu’elle concerne non seulement les dépenses de création d'actifs
physiques et financiers, mais aussi les dépenses en actifs non matériels, tels que
formation du personnel, recherche et développement.
Au-delà de ces différentes définitions, un investissement est, par essence, un
décaissement immédiat avec des espérances d'encaissements futurs. Cette définition
contient deux caractéristiques importantes: tout investissement implique pour l’entreprise,
dans le temps présent, une réduction du profit réalisé ; cette réduction de profit est
acceptée dans l’espoir d’un plus grand profit futur, ce qui laisse appréhender que tout
investissement est assorti de plus ou moins d’incertitude.
L'incertitude provient notamment de ce que le résultat de l’investissement dépend
en partie de décisions prises par d’autres (consommateurs ou autorités publiques par
exemple), sur lesquels l’entreprise n’a pas, ou peu, de contrôle. L’incertitude croît avec la
durée de l’investissement. L’incertitude génère le risque, qui apparaît comme l’une des
caractéristiques fondamentales de l'investissement. Plus l'investissement est risqué,
autrement dit plus l'incertitude sur les flux qu'il produira est grande, plus la rémunération
requise par l'investisseur augmente.
Les techniques d’évaluation développées par la théorie financière permettent de
juger de l'intérêt de l’investissement. La rentabilité mesure le rapport entre le capital
investi et les revenus qui découlent de l’investissement.
Méthode de la période de recouvrement. La méthode la plus simple, est celle
dite de la période de recouvrement, ou du délai de récupération (pay-back time). Elle
consiste à calculer le temps nécessaire pour recouvrer intégralement la ou les mises de
fonds initiales, autrement dit pour réaliser au moins une opération à somme nulle.
Exprimée en années ou en mois, elle s’obtient en divisant le coût initial de
l’investissement par son revenu annuel. La procédure de sélection dans ce cas consiste à
éliminer les projets pour lesquels le délai de récupération est supérieur à un délai
"couperet". En cas de concurrence entre plusieurs projets, celui dont le délai de
52

récupération est le plus court sera choisi. La règle de sélection de la méthode de la


période de recouvrement n’est donc pas basée sur l’évaluation de la rentabilité (qui n’est
pas estimée pour l’ensemble du projet puisque les flux postérieurs à la date de
récupération estimée ne sont pas pris en compte) mais plutôt sur celle du risque, exprimé
par la durée. Le délai couperet est généralement court, inférieur à trois ans, voire deux
ans, ce qui est d'autant plus logique si les flux ne sont pas actualisés. Cependant, une
application mécanique de ce mode de sélection des projets est dangereuse car elle conduit
à favoriser les investissements de courte durée aux dépens de ceux de longue durée, sans
prendre en compte les différences de rentabilité entre les différents projets. Comme le fait
remarquer DeCanio, (1993, p. 908), "un délai de récupération de deux ans pour un projet
d'une durée de dix ans équivaut à une rentabilité réelle, après impôt, de 56%"40. Il faudrait
donc toujours appliquer plusieurs méthodes pour évaluer les investissements, de façon à
prendre en compte l'échéancier complet du projet.
Méthode de la valeur actuelle nette. La valeur actuelle nette (VAN, ou NPV en
anglais pour Net Present Value) d’un projet d’investissement est la valeur actualisée de
tous les flux (flux de trésorerie et flux d’exploitation) estimés sur la durée de vie du
projet, moins le coût initial. Ce qui s’exprime mathématiquement par la formule
suivante :

Le tableau ci-dessous présente un exemple simplifié d'investissement dans lequel


les flux sont actualisés à un taux de 15%.

40
"A payback of two years for a project with a 10-year lifetime is equivalent to a post-tax real rate of return
of 56%." (DeCanio, 1993, p. 908). Ce pourcentage varie évidemment en fonction du taux d'imposition.
53

Flux de Facteurs Entrées Sorties


Année l'inves- d'actualisation de liquidités de liquidités
tissement à 15% actualisées actualisées

0 -1,412 1,000 -1412


1 314 0,870 273,20 0
2 104 0,756 78,60 0
3 380 0,658 250,00 0
4 410 0,572 234,50 0
5 368 0,497 182,90 0
6 934 0,432 403,50 0

n
[1/(1+ 0,15) ] 1422,70 -1412

Tableau 2 – Calcul de la valeur actualisée (Bender et Dumont, 2001, p. 156)

Si on applique la formule de la VAN à l'exemple ci-dessus, la valeur actuelle nette


de l'investissement est donc de:
1'422,7 – 1'412,0 = 10,7

Une rentabilité strictement égale à 15% impliquerait que la somme des flux
actualisés soit égale à la sortie initiale de capitaux, soit dans l'exemple 1'412,0 et que le
résultat de la formule soit donc 0. Ici le résultat est positif – 10,7 –, ce qui signifie que la
rentabilité du projet est supérieure à la rentabilité exigée de 15%, excédent qui représente
une sorte de "surprofit" par rapport à l'exigence minimum de rendement.
Le taux d’actualisation représente donc l’exigence minimum de rendement de
l’investissement. Celle-ci est basée sur le coût du capital pour l’entreprise et sur le risque
attaché au projet : plus le risque est élevé, plus le taux d’actualisation sera fixé à un
niveau élevé, plus petite sera la VAN et moins intéressant l’investissement. La structure
temporelle de l’investissement est importante car l’actualisation des flux plombe la VAN
des projets qui ne sont pas – ou peu - rentables durant les premières années. Selon la
théorie financière, si la valeur actuelle nette est supérieure ou égale à zéro (c'est-à-dire
dans l'exemple ci-dessus, supérieure ou égale à 15%), le projet est suffisamment rentable
pour être accepté. Si la Van est inférieure à zéro, le projet est insuffisamment rentable,
compte tenu de la rentabilité minimum exigée.
54

Le taux d'actualisation exerce donc une influence décisive sur la rentabilité du


projet d'investissement. Par exemple si on reprend les chiffres de l'exemple ci-dessus, et
qu'on les actualise à un taux de 13% au lieu de 15%, la valeur actuelle nette du projet
passe de 10,7 à 110,5. Inversement la valeur actuelle nette calculée, par exemple, avec un
taux d'actualisation de 17% devient négative à – 79,6.
Reprenant les données de l'exemple indiqué plus haut, le tableau ci-dessous
illustre l'influence du taux d'actualisation sur la valeur actuelle nette : au fur et à mesure
de l'augmentation du taux d'actualisation, la VAN diminue au point de devenir négative.

Taux 13% 14% 15% 16% 17%


d'actualisation

VAN 110,5 57,7 10,71 -35,6 -79,6

Méthode du taux de rendement interne. Le taux de rendement interne (TRI) est


le taux d'actualisation pour lequel la valeur actuelle nette est égale à zéro, c'est-à-dire
quelque part entre 15 et 16% dans notre exemple. Si l'on ne dispose pas d'une calculatrice
électronique, on doit le calculer par interpolation linéaire (et l'on obtiendra 15,25%).
Selon la théorie financière, si le TRI d'un projet d'investissement est supérieur au
taux de rentabilité exigé pour le projet (taux d'actualisation), alors le projet est
suffisamment rentable pour être accepté (ce qui est normal puisque un TRI supérieur au
taux d'actualisation signifie une VAN supérieure à 0 au taux d'actualisation défini pour le
projet).
55

1.3.1.2 Investissements en efficacité énergétique

"At the recent ACEEE conference, James McMahon began his assessment of conservation policy by
asking the audience whether they would invest $100 if the payoff were $33 per year forever. The
present value of this income stream, capitalized at a 10% discount rate, is $333, which is 3.3 times
the initial cost. McMahon's point, which is well supported in the literature, is that such an investment
characterizes several conservation opportunities.
…This paper argues that merely asserting the above investment to be efficient is premature.
Conservation researchers have ignored modern investment theory as well as the conditions under
which the private market allocates resources efficiently. Investment theory suggests that an energy-
efficiency investment with the above payoff may be declined by rational, well-informed individuals,
not because of market barriers but because the investment is illiquid, risky and has high transaction
costs."
Sutherland (1991, p. 15)

Dans le cas des investissements en efficacité énergétique, les flux de


l'investissement sont d'abord constitués des coûts évités: coûts énergétiques et,
éventuellement coûts d'entretien des équipements. Un investissement en efficacité
énergétique41 rentable sera donc un investissement dont le montant initial est compensé
par les économies résultant de la réduction de la consommation énergétique (du bâtiment,
du véhicule, de la chaîne de production industrielle, etc.). Deux problèmes se posent pour
l'évaluation de la rentabilité de ces investissements. Le premier problème réside dans
l’évaluation des économies physiques qui en résulteront, qu’il n’est pas toujours facile
d’estimer de façon précise42. Le deuxième problème concerne la traduction des
économies physiques en économies monétaires, ce qui pose notamment la délicate
question de l’estimation des prix futurs de l’énergie, dont la difficulté croît avec la durée
de l’investissement.
Le tableau ci-dessous illustre l'importance du taux d'actualisation (ajusté du
risque) et des estimations des prix futurs de l'énergie. Il est extrait des travaux de Simon

41
Rappelons que nous définissons l’investissement en efficacité énergétique comme un investissement dans
lequel la réduction de la consommation énergétique (au moyen de technologies plus efficaces) est le/un
facteur prioritaire de décision.
42
Même si des "protocoles, méthodes et outils" solides ont été développés par EVO (Efficiency Valuation
Organization) pour évaluer les économies physiques des projets en efficacité énergétique, qui sont en voie
de s'imposer comme standard mondial. www.evo-world.org/
56

Awerbuch (2003) sur l'estimation des coûts "réels" de la production d'électricité au


moyen de sources énergétiques fossiles, nucléaire et renouvelables.

Figure 22 - "Risk-adjusted cost of electricity estimates (Europe/IEA countries)


based on historic fuel price risk" (Awerbuch, 2003,
http://www.jxj.com/magsandj/rew/2003_02/real_cost.html )

La différence entre les estimations "traditionnelles" (en vert) et les estimations


ajustées du risque (en bleu) provient de la volatilité des prix futurs de l'énergie. Si l'on
applique la méthode d'évaluation des coûts de production de l'électricité proposée par
Awerbuch, les modes de production basés sur les énergies fossiles deviennent plus
coûteux que la majorité des modes de production basés sur les énergies renouvelables.
Les estimations "traditionnelles" sont issues des coûts de l'énergie prédits par le World
Energy Outlook 2000 de l'Agence Internationale de l'Energie dans leur scénario de
référence. Ces prédictions méritent d'être rappelées (et de figurer sur les bureaux de
toutes les personnes travaillant dans le domaine des prévisions). En effet, en ce qui
concerne le prix du pétrole (dont le prix a franchi la barre des $80/baril en octobre 2007
et celle des $100/baril en 2008), les prévisions de l'Agence Internationale de l'Energie en
2000 étaient les suivantes: "The Reference Scenario assumes an average IEA real crude-
oil import price between 2000 and 2010 of $16,50 per barrel in 1990 dollars, equivalent
to $21 per barrel in today's money. This price equals the average from 1987 to 1999.
57

Between 2010 and 2020, the price increases steadily to $22,50 per barrel in 1990 dollars
or $28 per barrel in today's money" (IEA, 2000, p. 39).
Le tableau ci-dessous représente graphiquement les estimations de l'IEA relatives
aux prix respectifs des énergies fossiles à horizon 2020, exprimés en dollars par tonne
d'équivalent pétrole. La caractéristique la plus frappante de ce tableau datant de 2000,
quand on l'examine en 2007, est la stabilité des prix de toutes les énergies fossiles, qui
restent imperturbablement inchangés entre 2001 et 2010.

Figure 23 - IEA (2000). World Energy Outlook2000, p. 37

Exemple plus modeste, le tableau suivant décrit le mode de calcul d’un projet en
efficacité énergétique à l'université de Santa Clara en Californie (les chiffres indiqués
dans le tableau ne sont pas réels, mais indicatifs). Il s'agit d'un projet relatif à un
remplacement de 150 appareils d’éclairage équipés d’ampoules à incandescence par des
appareils équipés d’ampoules basse consommation. Le calcul prend en compte la
consommation de chaque type d’ampoule (en watts), le coût initial des ampoules et leur
durée de vie (en heures), leur coût de remplacement (10 minutes de travail par lampe au
taux horaire de 40$) et le coût horaire de l’électricité (kilowatt hour rate). L’indication du
nombre d’heures d’utilisation par an (8.760 heures) permet d’estimer le nombre
d’ampoules qui doivent être achetées et remplacées chaque année et le coût annuel de
58

l’électricité. Est prise en compte également l’incitation financière offerte par le


fournisseur d’électricité.
Le calcul montre à quel point le coût de l’énergie est important dans l’évaluation
de la rentabilité. Pour les projets de longue durée (isolation, système de chauffage, etc.),
ce coût est difficile à estimer, et cette incertitude pèse sur la décision. Ce projet
d’investissement montre cependant aussi à quel point un investissement en efficacité
énergétique peut être rentable : ici de nouvelles ampoules, bien que plus chères,
permettent de réduire les coûts de remplacement (car elles durent quatre fois plus
longtemps) et la facture d’électricité (car elles consomment presque sept fois moins).
59

Figure 24 - Analyse type d'un projet en efficacité énergétique


telle qu'effectuée par l'université de Santa Clara, Californie (Kulakowski, 1999, p. 7)
60

Dans l'exemple ci-dessus, la sortie de liquidités (le coût initial de l'investissement


qui correspond à l’appareil lui-même, le support de l'ampoule) est de 2.475$ et les
économies financières totales réalisées la première année sont de 12.746$. Au total la
rentabilité de l’investissement décrit ci-dessus est très élevée. Elle est de 515% sur un an,
avec une période de recouvrement de 2,33 mois. Dans les années suivantes la rentabilité
est encore plus élevée puisqu'il n'est plus nécessaire de faire l'acquisition des appareils
d'éclairage: 13.534$.
De nombreux exemples montrent que des investissements en efficacité
énergétique dont la rentabilité estimée est élevée ne sont pas entrepris: par exemple
Anderson et Newell (2004) ont ainsi analysé les résultats du programme "Industrial
Assessment Centers " (IAC) patronné par le département américain de l’énergie. Ce
programme, lancé en 1981, propose aux entreprises industrielles, de tous secteurs
confondus et situées sur l’ensemble du territoire américain, des audits énergétiques
gratuits ainsi qu’une évaluation financière des mesures de conservation identifiées. Grâce
à une collaboration entre vingt-six universités américaines, les résultats de 10.000 audits,
les 70.000 mesures que ces audits ont recommandées aux entreprises ainsi que les projets
ayant été effectivement adoptés par celles-ci, ont été répertoriés dans une base de
données. Se basant sur ces données, Anderson et Newell ont calculé le temps de
récupération simple des projets ayant une durée inférieure à 9 ans : selon leurs calculs, le
temps de récupération moyen est de 1,29 année43. Malgré ce délai de recouvrement
rapide, seuls 53% des projets recommandés ont été décidés par les entreprises. Les
entreprises interrogées sur les raisons de la non adoption de projets à rentabilité aussi
élevée, donnent des réponses très variées et parfois peu convaincantes telles que
"désaccord avec le projet" ou "motif inconnu". 13,8% des entreprises indiquent des
problèmes de liquidité pour financer l'investissement initial. 27,1% déclarent être encore
en train d'examiner l'investissement (Anderson et Newell, 2003, p. 21).
Autre exemple, dans le domaine du gaz naturel, celui de la campagne "Save
Energy Now". Confronté à la hausse des prix du gaz naturel, liée aux ouragans violents
ayant frappés le golfe du Mexique en août 2005, qui met en évidence la vulnérabilité de
l'industrie américaine, le département américain de l'énergie (DOE) lance cette initiative

43
Correspondant à un coût initial moyen de US$ 7400 et des économies estimées de US$ 5600 par an.
61

en octobre 2005. "Save Energy Now" a pour but d'aider les responsables de l'énergie dans
les entreprises à réduire leurs consommations de gaz naturel. La première étape du
programme consiste à établir un état des lieux basés sur 36 audits énergétiques réalisés
dans 39 états américains auprès d'industries de différents secteurs d'activités
(secondaires). Les résultats des audits44 montrent que 40% des économies identifiées
peuvent être obtenues avec un temps de retour inférieur à 9 mois et 40% avec un pay-
back entre 9 et 24 mois, 17% des économies potentielles présentent un pay-back compris
entre 2 et 4 ans. 4% seulement des économies identifiées par les audits ont un pay-back
supérieur à 4 ans. Ces économies totalisent 95,6 millions de dollars. Ces résultats sont
représentés dans le tableau ci-dessous:

Opportunités d'améliorations énergétiques dans l'industrie


Identifiées par l'initiative du Dpt américain de l'énergie
"Save Energy Now"
Distribution du pay-back
≤ 9 mois Amélioration de l'isolation
Mise en œuvre du programme "steam trap "
Nettoyage des surfaces de transfert de chaleur 40%
9 mois - 2 ans Chauffage de l'eau
Abaissement de l'oxygène superflu
Récupération de chaleur combustion de gaz 40%
2 - 4 ans Modification turbines à vapeur
Utilisation de l'oxygène pour la combustion
Changement du process d'usage de la vapeur 17%
≥ 4 ans Installation d'un système CHP 200%
Source : U.S. Departement of Energy, Industrial Technology Program

Figure 25 - Russel, C. (2006), World-Class Energy Assessment, Industrial Action Plans


for Greater and More Durable Energy Cost Control, Alliance to Save Energy,
Washington, p. 22.

Une démonstration de l'existence de potentiels rentables d'économies d'énergie


(électrique et thermique) est faite depuis de nombreuses années, en Suisse, par le bureau
d'ingénieurs Enerplan (Villars Ste Croix, Lausanne). Enerplan applique une méthode
originale d'optimisation dans les bâtiments à usage tertiaire ou industriel. La méthode

44
Les résultats complets sont disponibles sur le site du département US de l'énergie:
http://www1.eere.energy.gov/industry/saveenergynow/
62

consiste à évaluer et à suivre de façon très fine la consommation de ces bâtiments45 (au
moyen d'un nombre très élevé de points de mesure et d'un logiciel informatique ayant été
développé par Enerplan), et à piloter le bâtiment, en collaboration avec un collaborateur
interne de l'entreprise/administration publique propriétaire, pour harmoniser et
coordonner le fonctionnement des différents systèmes techniques gros consommateurs
d'énergie (chauffage, ventilation, froid).
Les résultats de réduction des consommations (énergies et eau) obtenus sur une
période de 1 à 2 ans par Enerplan sont impressionnants. Les économies réalisées le sont à
un coût très bas (quelques milliers de francs suisses) qui se répartit entre l'abonnement
annuel souscrit auprès d'Enerplan, les frais de prises de mesures et, dans certains cas, des
honoraires d'évaluation des potentiels d'économies. Les exemples ci-dessous donnent un
aperçu des résultats.

Quelques résultats d’optimisation obtenus sur 1-2 ans, sans


investissement en capital, avec chiffre d’affaires croissant
(source Enerplan).

• Food retailer logistic center • Shopping mall:


- Electricity: - 4’000 MWh / - 25% - Electricity: - no savings
- Heating - 4’450 MWh / - 33% - Heating: - 635 MWh / - 38%
- 1’149 tCO2 / - 38% - Water: - 18’300 m3/ - 51%
- Water - 30’000 m3 / - 27%
• Newspaper publisher printing • Bank
center - Electricity : - 2'740 MWh / -25 %
- Electricity : - 490 MWh / - 15 %
- Heating : - 80 MWh / - 17 % - Heating : - 1'860 MWh / - 45 %
- 16 t CO2 / - 17 % - 368 t CO2 / - 45 %
- Water : - 3'600 m³ / - 40 % - Water: - 36'000 m³ / - 72 %

Figure 26 – Source : Enerplan, Sainte-Croix

Le niveau des prix de l'énergie ne joue pas non plus automatiquement un rôle dans
les décisions d'investissement, comme le montre une étude effectuée par IFC
(International Finance Corporation, filiale de la Banque mondiale) en 2006 en Russie,

45
Par exemple, 6.000 points de mesure au quart horaire à l'hôpital cantonal de Genève
63

dans le cadre de son programme "Sustainable Energy Finance"46. Le graphique ci-


dessous illustre cette situation : on voit que les régions dans lesquelles le prix de
l'électricité est le plus élevé (telles les régions de Novgorod et de Krasnodar) ne sont pas
celles dans lesquelles le nombre de projets en efficacité énergétique entrepris est le plus
élevé (IFC, 2006, p. 26).

Figure 27 - IFC (2006). Prix de l'électricité et nombre moyen de projets


en efficacité énergétique en Russie, par entreprises, par secteur.

Les chiffres permettent donc bien de penser que de nombreux investissements


très rentables ne sont pas décidés par les entreprises, en contradiction avec les préceptes
de la théorie financière.
Cependant, pour la majorité des économistes (citons Anderson et Newell, 2003;
Golove et Eto, 1996; Jaffe et al., 1995; Palmer et Simpson, 1993; Schelling, 1992; Sorrel
et al., 2000; Sutherland, 1991; Van Soest et Bulte, 2001), des coûts de transactions et
"coûts cachés" rendraient les opportunités d'investissement mis en évidence par les

46
www.ifc.org/russia/energyefficiency
64

audits, moins rentables qu’en apparence. Autrement dit, les flux attendus seraient
majorés, certains coûts difficilement identifiables n'étant pas pris en compte. En outre les
économies d'énergies ont pu être surestimées et le risque associé aux investissements
sous-estimé. Pour expliquer les décisions négatives des organisations à l’égard
d’investissements présentant des rentabilités élevées, les économistes concluent à une
rentabilité seulement apparente: leur niveau élevé d’incertitude et leur irréversibilité
augmente le risque de ces investissements et, par conséquent, l’exigence de rentabilité
des investisseurs.
Anderson et Newell (2003, p. 23) déclarent ainsi que: "we do find evidence that
there are likely many unmeasured costs and risks not captured in the IAC program's
simple financial estimates, so that estimated rates of return likely differ from realized
rates of return" [souligné par les auteurs]. Comme le résument en une brillante formule
Jaffe et Stavins (1994, ?), “energy-saving investment would be energy-efficient but
economically inefficient”. Cela expliquerait l’exigence de rentabilité plus élevée que le
coût du capital pour les investissements en efficacité énergétique (Sorrel et al. 2000;
DeCanio, 1993) ou plus élevée que celle exigée pour des investissements destinés à
accroître la capacité de production (Anderson et Newell, 2003 ; Kulakowski, 1999;
Robinson, 1991). Cela expliquerait aussi la décision négative - mais rationnelle - de
l’investisseur potentiel.
Sorrel et al. (2000) ont cherché à comprendre pourquoi des opportunités
d'investissement en efficacité énergétique apparemment rentables, car présentant un délai
de récupération de moins de 3 ans47, signalées par les personnes interrogées48 dans toutes
les organisations étudiées, avaient été délaissées. Leur recherche a été menée, à la fin des
années 90, en Grande-Bretagne, en Irlande et en Allemagne, au moyen d'interviews et de
questionnaires, auprès de 47 organisations relevant de trois secteurs non intensifs en
énergie: ingénierie mécanique, production de bière et universités. Les résultats indiquent
que les barrières considérées comme les plus importantes, par toutes les organisations
étudiées, sont les coûts cachés et l'accès au financement. Les coûts cachés associés aux

47
"Cost effective in this context means that, considering primarily the capital costs and energy costs (i.e.
ignoring hidden costs), the investment has a significantly better rate of return than the cost of capital to the
organisation" (Sorrel et al., 2000, p. 161).
48
"Interviewees were nearly unanimous in agreeing that there were many opportunities with short
paybacks (e.g. 3 years) in their organisations" (idem).
65

charges liées à la gestion de l'énergie telles que les salaires du personnel en charge de
l'énergie, système d'information et temps passés sur les appels d'offre, ou, dans le cas des
brasseries, par des coûts d'interruption de la production et par des pertes de bénéfices
liées à une baisse de qualité des produits. La barrière "accès au capital" fait référence à
des problèmes de financement, ou bien de compétition entre différentes organisations ou
départements. Le risque, risque de métier ou risque technique associé aux technologies
envisagées, est le troisième motif invoqué pour expliquer les non-décisions d'investir en
efficacité énergétique. Coûts cachés et risques rendent donc l'investissement moins
rentable qu'en apparence. Ces investissements insuffisamment rentables doivent de plus
faire face à des problèmes de financement. Par conséquent, "renoncer à ces opportunités
d'investissement est une décision rationnelle"49 (Sorrel et al., 2000, p. 3).
Cette conclusion ne semble pas satisfaisante pour trois raisons: premièrement,
comme le fait valoir DeCanio (1998), la rentabilité estimée de certains projets est
tellement élevée qu’aucune des explications proposées ne permet réellement d’expliquer
pourquoi ils sont rejetés par l’investisseur potentiel; deuxièmement, cette analyse ne
permet pas d’expliquer les différences de comportement qui ont été constatées entre
entreprises du même secteur d’activité; troisièmement les économistes font mention de
coûts cachés mais jamais de "bénéfices cachés". Or il en est de nombreux qui sont liés à
l'amélioration de l'efficacité énergétique pour les entreprises et qui, contrairement aux
coûts cachés, ont pu être estimés assez précisément (Jakob, 2004; Katz et al., 2003; Mills
et Rosenfeld, 1994; Pye et McKane, 1999; Worrell et al., 2003).
L’approche financière, exclusivement axée sur l’évaluation de la rentabilité, pose
un autre problème fondamental : on ne peut pas prétendre que la rentabilité des
investissements en efficacité énergétique n’est qu’apparente alors que les coûts de
transaction et les coûts cachés qui seraient responsables d’une rentabilité réelle inférieure
sont indémontrables. D'ailleurs ces coûts ne sont apparemment pas pris en compte par les
entreprises dans leurs calculs d'investissement (voir la discussion de Sorrel et al., 2000
sur cette question50).

49
"…the neglect of investment opportunities [is] a rational decision" (Sorrel et al., 2000, p. 3).
50
Ces auteurs eux-mêmes ne semblent pas très à l'aise avec le concept de coûts cachés, ce qui est d'autant
plus surprenant qu'il s'agit de la première barrière à l'efficacité énergétique identifiée par leur recherche: ils
reconnaissent que, malheureusement, il n'a généralement pas été possible de chiffrer ces coûts cachés et que
66

D'autre part, dans l'ensemble, la méthode utilisée pour calculer la rentabilité de


ces investissements dans les études sur les résultats des audits est celle de la période de
recouvrement simple, sans actualisation des flux. Tel est aussi apparemment le critère de
sélection des entreprises (DeCanio, 1994). Le débat dans la littérature sur le taux
d'actualisation élevé exigé par les investisseurs pour les investissements en efficacité
énergétique est donc un débat artificiel dans la mesure où ce taux est implicite : lorsqu’ils
utilisent la méthode de la période de recouvrement simple, l'exigence des investisseurs ne
porte pas sur la rentabilité de l'investissement mais sur la durée de récupération de la mise
de fonds initiale.
Enfin, certaines recherches pointent d'autres aspects, qui relativisent l'importance
des facteurs financiers: ainsi, Rigby conteste la pertinence des calculs financiers effectués
par les entreprises: “In addition to the problem that organisations did not know how to
save energy, it was also shown by market research studies carried out for BRECSU that
organisations did not know how to assess the economic potential of their investments in
energy efficiency. The weaknesses in the financial methodologies used by energy
managers and estates departments for estimating the profitability of energy efficient
criteria principally included making errors in the estimate of the inflation rate and
changes to future fuel prices. The result of these errors was to render “many investment
appraisal analyses meaningless” (BRECCSU, 1991, page, 6 cité par Rigby, p. 15).
Kulakowski, (1999, p. 8) a constaté que, dans les deux organisations qu’elle a étudiées,
“energy-efficiency retrofit projects are not only on an uneven playing field with other
capital improvement projects, they are not even on the same field” [emphasis by the
author]: dans l'entreprise d'informatique Santa Clara, les projets isolés de rénovation
énergétique sont traités comme des investissements mais doivent passer par une
procédure budgétaire plus stricte que d'autres améliorations du bâtiment, telles qu'un
remplacement des moquettes ou un nouveau mobilier51; à la Cypress University, les
dépenses liées à des projets en efficacité énergétique ne sont pas capitalisées mais traitées
comme des dépenses opérationnelles et il n'y a donc même pas d'investissement.

ces coûts n'étaient d'ailleurs pas pris explicitement en compte dans le calcul d'investissement fait par les
organisations. Voir Sorrel et al. (2000), p. 170.
51
"At Santa Clara Computers, “stand-alone” energy retrofit projects are treated as capital projects but
must go through a stricter funding procedure than other building improvements, …such as new carpeting
or office furniture” (Kulakowski, 1999, p. 9).
67

D'ailleurs De Groot et al. (2001)52, dans leur recherche menée auprès de 135
entreprises néerlandaises dans 9 secteurs industriels intensifs en énergie, ont montré que
la rentabilité insuffisante de l'investissement n'apparaît pas comme un obstacle aux
investissements en efficacité énergétique, non plus qu'aucun des critères qui pourraient y
faire référence, comme l'incertitude sur la qualité des technologies envisagées ou sur leur
prix. De plus le manque de moyens financiers (la barrière "accès au capital" des
économistes du mainstream) apparaît comme un problème relativement mineur.
L'approche strictement financière, selon laquelle les décisions d'investir
dépendent exclusivement de la rentabilité de l'investissement, semble donc insuffisante.
Elle est contestée par plusieurs auteurs (citons de façon non exhaustive DeCanio, 1993 ;
DeCanio et Watkins, 1998 a et b ; de Groot et al., 2001; Kulakowski, 1999; Rigby, 2002 ;
Robinson, 1991 ; Stern, 1992 ; Stern et Aronson, 1984) qui considèrent que les facteurs
financiers exercent une influence non décisive sur les décisions d'investissement. Comme
le résume Robinson (1991, p. 634) : "le problème n'est pas que les facteurs économiques
ne sont pas pertinents pour expliquer l'usage de l'énergie; il est qu'ils sont insuffisants et
que leurs effets peuvent être annulés ou inversés par des facteurs comportementaux"53.
De nombreux travaux ont cherché à identifier ces facteurs comportementaux, ou
d'autres facteurs, qui pourraient mieux rendre compte des décisions d'investissement. Le
concept le plus complet à cet égard est celui de "barrières à l'efficacité énergétique", qui
décrit un certain nombre d'obstacles, présents dans les marchés de l'énergie et les
organisations, qui bloqueraient les investissements en efficacité énergétique. Sous cette
étiquette on peut regrouper l'ensemble des travaux qui ont adopté une approche non
strictement financière sur les décisions d'investir. On verra dans la section suivante que
ces travaux sont très loin de constituer une perspective unifiée.

52
Le questionnaire de la recherche de de Groot et al. sera soumis aux entreprises genevoises qui
constitueront la base de données pour le volet empirique du présent travail.
53
the point is not that economic factors are irrelevant in explaining energy-use but that they are insufficient
and their effect can be offset or reversed by behavioural factors” (Robinson,1991, p. 634).
68

1.3.2 Barrières à l’efficacité énergétique

“A barrier is a postulated mechanism that inhibits investment in technologies that


are both energy efficient and (apparently) economically efficient.” (Sorrel et al., 2000, p.
11). Qu’elles soient externes (barrières de marché) ou internes à l’organisation (barrières
organisationnelles ou individuelles), les barrières à l'efficacité énergétique bloqueraient
des investissements rentables. Au départ d’une formule utilisée par les ingénieurs, le
concept de barrière a été structuré à l’origine par Blumstein et al. (1980). Par la suite une
littérature importante a enrichi le sujet et la liste des barrières s’est allongée au fil des
années.
Weber (1997, p. 834) précise qu’un modèle de représentations des barrières doit
spécifier trois caractéristiques : quelle est la nature de l’obstacle ? Sur qui exerce-t-il ses
effets, autrement dit quels sont les acteurs concernés ? Sur quoi exerce-t-il ses effets,
autrement dit sur quels aspects de la consommation ou de l’efficacité énergétique? La
nature des barrières qu’il identifie est extrêmement variée, puisqu’elle comprend des
”persons, patterns of behaviour, attitudes, preferences, social norms, habits, needs,
organisations, cultural patterns, technical standards, regulations, economical interests,
financial incentives, etc.“ (idem). En se basant sur cette liste, il propose une typologie qui
fait utilement la distinction entre les barrières institutionnelles (dont sont responsables les
institutions politiques, telles que l’état et les autorités locales mais aussi les partis
politiques ou groupes de pression); les barrières de marché (obstacles liés au
fonctionnement du marché lui-même) ; les barrières organisationnelles (présentes au sein
des organisations) et les barrières comportementales (présentes chez les individus).
Weber précise cependant que la délimitation n’est pas strictement applicable car chaque
barrière peut comprendre en même temps des aspects institutionnels, de marchés,
organisationnels ou individuels.
Comme l'indique la définition de Weber, les barrières à l’efficacité énergétique
concernent plusieurs domaines ou disciplines scientifiques. Sorrel et al. (2000, p. 12),
regroupent ces différents domaines en trois perspectives, résumées dans le tableau ci-
dessous, qui abordent chacune le sujet sous un éclairage particulier: les perspectives
69

économique, comportementale et organisationnelle. Selon ce tableau, la perspective


économique se consacre à l'étude du marché (ici le marché des différentes énergies et des
services énergétiques), dont les acteurs sont les individus et les organisations, et, dans une
moindre mesure, à l'étude des organisations. La perspective behaviouriste ou
comportementale, qui intègre des apports de théories économiques, sociologiques et
psychologiques, fait référence dans le schéma de Sorrel et al., au comportement des
individus et la perspective organisationnelle à celui des organisations.

Perspective Examples Actors Theory


Economic imperfect information, Individuals & Neo-classical economics
asymmetric information, organisations conceived
hidden costs, risk of as rational & utility
maximising
Behavioural inability to process Individuals conceived of Transaction cost
information, form of as boundedly rational economics,
information, trust, inertia with non-financial psychology, decision
motives and a variety of theory
social influences
Organisational energy manager lacks power Organisations Organisational theory
& influence; organisational conceived of as social
culture lead to neglect of systems influenced by
energy/environmental issues goals, routines, culture,
power structures, etc.
Figure 28 – Perspectives économique, comportementale et organisationnelle sur les barrières
à l'efficacité énergétique (Sorrel et al., 2000, p. 12).

Trois niveaux d'analyse des décisions des agents économiques en matière


d'efficacité énergétique peuvent donc être envisagés : marchés, organisations et individus.
Les réponses des perspectives économique, organisationnelle et comportementale, sur les
barrières à l'efficacité énergétique présentes dans les marchés et les organisations seront
discutées dans les sections suivantes. Un chapitre sur la "dimension humaine" de l'énergie
sera consacré ensuite au niveau de décision individuel en matière d'investissements en
efficacité énergétique.
70

1.3.2.1 Barrières conditionnées par le marché

La question des obstacles présents au sein des marchés de l’énergie et des services
énergétiques a été traitée en majorité par des chercheurs se réclamant du cadre théorique
de l’économie néo-classique. Dans ce contexte, “neo-classical economics … attempts to
reconcile the existence of the efficiency gap with the hypothesis that consumers make
energy related decisions in a fully rational manner.”54 (Sorrel et al., 2000, p.1).
Selon la théorie économique néo-classique du bien-être (welfare economics), pour
que les marchés fonctionnent bien et puissent permettre une allocation optimale des
ressources, plusieurs conditions doivent être remplies (Perman, McGilvray, Common,
2003) :
- les marchés sont complets (de tous les biens produits et consommés). Les droits
de propriété sont clairement définis, les acheteurs et les vendeurs peuvent
échanger leurs biens librement ;
- il n'existe que des biens privés et pas de biens publics;
- il n'existe pas d'externalités;
- tous les marchés sont parfaitement compétitifs;
- consommateurs et producteurs bénéficient d'une information parfaite;
- toutes les fonctions d'utilité et de production sont conformes;
- consommateurs et producteurs cherchent à maximiser leurs bénéfices et minimiser
leurs coûts.

Plusieurs imperfections sont cependant susceptibles d'empêcher un


fonctionnement efficace du marché. Les défaillances du marché peuvent prendre quatre
formes : concurrence imparfaite ; marchés incomplets ; information imparfaite ;
information inégale.
Concurrence imparfaite (imperfect competition) : ce concept qualifie des
situations de monopole ou d’oligopole. Dans le domaine de l’énergie, des situations
fréquentes de monopole, en partie naturel (comme par exemple celui des réseaux de
transport d’électricité) entraînent des prix artificiellement élevés. Cependant la théorie
54
La synthèse théorique sur la perspective économique présentée ci-dessous repose en grande partie sur la
revue de littérature de Sorrel et al. (2000).
71

économique ne précise pas le niveau de concurrence nécessaire – ni le niveau


d’information nécessaire - pour un fonctionnement efficace du marché.
Marchés incomplets (incomplete markets) : les droits de propriété sont
imparfaitement définis, ce qui entraîne des externalités55. L’exemple classique d’une
externalité (négative) est celui d’une pollution environnementale qui est provoquée par
une entreprise mais dont les coûts de traitement sont à charge de la collectivité,
contrairement au principe du « pollueur-payeur ». Cette situation, fréquente en matière de
production d’électricité, entraîne des coûts de production, et donc des prix de vente, plus
bas que si les coûts de dépollution (internalisés), étaient à charge de l’entreprise.
Les droits de propriété peuvent concerner des biens privés ou des biens publics. A
la différence des biens privés, les biens publics ont la particularité de pouvoir être
consommés par plusieurs individus sans que leur coût de production augmente. Ils sont
non exclusifs, dans la mesure où aucun utilisateur ne peut être exclu de leur usage, et non
rivaux, car l’apparition d’un nouveau consommateur n'est pas gênante pour les
consommateurs existants dans la mesure où elle ne diminue pas les quantités qui restent
disponibles pour eux. Le phare est l'exemple type du bien public non exclusif et sans
rivalité d'usage entre consommateurs (Bruno et al., 2005, p. 59). En raison de ces
caractéristiques, on ne peut donner un prix aux biens publics et ils ne peuvent être
échangés sur un marché. C’est pourquoi ils sont fournis par les pouvoirs publics et non
par des entreprises.
Information imparfaite (imperfect information). Dans le domaine de l’énergie,
les problèmes d’information imparfaite viennent du caractère de bien public de
l’information et des externalités positives induites par l’adoption de technologies
efficaces.
Selon les économistes, l’information en matière de technologies efficaces en
énergie ou consommations énergétiques présente des importantes caractéristiques de bien

55
"Situation où les décisions d'un agent économique affectent un autre agent en dehors du marché. Ainsi,
l'externalité n'est pas prise en compte par le système de prix et elle n'est pas intégrée dans les décisions de
l'agent qui en est responsable" (Bontems et Rotillon, 2003, p. 51). D’après la théorie, les externalités
surviennent en raison de la violation du principe d’exclusivité, qui prescrit que tous les avantages et coûts
relatifs à l’usage d’un bien doivent revenir à son propriétaire.
72

public, en termes de non exclusivité et non rivalité56. Elle n’a donc pas de valeur
marchande. Une fois que l’information existe, elle peut être utilisée par tout un chacun
pour un coût nul ou très faible, car il est difficile, voire impossible pour une entreprise qui
produit l’information d’empêcher d’autres entreprises ou individus de l'utiliser
gratuitement. D’autre part si l’adoption d’une nouvelle technologie par un acteur
économique constitue une source d’information utile pour d’autres acteurs, alors on est
dans une situation d’externalité positive, puisque le bénéfice de l’information profite à
ces autres acteurs sans qu’il y ait compensation pour "l’adopteur" (Jaffe et Stavins, 1994,
p. 805). Dès lors, les entreprises ne sont pas intéressées à fournir cette information et,
dans l’ensemble, l’information sur les technologies en efficacité énergétique transmise
par les marchés des services énergétiques est insuffisante.
Golove et Eto (1996) ont identifié trois dimensions de l’information imparfaite: le
manque d’information, le coût de l’information et l’exactitude de l’information. Les
effets négatifs d’une information imparfaite seront plus importants dans trois cas (selon
Hewett, 1998, p. 211, cité par Sorrel et al., 2000, p. 32) : le produit ou le service est
acheté rarement ; la performance du produit ou du service est difficile à évaluer avant
l’achat ou peu de temps après ; la technologie évolue rapidement entre deux achats.
Information inégale (asymmetric information). Il s’agit d’une situation
particulière d’information imparfaite dans laquelle les parties en présence ont accès à des
niveaux d’information différents. Un vendeur peut ainsi en savoir plus sur les qualités
d’un produit que l’acheteur potentiel.
Deux conséquences importantes de l’information inégale sont la sélection adverse
et l’aléa moral. La sélection adverse (adverse selection) désigne une situation
"d’opportunisme précontractuel". On parle de sélection adverse si une caractéristique
d’un bien est cachée à son utilisateur potentiel, avant un achat éventuel. Par exemple la
revente, ou la location, d'un logement mieux isolé n'inclut pas forcément le prix des
travaux d'isolation. Notion très voisine de la sélection adverse, l’aléa moral (moral
hazard) désigne une situation "d’opportunisme post-contractuel" (Mohlo, 1998, p. 8, cité
par Sorrel, 2000, p. 21). L’alea moral est généralement envisagé dans le contexte d’une

56
"That is, many people may « consume » the same information without reducing its supply. Similarly, it
may be difficult to exclude people from the benefits of information”. Sorrel et al., 2000, p. 19.
73

relation d’agence (voir p. 75 et ss.). Il qualifie une situation dans laquelle le


comportement d'un agent économique n'est pas parfaitement observable par celui qui l'a
mandaté. Ce qui, étant donné les divergences d’intérêts des parties en présence, peut créer
une incitation pour l’une à adopter une attitude opportuniste au détriment de l’autre. Par
exemple, les constructeurs de logements ont intérêt à rogner sur les dépenses d'isolation
au détriment de leurs acheteurs. La situation d’incitations partagées (split incentives),
barrière fréquemment citée dans la littérature sur les investissements en efficacité
énergétique comme un problème majeur, peut s’interpréter également comme la
conséquence d’une information inégale (Sorrel et al., 2000 ; Jaffe et Stavins, 1994).
L’exemple type de la situation d’incitations partagées est celui du "dilemme propriétaire-
locataire" : le propriétaire d’un bien immobilier pourrait investir dans l’efficacité
énergétique mais il ne le fait pas car l’investissement serait à sa charge tandis qu’un autre
acteur (le locataire) bénéficierait des économies monétaires liées à la baisse de la
consommation énergétique. Quant au locataire il n’est pas désireux de prendre
l’investissement à sa charge car, en cas de départ, c’est le nouvel occupant du logement
qui recueillerait les bénéfices de la baisse de consommation. La solution consisterait,
pour le propriétaire, à pouvoir augmenter le loyer en proportion de l’investissement
effectué ou, inversement, pour le locataire, à obtenir une diminution de son loyer en
proportion de l’investissement effectué. Mais les ajustements à réaliser pour que le loyer
reflète la valeur actuelle des économies d’énergie sont complexes. Et, dans ce cas, des
coûts de transaction viendraient s’ajouter aux problèmes d’information. La plus grande
partie de la littérature sur les incitations partagées n’a étudié cette situation que dans les
immeubles d’habitation et non pas dans les immeubles occupés par les entreprises.
Le tableau ci-dessous présente les différentes barrières à l’efficacité énergétique,
selon le cadre théorique néo-classique de Jaffe et Stavins (1994), qui peuvent expliquer le
déficit d’efficacité énergétique (efficiency gap).
74

Explain Explain efficiency gap Do not explain efficiency


gap gap
Barriers that • Public good attributes of information • Distortions in energy pricing
are market • Positive externalities of technology (e.g. departures from marginal
failures adoption cost pricing, cross subsidies,
• Split incentives in energy service markets VAT differentials etc.)
• Adverse selection in energy service • Environmental externalities
• Moral hazard & principal agent
relationships in energy service markets

Figure 29 – Barrières économiques : échecs du marché (Sorrel, 2000, p. 23,


d’après Jaffe et Stavins).

Reformulant le concept de barrières à l'efficacité énergétique en termes néo-


classiques, Jaffe et Stavins considèrent donc que les supposées barrières sont en réalité
des défaillances du marché, principalement liées à des problèmes d’information
imparfaite ou inégale, qui empêchent la transmission aux agents économiques des
indications de prix susceptibles de déclencher leurs décisions d’investissement. Cette
situation bloque la diffusion de technologies efficaces en énergie et empêche les
investissements car au total "le coût d'acquisition de l'information excède largement celui
de l'énergie elle-même"57 (Sorrel et al.; 2000, p. 32). Par contre d’autres défaillances du
marché, telle que les externalités négatives et la concurrence imparfaite, n’ont pas d’effet
sur les investissements en efficacité énergétique.
En fin de compte, les barrières de marché à l'efficacité énergétique n'existent pas.
Elles sont en réalité des défaillances du marché. Cette conclusion de Jaffe et Stavins est
représentative de l'opinion de la majorité des économistes de l'énergie. Elle est importante
car, selon la théorie économique néo-classique, les défaillances du marché peuvent
légitimer une intervention de l’Etat (condition nécessaire, mais cependant non suffisante),
qui est autrement formellement déconseillée par la théorie, puisqu'elle considère que,
dans leurs conditions normales de fonctionnement, les marchés sont efficaces et ne
doivent pas être contrariés par l'intervention des pouvoirs publics. Une conséquence
indirecte de cette conclusion est la validation du cadre théorique de l’économie néo-

57
"the cost of acquiring information on energy efficiency greatly exceed that for energy supply” (Sorrel et
al.; 2000, p. 32).
75

classique pour décrire le fonctionnement du marché de l'énergie et des services


énergétiques.

1.3.2.2 Barrières organisationnelles

Les barrières organisationnelles aux investissements en efficacité énergétique ont


été analysées selon deux perspectives : une perspective économique - dans le cadre
théorique élargi des théories de l'agence et des coûts de transaction - et une perspective
plus disparate qui regroupe les observations de praticiens de l’énergie et les conclusions
d'analyses socio-psychologiques.

1.3.2.2.1 Perspective économique

Comme dans le cas des barrières conditionnées par le marché, la perspective


dominante sur les barrières organisationnelles est la perspective économique.
La théorie micro-économique néo-classique représente les entreprises comme des
décideurs rationnels, bien informés, désireux et capables de maximiser systématiquement
leurs profits, sous réserve des contraintes imposées par la technologie, le cadre
institutionnel et les conditions du ou des marché(s) (DeCanio, 1993). Mais elle réduit les
organisations à une "boîte noire" au fonctionnement interne opaque et les assimile à un
décideur unique. Au fond, la théorie économique néo-classique "se réduit à être une
théorie des marchés" (Charreaux, 1999, p. 68), insuffisante pour décrire les
comportements individuels des organisations (ainsi que les comportements individuels au
sein des organisations). Elle ne permet pas non plus d'expliquer les décisions
d'investissement des entreprises dans le domaine de l'efficacité énergétique (comme
d'ailleurs dans les autres domaines, ainsi que nous le verrons dans la deuxième partie
consacrée aux décisions dans les organisations).
Pour comprendre ces décisions, il faut ouvrir la fameuse "boîte noire" et tenter de
comprendre ce qui s’y passe. Telle est la démarche des théories de l'agence et des coûts
de transaction, venues compléter la théorie économique néoclassique au milieu des
années 1970. Ces théories proposent un cadre explicatif du fonctionnement de
l’entreprise, en prenant en considération différents groupes d'acteurs, dont les intérêts,
76

opposés, déterminent le comportement (voir la section "l’entreprise comme réseau de


contrats", p. 137). Dans ce cadre théorique élargi, l’entreprise devient une “collection
d’individus” liés par un ensemble complexe de contrats, bien différente d’une entité
agissant avec une conscience et une volonté unique, et dont le comportement, rarement
optimal, est le résultat des relations entre les individus qui la composent, les règles et les
conventions qui règlent ces relations, et l'environnement au sein duquel l'entreprise
exerce son activité58 (DeCanio, 1993, p. 906).
La théorie de l’agence est la branche de l'économie, à l'intersection entre
l'économie industrielle et la théorie des organisations, qui étudie et modélise les
conséquences de la relation d'agence, à l'intérieur d'une même unité économique,
administration ou entreprise. Une relation d'agence existe lorsqu'un "principal" (par
exemple un actionnaire) recrute un "agent" (par exemple un gestionnaire). Le
principal dépend de l'action de l'agent sur lequel le principal est imparfaitement informé.
L'existence d'intérêts divergents et l'asymétrie d'information font de la relation d'agence
une "relation conflictuelle entre personnes" (Charreaux, 1999, p. 63). Cette forme de
relation peut exister, au sein du marché, entre organisations différentes mais aussi au sein
des organisations elles-mêmes, entre les actionnaires et les managers, entre les
actionnaires et les créanciers, ou entre le haut management et les niveaux inférieurs59.
"L’idée qui sous-tend [la théorie de l’agence] est d’une simplicité extrême. En raison des
divergences d’intérêts entre individus ou organisations, les relations de coopération
s’accompagnent nécessairement de conflits inducteurs de coûts qui réduisent les gains
potentiels issus de la coopération" (Charreaux, idem). Or les décisions d’allocations de
ressources qui régissent le processus de création de valeur, typiquement les
investissements, sont une source importante de conflits d'intérêts au sein des
organisations.
La théorie économique des coûts de transaction (Coase, 1937; Williamson, 1981),
postule, contrairement à la conception néo-classique, que les transactions entre acteurs

58
“is the outcome of the interplay of the motivations of the individuals comprising it, the rules and
conventions governing their interaction, and the environment within which the firm operates.” (DeCanio,
1993, p. 906).
59
La complexité vient aussi de ce que, dans les structures hiérarchiques complexes comme celles des
entreprises un collaborateur (un manager de niveau intermédiaire) peut être à la fois mandant et agent. Et
un collaborateur peut avoir différents mandants.
77

sont rarement sans coûts. Ces coûts de transaction apparaissent entre organisations mais
aussi au sein des organisations elles-mêmes, puisque Williamson inclut dans sa définition
de la transaction les échanges de produits ou de services entre départements de la même
entreprise, qui ne donnent lieu à aucune distribution de revenu. Le principe au cœur de la
théorie des coûts de transaction est que le coût de l’échange est lié au degré de confiance
entre les parties, qui dépend lui-même de "deux mécanismes essentiels du comportement
individuel : la rationalité limitée et l’opportunisme" (Joffre, 1999, p. 150), défini par
Williamson comme "la recherche de son propre intérêt en ayant recours à la ruse" (cité
par Charreaux, 1999, p. 70).
Selon le modèle décisionnel de la rationalité limitée (Simon, 1959; voir p. 129),
l’agent économique ne dispose pour prendre ses décisions que d’informations imparfaites
et de capacités cognitives limitées, qui l’inclinent à accepter des solutions satisfaisantes,
en contradiction avec l’agent maximisateur de la rationalité substantive qui sous-tend le
modèle décisionnel néo-classique. La rationalité limitée est un concept central des
théories comportementales, qu’elles soient économiques ou sociologiques, qui cherchent
à décrire le comportement réel des individus, par opposition à l’approche néo-classique
qui déduit ce comportement de modèles théoriques abstraits.
En intégrant le concept de la rationalité limitée, emprunté à la sociologie,
Williamson s’inscrit dans la ligne de la sociologie des organisations. "Il y ajoute
cependant une dimension originale concernant le comportement des agents économiques
– l’opportunisme, voire la ruse – et éclaire d’une lumière particulière la nature des
rapports économiques entre les hommes : des liens de coopération mâtinés
d’opportunisme individualiste" (Joffre, 1999, p. 147).
Outre la rationalité limitée et l’opportunisme (source, comme nous avons vu,
d'aléa moral et de sélection adverse dans l’organisation), les principaux déterminants de
formation des coûts de transaction sont : le petit nombre d’acteurs, les asymétries
d’information, la fréquence des relations contractuelles, la spécificité des actifs et
l’incertitude et la complexité de l’environnement. Les coûts de transaction sont donc
généralement dûs à des problèmes d’information imparfaite ou de traitement de
l’information. L’autre composante principale des coûts de transaction est la négociation.
78

Basé sur les principes des théories de l’agence et de l’économie des coûts de
transaction, le concept de défaillance de l’organisation60 (organizational failure) proposé
par Sorrel et al. (2000) est la transposition au sein de l’organisation du concept
économique néo-classique de défaillance du marché. Les défaillances de l’organisation
responsables d’un sous-investissement en efficacité énergétique selon cette perspective
économique élargie sont au nombre de trois : information imparfaite, aléa moral, et
incitations partagées.
L'information imparfaite sur l’usage de l’énergie concerne les décisions
d’investissement mais aussi sur l’évaluation par l’organisation de sa performance en
matière de consommation énergétique, ce qui pose la question des instruments de mesure
(factures et compteurs) de cette consommation et plus généralement de la gestion de
l’énergie au sein de l’entreprise61. Le centre de décision de l'entreprise ne peut contrôler
parfaitement le bien-fondé des décisions prises à un niveau subalterne, sur lesquelles
pèsent les effets négatifs de la rationalité limitée et de l’opportunisme (situation d'aléa
moral62). Pour réduire les conséquences défavorables d'une telle situation, le centre de
décision fixe des règles a priori, des routines (Stern, 1984 ; DeCanio, 1993) telles que les
règles internes d’adoption des investissements. Ces routines peuvent exercer une grande
influence sur le processus décisionnel au sein de l’organisation. Ainsi Sorrel et al. (2000,
p. 46) considèrent que "la plupart des décisions résultent de l'application d'un ensemble
de règles à une situation, plutôt que d'une analyse systématique des alternatives"63. Temps
de récupération et exigence (ou seuil) de rentabilité des investissements sont des
exemples de routine. DeCanio (1993, p. 908) remarque que, en contradiction avec les
prescriptions de la théorie financière, "les seuils de rentabilité peuvent être fixés en
liaison avec les problèmes de contrôle d'une grande organisation et pas seulement en

60
“where the barrier results from organisational structure and policy and may be reduced through
managerial tools such as task allocation and incentive design” (Sorrel et al., 2000:25)
61
Voir p. 323 et ss.
62
Rappelons (voir Page 29 of 412) que l’alea moral qualifie une situation dans laquelle le comportement
d'un agent économique n'est pas parfaitement observable (ex post) par celui qui finance ou a financé son
action. On parle de sélection adverse quand une caractéristique d’un bien est cachée à son utilisateur
potentiel, avant un achat éventuel
63
“…most decisions are a result of applying a set of rules to a situation, rather than a systematic analysis
of alternatives”. (Sorrel et al., 2000, p. 46)
79

fonction du coût du capital de l'entreprise"64. Il cite notamment une étude menée par
l’EPA auprès de 48 entreprises américaines qui a révélé que le temps de récupération
moyen requis pour un certain type d’investissements en efficacité énergétique était de
deux ans, ce qui correspond pour un projet ayant une durée de dix ans à une rentabilité
réelle (après impôt) de 56% (DeCanio, idem). La procédure fréquente de rationnement du
capital décrite par Ross (1986) peut s’expliquer par les mêmes raisons. L'importance des
routines, en particulier les routines budgétaires, dans les décisions d’investissement est
aussi soulignée par Quirion (2004) : la règle organisationnelle fréquente de division, voire
même de séparation rigide, du budget en budget d’investissement et budget opérationnel
constitue un frein aux économies d'énergie, car ces dernières nécessitent en général un
accroissement du budget d'investissement alors qu’elles diminuent les dépenses
opérationnelles. Les incitations partagées au sein de l'organisation viennent de que les
coûts énergétiques sont typiquement mutualisés au sein des entreprises supprimant toute
incitation à réduire la consommation d'énergie pour le responsable d'un service, sans
parler de chaque salarié (Quirion, 2004), Même en cas d'individualisation des coûts entre
services, la rotation rapide des dirigeants d'unités peut réduire leur incitation à mener des
actions d'économies d'énergie, qui ne porteront tous leurs fruits qu'après leur départ. De
même les programmes d’incitation à la performance récompensent généralement la
performance à court terme ce qui diminue l’incitation des managers à s’engager sur des
investissements de long terme (DeCanio, 1993).
En résumé on peut dire que, selon la perspective économique, les défaillances
organisationnelles responsables d'un sous-investissement en efficacité énergétique
relèvent d'asymétries informationnelles. Cette analyse rejoint l'analyse des barrières à
l'efficacité énergétique au sein des marchés de l'énergie et des services énergétiques. Les
mêmes concepts sont employés pour décrire les conséquences, sur les décisions
d'investissement, d'une information imparfaite ou inégale sur les prix/coûts des
technologies efficaces en énergie. Ces situations d’information imparfaite ou inégale,
cumulées à l’opportunisme et à la rationalité limitée du manager-agent, se traduisent pour
le mandant (actionnaire ou manager de niveau supérieur) par un problème de contrôle : il

64
“…hurdle rates can be set with an eye towards the problems of control of a large organization, not just
to correspond to the firm’s cost of capital”. (DeCanio, 1993, p. 908)
80

s’agit de faire en sorte, au moindre coût, que le manager-agent se comporte de façon à ne


pas léser ses intérêts. Dans ce contexte, une des solutions consiste à définir des routines et
des règles qui donnent un cadre contraignant aux décisions, en réduisant la marge de
manœuvre des managers de niveau inférieur. Ces routines se traduisent par des décisions
d'investissement sous-optimales, dans la mesure où des investissements qui présentent
une rentabilité élevée peuvent ne pas être décidés.
La conséquence logique de l’importance donnée à l'information en matière de
choix économiques est l’idée qu’augmenter la quantité de l’information permettra
d’améliorer le taux d’adoption des technologies efficaces en énergie. Il s'agit de fournir
cette information au "décideur-mandant", en réduisant les problèmes liés à la rationalité
limitée et à l'opportunisme des "managers-agents". Ce rôle de fournisseur d’information
revient aux pouvoirs publics, en raison des caractéristiques de bien public de
l’information.
Dans le secteur résidentiel, de nombreux programmes de promotion de
l’efficacité énergétique ont été élaborés sur cette conclusion. Cependant leurs résultats
sont souvent décevants65 (Robinson, 1991, Gram-Hanssen et al., 2007). Les meilleurs
résultats en termes de réduction de la consommation sont ceux des programmes
d’étiquetage (labelling), qui indiquent la performance énergétique de certains produits, en
particulier électroménagers. Pourtant le succès de ces programmes n’est pas dû au
changement de comportement des consommateurs – ce qui était l’objectif poursuivi –
mais à leur impact sur les lignes de produits des fabricants qui, malgré l'absence de
réponse des consommateurs, ont éliminé les modèles les plus inefficaces du marché. Les
économies d'énergie réalisées, qui ont été significatives, ont donc été obtenues malgré le
manque d'impact du programme sur les consommateurs66 (Robinson, 1991, p. 637).
Dans le domaine des entreprises, les audits énergétiques semblent l'outil le mieux
adapté pour informer les décideurs sur les possibilités d'investissement en efficacité
énergétique qui s'offrent à eux. Leur vocation est en effet d’établir un diagnostic
personnalisé du potentiel de conservation de l’énergie dans l'entreprise, tout en offrant

65
“In conclusion, it is clear that, with the exception of some labelling programmes, energy information
programmes on their own have not to date resulted in significant energy savings.” Robinson, 1991, p. 638.
66
“in the absence of consumer response to the programme … virtually eliminated the most inefficient
models from the market. The energy savings, which were significant, thus came in spite of the programme’s
lack of effect on consumers.” (Robinson, 1991, p. 637).
81

éventuellement une assistance technique pour le réaliser. Il est difficile d’évaluer


précisément les résultats des audits qui sont proposés gratuitement dans le cadre de
programmes publics de promotion de l’efficacité énergétique, notamment parce que les
études qui sont publiées ne mentionnent pas les critères retenus pour évaluer la rentabilité
des investissements conseillés. Pourtant de nombreux exemples (j'en ai cité quelques uns
dans le chapitre consacré à la rentabilité des investissements en efficacité énergétique,
voir p. 55) montrent que des opportunités d'investissement intéressantes sont mises en
évidences par les audits, avec des délais de récupération inférieurs à trois ou deux ans,
souvent même inférieurs à une année. Or plusieurs études constatent que l'information
fournie par ces audits a été suivie d'effets mitigés: Anderson et Newell (2004), ont montré
que l’information fournie par les audits énergétiques, n’a pas été suffisante pour entraîner
la décision des entreprises dans près d’un cas sur deux. Un autre exemple aux conclusions
similaires est donné par Sæle et al. (2005) dans le cadre d’une étude portant sur quarante
entreprises. Sur la base des analyses techniques et économiques fournies par des audits,
seule la moitié d’entre elles a décidé de réaliser les investissements proposés. De plus,
deux ans plus tard, sept entreprises sur vingt n’avaient toujours pas entrepris les
investissements décidés. Malgré le manque d'études comparatives, les quelques résultats
disponibles, tels ceux présentés dans des recherches d’Anderson et Newell67 et Sæle et al.
permettent de conclure à l'influence incertaine de l’information; et cela alors même que
les nouvelles technologies de l’information rendent l’information plus accessible et moins
coûteuse (en raison de la diminution des coûts de transaction liés la recherche
d’information) (Joffre, 1999).
On peut donc conclure que plus d’information, destinée à mettre en évidence les
avantages financiers des projets d’investissement en efficacité énergétique, ne suffit pas à
déclencher les décisions des agents économiques.
Sorrel et al. (2000), dans la recherche déjà citée, ont cherché à déterminer
l'importance relative des différents facteurs susceptibles d'expliquer un sous-
investissement en efficacité énergétique dans les organisations : facteurs financiers, selon
l'approche financière (qui soutient que la rentabilité réelle, inférieure à la rentabilité
apparente, est insuffisante pour déclencher l'investissement), et facteurs liés aux

67
Qui portaient rappelons-le sur plus de 10.000 audits et 70.000 mesures, voir page 42
82

problèmes d'information et d'opportunisme, selon l'approche des barrières à l’efficacité


énergétique. Pour ce faire, ils ont analysé l'importance relative des deux catégories de
motifs susceptibles d'expliquer les non-décisions des entreprises à l'égard
d'investissements en efficacité énergétique apparemment rentables : la rentabilité de ces
investissements et les défaillances organisationnelles de gestion de l'énergie, liées à des
problèmes d'information imparfaite et d'opportunisme des agents. Le tableau ci-dessous
résume les résultats de leur recherche qui, rappelons-le, a analysé les décisions de non-
investissement en Grande-Bretagne, en Irlande et en Allemagne, auprès de 47
organisations relevant de trois secteurs, non intensifs en énergie: ingénierie mécanique,
production de bière et universités.

Barrier Higher Brewing Mechanical Total


Education Engineering
Hidden costs UGI UGI UGI 9
Access to capital UGI UGI UGI 9
Risk U UGI UGI 6
Imperfect information UGI UGI GI 6
Split incentives UGI UGI 5
Bounded rationality U GI 3
Power UI UGI 3
Heterogeneity UGI 2
Principal-agent I I 2
Adverse selection U 1
Form of information, credibility & trust I 1
Values & organisational culture I 1
Note: U = UK case studies; G = German case studies; I = Irish case studies

Figure 30 - Barrières considérées comme très importantes dans les différents pays et secteurs
(Sorrel et al. , 2000, p. XXV)

D'après les réponses des interviewés, les facteurs financiers - coûts cachés, accès
au capital et risque - expliquent en premier lieu les décisions négatives des investisseurs
puisqu'ils rendent la rentabilité réelle inférieure à la rentabilité estimée et, en fin de
compte, inférieure au coût du capital. La recherche de Sardianou (2007) met également
en évidence le poids des facteurs financiers: 76% des managers interrogés considèrent
que le rationnement du capital et les coûts élevés de mise en œuvre sont un obstacle aux
investissements en efficacité énergétique. Les facteurs liés à la problématique des
barrières à l'efficacité énergétique, en particulier les problèmes d'information, ne viennent
83

qu'ensuite. L'information imparfaite est la deuxième barrière par ordre d'importance. Les
incitations partagées sont considérées comme une barrière importante par les universités
et par les brasseurs dans au moins deux pays sur trois. Par contre les barrières liées à
l'information inégale (hasard moral et sélection adverse) ou à la forme/source de
l'information ne sont généralement pas considérées comme importantes. Les différences
dans les réponses sont moins marquées entre pays qu'entre secteurs d'activité. Sorrel et al.
concluent que les résultats de leur étude permettent de valider le postulat néo-classique
d'un comportement rationnel des agents économiques, qui ne s'engagent pas dans des
investissements dont la rentabilité est in fine difficile à estimer, ou seulement apparente.
La perspective économique domine la littérature sur les barrières
organisationnelles aux investissements en efficacité énergétique. Cependant plusieurs
travaux adoptent une perspective différente, comme nous allons le voir maintenant. Ils
visent à montrer que le cadre théorique proposé par la perspective économique est
insuffisant, voire inexact, pour rendre compte des (non)-décisions d'investissements en
efficacité énergétique.

1.3.2.2.2 Autres perspectives

Les praticiens de l’efficacité énergétique sont en majorité des ingénieurs, qu’ils


fassent partie des entreprises ou qu’ils soient des consultants externes (venant de cabinets
privés ou d’administrations publiques). Quant aux théoriciens des organisations ou des
sciences de gestion, ils ne se sont intéressés ni à l’énergie, ni aux décisions
d’investissement en efficacité énergétique. Par conséquent on ne peut pas parler d’une
perspective organisationnelle sur les barrières à l’efficacité énergétique mais plutôt d’une
compilation disparate d’observations. Rompant avec la problématique dominante des
barrières à l'efficacité énergétique, les travaux alternatifs à la perspective économique ont
cherché plutôt à identifier les déterminants des décisions prises par les entreprises en
matière d'efficacité énergétique (que ces décisions portent sur des "mesures" de
conservation ou sur des projets d’investissements proprement dits) ou se sont penchés sur
les raisons de différences de comportements d’entreprises en la matière. Cependant ces
recherches ont rarement tenté d'intégrer leurs résultats dans un cadre théorique.
84

En utilisant le cadre conceptuel qui sera développé dans les deuxième et troisième
parties de la thèse, on peut classer ces apports disparates de la littérature sur les barrières
à l’efficacité énergétique en trois catégories : le contexte - interne et externe - de
l’organisation (structure, routines, relations de pouvoir, culture, environnement), les
acteurs impliqués dans le processus, les caractéristiques de l’investissement. Nous
examinerons ici, de façon non exhaustive, la littérature relative au contexte et aux
caractéristiques de l’investissement. La question des acteurs sera discutée dans le chapitre
suivant consacré à la "dimension humaine" de l'énergie.

Contexte interne
On peut classer68 dans le contexte interne à l’organisation, les résultats ou les
observations montrant l’influence sur la décision d’investir en efficacité énergétique des
facteurs suivants : la structure et certaines caractéristiques de l’entreprise - telles la taille,
la performance ou le système de gestion -, la culture et les relations de pouvoir au sein de
l’organisation.
Influence de la structure de l'organisation sur la décision d'investir en
efficacité énergétique. Cebon (1992) étudie deux grandes universités américaines
(comprenant chacune une centaine de bâtiments), choisies parce qu'elles sont considérées
toutes deux comme efficaces dans leur usage de l'énergie par les autres universités alors
que leurs structures organisationnelles diffèrent. Dans un cas l'énergie est gérée par une
unité centrale, dans l'autre la gestion est décentralisée entre les différentes facultés. Cébon
constate que ces différences de structure et certains événements ponctuels (hausse des
prix du pétrole en 1973, restructuration, déjeuner entre deux professeurs, changement de
responsable) expliquent presque toutes les différences dans les prises de décisions:
"chaque organisation agissait comme un ensemble de filtres qui réduisait l'ensemble (au
plans technique et économique) des options possibles (de même que la définition des

68
Ce classement sera précisé dans le chapitre (VIII), deuxième partie, consacrés aux déterminants de la
décision dans les organisations.
85

problèmes qui menait à ces options) à un nombre très inférieur de possibilités"69 (Cebon,
1992, pp. 805-806).
Dans la même veine, le "modèle de changement comportemental" PRECEDE
d'Egmond (2006) est basé sur l'identification des filtres organisationnels qui réduisent le
nombre d'options possibles au sein des organisations. PRECEDE est la traduction dans le
domaine de l'énergie d'un modèle développé dans le domaine de la promotion de la santé
par Green et Kreuter (1999). Cees Egmond est membre de l'agence néerlandaise de
promotion de l'environnement et de l'efficacité énergétique SenterNovem. Le modèle a
été testé auprès de 234 associations néerlandaises pour l'aide au logement.

Figure 31 – Precede, Adapté de Health Promotion Planning de Green et Kreuter (1999).


(Egmond, 2006)

L'approche de ce modèle consiste à identifier les déterminants du comportement,


pour pouvoir ensuite les influencer et induire les changements nécessaires (Egmond,
2006, p. 29). Les déterminants du comportement sont classés par le modèle en trois
catégories : les "facteurs de prédisposition" qui motivent le comportement, tels que la
conscience et la connaissance d'une question au sein de l'organisation et les normes
organisationnelles; les "facteurs d'habilitation" sont des éléments du contexte qui
facilitent l'action. Il s'agit de ressources telles que des subventions ou un soutien
technique, ou bien capacités de l'organisation à s'adapter, par exemple en traduisant une
politique environnementale en plan d'action concret. Enfin, les "facteurs de

69
"Each organization acted as a set of filters which sieved the set of feasible (in an engineering and
economic sense) options (and problem definitions which led to feasible options) to a much smaller subset
from which it selected", (Cebon, 1992, pp. 805-806).
86

consolidation" sont les réactions (positives ou négatives) émises par les concurrents, les
clients, les autorités. Il faut signaler que le modèle de Green et Kreuter était destiné à
l'origine à représenter et à changer le comportement des individus. Considérant que "les
organisations sont, par définition, des ensembles d'individus aux intérêts communs ...
(Silverman, 1970)"70 et que "le changement de comportement d'une organisation résulte
souvent des décisions qui y sont prises par une coalition dominante d'individus (Cyert
and March, 1992)"71, Egmond conclut que le comportement des organisations est donc,
en fait, fonction du comportement de ces individus (Egmond, 2006, p. 16). Par
conséquent, si l'on identifie les déterminants du comportement de la coalition dominante,
on identifie en même temps les déterminants du comportement de l'organisation
considérée dans sa totalité"72. Sur la base de ses considérants, Egmond adapte le modèle
individuel de Green et Kreuter à un usage organisationnel. On peut faire trois remarques à
cet égard, qui concernent tant la qualité du raisonnement que son application.
Premièrement, la référence à des intérêts communs comme unique définition de
l'organisation est contestable: les modèles politiques de la décision dans les organisations,
dont font partie les théories économiques des contrats, mettent l'accent au contraire sur
les divergences d'intérêts entre acteurs. Deuxièmement, Egmond ne semble pas identifier
la coalition dominante au sein des associations d'aide au logement; et par conséquent il ne
cherche pas non plus à identifier les déterminants du comportement de cette coalition
dominante. Troisièmement, la question des buts de l'organisation et de leur relation avec
l'usage de l'énergie n'est pas posée. Le passage du niveau micro-organisationnel des
déterminants comportementaux individuels au niveau macro-organisationnel semble donc
assez discutable.
“Investment in energy efficiency: do the characteristics of firms matter?” Dans
cet article qui a fait date dans la littérature, les économistes DeCanio et Watkins (1998)
cherchent à évaluer l’influence des caractéristiques de l’entreprise sur la décision
d’investir. Les résultats de leur recherche, réalisée auprès d'entreprises participant au

70
"Organizations are, by definition, sets of individuals with common interests (Silverman, 1970)" and
71
"Change in the behaviour of an organization often results form decisions made by a dominant coalition
of individuals within the organizations … (Cyert and March, 1992)".
72
"The behaviour of organizations is, in fact, a function of the behaviour of those individuals. Therefore, if
we identify the behavioural determinants of this dominant coalition, we identify the behavioural
determinants of the organization as a whole" (Egmond, 2006, p. 16).
87

programme américain de conservation de l’énergie "Green Lights", montrent que, en


contradiction avec la théorie néo-classique des choix d’investissement (selon laquelle le
critère décisionnel unique en matière d’investissement est une valeur actualisée nette
supérieure ou égale à zéro), certaines caractéristiques de l’entreprise elle-même jouent un
rôle dans la décision d’investir, en particulier la taille et la performance financière.
DeCanio et Watkins (1998b, p. 443) concluent que : “the data show that although
obvious economic factors such as electricity prices and intensity of usage clearly do
influence the profitability of energy-saving lighting investments, an entirely separate set
of factors is simultaneously at work. These other determinants of investment behavior and
outcomes can best be described as bureaucratic or organizational barriers to economic
optimization”. De Groot et al. (2001) et Sardianou (2007) ont constaté également que la
taille de l'entreprise joue un rôle sur le niveau d'information en matière de technologies
efficaces en énergie. La recherche de Sardianou (2007), qui a analysé les barrières aux
investissements en efficacité énergétique dans 50 entreprises grecques de six secteurs
d'activité (metals, machinery, food/drinks, chemicals, paper, textiles), montre que les
caractéristiques de l'entreprise l'emportent sur les caractéristiques du secteur d'activité
pour expliquer le niveau d'information. Point intéressant, Sardianou montre que plus le
coût de l'énergie est important en proportion du coût total de production (il se situe de 10
à 20% dans les secteurs étudiés), plus le niveau d'information sur les technologies
efficaces en énergie est élevé; mais il précise que "le coefficient estimé n'est pas
statistiquement significatif" (Sardianou, 2007, p. 1419). Cependant Sardianou montre que
le secteur d'activité influence aussi les décisions d'investissement en efficacité
énergétique.
En ce qui concerne le niveau de gestion de l'énergie, plusieurs auteurs relèvent
son niveau médiocre dans de nombreuses entreprises, tous secteurs confondus (BSI,
2009; Flint et al., 200573; Rigby, 2002; Sæle et al., 2005; Tunnessen, 2004). Pourtant la
mise en place d’une gestion de l’énergie permet des économies de l’ordre de 10%74. Le

73
“The quality of the participants’ energy management systems was included in the annual LTA [Long
Term Agreements] monitoring for 2003. This showed that 27% met the minimum energy management
requirement” (Flint et al., 2005, p. 1060).
74
“… the evidence from monitoring and targeting their programme of cost-effective management. What we
have seen is you get a 10 per cent improvement in the energy efficiency in a company directly as a result of
instituting good energy management techniques.” (MacIntyre, 1985, cité par Rigby p. 16).
88

niveau médiocre de gestion de l'énergie dans les organisations s'explique probablement


en partie par les carences de leurs responsables de l'énergie. Selon Rigby (2002, p. 18)
leurs compétences devraient être multiples : identifier les opportunités d’économiser
l’énergie, en faisant la différence entre les mesures à coût nul, celles qui demandent un
investissement, et celles qui exigent des changements de comportement de la part des
employés de l’entreprise ; obtenir soutien et ressources du haut management ; mesurer et
contrôler la consommation d’énergie. Mais dans la réalité, “energy efficiency expertise is
often picked up ad hoc. You always seem to be educating so many people from scratch …
the end result in that the majority of organisations have significant gaps in their energy
efficiency activity” (idem, p. 19).
Sorrel et al. (2000, p. 169) relèvent l'importance des contraintes de temps sur les
projets en efficacité énergétique75: "One of strongest messages from the research is the
importance of time constraints as a barrier to energy efficiency. All interviewees in all
sectors emphasised how little time they had. This prevented them from keeping up to date
with technical information, from identifying energy efficiency opportunities and from
implementing energy efficiency projects. In many cases, time constraints were
considered more important than capital constraints [souligné par moi]". Etonnamment,
ce facteur qui semble si important n'est pas repris dans leurs conclusions.
Influence de la culture de l'organisation sur la décision d'investir en efficacité
énergétique. L’importance de la "conscience énergétique" (energy awareness) dans la
culture de l’entreprise, ou de la dimension culturelle elle-même, est soulignée par
plusieurs auteurs comme un facteur influençant significativement les décisions d’investir
ou le niveau d’efficacité énergétique dans l’organisation. Ainsi Togeby et al. (1997)
ont étudié 9 entreprises concernées par l’efficacité énergétique (de moins de 500
employés, actives dans des secteurs non intensifs en énergie), pour tenter d’identifier les
facteurs culturels et institutionnels, présents à l’intérieur de l’organisation ou dans son
environnement qui ont motivé ces entreprises à évoluer vers plus d’efficacité énergétique.
Tout en reconnaissant l’importance des aspects techniques et économiques, ils insistent
sur l’importance décisive de la culture de l’entreprise sur la gestion de l'efficacité

75
Bien que ce problème ne figure pas dans la liste des barrières principales aux investissements en
efficacité énergétique que leur recherché a identifiées.
89

énergétique76. Christoffersen, Larsen et Togeby (2005) identifient trois “conditions


organisationnelles internes” qui jouent un rôle en matière de gestion de l’énergie et
d’économies d’énergie (gestion environnementale, attitude à l’égard de l’énergie et de
l’environnement, et présence d’un gestionnaire de l’énergie) car, nous disent-il, les
entreprises travaillent différemment, en raison d’histoires et de cultures
77
organisationnelles différentes (Christoffersen, Larsen et Togeby, 2005, p. 522). Pour
Hennicke et al. (1998) qui ont mené une“analyse interdisciplinaire de la mise en œuvre
réussie de l’efficacité énergétique dans les secteurs de l’industrie, du commerce et des
services78”, une culture d’entreprise et une histoire particulières sont des facteurs
influençant la mise en œuvre de mesures d’utilisation rationnelle de l’énergie (Hennicke
et al, 1998, p. 41). En effet, “différentes cultures organisationnelles produisent des
prédispositions différentes à innover dans l’efficacité énergétique”79 (idem, p. 43), et
même, “le style de succès et le développement correspondant d’activités d’efficacité
énergétique est fortement déterminé par des aspects culturels80” (idem, p. 64). Selon
Kulakowski (1999, p. 14) “Organizational structure, procedures and culture also matter
as … shared institutional values can strongly influence the availability of funds for
energy-efficiency improvements”. Stern et Aronson (1984, p. 115) indiquent que “…to
ensure that incentives for energy efficiency influence organizational action, energy
efficiency must be interpreted into organizational goals, procedures, and routines”.
Cebon (1992, p. 802) note que "si une faible priorité est donnée à la conservation de
l'énergie dans l'entreprise, les managers en charge de l'énergie sont, en général,
relativement secondaires"81. Sorrel et al. (2000) remarquent, par contre, que le fait que la
conscience environnementale et l’efficacité énergétique ne fassent pas partie de la culture

76
“It is our impression that the company culture encompasses all activities, and that the organization of
energy efficiency activities is in many ways related to the overall company culture” (Togeby et al., 1997, p.
13).
77
“Companies work in different ways, e.g., due to different histories and company cultures”
(Christoffersen, Larsen et Togeby, 2005, p. 522).
78
Analysis of successful implementation of energy efficiency in the industrial, commercial and service
sector (Hennicke et al., 1998).
79
“At a first aspect, different companies cultures produce different pre-dispositions for innovations in
energy efficiency” (Hennicke et al., 1998, p. 43).
80
“The type of success and the related development of energy efficiency activities is strongly determined
by cultural aspects…” (idem, p. 64).
81
"If energy conservation is accorded a relatively low priority, energy managers are, in general, relatively
peripheral” (Cebon, 1992, p. 802).
90

d’entreprise n’est pas une variable explicative importante de la non adoption de


technologies efficaces en énergie. Et la culture organisationnelle n'est pas considérée
comme une barrière par les entreprises qu’ils ont interviewées, à l’exception de
l’entreprise irlandaise d’ingénierie mécanique (Sorrel et al., 2000).
Remarquons que l’ensemble des auteurs qui relèvent le rôle de la culture, n’en
donnent pas de définition et n’analysent pas les modalités de son influence. Seuls Sorrel
et al. (2000, p. xvii) précisent, laconiquement, que la culture est un ensemble de valeurs,
de normes et de routines.
Influence des relations de pouvoir au sein de l’organisation sur la décision
d'investir en efficacité énergétique. Cebon (1992) est le seul auteur qui donne une
importance centrale à la dimension du pouvoir. Il établit un lien entre la faible priorité
accordée à la conservation de l’énergie dans l’organisation et le peu de pouvoir qui en
résulte pour les gestionnaires de l’énergie82. Sorrel et al. (2000, p. 45) font aussi
remarquer que les managers en charge de l’énergie peuvent manquer de statut et
d’autorité. D'après leur recherche, les relations de pouvoir sont perçues comme une
barrière importante par les universités anglo-saxonnes (bas statut des gestionnaires de
l'énergie par rapport aux fonctions de recherche et d'enseignement) et les brasseurs
britanniques (conflits entre les fonctions techniques et les équipes de brasseurs) mais pas
dans le secteur de l'ingénierie mécanique.
Le caractère secondaire de l'énergie dans de nombreuses entreprises est aussi noté
par Weber (2000)83.

Contexte externe
Le contexte externe aux organisations a fait l'objet de peu de recherches dans le
domaine de l'énergie. Nous n'avons relevé que certains aspects des travaux de DeCanio et
Watkins et surtout la recherche de Eyre (1997), qui élargit le contexte des barrières à
l’efficacité énergétique.
Les travaux de DeCanio et Watkins, déjà cités, sur les caractéristiques de
l’entreprise (1998a) ont montré que la situation géographique de l’entreprise exerce une

82
“Because of their peripheral position, [energy managers] have low power.” (idem, p. 802).
83
Voir plus loin le paragraphe consacré au lien avec le métier dans la section "caractéristiques de
l'investissement".
91

influence sur la décision d’investir, influence qui pourrait être dûe, selon Stern et
Aronson, à la proximité géographique d’autres entreprises car “organizations imitate
other organizations, … [according to] a pattern not totally unlike imitation among
individuals” (Stern et Aronson, 1984, p. 114). Un des leviers utilisés par l'agence
américaine de protection de l'environnement EPA (Environmental Protection Agency)
pour développer son programme de labels énergétiques "Energy Star" est d'ailleurs de
communiquer aux entreprises encore indécises les noms de leurs concurrents ayant décidé
de participer (Howarth, Haddad & Paton, 2000), exemple qui illustre à la fois
l'importance de l'imitation comme facteur décisionnel et celle de l'influence d'un acteur
externe. Ces processus d’imitation ou de conformité, par lequel les organisations adoptent
ce qu’elles perçoivent comme des pratiques dominantes, ou comme le comportement le
plus approprié, ont été décrits par la théorie institutionnelle (DiMaggio et Powell, 1983;
Scott, 1995).
S'intéressant au contexte externe dans son acception la plus large, Eyre (1997)
adopte une approche originale : partant de la constatation que toutes les barrières
identifiées par la littérature exercent, curieusement, leur effet dans la même direction84,
celle d'une plus grande inefficacité dans l'usage de l'énergie, il propose comme
explication l'existence d'une méta-barrière, un cadre qui englobe en quelque sorte toutes
les autres barrières et qui est constitué des caractéristiques fondamentales de l'usage de
l'énergie dans les économies modernes. Ces caractéristiques fondamentales sont au
nombre de trois. La "dichotomie" entre producteurs et consommateurs (au sens où une
amélioration de l'efficacité énergétique du côté de la demande d'énergie est considérée
comme une dépense et non comme un investissement car "investissement productif et
maximisation du profit sont vus comme étant du domaine [exclusif] du producteur"85
(Eyre, 1997, p. 37)); le fait que l'énergie soit considérée comme une marchandise ("a
commodity view of energy"); la complexité des marchés de l'efficacité énergétique. Ces

84
"… all the barriers lead to more, not less, energy use than is economically efficient. This is not a
necessary result of the existence of market failures, which could, in principle, work in either direction. This
asymmetry in market failures, although obviously of crucial importance, has been the subject of remarkably
little analysis." Eyre, 1997, p. 27
85
"productive investment and profit maximisation are seen as the province of the producer" (Eyre, 1997, p.
37)
92

caractéristiques fondamentales expliquent le sous-investissement en efficacité


énergétique et laissent mal augurer, selon Eyre, d'une amélioration à cet égard.

Caractéristiques de l’investissement
Contrôlabilité des coûts énergétiques. Plusieurs auteurs soulignent le sentiment
fréquent de la part des décideurs d’une impossibilité de contrôler les coûts énergétiques
supportés par l’entreprise. Par exemple Tunnessen (2004, p. 50) et Parker et al. (2000, p.
6) mentionnent une étude menée en 1998 par le Market Research Bureau de CFO
Magazine qui a montré que 75% des décideurs de haut niveau voient les coûts de
l’électricité comme la catégorie de dépense la moins contrôlable. Payne (2006a) indique
également le fait que de nombreux décideurs ont le sentiment que réduire les coûts
énergétiques est difficile et ne vaut donc pas la peine qu’on y consacre des efforts. Il
relève même chez les petits entrepreneurs "un sentiment d'impuissance et de frustration à
l'égard des questions énergétiques en général"86 (Payne, 2006a, p. 279). Komor et Katzev
(1998) avaient fait la même constatation dans une étude menée auprès d’un échantillon de
petits commerçants. Un investissement considéré comme inutile par les décideurs a bien
sûr peu de chances d'être décidé et nous verrons (voir p. 213 et ss.) que le sentiment de
contrôlabilité des effets de l'investissement est un élément important de la décision.
Lien avec le métier. L’importance du lien entre l’investissement considéré et le
cœur de métier de l’entreprise est mentionné, quoique souvent au conditionnel, par
plusieurs auteurs.
Harris et al., s'intéressant aux facteurs ayant motivé les décisions d'investissement
en efficacité énergétique de 100 entreprises australiennes (Harris et al., 2000, p. 874),
mentionnent que 35% des répondants pensent que "l'efficacité énergétique est souvent
oubliée par le management, peut-être parce qu'elle n'est pas "core business"87. Sandberg
et Söderström (2003) constatent, lors de leur recherche sur les décisions d'investissement
en efficacité énergétique de neuf grandes entreprises suédoises de secteurs intensifs et
non intensifs en énergie, que "la rentabilité, bien qu'importante, est loin d'être le seul

86
“a sense of helplessness and frustration with regard to energy issues in general” (Payne, 2006, p. 279)
87
"energy efficiency is often overlooked by management, perhaps because it is not "core business" (Harris
et al., 2000, p. 874)
93

critère de sélection"88 et que certains investissements n'ont pas été décidés principalement
parce qu'ils n'étaient pas liés au cœur de métier de l'entreprise (Sandberg et Söderström,
2003, p. 1627). Dans l'enquête de Sardianou (2007), 60% des managers interrogés sur les
barrières aux investissements en efficacité énergétique ont mentionné le fait que la
conservation de l'énergie n'est pas une "core business activity". Selon Sorrel et al. (2000),
les organisations doivent économiser des ressources cognitives rares. Cela peut se
traduire par une concentration sur le cœur de métier, comme la production, plutôt que sur
des questions secondaires comme l'usage de l'énergie.89
Velthuijsen (1993) a mené une enquête auprès de 70 entreprises de 7 secteurs
d'activité (1 secteur agricole, 4 secteurs industriels, 2 secteurs tertiaires; 10 entreprises
pour chaque secteur) dans le but d'identifier les facteurs stimulants et bloquants les
investissements en efficacité énergétique. D'après les résultats de la recherche, le faible
lien avec le métier ("non-core business character") est l'une des barrières principales aux
investissements en efficacité énergétique90.
Weber (1997, p. 834) indique que "les barrières à l'efficacité énergétique dans les
organisations peuvent provenir … d'une incompatibilité avec des objectifs non liés à
l'énergie"91. Son hypothèse est confirmée par les résultats de son étude sur les décisions
prises dans 100 immeubles de bureau suisses par 65 organisations entre 1986 et 1996, qui
ont un impact sur la consommation énergétique (Weber, 2000). Weber classe ces
décisions en trois catégories: mesures destinées à réduire la consommation de l'énergie
(energy conservation measures), mesures dont l'objectif n'est pas la réduction de la
consommation énergétique mais qui prennent néanmoins en compte leur impact à cet
égard (energy-related events) et enfin les décisions dont la finalité n'est pas la
consommation énergétique et qui ne se préoccupent pas de leur impact à cet égard (non-
energy-related events). Les résultats sont sans appel. Sur 198 décisions examinées, 9%

88
"… profitability is far from the only investment criterion, though it is very important" (Sandberg et
Söderström, 2003, p. 1627)
89
“Means are found to economise on scarce cognitive resources. In organizations, this could mean
focusing on core activities, such as the primary production process, rather than peripheral issues such as
energy use”. (Sorrel et al., 2000, p. 45)
90
Les autres barrières les plus importantes identifiées par la recherche sont "the small size of the energy
bill, a limited knowledge, …, equipment is not scrapped yet, and budgetary constraints are definitely
reasons for not implementing" (Velthuijsen, 1993, p. 11).
91
“Barriers to energy efficiency in organisations may result from … a trade-off with non energy-specific
goals …” (Weber, 1997, p. 834)
94

seulement relèvent de la première catégorie, 14% de la deuxième et 77% de la troisième


(idem, p. 428). Plus des trois quarts des décisions ignorent donc totalement la dimension
énergétique, malgré leur impact sur la consommation énergétique et malgré les potentiels
d'économies existants. De Groot et al. (2001) remarquent de même que moins de 10% des
investissements dans les entreprises industrielles néerlandaises intensives en énergie sont
spécifiquement destinés à économiser l'énergie. Weber conclut que "l'énergie n'est
généralement pas prise en considération quand des décisions ayant un impact sur la
consommation énergétique sont prises"92. Ceci s'expliquerait selon lui par l'absence de
lien avec le métier de l'entreprise: "Directors are generally not willing to invest in
energy efficiency even if the investment is profitable. Directors tend to concentrate on
the core business, in which domain they are knowledgeable and powerful [souligné par
moi], Energy conservation measures are actually considered to be outside the scope of
rent-seeking actions in firms, whether private or public sector" (Weber, 2000, p., 10)
Weber remarque que les décisions de conservation de l'énergie, dont le but est de réduire
la consommation énergétique (prises par 11 organisations sur 65), sont liées à la présence
d'un gestionnaire professionnel de l'énergie ou bien au fait que l'énergie est gérée
directement par un membre de la direction de l'entreprise. La recherche de Weber montre
à nouveau l'importance du lien entre l'investissement et le cœur de métier de l'entreprise
sur la décision d'investir, qui a pour corollaire le caractère secondaire de la rentabilité de
l'investissement. Ceci malgré le fait que près des deux tiers des directeurs interviewés
considèrent les coûts énergétiques comme n'étant pas négligeables (idem, p. 430).
Dans leur recherche, déjà citée, menée auprès de 135 entreprises néerlandaises
dans 9 secteurs industriels intensifs en énergie, De Groot et al. (2001)93 concluent que le
manque d'information est la principale défaillance de marché, expliquant un
comportement d'investissement sous-optimal de la part des entreprises. Mais l'importance
de l'investissement pour l'entreprise, ou plus exactement l'existence d'opportunités
d'investissement plus prometteuses ou plus importantes est le deuxième facteur qui
bloque l'investissement en efficacité énergétique, suivi par la résistance à remplacer des
équipements qui ne sont pas encore obsolètes ou pas encore amortis. L'existence

92
"Energy is generally not an issue when energy-relevant decisions are taken" (Weber, 2000, p. 431)
9393
Le questionnaire de la recherche de de Groot et al. sera soumis aux entreprises genevoises qui
constitueront la base de données pour le volet empirique du présent travail. Voir p. 255 et ss.
95

d'opportunités d'investir plus importantes ou prometteuses est également mentionnée


comme un obstacle aux investissements en efficacité énergétique par 68% des managers
interrogés dans l'enquête de Sardianou (2007). La troisième barrière mise en évidence par
la recherche de de Groot et al. est le fait que les coûts énergétiques ne sont pas
suffisamment importants pour motiver un investissement en efficacité énergétique. Les
différentes barrières identifiées par la recherche de de Groot et al. sont présentées dans le
tableau ci-dessous.
96

Figure 32 - Barrières organisationnelles aux technologies efficaces en énergie selon


De Groot et al. (2001).
97

Finalement, les observations de Parker et al. (2000) sur les décisions prises par
des propriétaires d’immeubles résidentiels locatifs ou hôteliers, et de leur importance
pour retenir ou attirer les locataires ou clients, sont très utiles car elles établissent un lien
direct entre l’importance de l’investissement pour le cœur de métier de l’entreprise et
l’exigence de rentabilité: “Tenant comfort was noted to by decision makers to play a key
role ... According to some, energy cost-saving measures might be passed over if they are
perceived as posing an inconvenience to building tenants (or in the case of hotel, to
guests) such as lighting sensors or after hours HVAC94 controls (2000, pp. 8-9) …
Perhaps our most striking findings is the extent to which tenant retention and attraction
are important to building owners that lease their properties, and can sometimes be, as
one respondent noted, “the number one key” when making investment decisions. It
should therefore be kept in mind that energy-efficiency upgrades can be viewed with
favor as much for their ability to please tenants, as for their ability to reduce the firm’s
own operating costs. Furthermore, other firms claimed that they will stretch their
customary financial criteria [souligné par moi] to invest in low-performing measures, if
they are requested by tenants” (idem, p. 12).
Cet examen des travaux "alternatifs" à la perspective économique sur les barrières
organisationnelles aux investissements en efficacité énergétique montre que les obstacles
auxquels sont confrontés ces investissements vont bien au-delà des problèmes
d'information, de rationalité limitée et d'opportunisme des agents qui constituent le cœur
du cadre théorique économique dominant. Certains facteurs organisationnels semblent
jouer un rôle essentiel dans les décisions d'investir en efficacité énergétique: la culture de
l'organisation en matière d'énergie; les relations de pouvoir au sein de l'organisation; les
intérêts et compétences des managers à différents niveaux. L'importance du lien entre
l'investissement en efficacité énergétique et le métier de l'entreprise est une autre
dimension importante qui ressort de la revue de littérature. Le poids des facteurs
organisationnels et de la relation avec le métier relativise ipso facto l'importance des
facteurs financiers. La rentabilité n'exerce qu'une influence partielle, voire secondaire, sur
la décision d'investissement en efficacité énergétique.

94
Heating Ventilation Air-Conditioning
98

Les travaux de la littérature alternative sur les décisions d'investir en efficacité


énergétique mettent donc en évidence l'influence de nombreux facteurs sur ces décisions.
Mais ils ne proposent pas d'alternative théorique qui permette de comprendre les
modalités de l'influence de ces facteurs, d'intégrer les résultats des recherches et de pallier
les insuffisances du cadre théorique économico-financier.
L'examen de la littérature alternative sur le comportement des organisations en
matière d'efficacité énergétique éclaire aussi l'importance du rôle joué par les individus -
gestionnaires ou décideurs à différents niveaux - dans les décisions d'investir en efficacité
énergétique: nous allons voir maintenant plus en détails quelle place leur est faite dans les
travaux de recherches.

1.3.3 "The human dimension"

"The human dimension … the rich mixture of cultural practices, social interactions, and human
feelings that influence the behavior of individuals, social groups and institutions.”
Stern & Aronson, 1984, p. 2

Après le marché et l’organisation, le troisième niveau d’analyse des


investissements en efficacité énergétique est celui des individus eux-mêmes. On pourrait
penser que ce niveau d'analyse est le plus important puisque, en fin de compte, ce sont
eux qui décident d'éclairer ou de chauffer plus ou moins leurs logements ou leurs
bureaux, de remplacer un ordinateur, ou d'isoler un bâtiment. Pourtant, “the role of
human social behavior has been largely overlooked in energy analysis, despite the fact
that it significantly amplifies and dampens the effects of technology-based efficiency
improvements" (Lutzenhiser, 1993, p. 2). Cette remarque de Loren Lutzenhiser, faite il y
a dix-sept ans en introduction à une importante analyse de la littérature sur les aspects
sociaux et comportementaux de l'usage de l'énergie, est encore valable aujourd'hui. En
raison de la domination du modèle d'analyse technico-économique dans le domaine de
l’énergie, l'influence du comportement des utilisateurs sur le niveau de consommation
d'énergie est généralement considérée comme secondaire par rapport aux caractéristiques
physiques des bâtiments ou des équipements. La domination du modèle technico-
économique, que déplorent certains chercheurs (Lutzenhiser, 1993; Stern, 1992; Wilhite
99

et al., 2000), a bloqué et bloque encore le développement d'une science sociale de l'usage
de l'énergie.
L'approche des chercheurs en sciences sociales – sociologues, anthropologues,
psychologues – est différente de celle des économistes. Ceux-ci, comme nous l'avons vu,
cherchent à vérifier l'existence de barrières aux technologies efficaces en énergie, dans les
marchés de l'énergie et des services énergétiques et, plus marginalement, dans les
organisations. Les chercheurs en sciences sociales, eux, ne s'intéressent pas à la question
des barrières à l'efficacité énergétique. Partant d'un double constat: 1) des locaux
présentant les mêmes caractéristiques techniques et occupés par des familles de
caractéristiques démographiques similaires peuvent présenter une consommation variant
du simple au triple (Lutzenhiser, 1993, p.249) et 2) les individus ne basent pas, ou pas
seulement, leurs décisions en matière d'énergie sur le prix (que ce soit en matière d'usage
ou en matière d'investissements), ces chercheurs cherchent à comprendre la "dimension
humaine" de l'énergie, ce mélange complexe de facteurs culturels, d'interactions sociales
et de sentiments qui influence le comportement des individus, des groupes sociaux et des
organisations (Stern et Aronson, 1984, p. 2) en matière d'énergie.
J'adopterai ici la définition suivante : le comportement est "une action – ou une
réaction – observable d'un objet ou d'un organisme, généralement en relation avec son
environnement". Par extension le terme désigne aussi l'action ou la réaction d'une
organisation. Remarquons au passage que "comportement" est l'un de ces mots qui sont
souvent employés mais rarement définis (comme celui de "rationalité" que nous
aborderons bientôt).
Quelques modèles représentant les facteurs déterminant le comportement des
individus en matière de conservation de l'énergie ont été proposés, inspirés de travaux
dans les domaines de l'environnement ou de la santé publique (Costanzo et al., 1987;
Stern, 1992; Egmond, 2006). Ces modèles considèrent généralement la décision en
matière de conservation de l'énergie comme le résultat d'un équilibre entre l'attitude de
l'individu par rapport à l'énergie et l'influence de son environnement social. Cet équilibre
est influencé par des facteurs "situationnels" tels que les prix de l'énergie, le climat, la
taille de la famille ou du logement, le niveau de connaissance ou d'information, ou encore
le revenu (Lutzenhiser, 1993, p. 252).
100

Le modèle psychologique de l'usage des ressources de Stern et Oskamp (1987),


présenté ci-dessous, est issu de recherches menées en psychologie de l'environnement. Il
indique des liens de causalité à plusieurs niveaux. En partant du haut du schéma vers le
bas, chaque variable agit sur les variables indiquées dans les lignes inférieures avec deux
boucles de rétroaction. La première boucle de rétroaction est celle de l’apprentissage qui,
du niveau 0 au niveau 4, indique l’influence de résultats observables sur les attitudes:
l'apprentissage n'est possible que quand un résultat observable, par exemple un
changement dans la facture de gaz/électricité ou dans le confort de la maison, agit sur les
attitudes et croyances à l'égard des économies d'énergie, et subséquemment, sur le
comportement. L’autojustification est l'autre boucle de rétroaction qui, du niveau 2 au
niveau 5, montre l’influence du comportement sur les attitudes.

Figure 33 - Modèle causal de l’usage des ressources, avec exemples issus de la consommation
énergétique dans les immeubles résidentiels (Stern, 1992, p. 1227).

Deux implications importantes du modèle doivent être relevées. Tout d'abord, le


modèle met en évidence le fait que l'usage de l'énergie n'est pas un comportement mais le
résultat d'un comportement95 (Stern, 1992, p. 1226). En effet, les consommateurs ne
s'intéressent pas directement à l'énergie: ils recherchent des services énergétiques, qui
95
"an outcome of behavior".
101

sont, eux, consommateurs d'énergie. Et c'est donc le comportement en matière de services


énergétiques (se chauffer, s'éclairer plus ou moins) qui détermine le niveau de
consommation d'énergie. Deuxièmement, le modèle de Stern et Oskamp montre pourquoi
des politiques de promotion de l'efficacité énergétique basées sur des incitations
financières peuvent échouer. L'impact de ces incitations financières (réductions de prix
ou prêts subventionnés) est influencé par des variables telles que l'attitude du
consommateur vis-à-vis de l'énergie ou son niveau de connaissances. Par conséquent si
l'attitude est inappropriée (par exemple le consommateur est réticent à souscrire un crédit
pour faire un achat électroménager alors que le programme d'encouragement lui propose
un prêt à taux réduit), ou si le niveau de connaissance en matière d'énergie est bas (ce qui
est fréquent), alors ces politiques seront inefficaces (Stern, 1992, idem).
Selon Stern, la dimension financière exerce une influence sur les choix
individuels en matière d'énergie mais des facteurs non-financiers sont également
importants, en particulier: les préférences des consommateurs (par exemple les doubles
vitrages ont plus la faveur du public que l'isolation des murs, qui pourtant est plus
efficace en matière de conservation de l'énergie), l'influence du groupe social, les valeurs
personnelles et les attitudes à l'égard de l'énergie. Finalement une motivation importante
est celle d'éviter les problèmes ("problem avoidance") (idem, p. 1229), à laquelle s'ajoute
une tendance générale à l'inertie.
La question de l'information est considérée comme un sujet important par la
perspective psychologique mais selon une approche très différente de la perspective
économique : la perspective économique appréhende l'information en termes quantitatifs
(voir p. 75). Au contraire, la perspective psychologique appréhende l'information en
termes qualitatifs, en mettant l'accent sur les biais cognitifs des récepteurs de
l'information. Stern cite à titre d'exemple une erreur de jugement fréquente chez les
usagers en matière de consommations d'énergie de différentes applications domestiques
et qui résiste aux campagnes d'information "ordinaires" : la plupart des gens surestiment
la consommation d'appareils visibles, tels que les luminaires, et sous-estiment la
consommation d'appareils moins visibles, tels ceux qui produisent de l'eau chaude
sanitaire (Stern, 1992, p. 1227). Les psychologues (Costanzo et al. 1987; Stern, 1992)
insistent sur certains aspects qualitatifs de l'information, qui sont importants pour
102

l'efficacité du message: le support (par exemple, une vidéo est plus efficace qu'un
message écrit), le contenu (par exemple, l'argument d'une perte d'argent liée à une
consommation énergétique élevée est plus efficace que l'argument d'un gain potentiel) et
la source de l'information (en particulier la crédibilité du porteur96). En résumé,
l'information est multidimensionnelle. Ce qui compte c'est que le public soit attentif, qu'il
prenne le message au sérieux97 (Stern, 1992, p. 1228) et qu'il le retienne.
Jusqu'à présent, la plupart des recherches sur la dimension humaine de l’usage de
l’énergie ont porté sur les individus agissant dans le cadre familial de leur logement. Très
peu de recherches ont porté sur les individus au sein des organisations en général, ou des
entreprises en particulier. Peu d’attention a été accordée à l’influence du groupe sur
l’individu et à l’influence des individus sur les processus décisionnels au sein de
l’entreprise : "What is that drives the behavior of decision-makers within firms?" (Payne,
2006a, p. 5). Cette question n’a pratiquement pas été traitée. Au contraire, comme le font
remarquer Parker et al. (2000, p.1) "Despite their pivotal role in the procurement process,
decision makers have been largely neglected in previous published market research on
energy efficiency". Malgré la mise en évidence de l'importance des valeurs et des
comportements individuels sur les décisions en matière d'énergie dans les organisations,
en particulier l’engagement personnel des responsables de l’énergie à l’égard de
l’efficacité énergétique98 (Kulakowski, 1999), malgré l'importance de la présence
(Weber, 2000) et de la compétence (Rigby, 2002; Sardianou, 2007) de gestionnaires en
charge de l'énergie au sein des organisations, les recherches sur la dimension humaine de
l'énergie au sein des organisations sont peu nombreuses. Les travaux de Payne (2006a et
b), qui a mené des recherches approfondies sur les décisions prises par les individus au
sein des organisations, constituent une exception. Mais sa recherche porte sur les micro-

96
Un exemple classique est celui d'une campagne d'information destinée à réduire l'usage du
conditionnement d'air dans des appartements New-Yorkais. Les appartements ayant reçu la brochure
d'information de la part de la New York State Public Service Commission réduisirent leur consommation
de 7%, alors que la consommation des appartements ayant reçu la brochure par l'intermédiaire du
producteur d'électricité local, Consolidated (Con) Edison, resta inchangée. Craig & McCann, 1978, cité par
Stern, 1992, p. 1228)
97
"…getting the audience to pay attention and take the message seriously" (Stern, 1992 p. 1228).
98
“If line employees were not able to convince management that improving energy efficiency is the
(morally) right thing to do and take personal initiative to see projects completed, we would see even fewer
energy-efficiency projects than we do now” ( Kulakowski, 1999, p. 14).
103

entreprises, souvent familiales, où une seule personne est en général responsable des
décisions en matière d'énergie.
De cette brève revue des travaux sur les déterminants individuels des
comportements en matière d'énergie, on peut retenir d'une part que les déterminants du
comportement individuel, que ce soit en matière d'investissement ou en matière d'usage,
sont loin de se résumer aux seuls facteurs financiers ou à la quantité d'information
fournie; il apparaît d'autre part que des recherches sont nécessaires pour mieux
comprendre les déterminants du comportement individuel dans les organisations, qui a
été presque totalement laissé pour compte jusqu'à présent.

1.4 CONCLUSIONS DE LA 1ERE PARTIE: PROBLEMATIQUE ET QUESTIONS DE RECHERCHE

La revue de littérature sur les investissements en efficacité énergétique met en


évidence, tout d'abord, un sujet complexe et controversé, âprement débattu autour de la
question d'un éventuel sous-investissement en efficacité énergétique. Le débat sur cette
question peut se résumer aux questions suivantes : les entreprises sont-elles des agents
économiques rationnels opérant sur des marchés efficaces, dans les limites prévues par la
théorie économique néo-classique ? Existe-t-il des barrières aux investissements en
efficacité énergétique liées au fonctionnement du marché lui-même (market barriers) qui
ne sont pas des imperfections du marché (market failures) admis par la théorie ?
En fait ces questions en masquent d'autres, liées à la validité des postulats qui sont
au cœur de la théorie néoclassique économique: rationalité des agents économiques,
efficacité du marché, rôle de l'Etat. La première question est celle de la rationalité des
agents économiques : un potentiel avéré rentable d’efficacité énergétique signifierait que
les agents économiques négligent des sources d’amélioration de leur utilité
(consommateurs) ou de leur profit (producteurs), ce qui est contraire au modèle de
rationalité finaliste et utilitariste du paradigme économique. Il démontrerait que les agents
économiques ne prennent pas leurs décisions selon des préférences préétablies selon des
critères économico-financiers, conformément aux prescriptions de la théorie économico-
financière. Comme le décrit bien Robinson (1991, p.633): “a … general problem with
market-oriented approaches to energy efficiency … is the apparent failure of the
104

normative principle of economic rationality to describe accurately the energy-using


activities of consumers. According to this principle, consumers will always act to
maximize the net present value of their position by engaging in any economic transaction
that will deliver net benefits. … Unfortunately for the principle of economic rationality,
the behavioural evidence suggests that energy consumers do not make decisions based
upon that principle alone.”
La deuxième question liée à l’existence d’un potentiel rentable d’économies
d’énergie est celle de l’efficacité du marché : si de nombreux acteurs économiques
laissent de côté des opportunités d’améliorer leur bien-être matériel ou d’accroître leur
profit – autrement dit ne suivent pas les préceptes de la rationalité économique - alors le
marché n’est pas efficace et l'on est en présence d’une autre déviation importante par
rapport au modèle microéconomique de base. L’efficacité du marché est définie par la
théorie économique néo-classique comme une allocation optimale de ressources (Cohen,
2001, p. 233), au sens de l’optimalité parétienne, selon laquelle "il n’y a pas de
réorganisation possible de la production qui améliore la situation d’un individu
quelconque sans dégrader celle d’un autre. Sous cette condition d’optimalité parétienne,
la satisfaction (ou utilité) de l’un ne peut être améliorée qu’en diminuant l’utilité de
l’autre" (Samuelson, 2000, p. 148).
La troisième question, importante, et pourtant secondaire dans le débat, concerne
l’intervention plus ou moins active de l’Etat sur le marché de l'efficacité énergétique :
cette intervention est contraire en principe aux prescriptions de la théorie néo-classique
mais elle est admise en cas d’échecs avérés du marché. L’existence d’un potentiel
rentable d'économies d'énergie provoqué par des échecs du marché est l'une des
principales – voire la principale – justifications des programmes publics de maîtrise de
l'énergie.
Finalement, le véritable enjeu qui se cache derrière le débat sur les déterminants
des investissements en efficacité énergétique est donc celui de la validité de la théorie
économique pour expliquer les décisions des agents. Il est intéressant de remarquer que
l’énergie est probablement le seul domaine (parce que toutes les entreprises consomment
de l’énergie dans toutes leurs opérations) dans lequel le comportement des entreprises
interroge de façon aussi constante la validité de la théorie néo-classique, et même celle de
105

ses extensions, les théories de l'agence et des coûts de transaction. L’importance de


l’enjeu explique peut-être l’ampleur de la controverse. De fait, le débat sur la question de
l'existence d'un sous-investissement en efficacité énergétique dure depuis plus de vingt-
cinq ans. Il prend cependant une actualité nouvelle en étant à nouveau au cœur du débat
sur le coût de la lutte contre le changement climatique, puisque l'amélioration de
l'efficacité énergétique apparaît comme le premier moyen de lutte à mettre en œuvre à cet
égard.
Au-delà des controverses, trois conclusions principales se dégagent de cet
examen de littérature sur les déterminants des décisions d'investissement en efficacité
énergétique des entreprises. La première est celle de l'importance de facteurs
organisationnels et individuels pour expliquer ces décisions, ainsi que du lien entre
l'investissement et le métier des entreprises. La deuxième est celle de l'influence relative
des facteurs financiers sur ces décisions, conclusion qui a pour corollaire le caractère
normatif plutôt qu'explicatif du cadre théorique dominant économico-financier. Enfin la
troisième conclusion est celle du manque d'une alternative théorique satisfaisante, dans le
domaine de l'économie de l'énergie, qui permette de compenser les carences du "main
stream" et d'interpréter les résultats des différentes recherches ayant été menées sur la
question. Discutons successivement ces trois points.

1.4.1 Energie, métier, culture

L'examen de littérature sur les investissements en efficacité énergétique a mis en


évidence l'influence de facteurs multiples sur la décision d'investir en efficacité
énergétique : facteurs organisationnels, tels que la taille et la localisation géographique de
l'entreprise, la performance financière, la structure, le système de gestion de l'énergie, la
culture et les relations de pouvoir au sein de l'organisation; facteurs individuels, qui font
référence à la conscience et à la connaissance des membres de l'entreprise en matière
d'énergie, à la présence de gestionnaires spécialisés et à leurs compétences; facteurs
externes, tel l'évolution des prix de l'énergie. Certains facteurs sont d'ordre structurel (par
exemple une plus ou moins grande centralisation décisionnelle), d'autres facteurs sont
d'ordre conjoncturel ou ponctuel (par exemple une modification de prix ou une rencontre
106

entre deux acteurs). Au total, la décision d'investir apparaît comme un phénomène


complexe, résultat de l'interaction de nombreux facteurs à l'intérieur et à l'extérieur de
l'organisation.
Au-delà de cette complexité, une certaine image de l'énergie dans les
organisations se dessine au terme de cet examen de littérature: l'énergie apparaît comme
un sujet secondaire et périphérique (Sorrel, 2000; Weber, 2000; Kulakowski, 1999;
Robinson, 1991; Cebon, 1992), qui n'est pas pris en considération dans la plupart des
décisions organisationnelles relatives à de nouveaux matériels ou équipements, qui
pourtant auront un impact sur sa consommation (Weber, 2000). Les investissements en
efficacité énergétique semblent même soumis à un contrôle plus strict et à des exigences
plus élevées que d'autres dépenses (Kulakowski, 1999). Souvent l'énergie n'est même pas
gérée (Tunnessen, 2004). Quand un gestionnaire de l'énergie est présent dans
l'organisation, il manque fréquemment de pouvoir en raison du caractère secondaire de sa
mission (Cebon, 1992). D'ailleurs ce gestionnaire manque même parfois des compétences
requises pour faire progresser l'efficacité énergétique dans l'organisation (Rigby, 1991).
Et, dans l'ensemble, il n'y a pas de temps pour l'énergie (Sorrel et al., 2000).
Au total, l'énergie et l'efficacité énergétique apparaissent comme des sujets
négligeables, de peu d'importance, pour de nombreuses entreprises. Deux facteurs sont
mentionnés à plusieurs reprises dans les travaux de recherche du domaine de l'énergie,
pour expliquer cette situation: l'absence de contribution de l'énergie au métier de
l'entreprise (core business) et la culture de l'organisation en matière d'énergie.
Le premier facteur qui ressort de la littérature comme expliquant la situation
secondaire de l'énergie dans les entreprises, et comme exerçant une influence négative sur
la décision d'investir en efficacité énergétique (voir p. 83 et ss. pour plus de détails), est le
faible lien entre l'usage de l'énergie et le métier (Sardianou, 2007; Sandberg et
Söderström, 2003; Harris et al., 2000; Sorrel, 2000; Velthuijsen, 1993; Weber, 2000;
Weber 1997). De Groot et al. (2000), dont les résultats seront confirmés par Sardianou
(2007), montrent que l'existence d'autres investissements plus importants constitue la
principale raison expliquant la non décision des investissements en efficacité énergétique:
bien que ces chercheurs ne précisent pas ce qu'ils entendent par "plus importants", on
peut considérer que cette formule fait également référence au lien avec le métier. Parker
107

et al. (2000) montrent d'autre part que lorsqu'une entreprise considère un investissement
en efficacité énergétique comme étant important pour son métier, elle peut exiger une
rentabilité moins élevée. Quirion (2004) fait une constatation du même ordre lorsqu'il
indique que la méthode du délai de récupération, qui implique une exigence de rentabilité
élevée, est employée pour les investissements considérés comme faiblement ou
moyennement importants (or cette méthode est généralement celle qui est appliquée pour
les investissements en efficacité énergétique). Parker et al. (2000) et Quirion (2004)
établissent donc un lien entre la contribution de l'investissement au métier de l’entreprise
et le niveau de rentabilité requis par l'investisseur (plus importante la contribution de
l’investissement au métier, plus basse l'exigence de rentabilité). Comme nous le
verrons99, le lien avec le métier doit s’interpréter comme la dimension stratégique de
l’investissement. Cependant cette relation n’est pas discutée par les chercheurs du
domaine de l’énergie.
Le deuxième facteur mentionné comme jouant un rôle majeur dans la décision
d’investir est l’importance de l’énergie dans la culture de l’organisation. Plusieurs auteurs
soulignent que la culture de l’organisation est un facteur qui influence significativement
les décisions d’investir en efficacité énergétique ou le niveau d’efficacité énergétique
dans les organisations (Christoffersen, 2005; Sorrel, 2000; Kulakowski, 1999; Hennicke,
1998 ; Togeby, 1997; Cebon, 1992; Stern & Aronson, 1984). Or ces auteurs constatent
que l'efficacité énergétique ne fait pas partie de la culture de nombreuses organisations, et
ceci quel que soit le secteur d'activité, y compris dans des secteurs industriels intensifs en
énergie (Tunnessen, 2004). Comme nous le verrons100, la culture des organisations en
matière d’usage de l’énergie et d’efficacité énergétique, élément de la culture
organisationnelle, peut être interprétée comme un filtre cognitif ou interprétatif qui
influence la perception du caractère stratégique de l’investissement au début de processus
décisionnel. Cependant la liaison avec le domaine de recherche du SID (Strategic Issue
Diagnosis), qui étudie le rôle des filtres cognitifs sur l’interprétation des sujets
décisionnels, n’est pas faite par les chercheurs du domaine de l’énergie.

99
Dans le chapitre "Décision stratégique et stratégie", voir p. 185 et ss.
100
Dans le capitre consacré à l’influence des filtres organisationnels sur le diagnostic des questions
stratégiques. Voir p. 215 et ss.
108

Au terme de cette analyse des différents travaux dans le domaine de l'efficacité


énergétique, plusieurs questions importantes apparaissent. Pourquoi l’énergie est-elle
considérée comme un sujet périphérique et secondaire dans certaines entreprises mais pas
dans d'autres du même secteur d'activité? Comment se fait-il qu’une ressource à ce point
vitale qu'une rupture de son approvisionnement paralyse l’activité101, soit considérée avec
une telle désinvolture par certaines entreprises ? Pourquoi la relation entre
investissements en efficacité énergétique et métier est-elle importante au point
d'empêcher certains investissements d'être décidés – même s'ils sont rentables – ou au
point de réduire les exigences de rentabilité des entreprises (deux pratiques qui sont en
contradiction avec la théorie financière, voir p. 50)? Curieusement, les différents auteurs
qui font état de l'influence de ce lien sur la décision d'investir, ne cherchent pas non plus à
répondre à ces questions, à analyser le lien lui-même et les modalités de son influence.
D'ailleurs la littérature sur les investissements en efficacité énergétique ne tente jamais
non plus de définir la notion, pourtant complexe, de l'investissement. Enfin, quelle est la
relation entre culture organisationnelle en matière d'énergie et investissement en
efficacité énergétique? Les chercheurs qui ont remarqué l'importance de cette relation ne
cherchent pas à l'expliciter.
La mise en évidence de la double influence sur la décision d'investir en efficacité
énergétique du faible lien (perçu) de l'investissement avec le métier de l'entreprise d'une
part et de la dimension culturelle de ces investissements d'autre part m'apparaît comme
une conclusion importante de cet examen de la littérature. On peut s'étonner de l'absence
de questionnement et d'analyse de la part des chercheurs du domaine de l'énergie à propos
de ces deux facteurs qu'ils ont eux-mêmes identifiés comme jouant un rôle important. Ces
lacunes définissent en tous cas les deux axes prioritaires que je m'efforcerai d'explorer102
dans la suite de ce travail : la relation entre la contribution de l'investissement au métier et

101
Une grande majorité d'entreprises, y compris dans le secteur secondaire, n’ont pas de système de secours
pour faire face à une rupture d’approvisionnement électrique par exemple, sauf pour alimenter leur parc
informatique.
102
Dans la recherche en management, explorer "consiste à découvrir ou approfondir une structure ou un
fonctionnement pour servir deux grands objectifs: la recherche de l'explication (et de la prédiction) et la
recherche d'une compréhension. Explorer répond à l'intention initiale du chercheur de proposer des résultats
théoriques novateurs, c'est-à-dire de créer de nouvelles articulations théoriques entre des concepts et/ou
d'intégrer de nouveaux concepts dans un champ théorique donné." (Thiétart et coll., 1999, p. 58)
109

la décision d'investir d'une part – autrement dit, l’influence de l’importance stratégique de


ces investissements sur la décision d’investir, et la relation entre la culture de l’entreprise
en matière d’usage de l’énergie et d’efficacité énergétique, élément de la culture de
l'organisation, et la décision d'investir en efficacité énergétique d'autre part.

1.4.2 Influence partielle de l'information et des critères financiers

Le cadre théorique économique qui a été décrit dans cette première partie et qui
domine l'analyse des déterminants des investissements en efficacité énergétique, se
compose en réalité de trois corps distincts, aux conclusions parfois contradictoires :

- l'approche "financière", selon laquelle les investissements en efficacité


énergétique ne sont rentables qu'en apparence, en raison de coûts cachés, de coûts
de transaction et d'un niveau élevé de risque qui placent leur rentabilité réelle en
dessous du coût du capital de l'investisseur;
- l'approche économique néo-classique, d'après laquelle les barrières à l'efficacité
énergétique doivent être considérées en réalité comme des défaillances de marché
qui bloquent la formation ou la transmission des prix, en empêchant le
comportement maximisateur des décideurs;
- l'approche économique élargie aux théories de l'agence et des coûts de transaction,
qui adapte la notion d'échec du marché (market failure) à l'organisation
(organizational failure). Selon cette troisième approche, les investissements en
efficacité énergétique peuvent être rentables mais cela ne suffit pas pour qu'ils
soient décidés. Ils sont bloqués par des problèmes d'information qui, associés aux
limites cognitives des agents (rationalité limitée) et à leurs fortes tendances à
l'opportunisme, empêchent les indications de prix de parvenir aux décideurs ou
bien obligent les organisations à mettre en place des routines sub-optimales.

Ces trois approches s'accordent cependant pour considérer que les facteurs
explicatifs les plus importants des investissements en efficacité énergétique sont, d'une
part, les facteurs financiers - la rentabilité - et, d'autre part, l'information.
110

Notre examen de littérature montre que cette analyse n'est pas confirmée par les
recherches empiriques. Nous avons vu que tous les travaux "alternatifs" à l'approche
économique dominante sur les barrières à l'efficacité énergétique - et mêmes certains
travaux du mainstream - montrent que des facteurs autres que financiers exercent une
influence sur la décision : caractéristiques organisationnelles (en particulier l’importance
de la culture de l’entreprise en matière d’usage de l’énergie et d’efficacité énergétique),
facteurs extérieurs à l'organisation et, finalement, caractéristiques de l'investissement lui-
même (en particulier son lien avec le core business). L'influence de ces différents
éléments relativise ipso facto l'importance de la rentabilité de l'investissement. La
rentabilité n'est pas le déterminant unique de la décision d'investir des entreprises. Elle
n'est qu'un facteur décisionnel parmi d'autres.
Par conséquent, augmenter la quantité d'information – entendue par la perspective
économique comme une information sur les avantages financiers de l'investissement - ne
suffit pas à déclencher la décision. Ce qui explique les constatations de certains
chercheurs sur le manque d'effet de l'information, mis en évidence par l'échec relatif des
audits énergétiques.
Une autre conclusion importante qui émerge de cette revue de littérature est celle
d'une insuffisance de la théorie économique pour décrire et expliquer les décisions
d'investissements en efficacité énergétique. Cette conclusion confirme, en les complétant,
les conclusions similaires de plusieurs auteurs (Payne, 2006; Weber, 2000 ; DeCanio,
1998; DeCanio et Watkins, 1998; DeCanio, 1993; Robinson, 1991; Cebon 1992; Stern et
Aronson, 1984), conclusions parfois formulées dans des termes plus radicaux. Ainsi
DeCanio et Watkins (1998, p. 6) parlent d'un "échec de la théorie d’investissement néo-
classique"103, en fustigeant les économistes du courant dominant.

1.4.3 Quel cadre théorique?

L'examen de la littérature montre en premier lieu que la décision d'investir en


efficacité énergétique est influencée par une multiplicité de facteurs organisationnels et
individuels, ainsi que par les caractéristiques de l'investissement lui-même. Ces facteurs
peuvent être internes ou externes, structurels ou conjoncturels. Deux facteurs semblent

103
“the failure of neoclassical investment theory”.
111

revêtir une importance particulière: d'une part le lien entre l'investissement en efficacité
énergétique et le métier de l'entreprise, d'autre part le lien entre l’importance de l’énergie
dans la culture de l'entreprise et l'investissement en efficacité énergétique. Deuxième
constatation: la rentabilité n'est pas le déterminant unique, ni même principal, de la
décision d'investir dans le domaine de l'efficacité énergétique (comme d'ailleurs, comme
nous le verrons, dans les autres domaines).
L'analyse de la littérature met cependant en évidence le manque d'une alternative
théorique qui puisse intégrer les différents facteurs influençant les décisions relatives aux
investissements en efficacité énergétique et expliquer les modalités de leur influence, en
prenant en compte les résultats des différentes recherches. Ce nouveau cadre théorique,
qui permettrait en même temps de compenser les insuffisances explicatives de la théorie
économique, est réclamé par certains chercheurs, tels que DeCanio et Watkins (1998),
Sorel (2000), Weber (2000). D'autres chercheurs ébauchent des pistes de recherche mais
sans, me semble-t-il, les approfondir suffisamment.
Cebon (1992), qui fait appel aux concepts de structure, culture et pouvoir pour
modéliser les décisions de deux grandes universités américaines en matière d'énergie,
semble être la seule véritable exception au cloisonnement entre le domaine de l'énergie et
celui des organisations. Sorrel et al. (2000, p. 53) mentionnent l’utilisation possible de
concepts des théories de l'organisation pour analyser les barrières organisationnelles à
l'efficacité énergétique. Faisant référence aux "images de l'organisation" de Morgan
(1985) pour démontrer le caractère "notoirement divers et éclectique" des théories de
l'organisation, ils déplorent le peu d'études sur l'efficacité énergétique menées par les
chercheurs se référant à ces théories. Ils déplorent aussi le fait que les chercheurs du
domaine de l'énergie - contrairement à leurs collègues dans le domaine de
l'environnement - ne soient pas allés emprunter des cadres d'analyse aux théories de
l'organisation. Cependant leur analyse des possibilités conceptuelles offertes par le
domaine des organisations reste superficielle. Weber (2000) insiste sur la nécessité de
nouveaux développements théoriques, basés sur les théories de l'organisation pour
expliquer les décisions des organisations en efficacité énergétique. Il remarque cependant
qu'il était impossible d'utiliser les théories existantes pour sa recherche sur les décisions
prises dans les immeubles de bureau car, bien qu'il existe une littérature importante sur la
112

décision dans les organisations, les théories descriptives sont rares, et celles qui existent
sont difficiles à appliquer dans une recherche empirique (il cite en particulier le "modèle
de la poubelle" de Cohen, March et Olsen, 1972) ou bien sont trop spécifiques.
Commentant les résultats de DeCanio et Watkins (1998a) sur l'influence des
caractéristiques des entreprises sur les décisions d'investissement en efficacité
énergétique, Haddad, Howarth et Paton (1998, pp. 35-36) explorent – assez brièvement –
d'autres cadres théoriques qui permettraient une meilleure représentation du
comportement des entreprises en matière d'investissements. Ils sont les seuls à établir une
liaison entre efficacité énergétique et stratégie, en faisant référence à la perspective de la
stratégie basée sur les ressources. Ils mentionnent les travaux de Penrose (1959), qui
définit la firme comme un "ensemble de ressources" et font remarquer que l'adoption de
technologies efficaces en énergie peut entraîner des conséquences sur quatre catégories
de ressources au moins : les ressources physiques, humaines, organisationnelles et
réputationnelle. Ils s'intéressent aussi aux travaux de Nelson (1994) qui définit la firme
comme une combinaison de stratégie, structure et compétences de base, définition qui
insiste sur l'importance de la culture de l'entreprise et des routines sur les décisions
d'investissement (comme les théories de l'agence et des coûts de transaction). Selon
Nelson (evolutionary economics), les compétences de base (core competencies) de la
firme se traduisent dans un ensemble hiérarchisé de routines. Mais ces routines peuvent
devenir des rigidités de base (core rigidities) qui bloquent le changement.
L'absence de recherches plus approfondies pour développer un cadre théorique
alternatif, ou complémentaire, au cadre économico-financier est assez surprenant, eu
égard aux critiques formulées à son encontre. D'autre part, on ne peut qu'être frappé par le
cloisonnement général des recherches. Dans leur grande majorité les chercheurs du
domaine de l'énergie n'ont pas investigué les résultats d'autres domaines de recherche.
Les chercheurs en sciences sociales ne s'intéressent généralement pas aux caractéristiques
techniques des bâtiments. Les économistes et les ingénieurs ne comprennent pas la
logique financière, et dans l'ensemble, méconnaissent et/ou mésestiment les travaux des
sociologues et psychologues. Chaque domaine de recherche détient une pièce du puzzle
mais la collaboration nécessaire pour assembler les pièces n'existe pas. Pourtant, la
113

complexité de la question des déterminants des investissements en efficacité énergétique


appelle une approche interdisciplinaire.
Les recherches menées dans le domaine de l'énergie et dans le domaine de la
finance organisationnelle indiquent en tous cas que la décision d'investissement est
indissociable du cadre organisationnel et de l’environnement de l’entreprise, ainsi que des
acteurs impliqués et des caractéristiques de l’investissement; et que, par conséquent, les
critères financiers de choix des investissements jouent un rôle relatif, voire secondaire,
dans ces décisions. Ces considérations, associées au manque d'une alternative théorique
satisfaisante dans les différents courants de littérature du domaine de l'énergie, qui puisse
expliquer les décisions d'investissement en efficacité énergétique et les facteurs qui les
déterminent, conduisent à formuler les questions de recherche suivantes:

• Pourquoi existe-t-il dans de nombreuses entreprises un


potentiel rentable d'économies d'énergie ?
 Pourquoi les entreprises ont-elles des comportements
différents en matière de décisions d’investissement en efficacité
énergétique, et plus généralement, en matière de gestion de
l’énergie?

Puisque tout investissement est le résultat d'une décision (ou plus exactement,
comme nous le verrons, d'un processus décisionnel), la littérature relative à la décision
dans les organisations semble une source pertinente pour aborder les différents aspects
des décisions d’investissement des entreprises et construire un cadre théorique solide. La
deuxième partie de ma recherche s'attachera à identifier les éléments de cette littérature
qui sont les plus utiles pour analyser et expliquer les décisions d'investissement en
efficacité énergétique des organisations et l'importance des dimensions stratégique et
culturelle de ces investissements. Cette démarche implique aussi d'examiner des concepts
souvent employés mais rarement définis par les chercheurs dans le domaine de l'énergie,
alors qu'ils sont au cœur de la problématique de la décision d'investir : les concepts de
rationalité, de comportement et enfin le concept d'investissement lui-même. Je tenterai de
préciser ces concepts dans la deuxième partie de ce travail, qui sera consacré à la décision
dans les organisations.
114

2. 2ème partie : décisions et organisations

En réalité, le débat sur le sous-investissement en efficacité énergétique doit être


rattaché au vaste et âpre débat qui oppose les sciences économiques aux sciences sociales
sur la question des déterminants de la décision. Les deux camps s'affrontent sur les
principales questions qui forment le cœur du sujet: qu'est-ce qu'une décision, quel
contenu donner au terme de "rationalité" de la décision, quels modèles en déduire pour
représenter la décision individuelle ou la décision collective? Une mise en perspective de
la question des déterminants des investissements en efficacité énergétique dans la
problématique plus vaste des déterminants de la décision organisationnelle permet de
mieux comprendre les réponses proposées par les courants technico-économique et
psychosociologique, que nous avons décrites dans la première partie de ce travail.
Les objectifs du premier chapitre de cette deuxième partie sont triples. Il s'agit
d'abord de proposer une définition des notions centrales de décision et de rationalité de la
décision (première section). Il s'agit ensuite, de souligner les désaccords des perspectives
économique et psychosociologique sur ces concepts (deuxième section). Il s'agit enfin de
décrire succinctement les grandes catégories de modèles décisionnels qui ont été
proposés, en montrant dans quelle mesure ces modèles – de même que les chercheurs qui
les ont conçus ou qui s'y réfèrent - sont influencés par leur appartenance au paradigme
économique ou au paradigme psychosocial. On verra aussi que chacun de ces modèles
enrichit l’analyse mais, pris isolément, ne permet pas d’expliquer les choix décisionnels
dans les organisations.
L’analyse des déterminants de la décision doit donc être menée selon une
approche intégrée qui, en prenant en compte des éléments de chacun des grands modèles
"classiques" de la prise de décision, a une plus grande valeur explicative. Le deuxième
chapitre consistera en une présentation des facteurs qui semblent les plus pertinents à cet
égard pour étudier la décision d'investir en efficacité énergétique : le processus
décisionnel (première section) et son contexte (deuxième section); les acteurs du
processus (troisième section) et, enfin, les caractéristiques de la décision elle-même
(quatrième section). La mise en évidence de l'importance des caractéristiques de la
115

décision - et en particulier de son caractère stratégique - sur le processus décisionnel


débouche cependant sur de nouvelles questions. Qu'est-ce qui détermine le caractère
stratégique d'une décision? Ou, autrement dit, qu'est-ce qui fait qu'une décision est
stratégique ou non? Et, d'autre part, en lien avec l'objet de la présente recherche : les
décisions d'investissement sont-elles des décisions stratégiques? Le troisième chapitre de
cette deuxième partie s'attachera à trouver des réponses à ces questions dans la littérature
sur le SID (Strategic Issue Diagnosis) et la prise de décision stratégique.
A l'issue de cette deuxième partie, je serai en mesure de proposer un nouveau
cadre théorique pour étudier la décision d'investissement en efficacité énergétique, qui
permette de comprendre et d'intégrer les modalités de l'influence des dimensions
culturelle et stratégique de l'énergie, que j'ai identifiées au terme de la revue de littérature
comme exerçant une influence importante sur ces décisions.

2.1 LES FONDAMENTAUX

2.1.1 Décision et rationalité(s)

"Rappelons l’affirmation de Mintzberg (1994) : jamais les innovations comme l’IBM 360, le float glass
et le ski métallique n’auraient vu le jour si les décideurs qui les ont lancées avaient pris en compte des
critères de rentabilité. Nous ajoutons que l’innovateur est souvent considéré comme irrationnel par son
entourage. "
Romelaer et Lambert, 2001, p. 181

Le domaine de la décision dans les organisations fait partie du domaine plus vaste
de l'étude et des théories des organisations, domaine touffu, caractérisé par une
multiplicité de théories, de modèles et de méthodologies. L'étude de la décision dans les
organisations a une longue histoire: elle remonte à l'américain Chester Barnard qui, le
premier, inscrit la prise de décision "au cœur des fonctions du dirigeant" (1938, p. 189),
en réaction à la perspective mécaniste du management scientifique de Taylor et Fayol.
Le concept de décision lui-même ne se laisse pas aborder aussi facilement qu'on
pourrait le penser de prime abord. En effet, qu’est-ce qu’une décision ? C’est d’abord un
"objet psychologique", dans la mesure où elle ne peut être observée directement mais
116

seulement déduite de l’observation d’un comportement. Les "traces qu'elle laisse derrière
elle dans une organisation"104 sont identifiables et observables, mais pas la décision elle-
même. Selon certains chercheurs, dans la lignée de Mintzberg, il est donc impossible
d'étudier une décision. On ne peut que la déduire de l'action observable, telle, par
exemple, l'ouverture d'un nouveau magasin ou le départ d'un collaborateur (Mintzberg et
Waters, 1990; Langley et al., 1995). Un autre courant de recherche, mené par Pettigrew,
considère dans le même esprit que la décision n'est pas l'unité d'analyse appropriée car la
décision est un processus continu105, et non pas un épisode isolé. Il faut donc adopter une
perspective dynamique de la décision.
Pour un individu comme pour une organisation, décider c’est faire un choix entre
différents projets (Favereau, 1997). Le choix est la première dimension de la décision.
Une décision peut d'abord être considérée comme un "comportement de choix"106 (Cyert
& March, 1963). Cependant le choix doit s’incarner dans une ou des action(s) qui
permettront de mener à bien le projet choisi. L’action est donc la deuxième dimension de
la décision. Ainsi Butler et al. définissent la décision comme ”the selection of a proposed
course of action” (1993, p. 6). Mintzberg, Raisinghani et Theoret (1976, p. 246) vont plus
loin en définissant la décision comme un "engagement à agir"107. Cet engagement à agir
concerne généralement un engagement de ressources108 (idem) et les décisions dans les
organisations sont donc des décisions à caractère économique109. La troisième dimension
de la décision est l’incertitude, préalable obligé de la décision (Butler et al, 1993). Sans
incertitude, il n’y a pas de choix à faire et donc pas de décision. Cependant le niveau

104
"actions … are the traces actually left behind in organizations", (Mintzberg et Waters, 1990, p.1).
105
"…the language of decision-making can be more powerful when decision-making is understood as a
continuous process in context" (Pettigrew, 1990, p. 8)
106
"Behavior of choice".
107
Par la suite, Mintzberg et Waters ont remis en question cette définition sur la base du constat qu'il est
difficile parfois, non seulement de retrouver la décision qui est à l'origine d'une certaine action, mais aussi
"d'identifier un engagement dans le contexte collectif d'une organisation" (Mintzberg et Waters, 1990, p. 3).
Ces questions seront discutées plus en détails p. 89.
108
“a specific commitment to action ... usually a commitment of resources "
109
La science économique est la « science des choix » (Samuelson, 2000, préface XVIII). Elle étudie
« l’utilisation de ressources rares pour satisfaire des besoins humains illimités … La rareté implique la
nécessité de faire des choix dans l’allocation des ressources, choix qui impliquent l’existence de coûts,
coûts d’opportunité, traduisant le bénéfice des emplois alternatifs de ressources auxquels on a renoncé. Les
décisions d’allocation de ressources déterminent les quantités des différents biens qui sont produits et
consommés.109 (Lipsey & Courant, 1996, p. 4 & 5).
117

d’incertitude est très variable d’une décision à l’autre, d’une situation de choix à une
autre, avec des conséquences importantes.
La décision dans les organisations peut être analysée à trois niveaux: au niveau de
l'organisation elle-même (macro level), et à celui des groupes (meso level) et des
individus (micro level) qui la composent. Différents types de décisions ont été étudiées.
Les décisions stratégiques en particulier - qui sont souvent des décisions d'investissement
- ont fait l'objet d'une importante littérature, ainsi que les décisions portant sur
l’innovation et le changement dans les organisations.
Qu’est-ce qui fonde et explique la prise de décision? La théorie de la décision
aimeraient pouvoir dire certains, puisqu’elle "propose des principes sur lesquels des
critères de sélection sont construits et des solutions seront proposées", généralement
quantifiées. Son but est d’ailleurs précisément de "donner les moyens aux décideurs non
seulement d’analyser leurs problèmes, mais aussi de pouvoir justifier les solutions
proposées : elles sont rationnelles." (Kast, 2002, p.7). Mais les principes normatifs
proposés par la théorie de la décision sont-ils utilisés par les décideurs ? Dans la réalité,
comme toujours, il semble que les choses ne soient pas aussi simples et c’est la raison
pour laquelle le sujet de la décision, individuelle ou collective, a suscité une importante
littérature110. Quelques thèmes majeurs ont polarisé la recherche sur ce vaste sujet :
acteurs de la décision, types de rationalité, définition du problème décisionnel et
élaboration de solutions, rôle des facteurs contextuels, aspects temporels de la décision,
efficacité de la prise de décision et mise en œuvre. Les débats portent aussi sur
l’influence respective de facteurs individuels, organisationnels et environnementaux. Ces
questions seront analysées plus en détails dans le chapitre consacré aux déterminants de
la décision dans les organisations (voir p. 147 et suivantes).
Entre tous, un thème mérite une place à part : celui de la rationalité. La question
de la rationalité est primordiale car la définition qui en est donnée influence, bien que
souvent de façon implicite, les recherches et les réponses sur tous les autres thèmes liés à
la décision. Dans de nombreux textes – en particulier ceux qui traitent des

110
Dans laquelle on retombe à nouveau sur la question de la valeur normative ou explicative d'une théorie,
ici celle de la théorie de la décision.
118

investissements en efficacité énergétique111 – le terme de rationalité est mentionné, sans


que, pour autant, un contenu précis lui soit donné. Ceci pourrait signifier que tout le
monde s’accorde sur une signification précise. Or ce n’est pas le cas : la question de la
rationalité est une notion complexe qui peut recouvrir des contenus fort différents, selon
l’obédience de la personne qui l’emploie. L'importance du concept de rationalité, et la
variété des approches et des contenus qui lui sont donnés imposent d'analyser son
contenu.
Dans son sens courant, le terme de rationalité désigne ce qui est "conforme aux
lois de la raison, ou peut être connu ou expliqué par la raison", en encore ce qui est
"raisonnable, qui semble fait avec bon sens" (Petit Robert, éd. 1993). Qu’est-ce alors que
la raison? Il faut définir le sens de ce terme si l’on veut donner un contenu à celui de
rationalité. Selon le Petit Robert, la raison est "la faculté pensante qui permet à l’homme
de bien juger et d’appliquer ce jugement à l’action". Cette définition fait référence
implicitement à la vision classique, cartésienne, d'une raison innée, commune à tous les
êtres humains. Cependant, que signifie "bien juger"? Si l’on se trompe en prenant une
décision qui s’avère contre-productive par rapport au résultat recherché, a-t-on pris pour
autant une décision irrationnelle ? Et que dire du cas où deux personnes confrontées au
même choix, et poursuivant le même objectif, prennent deux décisions différentes ?
L’une est-elle moins rationnelle que l’autre ? On voit que la définition courante ne mène
pas très loin, sauf à comprendre que la notion de rationalité est une notion délicate, qui ne
se laisse pas appréhender facilement.
Il est donc plus utile de considérer comme rationnelle, au sens large, toute
décision justifiable non pas par la raison mais plutôt par une ou plusieurs raison(s),
autrement dit toute décision sous-tendue par une intentionnalité. En ce sens, la rationalité
devient la “causalité de la décision” (decision causality, Pfeffer, 1997). De même, dans le
domaine des entreprises, on peut définir la rationalité comme "les lois de fonctionnement
des entreprises et des systèmes d’entreprise qui conduisent les décisions … à être ce
qu’elles sont, [et d’autre part comme] les raisons de ce qui est entrepris dans l’entreprise

111
On trouve une exception à l'absence de définition chez les économistes de l'énergie Howarth et al. qui
précisent "Humans are rational in the sense that they are able to calculate effectively a detailed economic
plan given the information at their disposal" (1998, p. 937). Cependant cette définition est loin d'être
suffisante, voire exacte, comme on le comprendra à la lecture de ce chapitre.
119

en s’appuyant sur le fait qu’il y a une raison derrière chaque acte managérial" (Romelaer
et Lambert, 2001, p. 170).
Quelles sont ces raisons? Dans la perspective classique, on peut les résumer à
deux mots : les fins et les moyens (ends and means). Les deux dimensions de la
rationalité sont donc d’une part le(s) but(s) de la décision, et d’autre part les moyens
disponibles pour atteindre ce(s) but(s). Ou, autrement dit, le "pourquoi" et le "comment"
de la décision.
Cependant ces deux dimensions suscitent à nouveau de nombreuses questions : la
décision est-elle vraiment conditionnée par un but ? Si oui, quel est-il ? Est-il défini a
priori ? Comment sont formées les préférences du décideur ? Quels sont les moyens du
décideur pour atteindre le but fixé? Comment les utiliser "au mieux"? Quelles sont les
limites et les contraintes du choix? Les conséquences des choix sont-elles connues ?
Les réponses à ces questions ne seront pas les mêmes selon qu’on considère un
individu ou une organisation puisque dans le cas d’une organisation se pose en outre la
question du nombre de décideurs et des possibles conflits d’intérêts entre eux, et entre
leurs objectifs et ceux de l’organisation elle-même.
Mais, comme je l'ai déjà indiqué, les réponses à ces questions varient également
considérablement selon l’obédience du répondant. Car, au-delà des interrogations sur les
buts et les moyens de la décision, ce qui est en cause en réalité c’est le comportement des
individus et des organisations, et les facteurs qui déterminent ce comportement, ou même,
plus exactement, l'écart entre le comportement observé et les prédictions des théories.
En matière de décision économique, dont font typiquement partie les décisions
d'investissement puisqu'elles portent sur des allocations de ressources, deux grands
modèles explicatifs s’opposent : le paradigme économique et le paradigme psychosocial.
Il est important de comprendre leurs oppositions pour pouvoir décrypter leurs réponses
sur la décision. Examinons-les plus en détails.
120

2.1.2 Homo economicus versus homo sociologicus

"La théorie de la décision individuelle … consiste, dans le cadre d’une description adéquate des
différents éléments des problèmes de décision, à construire des critères fondés sur des hypothèses sur le
comportement du décideur. Dans le cadre de ces hypothèses, le comportement rationnel consiste à
optimiser ces critères. La théorie de la décision s’inscrit ainsi dans la perspective de la théorie
économique qui met en jeu des agents, consommateurs et producteurs, et en formalise le comportement
comme consistant à maximiser des « fonctions d’utilité » ou « fonctions de satisfaction » (nous
simplifions, la théorie n’a souvent besoin que de « préférences » sans que celles-ci doivent être
représentées par une fonction). L’agent économique est alors réduit au fameux Homo economicus …"
Robert Kast, La théorie de la décision, La découverte, 2002, p. 17

Les paradigmes économique et psychosocial s’opposent d’abord dans l'origine de


leur démarche sur la décision économique. Le paradigme économique part d’une extrême
simplicité théorique et, sous la pression du décalage avec la réalité observée, incorpore de
la complexité par touches successives. Le paradigme psychosocial constate la complexité
du réel et tente de la réduire en identifiant des régularités de comportement. Le centre
d’intérêt du modèle économique est le marché, les individus et les entreprises n'étant pris
en compte – au mieux – que comme éléments constitutifs. A l’opposé, le modèle
psychosocial centre son analyse sur l’individu, considéré seul ou en groupe, et sur le
contexte socioculturel dans laquelle il s’insère. Fondamentalement, ces perspectives
s’opposent par leur vision de l’homme et de la société. A un extrême, l’homo economicus
utilitariste, poussé par son intérêt (matériel), cherche à satisfaire ses préférences, stables
et clairement définies, par les moyens qui lui semblent les plus efficaces, conformément
au vieil adage "la fin justifie les moyens". A l’autre extrême, l’homo sociologicus est
conditionné par sa culture, son vécu ; l’intérêt individuel n’est pas le moteur unique de
son comportement ; ses préférences sont conditionnées par des facteurs dont il n’a pas
toujours conscience ; il peut même prendre sa décision sur l’impulsion du moment et y
chercher – ou non - une justification a posteriori.
Les caractéristiques fondamentales de la rationalité selon le paradigme
économique sont triples. Premièrement cette rationalité est de type finaliste: c’est le but
poursuivi par le décideur, préexistant au processus décisionnel, qui explique la décision.
121

Deuxièmement, cette rationalité finaliste est utilitariste 112 : le but poursuivi est la
maximisation de l’utilité du décideur. Motivé par la satisfaction de son intérêt personnel
(self-interest), il effectuera le choix le plus conforme à ses préférences matérielles, en
choisissant l’action qu’il préfère parmi toutes celles qu’il a la possibilité d’accomplir. Les
préférences matérielles du décideur sont identifiables, stables et peuvent être classées sur
une échelle d’utilité. Enfin, cette rationalité finaliste et utilitariste est en même temps
instrumentale, dans la mesure où elle consiste à utiliser au mieux les moyens à disposition
pour réaliser l'objectif défini: c'est la rationalité dite "praxéologique", qui fait référence à
une situation de maximisation sous contrainte (Combe, idem, p. 75), au terme de laquelle
la meilleure solution sera choisie. La rationalité du paradigme économique est aussi
appelée rationalité substantive, parfaite, ou classique, ce dernier terme faisant référence à
son origine, le cartésianisme.
Les tenants du paradigme psychosocial sur la décision reprochent d'abord à la
rationalité du paradigme économique son décalage important avec la réalité. Ainsi les
sociologues Boudon et Bourricaud remarquent que, même dans son acception
praxéologique la plus simple (adaptation des moyens aux fins), "la notion de rationalité
pose de nombreux problèmes et … n’est définie de façon univoque que dans des
situations-limites". En effet, "s'il existe un ensemble fini de moyens pour parvenir à une
fin, si ces moyens peuvent être totalement ordonnés par rapport à un critère (ce critère
pouvant être par exemple le coût, la pénibilité, l’accessibilité de chaque moyen), l’action
rationnelle et celle qui utilise le moyen le meilleur par rapport ce critère. Mais ces
conditions (ordre total par rapport à un critère unique d’un ensemble fini de moyens)
peuvent ne pas être toutes (et souvent ne sont pas) réunies. Si elles le sont objectivement,
elles peuvent ne pas l’être dans la conscience de l’acteur, qui peut par exemple ne pas
avoir connaissance de l’existence de tel ou tel moyen" [accents mis par les auteurs]
(Boudon et Bourricaud, 2004, p. 480).
Plus fondamentalement, le paradigme psychosocial conteste la définition de la
rationalité selon le paradigme économique dans ses trois dimensions, utilitariste, finaliste

112
La rationalité utilitariste fait référence à des intérêts immédiats ; dans le cas de la rationalité
téléologique, variante de la rationalité utilitariste, le décideur agit en fonction d’objectifs qu’il s’est fixé,
parfois à long terme, lesquels peuvent ne pas coïncider avec ses intérêts immédiats.
122

et instrumentale. Cette critique unanime est d'ailleurs le critère qui permet d'employer ici
le terme de "paradigme psychosocial"113.
La contestation porte d'abord sur la qualité instrumentale de la décision, sur les
capacités des décideurs à traiter l’information et à analyser les solutions disponibles en
vue de la décision. Elle porte ensuite sur la dimension utilitariste de la rationalité
économique. Pour les tenants du paradigme psychosocial, l’intérêt individuel n’est pas le
moteur unique de la décision, même économique, en raison de l’influence des valeurs
mais aussi parce que des relations avec d’autres acteurs, par exemple de solidarité ou de
collaboration, peuvent jouer un rôle. Enfin, le paradigme psychosocial oppose à la
perspective finaliste du paradigme économique une perspective causaliste, parfois même
déterministe, en cherchant à mettre en évidence les forces socioculturelles et
psychologiques qui orientent les choix du décideur. Au "pourquoi" de l'approche finaliste
de la rationalité économique, qui renvoie à la finalité de la décision, au but poursuivi,
l'approche psychosociale oppose, pourrait-on dire, le "parce que", en faisant référence à
"ces éléments du passé qui déterminent le projet, tant dans la fin poursuivie que dans les
moyens de l'atteindre" (Schütz, 1997, p. 26, cité par Cossette, 2004, p. 31). Schütz donne
à cet égard un exemple simple : le meurtrier commet son crime en vue d'obtenir l'argent
de sa victime mais parce qu'il a eu une enfance difficile.
Une autre forme de rationalité, mise en évidence par les chercheurs en sciences
sociales (voir à ce sujet Pettigrew, 2002; Pfeffer, 1997) conteste la dimension finaliste de
la rationalité économique : il s'agit de la rationalité a posteriori, qui qualifie une situation
dans laquelle le décideur justifie sa décision ou son action seulement après l'avoir
effectuée. Comme l'exprime bien Pettigrew (2002, p. 12), “even the unthinkable was
articulated, action might precede thought.” Un courant de littérature a exploré à ce sujet

113
Le terme "psychosocial" fait référence ici à l’ensemble des sciences sociales qui s'intéressent aux
facteurs influençant les comportements humains : psychologie, sociologie, anthropologie, ethnologie. Si on
définit un paradigme dans les sciences sociales comme une "vision globale des relations et des
comportements humains" (Moscovici, 2003), il peut sembler discutable d’employer le terme de "paradigme
psychosocial" à propos de la rationalité, tant les perspectives des sciences humaines sur les facteurs
déterminants les comportements humains sont variées et parfois même contradictoires. Certaines de ces
disciplines, ou certains courants au sein de ces disciplines, centrent leur analyse sur le sujet individuel,
d’autres sur le sujet collectif, certaines adoptent une perspective statique, et d’autres une perspective
dynamique, certaines ont une vision plus déterministe que d'autres. Finalement l’élément fédérateur, le
critère qui permet d’employer ici malgré tout le terme de "paradigme psychosocial" pour qualifier la vision
globale commune à toutes ces disciplines est leur critique unanime de la rationalité telle qu'elle est
présentée par les économistes néo-classiques.
123

les relations entre la pensée et l'action et la question de l'intentionnalité dans les situations
de rationalité a posteriori. En effet, si l'on définit l'intentionnalité comme la formulation
d'un projet par la pensée, que la décision permettra d'exécuter, il semble indispensable
que l'intention précède l'action (voir Cossette, 2004, p. 33-34). Que cela ne soit pas le cas
est bien embarrassant sur un plan théorique.
La question des préférences du décideur est celle sur laquelle les paradigmes
économique et psychosocial sont en plus forte opposition. Selon le paradigme
économique, les préférences sont stables, voire immuables, et communes à tous les
individus, sans être influencées par le contexte social. Elles peuvent dès lors être traitées
par les modèles de rationalité économique comme des données exogènes qui ne font pas
l’objet d’une analyse114. Selon le paradigme psychosocial, au contraire, le décideur n’est
pas "tiré" par le but poursuivi mais en quelque sorte "poussé" par des forces
psychologiques, sociales et culturelles, dont il n’a pas conscience, qui conditionnent ses
préférences et biaisent ses analyses et ses décisions. Le paradigme psychosocial met ainsi
l’accent sur l’ancrage social ("social embeddedness", Granovetter, 1985) du
comportement et des décisions.
Le comportement du décideur est donc analysé par les sciences sociales non pas
en termes de satisfaction de ses préférences mais en termes de cohérence avec ses
attitudes115. L’attitude représente les idées, les convictions ou les goûts d’une personne à
l’égard d’un objet ou d’une question. Il s’agit d’une variable latente qui prédispose un
individu à un certain comportement, défini comme la manière dont cet individu agit ou
réagit par rapport à cet objet ou à cette question. Un même comportement peut avoir
différentes significations, et différents comportements peuvent avoir la même
signification. Ce qui est important n'est donc pas le comportement lui-même mais la
signification du comportement (Cossette, 2004; Schein, 2004; Schneider et Barsoux,

114
"Preferences are exogenous and few variants consider the possibility that preferences are shaped by
social institutions and should therefore be the subject of analysis rather than taken for granted or assumed"
(Pfeffer, 1997, p. 44).
115
"Attitude is representing a person’s idea, convictions, or liking with regard to a specific object or idea.
… Attitude represents a predisposition to respond to an object, not actual behavior toward the object …
Attitude is a latent variable that produces consistency in behavior, either verbal or physical"(Churchill &
Jacobucci 2002, pp 366-367)
124

2003). L’attitude est conditionnée par les croyances – des énoncés de fait sur ce que les
choses sont - et les valeurs – des énoncés sur comment les choses devraient être116.
Les valeurs peuvent conduire à exclure certaines options et à en valoriser d’autres.
Elles peuvent avoir une influence positive ou négative sur une décision. La question est
donc de comprendre sous quelles conditions, et dans quelle mesure, elles renforcent ou
minent la rationalité instrumentale (Romelaer et Lambert, 2001). Dans certains cas, les
valeurs prennent une dimension normative. Dans ce cas, le décideur agit en fonction d’un
code de valeurs qui s’impose à lui, et cela même si l’action considérée va à l’encontre de
ses intérêts immédiats ou de ses objectifs. Un exemple extrême, souvent cité, de cette
forme de rationalité (rationalité axiologique) est celui du capitaine qui se laisse couler
avec son navire par fidélité à sa conception de l’honneur. On peut classer dans cette
catégorie de rationalité normative la rationalité influencée par la morale. Un autre cas de
rationalité normative est celui de la rationalité influencée par les règles, qui encadrent la
décision, en particulier dans les organisations (mais dont le contenu est lui-même
influencé par les valeurs).
Des réactions affectives et émotionnelles, les affects, peuvent conduire le décideur
(Etzioni 1992, cité par Romelaer et Lambert, 2001, p. 191, Giordan, 1998, p. 41 et ss.) à
exclure certaines options et à en valoriser d’autres.
La décision peut enfin être le résultat d'un comportement d'imitation, fréquent
chez les individus, mais qui a également été observé dans les organisations, notamment
au niveau de leurs décisions stratégiques (Greve, 1996 ; Haveman, 1993 cités par Pfeffer,
1997) et conceptualisé par la théorie institutionnelle (DiMaggio et Powell, 1983 ; Scott,
1995).
Au total, selon le paradigme psychosocial sur la décision, on devrait dire en fait
"psycho-socioculturel", trois niveaux d'influence contribuent à orienter les choix des êtres
humains : le niveau individuel, qui comprend la personnalité, la psychologie et les
réactions affectives de l'individu; le niveau sociologique, qui comprend ses relations aux
autres, et enfin le niveau culturel, formé par les "basics assumptions" qui conditionnent
ses désirs et ses refus. Ces différents niveaux d'influence sont interreliés: par exemple les

116
"Beliefs are statements of fact, about the way things are. Values are preferred states about the way
things should be, about ideals" (Schneider & Barsoux 2003, p. 27).
125

émotions qu'éprouve un individu sont influencées par sa culture. Les trois niveaux
d'influence doivent être pris en compte dans l'étude des décisions dans les organisations.
Un quatrième niveau, celui de la biologie, joue un rôle essentiel, bien qu'il ne soit
pas cité dans la littérature sur la décision et relève plutôt des sciences de l'éducation et des
neurosciences. Système dynamique en remaniement constant, dont les structures
complémentaires interprètent les données, donnent un poids aux choses en fonction des
ressentis du corps, notre cerveau élabore une conception de la réalité à partir des
informations écrites, des images et des sons qu'il reçoit ou recherche et des cadres
cognitifs qu'il contient. Le cerveau n'apprend que parce que l'environnement, physique et
social, fluctue, dans un échange où interviennent à la fois un type de questionnement, un
cadre de références et des façons de produire du sens (Giordan, 1998, p. 40).
Paradigme économique et paradigme psychosocial ont évolué au fil des apports
théoriques et empiriques selon deux lignes différentes : les économistes, en s'associant à
des travaux de psychologie expérimentale, ont étudié principalement les moyens de la
décision et leurs limites, sans s’interroger sur les préférences du décideur, leur genèse et
leur influence sur les buts de la décision. Ils ont en somme questionné la dimension
instrumentale de la décision, sans remettre en question ses aspects finaliste et utilitariste.
Le paradigme psychosocial s'est attaché par contre à étudier l’influence sur toutes
décisions, y compris économiques, des caractéristiques individuelles du décideur et du
contexte socioculturel, y compris le rôle joué par la distribution et l’exercice du pouvoir.
Les deux paradigmes se sont incarnés dans différents modèles décisionnels, ou
"théories des choix" (Pettigrew, 1990), développés par les chercheurs et théoriciens des
sciences économiques et sociales pour expliquer les décisions prises par les individus
et/ou les organisations. Examinons brièvement les grands modèles décisionnels qui ont
été développés en particulier dans les années 50 à 70, et servent depuis lors de base aux
chercheurs de la décision, soit pour les compléter, soit pour s'en démarquer.

2.1.3 Modèles décisionnels

Ces modèles décisionnels peuvent être classés en quatre grandes catégories: le


modèle de la rationalité parfaite, le modèle de la rationalité limitée, les modèles politiques
126

de la décision dans les organisations, et enfin les modèles aléatoires. Le premier modèle
constitue le socle de la théorie économique néo-classique. Le modèle de la rationalité
limitée a été adopté tant par le paradigme économique que par le paradigme psychosocial.
Les deux derniers modèles relèvent essentiellement du paradigme psychosocial. Les deux
premiers modèles représentent la décision individuelle, tandis que les deux derniers
modèles s'attachent à représenter la décision dans les organisations.

2.1.3.1 Rationalité parfaite

“The rational consumer model is so deeply entwined in economic analysis, and in broad terms so
plausible, that it is hard for many economists to imagine that failures of rationality could infect major
economic decisions or survive market forces.”
McFadden, 1999, p. 74

Version extrême de la rationalité finaliste, utilitariste et instrumentale, le modèle


de la rationalité parfaite (ou substantive) constitue le socle du modèle économique néo-
classique dans sa version la plus orthodoxe. Il repose sur trois principes : la rationalité
part de l’individu (acteur unique), elle se traduit par une optimisation (c’est la meilleure
solution qui est choisie) et elle réduit l’incertitude de l’avenir à des probabilités
numériques (Favereau, encyclopédie de gestion, 1997, p. 2794). La signification de ces
trois principes et leur implication sur la façon dont est considéré le comportement de
l’individu sont les suivantes :
- Buts : le décideur recherche exclusivement la satisfaction de son intérêt
personnel, qui s’incarne dans des préférences stables, claires et hiérarchisées. Les
préférences du décideur sont antérieures au choix, exogènes au modèle et ne sont pas
discutées.
- Moyens et limites de la décision: le décideur évolue dans un univers stable et
prévisible. Son information est parfaite (sur le problème, les solutions et les conséquences
des solutions) et ses capacités de traitement de cette information sont illimitées (capacités
cognitives du décideur). Les alternatives des choix sont donc connues ainsi que leurs
conséquences, qui peuvent être ordonnées selon une échelle de comparaison quantitative.
Cette configuration permet au décideur de choisir la solution optimale.
127

Le décideur est détaché du monde qui l’entoure, dont il a une vision parfaitement
objective, au sens de non déformée par ses propres perceptions. Cette position
d’observateur détaché lui permet de confronter les solutions claires qui s’offrent à lui à
ses préférences qui sont préexistantes, parfaitement définies et ordonnées.
Le décideur utilise la méthode analytique pour faire ses choix, selon un processus
en différentes étapes : il définit le problème à propos duquel une décision doit être prise,
il identifie les critères pertinents pour le choix à effectuer et les classe par ordre
d'importance, il rassemble les informations nécessaires sur les différentes solutions
envisageables, il classe les solutions par rapport aux critères prédéfinis; il calcule le score
de chaque décision en multipliant son classement par la valeur relative de chaque critère;
finalement, il choisit la solution ayant obtenu le score le plus élevé, la solution optimale
(Bazerman, 2006, p. 4). Ou encore, comme le décrivent Mintzberg, Raisinghani et
Theoret, (1976, p. 258) “…the analytic mode, clearly distinguishing fact and value in the
selection phase. It postulates that alternatives are carefully and objectively evaluated,
their factual consequences explicitly determined along various goal, or value, dimensions
and then combined according to some predetermined utility function – a choice finally
made to maximize utility". L'étape de la mise en œuvre n'est, logiquement, pas prise en
compte par le modèle: elle ne peut poser aucun problème puisque c'est la meilleure
solution qui a été choisie.
Dans ses analyses des décisions de niveau organisationnel, cette approche agrège
"sans remord", et en bonne logique, le comportement des individus et des groupes :
puisque chaque manager prend individuellement des décisions rationnelles, optimales,
alors les décisions prises par des groupes au sein des organisations, et par l'organisation
elle-même, seront également rationnelles (Miller, Hickson & Wilson, 1997, p. 293). De
même le marché fonctionne de façon efficace puisqu'il est animé par des agents
économiques rationnels.
Le schéma ci-dessous illustre le processus décisionnel extrêmement simple de la
rationalité parfaite: le décideur analyse les solutions qui s’offrent à lui sur la base de
l’information illimitée dont il dispose et, en fonction de ses préférences, il choisit la
solution optimale.
128

Information

SOLUTION OPTIMALE

Préférences

Après cinquante ans de débats et d’avancées théoriques et empiriques, le modèle


de la rationalité substantive défendu par la théorie économique néo-classique a montré les
faiblesses de son pouvoir explicatif en maintes circonstances, comme nous allons le voir
dans les sections suivantes. Cependant, dans l’ensemble, et malgré les nombreuses
critiques dont il fait l’objet, le modèle utilitariste et instrumental de la rationalité
substantive continue à être – le plus souvent de façon implicite car les hypothèses
fondatrices en sont rarement discutées – le modèle dominant des sciences de gestion.
Comme le constate Cossette (2004, p. 96) "il y a tellement de trous dans ce modèle, que
sa grande popularité laisse songeur". Livian (2000, p. 56) propose les raisons de cette
domination : le modèle correspond aux concepts du calcul économique standard
(optimisation), il correspond à la rationalité cartésienne transmise par l’enseignement
scientifique, il permet une modélisation mathématique, donnant lieu à des outils dits
d’ "aide à la décision", il est donc rassurant et même valorisant pour celui qui s’imagine
être "un décideur". Pfeffer (1997), s’interrogeant lui aussi sur les raisons de cette
domination, conclut à son idéologie implicite. Le modèle économique présente une vue
bénigne de l'organisation sociale117, en mettant l’accent sur le marché et les relations
d’échange volontaire qui s’y produisent, par opposition à des relations de pouvoir.
Brunsson (2006) propose une troisième explication. Selon lui, la rationalité est une
"forme intentionnelle d'intelligence", une des quatre formes d'intelligence avec
l'apprentissage, l'imitation et le respect des règles. Le succès de la rationalité dans la
société occidentale tient à ce qu'elle est la forme d'intelligence qui correspond le mieux à

117
"The economic model presents a benign view of social organization" (Pfeffer, 1997, p. 54).
129

une autre institution de la société moderne : l'individualisme. Le modèle de la rationalité


classique est en effet basé sur les notions d'intentions et de préférences qui fondent aussi
la notion d'individu. Par conséquent, "If we can prove that we are rational, we
simultaneously prove that we are proper individuals. When individuality is an important
value, we can expect rationality to be a form of intelligence that is accorded high status.
In our society, both the theory of the individual and the idea of rationality as a form of
intelligence are almost always given the status of clearly correct and respectable
phenomena – they are parts of the institutionalised reality: People are called individuals,
and rationality is seen as being equivalent to intelligence, or at least as being the only
proper intelligence" (Brunsson, 2006, p. 17).
La rationalité selon le paradigme économique sous-tend la finance classique et la
théorie financière de l’investissement, ainsi que l'économie industrielle et une grande
partie du domaine du management stratégique. Elle sous-tend aussi les analyses faites par
les économistes de l'énergie sur les déterminants des investissements en efficacité
énergétique, ce qui explique leur refus d'admettre un comportement "sub-optimal" de la
part des entreprises dans ces investissements ou de n'en accepter comme cause qu'un
manque d'information (qui est admis par la théorie économique sous la notion d'échecs de
marché, voir p. 70 et ss.). La remarque de McFadden, citée aussi en exergue à cette
section, aide à comprendre les raisons de cette attitude : "the rational consumer model is
so deeply entwined in economic analysis, and in broad terms so plausible, that it is hard
for many economists to imagine that failures of rationality could infect major economic
decisions or survive market forces” (McFadden, 1999, p. 74).

2.1.3.2 Rationalité limitée et biais cognitifs

Herbert Simon, politologue, sociologue, mathématicien et économiste, fut le


premier à contester la vision exagérément simplificatrice de la rationalité parfaite, en
appliquant des notions de psychologie cognitive au domaine de la prise de décision.
Selon Herbert Simon (cité par Favereau, 1997, p. 2794), "la rationalité dénote un style de
comportement, (a) qui est approprié à la réalisation de buts donnés, (b) à l’intérieur des
limites imposées par des conditions et des contraintes données". Selon cette définition, la
130

rationalité n’est plus un principe mais un "style de comportement", expression qui peut
recouvrir des contenus fort différents, comme Simon lui-même l’a précisé.
Le modèle de la rationalité limitée se différencie du modèle de la rationalité
parfaite sur plusieurs points essentiels :
- But(s) : les décideurs n’ont pas des préférences claires et hiérarchisées mais des
aspirations qui varient selon les moments ; en outre l'objet de la décision peut être
imprécis ou être sujet à interprétations et les critères décisionnels incertains ou non
définis; par conséquent le décideur ne se contente pas de choisir entre des options
préexistantes mais il les construit, à travers la séquence d’étapes du processus (ou
"procédures") de décision : c’est pourquoi par la suite H. Simon préfèrera le terme de
rationalité "procédurale" à celui de rationalité limitée. La décision est la troisième étape
d'un processus qui en comprend quatre : l'étape de l'intelligence, qui consiste à rechercher
dans l'environnement les sujets qui nécessitent une décision; celle du design, dans
laquelle le décideur invente, développe et analyse les voies d'action possibles; l'étape du
choix; et enfin l'étape du bilan durant laquelle les choix passés sont évalués (Simon,
1977, p. 40). Les étapes sont interreliées : par exemple une décision peut constituer en
même temps l'étape du choix et l'étape de l'intelligence de deux processus différents.
- Moyens : le modèle de la rationalité limitée met en cause, comme son nom
l’indique, les capacités du décideur à faire le meilleur choix. Celui-ci cherche à être
rationnel (au sens instrumental et finaliste du terme, par une recherche de l'adéquation
entre la fin et les moyens) mais il ne peut avoir une analyse complètement logique d’une
situation, soit parce qu’il la considère sous un certain angle (à partir d’un certain rôle ou
fonction dans l’entreprise, ainsi que l'ont montré Dearborn et Simon, 1957), soit parce
qu’il n’a pas le temps, les capacités d’analyse ou l’information lui permettant
d’appréhender tous les éléments de la décision. Par conséquent la solution optimale est
inaccessible et il faut se contenter d’une solution satisfaisante.
Les recherches ont confirmé le fait que des individus qui doivent prendre une
décision appliquent, pour gagner du temps, certaines règles simplificatrices, des
heuristiques. Ces "processus cognitifs de simplification", selon la formule de Schwenk
(1984) sont basés sur un système de pensée intuitif "rapide, automatique, sans effort,
131

implicite et émotionnel", qui fait appel au jugement118 basé sur des schémas cognitifs
préexistants, par opposition au système de pensée analytique basé sur le raisonnement,
qui est lui "lent, conscient, demande des efforts, explicite et logique"119 (Bazerman, 2006,
p. 5). En rappelant cette distinction faite par Stanovich et West (2000) entre les deux
systèmes de pensée utilisés dans la prise de décision individuelle, Bazerman indique que
la plupart des décisions de la vie courante sont prises selon le système intuitif, mais aussi
la plupart des décisions prises par les managers lorsqu'ils sont surchargés et pressés par le
temps.
Les travaux de Mintzberg, Raisinghani et Theoret (1976) ont mis en évidence
l'importance du jugement dans les décisions d'investissement. Leur étude de la phase
finale (phase d'évaluation-choix, voir p. 147 et ss.) de vingt-cinq décisions
d'investissement a montré que l'évaluation (qui devrait être consacrée à l'analyse des
différentes solutions) ne se distingue pas du choix dans soixante-cinq cas d’évaluation-
choix étudiés : "rather the weights are determined implicitly, in the context of making
choices … [by] the manager who determines the value trade-offs in his head and thereby
makes a choice" (Mintzberg, Raisinghani et Theoret, 1976, p. 258). Mintzberg,
Raisinghani et Theoret identifient trois modes opératoires dans la phase d'évaluation-
choix - jugement, marchandage et analyse – et constatent que le jugement est le mode de
sélection le plus courant. Plus important, même quand c'est la méthode analytique qui est
utilisée pour évaluer différentes solutions, l'évaluation est "faussée tant par des limitations
cognitives du décideur, en l'occurrence une surcharge d'information, et par des partis pris,
involontaires mais aussi volontaires"120. Mintzberg, Raisinghani et Theoret remarquent
que cette situation peut sembler surprenante si l'on considère l’importance des projets
d'investissement concernés mais que, pourtant, les autres études empiriques aboutissent
aux mêmes constatations. La recherche d'Isenberg (1984) met également en évidence le
rôle de l'intuition, par opposition à l'analyse, dans les décisions managériales.

118
"Judgment refers to the cognitive aspects of the decision-making process" (Bazerman, 2006, p. 3). Voir
cognition, p. 153).
119
"System 1 thinking refers to our intuitive system, which is typically fast, automatic, effortless, implicit,
and emotional … By contrast, System 2 refers to reasoning that is slower, conscious, effortful, explicit, and
logical" (Bazerman, 2006, p. 5).
120
Evaluation “gets distorted both by cognitive limitations, that is, by information overload and by
unintended as well as intended biases. This has been found to apply to all the modes of selection, including
analysis” (Mintzberg, Raisinghani et Theoret, p, 259).
132

Parallèlement aux travaux de Simon sur la rationalité limitée, un autre courant de


recherche a mis en question le modèle de la rationalité parfaite: il s'agit des travaux de
psychologie expérimentale sur les biais cognitifs, initiés par deux psychologues
californiens, Amos Tversky et Daniel Kahneman. L'étude des biais cognitifs dans le
domaine des décisions de placement financier, menée par Tversky et Kahneman d'abord
et par Richard Thaler ensuite dans les années 1980, a constitué le fondement de la finance
comportementale, "qui n'a que récemment investi le champ de la décision managériale"
(Bessière, 2007).
Un biais cognitif est "une distorsion (déviation systématique par rapport à une
norme) que subit une information en entrant dans un système cognitif ou en en sortant.
Dans le premier cas, le sujet opère une sélection des informations, dans le second, il
réalise une sélection des réponses" (Le Ny, 2002). Plusieurs anomalies biaisent les
perceptions du décideur, en menant parfois à des réponses raisonnables, qui sont utiles à
l'organisation, mais aussi à des erreurs sévères et systématiques121 (Tversky, 1977, cité
par McFadden, 1999, p. 79). Selon Bazerman (2006), leur principal défaut réside dans le
fait que leur usage est inconscient.

Les biais cognitifs les plus importants sont les suivants :

- Contexte : la façon dont la même information est présentée influence la


manière dont elle est traitée et, en finalité, le choix qui est fait.

- La situation de référence, à partir de laquelle un changement est évalué,


exerce une influence sur le choix final : ainsi les individus montrent une
aversion au risque dans une situation de pertes mais une préférence pour le
risque dans une situation de gains ; l’expérience personnelle du sujet est
favorisée par opposition à des alternatives non vécues.

- L’information est traitée différemment selon qu’elle présente ou non certaines


caractéristiques : par exemple le décideur donne un poids relativement plus

121
« …human judgments appear to follow certain principles that sometimes lead to reasonable answers and
sometimes to severe and systematic errors.”
133

important à des résultats certains qu’à des résultats incertains, à des


événements récents qu’à des événements anciens.

- Corrélations trompeuses : des relations causales qui ne sont supportées par


aucune raison objective influencent le choix du décideur.

- Anomalies de processus décisionnel : le choix est guidé par des principes, des
analogies et des exemples plutôt que par des calculs utilitaires, ou encore par
des affects, sentiments ou émotions le plus souvent inconscients. Récemment,
Slovic, Finucane, Peters & MacGregor (2002, in Bazerman 2006, p. 9) ont
démontré l'influence des affects sur les décisions. Gilbert (2002, in Bazerman,
2006, p. 9) a montré que les affects auront d'autant plus d'influence que le
décideur est très occupé ou manque de temps.

- Excès de confiance: il s'agit de l'un des biais comportementaux les plus


documentés, observé dans de nombreux domaines professionnels, qui exerce
notamment une influence sur les décisions stratégiques, comme nous le
verrons (voir p. 213). Il "caractérise un individu ayant une confiance excessive
dans ses propres compétences, capacités ou connaissances" (Bessière, 2007 p.
58, in Dubois et Dupuis). En raison de l'excès de confiance, les décideurs ont
tendance à surestimer leurs propres capacités en ayant l'illusion de pouvoir
tout contrôler (Schwenk, 1984). Ils ont aussi tendance à sous-estimer le temps
nécessaire à l'accomplissement d'un projet, attribuent les échecs à des facteurs
externes ou hors de contrôle (malchance, équipement défectueux) et les succès
à leurs propres talents ou efforts (Baron, 1998). L'excès de confiance se
distingue de l'optimisme qui traduit également une surestimation idéaliste
concernant les événements futurs mais qui est liée à l'environnement et non
pas aux aptitudes personnelles des dirigeants. Cependant ces deux biais sont
souvent simultanés et se combinent en particulier dans l'illusion du contrôle,
où le décideur pense pouvoir maîtriser des événements purement aléatoires
(Bessière, 2007).

- Thaler (2000, in Bazerman, 2006 p. 7) a mis en évidence deux attitudes


communément partagées qui biaisent et conditionnent la prise de décision :
134

une tendance à attribuer plus de poids aux intérêts présents qu'aux intérêts
futurs et, en contradiction avec le paradigme de la rationalité économique, une
prise en compte des conséquences de nos décisions pour d'autres personnes.

- Enfin, très récemment, deux autres limites à la décision ont été proposées,
celles de "bounded ethicality" (Chugh, Bazerman & Banaji, 2005), "which
refers to the notion that our ethics are limited in ways we are not even aware
of ourselves" (Bazerman, 2006, p. 7) et de "bounded awareness", which refer
to the broad category of focusing failures or ways in which we fail to notice
obvious and important information that is available to us" (idem).

- Deux autres biais affectent en particulier les décisions stratégiques dans les
entreprises, selon Schwenk (1995) : l'attribution causale (causal attribution) et
l'escalade dans l'engagement (escalating commitment). Dans l'attribution
causale, les managers de haut niveau ont tendance à attribuer les bons résultats
obtenus à leurs propres qualités et actions et à attribuer la responsabilité des
les mauvais résultats à des facteurs extérieurs, tels des impondérables
survenant dans l'environnement de l'entreprise ou un manque de chance.
L'escalade dans l'engagement (Staw & Ross, 1989) se définit comme la
tendance à augmenter l'engagement dans une voie vouée à l'échec.

En fin de compte, comme le remarque avec humour McFadden (1999, p. 74): “All
these apparently normal consumers are revealed to be shells filled with books of rules for
handling specific cognitive tasks. Throw these people a curve ball, in the form of a
question that fails to fit a standard heuristic for market response, and the essential
‘‘mindlessness’’ of the organism is revealed. For most economists, this is the plot line for
a really terrifying horror movie, a heresy that cuts to the vitals of our profession. To
many psychologists, this is a description of the people who walk into their laboratories
each day.”
Complété en tenant compte des processus de simplification induits par la
rationalité limitée du décideur et de ses biais cognitifs, notre schéma représentant le
processus décisionnel individuel devient plus complexe : les perceptions du décideur
filtrent les informations qui lui parviennent, et les biais cognitifs qu'il emploie déforment
135

l’usage qu’il fait de ces informations pour prendre sa décision, qui ne pourra être que
satisfaisante.

Information (incomplète)

Heuristiques et
biais cognitifs

CHOIX DE LA SOLUTION LA PLUS SATISFAISANTE

Préférences
(changeantes)

La mise en évidence des biais cognitifs invalide un postulat central de la théorie


de la décision rationnelle, d'après lequel le décideur a la capacité d'ordonner les
différentes alternatives qui s'offrent à lui, indépendamment de la façon dont elles sont
présentées, et de choisir ensuite la solution qui maximise son utilité. Les expériences de
psychologie expérimentale sur les biais cognitifs ont montré en effet que la situation de
choix peut modifier les préférences du décideur, ce qui est contraire au modèle de la
rationalité parfaite qui postule que ces préférences sont stables, voire même immuables.
Dans l’ensemble cependant, Simon, Tversky & Kahneman et les autres
chercheurs du domaine des heuristiques et biais cognitifs, ont mis en évidence la façon
dont les limitations cognitives du décideur affectent son jugement plutôt que la façon
dont se forment et évoluent ses préférences. Autrement dit leur analyse de la décision
individuelle adresse principalement la question des moyens et non pas celle du but lui-
même; fondamentalement, le modèle de la rationalité limitée ne conteste pas l’idée que
c’est le but qui détermine la décision: il introduit des contraintes à la capacité
décisionnelle des décideurs (information imparfaite et capacités cognitives insuffisantes)
pour atteindre ce but. Il se situe donc toujours dans la perspective finaliste et utilitariste
de la rationalité selon le paradigme économique. Il laisse généralement à l’extérieur de
son cadre d’analyse l’influence de facteurs comme l’adhésion à des règles ou à des
136

valeurs sur les paramètres de la décision. Or, comme le font remarquer Romelaer et
Lambert (2001), le mode de fixation du seuil de satisfaction dans la situation de
rationalité limitée n’est pas neutre : il fait intervenir des notions de processus, de
compétences, de savoirs, de croyances et éventuellement de règles. Dans le cas où le seuil
d’acceptabilité est fixé par une règle (telle par exemple, la rentabilité exigée qui constitue
le seuil d’acceptabilité d’un projet d’investissement), la règle elle-même est influencée
par l’expérience du ou des décideur(s), par les relations de pouvoir au sein de
l’organisation et par la culture de l’organisation. Mais ces aspects ne sont pas pris en
compte par le modèle.
D'autre part, le terme même de biais ou d'anomalies, qui indique une déviance par
rapport à une norme ou à un modèle, donne l'impression que la rationalité substantive
existe et qu'il "suffit" que ces biais soient éliminés pour que le décideur en retrouve le
chemin ou encore que, selon la formule de Cossette (2004, p. 99) "moins ces biais seront
nombreux, plus la décision sera rationnelle"; or il s'agit là d'une illusion, étant donné les
filtres cognitifs inhérents à chaque individu, qui influencent de façon permanente,
inconsciente et irrémédiable sa vision du monde, comme le soutient le courant
constructiviste mené par Karl Weick (voir p. 216 et ss.).
Parce qu’il ne remet donc pas en cause l’essence même du modèle de la
rationalité substantive, le modèle de la rationalité limitée a été accepté et incorporé par le
paradigme économique de la décision, dans ses versions plus éloignées du dogme néo-
classique (en particulier la théorie de l'agence et celle des coûts de transaction). On a pu
cependant affirmer que “economics obviously admits the idea of bounded or limited
rationality (e.g. Simon, 1978), but economic models “still tend to define “bounded
rationality” as an imperfect approximation of the “unbounded” one” (Dosi, 1995, p.5,
cité par Pfeffer, 1997, p. 44).

2.1.3.3 Les modèles politiques de l’organisation

Quelle signification donner à la rationalité d’une organisation122? Peut-on


considérer qu'une organisation poursuit un (ou plusieurs) but(s)? Certains auteurs ont

122
Les auteurs qui cherchent à définir le terme "organisation" insistent sur la difficulté de la tâche, en raison
des multiples approches possibles et des nombreux éléments qu'une telle définition se doit de prendre en
137

répondu par l'affirmative à cette question, tandis que d'autres ont critiqué ce processus de
réification qui consiste à attribuer une réalité concrète, et en particulier la capacité de
penser et d'agir, à des construits sociaux (Silverman, 1987, p. 9). D'autre part, si on admet
que l'organisation poursuit un but, quel est-il? Peut-elle être considérée comme une entité
monolithique, ce qui suppose qu'il n'y ait pas de divergence d'objectifs entre
l'organisation et ses membres? Ces questions ont fait couler beaucoup d'encre et
l'opposition entre paradigmes économique et psychosocial en la matière est à nouveau
flagrante: d’un côté une représentation simplifiée de l’organisation, soit comme un acteur
unique, soit comme un réseau de contrats qui confronte, au maximum, deux groupes
d’acteurs, les propriétaires et les managers. De l’autre les modèles politiques, qui
adressent la question de la diversité des objectifs au sein d’une organisation et mettent au
centre de leur analyse le pouvoir, en montrant comment certaines coalitions d'intérêts
cherchent à imposer leurs "rationalités locales" dans chaque décision (Cyert et March,
1963, p. 165; Miller et al., 1997, p. 297). L'analyse de la décision passe alors du niveau
de l'organisation à celui du groupe ou de l'individu.

L’entreprise, réseau de contrats

L’un des postulats fondamentaux du paradigme économique néo-classique de la


décision, selon le modèle de la rationalité substantive, est l’individualisme
méthodologique : un seul individu prend la décision. L’organisation, réduite à la fameuse
"boîte noire" dont le fonctionnement interne n’est pas pris en compte, est assimilée à un
décideur unique, ce qui élimine toute complication liée à des conflits de pouvoir ou
d’intérêts en son sein et/ou à une divergence sur les buts. Mais l’individualisme
méthodologique, acceptable pour représenter la décision dans la micro-entreprise, s'est
avéré intenable pour représenter les entreprises de taille plus importante où un grand
nombre d’acteurs participe à la décision. Pour réduire ce clivage entre la théorie et la
réalité, la représentation de la décision dans les entreprises selon le paradigme

compte (voir à ce sujet Livian, 2005 et Silverman, 1987). Au sens le plus large, on peut définir une
organisation comme un "ensemble organisé, une réalité sociale, économique et technique relativement
stabilisée" (Livian, 2005, p. 8).
138

économique a évolué au fil des années. C’est pourquoi aujourd’hui la perspective


économique sur la décision n’est pas monolithique. Elle comporte des variantes et a subi
des aménagements par ajouts successifs de contraintes au modèle orthodoxe néo-
classique de la rationalité substantive, en différentes étapes.
La première étape est celle du modèle de la rationalité limitée d’Herbert Simon,
qui considère une multiplicité d’acteurs au sein des organisations. Mais Herbert Simon,
n’envisage pas de conflits entre ces acteurs, ni entre eux et l’organisation elle-même. Par
la suite d’autres développements de la théorie économique (voir p. 75 et ss.) ont adressé
la question de la diversité des buts, en tentant d’expliquer comment les agents organisent
et coordonnent leurs activités, au sein du marché et/ou de l’organisation: théories
regroupées dans le courant de l'analyse économique des contrats (théories de l’agence,
des conventions et des coûts de transactions, Koenig, 1998, p. 59), économie de
l’information, théorie économique du comportement (behavioral economics).
Cependant ces différentes variantes restent marquées par la vision finaliste et
instrumentale de la rationalité selon le paradigme économique. Quelle que soit la variante
considérée, le but est dicté strictement par l’intérêt individuel et, pour l’atteindre, les
acteurs de la décision ne reculent devant aucun moyen, y compris la tromperie. Les
décisions prises dans les entreprises sont donc considérées comme étant le résultat de
l'affrontement d'intérêts particuliers divergents. Charreaux et Wirtz (2006) font d'ailleurs
remarquer que cette vision pour le moins pessimiste du comportement humain a eu pour
conséquence une perspective disciplinaire - tant académique que managériale - de
l’entreprise123, selon laquelle l’accent est mis sur le contrôle des dirigeants. Cette
perspective est incarnée dans l’analyse économique des contrats. Le point commun des
théories qui relèvent de ce courant est d’envisager l’entreprise comme un réseau de
contrats, qui organisent les rapports de deux coalitions d’acteurs aux intérêts divergents:
d’un côté les actionnaires, de l’autre, les gestionnaires/managers, dont il faut contrôler les
attitudes opportunistes. L’analyse des relations de pouvoir au sein des entreprises selon le

123
Charreaux et Wirtz (2006) font remarquer à ce sujet qu’une perspective alternative – cognitive - en
matière de gouvernance d’entreprise, basée sur la confiance dans les dirigeants et l’encadrement de leur
potentiel et de leurs conflits cognitifs, permettrait la création de valeur par l’investissement et
l’autofinancement alors que, selon la perspective disciplinaire le financement est assuré par les
actionnaires.
139

paradigme économique est relativement pauvre puisque deux coalitions d’acteurs, au


plus, y sont représentées.

Decision-Making as the Enactment of Power

"Basically, we assume that a business firm is a political coalition and that the executive in the firm
is a political broker. The composition of the firm is not given; it is negotiated. The goals of the
firm are not given; they are bargained".
March (1962, p. 672).
"Simply put, decisions follow the desires and subsequent choices of the most powerful people"
Eisenhardt et Zbaracki (1992, p. 23).

L’organisation du paradigme psychosocial est un univers infiniment plus


complexe: on passe de l'acteur unique de la théorie économique néo-classique, ou de
deux coalitions d’acteurs n'ayant qu'une rationalité limitée (théories économiques des
contrats) à une multiplicité d’acteurs qui luttent pour assurer la promotion de leurs
intérêts divergents. Selon la perspective politique sur la décision, qui prend sa source
dans la science politique des années 1950, les organisations sont des systèmes politiques,
c'est-à-dire "des collectifs de personnes avec des buts au moins partiellement
contradictoires"124 (Eisenhardt et Zbaracki, 1992), au sein desquels individus et groupes
luttent pour l'obtention de ressources rares. Les décisions organisationnelles sont le
résultat des rapports de forces entre eux. Pour les modèles politiques de l'organisation, le
pouvoir est une des clés qui permet de comprendre le comportement d’une organisation et
les décisions qui y sont prises – ou qui n'y sont pas prises. De nombreux auteurs le
considèrent même comme un élément essentiel – voire comme l'élément essentiel
(Pettigrew, 1973 ; Wilson, 1982) – pour comprendre les décisions organisationnelles
(Miller et al., 1997, p. 296; Hickson et al., 1986; Cray et al., 1988, 1991).
James March, en présentant sa théorie de l'entreprise comme un système
politique ou une coalition de prise de décision125 (1962), est l'un des premiers à contester
l’image néo-classique de l’organisation unitaire poursuivant un objectif unique (la
maximisation du profit). Il affirme la diversité des buts organisationnels, qui deviennent

124
"…collectives of people with at least partially conflicting goals".
125
"…a business firm as a political coalition. …as a decision-making coalition (March, 1962, p. 677)
140

non plus les buts de l'organisation mais "une série de contraintes plus ou moins
indépendantes", reflet des objectifs de la coalition dominante et de marchandages. Les
décisions prises sont l'expression du pouvoir de ces coalitions de groupes d'intérêts,
chaque coalition ayant un certain potentiel de contrôle sur le système (March, 1962, p.
671). Le modèle de la rationalité politique de March est développé dans la désormais
célèbre théorie comportementaliste de l’entreprise de Cyert et March, "an empirically
relevant, process-oriented, general theory of economic decision making by a business
firm" (1963, p.3). Le terme de "comportement" doit s'entendre ici au sens qu'il a en
psychologie d'une "action observable": il exprime la volonté de Cyert et March de
proposer une théorie des organisations qui décrive et explique leur comportement tel qu'il
a été observé dans la réalité, en suppléant aux manques de la théorie économique néo-
classique en la matière (manques qui sont longuement discutés dans "A Behavioral
Theory of the Firm").
Selon Cyert et March, toute entreprise poursuit généralement cinq objectifs
majeurs (en termes de niveaux de profit, de ventes, de part de marché, de stock et de
production). Chacun de ces objectifs trouve sa source dans le niveau d’aspiration et de
contraintes des différents départements concernés, entre lesquels des objectifs
contradictoires apparaissent126 (Miller et al., 1997, p. 296), qui sont sources de conflits.
Au sein de ces départements, le comportement des individus est influencé par des motifs
organisationnels, qui découlent de leur rôle au sein de l’organisation, mais aussi par des
motivations personnelles, comme le désir de pouvoir ou de promotion. Les divergences
d’objectifs entraînent des conflits horizontaux, entre départements, ou verticaux entre les
différents niveaux de la hiérarchie. Des modes de (quasi-)résolution des conflits sont
employés par l’entreprise (décentralisation, négociation, traitement séquentiel des
problèmes, ou flexibilité organisationnelle) pour concilier les objectifs et réduire
l’instabilité interne de l’organisation. Ces méthodes n'éliminent pas les conflits, tâche
impossible, mais permettent aux entreprises de prendre des décisions malgré l'existence
de ces objectifs contradictoires (Cyert & March, 1963, p. 50).

126
"A functionalist paradigm has difficulty with the notion of goal dissensus, but the reality of
organizations appears to be that once organizational groups are given different tasks, they also begin to
formulate their own sets of norms and goals. They either reinterpret objectives or construct personal goals
which serve their own interests" (Miller et al., 1997, p. 296).
141

Les acteurs qui participent au processus de décision, et sont impliqués dans les
éventuels conflits, n'ont évidemment pas le même pouvoir, que ce soit en termes de
pouvoir formel, légitimé par leur position dans l'organigramme, ou d'influence, liée à
leurs contrôle des ressources (Pfeffer et Salancik, 1978) ou à leur expertise (Crozier,
1964). L'expertise et la capacité qui y est associée de réduire ou de gérer l'incertitude dans
des domaines critiques pour l'organisation expliquent le pouvoir important de certains
départements, selon la théorie des contingences stratégiques de Hickson et al. (1971).
Ainsi, les départements de la production (ou équivalent dans les entreprises de services),
des ventes & marketing et de la finance sont toujours plus puissants que les autres. Cette
coalition dominante, "core triad of heavyweight functions" selon la formule de Miller et
al. (1997, p. 301), est impliquée plus fréquemment dans les décisions et impose ses
propres choix quel que soit le type d'organisation. C'est ce qu'a montré le groupe de
recherche de Bradford, qui a étudié 150 décisions dans 30 organisations anglaises des
secteurs secondaire et tertiaire.
Au sein de l’organisation, un autre groupe d’acteurs dispose d'un pouvoir
important et a fait l’objet d’une attention particulière de la part des chercheurs : celui de
la direction générale. La question centrale des recherches en la matière, initiées par
Hambrick et Mason (1984), était de déterminer l’impact de la direction générale sur
l’organisation.
Dans le domaine des décisions d'investissements, la plupart des investissements
sur lesquels les recherches ont recueilli des données n’ont pas pour origine la direction
générale (Desreumaux et Romelaer, 2001, p. 90). L’idée initiale vient généralement des
acteurs proches du terrain (front-line) situés à des niveaux hiérarchiques plus modestes de
l’organisation, ce qui entraîne un certain nombre de conséquences : d’abord des
difficultés de progression du projet dont les promoteurs ont à résoudre les problèmes
d’accès à la direction générale, de soutien, de parrainage et de communication; ensuite un
problème d’asymétrie d’information : dans le cas d’une structure divisionnaire, les
dirigeants connaissent généralement de façon superficielle l’industrie dans laquelle est
active la filiale et ils ne peuvent consacrer que quelques heures ou quelques jours à un
projet là où ses initiateurs ont passé des mois de travail. Mintzberg, Raisinghani et
Theoret vont plus loin en affirmant (1976, p. 260) que, en matière de choix
142

d’investissements, un problème majeur est constitué par le fait que les choix sont faits par
des gens qui ne comprennent pas complètement les propositions qui leur sont soumises.
L’ignorance du manager associée au parti pris de l'initiateur du projet (à laquelle peut
s'ajouter un manque des capacités nécessaires pour assurer la progression du projet,
comme Rigby (2002) l'a montré dans le domaine des investissements en efficacité
énergétique) explique, selon eux, pourquoi le processus d’investissement est un processus
politique, compliqué, avec de nombreuses boucles de rétroaction, et beaucoup moins
analytique que ne le suggère la littérature normative. L'ignorance du haut management
sur le fond des dossiers explique aussi pourquoi la décision d’acceptation de la direction
générale a parfois des aspects rituels, ce qui accroît l’importance du promoteur du projet.
D’une certaine manière, ce n’est pas le projet lui-même mais la personne qui le soutient
qui est validée car, en pratique, l’accord sur un projet d’investissement est en général
donné ou refusé sur la base des performances passées de l’initiateur de la proposition
(Desreumaux et Romelaer, 2001; Carter, 1971; Mintzberg, 1973).
Cependant, l’influence des dirigeants va bien au-delà d'un simple refus ou
acceptation des projets. Selon Desreumaux et Romelaer (2001), elle est importante pour
les raisons suivantes. Tout d'abord, ce sont les dirigeants qui définissent ou orientent la
stratégie et la relation de l’investissement à la stratégie est déterminante pour la décision
d'investir comme nous le verrons plus en détails (dans le troisième chapitre de cette
deuxième partie, voir p. 184 et ss.). Ensuite, les dirigeants définissent l’orientation
générale des projets; enfin, les dirigeants définissent le cadre administratif et financier des
projets (manuel d’investissement, critères financiers utilisés, enveloppes budgétaires). Or
ces règles de procédure standard sont en réalité des règles de comportement, ou encore
selon la formule de Burlaud et Simon (1997, p. 9) des techniques de "contrôle à distance
des comportements", qui forment le centre de contrôle de l'entreprise127 (Cyert et March,
1963, p. 134).
Comme le décrit Edgard Schein (2004, p. 225 et ss.), le rôle des dirigeants est
également essentiel dans la formulation et la diffusion de la culture de l’organisation. La
culture est un autre moyen de concilier les objectifs et de réduire l’instabilité interne de

127
"…a learned set of behavior rules – the standard operating procedures. These rules are the focus for
control within the firm. They are the result of a long-run adaptive process by which the firm learns; they are
the short-run focus for decision making within the organization".
143

l'organisation : en ce sens la culture de l’organisation est un instrument de pouvoir, en


particulier pour les dirigeants car elle permet d’aligner les membres de l’organisation
dans la même direction, en évitant certains conflits: "if all interests are perceived to be
shared, then conflict does not occur" (Miller et al., 1997, p. 298). C'est pourquoi on peut
considérer les deux notions de pouvoir et de culture comme étroitement liées: "placez le
pouvoir devant un miroir, et l'image renversée que vous percevrez, c'est la culture. Le
pouvoir s'empare de l'entité appelée entreprise et la fractionne; la culture tisse une
collection d'individus en une entité intégrée qu'on appelle entreprise." (Mintzberg, 2005,
p 268).
Pouvoir et culture, incarnés dans les "procédures politiques, règles du jeu en
vigueur, valeurs dominantes, mythes et rituels", définissent aussi le domaine, important et
pourtant souvent négligé, de la non-décision. Celui-ci concerne les projets considérés
comme peu importants, ou ceux qui sont susceptibles de menacer les positions de la
coalition dominante (Bachrach et Baratz, 1962), ou encore les projets dont le potentiel
conflictuel semble élevé, même si leur intérêt est grand dans les domaines stratégique,
marketing ou technologique, ou si leur rentabilité potentielle est élevée (Desreumaux et
Romelaer, 2001).
L’impact des phénomènes de pouvoir sur la (non-)décision d’investissement est
pris en compte par les entreprises elles-mêmes. Comme l'indiquent en effet Desreumaux
et Romelaer: "on peut penser que les entreprises accordent toutes une grand attention à
ces phénomènes et prennent garde d’éviter d’impliquer dans le processus de décision un
ensemble de personnes susceptibles de l’engager dans des relations d’opposition" (idem,
p. 87).
L’impact des phénomènes de pouvoir sur les décisions organisationnelles en
général, et sur les décisions d’investissement en particulier, a été démontré par de
nombreuses recherches. Ayant effectué une revue de quatorze recherches empiriques
majeures sur le pouvoir dans les organisations (administrations gouvernementales,
universités, grandes entreprises et firmes de haute technologie) ayant été publiées entre
1971 et 1992, Eisenhardt et Zbaracki (1992, p. 27) concluent à la validité des trois idées
centrales du modèle politique de la décision dans les organisations : les organisations sont
formées de gens aux préférences partiellement contradictoires; la décision stratégique est
144

politique au sens où les puissants obtiennent ce qu'ils veulent; les gens s'engagent dans
des tactiques politiques telles que la cooptation, la formation de coalition et l'utilisation
de l'information pour renforcer leur pouvoir. Et la diversité des buts organisationnels est
désormais un fait indiscutable.
On peut donc conclure, avec Miller et al. (1997, p. 297) que "the rational model
of decision-making begins to break down, when faced with this pluralist vision of
multiple, competing interest groups vying for supremacy".

2.1.3.4 Les modèles aléatoires.

Les modèles aléatoires constituent une rupture radicale avec les autres modèles
décisionnels, comme le font remarquer Romelaer et Lambert (2001) : les modèles
décisionnels de la rationalité substantive et de la rationalité limitée ainsi que les modèles
de la rationalité politique s’inscrivent, malgré les apparences, dans un même courant
théorique, le courant des rationalités optimisatrices, selon lequel un objectif existe, qui est
défini a priori, les conséquences des choix étant plus ou moins connues. Autrement dit, le
choix est sous-tendu par une – ou plusieurs – raison(s). Il est guidé par une intention. En
ce sens, les modèles de la rationalité limitée et les modèles politiques de l’organisation
doivent donc être considérés comme des aménagements du modèle de la rationalité
substantive. Dans le courant des modèles aléatoires au contraire, les décisions ne sont
plus le résultat d’une exploration effectuée de façon consciente par le(s) décideur(s), en
fonction d’un objectif défini a priori. On est bien en présence d’une rupture théorique
radicale par rapport à la logique de la rationalité optimisatrice.
Selon cette approche, la décision est le résultat d’une rencontre aléatoire entre des
problèmes et des solutions, que les membres de l’organisation formulent et dont ils se
déchargent, d’où le nom du modèle de la "poubelle" (garbage can, Cohen, March et
Olsen, 1972) qui est le plus connu des modèles aléatoires. Certaines solutions (par
exemple des propositions de managers de niveau inférieur ou intermédiaire ou des
rapports d’experts tels que les rapports d'audits) sont antérieures aux problèmes mais ne
"trouvent pas preneur" et, inversement, des problèmes perdurent sans solution. Au plan
des moyens, certains éléments essentiels à la prise de décision, en particulier la
145

connaissance des conséquences des choix, n’apparaissent qu’au fur et à mesure du


déroulement de la décision. S’intéressant, à la même époque, aux stimuli qui initient le
processus décisionnel (voir p. 147 et ss.), Mintzberg, Raisinghani et Theoret (1976) de
même que Desreumaux et Romelaer (2001) remarquent également l’importance pour le
déroulement du processus décisionnel – et le caractère non automatique – de la rencontre
entre un problème et un champion.
Comme nous le verrons dans le chapitre suivant, les recherches de Mintzberg et
de ses collègues (Mintzberg, Langley, Pitcher, Posada, Saint-Macary, 1995) peuvent être
rattachées par certains aspects au courant des rationalités aléatoires, dans la mesure où
ces chercheurs mettent en évidence la difficulté qu'il y a parfois à identifier précisément
tant la décision prise, que sa genèse et même ses objectifs. Le modèle de la poubelle de
Cohen, March, et Olsen a cependant poussé beaucoup plus loin encore la logique du
chaos, et donc le rôle du hasard, comme explication du fonctionnement des organisations.
Trop loin peut-être, car les recherches empiriques ne confirment que "modestement" la
validité de ce modèle, comme le concluent Eisenhardt et Zbaracki (1992), après avoir
analysé les résultats de treize recherches publiées entre 1972 et 1989.

2.1.4 Conclusion

De nombreuses disciplines se sont intéressées à la décision dans les organisations,


parmi lesquelles on peut citer l'économie (théories de la firme, économie industrielle), la
sociologie des organisations, la psychologie cognitive et la psychologie sociale et les
sciences de gestion (finance, stratégie, gestion de l’innovation et du changement). Ce
faisant, chaque discipline s’est rattachée à l’un des deux paradigmes, économique ou
psychosocial. Pourtant, parmi les chercheurs, "…rares sont ceux qui s’étonnent du fait
que certaines disciplines donnent un acteur intentionnel et d’autres un acteur soumis à
des forces extérieures, sans qu’un sérieux effort soit fait pour sortir de cette
schizophrénie." (Boudon, 2004, p. 21). Les questions du but – son existence et son
contenu – et de l'intentionnalité de la décision, constituent pourtant certainement la
première problématique du thème de la décision, qui est liée à la question délicate de la
146

rationalité du décideur et de ses perceptions et interprétations de l'univers qui l'entoure


(voir p. 162 et ss.).
Deux autres problématiques résument utilement le thème de la décision dans les
organisations, comme l'indiquent Miller et al. (1997, p. 304). La première est celle de la
signification attachée à la décision : à un extrême, elle est interprétée comme une
résolution de problèmes (problem-solving), une recherche de plus de cohérence de la part
des acteurs impliqués; à l'autre extrême, la décision est considérée au contraire comme le
résultat chaotique et aléatoire de rencontres entre des problèmes et des solutions, selon la
thèse de Cohen, March et Olsen. La deuxième problématique est celle des intérêts en
présence : à un extrême du continuum, les acteurs cherchent ensemble comment trouver
les meilleures solutions aux problèmes qui se présentent; à l'autre extrême, l'organisation
est vue comme un lieu d'affrontement d'intérêts conflictuels et la décision comme le
résultat d'un rapport de force entre eux.
En réaction plus ou moins radicale au modèle de la rationalité substantive, ces
grands modèles de la décision dans les organisations qui sont proposés durant la période
féconde des décennies 50 à 70 – le modèle de la rationalité limitée, les modèles politiques
et les modèles aléatoires de la décision dans les organisations - contribuent à représenter
des situations décisionnelles empreintes d’une complexité croissante : abandonnant
l'image idéale de l’acteur unique guidé par un objectif clairement défini du modèle de la
rationalité substantive, on aboutit à une multiplicité d’acteurs aux objectifs changeants et
conflictuels - voire inexistants - influencés par des facteurs psychologiques et culturels.
Comme le résume Livian (2000, p. 55), d’une conception de "l’homme certain", prenant
des décisions rationnelles dans un but précis, on est passé, au fil de plus d'un demi siècle
de recherche, à la conception d'un "homme probable", moins déterminé, et même à celle
d'un "homme aléatoire".
Cependant, chaque modèle donne un éclairage partiel sur la décision, en pointant
le projecteur de l'analyse sur un aspect particulier. En raison de cette approche
unidimensionnelle, aucun de ces modèles ne permet d'expliquer complètement les
décisions des organisations : le modèle de la rationalité limitée ne prend pas en compte la
dimension du pouvoir; les modèles politiques s'intéressent peu à la dimension cognitive.
Les modèles aléatoires, parce qu'ils privilégient le hasard, négligent tant les aspects
147

politiques que les aspects cognitifs des décisions organisationnelles. Or, pour comprendre
les décisions organisationnelles, il faut les examiner en prenant simultanément en
considération plusieurs catégories de facteurs : facteurs individuels, organisationnels,
externes et aussi, caractéristiques de la question décisionnelle elle-même. Il faut donc
utiliser les grands modèles décisionnels qui ont été présentés dans ce chapitre de façon
complémentaire, en y ajoutant d'autres outils d'analyse C'est ce que nous allons voir
maintenant.

2.2 LES DÉTERMINANTS DE LA DÉCISION DANS LES ORGANISATIONS

Les recherches ont montré qu'une décision, quelle qu’elle soit, doit être
considérée comme l’aboutissement d’un processus décisionnel, et même est un processus.
Ce processus est influencé par des facteurs contextuels, internes et externes, et par les
acteurs qui y sont impliqués. Des recherches plus récentes ont montré l’influence sur le
processus, et sur son résultat, des caractéristiques de la décision elle-même – telles sa
complexité ou l'incertitude qui y est attachée – et de son contenu "substantiel" - son
objet et l'importance de cet objet pour l’organisation. Ces différents aspects - processus,
contexte, acteurs et caractéristiques de la décision - feront l’objet des quatre prochaines
sections.

2.2.1 La décision, étape d’un processus

“Pfiffner noted that “The decision-making process is not linear but more circular; it resembles
«the process of fermentation in biochemistry rather than the industrial assembly line” (1960, p.
129). By cycling within one routine or between two routines, the decision maker gradually comes
to comprehend a complex issue. He may cycle within identification to recognize the issue; during
design, he may cycle through a maze of nested design and search activities to develop a solution;
during evaluation, he may cycle to understand the consequences of alternatives; he may cycle
between selection and development to reconcile goals with alternatives, ends with means. The
most complex and novel strategic decisions seem to involve the greatest incident of comprehension
cycles. We found specific evidence of cycling and recycling in all 25 decision processes with a
total of 95 occurrences.”
Mintzberg, Raisinghani et Theoret, 1976, p. 265
148

La décision doit être considérée comme insérée dans un processus décisionnel,


défini comme une chaîne dynamique d’actions et d’événements, qui produit la
décision128. Cette chaîne commence avec l’identification d’un stimulus pour l’action et
s’achève avec l’engagement explicite d’agir, autrement dit la décision (Mintzberg,
Raisinghani et Theoret, 1976, p. 246). Herbert Simon a employé le premier la notion de
processus pour analyser la décision dans les organisations et a divisé ce processus en
différentes étapes, dérivées de la méthode analytique de la décision individuelle : 1 :
perception de la nécessité ou de l’occasion de décider ; 2 : formulation des voies d’action
possible ; 3 : évaluation de leurs avantages respectifs ; 4 : choix de la ou des voie(s)
d’action possible. Selon l’obédience des auteurs à l’une ou l’autre perspective sur la
décision (voir p. 125 et ss.), le processus décisionnel sera considéré comme simple et
linéaire ou au contraire comme complexe et cyclique, et l’accent sera mis sur la
conclusion ou sur le démarrage du processus. Dans la littérature sur les investissements
en efficacité énergétique, la question du processus décisionnel n'est jamais évoquée, à
deux exceptions près (Parker et al., 2000; Weber, 2000), pas plus du reste, à l'exception
de Cebon (1992), que les autres thèmes discutés par la littérature sur la prise de décision
dans les organisations.
Le modèle de la rationalité substantive conduit à représenter la décision dans les
organisations comme l’aboutissement logique d’un processus linéaire, dont les différentes
étapes (diagnostic, recherche et développement de solutions, évaluation des solutions et
choix) mènent sans heurts (smoothly) et sans conflits à la solution optimale, conforme à
des préférences clairement prédéfinies. Ce modèle peut être représenté par le schéma
suivant :

Evaluation des
Découverte Formulation alternatives : Choix de la
d’un des - conséquences meilleure
problème/ alternatives - coût solution
opportunité - moyens

Préordre des
préférences du
décideur

128
Un processus peut être défini comme « une suite d’opérations enchaînées entre elles, produisant (ou
reproduisant) des résultats » (Livian, 2000, p. 93)
149

Selon ce modèle de la rationalité substantive, les étapes finales de l’évaluation des


alternatives et du choix sont les plus importantes. En effet, les objectifs et les moyens
pour les réaliser sont supposés connus de façon certaine, ce qui implique qu’on
s’intéresse à l’objet de la décision et non au processus lui-même (Koenig, 1998, p. 46).
Guidée par la logique de la rationalité substantive, la théorie économique néo-classique
concentre donc son intérêt sur les étapes finales de la décision, les phases antérieures de
diagnostic et de construction des solutions étant en quelque sorte gommées. Cette logique
s'applique au modèle décisionnel de la finance néo-classique, qui est tronqué : "Reprenant
les étapes de la prise de décision dans la version de Simon (1960) … Ansoff [fondateur
du management stratégique] remarque que la théorie des investissements de capitaux ne
traite que les deux dernières étapes et tend à considérer les deux premières comme
précédant l’analyse et sortant de ce fait de son cadre méthodologique" (Desreumaux et
Romelaer in Charreaux, 2001, p. 62).
Plusieurs représentations du processus décisionnel ont été proposées. Après en
avoir décrit les principales, qui sont toutes basées sur l'idée d'un enchaînement séquentiel
d'étapes, Desreumaux et Romelaer (2001, p.78), s'intéressant plus particulièrement au
processus d'investissement, en représentent le déroulement chronologique simplifié, par
les étapes suivantes :

Idée initiale Premiers travaux Début Première présen-


de informels (réflexion, de conception tation formelle
Décision
l'investissement discussion, action) du projet du projet

d1 d2 d3 d4 d5

Processus de décision d'investissement


ou processus de conception et de décision

Processus d'investissement

Figure 34 - Version chronologique simplifiée d'un processus d'investissement


(Desreumaux et Romelaer, 2001)
150

Desreumaux et Romelaer, comme le montre le schéma ci-dessus, font la


distinction entre processus de décision d'investissement et processus d'investissement. Le
processus d’investissement complet inclut le processus de décision ainsi que la mise en
œuvre. L’idée initiale ne fait pas partie du processus décisionnel lui-même mais elle le
provoque et le fait démarrer. En fonction du type d’investissement, le processus sera plus
ou moins long, mais il s’étend généralement sur plusieurs années: selon Lu et Heard
(1995) entre deux et quatre ans et demi ; selon Mintzberg et al. (1976), entre un an et
demi et trois ans et demi.
Cette approche séquentielle du processus décisionnel est contestée par un courant
de recherche dont le chef de file est le canadien Henri Mintzberg. En 1976, Mintzberg,
Raisinghani et Theoret proposent un modèle très complet de processus de décision
stratégique, basé sur les résultats d’une recherche menée durant cinq ans auprès de vingt-
cinq organisations avec pour objectif de reconstituer le processus de vingt-cinq décisions
stratégiques (dont 22 décisions d’investissement). Le modèle de Mintzberg, Raisinghani
et Theoret représente le processus décisionnel comme étant composé de trois sous-
processus, eux-mêmes divisés en différentes étapes : la phase d'identification, qui
comprend les étapes de reconnaissance de la nécessité de décider et celle du diagnostic; la
phase de développement, qui comprend les étapes de recherche et élaborations de
solutions possibles; et enfin la phase de sélection, qui comprend les étapes de sélection,
évaluation-choix et autorisation. Ces différentes phases et étapes ne sont pas reliées
linéairement de façon séquentielle mais plutôt de façon cyclique.
151

Figure 35 - A general model of the strategic decision process (Mintzberg,


Raisinghani et Theoret, 1976, p. 266).

De même que Cyert et March (Carter, 1971, p. 414), Mintzberg, Raisinghani et


Theoret mettent en évidence le caractère décisif de la phase de démarrage du processus
décisionnel, essentiel pour son déroulement et son aboutissement - la décision elle-même
mais aussi la qualité de cette décision129 - et plus important que les phases d’évaluation-
sélection-choix qui ont focalisé l’intérêt de la littérature normative économico-financière.
Trois types de stimuli, qui peuvent provenir de l’intérieur ou de l’extérieur de
l’organisation, sont à l’origine du démarrage du processus décisionnel: à un extrême d’un
continuum, les opportunités qui initient un processus purement volontaire ; à l’autre
extrême, la situation de crise, dans lesquelles les organisations doivent répondre à des
pressions intenses. Entre ces deux extrêmes, les "décisions problèmes" décrivent des
situations intermédiaires. L’importance de chaque stimulus dépend de plusieurs facteurs :
l’influence de sa source, l’intérêt du décideur, le bénéfice perçu de l’action envisagée et
l’incertitude qui y est associée. On peut représenter ce continuum des stimuli de la
décision par le schéma ci-dessous:

129
La qualité de la décision étant définie comme la réalisation des objectifs et la réalité de la mise en
œuvre.
152

"Décisions opportunité" "Décisions "Décisions de crise "


(volontaires) problèmes" (pressions intenses)

Figure 36 - Catégories de stimuli du processus décisionnel selon Mintzberg, Raisinghani et


Theoret, 1976

Mintzberg, Raisinghani et Theoret (1976) remarquent qu’un facteur important


pour le déclenchement du processus décisionnel est la rencontre – qui n'est pas
automatique - entre un problème et une solution, analyse qui rappelle le modèle du
garbage can, présenté à peu près à la même époque (1972, voir p. 144 et ss.). Ainsi, un
décideur sera réticent à agir sur un problème s’il n’y voit pas de solution apparente; de
même il hésitera à utiliser une idée nouvelle si elle ne répond pas à une difficulté. Le
seuil déclenchant l’action (Radomsky, 1967) varie en fonction de la charge de travail du
décideur et des processus de décision qui sont en cours au même moment : par exemple,
un manager confronté à une situation de crise ne se mettra pas en quête d'opportunités.
Une fois que l’influence conjointe des différents stimuli a atteint le seuil d’action, le
processus décisionnel démarre, par l'étape du diagnostic, et des ressources sont
mobilisées pour l’accompagner. L'étape du diagnostic est une étape essentielle (voir la
section consacrée au diagnostic stratégique, p. 213et ss.). Plus ou moins formalisée (par
exemple par la création d’un comité, d’une équipe projet), elle est destinée à collecter les
informations permettant une meilleure définition des enjeux.
Mintzberg, Raisinghani et Theoret ont aussi mis en évidence des routines qui
soutiennent le processus de décision stratégique : les routines de contrôle formalisent et
encadrent le processus; les routines de communication permettent la circulation de
l’information nécessaire à l’avancement du processus; et les routines politiques
permettent la recherche et l’élaboration d’un consensus, dans un contexte fréquemment
marqué par une politisation élevée. Finalement, des facteurs dynamiques qui exercent une
influence sur le processus décisionnel ont été identifiés. Celui-ci peut être bloqué, ralenti
ou accéléré par des facteurs extérieurs à l’organisation, par le(s) décideur(s), ou par des
caractéristiques du processus lui-même (telles qu'une politisation élevée ou l’apparition
153

de nouvelles options, qui le ralentissent). Dans la phase d’identification par exemple, un


manque de consensus sur la nécessité de la décision peut interrompre le processus qui,
dans l’ensemble, est marqué aussi par de fréquents retours en arrière. Au total, le modèle
de Mintzberg, Raisinghani et Theoret représente la prise de décision dans les
organisations, comme un processus "tâtonnant et cyclique" (1976, p. 265), un
"enchaînement itératif, fortement influencé par le diagnostic et interrompu par des
événements"130. Il se situe donc en rupture complète – de façon argumentée et étayée par
l’observation - avec la perspective économico-financière basée sur la rationalité
substantive.
La critique de l'approche séquentielle du processus décisionnel conduit, en fin de
compte, à contester la représentation de la décision comme une étape clairement
identifiable, qui se prête aisément à l'analyse. Certains chercheurs, explorant le thème de
la rationalité à posteriori, sont même allés jusqu'à remettre en question le concept de
"décision" lui-même : s'il est parfois difficile d'identifier la décision à l'origine d'une
action organisationnelle, c'est peut-être simplement parce que, parfois, aucune décision
n'a été prise (Mintzberg et Waters, 1990). Le propos d'un haut dirigeant de General
Motors cité par Quinn (1980, p. 134) illustre bien cette situation: "We use an iterative
process to make a series of tentative decisions on the way we think the market will go. As
we get more data we modify these continuously. It is often difficult to say who decided
something and when – or even who originated a decision … I frequently don't know when
a decision is made in General Motors. I don't remember being in a committee meeting
when things came to a vote. Usually someone will simply summarize a developing
position. Everyone else either nods or states his particular terms of consensus". Il est
souvent difficile de déterminer où commence et où finit une décision et dire qu'une
décision a été "prise" dans une réunion peut signifier qu'elle a été simplement
consignée131.
La notion d'engagement pose également problème selon Mintzberg et Waters qui,
vingt ans plus tard, font une analyse critique de leur propre définition de 1976, selon

130
"…iterative sequence, driven by diagnosis and interrupted by events".(Mintzberg, Raisinghani et
Theoret, 1976, p. 273)
131
"Tracing back, one might find the minute of a meeting in which the decision was "made", which really
means recorded (Mintzberg et Waters, 1990, p. 3).
154

laquelle "la décision est un engagement à agir" (voir p. 75). D'abord il arrive qu'une
action survienne sans qu'il y ait engagement à agir (Mintzberg et Waters, 1990; Pfeffer,
1997), elle peut être tout simplement automatique, comme le démarrage du conducteur
lorsque le feu passe au vert, ou comme les ordres routiniers de ventes ou d'achats
transmis par les ordinateurs lorsque certains niveaux de prix ou de stock sont atteints.
Mais surtout, nous disent Mintzberg et Waters (idem, p. 3), il est difficile d'identifier un
engagement dans le contexte collectif d'une organisation car il est souvent implicite et
difficile à situer dans le temps et dans l'espace : dans le cas, par exemple, d'une décision
annoncée de construire une nouvelle usine, il se peut que l'engagement réel ne remonte
pas à la réunion où la décision a été entérinée mais bien plutôt au moment où le président
a visité le site six mois plus tôt. Finalement, selon Mintzberg et Waters (idem, p. 5), le
concept de décision s'avère être "un concept artificiel", car il implique un engagement à
agir, alors que, pour les individus comme pour les organisations, l'action peut avoir lieu
sans engagement préalable, ou sur la base d'un engagement vague et confus. Dès lors le
concept de décision doit être employé avec prudence car il risque de barrer la route à la
compréhension du comportement132. Et la décision doit être comprise, et étudiée, non pas
comme un épisode discret et concret mais comme un processus continu (Pettigrew, 1990;
Langley et al., 1995).
Le processus décisionnel lui-même n'est pas isolé. Il s’inscrit dans une chaîne
dynamique, insérée dans l’histoire et le contexte de l’organisation et formée par les
processus antérieurs qui conditionnent son déroulement et son résultat. Il n'est d'ailleurs
pas toujours facile, ni même possible, de déterminer quel est l'événement ou l'élément qui
démarre réellement le processus décisionnel (Miller et al, 1997, p. 300). Et finalement,
même l'étape du diagnostic, si importante dans le modèle de Mintzberg, Raisinghani et
Theoret, s'estompe : "If a decision is like a wave breaking over the shore – that is,
perhaps identifiable at some sort of climax – then tracing a decision process back into an
organization becomes much like tracing the origin of a wave back into the ocean."
(Langley, Mintzberg, Pitcher, Posada et Macary, 1995, p. 264).

132
"… for individuals as well as for organizations, commitment need not precede action, or, perhaps more
commonly, the commitment that does precede action can be vague and confusing. … we must apply our
concepts with care. "Decision" can sometimes get in the way of understanding behavior".
155

Prolongeant le questionnement critique de Mintzberg et Langley (1990) et


Pettigrew (1990), Langley, Mintzberg, Pitcher, Posada, Saint-Macary (1995) proposent
un nouveau modèle, selon lequel, au lieu d'apparaître à un moment donné (a point in
time), la décision suit une trajectoire générale de convergence graduelle vers une action.
La décision doit donc être considérée alors comme la construction progressive d'une
problématique plutôt que comme une série d'étapes successives133. Finalement Langley et
al. proposent d'abandonner le concept de processus décisionnel pour celui du concept de
"flux de questions" ou "réseaux d'activités", au sein desquels les décisions interagissent134
en étant reliées de façon plus ou moins étroite. Le schéma ci-dessous illustre le modèle
proposé par Langley, Mintzberg, Pitcher, Posada et Macary.

Figure 37 - Organizational Decision Making as Interwoven, Driven


by Linkages (Langley, Mintzberg, Pitcher, Posada et Macary, 1995,
p. 276).

Les flux décisionnels peuvent être reliés séquentiellement (dans le cas de


décisions sur le même sujet se situant à des moments différents), de façon précédente
(lorsque une décision sur un sujet peut influencer les décisions prises dans d'autres
domaines) et latéralement, à travers différents sujets décisionnels. Deux formes de liens
latéraux sont identifiées: les "liens groupés" ("pooled linkages", idem, p. 272)
caractérisent des situations dans lesquelles différentes questions décisionnelles partagent
les mêmes ressources disponibles, telles que le temps et l'énergie des décideurs mais aussi

133
"… instead of a decision appearing at a point in time, decision making follows a general trajectory
(Hage 1980) of gradual convergence on the image of some final action. Instead of conceiving decision
making as a series of steps (or cycling imposed on a linear sequence …), it comes to be seen in a more
integrative way as the construction of an issue" (Langley et al., 1995, p. 266).
134
"… to move from decision processes to issue streams where decisions interact with one another" (idem,
p. 270).
156

les ressources financières. En raison de ces liens, l'attribution de ressources à une


question décisionnelle affecte la quantité de ressources qui restent disponibles pour les
autres. Langley et al. s'étonnent de ce que, malgré le caractère évident de ces liens entre
sujets décisionnels, de nombreuses recherches ont examiné des décisions d'investissement
importantes comme si elles étaient totalement indépendantes d'autres propositions
d'investissement135. L'autre lien latéral identifié par Langley et al. est le lien contextuel:
des processus de décision concomitants ayant lieu dans la même organisation sont aussi
"interreliés simplement parce qu'ils baignent dans le même contexte organisationnel, en
impliquant les mêmes personnes, la même structure, les mêmes stratégies et les mêmes
culture et traditions organisationnelles"136. En résumé, dans le modèle de Langley et al.,
la décision est fonction, d'une part, de l'intensité des liens entre décisions et, d'autre part,
du type d'organisation dans lequel elle s'insère.
Les flux de questions peuvent générer ou non des décisions organisationnelles137.
Le modèle proposé par Langley et al. ne met pas seulement en évidence le fait que les
sujets décisionnels sont reliés les uns aux autres au sein de l'organisation : il montre aussi
que certains de ces sujets ne sortent pas du flux (en devenant des décisions), et restent
donc à l'état de non-décisions. La non-décision, qui ne doit pas être confondue avec la
décision négative, a été peu discutée par la littérature : parce qu'elle est encore plus
insaisissable et difficile à étudier que la décision elle-même, mais aussi en raison de la
domination du modèle rationnel et séquentiel du processus décisionnel. Outre Langley et
al., deux chercheurs américains, Bachrach and Baratz (1962) ont discuté l'importance de
la non-décision. "Decision-making is also more attractive as a construct when it can
include the front stage of visible decisions and the back stage of non-decision-making"
(Pettigrew, 1990, p. 8).
Cette présentation synthétique de l'évolution du concept de processus décisionnel
conduit à une image de la décision, en contradiction complète avec la décision délibérée
et planifiée du modèle finaliste du paradigme économique, image qui rend aussi
135
"In spite of the obviousness of such linkages, many studies have examined decisions requiring major
investments as though they were independent of other investment proposals (e.g. Mintzberg, 1976;
Ghertman 1981; Shrivastava and Grant, 1985)" (Langley et al., 1995, p. 273).
136
"Concurrent decision processes within the same organization may also be interrelated simply because
they bathe within the same organizational context, involving the same people, the same structural design,
the same strategies, and the same organizational culture and traditions" (Langley et al., 1995, p. 273).
137
"Issues do or do not generate organizational decisions" (Langley et al., 1995, p. 276).
157

inadéquat le modèle unitaire de l'organisation. A l'extrême, la décision, de même que le


processus décisionnel dans lequel elle est supposée s'insérer, est un construit qui n'existe
que dans l'esprit du chercheur qui l'étudie. Une grande prudence s'impose donc dans
l'étude des décisions organisationnelles. D'autre part, l'évolution du concept de décision a
mis en évidence l'influence du contexte sur le processus décisionnel et sur la décision, qui
s'est imposée comme un autre thème important de recherche, comme nous allons le voir à
présent.

2.2.2 Influence du contexte

Le processus décisionnel s'inscrit dans un double contexte: le contexte interne de


l'organisation, qui doit être pris en compte pour évaluer les "aspects organisationnels de
l’investissement", selon la formule de Desreumaux et Romelaer (2001, p. 88), et le
contexte plus vaste de l'environnement externe. Ces différents aspects doivent être pris en
considération lors de l'étude des décisions organisationnelles.
L’influence du monde extérieur sur les organisations est un objet de débat depuis
longtemps au sein des chercheurs. Les théories des organisations lui attribuent un rôle
plus ou moins important en matière de structure et de performances des organisations138.
L'explication la plus déterministe est celle du courant de la contingence, d'après lequel la
structure est déterminée par des variables exogènes, ou facteurs de contingence, qui
exercent leur influence sans qu’il y ait possibilité de libre arbitre de la part des dirigeants.
Les facteurs de contingence principaux sont l’histoire et l’origine de l’entreprise, sa taille,
la propriété et le mode de contrôle, le type de technologie (plus ou moins automatisée) lié
à l’activité, la dépendance vis-à-vis de ses clients, de ses fournisseurs ou du groupe dont
elle fait partie, la dispersion géographique et la stabilité/instabilité de l’environnement.
Cette approche rejoint celle du management stratégique des années 80 et de l’économie
industrielle, qui mettent l’accent sur l'importance des facteurs contextuels externes:
Michael Porter, chef de file de ces courants, attribue la primauté à l’environnement pour

138
" Une conception convaincante du concept de structure est celle de Mintzberg (1982). Il la définit comme
« la somme totale des moyens utilisés pour diviser le travail entre tâches distinctes et pour assurer la
coordination nécessaire entre les tâches." Livian, 2005, p. 55. Ces moyens peuvent être formels (définition
de postes, organigrammes, procédures) ou informels (interactions quotidiennes, compétences, affinités,
appartenances culturelles).
158

façonner de façon déterministe l’organisation (par exemple les économies d’échelle,


indispensables dans certaines industries, déterminent des entreprises de grande taille) et
en déterminer les performances. Cette vision déterministe du contexte sur les structures et
les performances des entreprises a été contestée pour différentes raisons : les frontières
entre l’interne et l’externe ne sont pas toujours clairement définies, l’adaptation à
l’environnement n’est pas automatique et, comme nous le verrons bientôt, selon la
perspective cognitiviste "subjective" ou constructiviste, l’environnement n’est pas une
donnée car il est partiellement construit par les représentations, les actions et les décisions
des acteurs eux-mêmes (Weick, 1969). D'ailleurs, l’organisation peut elle-même agir sur
son environnement (par exemple en faisant du lobbying auprès du législateur). Dans le
domaine de la stratégie, l'approche basée sur les ressources (Resource Based View),
considère que la performance des entreprises ne provient pas des conditions de
l'environnement mais d'une combinaison particulière d’aptitudes, ce qui permet
d'expliquer les différences de performance entre entreprises similaires de même secteur
d’activité. Enfin, ce qui manque à l’analyse contingente, ce sont les acteurs qui en sont
complètement absents.
Plusieurs chercheurs ont étudié l'influence du contexte sur les décisions
organisationnelles. L'approche contextualiste, apparue à la fin des années 1980, dont le
chef de file est le sociologue Andrew Pettigrew, en a fait le centre de son objet d'analyse,
en proposant un cadre théorique qui part du contexte (interne et externe) et en étudie les
interrelations avec les processus organisationnels, en particulier le processus de
changement (Livian, 2005, p. 70). Selon l'approche contextualiste, le contexte comprend
trois dimensions : le contexte interne qui inclut les ressources humaines, les structures
administratives, les technologies employées, les produits ou services proposés par
l'organisation dans le cadre de son métier, et finalement la culture; le contexte externe
qui comprend les demandes des clients, les mouvements des concurrents et les conditions
économiques, légales, sociétales, à l’origine de menaces et d’opportunités auxquelles il
faudra répondre (tels que, par exemple, un changement de préférences des
consommateurs) ; et le contexte historique, car les événements passés et présents
conditionnent les modes de pensée et d’agir des acteurs; les jeux politiques contribuent à
façonner la perception de l'environnement des acteurs et influencent les décisions prises.
159

S'intéressant plus particulièrement au processus d’investissement, Bower (1970,


p. 71) choisit la définition suivante du contexte organisationnel : "context has been
defined as the set of organizational forces that influence the processes of definition and
impetus (the two sub-processes composing the investment process)". Il distingue le
contexte structurel et le contexte situationnel. Le contexte structurel comprend
l'organisation formelle des différentes fonctions et postes, le système d'information et de
contrôle employé pour mesurer les performances de l'entreprise et des managers, et le
système de gratifications destine à les récompenser; le contexte situationnel comprend les
facteurs d'une nature plus personnelle et historique. Langley et al. (1995) incluent dans le
contexte interne les collaborateurs, structures, stratégies, culture et traditions
organisationnelles.
La notion de contexte fait donc référence aux composantes d'une organisation qui
exercent une influence sur les processus organisationnels (d'investissement, de
changement, etc.), dont la description et le classement peuvent varier légèrement d'un
chercheur à l'autre.
L’influence du contexte organisationnel sur le processus d’investissement est
perceptible de multiples façons : les règles budgétaires entraînent l’élimination
automatique de certains projets dont la rentabilité ne correspond pas au seuil défini ;
différentes études mettent en lumière le lien entre la structure de l’organisation et le mode
de gestion des investissements (Desreumaux et Romelaer, 2001, p. 95 et ss, Segelod,
1995), l’influence de la taille et de la dispersion géographique (DeCanio, 1998), la culture
de l’organisation (Pezet, 2002). Citons en outre l’influence sur l’investissement du climat
financier existant dans l’entreprise (Marsh et al., 1988, cités par Desreumaux et
Romelaer, 2001) et le type d’actionnariat. Le processus d’investissement est aussi lié à
l’apprentissage organisationnel, qui est à la fois une ressource (portefeuille de solutions
latentes) et un produit de l’investissement (Desreumaux et Romelaer, 2001, notes p. 106).
Gérer l’investissement, implique donc aussi d’agir aussi sur les mécanismes qui
produisent et entourent les projets, pendant toute leur durée, puisque l’entreprise continue
à vivre pendant le processus de décision (idem, p. 89).
L'accent mis sur le contexte conduit aussi à mettre en lumière la dimension
humaine du processus décisionnel: les actions conduites au cours du processus de
160

décision sont accomplies par des personnes, qui appartiennent à différentes parties de
l’entreprise, qui ont chacune leurs compétences et leur logique propre, et ne sont
qu'imparfaitement reliées par des mécanismes organisationnels. Une autre dimension de
la décision, complètement absente du modèle séquentiel classique de la décision, et
même du modèle de Mintzberg, Raisinghani et Theoret (1976), s'est donc imposée dans
les dernières décennies, en même temps que le contexte, comme un thème de recherche
important : la dimension des acteurs de l'organisation, qu'ils soient associés de près ou de
loin au processus décisionnel, du pouvoir dont ils disposent, et de leur personnalité.

2.2.3 Les acteurs de la décision

“Kicked off by researchers at Purdue and Harvard, but especially catalyzed by Michael Porter's book
in 1980, the economics approach to strategy focused on industry structure, competitive dynamics,
pricing, capacity decisions, vertical integration, and so on. There was no attention to managers. But in
this instance, it wasn't because managers were deemed unimportant, but rather because they were
presumed to be fully capable of figuring out all this neat economic stuff and arriving at the "right"
strategic solution. My behaviorally oriented strategy friends and I used to joke that you could always
tell if a case had been written by Mike Porter: it didn't have any people in it.”

Donald Hambrick, cite par Cannella, A., "Upper Echelons: Donald Hambrick on Executives and
Strategy", Academy of Management Executive, August 2001, Vol. 15, Issue 3

La question des acteurs139 participants au processus décisionnel recouvre trois


problématiques interreliées : premièrement, la question de l'existence de buts
organisationnels et de la relation entre ces buts et les buts individuels des acteurs;
deuxièmement la question des relations de pouvoir entre individus et entre groupes
(qu’ils soient intérieurs ou extérieurs à l’organisation). Troisièmement la question du rôle
et de l'identification des facteurs psychologiques ou culturels qui influencent le
comportement des acteurs, leurs objectifs et leurs choix décisionnels. Les deux premières
problématiques ont été abordées lors de la présentation des modèles politiques de la
décision (voir p. 136 et ss.). L'objet de la présente section est de présenter la troisième
problématique, qui conduit à adopter une perspective cognitiviste sur la décision dans les
entreprises. Cette approche place l'individu au centre de son analyse, alors qu'il était

139
Dans le domaine de la théorie des organisations, le terme "acteur" renvoie à des individus mais aussi à
des groupes (Crozier; 1964).
161

relativement laissé pour compte dans les modèles classiques de la décision : la rationalité
substantive l'aborde de façon mécaniste, l'approche politique raisonne en termes de
conflits d'intérêts, sans analyser la formation de ces intérêts, et donc des préférences des
acteurs. Le modèle de la rationalité limitée s'interroge sur les mécanismes de la pensée
des décideurs, mais son approche par les biais cognitifs, qui sont communs à tous les
individus, laisse aussi de côté les différences individuelles. Au contraire, l'approche
cognitiviste analyse la manière dont les individus perçoivent le monde qui les entoure et
attribuent un sens aux événements qui s'y produisent, en fonction de leur vécu, de leur
environnement social et de leur culture, et la manière dont ils agissent ou réagissent en
conséquence.
Selon le modèle décisionnel de la rationalité classique ou substantive, l'usage de
la méthode analytique (voir p. 126 et ss.) allié à des capacités cognitives illimitées
permettent au décideur d'évaluer les différentes solutions disponibles et de sélectionner la
solution optimale par rapport à un but prédéfini. Le modèle de la rationalité substantive
conduit donc implicitement - comme l'exprime la citation de Hambrick reproduite en
exergue à cette section mais aussi Langley et al.140 (1995) - à une sorte de
déshumanisation du processus décisionnel ou à une représentation déshumanisée des
décideurs dont certains modes décisionnels tels que l'intuition ou l'inspiration, ou
l'utilisation d'heuristiques, sont niés, de même que les différences individuelles qui les
séparent. Mais certaines recherches, montrant que la méthode analytique est en réalité
peu utilisée par les décideurs et/ou que différents aspects de la cognition individuelle
influencent la prise de décision dans les organisations (Simon, 1958; Tversky &
Kahneman, 1973, 1974; Mintzberg, Raisinghani et Theorêt, 1976) ont suscité le
développement de la perspective cognitive sur la décision, qui étudie la façon dont la
pensée humaine filtre et déforme les informations, et l'influence de ces mécanismes
cognitifs sur la prise de décision. Le véritable essor des recherches sur ce thème dans les
études de l'organisation remonte au début des années quatre-vingts. Pourtant, vingt ans
après, Cossette (2004, p. 40) note encore que la cognition est un concept "difficile à

140
"…the absence of inspiration in decision making theory is really just one manifestation of a broader
problem: the dehumanization of the decision making process." (Langley et al, 1995, p. 268). "We pointed
out in our discussion that the literature has often adopted a very narrow view of the decision maker. Not
only has it neglected certain key faculties such as insight and inspiration, but it has also tended to ignore
individual differences" (idem, p. 277).
162

manipuler …car il ne semble pas exister de nomenclature de termes cognitifs ni de


consensus sur ce qui est "cognitif" et sur ce qui ne l'est pas … Les objets de nature
cognitive semblent nombreux, diversifiés et non classifiés...". Malgré son ambiguïté141, le
terme de cognition est rarement défini dans les textes qui, pourtant, en font un usage
fréquent. Il est donc utile de tenter d'en préciser le contenu, avant d'en discuter tour à tour
les aspects individuels et collectifs et de montrer comment ils influencent la prise de
décision managériale.

2.2.3.1 Cognition individuelle

L'étude de la cognition renvoie toujours à l'étude de la pensée. L'étude des


mécanismes de la pensée relève du domaine de la psychologie cognitive, théorie de la
connaissance selon laquelle la cognition fait référence aux mécanismes d'acquisition et de
conservation142 et d'utilisation des connaissances. Dans ce contexte, "le terme de
connaissance est pris au sens large, recouvrant des domaines divers tels que la perception,
la mémoire, l'apprentissage, la motricité, le langage, l'attention, l'intelligence, la
résolution de problèmes, le raisonnement" (Nicolas, Gyselinck, Vergilino-Perez, Doré-
Mazars, 2007, p. 78).
Une distinction essentielle est faite par les chercheurs entre l'aspect statique et
structurel de la cognition d'une part – le contenu de l'esprit et la conservation des
connaissances – et son aspect dynamique et processuel d'autre part – le fonctionnement
de la pensée, la façon dont la connaissance est acquise et utilisée, dont les informations et
croyances sont combinées et utilisées pour former des jugements et prendre des décisions.
Se basant sur les travaux de Meindl et al. (1994) et de Schneider et Angelmar (1993),
Cossette (2004) distingue ainsi entre les produits cognitifs et les processus cognitifs, pour
qualifier les aspects statique et dynamique de la cognition: les produits cognitifs font

141
"Un bref regard sur les principaux termes associés à la cognition par différents auteurs, …, illustre
clairement l'ambiguïté de cette notion: langage, raisonnement, perception, planification, traitement de
l'information, assimilation, stockage et accommodation de nouvelles informations, action finalisée,
organisation conceptuelle, apprentissage, communication, aptitudes, propensions ou capacités cognitives du
cerveau humain, entités mentales telles que processus et états mentaux (intentions, croyances, désirs, etc.),
représentations mentales (ex.: croyances, intentions, préférences) et représentations publiques (ex.: signaux,
énoncés, discours, textes)" (Cossette, 2004, p. 40).
142
Conservation des connaissances qui fait appel à la mémoire, laquelle est assimilée par la psychologie
cognitive à un système de traitement de l'information qui comprend les opérations d'encodage, de stockage
et de récupération, (Nicolas et al., 2007, p. 83).
163

référence au contenu de l'esprit; ils comprennent en particulier les schèmes, ces modèles
référentiels qui guident l'individu, mais aussi les "interprétations, prévisions, observations
ou perceptions que les schèmes ont contribué à faire émerger, ou encore à d'autres entités
cognitives (raison, anticipations, motifs, intentions, etc.) se rapportant à une situation
particulière" (idem, p. 42). Les processus cognitifs quant à eux désignent "les
mécanismes, tâches ou activités mettant en évidence le fonctionnement de l'esprit et ayant
trait à l'acquisition, au traitement, à la conservation, à la récupération, à la transformation
ou à l'utilisation de l'information ou de la connaissance". Structures (contenu) et
processus (fonctionnement) sont interreliés. Melone (1994) a montré, par exemple,
comment les croyances d'un groupe évoluent avec le temps, de façon concomitante avec
le processus d'identification et de résolution de problèmes stratégiques. Enfin, les
chercheurs distinguent une troisième catégorie de la cognition qui désigne les
caractéristiques psychologiques individuelles: le style cognitif selon Schneider et
Angelmar (1993) ou les prédispositions cognitives selon Cossette (2004).
Au cœur des approches cognitives sur la prise de décision, il y a l'idée que le
décideur n'est pas un observateur détaché, objectif, de la réalité. Cette situation est
cependant considérée différemment par les deux branches – positiviste et constructiviste
– de l'école cognitive. Selon la branche positiviste, le traitement de l'information et la
structuration des connaissances tentent de produire un film "objectif" sur le réel mais cet
effort ne réussit qu'à produire une image déformée de la réalité. (Mintzberg, 2005). La
branche positiviste, dans la foulée des travaux de Simon et de Tversky et Kahneman,
s'attache donc à étudier les nombreux biais cognitifs responsables de ces déformations
(voir p. 129), avec l'idée implicite que, si ces biais sont connus, ils pourront être
maîtrisés: l'image du réel sera moins déformée et pourrait même, pourquoi pas, devenir
complètement nette et fidèle à la réalité143. Au contraire, pour la branche constructiviste
de l'école cognitive, initiée par les travaux de Karl Weick (1969; 1977; 1979), il n'y a pas
de réalité objective. Comme le soutient Karl Weick: "While the categories
external/internal or outside/inside exist logically, they do not exist empirically. There is
no methodological process by which we can confirm the existence for an object

143
Comme je l'ai indiqué dans le chapitre consacré à la rationalité limitée, cette position "soft" de
l'influence des filtres cognitifs sur les décisions explique pourquoi la théorie de la rationalité limitée a été
admise par la théorie économique.
164

independent of the confirmatory process involving oneself" (Weick, 1977, p. 273). Le


décideur n'agit pas seulement comme un filtre mais il construit de nouvelles données : sa
vision crée le monde, en une constante interaction entre la pensée et l'action. Dès lors "ce
ne sont pas les faits qui guident l’analyse mais l’analyse qui oriente les faits" (Dortier,
2005, p. 53), et donc, en fin de compte, la décision. Ce qu'on peut exprimer aussi par la
formule de Weick, souvent citée : "je le verrai, quand j'y croirai".
La perspective constructiviste sur la prise de décision individuelle est confirmée
par les recherches en neurologie et en sciences de l'éducation, qui ont montré comment le
cerveau filtre et interprète les informations, à travers les interactions et régulations
complexes des structures cérébrales. Giordan (1998) décrit ces processus de façon
frappante : les structures du cerveau limbique, dont l'influence est importante dans la
réalisation des activités individuelles, dans l'émotion et la mémorisation, "jouent un rôle
stratégique… Servant de lien avec les autres structures, elles participent de l'interprétation
des données. Elles donnent "un poids aux choses", en fonction des ressentis du corps.
Ainsi, les voies visuelles qui arrivent au cortex ne véhiculent que 1% des informations
venant des yeux. 99% proviennent des autres régions cérébrales!" (Giordan, 1998, p. 49).
Le cerveau limbique joue un rôle essentiel de relais dans la transmission des informations
sensorielles, mais de nombreux réseaux de cellules, dans toutes les structures cérébrales,
travaillent en réseaux et en interconnections, dans une recomposition permanente.
L'image de l'environnement ne se construit pas en circuit fermé – elle intègre même de
multiples informations provenant de l'oreille interne, du toucher, des muscles ou des
articulations – mais est reconstituée en fonction des données que le cerveau a déjà
mémorisées et "la représentation qui en résulte est intimement liée à l'histoire de la
personne et à ses projets" (idem, p. 56). Cette représentation est aussi liée à sa culture :
par exemple, il a été montré que les Occidentaux sont plus sensibles à l'illusion d'optique
de Müller-Lyer, tandis que des Africains vivant dans la savane sont plus sensibles à celle
du T renversé. Dans les deux cas deux segments de même longueur nous apparaissent
comme étant de longueur différente. Mais les deux segments de droite de Müller-Lyer
sont horizontaux tandis que, dans le T renversé, le segment vertical apparaît plus long que
le segment horizontal.
165

Illusion de Müller-Lyer Illusion du T renversé

Figure 38 – Deux illusions optico-géométriques

Une explication possible de cette différence de sensibilité entre occidentaux et


africains tiendrait aux environnements différents dans lesquels évoluent ces populations :
les occidentaux sont habitués à un environnement visuel dominé par la géométrie
angulaire et ils ont donc tendance à ramener tout angle à un angle droit, ce qui peut
expliquer leur plus grande sensibilité à l'illusion de Müller-Lyer. Les Africains vivant
dans la savane ne connaissent qu'un environnement très plat, sans maisons, poteaux, ou
autres formes géométriques verticales. Par conséquent, ils sont moins habitués à juger les
lignes verticales et seraient plus sensibles à l'illusion du T renversé (Nicolas et al., 2007,
p. 35).
Dans le domaine des théories des organisations, la perspective constructiviste s'est
traduite dans des recherches menées sur l'influence sur les choix des décideurs de certains
processus et structures cognitifs liés à leurs "habitudes de pensée" (Louis & Sutton,
1991). A cet égard, différents concepts, de sens très proche, ont été analysés, tels les
cadres de références144 (Hambrick, 1981; Schwenk, 1988), cartes cognitives145 (Cossette,
2004; Laroche et Nioche, 1994; Ford & Hegarty, 1984; Dutton et al., 1983; Schutz,
1964), scripts (Abelson, 1981; Gioia & Poole, 1984) et, surtout, les schèmes cognitifs
(Bartlett, 1932; Piaget, 1952; Weick, 1979).
Le schème cognitif est un système référentiel, un "système de croyances"
constitué de règles ou de généralisations qui structure la façon dont un individu
appréhende la réalité (Cossette, 2004, p. 48); un système de connaissance (knowledge
systems) qui "représente les croyances, théories et propositions qui se sont construites à

144
Cognitive frames.
145
Les cartes cognitives sont en fait un type particulier de schéma cognitif (Cossette, 2004; Schwenk, 1988)
166

travers le temps sur les expériences personnelles des individus"146 (Bettis et Prahalad,
1986). Le schème constitue une vision simplifiée du monde, qui intègre les attentes des
individus par rapports à eux-mêmes, aux autres et aux situations qu'ils rencontrent
(Tenbrunsel et al., 1997), et inclut des suppositions relatives aux relations entre des
objets, tels que des actions, des réactions, des événements, des résultats (Barton, 1990,
cité par Koenig, in Charreaux, 2001, p. 247). Les schèmes s'apparentent aux
"conceptions" décrites par Giordan: réseau d'explications qui permettent à l'individu
d'apprivoiser son milieu de vie, construisent sa "vision individuelle" du monde et
forment le soubassement de son identité (1998, p. 62). Car ces conceptions se sont
forgées dans l'interaction permanente qui existe entre l'individu et son environnement
immédiat ou social, à partir de ses observations et de son expérience, de sa mémoire
affective et sociale, et des rapports qu'il entretient avec les autres et les objets.
Les schèmes peuvent se situer à plusieurs niveaux, en étant plus ou moins
généraux ou abstraits. Ils peuvent aussi être plus ou moins complexes, en fonction du
nombre de concepts qu'ils relient (différenciation) et du nombre de liens entre ces
concepts (intégration) (Cossette, 2004).
Le rôle des schèmes est important : ils servent de "raccourcis cognitifs"
permettant de fonctionner en mode quasi automatique dans des situations familières
(Louis et Sutton, 1991). Appliqués à des situations décisionnelles nouvelles, ils
permettent de structurer les problèmes. Sans eux, le manager, et l'organisation à laquelle
il/elle est attaché, seraient paralysés par la nécessité d'analyser "scientifiquement" un
nombre énorme de situations ambigües et incertaines147 (Prahalad et Bettis, 1986).
Perception codée du monde (Johnson, 1989, p. 39), ils guident les choix décisionnels des
êtres humains, en agissant comme des filtres dans la sélection et le traitement,
l'organisation et la rétention de l'information, mais aussi en suscitant des interprétations,
perceptions ou prévisions des situations particulières qui se présentent. Les individus
interprètent donc de nouvelles expériences selon des modèles prédéfinis dans leurs
146
"Known as schemas, these systems represent beliefs, theories and propositions that have developed over
time based on the manager's personal experiences." (Bettis et Prahalad, 1986, p. 489)
147
"Schemas permit managers to categorize an event, assess its consequences, and consider appropriate
actions (including doing nothing), and to do so rapidly and often efficiently. Without schemas a manager,
and ultimately the organizations with which he/she is associated, would become paralyzed by the need to
analyze "scientifically" an enormous number of ambiguous and uncertain situations" (Prahalad et Bettis,
1986, p. 489).
167

schèmes. Par conséquent, des dirigeants ayant des schèmes cognitifs différents
interprèteront différemment la même situation et donc décideront différemment car "…
ways of seeing produce ways of understanding" (Miller et al., p. 297). Allison (1971), en
analysant la crise des missiles à Cuba, a montré comment différents postulats et manières
de voir le monde conduisent à différentes interprétations et explications des événements
et à différentes décisions. Les schèmes orientent aussi la recherche de l'information
(Schwenk, 1989).
L'influence des schèmes s'exerce sans contraintes lorsque les dirigeants utilisent le
jugement pour prendre leurs décisions (qui est, rappelons-le le premier mode décisionnel
dans les organisations pour les décisions non programmées comme l'ont montré en
particulier Mintzberg, Raisinghani et Theoret, 1976). Ils permettent alors aux dirigeants
de catégoriser un événement, d'évaluer ses conséquences et de considérer les actions
appropriées (qui incluent la non action), rapidement et le plus souvent de façon efficace.
Cependant, même dans le cas où la méthode analytique est appliquée, les schèmes, parce
qu'ils sont ancrés très profondément en chacun de nous et parce qu'ils exercent le plus
souvent leur influence à notre insu, jouent un rôle déterminant sur nos perceptions, nos
interprétations et donc sur nos décisions. Deaborn et Simon ont fait œuvre de pionniers en
le démontrant dès 1957: leur recherche, menée auprès de vingt-trois dirigeants d'une
grande entreprise appartenant à différentes fonctions (en particulier ventes, production, et
finance) à qui il avait été demandé d'analyser la même étude de cas en se concentrant sur
l'intérêt général de l'entreprise concernée, a mis en évidence le fait que chaque dirigeant
ne perçoit que les aspects d'une situation liés spécifiquement aux activités et aux buts de
son propre département (Deaborn & Simon, 1957). Plus récemment, Tyler et Steensma
(1998) ont mis en évidence l'influence des expériences et perceptions des dirigeants sur
leur évaluation d'éventuelles alliances technologiques. Et Barker et Mueller (2002) ont
montré que certaines caractéristiques des CEOs (âge, expérience professionnelle)
exercent une influence sur les décisions de dépenses de R&D dans les entreprises.
En raison de nos filtres cognitifs, nous ne retenons donc, en matière d'information,
que ce qui renforce nos convictions, ce qui nous fait plaisir. A l'inverse, nous
"n'entendons pas" une donnée nouvelle, en raison des propriétés de limitativité
168

(boundedness) et d'admissibilité des schèmes148 qui définissent les limites probables de


l'action d'un individu, celles au-delà desquelles les événements et stimuli ne seront pas
pris en compte (Abelson, 1981, cité par Johnson, 1989, p. 39).
Makridakis (1990) a mis en évidence les biais cognitifs liés à l'influence des
schèmes149 sur le traitement de l'information en vue d'une prise de décision150: sélection
des données qui conduisent à certaines conclusions, quels que soient les faits qui les
contredisent ("recherche d'éléments probants"); incapacité à changer d'avis devant de
nouvelles informations ("conservatisme"); tendance à analyser les problèmes en fonction
de son expérience personnelle ("perception sélective"); poids exagéré des informations
initiales dans les prévisions ("ancrage"); tendance à exagérer la probabilité que des
événements conformes aux préférences se produisent ("optimisme et vœux pieux")
(Makridakis, 1990, p. 36-37, cité par Mintzberg et al., 2005, p. 162). Bazerman (2006)
regroupe la catégorie particulière de biais cognitifs (voir p. 129 et ss.) liés aux schèmes
ou aux conceptions sous la dénomination de "representativeness heuristics".
La perception sélective concerne bien sûr aussi les décisions stratégiques et/ou
d'investissement, comme nous le verrons plus loin (voir p. 213 et ss.). En matière
d'investissements, les schèmes cognitifs influenceront l'appréciation de l'intérêt global
d'un projet, mais aussi l'évaluation des différents paramètres du calcul; par exemple, dans
le cas des investissements en efficacité énergétique, les économies physiques qu'un
investissement permettra de réaliser ou le niveau de risque attaché à l'investissement, ou
encore les hypothèses de prix futurs de l'énergie (voir p. 55 et ss.).
L'apprendre ne peut se construire que "contre" le "déjà là", ce que l'on sait déjà
(Giordan, 1998, p. 61). Les schèmes cognitifs sont donc un frein au changement, et cela
d'autant plus que, une fois installés, ils sont remarquablement stables: ancrés
profondément et souvent inconsciemment en chaque individu, ils peuvent s'adapter mais
sont rarement transformés fondamentalement.

148
Abelson discute en réalité les propriétés des scripts, autre notion de psychologie cognitive, une forme
particulière de schèmes cognitifs selon Cossette (2004, p. 49).
149
Sous la notion voisine de "convictions sans fondement ou idées toutes faites"
150
L'influence des schèmes sur le travail de recherche a été montrée de façon éclatante par Stephen J.
Gould dans "La Mal-mesure de l'homme" (1983): le chercheur aborde son objet d'étude avec ses propres
convictions, si bien qu'il finit souvent par trouver ce qu'il cherche.
169

Notre schéma de la rationalité individuelle en matière de décision, reformulé


selon une perspective cognitiviste, devient beaucoup plus complexe :

Information (incomplète) Perceptions et


biais cognitifs

PROCESSUS DÉCISIONNEL → CHOIX (SATISFAISANT)

Environnement
socioculturel Attitudes
Préférences

Convictions
tenues pour Valeurs et
acquises croyances Affects
Schèmes cognitifs
Caractéristiques
psychologiques
individuelles

Les horizons ouverts par la perspective cognitiviste nous emmènent loin de


l'image du décideur rationnel détaché du monde, dont il aurait une vision objective, et
impartial dans son traitement analytique de l'information. La notion de rationalité
décisionnelle devient elle-même de plus en plus floue, en se réduisant au mieux à une
intentionnalité, qui variera d'un individu à l'autre en fonction du sens qu'il attribue aux
événements, de ses préférences et de ses valeurs. La perspective cognitiviste contribue
donc aussi à expliquer pourquoi les outils d'évaluation de la finance traditionnelle ne
peuvent mener à une "one best way" en matière de décisions d'investissement: la solution
optimale du modèle de la rationalité parfaite n'existe tout simplement pas.
170

2.2.3.2 Cognition et culture(s) organisationnelles

Le concept de cognition fait référence à la pensée, or les organisations ne pensent


pas. Comment parler d'une pensée organisationnelle, de cognition organisationnelle, sans
tomber dans l'anthropomorphisme151 ou la réification152? Cette question a donné lieu à un
vaste débat. Et, en effet, la notion de cognition organisationnelle est complexe et pose des
problèmes au plan théorique comme au plan méthodologique (Meindl et al., 1994;
Schneider et Angelmar, 1993). Tout d'abord, à supposer qu'une pensée collective existe,
comment la mesurer? Elle ne peut être constituée simplement de l'agrégation des données
du niveau individuel. Comme le font remarquer Schneider et Angelmar (1993, p. 348):
"to advance inquiry into the role of cognition in organizations we need to understand
what is organizational about cognition and what is cognitive about organizations".
Otherwise, cognition at the collective level will continue to rely on individual-level
variables while ignoring the influence of context, the distinctive nature of cognition at
collective levels, and the interaction of cognition across levels of analysis". Les deux
chercheurs proposent d'analyser directement le niveau collectif (par exemple à travers
l'étude de rapports annuels ou de manuels de procédure) sans passer par l'intermédiaire
des individus. Mais les frontières entre les niveaux individuel et collectif ne sont pas
toujours très claires: par exemple, pour Cossette (2004), la stratégie est un schème de
niveau organisationnel mais qui n'a été décidée le plus souvent que par un individu (dans
le cas d'une petite entreprise) ou un petit groupe d'individus (dans le cas d'une grande
organisation). Ce qui débouche sur un autre sujet important: celui de la cohabitation et/ou
de la suprématie de différent(e)s cultures et schèmes cognitifs au sein d'une même
organisation.
Au-delà des polémiques sur la "pensée collective", on peut considérer avec
Cossette (2004, p. 53) que: "si on voit l'organisation comme une "chose", on peut dire
alors qu'elle ne "pense" pas, ce qui ne signifie pas qu'il n'y ait aucun schème qui guide
l'ensemble de ses membres. Et affirmer que l'intégralité du vécu individuel ne peut pas
être respectée lorsqu'on détermine une structure collective ne veut certainement pas dire
151
"…only people think, they have brains, organizations don't" (Schneider et Angelmar, 1993, p. 348).
152
"Where, after all, is the organizational (or managerial) mind?" (Idem).
171

qu'un schème collectif ne puisse pas être considéré comme représentatif d'un groupe
d'individus, de toute une organisation ou d'un secteur industriel." Le terme de cognition
organisationnelle peut s'appliquer alors, dans une perspective plus large, à l'ensemble des
mécanismes selon lesquels managers et organisations donnent du sens aux situations et
aux événements153 (Meindl, Stubbart, Porac, 1994). La plupart des chercheurs de
l'approche cognitive admettent l'existence de ces "mécanismes interprétatifs" selon la
formule de Johnson (1989), sous différentes appellations : schème organisationnel ou de
niveau organisationnel (Cossette, 2004), modèle organisationnel de prise de
connaissance154 (Lyles et Schwenk, 1992), système cognitif commun (Laroche et Nioche,
1994), logique dominante (Prahalad et Bettis, 1986), idéologies (Johnson, 1989), schèmes
interprétatifs (Bartunek, 1984), cartes cognitives (Bougon, Weick et Binkhorst, 1977,
Weick, 1979) 155. Le terme "interprétatif" permet de contourner le problème de l'emploi
du terme "cognitif" pour décrire les mécanismes de production de sens au niveau
organisationnel.
Différents courants de recherche se sont intéressés à l'influence des phénomènes
cognitifs sur le comportement des organisations, en particulier sur les prises de décision
stratégique (Denison et al., 1996; Dutton et Jackson, 1987; Lyles, 1987; Tyler et
Steensma, 1998) et sur l'apprentissage organisationnel (selon la revue de littérature de
Lyles et Schwenk 1992, p. 155: Argyris et Schon, 1978; Fiol et Lyles, 1985; Hedberg,
1981; Jelinek, 1979; Levitt et March, 1988; Lyles, 1988; Shrivastava, 1983), et à leur rôle
sur le changement organisationnel ou stratégique (Bettis et Prahalad, 1995; Gioia et
Chittipeddi, 1991; Johnson, 1987; Schwenk, 1992).
Le schème organisationnel joue le même rôle pour l'organisation que le schème
individuel pour l'individu : il structure la façon dont un groupe, une organisation, ou
même un secteur d'activité appréhende la réalité, en servant de système référentiel dans
l'observation, ou la perception, des événements présents, dans l'interprétation des
événements passés ainsi que dans la prévision des événements futurs (Cossette, 2004); il
oriente la recherche d'information (Bougon, Weick et Binkhorst, 1977; Weick, 1979) et,

153
"…how managers and organizations make sense of situations and events" (Meindl, Stubbart, Porac,
1994, p. 290).
154
Organizational knowledge structure.
155
Cette liste n'est pas exhaustive.
172

finalement, il influence la décision ou l'action. Les schèmes organisationnels peuvent


être de niveau opérationnel, donc de nature plus technique ou procédurale, ou encore être
de niveau conceptuel et porter sur une compréhension plus générale et profonde de la
réalité organisationnelle, ce que Kim (1993) appelle respectivement "le know-how et le
know-why".
La formation ou la transformation des schèmes dans les organisations proviennent
de deux sources : les expériences extraorganisationnelles qui incluent les expériences
personnelles vécues par les membres de l'organisation depuis leur naissance (Cossette,
2004; Hambrick et Mason, 1984; Lyles et Schwenk, 1992; Prahalad et Bettis, 1986) et les
expériences intraorganisationnelles, vécues à l'intérieur même de l'organisation, dans
lesquelles se manifestent la culture de l'organisation, les orientations stratégiques
poursuivies et les façons de faire inscrites dans la structure de l'organisation (Cossette,
2004). Une fois acquis ou transformés, les schèmes sont stockés dans la "mémoire
organisationnelle", pour une période plus ou moins longue, sur des supports tangibles
(par exemple, documents, archives, banques de données, procédures standards
opérationnelles) et intangibles (par exemple, cerveau des individus, systèmes de rôle,
culture) (Girod, 1995).
De même que les schèmes individuels, les schèmes organisationnels sont stables
et peuvent constituer un frein au changement. Ils peuvent cependant évoluer par un
phénomène d'apprentissage organisationnel, soit en raison de la compréhension
particulière d'événements passés, présents ou futurs, soit à la suite d'actions ou de
décisions prises par l'organisation, qui constituent une mise à l'épreuve indirecte des
schèmes dont la validité apparaît dans les conséquences des décisions prises (Cossette,
2004). Il arrive aussi que les schèmes soient remis en question de façon plus brutale, en
particulier en période de crise (Bettis et Prahalad, 1989). La structure156 (selon qu'elle
tend à être flexible et organique, ou rigide et mécaniste), la stratégie (selon les limites
qu'elle impose à la prise de décision) et la culture (selon l'orientation des valeurs ou

156
Selon Desreumaux (1998, p. 212, cité par Cossette, 2004, p. 75), la structure est "le mode d'agencement
de l'organisation, s'exprimant dans les principes fondamentaux de division du travail et dans les différents
systèmes de gestion permettant l'accomplissement coordonné des activités". Le mode d'agencement peut
être formel ou informel.
173

normes en vigueur) conditionnent l'apprentissage organisationnel (Cossette, 2004; Fiol et


Lyles, 1985; Johnson, 1987, 1992).
Une catégorie d'acteurs joue un rôle particulier sur la formation et le contenu des
schèmes organisationnels : celle des dirigeants. En raison de leur influence sur
l'organisation, leurs propres schémas cognitifs s'imposent, soit directement dans les
routines, la définition de la structure et des orientations stratégiques et les prises de
décisions, soit indirectement à travers leur influence sur la culture de l'organisation. Un
certain nombre de chercheurs ont reconnu et analysé les modalités et/ou les conséquences
de cette influence (Schein, 2004; Barker et Mueller, 2002; Bettis et Prahalad, 1995, 1989;
Dutton & Jackson, 1987; Hambrick et Mason, 1984; Lyles, 1987; Lyles et Schwenk,
1992; Tyler & Steensma, 1998). A l'extrême on peut, selon la Upper Echelons
Perspective de Hambrick et Mason (1984), considérer l'organisation comme le reflet des
managers des échelons supérieurs, puisque "executives' experiences, values, and
personalities greatly influence their interpretations of the situations they face and, in
turn, affect their choices" (Hambrick, 2007). Au plan méthodologique, des
caractéristiques démographiques observables, telles que l'âge, la fonction, la carrière, la
formation, l'origine socio-économique, la situation financière, peuvent être utilisés
comme variables de substitution pour l'étude de caractéristiques psychologiques, plus
insaisissables. Le schéma suivant illustre les mécanismes de l'influence des
caractéristiques individuelles des dirigeants sur leurs choix.

Figure 39 - An Upper Echelons Perspective of Organizations (Hambrick et Mason, 1984, p. 198)157.

157
NB : le tableau est rogné dans l'article d'origine lui-même.
174

Bettis et Prahalad (1986) soutiennent une position similaire, qui s'incarne dans le
concept de "dominant logic". Pour Bettis et Prahalad, comme pour Pettigrew (1985), dans
la lignée de la perspective politique, les organisations sont dirigées non pas par "une
abstraction sans visage" mais par une coalition dominante, composée d'individus clé, qui
exerce une "influence significative" sur la gestion de l'organisation. Or ces managers
partagent une "structure mentale générale" (a general mental structure), qui s'incarne
dans une logique de gestion dominante, définie comme "la façon dont les managers
conceptualisent l'activité et prennent des décisions critiques d'allocations de
ressources"158 (Bettis et Prahalad, 1986, pp. 489-490). Bettis et Prahalad (idem, p. 491)
suggèrent que cette logique dominante est un schème partagé, un "système cognitif
commun, proprement organisationnel" selon la formule de Laroche et Nioche (1994). Le
concept de logique dominante de Bettis et Prahalad s'apparente à celui du "paradigme"
organisationnel tel qu'il est défini par Gerry Johnson (1992, p. 29) : "a set of core beliefs
and assumptions [shared by the managers] which are specific and relevant to the
organization in which they work and which are learned over time". Ce paradigme est
culturel par nature, nous dit Johnson, car il se situe au niveau inconscient des convictions
tenues pour acquises et des croyances. En considérant la manière dont les croyances des
managers affectent le comportement organisationnel, on bascule donc inévitablement
dans des considérations de culture organisationnelle159.
"Concept insaisissable" selon Johnson (1989), la notion de culture a fait l'objet de
débat depuis des décennies, y compris chez les anthropologistes eux-mêmes, comme le
rappellent Schneider et Barsoux (2003) qui retracent l'historique du concept : dans une de
ses premières définitions, la culture a été définie comme un "modèle partagé de
comportement"160 (Mead, 1953). Cependant cette définition n'était pas satisfaisante car un
même comportement peut avoir différentes significations tandis que des comportements
différents peuvent avoir la même signification. La culture a donc été définie par la suite

158
"A dominant general management logic is defined as the way in which managers conceptualize the
business and make critical resource allocation decisions, be it in technologies, product development,
distribution, advertising, or in human resource management" (Bettis et Prahalad, 1986, p. 490).
159
"In considering the way in which managerial beliefs affect organizational behaviour we move inevitably
into a consideration of organizational culture" (Johnson, 1989, p. 47).
160
“A shared pattern of behaviour”.
175

comme "des systèmes de significations partagées" ou des "réseaux de signification"161,


qui déterminent le comportement observé (Lévi-Strauss, 1971; Geertz 1973). Mais la
signification doit être déchiffrée car elle est sous-tendue par des "basic assumptions"
(Kluckhohn & Strodtbeck 1961; Schein 2004), formule difficile à traduire, pour laquelle
on peut adopter la traduction proposée par Cossette (2004) de "conviction tenue pour
acquise". La culture peut alors être définie comme "a pattern of shared basic assumptions
that was learned by a group as it solved its problems of external adaptation and internal
integration, that has worked well enough to be considered valid and, therefore, to be
taught to new members as the correct way to perceive, think, and feel in relation to those
problems" (Schein, 2004, p.17). Les convictions tenues pour acquises sont inconscientes
et invisibles, et donc "non confrontables" (nonconfrontable). Elles sous-tendent les
croyances et valeurs qui, à leur tour, influencent les attitudes (les idées, les convictions ou
les goûts des individus) et le comportement (la manière dont les individus agissent)162
(Schneider & Barsoux, 2003). On peut voir le comportement qui résulte de l'influence
invisible et inconsciente de la culture mais nous ne pouvons pas voir les forces cachées à
l'œuvre. La culture, nous dit Edgard Schein, est à un groupe ce que la personnalité ou le
caractère sont à l'individu. De même que notre personnalité et notre caractère guident et
contraignent notre comportement, de même la culture guide et contraint le comportement
des membres d'un groupe à travers les normes partagées par ce groupe163 (Schein, 2004,
p. 8).
La culture peut être considérée comme une variable "externe" de l'organisation, et
elle renvoie dans ce cas à l'ensemble des valeurs particulières (par exemple,
individualisme ou respect de l'autorité) qui sont privilégiées dans un espace géographique
donné (un pays, ou une région); elle peut être considérée aussi comme une variable
interne de l'organisation, et, dans ce cas, la culture représente les croyances et valeurs de
l'organisation, ou plus exactement, les croyances et valeurs qui prédominent au sein de

161
“Systems of shared meaning or understanding” or “webs of significance”.
162
"Basic assumptions underlie beliefs and values which, in turn, influence attitude (people’s ideas,
convictions or tastes) and behaviour (what people are doing).” (Schneider & Barsoux 2003, p. 22).
163
"…culture is to a group what personality or character is to an individual. We can see the behavior that
results, but often we cannot see the forces underneath that cause certain kinds of behavior. Yet, just as our
personality and character guide and constrain our behavior, so does culture guide and constrain the
behavior of members of a group through the shared norms that are held in that group" (Schein, 2004, p. 8).
176

l'organisation, et qui déterminent inconsciemment et implicitement la représentation que


l'organisation se fait d'elle-même et de son environnement.
Au plan organisationnel, Schein (2004) distingue trois niveaux de culture, du
moins visible au plus visible : au plus profond se trouvent les convictions tenues pour
acquises, enfouies et inconscientes, puis les croyances et les valeurs affichées, et enfin les
artefacts qui présentent l'avantage d'être visibles et donc observables, mais qui sont à
traiter avec prudence car ils peuvent être difficiles à interpréter. Les artefacts englobent
les structures et processus organisationnels, tels l'organigramme, les procédures et
routines, et les systèmes de récompenses et de contrôle. Selon Johnson (1989) également,
les systèmes de gestion et de contrôle de l'organisation peuvent donc être considérés
comme des artefacts, reflets de sa culture.

Visible Artefacts

Croyances
et valeurs

Invisible Convictions tenues


pour acquises

Figure 40 – Les niveaux de culture. D'après Schein


(2004, p. 26) et Kluckholn et Strodtbeck (1961).

La culture influence tous les aspects du fonctionnement d'un groupe, et la manière


dont une organisation exécute ses tâches, organise ses opérations ou perçoit son
environnement. A ce titre la culture influence la structure et la stratégie de l'organisation
(Cossette, 2004; Schneider et Barsoux, 2003).
A la lecture des différents textes, il n'est pas facile pour le profane de se faire une
opinion sur la relation entre cognition et culture, entre schèmes cognitifs, de niveaux
individuel ou organisationnel, et culture. Cossette propose utilement une définition de la
culture organisationnelle selon la perspective cognitiviste sur l'organisation qui établit
177

clairement – et logiquement - la relation entre les deux: la culture est un schème de


niveau organisationnel. Comme l'écrit Cossette (2004, p. 121): "La culture est un schème
de niveau organisationnel constitué essentiellement de valeurs qui sont partagées dans
une mesure plus ou moins grande et de façon plus ou moins consciente par les membres
d'une organisation. Elle est un système d'idées à caractère normatif, façonné ultimement
par les acteurs concernés; la culture est donc créée, maintenue et transformée par des
individus possédant eux-mêmes des schèmes, certains de nature normative, c'est-à-dire
formés par les valeurs personnelles des individus. Ce schème organisationnel qu'est la
culture est en relation étroite avec d'autres schèmes organisationnels [et notamment celui
de la stratégie], même si l'influence de l'un sur l'autre passe forcément par les individus ".
Que ce soit au niveau individuel ou organisationnel, la culture n’est pas
monolithique : différents processus de socialisation, développés au sein de la famille, de
l’école et de l’église, et de professionnalisation, développés lors de formations et dans les
pratiques, contribuent à construire des "paradigmes culturels" (Romelaer et Lambert,
2001). Ainsi, différentes cultures cohabitent au sein d’un même individu et influencent,
parfois de façon contradictoire, ses décisions et différentes (sous)-cultures cohabitent au
sein des organisations. Schneider & Barsoux. (2003) montrent comment six sphères
culturelles interreliées (“interrelated spheres of culture”) influencent la vision du monde
que se font les décideurs, mais aussi celle tous les autres acteurs de l'organisation,
individus et groupes. Il s’agit des cultures nationale, régionale, professionnelle,
fonctionnelle, culture du secteur d’activité et enfin la culture d'entreprise. Le schéma de
la page suivante représente les six sphères culturelles interreliées.
178

Pays

Profession
Région

Secteur
d’activité Fonction

Entreprise

Figure 41 - Sphères culturelles d'influence


interreliées (Schneider et Barsoux, 2003)

Plus le contenu des "sphères culturelles" des membres de l'organisation est


similaire et plus ils ont en commun de sphères culturelles, plus leurs schèmes cognitifs
seront similaires. Inversement, les particularités des individus, créent des frontières
informelles dans l’organisation entre groupes de culture différente, ayant des schèmes
cognitifs différents et donc une façon différente de percevoir leur environnement et d'y
réagir.
La culture organisationnelle joue un rôle particulier car elle "fédère" en quelque
sorte les autres cultures. Elle renvoie aux valeurs164 principales, c'est-à-dire celles qui
sont considérées comme prioritaires par ses membres, elle intègre les convictions tenues
pour acquises et les croyances fondamentales communes, qui composent la "logique

164
Les valeurs d'une organisation désignent ce qu'on "doit" (ou "ne doit pas"), ou ce qu'il "faut" (ou "ne faut
pas") faire, penser, dire, ou être. Chaque culture organisationnelle est unique, car l'ensemble de valeurs ne
peut pas être identique dans deux organisations différentes (idem). Cependant on peut regrouper certaines
valeurs, ce qui permet de faire des classifications rendant compte de différents grands types de cultures
organisationnelles (Schein, 2004). En général il est utile de distinguer entre les croyances ou valeurs sur la
mission de l'organisation, prise au sens large dans sa relation avec son environnement, et les croyances ou
valeurs au sens plus étroit sur la "bonne" façon de se comporter au sein de l'organisation. Différents auteurs
développent cette idée, bien que, une fois de plus, selon une terminologie variée: par exemple Rokeach
(1973) emploie respectivement les termes de instrumental values et terminal values pour qualifier les
façons de faire ou les objectifs à atteindre; Schein rejoint la distinction faite par Davis (1984) qui distingue
entre "guiding beliefs" et "daily beliefs" dans les cultures organisationnelles. Il faut aussi être prudent dans
l'analyse des valeurs d'une organisation: le fossé est parfois grand entre les valeurs "affichées", celles
auxquelles les dirigeants disent souscrire, et les valeurs "en usage", celles qui guident concrètement leurs
actions, pour reprendre la distinction proposée par Argyris et Schön (1974) entre espoused theories et
theory-in-use.
179

dominante" (Bettis et Prahalad, 1986) déjà évoquée, le "paradigme" (Johnson (1992),


même si les membres d'une organisation n'attribuent pas le même poids aux valeurs qui
constituent la culture de l'organisation auxquelles ils adhèrent (Cossette, 2004). Selon la
formule de Johnson, la culture organisationnelle est en même temps "a device for
interpretation and a formula for action": d'une part elle crée une approche relativement
homogène pour interpréter la complexité à laquelle l'organisation est confrontée, d'autre
part elle fournit un répertoire d'actions et de réponses correspondant aux signaux
interprétés (idem, p. 29). Selon la perspective cognitiviste sur la décision stratégique, la
culture organisationnelle, agissant comme un filtre interprétatif, domine donc le
développement de la stratégie.
La culture organisationnelle est aussi le reflet des rapports de force au sein de
l'organisation entre les différentes fonctions. Elle est influencée en particulier par les
dirigeants de la coalition dominante qui, dans toutes les organisations, comprend le haut
management des fonctions de production (ou son équivalent dans les entreprises de
services), de finance et de ventes& marketing (voir p. 136 et ss.).
La perspective cognitiviste sur l'organisation est la première à donner toute leur
place aux acteurs, en prenant en considération non seulement leurs biais cognitifs, ou
leurs conflits d'intérêts, mais aussi leur pensée et la façon dont "leurs expériences, leur
valeurs et leur personnalité influencent, par l'intermédiaire des schémas cognitifs, leurs
modes de pensée et les décisions qu'ils prennent, à travers trois processus distincts :
délimitation du champ de vision (les directions dans lesquelles ils regardent et écoutent),
perception sélective (ce qu'ils voient et entendent) et interprétation (le sens qu'ils
attribuent à ce qu'ils voient et entendent)"165 (Hambrick, 2007). Cette approche permet de
prendre en compte de façon intégrée les niveaux individuels et organisationnels, ainsi que
l'influence des relations de pouvoir entre les différents acteurs.

165
"…executives' experiences, values, and personalities affect their (1) field of vision (the directions they
look and listen), (2) selective perception (what they actually see and hear), and (3) interpretation (how they
attach meaning to what they see and hear)." (Hambrick, 2007, p. 337).
180

2.2.4 Caractéristiques de la décision

Outre les acteurs qui y participent et le contexte interne et externe de


l’organisation, un facteur très important influence le processus et son résultat : il s’agit
des caractéristiques de la décision elle-même.
De toutes les caractéristiques de la décision, l’incertitude est celle qui est
mentionnée le plus souvent comme influençant la décision stratégique ou le processus
d’investissement. Toute décision contient de l’incertitude, mais en degré variable. D’où
vient l’incertitude? Du temps (durant lequel la décision produira ses effets), de la
complexité, de la nouveauté. Herbert Simon est le premier à classer les décisions en
fonction de leur niveau d'incertitude. Il distingue les décisions "programmées" -
répétitives, routinières, voire automatiques - et les décisions "non programmées" -
nouvelles, non familières : une décision programmée permet l’emploi d’une solution déjà
existante. Une décision non programmée est mal structurée, et nécessite de l’innovation,
car elle implique l’absence de solutions toute faites (ready-made) : la notion de non
structuration désigne une décision ou un processus “that have not been encountered in
quite the same form and for which no predetermined and explicit set of ordered responses
exists in the organization (Mintzberg, Raisinghani & Theoret, 1976, p. 246) … This is not
the decision making under uncertainty of the textbook, where alternatives are given even
if their consequences are not, but decision making under ambiguity, where almost
nothing is given or easily determined" (idem. p. 250). La complexité fait référence aux
problèmes liés à la prise de décision qui peuvent être multiples : sources de l’information,
ampleur et gravité des conséquences, constitution de précédents pour l’avenir.
Plus le niveau d'incertitude ou de complexité d'une décision augmente, plus grand
sera le nombre de spécialistes et d'unités impliqués dans les efforts que l'organisation
déploie pour résoudre l'incertitude (Butler, 1990; Cyert and March, 1963; March and
Olsen, 1976; Thompson, 1967; Hickson et al., 1986), car les solutions doivent être
identifiées, construites, évaluées, ce qui demande du temps et des ressources et nécessite
de nombreux experts. Le nombre élevé d'acteurs intervenant dans le processus de
décision (qu'ils soient internes ou externes, individus, départements, divisions,
propriétaires ou fournisseurs, administrations publiques) exerce une influence à deux
181

titres: d'une part le locus de la décision dans l'organisation sera plus diffus et difficile à
identifier, comme le rappelle Butler (1990, p. 13) en faisant référence aux travaux de
Thompson (1967) et de Mintzberg et Waters (1990); d'autre part le niveau de politisation
du processus décisionnel sera élevé. Dans ce contexte, on peut définir la politisation
comme "le niveau d’influence qui est amené à peser sur une décision et comment cette
influence est distribuée à l’intérieur et à l’extérieur de l’organisation"166 (Miller et al., p.
300).
La force et la répartition de l’influence, couplée à la complexité de ce qui est
soumis à décision, façonnent le processus décisionnel167 (Miller et al, 1997, p. 301). C'est
ce qu'ont notamment mis en évidence les recherches du groupe de Bradford, déjà citées, à
travers leur analyse de cent cinquante décisions prises dans trente organisations des
secteurs secondaire et tertiaire. Le degré de politisation, fonction du nombre et à la
variabilité des intérêts en présence, est un facteur explicatif important du caractère plus
ou moins fluide ou "sporadique" du processus décisionnel (Hickson et al., 1986;
Desreumaux et Romelaer, 2001).
Une décision hautement stratégique – non programmée par essence - entraîne
presque inévitablement un processus décisionnel non structuré, d’autant plus cyclique,
tâtonnant, et long, que le niveau d'incertitude est élevé car "dans ces conditions
[d'incertitude élevée], un processus linéaire rationnel, même s’il peut a priori paraître
optimal, n’est tout simplement pas possible … A contrario dans des domaines où les
situations de décision et les solutions sont plus formalisées et plus simples, par exemple
dans le domaine des investissements financiers, le processus de décision linéaire
séquentiel devient possible" (Desreumaux et Romelaer, 2001, p. 76).
Remarquons que les caractéristiques des investissements considérés, tels leur
niveau d'incertitude ou de complexité, de même d'ailleurs que leur contenu, ne sont
jamais discutées dans la littérature sur les investissements en efficacité énergétique. Etant
donné l'importance de ces caractéristiques pour le déroulement du processus décisionnel
et pour son résultat, il s'agit d'une grave lacune.

166
“Politicality refers to the degree of influence which is brought to bear on a decision and how this
influence is distributed within and without the organization.” (Miller et al., in Clegg, 1997:300)
167
"The strength and distribution of influence, coupled with the complexity of what is being decided, shape
the process which ensues" (Miller et al, 1997, p. 301).
182

2.2.5 Conclusion

Les principaux enseignements à retenir de cet examen de la littérature sur les


déterminants de la décision dans les organisations sont les suivants :

• La décision n’est qu’une étape dans un processus dont les conditions d’émergence
et le démarrage sont décisifs.
• Le processus décisionnel est influencé par le double contexte dans lequel il
s’insère : contexte interne de l’organisation, et contexte externe de
l’environnement.
• Le nombre et le pouvoir des acteurs (groupes et individus) qui participent au
processus décisionnel sont importants pour le déroulement et le résultat de celui-
ci.
• Les schèmes cognitifs des acteurs influencent les décisions qu'ils prennent.
• La culture organisationnelle, schème interprétatif de niveau organisationnel, joue
un rôle particulier car elle "fédère" les différences individuelles et les sous-
cultures présentes dans l'organisation. Elle constitue une "logique dominante"
(Bettis et Prahalad, 1986), un "paradigme" (Johnson, 1992).
• Les caractéristiques de la décision jouent un rôle important sur le déroulement et
sur le résultat du processus décisionnel.
• La dimension stratégique de la décision joue un rôle important.

En tout état de cause, on ne peut tenter d'expliquer les décisions


organisationnelles sans prendre en compte ces différents paramètres. Sauf dans les cas de
décisions simples et répétitives, le pouvoir explicatif du modèle de la rationalité classique
- et de la logique financière qui s'en inspire - est donc pratiquement nul : les acteurs
peuvent être guidés par une intention et par la recherche de l'efficacité entre leurs buts et
les moyens dont ils disposent, mais il arrive aussi souvent que la pensée suive l'action, en
lui donnant un sens - ou une justification - à postériori. Dans tous les cas, les mécanismes
cognitifs des décideurs jouent un rôle essentiel : ils créent un paysage mental, particulier
à chacun, dans lequel ne peuvent pénétrer que certains éléments, en raison des
phénomènes de perception sélective et de traitement biaisé de l'information.
183

De façon ultime, deux conclusions s'imposent. 1) Il n'y a pas de "one best way" en
matière de décision, qu'elle soit individuelle ou organisationnelle : la solution optimale du
modèle classique n'existe pas, car elle varie d'un décideur à l'autre, en fonction de ses
schémas cognitifs (et de ses caractéristiques psychologiques individuelles). Dans les
organisations, la culture organisationnelle, à travers sa transcription dans les routines et
les systèmes de contrôle, joue le même rôle de filtre dans la perception de
l'environnement et le traitement de l'information, en imposant une "logique dominante"
dans la manière d'exercer le métier. 2) La culture organisationnelle est le reflet des
relations de pouvoir au sein de l'organisation, entre les différents départements et
managers de haut niveau. Pouvoir et culture sont donc les deux facteurs clés qui
déterminent le comportement des organisations et leurs décisions (leurs "comportements
de choix").
Ces conclusions rejoignent celle du chapitre précédent, en confirmant la nécessité
d'utiliser de façon complémentaire les approches "classiques" (modèle de la rationalité
limitée, modèles politiques et modèles aléatoires) pour analyser les décisions prises
dans/par les organisations. Mais les approches classiques doivent aussi être enrichies et
complétées par l'approche cognitiviste, qui analyse la manière dont les décideurs et les
organisations, par leurs perceptions et leurs interprétations, donnent un sens particulier
aux événements et aux informations dont ils ont connaissance. Enfin, le rôle joué par la
décision elle-même sur le processus décisionnel - en particulier son caractère stratégique,
source d'incertitude et de complexité - apparaît comme un autre enseignement majeur de
la littérature sur la décision dans les organisations. Ce constat débouche cependant sur de
nouvelles questions, auxquelles cette littérature ne fournit pas de réponses satisfaisantes :
qu'est-ce qui détermine le caractère stratégique d'une décision? Ou, autrement dit, qu'est-
ce qui fait qu'une décision est stratégique ou non? Et, d'autre part, en lien avec l'objet de
la présente recherche : les décisions d'investissement sont-elles des décisions
stratégiques? Il est indispensable de répondre à ces questions pour compléter le cadre
d'analyse des décisions organisationnelles. Tel est l'objectif du chapitre suivant.
184

2.3 DÉCISIONS STRATÉGIQUES ET DÉCISIONS D'INVESTISSEMENT

Pour tenter de répondre aux questions ci-dessus, le présent chapitre abordera


successivement deux thèmes qui sont au cœur du sujet des décisions stratégiques :
premièrement le thème de la nature stratégique d'une décision et de son influence sur le
processus de décision; deuxièmement le thème du diagnostic stratégique, qui adopte une
perspective interprétative pour analyser la manière dont les managers perçoivent et
catégorisent les sujets qui émergent de l'environnement. Mais auparavant, il importe de
préciser la relation entre décision stratégique et décision d'investissement.

2.3.1 Investissement et stratégie

"One Group Finance Director offers an insight into why it is that the "science" of evaluative
technique is unlikely to ever supersede the "art" of strategic decision-making: "Intuition and
judgment are absolutely crucial. You can't just take academic calculations and sit down and look at
them and say they make sense…These decisions aren't just based on hard calculations – you have
got to have a view of your company when you're talking to the people in it. So, intuition and
experience are extremely important".

Alkaraan et Northcott (2006, p. 168)

Bien qu'étant un phénomène essentiel de la vie économique, publique et privée,


l’investissement est mal connu. "La décision d’investissement n’occupe … qu’une place
très faible dans les analyses théoriques [micro et macroéconomique]" (Guerrien, 2002),
ainsi que dans les recherches empiriques. Comme le fait remarquer Jensen (1993, p. 870):
“The finance profession has concentrated on how capital investment decision should be
made, with little systematic study on how they actually are made in practice”. Les
financiers l’envisagent en effet sous un angle strictement mécanique : évaluation,
décision. Les stratèges en parlent peu. Les entreprises divulguent avec réticence leur
politique en la matière. Le terme "investissement" lui-même est rarement défini dans la
littérature. Pourtant plusieurs approches ou définitions sont possibles (voir p. 50).
A quoi sert un investissement? Selon la perspective économique dominante il sert
à augmenter la capacité productive économique de l'entreprise et sa valeur financière. La
185

perspective stratégique sur l'investissement propose une réponse plus complexe :


"investir, dans le langage de la stratégie, renvoie à des choix de trajectoires de
développement de l’entreprise (construire, s’implanter, conserver, se retirer d’un marché,
absorber, s’allier, etc.)" (Desreumaux et Romelaer, 2001, p. 61). Comme l'expriment De
Bodt et Bourquin (2001, p. 127), dans la foulée des travaux de Bower (1970) et Klammer
(1994) : "on prend conscience de l'intérêt d'investir quand on constate un écart entre ce
qui devrait être et ce qui est […]. L'investissement est une réponse. Quelle est la
question? Une ambition identifiable. Sans stratégie, sans projet connu, l'émergence de
bons projets est rendue peu probable. C'est dans l'identification des vrais problèmes que
réside l'essentiel du processus".
Les décisions d'investissement sont des décisions financières, mais elles sont
aussi, souvent, des décisions stratégiques. Comme l'exprime Hirigoyen (1997, p. 3079),
"même si elle a une dimension financière importante, la décision d'investissement est une
décision stratégique essentielle". De fait, la majorité des décisions stratégiques, parce
qu'elles se traduisent par des allocations de ressources, sont des décisions
d'investissement ou impliquent des décisions d’investissement168. Stratégie et
investissements peuvent s'influencer mutuellement: la mise en œuvre de certaines
décisions d'investir peut ouvrir de nouvelles voies qui vont influencer la stratégie. Il peut
arriver aussi qu’une orientation stratégique se développe précisément parce qu’on sait
qu’il existe une possibilité d’investissement. Une approche stratégique de l'investissement
s'impose donc, tant pour analyser a priori un projet d'investissement que pour analyser a
posteriori une décision d'investissement.
Malgré le besoin d'une approche pluridisciplinaire pour analyser, voire prescrire,
les décisions d'investissement, l'intégration des deux principaux langages du management
que sont la finance et la stratégie (Barwise, 1989; Papadakis et Barwise, 1998, Shank,
1996), n'a pas eu lieu. Le cloisonnement entre les domaines scientifiques est ici aussi la
règle et le lien entre stratégie et investissement est rarement analysé. Les chercheurs du
domaine de la stratégie s'intéressent peu à l'investissement et les chercheurs en finance
s'intéressent peu à la stratégie. A cet égard, Koenig (2001) constate que l’investissement

168
Par exemple, vingt-deux des vingt-cinq décisions stratégiques étudiées par Mintzberg, Raisinghani &
Theoret (1976) étaient des décisions d’investissement.
186

reste dans le champ de la stratégie un objet sous-problématisé et périphérique. Son


constat repose sur l'examen de vingt-trois manuels de management stratégique,
postérieurs à 1980. Le terme d'investissement figure à l'index de moins de la moitié des
ouvrages (dix); dans six cas sur dix, l'index contient une entrée, mais le nombre
d'occurrences est bas (inférieur à six) et "trois ouvrages seulement contiennent une
réflexion qu'il est possible d'imputer à la discipline" (Koenig, 2001, p. 232). Inversement,
les manuels de finance d'entreprise traitent généralement de la relation entre
investissement et stratégie en quelques lignes. Papadakis et Barwise (1998) remarquent
également que les tours d'ivoire académiques sont intactes et rapportent à ce sujet une
anecdote significative: "Our original proposal was for a book on "strategic investment
decisions" – to us, and most European researchers (eg Butler et al. 1991, Child and Lu
1996), much the same as SDs [Strategic Decisions], but excluding the small minority that
do not involve any capital investment. The publisher liked our proposal but was unable to
get it reviewed: the finance people said it was strategy (because of the s-word) while the
strategy people said it was finance (because of the i-word). Once we dropped the i-word,
all was well: "strategic decisions" clearly positions the book under the heading "strategy
process" (Papadakis et Barwise, 1998, p. 5). Le cloisonnement est aussi la norme dans la
littérature sur les investissements en efficacité énergétique : la plupart des auteurs ne
prennent en considération que les facteurs financiers pour expliquer les décisions
d'investissement dans ce domaine; les auteurs qui constatent l'influence de la relation
entre la (non-)décision d'investissement et le métier de l'entreprise n'ont pas exploré pour
autant le lien entre les dimensions stratégique et financière de la décision d'investir (voir
page 83 et ss.).
Une exception au cloisonnement entre finance et stratégie existe dans le domaine
du contrôle de gestion et dans celui des décisions d'investissement AMT (Advanced
Manufacturing Technologies), où certains chercheurs, critiquant les limites des outils
d'évaluation financiers classiques face à des investissements stratégiques dont les
bénéfices tangibles et intangibles sont difficiles à quantifier, ont prôné une approche
intégrant les dimensions financière et stratégique des investissements (Slagmulder et al.,
1995; Lefley, 1996; Putterill et al., 1996; Shank et Govindarajan, 1993; Shank, 1996;
Adler, 2000). Quelques outils d'analyse stratégique ont été proposés dans cette optique,
187

issus pour la plupart du management stratégique – gestion stratégique des coûts, analyse
de la chaîne de valeur, benchmarking, balance scorecard, SWOT, l'analyse des 5 forces
de la compétition de Porter – ou bien de la finance d'entreprise (real option analysis).
Cependant, à l'exception du benchmarking, ces outils restent très peu utilisés par les
entreprises pour compléter leur analyse financière des projets d'investissement (Alkaraan
et Northcott, 2006; Carr et Tomkins, 1996).
Les méthodes d'évaluation financière169 des projets d'investissement dominent
donc largement sur les méthodes d'évaluation stratégique. Elles sont très largement
utilisées comme l'ont montré les quelques recherches menées sur ce thème. Ainsi
l'enquête d'Alkaraan et Northcott (2006), réalisée en 2002-2003 auprès de 83 grandes
entreprises anglaises réparties en 8 secteurs d'activité dans le but d'établir un état de la
question en matière d'usage des techniques d'évaluation financière et de risque par les
entreprises, a montré des pourcentages d'utilisation très élevés. Au moment de l'enquête
respectivement 99%, 89% et 96% des entreprises utilisent les méthodes VAN, TRI et
délai de recouvrement (payback). L'étude d'Alkaraan et Northcott montre aussi que
l'usage de ces techniques est en progression et que l'emploi simultané de plusieurs
techniques d'évaluation est de plus en plus fréquent170. La méthode du délai de
recouvrement est la première ou la deuxième méthode employée. Ces résultats sont
comparables à ceux d'Abdel-Kader et Dugdale (1998). Par contre ils diffèrent de ceux de
Graham et Harvey (2001), dont l'enquête, menée auprès de 392 entreprises américaines,
met en évidence un usage globalement moins fréquent des méthodes classiques
d'évaluation financière et, parmi celles-ci, une prééminence des techniques VAN (en
usage dans 75% des entreprises interrogées) et TRI (74%) sur celle du payback (57%).
Cependant, d'après Graham et Harvey, les "petites" entreprises (chiffre d'affaire < US$
100 mio) utilisent presque autant la méthode du payback que celles de VAN/TRI.
Alkaraan et Northcott, comme Graham et Harvey, s'étonnent de la popularité de la
méthode du payback, malgré ses défauts souvent soulignés par les théoriciens de la
finance (non prise en compte des flux au-delà de la date couperet et de la nécessité

169
Pour une description de ces méthodes, voir la section "La théorie financière des choix d'investissement",
p. 42 et ss.)
170
Pour chaque projet d'investissement, 98% des répondants utilisent plus d'une et 88% des répondants plus
de deux méthodes d'évaluation.
188

d'actualiser les flux attendus). Cette popularité s'expliquerait, selon Graham et Harvey171,
par un manque de sophistication des entreprises et des décideurs et non par des
contraintes budgétaires.
Plusieurs recherches mettent en évidence l'influence de la culture nationale et de
la culture d'entreprise sur l'emploi et le rôle des techniques d'évaluation financière. En
matière de décisions d'investissement par exemple, les entreprises anglo-saxonnes
semblent plus "financially oriented" que les entreprises allemandes ou japonaises qui
sont, elles, plus "strategically oriented". Dans le premier cas l'objectif déclaré de
l'investissement est d'abord la rentabilité, dans l'autre c'est un objectif stratégique, tel
l'accroissement de la part de marché. Par exemple Carr et Tomkins (1996) montrent que
les entreprises allemandes utilisent moins fréquemment les techniques d'évaluation
financières que leurs homologues britanniques du même secteur d'activité. Elles ont par
ailleurs des exigences différentes : le seuil couperet pour le payback est en moyenne de 5
ans pour les entreprises allemandes et de 3,3 ans pour les entreprises britanniques, bien
que ces différences divergent selon la structure de propriété de l'entreprise (les entreprises
anglaises non cotées en bourse ont des exigences de payback plus longues que les
entreprises cotées).
Les techniques d'évaluation financières sont-elles appliquées de manière identique
à tous les investissements, qu'ils soient stratégiques ou non stratégiques? Alkaraan et
Northcott (2006) répondent par l'affirmative à cette question. Par contre Carr et Tomkins
(1996) notent un usage moins fréquent des techniques d'actualisation des flux pour les
investissements stratégiques que pour les investissements non stratégiques dans les
entreprises de leur échantillon172. Notons que ce résultat est conforme aux conclusions de
Dean et Sharfman (1993, 1996) qui ont montré que plus la décision à prendre est perçue
comme stratégique, moins le niveau de rationalité procédurale173 du processus
décisionnel est élevé (voir p. 192 et ss.). Bien que ne faisant pas la distinction entre

171
Qui ont comparé l'usage des méthodes d'évaluation avec certaines caractéristiques des entreprises (taille
et endettement) et des CEO (âge, formation, durée dans la fonction).
172
Les résultats de ces deux recherches sont cependant difficilement comparables: grandes entreprises de 8
secteurs d'activité interrogées principalement par courrier pour Alkaraan et Northcott, entreprises d'un seul
secteur et incluant des petites entreprises, interrogées dans des interviews pour Carr et Tomkins.
173
Définie d'après Dean et Sharfman, (1993 et 1996) comme l'importance donnée par les décideurs aux
activités de collecte et d'analyse de l'information et à la manière dont ils se fient à cette information dans le
processus décisionnel.
189

investissements stratégiques et non stratégiques, Graham et Harvey (2001) s'étonnent de


leur côté de ce que près de 60% des répondants appliquent le même taux d'actualisation
("company-wide discount rate") à tous les projets d'investissement sans distinction de leur
niveau particulier de risque, une pratique également remarquée par Hirigoyen (1997).
L'influence réelle des techniques d'évaluation financière est cependant moins
élevée que leur emploi très répandu ne le laisserait penser et elles semblent même ne
jouer parfois qu’un rôle secondaire dans les choix. En effet, plusieurs études empiriques
(Bower, 1970 ; Hall, 1973 ; Butler et al., 1993 ; Carr et al., 1994) montrent qu'elles
interviennent assez tardivement dans la décision d’investissement et plutôt à titre de
contrôle ex ante lors d’une phase de ratification. Le même constat est fait par Mintzberg,
Raisinghani et Theoret (1976) et par Pezet (2002). Certaines enquêtes de terrain indiquent
que l’utilisation de ces techniques a été partiellement détournée de leur vocation
première, en répondant à d’autres objectifs qu’une aide à la décision. Segelod (1997) a
mis en évidence le rôle symbolique de ces procédures, rituels servant à justifier des
décisions déjà prises. Dans une enquête portant sur les processus d’investissement
stratégique de cinquante banques et grandes entreprises belges, Van Cauwenbergh et al.
(1996) ont montré que les procédures d’évaluation servent d’outils de décision, mais
aussi d’outils de communication. Ils ont montré en outre que les sociétés qui ont le plus
d’aisance financière recourent moins aux procédures formelles d’évaluation. Jensen
(1993) indique que le principe d'adoption de tout investissement dont la VAN est positive
prôné par la théorie financière est loin d’être suivi universellement par les décideurs. Carr
et al. (1994), Carr et Tomkins (1996) et Van Cauwenbergh et al. (1996) ont mis en
évidence le peu d'impact réel des analyses formelles - financières ou de risque – sur les
décisions stratégiques d'investissement. Alkaraan et Northcott (2006) notent que les
entreprises semblent chercher un équilibre entre critères stratégiques "qualitatifs" et
critères financiers dans l'évaluation des projets d'investissement. Enfin, plusieurs
recherches mettent en évidence le rôle décisif joué par l'intuition et le jugement en
matière d'investissement stratégique (Alkaraan et Northcott, 2006; Carr et Tomkins,
1996; Mintzberg et al., 1976; Van Cauwenbergh et al., 1996), rôle souligné par les
répondants eux-mêmes, comme le montre la citation en exergue à cette section.
190

Plusieurs recherches empiriques ont établi l'importance des facteurs stratégiques


dans la prise de décision et du lien entre décisions d'investissement et objectifs ou
considérations stratégiques de l'entreprise (Alkaraan et Northcott, 2007, 2006; Burcher et
Lee, 2000; Butler, 1991; Carter, 1971; Carr et Tomkins, 1996; De Bodt et Bouquin, 2001;
Maritan, 2001; Putterill, Maguire, Sohal, 1996; Segelod, 1995; Van Cauwenbergh et al.,
1996). Dans son étude sur les investissements stratégiques d'une grande entreprise
américaine du secteur du papier/pâte à papier, Maritan (2001) rapporte que, dans
l'entreprise étudiée, les propositions d'investissements doivent préciser les conséquences
de l'investissement en termes de capacité, produits et marchés et doivent inclure une
section décrivant le lien entre l'investissement proposé et la stratégie de la division
concernée. Cette procédure correspond aux pratiques des 29 grands groupes suédois
étudiés par Segelod (1995) qui a constaté, en comparant les manuels de procédure, que le
lien de l'investissement avec la stratégie est l'un des quatre critères décisionnels pour tous
les managers de niveau groupe (avec la rentabilité, l'impact sur le financement et la
coordination). Ayant comparé les processus de décision d'investissement stratégique dans
trois grandes entreprises anglaises, Butler et al. (1991, p. 402) notent que "… product
quality, fit with business strategy and improving the competitive position of the firm were
the most important factors considered by all informants in all three companies". Menée
dans le cadre d'un projet international de recherche sur les décisions d'investissement
dans l'industrie manufacturière, l'enquête de Burcher et Lee (2000), dans la continuité des
résultats de Putterill et al. (1996) a montré que l'obtention d'un avantage compétitif est la
première motivation, stratégique, d'un investissement AMT, devant les bénéfices
financiers attendus. Dans leur synthèse des recherches menées sur les procédures
formelles de décision, De Bodt et Bouquin (2001) remarquent aussi que la préoccupation
de la compétitivité est celle qui prend le dessus dans des situations d'incertitude (qui sont
caractéristiques, rappelons-le, des décisions hautement stratégiques) et que le critère de
rentabilité joue un rôle souvent non déterminant dans les décisions d'investissement; leur
propre recherche, réalisée auprès de 44 entreprises françaises, confirme les résultats des
quelques travaux antérieurs: une forte majorité d'entreprises a en effet souscrit aux
affirmations suivantes: "on trouve toujours de l'argent pour financer un bon projet" (33
entreprises sur 44); "il ne suffit pas qu'un projet soit rentable pour qu'il soit réalisé" (37
191

entreprises sur 44); "un projet doit permettre avant tout la réalisation des objectifs
stratégiques de l'entreprise" (40 entreprises sur 44). Ayant repris le questionnaire de De
Bodt et Bouquin (repris lui-même de la recherche de Van Cauwenbergh et al., 1996) pour
le volet financier de ma recherche empirique174, j'ai obtenu des résultats très proches,
puisque respectivement 11, 15 et 16 entreprises sur 17 ont souscrit aux mêmes
affirmations. De même 93% des répondants de l'enquête d'Alkaraan et Northcott (2006)
considèrent comme "importante" ou "très importante" la concordance de l'investissement
considéré avec la stratégie de leur entreprise. Les recherches de Carr et Tomkins (1996)
montrent que les investissements sont analysés par les entreprises en fonction de
considérations stratégiques plutôt que selon leur rentabilité particulière (mais la culture
nationale joue un rôle à cet égard; Carr, 1997; Carr et Tomkins, 1998). La dimension
stratégique des investissements apparaît donc comme un critère décisionnel important,
voire plus important que le critère de rentabilité.
Dans l'ensemble, cette analyse de l'influence respective des critères financiers et
stratégiques sur les décisions d'investissement indique que la dimension stratégique des
projets joue un rôle important, voire prioritaire, pour leur acceptation. Les
investissements stratégiques sont donc mieux placés pour gagner la compétition entre
projets au sein des organisations (théorisée par Langley et al., 1995, voir p. 147).
Malheureusement, trop peu d'attention a été consacrée par la recherche à une approche
comparative des procédures d'évaluation pour les projets d'investissement stratégiques et
non stratégiques, qui mettrait peut-être en évidence d'éventuelles différences de
traitement. Il serait certainement intéressant d'explorer cette piste de recherche. La
question qui se pose en particulier est celle de savoir si la méthode du pay-back est
utilisée plus volontiers par les entreprises pour des investissements considérés comme
non stratégiques, tandis que les méthodes actualisant les flux, qui prennent en compte un
terme de calcul plus long, s'appliqueraient à des investissements stratégiques. Dans le cas
des investissements en efficacité énergétique, la méthode du pay-back est de loin celle
qui est le plus généralement employée.

174
Réalisée entre juin 2006 et juin 2007, qui sera décrite en détails dans la troisième partie de la thèse (voir
p. 237 ss.),
192

Reste ouverte une question importante : qu'est-ce qui fait qu'un investissement est
stratégique ou non stratégique? Les deux prochaines sections analyseront les réponses
apportées par la littérature sur la décision dans les organisations. Elles proposeront des
réponses en cas de silence de la littérature.

2.3.2 Décision stratégique et stratégie

"Based on the existing literature, we know very little about the relationship between an
organization's strategy and the strategic decisions that are made by the organization's managers to
either "determine" a strategy, or "allow" a particular strategy to arise. "
Maritan et Schendel (1997, p. 261)

On peut classer les décisions d'investissement en fonction de trois critères.


Premièrement, selon leur objet ou contenu "substantiel". On peut citer comme exemples
de cette catégorisation les investissements de remplacement (destinés à entretenir ou
rénover les équipements existants), les investissements d’accroissement des capacités de
production, de pénétration de nouveaux marchés, de développement de nouveaux
produits, de mise en conformité réglementaire, les investissements de rupture; les
investissements en qualité/sécurité, en marketing, R&D, ressources humaines; en
ressources matérielles ou immatérielles, etc. En deuxième lieu, on peut classer les
investissements selon leurs caractéristiques analytiques (Dutton et al., 1989). Les
investissements peuvent ainsi contenir plus ou moins d'incertitude, être réversibles ou
irréversibles, décomposables ou non décomposables. Ils peuvent comporter ou non des
possibilités d’expérimentation et de développement de savoir, au cours de leur conception
ou de leur mise en œuvre. Ils peuvent, ou non, concerner des domaines où les problèmes,
les opportunités et les solutions sont formalisés (structurés, selon la formule de Simon,
voir p. 180). Ils peuvent impliquer des solutions internes ou externes, des solutions
existantes ou à imaginer. On inclut aussi dans les caractéristiques analytiques l'impact
potentiel des investissements considérés (en termes de survie de l'entreprise par exemple),
ou l'ampleur de changement qu'ils risquent d'induire dans l'organisation. Enfin, en
193

troisième lieu, on peut classer les décisions d'investissements selon leur nature stratégique
ou non stratégique.
La recherche sur la prise de décision stratégique, généralement qualifiée de
"courant processuel" ("strategy process", par opposition à l'autre grand courant de
recherche en stratégie, celui du "strategy content"), a mis en évidence la relation qui
existe généralement entre la nature stratégique d'un projet d'investissement et les
caractéristiques de la décision correspondante : celle-ci contiendra un niveau élevé
d'incertitude, sera complexe, non structurée, avec un impact potentiel élevé, et on ne
pourra lui appliquer de solutions existantes. La recherche sur la prise de décision
stratégique a montré ensuite les conséquences qu'entraînent ces caractéristiques sur le
processus décisionnel : celui-ci sera compliqué et politisé (Bower, 1970; Butler et al.,
1991; Donaldson et Lorsch, 1983; Hickson et al., 1986 ; Hu et Heard, 1995 ; Johnson,
1989; Marsh et al. 1988, Mintzberg, Raisinghani et Theoret, 1976) avec un niveau de
rationalité procédurale175 moins élevé (Dean et Sharfman, 1993) et des situations
fréquentes de quasi-décision (Hickson, Butler, Cray, Mallory et Wilson, 1986; voir p.
180 et ss.).
Mais la recherche sur la prise de décision stratégique ne s'est pas intéressée à la
relation entre le contenu substantiel d'un investissement et sa nature stratégique. Quel est
l'objet de la décision stratégique, du projet d'investissement envisagé ? Cette question
n'est presque jamais posée par la recherche en strategy process : le contenu, l'objet, de la
décision est considéré comme "donné", comme extérieur au périmètre d'investigation
(Maritan et Schendel, 1997).
Or envisager séparément processus et contenu est une erreur176, car le contenu de
la décision détermine sa nature plus ou moins stratégique. C'est ce qu'a montré en
particulier Catherine Maritan (2001), dont la recherche est la seule qui cherche à faire une
synthèse entre les approches "processus" et "contenu" des décisions stratégiques. Pour ce
faire, Maritan utilise le cadre théorique de la RBV (Resource Based View), d'après lequel

175
Définie d'après Dean et Sharfman, (1993) comme l'importance donnée par les décideurs aux activités de
collecte et d'analyse de l'information et à la manière dont ils se fient à cette 'information dans le processus
décisionnel.
176
"But, how can we really understand the process of making strategic decisions without explicitly
considering the strategy content of the decisions and how it links to outcome? To see the decision process
and content as separable is wrong" (Maritan et Schendel, 1997, p. 262).
194

une décision d'investissement est un flux de ressources et le résultat cumulé de ce flux un


stock de ressources (Dierickx et Cool, 1989); un réinvestissement est nécessaire au fil du
temps pour maintenir ce stock. La RBV analyse les ressources – ou les combinaisons de
ressources – sous l'angle de leur contribution à l'avantage concurrentiel. Pour la RBV,
une ressource ne permet le développement d'un avantage concurrentiel à long terme que
sous certaines conditions de spécificité (elle n'appartient qu'à une entreprise en
particulier) et de non-transférabilité (elle est difficile à copier). Ces conditions ne sont
généralement pas remplies au niveau d'une ressource isolée, mais au niveau d'une
combinaison de ressources qui constituera dès lors une capacité organisationnelle.
Qualité, flexibilité ou cost efficiency sont des exemples de capacités manufacturières au
sens de la RBV. En suivant cette logique, Maritan distingue trois grandes catégories
d'investissements selon leur contenu: les investissements destinés à maintenir le stock de
capacités existantes, à accroître le stock de capacités existantes, à construire une nouvelle
capacité. Ces investissements sont qualifiés respectivement de "maintain", "add" et
"new". Les investissements des trois catégories sont de nature stratégique, selon le cadre
théorique de la RBV, mais ils n'ont pas de la même importance stratégique car les
investissements de type "new" constituent un saut qualitatif du stock de capacités alors
que les deux autres catégories n'ont qu'une dimension quantitative. La nature plus ou
moins stratégique du projet d’investissement exerce une influence décisive sur le
processus décisionnel. Pour mettre en évidence cette influence, Maritan (2001) a étudié
29 projets d'investissement réalisés par une grande entreprise du secteur pulpe à papier,
qui se répartissent de façon assez équilibrée entre les trois catégories identifiées (8
"maintain", 8 "add" et 13 "new"). Les résultats de la recherche démontrent l'influence du
contenu de la décision sur le processus décisionnel à quatre niveaux. Premièrement le
contenu de l'investissement influence le niveau hiérarchique auquel est traité le projet
dans l'entreprise; la totalité des investissements "maintain" ont été initiés par des
managers spécialisés de niveau opérationnel, tandis que la presque totalité des
investissements de type "new" (12 sur 13) ont été initiés soit au niveau des hauts
dirigeants de la division, soit au niveau du siège. Les investissements de type "add" ont
été répartis équitablement entre les niveaux opérationnels et senior management de
niveau divisionnel ou siège. Deuxièmement, le contenu de l'investissement influence le
195

niveau hiérarchique de son "champion": tous les investissements étudiés ont été soutenus
par un champion mais, pour les investissements de type "new", celui-ci était au minimum
de niveau senior management, contrairement aux autres catégories. Troisièmement, le
contenu de l'investissement influence le mode d'approbation du projet : bien que chaque
projet ait été approuvé de façon formelle, l'approbation effective était informelle –
généralement verbale – et venait du plus haut niveau de direction (on retrouve ici le
concept de quasi-décision) pour les investissements de type "new"; plus l'investissement
est nouveau (et donc incertain), plus l'approbation effective a lieu rapidement, parfois dès
la phase de démarrage; le stade auquel les projets d'investissement sont effectivement
approuvés par l'entreprise étudiée est inversement lié à sa nouveauté et à son incertitude.
Quatrièmement, le contenu du projet d'investissement influence le niveau de rationalité
procédurale : plus le projet est nouveau, moins le processus décisionnel contient de
rationalité procédurale et plus il est politisé. Ces conclusions confirment les résultats des
recherches antérieures sur l'influence exercée par les caractéristiques de la décision elle-
même sur le processus décisionnel (voir p. 180) et par l'importance du contenu de la
décision (voir plus haut Dutton et al., 1989).
La contribution précieuse de Maritan (2001) est d'établir d’abord la relation entre
l’objet - le contenu - d’un projet d’investissement et son caractère plus ou moins
stratégique et, ensuite, d’analyser l’influence de ce caractère stratégique sur le processus
décisionnel.
Cette recherche de Maritan constitue une exception. Dans l’ensemble, parce qu'il
n'explore pas la relation entre contenu substantiel et nature stratégique, le courant
processuel de la recherche en stratégie est réduit à proposer des définitions assez vagues
et peu opérationnelles de la décision stratégique, souvent axées sur l'idée de son
"importance". Ainsi, il s'agit de décisions "importantes en termes des actions prises, des
ressources engagées ou des précédents établis"177 (Mintzberg, Raisinghani et Theoret,
1976); de décisions d’une importance vitale pour l’entreprise178 car elles peuvent affecter

177
"…strategic simply means important, in terms of the actions taken, the resources committed, or the
precedents set." (Mintzberg, Raisinghani et Theoret, 1976, p. 246).
178
"Strategic decisions … are defined as intentional choices or programmed responses about issues that
materially affect the survival prospects, wellbeing and nature of the organization", (Schoemacher, 1993, p.
107). "Decisions to invest large sums of capital in new production factories or in renewing manufacturing
facilities are of vital importance in the development of all industrial firms", Hu et Heard, 1995, p.395.
196

ses chances de survie (Butler, 1991; Hu et Heard, 1995; Schoemacher, 1993) ainsi que le
bien-être et la nature de l’organisation (Schoemacher, idem); de décisions qui ont un effet
significatif sur l'organisation dans son ensemble (Carr & Tomkins, 1996), de décisions
revêtant un potentiel significatif pour améliorer la performance de l’entreprise179 (Butler
et al. 1991; Carr et Tomkins, 1996; Van Cauwenbergh et al., 1996). Cossette relève
l'ambiguïté du terme, en faisant remarquer que, en fin de compte, l'adjectif "stratégique"
semble tout simplement signifier le plus souvent "important" ou non secondaire (2004, p.
89). Telle est finalement aussi la position de Mintzberg, qui qualifie de "stratégiques" des
décisions "significatives" ou "importantes" (1978), sans plus faire référence,
contrairement à sa définition de 1976 à des "actions prises, des ressources engagées ou
des précédents établis". Quand elles ne sont pas basées sur l'idée de l'importance de la
décision pour l'organisation, les définitions du courant processuel sont assez vagues en
indiquant qu'il s'agit de décisions sur les buts, domaines, technologies et structure d’une
entreprise (Child, 1972, cité par Hitt and Tyler, 1991, p. 331) ou de décisions qui portent
sur le développement de l'entreprise, par l'intermédiaire des "triplets produits-marchés-
technologies" (Desreumaux et Romelaer, 2001). Koenig considère, quant à lui, que c’est
le degré d’incertitude qui fonde la distinction entre décision stratégique et décision
tactique. Plus l’incertitude s’accroît et plus on entre dans le domaine de la décision
stratégique qui est "une décision d’allocations de ressources prise en situation
d’incertitude, … caractérisée par le fait qu’elle ne présente plus une corrélation répétée et
répétable entre les effets requis pour atteindre l’objectif et les moyens à mobiliser"
(Koenig, 2001, p. 43). Pour Koenig, c’est donc la répétition qui différencie la décision
tactique, s’appliquant à des situations répétitives relativement balisées et sujettes à de
simples perturbations (aléas), et la décision stratégique. Johnson (1989) est le seul auteur
dont la définition prenne en compte le contenu de la décision180, en cohérence avec le
concept de stratégie lui-même181 (que je discuterai plus loin dans ce chapitre), en

179
"Investments were considered strategic if they had a significant potential for improving corporate
performance. As such, a strategic investment is important in terms of actions taken and/or resources
allocated" (Van Cauwenbergh et al., 1996, p. 169).
180
Ce qui n'est pas étonnant puisqu'il est actif dans les deux domaines, "content" et "process", du
management stratégique, contrairement à la grande majorité des chercheurs.
181
"La stratégie est l'orientation des activités d'une organisation à long terme. Elle consiste à obtenir un
avantage concurrentiel grâce à la reconfiguration des ressources de l'organisation dans un environnement
197

indiquant qu'une décision stratégique se rapportera "vraisemblablement à certains des


aspects suivants" (Johnson, 1989, p. 4) [souligné par moi] : direction de l'organisation sur
le long terme; domaines d'activité (quels produits/services sur quels marchés dans quels
espaces géographiques); équilibre (matching) entre les activités de l'organisation et son
environnement; équilibre entre les activités de l'organisation et ses capacités en termes de
ressources; implications majeures sur les ressources de l'organisation; les buts et les
objectifs mais aussi et surtout les attentes et les valeurs des parties prenantes. Dans
l'ensemble, on peut considérer que les définitions qui sont données par les chercheurs du
courant processuel sont insuffisantes pour analyser la nature stratégique des décisions.
Le cadre d'analyse du courant du strategy process décrit en outre de façon très
imparfaite les pratiques des décideurs. C'est ce qu'ont montré Dutton, Walton et
Abrahamson (1989) en comparant, d'une part, les dimensions des questions stratégiques
dont les chercheurs supposent qu'elles sont utilisées par les décideurs pour reconnaître,
différencier et classer les questions stratégiques et, d'autre part, celles que les décideurs
emploient effectivement dans la réalité. Leur analyse de la littérature académique montre
que les caractéristiques analytiques des décisions stratégiques (72% des dimensions citées
dans les articles académiques étudiés) dominent largement les dimensions liées au
contenu (13% des dimensions citées). Deux autres catégories, celle de l'action liée à la
question décisionnelle (concept qui fait référence aux dimensions de faisabilité,
contrôlabilité, et impact en termes de bénéfices ou pertes attendus) et celle de la source de
la question décisionnelle (interne/externe, pouvoir), correspondent respectivement à 9%
et 6% des dimensions citées. Au terme de leur revue de littérature, Dutton et al.
remarquent que la logique qui conduit à considérer certaines dimensions des décisions
stratégiques comme étant plus importantes que d'autres pour retenir l'attention des
décideurs n'y est pas explicitée. Par ailleurs, les dimensions supposées importantes sont le
plus souvent déduites d'hypothèses qui n'ont pas été validées empiriquement. La
recherche empirique menée par Dutton et al. (auprès des décideurs du Port Authority of
New York and New Jersey) pour comparer les dimensions citées dans la littérature aux
dimensions effectivement associées aux questions stratégiques par les décideurs a mis en

changeant, afin de répondre aux besoins du marché et aux attentes des différentes parties prenantes
(propriétaires, employés, financeurs, etc.)" Johnson et Scholes (2000, p. 27).
198

évidence plusieurs dimensions qui sont considérées comme plus importantes par les
décideurs interrogés que par les chercheurs. Ces dimensions sont les suivantes:
premièrement, l'impact potentiel de la question stratégique sur l'organisation et sur ses
membres; deuxièmement, le contenu de la décision : les dimensions liées au contenu sont
citées presque aussi souvent par les personnes interviewées (43%) que les dimensions
liées aux caractéristiques analytiques (45%); troisièmement, la relation entre la question
stratégique examinée et le métier de l'entreprise : mission et rôle (43 citations sur les 225
citations de dimensions liées au contenu), ressources (31 sur 225), métiers (19 sur 225),
au total environ 40% des dimensions citées peuvent être classées dans des catégories liées
au métier de l'entreprise; quatrièmement, la contrôlabilité des questions stratégiques,
définie comme la possibilité d'une action effective pour les résoudre182 (Dutton et al.,
1989, p. 389). Finalement, la recherche de Dutton et al. met en évidence un critère qui
n'existe pratiquement pas dans la littérature académique (il n'est mentionné que dans 2
des 30 articles analysés), celui du lien entre questions stratégiques. Ce lien influence
significativement le fait qu'un sujet retienne ou non l'attention de l'organisation. En effet,
au plan cognitif, les managers regroupent les questions qui sont liées par des liens de
causalité 183 et ils appréhendent favorablement les questions qui leur permettent de régler
de façon simultanée différents problèmes (conformément, nous disent Dutton et al., 1989,
aux résultats d'un des grands théoriciens du changement, Kotter, 1982). Ce résultat
confirme le cadre théorique développé par Langley et al. (1995) sur l'importance des
relations entre courants de questions (issue streams) pour expliquer les décisions
organisationnelles (voir p. 147 et ss.). Remarquons, en liaison avec la section précédente
(consacrée à l'importance respective des critères stratégiques et financiers dans les prises
de décisions organisationnelles) que les critères financiers sont inclus dans la dimension
"ressource", qui n'est que l'une des 52 dimensions utilisées par les décideurs pour classer
les questions stratégiques, ce qui vient confirmer l'importance relative de la dimension
financière dans les décisions. Dans l'ensemble, la recherche de Dutton et al. met en
évidence le décalage entre les analyses théoriques (primauté de l'influence des
caractéristiques des questions décisionnelles dans les sélections des décideurs) et les

182
"…controllability of an issue in terms of whether effective action could be taken to resolve it" (Dutton et
al., 1989, p. 389).
183
"Issues that are causally connected are cognitively bundled together" (Dutton et al. 1989, p. 392)
199

pratiques (primauté de l'influence du contenu substantiel des questions stratégiques, en


particulier de leur lien avec le métier). Dutton et al. constatent aussi que les catégories
définies par la littérature en matière de contenu des questions stratégiques sont trop
générales et trop limitées en nombre pour être utiles. Près de vingt ans plus tard, ces
conclusions sont encore largement valables.
Si la recherche sur la prise de décision stratégique ne fournit pas de définition
satisfaisante de la décision stratégique, quelle définition adopter ? Il me semble qu'on
peut envisager deux manières de répondre à cette question pour aboutir à une définition
de la décision stratégique, qui comble les lacunes de la recherche processuelle sur la
décision stratégique en offrant un cadre conceptuel permettant d'analyser les pratiques
des entreprises en matière d'investissement. La première consiste à étudier la conformité
d'une décision à la stratégie de l'organisation. La deuxième consiste à évaluer la
contribution de cette décision (ou plutôt de ses effets) à la position stratégique de
l'organisation. Examinons plus en détails ces deux approches.
Pour évaluer le caractère stratégique d'une décision, on peut tout d'abord analyser
en quoi son objet est conforme à la stratégie de l'organisation. Ainsi, si une entreprise a
défini une stratégie globale de domination de la concurrence par les coûts, alors toute
décision qui permet de réduire les coûts a un caractère stratégique, même si elle est prise
au niveau fonctionnel ou opérationnel. Cependant la stratégie n'est pas toujours – voire
pas souvent - identifiable, soit parce qu'elle n'est pas communiquée, soit parce qu'elle
n'existe pas, comme le soutient Mintzberg dès 1978. Selon Mintzberg, la perspective
classique, qui définit la stratégie comme un ensemble conscient et explicite d'objectifs et
de directives conditionnant les décisions qui seront prises dans le futur184, est incomplète
et en décalage avec la réalité. Les organisations traversent des périodes de continuité et de
changement durant lesquelles leur stratégie se modifie et se recompose sous l'effet de
trois forces - l'environnement, le leadership et la bureaucratie. Par conséquent, trois types
de stratégies existent selon la terminologie de Mintzberg (1978) : les stratégies conçues et
effectivement réalisées sont qualifiées de "stratégies délibérées"; les stratégies conçues
mais qui ne sont pas mises en œuvre sont les "stratégies non réalisées"; enfin les

184
Qui s'exprime dans cette appréciation de Butler et al. (1991, p. 402): "Our, admittedly limited, sample of
British management gives optimistic support for the notion that implementation of competitive strategies
(Porter, 1985) is filtering through to investment decisions".
200

"stratégies émergentes" n'ont pas été "pré-conçues" et émergent peu à peu, au fil des
décisions prises. Les stratégies délibérées précèdent et guident les décisions futures qui
seront prises en leur nom. Mais même les stratégies délibérées s'adaptent et se modifient
au fur et à mesure des résultats des décisions prises et des évolutions de l'environnement.
En suivant cette logique processuelle, Mintzberg définit la stratégie comme "a pattern in
a stream of decisions" (Mintzberg, 1978, p. 935). Selon cette ligne de raisonnement, il est
donc difficile de définir le caractère stratégique d'une décision en analysant sa relation ou
sa conformité à une stratégie existante.
L'autre manière d'évaluer le caractère stratégique d'une décision consiste,
contrairement à l'approche du courant processuel de la stratégie, à examiner le contenu de
la décision et à analyser en quoi il permet de renforcer la position stratégique de
l'organisation. Pour mener cette analyse, il faut puiser dans les concepts de l'autre grand
courant de recherche en stratégie, la recherche en "strategy content". Le courant "strategy
content" s'attache en effet, dans un esprit généralement plus normatif que descriptif, à
définir le concept de stratégie et à lui donner un contenu en termes d'actions ou de
décisions stratégiques. Le courant du "strategy content" n'est pas non plus uniforme. Dans
leur livre "Strategy Safari", écrit dans le même esprit que les "Images de l'organisation"
(Morgan, 1997), Mintzberg, Ahlstrand et Lampel (1998) montrent que le concept de
stratégie peut être envisagé sous différents angles en fonction de différentes écoles. Dans
leur article "The Field of Strategy: In Search of a Walking Stick", Hafsi et Thomas (2005)
font le constat critique de la diversité de définitions : "apparently, we are not even sure if
we agree on the same definition of strategy. There is no lack of available definitions.
Anyone with any claim to recognition in "the field" has provided one …Yet all these
definitions remain so vague and so general that they provide little help. Most of the
definitions are either descriptive of the strategy-making process or tautological in nature,
saying basically that strategy is the set of decisions that makes an organization
successful, or strategy is what top managers do. Such a lack of clarity in the basic
concept makes the search for meaningful research findings and hence theory construction
difficult." (Hafsi et Thomas, 2005, p. 507). Ce constat fait écho au commentaire ironique
de Bower (1997, p. 27) : "Because we draw upon everyday English in order to describe
phenomena, we tend to re-invent language when we identify new things rather than adapt
201

the old. This is particularly a problem with those among us, who adopt a rather divine
posture and say "I call this red" whether or not people have been calling it red for years
of whether in fact they have been calling it crimson. … The result of such promiscuous
use of language is fashion rather than science in labeling and limited cumulation in our
work". De fait, de nombreuses définitions existent de la stratégie, dont voici deux
exemples, d'auteurs français reconnus : la stratégie est "l'ensemble des décisions
concernant le choix des moyens et des actions relatives à l'articulation des ressources en
vue d'atteindre un objectif" (Thiétart et Xuereb, 2005, p. 25) ou "l'art d'engager
durablement l'entreprise dans une voie lui permettant, sur la longue période, de tirer
avantage des règles du jeu de l'environnement et de leur évolution" (Gervais, 2003, p.
33). Ces définitions apparaissent comme trop vagues pour qu'on puisse en déduire les
règles d'identification de décisions stratégiques. Comme l'analysent Hafsi et Thomas
(2005), différentes approches du concept de stratégie peuvent être distinguées : la
stratégie peut être envisagée comme l'expression d'un leader ou d'une communauté,
comme un guide dans des temps incertains, comme une relation à l'environnement, et
enfin comme la construction d'un avantage concurrentiel. En ce dernier sens, la stratégie
consiste donc à créer un avantage concurrentiel durable. Bower (idem, p. 28) relève aussi
l'ambiguïté du concept de stratégie185 mais il fait remarquer que le terme s'entend souvent
dans le sens de la stratégie compétitive d'une unité d'affaires, au sens qui a été donné à
cette formule par Michael Porter : "strategy is about being different … to deliver a unique
mix of value. … [it] is the creation of a unique and valuable position" (Porter, 1996, p. 64
et 68).
La définition de la stratégie comme la recherche d'un avantage concurrentiel est la
définition la plus utile, tant pour formuler des objectifs stratégiques que pour analyser les
décisions prises. De fait les chercheurs du courant "strategy content" s'accordent, dans
l'ensemble, sur les éléments de définition principaux suivants, qui sont déduits des
principes de la stratégie compétitive de Porter (1980; 1985) : la stratégie est l'orientation
des activités d'une organisation à long terme. Elle consiste à définir la direction d'une
organisation, en en spécifiant les activités et les buts à long terme, dans un équilibre entre

185
"What do we mean by strategy? It is used in all sorts of fashions, as a description of the emergent pattern
of activities of a business unit or a corporation; as a rallying cry as in Canon's "Beat Leica"… " (Bower,
1997, p. 28).
202

ressources internes et facteurs externes, de façon à construire un avantage concurrentiel


durable186.
L'avantage concurrentiel est une autre de ces notions qui a fait couler beaucoup
d'encre. Un élément clé de l'avantage concurrentiel, sur lequel tout le monde s'accorde,
est qu'il est le résultat d'une recherche d'équilibre entre la dimension interne, celle de
l'organisation elle-même (avec ses ressources, leurs forces et leurs faiblesses) et la
dimension externe, celle de l'environnement (dont les évolutions créent des menaces et
opportunités). Dans cette recherche d'équilibre, certains courants de recherches accordent
la primauté à la dimension interne (Resource Based View, RBV), et d'autres à la
dimension externe (en particulier le courant de l'économie industrielle) comme base de
l'avantage concurrentiel.
Selon Michael Porter, qui est à l'origine du concept (1980, 1985), l'avantage
concurrentiel187 est le rapport entre la valeur de l'offre qu'une firme propose à ses clients
et les coûts supportés par cette firme pour créer cette valeur. La valeur est ce que les
clients sont disposés à payer. Il s'agit donc d'une valeur perçue. Plus la valeur est [perçue
comme] élevée, plus le prix de vente fixé par l'entreprise pourra être élevé. "Une valeur
supérieure s'obtient en pratiquant des prix inférieurs à ceux de ses concurrents pour des
avantages équivalents ou en fournissant des avantages uniques qui font plus que
compenser un prix plus élevé" (Porter, 1996a, p. 13). Autrement dit, une entreprise doit
offrir plus que ses concurrents pour un prix équivalent, ou offrir autant pour un prix
inférieur. Il existe donc deux types fondamentaux d'avantage concurrentiel : la
domination par les coûts et la différenciation. Plus que le coût, la différenciation188 est
l'élément clé d'un avantage concurrentiel durable, l'essence de la stratégie concurrentielle:
en effet, c'est en se différenciant de la concurrence – soit en exerçant des activités
différentes de celles des concurrents, soit en exerçant différemment les mêmes activités –
et en faisant de façon cohérente ses choix d'allocations de ressources en fonction du

186
On peut adopter comme définition formelle celle de Johnson et Scholes (2000, p. 27): "La stratégie est
l'orientation des activités d'une organisation à long terme. Elle consiste à obtenir un avantage concurrentiel
grâce à la reconfiguration des ressources de l'organisation dans un environnement changeant, afin de
répondre aux besoins du marché et aux attentes des différentes parties prenantes (propriétaires, employés,
financeurs, etc.).
187
Appelé aussi "avantage stratégique" par Johnson et Scholes (2000, p. 31).
188
"A company can outperform rivals only if it can establish a difference that it can preserve." (Porter,
1996b, p. 62)
203

positionnement qu'elle a défini, que l'entreprise créera cet avantage concurrentiel qui lui
permettra de surpasser ses concurrents et de survivre dans le long terme (grâce au
"surprix" qu'elle pourra percevoir de ses clients). Lorsqu'une firme parvient à cumuler les
deux stratégies – assurer une domination par les coûts et, en même temps, se différencier
des concurrents – les rendements sont d'autant plus importants que les avantages
s'additionnent (Porter, 1996a, p. 32). Cette situation se rencontre notamment en cas
d'innovation majeure.
Deux grandes approches théoriques ont défini les moyens de construire cette
valeur au moindre coût : la première est axée sur le choix des activités, "unités de base de
l'avantage concurrentiel189" (Porter, 1996b, p. 62), l'autre sur le développement de
ressources stratégiques. Ces deux grandes approches seront brièvement décrites dans les
pages qui suivent.
"Toute firme peut se concevoir comme un ensemble d'activités destinées à
concevoir, fabriquer, commercialiser, distribuer et soutenir un produit" (Porter, 1996a, p.
52). La définition des activités "conditionne le positionnement, non seulement par rapport
au marché mais aussi et surtout par rapport aux concurrents" (Ramanantsoa, 1997, p.
3034). Pour se différencier, une entreprise doit choisir un ensemble d'activités qui lui
permette de fournir à ses clients "a unique mix of value" (Porter, 1996b, p. 64).
L'avantage concurrentiel provient de la cohérence ("fit") et de la complémentarité entre
activités qui doivent constituer, conformément à la démarche stratégique "un système
complet et non pas une collection d'éléments"190 Les activités qui doivent être choisies,
dans le cadre de la démarche stratégique visant à développer un avantage concurrentiel,
sont celles dans lesquelles l'entreprise possède une ou plusieurs compétences
fondamentales, compétences distinctives qui permettent de surpasser la concurrence en
offrant un niveau de valeur supérieur (Johnson et Scholes, 2000, p. 178). Il s'agit de ce
que l'entreprise "sait mieux faire que les autres" (Ramanantsoa, 1997, p. 3030), des
"savoirs ou savoirs faire que l'entreprise est la seule, ou parmi les rares, à maîtriser dans
un secteur industriel donné " (Thiétart et Xuereb, 2005, p. 80). Ces compétences
distinctives permettent à l'entreprise de mener à bien les diverses fonctions par lesquelles

189
"…the basic units of competitive advantage".
190
"…a whole system of activities, not a collection of part" (Porter, 1996b, p. 70).
204

elle crée de la valeur. Elles constituent le cœur de son métier selon Ramanantsoa191
(1997). L'avantage concurrentiel est donc basé, en bonne logique, sur le cœur de métier
de l'entreprise. Telle est une conclusion que l'on peut retirer de ce courant de littérature
sur le choix des activités comme source de l'avantage concurrentiel. On a ici un accord
entre l'approche des chercheurs et celle des praticiens192 puisque, comme l'ont montré
Dutton et al. (1989)193, 40% des dimensions utilisées par les praticiens pour reconnaître,
différencier et classer les questions stratégiques peuvent être classées dans des catégories
liées au métier de l'entreprise.
Les activités créatrices de valeur se répartissent en deux grandes catégories: les
activités primaires, ou principales, et les activités de soutien (Porter, 1985). Les activités
primaires qui assurent l'offre de produits et/ou de services de l'entreprise (création
matérielle et vente du produit, transport jusqu'au client et service après-vente) sont
directement impliquées dans la création de valeur. Elles constituent les activités du cœur
de métier (core business activities). Dans n'importe quelle firme194, on peut diviser ces
activités en cinq grandes catégories: logistique interne, production, logistique externe,
commercialisation et ventes, et services. Les activités de soutien viennent, comme leur
nom l'indique, à l'appui des activités primaires, et peuvent être regroupées en quatre
catégories: les approvisionnements des moyens de production, le développement
technologique, la gestion des ressources humaines et l'infrastructure. Activités primaires
comme activités de soutien comprennent chacune trois sous-types d'activités, selon la
typologie établie par Porter, qui jouent un rôle différent dans l'obtention d'un avantage
concurrentiel : tout d'abord les activités directes, directement impliquées dans la création
de valeur pour le client; ensuite les activités indirectes, qui permettent d'assurer de façon
continue les activités directes et qui peuvent aussi jouer un rôle majeur sur la
différenciation par leurs effets sur ces activités directes ; enfin les activités garantissant la
qualité des autres activités (activités de surveillance, inspection, vérifications, essais, etc.)
(Porter, 1996a, p. 62). L'avantage concurrentiel provient autant des liaisons entre activités

191
"La notion de métier rejoint le concept de compétence distinctive" (Ramanantsoa, 1997, p. 3032).
192
Si l'on admet que les résultats de cette recherche ont une valeur universelle.
193
Dont les résultats sont discutés dans le chapitre Décision stratégique et stratégie (voir p. 184 et ss.).
194
"Selon le secteur, l'une ou l'autre de ces activités peut avoir une importance vitale pour l'avantage
concurrentiel … mais, quelle que soit la firme, toutes les catégories d'activités principales seront présentes à
un degré ou à un autre et joueront un certain rôle dans l'avantage concurrentiel" (Porter, 1996, p. 57).
205

que des activités elles-mêmes. Les liaisons sont de trois types: celles qui unissent
activités de soutien et activités principales, celles qui lient entre elles les activités
principales et, enfin, les "liaisons verticales" qui unissent la chaîne de la firme et les
chaînes des fournisseurs et des circuits de distribution (Porter, idem, pp. 67-68).
Une question cruciale est d'identifier les activités qui permettront de surpasser la
concurrence. A cet effet, Michael Porter (1985) a développé le concept de la chaîne de
valeur, outil conceptuel qui permet de "décomposer la firme en activités pertinentes au
plan de la stratégie, dans le but de comprendre le comportement des coûts et de saisir les
sources existantes et potentielles de différenciation." (Porter, 1996a, p. 50), de mieux
comprendre les fonctions qui constituent une organisation et la façon dont elles sont
enchaînées mais aussi et surtout "les différentes étapes qui déterminent la capacité d'une
organisation à obtenir un avantage concurrentiel en proposant une offre valorisée par ses
clients". L'avantage concurrentiel repose sur la capacité à optimiser chacune des étapes de
création de valeur et à harmoniser leur enchaînement. Par conséquent, la détermination de
la capacité concurrentielle doit commencer par l'identification de chacune de ces étapes
de création de valeur, ce qui ne veut pas dire reconstituer une suite chronologique mais
identifier et définir "les savoirs fondamentaux partagés par l'organisation" (Métais, 2004,
p. 115). En comparant la chaîne de valeur de l'entreprise à la chaîne de valeur
généralement rencontrée dans le secteur, on peut repérer les sources possibles de
différenciation. Modifier la structure de la chaîne de valeur revient à mettre en place une
stratégie de rupture. (Ramanantsoa, 1997).
Le schéma ci-dessous représente la chaîne de valeur. Les lignes en pointillé qui
traversent les activités de soutien illustrent le fait que ces activités peuvent être associées
à des activités principales particulières ou soutenir toute la chaîne (Porter, 1996a, p. 55).
206

Infrastructure

Marg
Gestion des ressources humaines
ACTIVITES
DE SOUTIEN Développement technologique

e
Achat et approvisionnements

ge
Logistique Production Logistique Distribution Services

Mar
interne externe et ventes

ACTIVITES PRIMAIRES
Figure 42 - La chaîne-type de valeur (Porter, 1996, p. 53).

L'autre grande approche théorique de l'avantage concurrentiel est axée sur le


développement de ressources stratégiques. Qu'est-ce qu'une ressource en stratégie? Voici
à nouveau une notion complexe et difficile à cerner, tant elle a donné lieu à des
définitions multiples. Selon l'approche stratégique, qui trouve sa source dans les travaux
de Penrose (1959), les ressources sont " ... les moyens, qu’ils soient physiques, financiers,
humains ou intangibles, disponibles tant en interne qu’en externe que l’entreprise peut
utiliser pour mettre en œuvre ou renforcer sa stratégie" (Thiétart et Xuereb, 2005, p. 73).
Pour le courant de la RBV (Resource Based View [de la stratégie]), les ressources sont
les éléments fondateurs de l'avantage concurrentiel, et donc de la performance et de la
survie de l'entreprise. Aussi la RBV analyse-t-elle les ressources sous l'angle de leur
contribution à l'avantage concurrentiel195. Les définitions adoptées par les tenants de ce
courant sont encore plus larges. Ainsi Wernerfelt (1984, p. 172) inclut dans les ressources
"tout élément qui peut être considéré comme une force ou une faiblesse d'une entreprise
donnée196 et qui lui est attaché de façon semi-permanente. Il cite à titre d'exemple la
marque, les connaissances technologiques spécifiques à l'entreprise, un personnel
spécialisé, les contacts commerciaux, les équipements, l'efficacité des procédures, le
capital, etc. (Wernerfelt, idem). Pour Barney (1991, p. 101), les ressources de l'entreprise
incluent "tous les actifs, capacités, processus organisationnels, attributs, informations,
connaissance contrôlée par une entreprise qui lui permettent de concevoir et de mettre en

195
Rappelons (voir p. 176 et ss.) que, selon le courant de la RBV, une décision d'investissement est un flux
de ressources et le résultat cumulé de ce flux un stock de ressources (Dierickx et Cool, 1989).
196
"By a resource is meant anything which could be thought of as a strength or weakness of a given firm".
207

œuvre les stratégies qui améliorent son efficacité et son efficience"197. En se basant sur
les définitions de Wernerfelt et de Barney, Bingham et Einsenhardt (2008, p. 243)
définissent quant à eux les ressources comme "the tangible assets (e.g. location, plant,
equipment), intangible assets (e.g. patents, brands, technical knowledge), and
organizational processes (e.g. product development, country entry, partnering) from
which managers can develop value-creating strategies". Différentes typologies de
ressources ont été proposées. La plupart des auteurs différencient les ressources tangibles
(qui comprennent les ressources physiques, humaines, et financières) et les ressources
intangibles, qui n'ont pas d'existence matérielle. Selon Métais (2004, p. 37), les
ressources intangibles se divisent en ressources organisationnelles (qui comprennent le
savoir organisationnel, technologique et managérial, les systèmes d'information et le
process) et ressources marginales ou "frontières" – qualifiées ainsi parce qu'elles
dépassent les frontières de l'organisation (et comprennent les clients – la réputation et
image, les fournisseurs et les réseaux). Barney (1991) identifie trois grandes catégories de
ressources : les ressources physiques, humaines et organisationnelles. En se basant sur la
classification pionnière de Hofer et Schendel (1980), Gant (1996) identifie quant à lui six
grandes catégories de ressources: les ressources financières, physiques, humaines,
technologiques, réputationnelle et organisationnelle.
Fondamentalement, la notion de ressource stratégique fait référence à des
ressources qui contribuent "à entretenir le caractère unique du produit aux yeux du client"
(Ramanantsoa, 1997, p. 3041), ce qui permet à l'entreprise de se différencier de la
concurrence et de générer un avantage concurrentiel. Dans un article remarquable,
Bingham et Eisenhardt (2008) remarquent que, en dépit des nombreux travaux de la
RBV, les causes et les modalités de la contribution des ressources à l'avantage
concurrentiel restent peu claires et cherchent à combler cette lacune en proposant une
typologie de logiques stratégiques qui caractérisent la relation entre ressources et
avantage concurrentiel. Ils rappellent tout d'abord qu'une ressource ne permet le
développement d'un avantage concurrentiel à long terme que si elle répond à certaines
conditions, qui sont résumées dans l'acronyme anglais VRIN: "Valuable, Rare,

197
"…all assets, capabilities, organizational processes, firm attributes, information, knowledge, etc.
controlled by a firm that enable the firm to conceive of and implement strategies that improve its efficiency
and effectiveness" (Barney, 1991, p. 101).
208

Inimitable, Non-substitutable"198. Une "ressource VRIN" permet d'augmenter le chiffre


d'affaire ou de réduire les coûts (valuable); dans le contexte d'un marché donné, elle est
unique au sein des firmes de ce marché (rare); elle est difficile à copier (inimitable); et
d'autres ressources ne peuvent fournir la même fonctionnalité (non-substitutable)199.
Parmi ces différentes qualités, c'est le caractère inimitable de la ressource, ou de la
combinaison de ressources, qui est au cœur de l'avantage concurrentiel, parce qu'il limite
les effets de la concurrence sur une période de temps assez longue. L'inimitabilité peut
provenir de trois facteurs: des droits de propriété (tel un brevet), la lenteur et la
succession des étapes indispensables à la constitution de la ressource et, enfin, l'ambiguïté
causale, un concept proposé par Lippman et Rumelt (1982) et Barney (1991). Dans le cas
de l'ambigüité causale, les concurrents ont de la peine à identifier – et donc à imiter – la
ou les ressource(s) engagées, en raison de processus organisationnels complexes ou en
raison de synergies entre ressources, qui rendent peu claire la contribution d'une
ressource particulière à la performance.
A ces trois motifs d'inimitabilité qu'ils identifient dans leur revue de la littérature,
Bingham et Einsenhardt (2008) en ajoutent un quatrième : l'improvisation dans les
processus organisationnels. Bingham et Einsenhardt (2008) proposent ensuite une
typologie de logiques stratégiques qui caractérisent la relation entre ressources et
avantage concurrentiel, en mettant en évidence, d'une part, l'influence des liens entre
ressources et, d'autre part, l'influence de la dynamique du marché considéré sur cette
relation. D'après cette typologie, différents types de ressources, et de liens entre ces
ressources, produisent différentes sources d'inimitabilité. Trois situations ou logiques
stratégiques ("strategic logics") peuvent se présenter selon la typologie proposée par
Bingham et Einsenhardt (idem, p. 244) : la logique du levier ("leverage logic"), la logique
de la position ("position logic") et enfin la logique de l'opportunité ("opportunity logic").
Dans la situation du levier, des ressources fondamentales et complémentaires
modérément reliées200 sont déployées sur de nouveaux marchés (segments ou secteurs

198
En français "VRIST": Valorisable, Rare, Inimitable, Non-Substituable, Non-Transférable (Strategor,
2005, 4ème éd., p. 89; Métais, 2004, p. 109).
199
"…valuable (i.e. raise revenues or lower costs) in the context of a given market, rare (i.e. unique among
firms in that market), inimitable (i.e. cannot be readily copied), and non-substitutable (i.e. other resources
do not provide the same functionality" (Bingham et Einsenhardt, 2008, p. 243).
200
…"moderately linking core and complementary resources" (Bingham et Einsenhardt, 2008, p. 244).
209

d'activité) où elles pourront dégager de la valeur et être rares. La logique stratégique du


levier est la plus proche du cœur théorique de la RBV, qui s'articule autour de deux
postulats interreliés : le déploiement réussi sur de nouveaux marchés n'est pas lié aux
caractéristiques de ces marchés (en particulier il n'est pas lié à leur intensité
concurrentielle, ce qui est en opposition avec l'approche de l'économie industrielle,
approche externe) mais il est lié aux ressources de l'entreprise (approche interne); les
produits sont généralement liés à des ressources spécifiques, mais les ressources, elles, ne
sont pas liés à des produits particuliers, ce qui permet de les déployer sur de nouveaux
produits et marchés. La logique du levier est particulièrement effective en cas de
ressources basées sur la connaissance - utilisables sur différents marchés ou sur un même
marché à différents moments - contrairement aux ressources physiques qui ont
généralement un usage spécifique et limité (Bingham et Eisenhardt, idem, p. 245). La
logique stratégique de l'opportunité qualifie une situation dans laquelle les ressources
sont faiblement reliées ("loosely linking resources") sous forme de processus
organisationnels semi-structurés qui permettent de saisir au vol toute opportunité qui se
présenterait fugacement sur un marché. Au terme d'une argumentation solidement étayée
et ponctuée d'exemples, Bingham et Einsenhardt soutiennent en conclusion que les
caractéristiques VRIN des ressources ne sont des conditions ni nécessaires ni suffisantes
pour la constitution d'un avantage concurrentiel201. Car l'avantage concurrentiel ne
dépend pas des caractéristiques des ressources mais bien plutôt des liens entre ces
ressources. Ceci explique que des ressources communes ou ordinaires, si elles sont
étroitement liées en se renforçant mutuellement, puissent être la source d'un avantage
concurrentiel, comme c'est le cas dans la logique stratégique de la position ("position
logic").

201
"Overall the argument that specific VRIN resources per se are themselves the source of competitive
advantage misidentifies the true source of advantage. That is, the specific characteristics of resources per se
are neither necessary nor sufficient conditions for competitive advantage" (Bingham et Einsenhardt, 2008,
p. 254).
210

Les deux grandes approches de construction de l'avantage concurrentiel que nous


avons présentées ici de façon synthétique – l'approche par les activités et l'approche par
les ressources – se rejoignent sur plusieurs points importants202 :

 L'avantage concurrentiel est formé de deux composantes. Ces deux


composantes sont d'une part la valeur de l'offre et, deuxièmement, les coûts
supportés pour créer cette valeur. Les deux approches de construction de
l'avantage concurrentiel diffèrent sur les moyens qu'elles recommandent pour
augmenter la valeur de l'offre et réduire les coûts : choix des activités pour
l'une, développement des ressources et des liens entre elles pour l'autre. Ces
dimensions ou composantes de l'avantage concurrentiel sont importantes pour
ma recherche empirique car ce sont elles qui me permettront de mesurer la
"stratégicité" de la décision stratégique d'investir dans des technologies
efficaces en énergie, comme je le décrirai en détails dans le chapitre
"Méthodologie" (voir p. 248 et ss.).
 Les activités choisies ou les ressources développées doivent permettre de
mettre en valeur le caractère unique de l'offre de l'entreprise par rapport à
celle des concurrents. En effet, les activités qui doivent être choisies, dans le
cadre de la démarche stratégique visant à développer un avantage
concurrentiel, sont celles dans lesquelles l'entreprise possède une ou plusieurs
compétences distinctives qui permettent de surpasser la concurrence en offrant
un niveau de valeur supérieur. Il s'agit de ses savoir-faire fondamentaux, de
son cœur de métier. De même, fondamentalement, la notion de ressource
stratégique fait référence à des ressources qui contribuent à entretenir le
caractère unique du produit aux yeux du client.
 Importance des liaisons entre activités ou entre ressources : cependant
l'avantage concurrentiel provient autant des liaisons entre activités que des
activités elles-mêmes, ou des liaisons entre ressources que des ressources
elles-mêmes. C'est pourquoi même des ressources ordinaires peuvent devenir

202
D'ailleurs, on assiste, me semble-t-il, à une convergence entre les deux approches au fil des années :
l'approche par les ressources a enrichi l'approche par les activités et l'a fait évoluer, comme le montre une
lecture "historique" du texte de Michael Porter sur la stratégie écrit en 1996.
211

la source d'un avantage concurrentiel, comme dans la situation stratégique de


la position décrite par Bingham et Einsenhardt (2008).

Les chercheurs distinguent deux niveaux d'élaboration de la stratégie (Hafsi et


Thomas, 2005; Johnson et Scholes, 2000; Porter, 1985) : celui de la stratégie globale (les
grandes orientations définies au niveau de l'entreprise, d'un domaine d'activité ou d'une
unité d'affaires) et les stratégies fonctionnelles ou opérationnelles qui, à la base de
l'organisation, déterminent les allocations de ressources permettant la mise en œuvre des
orientations stratégiques définies au niveau global. Le niveau global est chargé du
positionnement face à la concurrence, le niveau fonctionnel est chargé de la productivité
et de l'efficacité organisationnelle. Ou encore, pour reprendre la distinction souvent faite
par le management stratégique : le niveau global de définition de la stratégie est
responsable de l'efficience – "doing the right things" – tandis que le niveau fonctionnel
est responsable de l'efficacité – "doing things in the right way".
Une conséquence de l'existence de différents niveaux d'élaboration de la stratégie
– et donc de la prise de décisions – est qu'une décision stratégique n'est pas toujours une
décision d'une importance vitale pour l'organisation, ce qui est conforme à l'approche du
courant "strategy content", mais contraire à la définition du courant "strategy process",
pour qui son caractère important est l'essence même de la décision stratégique.
Cette différence d'approche est une illustration des différences qui séparent les
deux grands courants de la recherche en stratégie dans leur analyse des décisions
stratégiques. A quelques exceptions près (Bower, 1997; Maritan et Schendel, 1997;
Maritan, 2001), les définitions qui sont données par le courant "strategy process" du
caractère stratégique d'une décision ne font pas référence à l'élément central du contenu
de la définition stratégique selon les chercheurs/praticiens du "strategy content": sa
contribution à l'avantage concurrentiel. De son côté, le courant du "strategy content" ne
s'intéresse pas à l'influence du caractère stratégique de la décision sur le processus
décisionnel, ni à l'influence des nombreux autres facteurs sur la formulation et la mise en
œuvre de la stratégie que j'ai mentionnés au fil de cette analyse de la littérature: culture,
valeurs et système de croyance aux niveaux collectifs et individuels, attentes et intérêts
particuliers des acteurs impliqués. Dans l'ensemble, strategy process et strategy content,
les deux principaux courants de recherche en stratégie, ont continué à évoluer en isolation
212

l'un de l'autre, comme le déplorent certains chercheurs (Johnson, Langley, Melin et


Whittington, 2007, Maritan et Schendel, 1997; Papadakis et Barwise, 1997). Les travaux
de Catherine Maritan, qui tentent une intégration entre processus décisionnel, contenu de
la décision et résultats en termes de performance (Maritan et Schendel, 1997; Maritan,
2001) restent une exception. Cette situation a entraîné deux conséquences majeures en
matière de recherche sur la prise de décision stratégique : d'une part l'influence du
contenu des décisions, analysé en termes de contribution à l'avantage concurrentiel, sur le
processus décisionnel n'a pratiquement pas été étudiée; d'autre part, on trouve peu
d'indications dans la littérature processuelle sur la relation entre la stratégie d'une
organisation et les décisions stratégiques qui y sont prises. Quant au courant du "strategy
content", sa démarche est généralement de caractère normatif et s'attache à définir les
meilleures décisions à prendre dans un objectif de performance. Ce courant ne porte
aucune attention au processus décisionnel et aux subtilités de la prise de décision dans les
organisations. Il théorise la stratégie comme un phénomène déshumanisé, décidé par
"l'entreprise". En ne s'intéressant pas à ce que les gens font concrètement dans les
entreprises pour concevoir ou appliquer des objectifs ou des orientations stratégiques, il
occulte le rôle des dimensions politique et interprétative, au niveau individuel comme au
niveau collectif, sur les décisions contribuant à la formation et la mise en œuvre de la
stratégie (Johnson, Langley, Melin et Whittington, 2007).
Le concept d'avantage concurrentiel permet, d'une part, de faire le lien entre
stratégie et décision stratégique et, d'autre part, d'intégrer les apports des courants
substantiel (strategy content) et processuel (strategy process) de la recherche en stratégie
pour analyser les relations entre le contenu du projet d'investissement, sa nature
stratégique et le déroulement du processus décisionnel.
Le concept de l'avantage concurrentiel est bien le concept clé pour analyser les
décisions d'investissement et je propose donc la définition suivante : une décision est
stratégique si elle contribue à créer, maintenir ou développer un avantage concurrentiel
durable. Cette définition implique qu'une décision n'est pas simplement stratégique ou
non stratégique, ce qui est en contradiction avec l'approche du courant processuel de
recherche en stratégie. Elle est en revanche en conformité avec la distinction faite par les
chercheurs du courant strategy content entre stratégie globale et stratégies opérationnelles
213

et avec la recherche de Maritan (2001) qui a mis en évidence des investissements


d'importance stratégique différente203. Une décision est plus ou moins stratégique - ou
non stratégique. Elle s'inscrit dans un continuum. Elle peut être non stratégique,
faiblement stratégique, fortement stratégique ou totalement stratégique.
Plus une décision est stratégique, plus elle contribue à l'avantage concurrentiel,
plus elle est importante pour la performance, voire pour la survie de l'entreprise, et plus
elle présente un haut niveau de complexité et d'incertitude. On peut donner comme
exemple extrême de décision non stratégique une commande de réassort de papier pour
photocopies et comme exemple extrême de décision stratégique la construction d'une
usine dans un nouveau marché. Mais cette analyse attire l'attention sur les questions
décisionnelles qui sont dans la zone du milieu, la zone intermédiaire - et qui sont
certainement les plus nombreuses. Il n'est pas toujours facile de classer les décisions dans
la catégorie "stratégique" ou dans la catégorie "non stratégique", car chaque décision est
susceptible de contribuer, même modestement, à l'avantage concurrentiel et à la
performance de l'organisation. Les questions décisionnelles doivent donc être classées ou,
autrement dit, interprétées par les décideurs.
Parce qu'elle est interprétée comme telle par le décideur ou par le système
décisionnel dans lequel il est inséré, une décision n'est donc pas – ou pas seulement -
stratégique pour des raisons objectives, mais aussi pour des raisons subjectives. Un
courant de recherche s'est intéressé à cette question de l'interprétation des questions
décisionnelles, c'est le courant du "strategic issue diagnosis" que nous allons examiner
maintenant.

2.3.3 Strategic Issue Diagnosis

"Dans la définition classique de la stratégie, comme celle du modèle de Harvard, … la pensée


stratégique n'est pas conçue comme un processus cognitif concret. Elle est en effet totalement libre
et rationnelle … rationnelle parce que cette pensée suit le seul processus concevable et
convenable pour des dirigeants : une rationalité conçue à la fois comme intégration des fins (les
objectifs stratégiques) et des moyens (les actions stratégiques), et comme suite logique d'étapes
d'un raisonnement …"
Laroche et Nioche (1994, p. 82)

203
Ces deux points sont discutés plus haut dans cette section.
214

Bien que le domaine de la stratégie comprenne des approches et concepts variés,


il est dominé de nos jours encore par le modèle de la rationalité parfaite, décrit dans la
citation ci-dessus204. Par conséquent, peu de recherches en stratégie ont porté sur les
décideurs eux-mêmes ou sur le rôle joué par leurs caractéristiques personnelles, comme
leurs schèmes cognitifs, sur les décisions prises. Mais la perspective cognitive, dans le
domaine du management et de la prise de décision stratégique comme dans d'autres
domaines de l'étude des organisations, a gagné en importance au fil des décennies, en
particulier depuis le début des années 90s. Elle a montré (voir p. 162 et ss.) que
l'interprétation, qui aide les décideurs à organiser des informations ambigües, est au cœur
du processus d'attribution de sens (Weick, 1995), qui conditionne les options stratégiques
comme les autres sujets organisationnels. Par conséquent, la description de Mintzberg
semble mieux refléter la réalité que la définition classique de la stratégie citée en exergue:
"there is perhaps no process in organizations that is more demanding of human cognition
than strategy formulation. Every strategy-maker faces an impossible overload of
information (much of it soft); as a result he can have no optimal process to follow."
(Mintzberg, 1978, p. 948).
L'influence des phénomènes cognitifs sur les processus et les décisions
stratégiques a été menée dans deux domaines de recherche connexes, les domaines de
formulation de problèmes stratégiques (strategic problem formulation; Lyles, 1987) et de
diagnostic des questions stratégiques (strategic issue diagnosis). Jane Dutton, en
collaboration avec d'autres chercheurs (Dutton, Fahey et Narayanan, 1983; Dutton et
Jackson, 1987; Dutton, Walgon et Abrahamson, 1989; Jackson et Dutton, 1988) est à
l'origine des travaux fondateurs de ce domaine, relativement mineur par le nombre de
recherches et de chercheurs, et pourtant si important pour comprendre le comportement
des organisations en matière de prise de décisions. Les chercheurs en "strategic issue
diagnosis" (SID) étudient comment les interprétations des questions décisionnelles, qui
sont faites par les décideurs et les organisations aux tous premiers stades du processus
décisionnel, influencent la collecte, l'évaluation et le choix des informations qui seront
effectués par la suite (Dutton et al. 1989; Dutton et al., 1983).

204
Voir p. 117 et ss.
215

Trois thèmes structurent le sujet du SID selon Dutton et al. (1983) : le diagnostic
stratégique est beaucoup plus complexe qu'il n'est généralement présenté dans la
littérature classique sur la décision dans les organisations205; ses conséquences sont
complexes et variées et peuvent influencer les phases subséquentes du processus
décisionnel; l'impact du contexte organisationnel est négligé dans la littérature; il est donc
mal compris. Vingt-cinq ans après cette analyse, ces trois thèmes sont toujours
d'actualité.
Dans la continuité des travaux de Mintzberg, Raisinghani et Theoret (1976),
Dutton, Fahey et Narayanan (1983) sont les premiers à insister sur l'importance cruciale
du SID, qu'ils définissent comme "les activités et processus par lesquels données et
stimuli sont explicités et définis (actions d'"organisation de l'attention") et explorés
(actions d'interprétation)"206. Le SID comprend deux opérations: la première opération
consiste à répartir les questions qui se présentent dans les catégories "stratégiques" et
"non stratégiques" ou, autrement dit, à "séparer le bon grain et l'ivraie"207. Une fois que
cette répartition a été faite, la deuxième opération consiste à classer les questions
identifiées comme stratégiques, qui sont labélisées selon différentes catégories.
Igor Ansoff, fondateur du management stratégique, avait défini une question
stratégique comme "a forthcoming development … which is likely to have an important
impact on the ability of the enterprise to meet its objectives" (Ansoff, 1980, p. 133). Dans
le contexte du SID, les questions stratégiques peuvent être définies comme des "events,
developments or trends that are perceived by decision-makers as having the potential to
affect their organization's performance (Dutton et al., 1989, p. 380) … "an emerging
development which in the judgment of some strategic decision maker is likely to have a
significant impact on the organization's present or future strategies" (Dutton et al., 1983,
p. 308). L'évolution du vocabulaire – on ne parle plus de sujets "importants" mais de
sujets "perçus comme importants" – marque bien la différence entre la perspective
cognitive et la perspective traditionnelle de la recherche en management stratégique.

205
Qui est plus centrée sur les phases de sélection et de choix des solutions, voir p. 138 et ss.
206
"SID refers to those activities and processes by which data and stimuli are translated into focused issues
(i.e. attention organizing acts) and the issues explored (i.e. acts of interpretation)" (Dutton et al., 1983, p.
307).
207
"Important Dimensions of Strategic Issues: Separating the Wheat from the Chaff" (Dutton, Walton et
Abrahamson, 1989).
216

Remarquons cependant que Dutton et al. s'alignent sur les définitions du courant
"strategy process", malgré les critiques qu'ils formulent à son encontre (Dutton et al.,
1989), en définissant les questions stratégiques comme "importantes" et en n'admettant
implicitement que deux catégories distinctes – celles des "questions stratégiques" ou des
"questions non stratégiques", sans envisager une gradation du caractère stratégique des
décisions, comme je l'ai suggéré dans la section précédente.
Quoi qu'il en soit, les questions qui se présentent ne sont pas intrinsèquement et
objectivement stratégiques. Elles doivent être perçues et catégorisées comme telles par
les décideurs et leur organisation. Pour obtenir ce statut au terme du processus de
diagnostic des questions stratégiques, les questions qui apparaissent doivent franchir deux
catégories de filtres qui s'influencent mutuellement : les filtres cognitifs des dirigeants, de
niveau individuel, et les filtres organisationnels. C'est ce que nous allons voir maintenant.

2.3.3.1 Filtres individuels

"Strategic issues do not appear in prepackaged form" (Dutton et Jackson, 1987,


pp. 77). Les dirigeants, comme les organisations auxquelles ils appartiennent, sont
bombardés par un flot incessant d'événements et de tendances qui, en étant susceptibles
d'affecter les performances présente et future de leur organisation, constituent
potentiellement des questions stratégiques. Ces événements et tendances se présentent
sous la forme de données désordonnées, ambigües et contradictoires. Les dirigeants
doivent évaluer et classer – catégoriser - ces données de façon à rendre intelligible des
situations complexes, à "imposer un ordre à leur environnement"208 et à pouvoir définir
des lignes d'action. C'est ce qu'ils accomplissent dans la phase du SID, au cours duquel
les données et stimuli sont chargés de sens (infused with meaning) par le jugement et
l'interprétation des décideurs. Le processus du SID transforme donc des données mal
définies et désorganisées en informations, en émettant des postulats, des hypothèses et
des liens de causalité, qui sont liés au contenu de la question examinée et qui conduisent à
formuler des jugements prédictifs. Plus le contexte de la question est incertain et ambigu,

208
"…impose order on the environment" (Dutton et Jackson, 1987, p. 77).
217

plus cette tâche est difficile. C'est au cours de ce processus que certaines questions
acquièrent un statut d'"événement décisionnel" (decision event)209.
De multiples biais cognitifs210 (voir p. 129 et ss.), communs à tous les décideurs,
affectent le processus de perception, de sélection et d'interprétation des données et des
informations. L'effet des biais cognitifs va toujours dans le même sens : celui de
confirmer et de renforcer les impressions initiales des décideurs. Ce faisant, les biais
cognitifs jouent un rôle dans les choix stratégiques, en restreignant l'éventail des
alternatives stratégiques envisagées (Schwenk, 1988). Un bon exemple à cet égard est le
biais de l'illusion du contrôle. Selon Langer (1983), l'illusion du contrôle vient de ce que
les gens cherchent en permanence des moyens de contrôler les effets que leurs actions
auront sur leur environnement. En formant des hypothèses sur les effets de ces actions,
les gens "tend to seek out information that support their hypotheses while innocently
ignoring disconfirming evidence" (1983, p. 24). Il affecte en particulier les dirigeants
dont les décisions précédentes ont été couronnées de succès. Autre exemple, le biais du
souvenir, qui affecte la capacité des décideurs à tirer les leçons du passé. Comme l'a
montré Golden (1992), ils se souviennent de leurs stratégies passées comme étant plus
rationnelles et plus cohérentes avec leurs stratégies présentes qu'elles ne le sont en réalité.
Les biais peuvent interagir et se renforcer mutuellement, comme c'est le cas avec les biais
du contrôle, du souvenir, de l'excès de confiance et de l'optimisme : le biais de l'excès de
confiance, qui caractérise un individu ayant une confiance excessive dans ses propres
compétences, capacités ou connaissances" (Bessière, 2007, p. 58) et celui de l'optimisme,
qui traduit également une surestimation idéaliste concernant les événements futurs (liée à
l'environnement et non pas aux aptitudes personnelles du décideur), se conjuguent pour
former le biais de l'illusion du contrôle. D'autre part, comme le décrit la théorie de la
catégorisation développée par Rosch (1975) et ses collègues (pour de plus amples détails,
voir Dutton et Jackson, 1987, p. 77 et 78), les individus organisent le monde autour d'eux
– réduisant ainsi sa complexité – en classant les objets en catégories cognitives, qui sont
basées sur leurs perceptions de leurs caractéristiques communes et de liens de corrélation

209
Dutton et al., 1983, p. 308.
210
Rappelons qu'un biais cognitif (voir p. 120 et ss.) est "une distorsion (déviation systématique par
rapport à une norme) que subit une information en entrant dans un système cognitif ou en en sortant. Dans
le premier cas, le sujet opère une sélection des informations, dans le second, il réalise une sélection des
réponses" (Le Ny, 2002).
218

entre elles. Cette structure catégorielle de la connaissance211 entraîne trois biais cognitifs :
premièrement le souvenir d'une information consistante avec une catégorie cognitive est
généralement meilleur que le souvenir d'une information isolée; deuxièmement, la
mémoire "bouche les trous" (gap-filling) quand l'information manque, en fabricant de
l'information catégorielle; troisièmement, plus l'information disponible est ambiguë, plus
elle est déformée.
Dans le processus du SID, interprétation et recherche d'information sont
interactives (Cyert and March, 1963; Dutton et al., 1983; Mintzberg, Raisinghani and
Theoret, 1976; Quinn, 1980). La recherche de données ne précède pas automatiquement
l'évaluation ou l'interprétation, car l'interprétation suscite de nouvelles recherches
d'information. Cependant, en raison des biais cognitifs, l'importance relative qui est
attribuée aux données est influencée par l'ordre dans lequel elles se présentent aux
participants au SID : les données qui émergent au début du processus peuvent biaiser les
individus dans leur perception d'un sujet (en renforçant leurs schémas cognitifs, leurs
idées préconçues) et influencer la direction des activités de recherche par la suite (Dutton
et al., 1983; Kuvaas et Kaufmann, 2004; Lyles, 1987).
Les schèmes cognitifs du décideur212 exercent aussi une influence cruciale sur le
diagnostic stratégique. Contrairement aux biais cognitifs, ils sont particuliers à chaque
décideur, en fonction de son vécu et de son expérience personnelle (voir p. 162 et ss.). En
raison de leur influence permanente et inconsciente, un décideur aborde les questions qui
se présentent à lui d'une manière personnelle et intrinsèquement biaisée, en appliquant le
plus souvent aux nouveaux problèmes des solutions tirées de son expérience passée. "A
priori understandings" selon la formule de Dutton et al. (1983, p. 118), les schèmes
cognitifs sont, en quelque sorte, des lunettes à travers lesquelles les individus voient le
monde. Ils jouent un rôle de filtre, au niveau de la collecte et du classement des données,
en les interprétant et en posant des relations de cause à effet entre elles et/ou avec des
actions ou conséquences possibles. Par ce processus de sélection et d'interprétation des
données, dont certaines sont perçues comme importantes et d'autres comme négligeables,
les schèmes cognitifs des décideurs influencent la forme et la tendance du diagnostic

211
"…the categorical structure of knowledge" (Dutton et Jackson, 1987)
212
Le schème cognitif est un système référentiel, un "système de croyances" constitué de règles ou de
généralisations qui structure la façon dont un individu appréhende la réalité (Cossette, 2004, p. 48).
219

stratégique. En matière de choix d'investissement, les schémas cognitifs des décideurs


influencent l’évaluation de tous les paramètres du calcul d’investissement - dépense
initiale, structure temporelle, durée et flux de l’investissement, niveau de risque. Pour les
investissements en efficacité énergétique dont la rentabilité est définie principalement par
les prix futurs de l'énergie, fortement incertains, le processus cognitif d'interprétation lié
aux schèmes des décideurs joue un rôle particulièrement important.
Le processus du SID ne transforme pas seulement des données désorganisées en
information, il comporte aussi un aspect plus interprétatif qui consiste à "labelliser" les
données en les classant dans des catégories verbales ou conceptuelles (Dutton et al.,
1983). La labellisation des questions stratégiques exerce aussi une influence importante
sur le processus décisionnel en orientant les recherches ultérieures
d'information/solutions et en mobilisant l'action dans une certaine direction (Dutton et al.,
1983). La labellisation des questions stratégiques en tant qu'opportunités ou menaces est
en particulier une pratique courante qui a suscité plusieurs travaux de recherche (e.g.
Denison et al., 1996; Dutton et Jackson, 1987; Ginsberg et Venkatraman, 1992; Ginsberg
et Venkatraman, 1995; Jackson et Dutton, 1988; Schneider et DeMeyer, 1991; Smith,
1995; Thomas, Clark et Gioia, 1993; Thomas et McDaniel, 1990). Trois dimensions
différencient les menaces des opportunités (Thomas et al., 1993; Jackson et Dutton, 1988;
Dutton et Jackson, 1987) : la catégorie "opportunité" implique une situation positive dans
laquelle un gain est probable et qui suppose un bon niveau de contrôle. A l'inverse, la
catégorie "menace" fait référence à une situation négative, avec un faible niveau de
contrôle, dans laquelle une perte est probable. La catégorisation des questions
stratégiques en menaces ou opportunités entraîne des conséquences importantes sur le
processus décisionnel. Lorsqu'une question stratégique est perçue comme une menace, le
processus décisionnel est plus centralisé et le nombre de participants plus bas (Dutton et
Jackson, 1987; Staw et al., 1981). Ceci s'explique par la volonté des dirigeants de garder
la maîtrise du dossier et de trouver une solution rapide, mais aussi par le fait que leurs
subordonnés ne souhaitent pas s'exposer en prenant des responsabilités dans ce genre de
situation. A l'inverse les membres de l'organisation seront généralement plus enclins à
participer au processus décisionnel en cas de situation qualifiée d'opportunité. Dutton et
Jackson citent à cet égard la recherche de Nutt (1984) qui, basée sur l'étude de 78
220

processus décisionnels, a montré que les managers des niveaux inférieurs étaient associés
à la recherche de solutions dans les cas de "situations opportunités" mais pas dans les cas
de "situations menaces". D'ailleurs, une situation perçue comme une opportunité suscite
une exploration plus large des options possibles (King, 1980). La labellisation des
questions stratégiques en tant qu'opportunités ou menaces influence aussi le niveau de
prise de risque, car la manière dont une situation est présentée influence les préférences
des décideurs, conformément à la prospect theory de Tversky et Kahneman (1981; voir p.
129 et ss.). Sallivan et Nonaka (1988) et Schneider et De Meyer (1991) ont montré que la
catégorisation d'une question stratégique en menace ou en opportunité est influencée par
la culture du répondant.
Le niveau de contrôle des résultats de l'action, qu'il soit individuel ou
organisationnel, est aussi apparu au fil des recherches comme un élément essentiel non
seulement de la perception du caractère stratégique d'une question (Thomas et al., 1993;
Dutton et al., 1989213) mais aussi du déclenchement de l'action stratégique (Thomas et
al., 1993; Ashmos, Duchon and McDaniel, 1998; Sharma, 2000; Chattopadhyay et al.,
2001). La perception de la contrôlabilité de l'action stratégique semble même plus
importante que les dimensions positif/négatif et gain/perte, dans la différenciation entre
opportunités et menaces (Dennison et al., 1996). Barr et Glynn (2004) ont montré que le
manque de contrôle peut être mis en liaison avec l'aversion pour l'incertitude, une des
variables de la culture nationale mise en évidence par Hofstede (1980). L'aversion pour
l'incertitude (uncertainty avoidance) serait un indicateur de l'aversion pour le manque de
contrôlabilité. Plus l'aversion pour l'incertitude est élevée, plus les individus auront
tendance à labelliser les questions stratégiques comme des menaces, ce qui expliquerait
les résultats des recherches de Sallivan et Nonaka (1988) et de Schneider et De Meyer
(1991). Anderson (1977) a montré aussi que, lorsqu'une question stratégique est identifiée
comme une opportunité, les réponses organisationnelles sont proactives et dirigées vers
l'extérieur, car les membres de l'organisation sont plus confiants dans leur capacité de
contrôle des résultats de leurs décisions et leur maîtrise de l'environnement (Dutton et al.,
1989, p. 391). Dans le cas d'une menace, la réponse est interne et réactive, sous forme
d'adaptation. Johnson et Scholes soulignent dans le même esprit l'importance de la

213
Voir page 175.
221

faisabilité des options stratégiques (2000, p. 39) dans le processus d'évaluation et de


sélection.
Le SID est un processus dynamique et interactif, et le diagnostic est le produit de
l'interaction et de l'arbitrage entre les perceptions et intérêts individuels. En guidant leurs
perceptions et leur interprétation des prédispositions stratégiques, de la position
concurrentielle et des capacités internes de leur organisation, ou de toute autre question
qui se présente à eux, en admettant certains éléments d'information dans le processus de
formulation de la stratégie et en en excluant d'autres, les filtres cognitifs individuels des
décideurs exercent une influence évidente sur le diagnostic et, par suite, sur les
orientations stratégiques (Porac et Thomas, 2002). Car, comme le résume Schwenk
(1989, p. 183) "how they interpret it determines the way in which they will respond to it".
Mais la compréhension que chaque participant développe de la question examinée est
aussi contrainte par le contexte organisationnel - par les filtres organisationnels - comme
nous allons le voir maintenant.

2.3.3.2 Filtres organisationnels

Le contexte organisationnel214 influence l'émergence du processus décisionnel


dans la phase du diagnostic, en agissant comme un ensemble de forces qui contraint la
façon dont les dirigeants interprètent leur environnement et les événements qui s'y
produisent (Daft et Weick, 1984; Kuvaas et Kaufmann, 2004; Thomas et al., 1994). Le
contexte organisationnel exerce donc un effet majeur sur le processus d'attribution de
sens (Dutton et Jackson, 1983). Il est l'arène dans laquelle schémas mentaux et intérêts
politiques des individus prennent vie215. Le contexte organisationnel influence la façon
dont les dirigeants interprètent leur environnement en filtrant l'information (Kuvaas et
Kaufmann, 2004) et en créant des incitations à l'interpréter d'une certaine façon (Denison
et al.; 1996; Thomas et Daniel, 1990; Thomas et al., 1994). Comme l'énonce Lyles (1987,
p. 266), en faisant référence à Weick (1979), on peut même dire que "organizations will

214
Sur l'influence du contexte dans ses dimensions externe (l'environnement) et interne (l'organisation elle-
même) sur la décision, voir page 137 et ss.
215
"Issue context acts as the arena in which individuals' cognitive maps and political interests come to life,
serving to motivate participants in different directions (Dutton et al., 1983, p. 311).
222

invent the environment to which they will respond by deciding which aspects of the
environment are important or unimportant". Le sens donné à un événement particulier
sera donc différent d'une organisation à l'autre et, dans la mesure où les actions
subséquentes découlent de la signification attribuée à un événement ou à une question, les
organisations répondront de manière différente à des événements similaires (Dutton et
Jackson, 1987; Dutton et Duncan, 1989; Meyer, 1982).
Eléments du contexte organisationnel, les schèmes organisationnels216 - stratégie,
structure, culture – jouent un rôle important d'attribution de sens au niveau du SID et, à
ce titre, les systèmes de contrôle exercent une influence décisive. Ils font partie de la
structure de l'entreprise, mais ils sont aussi une émanation de sa culture (un artefact au
sens de Schein, 2004). Les définitions des systèmes de contrôle mettent l'accent tantôt sur
leur caractère incitatif, tantôt sur leur caractère coercitif. Ainsi ils sont définis comme des
"systèmes pour influencer les efforts individuels au sein de l'entreprise" (Marginson,
2002), comme un contrôle à distance des comportements selon Burlaud et Simon (1997;
voir p. 139 et ss.), comme un contrôle des comportements des managers pour assurer leur
conformité aux stratégies organisationnelles (Alkaraan et Northcott, 2007). Une
définition plus complète est proposée par De Bodt et Bouquin, d'après laquelle "le
contrôle, c'est avant tout un ensemble de règles, formelles ou même informelles, qui
normalisent les comportements, et, au fond, moins qu'on ne le croit sans doute, une
activité d'analyse et de tri à l'aune d'un instrument de mesure. C'est un assortiment de
formalisation et d'informel, de confiance et de vérification, de choix des personnes et de
systèmes d'incitation" (De Bodt et Bouquin, 2001, p. 116). Le contrôle a des aspects
externes (les interventions effectuées par des acteurs non impliqués dans le
fonctionnement courant de l'organisation, tels les commissaires aux comptes) et internes
(les principes mis en œuvre par l'organisation elle-même). En déterminant, par exemple, à
quel niveau de l'organisation peuvent être initiés les projets d'investissement, selon
quelles catégorisations et avec quelle autonomie budgétaire, les règles de contrôle
influencent le démarrage et, par suite, le déroulement du projet d'investissement (De Bodt
et Bouquin, 2001). Les différents systèmes de gestion existant dans les entreprises font
partie des systèmes de contrôle.

216
(voir le chapitre sur la cognition organisationnelle: voir p. 161 et ss.)
223

Quelques travaux ont cherché à évaluer l'influence des procédures de contrôle sur
les décisions d'investissement et sur la formulation de la stratégie. L'enquête d'Alkaraan
et Northcott (2006), réalisée auprès de managers de grandes entreprises britanniques du
secteur secondaire dans la lignée des travaux en finance organisationnelle de Slagmulder
et al. (1995) et Van Cauwenbergh et al. (1996), a montré que l'influence des systèmes de
contrôle sur les décisions d'investissement s'exerce dans deux directions. Les procédures
de contrôle déterminent d'une part les pré-conditions selon lesquelles un projet
d'investissement sera identifié comme méritant une analyse formelle, financière. Elles
définissent d'autre part les critères d'après lesquels cette analyse sera réalisée. Les
résultats de l'enquête d'Alkaraan et Northcott (2006), montrent que les décisions
d'investissement prennent forme en fonction de critères financiers mais aussi, et avant
tout, "en fonction des objectifs de la décision, et des stratégies et procédures employées
pour guider les choix et pour harmoniser les vues des acteurs impliqués"217. Remarquons
que la recherche d'Alkaraan et Northcott s'inscrit bien dans le thème du SID, mais sans
que le lien ne soit mentionné par les chercheurs. Selon l'approche du SID, les systèmes de
contrôle (et de veille environnementale) interviennent en effet pour codifier
l'interprétation des questions stratégiques et perpétuer leur catégorisation initiale (Dutton
et Jackson, 1987). Ils influencent les perceptions des acteurs au sein de l'organisation en
rendant plus ou moins importants et visibles certains aspects de la gestion de l'entreprise.
Dans son étude de cas consacrée à Telco, entreprise britannique du secteur des
télécommunications, Marginson (2002) a cherché à évaluer l'influence des systèmes de
contrôle sur la formulation de la stratégie, en se basant sur le cadre théorique défini par
Simons (1994). D'après Simons, les systèmes de contrôle comprennent trois catégories.
La première catégorie comprend le système de croyances218 et le "système frontière"
(boundary system) qui définit "le domaine acceptable d'activité stratégique" pour les
membres de l'organisation219. La deuxième catégorie comprend les systèmes de contrôle

217
…"how investment decisions take shape depends also on the decision objectives, strategies and
procedures employed to guide choices and to harmonise different views" (Alkaraan et Northcott, 2007, p.
47).
218
Défini comme "the explicit set of organizational definitions that senior managers communicate formally
and reinforce systematically to provide basic values, purpose, and direction for the organization" (Simons,
1994, p. 34).
219
"Boundary systems … delineate the acceptable domain of strategic activity for organizational
participants" (Simons, 1994, p. 39).
224

hiérarchiques. La troisième catégorie comprend les indicateurs de mesure de la


performance ou KPIs (key performance indicators) qui permettent au top management
d'évaluer la performance de l'organisation par rapport aux dimensions importantes de la
stratégie. Chez Telco, 20 KPIs sont utilisés, classés selon deux rubriques "efficacité
opérationnelle" ou "performance financière". Concernant la première catégorie des
systèmes de contrôle, la recherche de Marginson montre, en conformité avec les résultats
de Dutton et al. (1997), que le système de croyances définit un "climat stratégique" et
exerce à ce titre un rôle clé sur la genèse de la formulation de la stratégie, en influençant
la sélection des idées et des initiatives dont les managers se feront le champion et celles
qu'ils abandonneront (sélection qui a un effet radical en raison des problèmes d'asymétrie
de l'information entre acteurs au sein de l'organisation). En ce qui concerne la deuxième
catégorie, celle des systèmes de contrôle hiérarchique, leur application plus ou moins
stricte conditionne le degré de liberté des managers des niveaux inférieurs en matière de
développement de nouvelles idées. En ce qui concerne le troisième niveau des systèmes
de contrôle, les résultats de la recherche sont en phase avec la perspective cognitive des
chercheurs du SID. Il apparaît en effet que le système de valeurs est assez puissant pour
miner le rôle des indicateurs de mesure, en altérant le niveau d'attention qui leur est
accordé; résultat qui doit être analysé en relation avec la question de l'influence réelle des
indicateurs financiers sur les choix d'investissements (voir p. 184 et ss.), mais aussi avec
celle de l'influence d'un système de gestion de l'énergie sur les choix d'investissements.
Il apparaît aussi que certains hauts dirigeants s'impliquent personnellement dans
certaines mesures, en considérant les autres comme fausses ou de portée exceptionnelle.
Enfin, l'importance attribuée à certains indicateurs dépend de la perception de leur
caractère stratégique: ainsi, chez Telco, une attention considérable était donnée aux
résultats en matière de respect des délais (percentage of provisioning deadlines met)
parce que cette question apparaissait comme un facteur de compétitivité de plus en plus
important. En conclusion, Marginson (2002) suggère que c'est la perception que les
managers eux-mêmes ont des systèmes de contrôle qui détermine l'impact de ces
systèmes sur leur activité stratégique. Cette conclusion peut être interprétée comme une
confirmation de l'action permanente de deux forces : l'influence des individus sur le
système et celle du système sur les individus.
225

Les dirigeants sont influencés par le contexte organisationnel mais ils l'influencent
en contrepartie par l'intermédiaire de leurs décisions sur la stratégie, les routines et
systèmes de contrôle, et par leur influence sur la culture organisationnelle. Quelques
recherches ont tenté d'évaluer l'influence respective de ces deux forces, individuelle et
organisationnelle. Selon Kuvaas et Kaufmann (2004), l'influence du contexte
organisationnel serait plus importante que celle des caractéristiques individuelles des
managers eux-mêmes220. D'après Dutton et al. (1987), l'influence des filtres individuels
sur les filtres organisationnels dans le SID est renforcée dans les trois cas suivants : a) si
l'organisation est centralisée et que les décisions sont prises par un seul dirigeant, ou un
petit nombre de dirigeants (Fredrickson, 1986; Schwenk, 1984, 1985); b) si la
catégorisation d'une question est communiquée par des individus qui bénéficient d'un
haut niveau de confiance (O'Reilly, 1983); c) s'il existe un haut degré de consensus au
sein de l'équipe dirigeante (Schwenk, 1984). Par ailleurs Dutton et al. (1983) considèrent
que les schémas cognitifs des individus et leurs intérêts politiques influencent
l'engagement et la motivation des participants au SID et leurs interprétations des données
relatives à un sujet. On a donc en permanence une influence conjointe des filtres
individuels et des filtres organisationnels sur le SID. Seul le poids respectif de ces
influences varie d'une organisation à l'autre mais aussi d'un diagnostic à l'autre. C'est
pourquoi, en fin de compte "any attempt to explain why an organization has made a
particular diagnosis or why certain diagnosis outputs exist is incomplete unless it
addresses these individual level forces in addition to issue-specific factors" (Dutton et al.,
1983, p. 320).
Comme le processus décisionnel dont il constitue la première étape221, le SID est
donc un processus dynamique, complexe, non linéaire, car marqué par des révisions
successives, et indéterminé (Dutton et al, 1983). Des acteurs variés y participent. Ils ont

220
"…individual-level characteristics seem to have little significance, once organizational and group
contexts are accounted for (Schneider & DeMeyer, 1991; Thomas et al., 1993; Thomas, Shankster et
Mathieu, 1994)" (Kuvaas et Kaufmann, p. 246).
221
Souvenons-nous que Mintzberg, Raisinghani et Theoret (1976) ont identifié 3 phases dans le processus
décisionnel: les phases d'identification, de développement et de sélection, chaque phase étant elle-même
divisée en différentes étapes (voir p. 138): la phase d'identification, qui comprend les étapes de
reconnaissance de la nécessité de décider et celle du diagnostic; la phase de développement, qui comprend
les étapes de recherche et élaborations de solutions possibles; et enfin la phase de sélection, qui comprend
les étapes de sélection, évaluation-choix et autorisation. Ces différentes phases et étapes ne sont pas reliées
linéairement de façon séquentielle mais plutôt de façon cyclique.
226

accès ou sont sensibles à des données différentes qu'ils abordent avec des schèmes
cognitifs différents, animés par des intérêts divergents. Le diagnostic émerge finalement
au terme de révisions successives de jugement qui résultent de l'apparition de nouvelles
données et de l'interaction permanente entre les différents acteurs et entre les niveaux
individuel et collectif. La fin du processus de diagnostic suppose un certain degré de
coopération et d'accord entre les participants, mais n'implique pas de consensus entre eux.
Certains désaccords peuvent subsister qui influenceront les étapes suivantes du processus
décisionnel.

2.3.4 Conclusion

La phase du diagnostic semble bien la phase la plus importante du processus


décisionnel puisqu'elle oriente les actions futures. Tout d'abord, elle lance le processus
décisionnel, en transformant des données indéterminées en événements décisionnels. Les
conclusions du SID servent d'inputs pour les phases suivantes du processus décisionnel.
Dans la phase de construction des solutions, le SID influence tant la collecte
d'informations que l'éventail des alternatives considérées, conditionnant ainsi la phase de
sélection. En ce sens, le SID contraint et influence les choix stratégiques de
l'organisation. Comme le relèvent Dutton et al. (1983), une conséquence pratique de cette
importance du SID, et des effets de la catégorisation initiale des questions stratégiques
sur le processus décisionnel, est que le SID doit être géré par l'entreprise. Certains acteurs
l'ont bien compris, qui orientent sciemment le processus de diagnostic stratégique en
utilisant certaines labellisations (telles par exemple les étiquettes verbales de la matrice
des options stratégiques et sources de financement du BCG: "étoiles", "dilemmes",
"vaches à lait", "poids morts"). De fait, les modèles d'analyse proposés par le courant
"strategy content" du management stratégique peuvent servir d'outils pour gérer le
diagnostic stratégique, en explorant différentes options, en testant les catégorisations des
données et, généralement, en élargissant le périmètre du diagnostic.
L'influence importante du SID sur la suite du processus décisionnel et sur son
aboutissement entraîne une conclusion logique : la connaissance du diagnostic stratégique
227

est un préalable indispensable pour comprendre la prise de décision stratégique222


(Dutton, 1983). Ceci n'est pas facile en raison de l'interaction entre les différents niveaux
d'influence : entre le niveau individuel, le contexte interne et le contexte externe d'une
part, entre les données et schémas cognitifs individuels et organisationnels de l'autre.
Toute tentative de prédiction de l'issue du SID, et par suite du déroulement et de l'issue de
processus décisionnel, doit en tous cas prendre en compte en même temps les données
examinées et les schémas cognitifs ou interprétatifs, au niveau individuel et au niveau
organisationnel223. La tâche est difficile et son résultat fatalement imparfait. Mais, quoi
qu'il en soit, elle exige d'abattre les murs entre les domaines de la finance et de la
stratégie et, au sein de cette dernière discipline, entre les courants du "strategy process" et
du "strategy content".

2.4 CONCLUSIONS DE L' EXPLORATION THÉORIQUE SUR LA DECISION


D'INVESTISSEMENT

L'examen de la littérature sur la décision dans les organisations montre tout


d'abord, en première conclusion, qu'un grand nombre de facteurs influence les choix. En
ce qui concerne plus particulièrement les choix d'investissement, cette situation a pour
corollaire l'influence relative, voire secondaire, des facteurs financiers et des techniques
d'évaluation financière sur la décision d'investir (voir p. 184 et ss.). Ce qui expliquerait
pourquoi les critères décisionnels de la théorie financière, en particulier la règle de choix
de l’investissement rentable, ne sont pas toujours respectés dans les pratiques des
entreprises. Des investissements rentables sont négligés, des investissements non
rentables sont décidés. Il résulte de cette situation une conséquence théorique importante :
en considérant, à tort, que la rentabilité est le facteur explicatif principal des décisions
d'investissement, la théorie financière du "mainstream" ne peut prétendre qu'à un statut
normatif.

222
"Knowledge of how strategic issues are diagnosed is a necessary prerequisite for understanding strategic
decision making" (Dutton et al., 1983, p. 309).
223
"… it is impossible to predict diagnosis outputs from cognitive maps or data alone: the persistent
interplay of deduction and induction indicate that both are necessary" (Dutton et al. 1983, p. 313).
228

Telle est la position défendue notamment par Charreaux (2001, pp. 22-39), qui
résume en quatre catégories les altérations apportées au modèle néo-classique de la
finance, et même au modèle de la théorie de l'agence, par la finance organisationnelle : 1)
altération de l'hypothèse de rationalité des agents économiques. 2) Altération de
l'hypothèse d'absence de conflits d'intérêts entre les parties prenantes. Dans la réalité, ces
conflits d’intérêts peuvent opposer actionnaires et créanciers, actionnaires actuels et
potentiels, actionnaires dominants et petits porteurs, actionnaires et dirigeants. Ils peuvent
opposer les dirigeants entre eux ou avec autres parties prenantes internes ou externes tels
que les salariés, clients, ou fournisseurs de l’organisation. Les conflits potentiels vont
donc bien au-delà des conflits entre mandants et agents envisagés par la théorie
économique de l’agence. 3) Altération liée à la représentation de l'environnement.
L'influence exercée par l’environnement de l’entreprise passe par la représentation (au
sens de schéma mental) que se fait le dirigeant de sa relation avec l'environnement. La
représentation cognitive, subjective, que se fait le dirigeant de l’environnement
conditionne également le processus d'investissement. 4) Altérations liées à la
représentation des actifs. Les actifs ne sont plus seulement des séries de flux monétaires
exogènes: leur nature, la survenance des flux, l'horizon deviennent dépendants des
stratégies des organisations ou de leurs dirigeants (voire d'autres acteurs), l'information
sur les flux elle-même est manipulable, construite. On retrouve bien sûr dans cette
critique de la finance organisationnelle à l'égard de la finance néo-classique la plupart des
facteurs décisionnels dans les organisations que j'ai décrits et dont j'ai tenté de souligner
les aspects les plus pertinents par rapport à mes questions de recherche. Les analyses et
les résultats des domaines de la finance organisationnelle et de la prise de décision dans
les organisations se rejoignent donc pour expliquer les constatations des chercheurs
"alternatifs" du domaine de l'énergie sur le faible pouvoir explicatif des facteurs
financiers sur les décisions d'investissement en efficacité énergétique.
La mise en évidence de la dimension cognitive et culturelle des décisions prises
dans les organisations, formule qui fait référence au processus d'interprétation des sujets
décisionnels, est une autre conclusion importante de l’analyse de la littérature. On peut
dire en fin de compte que le premier facteur décisionnel dans les organisations, ce sont
les décideurs eux-mêmes, auxquels la littérature attribue de plus en plus d'importance au
229

fil des années, bien que, paradoxalement, relativement peu de travaux aient confirmé
empiriquement les analyses théoriques à cet égard (Hambrick, 2007). Cependant leur
influence n'est pas tant dûe à leur pouvoir formel de décision, bien qu'il soit réel et joue
un rôle important, qu'à leurs filtres cognitifs et à leurs relations de pouvoir avec les autres
acteurs qui sont impliqués dans le processus décisionnel. Schémas cognitifs, stratégies
individuelles et conflits d'intérêts influencent de façon décisive le démarrage (diagnostic
des questions décisionnelles), le déroulement (par la construction des solutions et les
quasi-décisions) et l'issue formelle (décision positive ou négative – non décision) du
processus décisionnel. Mais les dirigeants eux-mêmes (et leurs schémas cognitifs) sont
contraints, encadrés et influencés par le contexte organisationnel. Celui-ci conditionne le
démarrage du processus décisionnel, par l'intermédiaire de l'importance accordée à
certains sujets dans la logique dominante de l'organisation, transcrite dans sa culture et
ses systèmes de contrôle. On ne peut donc, me semble-t-il, que souscrire à cette
affirmation de Charreaux (1997, p. 39) : "le processus d'investissement ne se résume plus
au choix du projet optimal (maximisant la richesse des actionnaires) parmi un ensemble
d'investissements dont les flux sont donnés, représentation retenue dans les exercices
destinés aux étudiants en finance. Il s'agit, dans une perspective explicative, de
comprendre comment un projet complexe, aux contours imprécis et aux retombées
incertaines, a pu émerger et être mis en œuvre en fonction des stratégies de différentes
parties prenantes aux objectifs divergents … Au modèle normatif, il faut substituer une
démarche positive prenant en compte l’émergence et le choix de l’investissement dans
une réalité organisationnelle, mais aussi environnementale, complexe".
La présente recherche propose certains outils conceptuels qui peuvent contribuer à
mener une telle démarche. En effet, au-delà d'un examen de la littérature, c'est une
exploration théorique sur la décision et sur la décision d'investissement dans les
organisations qui a été menée ici. Selon Thiétart et coll. (1999, p. 67) :

"L'exploration théorique consiste à opérer un lien entre deux champs


théoriques (au minimum) jusqu'alors non liés dans des travaux
antérieurs ou entre deux disciplines. Ces champs ou disciplines n'ont
pas à être totalement circonscrits par le chercheur. Il peut n'en retenir
230

qu'une partie, celle qui lui semble être la plus pertinente compte tenu de
l'objet de sa recherche. Ainsi le chercheur va sélectionner et retenir un
certain nombre d'objets théoriques dans l'un et l'autre des champs
étudiés (ou disciplines). Ceci va délimiter le cadre conceptuel de sa
recherche. L'exploration se situe au niveau de lien nouveau opéré. Des
résultats sont attendus sur ce point, soit pour parfaire une explication
incomplète, soir pour avancer une nouvelle compréhension des choses."

L'exploration théorique menée ici a consisté à faire un lien entre les concepts des
domaines théoriques du "strategy process", dédié à l'étude de la décision stratégique, et
du "strategy content", dédié à l'analyse et à la formulation de stratégies. Cette exploration
débouche sur une définition plus complète du concept de décision stratégique, qui
s’enrichit de deux dimensions : d'une part part, le caractère plus ou moins stratégique de
ces décisions, en opposition à la dichotomie "stratégique/non stratégique" qu’on trouve
presque toujours dans la littérature ; d'autre part le contenu de la décision stratégique, qui
doit être analysé en termes de sa contribution à l’avantage concurrentiel de l’entreprise.
Cette exploration théorique débouche aussi sur la proposition d’une définition
élargie du concept d’avantage concurrentiel, qui passe de deux dimensions (valeur et
coûts) à trois dimensions (valeur, coûts et risques).
Ces définitions élargies des concepts de décision stratégique et d’avantage
concurrentiel permettent de construire l’instrument de mesure de la dimension stratégique
de l’investissement, qui sera décrit dans le chapitre "Méthodologie".
Plus généralement, l’exploration théorique qui a été menée ici conduit à
rapprocher et à lier les domaines de la finance et de la stratégie d’entreprise, en
approfondissant l’analyse de la dimension stratégique de la décision d’investir et de son
influence sur le processus décisionnel.
Ce voyage dans la prise de décision dans les entreprises nous a finalement
emmenés bien loin du modèle de la rationalité économique, et de ses trois dimensions
constitutives – finaliste, utilitariste et instrumentale – que j'ai décrites au début de cette
deuxième partie (voir p. 115 et ss.). La décision dans les entreprises est rarement finaliste
car, le plus souvent, le but ne précède pas la décision : il est construit au fur et à mesure
231

de l'interprétation et de la catégorisation des données, dans un processus cyclique et


dynamique. Elle n'est pas instrumentale pour les même raisons : les actions possibles –
les moyens – sont interprétées en même temps que le but, dans l'interaction entre données
et cognitions individuelles et organisationnelles. Elle n'est pas utilitariste, ou tout au
moins pas utilitariste selon le sens qui lui est donné par la rationalité économique néo-
classique de primauté de l'intérêt économique. Dans tous les cas, l'individualisme
méthodologique de la théorie économique néo-classique, qui consiste à représenter
l'organisation comme un seul individu, est totalement inadapté à représenter la réalité du
comportement des organisations pour deux raisons principales : il ne rend pas compte des
relations de pouvoir au sein des organisations et de leur influence sur les processus de
perception et d'interprétation qui forment le SID, et sur les décisions qui en découlent; il
ne rend pas compte des conflits d'intérêts et de la divergence des buts entre les différents
acteurs (individus et groupes) et entre les acteurs et l'organisation elle-même. Pour
expliquer, et peut-être prédire les choix des entreprises en matière d'investissement, il faut
adopter au contraire, comme notre exploration théorique l'a montré, une approche
interprétative224 qui analyse comment ces choix sont conditionnés, dans l'interaction entre
acteurs et processus multiples, par les cognitions individuelles et les interprétations
organisationnelles, en raison du lien entre sens et actions, entre diagnostic des questions
stratégiques et processus décisionnel.
En ce qui concerne plus spécifiquement les investissements en efficacité
énergétique, les apports du domaine de la prise de décision dans les organisations sont
précieux pour trois raisons : premièrement, ils permettent d'échapper au débat stérile sur
leur rentabilité financière (réelle ou apparente) en adoptant une approche nouvelle;
deuxièmement ils valident les critiques formulées par certains économistes de l'énergie
sur l'insuffisance du cadre théorique économique dominant pour décrire et expliquer les
décisions d'investissements en efficacité énergétique; troisièmement ils fournissent le
cadre théorique qui manquait pour expliquer les décisions d'investissement en efficacité
énergétique, en intégrant les résultats des recherches menées dans le domaine de
l'énergie. Ce cadre théorique est présenté de façon synthétique dans le chapitre suivant.

224
"An interpretive view of meaning and action predominates attempts to link individual cognitions to
organizational actions" (Dutton et Jackson, 1983, p. 76).
232

2.5 CADRE THÉORIQUE DE LA DÉCISION D'INVESTIR ET HYPOTHÈSES

L'examen de la littérature et l'exploration théorique menés dans les chapitres


précédents permettent de proposer un cadre théorique des déterminants de la décision
d'investissement dans les organisations. J'ai construit le schéma ci-dessous pour le
représenter.

Contexte externe
Facteurs environnementaux

Contexte interne
Facteurs organisationnels

Processus d’investissement
Build up Evaluation Mise en
Initial idea Diagnosis
solutions & Choix œuvre

Caractéristiques de l’investissement
Caract. analytiques, contenu, nature stratégique
Acteurs
Facteurs individuels

Figure 43 – Les déterminants de la décision d'investissement

Comme le montre ce schéma, quatre catégories de facteurs influencent les choix


d'investissement des organisations. Ces catégories sont les suivantes : le processus
décisionnel et les contextes organisationnel et externe dans lesquels ce processus
décisionnel est inséré; les acteurs participant au processus et, enfin, les caractéristiques de
la décision d'investir elle-même. Les principales caractéristiques et modalités d’influence
de ces facteurs sont rappelées de manière synthétique225 dans les pages suivantes.

225
Cette synthèse reprend très brièvement les déterminants de la décision dans les organisations, tels qu'ils
ont été identifiés au moyen de l'examen de la littérature et de l'exploration théorique qui ont été faits dans la
deuxième partie de la thèse. Les références les plus importantes sont rappelées. Pour les autres références il
est recommandé de se référer aux chapitres correspondants.
233

La décision : un processus inséré dans deux contextes. La décision n’est


qu’une étape – l'étape du choix – dans un processus décisionnel, défini comme une
chaîne dynamique d'actions et d'événements, qui s'inscrit dans l'histoire de l'organisation.
Quand la décision peut être identifiée, ce qui n'est pas toujours le cas, elle ne peut donc
pas être étudiée comme un élément isolé. Le processus décisionnel de l'investissement
comprend les trois étapes de l'identification (diagnostic), du développement (élaboration
des différentes solutions), et de la sélection (évaluation et choix). L'idée initiale de
l'investissement ne fait pas partie du processus décisionnel proprement dit. Elle peut
provenir de l'organisation elle-même mais aussi de son environnement (comme c'est le
cas pour les programmes publics de promotion de l'efficacité énergétique). Au tout début
du processus, l'étape du diagnostic est essentielle : d'une part elle transforme – ou non –
l'idée initiale en sujet décisionnel, d'autre part elle influence les étapes du développement
(recherche et tri de l'information et élaboration des options possibles) et, par suite, du
choix. Le processus d'investissement complet comprend le processus décisionnel et la
mise en œuvre qui le suit, phase également importante car son succès ou son échec
relatifs s'inscriront dans l'histoire de l'organisation et influenceront les processus
décisionnels ultérieurs. Contrairement à ce qui est représenté dans le schéma ci-dessus
pour des raisons de clarté, le processus décisionnel est rarement fluide et linéaire. Il est au
contraire le plus souvent cyclique et sporadique, avec des boucles de rétroaction et des
arrêts. Comme le contexte interne (l'organisation elle-même), le contexte externe
(l'environnement de l'organisation) influence toutes les étapes du processus décisionnel.
Les principales composantes du contexte externe sont les mouvements de la concurrence,
les demandes des clients mais aussi les demandes sociétales au sens large, la législation,
l'état de l'économie, les avancées technologiques. Cependant l'environnement de
l'organisation n'est pas objectif, ou donné : il est interprété, chargé de sens et construit par
la vision des acteurs et par des filtres organisationnels (culture, routines, systèmes de
contrôle). Les organisations inventent l'environnement auquel elles vont répondre en
décidant quels aspects de l'environnement sont importants ou non226.

226
"Organizations will invent the environment to which they will respond by deciding which aspects of the
environment are important or unimportant" (Lyles, 1987, p. 266).
234

La décision, un processus influencé par le nombre et le pouvoir des acteurs.


Le nombre et le pouvoir des acteurs (groupes et individus) qui participent au processus
décisionnel influencent le déroulement et le résultat de celui-ci. Plus le nombre d'acteurs
est élevé, plus le processus risque d'être long, et éventuellement politisé (en fonction de
l'importance de l'enjeu). La prise de décision est politique car les organisations ne sont
pas des entités monolithiques - elles sont composées d'individus et de groupes aux
intérêts souvent divergents et disposant d'un pouvoir plus ou moins grand. Dans toutes les
organisations, une coalition dominante (Bettis and Prahalad, 1986) impose ses choix. Elle
est composée du top management des départements de la production (ou son équivalent
dans les entreprises de service), des ventes & marketing, et des finances (Miller et al.
1997). Avec la direction générale, ces fonctions jouent un rôle clé dans toute
organisation, en étant investies de plus de pouvoir que les autres. Elles sont étroitement
liées au métier de l'entreprise. Les choix faits par les organisations reflètent les
préférences de la coalition dominante.
La décision d'investir, un processus influencé par les caractéristiques de
l'investissement envisagé. Tout processus décisionnel est inséré dans un réseau de sujets
interconnectés (Interwoven streams of issues network; Langley et al., 1995); dans toute
organisation, il existe une compétition entre sujets décisionnels, pour les ressources,
financières mais aussi humaines (en particulier le temps et l'énergie des dirigeants de haut
niveau), qui sont disponibles en quantités limitées. Les sujets décisionnels peuvent se
renforcer ou s'exclure mutuellement.
Les caractéristiques des sujets décisionnels jouent un rôle important sur le
déroulement et sur l'issue de cette compétition. En ce qui concerne les projets
d’investissement, ces caractéristiques comprennent trois dimensions : les caractéristiques
analytiques, le contenu substantiel et le caractère plus ou moins stratégique (voir p. 192 et
ss.). Parmi les caractéristiques analytiques, le niveau de contrôle des résultats de l'action,
qu'il soit individuel ou organisationnel, influence significativement la décision (voir p.
216 et ss.). Surtout, la nature stratégique de l'investissement considéré est un facteur
décisionnel important, plus important que la rentabilité. Elle dépend du contenu de
l'investissement projeté et de sa contribution au métier et donc à l'avantage concurrentiel
de l'entreprise. Bien que peu de travaux se soient intéressés au thème du classement des
235

questions décisionnelles entre stratégiques et non stratégiques227, différents éléments


théoriques permettent cependant de considérer et d'expliquer pourquoi ce classement est
important par ses conséquences sur le processus décisionnel: celui-ci ne démarre que si la
question décisionnelle qui se présente, l'idée initiale selon la terminologie de Desreumaux
et Romelaer (2001) est interprétée, dans la phase du diagnostic, comme un stimulus
suffisamment puissant pour déclencher l'action (Mintzberg, Raisinghani et Theoret,
1976); mais franchir le seuil de l'action ne suffit pas pour assurer l'adoption du projet car,
une fois le seuil franchi, les questions décisionnelles, et les "réseaux de questions
décisionnelles", se retrouvent en compétition au sein de l'organisation (Langley et al.,
1995). Un projet d’investissement perçu comme non stratégique risque de perdre la
compétition, d'être éliminé du courant décisionnel et de finir sur une voie de garage, dans
la catégorie – peu étudiée également – des non-décisions (Bachrach et Baratz, 1962, voir
p. 139 et ss.). Cependant, la nature stratégique de l'investissement peut aussi compliquer
et ralentir le processus décisionnel, en raison de l'incertitude, de la complexité, et de la
nouveauté qui découlent précisément de ce caractère stratégique : plus la décision à
prendre est nouvelle et complexe et ses conséquences incertaines, plus les solutions
doivent être construites, plus le nombre d'acteurs impliqués sera élevé et plus le processus
décisionnel sera long, sporadique et cyclique, et probablement politisé. A moins que le
caractère stratégique de l’investissement considéré ne conduise à un processus de quasi-
décision, par lequel la décision informelle est prise par le plus haut management au tout
début du processus décisionnel, ce qui conditionne son déroulement et son issue positive.
En résumé, le caractère stratégique de la décision d'investir est une condition importante,
nécessaire, quoique non suffisante, pour aboutir à une décision positive.
Mais les données et événements décisionnels sont interprétés par les acteurs
et par les systèmes organisationnels. Les investissements ne sont pas stratégiques –
ou pas seulement – pour des raisons objectives. Ils sont interprétés comme tels par
les décideurs. Cette interprétation a lieu d'abord dans la phase du diagnostic, qui
intervient à deux niveaux interreliés : les niveaux individuel et organisationnel. C'est dans

227
Comme je l'ai discuté dans le chapitre "Décision stratégique et stratégie" (voir p. 184 et ss.), les
chercheurs en "strategy content" s'intéressent peu au contenu des décisions stratégiques, en donnent des
définitions assez imprécises, et ne s'intéressent pas à la distinction entre questions stratégiques et non
stratégiques, les chercheurs en "strategy process" définissent dans l'ensemble une décision stratégique
comme une décision importante pour l'organisation.
236

le processus du diagnostic stratégique que les données ou événements qui se présentent


sont évaluées et classées, chargées de sens et interprétées. Au cours de ce processus,
certaines questions acquièrent un statut d'événement décisionnel et une dimension plus ou
moins stratégique. Les schèmes cognitifs des décideurs228, jouent un rôle de filtre et
influencent leur diagnostic stratégique (et, par suite, les décisions qu'ils prennent) à
travers trois processus interprétatifs distincts : délimitation du champ de vision (les
directions dans lesquelles ils regardent et écoutent), perception sélective (ce qu'ils voient
et entendent) et interprétation (le sens qu'ils attribuent à ce qu'ils voient et entendent). Des
biais cognitifs, processus de distorsion de l'information communs à tous les individus229,
augmentent l'influence des schémas cognitifs en allant toujours dans le sens d'un
renforcement (inconscient) des idées préconçues et des impressions initiales des
décideurs en matière de catégorisation des objets. Le contexte organisationnel joue
également un rôle de filtre des questions stratégiques, qui interagit avec les filtres
individuels des dirigeants. Il agit comme un ensemble de forces qui contraignent
l'interprétation des managers et influencent la compréhension qu'ils développent des
sujets examinés. Généralement, on peut dire que l'interprétation des questions
stratégiques est filtrée par les schèmes organisationnels230 : stratégie, structure, et surtout
culture.
Selon le cadre théorique de la décision d'investissement décrit ci-dessus, au cœur
des quatre catégories de facteurs qui influencent la décision d'investissement dans les
organisations, la rentabilité de l'investissement n'est pas le facteur décisionnel le plus
important. C'est le caractère stratégique de l'investissement qui exerce l'influence la plus
décisive. Si un investissement n'est pas considéré comme stratégique, il ne sera pas
décidé, au profit d'autres projets plus importants. Si on applique aux décisions
d'investissement en efficacité énergétique le modèle théorique de la décision
d'investissement, en prenant comme exemple le cas d'une entreprise qui considère
l'énergie comme un sujet non stratégique, on peut développer le raisonnement suivant :

228
"Système référentiel, "système de croyances" constitué de règles ou de généralisations qui structure la
façon dont un individu appréhende la réalité (Cossette, 2004, p. 48). Voir le chapitre consacré à la
cognition individuelle p. 153 et ss.
229
Voir p. 109 et ss. et p. 188.
230
Voir le chapitre sur la cognition organisationnelle: voir p. 161 et ss.
237

 Contexte organisationnel : l'entreprise traite l'énergie comme une question


subalterne; la culture de l'entreprise en matière d'énergie et d’efficacité
énergétique est faible; la logique dominante de l'organisation ne perçoit pas
les questions énergétiques comme des questions stratégiques. L’énergie est
invisible dans la structure de l’entreprise, car il n'y a pas de gestion de
l'énergie.
 Facteurs individuels : les questions énergétiques font partie des attributions
de managers de niveau subalterne. Puisqu'il n'y a pas de gestion de l'énergie,
ces managers seront non spécialisés (souvent, ils ne sont pas spécifiquement
en charge de l'énergie mais celle-ci sera incluse dans des compétences plus
vastes, telles la gestion des "services généraux", des "infrastructures" ou des
"bâtiments"). Ces managers seront généralement de formation technique, avec
peu de compétences dans les domaines des fonctions dominantes (finance,
stratégie, marketing et vente). Ils auront peu de pouvoir, contrairement aux
managers des fonctions dominantes. Les investissements en efficacité
énergétique seront donc soutenus ("championed") par des managers peu
influents et maîtrisant généralement insuffisamment les langages managériaux
(stratégie, finance) susceptibles de convaincre les managers des fonctions
dominantes.
 Processus décisionnel. Lors de l'étape du diagnostic, un investissement en
efficacité énergétique sera catégorisé comme un sujet décisionnel de faible
importance, non stratégique231. Peu de ressources seront allouées à la
recherche d'informations (phase de développement) et les mécanismes
organisationnels interprétatifs influenceront négativement le processus
(lenteur).
 Caractéristiques de l'investissement. Le projet d'investissement en efficacité
énergétique sera perçu comme étant faiblement lié au métier de l'entreprise et
catégorisé comme non stratégique. Il perdra donc la compétition interne pour

231
Un investissement non stratégique doit s'entendre, comme je l'ai proposé dans le chapitre "Décision
stratégique et stratégie" (voir p. 184 et ss.) comme un investissement qui ne contribue pas à créer ou
renforcer l'avantage concurrentiel de l'entreprise, défini comme le rapport entre la valeur que l'entreprise
développe pour sa clientèle et les coûts qu'elle supporte et les risques qu'elle affronte pour créer cette
valeur, dans l'exercice de son métier.
238

les ressources humaines et financières et aboutira, dans l'étape finale de la


sélection et du choix, au mieux à une non-décision, au pire à une décision
négative.

Basée sur le cadre théorique de la décision d'investissement, et selon la logique


développée ci-dessus, la thèse suivante est formulée, en réponse aux questions de
recherche232 :

Il existe un potentiel rentable d'économies d'énergie dans les


entreprises principalement parce que les entreprises considèrent comme
faiblement stratégiques les investissements en efficacité énergétique qui
permettraient de réduire ce potentiel; la perception du caractère
stratégique de l’investissement est influencée par le niveau de gestion de
l’énergie, élément du contexte interne de l’entreprise, ce qui explique,
au moins en partie, les différences de comportement entre entreprises.

Pour évaluer la validité de cette thèse, deux hypothèses sont formulées.

Caractère stratégique des investissements en efficacité énergétique. Le


modèle théorique des déterminants de la décision d'investir proposé ci-dessus indique que
la dimension stratégique d'un projet d'investissement est le premier facteur influençant la
décision d'investir. Cette influence déterminante du caractère stratégique de
l'investissement a été montrée de façon inconstestable, comme nous l'avons vu, par
différents travaux de recherche dans les domaines de la finance organisationnelle et des
décisions AMT (advanced manufactured technologies). Cette influence relativise ipso
facto le poids de la logique financière et de la rentabilité de l'investissement. Par
conséquent, le faible caractère stratégique d'un investissement est le premier motif de
non-décision ou de décision négative à son encontre. Pour expliquer l'existence d'un

232
1) pourquoi existe-t-il dans de nombreuses entreprises un potentiel rentable d'économies d'énergie ? 2)
pourquoi les entreprises ont-elles des comportements différents en matière de décisions d’investissement en
efficacité énergétique, et plus généralement, en matière de gestion de l’énergie?
239

potentiel rentable d'économies d'énergie dans les entreprises, en réponse à la première


question de recherche, la première hypothèse postule donc que :

 Hypothèse no. 1 : les décisions d'investissements en efficacité


énergétique ont un faible caractère stratégique pour de
nombreuses entreprises.

Rôle de la culture sur la perception du caractère stratégique des


investissements. Comme nous l'indique le cadre théorique de la décision d'investir, le
sens donné à un événement ou à un sujet est différent d'une organisation à l'autre, en
raison de l'action de filtres organisationnels et individuels233 qui sont spécifiques à chaque
organisation. Le filtre interprétatif le plus influent est celui de la culture
organisationnelle, "schème de niveau organisationnel constitué essentiellement de valeurs
qui sont partagées dans une mesure plus ou moins grande et de façon plus ou moins
consciente par les membres d'une organisation… système d'idées à caractère normatif,
façonné ultimement par les acteurs concernés" (Cossette, 2004, p. 121). En même temps,
"a device for interpretation and a formula for action" (Johnson, 1992), la culture
organisationnelle crée une approche relativement homogène pour interpréter la
complexité à laquelle l'organisation est confrontée et elle fournit un répertoire d'actions et
de réponses. La culture organisationnelle conditionne les décisions prises dans
l'organisation, car la même décision pourra être considérée comme plus ou moins

233
Rappelons que les filtres individuels qui biaisent le processus de perception, de sélection et
d'interprétation des données et des informations, de façon permanente et inconsciente, sont de deux ordres:
d'une part, de nombreux biais cognitifs, communs à tous les décideurs, dont l'action s'exerce toujours dans
le même sens, celui de confirmer et de renforcer les impressions initiales; d'autre part, les schèmes
cognitifs, particuliers à chaque décideur en fonction de son vécu et de son expérience personnelle (voir p.
153 et ss.), qui sont en quelque sorte des lunettes à travers lesquelles il voit le monde. En guidant leurs
perceptions et leur interprétation des prédispositions stratégiques, de la position concurrentielle et des
capacités internes de leur organisation, ou de toute autre question qui se présente à eux, en admettant
certains éléments d'information dans le processus de formulation de la stratégie et en en excluant d'autres,
les filtres cognitifs individuels des décideurs exercent une influence évidente sur le diagnostic et, par suite,
sur les orientations stratégiques (Porac et Thomas, 2002). Car "how they interpret it determines the way in
which they will respond to it" (Schwenk, 1989, p. 183). Mais la compréhension que chaque participant
développe de la question examinée est aussi contrainte par le contexte organisationnel, qui influence la
façon dont les dirigeants interprètent leur environnement en filtrant l'information et en créant des incitations
à l'interpréter d'une certaine façon.
240

stratégique ou non stratégique par des organisations opérant dans le même secteur
d'activité et présentant des caractéristiques similaires.
Cependant, la culture ne peut être observée directement. Car, explorer la culture
c’est comme explorer l’océan (Schneider et Barsoux, 2003, p. 18) : ce qu’on observe en
surface - artefacts, rituels et comportements - ce ne sont que des indices de ce qui se
cache dans les profondeurs. La culture doit être déchiffrée, d’abord dans une recherche
des valeurs et croyances qui expliquent les comportements observés, et ensuite, au plus
profond, dans une recherche des convictions tenues pour acquises, qui ne peuvent qu’être
inferrées et interprétées234 (voir p. 170 et ss.).
L’influence de la culture s’exerce sur, et à travers, la structure, la stratégie et les
routines de l’organisation. Eléments de la structure, les systèmes de gestion235 jouent un
rôle important : ils influencent les perceptions des acteurs au sein de l'organisation en
rendant plus ou moins importants et visibles certains sujets, ils codifient le classement et
l'interprétation des événements et des informations qui se présentent, et perpétuent leur
catégorisation. Si nous ne pouvons observer directement la culture, nous pouvons par
contre examiner comment les systèmes de gestion jouent un rôle dans l’interprétation des
questions décisionnelles. Basée sur ces considérations, et en lien avec la deuxième
question de recherche, la deuxième hypothèse postule que :

 Hypothèse no. 2 : le niveau de gestion de l’énergie de l’entreprise


exerce une influence sur la perception du caractère stratégique
de l’investissement en efficacité énergétique.

Mais la culture de l'entreprise, dans le domaine de l'énergie comme dans les autres
domaines, n'est pas la seule culture qui influence les valeurs, croyances et comportements
des acteurs (individus et groupes). Car elle interfère avec d'autres sphères de culture qui
influencent les interprétations et le comportement des individus et des organisations
234
“Exploring culture can b e compared to exploring the ocean. On the surface, riding the waves, we can
observe artifacts, rituals, and behavior. These provide clues as to what lies underneath. But to verify this,
one has to look below. That means asking questions to discover the reasons the values and beliefs which
are given to explain that behavior. But futher down rest the underlying assumptions which are difficult to
access and need to be inferred, through interpretations” (Schneider et Barsoux, 2003, p. 18).
235
Les systèmes de gestion font partie des systèmes de contrôle. Voir (p. 213 et ss.) la définition de De
Bodt et Bouquin (2001, p. 116).
241

(Schneider & Barsoux, 2003). La culture d’entreprise renvoie aux valeurs principales,
c'est-à-dire celles qui sont considérées comme prioritaires par les membres de
l’organisation, elle intègre les convictions tenues pour acquises et les croyances
fondamentales communes, qui composent le "paradigme" (Johnson, 1992), la "logique
dominante" (Bettis et Prahalad, 1986). La culture d’entreprise fédère plus ou moins (selon
sa force) les sous-cultures présentes dans l'organisation, mais elle ne les efface pas. Les
autres cultures - ou sous-cultures – restent présentes. Il s'agit des cultures nationale,
régionale, professionnelle, fonctionnelle, et enfin de la culture du secteur d’activité. Plus
le contenu de ces "sphères culturelles" (Schneider et Barsoux, 2003) des membres de
l'organisation est similaire et plus ils ont en commun de sphères culturelles, plus leurs
schèmes cognitifs seront similaires. Inversement, les particularités des individus, créent
des frontières informelles dans l’organisation entre groupes de culture différente, ayant
des schèmes cognitifs différents et donc une façon différente de percevoir leur
environnement et d'y réagir.
Un objectif secondaire de la recherche empirique est d'évaluer l'influence de
certaines sous-cultures, en particulier les cultures fonctionnelle et professionnelle, sur la
perception du caractère stratégique de l'investissement236. On peut supposer à cet égard
que les responsables de l'énergie dans l'entreprise évalueront le caractère stratégique des
investissements en efficacité énergétique à un niveau plus élevé que les responsables
financiers. Ceci s'expliquerait par le fait que les responsables de l'énergie sont
généralement de formation technique, ce qui pourrait les inciter à être plus attentifs aux
investissements en efficacité énergétique qui concernent des équipements techniques
(dont ils ont par ailleurs la responsabilité), contrairement aux responsables financiers.
La recherche, au plan théorique comme au plan empirique, concentre donc son
analyse sur le niveau collectif : celui de l’organisation elle-même et de certains groupes
d’acteurs en son sein (managers en charge de l’énergie d’une part, managers finance
d’autre part).
Si les hypothèses énoncées sont validées, alors la thèse énoncée ci-dessus
constituera une explication, alternative à celle du mainstream des économistes de

236
En posant les mêmes questions à des acteurs différents. Voir à ce sujet la partie "Méthodologie", p. 244
et ss.
242

l'énergie, de l'existence d'un potentiel rentable d'économies d'énergie dans les entreprises.
Cette situation dans laquelle des entreprises, à but lucratif, négligent des sources
d'accroissement de leur profit est contraire à la théorie économique et, c'est pourquoi, elle
a suscité une littérature importante autour des notions de "energy efficiency gap" ou
"energy efficiency paradox". Le courant dominant des économistes de l'énergie soutient
que ces investissements ne sont pas décidés parce que leur rentabilité n'est qu'apparente
et/ou parce qu'un certain nombre de défauts, dans les marchés de l'énergie ou dans les
organisations (market ou organisational failures) empêchent les marchés de l'énergie de
fonctionner correctement237. Cependant, comme nous l'avons vu (p. 55 et ss.), cette
argumentation n'est pas satisfaisante. L'argumentation défendue ici, basée une approche
très différente, est que le potentiel rentable d'économies d'énergie constaté dans de
nombreuses entreprises provient du faible caractère stratégique des investissements qui
permettraient "d'activer" ce potentiel. Cette thèse permet d'intégrer les constatations faites
par les chercheurs "alternatifs" du domaine de l'énergie sur l'importance des dimensions
stratégique et culturelle des investissements en efficacité énergétique. En effet, comme
nous l'avons vu, la littérature alternative sur les investissements en efficacité énergétique
a constaté le rôle joué par ces dimensions, mais elle ne l'a pas expliqué, faute de disposer
du cadre théorique nécessaire.
Comme nous l'avons vu, l'influence de la dimension stratégique sur les choix
d'investissement a fait l'objet de plusieurs travaux de recherche. Cependant, dans ce
domaine, des compléments de recherche sur le sujet sont nécessaires à différents titres.
Premièrement pour analyser de façon plus détaillée l'influence respective des dimensions
financière et stratégique sur la décision d'investir. Deuxièmement, pour étudier les
interactions éventuelles entre ces dimensions, en particulier l'influence du niveau de
stratégicité sur l'exigence de rentabilité financière (plus stratégique l'investissement, plus
basse l'exigence de rentabilité?). Troisièmement, pour mieux comprendre les modalités
de l'influence de la stratégicité du projet d'investissement sur le processus décisionnel. En
effet, selon la définition que j'ai proposée de la décision stratégique238, la question n'est

237
Voir à ce sujet la section sur les barrières à l'efficacité énergétique p. 60 et ss.
238
"Une décision est stratégique si elle contribue à créer, maintenir ou développer un avantage
concurrentiel durable. Cette définition implique qu'une décision n'est pas simplement stratégique ou non
stratégique, … Une décision est plus ou moins stratégique - ou non stratégique. Elle s'inscrit dans un
243

pas d'analyser l'influence du caractère stratégique ou non stratégique du projet


d'investissement sur la décision, mais plutôt d'analyser l'influence du niveau de
"stratégicité" du projet d'investissement sur la décision. Je ne peux malheureusement pas
étudier ce dernier aspect dans la présente recherche, car la plupart des entreprises de
l'échantillon n'ont pas encore fini l'audit approfondi (dernière étape du programme NOE,
auxquelles elles participent) et je ne peux donc pas analyser l'influence de la stratégicité
perçue des investissements proposés au terme desudits sur les décisions d’adoption et de
mise en œuvre. Cet aspect devrait faire l'objet de recherches ultérieures. Ma recherche
empirique a donc pour objectif d'approfondir les connaissances dans le domaine général
de la décision d'investissement sur les deux premiers points indiqués ci-dessus. Il est à
noter que la mise en évidence de l'influence sur la décision du caractère stratégique de
l'investissement, entraîne une conséquence importante : puisque le niveau de stratégicité
d'un projet d'investissement détermine le style de décision (positive, négative, non-
décision) alors, si on arrive à évaluer le caractère stratégique perçu de la décision
envisagée, on peut raisonnablement prédire le résultat probable du processus décisionnel
(au moins partiellement, puisque la stratégicité est une condition nécessaire mais non
suffisante de la décision positive d’investir). Et si la perception des décideurs est que le
caractère stratégique est faible, alors il faut renforcer le caractère stratégique.
La dimension culturelle des investissements en efficacité énergétique ou,
autrement dit, l'influence de la culture de l'efficacité énergétique de l'entreprise et de
sous-cultures fonctionnelles sur la perception du caractère stratégique de l'investissement
n'a pas fait l'objet de travaux de recherche spécifiques. Quand l'influence de la culture
énergétique a été remarquée (par la littérature alternative sur les investissements en
efficacité énergétique), elle n'a pas été expliquée. Une corroboration de la deuxième
hypothèse irait à l’encontre de la perspective économique dominante selon laquelle c'est
la structure de coûts spécifique à chaque secteur d'activité qui détermine les
consommation d'énergies et les décisions d'investissement en efficacité énergétique des
entreprises; par conséquent, les différences de comportement en matière d’usage et

continuum. Elle peut être non stratégique, faiblement stratégique, fortement stratégique ou totalement
stratégique. Plus une décision est stratégique, plus elle contribue à l'avantage concurrentiel, plus elle est
importante pour la performance, voire pour la survie de l'entreprise (voir p. 191, dans le chapitre "Décision
stratégique et stratégie").
244

décisions de/sur l’énergie sont fonction du secteur d'activités et non pas de l'entreprise.
En contradiction avec cette perspective dominante, une mise en évidence de l'influence
de la culture de l'organisation sur la perception du caractère stratégique de
l'investissement en efficacité énergétique, permettrait d'expliquer les différences de
comportement ayant été observées entre entreprises appartenant au même secteur
d'activité et présentant les mêmes caractéristiques (Tunnessen, 2004).
Si mes hypothèses sont validées, alors la thèse énoncée ci-dessus constituera une
explication, alternative à celle du mainstream des économistes de l'énergie et présentant
un plus grand pouvoir explicatif, de l'existence d'un potentiel rentable d'économies
d'énergie dans les entreprises. Cette explication permettrait de mieux comprendre les
raisons de l'existence d'un "energy efficiency gap" - mais aussi d'intervenir en amont du
phénomène en formulant des politiques publiques différentes de celles ayant été utilisées
jusqu'ici. Le but de ces nouvelles politiques serait de mettre en évidence la contribution
des investissements en efficacité énergétique à l'avantage concurrentiel des entreprises et
d'intervenir sur la culture de l'entreprise en matière d'énergie (dans le but d'augmenter la
stratégicité perçue de ces investissements), au lieu d'être axées sur la rentabilité des
investissements (en fournissant information et/ou subventions) comme c'est presque
toujours le cas à l'heure actuelle.
En mettant en évidence l'influence des dimensions stratégique et culturelle des
investissements en efficacité énergétique, cette explication conduit donc à basculer d'une
perspective principalement financière sur une perspective stratégique interprétative pour
comprendre, partiellement prévoir et, in fine, influencer la décision d'investissement en
efficacité énergétique. Cette approche est illustrée par le schéma de la page suivante :
245

Culture de Caractère Décision d'investir


l'efficacité stratégique [perçu] - positive
énergétique de l'investissement - négative
de l'entreprise - non-décision

Le chapitre suivant sera consacré à décrire la recherche empirique menée, d’une part,
pour tenter de corroborer les deux hypothèses formulées et, d’autre part, pour approfondir
les connaissances 1) dans le domaine général de la décision d'investissement - en
particulier sur la question de l’influence respective des dimensions financière et
stratégique sur la décision d'investir – et 2) dans le domaine particulier de la décision
d’investissement en efficacité énergétique.
246

3. 3ème partie : recherche empirique

La troisième partie décrit la recherche empirique ayant été menée pour tester les
hypothèses formulées au terme de la deuxième partie ainsi que pour approfondir les
connaissances dans le domaine général de la décision d’investir. Cette troisième partie est
composée de deux volets : présentation de la méthodologie, d’une part, présentation des
résultats d’autre part.
En liaison avec le cadre théorique présenté dans le chapitre précédent, l'objectif de
la recherche empirique est triple : 1) approfondir les connaissances sur la décision
d'investissement, et en particulier sur l’influence respective des dimensions financière et
stratégique sur ce type de décision ; 2) évaluer le caractère stratégique des
investissements en efficacité énergétique ; 3) évaluer l'influence du système de gestion de
l’énergie de l'organisation, lié à la culture de l’efficacité énergétique de celle-ci, sur la
perception de ce caractère stratégique.
Il s'agit d'une recherche sur le contenu dont l'objectif est de mieux comprendre,
décrire et expliquer le phénomène étudié : les décisions d'investissements en efficacité
énergétique prises par les entreprises. L'unité d'analyse de la recherche empirique est
l'investissement en efficacité énergétique et les niveaux d'analyse sont l'organisation
(macro level), plus exactement un type particulier d'organisation, celui des entreprises à
but lucratif, et certains groupes en son sein (meso level, ici managers en charge de
l’énergie et les managers finance). La recherche empirique présentée ici suit une logique
déductive puisqu'elle a pour but de valider des hypothèses ayant été élaborées sur la base
d'un cadre théorique prédéfini. La validation des hypothèses est effectuée, dans une
approche quantitative, au moyen de données primaires collectées d'une part dans des
entretiens semi-directifs auprès des personnes en charge de l'énergie et, d'autre part, dans
des questionnaires soumis aux responsables financiers des entreprises de l'échantillon.
Dans un deuxième temps, l’analyse et la discussion des résultats conduisent à générer de
nouvelles hypothèses qui peuvent faire l’objet de recherches ultérieures.
247

3.1 METHODOLOGIE

3.1.1 Mesure des concepts

Deux hypothèses, basées sur le cadre théorique décrit dans le chapitre précédent,
ont été formulées, pour permettre d'évaluer la pertinence de la thèse énoncée en réponse
(provisoire) aux questions de recherche. La première hypothèse postule que les
investissements en efficacité énergétique présentent un faible caractère stratégique pour
de nombreuses entreprises. La deuxième hypothèse postule que le niveau de gestion de
l’énergie, lié à la culture de l’efficacité énergétique de l'entreprise, exerce une influence
sur la perception par les entreprises, et par les décideurs en leur sein, du caractère
stratégique de l'investissement.
Comme le rappelle Thiétart et coll. (1999), passer du monde théorique au monde
empirique implique pour le chercheur d'opérer une traduction des définitions
conceptuelles adoptées de façon à identifier les éléments du monde empirique qui
illustrent le plus finement possible cette définition car "il n'existe pas de données
empiriques correspondant exclusivement à un concept" (Thiétart et coll., 1999, p. 171).
Le passage du monde théorique au monde empirique est la mesure. La mesure d'un
concept implique d'abord de découvrir les composantes ou dimensions de ce concept, et
ensuite de définir le type de données à recueillir pour chacune des dimensions identifiées
(idem, p. 173). Les deux prochaines sections seront donc consacrées respectivement à
définir les dimensions du concept "caractère stratégique de la décision d'investissement"
et celles du concept "gestion de l’énergie de l'entreprise", de façon à pouvoir les mesurer,
et à définir les données à recueillir pour chacune de ces dimensions. Dès lors qu'on peut
mesurer ces deux concepts, on peut étudier la relation entre eux, c'est-à-dire ici la relation
entre le niveau de gestion de l’énergie de l'organisation et la perception du caractère
stratégique de la décision d'investissement en efficacité énergétique.
Pour tester la première hypothèse, il faut mesurer le caractère stratégique des
investissements en efficacité énergétique et définir ce qu'on entend par "faible caractère
stratégique". Pour tester la deuxième hypothèse, il faut d'abord mesurer le niveau de
248

gestion de l’énergie de l'entreprise, et ensuite analyser la relation entre le niveau de


gestion de l’énergie et la perception du caractère plus ou moins stratégique de
l'investissement.

3.1.1.1 Caractère stratégique de la décision d'investissement

Le chapitre consacré aux décisions stratégiques (voir p. 185 et ss.) a montré que la
composante principale du concept "caractère stratégique de la décision d'investissement"
est l’impact sur la compétitivité de l’entreprise. La section suivante est consacrée à
identifier les indicateurs permettant de mesurer cet impact.
Selon la définition que j'ai proposée dans le chapitre consacré aux décisions
stratégiques, une décision est stratégique si elle contribue à créer, maintenir ou
développer un avantage concurrentiel durable. Cette définition implique d'une part qu'une
décision n'est pas simplement stratégique ou non stratégique, mais plus ou moins
stratégique – ou non stratégique. Cette définition implique d'autre part que la contribution
à l'avantage concurrentiel est la composante principale du caractère stratégique de la
décision d'investissement. Quels sont les indicateurs qui permettent de mesurer l'avantage
concurrentiel généré par une décision stratégique? Une difficulté réside dans le fait
d'identifier des indicateurs pertinents, qui correspondent aux pratiques des décideurs dans
les entreprises. A cet égard, rappelons la recherche de Dutton et al. (1989, voir p. 192 et
ss.) qui a mis en évidence le décalage entre les analyses théoriques de la littérature et les
pratiques des décideurs. Quant à moi, je n'ai pas la possibilité de déduire les indicateurs
de l'avantage concurrentiel des pratiques des décideurs car une telle recherche dépasserait
le cadre et les moyens du présent travail. Je les déduirai donc de la littérature théorique.
Dans le chapitre "Stratégie et décision stratégique" (p. 192 et ss.), une section est
consacrée à l'analyse de l'avantage concurrentiel. Comme nous l'avons vu, deux grands
courants de la littérature en management stratégique ont prôné les moyens permettant de
construire ou de développer l'avantage concurrentiel : l'approche par les activités et
l'approche par les ressources. Ces deux courants s'accordent sur le concept d'un avantage
249

concurrentiel à deux composantes239 : d'une part la valeur de l'offre qu'une entreprise


propose à ses clients et, d'autre part, les coûts qu'elle supporte pour construire cette offre.
Cette approche d'un avantage concurrentiel à deux dimensions – valeur et coûts –
semble cependant incomplète : il y manque la dimension du risque. Toute décision
comporte une part de risque, puisqu'une décision consiste à faire un choix dans
l'incertain240. Pourtant la question du risque est étonnamment peu présente dans la
littérature sur la stratégie d'entreprise. Les ouvrages consacrés à la stratégie d'entreprise
ne prennent pas en compte les risques associés à la mise en œuvre d'une stratégie, ou
d'une décision stratégique241. Ainsi, ni Strategor (2005), ni Gervais (2003), ni Collis et
Montgomery (1997) ne mentionnent le sujet. Michael Porter (1996, p. 35) discute (très
brièvement) les risques associés aux stratégies de base qui menacent la viabilité de
l'avantage concurrentiel. Johnson et Scholes (2000, p. 416) présentent en quelques lignes
l'analyse de sensibilité comme l'outil permettant de pallier le risque attaché à la
réalisation d'une stratégie. Faisant exception à la tendance générale, Thiétart et Xuereb
(2005) consacrent très utilement une section à la gestion des risques associés à la
stratégie. Ayant défini ce risque comme "un événement interne ou externe susceptible de
compromettre l'atteinte des objectifs de la stratégie en termes de performance, de
résultats, de coûts, d'investissements et de délais" (Thiétart et Xuereb, 2005, p. 302), ils
proposent une liste des principaux risques rencontrés par les entreprises. Ces risques
doivent être mis en relation avec les points critiques de mise en œuvre de la stratégie, qui
peuvent être des "éléments critiques sur le plan financier, des éléments nouveaux (tels
que des équipements, développement d'offre de produits et/ou de services, nouveaux
fournisseurs, nouveaux clients…), des éléments critiques de la performance ou encore des
éléments critiques de la mise en œuvre de la stratégie (planning, lancement…) (idem, p.
303). Dans le tableau ci-dessous, les deux chercheurs proposent une liste des principaux
risques, répartis en quatre catégories.

239
Voir p. 181 et ss.
240
Selon la définition donnée p. 110.
241
Cependant, je n'ai pas fait une analyse exhaustive de la question.
250

• Spéculation (sur des matières premières…)


Risques financiers • Pression des actionnaires
et commerciaux • Défaillance commerciale
• Retournement économique
• Evolution des coûts des achats, etc.

• Nouveaux fournisseurs
Risques techniques • Innovation technique
• "Criticité" de la faisabilité technique
• Nouveaux procédés industriels, tec.

• Manque de compétences
• Destruction de moyens
Risques liés aux • Manque de potentiel humain
ressources • Dysfonctionnement des principaux processus
(système d'information, production, service
après-vente…), etc.

• Retards internes
Risques liés au • Retard ou défaillance de fournisseurs
développement • Faillite de sous-traitant
• Aléas, etc.

Figure 44 - Risques fréquemment rencontrés par les entreprises Thiétart et Xuereb


(2005, p. 303).

La dimension du risque est généralement absente également de la littérature sur


les investissements en efficacité énergétique, à deux exceptions près : d'une part le risque
financier constitué par l'irréversibilité de ces investissements est souvent mentionné
comme une des causes d'une rentabilité réelle peu élevée; d'autre part, les répondants de
l'enquête242 de Sorrel et al. (2000) indiquent que le risque, risque de métier ou risque
technique associé aux technologies envisagées, est le troisième motif invoqué pour
expliquer les non-décisions d'investir en efficacité énergétique (voir p. 48). Au-delà de
ces analyses, les investissements en technologies efficaces en énergie peuvent présenter
plusieurs risques de mise en œuvre, selon la typologie Thiétart et Xuereb : risques

242
Rappelons que leur recherche a été menée, à la fin des années 90, en Grande-Bretagne, en Irlande et en
Allemagne, au moyen d'interviews et de questionnaires, auprès de 47 organisations relevant de trois
secteurs non intensifs en énergie: ingénierie mécanique, production de bière et universités.
251

techniques liés à la fiabilité des technologies envisagées, risques liés aux ressources et au
développement (changement de fournisseurs ou de systèmes d'information), risques liés
aux erreurs humaines (manque de compétences du personnel dans l'utilisation ou la
maintenance des équipements), dysfonctionnement des processus de production ou
d'information en cas de remplacement d'équipements existants par des équipements plus
performants énergétiquement. Cependant ces investissements peuvent aussi entraîner une
réduction de certains risques (ou, tout au moins, une réduction de l'exposition à ces
risques) : risques de prix de l'énergie, risque légaux, et risques de rupture de
l'approvisionnement énergétique. Dans le domaine de l'énergie, le risque de rupture des
approvisionnements est réel pour de multiples raisons : tensions géopolitiques (illustrées
par le "choc pétrolier" de 1973 mais aussi par les conflits actuels entre la Russie et
l'Ukraine, ou entre la Russie et la Géorgie), événements climatiques et fragilités
intrinsèques des réseaux et de leurs interconnections.
La prise en compte de l'éventualité de ruptures de l'approvisionnement
énergétique conduit à un constat : la ressource énergétique alimente toute la chaîne de
valeur de l’entreprise, dont la totalité des activités est interrompue en cas de rupture. Les
autres ressources dépendent donc intégralement de la disponibilité de la ressource
énergétique243. Dans leur théorie de la dépendance des ressources244, Pfeffer et Salancik
définissent la dépendance d'une organisation A à l'égard d'une ressource, ou à l'égard
d'une autre organisation B lui fournissant cette ressource, comme reposant sur deux
dimensions : premièrement l'importance de la ressource, ou plus précisément, son
caractère critique, défini comme la capacité d'une organisation à continuer à fonctionner
en l'absence de cette ressource; deuxièmement la concentration du contrôle de la
ressource. Cette deuxième dimension comprend deux aspects liés : d'une part le degré
auquel l'organisation B contrôle l'usage et la distribution de la ressource et, d'autre part,
l'existence – et l'accessibilité – de sources alternatives pour obtenir cette ressource. Ces
deux dimensions se résument en fin de compte en un concept, celui de la non-

243
Et aussi de sa qualité, dans le domaine de l'électricité, qui a pris une importance croissante avec le
développement des technologies de l'information et de la communication.
244
Comme le rappelle Dubost (2002) dans son étude de l'historique du concept, Pfeffer et Salancik
présentent cette théorie en 1978 en s'appuyant sur les recherches antérieures d'Emerson (1962), Blau
(1964), Thompson (1967) et Jakobs (1974), en s'inscrivant dans le cadre général de la théorie des
organisations, et en s'inspirant de travaux rattachés à la sociologie et à la science politique.
252

substituabilité - de la ressource elle-même et de son fournisseur. Plus élevée la non-


substituabilité, plus élevée la dépendance, qui sera donc maximale dans le cas d'une
ressource importante, "critique", et d'une concentration élevée du contrôle de cette
ressource. La non-substituabilité de la ressource considérée, de même que les risques
et/ou les opportunités qui y sont associés, est donc un concept commun aux théories de la
dépendance des ressources et de la RBV (Resource Based View) qui considère la non-
substituabilité comme l'un des composants du caractère stratégique d'une ressource ou
d'une combinaison de ressources245. Par conséquent, les différents cadres théoriques
évoqués – risque stratégique, dépendance des ressources et RBV – conduisent à prendre
le risque en compte comme la troisième composante de l'avantage concurrentiel, en
complément des dimensions valeur et coût identifiées plus haut.
Selon l'analyse développée ci-dessus, l'avantage concurrentiel est un concept
tridimensionnel, formé de trois composantes interreliées : coûts – valeur – risques. J'ai
construit le schéma ci-dessous pour représenter très simplement ces trois dimensions.

Valeur

Coûts Risque

Figure 44 – Les trois composantes de l'avantage concurrentiel

Selon la définition que j’ai proposée de la décision stratégique, plus une décision
entraîne la constitution ou le développement d'un avantage concurrentiel, plus cette
décision est stratégique. Pour mesurer la stratégicité d'une décision d'investissement, il
faut donc mesurer sa contribution à l'avantage concurrentiel, pour chacune des trois
composantes indiquées ci-dessus. Pour évaluer le caractère stratégique de la décision

245
Les autres composants de la ressource stratégique étant décrits par les adjectifs "Valuable, Rare,
Inimitable" qui, avec Non-Substitutable composent l'acronyme VRIN, qui qualifie la ressource stratégique
pour la RBV (voir plus haut dans cette même section).
253

d'investissement en efficacité énergétique pour les entreprises de l'échantillon, il fallait


donc demander aux managers d'évaluer l'impact de l'adoption de technologies efficaces
en énergie pour leur entreprise - en termes de risques, coûts et valeur. Concrètement, la
question suivante a été posée aux managers interrogés:

2.5 Pensez-vous que l'adoption de technologies efficaces en énergie soit importante


[pour votre entreprise] pour les raisons suivantes?
Classer par ordre d’importance (1 = le moins important - 5 = le plus important)

• Réduction des risques ___________


Si oui, lesquels ___________________________________
• Réduction des coûts ___________
Si oui, lesquels ___________________________________
• Renforcement de la valeur des produits ___________

Les répondants étaient priés de donner une valeur de 1 à 5246 à chacune des
composantes "risques", "coûts", "valeur". En agrégeant les réponses aux trois
composantes, une échelle d’intervalle est construite, qui permet de mesurer la dimension
stratégique de l'investissement en efficacité énergétique, qui s’échelonne donc d'un
minimum de 0 à un maximum de 15.

3.1.1.2 Dimension(s) culturelle(s) de la décision d'investissement

“Although nearly every business, institution, and organization in the United States uses energy, a large
knowledge gap exists between those organizations that effectively manage energy use and those that
simply use energy."

Walter Tunnessen (2004)."Closing the Energy Management Gap", Environmental Quality


Management, Vol. 14, issue 1, p. 49

246
Correspondant à : 1. totalement pas important 2. pas important 3. modérément important 4. important et
5. très important.
254

L'approche interprétative nous a enseigné qu'une décision n'est pas


intrinsèquement ou objectivement stratégique, mais qu'elle est interprétée, perçue, comme
telle par les filtres présents dans l'entreprise, schèmes interprétatifs au niveau
organisationnel, schèmes cognitifs au niveau individuel. L'importance attribuée à certains
sujets dans la logique dominante de l'organisation conditionne le démarrage du processus
décisionnel, lors de la phase du diagnostic. Les dirigeants sont encadrés et influencés par
le contexte organisationnel, qui comprend la structure, les routines, la stratégie et la
culture, tous éléments sur lesquels ils exercent aussi une influence, dans un processus
interactif qu'il n'est pas facile d'analyser.
Comme nous l'avons vu247, la culture de l'organisation est l'un des schèmes
interprétatifs les plus influents. Il est utile de rappeler ici la définition que donne Cossette
(2004, p. 121)248 de la culture selon une perspective cognitiviste interprétative :

"La culture est un schème de niveau organisationnel constitué


essentiellement de valeurs qui sont partagées dans une mesure plus ou
moins grande et de façon plus ou moins consciente par les membres
d'une organisation. Elle est un système d'idées à caractère normatif,
façonné ultimement par les acteurs concernés; la culture est donc
créée, maintenue et transformée par des individus possédant eux-
mêmes des schèmes, certains de nature normative, c'est-à-dire formés
par les valeurs personnelles des individus. Ce schème organisationnel
qu'est la culture est en relation étroite avec d'autres schèmes
organisationnels, même si l'influence de l'un sur l'autre passe
forcément par les individus … La notion de culture renvoie donc
presque toujours à des valeurs, c'est-à-dire à ce qui est jugé comme
souhaitable ou désirable dans un contexte spatio-temporel donné".

L’influence de la culture organisationnelle sur les décisions d’investissement et/ou


sur le niveau d’efficacité énergétique dans les organisations a été soulignée par plusieurs
chercheurs du domaine de l’énergie (voir p. 83 et ss.). Cependant aucun d’entre eux ne

247
Voir p. 161 et ss.
248
Définition déjà citée p. 175.
255

propose une définition du concept de culture organisationnelle. Sorrel et al. (2000, p.


xvii) indiquent simplement que la culture englobe des "valeurs, normes et routines", ou
encore que "la culture organisationnelle fait référence à des valeurs environnementales
incorporées dans les routines et les coutumes de l’organisation"249 (idem, p. 13).
La culture est liée à des valeurs, en matière d’usage de l’énergie comme dans tout
autre domaine. De fait, comme le remarquent Stern et Aronson, “...organizations have
energy-related values that affect their actions" (Stern et Aronson, 1984, p. 184). Quelles
sont les valeurs liées à la conservation de l’énergie ? Bien que les descriptions qui en sont
faites dans la littérature sur l’efficacité énergétique soient presque inexistantes, on peut en
identifier trois : la recherche de l’innovation technique, l’amélioration des conditions de
travail et la préservation de l’environnement. Ainsi une culture organisationnelle qui
favorise l’innovation technique au sens large, parfois dans un esprit pionnier, est
mentionné comme un facteur stimulant l’efficacité énergétique (Kulakowski, 1999 ;
Hennicke et al., 1998, p. 38), de même qu’une culture organisationnelle soutenant les
améliorations des conditions de travail250 (Kulalowski, 1999). La préservation de
l’environnement est une autre valeur de l’organisation mentionnée comme influençant
favorablement le niveau d’efficacité énergétique. Christoffersen et al. (2006, p. 519)
citent "l’attitude à l’égard de l’environnement” comme une des conditions
organisationnelles internes qui favorisent la gestion de l’énergie et, par suite, les
économies d’énergie. Hennicke et al. (1998, p. 44) mentionnent l’interview d’une
entreprise qui déclare que sa “philosophie écologique251” est à l’origine de ses actions
dans le domaine de l’efficacité énergétique. Sorrel et al. (2000) notent aussi que les
organisations peuvent encourager les investissements en efficacité énergétique en
développant une culture qui met l’accent sur l’amélioration environnementale. Mais ils
remarquent en même temps que la conscience environnementale apparaît comme ayant
un impact marginal sur le comportement énergétique, car l’efficacité énergétique est vue
par les entreprises qu’ils ont interrogées comme une question environnementale
secondaire, l’attention à cet égard se portant sur des aspects plus visibles comme les

249
"Organizational culture… refers to environmental values embedded within an organisation’s customs
and routines" (Sorrel et al., 2000, p. 13).
250
"…a corporate culture that values innovation, "technology" in general, and has consistently supported
improvements to the working environment" (Kulakowski, 1999, p. 11).
251
“ For 15 years we have an ecological company philosophy” (Hennicke et al., 1998, p. 44)
256

déchets252. (Sorrel et al., 2000, p. 177). Comme le résument Sorrel et al. (2000, p. 178) :
“Generally, environmental commitments do not seem to be a significant variable in
explaining the energy efficiency performance of organisations and promotion of
environmental management systems does not seem a priority measure for improving
energy efficiency”.
Le concept de "culture de l’efficacité énergétique" est peu usité. On en trouve
mention chez le producteur d'électricité canadien Hydro Québec, qui en donne la
définition suivante : "une culture de l’efficacité énergétique touche tous les aspects de la
vie organisationnelle. Portée par une vision globale, elle va au-delà d’une meilleure
performance énergétique des équipements ou des processus. Elle comporte une kyrielle
d’actions qui, encouragées auprès de tous les membres d’une entreprise, deviennent
rapidement des habitudes de travail."253. Cette définition met l’accent sur la dimension
humaine de l’usage de l’énergie par opposition à la dimension technique et sur le fait que
la culture de l’efficacité énergétique touche l’organisation dans tous ses aspects de
fonctionnement. Cependant elle ne donne pas d’indications sur les valeurs qui pourraient
être liées à une culture organisationnelle de l’efficacité énergétique. Une autre mention
de culture de l’efficacité énergétique est faite par Hennicke et al. (1998, p.118) qui ne
définissent pas le concept mais indiquent, assez laconiquement, qu’une "culture de
l’efficacité énergétique dans les PME commence avec des mesures simples et continue
avec des activités assez complexes telles que l’eco-management"254. Cette description
met l’accent sur le fait qu’une culture de l’efficacité énergétique peut-être plus ou moins
forte.
Ces exemples, qui illustrent les lacunes de la littérature de l’efficacité énergétique
en matière de définition du concept de culture, confirment le besoin de conceptualisation

252
”…in the majority of cases energy efficiency was seen as very much a secondary environmental issue.
Attention was instead focused on more visible aspects such as waste… at present, environmental awareness
appears to have a marginal impact on energy behaviour and does not provide an obvious focus for policy
intervention.” (Sorrel et al., 2000, p. 177).
253
Hydro Québec, Mieux consommer pour mieux performer, Sept. 2008,
http://www.hydroquebec.com/grandesentreprises/ee/initiatives_batiments/pdf/programme_complet.pdf
254
"…energy efficiency culture" in SME… starts with simple measures and continues with rather complex
activities such as eco-management" (Hennicke et al., 1998, p. 118).
257

dans le domaine de l’efficacité énergétique des organisations et des décisions


d’investissement, déjà souligné (voir p. 110 et ss.).
Comment faire alors pour confirmer et analyser le lien, identifié en théorie, entre
l’importance de l’énergie dans la culture de l’entreprise, et la perception du caractère
stratégique des investissements en efficacité énergétique ?
Donner un contenu précis au concept de culture de l’efficacité énergétique, en
compensant le silence de la littérature à cet égard, n’est ni dans les moyens ni dans les
ambitions de la présente recherche. Je me bornerai à initier le processus de
conceptualisation en partant du constat que les organisations se répartissent en deux
groupes : les organisations qui se contentent d’utiliser l’énergie et les organisations qui
gèrent leur usage de l’énergie255 (Tunnessen, 2004). On peut considérer que les
organisations du deuxième groupe, puisqu’elles ont mis en place un système de gestion
de l’énergie, considèrent comme souhaitable et nécessaire d’utiliser l’énergie de façon
efficace. Autrement dit la recherche d’efficacité énergétique dans leurs opérations est une
valeur organisationnelle. On peut donc dire que ces entreprises ont une culture de
l’efficacité énergétique, par opposition aux entreprises du premier groupe qui se
contentent d’utiliser l’énergie. Cette culture peut être plus ou moins forte et toucher plus
ou moins "d’aspects de la vie organisationnelle", pour reprendre l’expression, citée plus
haut, de Hydro Québec. On peut dire aussi que, plus le niveau de gestion de l’énergie est
élevé, plus le niveau de "energy awareness"256 a de chance d'être élevé dans l’entreprise.
Cette analyse est en conformité avec la théorie de la culture organisationnelle de
Schein (2004), qui distingue trois niveaux de culture, du moins visible au plus visible257.
Au plus profond se trouvent les convictions tenues pour acquises, enfouies et
inconscientes, puis les croyances et les valeurs affichées, et enfin les artefacts. Les
artefacts présentent l'avantage d'être visibles et donc observables, cependant ils sont à
traiter avec prudence car ils peuvent être difficiles à interpréter. Les artefacts englobent
les structures et processus organisationnels, tels l'organigramme, les procédures et
routines, et les systèmes de récompenses et de contrôle. Selon Schein (2004), de même

255
“…organizations that effectively manage energy use and those that simply use energy." (Tunnessen,
2004, p. 49.)
256
Une expression souvent utilisée dans la littérature alternative sur les investissements en efficacité
énergétique.
257
Voir p. 213 et ss.
258

que selon Johnson (1989), les systèmes de contrôle de l'organisation, dont font partie les
systèmes de gestion, peuvent être considérés comme des artefacts, des reflets de sa
culture.
En suivant cette logique, on peut considérer que le système de gestion de l’énergie
dans l’entreprise est un indicateur de l’importance de l’énergie dans la culture
organisationnelle, et même que le système de gestion de l'énergie est un reflet, un
artefact, de la culture de l'efficacité énergétique de l'entreprise. Si le niveau de gestion de
l’énergie est un reflet de la culture de l’efficacité énergétique, alors on peut émettre,
comme je l’ai fait, l’hypothèse que le niveau de gestion de l’énergie dans l’entreprise
influence la perception du caractère stratégique des investissements (hypothèse 2). Cette
hypothèse se justifie aussi par le fait que plusieurs travaux ou programmes publics ont
mis en évidence l’influence positive de la gestion de l’énergie sur le niveau de
consommation énergétique des entreprises (Beard, 2009 ; Seo, 2009 ; McKane et al.,
2007 ; Tunnessen, 2004). Cependant, est-ce que la réduction de la consommation des
entreprises ayant un bon niveau de gestion de l’énergie est liée uniquement à une
optimisation – un usage correct – des équipements existants, ou est-ce que la gestion de
l’énergie exerce aussi une influence positive sur les décisions d’investissement en
efficacité énergétique. Ce point n’est pas discuté dans la littérature.
Comment mesurer le niveau de gestion de l’énergie ? Il n’existe pas de standard
de la gestion de l’énergie qui soit reconnu au niveau international258. Des standards
nationaux existent seulement dans quelques Etats (Danemark, Irlande, Pays-Bas, Suède,
Etats-Unis). Ces standards ont en commun une démarche en cinq grandes étapes :
définition d’une politique de l’énergie ; planification ; mise en œuvre ; analyse des
résultats ; correction. Ils partagent aussi certaines caractéristiques de base, analysées et
décrites comme suit par McKane et al. (2007, p. 4) :

1) Un plan stratégique qui exige mesure, gestion et documentation des


améliorations continuelles en matière d’efficacité énergétique ;

258
Des travaux de normalisation sont en cours à cet égard, tant à la Commission européenne qu’au sein de
l’organisation internationale de normalisation ISO, qui a créé en mars 2007 un comité de projet pour
élaborer une norme internationale sur le management de l'énergie :
http://www.iso.org/iso/fr/pressrelease.htm?refid=Ref1122
259

2) une équipe de gestion transversale menée par un gestionnaire de l’énergie qui


rapporte directement au haut management et est responsable de la mise en
œuvre du plan stratégique ;
3) des politiques et procédures qui prennent en compte tous les aspects relatifs
aux achats et à l’usage de l’énergie ;
4) la création d’un Manuel de l’Energie, document qui évolue au fil du temps, en
fonction des projets nouveaux et des politiques entreprises et documentées ;
5) l’identification d’indicateurs clé de performance, particuliers à chaque
entreprise, suivis pour mesurer les progrès ;
6) des rapports périodiques sur les progrès au haut management de l’entreprise,
basés sur les résultats mesurés.

Ces différents éléments sont présents dans la "Energy Management Checklist",


proposée par l'agence hollandaise de l'énergie SenterNovem (devenue récemment NL
Agency259). Energy Management Checklist est un outil très complet qui permet de
réaliser un audit du niveau de gestion de l'énergie dans les organisations (le lien260 ci-
dessous permet d’accéder au document). La checklist consiste en une liste de cent
questions. Certains réponses sont obligatoires pour que l’audit puisse être validé, d'autres
sont facultatives. Les réponses donnent des points, avec un maximum de 200 points.
Un audit complet de la gestion de l'énergie aurait été à la fois trop ambitieux et
impossible à demander aux managers interviewés dans le cadre de la recherche empirique
décrite ici. Pour évaluer le niveau de gestion de l'énergie des entreprises de mon
échantillon, j'ai formulé 18 questions qui composent un audit simplifié de la gestion de
l'énergie dans les entreprises, en me basant sur la checklist de SenterNovem et en prenant
en compte les étapes et caractéristiques de base identifiées par McKane et al. (2007).
Les 18 questions de mon questionnaire d’audit simplifié de la gestion de l’énergie
concernent les éléments suivants : diagnostic de la consommation actuelle, élaboration
d'une politique, présence d'un gestionnaire de l'énergie dans l'organisation, définition

259
http://www.senternovem.nl/english/
260
http://www.senternovem.nl/mmfiles/3MJAF04.15%20-%20Energy%20Management%20Checklist%20-
%20June%202004_tcm24-122945.pdf
260

d'outils de mesure de la performance (indicateurs), fixation d'objectifs mesurables et de


mesures de réduction en matière de consommation, allocation de ressources pour la mise
en œuvre des mesures de réduction définies, procédure d'évaluation des résultats et de
révision des objectifs, système de formation et de gratification du personnel. Le
questionnaire simplifié de la gestion de l'énergie est présenté dans le tableau page
suivante.
261

QUESTIONNAIRE ENERGIE: AUDIT SIMPLIFIE GESTION DE L'ENERGIE

3.2 Intensité énergétique : quel pourcentage les coûts totaux de votre consommation
énergétique (combustibles fossiles et électricité) représentent-ils ? 2 points (si au
moins 1 réponse)
- Quel pourcentage de vos frais généraux ? __________ % O Non calculé
- Quel pourcentage de votre chiffre d’affaire __________ % O Non calculé
- Quel pourcentage de votre bénéfice ? __________ % O Non calculé

3.5 Votre entreprise a-t-elle pris un engagement de réduction continue de sa


consommation énergétique ? O Oui O Non
2 points
3.6 L’entreprise a mis en place les activités suivantes en relation avec l’énergie :
(Cocher les cases adéquates) 8 points
O évaluation de sa performance énergétique (benchmarking)
O Définition d’une situation de référence
O Définition d’indicateurs de mesure de la performance énergétique
O Elaboration d’une politique énergétique
O Fixation d’objectifs mesurables de réduction de la consommation
O Collecte des données relatives à la réalisation de ces objectifs
O Définition des mesures de mise en œuvre permettant la réalisation des objectifs
fixés

3.7 Le cas échéant, quelles ressources ont-elles été allouées à la mise en œuvre ?
(Cocher les cases adéquates) 3 points
O Ressources humaines (ex. équipe-projet)
O Ressources techniques (ex. compteurs)
O Ressources informatiques (ex. logiciel de gestion)

3.8 L'entreprise a-t-elle un responsable de l'énergie ? O oui O non


2 points
3.9 Le cas échéant, cumule-t-il cette fonction avec une autre fonction dans l’entreprise?
O oui O non
Si oui, laquelle ? _______________________________________ -1 point

3.10 L'entreprise a-t-elle mis en place une communication interne relative à l'énergie
(rapport) ? O oui O non
1 point
3.11 Le cas échéant, l'entreprise a-t-elle mis en place, en liaison avec la politique
énergétique : (Cocher les cases adéquates) 4 points
O un système de formation du personnel
O un système de gratifications en cas d'atteinte des objectifs fixés
O un système d'évaluation des résultats
O une procédure de révision des objectifs ?

1 point par réponse positive, 2 points en cas de réponse positive aux questions 3.2, 3.5,
3.6.3 et 3.8 (mais un point est retiré en cas de réponse positive à la question 3.9).

Score maximum: 22 points


262

Le score maximum qu'une entreprise peut obtenir est de 22 points (14 questions
valent 1 point, 4 questions valent 2 points). Pour la classification des réponses, j’ai repris
les catégories définies par Senter Novem261 :

• 0-5 points, pas de gestion systématique de l'énergie, ou bien le système


existant présente de sérieux défauts;
• 6-10 points, le système de gestion de l'énergie ne répond pas encore aux
spécifications en matière de collecte d'information et de mise en œuvre;
• 11-18 points, niveau de gestion de l'énergie acceptable avec des possibilités
d'amélioration;
• 18-22 points, haut niveau de gestion de l'énergie.

L’hypothèse No. 2 postule que le niveau de gestion de l’énergie des entreprises


influence leur perception du caractère plus ou moins stratégique des investissements en
efficacité énergétique. Plus le niveau de gestion de l’énergie est élevé, plus ces
investissements seront perçus comme stratégiques.

Un objectif secondaire de la recherche consistait aussi à tenter de mettre en


évidence l'influence des sous-cultures fonctionnelles sur la perception du caractère
stratégique des investissements. En matière d'investissements en efficacité énergétique,
on peut supposer, par exemple, que les membres de l'organisation assumant des fonctions
techniques (comprenant les fonctions de production, de gestion de l’infrastructure, de
facility management) auront une perception différente de celle des membres de
l'organisation de formation non technique (tels ceux des départements financier ou
juridique). Pour essayer d'évaluer ces différences de perception, certaines questions
identiques ont été posées d'une part au responsable de l'énergie dans l'entreprise et,

261
Senter Novem a défini quatre catégories d'entreprises en fonction des scores obtenus: 1) 0-50 points: pas
de gestion systématique de l'énergie mise en place, ou bien le système existant présente de sérieux défauts;
2) 51-101 points: le système de gestion de l'énergie ne répond pas encore aux spécifications définies par
SenterNovem en matière de collecte d'information et de mise en œuvre; 3) 102-180 points: niveau de
gestion de l'énergie acceptable avec des possibilités d'amélioration; 4) 181-200 points: haut niveau de
gestion de l'énergie.
263

d'autre part, à un responsable financier (pour les détails des questions et réponses, se
référer au chapitre "Résultats", p. 271 et ss.). L'originalité de cette démarche doit être
mentionnée : en effet cette recherche est la première à tenter de mettre en évidence
d'éventuelles différences dans les perceptions de managers de fontions différentes au sein
des entreprises. Le plus souvent les recherches ne mentionnent même pas la fonction des
répondants au sein des entreprises.

3.1.2 Echantillon

La recherche empirique a été menée avec le concours du Service cantonal de


l'énergie de Genève, dans le cadre du programme genevois de gestion de la demande
d'énergie, NOE (Nouvelle Offre de l’Electricité). NOE est un programme conjoint des
Services industriels de Genève (SIG) et du Service cantonal de l'énergie (ScanE),
toujours en cours actuellement. Son objectif est de réduire la consommation électrique
des sites, toutes activités confondues, qui consomment plus de 1 GWh d'électricité par an.
Ce niveau de consommation concerne des sites industriels, des sites publics importants
tels l'hôpital cantonal ou l'aéroport, mais aussi de nombreux bâtiments à usage
administratif ou commercial tels que bâtiments universitaires, bâtiments bancaires,
immeubles de bureau, grands magasins, parkings, business centers, etc.
Les "requérants", ont postulé à NOE de manière volontaire. Cependant, ils
subissaient, en cas de non participation, une hausse de leur tarif d’électricité, dans le
cadre de la révision de la tarification de l’électricité décidée par le Conseil d’Etat
genevois dans le but d’inciter les entreprises à "mieux et moins consommer". Au total
130 bâtiments ou sites participent au programme, représentant environ 22% de la
consommation totale d'électricité du canton de Genève. 73 organisations ont déposé des
requêtes pour participer au programme (certaines d'entre elles répondent de plusieurs
bâtiments ou sites industriels, ce qui explique pourquoi le nombre de requérants est
inférieur au nombre de sites). Ces 73 organisations comprennent des administrations
publiques locales et des organisations internationales, ainsi que 60 entreprises, qui
représentent, en termes d’effectifs, près de 20% du segment de marché "grands
consommateurs" de SIG, constitué des entreprises qui consomment plus de 1 GWh par
an.
264

L'échantillon de la recherche empirique est constitué de 35 des 60 entreprises


participant au programme NOE. La méthode de sélection de l'échantillon a été celle du
choix raisonné, méthode qui repose sur le jugement contrairement aux méthodes de
sélection probabilistes. Les critères de sélection des entreprises étaient doubles :

1) Assurer une représentation équilibrée entre secteur secondaire et secteur


tertiaire. Le secteur industriel est généralement – implicitement - considéré comme
étant plus intensif en énergie que le secteur des services. Les coûts énergétiques
relatifs (en proportion du chiffre d'affaires ou des frais généraux) des entreprises
du secteur secondaire seraient donc plus élevés et par conséquent, conformément à
la perspective économique dominante, les entreprises de ce secteur seraient plus
attentives à leur consommation d'énergie. Une représentation équilibrée des
secteurs secondaire et tertiaire dans l’échantillon permet d’évaluer les coûts
relatifs de l’énergie dans chacun d’entre eux et de comparer la stratégicité perçue
des investissements en efficacité énergétique dans les deux secteurs.
2) Obtenir plusieurs entreprises dans chaque secteur d'activités pour mettre en
évidence les influences respectives de l’appartenance au secteur d’activité et celle
des caractéristiques de l’entreprise, en particulier de son niveau de gestion de
l’énergie sur les décisions d’investissement. la perspective économique dominante
considère que c'est la structure de coûts du chaque secteur d'activités qui
détermine la consommation d'énergies et les décisions d'investissement en
efficacité énergétique des entreprises. Par conséquent, pour la perspective
dominante, des différences doivent se remarquer entre secteurs d'activités et non
pas entre entreprises. Malheureusement il n’a pas été possible de réunir assez
d’entreprises par secteur d’activité. La raison principale en est que les entreprises
participant au programme NOE se répartissent entre trop de secteurs différents.

Les 35 entreprises de l'échantillon, correspondant à 65 sites (bâtiments tertiaires


ou sites industriels), se répartissent comme suit :
265

• Secteur tertiaire (services) – 16 entreprises :

- Commerce de gros et de détail : 6 entreprises (3 grands magasins


d'alimentation; 1 magasin d'alimentation gros/détail; 1 grand magasin
généraliste; 1 grand magasin de meubles).
- Hôtels : 3 entreprises;
- Banque et finance : 1 entreprise;
- Vente/location de surfaces et biens immobiliers : 3 entreprises (1
exploitant de centre commercial, 1 parking, 1 centre d'expositions);
- Services aux entreprises : 4 entreprises (1 entreprise de catering, 1
entreprise de transformation de produits alimentaires, 1 entreprise
spécialisée dans les tests de molécules pharmaceutiques, 1 entreprise
du secteur de l'information).

• Secteur secondaire (activité industrielle de production) – 19 entreprises :

- Production d'articles en métal et alliages : 8 entreprises;


- Composants électroniques : 1 entreprise
- Production de gaz industriels : 1 entreprise;
- Produits alimentaires : 1 entreprise
- Chimie : 3 entreprises
- Pharmacie : 1 entreprise
- Montres bijoux : 3 entreprises

• Taille. Les tailles sont très différentes : l'entreprise la plus petite emploie
25 personnes pour une activité exclusivement locale; l'entreprise la plus
grande emploie 108.000 personnes, dont 270 à Genève. En règle générale,
les sites genevois des entreprises interrogées occupent quelques centaines
de personnes.
Selon la classification de la Commission européenne262 la répartition des
entreprises par taille263 est la suivante :

262
http://europa.eu/legislation_summaries/enterprise/business_environment/n26026_fr.htm
Selon l'article 2 de l'annexe à la recommandation 2003/361/CE, "les micro, petites ou moyennes entreprises
(PME) sont définies en fonction de leur effectif et de leur chiffre d'affaires ou de leur bilan total annuel.
Une moyenne entreprise est définie comme une entreprise dont l'effectif est inférieur à 250 personnes et
266

- Microentreprises (1-10 personnes) : 0


- Petites entreprises (11-50 personnes) : 3
- Moyennes entreprises (51-250 personnes) : 9
- Grandes entreprises (> 250 personnes) : 23

• Structure de propriété : 11 entreprises sont cotées en bourse, 7


entreprises sont des sociétés anonymes suisses, 12 entreprises sont des
entreprises familiales, 3 entreprises sont constituées partiellement ou en
totalité de capitaux publics, 2 entreprises sont des coopératives.

• Nationalité : 28 entreprises suisses et 7 entreprises étrangères (5


américaines, 1 anglaise, 1 française) sont représentées dans l’échantillon.

• Centre de décision : pour 18 entreprises il est situé à Genève, pour les


autres en Suisse alémanique, ou à l’étranger (Grande-Bretagne et USA).

• Extension géographique de l'activité : 23 entreprises exercent leur


activité au niveau international, 10 au niveau national, 1 au niveau
régional et 1 au niveau local.

• Propriété ou non de l'outil de travail : 27 entreprises sont propriétaires


de leurs bâtiments.

• Gestion de l'énergie : 5 entreprises sous-traitent la gestion de l'énergie


(parfois incluse dans le concept plus vaste de "facility management").

Biais de sélection. La petite taille de l'échantillon et les biais qui peuvent résulter
de la méthode de sélection du choix raisonné sont partiellement compensés par les
éléments suivants : 1) les 35 entreprises qui composent l’échantillon participent toutes au
même programme NOE ; 2) ces 35 entreprises représentent environ 60% des effectifs et

dont le chiffre d'affaires n'excède pas 50 millions d'euros ou dont le total du bilan annuel n'excède pas 43
millions d'euros. Une petite entreprise est définie comme une entreprise dont l'effectif est inférieur à 50
personnes et dont le chiffre d'affaires ou le total du bilan annuel n'excède pas 10 millions d'euros. Une
microentreprise est définie comme une entreprise dont l'effectif est inférieur à 10 personnes et dont le
chiffre d'affaires ou le total du bilan annuel n'excède pas 2 millions d'euros."
263
Comme il n'était pas possible d'obtenir de toutes les entreprises des informations sur leur chiffre
d'affaires, la classification faite ici est basée uniquement sur le critère de nombre de personnes employées.
267

70% de la consommation totale cumulée des entreprises participant à ce programme. Il


faut mentionner à cet égard que les 35 entreprises de l’échantllon font également partie
du segment de clientèle "grands consommateurs" des Services industriels de Genève
(SIG), dont elles représentent environ 20% des effectifs264. On peut donc conclure que le
biais de sélection résultant de la méthode du choix raisonné est largement compensé par
le fait que l’échantillon représente une proportion importante de la population étudiée (les
entreprises requérantes NOE), et une proportion significative de la population générale
des entreprises consommant plus de 1 GWh par an dans le Canton de Genève. La petite
taille de l’échantillon est compensée aussi par une unité de temps puisque les données ont
été collectées entre juin 2006 et mai 2007.
Par ailleurs, il faut insister sur le fait que les entreprises "grandes
consommatrices " visées par NOE étaient fortement incitées à participer au programme
puisque, dans le cas contraire, elles subissaient une hausse du tarif de l’électricité. On ne
peut donc pas considérer que les entreprises de l’échantillon étaient plus désireuses que
d’autres de valoriser l’efficacité énergétique et les actions d’économies d’énergie, ce qui
aurait pu constituer une autre forme de biais de sélection de la recherche.
Deux autres biais éventuels peuvent être mentionnés : la présence d'Olivier
Ouzilou, directeur du Service cantonal de l’énergie, à un quart des interviews a pu
influencer les réponses des interviewés. D'autre part, le questionnaire "Energie" a été
administré lors d'un entretien, alors que le questionnaire "Finance" a été rempli par les
managers responsables hors de ma présence.
En raison d’un manque de temps liés aux impératifs du programme et à l’emploi
du temps d’Olivier Ouzilou, il n’a pas été possible d’effectuer un prétest des
questionnaires. Cet inconvénient a été partiellement compensé par le fait que des parties
non négligeables des questionnaires (facteurs bloquants et stimulants les investissements
en efficacité énergétique des entreprises, procédure générale d’investissement et
importance relative de l’efficacité énergétique dans les décisions d’investir) ont été
importées de recherches hollandaise et française.

264
Le segment « grands consommateurs de SIG comprend les entreprises et collectivités publiques qui
consomment plus de 1 GWh par an. Remarquons cependant que les chiffres annuels de consommation sont
très différents d'une entreprise à l'autre, puisqu'ils s'échelonnent, pour les réquérants NOE, de 1 GWh/an à
40 GWh/an).
268

3.1.3 Collecte des données et questionnaires

Le soutien actif du Service cantonal de l’énergie a été extrêmement précieux, car


il a facilité l’accès aux responsables énergie et finance des entreprises participant au
programme NOE et il a suscité un bon accueil à l’enquête et aux questionnaires. Ceci a
permis d’obtenir des données primaires de grande qualité auprès des entreprises, dont
certaines parmi les plus importantes de Suisse.265.
Pour mener l'enquête, trois questionnaires ont été élaborés : un questionnaire
"caractéristiques de l'entreprise", un questionnaire "énergie" et un questionnaire
"finance". Les deux premiers questionnaires ont été administrés lors d'un entretien semi-
directif avec le responsable du projet NOE dans l'entreprise. Le troisième questionnaire a
été rempli séparément par le/un responsable financier de l'entreprise.
Les questionnaires ont été administrés aux entreprises de juin 2006 à mai 2007.

3.1.3.1 Questionnaire "Energie"

Le questionnaire "Energie" a été administré aux managers en charge du projet


NOE dans l'entreprise (en général les managers en charge de l'énergie ou du facility
management), lors d'un entretien semi-directif, dont la durée a varié d'une heure trente à
deux heures trente.
Le premier objectif du questionnaire "Energie" consistait à évaluer l'importance
des logiques financière et stratégique parmi les facteurs bloquants et stimulants ces
investissements. La section du questionnaire consacrée à cette évaluation reprenait in
extenso les questions d’une enquête effectuée par de Groot, Verhoef et Nijkamp en 2001
sur le thème: "Energy Savings by Firms: Decision-Making, Barriers AND Policies"266.
Cette enquête a été effectuée en 1998 auprès de 135 entreprises hollandaises de 9 secteurs
intensifs en énergie267 (chimie, métallurgie, métaux et machines outil, industrie
alimentaire, papier, horticulture, matériaux de construction et textiles) dans le but
d’analyser les pratiques et attitudes de ces entreprises en matière d’utilisation de

265
L’engagement de confidentialité ne permet pas de donner les noms des entreprises.
266
de Groot, H., Verhoef, E., Nijkamp, P. (2001). "Energy Savings by Firms: Decision-Making, Barriers
AND Policies", Energy Economics, Volume 23, Issue 6, pp. 717-740.
267
Pour ces entreprises, les coûts de l’énergie correspondent environ à 10% du chiffre d’affaires, selon
indications de Groot et al. (2001, p. 721).
269

l’énergie, investissements, adoption de technologies économisant de l’énergie, ainsi que


leur position et réactivité à l’égard de la politique publique environnementale aux Pays-
Bas. L’utilisation du questionnaire de Groot et al. présente un double avantage : d’une
part, utiliser un questionnaire déjà validé, d’autre part comparer les résultats obtenus. Le
deuxième objectif du questionnaire "Energie" – et le plus important par rapport aux
questions de recherche – était d'évaluer la dimension stratégique des investissements en
efficacité énergétique pour les entreprises de l'échantillon, ainsi que leur niveau de
gestion de l'énergie.

3.1.3.2 Questionnaire "Caractéristiques de l'entreprise"

Lors de l'entretien avec la personne en charge du projet NOE dans l'entreprise, un


questionnaire "Caractéristiques de l'entreprise" était également rempli, qui consistait en
questions factuelles sur un certain nombre de caractéristiques telles que l'activité de
l'entreprise, sa taille (exprimée en nombre d'employés), son âge, la structure de propriété
et le style de gestion (familiale ou non, cotée en bourse ou non) et la localisation
géographique des instances de décision. Le questionnaire "Caractéristiques de
l'entreprise" comportait aussi des questions sur la nationalité, la formation professionnelle
et le nombre d'années en fonction dans leur poste des principaux responsables de
l'entreprise (direction générale, finance, production, marketing, ventes). Le but de ces
questions était d'évaluer l'influence éventuelle de ces caractéristiques individuelles sur le
niveau de gestion de l'énergie dans l'entreprise et sur la perception du caractère
stratégique des investissements en efficacité énergétique.

3.1.3.3 Questionnaire "Finance"

Au terme de leur entretien avec moi, les responsables du dossier NOE étaient
priés de transmettre au responsable financier de l'entreprise un troisième questionnaire, le
questionnaire "Finance". Ce questionnaire comportait trois types de questions : 1) des
questions identitiques à celles du questionnaire "Energie" ; 2) des questions sur les
procédures générales d’investissement ; 3) des questions sur les procédures relatives aux
investissements en efficacité énergétique.
270

Premièrement, le questionnaire "Energie" et le questionnaire "Finance"


comportaient un certain nombre de questions identiques, en particulier les questions
relatives à la dimension stratégique des investissements en technologies efficaces en
énergie, de même que les questions sur les facteurs stimulants et bloquants les
investissements en efficacité énergétique, et enfin les questions sur la gestion de l'énergie
dans l'entreprise. Le but de ces questions était d’identifier d'éventuelles différences dans
les réponses entre les managers en charge de l'énergie et les managers en charge de la
finance.
Deuxièmement, le questionnaire "Finance" comportait aussi une section sur les
procédures générales d'investissement de l'entreprise. Cette partie du questionnaire
reprenait la plupart des questions du questionnaire d'une recherche française de De Bodt
et Bouquin (2001). Ce questionnaire a été envoyé par poste à 1000 grandes entreprises
françaises cotées sur les marchés financiers français, mais seulement 44 réponses
utilisables ont été collectées. Une partie des questions de De Bodt et Bouquin provenaient
elles-mêmes d’une recherche de Van Cauwenbergh et al. (1996), réalisée en Belgique
entre 1992 et 1994 auprès d’une cinquantaine d'entreprises (dont 42 entreprises
industrielles et 8 banques) dans le but d'évaluer l'impact des procédures formelles
d'évaluation sur les processus d'investissement stratégique. Les recherches de Van
Cauwenbergh et al. (1996) et de De Bodt et Bouquin (2001) ont permis d’améliorer les
connaissances sur le sujet, mal connu, des processus d’investissement des entreprises.
Elles furent en outre particulièrement utiles pour la présente recherche car elles ont
cherché aussi à évaluer l’importance relative des critères financiers et stratégiques dans
les décisions d’investissement268.
Troisièmement, pour mettre en évidence d’éventuelles différences de traitement
entre les investissements en efficacité énergétique et les autres catégories
d’investissements, une autre partie du questionnaire comprenait des questions
spécifiquement axées sur la procédure de décision et de mise en œuvre des
investissements en efficacité énergétique au sein des entreprises. Cette section reprenait
également une question de l’enquête de De Groot et al. (2001), qui cherchait à évaluer

268
Pour les résultats de ces recherches, voir le chapitre suivant "Résultats"..
271

l’importance relative de l’efficacité énergétique dans les décisions générales


d’investissement pour les entreprises hollandaises sur lesquelles portait leur enquête (voir
p. 268).
En dépit de multiples relances (par mail et par téléphone), seuls 18 questionnaires,
"Finance" valablement remplis (sur les 35 ayant été remis aux gestionnaires de l’énergie,
à charge pour eux de les transmettre à un responsable financier de leur entreprise), ont été
récoltés et ont pu être analysés.

3.2 RESULTATS

Les résultats de la recherche empirique seront présentés en trois volets. Le


premier volet concerne le comportement général des entreprises en matière
d'investissement et leur comportement particulier dans le domaine des investissements en
efficacité énergétique. Ce volet ne concerne que les réponses des "managers finance" à
certaines questions du questionnaire finance, en particulier les questions sur la politique
générale d'investissement de leur entreprise. Le deuxième volet présente les résultats
relatifs à l'évaluation du caractère stratégique des investissements en efficacité
énergétique. Enfin, le troisième volet est consacré à l'évaluation de l'influence du niveau
de gestion de l’énergie de l'entreprise sur la perception du caractère stratégique de ces
investissements. Les deuxième et troisième volets donnent les réponses des managers
énergie et managers finance aux mêmes questions.

3.2.1 Comportement d'investissement

3.2.1.1 Comportement général d'investissement

Certaines questions du questionnaire "finance" étaient destinées à mieux


comprendre le déroulement et les règles de constitution et de sélection des projets
d'investissement, toutes catégories confondues, dans les entreprises, et à évaluer le poids
de la logique financière dans ces procédures. Une série de questions cherchait ensuite à
évaluer si des procédures ou des critères de sélection particuliers sont appliqués aux
272

investissements en efficacité énergétique (quand cette catégorie existe dans les


entreprises, ce qui a également été examiné). L'idée sous-jacente derrière ces questions
était de mettre en lumière un traitement moins favorable des investissements en efficacité
énergétique, en termes de critères de choix, ce qui pourrait être interprété comme la
preuve d'une augmentation des exigences financières pour des investissements perçus
comme moins stratégiques. Comme déjà mentionné, 18 questionnaires seulement ont été
récoltés (sur les 35 entreprises qui composaient l'échantillon complet, soit 7 entreprises
du secteur tertiaire et 11 entreprises du secteur secondaire), ce qui est un chiffre trop bas
pour tirer des conclusions générales. Les données obtenues donnent quand même des
indications intéressantes sur le comportement des entreprises en matière d'investissement
et permettent aussi une comparaison avec les résultats de l'enquête de De Bodt et
Bouquin (2001), dont sont extraites la plus grande partie des questions sur le
comportement général d'investissement. 14 des 18 entreprises ayant répondu aux
questions du "questionnaire finance" sont des grandes entreprises, employant au total (et
non pas seulement sur le site de Genève) plus de 250 personnes.269
Pour 88% des entreprises, la notion d'investissement est définie par identité au
concept d'immobilisation comptable (15 entreprises sur 17 ont répondu positivement à la
question F_9_5_1270). En ce qui concerne la constitution des projets d'investissement, on
constate que les projets émergent du terrain pour 72% des entreprises (13 réponses
positives sur 18 à la question F 9_2_1271) alors que pour 56% des entreprises ils sont le
résultat d'une recherche systématique liée aux objectifs de l'entreprise (10 réponses
positives à la question F 9_2_2, comme l’indique le tableau ci-dessous :

269
Les grandes entreprises sont définies ici comme des entreprises dont le nombre de personnes employées
est supérieur à 250, selon la classification de la Commission européenne (à l'exclusion du critère du chiffre
d'affaires). Voir p. 250 et ss. la description de la composition de l'échantillon.
270
9.5 Dans votre entreprise, la notion d'investissement est définie par identité au concept
d'immobilisation comptable? O Oui O Non
271
9.2 L'origine des projets ou des idées d'investissement est-elle essentiellement (cocher les cases
adéquates) :
9_2_1 O Liée à des opportunités perçues par les unités opérationnelles (terrain) ?
9_2_2 O Liée à une recherche active de projets correspondant à la stratégie de l’entreprise ?
273

Tableau 3 – Origine des projets d'investissement

Origine des projets d’investissement Nombre % du total

Opportunités perçues par les unités opérationnelles (F 9_2_1) 13 72%


Recherche active de projets (F 9_2_2) 10 56%
(Certaines entreprises ont répondu positivement aux deux questions.)

Dans l'enquête de De Bodt et Bouquin (2001), les réponses indiquent aussi que les
projets émergent en priorité (44%) du terrain. Cependant, comme le font remarquer De
Bodt et Bouquin (2001, p. 138), "seule une étude qualitative permettrait de savoir si ces
réponses révèlent une approche plutôt top-down de l'investissement, ou au contraire une
pénétration des plans stratégiques et opérationnels jusqu'aux derniers niveaux de
management".
Dans la majorité des entreprises de l'échantillon genevois, les enveloppes
budgétaires ne sont pas déterminées avant que soit établie la liste des projets (10
entreprises répondent non à la question F 9_26272, 7 réponses positives, 1 non-réponse).
Les résultats pour cette question sont similaires dans l'enquête De Bodt et Bouquin
(2001). Lorsque ces enveloppes existent, une répartition des enveloppes budgétaires par
métier et/ou par filiale est effectuée avant examen des projets d'investissement dans la
moitié des cas (8 réponses positives à la question F 9_27273, 8 réponses négatives, 2 non-
réponses). La répartition des enveloppes budgétaires est effectuée d'abord en fonction des
objectifs stratégiques de l'entreprise (10 réponses positives à la question F 9_28_1274),
ensuite en fonction de la rentabilité respective des différentes activités (3 réponses
positives à la question F 9_28_2; 7 entreprises n'ont pas répondu à la question, 2
entreprises ont répondu positivement aux deux questions F 9_28). Les résultats relatifs
aux enveloppes budgétaires sont résumés dans le tableau ci-dessous :

272
9.26 Les enveloppes budgétaires sont-elles déterminées avant que soit établie la liste des
investissements proposés ? O Oui O Non
273
9.27 Existe-t-il une répartition des enveloppes budgétaires par métier et/ou par filiale avant
prise en considération des projets d'investissement ? O Oui O Non
274
9.28 Le cas échéant, cette répartition est avant tout fonction :
9_28_1 O de la rentabilité respective des différentes activités
9_28_2 O des objectifs stratégiques de l'entreprise
274

Tableau 4 – Répartition des enveloppes budgétaires

Répartition des enveloppes budgétaires Nombre % du total

Avant examen des projets d’investissement (F 9_27) 8 44%


En fonction des objectifs stratégiques de l’entreprise (F 9_28_1) 10 56%
En fonction de la rentabilité des différentes activités (F 9_28_2) 3 17%

Le tableau de la page suivante compare un certain nombre de réponses sur les


procédures générales de constitution et d'évaluation des projets d'investissement, dans les
18 entreprises de l'échantillon ayant répondu aux questions. Comme on le voit à sa
lecture, une procédure formelle de constitution des dossiers d'investissements existe dans
la grande majorité des entreprises ayant répondu (78%, soit 14 réponses positives sur 18 à
la question F_9_4, pas de non-réponse), un résultat similaire à celui de De Bodt et
Bouquin. Il serait intéressant d'étudier dans quelle mesure l'importance de
l'investissement dans l'entreprise (mesuré par le ratio de l'investissement effectué par
rapport au chiffre d'affaires) joue un rôle sur les procédures de constitution et de sélection
des projets mais la petite taille de l'échantillon et le faible taux de réponses ne permettent
pas cette analyse. Dans les entreprises ayant répondu, le ratio investissement total/chiffre
affaires varie de 1% à 10% et la diversité est la règle, comme le montrent les résultats
présentés dans le tableau.
275

Entr. Taille Procédure Procédure Méthode Etapes du Etapes du Ratio d'I


Secteur d'activité
No. (Nombre formelle de dépend du d'évaluation dossier d'I dossier d'I (% par
total de constit. des montant de dépend du fonctions du fonctions de rapport au
personnes) dossiers d'I l'invest. type d'I montant la catégorie C.A
E 11_0 F 9_4 F 9_11 F 9_14 F 9_19_1 F 9_19_2 F 9_32

2 Grande distribution 2 500 oui oui oui non oui 2,0%


3 Grande distribution 45 000 oui non oui oui non --
4 Grande distribution 82 700 oui oui non oui non --
5 Grande distribution 10 000 oui oui oui oui oui 4,0%
7 Location surfaces / events 122 oui non oui oui non 10,0%
15 Services aux entr. 700 oui oui oui -- -- --
16 Services aux entr. 9 800 oui oui oui oui oui 1,0%
oui : 7 oui : 5 oui : 6 oui : 5 oui : 3
Tertiaire 7 entités non : 2 non : 1 non : 1 non : 3
non-rép : 1 non-rép : 1
17 Chimie 5 000 oui oui non oui oui --
18 Chimie 1 895 oui oui oui oui non 4,0%
19 Chimie 60 000 oui oui oui oui oui --
20 Ind. alimentaire 6 800 oui oui non oui oui --
22 Acier 110 000 oui oui non oui non 1,0%
23 Acier 200 oui non non non oui 5,0%
25 Acier 14 000 non oui oui oui non 1,9%
28 Acier 45 non -- -- oui non 8,0%
31 Electronique 700 oui oui non oui non 5,0%
32 Horlogerie 1 500 non oui oui oui oui --
35 Transf. alimentaire 100 non non oui oui non 8,0%
oui : 7 oui : 8 oui : 5 oui : 10 oui : 5
Secondaire 11 entités non : 4 non : 2 non : 5 non : 1 non : 6
non-rép : 1 non-rép : 1
oui : 14 oui : 13 oui : 11 oui : 15 oui : 8
Total 18 entités non : 4 non : 4 non : 6 non : 2 non : 9
non-rép : 1 non-rép : 1 non-rép : 1 non-rép : 1

Tableau 5 – Procédure d'investissement

A la lecture du tableau ci-dessus, on voit que le montant de l'investissement


influence la procédure de constitution des dossiers d'investissement dans la grande
majorité des entreprises interrogées (76% des réponses, soit 13 oui, 4 non, 1 non-réponse
276

à la question F 9_11275), de même que les étapes que doit suivre le dossier (88% des
réponses, soit 15 réponses sur 17 à la question F 9_19_1276, 1 non-réponse).
La catégorie de l'investissement influence le déroulement du processus
d'investissement, la démarche d'analyse et/ou les méthodes d'évaluation/sélection des
projets dans la majorité des entreprises. En effet, elle influence : la démarche d'analyse du
projet dans 61% des entreprises (11 oui, 6 non, 1 non-réponse à la question F 9_10277); la
méthode d'évaluation de la rentabilité des projets dans 61% des entreprises (11 oui, 6 non,
1 non-réponse à la question F 9_14278); les étapes que doit suivre un dossier
d'investissement dans 44% des entreprises (8 oui, 9 non, 1 non-réponse à la question F
9_19_2). Le tableau ci-dessous récapitule ces résultats :

Influence de la catégorie d'investissement sur : Nombre % du total


Démarche d'analyse du projet (F 9_10) 11 61%
Méthode d'évaluation utlisée pour la rentabilité (F 9_14) 11 61%
Les étapes que doit suivre un dossier (F 9_19_2) 8 44%
(1 non-réponse à chaque question)

Tableau 6 – Influence de la catégorie de l'investissement

Les questions F 9_121 à F 9_126279 cherchaient à identifier quelles démarches


sont employées par les entreprises pour analyser les projets d'investissement et si leur
emploi dépend du montant et/ou de la catégorie de l'investissement. Il n'y a pas de lien
apparent entre l'usage des méthodes d'analyses et la taille de l'entreprise. Les réponses à
ces questions sont présentées dans le tableau ci-dessous.

275
9.11 La procédure est-elle fonction du montant de l'investissement ? O Oui O Non
276
9.19 Les étapes que doit suivre un dossier d'investissement sont-elles fonction :
(Cocher les cases adéquates)
O du montant de l'investissement? (9.19.1)
O de la catégorie de l'investissement? (9.19.2)
277
9.10 Utilisez-vous des démarches d'analyse des dossiers d'investissement différentes selon la
catégorie du projet? O Oui O Non
278
9.14 Est-ce que la méthode d'évaluation utilisée pour l'étude de rentabilité dépend du style
d'investissement? O Oui O Non
279
9.12 La procédure prévoit-elle que les dossiers doivent contenir :
(Cocher les cases adéquates) - Voir tableau page suivante.
277

Type d'étude Obligatoire Souhaitée Possible Inutile Fonction Fonction


du de la
montant catégorie

Etude de rentabilité 13 2 0 0 2 0
Etude du risque 6 3 3 0 1 1
Etude commerciale 10 1 2 0 2 1
Etude technique 10 1 1 0 1 3
Etude juridique 5 1 5 2 2 1
Etude écologique 3 3 6 0 2 4

Tableau 7 – Procédure d'investissement – Question F 9_12

En examinant le tableau ci-dessus, on constate que l'analyse de rentabilité est celle


qui est effectuée le plus souvent, et ceci quelle que soit la catégorie du projet
d'investissement examiné. En effet, elle est obligatoire pour 87% des entreprises (13 sur
les 15 ayant répondu à cette série de questions) et souhaitée pour 2 entreprises. Ces
résultats sont similaires à ceux de De Bodt et Bouquin (2001). Cependant l'étude
commerciale et l'étude technique sont importantes aussi, puisqu'elles sont obligatoires
toutes deux pour 10 entreprises sur 15 (67%). L'étude du risque n'est obligatoire que pour
6 entreprises sur les 15 ayant répondu (40%). Plus que les autres types d'étude, la
réalisation de l'étude écologique est influencée par la catégorie de l'investissement
considéré. Elle n'est mentionnée comme obligatoire ou possible que par 3 entreprises
respectivement. Ce résultat est cependant nettement supérieur à celui de la recherche de
De Bodt et Bouquin qui font remarquer le "désintérêt pour l'impact écologique du projet"
(De Bodt et Bouquin, 2001, p. 140), qui n'est mentionné comme obligatoire que par une
entreprise (sur un total de 44) et possible par 14 entreprises dans leur recherche. Une
recherche plus approfondie serait nécessaire pour mettre à jour les raisons de cette
différence dans les réponses françaises et genevoises sur ce point. Le montant de
l'investissement étudié influence de façon minime le type d'étude à mener (1 ou 2
entreprises mentionnent la prise en compte de ce facteur). La catégorie de
278

l'investissement joue un rôle plus important dans la décision de réalisation d'une étude
technique et, surtout, sur celle de l'étude écologique.
Les trois quarts des entreprises de l'échantillon emploient plus d'une méthode pour
évaluer la rentabilité et/ou pour sélectionner les investissements280. Ici la diversité est à
nouveau la règle. 25% des entreprises ayant répondu (soit 4 sur 16) utilisent une seule
méthode, 43,8% des entreprises en utilisent 2 et 18,8% en utilisent 3, comme le montre le
tableau ci-dessous. L'influence de la taille de l'entreprise sur le nombre d'instruments
utilisés peut être considérée comme nulle, ou très faible.

Nombre de nombre En % des


méthodes d'entreprises réponses

1 4 25%
2 7 44%
3 3 19%
4 0 0%
5 1 6%
6 1 6%
non-réponse 2

Tableau 8 – Nombre de méthodes citées

La méthode du recouvrement simple (12 entreprises sur 18, 2 non-réponses) et


celle du taux interne de rentabilité (11 entreprises sur 18, 2 non-réponses) sont de loin
celles qui sont utilisées le plus fréquemment. Dans l'ensemble il s'agit des mêmes
entreprises, puisque 9 entreprises déclarent utiliser conjointement la méthode du
recouvrement simple et celle du TRI. La méthode de la valeur actualisée nette (VAN)
vient en 3ème position, mais assez loin, avec 6 réponses positives sur 18. 2 des 4
entreprises qui déclarent n'utiliser qu'une seule méthode pour évaluer et/ou sélectionner

280
Selon les réponses aux questions F 9_13_1 à F 9_13_6 du questionnaire finance, qui portaient sur
l'usage des différentes méthodes d'évaluation :
9.13 Pour l'étude de rentabilité (si celle-ci est réalisée), utilisez-vous :
(Cocher les cases adéquates)
O le taux interne de rentabilité ?
O la valeur actuelle nette ?
O la période de remboursement simple (pay-back time) ?
O des critères issus de la théorie des options ?
O autres ? _____________________________
279

les investissements n'utilisent que la méthode de la période de recouvrement. Le tableau


de la page suivante, en donnant le détail des réponses des managers finance aux questions
F 9_13_1 à F 9_13_6 qui portaient sur l'usage de ces différentes méthodes d'évaluation
et/ou de sélection des investissements, montre la grande variété des pratiques des
entreprises en la matière, y compris au sein du même secteur d'activité.

Entr.
No. Secteur d'activité TRI VAN Pay-back Options ROI Autres
F 9_13_1 F 9_13_2 F 9_13_3 F 9_13_4 F_9_13_5 F_9_13_6
2 Grande distribution oui non oui non non non
3 Grande distribution non non oui oui non non
4 Grande distribution oui oui oui non non non
5 Grande distribution oui non oui non non non
7 Location surfaces / events oui oui oui non oui oui
15 Services aux entr. -- -- -- -- -- --
16 Services aux entr. oui oui oui non non non
oui ; 5 oui : 3 oui : 6 oui : 1 oui : 1 oui : 1
Tertiaire 7 entités non : 1 non : 3 Non : -- non : 5 non : 5 non : 5
non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1
17 Chimie oui non non non non oui
18 Chimie oui oui oui non non non
19 Chimie oui oui oui oui oui oui
20 Ind. alimentaire non non oui non non non
22 Acier oui non oui non non non
23 Acier non non non oui oui non
25 Acier non non oui non non non
28 Acier -- -- -- -- -- --
31 Electronique non oui non non non non
32 Horlogerie oui non oui non non non
35 Transf. alimentaire oui non non non non non
oui : 6 oui : 3 oui : 6 oui : 2 oui : 2 oui : 2
Secondaire 11 entités non : 4 non : 7 non : 4 non : 8 non : 8 non : 8
non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1
oui : 11 oui : 6 oui : 12 oui : 3 oui : 3 oui : 3
Total 18 entités non : 5 non : 10 non : 4 non : 13 non : 13 non : 13
non-rép. : 2 non-rép. : 2 non-rép. : 2 non-rép. : 2 non-rép. : 2 non-rép. : 2

Tableau 9 - Usage des méthodes d'évaluation/sélection de la rentabilité – questions F 9_13_1/6

Le choix du taux d'actualisation est également très différent d'une entreprise à


l'autre. Comme nous l'avons vu (voir p. 50 et ss.) le taux d’actualisation représente
l’exigence minimum de rendement d'un investissement. Celle-ci est basée en théorie sur
le coût du capital pour l’entreprise et sur le risque attaché au projet : plus le risque est
élevé, plus le taux d’actualisation sera fixé à un niveau élevé. Le tableau ci-dessous
280

donne les pourcentages de réponses281 des entreprises de l'échantillon en matière de


fixation du taux d'actualisation, réponses qui semblent assez loin des prescriptions de la
théorie : en effet, le risque n'est pris en compte, au niveau du projet, que dans 4
entreprises (sur les 16 ayant répondu), et au niveau du secteur d'activité que dans 3
entreprises. Dans 3 entreprises, le taux d'actualisation est fixé de façon forfaitaire, soit
13% des réponses, chiffre similaire aux 15% obtenus dans la recherche de De Bodt et
Bouquin (2001). Dans 2 de ces entreprises de mon échantillon282 le taux d'actualisation
est fixé uniquement de façon forfaitaire, ce qui semble tout de même surprenant.
Cependant, la majorité des entreprises indique, de façon plus orthodoxe, que le taux
d'actualisation est fixé en prenant en compte le coût moyen pondéré du capital (qui
intègre le coût des capitaux propres et celui des capitaux empruntés), ou le coût des fonds
propres, ou le coût des capitaux emprunté. Au total 59% des réponses font référence à
l'une ou l'autre de ces méthodes, chiffre également très proche de celui de 58% obtenus
par De Bodt et Bouquin (2001) en réponse aux mêmes questions.

% du total % par rapport


Choix du taux d'actualisation Nombre des réponses à l'échantillon
Coût moyen pondéré des capitaux de l'entreprise 8 33% 44%
En fonction des conditions spécifiques de financement du projet 3 13% 17%
En utilisant le MEDAF pour déterminer le coût des capitaux propres 3 13% 17%
Forfaitairement 3 13% 17%
En tenant compte d'une prime de risque propre au projet 4 17% 22%
En tenant compte d'une prime de risque propre au secteur d'activité 3 13% 17%
24 100%
Tableau 10 - – Le choix du taux d'actualisation I I – Questions F 9_15_1 à F 9_15_6

281
Aux questions F 9_15_1 à F 9_15_6 :
9.15 Pour l'étude de rentabilité (si celle-ci est réalisée), le taux d'actualisation est-il défini :
(Cocher les cases adéquates)
O forfaitairement ?
O en tenant compte d'une prime de risque propre au secteur d'activité?
O en tenant compte d'une prime de risque propre au projet?
O en utilisant le coût moyen pondéré du capital de l'entreprise ?
O en utilisant, pour le coût des fonds propres, le MEDAF (ou CAPM)?
O en tenant compte des conditions spécifiques de financement du projet
282
Deux entreprises du secteur secondaire très différentes par le métier et la taille, mais toutes deux cotées
en bourse
281

Le tableau ci-dessous donne le détail des réponses des entreprises de l'échantillon


sur leur mode de fixation du taux d'actualisation. Comme on le constate à sa lecture,
toutes les combinaisons de réponses y figurent, sans qu'il semble possible d'extraire une
logique explicative basée sur les caractéristiques des entreprises, que ce soit en termes de
métier, de taille, ou de structure de propriété.

Entr. Secteur d'activité Forfai- Risque Risque CMPC Coût fonds Conditions
No. tairement secteur projet propres financem.
F 9_15_1 F 9_15_2 F 9_15_3 F 9_15_4 F 9_15_5 F 9_15_6
2 Grande distribution non non non oui non non
3 Grande distribution non non non oui oui non
4 Grande distribution non oui oui non non non
5 Grande distribution non non oui oui oui non
7 Location surfaces / events non non non oui non non
15 Services aux entr. -- -- -- -- -- --
16 Services aux entr. non oui oui oui non non
oui ; - oui : 2 oui : 3 oui : 5 oui : 2 oui : -
Tertiaire 7 entités non : 6 non : 4 non : 3 non : 1 non : 4 non : 6
non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1
17 Chimie non oui non oui non oui
18 Chimie oui non non non non non
19 Chimie non non non non oui oui
20 Ind. alimentaire non non non non non non
22 Acier oui non non non non non
23 Acier non non non non non oui
25 Acier non non non non non non
28 Acier -- -- -- -- -- --
31 Electronique non non non oui non non
32 Horlogerie oui non non oui non non
35 Transf. alimentaire non non oui non non non
oui : 3 oui : 1 oui : 1 oui : 3 oui : 1 oui : 3
Secondaire 11 entités non : 7 non : 9 non : 9 non : 7 non : 9 non : 7
non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1
oui : 3 oui : 3 oui : 4 oui : 8 oui : 3 oui : 3
Total 18 entités non : 13 non : 13 non : 12 non : 8 non : 13 non : 13
non-rép. : 2 non-rép. : 2 non-rép. : 2 non-rép. : 2 non-rép. : 2 non-rép. : 2

Tableau 11 - Le choix du taux d'actualisation – Questions F 9_15_1 à F 9_15_6


282

3.2.1.2 Poids des logiques financière et stratégique sur la décision


d'investir

Pour évaluer l'importance respective des logiques financière et stratégique sur la


décision d'investissement (décision générale d'investissement), ainsi que le rôle des
méthodes d'évaluation formelle sur ces décisions, 12 propositions ("statements"),
importées de la recherche de De Bodt et Bouquin (2001)283, ont été soumises aux
"managers finance" des entreprises de l'échantillon (17 questionnaires valablement
remplis ont été récoltés pour cette série de questions).
Ces propositions sont partiellement issues elles-mêmes de la recherche de Van
Cauwenbergh et al. (1996), réalisée en Belgique auprès de 50 entreprises industrielles et
banques entre 1992 et 1994, dans le but d'évaluer l'impact des procédures formelles
d'évaluation sur les processus d'investissement stratégique. De Bodt et Bouquin n'ont pas
utilisé une échelle Likert284, contrairement à Van Cauwenbergh et al. (1996), mais ils ont
proposé aux managers interrogés de répondre simplement par "oui" ou par "non" aux
affirmations qui leur étaient soumises. J'ai repris pour ma recherche la plupart des
affirmations de De Bodt et Bouquin, ainsi que leur méthode de mesure (réponses binaires
oui/non), à fin de comparaison des résultats. Les questions 9.3101 et 9.3102, et 9.3104 -
9.3111 du tableau ci-dessous sont reprises du questionnaire De Bodt et Bouquin. Les
questions 9.3105 à 9.3110 figuraient également dans le questionnaire de Van
Cauwenbergh et al. (1996). La question 9.3103 ("il peut arriver qu’un projet soit réalisé
même s’il n’est pas rentable") ne figure dans aucune recherche antérieure. Les
responsables financiers des entreprises de mon échantillon devaient indiquer leur
accord/désaccord sur ces propositions. Le tableau de la page suivante présente leurs
réponses.

283
Le questionnaire de de Bodt et Bouquin (2001) a été envoyé par poste à 1000 grandes entreprises
françaises cotées sur les marchés financiers français, mais 44 réponses utilisables seulement ont été
collectées.
284
Qui va de 1 à 5: 1. fort désaccord; 2. désaccord dans une certaine mesure; 3. indifférent; 4. accord dans
une certaine mesure; 5. fort accord.
283

Tableau 12 - – Questionnaire Finance – Questions 9.3101 – 9.3112

Souscrivez-vous aux affirmations suivantes : Nombre de réponses :


oui non ne sait pas

9.3101 On trouve toujours de l'argent pour financer un 11 6 --


bon projet
9.3102 Il ne suffit pas qu'un projet soit rentable pour qu'il 15 2 --
soit réalisé.
9.3103 Il peut arriver qu'un projet soit réalisé même s'il 10 7 --
n'est pas rentable.
9.3104 Un projet doit avant tout permettre la mise en 16 -- --
œuvre des objectifs stratégiques de l'entreprise.
9.3105 Plus qu'un instrument d'aide à la décision, la 11 6 --
procédure de gestion des investissements est un
outil permettant de systématiser la communication
entre les différents niveaux hiérarchiques de
l'entreprise.
9.3106 Plus le niveau d'incertitude auquel l'entreprise est 6 11 --
confrontée est important, moins les procédures
formelles d'analyse de la rentabilité des
investissements sont utiles.
9.3107 Plus l'entreprise dispose de ressources financières, 2 14 --
moins les procédures formelles d'analyse de la
rentabilité des investissements sont utiles.
9.3108 L'évaluation financière des investissements est un 11 6 --
préalable à l'analyse approfondie des dossiers
d'investissement.
9.3109 L'évaluation financière des investissements a, au 3 13 1
bout du compte, peu d'influence sur la décision
finale.
9.3110 L'évaluation d'un projet d'investissement 6 8 3
stratégique est fondée sur l'intuition plus que sur
les chiffres et l'analyse.
9.3111 Les décisions d'investir sont influencées par les 2 14 1
rapports de force entre les différents départements
de l'entreprise.
9.3112 L'existence d'un "champion" soutenant un projet 7 9 1
d'investissement est déterminante pour l'adoption
de celui-ci.
284

Les réponses confirment que l'évaluation financière est considérée dans


l'ensemble comme ayant une influence importante sur la décision finale, puisque 76,5%
des responsables financiers répondent "non" à la question 9.3109 (l'évaluation financière
des investissements a, au bout du compte, peu d'influence sur la décision finale). Ce
pourcentage est encore plus élevé chez De Bodt et Bouquin (2001) avec 91% de "non" à
la même question, mais il est plus faible dans la recherche de Van Cauwenbergh et al.
(1996), avec 56% de "non". Cependant 88% des répondants considèrent qu'il ne suffit pas
qu'un projet soit rentable pour être réalisé (86% des répondants De Bodt et Bouquin,
2001) et, inversement, 59% des répondants interrogés à Genève considèrent qu'un bon
projet peut être réalisé même s'il n'est pas rentable. Pour 65% des répondants interrogés à
Genève, un bon projet d'investissement n'est pas confronté au problème du rationnement
en capital (77% des répondants de la recherche De Bodt et Bouquin, 2001). Enfin,
l'influence prioritaire du caractère stratégique de l'investissement sur la décision d'investir
est confirmée sans appel, puisque 100% des managers genevois ayant répondu (16
réponses, 1 non-réponse) et 95% des 44 managers français ayant répondu (De Bodt et
Bouquin, 2001) souscrivent à l'affirmation "un projet doit avant tout permettre la mise en
œuvre des objectifs stratégiques de l'entreprise". Remarquons que le niveau d'incertitude
auquel l'entreprise est confrontée ne diminue pas, pour les managers interrogés, l'utilité
des procédures formelles d'analyse de la rentabilité des investissements pour 65% des
répondants de ma recherche, résultat similaire à celui de Van Cauwenbergh et al. (64%)
mais inférieur à celui de De Bodt et Bouquin (88%). De même l'aisance financière de
l'entreprise ne change rien à l'utilité des procédures formelles d'analyse pour 87,5% des
répondants de ma recherche et 77% de ceux de l'enquête De Bodt et Bouquin (2001). Par
contre 54% des répondants de Van Cauwenbergh et al. (1996) pensent que plus une
entreprise dispose de ressources financières, moins les procédures formelles d'analyse de
la rentabilité de l'investissement sont utiles. La procédure de gestion des investissements
(dont fait partie l'évaluation financière) est considérée par 65% des répondants de ma
recherche comme un outil de communication entre les différents niveaux hiérarchiques de
l'entreprise, plus que comme un instrument d'aide à la décision. Curieusement ce résultat
est très supérieur à celui de Van Cauwenbergh et al. (1996) et à celui de De Bodt et
285

Bouquin, puisque seuls 40% des répondants belges et 44% des répondants français
souscrivent à cette affirmation. Des travaux de recherche complémentaires seraient
nécessaires pour mettre à jour les raisons de cette différence dans les réponses.
Les réponses à la question F 9_22285 donnent aussi une indication de l'importance
de la logique financière et des méthodes d'évaluation de la rentabilité de l'investissement.
Les calculs de rentabilité prévisionnelle ne sont considérés comme "décisifs" pour la
décision d'investir que par une minorité d'entreprises de l'échantillon genevois (5
entreprises sur 18, soit 28%). Pour 9 entreprises sur 18, ils ne sont qu'"importants" (les
autres réponses étaient : "importants à décisifs" pour 1 entreprise; "marginaux" pour 1
entreprise; 2 non-réponses). D'autre part, 35% des répondants (6 responsables finance sur
17) souscrivent à l'affirmation (9.3110) "l'évaluation d'un projet d'investissement
stratégique est fondée sur l'intuition plus que sur les chiffres et l'analyse". 8 responsables
finance sont en désaccord avec cette affirmation et 3 d’entre eux "ne savent pas".
Remarquons enfin que, 82% des répondants (14 managers sur 17, 2 réponses
négatives, 1 non-réponse) sont en accord avec l'affirmation (9.3111) "les décisions
d'investir sont influencées par les rapports de force entre les différents départements de
l'entreprise". Plus de la moitié des managers (53%, soit 9 sur 17; 7 en désaccord;1 ne sait
pas) sont en accord avec l'affirmation (9.3112) "l'existence d'un "champion" soutenant un
projet d'investissement est déterminante pour l'adoption de celui-ci".

3.2.1.3 Catégories d'investissement et investissements en efficacité


énergétique

La procédure d'évaluation des projets d'investissements comprend une typologie


des investissements dans la grande majorité des cas. En effet 94% des entreprises ayant

285
9.22 Quel est le rôle des calculs de rentabilité prévisionnelle dans le choix (cocher la case
adéquate) :
O Décisif?
O Important?
O Assez important?
O Marginal?
286

répondu (soit 15 sur 16, 2 non-réponses) ont répondu positivement à la question F 9_8286
"Existe-t-il une typologie des investissements selon laquelle les projets sont classes" ? Le
tableau ci-dessous présente, par ordre de fréquence dans les réponses, les categories
choisies par les managers finance comme se rapprochant le plus des catégories utilisées
dans leur entreprise (dans une liste de 15 items proposée par la question F 9_9287).

Nombre
de
Rubriques de classement
citations

Pour maintenir/rénover les capacités existantes 14


Pour accroître la productivité des moyens de production existants 13
Pour amélioration de procédés 9
Pour réduire la consommation énergétique 9
Pour mise en conformité réglementaire d'installations (pollution, etc.) 9
De remplacement 9
De pénétration de marchés avec de nouveaux produits 8
De recherche 7
Pour réaliser des opérations de progrès dans le domaine de la qualité 7
Développement interne de nouveaux produits 6
Pour amélioration des conditions de travail (au-delà des obligations légales) 5
Pour accroître la productivité des fonctions tertiaires (ou fonctions de soutien) 5
Pour communication interne 1
Pour communication externe 1
Autres 0

Tableau 13 - Une Typologie des projets d'investissement – Question F 9_9

La catégorie choisie par le plus grand nombre d'entreprises (78%, soit 14 sur 18)
est la catégorie "Pour maintenir ou rénover les capacités existantes". C'est aussi la
première catégorie choisie par les entreprises de l'échantillon De Bodt et Bouquin (18 sur
44) mais avec un taux inférieur (41% des réponses). La deuxième catégorie

286
F 9_8 Existe-t-il une typologie des investissements selon laquelle les projets sont classés
(investissements de productivité, de pénétration de marchés, etc.) ? O Oui O Non
287
F 9_9 Pouvez-vous cocher dans la liste ci-dessous les catégories les plus proches de celles que vous
utilisez? Investissements : ……. (15 items proposés).
287

d'investissement choisie, par 72% des répondants genevois (13 sur 18) est la catégorie
"Pour accroître la productivité des moyens de production existants". En France comme à
Genève, les entreprises mettent en queue de classement les rubriques "Pour
communication interne/externe".
La catégorie "Investissements destinés à réduire la consommation énergétique" (à
ème
la 4 ligne du tableau ci-dessus) a été sélectionnée par 53% des entreprises de
l'échantillon genevois (soit 9 entreprises sur les 17 ayant répondu à cette question; 1 non-
réponse), dans une proportion similaire pour les secteurs tertiaire et secondaire (3
entreprises sur 7 pour le secteur tertiaire, 5 entreprises sur 11 pour le secteur secondaire).
Il s'agit de la 3ème catégorie mentionnée le plus fréquemment (ex-aequo avec les
catégories "Pour amélioration de procédés", "Pour mise en conformité réglementaire
d'installations", "De remplacement").288
Les investissements en efficacité énergétique existent donc à part entière, en tant
que catégorie d'investissements, pour un peu plus de la moitié des 18 entreprises ayant
répondu. Nous avons vu par ailleurs que la catégorie de l'investissement influence la
méthode d'analyse et la méthode d'évaluation/sélection qui sont appliquées à un projet
d'investissement, de même que les étapes qu'il doit suivre (voir p. 271 et ss.). Par
conséquent, ces constatations entraînent deux interrogations : 1) quand cette catégorie
d'investissement existe dans les entreprises, un traitement particulier, en termes de
critères de sélection, lui est-il appliqué? 2) quand cette catégorie d'investissement n'existe
pas, comment est prise en compte l'efficacité énergétique dans les décisions portant sur
d'autres catégories d'investissement ? Les résultats présentés dans le tableau de la page
suivante donnent un début de réponse à ces questions, en mettant en perspective le
comportement général d'investissement des entreprises et leur comportement dans le
domaine particulier des investissements en efficacité énergétique.

288
Dans l'étude De Bodt et Bouquin cette catégorie n'était pas proposée et on ne peut donc pas comparer les
réponses.
288

"Inv pour % inv. en EE % coûts de Importance de Horizon du


Entr. En cas d'Inv
Secteur d'activité réduire la par rapport à l'énergie par l'EE dans les Horizon des projet pour
No. en matériel,
conso inv. global rapport décisions prévisions pour la l'étude de
conso énerg.
énergétique" d'Inv. rentabilité rentabilité
Prise en cpte
dernière au C.A. (5 le + imp) Inv. en EE
F 9_9 pér. Compt. W 3_17_2 F 9_21 F 9_16 F 10_6 F 9_20
2 Grande distribution oui 2% -- 2 Vie équip. 2 oui
3 Grande distribution non -- -- 4 Durée fixe 3-8 / 15 non
4 Grande distribution oui 1% 1,0% 4 Vie équip. 5/3 oui
5 Grande distribution oui 1% -- 4 Vie éq. / Dim strat. <5 oui
7 Location surfaces / events non -- 7,6% 2 Vie équip. 2 non
15 Services aux entr. -- -- 1,3% 3 -- -- non
16 Services aux entr. non -- 1,0% 3 Dim. strat. 3 oui
oui : 3 4:3 Vie équip 4 oui : 4
Tertiaire 7 entités non : 3 3:2 Dim. strat. : 2 non : 3
non-rép. : 1 2:2 Durée fixe : 1
17 Chimie oui -- 1,3% 3 Vie éq. / Dim strat. -- oui
18 Chimie oui -- -- 4 Vie équip. 3-5 oui
19 Chimie oui -- -- 5 Vie éq. / Dim strat. 10 oui
20 Ind. alimentaire oui 10% -- 4 Vie éq. / Dim strat. 5 oui
22 Acier non 5% 0,5% 3 Vie éq. / Dim strat. 10 non
23 Acier oui 10% 4,0% 3 Vie équip. 5 oui
25 Acier non 20% -- 3 Vie équip. -- oui
28 Acier non -- 2,0% 3 -- -- oui
31 Electronique non -- 0,4% 3 Durée fixe 3 oui
32 Horlogerie non -- 0,1% 2 Vie éq. / Dim strat. -- non
35 Transf. alimentaire non -- 0,3% 4 Vie équip./horiz. tps. 5 non
oui : 5 Moyenne : 5:1 Vie équip : 9 oui : 8
Secondaire 11 entités non : 6 1,8% 4:3 Dim. strat. : 5 non : 3
3:6 Durée fixe : 1
2:1 Horizon tps : 1
oui : 8 5:1 Vie équip 13 oui : 12
Total 18 entités non : 9 4:6 Dim. strat. : 7 non : 6
non-rép. : 1 3:8 Durée fixe : 2
2:3 Horizon tps : 1

Tableau 14 – efficacité énergétique et investissement.


289

La question F 10_2289 du questionnaire finance (4ème colonne depuis la gauche


dans le tableau ci-dessus) cherchait à analyser l'importance de la catégorie
"investissement en efficacité énergétique" par rapport à l'investissement total290.
Malheureusement 7 entreprises seulement ont répondu à cette question. Comme l'indique
le tableau ci-dessus, les pourcentages indiqués sont très variables, puisqu'ils s'échelonnent
de 1% à 20%. Il serait intéressant d'analyser la relation entre le pourcentage
d'investissement en efficacité énergétique par rapport à l'investissement total d'une part,
et l'importance des coûts de l'énergie pour les entreprises de l'échantillon d'autre part,
mais le petit nombre de réponses ne le permet pas. Dans les entreprises hollandaises de
l'enquête de De Groot et al. (2001), le pourcentage de l'investissement total engagé pour
l'efficacité énergétique est en moyenne légèrement inférieur à 10% (De Groot et al.,
2001, p. 721) et les coûts de l'énergie représentent environ 10% du chiffre d'affaires.
Dans les entreprises de l'échantillon genevois, les coûts de l'énergie sont dans l'ensemble
beaucoup moins élevés, puisqu'ils s'élèvent en moyenne à 1,8% du chiffre d'affaires (11
données), avec un minimum à 0,5% et un maximum à 7,6% du chiffre d'affaires.
Comme on le voit en examinant les réponses à la question F 9_16291 dans le
tableau ci-dessus (plusieurs réponses possibles), une durée fixe pour l'étude de rentabilité
n'est appliquée que par 2 entreprises de l'échantillon. 72% des entreprises interrogées
déclarent prendre comme horizon des prévisions pour les calculs de rentabilité, la durée
de vie des équipements (13 réponses sur 18 à la question F 9_16) et/ou la dimension
stratégique du projet (7 réponses sur 18). Remarquons que les installations
consommatrices d'énergie telles que, par exemple, les installations CVC292 ont une durée
de vie de 15 à 20 ans. Si l'on se base sur les réponses des entreprises au point précédent,
telle devrait donc être la durée des projets d'investissement concernant ces équipements.
289
10.2 Quel est le pourcentage d’investissement en efficacité énergétique de l’entreprise par rapport
à l’investissement total réalisé lors de la dernière période comptable : _________ %
290
Deux de ces entreprises ont répondu à cette question alors qu'elles n'avaient pourtant pas reconnu les
investissements en efficacité énergétique comme une catégorie particulière…
291
9.16 Pour l'étude de rentabilité (si celle-ci est réalisée), l'horizon des prévisions est-il avant tout
fonction : (cocher les cases adéquates)
O d'une durée fixée à l'identique pour tous les projets?
O de la durée de vie des équipements acquis?
O de l'horizon temps pour lequel il semble possible d'établir des prévisions?
O de la dimension stratégique du projet
O autre ? Merci de préciser : _______________
292
Chauffage/ventilation/climatisation.
290

Pourtant, l'horizon de rentabilité pour les investissements en efficacité énergétique


indiqué par les 18 entreprises interrogées (5 non-réponses), en réponse à la question F
10_6293 est beaucoup plus court : 2 ans (2 entreprises), 3 ans (3 entreprises), 5 ans ou
moins (5 entreprises), 10 ans (2 entreprises), 15 ans (1 entreprise). 77% des 13 entreprises
ayant répondu appliquent un taux égal ou inférieur à 5 ans pour leur horizon de rentabilité
et 38% un taux égal ou inférieur à 3 ans. Les pratiques des entreprises interrogées dans le
domaine des investissements en efficacité énergétique sont donc en contradiction avec
leurs réponses sur leur horizon des prévisions pour les investissements en général. Cette
constatation appelle une question : les pratiques sont-elles en contradiction avec les
réponses pour toutes les catégories d'investissements, ou bien est-ce le cas pour des
catégories particulières d'investissements, et notamment la catégorie des investissements
en efficacité énergétique? De plus amples recherches seraient nécessaires pour répondre à
cette question.
Les questions F 9_20294 et F 9_21295 (importée du questionnaire de De Groot et
al., 1996) cherchaient à évaluer l'importance de l'efficacité énergétique dans d'autres
décisions d'investissement que les investissements en efficacité énergétique. "Dans le cas
d'un investissement en matériel (de production, de bureau, informatique, etc.), la
consommation énergétique du matériel considéré est-elle un critère pris en compte ?"
(Question F 9_20, dernière colonne dans le tableau p. 275). 12 entreprises sur 18
répondent par l'affirmative à cette question, et 6 par la négative. La proportion des
entreprises qui répondent oui à la question est un peu plus élevée parmi les firmes du
secteur secondaire (8 sur 11) que parmi celles du secteur tertiaire (4 sur 7). Les réponses à
la question F 9_21 indiquent que l'efficacité énergétique est prise en compte dans les
décisions générales d'investissement comme un sujet "très important" selon 6% des

293
10. POLITIQUE D'INVESTISSEMENT EN EFFICACITE ENERGETIQUE (EN TECHNOLOGIES REDUISANT LA
CONSOMMATION D’ENERGIE).
10.6 Pour l'étude de rentabilité (si celle-ci a été réalisée), quel était l'horizon du projet (en
nombre d'années) ? ________ années
294
9.20 Dans le cas d'un investissement en matériel (de production, de bureau, informatique, etc.),
la consommation énergétique du matériel considéré est-elle un critère pris en compte ?
O Oui O Non
295
9.21 En règle générale, quelle est l’importance accordée à l’efficacité énergétique dans les
décisions d’investissement ?
Merci de classer par ordre d’importance (1 = le plus important - 5 = le moins important) ________
291

responsables financiers, comme "important" selon 33%, comme un sujet "modérément


important" selon 44%, et comme un sujet "pas important" selon 17% des managers
interrogés. La catégorie "complètement non important" n'a pas été sélectionnée.
Remarquons que 4 entreprises du secteur tertiaire sur 8 indiquent que l'efficacité
énergétique est prise en compte dans les décisions d'investissement comme un sujet très
important, alors que ce n'est le cas que pour 3 entreprises sur 9 du secteur secondaire.
Dans la majorité des entreprises du secteur secondaire, l'efficacité énergétique est
considérée comme un sujet "modérément important" dans les decisions d'investissement
(6 entreprises sur 10). La sélection "sujet modérément important" est aussi celle qui
recueille le plus de suffrages (46%) dans les entreprises interrogées par de De Groot et
al.. Ce choix semble plus surprenant dans la mesure où les coûts de l'énergie sont plus
élevés dans ces entreprises, intensives en énergie : ils s'élèvent en moyenne à 10% du
chiffre d'affaires. Les deux tableaux ci-dessous illustrent les réponses respectives des
échantillons genevois (tableau de gauche) et hollandais (tableau de droite).

Très important

Important

Modérément
important

Pas important

Totalement pas
important

0% 10% 20% 30% 40% 50%

% de firmes

Importance relative de l'efficacité Importance relative de l'efficacité


énergétique dans les décisions générales énergétique dans les décisions générales
d'investissement (échantillon genevois). d'investissement (De Groot et al., 2001, p. 721/3).
292

3.2.2 Caractère stratégique des investissements en efficacité


énergétique

Dans quelle mesure les investissements en efficacité énergétique sont-ils perçus


comme stratégiques par les managers interrogés, énergie et finance ? Les résultats
présentés dans cette section sont destinés à répondre à cette question.

3.2.2.1 Contribution à l'avantage concurrentiel

Selon la définition adoptée, plus une décision entraîne la création ou le


développement d'un avantage concurrentiel durable, plus cette décision est stratégique.
L'avantage concurrentiel est un concept tridimensionnel formé de trois composantes
interreliées : coûts – valeur – risques. Selon l'outil de mesure défini (voir p. 248 et ss.),
pour mesurer la "stratégicité" d'une décision d'investissement, il faut mesurer sa
contribution à l'avantage concurrentiel, pour chacune des trois composantes indiquées ci-
dessus. Il a été demandé aux managers énergie (35 répondants) et finance (12 répondants)
des entreprises de l'échantillon d'évaluer l'impact de l'adoption de technologies efficaces
en énergie pour leur entreprise en termes de "risques", "coûts" et "valeur", en répondant à
la question suivante296 :

W 2_5 / F 7_5 Pensez-vous que l'adoption de technologies efficaces en énergie soit


importante pour votre entreprise pour les raisons suivantes?
Classer par ordre d’importance (1 = le moins important - 5 = le plus important)

• W 2_5_3 / F 7_5_3 Réduction des risques ___________


• W 2_5_4 / F 7_5_4 Réduction des coûts ___________
• W 2_5_5 / F 7_5_5 Renforcement de la valeur des produits ___________

Les managers étaient priés de donner une valeur de 1 à 5297 à chacun des 3
facteurs énoncés dans la question. Les réponses des managers donnent une mesure du

296
Les questions "W" sont les questions pour les managers énergie et les questions "F" les questions pour
les managers finance.
297
Correspondant à : 1 = totalement pas important; 2 = pas important; 3 = modérément important; 4 =
important; 5 = très important.
293

caractère stratégique des investissements en efficacité énergétique sur une échelle


d'intervalle qui s’échelonne d'un minimum de 0 (= les 3 facteurs sont totalement pas
importants pour le répondant) à un maximum de 15 (= les 3 facteurs sont très importants
pour le répondant). Le score moyen est de 9,1 sur 15 pour les responsables énergie (soit
la somme de la moyenne des résultats pour les variables W 2_5_3, W 2_5_4 et W 2_5_5)
et de 8,6 sur 15 pour les responsables finance (somme de la moyenne des résultats pour
les variables F 7_5_3, F 7_5_4 et F 7_5_5). Selon le test de Student298, la différence n'est
pas statistiquement significative. Si l'on ramène les résultats sur 5, on obtient 3,03 sur 5
pour les responsables énergie et 2,86 sur 5 pour les responsables finance. Ces résultats
montrent que ces investissements sont considérés comme faiblement à modérément
stratégique par les répondants des deux groupes, selon l’échelle définie.
Ces chiffres globaux masquent cependant des différences importantes dans les
réponses comme le montre le tableau de la page suivante, qui regroupe les réponses des
34 managers énergie et des 12 managers finance ayant répondu valablement à la question
W2_5 / F7_5. Tout d'abord, la variance est élevée : dans le secteur tertiaire et dans le
secteur secondaire, les réponses s'échelonnent d'un minimum de 4 à un maximum de 13
sur 15 pour les managers énergie et d'un minimum de 5 à un maximum de 13 sur 15 pour
les managers finance. On constate aussi des différences importantes dans les réponses
entre entreprises du même secteur d'activités. Un résultat intéressant est le fait que le
caractère stratégique des investissements en efficacité énergétique est perçu comme plus
important par les managers énergie du secteur tertiaire (avec une moyenne de 9,9 sur 15)
que par ceux du secteur secondaire (avec une moyenne de 8,4 sur 15). Selon le test de
Student, cet écart est légèrement significatif en termes statistiques (entre 5 et 10%).
L'écart est à peu près le même chez les managers finance, entre les résultats du secteur
tertiaire (9,5 sur 15) et ceux du secteur secondaire (8,1 sur 15) mais, par contre, dans ce
cas, l'écart n'est pas du tout significatif.

298
Voir Johnston et DiNardo (1996, p. 336). Le test student n'est pratiqué en principe que pour les
échantillons aléatoires et non pas pour les échantillons construits au moyen de la méthode du choix
raisonné, comme c'est le cas de mon échantillon.
294

Entr. Dimension Dimension


No. Secteur d'activité stratégique stratégique
mgr mgr
énergie risques coûts valeur finance risques coûts valeur
1 Grande distribution 13 4 5 4 -- -- -- --
2 Grande distribution 10 2 5 3 13 5 5 3
3 Grande distribution 10 4 4 2 10 4 4 2
4 Grande distribution 7 1 4 2 -- -- -- --
5 Grande distribution 7 1 5 1 7 1 5 1
6 Grand magasin meubles -- -- -- -- -- -- -- --
7 Location surfaces / events 11 1 5 5 8 2 4 2
8 Location surfaces / centre c. 8 2 5 1 -- -- -- --
9 Parking 13 5 4 4 -- -- -- --
10 Banque 12 2 5 5 -- -- -- --
11 Information financière 10 1 5 4 -- -- -- --
12 Hôtel 10 1 5 4 -- -- -- --
13 Hôtel 10 4 4 2 -- -- -- --
14 Hôtel 8 1 5 2 -- -- -- --
15 Services aux entr. 10 2 5 3 -- -- -- --
16 Services aux entr. 9 3 5 1 -- -- -- --
148 35 76 47 38 12 18 8
16 16 entités - 36 sites 9,9 2,2 4,8 2,9 9,5 3 4,5 2
sur 15 sur 5 sur 5 sur 5 sur 15 sur 5 sur 5 sur 5
17 Chimie 8 1 3 4 11 4 4 3
18 Chimie 4 1 2 1 7 1 5 1
19 Chimie 13 5 5 3 11 3 4 4
20 Ind. alimentaire 7 2 4 1 -- -- -- --
21 (Pharmacie) -- -- -- -- -- -- -- --
22 Acier 13 4 5 4 10 4 4 2
23 Acier 11,5 3,5 5 3 -- -- -- --
24 Acier 5 1 3 1 -- -- -- --
25 Acier 8 1 5 2 8 2 4 2
26 Acier 10 4 4 2 -- -- -- --
27 Acier 8 2 5 1 -- -- -- --
28 Acier 10 2 5 3 -- -- -- --
29 Acier 7 1 5 1 -- -- -- --
30 Acier 8,5 1 4 3,5 -- -- -- --
31 Electronique 7 1 1 5 5 1 3 1
32 Horlogerie 5 1 3 1 5 2 2 1
33 Horlogerie 9 3 3 3 -- -- -- --
34 Horlogerie 8 1 5 2 -- -- -- --
35 Transf. alimentaire 9 1 5 3 8 3 4 1
151 35,5 72 43,5 65 19 30 15
19 19 entités - 24 sites 8,4 2,0 4,0 2,4 8,1 2,5 3,8 1,9
sur 15 sur 5 sur 5 sur 5 sur 15 sur 5 sur 5 sur 5
70,5 148 90,5 103 31 48 23
35 35 entités - 60 sites 9,1 2,1 4,4 2,7 8,6 2,7 4,0 1,9
sur 15 sur 5 sur 5 sur 5 sur 15 sur 5 sur 5 sur 5
Tableau 15 – Dimension stratégique des investissements en efficacité énergétique
295

Les résultats globaux sur l'appréciation du caractère stratégique des


investissements en efficacité énergétique masquent aussi des différences intéressantes
dans l'appréciation des deux groupes de répondants sur les trois facteurs, risques, coûts et
valeur de l'offre. En effet, les financiers considèrent que les investissements en efficacité
énergétique sont plus importants pour la réduction des risques auxquels leur entreprise est
confrontée (la moyenne de leurs réponses pour la variable F 7_5_3 est de 2,7 contre 2,1
pour les responsables énergie; mais la différence n'est pas statistiquement significative).
Par contre les responsables énergie considèrent comme plus importante pour leur
entreprise la réduction des coûts qu'entraînerait l'adoption de technologies efficaces en
énergie (la moyenne de leurs réponses pour la variable W 2_5_4 est de 4,4 sur 5, alors
qu'elle n'est que de 4 pour les responsables finance; dans ce cas, la différence est
statistiquement significative). En ce qui concerne la troisième dimension de l'avantage
concurrentiel, la valeur de l'offre de l'entreprise à ses clients, la contribution des
investissements en efficacité énergétique est estimée comme plus importante par les
responsables énergie que par les responsables finance (la moyenne des réponses des
responsables énergie pour la variable W 2_5_5 est de 2,7 sur 5, contre 1,9 seulement pour
la moyenne des réponses des responsables finance pour la variable F 7_5_5; la différence
est également statistiquement significative). Les deux figures ci-dessous donnent la
moyenne des réponses pour chaque variable, pour les deux groupes de répondants. Si l'on
compare les réponses entre managers énergie et finance de la même entreprise, les
résultats sont similaires.

Valeur Valeur
W 2_5_5 F 7_5_5
2,7 1,9

Coûts Risques Coûts Risques


W 2_5_4 W 2_5_3 F 7_5_4 F 7_5_3
4,4 2,1 4,0 2,7

"Stratégicité" responsables énergie: 9,1 sur 15 "Stratégicité" responsables finance : 8,6 sur 15
296

D'autre part, la dispersion des réponses entre les deux groupes pour les trois
variables – risques, coûts, valeur - présente des différences significatives. Comme le
montrent les deux tableaux ci-dessous, près de 50% des managers énergie considèrent
que l'adoption de technologies efficaces en énergie n'est pas du tout importante pour la
réduction des risques, alors que le choix modal est inverse chez les financiers : près de la
moitié d'entre eux considère que l'adoption de ces technologies est modérément
importante à très importante pour la réduction des risques. Pour les financiers comme
pour les responsables énergie, c'est le risque de prix qui est surtout pris en compte. Le
risque de rupture est souvent perçu comme minime par les entreprises, dont seule une
faible minorité est équipée d'un système de secours pour produire du courant en cas de
panne du réseau (là encore les réponses varient cependant beaucoup, en fonction des
situations de rupture de l'approvisionnement électrique expérimentées par les entreprises).

Tableau 16 – Dispersion des réponses "réduction des risques"

W 2_5_3 Réduction des risques - responsables énergie


Freq. Percent Cum.
------------+-----------------------------------
1 | 18 51.43 51.43
2 | 7 20.00 71.43
3 | 2 5.71 77.14
4 | 6 17.14 94.29
5 | 2 5.71 100.00
------------+-----------------------------------
Total | 35 100.00

F 7_5_3 Réduction des risques - responsables finance


Freq. Percent Cum.
------------+-----------------------------------
1 | 3 25.00 25.00
2 | 3 25.00 50.00
3 | 2 16.67 66.67
4 | 3 25.00 91.67
5 | 1 8.33 100.00
------------+-----------------------------------
Total | 12 100.00
297

La dispersion des réponses est faible dans les deux groupes en ce qui concerne la
perception de l'importance des investissements en efficacité énergétique pour la réduction
des coûts : plus de 80% des répondants des deux groupes les considèrent comme
importants ou très importants. Cependant, la majorité des managers finance considère ces
investissements comme "importants" pour la réduction des coûts (7 managers sur 12
donnent à ce facteur une note de 4) alors que la majorité des managers énergie les
considère comme "très importants" pour la réduction des coûts (22 managers sur 35
attribuent à ce facteur une note de 5). Les deux tableaux ci-dessous résument les réponses
des deux groupes sur l'importance des investissements en efficacité énergétique pour la
réduction des coûts de l'entreprise.

Tableau 17 – Dispersion des réponses "réduction des coûts"

W 2_5_4 Réduction des coûts - responsable énergie


Freq. Percent Cum.
------------+-----------------------------------
1 | 1 2.86 2.86
2 | 1 2.86 5.71
3 | 4 11.43 17.14
4 | 7 20.00 37.14
5 | 22 62.86 100.00
------------+-----------------------------------
Total | 35 100.00

F 7_5_4 Réduction des coûts - responsable finance


Freq. Percent Cum.
------------+-----------------------------------
2 | 1 8.33 8.33
3 | 1 8.33 16.67
4 | 7 58.33 75.00
5 | 3 25.00 100.00
------------+-----------------------------------
Total | 12 100.00
298

En ce qui concerne la contribution des investissements en efficacité énergétique à


la valeur de l'offre que l'entreprise propose à ses clients, la dispersion est assez différente
entre les 2 groupes, comme le montrent les deux tableaux ci-dessous. En effet, 44% des
managers énergie considèrent comme "modérément importante" à "importante" la
contribution des investissements en efficacité énergétique à la valeur des produits que
leur entreprise propose à ses clients, alors cette opinion n'est partagée que par 25% des
managers finance.

Tableau 18 – Dispersion des réponses "valeur des produits"

W 2_5_5 Renf. valeur produits - responsables énergie


Freq. Percent Cum.
------------+-----------------------------------
1 | 9 26.47 26.47
2 | 7 20.59 47.06
3 | 7 20.59 67.65
4 | 8 23.53 91.18
5 | 3 8.82 100.00
------------+-----------------------------------
Total | 34 100.00

F 7_5_5 Renf. valeur produits - responsables finance


Freq. Percent Cum.
------------+-----------------------------------
1 | 5 41.67 41.67
2 | 4 33.33 75.00
3 | 2 16.67 91.67
4 | 1 8.33 100.00
------------+-----------------------------------
Total | 12 100.00
299

Une comparaison des résultats entre secteur tertiaire et secteur secondaire aboutit
à une conclusion apparemment surprenante : la "stratégicité" des investissements en
efficacité énergétique est plus élevée pour les managers du secteur tertiaire que pour les
managers du secteur secondaire, quelle que soit leur fonction. Les figures ci-dessous
donnent les résultats détaillés pour les trois dimensions du caractère stratégique de ces
investissements ainsi que leur moyenne, pour les managers des deux groupes et des deux
secteurs.

Secteur tertiaire :

Valeur Valeur
W 2_5_5 F 7_5_5
2,9 2,0

Coûts Risques Coûts Risques


W 2_5_4 W 2_5_3 F 7_5_4 F 7_5_3
4,8 2,2 4,5 3,0

"Stratégicité" responsables énergie : "Stratégicité" responsables finance :


9,9 sur 15 = 3,3 sur 5 9,5 sur 15 = 3,2 sur 5

Secteur secondaire :

Valeur Valeur
W 2_5_5 F 7_5_5
2,4 1,9

Coûts Risques Coûts Risques


W 2_5_4 W 2_5_3 F 7_5_4 F 7_5_3
4,0 2,0 3,8 2,5

"Stratégicité" responsables énergie : "Stratégicité" responsables finance :


8,4 sur 15 = 2,8 sur 5 8,1 sur 15 = 2,7 sur 5
300

On constate que les investissements en efficacité énergétique obtiennent un score


plus élevé dans les 3 dimensions – valeur, coûts, risques - chez les managers du secteur
tertiaire que chez ceux du secteur secondaire. Le score moyen des réponses aux 3
dimensions ramené sur 5 est le plus élevé chez les managers énergie du secteur tertiaire
(3,3 sur 5), suivi par les managers finance du secteur tertiaire (3,2 sur 5), puis celui des
managers énergie du secteur secondaire (2,8 sur 5) et enfin par les managers finance du
secteur secondaire (2,7 sur 5). Conformément à l'échelle choisie299, ces investissements
sont donc perçus comme modérément importants par les managers du secteur tertiaire et
comme peu importants par les managers du secteur secondaire.
Le caractère faiblement à modérément stratégique des investissements en
efficacité énergétique pour les managers est confirmé par deux autres résultats. D'une part
la contribution des investissements en efficacité énergétique à la réduction de la pression
de la concurrence est considérée comme peu importante tant par les responsables énergie
(moyenne des réponses de 2,2 à la question W 2_5_7300; 35 réponses) que par les
responsables finance (moyenne de 2,1 à la question W 7_5_7; 15 réponses). D'autre part,
l'importance de ces investissements pour l'image de marque de l'entreprise301 (l'image de
marque est considérée comme une ressource stratégique dans la littérature) est estimée
comme étant modérément importante par les responsables énergie (avec une moyenne des
réponses de 3,1 à la question W 2_5_8; 35 réponses), et comme plutôt peu importante par
les responsables finance (avec une moyenne de 2,6 à la question F 7_5_8; 15 réponses).

299
Souvenons-nous que les chiffres de l'échelle correspondent à : 1 = totalement pas important; 2 = pas
important; 3 = modérément important; 4 = important; 5 = très important.
300
W 2_5_7 / F 7_5_7 Pensez-vous que l'adoption de technologies efficaces en énergie soit
importante pour votre entreprise pour les raisons suivantes?
Classer par ordre d’importance (1 = le moins important - 5 = le plus important)
Benchmarking (pression de la concurrence) __________
301
W 2_5_8/ F 7_5_8 Pensez-vous que l'adoption de technologies efficaces en énergie soit
importante pour votre entreprise pour les raisons suivantes?
Classer par ordre d’importance (1 = le moins important - 5 = le plus important)
Image de marque de l’entreprise auprès des clients ___________
301

Sur ce dernier aspect de l'image de marque, on constate à nouveau une différence de


perception entre les managers énergie et les managers finance.
L'adoption de technologies efficaces en énergie est perçue comme plus importante
pour la responsabilité sociale de leur entreprise302 pour les responsables énergie (question
W 2_5_1) que pour les financiers (question F 7_5_1) avec une moyenne des réponses
s'établissant à 3,6 pour les responsables énergie et à 2,8 pour les responsables finances.
L'écart est statistiquement significatif.

3.2.2.2 Facteurs bloquants et stimulants les investissements en efficacité


énergétique

La recherche a aussi analysé, selon une approche plus classique, les facteurs
bloquants et stimulants les investissements en efficacité énergétique. Rappelons (voir p.
268 et ss.) que, pour cette partie des questionnaires, les questions ont été importées d'une
enquête de De Groot et al. (2001), effectuée en 1998 auprès de 135 entreprises
hollandaises de 9 secteurs intensifs en énergie, dans le but d’analyser les pratiques et
attitudes de ces entreprises en matière d’utilisation de l’énergie et d'adoption de
technologies efficaces en énergie. Une section de leur enquête cherchait à évaluer
l'influence de certains facteurs stimulants et bloquants sur les décisions d'investissement
en efficacité énergétique. L’étude de De Groot et al. ne précise pas qui étaient les
répondants au sein des entreprises, et ne cherche pas non plus à identifier d’éventuelles
différences de perception entre les différentes fonctions.
Les deux tableaux suivants indiquent les réponses des responsables énergie et
finance sur les facteurs stimulant l’adoption de technologies efficaces en énergie au sein
de leur entreprise. Sont comparées ici les moyennes des réponses des 35 responsables
énergie et 13303 responsables finance ayant répondu à des questions identiques. Les

302
W 2_5_1 / F 7_5_1 Pensez-vous que l'adoption de technologies efficaces en énergie soit
importante pour votre entreprise pour les raisons suivantes?
Classer par ordre d’importance (1 = le moins important - 5 = le plus important)
Responsabilité sociale de l’entreprise ___________
303
Au total 18 questionnaires ont été renvoyés par des responsables des départements financiers des
entreprises de l'échantillon. Malheureusement seulement 13 sets de réponse étaient valablement remplis
pour les questions discutées dans cette section, sur les facteurs stimulant et bloquant les investissements en
efficacité énergétique.
302

répondants étaient priés de classer les facteurs bloquants sur une échelle de 1 (le moins
important) à 5 (le plus important).

- Image environnementale de l’entr. mean of W2_10_1

- Réduction des coûts mean of W2_10_2

- Amélioration position concurr. mean of W2_10_3

- Motivation du personnel mean of W2_10_4

- Réduction risques de prix mean of W2_10_5

mean of W2_10_6
- Réduction risques de rupture
mean of W2_10_7
- Rabais d’impôts
mean of W2_10_8
- Subventions aux investissements
- Conditions favorables financement. mean of W2_10_9

mean of W2_10_10
- Leasing équipement service public
1 2 3 4 5

Figure 45 - Facteurs stimulant l’adoption de technologies efficaces en énergie selon responsables


énergie
303

- Image environnementale de l’entr. mean of F7_91_1

- Réduction des coûts mean of F7_91_2

- Amélioration position concurr. mean of F7_91_3

mean of F7_91_4
- Motivation du personnel
mean of F7_91_5
- Réduction risques de prix
mean of F7_91_6
- Réduction risques de rupture
mean of F7_91_7
- Rabais d’impôts
mean of F7_91_8
- Subventions aux investissements
mean of F7_91_9
- Conditions favorables financement.
mean of F7_91_10
- Leasing équipement service public
1 2 3 4 5

Figure 46 - Facteurs stimulant l’adoption de technologies efficaces en énergie selon responsables


finance

En qui concerne les facteurs stimulants l'adoption de technologies efficaces en


énergie, les principaux éléments qui ressortent des deux tableaux sont les suivants :

• La réduction des coûts est de loin le 1er facteur stimulant l’adoption de


technologies efficaces en énergie, pour les responsables énergie comme pour les
responsables finance (moyenne identique pour les deux groupes à 4,5 sur 5).
• Le risque de prix est le 2ème facteur stimulant pour les financiers (moyenne 3,9) et
le 3ème pour les responsables énergie (avec un résultat inférieur, à 3,3 de
moyenne). La réduction du risque de rupture est perçue comme un facteur plus
stimulant pour l’adoption des technologies plus efficace en énergie par les
financiers (moyenne 3,2), que par les responsables énergie (moyenne 2,6). Dans
l'ensemble, la réduction des risques est un facteur plus important pour les
financiers que pour les responsables énergie.
• L’amélioration de l’image de l’entreprise vient en 2ème position pour les
responsables énergie et en 3ème position pour les financiers (ex-aequo avec le
304

facteur "subventions"). Elle.est estimée comme importante de façon quasiment


identique par les deux groupes avec un score assez élevé (de 3,3 pour les
financiers et de 3,5 pour les responsables énergie.
• L’amélioration de la position concurrentielle n’est pas perçue comme un facteur
très stimulant pour l'adoption de technologies efficaces en énergie (réponses
similaires dans les 2 groupes à 2,4 de moyenne pour les responsables énergie et
2,6 de moyenne pour les responsables finance).
• Les subventions sont le mode d'aide publique le plus prisé, tant par les
responsables énergie (3,3 sur 5) que par les responsables finance (3,4 sur 5),
devant les rabais d’impôts (2,9 pour les responsables énergie et 2,8 pour les
responsables finance) et les conditions favorables de financement (1,7 seulement
pour les responsables énergie, 2,7 pour les financiers). Les conditions favorables
de financement sont sensiblement plus intéressantes pour les financiers que pour
les responsables énergie. Il faut cependant noter à ce sujet que la plupart des
entreprises indiquent qu'elles préfèrent s'autofinancer. Non seulement elles n'ont
pas besoin, mais encore elles refusent tout financement extérieur.

L'importance d'un certain nombre de barrières ou facteurs bloquant l’adoption de


technologies efficaces en énergie au sein des entreprises est présentée dans les deux
tableaux de la page suivante. Sont comparées ici les moyennes des réponses des 35
responsables énergie et 13 responsables finance ayant répondu à des questions identiques.
Les répondants étaient priés de classer les facteurs bloquants sur une échelle de 1 (le
moins important) à 5 (le plus important).
305

- Autres invest. + importants mean of W2_9_1

- Cycle des investissements mean of W2_9_2

- Coûts énerg. pas assez importants mean of W2_9_3

- EE faible priorité pour l’entreprise mean of W2_9_4

- Install. actuelles assez efficaces mean of W2_9_5

- Difficultés dûes à org. interne mean of W2_9_6

- Contraintes budgétaires mean of W2_9_7

- Coût de la technologie va baisser mean of W2_9_8

- Manque vision claire technos disp. mean of W2_9_9

- Mieux vaut attendre subsides mean of W2_9_10

- Problème financement externe mean of W2_9_11

- Incertitude qualité technologies mean of W2_9_12

- Mieux attendre exp. collègues mean of W2_9_13

- Compatibilité législation future mean of W2_9_14

1 2 3 4 5

Figure 46 - Facteurs bloquant l’adoption de technologies efficaces en énergie selon responsables


énergie

- Autres invest. + importants mean of F7_10_1

- Cycle des investissements mean of F7_10_2

mean of F7_10_3
- Coûts énerg. pas assez importants
mean of F7_10_4
- EE faible priorité pour l’entreprise
- Install. actuelles assez efficaces mean of F7_10_5

- Difficultés dûes à org. interne mean of F7_10_6

- Contraintes budgétaires mean of F7_10_7

- Coût de la technologie va baisser mean of F7_10_8

- Manque vision claire technos disp. mean of F7_10_9

- Mieux vaut attendre subsides mean of F7_10_10

- Problème financement externe mean of F7_10_11

- Incertitude qualité technologies mean of F7_10_12

- Mieux attendre exp. collègues mean of F7_10_13

- Compatibilité législation future mean of F7_10_14

1 2 3 4 5

Figure 47 – Facteurs bloquant l’adoption de technologies efficaces en énergie selon responsables finance
306

Les résultats les plus marquants de ces deux tableaux sont les suivants :
• les trois barrières les plus importantes sont les barrières "autres investissements
plus importants", "cycle des investissements" et "contraintes budgétaires". Il s'agit
des mêmes barrières pour les responsables énergie et finance mais l'ordre de leur
classement est différent : pour les financiers, le premier facteur bloquant (avec
une moyenne assez élevée de 3,6 sur 5), c’est l’existence d’autres investissements
plus importants, alors que ce facteur n’arrive qu’en 3ème position pour les
responsables énergie (avec un score très inférieur, à 2,8). Le cycle des
investissements ("De nouvelles technologies ne peuvent être adoptées que lorsque
les technologies existantes doivent être remplacées") est la 1ère barrière pour les
responsables énergie, et la 3ème pour les financiers, mais le score est identique
pour les deux groupes, à 3 sur 5. Le 2ème facteur bloquant pour les responsables
énergie, comme pour les financiers, ce sont les contraintes budgétaires
(rationnement du capital), (avec une moyenne des réponses quasiment identique
pour les deux groupes à 3 et 3,1 sur 5). Les contraintes budgétaires ne viennent
qu’en 8ème position comme facteur bloquant pour les entreprises hollandaises
interrogées par De Groot et al. (avec un score moyen de 2,8), par contre le cycle
des investissements est le 2ème facteur bloquant (avec un score moyen de 3,6 sur
5).
• Les blocages liés à la difficulté de trouver un financement externe (capacité
d’emprunt) et à l’attente de subventions ne sont pas considérés comme
importants. Néanmoins ils sont plus élevés pour les financiers (avec des
moyennes respectives de 1,9 et 1,8) que pour les responsables énergie (1,7 et 1,2).
• Plus que les financiers, les responsables énergie perçoivent les coûts de l’énergie
comme importants pour leur entreprise. En effet, "les coûts énergétiques ne sont
pas suffisamment importants pour l’entreprise" représente une barrière très faible
pour les responsable énergie (moyenne 1,4 sur 5) mais sensiblement plus
importante pour les financiers (moyenne 2,2 sur 5).
• Les installations actuelles sont perçues comme plus efficaces par les financiers
(moyenne à 3 sur 5) que par les responsables énergie (2,2 sur 5).
307

• Dans l'ensemble, l'incertitude liée aux investissements en efficacité énergétique


est plus élevée chez les financiers que chez les responsables énergie : ces derniers
ont moins d’incertitude sur les technologies disponibles et sur leur qualité
(facteurs peu bloquants, avec une moyenne identique à 1,6) alors que, sur ces
deux points, la moyenne des réponses des financiers est plus élevée (avec des
scores respectifs de 2 et 2,4, ce qui reste cependant assez bas). Les financiers sont
également plus incertains sur la compatibilité des technologies envisagées avec la
législation future (la moyenne de leurs réponses est de 2,3, alors qu’elle n’est que
de 1,2 pour les responsables énergie).
• Les deux groupes évaluent comme minime le rôle de la barrière "efficacité
énergétique faible priorité pour l’entreprise", avec une moyenne des réponses
similaire à 1,8 sur 5 pour les responsables énergie et à 2 sur 5 pour les
responsables financiers.

En plus des questions issues du questionnaire de De Groot et al. (2001), une


question304 concernait les "coûts cachés" associés aux investissements en efficacité
énergétiques, puisque ces coûts sont considérés comme étant l'une des barrières les plus
importantes à ces investissements dans la littérature305. Les réponses montrent que la
majorité des entreprises (52%) considère que la mise en œuvre de mesures d'efficacité
énergétique n'entraînera pas de coûts imprévus (sur 23 entreprises, 12 entreprises
répondent non, 9 répondent oui, 2 sont sans opinion).
Dans l'ensemble, les facteurs bloquant les investissements en efficacité
énergétique sont perçus comme moins importants que les facteurs stimulant ces
investissements (puisque les moyennes respectives pour les responsables énergie et les
financiers sont de 2,8 et 3,1 pour les facteurs stimulants et de 1,8 et 2,4 pour les facteurs
bloquants). La variance élevée dans les réponses impose cependant une grande prudence
dans l'interprétation des résultats. En effet les moyennes des résultats données ci-dessus
portent sur l'ensemble des réponses des 35 gestionnaires énergie et des 13 responsables

304
2.11 Pensez-vous que la réalisation des mesures identifiées par NOE risque d’entraîner
des coûts imprévus pour l’entreprise? O Oui O Non O Sans opinion
Si oui, lesquels ? ______________________________________________________________
305
Voir p. 67 et ss. la perpective économqiue sur les barrières organisationnelles aux investissements en
efficacité énergétique.
308

finance ayant répondu valablement aux questions sur les facteurs bloquants et stimulants
l'adoption de technologies efficaces en énergie. Si l'on concentre l'analyse sur les
réponses des responsables énergie et finance des 13 entreprises pour lesquelles on a des
résultats complets, on met en évidence une grande variabilité de réponses, d'une part
entre les managers "énergie" et "finance" des mêmes entreprises et, d'autre part, entre
entreprises, y compris celles qui font partie du même secteur d'activités.
Ainsi, pour les facteurs stimulant ces investissements, le score maximum que
peuvent totaliser les réponses est de 50 (un résultat obtenu si chacun des 10 facteurs
proposé est évalué comme "très important" par les répondants et obtient le maximum de
5). Le tableau de la page suivante donne la moyenne des réponses pour chaque manager
énergie et finance des 13 entreprises pour lesquelles toutes les réponses ont été obtenues,
la moyenne sur 50 de chacun des deux groupes et la moyenne ramenée sur 5 pour chacun
des 2 groupes. On constate que la moyenne des résultats est assez proche entre les 2
groupes, à 28,3 sur 50 pour les 13 responsables énergie et à 31,2 sur 50 pour les 13
responsables finance, soit respectivement à 2,8 et 3,1 sur 5. Cependant la variabilité entre
les réponses est très élevée au sein des deux groupes, avec un minimum de 15 et un
maximum de 41 sur 50 pour les responsables énergie et un minimum de 20 et un
maximum de 47 pour les responsables finance.
309

Entreprises Managers Managers


énergie finance
. Entr. 2 Grande distribution 26 26
Entr. 3 Grande distribution 29 28
Entr. 4 Grande distribution 23 32
Entr. 5 Grande distribution 15 29
Entr. 7 Location surfaces - évén. 29,5 31
Entr. 17 Chimie 33 45
Entr. 18 Chimie 29 26
Entr. 19 Chimie 41 47
Entr. 22 Acier 36,5 30
Entr. 25 Acier 37 35
Entr. 31 Electronique 23 25
Entr. 32 Horlogerie 19 20
Entr. 35 Alimentation 23 32

moyenne sur 50 28,3 31,2

moyenne sur 5 2,8 3,1

Tableau 19 - Facteurs stimulant les investissements en efficacité énergétique

Pour les facteurs freinant ces investissements, le score maximum que peuvent
totaliser les réponses est de 70 (un résultat qui serait obtenu si chacun des 14 facteurs
proposé était évalué comme "très important" par les répondants en obtenant le maximum
de 5). Le tableau de la page suivante donne la moyenne des réponses pour chaque
manager énergie et finance des 13 entreprises pour lesquelles toutes les réponses ont été
obtenues, la moyenne sur 70 pour chacun des deux groupes et la moyenne ramenée sur 5
pour chacun des 2 groupes. A la lecture de ce tableau, on constate que l'écart entre la
moyenne des réponses est plus grand entre les 2 groupes, puisqu'elle est de 25 sur 70 pour
les 13 responsables énergie et de 34 sur 70 pour les 13 responsables finance, soit
respectivement 1,8 et 2,4 sur 5. Les financiers considèrent dans l'ensemble comme plus
importants les facteurs bloquants que ne le font leurs collègues en charge de l'énergie.
Cependant la variabilité entre les réponses est assez élevée pour les responsables énergie,
avec un minimum de 19 et un maximum de 34 sur 70, et très élevée pour les responsables
finance a vec un minimum de 19 et un maximum de 57.
310

Entreprises Managers Managers


énergie finance
Entr. 2 Grande distribution 34 34
Entr. 3 Grande distribution 19 19
Entr. 4 Grande distribution 32 29
Entr. 5 Grande distribution 20 32
Entr. 7 Location surfaces - évén. 24 43
Entr. 17 Chimie 26 44
Entr. 18 Chimie 26,5 26
Entr. 19 Chimie 31 34
Entr. 22 Acier 19 32
Entr. 25 Acier 21 37
Entr. 31 Electronique 22 29
Entr. 32 Horlogerie 28 24
Entr. 35 Alimentation 26,5 57

Moyenne sur 70 25,3 33,8


Moyenne sur 5 1,8 2,4
Tableau 20 - Facteurs bloquant les investissements en efficacité énergétique

3.2.3 Gestion de l’énergie et "stratégicité"

Les résultats présentés dans cette section concernent l'évaluation de l'influence du


niveau de gestion de l’énergie de l'entreprise sur la perception du caractère stratégique de
l'investissement306. Conformément au modèle théorique proposé (voir p. 232), cette
évaluation est faite en deux étapes : la première étape concerne le niveau de gestion de
l'énergie (considéré comme étant un reflet de leur culture de l'efficacité énergétique) dans
les entreprises de l'échantillon; la deuxième étape consiste à mettre en relation le niveau
de gestion de l'énergie avec la perception par les managers interrogés du caractère
stratégique des investissements en efficacité énergétique.
Comme indiqué dans le chapitre Méthodologie (voir p. 253 et ss.), le niveau de
gestion de l'énergie a été évalué sur la base d'un audit simplifié composé de 18 questions,
dont 14 valaient 1 point et 4 valaient 2 points. Le score maximum que pouvaient totaliser

306
L'hypothèse no. 2 énonce que " la culture de l’entreprise exerce une influence sur la perception du
caractère stratégique de la décision d’investissement en efficacité énergétique".
311

les réponses était donc de 22 points. Conformément à la méthode de mesure définie, plus
le score obtenu par une entreprise est haut, plus le niveau de gestion de l'énergie est élevé,
plus la culture de l'efficacité énergétique d’une organisation est élevée.
Le tableau de la page suivante donne les réponses des gestionnaires de l'énergie
pour les 35 entreprises de l'échantillon. Les résultats les plus frappants sont les suivants :
le score obtenu par les entreprises de l'échantillon en matière de gestion de l'énergie est
bas dans l'ensemble, avec une moyenne de 8,9 points sur 22. Le niveau moyen de gestion
de l'énergie est légèrement plus élevé dans les 15 entreprises du secteur tertiaire (9,6 sur
22) que dans les 18 entreprises du secteur secondaire (8,3 sur 22). Mais, une fois de plus,
ces moyennes masquent de grandes différences entre entreprises, y compris au sein du
même secteur d'activités : par exemple, 3 des 5 entreprises de l'échantillon actives dans le
secteur de la grande distribution obtiennent un score très élevé (de 17,5 à 20 points sur
22), et les 2 autres un score médiocre (7 et 8 points sur 22); de même les 3 entreprises du
secteur de la chimie obtiennent des résultats très différents (respectivement 7, 19,5 et 13
points sur 22).
312

Energy Energy mgt


Entr Secteur d'activité Sites manager score /22
1 Grande distribution 1 1 17,5
2 Grande distribution 1 1 8,0
3 Grande distribution 8 2 20,0
4 Grande distribution 10 2 19,0
5 Grande distribution 1 0 7,0
6 Grand magasin meubles 1 -- --
7 Location surfaces / events 1 0 7,5
8 Location surfaces / centre c. 3 0 6,0
9 Parking 2 1 8,5
10 Banque 2 0 6,0
11 Information financière 1 0 3,0
12 Hôtel 1 1 20,0
13 Hôtel 1 1 8,0
14 Hôtel 1 0 0,5
15 Services aux entr. 1 0 6,5
16 Services aux entr. 1 0 6,0
oui: 2 143,5
16 16 entités - 36 sites 36 non+ : 5 9,6
non : 8 /22
17 Chimie 3 0 7,0
18 Chimie 1 1 19,5
19 Chimie 2 0 13,0
20 Ind. alimentaire 1 0 8,0
21 Pharmacie 2 0 5,5
22 Acier 1 0 19,0
23 Acier 1 1 14,0
24 Acier 1 0 17,5
25 Acier 1 0 8,0
26 Acier 1 0 2,0
27 Acier 1 0 4,0
28 Acier 1 0 0,0
29 Acier 1 0 2,0
30 Acier 1 0 9,0
31 Electronique 1 0 8,5
32 Horlogerie 1 0 0,0
33 Horlogerie 1 0 9,5
34 Horlogerie 2 0 0,0
35 Transf. alimentaire 1 1 8,0
oui : 0 154,5
19 19 entités - 24 sites 24 non+ : 3 8,1
non : 16 /22
oui: 2 298,0
35 35 entités - 60 sites 60 non+ : 8 8,8
non : 24
non-rép.1 /22
Tableau 21 - Gestion de l'énergie et responsable énergie
313

Que signifient ces résultats en termes de niveau de gestion de l'énergie ? Pour


répondre à cette question, on peut adopter une classification calquée sur celle de l'agence
de l'énergie hollandaise Senter Novem307 : 1) 0-5 points, pas de gestion systématique de
l'énergie, ou bien le système existant présente de sérieux défauts; 2) 6-10 points, le
système de gestion de l'énergie ne répond pas encore aux spécifications en matière de
collecte d'information et de mise en œuvre; 3) 11-18 points, niveau de gestion de l'énergie
acceptable avec des possibilités d'amélioration; 4) 18-22 points, haut niveau de gestion de
l'énergie. Selon cette classification (2 non-réponses), 8 entreprises de l'échantillon (sur
35) se situent dans la 1ère catégorie (0-5 points) ; 16 entreprises dans la 2ème (6-10 points);
4 entreprises dans la 3ème catégorie (11-17 points) et 5 entreprises dans la 4ème (18-22
points). La recherche montre, en résumé, que 27 entreprises sur 35 n'ont pas de gestion
systématique de l'énergie ou bien ont un système très imparfait.
Une des questions du questionnaire "audit de gestion de l'énergie" portait sur
l'existence d'un gestionnaire de l'énergie dans l'entreprise. Comme le montre le tableau ci-
dessus, dix entreprises sur 35 ont répondu par l'affirmative à cette question308 (il faut
noter que 7 d'entre elles sont des entreprises du secteur tertiaire). Cependant, 8 de ces
gestionnaires partagent leur responsabilité en matière d'énergie avec d'autres fonctions
(telles que responsable du bâtiment, des installations techniques ou des services
généraux). 25 entreprises n'ont pas de gestionnaire de l'énergie du tout. Néanmoins, dans
chaque entreprise, une personne – au moins - est responsable des questions énergétiques.
Le tableau de la page suivante indique le titre des personnes responsables de l'énergie
dans les entreprises de mon échantillon, leur formation, le supérieur hiérarchique auquel
elles rapportent, et leurs années d'ancienneté.

307
Basés sur leur audit extensif en 100 questions et 200 points du niveau de gestion de l'énergie: 1) 0-50
points: pas de gestion systématique de l'énergie mise en place, ou bien le système existant présente de
sérieux défauts; 2) 51-101 points: le système de gestion de l'énergie ne répond pas encore aux spécifications
définies par SenterNovem en matière de collecte d'information et de mise en œuvre; 3) 102-180 points:
niveau de gestion de l'énergie acceptable avec des possibilités d'amélioration; 4) 181-200 points: haut
niveau de gestion de l'énergie.
308
Rappelons que le système de notation est le suivant : directeur de l'énergie : 2 pts; directeur de l'énergie
partageant cette tâche avec d'autres fonctions : 1 pt; pas de directeur de l'énergie du tout : 0 pts.
314

Figure 47 – Responsables de l'énergie dans les entreprises de l'échantillon.

Entr. Enegy
No. Secteur d'activité mgt Titre Formation Supérieur direct Anc.

1 Grande distribution 17,5 Responsable technique CFC maîtrise fédérale de vente DG 5


2 Grande distribution 8 Facility manager -- -- --
3 Grande distribution 20 Facility manager Architecte DG SR 4
4 Grande distribution 19 Ing. installallations tech. bâtiment Ingénieur Directeur technique 24
5 Grande distribution 7 Facility manager Electricien DG magasin 4
6 Grand magasin meubles -- Responsable de projets Electricien Facility mgt 3
7 Location surfaces / events 7,5 Directeur technique Ingénieur/HEC DG 6
8 Location surfaces / centre c. 6 -- Mécanicien auto / marketing Dir. Administratif SR 12
9 Parking 8,5 DG -- -- --
10 Banque 6 Chef du service immobilier Ingénieur section architecte Resp. dpt logistique 25
11 Information financière 3 Building facilities & security manager Electronicien mécanicien Directeur des opérations local 25
12 Hôtel 20 Directeur de service technique Ingénieur électronicien DG 26
13 Hôtel 8 Directeur technique Arts et métiers DG 4
14 Hôtel 0,5 -- Electricien DG --
15 Services aux entr. 6,5 -- Hôtellerie -- 28
16 Services aux entr. 6 Building facilities manager Eur-Asia Ingénieur technique VP HR USA – Resp. site GE 5
143,5
16 16 entités - 36 sites 9,6
sur 22
17 Chimie 7 Resp. électricité Chef de projets Ingénieur électricien Direction dpt technique 16
18 Chimie 19,5 Chef du dpt infrastructures Ingénieur HES Directeur technique 22
19 Chimie 13 ?
20 Ind. alimentaire 8 Maintenance & security manager -- Global operations director 11
21 Pharmacie 5,5 Resp. projets bât. adm. et tech. Ingénieur ETS Responsable de production 5
22 Acier 19 Resp. Qualité et Environnement Ingénieur Directeur du site 38
23 Acier 14 DG Ingénieur -- --
24 Acier 17,5 Directeur technique et industriel Ingénieur en métallurgie DG 6
25 Acier 8 Resp. des services généraux Ingénieur Directeur du site 3
26 Acier 2 DG Laborant + diplôme commerce -- --
27 Acier 4 DG + facility manager -- -- 2
28 Acier 0 Chef de fabrication Maintenance aéronautique DG 21
29 Acier 2 Dir. Services généraux et RH CFC DG 5
30 Acier 9 Plant manager -- DG Europe --
31 Electronique 8,5 Facility manager Mécanique de précision Directeur du site 7
32 Horlogerie 0 Chef de projets Ecole hôtelière DG 1
33 Horlogerie 9.5 Chef de Projet Ind. Audit interne Micro-ménanique DG 7
34 Horlogerie 0 Responsable entretien bâtiment Ingénieur ETS électricité Responsable serv. généraux 9
35 Transf. alimentaire 8 Intendant technique -- Resp. du "non commercial" 20
154,5
19 19 entités - 24 sites 8,1
sur 22
298
35 35 entités - 60 sites 8,8
sur 22
315

La conclusion la plus frappante qui ressort du tableau est celle de la variété des
situations et des formations des personnes responsables de l'énergie dans les entreprises
de l'échantillon. En matière de formations, on peut faire le récapitulatif suivant :

• Ingénieurs 13
Dont : 1 métallurgie
1 architecte
1 électronicien
3 électriciens
1 HEC
• Architecte 1
• Arts et métiers 1
• Electriciens 3
• Ecole hôtelière 1
• Hôtellerie 1
• Micromécanique 2
• Maintenance aéronautique 1
• Commerce/vente 3 (dont 1 est aussi laborant)
• Mécanicien 1
• Electronicien mécanique 1
• Non-réponses 7
_____
Total 35

Figure 48 – formation professionnelle des responsables de l'énergie.

Les ingénieurs sont en majorité, mais ils ont des spécialités différentes. En
matière de fonction, on constate que l'énergie dépend assez souvent du directeur
technique, du responsable du bâtiment et des installations (facility manager) ou du
directeur des services généraux. Dans les entreprises de petite taille, l'énergie peut être du
316

ressort du directeur général. Dans un cas sur trois environ, les managers en charge des
questions énergétiques rapportent directement à la direction générale (DG) mais, là aussi,
on assiste à une grande variété de situations, de même que pour le nombre d'années de
présence dans l'entreprise.
Pour analyser l'influence du niveau de gestion de l’énergie de l'entreprise sur sa
perception du caractère stratégique des investissements en efficacité énergétique, il nous
faut maintenant analyser la relation entre le niveau de gestion de l'énergie (un reflet de la
culture de l'efficacité énergétique) et le caractère stratégique des investissements en
efficacité énergétique (ou, plus exactement, la perception que les managers se font de ce
caractère stratégique). Pour ce faire, conformément aux outils de mesure des concepts
(voir p. 253 et ss.), il nous faut examiner la force de la relation entre deux groupes de
variables: d'une part, les 18 variables (indépendantes) qui composent le niveau de gestion
de l'énergie dans l'entreprise et, d'autre part, les 3 variables (dépendantes) qui composent
le caractère stratégique309 des investissements en efficacité énergétique. Le tableau de la
page suivante reproduit les résultats pour ces deux dimensions dans chaque entreprise de
l'échantillon (seules les réponses des responsables énergie sur le caractère stratégique des
investissements ont été prises en compte).

309
Défini comme la contribution de l'investissement à l'avantage concurrentiel de l'entreprise par
l'intermédiaire d'une réduction des coûts et des risques et d'une augmentation de la valeur de l'offre pour la
clientèle (voir p. 184 et ss.).
317

Tableau 22 - caractère stratégique des investissements en efficacité


énergétique et niveau de gestion de l'énergie.

Entr. Nbre de Dimension Energy mgt


No. Secteur d'activité Sites stratégique score /22
mgr énergie mgr énergie
1 Grande distribution 1 13 17,5
2 Grande distribution 1 10 8,0
3 Grande distribution 8 10 20,0
4 Grande distribution 10 7 19,0
5 Grande distribution 1 7 7,0
6 Grand magasin meubles 1 -- --
7 Location surfaces / events 1 11 7,5
8 Location surfaces / centre c. 3 8 6,0
9 Parking 2 13 8,5
10 Banque 2 12 6,0
11 Information financière 1 10 3,0
12 Hôtel 1 10 20,0
13 Hôtel 1 10 8,0
14 Hôtel 1 8 0,5
15 Services aux entr. 1 10 6,5
16 Services aux entr. 1 9 6,0
17 Chimie 3 8 7,0
18 Chimie 1 4 19,5
19 Chimie 2 13 13,0
20 Ind. alimentaire 1 7 8,0
21 Pharmacie 2 -- --
22 Acier 1 13 19,0
23 Acier 1 11,5 14,0
24 Acier 1 5 17,5
25 Acier 1 8 8,0
26 Acier 1 10 2,0
27 Acier 1 8 4,0
28 Acier 1 10 0,0
29 Acier 1 7 2,0
30 Acier 1 8,5 9,0
31 Electronique 1 7 8,5
32 Horlogerie 1 5 0,0
33 Horlogerie 1 9 9,5
34 Horlogerie 2 8 0,0
35 Transf. alimentaire 1 9 8,0
33 réponses 33 réponses
35 35 entités - 60 sites 2 non-rép. 2 non-rép.
318

A première vue, la relation entre les deux dimensions présente différents cas de
figure : parfois le niveau de stratégicité est très élevé et le niveau de gestion est très bas
(c'est le cas pour les entreprises no. 18 et 24), parfois c'est l'inverse (dans l'entreprise no.
10 par exemple). Parfois le niveau de stratégicité et celui de la gestion de l'énergie sont
élevés (c'est le cas par exemple pour l'entreprise no. 23) ou bas (entreprise no. 32 par
exemple). Une analyse statistique des réponses des gestionnaires de l'énergie310 confirme
ces premières conclusions : la corrélation simple entre les deux groupes de variables –
niveau de gestion de l'énergie et niveau de stratégicité – est très basse à 0,14. La
corrélation canonique311 entre les deux groupes de variables312 est par contre assez élevée
à 0,86. Cependant ce résultat est sujet à caution étant donné le grand nombre de variables
et le petit nombre de données. Si l'on enlève les 6 "cas extrêmes" constitués des 3
entreprises qui ont un niveau de gestion de l'énergie très élevé et une perception très
basse du caractère stratégique des investissements en efficacité énergétique et des 3
entreprises qui ont, par contre, une perception assez élevée du caractère stratégique de
l'investissement et un niveau de gestion de l'énergie presque inexistant, on obtient une
corrélation simple plus élevée, à 0,6264.

310
Une analyse statistique n'a pu être réalisée que sur les réponses des gestionnaires de l'énergie, car le
nombre de réponses des gestionnaires finance était insuffisant (seuls 6 questionnaires remplis par les
gestionnaires finance contenaient des réponses à la fois sur la dimension stratégique des investissements et
sur le niveau de gestion de l'énergie).
311
La corrélation canonique, ou multiple, représente l'intensité de la relation non pas entre deux variables
mais entre deux groupes de variables. L'analyse de la corrélation canonique ne prend donc pas en compte
les moyennes des 3 réponses pour la dimension stratégique et des 18 réponses pour la dimension culturelle
(niveau de gestion de l'énergie), mais elle prend en compte les relations individuelles entre les 3 variables
de la dimension stratégique d'une part et les 18 variables de la dimension culturelle d'autre part.
312
Soit d'une part le groupe de variables "réduction des risques" W 2_5_3, "réduction des coûts" W 2_5_4
et "renforcement de la valeur des produits" W 2_5_5 (qui composent la dimension stratégique de
l'investissement, voir p.238 et ss.) et, d'autre part, le groupe de variables W_3_2, W_3_5, W_3_610 à 616,
W_3_710 à 712, W_3_8, W_3_10, W_3_110 à 113, qui composent le niveau de gestion de l'énergie,
interprété comme le reflet de la culture de l'efficacité énergétique de l'entreprise (voir p. 244 et ss.).
319

4. 4ème partie : discussion

La recherche empirique dont les résultats ont été décrits dans le chapitre précédent
s'appuie sur le cadre théorique de la décision d'investissement313, construit sur la base
d'une exploration du domaine de la décision dans les organisations. Certains éléments de
ce cadre théorique avaient été démontrés par des recherches antérieures, mais
demandaient à être confirmés ou précisés par des recherches complémentaires. Ces
éléments concernent essentiellement le rôle joué par les caractéristiques de
l'investissement. J'ai mis l'accent dans le modèle théorique sur l'importance des
caractéristiques du projet d'investissement pour le choix décisionnel. Ces caractéristiques
comprennent trois dimensions : les caractéristiques analytiques (complexité, incertitude,
stimulus, disponibilité de la solution, etc), le contenu substantiel (investissement en
augmentation ou rénovation des capacités de production, etc) et la nature plus ou moins
stratégique du projet d'investissement considéré314. Contenu et nature stratégique sont
liés, puisque le caractère stratégique de l'investissement est défini comme sa contribution
à l'avantage concurrentiel de l'entreprise, lié lui-même à l'exercice plus ou moins
performant du métier. L'avantage concurrentiel repose sur trois composantes interreliées :
coûts – valeur – risques. Cette définition "tridimensionnelle" des caractéristiques de
l'investissement est nouvelle en ce qu'elle rassemble et complète des éléments théoriques
jusque là disparates et inprécis. En effet, la recherche en "strategy process" a investigué
l'influence des caractéristiques analytiques du projet d'investissement sans s'intéresser au
contenu et en définissant de façon très superficielle la notion de "décision stratégique".
Pour combler cette lacune, j'ai proposé une définition de la décision stratégique, sur
laquelle est basé l'outil de mesure du caractère stratégique de l'investissement qui est
décrit dans le chapitre "Méthodologie". L'influence du caractère plus ou moins
stratégique de l'investissement sur la décision d'investir, associé à celle de plusieurs
autres catégories de facteurs (contexte interne et externe du processus décisionnel, rôle
des acteurs) relativise l'influence de la dimension financière sur les choix

313
Chapitre 2.5, voir p. 223 et ss.
314
Voir p. 171 et ss. et p. 184 et ss.
320

d'investissement. Les résultats de la présente recherche sur l'influence respective des


logiques financière et stratégique sur la décision d'investissement viennent donc
confirmer, renforcer et compléter les conclusions de recherches antérieures, qui avaient
déjà démontré l'influence déterminante du caractère stratégique de l'investissement sur les
choix effectués par les entreprises.
L'application du modèle théorique de la décision d'investir au domaine de
l'efficacité énergétique est, par contre, complètement nouvelle : comme je l'ai indiqué, le
domaine de l'économie de l'énergie est dominé par une approche très conservatrice des
choix d'investissement, qui considère que ces choix sont faits par des agents économiques
rationnels en fonction de la rentabilité de l'investissement considéré, même si certaines
défaillances (failures) dans les marchés ou dans les organisations peuvent entraver ou
compliquer ces décisions optimales des agents. Une littérature alternative a mis en
évidence le rôle d'autres facteurs sur les choix d'investissement en efficacité énergétique,
mais sans pouvoir les expliquer faute de cadre théorique. L'application de concepts issus
du domaine de la décision dans les organisations au domaine particulier des
investissements en efficacité énergétique est (à quelques exceptions près315) une
nouveauté, et le cadre théorique proposé et testé ici comble utilement une lacune.
Sur la base de ces considérations, la discussion des résultats sera faite en trois
parties : la première partie, consacrée au comportement général d’investissement des
entreprises, discutera les résultats qui viennent en confirmation ou en complément de
recherches antérieures (chapitre 4.1). Ceci concerne en particulier le poids respectif des
logiques financière et stratégique sur les choix d'investissements, ainsi que l'utilisation
des méthodes d'évaluation de la rentabilité par les entreprises. Les deuxième et troisième
parties concernent l’approche nouvelle sur la décision d’investissement en efficacité
énergétique qui est défendue dans la présente thèse, en discutant la validité des deux
hypothèses de recherche : hypothèse No. 1 qui postule la faible dimension stratégique des
investissements en efficacité énergétique (chapitre 4.2) ; hypothèse No. 2 qui postule que
le niveau de gestion de l’énergie influence la perception du caractère stratégique de
l'investissement (chapitre 4.3).

315
En particulier Cebon (1992), voir p. 75 et ss.
321

4.1 Choix d’investissements : primauté de la logique


stratégique sur la logique financière

Seront discutés dans cette section les résultats relatifs au comportement général
d’investissement des entreprises et à l’importance relative des logiques financière et
stratégique sur les décisions. A cet égard, les conclusions les plus importantes sont les
suivantes : la rentabilité de l’investissement joue un rôle important mais non décisif dans
la décision d’investir en raison de l’influence d’autres facteurs ; la phase du diagnostic est
essentielle ; il existe une compétition entre projets d’investissements ; les projets qui sont
considérés comme plus stratégiques sont choisis. Ces différents points, qui confirment
solidement la pertinence du cadre théorique, seront discutés dans les pages suivantes, de
même qu’un autre aspect qui émerge de la recherche : les pratiques peu orthodoxes des
entreprises en matière de choix d’investissement.
Selon l'approche dominante sur la décision d'investissement, un investissement
est décidé en fonction de sa rentabilité. Cette rentabilité est évaluée au moyen de
méthodes proposées par la théorie financière (TRI, VAN, Méthode de recouvrement), qui
précisent les modalités de fixation du taux d'actualisation et la prise en compte du risque
attaché au projet d'investissement considéré.
Les résultats de la présente recherche confirment que la rentabilité de
l'investissement considéré joue un rôle important dans la décision d'investir. Ceci apparaît
dans différentes réponses : l'analyse de rentabilité est obligatoire pour un projet
d'investissement, quelle qu'en soit la catégorie, pour une majorité écrasante d’entreprises
(87% de réponses positives dans l’échantillon). Les trois quarts des responsables finance
sont en désaccord avec l'affirmation "l'évaluation financière des investissements a, au
bout du compte, peu d'influence sur la décision finale" (p. 268). Les calculs de rentabilité
prévisionnelle sont considérés comme "décisifs" par un quart des répondants (28%) et
comme "importants" par 50% des répondants316.
Cependant l'influence de la rentabilité sur la décision d'investir est loin d'être
exclusive. Comme l'admettent la quasi-totalité des managers financiers interrogés, il ne
316
Réponse à la question F 9_22, voir p. 269 et ss.
322

suffit pas qu'un projet soit rentable pour qu'il soit réalisé. La majorité des managers
confirment, d'autre part, qu'il peut arriver qu'un projet soit réalisé même s’il n’est pas
rentable. Les résultats viennent ici en confirmation des recherches antérieures, en
particulier celle de De Bodt et Bouquin, dont sont issues de nombreuses questions du
questionnaire "finance", et de façon plus générale les recherches menées en finance
organisationnelle.317 L'existence d'un lien entre l'importance des coûts de l'énergie et le
pourcentage d'investissement en efficacité énergétique n'a pas pu être démontré ou
infirmé à Genève en raison de la petite taille de l'échantillon.
L'influence de la rentabilité sur la décision d'investir peut même être considérée
comme secondaire, en raison de l'influence d'autres facteurs :

• Les rapports de force entre les différents départements de l'entreprise.


L'existence d'un "champion" soutenant un projet d'investissement, qui semble
souvent déterminante pour l'adoption de celui-ci. L'importance du pouvoir
dans l'entreprise, et sur les décisions qui y sont prises, est confirmée.
• Le montant de l'investissement. Il influence la procédure, la démarche
d'analyse et les étapes que doivent suivre le dossier (voir p. 275 et ss).
• La catégorie du projet d'investissement. Elle influence la démarche d'analyse
du projet, les étapes que doit suivre un dossier et la méthode d'évaluation pour
la rentabilité (voir p. 275 et ss.).
• Le caractère stratégique de l'investissement. Un projet doit avant tout
permettre la mise en oeuvre des objectifs stratégiques de l'entreprise.

Une procédure formelle de constitution des dossiers d'investissement existe dans


une très grande majorité d’entreprises (environ 4 sur 5). Dans cette procédure formelle,
un aspect apparaît comme jouant un rôle essentiel : c'est la catégorie de l'investissement.
Presque toutes les entreprises classent les projets d’investissements selon une typologie
préexistante318. La catégorie influence la/les démarches d'analyse appliquées au projet319
(études de rentabilité, de risque, commerciale, technique, juridique, écologique, voir p.
277), les méthodes financières utilisées pour évaluer la rentabilité, et les étapes que doit
317
Qui sont examinées dans le chapitre Investissement et stratégie, p. 176 et ss.
318
Voir p. 272 et ss.
319
Voir p. 260-261
323

suivre le dossier. Dans la typologie utilisée par les entreprises, les catégories utilisées le
plus fréquemment sont les catégories en lien avec le métier.
Le rôle essentiel de la phase du diagnostic dans le processus d'investissement est
ici confirmé. Les projets d'investissement qui se présentent – et, en amont, les idées
initiales de projets – sont donc classés par les entreprises au moment de la constitution du
dossier d'investisement, au début du processus décisionnel. La façon dont un projet sera
catégorisé, étiqueté ("labelled") jouera un rôle décisif sur le processus et donc sur la
sélection et le choix final. La confirmation de cet aspect du modèle théorique de la
décision d'investir320, qui met l'accent sur la phase du diagnostic, vient appuyer les
résultats des recherches antérieures321. Comme le montrent les réponses des entreprises,
deux éléments confirment cette importance primordiale de la phase du diagnostic:
premièrement, les projets émergent plus souvent du terrain (à la suite d'opportunités
perçues par les unités opérationnelles) qu'ils ne proviennent d'une recherche systématique
liée aux objectifs de l'entreprise, ce qui suppose un processus décisionnel assez ouvert au
départ. Deuxièmement, dans la majorité des cas, les enveloppes budgétaires ne sont pas
définies de façon anticipée mais en fonction des opportunités identifiées322.
La classification de projets d'investissement par les entreprises, et l'influence
déterminante que ce classement exerce sur le processus décisionnel, et donc sur la
sélection et le choix des investissements, confirment un autre aspect essentiel du modèle
théorique : l'existence d'une compétition entre projets. Cet élément est confirmé
également par le fait que l'existence d'autres investissements plus importants est
considérée comme un facteur bloquant par les managers interrogés323. Il s'agit même du
premier facteur bloquant les investissements en efficacité énergétique pour les managers
finance. Bien qu'il s'agisse aussi de la barrière la plus élevée pour les entreprises qu'ils ont
interrogées, De Groot, Verhoef et Nijkamp ne précisent pas quels sont ces
"investissements plus importants". Ils indiquent simplement que “the most important
barrier for firms is the existence of other investment opportunities that are considered
more promising or important … more attractive…" (De Groot, Verhoef et Nijkamp,

320
Le modèle théorique de la décision d'investir auquel il sera fait référence dans ce chapitre est le modèle
qui est décrit au chapitre 2.5, voir p. 223 et ss.
321
Voir p. 138 et ss. et p. 205 et ss.
322
Voir p. 259 et ss.
323
Voir p. 288 et ss.
324

2001, p. 726). Mais ils indiquent ailleurs que "les économies d'énergie ne sont que l'un
des critères sur lequel une nouvelle technologie est jugée et que d'autres avantages, tels
qu'une augmentation des capacités de production ou une amélioration de la qualité des
produits sont également pris en compte"324. En ce qui me concerne, je n'ai pas relevé
systématiquement ce que les répondants entendent par "autres investissements plus
importants". Cependant certains responsables de l'énergie ont indiqué, lors des entretiens,
que des investissements plus importants sont des "investissements pour obtenir des
certifications ou des investissements de production" (entreprise du secteur de l’acier, No.
26), "investissements en moyens de production" (entreprise du secteur de l'acier, no. 29),
"investissements en moyens de production ou pour développer de nouveaux points de
vente" (entreprise horlogère, no. 32), "investissements en machines" (entreprise
horlogère, no. 33). Ces indications correspondent aussi aux catégories présentes le plus
généralement dans la typologie des investissements utilisées par les entreprises (maintenir
ou rénover capacités de production, accroître productivité moyens de production
existants). On peut donc considérer que les investissements "plus importants" sont des
investissements en lien direct avec l'activité de l'entreprise. Ce constat correspond au
cadre théorique développé en fin de deuxième partie de ce mémoire (voir p. 232 et ss.).
Selon ce cadre théorique, des investissements sont [perçus comme] plus importants – ou,
autrement dit, comme plus stratégiques - s'ils permettent à une entreprise d'améliorer sa
position concurrentielle dans l'exercice de son métier.
Par conséquent, le caractère stratégique de l'investissement est à nouveau
confirmé comme étant plus important que la rentabilité dans les décisions d'investir, au
moins pour les financiers des entreprises. Ce qui expliquerait pourquoi les entreprises
n'adoptent pas certaines technologies, même lorsqu'elles les considèrent comme
rentables, comme c'est le cas pour les entreprises interrogées par De Groot et al. (2001)325.
De plus, quand un investissement est perçu comme important pour le métier, l'accès aux
ressources financières n'est pas un problème. On peut interpréter de cette façon le fait que

324
Traduit par moi de "energy saving is just one of the criteria on which a new technology is judged and
that there are other complementary benefits such as increased capacity and improved product quality that
are considered along with energy saving" (De Groot et al., 2001, p. 723).
325
"The responses shown here concern technologies about which firms had indicated earlier in the survey
that they are aware of their existence, that the technologies were considered as being profitable, but that
they were still not implemented as yet." (De Groot, Verhoef et Nijkamp, 2001, p. 727).
325

les contraintes budgétaires ne viennent qu’en 8ème position comme facteur bloquant pour
les entreprises hollandaises interrogées par De Groot et al. (avec un score moyen de 2,8
sur 5). D’ailleurs il arrive que certains investissements non rentables soient décidés,
comme l’indiquent une majorité de managers genevois.
Un autre sujet mérite d'être discuté qui émerge des résultats de la recherche sur le
comportement d'investissement des entreprises : celui de la conformité des pratiques des
entreprises aux prescriptions de la théorie des choix d'investissement en matière
d'évaluation de la rentabilité. Les résultats montrent en effet des comportements assez
déviants par rapport à la théorie, qui pourraient même être interprétés comme un manque
de pertinence dans l'usage des méthodes d'évaluation financière par les entreprises326. Les
aspects suivants, en particulier, peuvent être relevés :

• Taux d'actualisation. 60% des entreprises seulement se basent sur le coût des
fonds propres et des fonds empruntés pour fixer le taux d'actualisation. 15% des
entreprises fixent le taux d'actualisation de façon forfaitaire. Le risque lié au projet
n'est pris en compte dans le taux d'actualisation que dans moins d'une entreprise
sur cinq.
• Prise en compte de la dépréciation monétaire liée au temps : les trois quarts des
entreprises environ utilisent en même temps une méthode dynamique d'évaluation
de l'investissement (TRI et/ou VAN) et la méthode de la période de recouvrement
sans actualisation des flux de l'investissement (pay-back simple). Mais certaines
entreprises (au moins deux dans l'échantillon) n'utilisent que la méthode du pay-
back simple et, de plus, sur une période assez longue de 5 à 6 ans.
• Prise en compte du risque : l'analyse de risque des projets n'est obligatoire que
pour 40% des entreprises.
• Forte pression vers le court-terme : elle est signalée par plusieurs répondants dans
les interviews. Comme l'exprime de façon assez emblématique le directeur de la

326
Une conclusion qui viendrait étayer l'analyse de Rigby (2002) qui conteste la pertinence des calculs
financiers effectués par les entreprises “In addition to the problem that organisations did not know how to
save energy, it was also shown by market research studies carried out for BRECSU that organisations did
not know how to assess the economic potential of their investments in energy efficiency. The weaknesses in
the financial methodologies used by energy managers and estates departments for estimating the
profitability of energy efficient criteria principally included making errors in the estimate of the inflation
rate and changes to future fuel prices. The result of these errors was to render “many investment appraisal
analyses meaningless” (BRECCSU, 1991, page, 6 cité par Rigby, p. 15). Voir p. 47 et ss.
326

filiale genevoise327 d'une entreprise américaine (entreprise no. 30, revêtement de


surfaces céramiques avec alliages de poudres métalliques; coûts énergétiques
totaux à Genève = 8% du C.A, coûts de l'électricité = 4% du C.A.) : "un an [de
temps de retour de l'investissement], on a l'argent immédiatement, deux ans il faut
commencer à se battre. 3 ans, on n'obtient jamais. Le mot "attendre" est interdit
chez nous". Dans ces conditions, de nombreuses opportunités d'investissement
rentables sont éliminées. Cependant, on peut supposer que les entreprises
accordent des durées plus longues pour des investissements dans l'outil de
production. Par exemple, le responsable de l'énergie de l'entreprise no. 31
(entreprise suisse, secteur de l'électronique) indique une durée de 3 ans pour les
investissements en efficacité énergétique mais une durée de 10 ans pour
"l'amortissement des chaînes de production". Ceci pourrait expliquer pourquoi la
grande majorité des entreprises indique comme durée de leurs investissements la
durée de vie de l'équipement ou la durée stratégique du projet, alors que pour les
investissements en efficacité énergétique, la durée de l'investissement est
généralement beaucoup plus courte que la durée de vie des équipements (voir p.
276).
• Financement extérieur et effet de levier. Dans leur majorité, les entreprises
s'autofinancent et ne sont pas intéressées par une formule de prêt à taux bonifié328
Ce paradoxe est relevé aussi par l'enquête d'IFC (2006, pp. 33-35) sur les
pratiques des entreprises russes en matière d'investissements en efficacité
énergétique : des "fonds insuffisants" sont mentionnés par 64% des 625
entreprises interrogées dans l'étude comme un obstacle aux investissements en
efficacité énergétique. Pourtant 24% des entreprises russes seulement ont fait une
demande de prêt (qui a été accordée dans 89% des cas). Pour 30% des entreprises,
le refus de faire appel à un financement externe est motivé par des fonds internes
suffisants et pour 37% d'entre elles par le fait que les taux d'intérêts sont élevés.
La conclusion d'ICF est que les entreprises méconnaissent le principe du levier

327
Entretien du 22 février 2007.
328
1 seule entreprise (sur les 18 interrogées, dont 2 non-réponses) a déclaré être intéressée par une formule
de prêt à taux bonifié (en matière de soutien financier, la préférence des entreprises de l'échantillon va en
premier lieu aux subventions, 10 réponses sur 18, et en deuxième lieu au crédit d'impôt, avec 5 réponses sur
18). Voir p. 288 et ss.
327

financier que constitue l'endettement (qui permet d'augmenter la rentabilité sur


capitaux investis, grâce à l'apport de fonds extérieurs). Une autre explication
pourrait être, selon le cadre théorique développé par la présente recherche, que
c'est parce que ces investissements ne sont pas considérés comme stratégiques que
les ressources financières internes ne leur sont pas attribuées et que le recours au
financement externe n'est pas envisagé. Ainsi, par exemple, le responsable de
l'énergie de l'entreprise No. 33329 (horlogerie) a mentionné que l'entreprise
emprunte pour financer les achats de machines-outils destinées à la production,
mais que pour les investissements liés à l'exploitation, la règle est
l'autofinancement.

Dans le contexte de classification des projets et de compétition entre eux, et au-


delà des questions que peuvent susciter les pratiques financières parfois peu orthodoxes
des entreprises, le caractère stratégique des projets est bien le déterminant principal des
choix d'investissements. Les réponses des managers genevois confirment les résultats des
études antérieures330, en relativisant l'influence de la rentabilité et des méthodes
d'évaluation financière. La rentabilité de l'investissement apparaît comme une condition
généralement nécessaire mais non suffisante.

4.2 Faible caractère stratégique des investissements en


efficacité énergétique

Comme nous l'avons vu, la procédure d'évaluation des projets d'investissements


comprend une typologie des investissements dans la très grande majorité des cas. Dans la
typologie utilisée par les entreprises, les catégories utilisées le plus fréquemment sont
celles en lien avec le métier : entretien, développement ou amélioration de l'appareil de

329
Entretien du 9 mai 2007.
330
Plusieurs recherches empiriques ont montré l'importance des facteurs stratégiques dans la prise de
décision et du lien entre décisions d'investissement et objectifs ou enjeux stratégiques de l'entreprise : non
seulement celles de De Bodt et Bouquin (2001) et Van Cauwenbergh et al. (1996), reprises pour la présente
recherche, mais aussi celles d'Alkaraan et Northcott (2007, 2006); Burcher et Lee (2000); Butler (1991);
Carter (1971); Carr et Tomkins (1996); Maritan (2001); Putterill, Maguire, Sohal (1996); Segelod (1995).
Voir p. 176 et ss.
328

production. Néanmoins, les investissements en efficacité énergétique existent en tant que


catégorie à part entière pour près de la moitié des 18 entreprises de la présente recherche,
dans une proportion similaire pour les secteurs tertiaire et secondaire331. Ce point méritait
d'être mis en évidence, car la littérature importante sur les investissements en efficacité
énergétique n’a jamais posé la question de l’existence de cette catégorie d’investissement
dans les entreprises.
Puisque le caractère stratégique de l'investissement joue un rôle plus important
dans la décision d'investir que la rentabilité financière, il convient d'analyser le caractère
stratégique des investissements en efficacité énergétique. Si ces investissements sont
perçus comme non stratégiques par les décideurs dans les entreprises, ils auront peu de
chance d'être décidés. A cet égard, notre hypothèse no. 1 postule que "les décisions
d'investissements en efficacité énergétique ont un faible caractère stratégique pour de
nombreuses entreprises". Les résultats de la recherche empirique confirment-ils cette
hypothèse ?
Selon l'outil de mesure décrit dans le chapitre méthodologie, plus un
investissement contribue à créer ou renforcer l'avantage concurrentiel de l'entreprise, plus
il est stratégique. L'avantage concurrentiel est un concept tridimensionnel formé de trois
composantes interreliées : coûts – valeur – risques. Les managers ont été interrogés sur
leur perception de la contribution des investissements en efficacité énergétique à
l'avantage concurrentiel de leur entreprise dans ces trois composantes.
Trois conclusions principales se détachent des résultats de la recherche empirique
détaillés au chapitre précédent. Premièrement, les investissements en efficacité
énergétique sont perçus comme peu à modérément stratégiques par l'ensemble des
répondants. Deuxièmement, des trois variables qui composent le caractère stratégique de
l'investissement, c'est la variable "coûts" qui est perçue comme étant la plus importante.
Remarquons à ce sujet que, contrairement à une idée très répandue – mais rarement
discutée – les coûts de l'énergie, en proportion du chiffre d'affaires, ne sont pas
automatiquement plus élevés dans les entreprises du secteur secondaire que dans celles
du secteur tertiaire (comme l'indiquent les chiffres du tableau de la page 286).
Troisièmement, les moyennes recouvrent une grande variété de réponses entre

331
Réponses à la question F 9_21, voir p. 272 et ss.
329

entreprises, y compris des entreprises opérant dans le même secteur d'activités, et, au sein
des entreprises, entre managers des différentes fonctions. Examinons plus en détails ces
trois conclusions.
Premièrement, les investissements en efficacité énergétique sont perçus comme
faiblement à modérément stratégiques par l'ensemble des répondants. Ils sont perçus
comme moins importants par les managers du secteur secondaire, dans les trois
composantes de l'avantage concurrentiel, que par les managers du secteur tertiaire. Ils
sont perçus en moyenne comme faiblement stratégiques par les managers du secteur
secondaire et comme modérément stratégiques par les managers du secteur tertiaire.
L'hypothèse no. 1 est donc corroborée pour les entreprises du secteur secondaire et
partiellement corroborée pour les entreprises du secteur tertiaire. L'investissement en
efficacité énergétique, perçu comme faiblement stratégique, est en mauvaise posture pour
gagner la compétition entre investissements qui existe dans les entreprises.
La deuxième conclusion marquante est le fait que, des trois dimensions qui
composent le caractère stratégique de l'investissement, c'est la composante "coûts" qui est
perçue comme étant la plus importante, tous secteurs et répondants confondus. Elle
obtient un score généralement supérieur à 4 sur 5 (soit "important") et parfois proche de
5332, alors que les dimensions "réduction des risques" et "augmentation de la valeur des
produits" obtiennent presque toujours un score inférieur à 3 sur 5. Cette importance de
l'aspect "réduction des coûts" est confirmée par le fait que, dans l'analyse des facteurs
stimulants la décision d'investir en efficacité énergétique333, c'est la réduction des coûts
qui apparaît comme étant le facteur le plus stimulant, que ce soit pour les financiers ou
pour les responsables énergie. Le facteur réduction des coûts est également le facteur le
plus stimulant (avec une moyenne de 3,9 sur 5) pour les entreprises hollandaises
interrogées par De Groot et al. (2001).
La perspective d'une réduction des coûts n'est cependant pas un stimulant si
puissant qu'on ne pourrait le croire : en effet, dans l'étude hollandaise, le fait que les coûts
de l'énergie ne sont pas suffisamment importants est le 3ème facteur bloquant l'adoption de

332
Elle obtient en score de 4,4 sur 5 pour les managers énergie et de 4 sur 5 pour les managers finance, tous
secteurs confondus, de 4,8 et 4,5 sur 5 respectivement pour les managers énergie et finance du secteur
tertiaire et de 4 et 3,8 sur 5 respectivement pour les managers énergie et finance du secteur secondaire.
333
Voir p. 288 et ss.
330

technologies efficaces en énergie (avec une moyenne assez élevée à 3,4 sur 5). Cette
réponse est d'autant plus intéressante que les entreprises interrogées par De Groot et al.,
actives dans des secteurs intensifs en énergie (industries du métal, papier, chimie,
industrie alimentaire, horticulture, machine-outils et textiles) ont des coûts de l'énergie
qui s'élèvent à environ 10% de leur chiffre d'affaires. A Genève, les financiers des
entreprises de l'échantillon attribuent plus d'importance à la barrière "coûts énergétique
pas suffisamment importants" que leurs collègues de l'énergie (mais la moyenne des
réponses est assez basse, à 2,2 sur 5 pour les financiers contre 1,4 sur 5 pour les managers
énergie). Si les coûts énergétiques sont perçus comme peu importants par les managers, la
perpective d'une réduction des coûts n'est pas une motivation très puissante pour une
décision d'investissement et le poids de ce facteur doit être relativisé.
La réduction des coûts est donc un facteur stimulant mais non suffisant. Ceci
confirme l'importance du caractère stratégique de l'investissement, en montrant que les
coûts de l'énergie ne doivent pas être interprétés selon une approche financière mais selon
une approche stratégique : pour certaines entreprises confrontées à une concurrence à bas
prix, par exemple dans le domaine de la fabrication de machines-outils ou de pièces en
alliage métallique, des coûts bas sont un impératif stratégique de compétitivité, et de
survie. Cette situation est celle des entreprises no. 23 et 25 dans mon échantillon, comme
l'illustre cette déclaration du responsable énergie de l'entreprise no. 25, qui fabrique des
machines-outils334: "on se bat continuellement… faire aussi bien que les Japonais à
moindres coûts"335. Mais, pour la plupart des entreprises, la dimension financière n'est
pas, comme je l'ai discuté dans la section précédente, l'élément déterminant de la
décision. Pour ces entreprises, les coûts de l'énergie sont considérés, en quelque sorte,
comme un mal nécessaire : par exemple, l'audit préliminaire NOE constate (2006, p.
18336), à propos d'un grand hôtel genevois (entreprise no. 14), que "dans les chambres –
sauf les suites– les éclairages sont en permanence en fonction, que celles-ci soient
occupées ou en attente d'être louées. En fin de nettoyage, le personnel enclenche tous les
luminaires de la chambre, de la salle de bain et des armoires à habits ainsi que le poste de

334
Entretien du 20 février 2007.
335
D’ailleurs, la production industrielle de cette entreprise a été arrêtée en 2009 sur son site genevois, pour
être transférée au Tessin, au motif que les coûts de main d’œuvre y sont 20% inférieurs.
336
Ce document étant confidentiel, les références complètes n'en sont pas données.
331

télévision. Cela représente, pour la chambre visitée, …, une puissance courante d'environ
750 W, que doit évacuer la climatisation afin de maintenir des conditions climatiques
sans occupation de la pièce". Le confort du client, condition du remplissage de l'hôtel,
prime de façon évidente sur les impératifs de réduction des coûts. Parfois, les
gestionnaires perçoivent même, à tort (parce que des solutions techniques existent le plus
souvent) ou à raison, un "conflit potentiel entre économies d'énergie et processus de
production" (comme l'a indiqué le responsable de l'énergie de l'entreprise 17, chimie fine,
rencontré le 14 novembre 2006). A cet égard, un bon exemple est constitué par
l'entreprise 34, secteur de l'horlogerie : la stratégicité des investissements en efficacité
énergétique a été évaluée par le responsable de l'énergie à 8 sur 15. Dans ce résultat, la
composante "réduction des coûts" est la plus importante, avec un score de 5 sur 5337.
Pourtant la réduction des coûts ne joue pas un rôle aussi important que ne le perçoit ce
responsable de l'énergie. En effet, un potentiel important de réduction de la
consommation électrique lié à un simple arrêt des installations de ventilation des bureaux
et ateliers durant la nuit (lorsque ces locaux sont inoccupés) a été identifié par l'audit
préliminaire réalisé dans le cadre du programme NOE. Les économies d'électricité étaient
évaluées à 620'000 KWh/an, soit un peu plus de 10% de la consommation totale du site,
et les économies financières à environ CHF 35'000.- (environ 5% des coûts d'électricité
annuels); les seuls frais à envisager étaient les honoraires d'ingénieurs pour l'étude
approfondie (qui auraient été compensés en deux mois par les économies liées à la mise
en place de la mesure). Or la ventilation restait enclenchée pour maintenir un taux
d'humidité constant et éviter toute dérive vers des valeurs trop hautes, ce qui aurait
entraîné des problèmes d'oxydation des métaux. L'audit proposait un système différent de
contrôle du taux d'humidité : l'installation de "sondes enthalpiques (mesurant en même
temps la température et l'humidité) situées dans la reprise de l'air des locaux" (rapport
d'audit préliminaire, p. 17338 ). Mais l'entreprise n'a même pas accepté de mettre cette
mesure à étude approfondie, malgré l'intervention du directeur du Service cantonal de
l'énergie, Olivier Ouzilou. Comme l'indique le rapport d'audit approfondi pour justifier
l'abandon de la mesure proposée par l'audit préliminaire : en ce qui concerne la gestion

337
La contribution de ces investissements à la réduction des risques a été évaluée à 1 sur 5 et leur
contribution à la valeur des produits pour les clients a été évaluée à 2 sur 5.
338
Ce document est confidentiel et c'est pourquoi ses références complètes ne sont pas données.
332

des installations de ventilation des bureaux et ateliers, "l'exploitant ne souhaite pas arrêter
les installations de ventilation afin d'éviter tout problème d'humidité élevée dans les
locaux. Le risque de corrosion sur leur production étant trop élevé" (rapport d'audit
approfondi, p. 4339). La logique de métier, logique stratégique, est toujours supérieure à la
logique financière, qu'elle englobe.
La question du risque appelle aussi un commentaire. La contribution des
investissements en efficacité énergétique à la réduction des risques est perçue comme
"pas importante" par les managers. En général, c'est le risque de prix, plus que le risque
de rupture de l'approvisionnement qui est pris en compte. A cet égard, il faut noter que la
perception du risque est fortement influencée par l'expérience des entreprises : certaines
d'entre elles ont subi des coupures dans le passé, qui ont duré parfois plusieurs heures, et
le souvenir a marqué les esprits. Un bon exemple en est fourni par une comparaison des
réponses des trois hôtels de l’échantillon : l’un d’entre eux, qui a subi une coupure de
courant cauchemardesque de dix heures en 2002 à la suite d’un orage340, évalue comme
importante la contribution des investissements en efficacité énergétique à la réduction des
risques, alors que les deux autres l’évaluent comme totalement peu importante341.
Dans l'ensemble Genève est – et est perçue - comme une place plutôt fiable en
matière d'approvisionnement électrique. Mais ce sentiment des gestionnaires de l’énergie
par rapport à la fiabilité d’approvisionnement doit aussi s’analyser en relation avec la
dimension culturelle globale de l’électricité (voir p. 348 et ss.). La plupart des entreprises
n'ont pas de système de secours (à l'exception de celui du système informatique), soit
parce qu'elles ne le considèrent pas nécessaire, soit parce que c'est techniquement
impossible. Au-delà des questions énergétiques et de la dimension culturelle de l’usage
de l’électricité, on peut quand même s'interroger, de façon plus générale, sur la prise en
compte du risque par les entreprises. Il est en effet assez surprenant de constater que,
comme le montrent les résultats du volet de la recherche sur la politique générale
d'investissement des entreprises342, la prise en compte du risque est assez marginale dans
les analyses des projets : l'analyse du risque potentiel d'un projet d'investissement n'est

339
Ce document est confidentiel et c'est pourquoi ses références complètes ne sont pas données.
340
Entretien du 3 juillet 2006.
341
Les scores respectifs sont de 4 sur 5 pour le 1er hôtel, et de 1 sur 5 pour les 2 autres.
342
Questionnaire "finance". Voir p. 259 et ss.
333

obligatoire que dans une entreprise sur deux. Dans l'étude de rentabilité, le risque n'est
pris en compte dans la fixation du taux d'actualisation que dans environ une entreprise sur
cinq. Ce résultat n'est pas anodin : l'un des principaux arguments avancés par les
économistes pour justifier de la non adoption d'investissements en efficacité énergétique
par les entreprises (présentées comme des agents économiques rationnels) est le risque
élevé associé à ces investissements (en raison principalement de leur illiquidité ou en
raison des variations défavorables des prix de l'énergie). Un risque élevé justifie un taux
d'actualisation élevé. Or nous voyons ici que le risque est assez peu pris en compte par les
entreprises, que ce soit au niveau de la phase d'étude des projets, ou au niveau de la
détermination du taux d'actualisation. L'argument avancé par les économistes de l'énergie
semble donc infondé.
La troisième conclusion importante à retirer des résultats de la recherche est celle
de la diversité des comportements et des interprétations d'une entreprise à l'autre, d'un
manager à l'autre. Cette diversité se manifeste dans tous les domaines analysés par la
recherche : procédures générales d'investissement (méthodes d'analyse et d'évaluation de
la rentabilité, fixation du taux d'actualisation et durée de l'investissement), comportement
d'investissement en efficacité énergétique, évaluation du caractère stratégique de cette
catégorie d'investissement, évaluation des facteurs stimulants et bloquants ces
investissements, niveau de gestion de l'énergie. Cette diversité des comportements et des
analyses se remarque en particulier entre entreprises actives dans le même secteur
d'activités et présentant les mêmes caractéristiques. A cet égard, on peut donner comme
exemple les entreprises no. 17 et 18 de l'échantillon. Elles font le même métier (chimie
fine) et sont de taille similaire (5.000 et 1.900 personnes occupées). Or on constate des
différences importantes entre elles à tous niveaux :
334

Entreprise Entreprise
17 18
PROCEDURE D'INVESTISSEMENT
Etapes dépendent de la catégorie oui non
Méthode d'évaluation dépend de la catégorie non oui
Etude du risque obligatoire non oui
fonction de la catégorie oui non
Pay-back non oui
VAN oui non
Fixation du taux d'actualisation
forfaitaire non oui
prise en compte risque du secteur oui non
CMPC (WACC) oui non
Prise en cpte cond. financement oui non
CARACTERE STRATEGIQUE DES INV. EN EE
Managers énergie 8 4
Managers finance 11 7
FACTEURS STIMULANT INV. EN EE (sur 5)
Managers énergie 3,3 4,5
Managers finance 2,9 2,6
FACTEURS BLOQUANT INV. EN EE (sur 5)
Managers énergie 1,9 3,1
Managers finance 1,9 1,9
NIVEAU DE GESTION DE L'ENERGIE 7 19,5

Figure 49 – comparaison entre entreprises no. 17 et 18 de l'échantillon

Il n'est malheureusement pas possible de mettre ces résultats en perspective avec


les potentiels d'économies d'énergie existant dans ces deux entreprises, car l'une des deux
a quitté le processus NOE avant que soit réalisé l'audit préliminaire. Cependant nous
savons que cette entreprise a une culture de l'efficacité énergétique ancienne et très
développée (comme le montre son niveau de gestion de l'énergie de 19,5 sur 22). L'audit
préliminaire NOE aurait été son 4ème audit en 10 ans et les trois premiers audits ont
conduit à la mise en œuvre de nombreuses mesures d'efficacité énergétique343. Dans
l'autre entreprise (no. 17), l'audit préliminaire réalisé dans le cadre du programme NOE a
identifié un potentiel d'économie d'environ 6% de la consommation électrique, avec une
période de recouvrement (pay-back simple) de l'investissement initial évaluée à 3,5 ans
environ.
343
Entretien du 16 novembre 2006
335

La grande diversité de comportements et de perceptions entre entreprises pourait


être mise en évidence de la même manière dans d'autres secteurs d'activité, tels par
exemple les secteurs de la grande distribution (entreprises no. 1 à 5), de l'hôtellerie
(entreprises 12 à 14), de l'acier (entreprises 22 à 30) ou de l'horlogerie (entreprises 32 à
34). Cette diversité confirme, et en même temps explique, les différences importantes qui
ont été constatées "en termes de performance énergétique dans des entreprises qui opèrent
dans le même secteur, sous les mêmes conditions de marché et qui, souvent, utilisent le
même équipement" (Tunnessen, 2004, p. 49). La petite taille de l'échantillon, et le petit
nombre d'entreprises de même secteur au sein de l'échantillon n'ont pas permis de faire
des comparaisons de comportement entre secteurs d'activité, cependant les résultats ci-
dessus conduisent à penser qu'il est difficile de mettre en évidence des tendances de
comportement qui soient liées au secteur d'activité. La diversité des comportements et des
perceptions qui s’observe entre des entreprises similaires faisant partie du même secteur
d’activité contredit la thèse économique dominante, qui fait de la structure de coûts des
différentes industries le moteur du comportement d'investissement. Cette diversité impose
aussi d'adopter une approche personnalisée à l'égard de chaque entreprise.

4.3 Influence(s) culturelle(s)

"Delivered in a variety of forms, gas, electricity, oil, coal, wood etc., energy permits countless
services and is embodied in almost everything we find around us. Both everywhere, and nowhere,
it remains a mysterious if not magical feature of everyday life.”
Shove (1997, p. 1)

A propos de la dimension culturelle des investissements en efficacité énergétique,


quatre conclusions importantes peuvent également être tirées des résultats de la
recherche : premièrement, le lien entre le niveau de gestion de l'énergie de l'entreprise et
la perception du caractère stratégique des investissements en efficacité énergétique n'est
pas établi; deuxièmement, des influences culturelles jouent néanmoins, de façon
incontestable, un rôle important sur les perceptions que se font les gestionnaires de ces
investissements; troisièmement, la culture de l’entreprise joue un rôle plus important que
336

la culture du secteur d’activité, quatrièmement, le niveau généralement bas de la gestion


de l'énergie dans les entreprises est un résultat qui n'est pas anodin et mérite discussion.
Discutons en détails ces quatre conclusions.
Première conclusion importante : l'hypothèse 2, qui posait que "le niveau de
gestion de l’énergie de l’entreprise exerce une influence sur la perception du caractère
stratégique de l’investissement en efficacité énergétique", n'est pas validée par la
recherche. En effet, les résultats (voir p. 310 et ss.) n'ont pas mis en évidence un lien fort
entre le niveau de gestion de l'énergie – qui est considéré dans la recherche comme un
reflet (artefact) du niveau de culture de l'efficacité énergétique dans l’entreprise – et le
caractère stratégique des investissements en efficacité énergétique. Le nuage de points du
graphique ci-dessous344 montre cependant quand même une certaine relation entre la
perception du caractère stratégique de l'investissement en efficacité énergétique (en
abscisse) et le niveau de gestion de l'énergie (en ordonnée) pour la majorité des
entreprises de l'échantillon. Le graphique ci-dessous illustre la corrélation entre le
niveau de gestion de l'énergie et le niveau de stratégicité des investissements. Il montre
une tendance à une corrélation entre ces deux valeurs pour la majorité des entreprises de
l'échantillon345, avec quelques cas extrêmes : certaines entreprises ont un niveau de
gestion de l'énergie très élevé et une perception très basse du caractère stratégique des
investissements en efficacité énergétique (elles sont au nombre de 3); quelques
entreprises ont une perception assez élevée du caractère stratégique de l'investissement et
un niveau de gestion de l'énergie presque inexistant (elles sont au nombre de 3
également). La corrélation simple est très faible à 0,14 mais si l’on enlève les 6 cas
extrêmes de l'analyse, on obtient une corrélation simple plus élevée, à 0,6264, un résultat
qui montre une relation entre les deux groupes de variables.

344
Repris de la page 302. Rappelons que 33 entreprises sont représentées sur ce graphique. Le 4ème point
depuis la gauche dans le haut du tableau, superpose les résultats identiques de deux entreprises.
345
33 entreprises sont représentées sur le graphique. Deux entreprises de l'échantillon n'y figurent pas car
elles n'avaient pas répondu à l'ensemble des questions sur le caractère stratégique des investissements d'une
part, et sur le niveau de gestion de l'énergie d'autre part. Il s'agit des entreprises no. 6 et 21, comme le
montre aussi le tableau de la page précédente. La stratégicité des investissements est représentée en absysse
et le niveau de gestion de l'énergie en ordonnée.
337

Entreprises no. 18 – 24 – 4
Entreprise no. 22
20 15
WGestion_Energie
10

Entreprises
no.
5

11
26
Entreprise no. 32 28
0

4 6 8 10 12 14
Wstrategie

Figure 50 - Corrélation entre le caractère stratégique des investissements


en efficacité énergétique et le niveau de gestion de l'énergie dans 33
entreprises de l'échantillon.

La corrélation entre les deux groupes de variables doit donc être analysée en
examinant de plus près les cas extrêmes. Ceux-ci se répartissent en deux groupes : le
premier groupe comprend 3 entreprises, qui perçoivent les investissements en efficacité
énergétique comme faiblement stratégiques et ont pourtant un niveau très élevé de
gestion de l’énergie (supérieur ou égal à 17,5 sur 22). Le deuxième groupe comprend 3
entreprises, qui perçoivent les investissements comme moyennement stratégiques, et ont
pourtant un niveau de gestion de l’énergie quasiment inexistant (inférieur ou égal à 3 sur
22). Ces deux groupes sont représentés dans le tableau de la page suivante. Ils sont aussi
entourés dans le graphique ci-dessus, de même que les entreprises No. 32 et 22. Le cas
des entreprises dont les points sont entourés dans le graphique est discuté plus en détails
dans les pages suivantes.
338

Dimension
Entr. stratégique Energy Mgt
No. Secteur d'activité sur 15 Score sur 22

mgr énergie risques coûts valeur

18 Chimie 4 1 2 1 19.5
24 Acier 5 1 3 1 17.5
4 Grande distribution 7 1 4 2 19.0

28 Acier 10 2 5 3 0.0
26 Acier 10 4 4 2 2.0
11 Information financière 10 1 5 4 3.0
Tableau 23 – "Cas extrêmes" stratégicité – gestion de l'énergie

Le premier groupe – stratégicité faible et gestion élevée – comprend les


entreprises No. 18 (chimie fine), No. 24 (acier) et No. 4 (grande distribution). Le cas le
plus extrême est celui de l'entreprise no. 18, déjà citée (1er point sur la gauche, entreprise
suisse, chimie fine). Le responsable de l'énergie interrogé (chef du département
infrastructures, dans l'entreprise depuis 22 ans, qui rapporte au directeur technique)
considère comme très bas (score de 4 sur 15) le caractère stratégique des investissements
en efficacité énergétique, alors que le niveau de gestion de l'énergie est très élevé (19,5
sur 22). Mais la culture de l'efficacité énergétique de l'entreprise s'est développée sur de
nombreuses années (comme je l'ai mentionné, 3 audits énergétiques ont été réalisés entre
1996 et 2006), elle est ancrée profondément dans l'entreprise, et elle correspond d'une
part à une approche de veille technologique et, d'autre part, à un sentiment élevé de la
responsabilité sociale de l'entreprise. Le résultat de cette configuration est que, même si
l'efficacité énergétique n'est pas perçue comme un sujet stratégique dans l'entreprise, de
nombreuses mesures d'amélioration ont été mises en œuvre. Deuxième cas, l'entreprise
no. 24 (2ème point depuis la gauche, dans le haut du graphique, entreprise suisse,
accessoires métalliques, coûts de l'énergie 0,8% du C.A., 1,2% avant l'arrivée du
responsable énergie). Le responsable de l'énergie dans l'entreprise est le directeur
technique et industriel, responsable qualité-sécurité-environnement, qui rapporte à la
direction générale. Pour lui, ingénieur métallurgiste, lutter contre le gaspillage de
339

ressources est "une question d'honneur"346. Dans l'entreprise depuis 2001, il a développé
de façon réellement passionnée une gestion de l'énergie à un niveau élevé (17,5 sur 22) :
l'énergie est intégrée dans la gestion de la qualité, l'entreprise est en train d'introduire un
système de gestion globale des risques, l'audit NOE est le 4ème audit réalisé en 4 ans,
"l'analyse va toujours plus dans le détail". Mais ces réalisations ne sont pas
représentatives de la dimension stratégique de l'énergie (5 sur 15) pour la direction de
l'entreprise, une société d'investissement (private equity) basée en Suisse alémanique, qui
a racheté l'entreprise en 2005. Le dernier cas, le plus difficile à interpréter, est celui de
l’entreprise No. 4, grande distribution, 3ème point depuis la gauche dans le haut du
tableau. Ici, on peut avancer que la faible stratégicité des investissements en efficacité
énergétique ne doit pas înterprétée au pied de la lettre, pour deux raisons. Premièrement
les réponses du responsable de l’énergie de Genève (entretien du 9 juin 2006) semblent
contradictoires : en effet, il évalue comme peu importante la contribution des
investissements en efficacité énergétique à la réduction des risques, à l’augmentation de
la valeur de l’offre et à l’image de marque de l’entreprise. Mais, par contre, dans les
facteurs stimulants les investissements en efficacité énergétique, ce même responsable
évalue comme importante ou très importante, la contribution de ces investissements à la
réduction des risques de prix et d’approvisionnement de l’énergie, à l’amélioration de la
position concurrentielle de l’entreprise, et à son image environnementale. Notons
cependant, que le responsable de l’énergie mentionne aussi dans l’entretien que "les
services techniques sont au service du département commercial, qui est le client et qui
paye", or il y a souvent des désaccords entre les deux services qui ne poursuivent pas les
mêmes objectifs : le département commercial veut vendre, le département technique veut
améliorer le confort du client et réduire la consommation d’énergie. Les employés du
département technique sont donc considérés en quelque sorte comme des empêcheurs de
danser en rond par les employés du département commercial. On pourrait voir ici la
raison de l’interprétation par le responsable énergie de la faible contribution stratégique
des investissements en efficacité énergétique à la valeur de l’offre de l’entreprise. Une
deuxième raison permet de penser que la valeur stratégique des investissements en
efficacité énergétique est plus élevée pour l’entreprise que ne le perçoit le responsable de

346
Entretien du 21 mars 2007.
340

l’énergie : c’est le fait, comme l’affirme le rapport de développement durable, que


l’énergie fait partie des "principaux champs d’action où l’entreprise marque sa
différence". Dans cet esprit de différentiation stratégique, le premier point de vente
labellisé Minergie (label suisse de bâtiment à très basse consommation d’énergie) a été
ouvert à Genève en 2009, et l’entreprise a défini une politique très active et ambitieuse en
matière d’infrastructures.
Le deuxième groupe de cas extrêmes – stratégicité (moyennement) élevée mais
gestion de l’énergie presque inexistante – comprend les entreprises No. 28 (acier), No. 26
(acier) et No. 11 (information financière). Analysons ces cas également.
Premier cas, celui de l’entreprise No. 28, petite entreprise (45 personnes)
spécialisée dans la fabrication de vis à haute technicité, leader mondial pour ce type de
produit utilisé notamment par l’aéronautique spatiale, 12% de croissance annuelle du
chiffre d’affaires, qui a quadruplé en 10 ans. L’entreprise se préoccupe depuis peu
d’efficacité énergétique mais avec une assez grande motivation, axée autour de quatre
buts stratégiques (entretien du 23 mars 2007 avec le chef de fabrication, en charge de
l’énergie) : "réduire les coûts ; polluer moins ; meilleure image ; hausse de la productivité
grâce à un bâtiment plus confortable et plus stable", car plus les conditions de travail sont
agréables et "plus la température est stable, plus on a des gains de productivité". La
fabrication entraîne une production de chaleur qui n’est pas récupérée et se diffuse dans
les halles, ce qui entraîne ensuite un inconfort pour le personnel et des consommations
énergétiques élevées des installations de climatisation pour refroidir le bâtiment, qui est
en outre mal isolé (il a été construit en 1982). Cinquième motivation stratégique, une
réponse aux demandes des clients car l’entreprise "se dirige de plus en plus vers des
secteurs de pointe qui attachent de plus en plus d’importance à ces questions". Ici c’est
clairement la perception de la dimension stratégique des investissements en efficacité
énergétique qui précède la mise en place de la gestion de l’énergie, encore totalement
inexistante dans l’entreprise. Malheureusement, lenteurs et manque de prise en compte de
ses besoins et motivations ont conduit l’entreprise 28 à quitter le programme NOE.
Deuxième cas, celui de l’entreprise No. 26, petite entreprise également (25 personnes),
marché de niche, activité de traitement de surface de pièces métalliques qui sont mises à
disposition par les clients. Le propriétaire évalue comme importante pour son entreprise
341

la réduction des risques (surtout les risques de prix) et la réduction des coûts qui sont
induites par des investissements en efficacité énergétique et comme non importante leur
contribution à la valeur de l’offre. Les frais d’électricité s’élèvent en 2006 à 5% du
chiffre d’affaires, dont 75-80% sont utilisés pour la production. Une réduction des coûts
est pour l’entreprise un impératif stratégique pour résister à la concurrence (par exemple,
les coûts de production en Allemagne pour ce type d’activité sont 40% moins élevés
qu’en Suisse). Malgré cette préoccupation stratégique, on "manque de temps pour
l’efficacité énergétique" et, d’ailleurs, "l’énergie pour nous, c’est une commodité"
(entretiens des 21 février et 8 mars 2007). Cette perception de l’énergie comme une
marchandise explique probablement pourquoi, malgré une stratégicité assez élevée des
investissements en efficacité énergétique, la gestion de l’énergie est quasiment inexistante
(et probablement aussi la très petite taille de l'entreprise). Dernier cas de stratégicité assez
élevée et de gestion de l’énergie très basse, l’entreprise No. 11, spécialisée dans
l’information financière aux entreprises et aux particuliers, 15.000 employés dont 550 à
Genève. Le siège de l’entreprise est à Londres et son CEO est juriste de formation. La
personne en charge de l’énergie à Genève est électronicien mécanicien de formation, sans
compétence en gestion. Les décisions sont prises à Londres. L’usage respectueux des
ressources est un axe de différentiation stratégique de l’entreprise, ce qui explique que le
responsable de l’énergie évalue les investissements en efficacité énergétique comme
importants pour la valeur de l’offre, presque aussi importants que pour la réduction des
coûts. Par contre il évalue l’amélioration de l’efficacité énergétique comme non
importante pour la réduction des risques auxquels est confrontée l’entreprise. Or, comme
il l’indique lui-même au cours de l’entretien (6 octobre 2006), l’usage de l’électricité est
problématique dans le bâtiment, qui date de 1997 et n’a pas été audité depuis sa
construction. "L’électricité c’est la bête noire car il y a beaucoup de pannes". Le bâtiment
chauffe et la climatisation ne fonctionne pas bien, alors que les 8.000 serveurs du data
center ont un besoin vital d’un approvisionnement électrique et d’une température
stables. Une meilleure efficacité et une meilleure gestion énergétiques permettraient
d’augmenter la sécurité et la fiabilité des installations, qui sont au cœur du métier de
l’entreprise. Comment, dans ce contexte où l’efficacité énergétique apparaît à tous égards
(réduction des coûts et des risques, augmentation de la valeur de l’offre) comme un
342

impératif stratégique, expliquer une gestion de l’énergie quasiment inexistante ? La


réponse est probablement à chercher dans un manque de réelle compréhension de la
dimension stratégique de ces investissements, ainsi que des procédures et des avantages
d’une gestion de l’énergie, tant au niveau du responsable local qu’à celui des décideurs
londoniens. Ceci pourrait expliquer l’inertie du projet NOE au sein de l’entreprise, qui est
partiellement dû aux lenteurs du cabinet d’ingénieurs responsable de l’audit, mais peut
aussi s’interpréter comme un manque d’intérêt réel de la part de l’entreprise.
Ces exemples montrent que le niveau de gestion de l'énergie n'est pas toujours – et
ne peut être – strictement lié au caractère stratégique des investissements en efficacité
énergétique, ce qui n'empêche pas qu'il puisse être un indicateur pertinent dans de
nombreux cas.
Ces exemples montrent aussi que la relation entre le caractère stratégique de
l’investissement et le niveau de gestion de l’énergie est à double sens : parfois c’est le
caractère stratégique qui influence le niveau de gestion de l’énergie. En ce cas, le haut
management de l’entreprise, convaincu de l’importance stratégique de l’énergie, met en
place une gestion de bonne qualité, parfois avec l’aide d’acteurs extérieurs. Telle est la
logique d’intervention du programme de réduction de la demande d’électricité
PowerSmart de BC Hydro, le producteur canadien d’électricité, qui propose aux
entreprises intéressées par une participation un entretien de deux heures au plus haut
niveau de direction, destiné à évaluer le caractère stratégique de l’énergie et le niveau de
gestion existant (energy management assessment) dans l’entreprise (Seo, 2009). Dans
d’autres cas au contraire, la gestion de l’énergie précède la perception du caractère
stratégique des investissements en efficacité énergétique. Elle fournit un cadre d’analyse
et de contrôle qui permet au projet d’investissement d’être catégorisé favorablement dans
la phase du diagnostic. Parfois les évolutions sont lentes et très profondément ancrées
dans l’histoire de l’entreprise : comme l’exprime le responsable Qualité et
Environnement de la filiale genevoise de l’entreprise No. 22 (acier) : "Il y a 30 ans déjà le
bureau des normes s’occupait de la rationalisation et de la qualité de la production, axées
sur le principe de la satisfaction des clients. Petit à petit la normalisation a évolué vers un
management intégré de la qualité et de la sécurité, prenant en compte les installations de
production et celles du bâtiment" (entretien téléphonique du 5 mars 2007). L’entreprise
343

No. 22 est celle qui associe, presque emblématiquement, un très haut niveau de gestion de
l’énergie (18 sur 22) avec une perception élevée du caractère stratégique des
investissements en efficacité énergétique (13 sur 15). Le point opposé à l’entreprise No.
22 sur la figure no. 57 (voir p. 337) est celui de l’entreprise No. 32 (2ème point depuis la
gauche, dans le bas du graphique), entreprise horlogère suisse. Le niveau de gestion de
l'énergie est de …0 sur 22. Comme l'avoue le responsable du projet NOE dans
l'entreprise347 (diplômé de l'Ecole Hôtelière, dans l'entreprise depuis moins d'un an) :
"jusqu'à présent on ne savait même pas combien on consommait… Personne ne s'était
posé de questions jusqu'à l'année passée". Ici le moteur – récent - du changement est un
"concept écolo-économique": conscience environnmentale et responsabilité sociale de
l'entreprise d'une part, réduction des coûts d'autre part. La dimension stratégique des
investissements en efficacité énergétique n'est pas très élevée pour cette entreprise (5 sur
15). La dimension stratégique ne pourra évoluer vers un niveau très élevé car, dans
l'horlogerie de luxe, des coûts bas ne sont pas un impératif stratégique (de toutes façons
les coûts de l'énergie sont s’élèvent seulement à 0,1% du chiffre d'affaires) et la valeur
des produits, telle qu'elle est perçue par les clients, ne dépend pas de l'image
environnementale, ni de la qualité des services énergétiques (contrairement à la situation
d'un grand magasin, par exemple, dans lequel la qualité de l'éclairage, et le confort
thermique sont essentiels pour les ventes). Cependant, cette entreprise horlogère,
correctement accompagnée, développera une culture de l'efficacité énergétique et une
perception plus élevée de la dimension stratégique de l'énergie (par exemple en termes de
réduction des risques de production, grâce à une température et un taux d’humidité mieux
contrôlés).
Les descriptions qui viennent d'être faites montrent enfin qu'une meilleure
connaissance des entreprises, faisant le lien avec leur métier, leur histoire et leur culture,
ouvre des axes d'action pour les programmes publics de promotion de l'efficacité
énergétique. La nécessité d'adopter une approche personnalisée à l’égard des entreprises
prend à nouveau tout son sens, qui permet de leur fournir une assistance technique (tant
en termes de projets en efficacité énergétique qu’en terme de procédures de gestion), en

347
Entretien du 9 mai 2007.
344

suscitant ou en accélérant leur évolution vers une intégration de l’énergie dans leurs
préoccupations stratégiques et leurs systèmes de contrôle.
Deuxième conclusion, même si l'hypothèse 2 n'est pas validée, l'influence de la
dimension culturelle se manifeste dans les réponses différentes des managers énergie et
finance. Ici ce sont les cultures professionnelle et fonctionnelle qui influencent les
perceptions des managers. En effet, les managers énergie estiment comme étant plus
importants les avantages stratégiques "réduction des coûts" et "augmentation de la
valeur" des investissements en efficacité énergétique. Les managers finance estiment, par
contre, à un niveau plus élevé la dimension "réduction des risques" de ces
investissements. Mais leurs réponses sur les facteurs stimulant et bloquant les
investissements en efficacité énergétique (voir p. 301 et ss.) indiquent qu'ils estiment
comme plus efficaces que leurs collègues en charge de l'énergie les installations
techniques de leur entreprise, et comme moins importants les coûts de l'énergie, et que le
premier obstacle à leurs yeux est l'existence d'autres investissements plus importants. Ils
sont également plus incertains sur le choix et la qualité des technologies efficaces en
énergie, dans lesquelles leur entreprise pourrait investir. Pour toutes ces raisons, les
managers finance risquent de pas être favorablement disposés à l'égard de projets
d'investissements en efficacité énergétique, ce qui pénalise lourdement cette catégorie
d'investissement, dans la mesure où les managers finance ont généralement plus de
pouvoir que les managers en charge de l'énergie. Cette analyse relativise les résultats
encourageants sur les facteurs stimulant et bloquant les investissements en efficacité
énergétique qui montrent que, dans l'ensemble, les facteurs bloquant les investissements
en efficacité énergétique sont moins élevés que les facteurs stimulant ces
investissements348.
Le troisième résultat marquant est le fait que la diversité des comportements entre
les entreprises exclut toute logique d’influence du secteur d’activité sur les décisions
d’investissement. Cette généralisation doit s’entendre avec des exceptions : par exemple,
comme je l’ai mentionné à différentes reprises, des coûts bas sont un impératif
stratégique pour certains secteurs. Mais, dans l’ensemble, la logique de choix et d’action
est particulière à chaque entreprise. A cet égard, le filtre de la culture d’entreprise joue un

348
Voir p. 299 et ss.
345

rôle important. Pourtant, dans le domaine de l’efficacité énergétique, ce rôle a été très peu
étudié. Je n’ai pas cherché à idenfier systématiquement les valeurs attachées à la culture
de l’efficacité énergétique ou à la conservation de l'énergie dans les entreprises.
Cependant des mentions de ces valeurs sont apparues de façon spontanée au fil des
interviews. On peut les regrouper en six catégories :
• Gestion économe des ressources et économie de coûts.
• Intégration qualité – sécurité.
• Veille technologique – esprit pionnier/précurseur.
• Préservation de l’environnement – responsabilité sociale de l'entreprise.
• Conditions de travail.
• Autonomie.
Le quatrième résultat marquant de la recherche à propos de la dimension
culturelle de l'efficacité énergétique dans les entreprises, est le niveau dans l'ensemble
assez bas de leur gestion de l'énergie. Qu'est-ce qu'une gestion de l'énergie ?
Contrairement à ce qui est souvent considéré par les praticiens de l'efficacité énergétique
(en particulier les responsables de l'énergie dans les entreprises et les bureaux
d'ingénieurs conseils qui les assistent), gérer n'est pas synonyme de mesurer (même s'il ne
saurait y avoir de gestion sans mesure). La mesure n'est que l'une des dimensions de la
gestion. Gérer consiste, pour une activité ou un processus donné, à prévoir, organiser,
choisir, agir et réagir, en fonction de différents horizons temporels (pluriannuel, annuel,
trimestriel, mensuel, quotidien, etc.) La gestion de l'énergie dans les organisations
(entreprises et administrations publiques), englobe donc des "actions organisationnelles,
techniques et économiques qui permettent d'utiliser les différentes formes d'énergie de
façon plus efficace et, en général, de minimiser la consommation d'énergie de façon
rentable" (Bess, 2007, p. 9). La gestion de l'énergie est un processus d'amélioration
continue puisque, à la fin de chaque cycle, les résultats sont mesurés et évalués et le plan
d'action est ajusté, ou redéfini. Ce processus est illustré dans le schéma de l'agence
américaine de l'énergie Energy Star349 :

349
www.energy.star.gov
346

Figure 51 – Energy management


(Energy Star, www.energy.star.org)

En matière de gestion de l'énergie, les résultats les plus frappants sont les
suivants: le score obtenu par les entreprises de l'échantillon en matière de gestion de
l'énergie est bas dans l'ensemble, avec une moyenne de 8,6 points sur 22. Cette moyenne
masque de grandes différences entre entreprises, y compris au sein du même secteur
d'activité, mais on constate néanmoins que 27 entreprises sur 35 n'ont pas de gestion
systématique de l'énergie ou bien ont un système très imparfait. Ces résultats sont
similaires à ceux d'autres recherches (BSI, 2009; Flint et al., 2005; Rigby, 2002; Sæle et
al., 2005; Thollander et Ottosson, 2010 ; Tunnessen, 2004350) et ne sont pas insignifiants.
En effet, pour la plupart des entreprises, l'énergie est, en termes comptables, une
ressource d'usage indirect, qui ne fait "que" contribuer au fonctionnement des divers
appareils et équipements; elle est incluse dans les frais généraux (comme un coût) et non
pas dans les coûts des matières vendues (comme une source de profit). L'énergie elle-
même est souvent invisible en termes physiques – ne sont visibles ou perceptibles que les
services énergétiques, tels que l'éclairage, le chauffage ou la mobilité. Or ce qui n'est pas
visible est facilement oublié (Stern, 1992). Quand il n'y a pas de système de gestion de
l'énergie, l'énergie est aussi invisible en termes managériaux, devenant ainsi doublement
350
Voir le chapitre "autres perpectives sur les barrières organisationnelles", p. 75 et ss.
347

invisible. Dans une organisation dans laquelle le niveau de gestion de l'énergie est bas, et
dans laquelle la catégorie d'investissement "pour réduire la consommation énergétique"
n'existe pas, un projet d'investissement en efficacité énergétique sera plus difficilement
classé, et interprété comme stratégique au moment de la phase du diagnostic.
Remarquons, à propos d'invisibilité, que l'énergie est aussi invisible dans la
littérature sur le management stratégique. Energie, gestion de l'énergie, et services
énergétiques ne sont pas mentionnés dans la littérature du courant "strategy content", que
ce soit dans le courant de la chaîne de valeur ou dans celui de la la RBV (Resource Based
View), comme une source d'avantage concurrentiel351. Ces éléments ne sont pas
mentionnés du tout d'ailleurs, à quelques exceptions près. Dans la chaîne de valeur, c'est
dans l'infrastructure qu'on doit classer la composante physique de l'entreprise (bâtiments
et machines) et le système de gestion de l'énergie. Quant à l'énergie (dans ses différentes
formes: électricité, essence, combustible de chauffage), elle doit être classée dans les
approvisionnements bien qu'elle soit utilisée, médiatisée en quelque sorte, par les
ressources physiques. Cependant ni Porter (1985), ni Johnson et Scholes (1999) ne
mentionnent ces deux dimensions dans leur description de la chaîne de valeur. De même
dans le courant RBV, les ressources physiques sont implicitement considérées par
Bingham et Eisenhardt (2008) comme des éléments de moindre importance, puisqu'elles
sont considérées comme des ressources à usage spécifique et limité. Hammer (2003) de
même que Teece et al. (1997) notent aussi que la composante physique de l'organisation
est celle qui, depuis quelques années, est la moins valorisée par le management, par
opposition aux ressources non-matérielles. Deux auteurs seulement - dans la littérature
sur les organisations et non pas dans la littérature stratégique - prennent en compte la
composante physique de l'organisation – tout en mentionnant qu'elle est généralement
négligée. Il s'agit de Livian (2005, p. 50) et de Pfeffer (1997, p. 198). Selon Livian, la
composante physique352, "essentielle", peut être regroupée en deux éléments liés : ce qui
ressort de la distribution dans l'espace (localisation, flux de matières et d'énergie…) et ce
qui ressort du matériel (équipements techniques et bâtiments). Livian (2005, p. 51) insiste
sur l'importance des bâtiments, qui structurent l'espace, contribuent à exprimer l'identité

351
Voir p. 184 et ss.
352
Qui est l'une des quatre composantes de l'organisation avec la structure organisationnelle, la composante
humaine, et l'appareil gestionnaire.
348

de l'entreprise, et "traduisent parfois le type de lien qui existe entre l'entreprise, la main-
d'œuvre et sa technologie au sein d'un "paysage industriel"". Pfeffer (1997) mentionne le
lien entre espace physique et performance, qui s'exerce par l'intermédiaire de dimensions
telles que la qualité acoustique et visuelle, ou encore le confort thermique d'un bâtiment.
Le fait que l'énergie en général, et l'électricité en particulier, soit une ressource d'usage
indirect, diffuse et invisible, et incluse dans la composante la plus négligée par les
entreprises et par la littérature sur le management stratégique explique certainement en
partie le désintérêt avec lequel la traitent de nombreuses organisations.
Mais, en matière d'énergie comme dans d'autres sujets, la culture des entreprises -
et celle des groupes qui en font partie - est influencée par la société dans laquelle elles
sont insérées. Or une certaine culture de l'énergie prévaut dans les pays industrialisés
(bien sûr des particularismes régionaux ou nationaux pourraient - et devraient - être
identifiés). Elle a été forgée lentement par le système énergétique en place dans ces pays
depuis environ deux cents ans. Il s'agit d'un système hautement centralisé,
monopolistique et désincarné, qui produit l'énergie loin du lieu de sa consommation. On
peut considérer que ce système a créé une "culture de la fée énergie". Ce terme est
emprunté à l'expression démodée de la "Fée Electricité", employée en Europe de l'ouest il
y a quelques décennies, pour illustrer la conviction générale et inconsciente que l'énergie
provient d'une source inconnue et quasiment magique, et peut être consommée de façon
illimitée. "Both everywhere, and nowhere, it remains a mysterious if not magical feature
of everyday life" (Shove, 1997). Trois convictions tenues pour acquises353 sous-tendent
cette "culture de la fée énergie" qui prévaut dans les pays industrialisés. La première est
l'association qui est faite entre l'énergie et la liberté, entre l'énergie et la belle vie354 (Stern
& Aronson, 1984). L'énergie est le symbole du mode de vie du "toujours plus". La
deuxième conviction tenue pour acquise de la culture de la fée énergie est le fait que
l'approvisionnement énergétique peut être considéré comme allant de soi et garanti (taken
for granted). L'électricité en particulier est considérée inconsciemment comme aussi
disponible et gratuite que l'air que nous respirons. D'où vient l'électricité? Du mur …
Enfin, il me semble que la troisième conviction tenue pour acquise de la culture de la fée
353
Voir le chapitre sur "cognition et culture(s) organisationnelle(s), p. 161 et ss.
354
"… the association between energy and freedom, between energy and the “good life”… Energy is the
symbol of the “ever-increasing” way of life." (Stern & Aronson, 1984, p. 46)
349

énergie (particulièrement forte en ce qui concerne l'électricité, en raison du caractère


quasiment magique de celle-ci), est le fait que l'énergie est perçue par les consommateurs
comme échappant à tout contrôle, aussi bien au niveau de sa production que de sa
consommation. Imprégnés du sentiment qu'ils ne peuvent contrôler l'énergie, de
nombreux individus deviennent fatalistes. Un client fataliste ne cherche pas à contrôler sa
consommation, ou à changer de fournisseur. Il ne pense pas non plus à produire sa propre
énergie. Et il n'est pas intéressé par l'efficacité énergétique ni par les investissements en
efficacité énergétique. Dans le domaine de l'énergie, le problème de la contrôlabilité est
mentionné à plusieurs reprises par la recherche sur les investissements en efficacité
énergétique355. Plusieurs auteurs soulignent le sentiment fréquent de la part des décideurs
d’une impossibilité de contrôler les coûts énergétiques supportés par l’entreprise (Komor
et Katzev, 1998; Parker et al., 2000; Payne, 2006a; Tunnessen, 2004). Le fatalisme des
individus mène au fatalisme des organisations, à leur passivité et à leur manque d'intérêt à
l'égard de la gestion ou de la production d'énergie. Il mène aussi à un faible soutien de la
part des managers de la coalition dominante (DG, finance, production, ventes et
marketing) à l'égard des programmes de gestion de l'énergie, y compris dans des
entreprises dont les coûts énergétiques sont élevés.
Les producteurs d'énergie maintiennent l'illusion de la liberté et de la non
contrôlabilité de l'usage de l'énergie – et donc la passivité de leurs clients (individus et
organisations – pour protéger leur industrie contre toute compétition préjudiciable à leurs
profits. La photo ci-dessous, extraite de la campagne de publicité (2004, reprise en 2008),
d'Electrabel premier producteur belge d'électricité, illustre bien cette stratégie.

355
Voir le chapitre "autres perpectives sur les barrières organisationnelles", p. 75 et ss.
350

Figure 52 - Electrabel, campagnes publicitaires 2004 et 2008,


www.electrabel.be

L'influence des caractéristiques du système énergétique sur les décisions liées à


l'efficacité énergétique a parfois été soulignée (Eyre, 1997; Shove, 2001; Stern &
Aronson, 1984), mais n'a pas été suffisamment étudiée de façon empirique. Une raison à
cela pourrait être, me semble-t-il, le fait que les chercheurs qui étudient les décisions
prises au niveau d'un immeuble isolé ou d'une maison individuelle, ne les mettent
généralement pas en relation avec le système énergétique global et les stratégies de ses
grands acteurs.356
Dans l'ensemble, on peut dire que, même si l'hypothèse 2357 n'est pas validée, les
résultats de la recherche montrent que la dimension culturelle - cultures d'entreprise et
cultures professionnelles, ainsi qu'une certaine culture de l'énergie dans les pays
occidentaux, avec des variations régionales et nationales - joue un rôle sur la perception
par les entreprises du caractère stratégique des investissements en efficacité énergétique.

356
Une conséquence importante de ces caractéristiques du système énergétique dans les pays industrialisés
est le fait que le débat concernant l'évolution vers un système énergétique plus durable est plus un débat
entre centralisation et décentralisation qu'entre énergies fossiles ou nucléaires et renouvelables, comme il
est généralement présenté.
357
Qui posait que "la culture de l'efficacité énergétique de l'entreprise exerce une influence sur la
perception du caractère stratégique de la décision d'investissement en efficacité énergétique
351

4.4 Conclusion de la 4ème partie

On peut conclure des résultats de la recherche empirique que le modèle théorique


de la décision d'investissement (tel qu'il est décrit p. 232 et ss.) est validé : la décision
d'investir doit être appréhendée comme un processus dans lequel la phase initiale du
diagnostic est essentielle. Les acteurs, et les rapports de force entre eux, le contexte
organisationnel interne (stratégie, culture(s), systèmes de gestion), ainsi que le contexte
externe (en particulier, ici, la montée des préoccupations et des demandes liées à
l'environnement, et les préoccupations des électriciens confrontés à une demande en forte
hausse) influencent le processus décisionnel et son issue. Les caractéristiques des projets
d'investissement jouent un rôle clé : les investissements sont catégorisés par les
entreprises, selon une typologie qui donne la priorité aux investissements qui renforcent
le métier et la compétitivité. La catégorie dans laquelle les investissements sont classés
influencera le mode d'analyse et de traitement, la méthode d'évaluation financière et le
financement qui leur sera, ou non, accordé. Il y a donc bien une compétition entre
investissements au sein des entreprises mais, contrairement aux injonctions de la théorie
financière, le critère de choix principal dans cette compétition n'est pas la rentabilité :
c'est le caractère stratégique de l'investissement, défini comme la contribution de
l'investissement à la compétitivité de l'entreprise dans l'exercice de son métier. Des
influences culturelles – organisationnelle, professionnelle, fonctionnelle et aussi,
probablement, nationales et régionales – jouent un rôle dans la perception du caractère
stratégique de l'investissement. L'influence de la culture du secteur d'activité est celle qui
apparaît le moins clairement au terme de la recherche.
En ce qui concerne la catégorie particulière des investissements en efficacité
énergétique, la recherche confirme que, dans l'ensemble, ils sont perçus comme
faiblement à moyennement stratégiques par les entreprises (l'hypothèse no. 1 est
validée358) et que différentes cultures influencent cette perception (cependant l'hypothèse
2 n'est pas validée car le lien n'a pas été établi clairement entre le niveau de gestion de
l'énergie, considéré comme un reflet de la culture de l'efficacité énergétique dans

358
Plus exactement elle est validée en ce qui concerne la perception du caractère stratégique des
investissements dans le secteur tertiraire et partiellement validée pour le secteur secondaire (voir p. 316 et
ss).
352

l'entreprise, et la perception du caractère stratégique de l'investissement)359. La recherche


a aussi mis en évidence la grande diversité des situations organisationnelles, qui induit
des choix décisionnels très différents d'une entreprise à l'autre.
La thèse énoncée peut être considérée comme raisonnablement360 validée dans sa
première partie : un potentiel rentable d'économies d'énergie (energy-efficiency gap)
existe dans les entreprises principalement parce que les entreprises considèrent
comme faiblement stratégiques les investissements en efficacité énergétique qui
permettraient de réduire ce potentiel"; et comme non validée dans sa deuxième partie,
qui proposait que "la perception du caractère stratégique de l’investissement est
influencée par le niveau de gestion de l’énergie des entreprises, ce qui explique, au
moins en partie, les différences de comportement entre entreprises".
Dans cette recherche, le niveau de gestion de l’énergie a été considéré comme un
reflet, un artefact, de la culture de l’efficacité énergétique. Mesurer le niveau de gestion
revenait donc à essayer de mettre en évidence une forme d’influence de la culture
organisationnelle de l’efficacité énergétique sur les décisions d’investissements en
efficacité énergétique. La corrélation entre le niveau de gestion de l’énergie et la
perception du caractère stratégique de ces investissements n’est pas clairement confirmée
par la recherche. Une relation entre les deux variables semble exister mais on ne peut pas
déduire de l'observation le sens de la relation, qui peut varier d'un cas à l'autre : parfois,
c'est la perception du caractère stratégique de l'investissement qui entraîne la mise en
place d'un système de gestion, parfois c'est le système de gestion de l'énergie qui
influence positivement la perception du caractère stratégique de l'investissement.
On perçoit néanmoins l’influence de filtres culturels, de structures mentales
("mindsets"), sur la perception du caractère stratégique de l’investissement. Ces filtres
sont liés à la culture organisationnelle, aux cultures fonctionnelles et professionnelles, et
à la culture globale de l'énergie. L’influence de ces filtres explique, au moins en partie,
les différences de comportement entre entreprises.

359
Voir p. 323 et ss.
360
Elle n'est pas totalement validée car les entreprises du secteur tertiaire de l'échantillon considèrent
comme "moyennement" stratégiques ces investissements. Ce point mérite aussi une recherche plus
approfondie.
353

5. Conclusion

La recherche s'est avérée utile en ce qu'elle a permis d'augmenter la connaissance


des phénomènes étudiés : décision générale d'investir d'une part, décision d'investir en
efficacité énergétique d'autre part. Les trois sections suivantes seront consacrées à une
conclusion générale sur trois thèmes : 1) limites des résultats de la recherche et
indications pour de futures recherches, 2) contribution théorique de la recherche et 3)
implications pratiques pour les programmes publics et privés de promotion de l’efficacité
énergétique auprès des entreprises.

Limites et "next steps"

Un certain nombre de défauts peuvent être reprochés à la recherche empirique :


mode de sélection et taille de l'échantillon, présence du directeur du Service cantonal de
l'énergie à certains entretiens, différences dans le mode d'administration des
questionnaires.
Le mode de sélection de l'échantillon a été celui du choix raisonné, méthode qui
repose sur le jugement, contrairement aux méthodes de sélection probabilistes. Le mode
de sélection de l'échantillon, ainsi que la petite taille de celui-ci, posent la question de la
représentativité de l'échantillon par rapport à la population complète étudiée. Ce type
d'échantillon ne permet pas de généraliser les résultats à l'ensemble de la population mais
seulement de formuler des propositions théoriques, qui doivent être testées par des
recherches futures. La modeste taille de l'échantillon n'a pas permis non plus d'analyser
l'influence de la taille des entreprises, ou de leur structure de propriété, sur les réponses,
deux points qui méritent certainement de plus amples investigations. Le point commun
entre les entreprises choisies était la consommation d'électricité de leur bâtiment,
supérieure à 1 GWh par an. La sélection des entreprises (qui a consisté à choisir 35
entreprises sur les 60 qui composaient la "population" d'entreprises requérantes dans le
programme NOE) poursuivait deux objectifs : assurer une représentation équilibrée entre
secteur secondaire et secteur tertiaire d'une part, et obtenir un nombre suffisant
d'entreprises au sein des différents secteurs d'activités d'autre part. Le premier objectif a
354

été atteint, mais pas le deuxième, en raison du petit nombre d'entreprises participant au
programme NOE et à leurs activités très diversifiées.
Des différences dans le mode d'administration des questionnaires peuvent
également être reprochées à la recherche empirique, dans la mesure où elles auraient pu
biaiser les réponses : présence d'Olivier Ouzilou, directeur du Service cantonal de
l'énergie, à certains entretiens seulement. Entrevue avec les responsables de l'énergie
mais pas avec les managers finance.
On peut néanmoins penser que, dans l'ensemble ces différents défauts sont, au
moins en partie, compensés par l'accès privilégié que l'appui du Service cantonal de
l'énergie a permis d'obtenir auprès des entreprises participant au programme NOE, et la
qualité des données qui en a résulté. Ces défauts sont compensés d’autre part par le fait
que les entreprises interviewées correspondent, en nombre, à 60% de la population
étudiée (les entreprises requérantes NOE) et à 20% du segment de marché "Grands
Consommateurs" de SIG. Rappelons à cet égard que De Bodt et Bouquin (2001), au
départ d'un envoi postal à 1000 entreprises françaises issues de la base Dafsa Pro (qui
contient l'ensemble des grandes entreprises françaises considérées par les éditeurs de la
base de données comme les "plus représentatives" du tissu industriel français), n'ont
obtenu que 44 questionnaires valablement remplis.
Telle quelle, avec ses imperfections, la présente recherche, la première à faire un
lien entre les domaines de la décision et de la finance organisationnelles d’une part et le
domaine des investissements en efficacité énergétique d’autre part, la première également
à tenter d'identifier des différences dans les perceptions et réponses d'acteurs de
différentes fonctions au sein des entreprises, a quand même réussi à mettre en évidence
des tendances intéressantes en matière de comportement général d'investissement des
entreprises, et à valider, au moins partiellement, un cadre théorique cohérent.
Tant les défauts énumérés ci-dessus, que les résultats obtenus tracent des pistes
pour des travaux futurs. Ces travaux s’inscrivent dans deux axes : le premier axe
concerne la décision générale d’investissement dans les entreprises, qui reste mal connue.
Beaucoup est à faire, en particulier, pour mieux comprendre l’impact des caractéristiques
du projet considéré sur le processus et les choix d’investissement. Le deuxième axe de
recherche concerne les investissements en efficacité énergétique.
355

Pour de futurs travaux de recherche, les prochaines étapes devraient consister


idéalement à :

• Reproduire la recherche sur un échantillon plus grand, notamment pour


pouvoir étudier l'influence de la taille de l'entreprise et de sa structure de
propriété (familiale, cotée en bourse, etc.) sur les choix d'investissements (en
général et en efficacité énergétique), et approfondir l'analyse de l'influence (ou
de l'absence d'influence) du secteur d'activité sur ces choix.
• Analyser plus en profondeur et en détails l'influence de la catégorie de
l'investissement sur les méthodes d'analyse et d'évaluation financière, ainsi
que sur les critères de sélection des investissements, de façon à confirmer - ou
à infirmer - le lien entre faible caractère stratégique de l'investissement d'une
part, et exigences de rentabilité plus élevées et restrictions de capital d'autre
part.
• Analyser l'influence du niveau de "stratégicité" du projet d'investissement sur
les décisions d'investissement en efficacité énergétique effectivement prises.
Comme je l'ai indiqué, je n'ai pu étudier cet aspect dans la présente recherche,
car les entreprises de l'échantillon n'ont pas encore fini l'audit approfondi
réalisé dans le cadre du programme NOE et, par conséquent, il n'a pas été
possible d'analyser l'influence de la stratégicité des investissements proposés
par les audits sur les décisions de mise en œuvre.
• Analyser le concept de culture de l’efficacité énergétique et les valeurs qui y
sont attachées ; identifier les valeurs qui sont, plus que d’autres, des moteurs
d’action en matière d’efficacité énergétique et de conservation de l’énergie
dans les entreprises ;
• Reproduire la recherche dans différents pays et régions, pour pouvoir étudier
l'influence de la culture nationale/régionale sur les choix d'investissement (en
général et en efficacité énergétique).
356

Contributions de la recherche. "Redesigning the Barriers


Framework"

Malgré les limitations énumérées ci-dessus, on peut admettre que les objectifs de
la recherche ont été atteints. Ces objectifs étaient d'abord d'approfondir les connaissances
dans le domaine général de la décision d'investissement dans deux directions :
premièrement, en complément des recherches antérieures, poursuivre et approfondir
l'analyse de l'influence respective des dimensions financière et stratégique sur la décision
d'investir. Deuxièmement, étudier les interactions éventuelles entre ces dimensions, en
particulier l'influence du niveau de stratégicité sur l'exigence de rentabilité financière
(plus stratégique l'investissement, plus basse l'exigence de rentabilité?).
Un troisième objectif consistait à tester la validité du modèle théorique de la
décision d'investir proposé, en l'appliquant à la catégorie particulière des investissements
en efficacité énergétique. On peut considérer que le modèle théorique de la décision
d'investir décrit et explique correctement les choix décisionnels effectués dans la réalité
par les entreprises : la décision d'investir n'est pas le résultat d'une évaluation financière;
elle est le produit du déroulement complexe d'un processus influencé par les perceptions
et le pouvoir des acteurs, par le contexte, et par les caractéristiques du projet
d'investissement lui-même, en particulier son caractère plus ou moins stratégique. Il n'y a
pas de choix optimal en matière d'investissement. Il n'y a pas une rationalité mais des
rationalités, entendues comme les raisons qui sous-tendent les choix des agents
économiques, individus et organisations. Ce modèle théorique apparaît donc comme un
outil d'analyse utile pour analyser les choix d'investissement des entreprises et, si
nécessaire, pour les influencer en amont.
L'approche interprétative361 qui sous-tend cette analyse conduit à conclure au
caractère normatif – par opposition à descriptif – de la théorie économique des choix
d'investissement, en relativisant le rôle de la rentabilité, qui est au cœur de cette théorie.
Cette approche conduit aussi à questionner le pouvoir explicatif du modèle de la
rationalité limitée (modèle explicatif "élargi" de l'approche économique362), en mettant en

361
Voir p. 205 et ss.., p. 219 et ss...
362
Voir p. 67 et ss.
357

évidence des influences culturelles qui, en modifiant les interprétations des décideurs,
jouent un rôle qui va au-delà de celui des biais cognitifs mis en exergue par cette théorie.
Ce modèle de la décision d'investir permet de mieux comprendre pourquoi, dans
de nombreux cas, les propositions d'investissements en efficacité énergétique aboutissent
à des non-décisions (en restant en suspens dans les tiroirs des décideurs, comme c'est le
cas pour de nombreux audits énergétiques), ou à des décisions négatives : quand l'énergie
et l'efficacité énergétique sont des sujets invisibles et secondaires, perçus comme
contribuant médiocrement au métier, les investissements correspondant sont catégorisés
comme non stratégiques par l'organisation. Ils sont soutenus par des managers de niveau
subalterne, investis de peu de pouvoir. Ils ne peuvent donc gagner la compétition pour les
ressources financières, pour le temps et l'énergie des managers puissants des fonctions
dominantes, ou pour le soutien politique de la haute direction.
Cette analyse semble pertinente en ce qu'elle permet d'expliquer les constatations
faites par la littérature alternative dans le domaine des investissements en efficacité
énergétique qui ont été décrites dans la première partie de ce mémoire363, et de répondre
aux questions que cette littérature laisse inexpliquées, faute de disposer d'un cadre
théorique : pourquoi le lien avec le métier est-il important pour la décision d'investir?
Pourquoi les investissements en efficacité énergétique semblent-ils soumis à un contrôle
plus strict et à des exigences plus élevées que d'autres dépenses ? La réponse, au terme de
cette recherche théorique et empirique menée au carrefour des domaines de l'économie de
l'énergie et de la décision dans les organisations, est que l'absence de lien (perçu) avec le
métier conduit à ce qu'un investissement soit catégorisé comme non stratégique, ce qui
implique qu'il sera soumis à des conditions plus dures (par exemple un pay-back simple
de très courte durée) et à des restrictions en capital. D'autre part, plusieurs recherches de
la littérature alternative sur la décision d'investir en efficacité énergétique signalent que
l'énergie ne fait pas partie de la culture de nombreuses organisations, en constatant (y
compris dans des secteurs industriels intensifs en énergie) une absence de "conscience
énergétique" qui pénalise la façon dont l'énergie est traitée et, par suite, les
investissements en efficacité énergétique. La perspective interprétative, en donnant un
rôle central aux filtres individuels et organisationnels dans l'évaluation des projets

363
Voir p. 75 et ss.
358

d'investissement, permet d'analyser et de comprendre pourquoi et comment la dimension


culturelle influence la catégorisation et le traitement des projets d'investissement et, en fin
de compte, les décisions prises. Selon la perspective économique dominante, c'est la
structure de coûts spécifique à chaque secteur d'activité qui détermine les décisions
d'investissement en efficacité énergétique; par conséquent, les différences de
comportement en matière d’usage et de décisions de/sur l’énergie sont fonction du
secteur d'activités et non pas de l'entreprise. La mise en évidence du rôle joué par la/les
cultures présentes dans les entreprises sur la perception du caractère stratégique de
l'investissement en efficacité énergétique, permet au contraire d'expliquer les différences
de comportement ayant été observées entre entreprises appartenant au même secteur
d'activité et présentant les mêmes caractéristiques.
Cette analyse conduit aussi à revisiter le concept de barrières organisationnelles à
l'efficacité énergétique et à proposer une explication alternative à l'existence d'un "energy
efficiency gap", cette situation étrange dans laquelle des entreprises à but lucratif,
négligent des sources d'accroissement de leur profit. Rappelons que, selon la perspective
dominante sur les barrières à l'efficacité énergétique, qui s'est imposée et maintenue au fil
des décennies, c'est la rentabilité de l'investissement qui détermine les choix des
entreprises. D'après cette approche, c'est parce que cette rentabilité n'est souvent
qu'apparente (en raison de l'existence de coûts cachés, de coûts de transaction, ou en
raison d'un niveau élevé de risque), et/ou parce qu'un certain nombre de défauts, dans les
marchés de l'énergie ou dans les organisations (market ou organisational failures)
empêchent les marchés de l'énergie de fonctionner correctement364, que les
investissements en efficacité énergétique ne sont pas décidés. Cependant, comme je l'ai
discuté365, cette argumentation n'est pas satisfaisante. Le tableau de la page suivante366
résume la perspective dominante sur les barrières organisationnelles à l'efficacité
énergétique. Il est repris de la recherche de Sorrel et al., (2000) qui fait autorité en la
matière. On voit que les deux barrières les plus importantes, dans la mesure où elles sont
présentes dans les trois pays et les trois secteurs d'activité étudiés, sont les barrières

364
Voir à ce sujet la section sur les barrières à l'efficacité énergétique p. 60 et ss.
365
Voir p. 47 et ss.
366
Déjà présenté dans la section "perspective économique sur les barrières à l'efficacité énergétique", p. 80.
359

"coûts cachés" (hidden costs) et contraintes budgétaires (access to capital). La troisième


barrière par ordre d'importance est celle du risque.

Barrier Higher Brewing Mechanical Total


Education Engineering
Hidden costs UGI UGI UGI 9
Access to capital UGI UGI UGI 9
Risk U UGI UGI 6
Imperfect information UGI UGI GI 6
Split incentives UGI UGI 5
Bounded rationality U GI 3
Power UI UGI 3
Heterogeneity UGI 2
Principal-agent I I 2
Adverse selection U 1
Form of information, credibility & trust I 1
Values & organisational culture I 1
Note: U = UK case studies; G = German case studies; I = Irish case studies

Figure 53 - Barrières considérées comme très importantes dans les différents pays et secteurs
(Sorrel et al., 2000, p. XXV)

Les "coûts cachés" font référence, dans la recherche de Sorrel et al. (2000), aux
coûts de gestion de l'énergie, mais cette question semble mériter de plus amples
recherches. En effet, pour la majorité des entreprises de l'échantillon genevois ayant
répondu (52%), il n'y a pas de coûts imprévus qui pourraient pénaliser les investissements
en efficacité énergétique367.
La barrière "contraintes budgétaires" fait référence, dans la recherche de Sorrel et
al. (2000) à des problèmes de disponibilité de capital et/ou d'allocation de budgets. Les
contraintes budgétaires sont présentées dans la littérature comme l'une des plus
importantes barrières368 aux investissements en efficacité énergétique. Or selon notre
modèle théorique de la décision d'investir, le problème n'est pas un manque de moyens
financiers, mais une compétition entre investissements qui conduit à ce que les
enveloppes financières soient attribuées en priorité aux investissements perçus comme
stratégiques. Et, comme la présente recherche l'a démontré, les investissements en

367
Voir p. 288 et ss.
368
Voir la section consacrée à la perspective économique sur les barrières organisationnelles à l'efficacité
énergétique, p. 67 et ss.
360

efficacité énergétique sont souvent perçus par les entreprises, comme faiblement ou
moyennement stratégique.
En ce qui concerne le risque, enfin ma recherche montre qu'il est relativement peu
présent dans les analyses et les évaluations financières que les entreprises font des projets
d'investissement. D'autre part, de nombreuses organisations n'associent aucun risque à la
fourniture d'énergie et, par conséquent, ne se considèrent pas comme dépendantes à
l'égard de cette ressource. Or, conformément à la théorie de la dépendance des ressources
(Pfeffer et Salancik, 1984), pour qu'une dépendance existe, il faut non seulement qu'une
ressource soit vitale pour l'activité de l'organisation, mais encore qu'il y ait une menace
sur sa fourniture. C'est seulement quand ce risque existe – ou est perçu comme existant –
qu'une ressource est considérée comme stratégique. A nouveau, la question de
l'interprétation joue un rôle clé.
Notre modèle théorique de la décision d'investir, et les résultats de la recherche
empirique, conduisent, en alternative à l'approche dominante brièvement rappelée ci-
dessus, à proposer un autre modèle explicatif des barrières organisationnelles à l'efficacité
énergétique, qui est représenté par le tableau ci-dessous.

Barrière
“cachée”
Barrière
“réelle”
Barrières
“symptômes”
Barrière
“base” Dimension
Caractère culturelle
non
Coûts cachés
stratégique
Accès au capital,
Information Risque, etc.

Figure 54 – "Redesigning the Barriers Framework"


361

Ce schéma explicatif comprend quatre niveaux de barrières organisationnelles aux


investissements en efficacité énergétique, chacun d'eux exerçant une influence sur le ou
les niveaux situés en-dessous. J'ai donné des noms à ces barrières : "barrière base",
"barrières symptômes", barrières "réelle" et "cachée".

• La barrière "base", c'est le manque d'information. Un problème dans les


entreprises qui n'ont pas de gestion de l'énergie, mais aussi dans celles qui ont
mis en place un tel système de gestion, en raison des aspects souvent
complexes des mesures d'efficacité énergétique (tout au moins dans les grands
bâtiments), qui nécessitent des compétences techniques pluridisciplinaires.
• Le deuxième niveau est constitué des barrières "symptômes", qualifiées ainsi
parce qu'elles ne sont que la manifestation de problèmes plus profonds ou
d'interprétations erronées. Par exemple, le capital ne manque pas mais il est
attribué à d'autres investissements ; on prétend qu'il y a un niveau élevé de
risque, alors que le risque n'est pas pris en compte dans les évaluations; de
même la mise en avant de coûts cachés est une explication commode parce
que, par définition, impossible à quantifier.
• Le troisième niveau représente la barrière "réelle", le problème à l'origine des
symptômes : le faible caractère stratégique des investissements en efficacité
énergétique pour l'activité des entreprises. Le caractère non-stratégique de
l'énergie pour les entreprises est la première méta-barrière (selon la formule
d'Eyre, 1997) à l'efficacité énergétique, qui sous-tend les autres barrières ayant
été généralement identifiées par la recherche et les praticiens.
• Le quatrième niveau est la barrière "cachée" : ce sont les influences culturelles
qui conduisent les organisations, et les décideurs en leur sein, à considérer
comme non stratégique cette catégorie d'investissements, au-delà de possibles
raisons objectives. La dimension culturelle de l'énergie est la deuxième méta-
barrière à l'efficacité énergétique.
362

"Make it strategic!"

“…we might be able to achieve the ultimate aspiration for a scholar in society, which is to make
a difference.” Pettigrew (2002, Interview by A. Kenneth)

Dans ses aspects théorique et empirique, la présente recherche a contribué à


relativiser le rôle de la dimension financière, elle a confirmé l'influence des dimensions
stratégique et culturelle sur les choix d'investissements des entreprises et elle a amélioré
la compréhension de la manière dont cette influence s'exerce. Elle a mis en évidence, en
particulier, le fait que de nombreuses entreprises considèrent que les investissements en
efficacité énergétique ne contribuent que médiocrement à renforcer leur métier et leur
avantage concurrentiel. Cette catégorisation défavorable influence par suite négativement
la manière dont le projet d'investissement est traité (choix des méthodes d'évaluation et
des critères de sélection), ainsi que le pouvoir et le niveau hiérarchique des "champions"
de l'investissement.
En prenant en compte l'influence des dimensions stratégique et culturelle des
décisions d'investissements, on est amené à basculer d'une perspective principalement
financière sur une perspective stratégique interprétative pour comprendre, partiellement
prévoir et, in fine, influencer les (non-)décisions d'investissement en efficacité
énergétique.
Make it strategic! Cette nouvelle perspective appliquée à la problématique du
sous-investissement en efficacité énergétique dans les entreprises conduit à formuler
différemment les programmes publics de promotion de l'efficacité énergétique. Le but de
ces nouveaux programmes serait d'augmenter la stratégicité perçue des investissements
en efficacité énergétique, en mettant l'accent sur leur contribution à l'avantage
concurrentiel des entreprises, au lieu d'être axés sur leur rentabilité (en fournissant
information et/ou subventions), en mettant l'accent sur la réduction des coûts
énergétiques.
Pour être atteint, ce but doit s'incarner dans trois approches complémentaires à
l'attention des entreprises :
363

• Une approche personnalisée : chaque entreprise présente des caractéristiques


individuelles qui sont liées à son histoire, à son contexte interne particulier et
aux acteurs impliqués dans les projets d'investissement. Ces particularités
doivent être prises en compte dans le dialogue. Cette approche est possible en
raison du fait que le nombre de grands consommateurs (définis comme les
organisations dont un bâtiment au moins consomme 1 GWh au moins par an)
n'est pas très élevé (par exemple à Genève, moins de 200 organisations,
entreprises et administrations publiques).
• Une approche stratégique. Cette approche suppose de chercher comment
l'efficacité énergétique peut contribuer à renforcer le métier des entreprises, ce
qui est généralement obtenu par l'intermédiaire de services énergétiques de
meilleure qualité. Ceci suppose d'intégrer dans les analyses de projets les
aspects techniques et les aspects de gestion d'entreprise. Un nouveau métier
est ici à créer, qui passe aussi par un élargissement des compétences des
gestionnaires de l'énergie dans les entreprises et des consultants extérieurs qui
les assistent.
• Une approche globale : elle consiste à développer la culture de l'efficacité
énergétique au niveau de l'entreprise dans son ensemble, de façon à créer un
contexte interne favorable à la catégorisation positive des projets
d'investissements en efficacité énergétique. Ceci suppose d'aider les
entreprises à développer un système de gestion de l'énergie. Ceci suppose
aussi de transformer la culture de la "fée énergie" pour aller vers une meilleure
compréhension de la rareté et de la dangerosité de la ressource.

Cette triple approche contribuerait à activer les immenses potentiels d'économies


enfouis dans les bâtiments et les sites industriels des entreprises, diminuant ainsi la
pression des problèmes vitaux provoqués par la consommation d'énergie : pollutions,
sécurité d'approvisionnement énergétique, et changement climatique.
364

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7. TABLES DES ILLUSTRATIONS

7.1 Figures

Figure 1 – Système énergétique. Production et consommation .....................................................................15


Figure 2 – Génération thermique d’électricité – Source : Free (2001, p. 14) ................................................16
Figure 3 – Système électrique centralisé – A. Finat, Conférence COGEN, mars 2005 ................................17
Figure 4 – La société à 2000 watts - Plan directeur de l'énergie du Canton de Genève, 2005-2009 .............19
Figure 5 – Mesures d'accompagnement environnementale de la Nouvelle Offre de l'Electricité (NOE) ......21
Figure 6 – Cédric Jeanneret, Le programme Eco21, Présentation au ScanE .................................................22
Figure 7 – IEA (2009b, p. 5). World Total Primary Energy Supply by Fuel.................................................24
Figure 48 – IEA (2009b, p. 24). Evolution from 1971 to 2007 of world electricity generation by
fuel………..
(TWh)……………………………………………………………………………………………………….24
Figure 9 – IEA (2009a, p. 75). World primary energy demand by fuel.........................................................25
Figure 10 – IEA (2009b, p. 24). 1973 and 2007 fuel shares of electricity generation. ..................................27
Figure 11 – IEA (2009, p. 97), WEO 2009…………… ………………………………………………… 28
Figure 12 – IEA (2009, p. 96), Final electricity consumption by region in the Reference Scenario (TWh),
WEO 2009 .....................................................................................................................................................29
Figure 13 – Dépendance énergétique de la Suisse (Office fédéral de la statistique) .....................................32
Figure 14 – Kg equivalent carbone par fuel. Jancovici, J.M. (2007), d'après PNUE, Ademe, EDF………..34
Figure 15 – IEA (2009, p. 111). Energy-related CO2 emissions by fuel and region in the Reference……….
Scenario, WEO 2009 .....................................................................................................................................35
Figure 16 – Jochem Ed. (2004, p. 11). Le système énergétique des services à l'énergie utile, finale et
primaire en Suisse, 2001................................................................................................................................39
Figure 17– Electricity generation worlwide (TWh) and wasted energy……………………………………40
Figure 18 – Ceced (2006, p. 21) Energy-Efficiency, A shortcut to Kyoto Targets. ......................................41
Figure 19 – Primary energy consumption of typical Swiss multi-family houses ..........................................42
Figure 20 – Evolution de la demande d'énergie primaire et des "négajoules" (= économies .......................43
Figure 21– EU Directorate General for Energy and Transport (2001), Improving the energy efficiency of
buildings Short presentation of the Commission's proposal for a Directive. ...............................................46
Figure 22 – Risk-adjusted cost of electricity estimates (Europe/IEA countries) ...........................................56
Figure 23 – IEA (2000, p. 37). Assumptions for world fossil fuel prices WEO 2000 ...................................57
Figure 24 – Analyse type d'un projet en efficacité énergétique telle qu'effectuée par l'université de Santa
Clara, Californie (Kulakowski, 1999, p. 7)....................................................................................................59
Figure 25 – Russel, C. (2006), World-Class Energy Assessment, Industrial Action Plans for Greater and
More Durable Energy Cost Control ...............................................................................................................61
Figure 26 – Résultats d'optimisation selon Enerplan, St. -Croix……………………………………………62
Figure 27– IFC (2006). Prix de l'électricité et nombre moyen de projets en efficacité énergétique en Russie,
par entreprise et par secteur………………………………………………………………………………....63
Figure 28 – Perspectives économique, comportementale et organisationnelle sur les barrières à l'efficacité
énergétique (Sorrel et al., 2000, p. 12). .........................................................................................................69
Figure 29 – Barrières économiques: échecs du marché (Sorrel, 2000, p. 23)................................................74
Figure 30 – Barrières considérées comme très importantes dans les différents pays et secteurs (Sorrel et al.
, 2000, p XXV)………………...…………………………………………………………………… ……82
Figure 31 – Precede, Adapté de Health Promotion Planning de Green et Kreuter (1999)...........................85
Figure 32 – Barrières organisationnelles aux technologies efficaces en énergie (De Groot et al. (2001) .....96
Figure 33 – Modèle causal de l’usage des ressources, avec exemples issus de la consommation énergétique
dans les immeubles résidentiels (Stern, 1992, p. 1227) ...............................................................................100
384

Figure 34 - Version chronologique simplifiée d'un processus d'investissement (Desreumaux et Romelaer,


2001).....................................................................................................................................................…...149
Figure 35 – A general model of the strategic decision process (Mintzberg et al., 1976) ............................151
Figure 496 - Catégories de stimuli du processus décisionnel d'après Mintzberg et al.,
1976……………...152
Figure 37 – Organizational Decision Making (Langley et al., 1995) ..........................................................155
Figure 38 – Deux illusions optico-géométriques .........................................................................................165
Figure 39 – An Upper Echelons Perspective of Organizations (Hambrick et Mason, 1984, p. 198). .........173
Figure 50 – Les niveaux de culture. D'après Schein (2004, p. 26) et Kluckholn et Strodtbeck (1961).
Figure 41 – Sphères culturelles d'influence (Schneider et Barsoux, 2003)..................................................178
Figure 42 – La chaîne-type de valeur (Porter, 1996, p. 53). ........................................................................206
Figure 43 – Les déterminants de la décision d'investissement ....................................................................232
Figure 44 – Les trois composantes de l'avantage concurrentiel .................................................................2520
Figure 45 – Facteurs stimulant l’adoption de technologies efficaces en énergie selon responsables énergie
.....................................................................................................................................................................302
Figure 46 – Facteurs bloquant l’adoption de technologies efficaces en énergie selon responsables finance
...................................................................................................................................................................3053
Figure 47 – Responsables de l'énergie dans les entreprises de l'échantillon. .............................................3144
Figure 48 – formation professionnelle des responsables de l'énergie……………………………………..315
Figure 49 – comparaison entre entreprises no. 17 et 18 de l'échantillon .....................................................334
Figure 50 – Corrélation entre le caractère stratégique des investissements en efficacité énergétique et le
niveau de gestion de l'énergie dans 33 entreprises de l'échantillon……………………………………….337
Figure 51 – Energy management ...............................................................................................................3466
Figure 52 – Electrabel, campagnes publicitaires 2004 et 2008…………………...……………………….350
Figure 53 – Barrières considérées comme très importantes dans les différents pays et secteurs (Sorrel et al.,
2000, p. XXV) .............................................................................................................................................359
Figure 54 – "Redesigning the Barriers Framework" ....................................................................................360

7.2 Tableaux

Tableau 1 – Consommation dans le Canton de Genève 1990 – 2050............................................................20


Tableau 2 – Calcul de la valeur actualisée (Bender et Dumont, 2001, p. 156) ..............................................53
Tableau 4 – Répartition des enveloppes budgétaires ...................................................................................274
Tableau 5 – Procédure d'investissement ......................................................................................................275
Tableau 6 – Influence de la catégorie de l'investissement ...........................................................................276
Tableau 7 – Procédure d'investissement – Question F 9_12........................................................................277
Tableau 8 – Nombre de méthodes citées .....................................................................................................278
Tableau 9 – Usage des méthodes d'évaluation/sélection de la rentabilité………………………………..279
Tableau 10 – Le choix du taux d'actualisation I I – Questions F 9_15_1 à F 9_15_6 ...............................280
Tableau 11 – Le choix du taux d'actualisation – Questions F 9_15_1 à F 9_15_6 ....................................281
Tableau 12 – Questionnaire Finance – Questions 9.3101 – 9.3112 .............................................................283
Tableau 13 – Une Typologie des projets d'investissement – Question F 9_9..............................................286
Tableau 14 – efficacité énergétique et investissement.................................................................................288
Tableau 15 – Dimension stratégique des investissements en efficacité énergétique ...................................294
Tableau 16 – Dispersion des réponses "réduction des risques" ...................................................................296
Tableau 17 – Dispersion des réponses "réduction des coûts" ......................................................................297
Tableau 18 – Dispersion des réponses "valeur des produits" ......................................................................298
Tableau 19 – Facteurs stimulant les investissements en efficacité énergétique...........................................309
Tableau 20 – Facteurs bloquant les investissements en efficacité énergétique............................................310
Tableau 21 – Gestion de l'énergie et responsable énergie ...........................................................................312
Tableau 22 – caractère stratégique des investissements en efficacité énergétique et niveau de gestion de
l'énergie. ......................................................................................................................................................317
Tableau 23 – "Cas extrêmes" stratégicité – gestion de l'énergie..................................................................338
385

8. Annexes
Annexe 1 – Questionnaire 1. Caractéristiques de l'entreprise..............................................................….. 386
Annexe 2 – Questionnaire 2. Volet énergie…............................................................................................ 389
Annexe 3 – Questionnaire 3. Volet finance………………………………...……………………………. 398
386

ANNEXE 1

Questionnaire 1 : "Caractéristiques de l'entreprise"

11.1 Nombres de personnes employées à plein-temps dans l’entreprise?


_____________

11.2 Depuis combien de temps l'entreprise exerce-t-elle son activité? ___________


années.

11.3 L’entreprise est-elle une entreprise familiale?


Propriété : O Oui O Non Gestion : O Oui O Non

11.4 L’entreprise est-elle cotée en bourse?


O Oui O Non

11.5 Structure de l'entreprise:


O Mono-divisionnelle
O Multidivisionnelle

11.6 Si l’entreprise est une composante d'un groupe d'entreprises, est-elle:

O Une société mère


O Une filiale (société fille)

11.7 L’entreprise est-elle majoritairement la propriété de:

O Intérêts suisses
O Intérêts étrangers
De quelle(s) nationalité(s) ? ______________________________________

11.8 Le centre de décision de l’entreprise est-il :

O A Genève
O En Suisse alémanique
O A l'étranger

11.9 L'extension géographique de l’activité est-elle?

O Locale
O Régionale
O Nationale
O Internationale
387

11.10 Dans lequel de ces secteurs, l’entreprise exerce-t-elle son activité?


(Merci de cocher la/les case (s) adéquate(s))

O Agriculture, chasse, pêche, exploitation forestière


O Mines et extraction
O Activité industrielle
O Électricité, gaz, eau
O Construction
O Commerce de gros et de détail
O Hôtels - restaurant
O Transport et stockage de marchandise
O Banque et finance
O Vente/location de surfaces (expositions, parkings) et biens immobiliers
O Secteur tertiaire, services aux entreprises
O Secteur tertiaire, services aux particuliers
O Entreprise à but non lucratif / ONG
O Éducation
O Administration publique

11.11 Niveau de concurrence du secteur ?


Indiquer le niveau (1 intensité concurrentielle faible – 5 intensité concurrentielle élevée)
__________

11.12 Niveau de turbulence du secteur ?


Indiquer le niveau (1 instabilité faible – 5 instabilité élevée) _____________

11.13 Chiffre d'affaire de l'entreprise (derniers résultats connus) ?

O Inférieur à
O Entre ... et ...
O Entre ... et ...
O Entre ... et ...
O Supérieur à ....

11.14 L’entreprise est-elle propriétaire de ses locaux ?

- Administratifs O Oui O Non


- Commerciaux O Oui O Non
- Industriels O Oui O Non

11.15 L’entreprise sous-traite-t-elle la gestion de ses locaux (facility management) ?

- Administratifs O Oui O Non


- Commerciaux O Oui O Non
- Industriels O Oui O Non
388

11.16 Le directeur général de l’entreprise est-il/elle de formation ?

O Ingénieur
O Financier
O Marketing
O Commercial
O Autre Merci de préciser : ___________________

11.17 Depuis combien de temps sont en poste dans l’entreprise les responsables
suivants :

Directeur général _________ années


Directeur financier _________ années
Directeur technique _________ années
Directeur marketing _________ années
Directeur de la production _________ années

11.18 Quelle est la nationalité des responsables suivants :

Directeur général _______________


Directeur financier _______________
Directeur technique _______________
Directeur marketing _______________
Directeur de la production _______________
389

ANNEXE 2
Questionnaire 2 : VOLET ENERGIE

1. Responsable Projet NOE au sein de l’entreprise:

1.1 Titre: _______________________________

1.3 Fonction: ____________________________

1.3 Auprès de qui rapportez-vous dans l’entreprise (supérieur direct) :


__________________________________________________________________

1.4 Depuis combien d’années travaillez vous dans l’entreprise : ______________

1.5 Quelle est votre formation : ________________________________________

1.6 Quelle est votre nationalité : ________________________________________

2. PROJET NOE

2.1 Le projet NOE est-il connu de la direction générale O Oui O Non

2.3 Le projet NOE est-il soutenu par la direction générale ?

- Volet audit O Oui O Plutôt oui O Indifférent O Plutôt non O Non


- Volet investissements O Oui O Plutôt oui O Indifférent O Plutôt non O Non

2.3 Le projet NOE est-il connu du personnel de l’entreprise ? O Oui O Non

2.4 Pensez-vous que NOE soit bénéfique :

- Au Canton de Genève O Oui, très O Oui, assez O Neutre O Plutôt non O Non
- Aux SIG O Oui, très O Oui, assez O Neutre O Plutôt non O Non
- A votre entreprise O Oui, très O Oui, assez O Neutre O Plutôt non O Non

2.5 Pensez-vous que la réussite du projet NOE dans votre entreprise (c'est-à-dire,
l'adoption de technologies efficaces et la réduction de votre consommation
d'électricité) soit importante pour les raisons suivantes?
Classer par ordre d’importance (1 = le moins important - 5 = le plus important)

Stratégie de l’entreprise ___________


Réduction des risques ___________
Si oui, lesquels ___________________________________
Réduction des coûts ___________
Si oui, lesquels ___________________________________
Renforcement de la valeur des produits pour les clients ___________
390

Responsabilité sociale de l’entreprise ___________


Motivation du personnel ___________
Benchmarking (pression de la concurrence) ___________
Image de marque de l’entreprise auprès des clients ___________

2.6 Etes-vous optimiste quant à la réussite du projet NOE dans votre entreprise :

O Oui O Plutôt oui O Plutôt non O Non O Sans opinion

2.7 Si oui, pour quelles raisons (quels sont les facteurs stimulants que vous
entrevoyez) ?
________________________________________________________________________

2.8 Si non, pour quelles raisons (quels sont les obstacles principaux que vous
entrevoyez) ?
________________________________________________________________________

2.9 Quelles sont à votre avis les barrières à l’implantation de technologies


économisant l’énergie :
Merci de classer par ordre d’importance (1 = le moins important - 5 = le plus important)

• Autres investissements plus importants _________

• De nouvelles technologies ne peuvent être adoptées que lorsque


les technologies existantes doivent être remplacées (cycle des
_________
investissements)
• Les coûts énergétiques ne sont pas suffisamment importants pour
l’entreprise _________

• L’efficacité énergétique est une faible priorité pour l’entreprise _________

• Les installations actuelles sont suffisamment efficaces _________


• Difficultés de mise en œuvre dûes à l’organisation interne _________

• Contraintes budgétaires _________


• Problèmes de financement externe (emprunt) _________
• Incertitudes sur la qualité des technologies considérées _________
• Il vaut mieux attendre des subsides _________
• Le coût de la technologie envisagée va baisser _________
• Manque d’une vision claire sur les technologies disponibles _________

• Il vaut mieux attendre le retour d’expériences de collègues _________

• La nouvelle technologie ne satisfera peut-être pas à de futurs


standards réglementaires _________
391

2.10 Quels sont à votre avis les facteurs influençant favorablement la décision
d’adopter de nouvelles technologies économisant l’énergie :
Merci de classer par ordre d’importance (1 = le moins important - 5 = le plus important)

• Installation directe d’équipement par le service public _________

• Image environnementale de l’entreprise _________

• Réduction des coûts résultant d’une réduction de la


consommation énergétique _________
• Dispositions fiscales _________
• Subsides aux investissements _________
• Conditions favorables de financement (prêt bonifié) _________
• Amélioration de la position concurrentielle _________
• Motivation du personnel _________

• Réduction des risques de prix de l’énergie (hausse et volatilité) _________

• Réduction des risques de rupture de la fourniture d’énergie _________

2.11 Pensez-vous que la réalisation des mesures identifiées par NOE risque
d’entraîner des coûts imprévus pour l’entreprise?
O Oui O Non O Sans opinion
Si oui, lesquels ?
________________________________________________________________________

2.13 Pensez-vous que la réalisation des mesures identifiées par NOE risque
d’entraîner des avantages imprévus pour l’entreprise?
O Oui O Non O Sans opinion
Si oui, lesquels ?
________________________________________________________________________

2.14 Quelle catégorie d’électricité achetez-vous aux SIG ?


O Grise O Bleue O Verte O Jaune

2.15 Quelle est, d’après vous, l’origine de l’électricité que vous consommez ?
________________________________________________________________________

2.16 Avez-vous prévu d’allouer un budget permettant d’exécuter les mesures


recommandées par l’audit ?
O Oui O Non
392

2.17 Quel(s) soutien(s) vous seraient le plus nécessaire(s) pour assurer la réussite du
projet NOE au sein de votre entreprise (réalisation des mesures identifiées par
l’audit approfondi) :

Merci de classer par ordre d’importance (1 = le moins important - 5 = le plus important)

O Information technique avant décision d’investissement ___


Auprès de : O Direction générale O Direction financière O Vous-même
O Information financière avant décision d’investissement ___
Auprès de : O Direction générale O Direction financière O Vous-même
O Négociation avec les fournisseurs sur les prix des technologies ___
O Aide technique à la mise en oeuvre des mesures ___
O Eclairage de la dimension stratégique du projet pour l’entreprise ___
O Campagne cantonale d’information destinée à donner de la visibilité à NOE et aux
entreprises participantes auprès du public. ___

2.18 Des soutiens énoncés, lequel classez-vous comme le plus important ?


_________________

2.19 Quelles mesures financières destinées à assurer le succès du projet NOE vous
semblent le mieux adaptées à la politique financière de votre entreprise ?
O Subventions
O Prêts à intérêt bonifié
O Rabais d’impôt

Commentaires éventuels :

________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
393

3. Gestion de l’énergie
3.1 L’efficacité énergétique est considérée comme un sujet important dans votre
entreprise :
O Oui O Non

3.2 Intensité énergétique : quel pourcentage les coûts totaux de votre consommation
énergétique (combustibles fossiles et électricité) représentent-ils ?

- Quel pourcentage de vos frais généraux ? __________ % O Non calculé


- Quel pourcentage de votre chiffre d’affaire __________ % O Non calculé
- Quel pourcentage de votre bénéfice ? __________ % O Non calculé

3.3 Pensez-vous que l’intensité énergétique de votre entreprise soit ?

O Similaire à celle de vos concurrents


O Inférieure à celle de vos concurrents
O Supérieure à celle de vos concurrents
O Sans opinion

3.4 Pensez-vous que l’impact potentiel sur votre rentabilité de changements dans les
prix et/ou la consommation de l'énergie est important? O Oui O Non

3.5 Votre entreprise a-t-elle pris un engagement d'amélioration continue de sa


consommation énergétique ? O Oui O Non

3.6 L’entreprise a mis en place les activités suivantes en relation avec l’énergie :
(Cocher les cases adéquates)
O évaluation de sa performance énergétique (benchmarking)
O Définition d’une baseline
O Définition d’indicateurs de mesure de la performance énergétique
O Elaboration d’une politique énergétique
O Fixation d’objectifs mesurables de réduction de la consommation
O Collecte des données relatives à la réalisation de ces objectifs
O Définition des mesures de mise en œuvre permettant la réalisation des objectifs
fixés

3.7 Le cas échéant, quelles ressources ont-elles été allouées à la mise en œuvre ?
(Cocher les cases adéquates)
O Ressources humaines (ex. équipe-projet)
O Ressources techniques (ex. compteurs)
O Ressources informatiques (ex. logiciel de gestion)

3.8 L'entreprise a-t-elle un responsable de l'énergie ? O Oui O Non

3.9 Le cas échéant, cumule-t-il cette fonction avec une autre fonction dans
l’entreprise?
394

O oui O non
Si oui, laquelle ? _______________________________________

3.10 L'entreprise a-t-elle mis en place une communication interne relative à


l'énergie (rapport) ?
O oui O non

3.11 Le cas échéant, l'entreprise a-t-elle mis en place, en liaison avec la politique
énergétique : (Cocher les cases adéquates)
O un système de formation du personnel
O un système de gratifications en cas d'atteinte des objectifs fixés
O un système d'évaluation des résultats
O une procédure de révision des objectifs ?

3.12 L’entreprise considère l’impact énergétique de ses produits, procédés et/ou


services ?
O oui O non

3.13 Pourriez-vous mentionner certains avantages indirects sur votre activité de


l’adoption de mesures d’efficacité énergétique ?
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________

3.14 Le cas échéant, prenez-vous en compte ces avantages indirects dans votre
calcul de rentabilité de l’investissement en technologies efficaces en énergie ?
O oui O non

3.15 En 2005 (par rapport à 2004) la consommation d’énergie de votre entreprise


est-elle en hausse ?
O oui O non O sans opinion

3.16 Quelles sont trois mesures qui pourraient permettre de réduire la


consommation énergétique dans votre entreprise (par ordre de priorité) :

Mesure 1 ______________________________________________________
Mesure 2 ______________________________________________________
Mesure 3 ______________________________________________________

Commentaires éventuels :

________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
395

4. Politique de gestion de l’environnement


4.1 L’entreprise a mis en place les activités suivantes en relation avec
l’environnement :
(Cocher les cases adéquates)

O Programme de recyclage
O Déclaration de politique environnementale
O Publication d’un rapport environnemental ou de développement durable
O Evaluation de l’impact environnemental de ses produits, processus et/ou services
O Evaluation des risques liés à l’environnement
O Dedicated management and team
O Green marketing
O Définition d’objectifs mesurables pour :
- Formation des collaborateurs en liaison avec les objectifs environnementaux
- Réduction des déchets
- Réduction de la consommation en eau
- Réduction de la consommation énergétique
O Participation volontaire à un programme de protection de l’environnement
O Membre d’une association ou d’un réseau de protection de l’environnement
O Environment-focused supplier program
O SME (système de management environnemental)
O Certification ISO 14001
O Aucune de ces activités
O Ne sait pas
O Autre (merci de spécifier): __________________________________________

Commentaires éventuels :

________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
__________________________________________
396

5. Politique changement climatique


5.1 Considérez-vous que le changement climatique présente des risques
commerciaux pour votre entreprise ? O oui O non O Sans opinion

5.2 Considérez-vous que le changement climatique présente des opportunités


commerciales pour votre entreprise ? O oui O non O Sans opinion

5.3 Législation : percevez-vous des impacts stratégiques et financiers sur votre


entreprise
- de la législation existante ? O oui O non O Sans opinion
- de la législation future ? O oui O non O Sans opinion

5.4 Pensez-vous que le changement climatique entraîne des risques physiques pour
vos opérations (événements climatiques extrêmes, changement de régime de temps,
hausse du niveau de la mer) ?
- Aujourd’hui O oui O non O Sans opinion
- Dans le futur O oui O non O Sans opinion

5.5 Si oui, prenez-vous des actions pour pallier ces risques ? O oui O non

5.6 Innovation : votre entreprise a-t-elle développé des technologies, des produits,
procédés ou services en réponse au changement climatique ?
O oui O non O Sans opinion
Si oui lesquels ?
________________________________________________________________

5.7 Qui est responsable dans votre entreprise des questions liées au changement
climatique et de la stratégie en matière de changement climatique ?
__________________________________

5.8 Calculez-vous la quantité d’émissions de CO2 émises par votre entreprise ?


O oui O non

5.9 Calculez-vous la quantité d’émissions des autres principaux GHG ?


O oui O non

5.10 Quelle est la quantité de tonnes de CO2 produite annuellement par vos
installations et activités ? _____________________

5.11 Avez-vous une stratégie de réduction des émissions de GHG ?


O oui O non

5.12 Si oui, quels sont vos objectifs de réduction (en pourcentage) ?


__________________
397

5.13 Etes-vous favorable à une participation de votre entreprise à un système de


permis d’émissions ? O oui O non O Sans opinion

Commentaires/ remarques personnelles :


________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
398

ANNEXE 3

Questionnaire 3 : VOLET FINANCE

Responsable financier au sein de l’entreprise:

Titre: _______________________________

Fonction: ____________________________

A qui rapportez-vous dans l’entreprise :


__________________________________________________________________

Depuis combien d’années travaillez vous dans l’entreprise : __________________

Quelle est votre formation : ____________________________________________

Quelle est votre nationalité : ____________________________________________


399

7. Projet NOE

7.1 Le projet NOE est-il connu de la direction générale O Oui O Non

7.2 Le projet NOE est-il soutenu par la direction générale ?


- Volet audit O Oui O Plutôt oui O Indifférent O Plutôt non O Non
- Volet investissements O Oui O Plutôt oui O Indifférent O Plutôt non O Non

7.3 Le projet NOE est-il connu du personnel de l’entreprise ? O Oui O Non

7.4 Pensez-vous que NOE soit bénéfique : (Classer par ordre d’importance)

- Au Canton de Genève O Oui, très O Oui, assez O Neutre O Plutôt non O Non
- Aux SIG O Oui, très O Oui, assez O Neutre O Plutôt non O Non
- A votre entreprise O Oui, très O Oui, assez O Neutre O Plutôt non O Non

Pensez-vous que la réussite du projet NOE dans votre entreprise (c'est-à-dire,


l'adoption de technologies efficaces et la réduction de votre consommation
d'électricité) soit importante pour les raisons suivantes?
Merci de classer chaque ligne par ordre d’importance (1 = le moins important - 5 = le plus important)

Stratégie de l’entreprise ___________


Réduction des risques ___________
Si oui, lesquels ___________________________________
Réduction des coûts ___________
Si oui, lesquels ___________________________________
Renforcement de la valeur des produits pour les clients ___________
Responsabilité sociale de l’entreprise ___________
Motivation du personnel ___________
Benchmarking (pression de la concurrence) ___________
Image de marque de l’entreprise auprès des clients ___________

7.6 Etes-vous optimiste quant à la réussite du projet NOE dans votre entreprise :

(Classer par ordre d’importance) O Ou i O Plutôt oui O Plutôt non O Non O Sans opinion
400

7.7 Si oui, pour quelles raisons (quels sont les facteurs stimulants que vous
entrevoyez) ?
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________

7.8 Si non, pour quelles raisons (quels sont les obstacles principaux que vous
entrevoyez) ?
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________

Quels sont à votre avis les facteurs influençant favorablement la décision d’adopter
de nouvelles technologies économisant l’énergie :
Merci de classer chaque ligne par ordre d’importance (1 = facteur stimulant le moins important -
5 = facteur stimulant le plus important)

• Installation directe d’équipement par le service public _________

• Image environnementale de l’entreprise _________

• Réduction des coûts résultant d’une réduction de la


consommation énergétique _________
• Dispositions fiscales _________
• Subsides aux investissements _________
• Conditions favorables de financement (prêt bonifié) _________
• Amélioration de la position concurrentielle _________
• Motivation du personnel _________

• Réduction des risques de prix de l’énergie (hausse et volatilité) _________

• Réduction des risques de rupture de la fourniture d’énergie _________


401

Quelles sont à votre avis les barrières à l’implantation de technologies économisant


l’énergie :
Merci de classer chaque ligne par ordre d’importance : 1 = barrière peu importante  5 = barrière très
importante

• Autres investissements prioritaires _________

• De nouvelles technologies ne peuvent être adoptées que lorsque


les équipements existants doivent être remplacés (cycle des
_________
investissements)
• Les coûts énergétiques de l’entreprise ne sont pas suffisamment
élevés _________

• L’efficacité énergétique est une faible priorité pour l’entreprise _________

• Les installations actuelles sont suffisamment efficaces _________


• Difficultés de mise en œuvre dûes à l’organisation interne _________
• Contraintes budgétaires _________
• Problèmes de financement externe (emprunt) _________
• Incertitudes sur la qualité des technologies considérées _________
• Attente de subsides _________
• Le coût de la technologie envisagée va baisser _________
• Manque d’une vision claire sur les technologies disponibles _________

• Il vaut mieux attendre le retour d’expériences de collègues _________

• La nouvelle technologie ne satisfera peut-être pas à de futurs


standards réglementaires _________

7.11 Quel(s) soutien(s) vous seraient le plus nécessaire(s) pour assurer la réussite du
projet NOE au sein de votre entreprise (réalisation des mesures identifiées par
l’audit approfondi) :
Merci de classer par ordre d’importance (1 = le moins important - 5 = le plus important)

O Information technique avant décision d’investissement _________


Auprès de : O Direction générale O Direction financière O Vous-même
O Information financière avant décision d’investissement _________
Auprès de : O Direction générale O Direction financière O Vous-même
O Négociation avec les fournisseurs sur les prix des technologies _________
O Aide technique à la mise en oeuvre des mesures _________
402

O Eclairage de la dimension stratégique du projet pour l’entreprise _________


O Campagne cantonale d’information destinée à donner de la visibilité à NOE et aux
entreprises participantes auprès du public. _________

7.12 Des soutiens énoncés, lequel classez-vous comme le plus important ?


______________________________________________________________________

7.13 Quelles mesures financières destinées à assurer le succès du projet NOE vous
semblent le mieux adaptées à la politique financière de votre entreprise ?
O Subventions
O Prêts à intérêt bonifié
O Rabais d’impôt

7.14 Pensez-vous que la réalisation des mesures identifiées par NOE risque
d’entraîner des coûts imprévus pour l’entreprise?
O Oui O Non O Sans opinion
Si oui, lesquels ?
_______________________________________________________________________

7.15 Pensez-vous que la réalisation des mesures identifiées par NOE risque
d’entraîner des avantages imprévus pour l’entreprise? O Oui O Non

Si oui, lesquels ?
_______________________________________________________________________

7.16 Quelle catégorie d’énergie achetez-vous aux SIG ?


O Grise O Bleue O Verte O Jaune

7.17 Quelle est, d’après vous, l’origine de l’électricité que vous consommez ?
________________________________________________________________________

7.18 Avez-vous prévu d’allouer un budget permettant d’exécuter les mesures


recommandées par l’audit ?
O Oui O Non

Commentaires éventuels :

________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
403

3. Gestion de l’énergie
3.1 L’efficacité énergétique est considérée comme un sujet important dans votre
entreprise :
O Oui O Non

3.2 Intensité énergétique : quel pourcentage les coûts totaux de votre consommation
énergétique (combustibles fossiles et électricité) représentent-ils ?

- Quel pourcentage de vos frais généraux ? __________ % O Non calculé


- Quel pourcentage de votre chiffre d’affaire __________ % O Non calculé
- Quel pourcentage de votre bénéfice ? __________ % O Non calculé

3.3 Pensez-vous que l’intensité énergétique de votre entreprise soit ?

O Similaire à celle de vos concurrents


O Inférieure à celle de vos concurrents
O Supérieure à celle de vos concurrents
O Sans opinion

3.4 Pensez-vous que l’impact potentiel sur votre rentabilité de changements dans les
prix et/ou la consommation de l'énergie est important? O Oui O Non

3.5 Votre entreprise a-t-elle pris un engagement d'amélioration continue de sa


consommation énergétique ? O Oui O Non

3.6 L’entreprise a mis en place les activités suivantes en relation avec l’énergie :
(Cocher les cases adéquates)
O évaluation de sa performance énergétique (benchmarking)
O Définition d’une baseline
O Définition d’indicateurs de mesure de la performance énergétique
O Elaboration d’une politique énergétique
O Fixation d’objectifs mesurables de réduction de la consommation
O Collecte des données relatives à la réalisation de ces objectifs
O Définition des mesures de mise en œuvre permettant la réalisation des objectifs
fixés

3.7 Le cas échéant, quelles ressources ont-elles été allouées à la mise en œuvre ?
(Cocher les cases adéquates)
O Ressources humaines (ex. équipe-projet)
O Ressources techniques (ex. compteurs)
O Ressources informatiques (ex. logiciel de gestion)

3.8 L'entreprise a-t-elle un/une responsable de l'énergie ? O oui O non


404

3.9 Le cas échéant, cumule-t-il cette fonction avec une autre fonction dans
l’entreprise? O oui O non
Si oui, laquelle ? _______________________________________

3.10 L'entreprise a-t-elle mis en place une communication interne relative à


l'énergie (rapport) ? O oui O non

3.11 Le cas échéant, l'entreprise a-t-elle mis en place, en liaison avec la politique
énergétique : (Cocher les cases adéquates)
O un système de formation du personnel
O un système de gratifications en cas d'atteinte des objectifs fixés
O un système d'évaluation des résultats
O une procédure de révision des objectifs ?

3.12 L’entreprise considère l’impact énergétique de ses produits, procédés et/ou


services ? O oui O non

3.13 Pourriez-vous mentionner certains avantages indirects sur votre activité de


l’adoption de mesures d’efficacité énergétique ?
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________

3.14 Le cas échéant, prenez-vous en compte ces avantages indirects dans votre
calcul de rentabilité de l’investissement en technologies efficaces en énergie ?
O oui O non

3.15 En 2005 (par rapport à 2004) la consommation d’énergie de votre entreprise


est-elle en hausse ? O oui O non O sans opinion

3.16 Quelles sont trois mesures qui pourraient permettre de réduire la


consommation énergétique dans votre entreprise (par ordre de priorité) :

Mesure 1 ______________________________________________________
Mesure 2 ______________________________________________________
Mesure 3 ______________________________________________________

Commentaires éventuels :

________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
405

8. Politique changement climatique


8.1 Considérez-vous que le changement climatique présente des risques
commerciaux pour votre entreprise ? O oui O non O Sans opinion

8.2 Considérez-vous que le changement climatique présente des opportunités


commerciales pour votre entreprise ? O oui O non O Sans opinion

8.3 Législation : percevez-vous des impacts stratégiques et financiers sur votre


entreprise
- de la législation existante ? O oui O non O Sans opinion
- de la législation future ? O oui O non O Sans opinion

8.4 Pensez-vous que le changement climatique entraîne des risques physiques pour
vos opérations (événements climatiques extrêmes, changement de régime de temps,
hausse du niveau de la mer) ?
- Aujourd’hui O oui O non O Sans opinion
- Dans le futur O oui O non O Sans opinion

8.5 Si oui, prenez-vous des actions pour pallier ces risques ? O oui O non

8.6 Innovation : votre entreprise a-t-elle développé des technologies, des produits,
procédés ou services en réponse au changement climatique ?
O oui O non O Sans opinion
Si oui lesquels ?
_____________________________________________________________________

8.7 Qui est responsable dans votre entreprise des questions liées au changement
climatique et de la stratégie en matière de changement climatique ?
__________________________________

8.8 Calculez-vous la quantité d’émissions de CO2 émises par votre entreprise ?


O oui O non

8.9 Calculez-vous la quantité d’émissions des autres principaux GHG ?


O oui O non

8.10 Quelle est la quantité de tonnes de CO2 produite annuellement par vos
installations et activités ? _____________________

8.11 Avez-vous une stratégie de réduction des émissions de GHG ?


O oui O non

8.12 Si oui, quels sont vos objectifs de réduction (en pourcentage) ?


__________________
406

8.13 Etes-vous favorable à une participation de votre entreprise à un système de


permis d’émissions ? O oui O non O Sans opinion

Commentaires/ remarques personnelles :


________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
407

9. Politique générale d'investissement


9.1 Quel système comptable l'entreprise utilise-t-elle ?
O Suisse
O Normes IASC
O Autre

Quel est le ratio d’investissement de l’entreprise pour la dernière période comptable (total
des investissements par rapport au chiffre d’affaire) : ____________ %

IDENTIFICATION ET ANALYSE DES PROJETS D'INVESTISSEMENT

9.2 L'origine des projets ou des idées d'investissement est-elle essentiellement :

O Liée à des opportunités perçues par les unités opérationnelles (terrain) ?


O Liée à une recherche active de projets correspondant à la stratégie de l’entreprise ?

9.3 Le démarrage de projets d'investissement est-il influencé par :

O des mouvements de la concurrence


O une anticipation de contraintes légales
O une opportunité financière offerte par un programme public (subvention, crédit
d'impôt)
O une amélioration de l'image de l'entreprise

9.4Existe-t-il une procédure formelle de constitution des dossiers d'investissements ?


O Oui O Non

9.5 Dans votre entreprise, la notion d'investissement est définie par identité au
concept d'immobilisation comptable?
O Oui O Non
9.6 Si non, comment? ___________________________________

9.7 Le cas échéant, la conception (écriture du document) du projet est-elle de la


responsabilité de:
O Direction financière
O Contrôle de gestion
O Audit interne
O Direction générale
O Autre: _____________________________

9.8 Existe-t-il une typologie des investissements selon laquelle les projets sont
classés (investissements de productivité, de pénétration de marchés, etc.) ?
O Oui O Non
408

9.9 Pouvez-vous cocher dans la liste ci-dessous les catégories les plus proches de
celles que vous utilisez? Investissements :

O Pour accroître la productivité des moyens de production existants


O Pour accroître la productivité des fonctions tertiaires (ou fonctions de soutien)
O Pour maintenir/rénover les capacités existantes
O Pour réaliser des opérations de progrès dans le domaine de la qualité
O De pénétration de marchés avec de nouveaux produits
O De recherche
O Correspondant au développement interne de nouveaux produits
O Pour amélioration de procédés
O Pour réduire la consommation énergétique
O Pour mise en conformité réglementaire d'installations (pollution, etc.)
O Pour amélioration des conditions de travail (au-delà des obligations légales)
O Pour communication interne
O Pour communication externe
O de remplacement
O autre Merci de préciser : _____________________________________

9.10 Utilisez-vous des démarches d'analyse des dossiers d'investissement différentes


selon la catégorie du projet? O Oui O Non

9.11 La procédure est-elle fonction du montant de l'investissement ?


O Oui O Non

9.12 La procédure prévoit-elle que les dossiers doivent contenir :


(Cocher les cases adéquates)

9.13 Pour l'étude de rentabilité (si celle-ci est réalisée), utilisez-vous :


(Cocher les cases adéquates)
O le taux interne de rentabilité ?
O la valeur actuelle nette ?
O la période de remboursement simple (pay-back time) ?
O des critères issus de la théorie des options ?
O autres ? _____________________________
409

9.14 Est-ce que la méthode d'évaluation utilisée pour l'étude de rentabilité dépend
du style d'investissement? O Oui O Non

9.15 Pour l'étude de rentabilité (si celle-ci est réalisée), le taux d'actualisation est-il
défini :
(Cocher les cases adéquates)
O forfaitairement ?
O en tenant compte d'une prime de risque propre au secteur d'activité?
O en tenant compte d'une prime de risque propre au projet?
O en utilisant le coût moyen pondéré du capital de l'entreprise ?
O en utilisant, pour le coût des fonds propres, le MEDAF (ou CAPM)?
O en tenant compte des conditions spécifiques de financement du projet

9.16 Pour l'étude de rentabilité (si celle-ci est réalisée), l'horizon des prévisions est-il
avant tout fonction : (cocher les cases adéquates)
O d'une durée fixée à l'identique pour tous les projets?
O de la durée de vie des équipements acquis?
O de l'horizon temps pour lequel il semble possible d'établir des prévisions?
O de la dimension stratégique du projet
O autre ? Merci de préciser :

9.17 Pour l'étude du risque (si celle-ci est réalisée), recourez-vous aux techniques
suivantes :
(Cocher les cases adéquates)
O analyse de sensibilité
O analyse de scénarios
O recherche de points morts
O simulation probabilisée

9.18 Existe-t-il une procédure formelle qui décrit les étapes que doit suivre un
dossier d'investissement : O Oui O Non

9.19 Les étapes que doit suivre un dossier d'investissement sont-elles fonction :
(Cocher les cases adéquates)
O du montant de l'investissement?
O de la catégorie de l'investissement?

9.20 Dans le cas d'un investissement en matériel (de production, de bureau,


informatique, etc.), la consommation énergétique du matériel considéré est-elle un
critère pris en compte ? O Oui O Non

9.21 En règle générale, quelle est l’importance accordée à l’efficacité énergétique


dans les décisions d’investissement ?
Merci de classer par ordre d’importance (1 = le plus important - 5 = le moins important) __________
410

ACCEPTATION DES DOSSIERS

9.22 Quel est le rôle des calculs de rentabilité prévisionnelle dans le choix (cocher la case
adéquate) :
O Décisif?
O Important?
O Assez important?
O Marginal?

9.23 Citez par ordre d'importance les trois facteurs qui pèsent le plus sur une
décision d'investissement :
Facteur Importance (1 = le moins important, 3 = le plus important)
_______________________________________________ ________
_______________________________________________ ________
_______________________________________________ ________

9.24 Quel est le pourcentage approximatif de projets qui parvient au stade de la


décision finale? __________________% O Ne sait pas

9.25 Quel est le pourcentage de projets approximatif qui est refusé au stade de la
décision finale? __________________% O Ne sait pas

ALLOCATION DES BUDGETS

9.26 Les enveloppes budgétaires sont-elles déterminées avant que soit établie la liste
des investissements proposés ? O Oui O Non

9.27 Existe-t-il une répartition des enveloppes budgétaires par métier et/ou par
filiale avant prise en considération des projets d'investissement ?
O Oui O Non

9.28 Le cas échéant, cette répartition est avant tout fonction :


O de la rentabilité respective des différentes activités
O des objectifs stratégiques de l'entreprise

9.29 La détermination des montants globaux d'investissement est fonction (classer


par ordre d'importance):
Importance (1 = le plus important ; 5 = le moins important)

Du cash-flow disponible après paiement des dividendes ___________


Des choix de l'entreprise en matière de politique d'endettement ___________
De l'attrait des projets d'investissement (rentabilité espérée) ___________
411

9.30 Quels sont les critères qui font passer une dépense en charge (CPP) ou à l'actif
(Bilan)
(cocher les cases adéquates) :
O Caractère stratégique pour l'entreprise
O Son lien avec le métier de l'entreprise
O Les normes comptables de l'entreprise
O Immobilisation du capital
O La politique financière de l'entreprise. Merci de préciser ________________
______________________________________________________________

9.31 Souscrivez-vous aux affirmations suivantes (cocher les cases adéquates) :

• On trouve toujours de l'argent pour financer un bon projet. О Oui О Non


• Il ne suffit pas qu'un projet soit rentable pour qu'il soit réalisé. О Oui О Non
• Il peut arriver qu’un projet soit réalisé même s’il n’est pas rentable.
Si oui, pour quel(s) motif(s) ? _______________________ О Oui О Non
• Un projet doit avant tout permettre la mise en œuvre des objectifs
stratégiques de l'entreprise. О Oui О Non
• Plus qu'un instrument d'aide à la décision, la procédure de gestion
des investissements est un outil permettant de systématiser la
communication entre les différents niveaux hiérarchiques de l'entreprise. О Oui О Non
• Plus le niveau d'incertitude auquel est confrontée l'entreprise est
important, moins les procédures formelles d'analyse de la rentabilité О Oui О Non
des investissements sont utiles.
• Plus l'entreprise dispose de ressources financières, moins les procédures
formelles d'analyse de la rentabilité des investissements sont utiles О Oui О Non
• L'évaluation financière des investissements est un préalable à l'analyse
approfondie des dossiers d'investissements. О Oui О Non
• L'évaluation financière des investissements a, au bout du compte,
peu d'influence sur la décision finale. О Oui О Non
• L’évaluation d’un projet d’investissement stratégique est fondée
sur l’intuition plus que sur les chiffres et l’analyse О Oui О Non
• Les décisions d'investir sont influencées par les rapports de force
entre les différents départements de l'entreprise О Oui О Non
• L'existence d'un "champion" soutenant un projet d’investissement
est est déterminante pour l’adoption de celui-ci. О Oui О Non

Commentaires éventuels :

________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
412

10. Politique d'investissement en efficacité énergétique (en


technologies réduisant la consommation d’énergie)
10.1 Des investissements en efficacité énergétique ont-ils déjà été décidés par votre
entreprise (investissements dont le premier objectif est la réduction de la
consommation énergétique) ?
O Oui O Non

10.2 Quel est le pourcentage d’investissement en efficacité énergétique de


l’entreprise par rapport à l’investissement total réalisé lors de la dernière période
comptable : _________ %

10.3 Combien d’investissements en efficacité énergétique ont-ils été décidés durant


les 3 dernières années : _____________ O Ne sait pas

10.4 Combien d’investissements en efficacité énergétique ont-ils été réalisés durant


les 3 dernières années : _____________ O Ne sait pas

10.5 Le cas échéant, si une étude de rentabilité a été réalisée pour ces
investissements, quelle méthode d'évaluation a été utilisée (cocher les cases adéquates) :

O le taux interne de rentabilité ?


O la valeur actuelle nette ?
O la période de remboursement (payback time) ?
O des critères issus de la théorie des options ?
O autres ? _____________________________

10.6 Pour l'étude de rentabilité (si celle-ci a été réalisée), quel était l'horizon du
projet (en nombre d'années) ? ________ années

10.7 Le cas échéant, avez-vous utilisé un taux actuariel particulier pour cette
catégorie d’investissements (efficacité énergétique et/ou production d’énergie)
O Oui O Non
Si oui, lequel ? ______________________________________________________
Si oui, pourquoi ? ______________________________________________________

10.8 Des investissements en production d’énergie (cogénération, énergies


renouvelables) ont-ils déjà été décidés par votre entreprise ?
O Oui O Non

10.9 Quelles sont trois mesures qui pourraient permettre de réduire la


consommation énergétique dans votre entreprise:
Mesure 1 ______________________________________________________
Mesure 2 ______________________________________________________
Mesure 3 ______________________________________________________

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