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Les Déterminants Ide Intérésant
Les Déterminants Ide Intérésant
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Cooremans, Catherine
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LES DETERMINANTS DES INVESTISSEMENTS EN EFFICACITE
ENERGETIQUE DES ENTREPRISES
Dimensions stratégique et culturelle de la décision d'investir
Thèse N° 736
Genève, le 29 septembre 2010
La Faculté des sciences économiques et sociales, sur préavis du jury, a autorisé
l’impression de la présente thèse, sans entendre, par là, n’émettre aucune opinion
sur les propositions qui s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la
responsabilité de leur auteur.
Le doyen
Bernard MORARD
La rentabilité est un facteur secondaire dans les choix d'investissement des entreprises.
Le caractère stratégique de l'investissement est le facteur d'influence prioritaire dans ces
choix. En contradiction avec l'approche dominante économico-financière, telle est la thèse
soutenue dans la recherche. Elle est formulée et développée en appliquant les concepts et
résultats des domaines de la décision stratégique et de la finance organisationnelle au domaine
de la décision d'investissement en efficacité énergétique.
Cette approche conduit à aborder sous un angle complètement nouveau la question de
l'"energy-efficiency gap", ce déficit d'efficacité énergétique souvent observé dans les
entreprises, qui se traduit par un potentiel rentable d'économies d'énergie.
I
Dans ce contexte, les questions de recherche suivantes sont formulées:
Ces questions n'ont pas trouvé de réponses satisfaisantes à ce jour. Elles prennent une
importance nouvelle dans un monde menacé par le changement climatique et l'insécurité
énergétique: l'efficacité énergétique1 est en effet le moyen le plus efficace, le plus rapide et le
plus économique de lutter contre ces problèmes.
Pour répondre à ces questions, un cadre conceptuel est proposé après avoir effectué
une exploration théorique de la décision d'investir dans le domaine de la décision dans les
organisations. J'ai construit le schéma ci-dessous pour le représenter.
Contexte externe
Facteurs environnementaux
Contexte interne
Facteurs organisationnels
Processus d’investissement
Build up Evaluation Mise en
Initial idea Diagnosis
solutions & Choix œuvre
Caractéristiques de l’investissement
Caract. analytiques, contenu, nature stratégique
Acteurs
Facteurs individuels
1
Energy efficiency refers to the ratio between energy output (services such as light, heat and mobility) and input
(fuels).” (IEA, 2002, p. 3).
II
Comme le montre ce schéma, quatre catégories de facteurs influencent les choix
d'investissement des organisations. Ces catégories sont les suivantes : le processus décisionnel
et les contextes organisationnel et externe dans lesquels ce processus décisionnel est inséré;
les acteurs participant au processus et, enfin, les caractéristiques de la décision d'investir elle-
même. Parmi les caractéristiques, la nature stratégique de l'investissement considéré est un
facteur décisionnel important, plus important que la rentabilité.
Au terme d'une exploration théorique des notions de stratégie et de décision
stratégique (voir pp. 192 et ss.), une définition de la décision stratégique d'investir est
proposée, qui est la suivante : une décision d'investissement est stratégique si elle contribue à
créer, maintenir ou développer un avantage concurrentiel durable. Cette définition implique
d'une part qu'une décision n'est pas simplement stratégique ou non stratégique, mais plus ou
moins stratégique – ou non stratégique. Cette définition implique d'autre part que la
contribution à l'avantage concurrentiel est la composante principale du caractère stratégique
de la décision d'investissement.
Deux grands courants de la littérature en management stratégique ont prôné les
moyens permettant de construire ou de développer l'avantage concurrentiel : l'approche par les
activités et l'approche par les ressources. Ces deux courants s'accordent sur le concept d'un
avantage concurrentiel à deux composantes : d'une part la valeur de l'offre qu'une entreprise
propose à ses clients et, d'autre part, les coûts qu'elle supporte pour construire cette offre.
Cette approche d'un avantage concurrentiel à deux dimensions – valeur et coûts –
semble cependant incomplète : il y manque la dimension du risque. En effet, toute décision
comporte une part de risque, puisqu'une décision consiste à faire un choix dans l'incertain2.
Différents cadres théoriques – risque stratégique, dépendance des ressources et RBV
conduisent à prendre le risque en compte comme la troisième composante de l'avantage
concurrentiel, en complément des dimensions valeur et coût identifiées plus haut. Selon
l'analyse menée dans la section Mesure de l'avantage concurrentiel du chapitre Méthodologie
(voir pp. 248 et ss.), il convient de définir l'avantage concurrentiel comme un concept
tridimensionnel, formé de trois composantes interreliées : coûts – valeur – risques. J'ai
construit le schéma ci-dessous pour représenter très simplement ces trois dimensions.
2
Selon la définition donnée p. 116.
III
Valeur
Coûts Risque
Cependant les investissements ne sont pas stratégiques – ou pas seulement – pour des
raisons objectives. Ils sont interprétés comme tels par les décideurs, et par les organisations,
notamment par l'intermédiaire des systèmes de contrôle, ou de gestion, qui jouent un rôle de
filtre.
Basée sur le cadre théorique de la décision d'investissement résumé très brièvement ci-
dessus3, la thèse suivante est formulée, en réponse aux questions de recherche :
Pour compléter cette assertion, deux hypothèses sont formulées, en réponse aux
questions de recherche :
3
Décrit plus longuement p. 232 et ss.
IV
3. Méthodologie
Pour tester ces hypothèses, la recherche empirique a été menée avec le concours du
Service Cantonal de l'Energie de Genève, dans le cadre du programme genevois de réduction
de la demande d'électricité, NOE, toujours en cours actuellement, dont l'objectif est de réduire
la consommation électrique des bâtiments ou des sites industriels, toutes activités confondues,
qui consomment plus de 1 GWh d'électricité par an. Les entreprises, administrations
publiques et organisations internationales participantes, "les requérants", postulent de manière
volontaire. Cent trente bâtiments ou sites participent au programme, qui totalisent environ
22% de la consommation totale d'électricité du canton de Genève. Ces bâtiments
correspondent à environ 70 requérants, dont cinquante-neuf entreprises. Trente-cinq de ces
entreprises (voir p. 263 et ss.) ont participé à l'enquête, qui a consisté en deux volets
complémentaires (voir p. 268 et ss.) : interviews et questionnaires s'adressant aux
responsables de l'énergie dans les entreprises; questionnaires s'adressant aux responsables
financiers.
4. Résultats et discussion
4
Plusieurs recherches empiriques ont montré l'importance des facteurs stratégiques dans la prise de décision et
du lien entre décisions d'investissement et objectifs ou enjeux stratégiques de l'entreprise : non seulement celles
de De Bodt et Bouquin (2001) et Van Cauwenbergh et al. (1996), reprises pour la présente recherche, mais aussi
celles d'Alkaraan et Northcott (2007, 2006); Burcher et Lee (2000); Butler (1991); Carter (1971); Carr et
Tomkins (1996); Maritan (2001); Putterill, Maguire, Sohal (1996); Segelod (1995). Voir p. 176 et ss.
V
entreprises, les catégories utilisées le plus fréquemment sont les catégories en lien avec le
métier (voir p. 271 et ss.).
En ce qui concerne plus précisément les investissements en efficacité énergétique (voir
p. 285 et ss., et p. 292 et ss.), trois conclusions principales se détachent des résultats de la
recherche empirique: premièrement, les investissements en efficacité énergétique sont perçus
en moyenne comme peu stratégiques par les managers du secteur secondaire et comme
modérément stratégiques par les managers du secteur tertiaire. L'hypothèse no. 1 est donc
corroborée pour les entreprises du secteur secondaire et partiellement corroborée pour les
entreprises du secteur tertiaire. Deuxièmement, des trois variables qui composent le caractère
stratégique de l'investissement, c'est la variable "coûts" qui est perçue comme étant la plus
importante. Cependant les coûts énergétiques sont perçus comme peu importants par les
managers finance, et la perspective d'une réduction des coûts n'est donc pas une motivation
très puissante pour une décision d'investissement. Le poids de la logique financière doit à
nouveau être relativisé. La troisième conclusion importante à retirer des résultats de la
recherche est celle de la diversité des comportements et des interprétations d'une entreprise à
l'autre – y compris des entreprises actives dans le même secteur d'activités – et d'un manager à
l'autre. Cette diversité se manifeste dans tous les domaines analysés par la recherche :
procédures générales d'investissement (méthodes d'analyse et d'évaluation de la rentabilité,
fixation du taux d'actualisation et durée de l'investissement), comportement d'investissement
en efficacité énergétique, évaluation du caractère stratégique de cette catégorie
d'investissement, évaluation des facteurs stimulants et bloquants ces investissements, niveau
de gestion de l'énergie.
A propos de la dimension culturelle des investissements en efficacité énergétique,
quatre conclusions importantes peuvent être tirées des résultats de la recherche :
premièrement, le lien entre le niveau de gestion de l'énergie de l'entreprise et la perception du
caractère stratégique des investissements en efficacité énergétique n'est pas établi (voir p. 310
et ss.) et l'hypothèse 2 n'est pas validée par la recherche; deuxièmement, des influences
culturelles jouent néanmoins, de façon incontestable, un rôle important sur les perceptions que
se font les gestionnaires de ces investissements et expliquent, au moins en partie, les
différences de comportement entre entreprises; troisièmement, la culture de l’entreprise joue
un rôle plus important que la culture du secteur d’activité; quatrièmement, le niveau
généralement bas de la gestion de l'énergie dans les entreprises est un résultat qui n'est pas
anodin et mérite discussion.
VI
La thèse énoncée peut être considérée comme raisonnablement5 validée dans sa
première partie : un potentiel rentable d'économies d'énergie (energy-efficiency gap)
existe dans les entreprises principalement parce que les entreprises considèrent comme
faiblement stratégiques les investissements en efficacité énergétique qui permettraient de
réduire ce potentiel"; et comme non validée dans sa deuxième partie, qui proposait que "la
perception du caractère stratégique de l’investissement est influencée par le niveau de
gestion de l’énergie des entreprises, ce qui explique, au moins en partie, les différences
de comportement entre entreprises".
5. Conclusion
5
Elle n'est pas totalement validée car les entreprises du secteur tertiaire de l'échantillon considèrent comme
"moyennement" stratégiques ces investissements. Ce point mérite aussi une recherche plus approfondie.
6
Dans le domaine de recherche des investissements en efficacité énergétique.
VII
d’investissement. Le deuxième axe de recherche concerne les investissements en efficacité
énergétique.
Le modèle théorique proposé est validé comme un outil utile pour analyser les choix
d'investissement des entreprises (et donc, si nécessaire, pour les influencer en amont). La
recherche confirme en effet que la décision d'investir n'est pas le résultat d'une évaluation
financière; elle est le produit du déroulement complexe d'un processus influencé par les
perceptions et le pouvoir des acteurs, par le contexte, et par les caractéristiques du projet
d'investissement lui-même, en particulier son caractère plus ou moins stratégique. Il n'y a pas
de choix optimal en matière d'investissement. Il n'y a pas une rationalité mais des rationalités,
entendues comme les raisons qui sous-tendent les choix des agents économiques, individus et
organisations. L'approche interprétative7 qui sous-tend cette analyse conduit à conclure au
caractère normatif – par opposition à descriptif – de la théorie économique des choix
d'investissement, en relativisant le rôle de la rentabilité, qui est au cœur de cette théorie. Cette
approche conduit aussi à questionner le pouvoir explicatif du modèle de la rationalité limitée
(modèle explicatif "élargi" de l'approche économique8), en mettant en évidence des influences
culturelles qui, en modifiant les interprétations des décideurs, jouent un rôle qui va au-delà de
celui des biais cognitifs mis en exergue par cette théorie.
Ce modèle de la décision d'investir permet de mieux comprendre pourquoi, dans de
nombreux cas, les propositions d'investissements en efficacité énergétique aboutissent à des
non-décisions (en restant en suspens dans les tiroirs des décideurs, comme c'est le cas pour de
nombreux audits énergétiques), ou à des décisions négatives. Au terme de la recherche
théorique et empirique menée au carrefour des domaines de l'économie de l'énergie et de la
décision dans les organisations, l'explication proposée est que l'absence de lien (perçu) avec le
métier conduit à ce qu'un investissement soit catégorisé comme non stratégique, ce qui
implique qu'il sera soumis à des critères de choix plus durs (par exemple un pay-back simple
de très courte durée) et à des restrictions en capital. La mise en évidence du rôle joué par
la/les cultures présentes dans les entreprises sur la perception du caractère stratégique de
l'investissement en efficacité énergétique, permet d'expliquer les différences de comportement
ayant été observées entre entreprises appartenant au même secteur d'activité et présentant les
mêmes caractéristiques.
7
Voir p. 205 et ss.., p. 219 et ss...
8
Voir p. 67 et ss.
VIII
Cette analyse conduit aussi à revisiter le concept de barrières organisationnelles à
l'efficacité énergétique et à proposer une explication nouvelle à l'existence d'un "energy
efficiency gap", cette situation étrange dans laquelle des entreprises à but lucratif, négligent
des sources d'accroissement de leur profit. Notre modèle théorique de la décision d'investir,
et les résultats de la recherche empirique, conduisent en effet, en alternative à l'approche
dominante des économistes de l'énergie, à proposer un autre modèle explicatif des barrières
organisationnelles à l'efficacité énergétique, qui est représenté par le tableau ci-dessous.
Barrière
“cachée”
Barrière
“réelle”
Barrières
“symptômes”
Barrière
“base” Dimension
Caractère culturelle
non
Coûts cachés
stratégique
Accès au capital,
Information Risque, etc.
"Make it strategic!"
XI
Catherine COOREMANS
"If you had to name the world’s largest industry, which would you
pick? No, not the information technology or telecommunications,
nor defence or car manufacturing. Lee Raymond, the chairman of
ExxonMobil has the answer : "Energy is the biggest business in
the world…" The Economist, 8 février 2001.
Remerciements
INTRODUCTION .................................................................................................. 7
"Make it strategic!"..........................................................................................................................362
Introduction
Ressource vitale, l’énergie est au cœur des modes de vie des sociétés industrielles
et post-industrielles. Dans ses formes dominantes - fossiles et nucléaire – l’énergie est à
l’origine de problèmes majeurs et interreliés : changement climatique, sécurité
d’approvisionnement et pollutions diverses. L'efficacité énergétique1 est le moyen le plus
efficace, le plus rapide et le plus économique de lutter contre ces problèmes : certains
équipements ou technologies, plus efficaces, offrent le même service énergétique
(éclairage, chauffage ou mobilité) en consommant moins d’énergie.
Pourquoi des entreprises à but lucratif négligent-elles des opportunités
d'investissement susceptibles d'accroître leur profit ? Cette situation, est souvent
constatée dans le domaine de l'efficacité énergétique. Pour une entreprise, l'amélioration
de l'efficacité énergétique (au moyen de l’adoption d'équipements plus efficaces au plan
énergétique) implique en général une décision d’investissement. Selon les économistes de
l’énergie, alignés sur le courant dominant de la finance d’entreprise, cette décision est
déterminée par la rentabilité de l’investissement, qui doit être analysée au moyen des
différentes techniques d’évaluation mises à disposition par la théorie financière. Au terme
de l'analyse, la décision d’investir est prise dans le respect des principes suivants : tout
investissement dont la rentabilité est supérieure au coût du capital de l'entreprise – ou
bien l’investissement le plus rentable en cas de compétition entre différents
investissements – sera décidé. Or de nombreuses études montrent que, en contradiction
avec ces principes, de nombreuses opportunités d’investissements rentables en efficacité
énergétique2 sont négligées par les entreprises.
Depuis 30 ans, cette situation a engendré une littérature importante autour des
notions de "energy efficiency gap" ou "energy efficiency paradox". Différentes
explications ont été proposées, et âprement débattues : les économistes de l'énergie
soutiennent que ces investissements ne sont pas décidés parce que leur rentabilité n'est
qu'apparente (en raison de "coûts cachés", de coûts de transaction et en raison d'un niveau
1
Energy efficiency refers to the ratio between energy output (services such as light, heat and mobility) and
input (fuels).” (IEA, 2002, p. 3).
2
Nous définissons l’investissement en efficacité énergétique comme un investissement dans lequel la
réduction de la consommation énergétique (au moyen de technologies plus efficaces) est le/un facteur
prioritaire de décision.
8
élevé de risque) et/ou parce qu'un certain nombre de défauts, dans les marchés de
l'énergie ou dans les organisations (market ou organizational failures) empêchent les
marchés de l'énergie de fonctionner correctement. Cette argumentation n'est pas
satisfaisante pour trois raisons principales : 1) la rentabilité estimée de certains projets est
tellement élevée qu’aucune des explications proposées ne permet d’expliquer pourquoi ils
sont rejetés par l’investisseur potentiel; 2) cette analyse ne permet pas d’expliquer les
différences de comportement qui ont été constatées entre entreprises du même secteur
d’activité; 3) les économistes font mention de coûts cachés mais jamais de "bénéfices
cachés", lesquels ont pourtant été démontrés solidement3. Un courant de recherche
"alternatif" au mainstream des économistes de l'énergie met en évidence le rôle de
nombreux facteurs humains et organisationnels sur la décision d'investir, rôle qui
relativise ipso facto l'importance décisionnelle des critères financiers de rentabilité; il
constate l'importance du lien entre l'investissement et le métier de l'entreprise, et le rôle
joué par la culture organisationnelle de l'efficacité énergétique sur la décision d'investir,
mais il n'explique pas les modalités de ces influences faute d'un cadre théorique.
Ces questions n'ont pas trouvé de réponses satisfaisantes à ce jour. Elles prennent
une actualité nouvelle dans un monde préoccupé par la question du changement
climatique. L'enjeu est important : répondre à ces questions permettrait de mieux
comprendre le comportement des entreprises (increasing knowledge), et in fine
d’améliorer les programmes publics de promotion de l’efficacité énergétique (translating
knowledge into action), avec des effets favorables sur les problématiques de l’énergie.
3
Voir à ce sujet la littérature sur les bénéfices indirects aux investissements en efficacité énergétique.
9
Deux domaines de recherche peuvent fournir des éléments de réponse : d’une part
le domaine de la finance organisationnelle, qui a montré l’influence de la dimension
stratégique de l’investissement sur la décision d’investir ainsi que l’influence de la
culture des décideurs sur la décision et sur le processus d’investissement; d’autre part, et
surtout, le vaste domaine de la décision dans les organisations - dans lequel s'inscrivent
les recherches de la finance organisationnelle - qui a mis en évidence l’influence
déterminante de trois autres catégories de facteurs : les acteurs impliqués dans le
processus décisionnel, les contextes interne et externe du processus d'investissement et,
last but not least, les caractéristiques de la décision considérée.
Le cadre conceptuel que je propose après avoir effectué une exploration théorique
de la décision d'investir dans le domaine de la décision dans les organisations, me conduit
à formuler la thèse suivante :
Pour compléter cette assertion, les hypothèses suivantes sont formulées, basées
sur le modèle théorique et en réponse aux questions de recherche, relativement aux
dimensions stratégique et culturelle des décisions d'investissements :
Pour tester ces hypothèses, la recherche empirique a été menée avec le concours
du Service Cantonal de l'Energie de Genève, dans le cadre du programme genevois de
réduction de la demande d'électricité, NOE, toujours en cours actuellement. L'objectif de
ce programme est de réduire la consommation électrique des bâtiments ou des sites
industriels, toutes activités confondues, qui consomment plus de 1 GWh d'électricité par
an. Les entreprises, administrations publiques et organisations internationales
participantes, "les requérants", postulent de manière volontaire. Cent trente bâtiments ou
sites participent au programme, totalisant environ 22% de la consommation totale
d'électricité du canton de Genève. Ces bâtiments correspondent à environ 70 requérants,
dont cinquante-neuf entreprises. Trente-cinq de ces entreprises ont participé à l'enquête,
qui a consisté en deux volets complémentaires : interviews et questionnaires s'adressant
aux responsables de l'énergie dans les entreprises; questionnaires s'adressant aux
responsables financiers.
Quelques mots sur la genèse de cette recherche. Au début de mon doctorat, j'ai
assisté à des conférences sur des thèmes de l'énergie. Dans ces conférences, des "success
stories" en matière d'énergies renouvelables ou d'efficacité énergétique étaient présentées,
si convaincantes que je me suis demandé pourquoi les solutions décrites ne se répandaient
pas rapidement et partout. J'ai pensé que c'était parce que les nombreux avantages de ces
solutions n'étaient pas décrits correctement, qu'ils devaient être mis en forme, traduits,
pour mieux correspondre au langage et aux préoccupations de la gestion d'entreprise.
Lors d'un exposé en 2004 devant des dirigeants d'entreprise à l'occasion d'une réunion du
WBCSD4, j'ai alors fait de mon mieux pour montrer en quoi l'efficacité énergétique est
une façon rentable de lutter contre le changement climatique, en utilisant des concepts de
stratégie et de finance d'entreprise. A la fin de mon exposé, l'un de mes auditeurs a dit
quelque chose comme "oui c'est bien, mais c'est cher". Cette remarque m'a étonnée car
elle allait exactement à l'encontre de ce que j'avais essayé de démontrer durant vingt
4
World Business Council for Sustainable Development, Genève.
11
minutes : c'était comme si je n'avais rien dit. C'est probablement à ce moment-là que mes
questions et hypothèses de recherche ont commencé à se former.
Dans l'ensemble, la question de la décision, qu'elle soit individuelle ou collective,
est une question complexe et ardue. Elle l'est d'autant plus que les termes qui sont au
cœur des différentes problématiques du sujet, sont rarement définis dans les textes qui les
utilisent. Il est ainsi extrêmement difficile pour le néophyte de comprendre le sens exact
de termes aussi importants que : comportement, culture, cognition, rationalité, intuition,
jugement. On se dit d'abord innocemment qu'il suffit d'aller examiner les concepts de
base des disciplines concernées pour trouver la réponse. Et l'on se retrouve
immédiatement noyé par une multiplicité de perspectives et de théories plus ou moins
divergentes, sans avoir trouvé les réponses cherchées. On comprend finalement que les
mots eux-mêmes, et leur signification, sont un enjeu entre les différentes théories, et les
différents paradigmes qui englobent ces théories, et que leur signification ou leur emploi
relèvent souvent d'une forme d'idéologie. On passe alors un temps infini à essayer de
trouver le sens, l'essence pourrait-on dire, de certains mots et à identifier les enjeux qui se
cachent derrière leur façade apparemment uniforme et innocente. Durant cette quête, on
réalise avec stupéfaction le cloisonnement généralisé entre les disciplines.
Les première et deuxième parties de ce travail sur les investissements en efficacité
énergétique et sur la décision dans les organisations sont le résultat de cette quête. Leur
rédaction a constitué un exercice difficile, et le résultat est exposé à la critique. Chaque
sujet est présenté de façon à être compréhensible pour des non-spécialistes, et court donc
parfois le risque d'être considéré comme imprécis ou trop généraliste par les spécialistes.
La troisième partie tente de lier les deux domaines discutés dans les 1ère et 2ème partie –
celui des investissements en efficacité énergétique et celui de la décision dans les
organisations. Elle utilise le cadre théorique décrit à la fin de la deuxième partie pour
analyser, selon une approche nouvelle, les décisions d'investissement en efficacité
énergétique. Elle décrit la méthodologie utilisée pour tester les hypothèses énoncées et les
résultats obtenus. La quatrième partie est consacrée à une discussion des résultats et de
leurs implications. Enfin, la conclusion esquisse certaines pistes qui pourraient conduire
les entreprises à prendre un plus grand nombre de décisions positives en matière
d'investissements en efficacité énergétique.
12
“Some crazy-haired visionary may even now be at work on a wondrously efficient, completely
clean power plant on wheels that will heat and light your home as well as serving as a sporty car.”
The Economist, 27 mai 1999.
Le modèle de production d’énergie décrit ci-dessus par The Economist n’est pas
encore d’actualité : la production d’énergie pour les usages de mobilité et de non mobilité
est généralement strictement séparée en deux filières différentes, bien que l'arrivée en
masse, peut-être prochaine, de la voiture électrique puisse changer cette situation.
Cependant, cette citation décrit aussi une situation dans laquelle le consommateur
fabrique lui-même sa propre énergie, sur le lieu de consommation, une situation qui
existe déjà dans la réalité, bien que très marginalement. Le schéma de la page suivante
représente le système énergétique global et la transformation d’énergie primaire en
"énergie utile", réalisée de façon centralisée dans le système énergétique traditionnel (à
gauche de la ligne en pointillés) ou bien de façon décentralisée, du côté de la demande
d'énergie (à droite de la ligne), par les consommateurs eux-mêmes.
Ce schéma montre comment, une fois obtenue par transformation d’énergie
primaire, de façon centralisée ou décentralisée, l’énergie utile (sous ses différentes
formes : électricité, gaz, hydrogène, fuel domestique) est combinée à différents
équipements (technologies & devices, dans le schéma ci-dessus) pour produire les
services énergétiques : chauffage, éclairage, communication, production industrielle, etc.
La notion de service énergétique est fondamentale : les différentes formes d’énergie ne
présentent en effet aucun intérêt intrinsèque. Ce qui est consommé par l’utilisateur final,
c’est le service énergétique, qui pourra être de plus ou moins bonne qualité : éclairage,
chauffage, refroidissement, ventilation, etc.
15
Supply side
Energy production Demand side
Buildings, industry,
CENTRALIZED PRODUCTION transport
Primary energy: oil, gas, coal, nuclear,
renewables DECENTRALIZED ENERGY
Renewables (hydro, wind, solar
thermal, solar photovoltaïque,
Energy efficiency geothermal)
Cogeneration (fuel cell)
Energy efficiency
FINAL ENERGY
Electricity, gas, district
heating, heating oil, wood TECHNOLOGIES
pellets FINAL ENERGY
& DEVICES Electricity, district heat,
domestic fuel
heating oil, natural gas,
Energy efficiency bio gas
ENERGY SERVICES
Heating, lighting, communication, etc
Energy conservation
L'électricité est dite une forme "secondaire" d'énergie, parce qu'on a besoin pour
la produire de sources primaires : pétrole, gaz naturel, charbon, nucléaire, renouvelables.
L’électricité est un flux d’électrons : pour produire de l’électricité, comme l’a
découvert en 1831 le savant anglais Michael Faraday, il faut "détacher" des électrons de
leur atome d’origine: c’est leur mouvement "libre" qui constitue le courant électrique.
Pour "libérer" les électrons, on utilise un générateur constitué d’un aimant tournant à
grande vitesse au centre d’une bobine de fil de cuivre. Faraday a appelé sa découverte
"l’induction électromagnétique".
16
(transformation d’énergie solaire) et la pile à combustible (fuel cell). Ces deux modes de
production permettent des productions décentralisées, à petite échelle.
Dans l'ensemble la production d'électricité aujourd'hui est "centralisée", c'est-à-
dire que l'électricité est produite en grandes quantité par les centrales thermiques – mais
aussi de nos jours parfois par des "wind farms" (des groupements d'éoliennes) - loin de
son lieu de consommation, parfois à des centaines de kilomètres. Elle est ensuite injectée
sur le réseau de transmission (lignes à haute tension) qui la transporte vers des sous-
stations où des transformateurs réduisent la tension (mesurée en volts). Finalement elle
est acheminée sur le réseau local de distribution (lignes à moyenne tension) pour être
enfin livrée aux différents secteurs de consommation, immeubles d'habitation, sites
industriels ou immeubles administratifs ou commerciaux, comme l’illustre le schéma
suivant :
recherche empirique décrite dans la 3ème partie de la thèse5. La deuxième partie brosse un
tableau synthétique des grandes tendances passées et futures en matière de production et
de consommation d’énergie dans le monde. Ces chiffres concerneront tout d’abord les
énergies primaires, puis l’électricité, puisque cette forme d’énergie est celle qui est prise
en compte dans le programme NOE.
5
Voir p. 256 et ss.
19
Le concept de la société à 2000 watts a été développé par des chercheurs des
Écoles polytechniques fédérales (EPF), en collaboration avec différents instituts de
recherche regroupés dans le cadre du projet Novatlantis6, supervisé par le professeur
Eberhard Jochem. Outre le canton de Genève, il a été adopté par les cantons de Bâle,
Zurich et Berne.
L'objectif de la société à 2000 watts est d'amener, d'ici à 2050, chaque habitant de
la planète à utiliser, en moyenne, une puissance continue de 2000 watts. Cela suppose
pour certains habitants, tels les américains du nord, de diviser leur consommation par six
(pour passer des 12'000 watts actuels aux 2'000 watts recherchés), et pour d'autres, tels
les Africains, d'augmenter leur consommation. En Suisse en 2005, la consommation est
d'environ 5000 watts par habitant, un niveau légèrement inférieur à la moyenne
européenne (valeur qui ne tient pas compte de l'énergie grise nécessaire à la fabrication
des produits importés)7.
6
http://www.novatlantis.ch/en/2000-watt-society/white-book.html
7
Plan directeur de l'énergie 2005-2009, p. 11.
20
Deux moyens sont définis pour atteindre la société à 2000 watts sans réduction de
confort et changement drastique de mode de vie, au moyen de technologies déjà
existantes :
• Amélioration de l'efficacité énergétique;
• Augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique
au détriment des énergies fossiles. La part des énergies fossiles devrait
s'abaisser à 500 watts contre plus de 3000 watts en 2005, de façon à permettre
de ramener l'émission moyenne de CO2 par personne et par an de 5 tonnes en
2005 à moins d'une tonne en 2050, autre objectif de la société à 2000 watts.
Objectif Perspectives
Scénario modéré Scénario ambitieux
Etat 1990 Etat 2005 2010 2035 2050 2035 2050
Fossile 3300 3200 3000 2200 1800 1400 500
Renouvelable 700 900 1000 1300 1500 1300 1500
Nucléaire 600 0 0 0 0 0 0
Total 4600 4100 4000 3500 3300 2700 2000
Tableau 1 - Consommation dans le Canton de Genève 1990 – 2050
(Plan directeur de l'énergie de Genève 2005-2009, p. 15)
NOE est un progamme novateur, "à l'époque, un des seuls programmes structurés
de ce genre au monde"8, par la chaîne très complète d’actions qu’il propose, encadre et
finance aux organisations requérantes : bilan énergétique, audit préliminaire multi-
fluides, audit approfondi électrique, mesures d’utilisation rationnelle de l’énergie. Ces
différentes étapes sont illustrées dans la figure suivante :
8
Olivier Ouzilou, email du 24 août 2010.
22
Cette tendance à une forte hausse de la demande d'électricité (1,5-3% par an),
préoccupante à tous égards, correspond aux évolutions en cours actuellement dans les
pays industrialisés. En Chine, la demande d'électricité augmente de 14% par an, ce qui
correspond à un doublement de la demande tous les 5 ans environ. La section suivante
brosse un tableau rapide de la production et de la consommation d'énergies et d'électricité
dans le monde, en récapitulant les évolutions passées et en présentant des chiffres
possibles pour le futur.
23
Les chiffres qui sont indiqués dans les pages suivantes sont issus du World
Energy Outlook 2009 de l’Agence Internationale de l’énergie (AIE). Le World Energy
Outlook, publié chaque année et qui fait autorité dans le domaine de l’énergie, propose
une représentation modélisée du système énergétique mondial et des différents
paramètres qui influenceront son évolution future. A cet égard, souvenons-nous
cependant que les modèles se trompent souvent et qu’un scénario – y compris un scénario
de référence - n'est jamais qu'une évolution possible, parmi une multitude d'autres.
L'énergie primaire sert à produire de l'électricité, mais elle permet aussi le
transport des biens et des personnes, la production de produits agricoles ou industriels,
ainsi que le chauffage et la cuisson des aliments. Les besoins en énergie primaire,
multipliés par la croissance de la population et de l'économie mondiales ainsi que par les
changements de mode de vie, sont en augmentation constante et soutenue, depuis les
premiers âges de la révolution industrielle.
De 1973 à 2007, comme le montre le graphique de la page suivante de l'Agence
Internationale de l'Energie (AIE/IEA, 2009b), la production mondiale d'énergie primaire
a pratiquement doublé, passant de 6.115 Mtoe à 12.029 Mtoe9. La part de l'énergie fossile
dans le total a décru quelque peu, passant de 86,6% à 81,4%. La différence est comblée
par l'énergie nucléaire qui passe de 0,9% à 5,9%. Le pourcentage d'énergies
renouvelables (hydraulique, biomasse et déchets, et autres10) est resté constant, à environ
12% du total.
9
Millions de tonnes équivalent pétrole, l'unité de mesure commune à toutes les formes d'énergie primaires.
10
La catégorie "autres", qui est passée de 0,2 à 1,1% de 1973 à 2007, comprend les énergies solaire,
éolienne, chaleur et géothermique. Il faut noter que l'expression "combustible renewables" fait référence
surtout aux forêts, dont le bois est brûlé pour le chauffage ou la cuisson des aliments.
24
Figure 7 – IEA (2009b, p. 5). World Total Primary Energy Supply by Fuel
Dans les pays de l'OCDE, l'augmentation durant la même période n'est "que" de
46%, mais la progression du nucléaire est assez spectaculaire (qui passe de 1,3 à 10,9%
du total), tandis que la part de l'ensemble des renouvelables dans le total progresse de
moins de 3%, en passant de 4,6% en 1973 à 7,2% en 2007 du total de l'offre d'énergie
(IEA, 2009b).
Figure 8 – IEA (2009b, p. 24). Evolution from 1971 to 2007 of world electricity
generation by fuel (TWh)11
11
”Other includes geothermal, solar, wind, combustible renewable& waste, and heat” (IEA, 2009 b., p. 24).
25
Les éléments les plus importants à relever dans le graphique ci-dessus sont les
suivants : de 2007 à 2030, la demande mondiale d'énergie primaire augmente d'environ
35% (après une baisse en 2009, qui est dûe aux répercussions économiques de la crise
financière). La hausse la plus importante en volume est celle de la demande de charbon
qui croît à un taux annuel de 1,9% (plus de la moitié de cette demande future est d'origine
chinoise, la Chine étant le 1er producteur mondial de charbon), suivie par le gaz naturel
(1,5% de hausse annuelle) et le pétrole. La demande pour les "nouvelles" ou "modernes"
énergies renouvelables (énergies éolienne, solaire, géothermale, marée motrice et vagues,
par opposition à la classique énergie renouvelable hydraulique) augmente fortement en
volume, mais elle reste marginale dans le total, passant de 1% de la demande mondiale
d'énergie en 2007 à 2% en 2030. Par conséquent, en 2030, selon le scénario de référence
de l'AIE, les énergies fossiles restent de loin les sources d'énergie dominantes : leur part
en volume dans la demande mondiale d'énergie primaire reste stable à 80% (en baisse de
1% par rapport à 2007). La part du pétrole, première énergie en volume, baisse de 34% à
12
IEA, 2009a, p. 75.
26
30%, tandis que celle du charbon, deuxième énergie en volume, augmente de 27 à 29%13.
Selon les projections du scénario de référence du weo2009 (IEA, 2009a, p. 76), 90% de la
hausse de la demande pendant la période 2007-2030 a lieu dans les pays non-membres de
l'OCDE (en particulier la Chine et l'Inde).
En ce qui concerne l’électricité, les chiffres sont encore plus impressionnants. En
effet, pendant que la production d'énergie primaire doublait, entre 1973 et 2007, la
production mondiale d'électricité faisait plus que tripler, comme le montre le graphique
de la page suivante, alimentée en particulier par une forte demande dans les pays non-
OCDE. Durant cette période, la part de l'OCDE dans le total a en effet diminué de 72,9%
à 53,9%, tandis que celle de la Chine passait de 2,8% à 16,8%. Les chiffres sont bien sûr
très différents d'un pays à l'autre. En voici quelques exemples pour l'année 2007 qui
donnent un ordre de grandeur en matière de consommations14 : Suisse 61,64 TWh15,
Allemagne 591,03 TWh, Russie 897,68 TWh, Chine 3.072,67 TWh, USA 4.113,07 TWh.
Comme celle de la demande d'énergie primaire, la hausse globale de la demande
d'électricité est liée à celle de la population mondiale et à la croissance économique, ainsi
qu'aux changements de mode de vie. Cependant, en 2007, 1,5 milliard d'habitants de la
planète n'ont toujours pas accès à l'électricité (weo 2009a, p. 109). En Suisse en 2007, la
consommation d'électricité à augmenté de 2,3%16.
Comme on le voit à la lecture du graphique ci-dessous, la génération d'électricité
au niveau mondial est basée sur l'utilisation intensive d'énergies fossiles (charbon, gaz,
pétrole), bien que leur part dans le total soit en baisse : 68% en 2007 contre 75,1% en
1973. En ce qui concerne le mix énergétique utilisé pour produire l'électricité, les
évolutions marquantes sont les suivantes : remplacement du pétrole par le gaz naturel ou
par le nucléaire, augmentation légère de la proportion du charbon dans le total, baisse
13
IEA weo 2009, pp. 97-98.
14
La consommation d'électricité est égale à la production brute (qui inclut la consommation des centrales
pour compte propre) + imports – exports – pertes de transmission/distribution.
15
L'unité de mesure de l’électricité est le watt. Un kilowatt représente 1.000 watts ; l’électricité qu’une
centrale produit ou qu’un utilisateur consomme sur une période de temps donnée est mesurée en
kilowattheure (KWh) : un kilowattheure est égal à l’énergie de 1000 watts consommée en une heure. Un
megawattheure (MWh) est égal à un million de wattheures, un gigawattheure est égal à un milliard de
wattheures et un tetrawattheure (TWh) est égal à un trilliard de wattheures.
16
Office fédéral de l'énergie (OFEN), Statistique suisse de l'électricité 2008, Berne
27
sensible de l'énergie hydraulique (qui passe de 21% à 15,6%), légère progression des
autres renouvelables.
Figure 10 - IEA (2009b, p. 24). 1973 and 2007 fuel shares of electricity generation.
17
US Energy Information Administration,
http://tonto.eia.doe.gov/energyexplained/index.cfm?page=electricity_in_the_united_states
18
Office fédéral de l'énergie (OFEN), Statistique suisse de l'électricité 2008, Berne
28
19
La production d'électricité inclut la demande finale d'électricité, les pertes de transport sur le réseau,
l'utilisation pour compte propre des centrales électriques et "l'autre secteur énergétique" (IEA, 2009a, p.
97).
29
demande d'électricité dans les pays asiatiques est projetée partout comme étant supérieure
à 4,5% par an.
Figure 12 - Figure 9. IEA (2009, p. 96), Final electricity consumption by region in the
Reference Scenario (TWh), WEO 2009.
En résumé, on peut dire que les évolutions les plus importantes pour les 20
prochaines années, à retenir du scénario de référence du weo2009, sont les suivantes :
augmentation de la demande d'énergie primaire de 35% avec un pourcentage d'énergies
fossiles stable dans le total à environ 80%, augmentation de la production d'électricité de
41%, augmentation de la part du charbon dans le mix énergétique mondial (29% de la
demande mondiale d'énergie primaire, en 2ème place derrière le pétrole, 44% du mix de
génération d'électricité, à la 1ère place, très loin devant le gaz naturel).
Comme nous le rappelle l'AIE (weo 2009, p.75), le scénario de référence du
World Energy Outlook "provides a baseline picture of how global energy markets would
evolve if the underlying trends in energy demand and supply are not changed".
Autrement dit, il décrit un futur dans lesquels les gouvernements ne font aucun
30
changement dans les politiques existantes, qui sont susceptibles d'affecter le secteur de
l'énergie. Les projections de ce scénario ne peuvent donc en aucune façon être
interprétées comme des prévisions de ce qui se passera réellement, dans la mesure où il
devient de "plus en plus probable" que les gouvernements prendront des mesures
rigoureuses pour relever les défis énergétiques qui se posent. En particulier, "le
changement climatique pourrait devenir le moteur principal des politiques dans ce
domaine dans les prochaines décades"20. Cette déclaration, formulée avant la 15ème
Conférence des parties (COP) de la Convention-cadre des Nations Unies sur les
changements climatiques21, qui s'est tenue à Copenhague en décembre 2009 avec
l'objectif de définir un "après-Kyoto 2012", peut sembler optimiste en regard de
l'incapacité que les Etats ont montrée à s'entendre sur des objectifs ambitieux, précis et
contraignants de réduction des gaz à effet de serre (GES). Pourtant les défis énergétiques
à relever sont de taille, comme nous allons le voir maintenant, et les tendances actuelles
du système énergétique mondial les amplifient au lieu de les réduire.
20
"As explained in the Introduction, the Reference Scenario describes a future in which governments are
assumed to make no changes to their existing policies and measures insofar as they affect the energy sector.
The projections in this scenario are most definitely not a forecast of what will happen: we do not expect
governments to do nothing. On the contrary, it is becoming increasingly likely that governments around the
world will take rigorous action to address the central energy challenges that we have identified in past
Outlooks — climate change, energy security and energy poverty — and put the global energy system onto a
more sustainable path. Climate change could become the main driver of policy in the coming decades. A
critical factor will be the outcome of the climate negotiations in Copenhagen in December 2009 and how
the commitments adopted there are implemented. But we cannot know exactly what governments will
decide to do." (IEA, World Energy Outlook 2009, p. 76).
21
http://unfccc.int/essential_background/items/2877.php
31
22
"Notre dépendance envers les importations augmente. À moins d’améliorer la compétitivité de l’énergie
autochtone, les importations – dont certaines en provenance de regions menacées d’insécurité – couvriront
d’ici 20 à 30 ans environ 70 % des besoins de l’Union en énergie, contre 50 % aujourd’hui. Les réserves
sont concentrées dans quelques pays. Actuellement, la moitié environ du gaz consommé dans l'UE provient
de trois pays seulement (Russie, Norvège, Algérie). Si les tendances actuelles se maintenaient, la part du
gaz importé passerait à 80 % du total au cours des 25 années à venir." Commission des communautés
européennes (2006a), p. 3.
23
Ces chiffres sont extraits des chiffres de l'Agence internationale de l'énergie (IEA, 2009b), Key World
Energy Statistics.
24
Energy Information Administration (2009), p. 8. http://www.eia.doe.gov/oiaf/aeo/overview.html
32
25
http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/21/02/ind32.indicator.72508.3211.html
33
partie par la hausse de la concentration des gaz à effet de serre (GES) émanant d’activités
humaines. Les conséquences du réchauffement, bien qu’encore incertaines, seront
dévastatrices et les coûts du réchauffement énormes.
En 2007, la combustion d'énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole) est à l’origine
de 80-85% des émissions de GES des pays industrialisés26. Le premier gaz en quantité
émise est le gaz carbonique ou dioxyde de carbone (CO2). Il représente à lui seul environ
80% du total des émissions (ramenées en CO2 équivalent, l'unité de mesure commune)27.
Les déterminants principaux des émissions dues à la consommation d'énergie sont les
suivants :
Population (nombres et modes de vie).
Economie : état (croissance, décroissance, etc.), structure (importance relative des
différents secteurs) et intensité énergétique.
Efficacité énergétique : elle décrit la relation entre input et output énergétiques,
c'est-à-dire le rendement des différentes opérations de transformation, de transport
et de conversion de l'énergie, de l'énergie primaire à l'énergie utile (voir p. 38).
Mix énergétique : le contenu en carbone varie d'une source primaire d'énergie à
l'autre. Lors de sa combustion, le charbon émet presque deux fois plus de GES
que le gaz naturel et environ 40% de GES de plus que le pétrole. L’énergie
nucléaire n'entraîne des émissions que lors des opérations d'extraction et de
transport des matières nucléaires. Les énergies renouvelables n’émettent pas de
GES, (mais des émissions sont associées à la production des différents
équipements, ou à l'utilisation d'engrais et de carburant pour la culture de la
biomasse).
La production d'électricité entraîne des émissions de gaz à effet de serre très
différentes, en fonction du contenu en carbone plus ou moins élevé des énergies primaires
utilisées. Le graphique ci-dessous indique le "contenu en gaz à effet de serre" (kg
équivalent carbone par tonne d'équivalent pétrole, tep, en fait essentiellement ici le
contenu en gaz carbonique) par tonne équivalent pétrole d'énergie finale pour diverses
26
http://unfccc.int/files/ghg_data/ghg_data_unfccc/ghg_profiles/application/pdf/ai_ghg_profile.pdf
27
(IEA, 2001, p.18 ; UNFCCC http://unfccc.int/ghg_data/ghg_data_unfccc/ghg_profiles/items/4625.php)
34
énergies. L'électricité est convertie sur l'équivalence énergie finale28 1 TEP = 11,6 MWh.
Les points d'interrogation signifient que l'auteur, Jean-Marc Jancovici, à "une vague idée
de l'ordre de grandeur, mais que les chiffres précis varient d'une analyse à l'autre"29.
Le tableau ci-dessus est intéressant parce qu'il donne des ordres de grandeur. Mais
le rendement, actuel ou futur, des centrales à charbon ou à gaz peut être évalué de façon
plus ou moins optimiste, ce qui peut donner lieu à des évaluations différentes. TEP
Energy (2009, p. 7) situe l’intensité CO2 des centrales à charbon un peu plus bas entre
"850 et 950 g CO2/kWhe (houille), et celle des centrales à gaz, entre 500 et 600 g
CO2/kWhe actuellement, et entre 350 et 400 g CO2/kWhe à l’avenir".
En Suisse, comme nous l'avons vu, les energies fossiles n'entrent dans le mix
énergétique de production d'électricité qu'à concurrence d'environ 5% (voir p. 23 et ss.),
l'essentiel du courant étant produit au moyen d'énergie hydraulique ou nucléaire, avec des
émissions associées qui sont donc nulles ou très faibles. Cependant un pourcentage
28
Voir http://www.manicore.com/documentation/equivalences.html pour plus de précisions.
29
http://www.manicore.com/documentation/serre/kaya.html
35
Figure 15 - IEA (2009, p. 111). Energy-related CO2 emissions by fuel and region in the
Reference Scenario, weo2009.
énergies renouvelables, évolutions dues en grande partie à des politiques déjà adoptées
pour lutter contre le changement climatique et améliorer la sécurité énergétique
(weo2009, p. 110-111).
Les possibilités de réduction des émissions de GES se répartissent aujourd'hui en
trois grandes catégories :
Changement de mix énergétique : transfert vers des sources d’énergies moins
émettrices de GES, soit en passant du charbon au pétrole, et du pétrole au gaz
naturel, soit en passant vers des formes d’énergies non fossiles telles que le
nucléaire ou les énergies renouvelables. Les préoccupations liées au changement
climatique entraînent un regain d’intérêt pour l’énergie nucléaire dans de
nombreux pays, après son bannissement généralisé dans la foulée des accidents de
Three Miles Island aux Etats-Unis et de Tchernobyl en URSS. Le choix du
nucléaire pour la génération d’électricité dans les années à venir entraînerait des
problèmes de sécurité à différents égards : celui qui est mentionné le plus souvent
est celui du stockage des déchets mais des risques géopolitiques doivent aussi être
pris en compte.
Séquestration du carbone : de nouvelles techniques permettent de séparer le CO2
des combustibles fossiles ou des gaz issus de leur combustion et de le stocker
dans le sol. Ces techniques sont coûteuses mais semblent incontournables étant
donné l'évolution du système énergétique mondial (en particulier le rôle croissant
du charbon) et une recherche intensive leur est consacrée à l'heure actuelle.
"Utilisation rationnelle de l’énergie" : elle comprend la conservation énergétique,
qui fait référence à des modes de consommation de l’énergie et donc aux
comportements des consommateurs, et l’efficacité énergétique qui fait référence à
des modes de production d’énergie ou de services énergétiques et donc aux
technologies employées (voir p. 38). Une utilisation plus rationnelle de l'énergie
est le mode de réduction des consommations d'énergie - et des émissions de GES
qui y sont associées – le plus rapide et le moins coûteux.
“The most environmentally sound, inexpensive and reliable power plant is the one we don’t have to
build because we’ve helped our customers save energy.
… Energy efficiency is the ‘fifth fuel’ — after coal, gas, renewables and nuclear. Today, it is the
lowest-cost alternative and is emissions-free. It should be our first choice in meeting our growing
demand for electricity, as well as in solving the climate challenge.”
Jim Rogers, chairman and chief executive of Duke Energy, USA
(in Thomas, Friedman, “Go Green and Save Money”, The New York Times, 21 août 2007)
30
Energy efficiency is the "ratio of the energy output of a conversion process or a system to its energy input
or of an energy-serve to its useful energy input" (Jochem Editor, Novatlantis, 2004, p. 60). Useful Energy is
"the energy use related to all energy losses incurred by end-uses (heated rooms, moving vehicles) to
dissipate heat at ambient temperature" (idem, p. 61).
39
Le système énergétique mondial est très peu efficace: "Today, more than 400,000
31
PJ per year of global primary energy demand deliver almost 300,000 PJ of final energy
to customers, resulting in an estimated 150,000 PJ of useful energy after conversion in
end-use devices. Thus, 250,000 PJ or two thirds of primary energy demand are presently
lost in energy conversion, mostly as low- and medium-temperature heat" (Jochem Ed.,
Novatlantis, 2004, p. 11). En Suisse les pertes du système électrique sont moins élevées
qu'au plan mondial en raison de l'importance de l'hydroélectricité dans le mix énergétique
(env. 55%), dont l'efficacité de transformation est bien meilleure que celle des centrales
thermiques; cependant cet avantage est presque totalement gommé par les pertes
importantes liées à la conversion de l'énergie finale en énergie utile dans les véhicules de
transport (efficacité de conversion de 20% seulement, avec 80% de pertes sous forme de
chaleur). Au total, les pertes liées à la transformation de l'énergie primaire en énergie
finale (env. 24%), au transport vers le lieu de consommation (env. 1,9%), et à la
conversion de l'énergie finale en énergie utile (37,2%) s'élèvent à 62,9% (idem). Le
diagramme ci-dessous représente les flux d'énergie en Suisse en 2001, entre énergie
primaire et services énergétiques, en passant par l'énergie finale et l'énergie utile.
Figure 16 - Jochem Ed. (2004, p. 11). Le système énergétique des services à l'énergie utile, finale et
primaire en Suisse, 2001.
31
Le PJ = Petajoule = unité de mesure d'énergie du système international valant 1015 joules.
40
Le schéma montre qu’environ les deux tiers de l’énergie sont perdus (représentés
par les sections rouges du schéma). La plus grosse partie est perdue sous forme de
chaleur au moment de la transformation des différentes formes d’énergie primaire
(représentées en blanc sur le schéma) en électricité (en vert) dans les centrales
thermiques. Par la suite une partie significative de l’électricité (env. 1%) est perdue lors
de son transport vers l'usager final sur les réseaux de transmission et de distribution. Le
32
European Trade Association for the Promotion of Cogeneration, http://www.cogeneurope.eu/
41
schéma ci-dessus n'indique pas les pertes de conversion de l'énergie finale en énergie
utile.
En Europe, la libéralisation des marchés de l’électricité, initiée par l’Union
européenne en 1997, ainsi qu'une législation plus contraignante sur les émissions de
carbone a entraîné une amélioration de l’efficacité énergétique dans le secteur de l’offre
(en raison d'une pression vers une réduction de l'énergie primaire utilisée pour la
génération d'électricité, pour réduire les coûts de production et/ou pour réduire les
émissions de CO2) mais des améliorations importantes sont encore possibles, soit en
développant des technologies de transformation plus efficaces dans les centrales
traditionnelles, soit en adoptant des techniques de production décentralisée.
Du côté de la demande d'énergie, un potentiel important d'efficacité existe aussi.
De nombreuses solutions sont disponibles pour réduire les pertes au niveau de l'énergie
utile : immeubles à basse consommation, véhicules plus légers, ré-utilisation de la chaleur
perdue. On peut aussi développer des matériaux moins intensifs en énergie, ou moins
consommateurs, ou modifier leurs conditions d'utilisation (telle la formule du car-
sharing)33.
Mais des progrès considérables ont déjà été réalisés. Le tableau ci-dessous en
donne un exemple, celui de l’amélioration remarquable de l’efficacité énergétique (et des
besoins en eau) des lave-linges en Europe depuis 30 ans, ainsi que des économies
financières associées :
33
Jochem Editor, Novatlantis, 2004, p. 12.
42
– including higher absenteeism and increased respiratory ailments, allergies and asthma
– are hard to measure and have generally been “hidden” in sick days, lower
productivity, unemployment insurance and medical costs.” (Kats, Alevantis, Berman,
Mills, Perlman, 2003, p. 55-56). Quel est le potentiel d'amélioration de l'efficacité
énergétique? La réponse à cette question a fait - et fait encore – couler beaucoup d'encre.
"Les Européens doivent apprendre à économiser l’énergie. L’Europe gaspille au moins 20% de l’énergie
qu’elle consomme. En économisant de l’énergie, l’Europe contribuera à résoudre les problèmes liés au
changement climatique, ainsi qu’à sa consommation croissante et à sa dépendance vis-à-vis des
combustibles fossiles importés de pays tiers … L’efficacité énergétique est cruciale pour l’Europe: si nous
agissons maintenant, le coût direct de notre consommation d’énergie pourrait être réduit de plus de 100
milliards d’euros par an d’ici à 2020 ; nos émissions de CO2 diminueront du même coup d’environ 780
millions de tonnes par an."
Andris Piebalgs, Commissaire européen en charge de l'énergie, Commission européenne, "Économiser
20% d’ici à 2020: la Commission dévoile son plan d’action pour l’efficacité énergétique", communiqué
de presse IP/06/1434, 19/10/2006.
• “…it was estimated that, if actual energy services needs in 1978 had been met
with the least-cost mix of energy supply and demand technologies, the country
[USA] would have used 48% less energy than was actually used in that year”
(Robinson, 1991, p. 33).
• “Good practice energy consumption [is] normally in the range of 30% to 50%
below average values. To achieve such reductions of around half to a third of
the energy consumption, organisations were expected to use technology that
was commonly available and not necessarily the very latest and therefore
unproven technology.” (Rigby, 2002, p. 11).
• "L’Agence suisse pour l’efficacité énergétique [S.A.F.E.] vient d’achever une
étude sur la consommation d’électricité de 1500 ménages suisses. Le résultat
est impressionnant: les ménages pourraient baisser de 40% en moyenne leur
consommation de courant électrique … " (S.A.F.E, 2005, p. 1).
Figure 21 - EU Directorate General for Energy and Transport (2001), Improving the energy
efficiency of buildings Short presentation of the Commission's proposal for a Directive.
Avril 2001, slide 11/12, http://euroace.org/comdocs/OP_010401.pdf
34
Directive 2002/91/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2002 sur la performance
énergétique des bâtiments.
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2003:001:0065:0071:FR:PDF
35
Qui sont responsables de 40% de la consommation d'énergie et de 36% des émissions de CO2 en Europe,
http://ec.europa.eu/energy/efficiency/buildings/buildings_en.htm
36
"Bien que l'efficacité énergétique se soit considérablement améliorée au cours des dernières années, il est
encore possible, économiquement et techniquement, d'économiser au moins 20% de l'énergie primaire
totale d'ici à 2020". (Commission des communautés européennes, 2006c, p. 5).
47
37
“Where the same service would be provided using the best commercially available technology available
at the time, regardless of the cost”, Janssen, 2004, p. 13
48
l’estimer ? Quelle est la latitude du décideur dans l’estimation des différents paramètres?
Quelle est l’influence du critère de la rentabilité de l’investissement sur la décision
d’investir? Et, finalement, quels sont les enjeux qui se cachent à l’arrière plan du débat ?
"Many scholars have puzzled over the energy paradox. Some have concluded that no gap between
measured energy use and achievable efficiency potential exists, while others claim to have shown
that there is systematic under-investment in energy efficiency throughout the economy. Of those
who agree about the existence of a gap, there is disagreement about its size, severity, and policy
implications. What is one to make of all this?”
Susan Kulakowski (1999, p. A-1)
L'efficacité énergétique (voir p. 38) est le ratio entre l'output énergétique d'un
process ou d'un système et l'input énergétique, ou entre un service énergétique et l'énergie
utile38. Autrement dit, elle exprime la performance des équipements et des appareils qui
produisent output ou services énergétiques. L'efficacité énergétique fait donc référence à
la dimension technique de l'énergie. Par opposition, la notion d'usage énergétique fait
référence à la dimension humaine de l'énergie, à la façon dont les utilisateurs eux-mêmes
consomment de l'énergie dans les gestes quotidiens de leurs modes de vie.
Ces deux dimensions se traduisent dans deux comportements : un comportement
d’investissement – qui concerne l'efficacité énergétique - dans des appareils plus
efficaces en énergie; et un comportement d’usage de ces appareils, plus ou moins
intensif, plus ou moins optimal, qui fait référence à la notion de conservation de l'énergie.
Un exemple simple illustre la différence entre ces deux comportements dans le domaine
de l'éclairage: le comportement d'investissement consistera à acheter des ampoules à
basse consommation pour remplacer de classiques ampoules à incandescence. Le
comportement d'usage consistera à éteindre la lumière en quittant une pièce. Les deux
comportements - s'équiper d'ampoules à basse consommation (dimension technique) ou
38
Energy efficiency is the "ratio of the energy output of a conversion process or a system to its energy input
or of an energy-serve to its useful energy input" (Jochem Editor, Novatlantis, 2004, p. 60). Useful Energy is
"the energy use related to all energy losses incurred by end-uses (heated rooms, moving vehicles) to
dissipate heat at ambient temperature" (idem, p. 61).
49
éteindre la lumière en quittant une pièce (dimension humaine) - se traduiront par une
baisse de la consommation d'électricité et donc par une baisse de coûts pour le
consommateur. Comportement d'investissement et comportement d'usage concernent les
individus mais aussi les organisations : une entreprise peut s'équiper d'ordinateurs moins
gourmands en électricité (investissement) et habituer son personnel à éteindre ses
ordinateurs lorsqu'ils ne sont pas utilisés (usage).
Les recherches sur les investissements et les usages ont été strictement
cloisonnées entre les sciences économiques et les sciences sociales de l'énergie : le
comportement d'investissement a été étudié surtout par des économistes et des ingénieurs,
tandis que le comportement d'usage, sous la dénomination de "dimension humaine" de
l'énergie, était du ressort des chercheurs en sciences sociales. Economistes et ingénieurs
étant largement majoritaires dans le domaine de l'énergie, l'étude du comportement
d'investissement a dominé l'étude du comportement d'usage.
Des trois niveaux d'analyse envisageables – individus, organisations et marché –
le niveau organisationnel est celui qui a été le moins étudié car les chercheurs en sciences
économiques se sont concentrés sur l'étude du marché, et les chercheurs en sciences
sociales se sont concentrés sur l'étude du niveau individuel (individus et ménages) dans
les immeubles d'habitation39.
Sous l'influence des économistes, le débat sur l’existence éventuelle d’un sous-
investissement en efficacité énergétique s’est axé sur deux thèmes principaux : celui de la
rentabilité de ces investissements et celui de l'existence de barrières à l'efficacité
énergétique, qui bloqueraient les investissements en efficacité énergétique. Dans chacun
de ces deux thèmes, un modèle technico-économique d'analyse, basé sur le paradigme
économique néo-classique, a dominé.
La première section de ce chapitre analysera la problématique de la rentabilité des
investissements en technologies efficaces en énergie. La deuxième section présentera la
question des barrières à l’efficacité énergétique, telles qu’elles sont envisagées dans la
littérature sous différentes perspectives et à différents niveaux (marchés, organisations,
individus).
39
En cherchant, par exemple, à comprendre pourquoi certains appartements identiques, situés dans le même
immeuble, occupés par des familles de taille similaire présentent des différences considérables de
consommation, parfois du simple au double ou au triple.
50
40
"A payback of two years for a project with a 10-year lifetime is equivalent to a post-tax real rate of return
of 56%." (DeCanio, 1993, p. 908). Ce pourcentage varie évidemment en fonction du taux d'imposition.
53
n
[1/(1+ 0,15) ] 1422,70 -1412
Une rentabilité strictement égale à 15% impliquerait que la somme des flux
actualisés soit égale à la sortie initiale de capitaux, soit dans l'exemple 1'412,0 et que le
résultat de la formule soit donc 0. Ici le résultat est positif – 10,7 –, ce qui signifie que la
rentabilité du projet est supérieure à la rentabilité exigée de 15%, excédent qui représente
une sorte de "surprofit" par rapport à l'exigence minimum de rendement.
Le taux d’actualisation représente donc l’exigence minimum de rendement de
l’investissement. Celle-ci est basée sur le coût du capital pour l’entreprise et sur le risque
attaché au projet : plus le risque est élevé, plus le taux d’actualisation sera fixé à un
niveau élevé, plus petite sera la VAN et moins intéressant l’investissement. La structure
temporelle de l’investissement est importante car l’actualisation des flux plombe la VAN
des projets qui ne sont pas – ou peu - rentables durant les premières années. Selon la
théorie financière, si la valeur actuelle nette est supérieure ou égale à zéro (c'est-à-dire
dans l'exemple ci-dessus, supérieure ou égale à 15%), le projet est suffisamment rentable
pour être accepté. Si la Van est inférieure à zéro, le projet est insuffisamment rentable,
compte tenu de la rentabilité minimum exigée.
54
"At the recent ACEEE conference, James McMahon began his assessment of conservation policy by
asking the audience whether they would invest $100 if the payoff were $33 per year forever. The
present value of this income stream, capitalized at a 10% discount rate, is $333, which is 3.3 times
the initial cost. McMahon's point, which is well supported in the literature, is that such an investment
characterizes several conservation opportunities.
…This paper argues that merely asserting the above investment to be efficient is premature.
Conservation researchers have ignored modern investment theory as well as the conditions under
which the private market allocates resources efficiently. Investment theory suggests that an energy-
efficiency investment with the above payoff may be declined by rational, well-informed individuals,
not because of market barriers but because the investment is illiquid, risky and has high transaction
costs."
Sutherland (1991, p. 15)
41
Rappelons que nous définissons l’investissement en efficacité énergétique comme un investissement dans
lequel la réduction de la consommation énergétique (au moyen de technologies plus efficaces) est le/un
facteur prioritaire de décision.
42
Même si des "protocoles, méthodes et outils" solides ont été développés par EVO (Efficiency Valuation
Organization) pour évaluer les économies physiques des projets en efficacité énergétique, qui sont en voie
de s'imposer comme standard mondial. www.evo-world.org/
56
Between 2010 and 2020, the price increases steadily to $22,50 per barrel in 1990 dollars
or $28 per barrel in today's money" (IEA, 2000, p. 39).
Le tableau ci-dessous représente graphiquement les estimations de l'IEA relatives
aux prix respectifs des énergies fossiles à horizon 2020, exprimés en dollars par tonne
d'équivalent pétrole. La caractéristique la plus frappante de ce tableau datant de 2000,
quand on l'examine en 2007, est la stabilité des prix de toutes les énergies fossiles, qui
restent imperturbablement inchangés entre 2001 et 2010.
Exemple plus modeste, le tableau suivant décrit le mode de calcul d’un projet en
efficacité énergétique à l'université de Santa Clara en Californie (les chiffres indiqués
dans le tableau ne sont pas réels, mais indicatifs). Il s'agit d'un projet relatif à un
remplacement de 150 appareils d’éclairage équipés d’ampoules à incandescence par des
appareils équipés d’ampoules basse consommation. Le calcul prend en compte la
consommation de chaque type d’ampoule (en watts), le coût initial des ampoules et leur
durée de vie (en heures), leur coût de remplacement (10 minutes de travail par lampe au
taux horaire de 40$) et le coût horaire de l’électricité (kilowatt hour rate). L’indication du
nombre d’heures d’utilisation par an (8.760 heures) permet d’estimer le nombre
d’ampoules qui doivent être achetées et remplacées chaque année et le coût annuel de
58
43
Correspondant à un coût initial moyen de US$ 7400 et des économies estimées de US$ 5600 par an.
61
en octobre 2005. "Save Energy Now" a pour but d'aider les responsables de l'énergie dans
les entreprises à réduire leurs consommations de gaz naturel. La première étape du
programme consiste à établir un état des lieux basés sur 36 audits énergétiques réalisés
dans 39 états américains auprès d'industries de différents secteurs d'activités
(secondaires). Les résultats des audits44 montrent que 40% des économies identifiées
peuvent être obtenues avec un temps de retour inférieur à 9 mois et 40% avec un pay-
back entre 9 et 24 mois, 17% des économies potentielles présentent un pay-back compris
entre 2 et 4 ans. 4% seulement des économies identifiées par les audits ont un pay-back
supérieur à 4 ans. Ces économies totalisent 95,6 millions de dollars. Ces résultats sont
représentés dans le tableau ci-dessous:
44
Les résultats complets sont disponibles sur le site du département US de l'énergie:
http://www1.eere.energy.gov/industry/saveenergynow/
62
consiste à évaluer et à suivre de façon très fine la consommation de ces bâtiments45 (au
moyen d'un nombre très élevé de points de mesure et d'un logiciel informatique ayant été
développé par Enerplan), et à piloter le bâtiment, en collaboration avec un collaborateur
interne de l'entreprise/administration publique propriétaire, pour harmoniser et
coordonner le fonctionnement des différents systèmes techniques gros consommateurs
d'énergie (chauffage, ventilation, froid).
Les résultats de réduction des consommations (énergies et eau) obtenus sur une
période de 1 à 2 ans par Enerplan sont impressionnants. Les économies réalisées le sont à
un coût très bas (quelques milliers de francs suisses) qui se répartit entre l'abonnement
annuel souscrit auprès d'Enerplan, les frais de prises de mesures et, dans certains cas, des
honoraires d'évaluation des potentiels d'économies. Les exemples ci-dessous donnent un
aperçu des résultats.
Le niveau des prix de l'énergie ne joue pas non plus automatiquement un rôle dans
les décisions d'investissement, comme le montre une étude effectuée par IFC
(International Finance Corporation, filiale de la Banque mondiale) en 2006 en Russie,
45
Par exemple, 6.000 points de mesure au quart horaire à l'hôpital cantonal de Genève
63
46
www.ifc.org/russia/energyefficiency
64
audits, moins rentables qu’en apparence. Autrement dit, les flux attendus seraient
majorés, certains coûts difficilement identifiables n'étant pas pris en compte. En outre les
économies d'énergies ont pu être surestimées et le risque associé aux investissements
sous-estimé. Pour expliquer les décisions négatives des organisations à l’égard
d’investissements présentant des rentabilités élevées, les économistes concluent à une
rentabilité seulement apparente: leur niveau élevé d’incertitude et leur irréversibilité
augmente le risque de ces investissements et, par conséquent, l’exigence de rentabilité
des investisseurs.
Anderson et Newell (2003, p. 23) déclarent ainsi que: "we do find evidence that
there are likely many unmeasured costs and risks not captured in the IAC program's
simple financial estimates, so that estimated rates of return likely differ from realized
rates of return" [souligné par les auteurs]. Comme le résument en une brillante formule
Jaffe et Stavins (1994, ?), “energy-saving investment would be energy-efficient but
economically inefficient”. Cela expliquerait l’exigence de rentabilité plus élevée que le
coût du capital pour les investissements en efficacité énergétique (Sorrel et al. 2000;
DeCanio, 1993) ou plus élevée que celle exigée pour des investissements destinés à
accroître la capacité de production (Anderson et Newell, 2003 ; Kulakowski, 1999;
Robinson, 1991). Cela expliquerait aussi la décision négative - mais rationnelle - de
l’investisseur potentiel.
Sorrel et al. (2000) ont cherché à comprendre pourquoi des opportunités
d'investissement en efficacité énergétique apparemment rentables, car présentant un délai
de récupération de moins de 3 ans47, signalées par les personnes interrogées48 dans toutes
les organisations étudiées, avaient été délaissées. Leur recherche a été menée, à la fin des
années 90, en Grande-Bretagne, en Irlande et en Allemagne, au moyen d'interviews et de
questionnaires, auprès de 47 organisations relevant de trois secteurs non intensifs en
énergie: ingénierie mécanique, production de bière et universités. Les résultats indiquent
que les barrières considérées comme les plus importantes, par toutes les organisations
étudiées, sont les coûts cachés et l'accès au financement. Les coûts cachés associés aux
47
"Cost effective in this context means that, considering primarily the capital costs and energy costs (i.e.
ignoring hidden costs), the investment has a significantly better rate of return than the cost of capital to the
organisation" (Sorrel et al., 2000, p. 161).
48
"Interviewees were nearly unanimous in agreeing that there were many opportunities with short
paybacks (e.g. 3 years) in their organisations" (idem).
65
charges liées à la gestion de l'énergie telles que les salaires du personnel en charge de
l'énergie, système d'information et temps passés sur les appels d'offre, ou, dans le cas des
brasseries, par des coûts d'interruption de la production et par des pertes de bénéfices
liées à une baisse de qualité des produits. La barrière "accès au capital" fait référence à
des problèmes de financement, ou bien de compétition entre différentes organisations ou
départements. Le risque, risque de métier ou risque technique associé aux technologies
envisagées, est le troisième motif invoqué pour expliquer les non-décisions d'investir en
efficacité énergétique. Coûts cachés et risques rendent donc l'investissement moins
rentable qu'en apparence. Ces investissements insuffisamment rentables doivent de plus
faire face à des problèmes de financement. Par conséquent, "renoncer à ces opportunités
d'investissement est une décision rationnelle"49 (Sorrel et al., 2000, p. 3).
Cette conclusion ne semble pas satisfaisante pour trois raisons: premièrement,
comme le fait valoir DeCanio (1998), la rentabilité estimée de certains projets est
tellement élevée qu’aucune des explications proposées ne permet réellement d’expliquer
pourquoi ils sont rejetés par l’investisseur potentiel; deuxièmement, cette analyse ne
permet pas d’expliquer les différences de comportement qui ont été constatées entre
entreprises du même secteur d’activité; troisièmement les économistes font mention de
coûts cachés mais jamais de "bénéfices cachés". Or il en est de nombreux qui sont liés à
l'amélioration de l'efficacité énergétique pour les entreprises et qui, contrairement aux
coûts cachés, ont pu être estimés assez précisément (Jakob, 2004; Katz et al., 2003; Mills
et Rosenfeld, 1994; Pye et McKane, 1999; Worrell et al., 2003).
L’approche financière, exclusivement axée sur l’évaluation de la rentabilité, pose
un autre problème fondamental : on ne peut pas prétendre que la rentabilité des
investissements en efficacité énergétique n’est qu’apparente alors que les coûts de
transaction et les coûts cachés qui seraient responsables d’une rentabilité réelle inférieure
sont indémontrables. D'ailleurs ces coûts ne sont apparemment pas pris en compte par les
entreprises dans leurs calculs d'investissement (voir la discussion de Sorrel et al., 2000
sur cette question50).
49
"…the neglect of investment opportunities [is] a rational decision" (Sorrel et al., 2000, p. 3).
50
Ces auteurs eux-mêmes ne semblent pas très à l'aise avec le concept de coûts cachés, ce qui est d'autant
plus surprenant qu'il s'agit de la première barrière à l'efficacité énergétique identifiée par leur recherche: ils
reconnaissent que, malheureusement, il n'a généralement pas été possible de chiffrer ces coûts cachés et que
66
ces coûts n'étaient d'ailleurs pas pris explicitement en compte dans le calcul d'investissement fait par les
organisations. Voir Sorrel et al. (2000), p. 170.
51
"At Santa Clara Computers, “stand-alone” energy retrofit projects are treated as capital projects but
must go through a stricter funding procedure than other building improvements, …such as new carpeting
or office furniture” (Kulakowski, 1999, p. 9).
67
D'ailleurs De Groot et al. (2001)52, dans leur recherche menée auprès de 135
entreprises néerlandaises dans 9 secteurs industriels intensifs en énergie, ont montré que
la rentabilité insuffisante de l'investissement n'apparaît pas comme un obstacle aux
investissements en efficacité énergétique, non plus qu'aucun des critères qui pourraient y
faire référence, comme l'incertitude sur la qualité des technologies envisagées ou sur leur
prix. De plus le manque de moyens financiers (la barrière "accès au capital" des
économistes du mainstream) apparaît comme un problème relativement mineur.
L'approche strictement financière, selon laquelle les décisions d'investir
dépendent exclusivement de la rentabilité de l'investissement, semble donc insuffisante.
Elle est contestée par plusieurs auteurs (citons de façon non exhaustive DeCanio, 1993 ;
DeCanio et Watkins, 1998 a et b ; de Groot et al., 2001; Kulakowski, 1999; Rigby, 2002 ;
Robinson, 1991 ; Stern, 1992 ; Stern et Aronson, 1984) qui considèrent que les facteurs
financiers exercent une influence non décisive sur les décisions d'investissement. Comme
le résume Robinson (1991, p. 634) : "le problème n'est pas que les facteurs économiques
ne sont pas pertinents pour expliquer l'usage de l'énergie; il est qu'ils sont insuffisants et
que leurs effets peuvent être annulés ou inversés par des facteurs comportementaux"53.
De nombreux travaux ont cherché à identifier ces facteurs comportementaux, ou
d'autres facteurs, qui pourraient mieux rendre compte des décisions d'investissement. Le
concept le plus complet à cet égard est celui de "barrières à l'efficacité énergétique", qui
décrit un certain nombre d'obstacles, présents dans les marchés de l'énergie et les
organisations, qui bloqueraient les investissements en efficacité énergétique. Sous cette
étiquette on peut regrouper l'ensemble des travaux qui ont adopté une approche non
strictement financière sur les décisions d'investir. On verra dans la section suivante que
ces travaux sont très loin de constituer une perspective unifiée.
52
Le questionnaire de la recherche de de Groot et al. sera soumis aux entreprises genevoises qui
constitueront la base de données pour le volet empirique du présent travail.
53
the point is not that economic factors are irrelevant in explaining energy-use but that they are insufficient
and their effect can be offset or reversed by behavioural factors” (Robinson,1991, p. 634).
68
La question des obstacles présents au sein des marchés de l’énergie et des services
énergétiques a été traitée en majorité par des chercheurs se réclamant du cadre théorique
de l’économie néo-classique. Dans ce contexte, “neo-classical economics … attempts to
reconcile the existence of the efficiency gap with the hypothesis that consumers make
energy related decisions in a fully rational manner.”54 (Sorrel et al., 2000, p.1).
Selon la théorie économique néo-classique du bien-être (welfare economics), pour
que les marchés fonctionnent bien et puissent permettre une allocation optimale des
ressources, plusieurs conditions doivent être remplies (Perman, McGilvray, Common,
2003) :
- les marchés sont complets (de tous les biens produits et consommés). Les droits
de propriété sont clairement définis, les acheteurs et les vendeurs peuvent
échanger leurs biens librement ;
- il n'existe que des biens privés et pas de biens publics;
- il n'existe pas d'externalités;
- tous les marchés sont parfaitement compétitifs;
- consommateurs et producteurs bénéficient d'une information parfaite;
- toutes les fonctions d'utilité et de production sont conformes;
- consommateurs et producteurs cherchent à maximiser leurs bénéfices et minimiser
leurs coûts.
55
"Situation où les décisions d'un agent économique affectent un autre agent en dehors du marché. Ainsi,
l'externalité n'est pas prise en compte par le système de prix et elle n'est pas intégrée dans les décisions de
l'agent qui en est responsable" (Bontems et Rotillon, 2003, p. 51). D’après la théorie, les externalités
surviennent en raison de la violation du principe d’exclusivité, qui prescrit que tous les avantages et coûts
relatifs à l’usage d’un bien doivent revenir à son propriétaire.
72
public, en termes de non exclusivité et non rivalité56. Elle n’a donc pas de valeur
marchande. Une fois que l’information existe, elle peut être utilisée par tout un chacun
pour un coût nul ou très faible, car il est difficile, voire impossible pour une entreprise qui
produit l’information d’empêcher d’autres entreprises ou individus de l'utiliser
gratuitement. D’autre part si l’adoption d’une nouvelle technologie par un acteur
économique constitue une source d’information utile pour d’autres acteurs, alors on est
dans une situation d’externalité positive, puisque le bénéfice de l’information profite à
ces autres acteurs sans qu’il y ait compensation pour "l’adopteur" (Jaffe et Stavins, 1994,
p. 805). Dès lors, les entreprises ne sont pas intéressées à fournir cette information et,
dans l’ensemble, l’information sur les technologies en efficacité énergétique transmise
par les marchés des services énergétiques est insuffisante.
Golove et Eto (1996) ont identifié trois dimensions de l’information imparfaite: le
manque d’information, le coût de l’information et l’exactitude de l’information. Les
effets négatifs d’une information imparfaite seront plus importants dans trois cas (selon
Hewett, 1998, p. 211, cité par Sorrel et al., 2000, p. 32) : le produit ou le service est
acheté rarement ; la performance du produit ou du service est difficile à évaluer avant
l’achat ou peu de temps après ; la technologie évolue rapidement entre deux achats.
Information inégale (asymmetric information). Il s’agit d’une situation
particulière d’information imparfaite dans laquelle les parties en présence ont accès à des
niveaux d’information différents. Un vendeur peut ainsi en savoir plus sur les qualités
d’un produit que l’acheteur potentiel.
Deux conséquences importantes de l’information inégale sont la sélection adverse
et l’aléa moral. La sélection adverse (adverse selection) désigne une situation
"d’opportunisme précontractuel". On parle de sélection adverse si une caractéristique
d’un bien est cachée à son utilisateur potentiel, avant un achat éventuel. Par exemple la
revente, ou la location, d'un logement mieux isolé n'inclut pas forcément le prix des
travaux d'isolation. Notion très voisine de la sélection adverse, l’aléa moral (moral
hazard) désigne une situation "d’opportunisme post-contractuel" (Mohlo, 1998, p. 8, cité
par Sorrel, 2000, p. 21). L’alea moral est généralement envisagé dans le contexte d’une
56
"That is, many people may « consume » the same information without reducing its supply. Similarly, it
may be difficult to exclude people from the benefits of information”. Sorrel et al., 2000, p. 19.
73
57
"the cost of acquiring information on energy efficiency greatly exceed that for energy supply” (Sorrel et
al.; 2000, p. 32).
75
58
“is the outcome of the interplay of the motivations of the individuals comprising it, the rules and
conventions governing their interaction, and the environment within which the firm operates.” (DeCanio,
1993, p. 906).
59
La complexité vient aussi de ce que, dans les structures hiérarchiques complexes comme celles des
entreprises un collaborateur (un manager de niveau intermédiaire) peut être à la fois mandant et agent. Et
un collaborateur peut avoir différents mandants.
77
sont rarement sans coûts. Ces coûts de transaction apparaissent entre organisations mais
aussi au sein des organisations elles-mêmes, puisque Williamson inclut dans sa définition
de la transaction les échanges de produits ou de services entre départements de la même
entreprise, qui ne donnent lieu à aucune distribution de revenu. Le principe au cœur de la
théorie des coûts de transaction est que le coût de l’échange est lié au degré de confiance
entre les parties, qui dépend lui-même de "deux mécanismes essentiels du comportement
individuel : la rationalité limitée et l’opportunisme" (Joffre, 1999, p. 150), défini par
Williamson comme "la recherche de son propre intérêt en ayant recours à la ruse" (cité
par Charreaux, 1999, p. 70).
Selon le modèle décisionnel de la rationalité limitée (Simon, 1959; voir p. 129),
l’agent économique ne dispose pour prendre ses décisions que d’informations imparfaites
et de capacités cognitives limitées, qui l’inclinent à accepter des solutions satisfaisantes,
en contradiction avec l’agent maximisateur de la rationalité substantive qui sous-tend le
modèle décisionnel néo-classique. La rationalité limitée est un concept central des
théories comportementales, qu’elles soient économiques ou sociologiques, qui cherchent
à décrire le comportement réel des individus, par opposition à l’approche néo-classique
qui déduit ce comportement de modèles théoriques abstraits.
En intégrant le concept de la rationalité limitée, emprunté à la sociologie,
Williamson s’inscrit dans la ligne de la sociologie des organisations. "Il y ajoute
cependant une dimension originale concernant le comportement des agents économiques
– l’opportunisme, voire la ruse – et éclaire d’une lumière particulière la nature des
rapports économiques entre les hommes : des liens de coopération mâtinés
d’opportunisme individualiste" (Joffre, 1999, p. 147).
Outre la rationalité limitée et l’opportunisme (source, comme nous avons vu,
d'aléa moral et de sélection adverse dans l’organisation), les principaux déterminants de
formation des coûts de transaction sont : le petit nombre d’acteurs, les asymétries
d’information, la fréquence des relations contractuelles, la spécificité des actifs et
l’incertitude et la complexité de l’environnement. Les coûts de transaction sont donc
généralement dûs à des problèmes d’information imparfaite ou de traitement de
l’information. L’autre composante principale des coûts de transaction est la négociation.
78
Basé sur les principes des théories de l’agence et de l’économie des coûts de
transaction, le concept de défaillance de l’organisation60 (organizational failure) proposé
par Sorrel et al. (2000) est la transposition au sein de l’organisation du concept
économique néo-classique de défaillance du marché. Les défaillances de l’organisation
responsables d’un sous-investissement en efficacité énergétique selon cette perspective
économique élargie sont au nombre de trois : information imparfaite, aléa moral, et
incitations partagées.
L'information imparfaite sur l’usage de l’énergie concerne les décisions
d’investissement mais aussi sur l’évaluation par l’organisation de sa performance en
matière de consommation énergétique, ce qui pose la question des instruments de mesure
(factures et compteurs) de cette consommation et plus généralement de la gestion de
l’énergie au sein de l’entreprise61. Le centre de décision de l'entreprise ne peut contrôler
parfaitement le bien-fondé des décisions prises à un niveau subalterne, sur lesquelles
pèsent les effets négatifs de la rationalité limitée et de l’opportunisme (situation d'aléa
moral62). Pour réduire les conséquences défavorables d'une telle situation, le centre de
décision fixe des règles a priori, des routines (Stern, 1984 ; DeCanio, 1993) telles que les
règles internes d’adoption des investissements. Ces routines peuvent exercer une grande
influence sur le processus décisionnel au sein de l’organisation. Ainsi Sorrel et al. (2000,
p. 46) considèrent que "la plupart des décisions résultent de l'application d'un ensemble
de règles à une situation, plutôt que d'une analyse systématique des alternatives"63. Temps
de récupération et exigence (ou seuil) de rentabilité des investissements sont des
exemples de routine. DeCanio (1993, p. 908) remarque que, en contradiction avec les
prescriptions de la théorie financière, "les seuils de rentabilité peuvent être fixés en
liaison avec les problèmes de contrôle d'une grande organisation et pas seulement en
60
“where the barrier results from organisational structure and policy and may be reduced through
managerial tools such as task allocation and incentive design” (Sorrel et al., 2000:25)
61
Voir p. 323 et ss.
62
Rappelons (voir Page 29 of 412) que l’alea moral qualifie une situation dans laquelle le comportement
d'un agent économique n'est pas parfaitement observable (ex post) par celui qui finance ou a financé son
action. On parle de sélection adverse quand une caractéristique d’un bien est cachée à son utilisateur
potentiel, avant un achat éventuel
63
“…most decisions are a result of applying a set of rules to a situation, rather than a systematic analysis
of alternatives”. (Sorrel et al., 2000, p. 46)
79
fonction du coût du capital de l'entreprise"64. Il cite notamment une étude menée par
l’EPA auprès de 48 entreprises américaines qui a révélé que le temps de récupération
moyen requis pour un certain type d’investissements en efficacité énergétique était de
deux ans, ce qui correspond pour un projet ayant une durée de dix ans à une rentabilité
réelle (après impôt) de 56% (DeCanio, idem). La procédure fréquente de rationnement du
capital décrite par Ross (1986) peut s’expliquer par les mêmes raisons. L'importance des
routines, en particulier les routines budgétaires, dans les décisions d’investissement est
aussi soulignée par Quirion (2004) : la règle organisationnelle fréquente de division, voire
même de séparation rigide, du budget en budget d’investissement et budget opérationnel
constitue un frein aux économies d'énergie, car ces dernières nécessitent en général un
accroissement du budget d'investissement alors qu’elles diminuent les dépenses
opérationnelles. Les incitations partagées au sein de l'organisation viennent de que les
coûts énergétiques sont typiquement mutualisés au sein des entreprises supprimant toute
incitation à réduire la consommation d'énergie pour le responsable d'un service, sans
parler de chaque salarié (Quirion, 2004), Même en cas d'individualisation des coûts entre
services, la rotation rapide des dirigeants d'unités peut réduire leur incitation à mener des
actions d'économies d'énergie, qui ne porteront tous leurs fruits qu'après leur départ. De
même les programmes d’incitation à la performance récompensent généralement la
performance à court terme ce qui diminue l’incitation des managers à s’engager sur des
investissements de long terme (DeCanio, 1993).
En résumé on peut dire que, selon la perspective économique, les défaillances
organisationnelles responsables d'un sous-investissement en efficacité énergétique
relèvent d'asymétries informationnelles. Cette analyse rejoint l'analyse des barrières à
l'efficacité énergétique au sein des marchés de l'énergie et des services énergétiques. Les
mêmes concepts sont employés pour décrire les conséquences, sur les décisions
d'investissement, d'une information imparfaite ou inégale sur les prix/coûts des
technologies efficaces en énergie. Ces situations d’information imparfaite ou inégale,
cumulées à l’opportunisme et à la rationalité limitée du manager-agent, se traduisent pour
le mandant (actionnaire ou manager de niveau supérieur) par un problème de contrôle : il
64
“…hurdle rates can be set with an eye towards the problems of control of a large organization, not just
to correspond to the firm’s cost of capital”. (DeCanio, 1993, p. 908)
80
65
“In conclusion, it is clear that, with the exception of some labelling programmes, energy information
programmes on their own have not to date resulted in significant energy savings.” Robinson, 1991, p. 638.
66
“in the absence of consumer response to the programme … virtually eliminated the most inefficient
models from the market. The energy savings, which were significant, thus came in spite of the programme’s
lack of effect on consumers.” (Robinson, 1991, p. 637).
81
67
Qui portaient rappelons-le sur plus de 10.000 audits et 70.000 mesures, voir page 42
82
Figure 30 - Barrières considérées comme très importantes dans les différents pays et secteurs
(Sorrel et al. , 2000, p. XXV)
D'après les réponses des interviewés, les facteurs financiers - coûts cachés, accès
au capital et risque - expliquent en premier lieu les décisions négatives des investisseurs
puisqu'ils rendent la rentabilité réelle inférieure à la rentabilité estimée et, en fin de
compte, inférieure au coût du capital. La recherche de Sardianou (2007) met également
en évidence le poids des facteurs financiers: 76% des managers interrogés considèrent
que le rationnement du capital et les coûts élevés de mise en œuvre sont un obstacle aux
investissements en efficacité énergétique. Les facteurs liés à la problématique des
barrières à l'efficacité énergétique, en particulier les problèmes d'information, ne viennent
83
qu'ensuite. L'information imparfaite est la deuxième barrière par ordre d'importance. Les
incitations partagées sont considérées comme une barrière importante par les universités
et par les brasseurs dans au moins deux pays sur trois. Par contre les barrières liées à
l'information inégale (hasard moral et sélection adverse) ou à la forme/source de
l'information ne sont généralement pas considérées comme importantes. Les différences
dans les réponses sont moins marquées entre pays qu'entre secteurs d'activité. Sorrel et al.
concluent que les résultats de leur étude permettent de valider le postulat néo-classique
d'un comportement rationnel des agents économiques, qui ne s'engagent pas dans des
investissements dont la rentabilité est in fine difficile à estimer, ou seulement apparente.
La perspective économique domine la littérature sur les barrières
organisationnelles aux investissements en efficacité énergétique. Cependant plusieurs
travaux adoptent une perspective différente, comme nous allons le voir maintenant. Ils
visent à montrer que le cadre théorique proposé par la perspective économique est
insuffisant, voire inexact, pour rendre compte des (non)-décisions d'investissements en
efficacité énergétique.
En utilisant le cadre conceptuel qui sera développé dans les deuxième et troisième
parties de la thèse, on peut classer ces apports disparates de la littérature sur les barrières
à l’efficacité énergétique en trois catégories : le contexte - interne et externe - de
l’organisation (structure, routines, relations de pouvoir, culture, environnement), les
acteurs impliqués dans le processus, les caractéristiques de l’investissement. Nous
examinerons ici, de façon non exhaustive, la littérature relative au contexte et aux
caractéristiques de l’investissement. La question des acteurs sera discutée dans le chapitre
suivant consacré à la "dimension humaine" de l'énergie.
Contexte interne
On peut classer68 dans le contexte interne à l’organisation, les résultats ou les
observations montrant l’influence sur la décision d’investir en efficacité énergétique des
facteurs suivants : la structure et certaines caractéristiques de l’entreprise - telles la taille,
la performance ou le système de gestion -, la culture et les relations de pouvoir au sein de
l’organisation.
Influence de la structure de l'organisation sur la décision d'investir en
efficacité énergétique. Cebon (1992) étudie deux grandes universités américaines
(comprenant chacune une centaine de bâtiments), choisies parce qu'elles sont considérées
toutes deux comme efficaces dans leur usage de l'énergie par les autres universités alors
que leurs structures organisationnelles diffèrent. Dans un cas l'énergie est gérée par une
unité centrale, dans l'autre la gestion est décentralisée entre les différentes facultés. Cébon
constate que ces différences de structure et certains événements ponctuels (hausse des
prix du pétrole en 1973, restructuration, déjeuner entre deux professeurs, changement de
responsable) expliquent presque toutes les différences dans les prises de décisions:
"chaque organisation agissait comme un ensemble de filtres qui réduisait l'ensemble (au
plans technique et économique) des options possibles (de même que la définition des
68
Ce classement sera précisé dans le chapitre (VIII), deuxième partie, consacrés aux déterminants de la
décision dans les organisations.
85
problèmes qui menait à ces options) à un nombre très inférieur de possibilités"69 (Cebon,
1992, pp. 805-806).
Dans la même veine, le "modèle de changement comportemental" PRECEDE
d'Egmond (2006) est basé sur l'identification des filtres organisationnels qui réduisent le
nombre d'options possibles au sein des organisations. PRECEDE est la traduction dans le
domaine de l'énergie d'un modèle développé dans le domaine de la promotion de la santé
par Green et Kreuter (1999). Cees Egmond est membre de l'agence néerlandaise de
promotion de l'environnement et de l'efficacité énergétique SenterNovem. Le modèle a
été testé auprès de 234 associations néerlandaises pour l'aide au logement.
69
"Each organization acted as a set of filters which sieved the set of feasible (in an engineering and
economic sense) options (and problem definitions which led to feasible options) to a much smaller subset
from which it selected", (Cebon, 1992, pp. 805-806).
86
consolidation" sont les réactions (positives ou négatives) émises par les concurrents, les
clients, les autorités. Il faut signaler que le modèle de Green et Kreuter était destiné à
l'origine à représenter et à changer le comportement des individus. Considérant que "les
organisations sont, par définition, des ensembles d'individus aux intérêts communs ...
(Silverman, 1970)"70 et que "le changement de comportement d'une organisation résulte
souvent des décisions qui y sont prises par une coalition dominante d'individus (Cyert
and March, 1992)"71, Egmond conclut que le comportement des organisations est donc,
en fait, fonction du comportement de ces individus (Egmond, 2006, p. 16). Par
conséquent, si l'on identifie les déterminants du comportement de la coalition dominante,
on identifie en même temps les déterminants du comportement de l'organisation
considérée dans sa totalité"72. Sur la base de ses considérants, Egmond adapte le modèle
individuel de Green et Kreuter à un usage organisationnel. On peut faire trois remarques à
cet égard, qui concernent tant la qualité du raisonnement que son application.
Premièrement, la référence à des intérêts communs comme unique définition de
l'organisation est contestable: les modèles politiques de la décision dans les organisations,
dont font partie les théories économiques des contrats, mettent l'accent au contraire sur
les divergences d'intérêts entre acteurs. Deuxièmement, Egmond ne semble pas identifier
la coalition dominante au sein des associations d'aide au logement; et par conséquent il ne
cherche pas non plus à identifier les déterminants du comportement de cette coalition
dominante. Troisièmement, la question des buts de l'organisation et de leur relation avec
l'usage de l'énergie n'est pas posée. Le passage du niveau micro-organisationnel des
déterminants comportementaux individuels au niveau macro-organisationnel semble donc
assez discutable.
“Investment in energy efficiency: do the characteristics of firms matter?” Dans
cet article qui a fait date dans la littérature, les économistes DeCanio et Watkins (1998)
cherchent à évaluer l’influence des caractéristiques de l’entreprise sur la décision
d’investir. Les résultats de leur recherche, réalisée auprès d'entreprises participant au
70
"Organizations are, by definition, sets of individuals with common interests (Silverman, 1970)" and
71
"Change in the behaviour of an organization often results form decisions made by a dominant coalition
of individuals within the organizations … (Cyert and March, 1992)".
72
"The behaviour of organizations is, in fact, a function of the behaviour of those individuals. Therefore, if
we identify the behavioural determinants of this dominant coalition, we identify the behavioural
determinants of the organization as a whole" (Egmond, 2006, p. 16).
87
73
“The quality of the participants’ energy management systems was included in the annual LTA [Long
Term Agreements] monitoring for 2003. This showed that 27% met the minimum energy management
requirement” (Flint et al., 2005, p. 1060).
74
“… the evidence from monitoring and targeting their programme of cost-effective management. What we
have seen is you get a 10 per cent improvement in the energy efficiency in a company directly as a result of
instituting good energy management techniques.” (MacIntyre, 1985, cité par Rigby p. 16).
88
75
Bien que ce problème ne figure pas dans la liste des barrières principales aux investissements en
efficacité énergétique que leur recherché a identifiées.
89
76
“It is our impression that the company culture encompasses all activities, and that the organization of
energy efficiency activities is in many ways related to the overall company culture” (Togeby et al., 1997, p.
13).
77
“Companies work in different ways, e.g., due to different histories and company cultures”
(Christoffersen, Larsen et Togeby, 2005, p. 522).
78
Analysis of successful implementation of energy efficiency in the industrial, commercial and service
sector (Hennicke et al., 1998).
79
“At a first aspect, different companies cultures produce different pre-dispositions for innovations in
energy efficiency” (Hennicke et al., 1998, p. 43).
80
“The type of success and the related development of energy efficiency activities is strongly determined
by cultural aspects…” (idem, p. 64).
81
"If energy conservation is accorded a relatively low priority, energy managers are, in general, relatively
peripheral” (Cebon, 1992, p. 802).
90
Contexte externe
Le contexte externe aux organisations a fait l'objet de peu de recherches dans le
domaine de l'énergie. Nous n'avons relevé que certains aspects des travaux de DeCanio et
Watkins et surtout la recherche de Eyre (1997), qui élargit le contexte des barrières à
l’efficacité énergétique.
Les travaux de DeCanio et Watkins, déjà cités, sur les caractéristiques de
l’entreprise (1998a) ont montré que la situation géographique de l’entreprise exerce une
82
“Because of their peripheral position, [energy managers] have low power.” (idem, p. 802).
83
Voir plus loin le paragraphe consacré au lien avec le métier dans la section "caractéristiques de
l'investissement".
91
influence sur la décision d’investir, influence qui pourrait être dûe, selon Stern et
Aronson, à la proximité géographique d’autres entreprises car “organizations imitate
other organizations, … [according to] a pattern not totally unlike imitation among
individuals” (Stern et Aronson, 1984, p. 114). Un des leviers utilisés par l'agence
américaine de protection de l'environnement EPA (Environmental Protection Agency)
pour développer son programme de labels énergétiques "Energy Star" est d'ailleurs de
communiquer aux entreprises encore indécises les noms de leurs concurrents ayant décidé
de participer (Howarth, Haddad & Paton, 2000), exemple qui illustre à la fois
l'importance de l'imitation comme facteur décisionnel et celle de l'influence d'un acteur
externe. Ces processus d’imitation ou de conformité, par lequel les organisations adoptent
ce qu’elles perçoivent comme des pratiques dominantes, ou comme le comportement le
plus approprié, ont été décrits par la théorie institutionnelle (DiMaggio et Powell, 1983;
Scott, 1995).
S'intéressant au contexte externe dans son acception la plus large, Eyre (1997)
adopte une approche originale : partant de la constatation que toutes les barrières
identifiées par la littérature exercent, curieusement, leur effet dans la même direction84,
celle d'une plus grande inefficacité dans l'usage de l'énergie, il propose comme
explication l'existence d'une méta-barrière, un cadre qui englobe en quelque sorte toutes
les autres barrières et qui est constitué des caractéristiques fondamentales de l'usage de
l'énergie dans les économies modernes. Ces caractéristiques fondamentales sont au
nombre de trois. La "dichotomie" entre producteurs et consommateurs (au sens où une
amélioration de l'efficacité énergétique du côté de la demande d'énergie est considérée
comme une dépense et non comme un investissement car "investissement productif et
maximisation du profit sont vus comme étant du domaine [exclusif] du producteur"85
(Eyre, 1997, p. 37)); le fait que l'énergie soit considérée comme une marchandise ("a
commodity view of energy"); la complexité des marchés de l'efficacité énergétique. Ces
84
"… all the barriers lead to more, not less, energy use than is economically efficient. This is not a
necessary result of the existence of market failures, which could, in principle, work in either direction. This
asymmetry in market failures, although obviously of crucial importance, has been the subject of remarkably
little analysis." Eyre, 1997, p. 27
85
"productive investment and profit maximisation are seen as the province of the producer" (Eyre, 1997, p.
37)
92
Caractéristiques de l’investissement
Contrôlabilité des coûts énergétiques. Plusieurs auteurs soulignent le sentiment
fréquent de la part des décideurs d’une impossibilité de contrôler les coûts énergétiques
supportés par l’entreprise. Par exemple Tunnessen (2004, p. 50) et Parker et al. (2000, p.
6) mentionnent une étude menée en 1998 par le Market Research Bureau de CFO
Magazine qui a montré que 75% des décideurs de haut niveau voient les coûts de
l’électricité comme la catégorie de dépense la moins contrôlable. Payne (2006a) indique
également le fait que de nombreux décideurs ont le sentiment que réduire les coûts
énergétiques est difficile et ne vaut donc pas la peine qu’on y consacre des efforts. Il
relève même chez les petits entrepreneurs "un sentiment d'impuissance et de frustration à
l'égard des questions énergétiques en général"86 (Payne, 2006a, p. 279). Komor et Katzev
(1998) avaient fait la même constatation dans une étude menée auprès d’un échantillon de
petits commerçants. Un investissement considéré comme inutile par les décideurs a bien
sûr peu de chances d'être décidé et nous verrons (voir p. 213 et ss.) que le sentiment de
contrôlabilité des effets de l'investissement est un élément important de la décision.
Lien avec le métier. L’importance du lien entre l’investissement considéré et le
cœur de métier de l’entreprise est mentionné, quoique souvent au conditionnel, par
plusieurs auteurs.
Harris et al., s'intéressant aux facteurs ayant motivé les décisions d'investissement
en efficacité énergétique de 100 entreprises australiennes (Harris et al., 2000, p. 874),
mentionnent que 35% des répondants pensent que "l'efficacité énergétique est souvent
oubliée par le management, peut-être parce qu'elle n'est pas "core business"87. Sandberg
et Söderström (2003) constatent, lors de leur recherche sur les décisions d'investissement
en efficacité énergétique de neuf grandes entreprises suédoises de secteurs intensifs et
non intensifs en énergie, que "la rentabilité, bien qu'importante, est loin d'être le seul
86
“a sense of helplessness and frustration with regard to energy issues in general” (Payne, 2006, p. 279)
87
"energy efficiency is often overlooked by management, perhaps because it is not "core business" (Harris
et al., 2000, p. 874)
93
critère de sélection"88 et que certains investissements n'ont pas été décidés principalement
parce qu'ils n'étaient pas liés au cœur de métier de l'entreprise (Sandberg et Söderström,
2003, p. 1627). Dans l'enquête de Sardianou (2007), 60% des managers interrogés sur les
barrières aux investissements en efficacité énergétique ont mentionné le fait que la
conservation de l'énergie n'est pas une "core business activity". Selon Sorrel et al. (2000),
les organisations doivent économiser des ressources cognitives rares. Cela peut se
traduire par une concentration sur le cœur de métier, comme la production, plutôt que sur
des questions secondaires comme l'usage de l'énergie.89
Velthuijsen (1993) a mené une enquête auprès de 70 entreprises de 7 secteurs
d'activité (1 secteur agricole, 4 secteurs industriels, 2 secteurs tertiaires; 10 entreprises
pour chaque secteur) dans le but d'identifier les facteurs stimulants et bloquants les
investissements en efficacité énergétique. D'après les résultats de la recherche, le faible
lien avec le métier ("non-core business character") est l'une des barrières principales aux
investissements en efficacité énergétique90.
Weber (1997, p. 834) indique que "les barrières à l'efficacité énergétique dans les
organisations peuvent provenir … d'une incompatibilité avec des objectifs non liés à
l'énergie"91. Son hypothèse est confirmée par les résultats de son étude sur les décisions
prises dans 100 immeubles de bureau suisses par 65 organisations entre 1986 et 1996, qui
ont un impact sur la consommation énergétique (Weber, 2000). Weber classe ces
décisions en trois catégories: mesures destinées à réduire la consommation de l'énergie
(energy conservation measures), mesures dont l'objectif n'est pas la réduction de la
consommation énergétique mais qui prennent néanmoins en compte leur impact à cet
égard (energy-related events) et enfin les décisions dont la finalité n'est pas la
consommation énergétique et qui ne se préoccupent pas de leur impact à cet égard (non-
energy-related events). Les résultats sont sans appel. Sur 198 décisions examinées, 9%
88
"… profitability is far from the only investment criterion, though it is very important" (Sandberg et
Söderström, 2003, p. 1627)
89
“Means are found to economise on scarce cognitive resources. In organizations, this could mean
focusing on core activities, such as the primary production process, rather than peripheral issues such as
energy use”. (Sorrel et al., 2000, p. 45)
90
Les autres barrières les plus importantes identifiées par la recherche sont "the small size of the energy
bill, a limited knowledge, …, equipment is not scrapped yet, and budgetary constraints are definitely
reasons for not implementing" (Velthuijsen, 1993, p. 11).
91
“Barriers to energy efficiency in organisations may result from … a trade-off with non energy-specific
goals …” (Weber, 1997, p. 834)
94
92
"Energy is generally not an issue when energy-relevant decisions are taken" (Weber, 2000, p. 431)
9393
Le questionnaire de la recherche de de Groot et al. sera soumis aux entreprises genevoises qui
constitueront la base de données pour le volet empirique du présent travail. Voir p. 255 et ss.
95
Finalement, les observations de Parker et al. (2000) sur les décisions prises par
des propriétaires d’immeubles résidentiels locatifs ou hôteliers, et de leur importance
pour retenir ou attirer les locataires ou clients, sont très utiles car elles établissent un lien
direct entre l’importance de l’investissement pour le cœur de métier de l’entreprise et
l’exigence de rentabilité: “Tenant comfort was noted to by decision makers to play a key
role ... According to some, energy cost-saving measures might be passed over if they are
perceived as posing an inconvenience to building tenants (or in the case of hotel, to
guests) such as lighting sensors or after hours HVAC94 controls (2000, pp. 8-9) …
Perhaps our most striking findings is the extent to which tenant retention and attraction
are important to building owners that lease their properties, and can sometimes be, as
one respondent noted, “the number one key” when making investment decisions. It
should therefore be kept in mind that energy-efficiency upgrades can be viewed with
favor as much for their ability to please tenants, as for their ability to reduce the firm’s
own operating costs. Furthermore, other firms claimed that they will stretch their
customary financial criteria [souligné par moi] to invest in low-performing measures, if
they are requested by tenants” (idem, p. 12).
Cet examen des travaux "alternatifs" à la perspective économique sur les barrières
organisationnelles aux investissements en efficacité énergétique montre que les obstacles
auxquels sont confrontés ces investissements vont bien au-delà des problèmes
d'information, de rationalité limitée et d'opportunisme des agents qui constituent le cœur
du cadre théorique économique dominant. Certains facteurs organisationnels semblent
jouer un rôle essentiel dans les décisions d'investir en efficacité énergétique: la culture de
l'organisation en matière d'énergie; les relations de pouvoir au sein de l'organisation; les
intérêts et compétences des managers à différents niveaux. L'importance du lien entre
l'investissement en efficacité énergétique et le métier de l'entreprise est une autre
dimension importante qui ressort de la revue de littérature. Le poids des facteurs
organisationnels et de la relation avec le métier relativise ipso facto l'importance des
facteurs financiers. La rentabilité n'exerce qu'une influence partielle, voire secondaire, sur
la décision d'investissement en efficacité énergétique.
94
Heating Ventilation Air-Conditioning
98
"The human dimension … the rich mixture of cultural practices, social interactions, and human
feelings that influence the behavior of individuals, social groups and institutions.”
Stern & Aronson, 1984, p. 2
et al., 2000), a bloqué et bloque encore le développement d'une science sociale de l'usage
de l'énergie.
L'approche des chercheurs en sciences sociales – sociologues, anthropologues,
psychologues – est différente de celle des économistes. Ceux-ci, comme nous l'avons vu,
cherchent à vérifier l'existence de barrières aux technologies efficaces en énergie, dans les
marchés de l'énergie et des services énergétiques et, plus marginalement, dans les
organisations. Les chercheurs en sciences sociales, eux, ne s'intéressent pas à la question
des barrières à l'efficacité énergétique. Partant d'un double constat: 1) des locaux
présentant les mêmes caractéristiques techniques et occupés par des familles de
caractéristiques démographiques similaires peuvent présenter une consommation variant
du simple au triple (Lutzenhiser, 1993, p.249) et 2) les individus ne basent pas, ou pas
seulement, leurs décisions en matière d'énergie sur le prix (que ce soit en matière d'usage
ou en matière d'investissements), ces chercheurs cherchent à comprendre la "dimension
humaine" de l'énergie, ce mélange complexe de facteurs culturels, d'interactions sociales
et de sentiments qui influence le comportement des individus, des groupes sociaux et des
organisations (Stern et Aronson, 1984, p. 2) en matière d'énergie.
J'adopterai ici la définition suivante : le comportement est "une action – ou une
réaction – observable d'un objet ou d'un organisme, généralement en relation avec son
environnement". Par extension le terme désigne aussi l'action ou la réaction d'une
organisation. Remarquons au passage que "comportement" est l'un de ces mots qui sont
souvent employés mais rarement définis (comme celui de "rationalité" que nous
aborderons bientôt).
Quelques modèles représentant les facteurs déterminant le comportement des
individus en matière de conservation de l'énergie ont été proposés, inspirés de travaux
dans les domaines de l'environnement ou de la santé publique (Costanzo et al., 1987;
Stern, 1992; Egmond, 2006). Ces modèles considèrent généralement la décision en
matière de conservation de l'énergie comme le résultat d'un équilibre entre l'attitude de
l'individu par rapport à l'énergie et l'influence de son environnement social. Cet équilibre
est influencé par des facteurs "situationnels" tels que les prix de l'énergie, le climat, la
taille de la famille ou du logement, le niveau de connaissance ou d'information, ou encore
le revenu (Lutzenhiser, 1993, p. 252).
100
Figure 33 - Modèle causal de l’usage des ressources, avec exemples issus de la consommation
énergétique dans les immeubles résidentiels (Stern, 1992, p. 1227).
l'efficacité du message: le support (par exemple, une vidéo est plus efficace qu'un
message écrit), le contenu (par exemple, l'argument d'une perte d'argent liée à une
consommation énergétique élevée est plus efficace que l'argument d'un gain potentiel) et
la source de l'information (en particulier la crédibilité du porteur96). En résumé,
l'information est multidimensionnelle. Ce qui compte c'est que le public soit attentif, qu'il
prenne le message au sérieux97 (Stern, 1992, p. 1228) et qu'il le retienne.
Jusqu'à présent, la plupart des recherches sur la dimension humaine de l’usage de
l’énergie ont porté sur les individus agissant dans le cadre familial de leur logement. Très
peu de recherches ont porté sur les individus au sein des organisations en général, ou des
entreprises en particulier. Peu d’attention a été accordée à l’influence du groupe sur
l’individu et à l’influence des individus sur les processus décisionnels au sein de
l’entreprise : "What is that drives the behavior of decision-makers within firms?" (Payne,
2006a, p. 5). Cette question n’a pratiquement pas été traitée. Au contraire, comme le font
remarquer Parker et al. (2000, p.1) "Despite their pivotal role in the procurement process,
decision makers have been largely neglected in previous published market research on
energy efficiency". Malgré la mise en évidence de l'importance des valeurs et des
comportements individuels sur les décisions en matière d'énergie dans les organisations,
en particulier l’engagement personnel des responsables de l’énergie à l’égard de
l’efficacité énergétique98 (Kulakowski, 1999), malgré l'importance de la présence
(Weber, 2000) et de la compétence (Rigby, 2002; Sardianou, 2007) de gestionnaires en
charge de l'énergie au sein des organisations, les recherches sur la dimension humaine de
l'énergie au sein des organisations sont peu nombreuses. Les travaux de Payne (2006a et
b), qui a mené des recherches approfondies sur les décisions prises par les individus au
sein des organisations, constituent une exception. Mais sa recherche porte sur les micro-
96
Un exemple classique est celui d'une campagne d'information destinée à réduire l'usage du
conditionnement d'air dans des appartements New-Yorkais. Les appartements ayant reçu la brochure
d'information de la part de la New York State Public Service Commission réduisirent leur consommation
de 7%, alors que la consommation des appartements ayant reçu la brochure par l'intermédiaire du
producteur d'électricité local, Consolidated (Con) Edison, resta inchangée. Craig & McCann, 1978, cité par
Stern, 1992, p. 1228)
97
"…getting the audience to pay attention and take the message seriously" (Stern, 1992 p. 1228).
98
“If line employees were not able to convince management that improving energy efficiency is the
(morally) right thing to do and take personal initiative to see projects completed, we would see even fewer
energy-efficiency projects than we do now” ( Kulakowski, 1999, p. 14).
103
entreprises, souvent familiales, où une seule personne est en général responsable des
décisions en matière d'énergie.
De cette brève revue des travaux sur les déterminants individuels des
comportements en matière d'énergie, on peut retenir d'une part que les déterminants du
comportement individuel, que ce soit en matière d'investissement ou en matière d'usage,
sont loin de se résumer aux seuls facteurs financiers ou à la quantité d'information
fournie; il apparaît d'autre part que des recherches sont nécessaires pour mieux
comprendre les déterminants du comportement individuel dans les organisations, qui a
été presque totalement laissé pour compte jusqu'à présent.
et al. (2000) montrent d'autre part que lorsqu'une entreprise considère un investissement
en efficacité énergétique comme étant important pour son métier, elle peut exiger une
rentabilité moins élevée. Quirion (2004) fait une constatation du même ordre lorsqu'il
indique que la méthode du délai de récupération, qui implique une exigence de rentabilité
élevée, est employée pour les investissements considérés comme faiblement ou
moyennement importants (or cette méthode est généralement celle qui est appliquée pour
les investissements en efficacité énergétique). Parker et al. (2000) et Quirion (2004)
établissent donc un lien entre la contribution de l'investissement au métier de l’entreprise
et le niveau de rentabilité requis par l'investisseur (plus importante la contribution de
l’investissement au métier, plus basse l'exigence de rentabilité). Comme nous le
verrons99, le lien avec le métier doit s’interpréter comme la dimension stratégique de
l’investissement. Cependant cette relation n’est pas discutée par les chercheurs du
domaine de l’énergie.
Le deuxième facteur mentionné comme jouant un rôle majeur dans la décision
d’investir est l’importance de l’énergie dans la culture de l’organisation. Plusieurs auteurs
soulignent que la culture de l’organisation est un facteur qui influence significativement
les décisions d’investir en efficacité énergétique ou le niveau d’efficacité énergétique
dans les organisations (Christoffersen, 2005; Sorrel, 2000; Kulakowski, 1999; Hennicke,
1998 ; Togeby, 1997; Cebon, 1992; Stern & Aronson, 1984). Or ces auteurs constatent
que l'efficacité énergétique ne fait pas partie de la culture de nombreuses organisations, et
ceci quel que soit le secteur d'activité, y compris dans des secteurs industriels intensifs en
énergie (Tunnessen, 2004). Comme nous le verrons100, la culture des organisations en
matière d’usage de l’énergie et d’efficacité énergétique, élément de la culture
organisationnelle, peut être interprétée comme un filtre cognitif ou interprétatif qui
influence la perception du caractère stratégique de l’investissement au début de processus
décisionnel. Cependant la liaison avec le domaine de recherche du SID (Strategic Issue
Diagnosis), qui étudie le rôle des filtres cognitifs sur l’interprétation des sujets
décisionnels, n’est pas faite par les chercheurs du domaine de l’énergie.
99
Dans le chapitre "Décision stratégique et stratégie", voir p. 185 et ss.
100
Dans le capitre consacré à l’influence des filtres organisationnels sur le diagnostic des questions
stratégiques. Voir p. 215 et ss.
108
101
Une grande majorité d'entreprises, y compris dans le secteur secondaire, n’ont pas de système de secours
pour faire face à une rupture d’approvisionnement électrique par exemple, sauf pour alimenter leur parc
informatique.
102
Dans la recherche en management, explorer "consiste à découvrir ou approfondir une structure ou un
fonctionnement pour servir deux grands objectifs: la recherche de l'explication (et de la prédiction) et la
recherche d'une compréhension. Explorer répond à l'intention initiale du chercheur de proposer des résultats
théoriques novateurs, c'est-à-dire de créer de nouvelles articulations théoriques entre des concepts et/ou
d'intégrer de nouveaux concepts dans un champ théorique donné." (Thiétart et coll., 1999, p. 58)
109
Le cadre théorique économique qui a été décrit dans cette première partie et qui
domine l'analyse des déterminants des investissements en efficacité énergétique, se
compose en réalité de trois corps distincts, aux conclusions parfois contradictoires :
Ces trois approches s'accordent cependant pour considérer que les facteurs
explicatifs les plus importants des investissements en efficacité énergétique sont, d'une
part, les facteurs financiers - la rentabilité - et, d'autre part, l'information.
110
Notre examen de littérature montre que cette analyse n'est pas confirmée par les
recherches empiriques. Nous avons vu que tous les travaux "alternatifs" à l'approche
économique dominante sur les barrières à l'efficacité énergétique - et mêmes certains
travaux du mainstream - montrent que des facteurs autres que financiers exercent une
influence sur la décision : caractéristiques organisationnelles (en particulier l’importance
de la culture de l’entreprise en matière d’usage de l’énergie et d’efficacité énergétique),
facteurs extérieurs à l'organisation et, finalement, caractéristiques de l'investissement lui-
même (en particulier son lien avec le core business). L'influence de ces différents
éléments relativise ipso facto l'importance de la rentabilité de l'investissement. La
rentabilité n'est pas le déterminant unique de la décision d'investir des entreprises. Elle
n'est qu'un facteur décisionnel parmi d'autres.
Par conséquent, augmenter la quantité d'information – entendue par la perspective
économique comme une information sur les avantages financiers de l'investissement - ne
suffit pas à déclencher la décision. Ce qui explique les constatations de certains
chercheurs sur le manque d'effet de l'information, mis en évidence par l'échec relatif des
audits énergétiques.
Une autre conclusion importante qui émerge de cette revue de littérature est celle
d'une insuffisance de la théorie économique pour décrire et expliquer les décisions
d'investissements en efficacité énergétique. Cette conclusion confirme, en les complétant,
les conclusions similaires de plusieurs auteurs (Payne, 2006; Weber, 2000 ; DeCanio,
1998; DeCanio et Watkins, 1998; DeCanio, 1993; Robinson, 1991; Cebon 1992; Stern et
Aronson, 1984), conclusions parfois formulées dans des termes plus radicaux. Ainsi
DeCanio et Watkins (1998, p. 6) parlent d'un "échec de la théorie d’investissement néo-
classique"103, en fustigeant les économistes du courant dominant.
103
“the failure of neoclassical investment theory”.
111
revêtir une importance particulière: d'une part le lien entre l'investissement en efficacité
énergétique et le métier de l'entreprise, d'autre part le lien entre l’importance de l’énergie
dans la culture de l'entreprise et l'investissement en efficacité énergétique. Deuxième
constatation: la rentabilité n'est pas le déterminant unique, ni même principal, de la
décision d'investir dans le domaine de l'efficacité énergétique (comme d'ailleurs, comme
nous le verrons, dans les autres domaines).
L'analyse de la littérature met cependant en évidence le manque d'une alternative
théorique qui puisse intégrer les différents facteurs influençant les décisions relatives aux
investissements en efficacité énergétique et expliquer les modalités de leur influence, en
prenant en compte les résultats des différentes recherches. Ce nouveau cadre théorique,
qui permettrait en même temps de compenser les insuffisances explicatives de la théorie
économique, est réclamé par certains chercheurs, tels que DeCanio et Watkins (1998),
Sorel (2000), Weber (2000). D'autres chercheurs ébauchent des pistes de recherche mais
sans, me semble-t-il, les approfondir suffisamment.
Cebon (1992), qui fait appel aux concepts de structure, culture et pouvoir pour
modéliser les décisions de deux grandes universités américaines en matière d'énergie,
semble être la seule véritable exception au cloisonnement entre le domaine de l'énergie et
celui des organisations. Sorrel et al. (2000, p. 53) mentionnent l’utilisation possible de
concepts des théories de l'organisation pour analyser les barrières organisationnelles à
l'efficacité énergétique. Faisant référence aux "images de l'organisation" de Morgan
(1985) pour démontrer le caractère "notoirement divers et éclectique" des théories de
l'organisation, ils déplorent le peu d'études sur l'efficacité énergétique menées par les
chercheurs se référant à ces théories. Ils déplorent aussi le fait que les chercheurs du
domaine de l'énergie - contrairement à leurs collègues dans le domaine de
l'environnement - ne soient pas allés emprunter des cadres d'analyse aux théories de
l'organisation. Cependant leur analyse des possibilités conceptuelles offertes par le
domaine des organisations reste superficielle. Weber (2000) insiste sur la nécessité de
nouveaux développements théoriques, basés sur les théories de l'organisation pour
expliquer les décisions des organisations en efficacité énergétique. Il remarque cependant
qu'il était impossible d'utiliser les théories existantes pour sa recherche sur les décisions
prises dans les immeubles de bureau car, bien qu'il existe une littérature importante sur la
112
décision dans les organisations, les théories descriptives sont rares, et celles qui existent
sont difficiles à appliquer dans une recherche empirique (il cite en particulier le "modèle
de la poubelle" de Cohen, March et Olsen, 1972) ou bien sont trop spécifiques.
Commentant les résultats de DeCanio et Watkins (1998a) sur l'influence des
caractéristiques des entreprises sur les décisions d'investissement en efficacité
énergétique, Haddad, Howarth et Paton (1998, pp. 35-36) explorent – assez brièvement –
d'autres cadres théoriques qui permettraient une meilleure représentation du
comportement des entreprises en matière d'investissements. Ils sont les seuls à établir une
liaison entre efficacité énergétique et stratégie, en faisant référence à la perspective de la
stratégie basée sur les ressources. Ils mentionnent les travaux de Penrose (1959), qui
définit la firme comme un "ensemble de ressources" et font remarquer que l'adoption de
technologies efficaces en énergie peut entraîner des conséquences sur quatre catégories
de ressources au moins : les ressources physiques, humaines, organisationnelles et
réputationnelle. Ils s'intéressent aussi aux travaux de Nelson (1994) qui définit la firme
comme une combinaison de stratégie, structure et compétences de base, définition qui
insiste sur l'importance de la culture de l'entreprise et des routines sur les décisions
d'investissement (comme les théories de l'agence et des coûts de transaction). Selon
Nelson (evolutionary economics), les compétences de base (core competencies) de la
firme se traduisent dans un ensemble hiérarchisé de routines. Mais ces routines peuvent
devenir des rigidités de base (core rigidities) qui bloquent le changement.
L'absence de recherches plus approfondies pour développer un cadre théorique
alternatif, ou complémentaire, au cadre économico-financier est assez surprenant, eu
égard aux critiques formulées à son encontre. D'autre part, on ne peut qu'être frappé par le
cloisonnement général des recherches. Dans leur grande majorité les chercheurs du
domaine de l'énergie n'ont pas investigué les résultats d'autres domaines de recherche.
Les chercheurs en sciences sociales ne s'intéressent généralement pas aux caractéristiques
techniques des bâtiments. Les économistes et les ingénieurs ne comprennent pas la
logique financière, et dans l'ensemble, méconnaissent et/ou mésestiment les travaux des
sociologues et psychologues. Chaque domaine de recherche détient une pièce du puzzle
mais la collaboration nécessaire pour assembler les pièces n'existe pas. Pourtant, la
113
Puisque tout investissement est le résultat d'une décision (ou plus exactement,
comme nous le verrons, d'un processus décisionnel), la littérature relative à la décision
dans les organisations semble une source pertinente pour aborder les différents aspects
des décisions d’investissement des entreprises et construire un cadre théorique solide. La
deuxième partie de ma recherche s'attachera à identifier les éléments de cette littérature
qui sont les plus utiles pour analyser et expliquer les décisions d'investissement en
efficacité énergétique des organisations et l'importance des dimensions stratégique et
culturelle de ces investissements. Cette démarche implique aussi d'examiner des concepts
souvent employés mais rarement définis par les chercheurs dans le domaine de l'énergie,
alors qu'ils sont au cœur de la problématique de la décision d'investir : les concepts de
rationalité, de comportement et enfin le concept d'investissement lui-même. Je tenterai de
préciser ces concepts dans la deuxième partie de ce travail, qui sera consacré à la décision
dans les organisations.
114
"Rappelons l’affirmation de Mintzberg (1994) : jamais les innovations comme l’IBM 360, le float glass
et le ski métallique n’auraient vu le jour si les décideurs qui les ont lancées avaient pris en compte des
critères de rentabilité. Nous ajoutons que l’innovateur est souvent considéré comme irrationnel par son
entourage. "
Romelaer et Lambert, 2001, p. 181
Le domaine de la décision dans les organisations fait partie du domaine plus vaste
de l'étude et des théories des organisations, domaine touffu, caractérisé par une
multiplicité de théories, de modèles et de méthodologies. L'étude de la décision dans les
organisations a une longue histoire: elle remonte à l'américain Chester Barnard qui, le
premier, inscrit la prise de décision "au cœur des fonctions du dirigeant" (1938, p. 189),
en réaction à la perspective mécaniste du management scientifique de Taylor et Fayol.
Le concept de décision lui-même ne se laisse pas aborder aussi facilement qu'on
pourrait le penser de prime abord. En effet, qu’est-ce qu’une décision ? C’est d’abord un
"objet psychologique", dans la mesure où elle ne peut être observée directement mais
116
seulement déduite de l’observation d’un comportement. Les "traces qu'elle laisse derrière
elle dans une organisation"104 sont identifiables et observables, mais pas la décision elle-
même. Selon certains chercheurs, dans la lignée de Mintzberg, il est donc impossible
d'étudier une décision. On ne peut que la déduire de l'action observable, telle, par
exemple, l'ouverture d'un nouveau magasin ou le départ d'un collaborateur (Mintzberg et
Waters, 1990; Langley et al., 1995). Un autre courant de recherche, mené par Pettigrew,
considère dans le même esprit que la décision n'est pas l'unité d'analyse appropriée car la
décision est un processus continu105, et non pas un épisode isolé. Il faut donc adopter une
perspective dynamique de la décision.
Pour un individu comme pour une organisation, décider c’est faire un choix entre
différents projets (Favereau, 1997). Le choix est la première dimension de la décision.
Une décision peut d'abord être considérée comme un "comportement de choix"106 (Cyert
& March, 1963). Cependant le choix doit s’incarner dans une ou des action(s) qui
permettront de mener à bien le projet choisi. L’action est donc la deuxième dimension de
la décision. Ainsi Butler et al. définissent la décision comme ”the selection of a proposed
course of action” (1993, p. 6). Mintzberg, Raisinghani et Theoret (1976, p. 246) vont plus
loin en définissant la décision comme un "engagement à agir"107. Cet engagement à agir
concerne généralement un engagement de ressources108 (idem) et les décisions dans les
organisations sont donc des décisions à caractère économique109. La troisième dimension
de la décision est l’incertitude, préalable obligé de la décision (Butler et al, 1993). Sans
incertitude, il n’y a pas de choix à faire et donc pas de décision. Cependant le niveau
104
"actions … are the traces actually left behind in organizations", (Mintzberg et Waters, 1990, p.1).
105
"…the language of decision-making can be more powerful when decision-making is understood as a
continuous process in context" (Pettigrew, 1990, p. 8)
106
"Behavior of choice".
107
Par la suite, Mintzberg et Waters ont remis en question cette définition sur la base du constat qu'il est
difficile parfois, non seulement de retrouver la décision qui est à l'origine d'une certaine action, mais aussi
"d'identifier un engagement dans le contexte collectif d'une organisation" (Mintzberg et Waters, 1990, p. 3).
Ces questions seront discutées plus en détails p. 89.
108
“a specific commitment to action ... usually a commitment of resources "
109
La science économique est la « science des choix » (Samuelson, 2000, préface XVIII). Elle étudie
« l’utilisation de ressources rares pour satisfaire des besoins humains illimités … La rareté implique la
nécessité de faire des choix dans l’allocation des ressources, choix qui impliquent l’existence de coûts,
coûts d’opportunité, traduisant le bénéfice des emplois alternatifs de ressources auxquels on a renoncé. Les
décisions d’allocation de ressources déterminent les quantités des différents biens qui sont produits et
consommés.109 (Lipsey & Courant, 1996, p. 4 & 5).
117
d’incertitude est très variable d’une décision à l’autre, d’une situation de choix à une
autre, avec des conséquences importantes.
La décision dans les organisations peut être analysée à trois niveaux: au niveau de
l'organisation elle-même (macro level), et à celui des groupes (meso level) et des
individus (micro level) qui la composent. Différents types de décisions ont été étudiées.
Les décisions stratégiques en particulier - qui sont souvent des décisions d'investissement
- ont fait l'objet d'une importante littérature, ainsi que les décisions portant sur
l’innovation et le changement dans les organisations.
Qu’est-ce qui fonde et explique la prise de décision? La théorie de la décision
aimeraient pouvoir dire certains, puisqu’elle "propose des principes sur lesquels des
critères de sélection sont construits et des solutions seront proposées", généralement
quantifiées. Son but est d’ailleurs précisément de "donner les moyens aux décideurs non
seulement d’analyser leurs problèmes, mais aussi de pouvoir justifier les solutions
proposées : elles sont rationnelles." (Kast, 2002, p.7). Mais les principes normatifs
proposés par la théorie de la décision sont-ils utilisés par les décideurs ? Dans la réalité,
comme toujours, il semble que les choses ne soient pas aussi simples et c’est la raison
pour laquelle le sujet de la décision, individuelle ou collective, a suscité une importante
littérature110. Quelques thèmes majeurs ont polarisé la recherche sur ce vaste sujet :
acteurs de la décision, types de rationalité, définition du problème décisionnel et
élaboration de solutions, rôle des facteurs contextuels, aspects temporels de la décision,
efficacité de la prise de décision et mise en œuvre. Les débats portent aussi sur
l’influence respective de facteurs individuels, organisationnels et environnementaux. Ces
questions seront analysées plus en détails dans le chapitre consacré aux déterminants de
la décision dans les organisations (voir p. 147 et suivantes).
Entre tous, un thème mérite une place à part : celui de la rationalité. La question
de la rationalité est primordiale car la définition qui en est donnée influence, bien que
souvent de façon implicite, les recherches et les réponses sur tous les autres thèmes liés à
la décision. Dans de nombreux textes – en particulier ceux qui traitent des
110
Dans laquelle on retombe à nouveau sur la question de la valeur normative ou explicative d'une théorie,
ici celle de la théorie de la décision.
118
111
On trouve une exception à l'absence de définition chez les économistes de l'énergie Howarth et al. qui
précisent "Humans are rational in the sense that they are able to calculate effectively a detailed economic
plan given the information at their disposal" (1998, p. 937). Cependant cette définition est loin d'être
suffisante, voire exacte, comme on le comprendra à la lecture de ce chapitre.
119
en s’appuyant sur le fait qu’il y a une raison derrière chaque acte managérial" (Romelaer
et Lambert, 2001, p. 170).
Quelles sont ces raisons? Dans la perspective classique, on peut les résumer à
deux mots : les fins et les moyens (ends and means). Les deux dimensions de la
rationalité sont donc d’une part le(s) but(s) de la décision, et d’autre part les moyens
disponibles pour atteindre ce(s) but(s). Ou, autrement dit, le "pourquoi" et le "comment"
de la décision.
Cependant ces deux dimensions suscitent à nouveau de nombreuses questions : la
décision est-elle vraiment conditionnée par un but ? Si oui, quel est-il ? Est-il défini a
priori ? Comment sont formées les préférences du décideur ? Quels sont les moyens du
décideur pour atteindre le but fixé? Comment les utiliser "au mieux"? Quelles sont les
limites et les contraintes du choix? Les conséquences des choix sont-elles connues ?
Les réponses à ces questions ne seront pas les mêmes selon qu’on considère un
individu ou une organisation puisque dans le cas d’une organisation se pose en outre la
question du nombre de décideurs et des possibles conflits d’intérêts entre eux, et entre
leurs objectifs et ceux de l’organisation elle-même.
Mais, comme je l'ai déjà indiqué, les réponses à ces questions varient également
considérablement selon l’obédience du répondant. Car, au-delà des interrogations sur les
buts et les moyens de la décision, ce qui est en cause en réalité c’est le comportement des
individus et des organisations, et les facteurs qui déterminent ce comportement, ou même,
plus exactement, l'écart entre le comportement observé et les prédictions des théories.
En matière de décision économique, dont font typiquement partie les décisions
d'investissement puisqu'elles portent sur des allocations de ressources, deux grands
modèles explicatifs s’opposent : le paradigme économique et le paradigme psychosocial.
Il est important de comprendre leurs oppositions pour pouvoir décrypter leurs réponses
sur la décision. Examinons-les plus en détails.
120
"La théorie de la décision individuelle … consiste, dans le cadre d’une description adéquate des
différents éléments des problèmes de décision, à construire des critères fondés sur des hypothèses sur le
comportement du décideur. Dans le cadre de ces hypothèses, le comportement rationnel consiste à
optimiser ces critères. La théorie de la décision s’inscrit ainsi dans la perspective de la théorie
économique qui met en jeu des agents, consommateurs et producteurs, et en formalise le comportement
comme consistant à maximiser des « fonctions d’utilité » ou « fonctions de satisfaction » (nous
simplifions, la théorie n’a souvent besoin que de « préférences » sans que celles-ci doivent être
représentées par une fonction). L’agent économique est alors réduit au fameux Homo economicus …"
Robert Kast, La théorie de la décision, La découverte, 2002, p. 17
Deuxièmement, cette rationalité finaliste est utilitariste 112 : le but poursuivi est la
maximisation de l’utilité du décideur. Motivé par la satisfaction de son intérêt personnel
(self-interest), il effectuera le choix le plus conforme à ses préférences matérielles, en
choisissant l’action qu’il préfère parmi toutes celles qu’il a la possibilité d’accomplir. Les
préférences matérielles du décideur sont identifiables, stables et peuvent être classées sur
une échelle d’utilité. Enfin, cette rationalité finaliste et utilitariste est en même temps
instrumentale, dans la mesure où elle consiste à utiliser au mieux les moyens à disposition
pour réaliser l'objectif défini: c'est la rationalité dite "praxéologique", qui fait référence à
une situation de maximisation sous contrainte (Combe, idem, p. 75), au terme de laquelle
la meilleure solution sera choisie. La rationalité du paradigme économique est aussi
appelée rationalité substantive, parfaite, ou classique, ce dernier terme faisant référence à
son origine, le cartésianisme.
Les tenants du paradigme psychosocial sur la décision reprochent d'abord à la
rationalité du paradigme économique son décalage important avec la réalité. Ainsi les
sociologues Boudon et Bourricaud remarquent que, même dans son acception
praxéologique la plus simple (adaptation des moyens aux fins), "la notion de rationalité
pose de nombreux problèmes et … n’est définie de façon univoque que dans des
situations-limites". En effet, "s'il existe un ensemble fini de moyens pour parvenir à une
fin, si ces moyens peuvent être totalement ordonnés par rapport à un critère (ce critère
pouvant être par exemple le coût, la pénibilité, l’accessibilité de chaque moyen), l’action
rationnelle et celle qui utilise le moyen le meilleur par rapport ce critère. Mais ces
conditions (ordre total par rapport à un critère unique d’un ensemble fini de moyens)
peuvent ne pas être toutes (et souvent ne sont pas) réunies. Si elles le sont objectivement,
elles peuvent ne pas l’être dans la conscience de l’acteur, qui peut par exemple ne pas
avoir connaissance de l’existence de tel ou tel moyen" [accents mis par les auteurs]
(Boudon et Bourricaud, 2004, p. 480).
Plus fondamentalement, le paradigme psychosocial conteste la définition de la
rationalité selon le paradigme économique dans ses trois dimensions, utilitariste, finaliste
112
La rationalité utilitariste fait référence à des intérêts immédiats ; dans le cas de la rationalité
téléologique, variante de la rationalité utilitariste, le décideur agit en fonction d’objectifs qu’il s’est fixé,
parfois à long terme, lesquels peuvent ne pas coïncider avec ses intérêts immédiats.
122
et instrumentale. Cette critique unanime est d'ailleurs le critère qui permet d'employer ici
le terme de "paradigme psychosocial"113.
La contestation porte d'abord sur la qualité instrumentale de la décision, sur les
capacités des décideurs à traiter l’information et à analyser les solutions disponibles en
vue de la décision. Elle porte ensuite sur la dimension utilitariste de la rationalité
économique. Pour les tenants du paradigme psychosocial, l’intérêt individuel n’est pas le
moteur unique de la décision, même économique, en raison de l’influence des valeurs
mais aussi parce que des relations avec d’autres acteurs, par exemple de solidarité ou de
collaboration, peuvent jouer un rôle. Enfin, le paradigme psychosocial oppose à la
perspective finaliste du paradigme économique une perspective causaliste, parfois même
déterministe, en cherchant à mettre en évidence les forces socioculturelles et
psychologiques qui orientent les choix du décideur. Au "pourquoi" de l'approche finaliste
de la rationalité économique, qui renvoie à la finalité de la décision, au but poursuivi,
l'approche psychosociale oppose, pourrait-on dire, le "parce que", en faisant référence à
"ces éléments du passé qui déterminent le projet, tant dans la fin poursuivie que dans les
moyens de l'atteindre" (Schütz, 1997, p. 26, cité par Cossette, 2004, p. 31). Schütz donne
à cet égard un exemple simple : le meurtrier commet son crime en vue d'obtenir l'argent
de sa victime mais parce qu'il a eu une enfance difficile.
Une autre forme de rationalité, mise en évidence par les chercheurs en sciences
sociales (voir à ce sujet Pettigrew, 2002; Pfeffer, 1997) conteste la dimension finaliste de
la rationalité économique : il s'agit de la rationalité a posteriori, qui qualifie une situation
dans laquelle le décideur justifie sa décision ou son action seulement après l'avoir
effectuée. Comme l'exprime bien Pettigrew (2002, p. 12), “even the unthinkable was
articulated, action might precede thought.” Un courant de littérature a exploré à ce sujet
113
Le terme "psychosocial" fait référence ici à l’ensemble des sciences sociales qui s'intéressent aux
facteurs influençant les comportements humains : psychologie, sociologie, anthropologie, ethnologie. Si on
définit un paradigme dans les sciences sociales comme une "vision globale des relations et des
comportements humains" (Moscovici, 2003), il peut sembler discutable d’employer le terme de "paradigme
psychosocial" à propos de la rationalité, tant les perspectives des sciences humaines sur les facteurs
déterminants les comportements humains sont variées et parfois même contradictoires. Certaines de ces
disciplines, ou certains courants au sein de ces disciplines, centrent leur analyse sur le sujet individuel,
d’autres sur le sujet collectif, certaines adoptent une perspective statique, et d’autres une perspective
dynamique, certaines ont une vision plus déterministe que d'autres. Finalement l’élément fédérateur, le
critère qui permet d’employer ici malgré tout le terme de "paradigme psychosocial" pour qualifier la vision
globale commune à toutes ces disciplines est leur critique unanime de la rationalité telle qu'elle est
présentée par les économistes néo-classiques.
123
les relations entre la pensée et l'action et la question de l'intentionnalité dans les situations
de rationalité a posteriori. En effet, si l'on définit l'intentionnalité comme la formulation
d'un projet par la pensée, que la décision permettra d'exécuter, il semble indispensable
que l'intention précède l'action (voir Cossette, 2004, p. 33-34). Que cela ne soit pas le cas
est bien embarrassant sur un plan théorique.
La question des préférences du décideur est celle sur laquelle les paradigmes
économique et psychosocial sont en plus forte opposition. Selon le paradigme
économique, les préférences sont stables, voire immuables, et communes à tous les
individus, sans être influencées par le contexte social. Elles peuvent dès lors être traitées
par les modèles de rationalité économique comme des données exogènes qui ne font pas
l’objet d’une analyse114. Selon le paradigme psychosocial, au contraire, le décideur n’est
pas "tiré" par le but poursuivi mais en quelque sorte "poussé" par des forces
psychologiques, sociales et culturelles, dont il n’a pas conscience, qui conditionnent ses
préférences et biaisent ses analyses et ses décisions. Le paradigme psychosocial met ainsi
l’accent sur l’ancrage social ("social embeddedness", Granovetter, 1985) du
comportement et des décisions.
Le comportement du décideur est donc analysé par les sciences sociales non pas
en termes de satisfaction de ses préférences mais en termes de cohérence avec ses
attitudes115. L’attitude représente les idées, les convictions ou les goûts d’une personne à
l’égard d’un objet ou d’une question. Il s’agit d’une variable latente qui prédispose un
individu à un certain comportement, défini comme la manière dont cet individu agit ou
réagit par rapport à cet objet ou à cette question. Un même comportement peut avoir
différentes significations, et différents comportements peuvent avoir la même
signification. Ce qui est important n'est donc pas le comportement lui-même mais la
signification du comportement (Cossette, 2004; Schein, 2004; Schneider et Barsoux,
114
"Preferences are exogenous and few variants consider the possibility that preferences are shaped by
social institutions and should therefore be the subject of analysis rather than taken for granted or assumed"
(Pfeffer, 1997, p. 44).
115
"Attitude is representing a person’s idea, convictions, or liking with regard to a specific object or idea.
… Attitude represents a predisposition to respond to an object, not actual behavior toward the object …
Attitude is a latent variable that produces consistency in behavior, either verbal or physical"(Churchill &
Jacobucci 2002, pp 366-367)
124
2003). L’attitude est conditionnée par les croyances – des énoncés de fait sur ce que les
choses sont - et les valeurs – des énoncés sur comment les choses devraient être116.
Les valeurs peuvent conduire à exclure certaines options et à en valoriser d’autres.
Elles peuvent avoir une influence positive ou négative sur une décision. La question est
donc de comprendre sous quelles conditions, et dans quelle mesure, elles renforcent ou
minent la rationalité instrumentale (Romelaer et Lambert, 2001). Dans certains cas, les
valeurs prennent une dimension normative. Dans ce cas, le décideur agit en fonction d’un
code de valeurs qui s’impose à lui, et cela même si l’action considérée va à l’encontre de
ses intérêts immédiats ou de ses objectifs. Un exemple extrême, souvent cité, de cette
forme de rationalité (rationalité axiologique) est celui du capitaine qui se laisse couler
avec son navire par fidélité à sa conception de l’honneur. On peut classer dans cette
catégorie de rationalité normative la rationalité influencée par la morale. Un autre cas de
rationalité normative est celui de la rationalité influencée par les règles, qui encadrent la
décision, en particulier dans les organisations (mais dont le contenu est lui-même
influencé par les valeurs).
Des réactions affectives et émotionnelles, les affects, peuvent conduire le décideur
(Etzioni 1992, cité par Romelaer et Lambert, 2001, p. 191, Giordan, 1998, p. 41 et ss.) à
exclure certaines options et à en valoriser d’autres.
La décision peut enfin être le résultat d'un comportement d'imitation, fréquent
chez les individus, mais qui a également été observé dans les organisations, notamment
au niveau de leurs décisions stratégiques (Greve, 1996 ; Haveman, 1993 cités par Pfeffer,
1997) et conceptualisé par la théorie institutionnelle (DiMaggio et Powell, 1983 ; Scott,
1995).
Au total, selon le paradigme psychosocial sur la décision, on devrait dire en fait
"psycho-socioculturel", trois niveaux d'influence contribuent à orienter les choix des êtres
humains : le niveau individuel, qui comprend la personnalité, la psychologie et les
réactions affectives de l'individu; le niveau sociologique, qui comprend ses relations aux
autres, et enfin le niveau culturel, formé par les "basics assumptions" qui conditionnent
ses désirs et ses refus. Ces différents niveaux d'influence sont interreliés: par exemple les
116
"Beliefs are statements of fact, about the way things are. Values are preferred states about the way
things should be, about ideals" (Schneider & Barsoux 2003, p. 27).
125
émotions qu'éprouve un individu sont influencées par sa culture. Les trois niveaux
d'influence doivent être pris en compte dans l'étude des décisions dans les organisations.
Un quatrième niveau, celui de la biologie, joue un rôle essentiel, bien qu'il ne soit
pas cité dans la littérature sur la décision et relève plutôt des sciences de l'éducation et des
neurosciences. Système dynamique en remaniement constant, dont les structures
complémentaires interprètent les données, donnent un poids aux choses en fonction des
ressentis du corps, notre cerveau élabore une conception de la réalité à partir des
informations écrites, des images et des sons qu'il reçoit ou recherche et des cadres
cognitifs qu'il contient. Le cerveau n'apprend que parce que l'environnement, physique et
social, fluctue, dans un échange où interviennent à la fois un type de questionnement, un
cadre de références et des façons de produire du sens (Giordan, 1998, p. 40).
Paradigme économique et paradigme psychosocial ont évolué au fil des apports
théoriques et empiriques selon deux lignes différentes : les économistes, en s'associant à
des travaux de psychologie expérimentale, ont étudié principalement les moyens de la
décision et leurs limites, sans s’interroger sur les préférences du décideur, leur genèse et
leur influence sur les buts de la décision. Ils ont en somme questionné la dimension
instrumentale de la décision, sans remettre en question ses aspects finaliste et utilitariste.
Le paradigme psychosocial s'est attaché par contre à étudier l’influence sur toutes
décisions, y compris économiques, des caractéristiques individuelles du décideur et du
contexte socioculturel, y compris le rôle joué par la distribution et l’exercice du pouvoir.
Les deux paradigmes se sont incarnés dans différents modèles décisionnels, ou
"théories des choix" (Pettigrew, 1990), développés par les chercheurs et théoriciens des
sciences économiques et sociales pour expliquer les décisions prises par les individus
et/ou les organisations. Examinons brièvement les grands modèles décisionnels qui ont
été développés en particulier dans les années 50 à 70, et servent depuis lors de base aux
chercheurs de la décision, soit pour les compléter, soit pour s'en démarquer.
de la décision dans les organisations, et enfin les modèles aléatoires. Le premier modèle
constitue le socle de la théorie économique néo-classique. Le modèle de la rationalité
limitée a été adopté tant par le paradigme économique que par le paradigme psychosocial.
Les deux derniers modèles relèvent essentiellement du paradigme psychosocial. Les deux
premiers modèles représentent la décision individuelle, tandis que les deux derniers
modèles s'attachent à représenter la décision dans les organisations.
“The rational consumer model is so deeply entwined in economic analysis, and in broad terms so
plausible, that it is hard for many economists to imagine that failures of rationality could infect major
economic decisions or survive market forces.”
McFadden, 1999, p. 74
Le décideur est détaché du monde qui l’entoure, dont il a une vision parfaitement
objective, au sens de non déformée par ses propres perceptions. Cette position
d’observateur détaché lui permet de confronter les solutions claires qui s’offrent à lui à
ses préférences qui sont préexistantes, parfaitement définies et ordonnées.
Le décideur utilise la méthode analytique pour faire ses choix, selon un processus
en différentes étapes : il définit le problème à propos duquel une décision doit être prise,
il identifie les critères pertinents pour le choix à effectuer et les classe par ordre
d'importance, il rassemble les informations nécessaires sur les différentes solutions
envisageables, il classe les solutions par rapport aux critères prédéfinis; il calcule le score
de chaque décision en multipliant son classement par la valeur relative de chaque critère;
finalement, il choisit la solution ayant obtenu le score le plus élevé, la solution optimale
(Bazerman, 2006, p. 4). Ou encore, comme le décrivent Mintzberg, Raisinghani et
Theoret, (1976, p. 258) “…the analytic mode, clearly distinguishing fact and value in the
selection phase. It postulates that alternatives are carefully and objectively evaluated,
their factual consequences explicitly determined along various goal, or value, dimensions
and then combined according to some predetermined utility function – a choice finally
made to maximize utility". L'étape de la mise en œuvre n'est, logiquement, pas prise en
compte par le modèle: elle ne peut poser aucun problème puisque c'est la meilleure
solution qui a été choisie.
Dans ses analyses des décisions de niveau organisationnel, cette approche agrège
"sans remord", et en bonne logique, le comportement des individus et des groupes :
puisque chaque manager prend individuellement des décisions rationnelles, optimales,
alors les décisions prises par des groupes au sein des organisations, et par l'organisation
elle-même, seront également rationnelles (Miller, Hickson & Wilson, 1997, p. 293). De
même le marché fonctionne de façon efficace puisqu'il est animé par des agents
économiques rationnels.
Le schéma ci-dessous illustre le processus décisionnel extrêmement simple de la
rationalité parfaite: le décideur analyse les solutions qui s’offrent à lui sur la base de
l’information illimitée dont il dispose et, en fonction de ses préférences, il choisit la
solution optimale.
128
Information
SOLUTION OPTIMALE
Préférences
117
"The economic model presents a benign view of social organization" (Pfeffer, 1997, p. 54).
129
rationalité n’est plus un principe mais un "style de comportement", expression qui peut
recouvrir des contenus fort différents, comme Simon lui-même l’a précisé.
Le modèle de la rationalité limitée se différencie du modèle de la rationalité
parfaite sur plusieurs points essentiels :
- But(s) : les décideurs n’ont pas des préférences claires et hiérarchisées mais des
aspirations qui varient selon les moments ; en outre l'objet de la décision peut être
imprécis ou être sujet à interprétations et les critères décisionnels incertains ou non
définis; par conséquent le décideur ne se contente pas de choisir entre des options
préexistantes mais il les construit, à travers la séquence d’étapes du processus (ou
"procédures") de décision : c’est pourquoi par la suite H. Simon préfèrera le terme de
rationalité "procédurale" à celui de rationalité limitée. La décision est la troisième étape
d'un processus qui en comprend quatre : l'étape de l'intelligence, qui consiste à rechercher
dans l'environnement les sujets qui nécessitent une décision; celle du design, dans
laquelle le décideur invente, développe et analyse les voies d'action possibles; l'étape du
choix; et enfin l'étape du bilan durant laquelle les choix passés sont évalués (Simon,
1977, p. 40). Les étapes sont interreliées : par exemple une décision peut constituer en
même temps l'étape du choix et l'étape de l'intelligence de deux processus différents.
- Moyens : le modèle de la rationalité limitée met en cause, comme son nom
l’indique, les capacités du décideur à faire le meilleur choix. Celui-ci cherche à être
rationnel (au sens instrumental et finaliste du terme, par une recherche de l'adéquation
entre la fin et les moyens) mais il ne peut avoir une analyse complètement logique d’une
situation, soit parce qu’il la considère sous un certain angle (à partir d’un certain rôle ou
fonction dans l’entreprise, ainsi que l'ont montré Dearborn et Simon, 1957), soit parce
qu’il n’a pas le temps, les capacités d’analyse ou l’information lui permettant
d’appréhender tous les éléments de la décision. Par conséquent la solution optimale est
inaccessible et il faut se contenter d’une solution satisfaisante.
Les recherches ont confirmé le fait que des individus qui doivent prendre une
décision appliquent, pour gagner du temps, certaines règles simplificatrices, des
heuristiques. Ces "processus cognitifs de simplification", selon la formule de Schwenk
(1984) sont basés sur un système de pensée intuitif "rapide, automatique, sans effort,
131
implicite et émotionnel", qui fait appel au jugement118 basé sur des schémas cognitifs
préexistants, par opposition au système de pensée analytique basé sur le raisonnement,
qui est lui "lent, conscient, demande des efforts, explicite et logique"119 (Bazerman, 2006,
p. 5). En rappelant cette distinction faite par Stanovich et West (2000) entre les deux
systèmes de pensée utilisés dans la prise de décision individuelle, Bazerman indique que
la plupart des décisions de la vie courante sont prises selon le système intuitif, mais aussi
la plupart des décisions prises par les managers lorsqu'ils sont surchargés et pressés par le
temps.
Les travaux de Mintzberg, Raisinghani et Theoret (1976) ont mis en évidence
l'importance du jugement dans les décisions d'investissement. Leur étude de la phase
finale (phase d'évaluation-choix, voir p. 147 et ss.) de vingt-cinq décisions
d'investissement a montré que l'évaluation (qui devrait être consacrée à l'analyse des
différentes solutions) ne se distingue pas du choix dans soixante-cinq cas d’évaluation-
choix étudiés : "rather the weights are determined implicitly, in the context of making
choices … [by] the manager who determines the value trade-offs in his head and thereby
makes a choice" (Mintzberg, Raisinghani et Theoret, 1976, p. 258). Mintzberg,
Raisinghani et Theoret identifient trois modes opératoires dans la phase d'évaluation-
choix - jugement, marchandage et analyse – et constatent que le jugement est le mode de
sélection le plus courant. Plus important, même quand c'est la méthode analytique qui est
utilisée pour évaluer différentes solutions, l'évaluation est "faussée tant par des limitations
cognitives du décideur, en l'occurrence une surcharge d'information, et par des partis pris,
involontaires mais aussi volontaires"120. Mintzberg, Raisinghani et Theoret remarquent
que cette situation peut sembler surprenante si l'on considère l’importance des projets
d'investissement concernés mais que, pourtant, les autres études empiriques aboutissent
aux mêmes constatations. La recherche d'Isenberg (1984) met également en évidence le
rôle de l'intuition, par opposition à l'analyse, dans les décisions managériales.
118
"Judgment refers to the cognitive aspects of the decision-making process" (Bazerman, 2006, p. 3). Voir
cognition, p. 153).
119
"System 1 thinking refers to our intuitive system, which is typically fast, automatic, effortless, implicit,
and emotional … By contrast, System 2 refers to reasoning that is slower, conscious, effortful, explicit, and
logical" (Bazerman, 2006, p. 5).
120
Evaluation “gets distorted both by cognitive limitations, that is, by information overload and by
unintended as well as intended biases. This has been found to apply to all the modes of selection, including
analysis” (Mintzberg, Raisinghani et Theoret, p, 259).
132
121
« …human judgments appear to follow certain principles that sometimes lead to reasonable answers and
sometimes to severe and systematic errors.”
133
- Anomalies de processus décisionnel : le choix est guidé par des principes, des
analogies et des exemples plutôt que par des calculs utilitaires, ou encore par
des affects, sentiments ou émotions le plus souvent inconscients. Récemment,
Slovic, Finucane, Peters & MacGregor (2002, in Bazerman 2006, p. 9) ont
démontré l'influence des affects sur les décisions. Gilbert (2002, in Bazerman,
2006, p. 9) a montré que les affects auront d'autant plus d'influence que le
décideur est très occupé ou manque de temps.
une tendance à attribuer plus de poids aux intérêts présents qu'aux intérêts
futurs et, en contradiction avec le paradigme de la rationalité économique, une
prise en compte des conséquences de nos décisions pour d'autres personnes.
- Enfin, très récemment, deux autres limites à la décision ont été proposées,
celles de "bounded ethicality" (Chugh, Bazerman & Banaji, 2005), "which
refers to the notion that our ethics are limited in ways we are not even aware
of ourselves" (Bazerman, 2006, p. 7) et de "bounded awareness", which refer
to the broad category of focusing failures or ways in which we fail to notice
obvious and important information that is available to us" (idem).
- Deux autres biais affectent en particulier les décisions stratégiques dans les
entreprises, selon Schwenk (1995) : l'attribution causale (causal attribution) et
l'escalade dans l'engagement (escalating commitment). Dans l'attribution
causale, les managers de haut niveau ont tendance à attribuer les bons résultats
obtenus à leurs propres qualités et actions et à attribuer la responsabilité des
les mauvais résultats à des facteurs extérieurs, tels des impondérables
survenant dans l'environnement de l'entreprise ou un manque de chance.
L'escalade dans l'engagement (Staw & Ross, 1989) se définit comme la
tendance à augmenter l'engagement dans une voie vouée à l'échec.
En fin de compte, comme le remarque avec humour McFadden (1999, p. 74): “All
these apparently normal consumers are revealed to be shells filled with books of rules for
handling specific cognitive tasks. Throw these people a curve ball, in the form of a
question that fails to fit a standard heuristic for market response, and the essential
‘‘mindlessness’’ of the organism is revealed. For most economists, this is the plot line for
a really terrifying horror movie, a heresy that cuts to the vitals of our profession. To
many psychologists, this is a description of the people who walk into their laboratories
each day.”
Complété en tenant compte des processus de simplification induits par la
rationalité limitée du décideur et de ses biais cognitifs, notre schéma représentant le
processus décisionnel individuel devient plus complexe : les perceptions du décideur
filtrent les informations qui lui parviennent, et les biais cognitifs qu'il emploie déforment
135
l’usage qu’il fait de ces informations pour prendre sa décision, qui ne pourra être que
satisfaisante.
Information (incomplète)
Heuristiques et
biais cognitifs
Préférences
(changeantes)
valeurs sur les paramètres de la décision. Or, comme le font remarquer Romelaer et
Lambert (2001), le mode de fixation du seuil de satisfaction dans la situation de
rationalité limitée n’est pas neutre : il fait intervenir des notions de processus, de
compétences, de savoirs, de croyances et éventuellement de règles. Dans le cas où le seuil
d’acceptabilité est fixé par une règle (telle par exemple, la rentabilité exigée qui constitue
le seuil d’acceptabilité d’un projet d’investissement), la règle elle-même est influencée
par l’expérience du ou des décideur(s), par les relations de pouvoir au sein de
l’organisation et par la culture de l’organisation. Mais ces aspects ne sont pas pris en
compte par le modèle.
D'autre part, le terme même de biais ou d'anomalies, qui indique une déviance par
rapport à une norme ou à un modèle, donne l'impression que la rationalité substantive
existe et qu'il "suffit" que ces biais soient éliminés pour que le décideur en retrouve le
chemin ou encore que, selon la formule de Cossette (2004, p. 99) "moins ces biais seront
nombreux, plus la décision sera rationnelle"; or il s'agit là d'une illusion, étant donné les
filtres cognitifs inhérents à chaque individu, qui influencent de façon permanente,
inconsciente et irrémédiable sa vision du monde, comme le soutient le courant
constructiviste mené par Karl Weick (voir p. 216 et ss.).
Parce qu’il ne remet donc pas en cause l’essence même du modèle de la
rationalité substantive, le modèle de la rationalité limitée a été accepté et incorporé par le
paradigme économique de la décision, dans ses versions plus éloignées du dogme néo-
classique (en particulier la théorie de l'agence et celle des coûts de transaction). On a pu
cependant affirmer que “economics obviously admits the idea of bounded or limited
rationality (e.g. Simon, 1978), but economic models “still tend to define “bounded
rationality” as an imperfect approximation of the “unbounded” one” (Dosi, 1995, p.5,
cité par Pfeffer, 1997, p. 44).
122
Les auteurs qui cherchent à définir le terme "organisation" insistent sur la difficulté de la tâche, en raison
des multiples approches possibles et des nombreux éléments qu'une telle définition se doit de prendre en
137
répondu par l'affirmative à cette question, tandis que d'autres ont critiqué ce processus de
réification qui consiste à attribuer une réalité concrète, et en particulier la capacité de
penser et d'agir, à des construits sociaux (Silverman, 1987, p. 9). D'autre part, si on admet
que l'organisation poursuit un but, quel est-il? Peut-elle être considérée comme une entité
monolithique, ce qui suppose qu'il n'y ait pas de divergence d'objectifs entre
l'organisation et ses membres? Ces questions ont fait couler beaucoup d'encre et
l'opposition entre paradigmes économique et psychosocial en la matière est à nouveau
flagrante: d’un côté une représentation simplifiée de l’organisation, soit comme un acteur
unique, soit comme un réseau de contrats qui confronte, au maximum, deux groupes
d’acteurs, les propriétaires et les managers. De l’autre les modèles politiques, qui
adressent la question de la diversité des objectifs au sein d’une organisation et mettent au
centre de leur analyse le pouvoir, en montrant comment certaines coalitions d'intérêts
cherchent à imposer leurs "rationalités locales" dans chaque décision (Cyert et March,
1963, p. 165; Miller et al., 1997, p. 297). L'analyse de la décision passe alors du niveau
de l'organisation à celui du groupe ou de l'individu.
compte (voir à ce sujet Livian, 2005 et Silverman, 1987). Au sens le plus large, on peut définir une
organisation comme un "ensemble organisé, une réalité sociale, économique et technique relativement
stabilisée" (Livian, 2005, p. 8).
138
123
Charreaux et Wirtz (2006) font remarquer à ce sujet qu’une perspective alternative – cognitive - en
matière de gouvernance d’entreprise, basée sur la confiance dans les dirigeants et l’encadrement de leur
potentiel et de leurs conflits cognitifs, permettrait la création de valeur par l’investissement et
l’autofinancement alors que, selon la perspective disciplinaire le financement est assuré par les
actionnaires.
139
"Basically, we assume that a business firm is a political coalition and that the executive in the firm
is a political broker. The composition of the firm is not given; it is negotiated. The goals of the
firm are not given; they are bargained".
March (1962, p. 672).
"Simply put, decisions follow the desires and subsequent choices of the most powerful people"
Eisenhardt et Zbaracki (1992, p. 23).
124
"…collectives of people with at least partially conflicting goals".
125
"…a business firm as a political coalition. …as a decision-making coalition (March, 1962, p. 677)
140
non plus les buts de l'organisation mais "une série de contraintes plus ou moins
indépendantes", reflet des objectifs de la coalition dominante et de marchandages. Les
décisions prises sont l'expression du pouvoir de ces coalitions de groupes d'intérêts,
chaque coalition ayant un certain potentiel de contrôle sur le système (March, 1962, p.
671). Le modèle de la rationalité politique de March est développé dans la désormais
célèbre théorie comportementaliste de l’entreprise de Cyert et March, "an empirically
relevant, process-oriented, general theory of economic decision making by a business
firm" (1963, p.3). Le terme de "comportement" doit s'entendre ici au sens qu'il a en
psychologie d'une "action observable": il exprime la volonté de Cyert et March de
proposer une théorie des organisations qui décrive et explique leur comportement tel qu'il
a été observé dans la réalité, en suppléant aux manques de la théorie économique néo-
classique en la matière (manques qui sont longuement discutés dans "A Behavioral
Theory of the Firm").
Selon Cyert et March, toute entreprise poursuit généralement cinq objectifs
majeurs (en termes de niveaux de profit, de ventes, de part de marché, de stock et de
production). Chacun de ces objectifs trouve sa source dans le niveau d’aspiration et de
contraintes des différents départements concernés, entre lesquels des objectifs
contradictoires apparaissent126 (Miller et al., 1997, p. 296), qui sont sources de conflits.
Au sein de ces départements, le comportement des individus est influencé par des motifs
organisationnels, qui découlent de leur rôle au sein de l’organisation, mais aussi par des
motivations personnelles, comme le désir de pouvoir ou de promotion. Les divergences
d’objectifs entraînent des conflits horizontaux, entre départements, ou verticaux entre les
différents niveaux de la hiérarchie. Des modes de (quasi-)résolution des conflits sont
employés par l’entreprise (décentralisation, négociation, traitement séquentiel des
problèmes, ou flexibilité organisationnelle) pour concilier les objectifs et réduire
l’instabilité interne de l’organisation. Ces méthodes n'éliminent pas les conflits, tâche
impossible, mais permettent aux entreprises de prendre des décisions malgré l'existence
de ces objectifs contradictoires (Cyert & March, 1963, p. 50).
126
"A functionalist paradigm has difficulty with the notion of goal dissensus, but the reality of
organizations appears to be that once organizational groups are given different tasks, they also begin to
formulate their own sets of norms and goals. They either reinterpret objectives or construct personal goals
which serve their own interests" (Miller et al., 1997, p. 296).
141
Les acteurs qui participent au processus de décision, et sont impliqués dans les
éventuels conflits, n'ont évidemment pas le même pouvoir, que ce soit en termes de
pouvoir formel, légitimé par leur position dans l'organigramme, ou d'influence, liée à
leurs contrôle des ressources (Pfeffer et Salancik, 1978) ou à leur expertise (Crozier,
1964). L'expertise et la capacité qui y est associée de réduire ou de gérer l'incertitude dans
des domaines critiques pour l'organisation expliquent le pouvoir important de certains
départements, selon la théorie des contingences stratégiques de Hickson et al. (1971).
Ainsi, les départements de la production (ou équivalent dans les entreprises de services),
des ventes & marketing et de la finance sont toujours plus puissants que les autres. Cette
coalition dominante, "core triad of heavyweight functions" selon la formule de Miller et
al. (1997, p. 301), est impliquée plus fréquemment dans les décisions et impose ses
propres choix quel que soit le type d'organisation. C'est ce qu'a montré le groupe de
recherche de Bradford, qui a étudié 150 décisions dans 30 organisations anglaises des
secteurs secondaire et tertiaire.
Au sein de l’organisation, un autre groupe d’acteurs dispose d'un pouvoir
important et a fait l’objet d’une attention particulière de la part des chercheurs : celui de
la direction générale. La question centrale des recherches en la matière, initiées par
Hambrick et Mason (1984), était de déterminer l’impact de la direction générale sur
l’organisation.
Dans le domaine des décisions d'investissements, la plupart des investissements
sur lesquels les recherches ont recueilli des données n’ont pas pour origine la direction
générale (Desreumaux et Romelaer, 2001, p. 90). L’idée initiale vient généralement des
acteurs proches du terrain (front-line) situés à des niveaux hiérarchiques plus modestes de
l’organisation, ce qui entraîne un certain nombre de conséquences : d’abord des
difficultés de progression du projet dont les promoteurs ont à résoudre les problèmes
d’accès à la direction générale, de soutien, de parrainage et de communication; ensuite un
problème d’asymétrie d’information : dans le cas d’une structure divisionnaire, les
dirigeants connaissent généralement de façon superficielle l’industrie dans laquelle est
active la filiale et ils ne peuvent consacrer que quelques heures ou quelques jours à un
projet là où ses initiateurs ont passé des mois de travail. Mintzberg, Raisinghani et
Theoret vont plus loin en affirmant (1976, p. 260) que, en matière de choix
142
d’investissements, un problème majeur est constitué par le fait que les choix sont faits par
des gens qui ne comprennent pas complètement les propositions qui leur sont soumises.
L’ignorance du manager associée au parti pris de l'initiateur du projet (à laquelle peut
s'ajouter un manque des capacités nécessaires pour assurer la progression du projet,
comme Rigby (2002) l'a montré dans le domaine des investissements en efficacité
énergétique) explique, selon eux, pourquoi le processus d’investissement est un processus
politique, compliqué, avec de nombreuses boucles de rétroaction, et beaucoup moins
analytique que ne le suggère la littérature normative. L'ignorance du haut management
sur le fond des dossiers explique aussi pourquoi la décision d’acceptation de la direction
générale a parfois des aspects rituels, ce qui accroît l’importance du promoteur du projet.
D’une certaine manière, ce n’est pas le projet lui-même mais la personne qui le soutient
qui est validée car, en pratique, l’accord sur un projet d’investissement est en général
donné ou refusé sur la base des performances passées de l’initiateur de la proposition
(Desreumaux et Romelaer, 2001; Carter, 1971; Mintzberg, 1973).
Cependant, l’influence des dirigeants va bien au-delà d'un simple refus ou
acceptation des projets. Selon Desreumaux et Romelaer (2001), elle est importante pour
les raisons suivantes. Tout d'abord, ce sont les dirigeants qui définissent ou orientent la
stratégie et la relation de l’investissement à la stratégie est déterminante pour la décision
d'investir comme nous le verrons plus en détails (dans le troisième chapitre de cette
deuxième partie, voir p. 184 et ss.). Ensuite, les dirigeants définissent l’orientation
générale des projets; enfin, les dirigeants définissent le cadre administratif et financier des
projets (manuel d’investissement, critères financiers utilisés, enveloppes budgétaires). Or
ces règles de procédure standard sont en réalité des règles de comportement, ou encore
selon la formule de Burlaud et Simon (1997, p. 9) des techniques de "contrôle à distance
des comportements", qui forment le centre de contrôle de l'entreprise127 (Cyert et March,
1963, p. 134).
Comme le décrit Edgard Schein (2004, p. 225 et ss.), le rôle des dirigeants est
également essentiel dans la formulation et la diffusion de la culture de l’organisation. La
culture est un autre moyen de concilier les objectifs et de réduire l’instabilité interne de
127
"…a learned set of behavior rules – the standard operating procedures. These rules are the focus for
control within the firm. They are the result of a long-run adaptive process by which the firm learns; they are
the short-run focus for decision making within the organization".
143
politique au sens où les puissants obtiennent ce qu'ils veulent; les gens s'engagent dans
des tactiques politiques telles que la cooptation, la formation de coalition et l'utilisation
de l'information pour renforcer leur pouvoir. Et la diversité des buts organisationnels est
désormais un fait indiscutable.
On peut donc conclure, avec Miller et al. (1997, p. 297) que "the rational model
of decision-making begins to break down, when faced with this pluralist vision of
multiple, competing interest groups vying for supremacy".
Les modèles aléatoires constituent une rupture radicale avec les autres modèles
décisionnels, comme le font remarquer Romelaer et Lambert (2001) : les modèles
décisionnels de la rationalité substantive et de la rationalité limitée ainsi que les modèles
de la rationalité politique s’inscrivent, malgré les apparences, dans un même courant
théorique, le courant des rationalités optimisatrices, selon lequel un objectif existe, qui est
défini a priori, les conséquences des choix étant plus ou moins connues. Autrement dit, le
choix est sous-tendu par une – ou plusieurs – raison(s). Il est guidé par une intention. En
ce sens, les modèles de la rationalité limitée et les modèles politiques de l’organisation
doivent donc être considérés comme des aménagements du modèle de la rationalité
substantive. Dans le courant des modèles aléatoires au contraire, les décisions ne sont
plus le résultat d’une exploration effectuée de façon consciente par le(s) décideur(s), en
fonction d’un objectif défini a priori. On est bien en présence d’une rupture théorique
radicale par rapport à la logique de la rationalité optimisatrice.
Selon cette approche, la décision est le résultat d’une rencontre aléatoire entre des
problèmes et des solutions, que les membres de l’organisation formulent et dont ils se
déchargent, d’où le nom du modèle de la "poubelle" (garbage can, Cohen, March et
Olsen, 1972) qui est le plus connu des modèles aléatoires. Certaines solutions (par
exemple des propositions de managers de niveau inférieur ou intermédiaire ou des
rapports d’experts tels que les rapports d'audits) sont antérieures aux problèmes mais ne
"trouvent pas preneur" et, inversement, des problèmes perdurent sans solution. Au plan
des moyens, certains éléments essentiels à la prise de décision, en particulier la
145
2.1.4 Conclusion
politiques que les aspects cognitifs des décisions organisationnelles. Or, pour comprendre
les décisions organisationnelles, il faut les examiner en prenant simultanément en
considération plusieurs catégories de facteurs : facteurs individuels, organisationnels,
externes et aussi, caractéristiques de la question décisionnelle elle-même. Il faut donc
utiliser les grands modèles décisionnels qui ont été présentés dans ce chapitre de façon
complémentaire, en y ajoutant d'autres outils d'analyse C'est ce que nous allons voir
maintenant.
Les recherches ont montré qu'une décision, quelle qu’elle soit, doit être
considérée comme l’aboutissement d’un processus décisionnel, et même est un processus.
Ce processus est influencé par des facteurs contextuels, internes et externes, et par les
acteurs qui y sont impliqués. Des recherches plus récentes ont montré l’influence sur le
processus, et sur son résultat, des caractéristiques de la décision elle-même – telles sa
complexité ou l'incertitude qui y est attachée – et de son contenu "substantiel" - son
objet et l'importance de cet objet pour l’organisation. Ces différents aspects - processus,
contexte, acteurs et caractéristiques de la décision - feront l’objet des quatre prochaines
sections.
“Pfiffner noted that “The decision-making process is not linear but more circular; it resembles
«the process of fermentation in biochemistry rather than the industrial assembly line” (1960, p.
129). By cycling within one routine or between two routines, the decision maker gradually comes
to comprehend a complex issue. He may cycle within identification to recognize the issue; during
design, he may cycle through a maze of nested design and search activities to develop a solution;
during evaluation, he may cycle to understand the consequences of alternatives; he may cycle
between selection and development to reconcile goals with alternatives, ends with means. The
most complex and novel strategic decisions seem to involve the greatest incident of comprehension
cycles. We found specific evidence of cycling and recycling in all 25 decision processes with a
total of 95 occurrences.”
Mintzberg, Raisinghani et Theoret, 1976, p. 265
148
Evaluation des
Découverte Formulation alternatives : Choix de la
d’un des - conséquences meilleure
problème/ alternatives - coût solution
opportunité - moyens
Préordre des
préférences du
décideur
128
Un processus peut être défini comme « une suite d’opérations enchaînées entre elles, produisant (ou
reproduisant) des résultats » (Livian, 2000, p. 93)
149
d1 d2 d3 d4 d5
Processus d'investissement
129
La qualité de la décision étant définie comme la réalisation des objectifs et la réalité de la mise en
œuvre.
152
130
"…iterative sequence, driven by diagnosis and interrupted by events".(Mintzberg, Raisinghani et
Theoret, 1976, p. 273)
131
"Tracing back, one might find the minute of a meeting in which the decision was "made", which really
means recorded (Mintzberg et Waters, 1990, p. 3).
154
laquelle "la décision est un engagement à agir" (voir p. 75). D'abord il arrive qu'une
action survienne sans qu'il y ait engagement à agir (Mintzberg et Waters, 1990; Pfeffer,
1997), elle peut être tout simplement automatique, comme le démarrage du conducteur
lorsque le feu passe au vert, ou comme les ordres routiniers de ventes ou d'achats
transmis par les ordinateurs lorsque certains niveaux de prix ou de stock sont atteints.
Mais surtout, nous disent Mintzberg et Waters (idem, p. 3), il est difficile d'identifier un
engagement dans le contexte collectif d'une organisation car il est souvent implicite et
difficile à situer dans le temps et dans l'espace : dans le cas, par exemple, d'une décision
annoncée de construire une nouvelle usine, il se peut que l'engagement réel ne remonte
pas à la réunion où la décision a été entérinée mais bien plutôt au moment où le président
a visité le site six mois plus tôt. Finalement, selon Mintzberg et Waters (idem, p. 5), le
concept de décision s'avère être "un concept artificiel", car il implique un engagement à
agir, alors que, pour les individus comme pour les organisations, l'action peut avoir lieu
sans engagement préalable, ou sur la base d'un engagement vague et confus. Dès lors le
concept de décision doit être employé avec prudence car il risque de barrer la route à la
compréhension du comportement132. Et la décision doit être comprise, et étudiée, non pas
comme un épisode discret et concret mais comme un processus continu (Pettigrew, 1990;
Langley et al., 1995).
Le processus décisionnel lui-même n'est pas isolé. Il s’inscrit dans une chaîne
dynamique, insérée dans l’histoire et le contexte de l’organisation et formée par les
processus antérieurs qui conditionnent son déroulement et son résultat. Il n'est d'ailleurs
pas toujours facile, ni même possible, de déterminer quel est l'événement ou l'élément qui
démarre réellement le processus décisionnel (Miller et al, 1997, p. 300). Et finalement,
même l'étape du diagnostic, si importante dans le modèle de Mintzberg, Raisinghani et
Theoret, s'estompe : "If a decision is like a wave breaking over the shore – that is,
perhaps identifiable at some sort of climax – then tracing a decision process back into an
organization becomes much like tracing the origin of a wave back into the ocean."
(Langley, Mintzberg, Pitcher, Posada et Macary, 1995, p. 264).
132
"… for individuals as well as for organizations, commitment need not precede action, or, perhaps more
commonly, the commitment that does precede action can be vague and confusing. … we must apply our
concepts with care. "Decision" can sometimes get in the way of understanding behavior".
155
133
"… instead of a decision appearing at a point in time, decision making follows a general trajectory
(Hage 1980) of gradual convergence on the image of some final action. Instead of conceiving decision
making as a series of steps (or cycling imposed on a linear sequence …), it comes to be seen in a more
integrative way as the construction of an issue" (Langley et al., 1995, p. 266).
134
"… to move from decision processes to issue streams where decisions interact with one another" (idem,
p. 270).
156
138
" Une conception convaincante du concept de structure est celle de Mintzberg (1982). Il la définit comme
« la somme totale des moyens utilisés pour diviser le travail entre tâches distinctes et pour assurer la
coordination nécessaire entre les tâches." Livian, 2005, p. 55. Ces moyens peuvent être formels (définition
de postes, organigrammes, procédures) ou informels (interactions quotidiennes, compétences, affinités,
appartenances culturelles).
158
décision sont accomplies par des personnes, qui appartiennent à différentes parties de
l’entreprise, qui ont chacune leurs compétences et leur logique propre, et ne sont
qu'imparfaitement reliées par des mécanismes organisationnels. Une autre dimension de
la décision, complètement absente du modèle séquentiel classique de la décision, et
même du modèle de Mintzberg, Raisinghani et Theoret (1976), s'est donc imposée dans
les dernières décennies, en même temps que le contexte, comme un thème de recherche
important : la dimension des acteurs de l'organisation, qu'ils soient associés de près ou de
loin au processus décisionnel, du pouvoir dont ils disposent, et de leur personnalité.
“Kicked off by researchers at Purdue and Harvard, but especially catalyzed by Michael Porter's book
in 1980, the economics approach to strategy focused on industry structure, competitive dynamics,
pricing, capacity decisions, vertical integration, and so on. There was no attention to managers. But in
this instance, it wasn't because managers were deemed unimportant, but rather because they were
presumed to be fully capable of figuring out all this neat economic stuff and arriving at the "right"
strategic solution. My behaviorally oriented strategy friends and I used to joke that you could always
tell if a case had been written by Mike Porter: it didn't have any people in it.”
Donald Hambrick, cite par Cannella, A., "Upper Echelons: Donald Hambrick on Executives and
Strategy", Academy of Management Executive, August 2001, Vol. 15, Issue 3
139
Dans le domaine de la théorie des organisations, le terme "acteur" renvoie à des individus mais aussi à
des groupes (Crozier; 1964).
161
relativement laissé pour compte dans les modèles classiques de la décision : la rationalité
substantive l'aborde de façon mécaniste, l'approche politique raisonne en termes de
conflits d'intérêts, sans analyser la formation de ces intérêts, et donc des préférences des
acteurs. Le modèle de la rationalité limitée s'interroge sur les mécanismes de la pensée
des décideurs, mais son approche par les biais cognitifs, qui sont communs à tous les
individus, laisse aussi de côté les différences individuelles. Au contraire, l'approche
cognitiviste analyse la manière dont les individus perçoivent le monde qui les entoure et
attribuent un sens aux événements qui s'y produisent, en fonction de leur vécu, de leur
environnement social et de leur culture, et la manière dont ils agissent ou réagissent en
conséquence.
Selon le modèle décisionnel de la rationalité classique ou substantive, l'usage de
la méthode analytique (voir p. 126 et ss.) allié à des capacités cognitives illimitées
permettent au décideur d'évaluer les différentes solutions disponibles et de sélectionner la
solution optimale par rapport à un but prédéfini. Le modèle de la rationalité substantive
conduit donc implicitement - comme l'exprime la citation de Hambrick reproduite en
exergue à cette section mais aussi Langley et al.140 (1995) - à une sorte de
déshumanisation du processus décisionnel ou à une représentation déshumanisée des
décideurs dont certains modes décisionnels tels que l'intuition ou l'inspiration, ou
l'utilisation d'heuristiques, sont niés, de même que les différences individuelles qui les
séparent. Mais certaines recherches, montrant que la méthode analytique est en réalité
peu utilisée par les décideurs et/ou que différents aspects de la cognition individuelle
influencent la prise de décision dans les organisations (Simon, 1958; Tversky &
Kahneman, 1973, 1974; Mintzberg, Raisinghani et Theorêt, 1976) ont suscité le
développement de la perspective cognitive sur la décision, qui étudie la façon dont la
pensée humaine filtre et déforme les informations, et l'influence de ces mécanismes
cognitifs sur la prise de décision. Le véritable essor des recherches sur ce thème dans les
études de l'organisation remonte au début des années quatre-vingts. Pourtant, vingt ans
après, Cossette (2004, p. 40) note encore que la cognition est un concept "difficile à
140
"…the absence of inspiration in decision making theory is really just one manifestation of a broader
problem: the dehumanization of the decision making process." (Langley et al, 1995, p. 268). "We pointed
out in our discussion that the literature has often adopted a very narrow view of the decision maker. Not
only has it neglected certain key faculties such as insight and inspiration, but it has also tended to ignore
individual differences" (idem, p. 277).
162
141
"Un bref regard sur les principaux termes associés à la cognition par différents auteurs, …, illustre
clairement l'ambiguïté de cette notion: langage, raisonnement, perception, planification, traitement de
l'information, assimilation, stockage et accommodation de nouvelles informations, action finalisée,
organisation conceptuelle, apprentissage, communication, aptitudes, propensions ou capacités cognitives du
cerveau humain, entités mentales telles que processus et états mentaux (intentions, croyances, désirs, etc.),
représentations mentales (ex.: croyances, intentions, préférences) et représentations publiques (ex.: signaux,
énoncés, discours, textes)" (Cossette, 2004, p. 40).
142
Conservation des connaissances qui fait appel à la mémoire, laquelle est assimilée par la psychologie
cognitive à un système de traitement de l'information qui comprend les opérations d'encodage, de stockage
et de récupération, (Nicolas et al., 2007, p. 83).
163
référence au contenu de l'esprit; ils comprennent en particulier les schèmes, ces modèles
référentiels qui guident l'individu, mais aussi les "interprétations, prévisions, observations
ou perceptions que les schèmes ont contribué à faire émerger, ou encore à d'autres entités
cognitives (raison, anticipations, motifs, intentions, etc.) se rapportant à une situation
particulière" (idem, p. 42). Les processus cognitifs quant à eux désignent "les
mécanismes, tâches ou activités mettant en évidence le fonctionnement de l'esprit et ayant
trait à l'acquisition, au traitement, à la conservation, à la récupération, à la transformation
ou à l'utilisation de l'information ou de la connaissance". Structures (contenu) et
processus (fonctionnement) sont interreliés. Melone (1994) a montré, par exemple,
comment les croyances d'un groupe évoluent avec le temps, de façon concomitante avec
le processus d'identification et de résolution de problèmes stratégiques. Enfin, les
chercheurs distinguent une troisième catégorie de la cognition qui désigne les
caractéristiques psychologiques individuelles: le style cognitif selon Schneider et
Angelmar (1993) ou les prédispositions cognitives selon Cossette (2004).
Au cœur des approches cognitives sur la prise de décision, il y a l'idée que le
décideur n'est pas un observateur détaché, objectif, de la réalité. Cette situation est
cependant considérée différemment par les deux branches – positiviste et constructiviste
– de l'école cognitive. Selon la branche positiviste, le traitement de l'information et la
structuration des connaissances tentent de produire un film "objectif" sur le réel mais cet
effort ne réussit qu'à produire une image déformée de la réalité. (Mintzberg, 2005). La
branche positiviste, dans la foulée des travaux de Simon et de Tversky et Kahneman,
s'attache donc à étudier les nombreux biais cognitifs responsables de ces déformations
(voir p. 129), avec l'idée implicite que, si ces biais sont connus, ils pourront être
maîtrisés: l'image du réel sera moins déformée et pourrait même, pourquoi pas, devenir
complètement nette et fidèle à la réalité143. Au contraire, pour la branche constructiviste
de l'école cognitive, initiée par les travaux de Karl Weick (1969; 1977; 1979), il n'y a pas
de réalité objective. Comme le soutient Karl Weick: "While the categories
external/internal or outside/inside exist logically, they do not exist empirically. There is
no methodological process by which we can confirm the existence for an object
143
Comme je l'ai indiqué dans le chapitre consacré à la rationalité limitée, cette position "soft" de
l'influence des filtres cognitifs sur les décisions explique pourquoi la théorie de la rationalité limitée a été
admise par la théorie économique.
164
144
Cognitive frames.
145
Les cartes cognitives sont en fait un type particulier de schéma cognitif (Cossette, 2004; Schwenk, 1988)
166
travers le temps sur les expériences personnelles des individus"146 (Bettis et Prahalad,
1986). Le schème constitue une vision simplifiée du monde, qui intègre les attentes des
individus par rapports à eux-mêmes, aux autres et aux situations qu'ils rencontrent
(Tenbrunsel et al., 1997), et inclut des suppositions relatives aux relations entre des
objets, tels que des actions, des réactions, des événements, des résultats (Barton, 1990,
cité par Koenig, in Charreaux, 2001, p. 247). Les schèmes s'apparentent aux
"conceptions" décrites par Giordan: réseau d'explications qui permettent à l'individu
d'apprivoiser son milieu de vie, construisent sa "vision individuelle" du monde et
forment le soubassement de son identité (1998, p. 62). Car ces conceptions se sont
forgées dans l'interaction permanente qui existe entre l'individu et son environnement
immédiat ou social, à partir de ses observations et de son expérience, de sa mémoire
affective et sociale, et des rapports qu'il entretient avec les autres et les objets.
Les schèmes peuvent se situer à plusieurs niveaux, en étant plus ou moins
généraux ou abstraits. Ils peuvent aussi être plus ou moins complexes, en fonction du
nombre de concepts qu'ils relient (différenciation) et du nombre de liens entre ces
concepts (intégration) (Cossette, 2004).
Le rôle des schèmes est important : ils servent de "raccourcis cognitifs"
permettant de fonctionner en mode quasi automatique dans des situations familières
(Louis et Sutton, 1991). Appliqués à des situations décisionnelles nouvelles, ils
permettent de structurer les problèmes. Sans eux, le manager, et l'organisation à laquelle
il/elle est attaché, seraient paralysés par la nécessité d'analyser "scientifiquement" un
nombre énorme de situations ambigües et incertaines147 (Prahalad et Bettis, 1986).
Perception codée du monde (Johnson, 1989, p. 39), ils guident les choix décisionnels des
êtres humains, en agissant comme des filtres dans la sélection et le traitement,
l'organisation et la rétention de l'information, mais aussi en suscitant des interprétations,
perceptions ou prévisions des situations particulières qui se présentent. Les individus
interprètent donc de nouvelles expériences selon des modèles prédéfinis dans leurs
146
"Known as schemas, these systems represent beliefs, theories and propositions that have developed over
time based on the manager's personal experiences." (Bettis et Prahalad, 1986, p. 489)
147
"Schemas permit managers to categorize an event, assess its consequences, and consider appropriate
actions (including doing nothing), and to do so rapidly and often efficiently. Without schemas a manager,
and ultimately the organizations with which he/she is associated, would become paralyzed by the need to
analyze "scientifically" an enormous number of ambiguous and uncertain situations" (Prahalad et Bettis,
1986, p. 489).
167
schèmes. Par conséquent, des dirigeants ayant des schèmes cognitifs différents
interprèteront différemment la même situation et donc décideront différemment car "…
ways of seeing produce ways of understanding" (Miller et al., p. 297). Allison (1971), en
analysant la crise des missiles à Cuba, a montré comment différents postulats et manières
de voir le monde conduisent à différentes interprétations et explications des événements
et à différentes décisions. Les schèmes orientent aussi la recherche de l'information
(Schwenk, 1989).
L'influence des schèmes s'exerce sans contraintes lorsque les dirigeants utilisent le
jugement pour prendre leurs décisions (qui est, rappelons-le le premier mode décisionnel
dans les organisations pour les décisions non programmées comme l'ont montré en
particulier Mintzberg, Raisinghani et Theoret, 1976). Ils permettent alors aux dirigeants
de catégoriser un événement, d'évaluer ses conséquences et de considérer les actions
appropriées (qui incluent la non action), rapidement et le plus souvent de façon efficace.
Cependant, même dans le cas où la méthode analytique est appliquée, les schèmes, parce
qu'ils sont ancrés très profondément en chacun de nous et parce qu'ils exercent le plus
souvent leur influence à notre insu, jouent un rôle déterminant sur nos perceptions, nos
interprétations et donc sur nos décisions. Deaborn et Simon ont fait œuvre de pionniers en
le démontrant dès 1957: leur recherche, menée auprès de vingt-trois dirigeants d'une
grande entreprise appartenant à différentes fonctions (en particulier ventes, production, et
finance) à qui il avait été demandé d'analyser la même étude de cas en se concentrant sur
l'intérêt général de l'entreprise concernée, a mis en évidence le fait que chaque dirigeant
ne perçoit que les aspects d'une situation liés spécifiquement aux activités et aux buts de
son propre département (Deaborn & Simon, 1957). Plus récemment, Tyler et Steensma
(1998) ont mis en évidence l'influence des expériences et perceptions des dirigeants sur
leur évaluation d'éventuelles alliances technologiques. Et Barker et Mueller (2002) ont
montré que certaines caractéristiques des CEOs (âge, expérience professionnelle)
exercent une influence sur les décisions de dépenses de R&D dans les entreprises.
En raison de nos filtres cognitifs, nous ne retenons donc, en matière d'information,
que ce qui renforce nos convictions, ce qui nous fait plaisir. A l'inverse, nous
"n'entendons pas" une donnée nouvelle, en raison des propriétés de limitativité
168
148
Abelson discute en réalité les propriétés des scripts, autre notion de psychologie cognitive, une forme
particulière de schèmes cognitifs selon Cossette (2004, p. 49).
149
Sous la notion voisine de "convictions sans fondement ou idées toutes faites"
150
L'influence des schèmes sur le travail de recherche a été montrée de façon éclatante par Stephen J.
Gould dans "La Mal-mesure de l'homme" (1983): le chercheur aborde son objet d'étude avec ses propres
convictions, si bien qu'il finit souvent par trouver ce qu'il cherche.
169
Environnement
socioculturel Attitudes
Préférences
Convictions
tenues pour Valeurs et
acquises croyances Affects
Schèmes cognitifs
Caractéristiques
psychologiques
individuelles
qu'un schème collectif ne puisse pas être considéré comme représentatif d'un groupe
d'individus, de toute une organisation ou d'un secteur industriel." Le terme de cognition
organisationnelle peut s'appliquer alors, dans une perspective plus large, à l'ensemble des
mécanismes selon lesquels managers et organisations donnent du sens aux situations et
aux événements153 (Meindl, Stubbart, Porac, 1994). La plupart des chercheurs de
l'approche cognitive admettent l'existence de ces "mécanismes interprétatifs" selon la
formule de Johnson (1989), sous différentes appellations : schème organisationnel ou de
niveau organisationnel (Cossette, 2004), modèle organisationnel de prise de
connaissance154 (Lyles et Schwenk, 1992), système cognitif commun (Laroche et Nioche,
1994), logique dominante (Prahalad et Bettis, 1986), idéologies (Johnson, 1989), schèmes
interprétatifs (Bartunek, 1984), cartes cognitives (Bougon, Weick et Binkhorst, 1977,
Weick, 1979) 155. Le terme "interprétatif" permet de contourner le problème de l'emploi
du terme "cognitif" pour décrire les mécanismes de production de sens au niveau
organisationnel.
Différents courants de recherche se sont intéressés à l'influence des phénomènes
cognitifs sur le comportement des organisations, en particulier sur les prises de décision
stratégique (Denison et al., 1996; Dutton et Jackson, 1987; Lyles, 1987; Tyler et
Steensma, 1998) et sur l'apprentissage organisationnel (selon la revue de littérature de
Lyles et Schwenk 1992, p. 155: Argyris et Schon, 1978; Fiol et Lyles, 1985; Hedberg,
1981; Jelinek, 1979; Levitt et March, 1988; Lyles, 1988; Shrivastava, 1983), et à leur rôle
sur le changement organisationnel ou stratégique (Bettis et Prahalad, 1995; Gioia et
Chittipeddi, 1991; Johnson, 1987; Schwenk, 1992).
Le schème organisationnel joue le même rôle pour l'organisation que le schème
individuel pour l'individu : il structure la façon dont un groupe, une organisation, ou
même un secteur d'activité appréhende la réalité, en servant de système référentiel dans
l'observation, ou la perception, des événements présents, dans l'interprétation des
événements passés ainsi que dans la prévision des événements futurs (Cossette, 2004); il
oriente la recherche d'information (Bougon, Weick et Binkhorst, 1977; Weick, 1979) et,
153
"…how managers and organizations make sense of situations and events" (Meindl, Stubbart, Porac,
1994, p. 290).
154
Organizational knowledge structure.
155
Cette liste n'est pas exhaustive.
172
156
Selon Desreumaux (1998, p. 212, cité par Cossette, 2004, p. 75), la structure est "le mode d'agencement
de l'organisation, s'exprimant dans les principes fondamentaux de division du travail et dans les différents
systèmes de gestion permettant l'accomplissement coordonné des activités". Le mode d'agencement peut
être formel ou informel.
173
157
NB : le tableau est rogné dans l'article d'origine lui-même.
174
Bettis et Prahalad (1986) soutiennent une position similaire, qui s'incarne dans le
concept de "dominant logic". Pour Bettis et Prahalad, comme pour Pettigrew (1985), dans
la lignée de la perspective politique, les organisations sont dirigées non pas par "une
abstraction sans visage" mais par une coalition dominante, composée d'individus clé, qui
exerce une "influence significative" sur la gestion de l'organisation. Or ces managers
partagent une "structure mentale générale" (a general mental structure), qui s'incarne
dans une logique de gestion dominante, définie comme "la façon dont les managers
conceptualisent l'activité et prennent des décisions critiques d'allocations de
ressources"158 (Bettis et Prahalad, 1986, pp. 489-490). Bettis et Prahalad (idem, p. 491)
suggèrent que cette logique dominante est un schème partagé, un "système cognitif
commun, proprement organisationnel" selon la formule de Laroche et Nioche (1994). Le
concept de logique dominante de Bettis et Prahalad s'apparente à celui du "paradigme"
organisationnel tel qu'il est défini par Gerry Johnson (1992, p. 29) : "a set of core beliefs
and assumptions [shared by the managers] which are specific and relevant to the
organization in which they work and which are learned over time". Ce paradigme est
culturel par nature, nous dit Johnson, car il se situe au niveau inconscient des convictions
tenues pour acquises et des croyances. En considérant la manière dont les croyances des
managers affectent le comportement organisationnel, on bascule donc inévitablement
dans des considérations de culture organisationnelle159.
"Concept insaisissable" selon Johnson (1989), la notion de culture a fait l'objet de
débat depuis des décennies, y compris chez les anthropologistes eux-mêmes, comme le
rappellent Schneider et Barsoux (2003) qui retracent l'historique du concept : dans une de
ses premières définitions, la culture a été définie comme un "modèle partagé de
comportement"160 (Mead, 1953). Cependant cette définition n'était pas satisfaisante car un
même comportement peut avoir différentes significations tandis que des comportements
différents peuvent avoir la même signification. La culture a donc été définie par la suite
158
"A dominant general management logic is defined as the way in which managers conceptualize the
business and make critical resource allocation decisions, be it in technologies, product development,
distribution, advertising, or in human resource management" (Bettis et Prahalad, 1986, p. 490).
159
"In considering the way in which managerial beliefs affect organizational behaviour we move inevitably
into a consideration of organizational culture" (Johnson, 1989, p. 47).
160
“A shared pattern of behaviour”.
175
161
“Systems of shared meaning or understanding” or “webs of significance”.
162
"Basic assumptions underlie beliefs and values which, in turn, influence attitude (people’s ideas,
convictions or tastes) and behaviour (what people are doing).” (Schneider & Barsoux 2003, p. 22).
163
"…culture is to a group what personality or character is to an individual. We can see the behavior that
results, but often we cannot see the forces underneath that cause certain kinds of behavior. Yet, just as our
personality and character guide and constrain our behavior, so does culture guide and constrain the
behavior of members of a group through the shared norms that are held in that group" (Schein, 2004, p. 8).
176
Visible Artefacts
Croyances
et valeurs
Pays
Profession
Région
Secteur
d’activité Fonction
Entreprise
164
Les valeurs d'une organisation désignent ce qu'on "doit" (ou "ne doit pas"), ou ce qu'il "faut" (ou "ne faut
pas") faire, penser, dire, ou être. Chaque culture organisationnelle est unique, car l'ensemble de valeurs ne
peut pas être identique dans deux organisations différentes (idem). Cependant on peut regrouper certaines
valeurs, ce qui permet de faire des classifications rendant compte de différents grands types de cultures
organisationnelles (Schein, 2004). En général il est utile de distinguer entre les croyances ou valeurs sur la
mission de l'organisation, prise au sens large dans sa relation avec son environnement, et les croyances ou
valeurs au sens plus étroit sur la "bonne" façon de se comporter au sein de l'organisation. Différents auteurs
développent cette idée, bien que, une fois de plus, selon une terminologie variée: par exemple Rokeach
(1973) emploie respectivement les termes de instrumental values et terminal values pour qualifier les
façons de faire ou les objectifs à atteindre; Schein rejoint la distinction faite par Davis (1984) qui distingue
entre "guiding beliefs" et "daily beliefs" dans les cultures organisationnelles. Il faut aussi être prudent dans
l'analyse des valeurs d'une organisation: le fossé est parfois grand entre les valeurs "affichées", celles
auxquelles les dirigeants disent souscrire, et les valeurs "en usage", celles qui guident concrètement leurs
actions, pour reprendre la distinction proposée par Argyris et Schön (1974) entre espoused theories et
theory-in-use.
179
165
"…executives' experiences, values, and personalities affect their (1) field of vision (the directions they
look and listen), (2) selective perception (what they actually see and hear), and (3) interpretation (how they
attach meaning to what they see and hear)." (Hambrick, 2007, p. 337).
180
titres: d'une part le locus de la décision dans l'organisation sera plus diffus et difficile à
identifier, comme le rappelle Butler (1990, p. 13) en faisant référence aux travaux de
Thompson (1967) et de Mintzberg et Waters (1990); d'autre part le niveau de politisation
du processus décisionnel sera élevé. Dans ce contexte, on peut définir la politisation
comme "le niveau d’influence qui est amené à peser sur une décision et comment cette
influence est distribuée à l’intérieur et à l’extérieur de l’organisation"166 (Miller et al., p.
300).
La force et la répartition de l’influence, couplée à la complexité de ce qui est
soumis à décision, façonnent le processus décisionnel167 (Miller et al, 1997, p. 301). C'est
ce qu'ont notamment mis en évidence les recherches du groupe de Bradford, déjà citées, à
travers leur analyse de cent cinquante décisions prises dans trente organisations des
secteurs secondaire et tertiaire. Le degré de politisation, fonction du nombre et à la
variabilité des intérêts en présence, est un facteur explicatif important du caractère plus
ou moins fluide ou "sporadique" du processus décisionnel (Hickson et al., 1986;
Desreumaux et Romelaer, 2001).
Une décision hautement stratégique – non programmée par essence - entraîne
presque inévitablement un processus décisionnel non structuré, d’autant plus cyclique,
tâtonnant, et long, que le niveau d'incertitude est élevé car "dans ces conditions
[d'incertitude élevée], un processus linéaire rationnel, même s’il peut a priori paraître
optimal, n’est tout simplement pas possible … A contrario dans des domaines où les
situations de décision et les solutions sont plus formalisées et plus simples, par exemple
dans le domaine des investissements financiers, le processus de décision linéaire
séquentiel devient possible" (Desreumaux et Romelaer, 2001, p. 76).
Remarquons que les caractéristiques des investissements considérés, tels leur
niveau d'incertitude ou de complexité, de même d'ailleurs que leur contenu, ne sont
jamais discutées dans la littérature sur les investissements en efficacité énergétique. Etant
donné l'importance de ces caractéristiques pour le déroulement du processus décisionnel
et pour son résultat, il s'agit d'une grave lacune.
166
“Politicality refers to the degree of influence which is brought to bear on a decision and how this
influence is distributed within and without the organization.” (Miller et al., in Clegg, 1997:300)
167
"The strength and distribution of influence, coupled with the complexity of what is being decided, shape
the process which ensues" (Miller et al, 1997, p. 301).
182
2.2.5 Conclusion
• La décision n’est qu’une étape dans un processus dont les conditions d’émergence
et le démarrage sont décisifs.
• Le processus décisionnel est influencé par le double contexte dans lequel il
s’insère : contexte interne de l’organisation, et contexte externe de
l’environnement.
• Le nombre et le pouvoir des acteurs (groupes et individus) qui participent au
processus décisionnel sont importants pour le déroulement et le résultat de celui-
ci.
• Les schèmes cognitifs des acteurs influencent les décisions qu'ils prennent.
• La culture organisationnelle, schème interprétatif de niveau organisationnel, joue
un rôle particulier car elle "fédère" les différences individuelles et les sous-
cultures présentes dans l'organisation. Elle constitue une "logique dominante"
(Bettis et Prahalad, 1986), un "paradigme" (Johnson, 1992).
• Les caractéristiques de la décision jouent un rôle important sur le déroulement et
sur le résultat du processus décisionnel.
• La dimension stratégique de la décision joue un rôle important.
De façon ultime, deux conclusions s'imposent. 1) Il n'y a pas de "one best way" en
matière de décision, qu'elle soit individuelle ou organisationnelle : la solution optimale du
modèle classique n'existe pas, car elle varie d'un décideur à l'autre, en fonction de ses
schémas cognitifs (et de ses caractéristiques psychologiques individuelles). Dans les
organisations, la culture organisationnelle, à travers sa transcription dans les routines et
les systèmes de contrôle, joue le même rôle de filtre dans la perception de
l'environnement et le traitement de l'information, en imposant une "logique dominante"
dans la manière d'exercer le métier. 2) La culture organisationnelle est le reflet des
relations de pouvoir au sein de l'organisation, entre les différents départements et
managers de haut niveau. Pouvoir et culture sont donc les deux facteurs clés qui
déterminent le comportement des organisations et leurs décisions (leurs "comportements
de choix").
Ces conclusions rejoignent celle du chapitre précédent, en confirmant la nécessité
d'utiliser de façon complémentaire les approches "classiques" (modèle de la rationalité
limitée, modèles politiques et modèles aléatoires) pour analyser les décisions prises
dans/par les organisations. Mais les approches classiques doivent aussi être enrichies et
complétées par l'approche cognitiviste, qui analyse la manière dont les décideurs et les
organisations, par leurs perceptions et leurs interprétations, donnent un sens particulier
aux événements et aux informations dont ils ont connaissance. Enfin, le rôle joué par la
décision elle-même sur le processus décisionnel - en particulier son caractère stratégique,
source d'incertitude et de complexité - apparaît comme un autre enseignement majeur de
la littérature sur la décision dans les organisations. Ce constat débouche cependant sur de
nouvelles questions, auxquelles cette littérature ne fournit pas de réponses satisfaisantes :
qu'est-ce qui détermine le caractère stratégique d'une décision? Ou, autrement dit, qu'est-
ce qui fait qu'une décision est stratégique ou non? Et, d'autre part, en lien avec l'objet de
la présente recherche : les décisions d'investissement sont-elles des décisions
stratégiques? Il est indispensable de répondre à ces questions pour compléter le cadre
d'analyse des décisions organisationnelles. Tel est l'objectif du chapitre suivant.
184
"One Group Finance Director offers an insight into why it is that the "science" of evaluative
technique is unlikely to ever supersede the "art" of strategic decision-making: "Intuition and
judgment are absolutely crucial. You can't just take academic calculations and sit down and look at
them and say they make sense…These decisions aren't just based on hard calculations – you have
got to have a view of your company when you're talking to the people in it. So, intuition and
experience are extremely important".
168
Par exemple, vingt-deux des vingt-cinq décisions stratégiques étudiées par Mintzberg, Raisinghani &
Theoret (1976) étaient des décisions d’investissement.
186
issus pour la plupart du management stratégique – gestion stratégique des coûts, analyse
de la chaîne de valeur, benchmarking, balance scorecard, SWOT, l'analyse des 5 forces
de la compétition de Porter – ou bien de la finance d'entreprise (real option analysis).
Cependant, à l'exception du benchmarking, ces outils restent très peu utilisés par les
entreprises pour compléter leur analyse financière des projets d'investissement (Alkaraan
et Northcott, 2006; Carr et Tomkins, 1996).
Les méthodes d'évaluation financière169 des projets d'investissement dominent
donc largement sur les méthodes d'évaluation stratégique. Elles sont très largement
utilisées comme l'ont montré les quelques recherches menées sur ce thème. Ainsi
l'enquête d'Alkaraan et Northcott (2006), réalisée en 2002-2003 auprès de 83 grandes
entreprises anglaises réparties en 8 secteurs d'activité dans le but d'établir un état de la
question en matière d'usage des techniques d'évaluation financière et de risque par les
entreprises, a montré des pourcentages d'utilisation très élevés. Au moment de l'enquête
respectivement 99%, 89% et 96% des entreprises utilisent les méthodes VAN, TRI et
délai de recouvrement (payback). L'étude d'Alkaraan et Northcott montre aussi que
l'usage de ces techniques est en progression et que l'emploi simultané de plusieurs
techniques d'évaluation est de plus en plus fréquent170. La méthode du délai de
recouvrement est la première ou la deuxième méthode employée. Ces résultats sont
comparables à ceux d'Abdel-Kader et Dugdale (1998). Par contre ils diffèrent de ceux de
Graham et Harvey (2001), dont l'enquête, menée auprès de 392 entreprises américaines,
met en évidence un usage globalement moins fréquent des méthodes classiques
d'évaluation financière et, parmi celles-ci, une prééminence des techniques VAN (en
usage dans 75% des entreprises interrogées) et TRI (74%) sur celle du payback (57%).
Cependant, d'après Graham et Harvey, les "petites" entreprises (chiffre d'affaire < US$
100 mio) utilisent presque autant la méthode du payback que celles de VAN/TRI.
Alkaraan et Northcott, comme Graham et Harvey, s'étonnent de la popularité de la
méthode du payback, malgré ses défauts souvent soulignés par les théoriciens de la
finance (non prise en compte des flux au-delà de la date couperet et de la nécessité
169
Pour une description de ces méthodes, voir la section "La théorie financière des choix d'investissement",
p. 42 et ss.)
170
Pour chaque projet d'investissement, 98% des répondants utilisent plus d'une et 88% des répondants plus
de deux méthodes d'évaluation.
188
d'actualiser les flux attendus). Cette popularité s'expliquerait, selon Graham et Harvey171,
par un manque de sophistication des entreprises et des décideurs et non par des
contraintes budgétaires.
Plusieurs recherches mettent en évidence l'influence de la culture nationale et de
la culture d'entreprise sur l'emploi et le rôle des techniques d'évaluation financière. En
matière de décisions d'investissement par exemple, les entreprises anglo-saxonnes
semblent plus "financially oriented" que les entreprises allemandes ou japonaises qui
sont, elles, plus "strategically oriented". Dans le premier cas l'objectif déclaré de
l'investissement est d'abord la rentabilité, dans l'autre c'est un objectif stratégique, tel
l'accroissement de la part de marché. Par exemple Carr et Tomkins (1996) montrent que
les entreprises allemandes utilisent moins fréquemment les techniques d'évaluation
financières que leurs homologues britanniques du même secteur d'activité. Elles ont par
ailleurs des exigences différentes : le seuil couperet pour le payback est en moyenne de 5
ans pour les entreprises allemandes et de 3,3 ans pour les entreprises britanniques, bien
que ces différences divergent selon la structure de propriété de l'entreprise (les entreprises
anglaises non cotées en bourse ont des exigences de payback plus longues que les
entreprises cotées).
Les techniques d'évaluation financières sont-elles appliquées de manière identique
à tous les investissements, qu'ils soient stratégiques ou non stratégiques? Alkaraan et
Northcott (2006) répondent par l'affirmative à cette question. Par contre Carr et Tomkins
(1996) notent un usage moins fréquent des techniques d'actualisation des flux pour les
investissements stratégiques que pour les investissements non stratégiques dans les
entreprises de leur échantillon172. Notons que ce résultat est conforme aux conclusions de
Dean et Sharfman (1993, 1996) qui ont montré que plus la décision à prendre est perçue
comme stratégique, moins le niveau de rationalité procédurale173 du processus
décisionnel est élevé (voir p. 192 et ss.). Bien que ne faisant pas la distinction entre
171
Qui ont comparé l'usage des méthodes d'évaluation avec certaines caractéristiques des entreprises (taille
et endettement) et des CEO (âge, formation, durée dans la fonction).
172
Les résultats de ces deux recherches sont cependant difficilement comparables: grandes entreprises de 8
secteurs d'activité interrogées principalement par courrier pour Alkaraan et Northcott, entreprises d'un seul
secteur et incluant des petites entreprises, interrogées dans des interviews pour Carr et Tomkins.
173
Définie d'après Dean et Sharfman, (1993 et 1996) comme l'importance donnée par les décideurs aux
activités de collecte et d'analyse de l'information et à la manière dont ils se fient à cette information dans le
processus décisionnel.
189
entreprises sur 44); "un projet doit permettre avant tout la réalisation des objectifs
stratégiques de l'entreprise" (40 entreprises sur 44). Ayant repris le questionnaire de De
Bodt et Bouquin (repris lui-même de la recherche de Van Cauwenbergh et al., 1996) pour
le volet financier de ma recherche empirique174, j'ai obtenu des résultats très proches,
puisque respectivement 11, 15 et 16 entreprises sur 17 ont souscrit aux mêmes
affirmations. De même 93% des répondants de l'enquête d'Alkaraan et Northcott (2006)
considèrent comme "importante" ou "très importante" la concordance de l'investissement
considéré avec la stratégie de leur entreprise. Les recherches de Carr et Tomkins (1996)
montrent que les investissements sont analysés par les entreprises en fonction de
considérations stratégiques plutôt que selon leur rentabilité particulière (mais la culture
nationale joue un rôle à cet égard; Carr, 1997; Carr et Tomkins, 1998). La dimension
stratégique des investissements apparaît donc comme un critère décisionnel important,
voire plus important que le critère de rentabilité.
Dans l'ensemble, cette analyse de l'influence respective des critères financiers et
stratégiques sur les décisions d'investissement indique que la dimension stratégique des
projets joue un rôle important, voire prioritaire, pour leur acceptation. Les
investissements stratégiques sont donc mieux placés pour gagner la compétition entre
projets au sein des organisations (théorisée par Langley et al., 1995, voir p. 147).
Malheureusement, trop peu d'attention a été consacrée par la recherche à une approche
comparative des procédures d'évaluation pour les projets d'investissement stratégiques et
non stratégiques, qui mettrait peut-être en évidence d'éventuelles différences de
traitement. Il serait certainement intéressant d'explorer cette piste de recherche. La
question qui se pose en particulier est celle de savoir si la méthode du pay-back est
utilisée plus volontiers par les entreprises pour des investissements considérés comme
non stratégiques, tandis que les méthodes actualisant les flux, qui prennent en compte un
terme de calcul plus long, s'appliqueraient à des investissements stratégiques. Dans le cas
des investissements en efficacité énergétique, la méthode du pay-back est de loin celle
qui est le plus généralement employée.
174
Réalisée entre juin 2006 et juin 2007, qui sera décrite en détails dans la troisième partie de la thèse (voir
p. 237 ss.),
192
Reste ouverte une question importante : qu'est-ce qui fait qu'un investissement est
stratégique ou non stratégique? Les deux prochaines sections analyseront les réponses
apportées par la littérature sur la décision dans les organisations. Elles proposeront des
réponses en cas de silence de la littérature.
"Based on the existing literature, we know very little about the relationship between an
organization's strategy and the strategic decisions that are made by the organization's managers to
either "determine" a strategy, or "allow" a particular strategy to arise. "
Maritan et Schendel (1997, p. 261)
troisième lieu, on peut classer les décisions d'investissements selon leur nature stratégique
ou non stratégique.
La recherche sur la prise de décision stratégique, généralement qualifiée de
"courant processuel" ("strategy process", par opposition à l'autre grand courant de
recherche en stratégie, celui du "strategy content"), a mis en évidence la relation qui
existe généralement entre la nature stratégique d'un projet d'investissement et les
caractéristiques de la décision correspondante : celle-ci contiendra un niveau élevé
d'incertitude, sera complexe, non structurée, avec un impact potentiel élevé, et on ne
pourra lui appliquer de solutions existantes. La recherche sur la prise de décision
stratégique a montré ensuite les conséquences qu'entraînent ces caractéristiques sur le
processus décisionnel : celui-ci sera compliqué et politisé (Bower, 1970; Butler et al.,
1991; Donaldson et Lorsch, 1983; Hickson et al., 1986 ; Hu et Heard, 1995 ; Johnson,
1989; Marsh et al. 1988, Mintzberg, Raisinghani et Theoret, 1976) avec un niveau de
rationalité procédurale175 moins élevé (Dean et Sharfman, 1993) et des situations
fréquentes de quasi-décision (Hickson, Butler, Cray, Mallory et Wilson, 1986; voir p.
180 et ss.).
Mais la recherche sur la prise de décision stratégique ne s'est pas intéressée à la
relation entre le contenu substantiel d'un investissement et sa nature stratégique. Quel est
l'objet de la décision stratégique, du projet d'investissement envisagé ? Cette question
n'est presque jamais posée par la recherche en strategy process : le contenu, l'objet, de la
décision est considéré comme "donné", comme extérieur au périmètre d'investigation
(Maritan et Schendel, 1997).
Or envisager séparément processus et contenu est une erreur176, car le contenu de
la décision détermine sa nature plus ou moins stratégique. C'est ce qu'a montré en
particulier Catherine Maritan (2001), dont la recherche est la seule qui cherche à faire une
synthèse entre les approches "processus" et "contenu" des décisions stratégiques. Pour ce
faire, Maritan utilise le cadre théorique de la RBV (Resource Based View), d'après lequel
175
Définie d'après Dean et Sharfman, (1993) comme l'importance donnée par les décideurs aux activités de
collecte et d'analyse de l'information et à la manière dont ils se fient à cette 'information dans le processus
décisionnel.
176
"But, how can we really understand the process of making strategic decisions without explicitly
considering the strategy content of the decisions and how it links to outcome? To see the decision process
and content as separable is wrong" (Maritan et Schendel, 1997, p. 262).
194
niveau hiérarchique de son "champion": tous les investissements étudiés ont été soutenus
par un champion mais, pour les investissements de type "new", celui-ci était au minimum
de niveau senior management, contrairement aux autres catégories. Troisièmement, le
contenu de l'investissement influence le mode d'approbation du projet : bien que chaque
projet ait été approuvé de façon formelle, l'approbation effective était informelle –
généralement verbale – et venait du plus haut niveau de direction (on retrouve ici le
concept de quasi-décision) pour les investissements de type "new"; plus l'investissement
est nouveau (et donc incertain), plus l'approbation effective a lieu rapidement, parfois dès
la phase de démarrage; le stade auquel les projets d'investissement sont effectivement
approuvés par l'entreprise étudiée est inversement lié à sa nouveauté et à son incertitude.
Quatrièmement, le contenu du projet d'investissement influence le niveau de rationalité
procédurale : plus le projet est nouveau, moins le processus décisionnel contient de
rationalité procédurale et plus il est politisé. Ces conclusions confirment les résultats des
recherches antérieures sur l'influence exercée par les caractéristiques de la décision elle-
même sur le processus décisionnel (voir p. 180) et par l'importance du contenu de la
décision (voir plus haut Dutton et al., 1989).
La contribution précieuse de Maritan (2001) est d'établir d’abord la relation entre
l’objet - le contenu - d’un projet d’investissement et son caractère plus ou moins
stratégique et, ensuite, d’analyser l’influence de ce caractère stratégique sur le processus
décisionnel.
Cette recherche de Maritan constitue une exception. Dans l’ensemble, parce qu'il
n'explore pas la relation entre contenu substantiel et nature stratégique, le courant
processuel de la recherche en stratégie est réduit à proposer des définitions assez vagues
et peu opérationnelles de la décision stratégique, souvent axées sur l'idée de son
"importance". Ainsi, il s'agit de décisions "importantes en termes des actions prises, des
ressources engagées ou des précédents établis"177 (Mintzberg, Raisinghani et Theoret,
1976); de décisions d’une importance vitale pour l’entreprise178 car elles peuvent affecter
177
"…strategic simply means important, in terms of the actions taken, the resources committed, or the
precedents set." (Mintzberg, Raisinghani et Theoret, 1976, p. 246).
178
"Strategic decisions … are defined as intentional choices or programmed responses about issues that
materially affect the survival prospects, wellbeing and nature of the organization", (Schoemacher, 1993, p.
107). "Decisions to invest large sums of capital in new production factories or in renewing manufacturing
facilities are of vital importance in the development of all industrial firms", Hu et Heard, 1995, p.395.
196
ses chances de survie (Butler, 1991; Hu et Heard, 1995; Schoemacher, 1993) ainsi que le
bien-être et la nature de l’organisation (Schoemacher, idem); de décisions qui ont un effet
significatif sur l'organisation dans son ensemble (Carr & Tomkins, 1996), de décisions
revêtant un potentiel significatif pour améliorer la performance de l’entreprise179 (Butler
et al. 1991; Carr et Tomkins, 1996; Van Cauwenbergh et al., 1996). Cossette relève
l'ambiguïté du terme, en faisant remarquer que, en fin de compte, l'adjectif "stratégique"
semble tout simplement signifier le plus souvent "important" ou non secondaire (2004, p.
89). Telle est finalement aussi la position de Mintzberg, qui qualifie de "stratégiques" des
décisions "significatives" ou "importantes" (1978), sans plus faire référence,
contrairement à sa définition de 1976 à des "actions prises, des ressources engagées ou
des précédents établis". Quand elles ne sont pas basées sur l'idée de l'importance de la
décision pour l'organisation, les définitions du courant processuel sont assez vagues en
indiquant qu'il s'agit de décisions sur les buts, domaines, technologies et structure d’une
entreprise (Child, 1972, cité par Hitt and Tyler, 1991, p. 331) ou de décisions qui portent
sur le développement de l'entreprise, par l'intermédiaire des "triplets produits-marchés-
technologies" (Desreumaux et Romelaer, 2001). Koenig considère, quant à lui, que c’est
le degré d’incertitude qui fonde la distinction entre décision stratégique et décision
tactique. Plus l’incertitude s’accroît et plus on entre dans le domaine de la décision
stratégique qui est "une décision d’allocations de ressources prise en situation
d’incertitude, … caractérisée par le fait qu’elle ne présente plus une corrélation répétée et
répétable entre les effets requis pour atteindre l’objectif et les moyens à mobiliser"
(Koenig, 2001, p. 43). Pour Koenig, c’est donc la répétition qui différencie la décision
tactique, s’appliquant à des situations répétitives relativement balisées et sujettes à de
simples perturbations (aléas), et la décision stratégique. Johnson (1989) est le seul auteur
dont la définition prenne en compte le contenu de la décision180, en cohérence avec le
concept de stratégie lui-même181 (que je discuterai plus loin dans ce chapitre), en
179
"Investments were considered strategic if they had a significant potential for improving corporate
performance. As such, a strategic investment is important in terms of actions taken and/or resources
allocated" (Van Cauwenbergh et al., 1996, p. 169).
180
Ce qui n'est pas étonnant puisqu'il est actif dans les deux domaines, "content" et "process", du
management stratégique, contrairement à la grande majorité des chercheurs.
181
"La stratégie est l'orientation des activités d'une organisation à long terme. Elle consiste à obtenir un
avantage concurrentiel grâce à la reconfiguration des ressources de l'organisation dans un environnement
197
changeant, afin de répondre aux besoins du marché et aux attentes des différentes parties prenantes
(propriétaires, employés, financeurs, etc.)" Johnson et Scholes (2000, p. 27).
198
évidence plusieurs dimensions qui sont considérées comme plus importantes par les
décideurs interrogés que par les chercheurs. Ces dimensions sont les suivantes:
premièrement, l'impact potentiel de la question stratégique sur l'organisation et sur ses
membres; deuxièmement, le contenu de la décision : les dimensions liées au contenu sont
citées presque aussi souvent par les personnes interviewées (43%) que les dimensions
liées aux caractéristiques analytiques (45%); troisièmement, la relation entre la question
stratégique examinée et le métier de l'entreprise : mission et rôle (43 citations sur les 225
citations de dimensions liées au contenu), ressources (31 sur 225), métiers (19 sur 225),
au total environ 40% des dimensions citées peuvent être classées dans des catégories liées
au métier de l'entreprise; quatrièmement, la contrôlabilité des questions stratégiques,
définie comme la possibilité d'une action effective pour les résoudre182 (Dutton et al.,
1989, p. 389). Finalement, la recherche de Dutton et al. met en évidence un critère qui
n'existe pratiquement pas dans la littérature académique (il n'est mentionné que dans 2
des 30 articles analysés), celui du lien entre questions stratégiques. Ce lien influence
significativement le fait qu'un sujet retienne ou non l'attention de l'organisation. En effet,
au plan cognitif, les managers regroupent les questions qui sont liées par des liens de
causalité 183 et ils appréhendent favorablement les questions qui leur permettent de régler
de façon simultanée différents problèmes (conformément, nous disent Dutton et al., 1989,
aux résultats d'un des grands théoriciens du changement, Kotter, 1982). Ce résultat
confirme le cadre théorique développé par Langley et al. (1995) sur l'importance des
relations entre courants de questions (issue streams) pour expliquer les décisions
organisationnelles (voir p. 147 et ss.). Remarquons, en liaison avec la section précédente
(consacrée à l'importance respective des critères stratégiques et financiers dans les prises
de décisions organisationnelles) que les critères financiers sont inclus dans la dimension
"ressource", qui n'est que l'une des 52 dimensions utilisées par les décideurs pour classer
les questions stratégiques, ce qui vient confirmer l'importance relative de la dimension
financière dans les décisions. Dans l'ensemble, la recherche de Dutton et al. met en
évidence le décalage entre les analyses théoriques (primauté de l'influence des
caractéristiques des questions décisionnelles dans les sélections des décideurs) et les
182
"…controllability of an issue in terms of whether effective action could be taken to resolve it" (Dutton et
al., 1989, p. 389).
183
"Issues that are causally connected are cognitively bundled together" (Dutton et al. 1989, p. 392)
199
184
Qui s'exprime dans cette appréciation de Butler et al. (1991, p. 402): "Our, admittedly limited, sample of
British management gives optimistic support for the notion that implementation of competitive strategies
(Porter, 1985) is filtering through to investment decisions".
200
"stratégies émergentes" n'ont pas été "pré-conçues" et émergent peu à peu, au fil des
décisions prises. Les stratégies délibérées précèdent et guident les décisions futures qui
seront prises en leur nom. Mais même les stratégies délibérées s'adaptent et se modifient
au fur et à mesure des résultats des décisions prises et des évolutions de l'environnement.
En suivant cette logique processuelle, Mintzberg définit la stratégie comme "a pattern in
a stream of decisions" (Mintzberg, 1978, p. 935). Selon cette ligne de raisonnement, il est
donc difficile de définir le caractère stratégique d'une décision en analysant sa relation ou
sa conformité à une stratégie existante.
L'autre manière d'évaluer le caractère stratégique d'une décision consiste,
contrairement à l'approche du courant processuel de la stratégie, à examiner le contenu de
la décision et à analyser en quoi il permet de renforcer la position stratégique de
l'organisation. Pour mener cette analyse, il faut puiser dans les concepts de l'autre grand
courant de recherche en stratégie, la recherche en "strategy content". Le courant "strategy
content" s'attache en effet, dans un esprit généralement plus normatif que descriptif, à
définir le concept de stratégie et à lui donner un contenu en termes d'actions ou de
décisions stratégiques. Le courant du "strategy content" n'est pas non plus uniforme. Dans
leur livre "Strategy Safari", écrit dans le même esprit que les "Images de l'organisation"
(Morgan, 1997), Mintzberg, Ahlstrand et Lampel (1998) montrent que le concept de
stratégie peut être envisagé sous différents angles en fonction de différentes écoles. Dans
leur article "The Field of Strategy: In Search of a Walking Stick", Hafsi et Thomas (2005)
font le constat critique de la diversité de définitions : "apparently, we are not even sure if
we agree on the same definition of strategy. There is no lack of available definitions.
Anyone with any claim to recognition in "the field" has provided one …Yet all these
definitions remain so vague and so general that they provide little help. Most of the
definitions are either descriptive of the strategy-making process or tautological in nature,
saying basically that strategy is the set of decisions that makes an organization
successful, or strategy is what top managers do. Such a lack of clarity in the basic
concept makes the search for meaningful research findings and hence theory construction
difficult." (Hafsi et Thomas, 2005, p. 507). Ce constat fait écho au commentaire ironique
de Bower (1997, p. 27) : "Because we draw upon everyday English in order to describe
phenomena, we tend to re-invent language when we identify new things rather than adapt
201
the old. This is particularly a problem with those among us, who adopt a rather divine
posture and say "I call this red" whether or not people have been calling it red for years
of whether in fact they have been calling it crimson. … The result of such promiscuous
use of language is fashion rather than science in labeling and limited cumulation in our
work". De fait, de nombreuses définitions existent de la stratégie, dont voici deux
exemples, d'auteurs français reconnus : la stratégie est "l'ensemble des décisions
concernant le choix des moyens et des actions relatives à l'articulation des ressources en
vue d'atteindre un objectif" (Thiétart et Xuereb, 2005, p. 25) ou "l'art d'engager
durablement l'entreprise dans une voie lui permettant, sur la longue période, de tirer
avantage des règles du jeu de l'environnement et de leur évolution" (Gervais, 2003, p.
33). Ces définitions apparaissent comme trop vagues pour qu'on puisse en déduire les
règles d'identification de décisions stratégiques. Comme l'analysent Hafsi et Thomas
(2005), différentes approches du concept de stratégie peuvent être distinguées : la
stratégie peut être envisagée comme l'expression d'un leader ou d'une communauté,
comme un guide dans des temps incertains, comme une relation à l'environnement, et
enfin comme la construction d'un avantage concurrentiel. En ce dernier sens, la stratégie
consiste donc à créer un avantage concurrentiel durable. Bower (idem, p. 28) relève aussi
l'ambiguïté du concept de stratégie185 mais il fait remarquer que le terme s'entend souvent
dans le sens de la stratégie compétitive d'une unité d'affaires, au sens qui a été donné à
cette formule par Michael Porter : "strategy is about being different … to deliver a unique
mix of value. … [it] is the creation of a unique and valuable position" (Porter, 1996, p. 64
et 68).
La définition de la stratégie comme la recherche d'un avantage concurrentiel est la
définition la plus utile, tant pour formuler des objectifs stratégiques que pour analyser les
décisions prises. De fait les chercheurs du courant "strategy content" s'accordent, dans
l'ensemble, sur les éléments de définition principaux suivants, qui sont déduits des
principes de la stratégie compétitive de Porter (1980; 1985) : la stratégie est l'orientation
des activités d'une organisation à long terme. Elle consiste à définir la direction d'une
organisation, en en spécifiant les activités et les buts à long terme, dans un équilibre entre
185
"What do we mean by strategy? It is used in all sorts of fashions, as a description of the emergent pattern
of activities of a business unit or a corporation; as a rallying cry as in Canon's "Beat Leica"… " (Bower,
1997, p. 28).
202
186
On peut adopter comme définition formelle celle de Johnson et Scholes (2000, p. 27): "La stratégie est
l'orientation des activités d'une organisation à long terme. Elle consiste à obtenir un avantage concurrentiel
grâce à la reconfiguration des ressources de l'organisation dans un environnement changeant, afin de
répondre aux besoins du marché et aux attentes des différentes parties prenantes (propriétaires, employés,
financeurs, etc.).
187
Appelé aussi "avantage stratégique" par Johnson et Scholes (2000, p. 31).
188
"A company can outperform rivals only if it can establish a difference that it can preserve." (Porter,
1996b, p. 62)
203
positionnement qu'elle a défini, que l'entreprise créera cet avantage concurrentiel qui lui
permettra de surpasser ses concurrents et de survivre dans le long terme (grâce au
"surprix" qu'elle pourra percevoir de ses clients). Lorsqu'une firme parvient à cumuler les
deux stratégies – assurer une domination par les coûts et, en même temps, se différencier
des concurrents – les rendements sont d'autant plus importants que les avantages
s'additionnent (Porter, 1996a, p. 32). Cette situation se rencontre notamment en cas
d'innovation majeure.
Deux grandes approches théoriques ont défini les moyens de construire cette
valeur au moindre coût : la première est axée sur le choix des activités, "unités de base de
l'avantage concurrentiel189" (Porter, 1996b, p. 62), l'autre sur le développement de
ressources stratégiques. Ces deux grandes approches seront brièvement décrites dans les
pages qui suivent.
"Toute firme peut se concevoir comme un ensemble d'activités destinées à
concevoir, fabriquer, commercialiser, distribuer et soutenir un produit" (Porter, 1996a, p.
52). La définition des activités "conditionne le positionnement, non seulement par rapport
au marché mais aussi et surtout par rapport aux concurrents" (Ramanantsoa, 1997, p.
3034). Pour se différencier, une entreprise doit choisir un ensemble d'activités qui lui
permette de fournir à ses clients "a unique mix of value" (Porter, 1996b, p. 64).
L'avantage concurrentiel provient de la cohérence ("fit") et de la complémentarité entre
activités qui doivent constituer, conformément à la démarche stratégique "un système
complet et non pas une collection d'éléments"190 Les activités qui doivent être choisies,
dans le cadre de la démarche stratégique visant à développer un avantage concurrentiel,
sont celles dans lesquelles l'entreprise possède une ou plusieurs compétences
fondamentales, compétences distinctives qui permettent de surpasser la concurrence en
offrant un niveau de valeur supérieur (Johnson et Scholes, 2000, p. 178). Il s'agit de ce
que l'entreprise "sait mieux faire que les autres" (Ramanantsoa, 1997, p. 3030), des
"savoirs ou savoirs faire que l'entreprise est la seule, ou parmi les rares, à maîtriser dans
un secteur industriel donné " (Thiétart et Xuereb, 2005, p. 80). Ces compétences
distinctives permettent à l'entreprise de mener à bien les diverses fonctions par lesquelles
189
"…the basic units of competitive advantage".
190
"…a whole system of activities, not a collection of part" (Porter, 1996b, p. 70).
204
elle crée de la valeur. Elles constituent le cœur de son métier selon Ramanantsoa191
(1997). L'avantage concurrentiel est donc basé, en bonne logique, sur le cœur de métier
de l'entreprise. Telle est une conclusion que l'on peut retirer de ce courant de littérature
sur le choix des activités comme source de l'avantage concurrentiel. On a ici un accord
entre l'approche des chercheurs et celle des praticiens192 puisque, comme l'ont montré
Dutton et al. (1989)193, 40% des dimensions utilisées par les praticiens pour reconnaître,
différencier et classer les questions stratégiques peuvent être classées dans des catégories
liées au métier de l'entreprise.
Les activités créatrices de valeur se répartissent en deux grandes catégories: les
activités primaires, ou principales, et les activités de soutien (Porter, 1985). Les activités
primaires qui assurent l'offre de produits et/ou de services de l'entreprise (création
matérielle et vente du produit, transport jusqu'au client et service après-vente) sont
directement impliquées dans la création de valeur. Elles constituent les activités du cœur
de métier (core business activities). Dans n'importe quelle firme194, on peut diviser ces
activités en cinq grandes catégories: logistique interne, production, logistique externe,
commercialisation et ventes, et services. Les activités de soutien viennent, comme leur
nom l'indique, à l'appui des activités primaires, et peuvent être regroupées en quatre
catégories: les approvisionnements des moyens de production, le développement
technologique, la gestion des ressources humaines et l'infrastructure. Activités primaires
comme activités de soutien comprennent chacune trois sous-types d'activités, selon la
typologie établie par Porter, qui jouent un rôle différent dans l'obtention d'un avantage
concurrentiel : tout d'abord les activités directes, directement impliquées dans la création
de valeur pour le client; ensuite les activités indirectes, qui permettent d'assurer de façon
continue les activités directes et qui peuvent aussi jouer un rôle majeur sur la
différenciation par leurs effets sur ces activités directes ; enfin les activités garantissant la
qualité des autres activités (activités de surveillance, inspection, vérifications, essais, etc.)
(Porter, 1996a, p. 62). L'avantage concurrentiel provient autant des liaisons entre activités
191
"La notion de métier rejoint le concept de compétence distinctive" (Ramanantsoa, 1997, p. 3032).
192
Si l'on admet que les résultats de cette recherche ont une valeur universelle.
193
Dont les résultats sont discutés dans le chapitre Décision stratégique et stratégie (voir p. 184 et ss.).
194
"Selon le secteur, l'une ou l'autre de ces activités peut avoir une importance vitale pour l'avantage
concurrentiel … mais, quelle que soit la firme, toutes les catégories d'activités principales seront présentes à
un degré ou à un autre et joueront un certain rôle dans l'avantage concurrentiel" (Porter, 1996, p. 57).
205
que des activités elles-mêmes. Les liaisons sont de trois types: celles qui unissent
activités de soutien et activités principales, celles qui lient entre elles les activités
principales et, enfin, les "liaisons verticales" qui unissent la chaîne de la firme et les
chaînes des fournisseurs et des circuits de distribution (Porter, idem, pp. 67-68).
Une question cruciale est d'identifier les activités qui permettront de surpasser la
concurrence. A cet effet, Michael Porter (1985) a développé le concept de la chaîne de
valeur, outil conceptuel qui permet de "décomposer la firme en activités pertinentes au
plan de la stratégie, dans le but de comprendre le comportement des coûts et de saisir les
sources existantes et potentielles de différenciation." (Porter, 1996a, p. 50), de mieux
comprendre les fonctions qui constituent une organisation et la façon dont elles sont
enchaînées mais aussi et surtout "les différentes étapes qui déterminent la capacité d'une
organisation à obtenir un avantage concurrentiel en proposant une offre valorisée par ses
clients". L'avantage concurrentiel repose sur la capacité à optimiser chacune des étapes de
création de valeur et à harmoniser leur enchaînement. Par conséquent, la détermination de
la capacité concurrentielle doit commencer par l'identification de chacune de ces étapes
de création de valeur, ce qui ne veut pas dire reconstituer une suite chronologique mais
identifier et définir "les savoirs fondamentaux partagés par l'organisation" (Métais, 2004,
p. 115). En comparant la chaîne de valeur de l'entreprise à la chaîne de valeur
généralement rencontrée dans le secteur, on peut repérer les sources possibles de
différenciation. Modifier la structure de la chaîne de valeur revient à mettre en place une
stratégie de rupture. (Ramanantsoa, 1997).
Le schéma ci-dessous représente la chaîne de valeur. Les lignes en pointillé qui
traversent les activités de soutien illustrent le fait que ces activités peuvent être associées
à des activités principales particulières ou soutenir toute la chaîne (Porter, 1996a, p. 55).
206
Infrastructure
Marg
Gestion des ressources humaines
ACTIVITES
DE SOUTIEN Développement technologique
e
Achat et approvisionnements
ge
Logistique Production Logistique Distribution Services
Mar
interne externe et ventes
ACTIVITES PRIMAIRES
Figure 42 - La chaîne-type de valeur (Porter, 1996, p. 53).
195
Rappelons (voir p. 176 et ss.) que, selon le courant de la RBV, une décision d'investissement est un flux
de ressources et le résultat cumulé de ce flux un stock de ressources (Dierickx et Cool, 1989).
196
"By a resource is meant anything which could be thought of as a strength or weakness of a given firm".
207
œuvre les stratégies qui améliorent son efficacité et son efficience"197. En se basant sur
les définitions de Wernerfelt et de Barney, Bingham et Einsenhardt (2008, p. 243)
définissent quant à eux les ressources comme "the tangible assets (e.g. location, plant,
equipment), intangible assets (e.g. patents, brands, technical knowledge), and
organizational processes (e.g. product development, country entry, partnering) from
which managers can develop value-creating strategies". Différentes typologies de
ressources ont été proposées. La plupart des auteurs différencient les ressources tangibles
(qui comprennent les ressources physiques, humaines, et financières) et les ressources
intangibles, qui n'ont pas d'existence matérielle. Selon Métais (2004, p. 37), les
ressources intangibles se divisent en ressources organisationnelles (qui comprennent le
savoir organisationnel, technologique et managérial, les systèmes d'information et le
process) et ressources marginales ou "frontières" – qualifiées ainsi parce qu'elles
dépassent les frontières de l'organisation (et comprennent les clients – la réputation et
image, les fournisseurs et les réseaux). Barney (1991) identifie trois grandes catégories de
ressources : les ressources physiques, humaines et organisationnelles. En se basant sur la
classification pionnière de Hofer et Schendel (1980), Gant (1996) identifie quant à lui six
grandes catégories de ressources: les ressources financières, physiques, humaines,
technologiques, réputationnelle et organisationnelle.
Fondamentalement, la notion de ressource stratégique fait référence à des
ressources qui contribuent "à entretenir le caractère unique du produit aux yeux du client"
(Ramanantsoa, 1997, p. 3041), ce qui permet à l'entreprise de se différencier de la
concurrence et de générer un avantage concurrentiel. Dans un article remarquable,
Bingham et Eisenhardt (2008) remarquent que, en dépit des nombreux travaux de la
RBV, les causes et les modalités de la contribution des ressources à l'avantage
concurrentiel restent peu claires et cherchent à combler cette lacune en proposant une
typologie de logiques stratégiques qui caractérisent la relation entre ressources et
avantage concurrentiel. Ils rappellent tout d'abord qu'une ressource ne permet le
développement d'un avantage concurrentiel à long terme que si elle répond à certaines
conditions, qui sont résumées dans l'acronyme anglais VRIN: "Valuable, Rare,
197
"…all assets, capabilities, organizational processes, firm attributes, information, knowledge, etc.
controlled by a firm that enable the firm to conceive of and implement strategies that improve its efficiency
and effectiveness" (Barney, 1991, p. 101).
208
198
En français "VRIST": Valorisable, Rare, Inimitable, Non-Substituable, Non-Transférable (Strategor,
2005, 4ème éd., p. 89; Métais, 2004, p. 109).
199
"…valuable (i.e. raise revenues or lower costs) in the context of a given market, rare (i.e. unique among
firms in that market), inimitable (i.e. cannot be readily copied), and non-substitutable (i.e. other resources
do not provide the same functionality" (Bingham et Einsenhardt, 2008, p. 243).
200
…"moderately linking core and complementary resources" (Bingham et Einsenhardt, 2008, p. 244).
209
201
"Overall the argument that specific VRIN resources per se are themselves the source of competitive
advantage misidentifies the true source of advantage. That is, the specific characteristics of resources per se
are neither necessary nor sufficient conditions for competitive advantage" (Bingham et Einsenhardt, 2008,
p. 254).
210
202
D'ailleurs, on assiste, me semble-t-il, à une convergence entre les deux approches au fil des années :
l'approche par les ressources a enrichi l'approche par les activités et l'a fait évoluer, comme le montre une
lecture "historique" du texte de Michael Porter sur la stratégie écrit en 1996.
211
203
Ces deux points sont discutés plus haut dans cette section.
214
204
Voir p. 117 et ss.
215
Trois thèmes structurent le sujet du SID selon Dutton et al. (1983) : le diagnostic
stratégique est beaucoup plus complexe qu'il n'est généralement présenté dans la
littérature classique sur la décision dans les organisations205; ses conséquences sont
complexes et variées et peuvent influencer les phases subséquentes du processus
décisionnel; l'impact du contexte organisationnel est négligé dans la littérature; il est donc
mal compris. Vingt-cinq ans après cette analyse, ces trois thèmes sont toujours
d'actualité.
Dans la continuité des travaux de Mintzberg, Raisinghani et Theoret (1976),
Dutton, Fahey et Narayanan (1983) sont les premiers à insister sur l'importance cruciale
du SID, qu'ils définissent comme "les activités et processus par lesquels données et
stimuli sont explicités et définis (actions d'"organisation de l'attention") et explorés
(actions d'interprétation)"206. Le SID comprend deux opérations: la première opération
consiste à répartir les questions qui se présentent dans les catégories "stratégiques" et
"non stratégiques" ou, autrement dit, à "séparer le bon grain et l'ivraie"207. Une fois que
cette répartition a été faite, la deuxième opération consiste à classer les questions
identifiées comme stratégiques, qui sont labélisées selon différentes catégories.
Igor Ansoff, fondateur du management stratégique, avait défini une question
stratégique comme "a forthcoming development … which is likely to have an important
impact on the ability of the enterprise to meet its objectives" (Ansoff, 1980, p. 133). Dans
le contexte du SID, les questions stratégiques peuvent être définies comme des "events,
developments or trends that are perceived by decision-makers as having the potential to
affect their organization's performance (Dutton et al., 1989, p. 380) … "an emerging
development which in the judgment of some strategic decision maker is likely to have a
significant impact on the organization's present or future strategies" (Dutton et al., 1983,
p. 308). L'évolution du vocabulaire – on ne parle plus de sujets "importants" mais de
sujets "perçus comme importants" – marque bien la différence entre la perspective
cognitive et la perspective traditionnelle de la recherche en management stratégique.
205
Qui est plus centrée sur les phases de sélection et de choix des solutions, voir p. 138 et ss.
206
"SID refers to those activities and processes by which data and stimuli are translated into focused issues
(i.e. attention organizing acts) and the issues explored (i.e. acts of interpretation)" (Dutton et al., 1983, p.
307).
207
"Important Dimensions of Strategic Issues: Separating the Wheat from the Chaff" (Dutton, Walton et
Abrahamson, 1989).
216
Remarquons cependant que Dutton et al. s'alignent sur les définitions du courant
"strategy process", malgré les critiques qu'ils formulent à son encontre (Dutton et al.,
1989), en définissant les questions stratégiques comme "importantes" et en n'admettant
implicitement que deux catégories distinctes – celles des "questions stratégiques" ou des
"questions non stratégiques", sans envisager une gradation du caractère stratégique des
décisions, comme je l'ai suggéré dans la section précédente.
Quoi qu'il en soit, les questions qui se présentent ne sont pas intrinsèquement et
objectivement stratégiques. Elles doivent être perçues et catégorisées comme telles par
les décideurs et leur organisation. Pour obtenir ce statut au terme du processus de
diagnostic des questions stratégiques, les questions qui apparaissent doivent franchir deux
catégories de filtres qui s'influencent mutuellement : les filtres cognitifs des dirigeants, de
niveau individuel, et les filtres organisationnels. C'est ce que nous allons voir maintenant.
208
"…impose order on the environment" (Dutton et Jackson, 1987, p. 77).
217
plus cette tâche est difficile. C'est au cours de ce processus que certaines questions
acquièrent un statut d'"événement décisionnel" (decision event)209.
De multiples biais cognitifs210 (voir p. 129 et ss.), communs à tous les décideurs,
affectent le processus de perception, de sélection et d'interprétation des données et des
informations. L'effet des biais cognitifs va toujours dans le même sens : celui de
confirmer et de renforcer les impressions initiales des décideurs. Ce faisant, les biais
cognitifs jouent un rôle dans les choix stratégiques, en restreignant l'éventail des
alternatives stratégiques envisagées (Schwenk, 1988). Un bon exemple à cet égard est le
biais de l'illusion du contrôle. Selon Langer (1983), l'illusion du contrôle vient de ce que
les gens cherchent en permanence des moyens de contrôler les effets que leurs actions
auront sur leur environnement. En formant des hypothèses sur les effets de ces actions,
les gens "tend to seek out information that support their hypotheses while innocently
ignoring disconfirming evidence" (1983, p. 24). Il affecte en particulier les dirigeants
dont les décisions précédentes ont été couronnées de succès. Autre exemple, le biais du
souvenir, qui affecte la capacité des décideurs à tirer les leçons du passé. Comme l'a
montré Golden (1992), ils se souviennent de leurs stratégies passées comme étant plus
rationnelles et plus cohérentes avec leurs stratégies présentes qu'elles ne le sont en réalité.
Les biais peuvent interagir et se renforcer mutuellement, comme c'est le cas avec les biais
du contrôle, du souvenir, de l'excès de confiance et de l'optimisme : le biais de l'excès de
confiance, qui caractérise un individu ayant une confiance excessive dans ses propres
compétences, capacités ou connaissances" (Bessière, 2007, p. 58) et celui de l'optimisme,
qui traduit également une surestimation idéaliste concernant les événements futurs (liée à
l'environnement et non pas aux aptitudes personnelles du décideur), se conjuguent pour
former le biais de l'illusion du contrôle. D'autre part, comme le décrit la théorie de la
catégorisation développée par Rosch (1975) et ses collègues (pour de plus amples détails,
voir Dutton et Jackson, 1987, p. 77 et 78), les individus organisent le monde autour d'eux
– réduisant ainsi sa complexité – en classant les objets en catégories cognitives, qui sont
basées sur leurs perceptions de leurs caractéristiques communes et de liens de corrélation
209
Dutton et al., 1983, p. 308.
210
Rappelons qu'un biais cognitif (voir p. 120 et ss.) est "une distorsion (déviation systématique par
rapport à une norme) que subit une information en entrant dans un système cognitif ou en en sortant. Dans
le premier cas, le sujet opère une sélection des informations, dans le second, il réalise une sélection des
réponses" (Le Ny, 2002).
218
entre elles. Cette structure catégorielle de la connaissance211 entraîne trois biais cognitifs :
premièrement le souvenir d'une information consistante avec une catégorie cognitive est
généralement meilleur que le souvenir d'une information isolée; deuxièmement, la
mémoire "bouche les trous" (gap-filling) quand l'information manque, en fabricant de
l'information catégorielle; troisièmement, plus l'information disponible est ambiguë, plus
elle est déformée.
Dans le processus du SID, interprétation et recherche d'information sont
interactives (Cyert and March, 1963; Dutton et al., 1983; Mintzberg, Raisinghani and
Theoret, 1976; Quinn, 1980). La recherche de données ne précède pas automatiquement
l'évaluation ou l'interprétation, car l'interprétation suscite de nouvelles recherches
d'information. Cependant, en raison des biais cognitifs, l'importance relative qui est
attribuée aux données est influencée par l'ordre dans lequel elles se présentent aux
participants au SID : les données qui émergent au début du processus peuvent biaiser les
individus dans leur perception d'un sujet (en renforçant leurs schémas cognitifs, leurs
idées préconçues) et influencer la direction des activités de recherche par la suite (Dutton
et al., 1983; Kuvaas et Kaufmann, 2004; Lyles, 1987).
Les schèmes cognitifs du décideur212 exercent aussi une influence cruciale sur le
diagnostic stratégique. Contrairement aux biais cognitifs, ils sont particuliers à chaque
décideur, en fonction de son vécu et de son expérience personnelle (voir p. 162 et ss.). En
raison de leur influence permanente et inconsciente, un décideur aborde les questions qui
se présentent à lui d'une manière personnelle et intrinsèquement biaisée, en appliquant le
plus souvent aux nouveaux problèmes des solutions tirées de son expérience passée. "A
priori understandings" selon la formule de Dutton et al. (1983, p. 118), les schèmes
cognitifs sont, en quelque sorte, des lunettes à travers lesquelles les individus voient le
monde. Ils jouent un rôle de filtre, au niveau de la collecte et du classement des données,
en les interprétant et en posant des relations de cause à effet entre elles et/ou avec des
actions ou conséquences possibles. Par ce processus de sélection et d'interprétation des
données, dont certaines sont perçues comme importantes et d'autres comme négligeables,
les schèmes cognitifs des décideurs influencent la forme et la tendance du diagnostic
211
"…the categorical structure of knowledge" (Dutton et Jackson, 1987)
212
Le schème cognitif est un système référentiel, un "système de croyances" constitué de règles ou de
généralisations qui structure la façon dont un individu appréhende la réalité (Cossette, 2004, p. 48).
219
processus décisionnels, a montré que les managers des niveaux inférieurs étaient associés
à la recherche de solutions dans les cas de "situations opportunités" mais pas dans les cas
de "situations menaces". D'ailleurs, une situation perçue comme une opportunité suscite
une exploration plus large des options possibles (King, 1980). La labellisation des
questions stratégiques en tant qu'opportunités ou menaces influence aussi le niveau de
prise de risque, car la manière dont une situation est présentée influence les préférences
des décideurs, conformément à la prospect theory de Tversky et Kahneman (1981; voir p.
129 et ss.). Sallivan et Nonaka (1988) et Schneider et De Meyer (1991) ont montré que la
catégorisation d'une question stratégique en menace ou en opportunité est influencée par
la culture du répondant.
Le niveau de contrôle des résultats de l'action, qu'il soit individuel ou
organisationnel, est aussi apparu au fil des recherches comme un élément essentiel non
seulement de la perception du caractère stratégique d'une question (Thomas et al., 1993;
Dutton et al., 1989213) mais aussi du déclenchement de l'action stratégique (Thomas et
al., 1993; Ashmos, Duchon and McDaniel, 1998; Sharma, 2000; Chattopadhyay et al.,
2001). La perception de la contrôlabilité de l'action stratégique semble même plus
importante que les dimensions positif/négatif et gain/perte, dans la différenciation entre
opportunités et menaces (Dennison et al., 1996). Barr et Glynn (2004) ont montré que le
manque de contrôle peut être mis en liaison avec l'aversion pour l'incertitude, une des
variables de la culture nationale mise en évidence par Hofstede (1980). L'aversion pour
l'incertitude (uncertainty avoidance) serait un indicateur de l'aversion pour le manque de
contrôlabilité. Plus l'aversion pour l'incertitude est élevée, plus les individus auront
tendance à labelliser les questions stratégiques comme des menaces, ce qui expliquerait
les résultats des recherches de Sallivan et Nonaka (1988) et de Schneider et De Meyer
(1991). Anderson (1977) a montré aussi que, lorsqu'une question stratégique est identifiée
comme une opportunité, les réponses organisationnelles sont proactives et dirigées vers
l'extérieur, car les membres de l'organisation sont plus confiants dans leur capacité de
contrôle des résultats de leurs décisions et leur maîtrise de l'environnement (Dutton et al.,
1989, p. 391). Dans le cas d'une menace, la réponse est interne et réactive, sous forme
d'adaptation. Johnson et Scholes soulignent dans le même esprit l'importance de la
213
Voir page 175.
221
214
Sur l'influence du contexte dans ses dimensions externe (l'environnement) et interne (l'organisation elle-
même) sur la décision, voir page 137 et ss.
215
"Issue context acts as the arena in which individuals' cognitive maps and political interests come to life,
serving to motivate participants in different directions (Dutton et al., 1983, p. 311).
222
invent the environment to which they will respond by deciding which aspects of the
environment are important or unimportant". Le sens donné à un événement particulier
sera donc différent d'une organisation à l'autre et, dans la mesure où les actions
subséquentes découlent de la signification attribuée à un événement ou à une question, les
organisations répondront de manière différente à des événements similaires (Dutton et
Jackson, 1987; Dutton et Duncan, 1989; Meyer, 1982).
Eléments du contexte organisationnel, les schèmes organisationnels216 - stratégie,
structure, culture – jouent un rôle important d'attribution de sens au niveau du SID et, à
ce titre, les systèmes de contrôle exercent une influence décisive. Ils font partie de la
structure de l'entreprise, mais ils sont aussi une émanation de sa culture (un artefact au
sens de Schein, 2004). Les définitions des systèmes de contrôle mettent l'accent tantôt sur
leur caractère incitatif, tantôt sur leur caractère coercitif. Ainsi ils sont définis comme des
"systèmes pour influencer les efforts individuels au sein de l'entreprise" (Marginson,
2002), comme un contrôle à distance des comportements selon Burlaud et Simon (1997;
voir p. 139 et ss.), comme un contrôle des comportements des managers pour assurer leur
conformité aux stratégies organisationnelles (Alkaraan et Northcott, 2007). Une
définition plus complète est proposée par De Bodt et Bouquin, d'après laquelle "le
contrôle, c'est avant tout un ensemble de règles, formelles ou même informelles, qui
normalisent les comportements, et, au fond, moins qu'on ne le croit sans doute, une
activité d'analyse et de tri à l'aune d'un instrument de mesure. C'est un assortiment de
formalisation et d'informel, de confiance et de vérification, de choix des personnes et de
systèmes d'incitation" (De Bodt et Bouquin, 2001, p. 116). Le contrôle a des aspects
externes (les interventions effectuées par des acteurs non impliqués dans le
fonctionnement courant de l'organisation, tels les commissaires aux comptes) et internes
(les principes mis en œuvre par l'organisation elle-même). En déterminant, par exemple, à
quel niveau de l'organisation peuvent être initiés les projets d'investissement, selon
quelles catégorisations et avec quelle autonomie budgétaire, les règles de contrôle
influencent le démarrage et, par suite, le déroulement du projet d'investissement (De Bodt
et Bouquin, 2001). Les différents systèmes de gestion existant dans les entreprises font
partie des systèmes de contrôle.
216
(voir le chapitre sur la cognition organisationnelle: voir p. 161 et ss.)
223
Quelques travaux ont cherché à évaluer l'influence des procédures de contrôle sur
les décisions d'investissement et sur la formulation de la stratégie. L'enquête d'Alkaraan
et Northcott (2006), réalisée auprès de managers de grandes entreprises britanniques du
secteur secondaire dans la lignée des travaux en finance organisationnelle de Slagmulder
et al. (1995) et Van Cauwenbergh et al. (1996), a montré que l'influence des systèmes de
contrôle sur les décisions d'investissement s'exerce dans deux directions. Les procédures
de contrôle déterminent d'une part les pré-conditions selon lesquelles un projet
d'investissement sera identifié comme méritant une analyse formelle, financière. Elles
définissent d'autre part les critères d'après lesquels cette analyse sera réalisée. Les
résultats de l'enquête d'Alkaraan et Northcott (2006), montrent que les décisions
d'investissement prennent forme en fonction de critères financiers mais aussi, et avant
tout, "en fonction des objectifs de la décision, et des stratégies et procédures employées
pour guider les choix et pour harmoniser les vues des acteurs impliqués"217. Remarquons
que la recherche d'Alkaraan et Northcott s'inscrit bien dans le thème du SID, mais sans
que le lien ne soit mentionné par les chercheurs. Selon l'approche du SID, les systèmes de
contrôle (et de veille environnementale) interviennent en effet pour codifier
l'interprétation des questions stratégiques et perpétuer leur catégorisation initiale (Dutton
et Jackson, 1987). Ils influencent les perceptions des acteurs au sein de l'organisation en
rendant plus ou moins importants et visibles certains aspects de la gestion de l'entreprise.
Dans son étude de cas consacrée à Telco, entreprise britannique du secteur des
télécommunications, Marginson (2002) a cherché à évaluer l'influence des systèmes de
contrôle sur la formulation de la stratégie, en se basant sur le cadre théorique défini par
Simons (1994). D'après Simons, les systèmes de contrôle comprennent trois catégories.
La première catégorie comprend le système de croyances218 et le "système frontière"
(boundary system) qui définit "le domaine acceptable d'activité stratégique" pour les
membres de l'organisation219. La deuxième catégorie comprend les systèmes de contrôle
217
…"how investment decisions take shape depends also on the decision objectives, strategies and
procedures employed to guide choices and to harmonise different views" (Alkaraan et Northcott, 2007, p.
47).
218
Défini comme "the explicit set of organizational definitions that senior managers communicate formally
and reinforce systematically to provide basic values, purpose, and direction for the organization" (Simons,
1994, p. 34).
219
"Boundary systems … delineate the acceptable domain of strategic activity for organizational
participants" (Simons, 1994, p. 39).
224
Les dirigeants sont influencés par le contexte organisationnel mais ils l'influencent
en contrepartie par l'intermédiaire de leurs décisions sur la stratégie, les routines et
systèmes de contrôle, et par leur influence sur la culture organisationnelle. Quelques
recherches ont tenté d'évaluer l'influence respective de ces deux forces, individuelle et
organisationnelle. Selon Kuvaas et Kaufmann (2004), l'influence du contexte
organisationnel serait plus importante que celle des caractéristiques individuelles des
managers eux-mêmes220. D'après Dutton et al. (1987), l'influence des filtres individuels
sur les filtres organisationnels dans le SID est renforcée dans les trois cas suivants : a) si
l'organisation est centralisée et que les décisions sont prises par un seul dirigeant, ou un
petit nombre de dirigeants (Fredrickson, 1986; Schwenk, 1984, 1985); b) si la
catégorisation d'une question est communiquée par des individus qui bénéficient d'un
haut niveau de confiance (O'Reilly, 1983); c) s'il existe un haut degré de consensus au
sein de l'équipe dirigeante (Schwenk, 1984). Par ailleurs Dutton et al. (1983) considèrent
que les schémas cognitifs des individus et leurs intérêts politiques influencent
l'engagement et la motivation des participants au SID et leurs interprétations des données
relatives à un sujet. On a donc en permanence une influence conjointe des filtres
individuels et des filtres organisationnels sur le SID. Seul le poids respectif de ces
influences varie d'une organisation à l'autre mais aussi d'un diagnostic à l'autre. C'est
pourquoi, en fin de compte "any attempt to explain why an organization has made a
particular diagnosis or why certain diagnosis outputs exist is incomplete unless it
addresses these individual level forces in addition to issue-specific factors" (Dutton et al.,
1983, p. 320).
Comme le processus décisionnel dont il constitue la première étape221, le SID est
donc un processus dynamique, complexe, non linéaire, car marqué par des révisions
successives, et indéterminé (Dutton et al, 1983). Des acteurs variés y participent. Ils ont
220
"…individual-level characteristics seem to have little significance, once organizational and group
contexts are accounted for (Schneider & DeMeyer, 1991; Thomas et al., 1993; Thomas, Shankster et
Mathieu, 1994)" (Kuvaas et Kaufmann, p. 246).
221
Souvenons-nous que Mintzberg, Raisinghani et Theoret (1976) ont identifié 3 phases dans le processus
décisionnel: les phases d'identification, de développement et de sélection, chaque phase étant elle-même
divisée en différentes étapes (voir p. 138): la phase d'identification, qui comprend les étapes de
reconnaissance de la nécessité de décider et celle du diagnostic; la phase de développement, qui comprend
les étapes de recherche et élaborations de solutions possibles; et enfin la phase de sélection, qui comprend
les étapes de sélection, évaluation-choix et autorisation. Ces différentes phases et étapes ne sont pas reliées
linéairement de façon séquentielle mais plutôt de façon cyclique.
226
accès ou sont sensibles à des données différentes qu'ils abordent avec des schèmes
cognitifs différents, animés par des intérêts divergents. Le diagnostic émerge finalement
au terme de révisions successives de jugement qui résultent de l'apparition de nouvelles
données et de l'interaction permanente entre les différents acteurs et entre les niveaux
individuel et collectif. La fin du processus de diagnostic suppose un certain degré de
coopération et d'accord entre les participants, mais n'implique pas de consensus entre eux.
Certains désaccords peuvent subsister qui influenceront les étapes suivantes du processus
décisionnel.
2.3.4 Conclusion
222
"Knowledge of how strategic issues are diagnosed is a necessary prerequisite for understanding strategic
decision making" (Dutton et al., 1983, p. 309).
223
"… it is impossible to predict diagnosis outputs from cognitive maps or data alone: the persistent
interplay of deduction and induction indicate that both are necessary" (Dutton et al. 1983, p. 313).
228
Telle est la position défendue notamment par Charreaux (2001, pp. 22-39), qui
résume en quatre catégories les altérations apportées au modèle néo-classique de la
finance, et même au modèle de la théorie de l'agence, par la finance organisationnelle : 1)
altération de l'hypothèse de rationalité des agents économiques. 2) Altération de
l'hypothèse d'absence de conflits d'intérêts entre les parties prenantes. Dans la réalité, ces
conflits d’intérêts peuvent opposer actionnaires et créanciers, actionnaires actuels et
potentiels, actionnaires dominants et petits porteurs, actionnaires et dirigeants. Ils peuvent
opposer les dirigeants entre eux ou avec autres parties prenantes internes ou externes tels
que les salariés, clients, ou fournisseurs de l’organisation. Les conflits potentiels vont
donc bien au-delà des conflits entre mandants et agents envisagés par la théorie
économique de l’agence. 3) Altération liée à la représentation de l'environnement.
L'influence exercée par l’environnement de l’entreprise passe par la représentation (au
sens de schéma mental) que se fait le dirigeant de sa relation avec l'environnement. La
représentation cognitive, subjective, que se fait le dirigeant de l’environnement
conditionne également le processus d'investissement. 4) Altérations liées à la
représentation des actifs. Les actifs ne sont plus seulement des séries de flux monétaires
exogènes: leur nature, la survenance des flux, l'horizon deviennent dépendants des
stratégies des organisations ou de leurs dirigeants (voire d'autres acteurs), l'information
sur les flux elle-même est manipulable, construite. On retrouve bien sûr dans cette
critique de la finance organisationnelle à l'égard de la finance néo-classique la plupart des
facteurs décisionnels dans les organisations que j'ai décrits et dont j'ai tenté de souligner
les aspects les plus pertinents par rapport à mes questions de recherche. Les analyses et
les résultats des domaines de la finance organisationnelle et de la prise de décision dans
les organisations se rejoignent donc pour expliquer les constatations des chercheurs
"alternatifs" du domaine de l'énergie sur le faible pouvoir explicatif des facteurs
financiers sur les décisions d'investissement en efficacité énergétique.
La mise en évidence de la dimension cognitive et culturelle des décisions prises
dans les organisations, formule qui fait référence au processus d'interprétation des sujets
décisionnels, est une autre conclusion importante de l’analyse de la littérature. On peut
dire en fin de compte que le premier facteur décisionnel dans les organisations, ce sont
les décideurs eux-mêmes, auxquels la littérature attribue de plus en plus d'importance au
229
fil des années, bien que, paradoxalement, relativement peu de travaux aient confirmé
empiriquement les analyses théoriques à cet égard (Hambrick, 2007). Cependant leur
influence n'est pas tant dûe à leur pouvoir formel de décision, bien qu'il soit réel et joue
un rôle important, qu'à leurs filtres cognitifs et à leurs relations de pouvoir avec les autres
acteurs qui sont impliqués dans le processus décisionnel. Schémas cognitifs, stratégies
individuelles et conflits d'intérêts influencent de façon décisive le démarrage (diagnostic
des questions décisionnelles), le déroulement (par la construction des solutions et les
quasi-décisions) et l'issue formelle (décision positive ou négative – non décision) du
processus décisionnel. Mais les dirigeants eux-mêmes (et leurs schémas cognitifs) sont
contraints, encadrés et influencés par le contexte organisationnel. Celui-ci conditionne le
démarrage du processus décisionnel, par l'intermédiaire de l'importance accordée à
certains sujets dans la logique dominante de l'organisation, transcrite dans sa culture et
ses systèmes de contrôle. On ne peut donc, me semble-t-il, que souscrire à cette
affirmation de Charreaux (1997, p. 39) : "le processus d'investissement ne se résume plus
au choix du projet optimal (maximisant la richesse des actionnaires) parmi un ensemble
d'investissements dont les flux sont donnés, représentation retenue dans les exercices
destinés aux étudiants en finance. Il s'agit, dans une perspective explicative, de
comprendre comment un projet complexe, aux contours imprécis et aux retombées
incertaines, a pu émerger et être mis en œuvre en fonction des stratégies de différentes
parties prenantes aux objectifs divergents … Au modèle normatif, il faut substituer une
démarche positive prenant en compte l’émergence et le choix de l’investissement dans
une réalité organisationnelle, mais aussi environnementale, complexe".
La présente recherche propose certains outils conceptuels qui peuvent contribuer à
mener une telle démarche. En effet, au-delà d'un examen de la littérature, c'est une
exploration théorique sur la décision et sur la décision d'investissement dans les
organisations qui a été menée ici. Selon Thiétart et coll. (1999, p. 67) :
qu'une partie, celle qui lui semble être la plus pertinente compte tenu de
l'objet de sa recherche. Ainsi le chercheur va sélectionner et retenir un
certain nombre d'objets théoriques dans l'un et l'autre des champs
étudiés (ou disciplines). Ceci va délimiter le cadre conceptuel de sa
recherche. L'exploration se situe au niveau de lien nouveau opéré. Des
résultats sont attendus sur ce point, soit pour parfaire une explication
incomplète, soir pour avancer une nouvelle compréhension des choses."
L'exploration théorique menée ici a consisté à faire un lien entre les concepts des
domaines théoriques du "strategy process", dédié à l'étude de la décision stratégique, et
du "strategy content", dédié à l'analyse et à la formulation de stratégies. Cette exploration
débouche sur une définition plus complète du concept de décision stratégique, qui
s’enrichit de deux dimensions : d'une part part, le caractère plus ou moins stratégique de
ces décisions, en opposition à la dichotomie "stratégique/non stratégique" qu’on trouve
presque toujours dans la littérature ; d'autre part le contenu de la décision stratégique, qui
doit être analysé en termes de sa contribution à l’avantage concurrentiel de l’entreprise.
Cette exploration théorique débouche aussi sur la proposition d’une définition
élargie du concept d’avantage concurrentiel, qui passe de deux dimensions (valeur et
coûts) à trois dimensions (valeur, coûts et risques).
Ces définitions élargies des concepts de décision stratégique et d’avantage
concurrentiel permettent de construire l’instrument de mesure de la dimension stratégique
de l’investissement, qui sera décrit dans le chapitre "Méthodologie".
Plus généralement, l’exploration théorique qui a été menée ici conduit à
rapprocher et à lier les domaines de la finance et de la stratégie d’entreprise, en
approfondissant l’analyse de la dimension stratégique de la décision d’investir et de son
influence sur le processus décisionnel.
Ce voyage dans la prise de décision dans les entreprises nous a finalement
emmenés bien loin du modèle de la rationalité économique, et de ses trois dimensions
constitutives – finaliste, utilitariste et instrumentale – que j'ai décrites au début de cette
deuxième partie (voir p. 115 et ss.). La décision dans les entreprises est rarement finaliste
car, le plus souvent, le but ne précède pas la décision : il est construit au fur et à mesure
231
224
"An interpretive view of meaning and action predominates attempts to link individual cognitions to
organizational actions" (Dutton et Jackson, 1983, p. 76).
232
Contexte externe
Facteurs environnementaux
Contexte interne
Facteurs organisationnels
Processus d’investissement
Build up Evaluation Mise en
Initial idea Diagnosis
solutions & Choix œuvre
Caractéristiques de l’investissement
Caract. analytiques, contenu, nature stratégique
Acteurs
Facteurs individuels
225
Cette synthèse reprend très brièvement les déterminants de la décision dans les organisations, tels qu'ils
ont été identifiés au moyen de l'examen de la littérature et de l'exploration théorique qui ont été faits dans la
deuxième partie de la thèse. Les références les plus importantes sont rappelées. Pour les autres références il
est recommandé de se référer aux chapitres correspondants.
233
226
"Organizations will invent the environment to which they will respond by deciding which aspects of the
environment are important or unimportant" (Lyles, 1987, p. 266).
234
227
Comme je l'ai discuté dans le chapitre "Décision stratégique et stratégie" (voir p. 184 et ss.), les
chercheurs en "strategy content" s'intéressent peu au contenu des décisions stratégiques, en donnent des
définitions assez imprécises, et ne s'intéressent pas à la distinction entre questions stratégiques et non
stratégiques, les chercheurs en "strategy process" définissent dans l'ensemble une décision stratégique
comme une décision importante pour l'organisation.
236
228
"Système référentiel, "système de croyances" constitué de règles ou de généralisations qui structure la
façon dont un individu appréhende la réalité (Cossette, 2004, p. 48). Voir le chapitre consacré à la
cognition individuelle p. 153 et ss.
229
Voir p. 109 et ss. et p. 188.
230
Voir le chapitre sur la cognition organisationnelle: voir p. 161 et ss.
237
231
Un investissement non stratégique doit s'entendre, comme je l'ai proposé dans le chapitre "Décision
stratégique et stratégie" (voir p. 184 et ss.) comme un investissement qui ne contribue pas à créer ou
renforcer l'avantage concurrentiel de l'entreprise, défini comme le rapport entre la valeur que l'entreprise
développe pour sa clientèle et les coûts qu'elle supporte et les risques qu'elle affronte pour créer cette
valeur, dans l'exercice de son métier.
238
232
1) pourquoi existe-t-il dans de nombreuses entreprises un potentiel rentable d'économies d'énergie ? 2)
pourquoi les entreprises ont-elles des comportements différents en matière de décisions d’investissement en
efficacité énergétique, et plus généralement, en matière de gestion de l’énergie?
239
233
Rappelons que les filtres individuels qui biaisent le processus de perception, de sélection et
d'interprétation des données et des informations, de façon permanente et inconsciente, sont de deux ordres:
d'une part, de nombreux biais cognitifs, communs à tous les décideurs, dont l'action s'exerce toujours dans
le même sens, celui de confirmer et de renforcer les impressions initiales; d'autre part, les schèmes
cognitifs, particuliers à chaque décideur en fonction de son vécu et de son expérience personnelle (voir p.
153 et ss.), qui sont en quelque sorte des lunettes à travers lesquelles il voit le monde. En guidant leurs
perceptions et leur interprétation des prédispositions stratégiques, de la position concurrentielle et des
capacités internes de leur organisation, ou de toute autre question qui se présente à eux, en admettant
certains éléments d'information dans le processus de formulation de la stratégie et en en excluant d'autres,
les filtres cognitifs individuels des décideurs exercent une influence évidente sur le diagnostic et, par suite,
sur les orientations stratégiques (Porac et Thomas, 2002). Car "how they interpret it determines the way in
which they will respond to it" (Schwenk, 1989, p. 183). Mais la compréhension que chaque participant
développe de la question examinée est aussi contrainte par le contexte organisationnel, qui influence la
façon dont les dirigeants interprètent leur environnement en filtrant l'information et en créant des incitations
à l'interpréter d'une certaine façon.
240
stratégique ou non stratégique par des organisations opérant dans le même secteur
d'activité et présentant des caractéristiques similaires.
Cependant, la culture ne peut être observée directement. Car, explorer la culture
c’est comme explorer l’océan (Schneider et Barsoux, 2003, p. 18) : ce qu’on observe en
surface - artefacts, rituels et comportements - ce ne sont que des indices de ce qui se
cache dans les profondeurs. La culture doit être déchiffrée, d’abord dans une recherche
des valeurs et croyances qui expliquent les comportements observés, et ensuite, au plus
profond, dans une recherche des convictions tenues pour acquises, qui ne peuvent qu’être
inferrées et interprétées234 (voir p. 170 et ss.).
L’influence de la culture s’exerce sur, et à travers, la structure, la stratégie et les
routines de l’organisation. Eléments de la structure, les systèmes de gestion235 jouent un
rôle important : ils influencent les perceptions des acteurs au sein de l'organisation en
rendant plus ou moins importants et visibles certains sujets, ils codifient le classement et
l'interprétation des événements et des informations qui se présentent, et perpétuent leur
catégorisation. Si nous ne pouvons observer directement la culture, nous pouvons par
contre examiner comment les systèmes de gestion jouent un rôle dans l’interprétation des
questions décisionnelles. Basée sur ces considérations, et en lien avec la deuxième
question de recherche, la deuxième hypothèse postule que :
Mais la culture de l'entreprise, dans le domaine de l'énergie comme dans les autres
domaines, n'est pas la seule culture qui influence les valeurs, croyances et comportements
des acteurs (individus et groupes). Car elle interfère avec d'autres sphères de culture qui
influencent les interprétations et le comportement des individus et des organisations
234
“Exploring culture can b e compared to exploring the ocean. On the surface, riding the waves, we can
observe artifacts, rituals, and behavior. These provide clues as to what lies underneath. But to verify this,
one has to look below. That means asking questions to discover the reasons the values and beliefs which
are given to explain that behavior. But futher down rest the underlying assumptions which are difficult to
access and need to be inferred, through interpretations” (Schneider et Barsoux, 2003, p. 18).
235
Les systèmes de gestion font partie des systèmes de contrôle. Voir (p. 213 et ss.) la définition de De
Bodt et Bouquin (2001, p. 116).
241
(Schneider & Barsoux, 2003). La culture d’entreprise renvoie aux valeurs principales,
c'est-à-dire celles qui sont considérées comme prioritaires par les membres de
l’organisation, elle intègre les convictions tenues pour acquises et les croyances
fondamentales communes, qui composent le "paradigme" (Johnson, 1992), la "logique
dominante" (Bettis et Prahalad, 1986). La culture d’entreprise fédère plus ou moins (selon
sa force) les sous-cultures présentes dans l'organisation, mais elle ne les efface pas. Les
autres cultures - ou sous-cultures – restent présentes. Il s'agit des cultures nationale,
régionale, professionnelle, fonctionnelle, et enfin de la culture du secteur d’activité. Plus
le contenu de ces "sphères culturelles" (Schneider et Barsoux, 2003) des membres de
l'organisation est similaire et plus ils ont en commun de sphères culturelles, plus leurs
schèmes cognitifs seront similaires. Inversement, les particularités des individus, créent
des frontières informelles dans l’organisation entre groupes de culture différente, ayant
des schèmes cognitifs différents et donc une façon différente de percevoir leur
environnement et d'y réagir.
Un objectif secondaire de la recherche empirique est d'évaluer l'influence de
certaines sous-cultures, en particulier les cultures fonctionnelle et professionnelle, sur la
perception du caractère stratégique de l'investissement236. On peut supposer à cet égard
que les responsables de l'énergie dans l'entreprise évalueront le caractère stratégique des
investissements en efficacité énergétique à un niveau plus élevé que les responsables
financiers. Ceci s'expliquerait par le fait que les responsables de l'énergie sont
généralement de formation technique, ce qui pourrait les inciter à être plus attentifs aux
investissements en efficacité énergétique qui concernent des équipements techniques
(dont ils ont par ailleurs la responsabilité), contrairement aux responsables financiers.
La recherche, au plan théorique comme au plan empirique, concentre donc son
analyse sur le niveau collectif : celui de l’organisation elle-même et de certains groupes
d’acteurs en son sein (managers en charge de l’énergie d’une part, managers finance
d’autre part).
Si les hypothèses énoncées sont validées, alors la thèse énoncée ci-dessus
constituera une explication, alternative à celle du mainstream des économistes de
236
En posant les mêmes questions à des acteurs différents. Voir à ce sujet la partie "Méthodologie", p. 244
et ss.
242
l'énergie, de l'existence d'un potentiel rentable d'économies d'énergie dans les entreprises.
Cette situation dans laquelle des entreprises, à but lucratif, négligent des sources
d'accroissement de leur profit est contraire à la théorie économique et, c'est pourquoi, elle
a suscité une littérature importante autour des notions de "energy efficiency gap" ou
"energy efficiency paradox". Le courant dominant des économistes de l'énergie soutient
que ces investissements ne sont pas décidés parce que leur rentabilité n'est qu'apparente
et/ou parce qu'un certain nombre de défauts, dans les marchés de l'énergie ou dans les
organisations (market ou organisational failures) empêchent les marchés de l'énergie de
fonctionner correctement237. Cependant, comme nous l'avons vu (p. 55 et ss.), cette
argumentation n'est pas satisfaisante. L'argumentation défendue ici, basée une approche
très différente, est que le potentiel rentable d'économies d'énergie constaté dans de
nombreuses entreprises provient du faible caractère stratégique des investissements qui
permettraient "d'activer" ce potentiel. Cette thèse permet d'intégrer les constatations faites
par les chercheurs "alternatifs" du domaine de l'énergie sur l'importance des dimensions
stratégique et culturelle des investissements en efficacité énergétique. En effet, comme
nous l'avons vu, la littérature alternative sur les investissements en efficacité énergétique
a constaté le rôle joué par ces dimensions, mais elle ne l'a pas expliqué, faute de disposer
du cadre théorique nécessaire.
Comme nous l'avons vu, l'influence de la dimension stratégique sur les choix
d'investissement a fait l'objet de plusieurs travaux de recherche. Cependant, dans ce
domaine, des compléments de recherche sur le sujet sont nécessaires à différents titres.
Premièrement pour analyser de façon plus détaillée l'influence respective des dimensions
financière et stratégique sur la décision d'investir. Deuxièmement, pour étudier les
interactions éventuelles entre ces dimensions, en particulier l'influence du niveau de
stratégicité sur l'exigence de rentabilité financière (plus stratégique l'investissement, plus
basse l'exigence de rentabilité?). Troisièmement, pour mieux comprendre les modalités
de l'influence de la stratégicité du projet d'investissement sur le processus décisionnel. En
effet, selon la définition que j'ai proposée de la décision stratégique238, la question n'est
237
Voir à ce sujet la section sur les barrières à l'efficacité énergétique p. 60 et ss.
238
"Une décision est stratégique si elle contribue à créer, maintenir ou développer un avantage
concurrentiel durable. Cette définition implique qu'une décision n'est pas simplement stratégique ou non
stratégique, … Une décision est plus ou moins stratégique - ou non stratégique. Elle s'inscrit dans un
243
continuum. Elle peut être non stratégique, faiblement stratégique, fortement stratégique ou totalement
stratégique. Plus une décision est stratégique, plus elle contribue à l'avantage concurrentiel, plus elle est
importante pour la performance, voire pour la survie de l'entreprise (voir p. 191, dans le chapitre "Décision
stratégique et stratégie").
244
décisions de/sur l’énergie sont fonction du secteur d'activités et non pas de l'entreprise.
En contradiction avec cette perspective dominante, une mise en évidence de l'influence
de la culture de l'organisation sur la perception du caractère stratégique de
l'investissement en efficacité énergétique, permettrait d'expliquer les différences de
comportement ayant été observées entre entreprises appartenant au même secteur
d'activité et présentant les mêmes caractéristiques (Tunnessen, 2004).
Si mes hypothèses sont validées, alors la thèse énoncée ci-dessus constituera une
explication, alternative à celle du mainstream des économistes de l'énergie et présentant
un plus grand pouvoir explicatif, de l'existence d'un potentiel rentable d'économies
d'énergie dans les entreprises. Cette explication permettrait de mieux comprendre les
raisons de l'existence d'un "energy efficiency gap" - mais aussi d'intervenir en amont du
phénomène en formulant des politiques publiques différentes de celles ayant été utilisées
jusqu'ici. Le but de ces nouvelles politiques serait de mettre en évidence la contribution
des investissements en efficacité énergétique à l'avantage concurrentiel des entreprises et
d'intervenir sur la culture de l'entreprise en matière d'énergie (dans le but d'augmenter la
stratégicité perçue de ces investissements), au lieu d'être axées sur la rentabilité des
investissements (en fournissant information et/ou subventions) comme c'est presque
toujours le cas à l'heure actuelle.
En mettant en évidence l'influence des dimensions stratégique et culturelle des
investissements en efficacité énergétique, cette explication conduit donc à basculer d'une
perspective principalement financière sur une perspective stratégique interprétative pour
comprendre, partiellement prévoir et, in fine, influencer la décision d'investissement en
efficacité énergétique. Cette approche est illustrée par le schéma de la page suivante :
245
Le chapitre suivant sera consacré à décrire la recherche empirique menée, d’une part,
pour tenter de corroborer les deux hypothèses formulées et, d’autre part, pour approfondir
les connaissances 1) dans le domaine général de la décision d'investissement - en
particulier sur la question de l’influence respective des dimensions financière et
stratégique sur la décision d'investir – et 2) dans le domaine particulier de la décision
d’investissement en efficacité énergétique.
246
La troisième partie décrit la recherche empirique ayant été menée pour tester les
hypothèses formulées au terme de la deuxième partie ainsi que pour approfondir les
connaissances dans le domaine général de la décision d’investir. Cette troisième partie est
composée de deux volets : présentation de la méthodologie, d’une part, présentation des
résultats d’autre part.
En liaison avec le cadre théorique présenté dans le chapitre précédent, l'objectif de
la recherche empirique est triple : 1) approfondir les connaissances sur la décision
d'investissement, et en particulier sur l’influence respective des dimensions financière et
stratégique sur ce type de décision ; 2) évaluer le caractère stratégique des
investissements en efficacité énergétique ; 3) évaluer l'influence du système de gestion de
l’énergie de l'organisation, lié à la culture de l’efficacité énergétique de celle-ci, sur la
perception de ce caractère stratégique.
Il s'agit d'une recherche sur le contenu dont l'objectif est de mieux comprendre,
décrire et expliquer le phénomène étudié : les décisions d'investissements en efficacité
énergétique prises par les entreprises. L'unité d'analyse de la recherche empirique est
l'investissement en efficacité énergétique et les niveaux d'analyse sont l'organisation
(macro level), plus exactement un type particulier d'organisation, celui des entreprises à
but lucratif, et certains groupes en son sein (meso level, ici managers en charge de
l’énergie et les managers finance). La recherche empirique présentée ici suit une logique
déductive puisqu'elle a pour but de valider des hypothèses ayant été élaborées sur la base
d'un cadre théorique prédéfini. La validation des hypothèses est effectuée, dans une
approche quantitative, au moyen de données primaires collectées d'une part dans des
entretiens semi-directifs auprès des personnes en charge de l'énergie et, d'autre part, dans
des questionnaires soumis aux responsables financiers des entreprises de l'échantillon.
Dans un deuxième temps, l’analyse et la discussion des résultats conduisent à générer de
nouvelles hypothèses qui peuvent faire l’objet de recherches ultérieures.
247
3.1 METHODOLOGIE
Deux hypothèses, basées sur le cadre théorique décrit dans le chapitre précédent,
ont été formulées, pour permettre d'évaluer la pertinence de la thèse énoncée en réponse
(provisoire) aux questions de recherche. La première hypothèse postule que les
investissements en efficacité énergétique présentent un faible caractère stratégique pour
de nombreuses entreprises. La deuxième hypothèse postule que le niveau de gestion de
l’énergie, lié à la culture de l’efficacité énergétique de l'entreprise, exerce une influence
sur la perception par les entreprises, et par les décideurs en leur sein, du caractère
stratégique de l'investissement.
Comme le rappelle Thiétart et coll. (1999), passer du monde théorique au monde
empirique implique pour le chercheur d'opérer une traduction des définitions
conceptuelles adoptées de façon à identifier les éléments du monde empirique qui
illustrent le plus finement possible cette définition car "il n'existe pas de données
empiriques correspondant exclusivement à un concept" (Thiétart et coll., 1999, p. 171).
Le passage du monde théorique au monde empirique est la mesure. La mesure d'un
concept implique d'abord de découvrir les composantes ou dimensions de ce concept, et
ensuite de définir le type de données à recueillir pour chacune des dimensions identifiées
(idem, p. 173). Les deux prochaines sections seront donc consacrées respectivement à
définir les dimensions du concept "caractère stratégique de la décision d'investissement"
et celles du concept "gestion de l’énergie de l'entreprise", de façon à pouvoir les mesurer,
et à définir les données à recueillir pour chacune de ces dimensions. Dès lors qu'on peut
mesurer ces deux concepts, on peut étudier la relation entre eux, c'est-à-dire ici la relation
entre le niveau de gestion de l’énergie de l'organisation et la perception du caractère
stratégique de la décision d'investissement en efficacité énergétique.
Pour tester la première hypothèse, il faut mesurer le caractère stratégique des
investissements en efficacité énergétique et définir ce qu'on entend par "faible caractère
stratégique". Pour tester la deuxième hypothèse, il faut d'abord mesurer le niveau de
248
Le chapitre consacré aux décisions stratégiques (voir p. 185 et ss.) a montré que la
composante principale du concept "caractère stratégique de la décision d'investissement"
est l’impact sur la compétitivité de l’entreprise. La section suivante est consacrée à
identifier les indicateurs permettant de mesurer cet impact.
Selon la définition que j'ai proposée dans le chapitre consacré aux décisions
stratégiques, une décision est stratégique si elle contribue à créer, maintenir ou
développer un avantage concurrentiel durable. Cette définition implique d'une part qu'une
décision n'est pas simplement stratégique ou non stratégique, mais plus ou moins
stratégique – ou non stratégique. Cette définition implique d'autre part que la contribution
à l'avantage concurrentiel est la composante principale du caractère stratégique de la
décision d'investissement. Quels sont les indicateurs qui permettent de mesurer l'avantage
concurrentiel généré par une décision stratégique? Une difficulté réside dans le fait
d'identifier des indicateurs pertinents, qui correspondent aux pratiques des décideurs dans
les entreprises. A cet égard, rappelons la recherche de Dutton et al. (1989, voir p. 192 et
ss.) qui a mis en évidence le décalage entre les analyses théoriques de la littérature et les
pratiques des décideurs. Quant à moi, je n'ai pas la possibilité de déduire les indicateurs
de l'avantage concurrentiel des pratiques des décideurs car une telle recherche dépasserait
le cadre et les moyens du présent travail. Je les déduirai donc de la littérature théorique.
Dans le chapitre "Stratégie et décision stratégique" (p. 192 et ss.), une section est
consacrée à l'analyse de l'avantage concurrentiel. Comme nous l'avons vu, deux grands
courants de la littérature en management stratégique ont prôné les moyens permettant de
construire ou de développer l'avantage concurrentiel : l'approche par les activités et
l'approche par les ressources. Ces deux courants s'accordent sur le concept d'un avantage
249
239
Voir p. 181 et ss.
240
Selon la définition donnée p. 110.
241
Cependant, je n'ai pas fait une analyse exhaustive de la question.
250
• Nouveaux fournisseurs
Risques techniques • Innovation technique
• "Criticité" de la faisabilité technique
• Nouveaux procédés industriels, tec.
• Manque de compétences
• Destruction de moyens
Risques liés aux • Manque de potentiel humain
ressources • Dysfonctionnement des principaux processus
(système d'information, production, service
après-vente…), etc.
• Retards internes
Risques liés au • Retard ou défaillance de fournisseurs
développement • Faillite de sous-traitant
• Aléas, etc.
242
Rappelons que leur recherche a été menée, à la fin des années 90, en Grande-Bretagne, en Irlande et en
Allemagne, au moyen d'interviews et de questionnaires, auprès de 47 organisations relevant de trois
secteurs non intensifs en énergie: ingénierie mécanique, production de bière et universités.
251
techniques liés à la fiabilité des technologies envisagées, risques liés aux ressources et au
développement (changement de fournisseurs ou de systèmes d'information), risques liés
aux erreurs humaines (manque de compétences du personnel dans l'utilisation ou la
maintenance des équipements), dysfonctionnement des processus de production ou
d'information en cas de remplacement d'équipements existants par des équipements plus
performants énergétiquement. Cependant ces investissements peuvent aussi entraîner une
réduction de certains risques (ou, tout au moins, une réduction de l'exposition à ces
risques) : risques de prix de l'énergie, risque légaux, et risques de rupture de
l'approvisionnement énergétique. Dans le domaine de l'énergie, le risque de rupture des
approvisionnements est réel pour de multiples raisons : tensions géopolitiques (illustrées
par le "choc pétrolier" de 1973 mais aussi par les conflits actuels entre la Russie et
l'Ukraine, ou entre la Russie et la Géorgie), événements climatiques et fragilités
intrinsèques des réseaux et de leurs interconnections.
La prise en compte de l'éventualité de ruptures de l'approvisionnement
énergétique conduit à un constat : la ressource énergétique alimente toute la chaîne de
valeur de l’entreprise, dont la totalité des activités est interrompue en cas de rupture. Les
autres ressources dépendent donc intégralement de la disponibilité de la ressource
énergétique243. Dans leur théorie de la dépendance des ressources244, Pfeffer et Salancik
définissent la dépendance d'une organisation A à l'égard d'une ressource, ou à l'égard
d'une autre organisation B lui fournissant cette ressource, comme reposant sur deux
dimensions : premièrement l'importance de la ressource, ou plus précisément, son
caractère critique, défini comme la capacité d'une organisation à continuer à fonctionner
en l'absence de cette ressource; deuxièmement la concentration du contrôle de la
ressource. Cette deuxième dimension comprend deux aspects liés : d'une part le degré
auquel l'organisation B contrôle l'usage et la distribution de la ressource et, d'autre part,
l'existence – et l'accessibilité – de sources alternatives pour obtenir cette ressource. Ces
deux dimensions se résument en fin de compte en un concept, celui de la non-
243
Et aussi de sa qualité, dans le domaine de l'électricité, qui a pris une importance croissante avec le
développement des technologies de l'information et de la communication.
244
Comme le rappelle Dubost (2002) dans son étude de l'historique du concept, Pfeffer et Salancik
présentent cette théorie en 1978 en s'appuyant sur les recherches antérieures d'Emerson (1962), Blau
(1964), Thompson (1967) et Jakobs (1974), en s'inscrivant dans le cadre général de la théorie des
organisations, et en s'inspirant de travaux rattachés à la sociologie et à la science politique.
252
Valeur
Coûts Risque
Selon la définition que j’ai proposée de la décision stratégique, plus une décision
entraîne la constitution ou le développement d'un avantage concurrentiel, plus cette
décision est stratégique. Pour mesurer la stratégicité d'une décision d'investissement, il
faut donc mesurer sa contribution à l'avantage concurrentiel, pour chacune des trois
composantes indiquées ci-dessus. Pour évaluer le caractère stratégique de la décision
245
Les autres composants de la ressource stratégique étant décrits par les adjectifs "Valuable, Rare,
Inimitable" qui, avec Non-Substitutable composent l'acronyme VRIN, qui qualifie la ressource stratégique
pour la RBV (voir plus haut dans cette même section).
253
Les répondants étaient priés de donner une valeur de 1 à 5246 à chacune des
composantes "risques", "coûts", "valeur". En agrégeant les réponses aux trois
composantes, une échelle d’intervalle est construite, qui permet de mesurer la dimension
stratégique de l'investissement en efficacité énergétique, qui s’échelonne donc d'un
minimum de 0 à un maximum de 15.
“Although nearly every business, institution, and organization in the United States uses energy, a large
knowledge gap exists between those organizations that effectively manage energy use and those that
simply use energy."
246
Correspondant à : 1. totalement pas important 2. pas important 3. modérément important 4. important et
5. très important.
254
247
Voir p. 161 et ss.
248
Définition déjà citée p. 175.
255
249
"Organizational culture… refers to environmental values embedded within an organisation’s customs
and routines" (Sorrel et al., 2000, p. 13).
250
"…a corporate culture that values innovation, "technology" in general, and has consistently supported
improvements to the working environment" (Kulakowski, 1999, p. 11).
251
“ For 15 years we have an ecological company philosophy” (Hennicke et al., 1998, p. 44)
256
déchets252. (Sorrel et al., 2000, p. 177). Comme le résument Sorrel et al. (2000, p. 178) :
“Generally, environmental commitments do not seem to be a significant variable in
explaining the energy efficiency performance of organisations and promotion of
environmental management systems does not seem a priority measure for improving
energy efficiency”.
Le concept de "culture de l’efficacité énergétique" est peu usité. On en trouve
mention chez le producteur d'électricité canadien Hydro Québec, qui en donne la
définition suivante : "une culture de l’efficacité énergétique touche tous les aspects de la
vie organisationnelle. Portée par une vision globale, elle va au-delà d’une meilleure
performance énergétique des équipements ou des processus. Elle comporte une kyrielle
d’actions qui, encouragées auprès de tous les membres d’une entreprise, deviennent
rapidement des habitudes de travail."253. Cette définition met l’accent sur la dimension
humaine de l’usage de l’énergie par opposition à la dimension technique et sur le fait que
la culture de l’efficacité énergétique touche l’organisation dans tous ses aspects de
fonctionnement. Cependant elle ne donne pas d’indications sur les valeurs qui pourraient
être liées à une culture organisationnelle de l’efficacité énergétique. Une autre mention
de culture de l’efficacité énergétique est faite par Hennicke et al. (1998, p.118) qui ne
définissent pas le concept mais indiquent, assez laconiquement, qu’une "culture de
l’efficacité énergétique dans les PME commence avec des mesures simples et continue
avec des activités assez complexes telles que l’eco-management"254. Cette description
met l’accent sur le fait qu’une culture de l’efficacité énergétique peut-être plus ou moins
forte.
Ces exemples, qui illustrent les lacunes de la littérature de l’efficacité énergétique
en matière de définition du concept de culture, confirment le besoin de conceptualisation
252
”…in the majority of cases energy efficiency was seen as very much a secondary environmental issue.
Attention was instead focused on more visible aspects such as waste… at present, environmental awareness
appears to have a marginal impact on energy behaviour and does not provide an obvious focus for policy
intervention.” (Sorrel et al., 2000, p. 177).
253
Hydro Québec, Mieux consommer pour mieux performer, Sept. 2008,
http://www.hydroquebec.com/grandesentreprises/ee/initiatives_batiments/pdf/programme_complet.pdf
254
"…energy efficiency culture" in SME… starts with simple measures and continues with rather complex
activities such as eco-management" (Hennicke et al., 1998, p. 118).
257
255
“…organizations that effectively manage energy use and those that simply use energy." (Tunnessen,
2004, p. 49.)
256
Une expression souvent utilisée dans la littérature alternative sur les investissements en efficacité
énergétique.
257
Voir p. 213 et ss.
258
que selon Johnson (1989), les systèmes de contrôle de l'organisation, dont font partie les
systèmes de gestion, peuvent être considérés comme des artefacts, des reflets de sa
culture.
En suivant cette logique, on peut considérer que le système de gestion de l’énergie
dans l’entreprise est un indicateur de l’importance de l’énergie dans la culture
organisationnelle, et même que le système de gestion de l'énergie est un reflet, un
artefact, de la culture de l'efficacité énergétique de l'entreprise. Si le niveau de gestion de
l’énergie est un reflet de la culture de l’efficacité énergétique, alors on peut émettre,
comme je l’ai fait, l’hypothèse que le niveau de gestion de l’énergie dans l’entreprise
influence la perception du caractère stratégique des investissements (hypothèse 2). Cette
hypothèse se justifie aussi par le fait que plusieurs travaux ou programmes publics ont
mis en évidence l’influence positive de la gestion de l’énergie sur le niveau de
consommation énergétique des entreprises (Beard, 2009 ; Seo, 2009 ; McKane et al.,
2007 ; Tunnessen, 2004). Cependant, est-ce que la réduction de la consommation des
entreprises ayant un bon niveau de gestion de l’énergie est liée uniquement à une
optimisation – un usage correct – des équipements existants, ou est-ce que la gestion de
l’énergie exerce aussi une influence positive sur les décisions d’investissement en
efficacité énergétique. Ce point n’est pas discuté dans la littérature.
Comment mesurer le niveau de gestion de l’énergie ? Il n’existe pas de standard
de la gestion de l’énergie qui soit reconnu au niveau international258. Des standards
nationaux existent seulement dans quelques Etats (Danemark, Irlande, Pays-Bas, Suède,
Etats-Unis). Ces standards ont en commun une démarche en cinq grandes étapes :
définition d’une politique de l’énergie ; planification ; mise en œuvre ; analyse des
résultats ; correction. Ils partagent aussi certaines caractéristiques de base, analysées et
décrites comme suit par McKane et al. (2007, p. 4) :
258
Des travaux de normalisation sont en cours à cet égard, tant à la Commission européenne qu’au sein de
l’organisation internationale de normalisation ISO, qui a créé en mars 2007 un comité de projet pour
élaborer une norme internationale sur le management de l'énergie :
http://www.iso.org/iso/fr/pressrelease.htm?refid=Ref1122
259
259
http://www.senternovem.nl/english/
260
http://www.senternovem.nl/mmfiles/3MJAF04.15%20-%20Energy%20Management%20Checklist%20-
%20June%202004_tcm24-122945.pdf
260
3.2 Intensité énergétique : quel pourcentage les coûts totaux de votre consommation
énergétique (combustibles fossiles et électricité) représentent-ils ? 2 points (si au
moins 1 réponse)
- Quel pourcentage de vos frais généraux ? __________ % O Non calculé
- Quel pourcentage de votre chiffre d’affaire __________ % O Non calculé
- Quel pourcentage de votre bénéfice ? __________ % O Non calculé
3.7 Le cas échéant, quelles ressources ont-elles été allouées à la mise en œuvre ?
(Cocher les cases adéquates) 3 points
O Ressources humaines (ex. équipe-projet)
O Ressources techniques (ex. compteurs)
O Ressources informatiques (ex. logiciel de gestion)
3.10 L'entreprise a-t-elle mis en place une communication interne relative à l'énergie
(rapport) ? O oui O non
1 point
3.11 Le cas échéant, l'entreprise a-t-elle mis en place, en liaison avec la politique
énergétique : (Cocher les cases adéquates) 4 points
O un système de formation du personnel
O un système de gratifications en cas d'atteinte des objectifs fixés
O un système d'évaluation des résultats
O une procédure de révision des objectifs ?
1 point par réponse positive, 2 points en cas de réponse positive aux questions 3.2, 3.5,
3.6.3 et 3.8 (mais un point est retiré en cas de réponse positive à la question 3.9).
Le score maximum qu'une entreprise peut obtenir est de 22 points (14 questions
valent 1 point, 4 questions valent 2 points). Pour la classification des réponses, j’ai repris
les catégories définies par Senter Novem261 :
261
Senter Novem a défini quatre catégories d'entreprises en fonction des scores obtenus: 1) 0-50 points: pas
de gestion systématique de l'énergie mise en place, ou bien le système existant présente de sérieux défauts;
2) 51-101 points: le système de gestion de l'énergie ne répond pas encore aux spécifications définies par
SenterNovem en matière de collecte d'information et de mise en œuvre; 3) 102-180 points: niveau de
gestion de l'énergie acceptable avec des possibilités d'amélioration; 4) 181-200 points: haut niveau de
gestion de l'énergie.
263
d'autre part, à un responsable financier (pour les détails des questions et réponses, se
référer au chapitre "Résultats", p. 271 et ss.). L'originalité de cette démarche doit être
mentionnée : en effet cette recherche est la première à tenter de mettre en évidence
d'éventuelles différences dans les perceptions de managers de fontions différentes au sein
des entreprises. Le plus souvent les recherches ne mentionnent même pas la fonction des
répondants au sein des entreprises.
3.1.2 Echantillon
• Taille. Les tailles sont très différentes : l'entreprise la plus petite emploie
25 personnes pour une activité exclusivement locale; l'entreprise la plus
grande emploie 108.000 personnes, dont 270 à Genève. En règle générale,
les sites genevois des entreprises interrogées occupent quelques centaines
de personnes.
Selon la classification de la Commission européenne262 la répartition des
entreprises par taille263 est la suivante :
262
http://europa.eu/legislation_summaries/enterprise/business_environment/n26026_fr.htm
Selon l'article 2 de l'annexe à la recommandation 2003/361/CE, "les micro, petites ou moyennes entreprises
(PME) sont définies en fonction de leur effectif et de leur chiffre d'affaires ou de leur bilan total annuel.
Une moyenne entreprise est définie comme une entreprise dont l'effectif est inférieur à 250 personnes et
266
Biais de sélection. La petite taille de l'échantillon et les biais qui peuvent résulter
de la méthode de sélection du choix raisonné sont partiellement compensés par les
éléments suivants : 1) les 35 entreprises qui composent l’échantillon participent toutes au
même programme NOE ; 2) ces 35 entreprises représentent environ 60% des effectifs et
dont le chiffre d'affaires n'excède pas 50 millions d'euros ou dont le total du bilan annuel n'excède pas 43
millions d'euros. Une petite entreprise est définie comme une entreprise dont l'effectif est inférieur à 50
personnes et dont le chiffre d'affaires ou le total du bilan annuel n'excède pas 10 millions d'euros. Une
microentreprise est définie comme une entreprise dont l'effectif est inférieur à 10 personnes et dont le
chiffre d'affaires ou le total du bilan annuel n'excède pas 2 millions d'euros."
263
Comme il n'était pas possible d'obtenir de toutes les entreprises des informations sur leur chiffre
d'affaires, la classification faite ici est basée uniquement sur le critère de nombre de personnes employées.
267
264
Le segment « grands consommateurs de SIG comprend les entreprises et collectivités publiques qui
consomment plus de 1 GWh par an. Remarquons cependant que les chiffres annuels de consommation sont
très différents d'une entreprise à l'autre, puisqu'ils s'échelonnent, pour les réquérants NOE, de 1 GWh/an à
40 GWh/an).
268
265
L’engagement de confidentialité ne permet pas de donner les noms des entreprises.
266
de Groot, H., Verhoef, E., Nijkamp, P. (2001). "Energy Savings by Firms: Decision-Making, Barriers
AND Policies", Energy Economics, Volume 23, Issue 6, pp. 717-740.
267
Pour ces entreprises, les coûts de l’énergie correspondent environ à 10% du chiffre d’affaires, selon
indications de Groot et al. (2001, p. 721).
269
Au terme de leur entretien avec moi, les responsables du dossier NOE étaient
priés de transmettre au responsable financier de l'entreprise un troisième questionnaire, le
questionnaire "Finance". Ce questionnaire comportait trois types de questions : 1) des
questions identitiques à celles du questionnaire "Energie" ; 2) des questions sur les
procédures générales d’investissement ; 3) des questions sur les procédures relatives aux
investissements en efficacité énergétique.
270
268
Pour les résultats de ces recherches, voir le chapitre suivant "Résultats"..
271
3.2 RESULTATS
269
Les grandes entreprises sont définies ici comme des entreprises dont le nombre de personnes employées
est supérieur à 250, selon la classification de la Commission européenne (à l'exclusion du critère du chiffre
d'affaires). Voir p. 250 et ss. la description de la composition de l'échantillon.
270
9.5 Dans votre entreprise, la notion d'investissement est définie par identité au concept
d'immobilisation comptable? O Oui O Non
271
9.2 L'origine des projets ou des idées d'investissement est-elle essentiellement (cocher les cases
adéquates) :
9_2_1 O Liée à des opportunités perçues par les unités opérationnelles (terrain) ?
9_2_2 O Liée à une recherche active de projets correspondant à la stratégie de l’entreprise ?
273
Dans l'enquête de De Bodt et Bouquin (2001), les réponses indiquent aussi que les
projets émergent en priorité (44%) du terrain. Cependant, comme le font remarquer De
Bodt et Bouquin (2001, p. 138), "seule une étude qualitative permettrait de savoir si ces
réponses révèlent une approche plutôt top-down de l'investissement, ou au contraire une
pénétration des plans stratégiques et opérationnels jusqu'aux derniers niveaux de
management".
Dans la majorité des entreprises de l'échantillon genevois, les enveloppes
budgétaires ne sont pas déterminées avant que soit établie la liste des projets (10
entreprises répondent non à la question F 9_26272, 7 réponses positives, 1 non-réponse).
Les résultats pour cette question sont similaires dans l'enquête De Bodt et Bouquin
(2001). Lorsque ces enveloppes existent, une répartition des enveloppes budgétaires par
métier et/ou par filiale est effectuée avant examen des projets d'investissement dans la
moitié des cas (8 réponses positives à la question F 9_27273, 8 réponses négatives, 2 non-
réponses). La répartition des enveloppes budgétaires est effectuée d'abord en fonction des
objectifs stratégiques de l'entreprise (10 réponses positives à la question F 9_28_1274),
ensuite en fonction de la rentabilité respective des différentes activités (3 réponses
positives à la question F 9_28_2; 7 entreprises n'ont pas répondu à la question, 2
entreprises ont répondu positivement aux deux questions F 9_28). Les résultats relatifs
aux enveloppes budgétaires sont résumés dans le tableau ci-dessous :
272
9.26 Les enveloppes budgétaires sont-elles déterminées avant que soit établie la liste des
investissements proposés ? O Oui O Non
273
9.27 Existe-t-il une répartition des enveloppes budgétaires par métier et/ou par filiale avant
prise en considération des projets d'investissement ? O Oui O Non
274
9.28 Le cas échéant, cette répartition est avant tout fonction :
9_28_1 O de la rentabilité respective des différentes activités
9_28_2 O des objectifs stratégiques de l'entreprise
274
à la question F 9_11275), de même que les étapes que doit suivre le dossier (88% des
réponses, soit 15 réponses sur 17 à la question F 9_19_1276, 1 non-réponse).
La catégorie de l'investissement influence le déroulement du processus
d'investissement, la démarche d'analyse et/ou les méthodes d'évaluation/sélection des
projets dans la majorité des entreprises. En effet, elle influence : la démarche d'analyse du
projet dans 61% des entreprises (11 oui, 6 non, 1 non-réponse à la question F 9_10277); la
méthode d'évaluation de la rentabilité des projets dans 61% des entreprises (11 oui, 6 non,
1 non-réponse à la question F 9_14278); les étapes que doit suivre un dossier
d'investissement dans 44% des entreprises (8 oui, 9 non, 1 non-réponse à la question F
9_19_2). Le tableau ci-dessous récapitule ces résultats :
275
9.11 La procédure est-elle fonction du montant de l'investissement ? O Oui O Non
276
9.19 Les étapes que doit suivre un dossier d'investissement sont-elles fonction :
(Cocher les cases adéquates)
O du montant de l'investissement? (9.19.1)
O de la catégorie de l'investissement? (9.19.2)
277
9.10 Utilisez-vous des démarches d'analyse des dossiers d'investissement différentes selon la
catégorie du projet? O Oui O Non
278
9.14 Est-ce que la méthode d'évaluation utilisée pour l'étude de rentabilité dépend du style
d'investissement? O Oui O Non
279
9.12 La procédure prévoit-elle que les dossiers doivent contenir :
(Cocher les cases adéquates) - Voir tableau page suivante.
277
Etude de rentabilité 13 2 0 0 2 0
Etude du risque 6 3 3 0 1 1
Etude commerciale 10 1 2 0 2 1
Etude technique 10 1 1 0 1 3
Etude juridique 5 1 5 2 2 1
Etude écologique 3 3 6 0 2 4
l'investissement joue un rôle plus important dans la décision de réalisation d'une étude
technique et, surtout, sur celle de l'étude écologique.
Les trois quarts des entreprises de l'échantillon emploient plus d'une méthode pour
évaluer la rentabilité et/ou pour sélectionner les investissements280. Ici la diversité est à
nouveau la règle. 25% des entreprises ayant répondu (soit 4 sur 16) utilisent une seule
méthode, 43,8% des entreprises en utilisent 2 et 18,8% en utilisent 3, comme le montre le
tableau ci-dessous. L'influence de la taille de l'entreprise sur le nombre d'instruments
utilisés peut être considérée comme nulle, ou très faible.
1 4 25%
2 7 44%
3 3 19%
4 0 0%
5 1 6%
6 1 6%
non-réponse 2
280
Selon les réponses aux questions F 9_13_1 à F 9_13_6 du questionnaire finance, qui portaient sur
l'usage des différentes méthodes d'évaluation :
9.13 Pour l'étude de rentabilité (si celle-ci est réalisée), utilisez-vous :
(Cocher les cases adéquates)
O le taux interne de rentabilité ?
O la valeur actuelle nette ?
O la période de remboursement simple (pay-back time) ?
O des critères issus de la théorie des options ?
O autres ? _____________________________
279
Entr.
No. Secteur d'activité TRI VAN Pay-back Options ROI Autres
F 9_13_1 F 9_13_2 F 9_13_3 F 9_13_4 F_9_13_5 F_9_13_6
2 Grande distribution oui non oui non non non
3 Grande distribution non non oui oui non non
4 Grande distribution oui oui oui non non non
5 Grande distribution oui non oui non non non
7 Location surfaces / events oui oui oui non oui oui
15 Services aux entr. -- -- -- -- -- --
16 Services aux entr. oui oui oui non non non
oui ; 5 oui : 3 oui : 6 oui : 1 oui : 1 oui : 1
Tertiaire 7 entités non : 1 non : 3 Non : -- non : 5 non : 5 non : 5
non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1
17 Chimie oui non non non non oui
18 Chimie oui oui oui non non non
19 Chimie oui oui oui oui oui oui
20 Ind. alimentaire non non oui non non non
22 Acier oui non oui non non non
23 Acier non non non oui oui non
25 Acier non non oui non non non
28 Acier -- -- -- -- -- --
31 Electronique non oui non non non non
32 Horlogerie oui non oui non non non
35 Transf. alimentaire oui non non non non non
oui : 6 oui : 3 oui : 6 oui : 2 oui : 2 oui : 2
Secondaire 11 entités non : 4 non : 7 non : 4 non : 8 non : 8 non : 8
non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1
oui : 11 oui : 6 oui : 12 oui : 3 oui : 3 oui : 3
Total 18 entités non : 5 non : 10 non : 4 non : 13 non : 13 non : 13
non-rép. : 2 non-rép. : 2 non-rép. : 2 non-rép. : 2 non-rép. : 2 non-rép. : 2
281
Aux questions F 9_15_1 à F 9_15_6 :
9.15 Pour l'étude de rentabilité (si celle-ci est réalisée), le taux d'actualisation est-il défini :
(Cocher les cases adéquates)
O forfaitairement ?
O en tenant compte d'une prime de risque propre au secteur d'activité?
O en tenant compte d'une prime de risque propre au projet?
O en utilisant le coût moyen pondéré du capital de l'entreprise ?
O en utilisant, pour le coût des fonds propres, le MEDAF (ou CAPM)?
O en tenant compte des conditions spécifiques de financement du projet
282
Deux entreprises du secteur secondaire très différentes par le métier et la taille, mais toutes deux cotées
en bourse
281
Entr. Secteur d'activité Forfai- Risque Risque CMPC Coût fonds Conditions
No. tairement secteur projet propres financem.
F 9_15_1 F 9_15_2 F 9_15_3 F 9_15_4 F 9_15_5 F 9_15_6
2 Grande distribution non non non oui non non
3 Grande distribution non non non oui oui non
4 Grande distribution non oui oui non non non
5 Grande distribution non non oui oui oui non
7 Location surfaces / events non non non oui non non
15 Services aux entr. -- -- -- -- -- --
16 Services aux entr. non oui oui oui non non
oui ; - oui : 2 oui : 3 oui : 5 oui : 2 oui : -
Tertiaire 7 entités non : 6 non : 4 non : 3 non : 1 non : 4 non : 6
non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1
17 Chimie non oui non oui non oui
18 Chimie oui non non non non non
19 Chimie non non non non oui oui
20 Ind. alimentaire non non non non non non
22 Acier oui non non non non non
23 Acier non non non non non oui
25 Acier non non non non non non
28 Acier -- -- -- -- -- --
31 Electronique non non non oui non non
32 Horlogerie oui non non oui non non
35 Transf. alimentaire non non oui non non non
oui : 3 oui : 1 oui : 1 oui : 3 oui : 1 oui : 3
Secondaire 11 entités non : 7 non : 9 non : 9 non : 7 non : 9 non : 7
non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1 non-rép. : 1
oui : 3 oui : 3 oui : 4 oui : 8 oui : 3 oui : 3
Total 18 entités non : 13 non : 13 non : 12 non : 8 non : 13 non : 13
non-rép. : 2 non-rép. : 2 non-rép. : 2 non-rép. : 2 non-rép. : 2 non-rép. : 2
283
Le questionnaire de de Bodt et Bouquin (2001) a été envoyé par poste à 1000 grandes entreprises
françaises cotées sur les marchés financiers français, mais 44 réponses utilisables seulement ont été
collectées.
284
Qui va de 1 à 5: 1. fort désaccord; 2. désaccord dans une certaine mesure; 3. indifférent; 4. accord dans
une certaine mesure; 5. fort accord.
283
Bouquin, puisque seuls 40% des répondants belges et 44% des répondants français
souscrivent à cette affirmation. Des travaux de recherche complémentaires seraient
nécessaires pour mettre à jour les raisons de cette différence dans les réponses.
Les réponses à la question F 9_22285 donnent aussi une indication de l'importance
de la logique financière et des méthodes d'évaluation de la rentabilité de l'investissement.
Les calculs de rentabilité prévisionnelle ne sont considérés comme "décisifs" pour la
décision d'investir que par une minorité d'entreprises de l'échantillon genevois (5
entreprises sur 18, soit 28%). Pour 9 entreprises sur 18, ils ne sont qu'"importants" (les
autres réponses étaient : "importants à décisifs" pour 1 entreprise; "marginaux" pour 1
entreprise; 2 non-réponses). D'autre part, 35% des répondants (6 responsables finance sur
17) souscrivent à l'affirmation (9.3110) "l'évaluation d'un projet d'investissement
stratégique est fondée sur l'intuition plus que sur les chiffres et l'analyse". 8 responsables
finance sont en désaccord avec cette affirmation et 3 d’entre eux "ne savent pas".
Remarquons enfin que, 82% des répondants (14 managers sur 17, 2 réponses
négatives, 1 non-réponse) sont en accord avec l'affirmation (9.3111) "les décisions
d'investir sont influencées par les rapports de force entre les différents départements de
l'entreprise". Plus de la moitié des managers (53%, soit 9 sur 17; 7 en désaccord;1 ne sait
pas) sont en accord avec l'affirmation (9.3112) "l'existence d'un "champion" soutenant un
projet d'investissement est déterminante pour l'adoption de celui-ci".
285
9.22 Quel est le rôle des calculs de rentabilité prévisionnelle dans le choix (cocher la case
adéquate) :
O Décisif?
O Important?
O Assez important?
O Marginal?
286
répondu (soit 15 sur 16, 2 non-réponses) ont répondu positivement à la question F 9_8286
"Existe-t-il une typologie des investissements selon laquelle les projets sont classes" ? Le
tableau ci-dessous présente, par ordre de fréquence dans les réponses, les categories
choisies par les managers finance comme se rapprochant le plus des catégories utilisées
dans leur entreprise (dans une liste de 15 items proposée par la question F 9_9287).
Nombre
de
Rubriques de classement
citations
La catégorie choisie par le plus grand nombre d'entreprises (78%, soit 14 sur 18)
est la catégorie "Pour maintenir ou rénover les capacités existantes". C'est aussi la
première catégorie choisie par les entreprises de l'échantillon De Bodt et Bouquin (18 sur
44) mais avec un taux inférieur (41% des réponses). La deuxième catégorie
286
F 9_8 Existe-t-il une typologie des investissements selon laquelle les projets sont classés
(investissements de productivité, de pénétration de marchés, etc.) ? O Oui O Non
287
F 9_9 Pouvez-vous cocher dans la liste ci-dessous les catégories les plus proches de celles que vous
utilisez? Investissements : ……. (15 items proposés).
287
d'investissement choisie, par 72% des répondants genevois (13 sur 18) est la catégorie
"Pour accroître la productivité des moyens de production existants". En France comme à
Genève, les entreprises mettent en queue de classement les rubriques "Pour
communication interne/externe".
La catégorie "Investissements destinés à réduire la consommation énergétique" (à
ème
la 4 ligne du tableau ci-dessus) a été sélectionnée par 53% des entreprises de
l'échantillon genevois (soit 9 entreprises sur les 17 ayant répondu à cette question; 1 non-
réponse), dans une proportion similaire pour les secteurs tertiaire et secondaire (3
entreprises sur 7 pour le secteur tertiaire, 5 entreprises sur 11 pour le secteur secondaire).
Il s'agit de la 3ème catégorie mentionnée le plus fréquemment (ex-aequo avec les
catégories "Pour amélioration de procédés", "Pour mise en conformité réglementaire
d'installations", "De remplacement").288
Les investissements en efficacité énergétique existent donc à part entière, en tant
que catégorie d'investissements, pour un peu plus de la moitié des 18 entreprises ayant
répondu. Nous avons vu par ailleurs que la catégorie de l'investissement influence la
méthode d'analyse et la méthode d'évaluation/sélection qui sont appliquées à un projet
d'investissement, de même que les étapes qu'il doit suivre (voir p. 271 et ss.). Par
conséquent, ces constatations entraînent deux interrogations : 1) quand cette catégorie
d'investissement existe dans les entreprises, un traitement particulier, en termes de
critères de sélection, lui est-il appliqué? 2) quand cette catégorie d'investissement n'existe
pas, comment est prise en compte l'efficacité énergétique dans les décisions portant sur
d'autres catégories d'investissement ? Les résultats présentés dans le tableau de la page
suivante donnent un début de réponse à ces questions, en mettant en perspective le
comportement général d'investissement des entreprises et leur comportement dans le
domaine particulier des investissements en efficacité énergétique.
288
Dans l'étude De Bodt et Bouquin cette catégorie n'était pas proposée et on ne peut donc pas comparer les
réponses.
288
293
10. POLITIQUE D'INVESTISSEMENT EN EFFICACITE ENERGETIQUE (EN TECHNOLOGIES REDUISANT LA
CONSOMMATION D’ENERGIE).
10.6 Pour l'étude de rentabilité (si celle-ci a été réalisée), quel était l'horizon du projet (en
nombre d'années) ? ________ années
294
9.20 Dans le cas d'un investissement en matériel (de production, de bureau, informatique, etc.),
la consommation énergétique du matériel considéré est-elle un critère pris en compte ?
O Oui O Non
295
9.21 En règle générale, quelle est l’importance accordée à l’efficacité énergétique dans les
décisions d’investissement ?
Merci de classer par ordre d’importance (1 = le plus important - 5 = le moins important) ________
291
Très important
Important
Modérément
important
Pas important
Totalement pas
important
% de firmes
Les managers étaient priés de donner une valeur de 1 à 5297 à chacun des 3
facteurs énoncés dans la question. Les réponses des managers donnent une mesure du
296
Les questions "W" sont les questions pour les managers énergie et les questions "F" les questions pour
les managers finance.
297
Correspondant à : 1 = totalement pas important; 2 = pas important; 3 = modérément important; 4 =
important; 5 = très important.
293
298
Voir Johnston et DiNardo (1996, p. 336). Le test student n'est pratiqué en principe que pour les
échantillons aléatoires et non pas pour les échantillons construits au moyen de la méthode du choix
raisonné, comme c'est le cas de mon échantillon.
294
Valeur Valeur
W 2_5_5 F 7_5_5
2,7 1,9
"Stratégicité" responsables énergie: 9,1 sur 15 "Stratégicité" responsables finance : 8,6 sur 15
296
D'autre part, la dispersion des réponses entre les deux groupes pour les trois
variables – risques, coûts, valeur - présente des différences significatives. Comme le
montrent les deux tableaux ci-dessous, près de 50% des managers énergie considèrent
que l'adoption de technologies efficaces en énergie n'est pas du tout importante pour la
réduction des risques, alors que le choix modal est inverse chez les financiers : près de la
moitié d'entre eux considère que l'adoption de ces technologies est modérément
importante à très importante pour la réduction des risques. Pour les financiers comme
pour les responsables énergie, c'est le risque de prix qui est surtout pris en compte. Le
risque de rupture est souvent perçu comme minime par les entreprises, dont seule une
faible minorité est équipée d'un système de secours pour produire du courant en cas de
panne du réseau (là encore les réponses varient cependant beaucoup, en fonction des
situations de rupture de l'approvisionnement électrique expérimentées par les entreprises).
La dispersion des réponses est faible dans les deux groupes en ce qui concerne la
perception de l'importance des investissements en efficacité énergétique pour la réduction
des coûts : plus de 80% des répondants des deux groupes les considèrent comme
importants ou très importants. Cependant, la majorité des managers finance considère ces
investissements comme "importants" pour la réduction des coûts (7 managers sur 12
donnent à ce facteur une note de 4) alors que la majorité des managers énergie les
considère comme "très importants" pour la réduction des coûts (22 managers sur 35
attribuent à ce facteur une note de 5). Les deux tableaux ci-dessous résument les réponses
des deux groupes sur l'importance des investissements en efficacité énergétique pour la
réduction des coûts de l'entreprise.
Une comparaison des résultats entre secteur tertiaire et secteur secondaire aboutit
à une conclusion apparemment surprenante : la "stratégicité" des investissements en
efficacité énergétique est plus élevée pour les managers du secteur tertiaire que pour les
managers du secteur secondaire, quelle que soit leur fonction. Les figures ci-dessous
donnent les résultats détaillés pour les trois dimensions du caractère stratégique de ces
investissements ainsi que leur moyenne, pour les managers des deux groupes et des deux
secteurs.
Secteur tertiaire :
Valeur Valeur
W 2_5_5 F 7_5_5
2,9 2,0
Secteur secondaire :
Valeur Valeur
W 2_5_5 F 7_5_5
2,4 1,9
299
Souvenons-nous que les chiffres de l'échelle correspondent à : 1 = totalement pas important; 2 = pas
important; 3 = modérément important; 4 = important; 5 = très important.
300
W 2_5_7 / F 7_5_7 Pensez-vous que l'adoption de technologies efficaces en énergie soit
importante pour votre entreprise pour les raisons suivantes?
Classer par ordre d’importance (1 = le moins important - 5 = le plus important)
Benchmarking (pression de la concurrence) __________
301
W 2_5_8/ F 7_5_8 Pensez-vous que l'adoption de technologies efficaces en énergie soit
importante pour votre entreprise pour les raisons suivantes?
Classer par ordre d’importance (1 = le moins important - 5 = le plus important)
Image de marque de l’entreprise auprès des clients ___________
301
La recherche a aussi analysé, selon une approche plus classique, les facteurs
bloquants et stimulants les investissements en efficacité énergétique. Rappelons (voir p.
268 et ss.) que, pour cette partie des questionnaires, les questions ont été importées d'une
enquête de De Groot et al. (2001), effectuée en 1998 auprès de 135 entreprises
hollandaises de 9 secteurs intensifs en énergie, dans le but d’analyser les pratiques et
attitudes de ces entreprises en matière d’utilisation de l’énergie et d'adoption de
technologies efficaces en énergie. Une section de leur enquête cherchait à évaluer
l'influence de certains facteurs stimulants et bloquants sur les décisions d'investissement
en efficacité énergétique. L’étude de De Groot et al. ne précise pas qui étaient les
répondants au sein des entreprises, et ne cherche pas non plus à identifier d’éventuelles
différences de perception entre les différentes fonctions.
Les deux tableaux suivants indiquent les réponses des responsables énergie et
finance sur les facteurs stimulant l’adoption de technologies efficaces en énergie au sein
de leur entreprise. Sont comparées ici les moyennes des réponses des 35 responsables
énergie et 13303 responsables finance ayant répondu à des questions identiques. Les
302
W 2_5_1 / F 7_5_1 Pensez-vous que l'adoption de technologies efficaces en énergie soit
importante pour votre entreprise pour les raisons suivantes?
Classer par ordre d’importance (1 = le moins important - 5 = le plus important)
Responsabilité sociale de l’entreprise ___________
303
Au total 18 questionnaires ont été renvoyés par des responsables des départements financiers des
entreprises de l'échantillon. Malheureusement seulement 13 sets de réponse étaient valablement remplis
pour les questions discutées dans cette section, sur les facteurs stimulant et bloquant les investissements en
efficacité énergétique.
302
répondants étaient priés de classer les facteurs bloquants sur une échelle de 1 (le moins
important) à 5 (le plus important).
mean of W2_10_6
- Réduction risques de rupture
mean of W2_10_7
- Rabais d’impôts
mean of W2_10_8
- Subventions aux investissements
- Conditions favorables financement. mean of W2_10_9
mean of W2_10_10
- Leasing équipement service public
1 2 3 4 5
mean of F7_91_4
- Motivation du personnel
mean of F7_91_5
- Réduction risques de prix
mean of F7_91_6
- Réduction risques de rupture
mean of F7_91_7
- Rabais d’impôts
mean of F7_91_8
- Subventions aux investissements
mean of F7_91_9
- Conditions favorables financement.
mean of F7_91_10
- Leasing équipement service public
1 2 3 4 5
1 2 3 4 5
mean of F7_10_3
- Coûts énerg. pas assez importants
mean of F7_10_4
- EE faible priorité pour l’entreprise
- Install. actuelles assez efficaces mean of F7_10_5
1 2 3 4 5
Figure 47 – Facteurs bloquant l’adoption de technologies efficaces en énergie selon responsables finance
306
Les résultats les plus marquants de ces deux tableaux sont les suivants :
• les trois barrières les plus importantes sont les barrières "autres investissements
plus importants", "cycle des investissements" et "contraintes budgétaires". Il s'agit
des mêmes barrières pour les responsables énergie et finance mais l'ordre de leur
classement est différent : pour les financiers, le premier facteur bloquant (avec
une moyenne assez élevée de 3,6 sur 5), c’est l’existence d’autres investissements
plus importants, alors que ce facteur n’arrive qu’en 3ème position pour les
responsables énergie (avec un score très inférieur, à 2,8). Le cycle des
investissements ("De nouvelles technologies ne peuvent être adoptées que lorsque
les technologies existantes doivent être remplacées") est la 1ère barrière pour les
responsables énergie, et la 3ème pour les financiers, mais le score est identique
pour les deux groupes, à 3 sur 5. Le 2ème facteur bloquant pour les responsables
énergie, comme pour les financiers, ce sont les contraintes budgétaires
(rationnement du capital), (avec une moyenne des réponses quasiment identique
pour les deux groupes à 3 et 3,1 sur 5). Les contraintes budgétaires ne viennent
qu’en 8ème position comme facteur bloquant pour les entreprises hollandaises
interrogées par De Groot et al. (avec un score moyen de 2,8), par contre le cycle
des investissements est le 2ème facteur bloquant (avec un score moyen de 3,6 sur
5).
• Les blocages liés à la difficulté de trouver un financement externe (capacité
d’emprunt) et à l’attente de subventions ne sont pas considérés comme
importants. Néanmoins ils sont plus élevés pour les financiers (avec des
moyennes respectives de 1,9 et 1,8) que pour les responsables énergie (1,7 et 1,2).
• Plus que les financiers, les responsables énergie perçoivent les coûts de l’énergie
comme importants pour leur entreprise. En effet, "les coûts énergétiques ne sont
pas suffisamment importants pour l’entreprise" représente une barrière très faible
pour les responsable énergie (moyenne 1,4 sur 5) mais sensiblement plus
importante pour les financiers (moyenne 2,2 sur 5).
• Les installations actuelles sont perçues comme plus efficaces par les financiers
(moyenne à 3 sur 5) que par les responsables énergie (2,2 sur 5).
307
304
2.11 Pensez-vous que la réalisation des mesures identifiées par NOE risque d’entraîner
des coûts imprévus pour l’entreprise? O Oui O Non O Sans opinion
Si oui, lesquels ? ______________________________________________________________
305
Voir p. 67 et ss. la perpective économqiue sur les barrières organisationnelles aux investissements en
efficacité énergétique.
308
finance ayant répondu valablement aux questions sur les facteurs bloquants et stimulants
l'adoption de technologies efficaces en énergie. Si l'on concentre l'analyse sur les
réponses des responsables énergie et finance des 13 entreprises pour lesquelles on a des
résultats complets, on met en évidence une grande variabilité de réponses, d'une part
entre les managers "énergie" et "finance" des mêmes entreprises et, d'autre part, entre
entreprises, y compris celles qui font partie du même secteur d'activités.
Ainsi, pour les facteurs stimulant ces investissements, le score maximum que
peuvent totaliser les réponses est de 50 (un résultat obtenu si chacun des 10 facteurs
proposé est évalué comme "très important" par les répondants et obtient le maximum de
5). Le tableau de la page suivante donne la moyenne des réponses pour chaque manager
énergie et finance des 13 entreprises pour lesquelles toutes les réponses ont été obtenues,
la moyenne sur 50 de chacun des deux groupes et la moyenne ramenée sur 5 pour chacun
des 2 groupes. On constate que la moyenne des résultats est assez proche entre les 2
groupes, à 28,3 sur 50 pour les 13 responsables énergie et à 31,2 sur 50 pour les 13
responsables finance, soit respectivement à 2,8 et 3,1 sur 5. Cependant la variabilité entre
les réponses est très élevée au sein des deux groupes, avec un minimum de 15 et un
maximum de 41 sur 50 pour les responsables énergie et un minimum de 20 et un
maximum de 47 pour les responsables finance.
309
Pour les facteurs freinant ces investissements, le score maximum que peuvent
totaliser les réponses est de 70 (un résultat qui serait obtenu si chacun des 14 facteurs
proposé était évalué comme "très important" par les répondants en obtenant le maximum
de 5). Le tableau de la page suivante donne la moyenne des réponses pour chaque
manager énergie et finance des 13 entreprises pour lesquelles toutes les réponses ont été
obtenues, la moyenne sur 70 pour chacun des deux groupes et la moyenne ramenée sur 5
pour chacun des 2 groupes. A la lecture de ce tableau, on constate que l'écart entre la
moyenne des réponses est plus grand entre les 2 groupes, puisqu'elle est de 25 sur 70 pour
les 13 responsables énergie et de 34 sur 70 pour les 13 responsables finance, soit
respectivement 1,8 et 2,4 sur 5. Les financiers considèrent dans l'ensemble comme plus
importants les facteurs bloquants que ne le font leurs collègues en charge de l'énergie.
Cependant la variabilité entre les réponses est assez élevée pour les responsables énergie,
avec un minimum de 19 et un maximum de 34 sur 70, et très élevée pour les responsables
finance a vec un minimum de 19 et un maximum de 57.
310
306
L'hypothèse no. 2 énonce que " la culture de l’entreprise exerce une influence sur la perception du
caractère stratégique de la décision d’investissement en efficacité énergétique".
311
les réponses était donc de 22 points. Conformément à la méthode de mesure définie, plus
le score obtenu par une entreprise est haut, plus le niveau de gestion de l'énergie est élevé,
plus la culture de l'efficacité énergétique d’une organisation est élevée.
Le tableau de la page suivante donne les réponses des gestionnaires de l'énergie
pour les 35 entreprises de l'échantillon. Les résultats les plus frappants sont les suivants :
le score obtenu par les entreprises de l'échantillon en matière de gestion de l'énergie est
bas dans l'ensemble, avec une moyenne de 8,9 points sur 22. Le niveau moyen de gestion
de l'énergie est légèrement plus élevé dans les 15 entreprises du secteur tertiaire (9,6 sur
22) que dans les 18 entreprises du secteur secondaire (8,3 sur 22). Mais, une fois de plus,
ces moyennes masquent de grandes différences entre entreprises, y compris au sein du
même secteur d'activités : par exemple, 3 des 5 entreprises de l'échantillon actives dans le
secteur de la grande distribution obtiennent un score très élevé (de 17,5 à 20 points sur
22), et les 2 autres un score médiocre (7 et 8 points sur 22); de même les 3 entreprises du
secteur de la chimie obtiennent des résultats très différents (respectivement 7, 19,5 et 13
points sur 22).
312
307
Basés sur leur audit extensif en 100 questions et 200 points du niveau de gestion de l'énergie: 1) 0-50
points: pas de gestion systématique de l'énergie mise en place, ou bien le système existant présente de
sérieux défauts; 2) 51-101 points: le système de gestion de l'énergie ne répond pas encore aux spécifications
définies par SenterNovem en matière de collecte d'information et de mise en œuvre; 3) 102-180 points:
niveau de gestion de l'énergie acceptable avec des possibilités d'amélioration; 4) 181-200 points: haut
niveau de gestion de l'énergie.
308
Rappelons que le système de notation est le suivant : directeur de l'énergie : 2 pts; directeur de l'énergie
partageant cette tâche avec d'autres fonctions : 1 pt; pas de directeur de l'énergie du tout : 0 pts.
314
Entr. Enegy
No. Secteur d'activité mgt Titre Formation Supérieur direct Anc.
La conclusion la plus frappante qui ressort du tableau est celle de la variété des
situations et des formations des personnes responsables de l'énergie dans les entreprises
de l'échantillon. En matière de formations, on peut faire le récapitulatif suivant :
• Ingénieurs 13
Dont : 1 métallurgie
1 architecte
1 électronicien
3 électriciens
1 HEC
• Architecte 1
• Arts et métiers 1
• Electriciens 3
• Ecole hôtelière 1
• Hôtellerie 1
• Micromécanique 2
• Maintenance aéronautique 1
• Commerce/vente 3 (dont 1 est aussi laborant)
• Mécanicien 1
• Electronicien mécanique 1
• Non-réponses 7
_____
Total 35
Les ingénieurs sont en majorité, mais ils ont des spécialités différentes. En
matière de fonction, on constate que l'énergie dépend assez souvent du directeur
technique, du responsable du bâtiment et des installations (facility manager) ou du
directeur des services généraux. Dans les entreprises de petite taille, l'énergie peut être du
316
ressort du directeur général. Dans un cas sur trois environ, les managers en charge des
questions énergétiques rapportent directement à la direction générale (DG) mais, là aussi,
on assiste à une grande variété de situations, de même que pour le nombre d'années de
présence dans l'entreprise.
Pour analyser l'influence du niveau de gestion de l’énergie de l'entreprise sur sa
perception du caractère stratégique des investissements en efficacité énergétique, il nous
faut maintenant analyser la relation entre le niveau de gestion de l'énergie (un reflet de la
culture de l'efficacité énergétique) et le caractère stratégique des investissements en
efficacité énergétique (ou, plus exactement, la perception que les managers se font de ce
caractère stratégique). Pour ce faire, conformément aux outils de mesure des concepts
(voir p. 253 et ss.), il nous faut examiner la force de la relation entre deux groupes de
variables: d'une part, les 18 variables (indépendantes) qui composent le niveau de gestion
de l'énergie dans l'entreprise et, d'autre part, les 3 variables (dépendantes) qui composent
le caractère stratégique309 des investissements en efficacité énergétique. Le tableau de la
page suivante reproduit les résultats pour ces deux dimensions dans chaque entreprise de
l'échantillon (seules les réponses des responsables énergie sur le caractère stratégique des
investissements ont été prises en compte).
309
Défini comme la contribution de l'investissement à l'avantage concurrentiel de l'entreprise par
l'intermédiaire d'une réduction des coûts et des risques et d'une augmentation de la valeur de l'offre pour la
clientèle (voir p. 184 et ss.).
317
A première vue, la relation entre les deux dimensions présente différents cas de
figure : parfois le niveau de stratégicité est très élevé et le niveau de gestion est très bas
(c'est le cas pour les entreprises no. 18 et 24), parfois c'est l'inverse (dans l'entreprise no.
10 par exemple). Parfois le niveau de stratégicité et celui de la gestion de l'énergie sont
élevés (c'est le cas par exemple pour l'entreprise no. 23) ou bas (entreprise no. 32 par
exemple). Une analyse statistique des réponses des gestionnaires de l'énergie310 confirme
ces premières conclusions : la corrélation simple entre les deux groupes de variables –
niveau de gestion de l'énergie et niveau de stratégicité – est très basse à 0,14. La
corrélation canonique311 entre les deux groupes de variables312 est par contre assez élevée
à 0,86. Cependant ce résultat est sujet à caution étant donné le grand nombre de variables
et le petit nombre de données. Si l'on enlève les 6 "cas extrêmes" constitués des 3
entreprises qui ont un niveau de gestion de l'énergie très élevé et une perception très
basse du caractère stratégique des investissements en efficacité énergétique et des 3
entreprises qui ont, par contre, une perception assez élevée du caractère stratégique de
l'investissement et un niveau de gestion de l'énergie presque inexistant, on obtient une
corrélation simple plus élevée, à 0,6264.
310
Une analyse statistique n'a pu être réalisée que sur les réponses des gestionnaires de l'énergie, car le
nombre de réponses des gestionnaires finance était insuffisant (seuls 6 questionnaires remplis par les
gestionnaires finance contenaient des réponses à la fois sur la dimension stratégique des investissements et
sur le niveau de gestion de l'énergie).
311
La corrélation canonique, ou multiple, représente l'intensité de la relation non pas entre deux variables
mais entre deux groupes de variables. L'analyse de la corrélation canonique ne prend donc pas en compte
les moyennes des 3 réponses pour la dimension stratégique et des 18 réponses pour la dimension culturelle
(niveau de gestion de l'énergie), mais elle prend en compte les relations individuelles entre les 3 variables
de la dimension stratégique d'une part et les 18 variables de la dimension culturelle d'autre part.
312
Soit d'une part le groupe de variables "réduction des risques" W 2_5_3, "réduction des coûts" W 2_5_4
et "renforcement de la valeur des produits" W 2_5_5 (qui composent la dimension stratégique de
l'investissement, voir p.238 et ss.) et, d'autre part, le groupe de variables W_3_2, W_3_5, W_3_610 à 616,
W_3_710 à 712, W_3_8, W_3_10, W_3_110 à 113, qui composent le niveau de gestion de l'énergie,
interprété comme le reflet de la culture de l'efficacité énergétique de l'entreprise (voir p. 244 et ss.).
319
La recherche empirique dont les résultats ont été décrits dans le chapitre précédent
s'appuie sur le cadre théorique de la décision d'investissement313, construit sur la base
d'une exploration du domaine de la décision dans les organisations. Certains éléments de
ce cadre théorique avaient été démontrés par des recherches antérieures, mais
demandaient à être confirmés ou précisés par des recherches complémentaires. Ces
éléments concernent essentiellement le rôle joué par les caractéristiques de
l'investissement. J'ai mis l'accent dans le modèle théorique sur l'importance des
caractéristiques du projet d'investissement pour le choix décisionnel. Ces caractéristiques
comprennent trois dimensions : les caractéristiques analytiques (complexité, incertitude,
stimulus, disponibilité de la solution, etc), le contenu substantiel (investissement en
augmentation ou rénovation des capacités de production, etc) et la nature plus ou moins
stratégique du projet d'investissement considéré314. Contenu et nature stratégique sont
liés, puisque le caractère stratégique de l'investissement est défini comme sa contribution
à l'avantage concurrentiel de l'entreprise, lié lui-même à l'exercice plus ou moins
performant du métier. L'avantage concurrentiel repose sur trois composantes interreliées :
coûts – valeur – risques. Cette définition "tridimensionnelle" des caractéristiques de
l'investissement est nouvelle en ce qu'elle rassemble et complète des éléments théoriques
jusque là disparates et inprécis. En effet, la recherche en "strategy process" a investigué
l'influence des caractéristiques analytiques du projet d'investissement sans s'intéresser au
contenu et en définissant de façon très superficielle la notion de "décision stratégique".
Pour combler cette lacune, j'ai proposé une définition de la décision stratégique, sur
laquelle est basé l'outil de mesure du caractère stratégique de l'investissement qui est
décrit dans le chapitre "Méthodologie". L'influence du caractère plus ou moins
stratégique de l'investissement sur la décision d'investir, associé à celle de plusieurs
autres catégories de facteurs (contexte interne et externe du processus décisionnel, rôle
des acteurs) relativise l'influence de la dimension financière sur les choix
313
Chapitre 2.5, voir p. 223 et ss.
314
Voir p. 171 et ss. et p. 184 et ss.
320
315
En particulier Cebon (1992), voir p. 75 et ss.
321
Seront discutés dans cette section les résultats relatifs au comportement général
d’investissement des entreprises et à l’importance relative des logiques financière et
stratégique sur les décisions. A cet égard, les conclusions les plus importantes sont les
suivantes : la rentabilité de l’investissement joue un rôle important mais non décisif dans
la décision d’investir en raison de l’influence d’autres facteurs ; la phase du diagnostic est
essentielle ; il existe une compétition entre projets d’investissements ; les projets qui sont
considérés comme plus stratégiques sont choisis. Ces différents points, qui confirment
solidement la pertinence du cadre théorique, seront discutés dans les pages suivantes, de
même qu’un autre aspect qui émerge de la recherche : les pratiques peu orthodoxes des
entreprises en matière de choix d’investissement.
Selon l'approche dominante sur la décision d'investissement, un investissement
est décidé en fonction de sa rentabilité. Cette rentabilité est évaluée au moyen de
méthodes proposées par la théorie financière (TRI, VAN, Méthode de recouvrement), qui
précisent les modalités de fixation du taux d'actualisation et la prise en compte du risque
attaché au projet d'investissement considéré.
Les résultats de la présente recherche confirment que la rentabilité de
l'investissement considéré joue un rôle important dans la décision d'investir. Ceci apparaît
dans différentes réponses : l'analyse de rentabilité est obligatoire pour un projet
d'investissement, quelle qu'en soit la catégorie, pour une majorité écrasante d’entreprises
(87% de réponses positives dans l’échantillon). Les trois quarts des responsables finance
sont en désaccord avec l'affirmation "l'évaluation financière des investissements a, au
bout du compte, peu d'influence sur la décision finale" (p. 268). Les calculs de rentabilité
prévisionnelle sont considérés comme "décisifs" par un quart des répondants (28%) et
comme "importants" par 50% des répondants316.
Cependant l'influence de la rentabilité sur la décision d'investir est loin d'être
exclusive. Comme l'admettent la quasi-totalité des managers financiers interrogés, il ne
316
Réponse à la question F 9_22, voir p. 269 et ss.
322
suffit pas qu'un projet soit rentable pour qu'il soit réalisé. La majorité des managers
confirment, d'autre part, qu'il peut arriver qu'un projet soit réalisé même s’il n’est pas
rentable. Les résultats viennent ici en confirmation des recherches antérieures, en
particulier celle de De Bodt et Bouquin, dont sont issues de nombreuses questions du
questionnaire "finance", et de façon plus générale les recherches menées en finance
organisationnelle.317 L'existence d'un lien entre l'importance des coûts de l'énergie et le
pourcentage d'investissement en efficacité énergétique n'a pas pu être démontré ou
infirmé à Genève en raison de la petite taille de l'échantillon.
L'influence de la rentabilité sur la décision d'investir peut même être considérée
comme secondaire, en raison de l'influence d'autres facteurs :
suivre le dossier. Dans la typologie utilisée par les entreprises, les catégories utilisées le
plus fréquemment sont les catégories en lien avec le métier.
Le rôle essentiel de la phase du diagnostic dans le processus d'investissement est
ici confirmé. Les projets d'investissement qui se présentent – et, en amont, les idées
initiales de projets – sont donc classés par les entreprises au moment de la constitution du
dossier d'investisement, au début du processus décisionnel. La façon dont un projet sera
catégorisé, étiqueté ("labelled") jouera un rôle décisif sur le processus et donc sur la
sélection et le choix final. La confirmation de cet aspect du modèle théorique de la
décision d'investir320, qui met l'accent sur la phase du diagnostic, vient appuyer les
résultats des recherches antérieures321. Comme le montrent les réponses des entreprises,
deux éléments confirment cette importance primordiale de la phase du diagnostic:
premièrement, les projets émergent plus souvent du terrain (à la suite d'opportunités
perçues par les unités opérationnelles) qu'ils ne proviennent d'une recherche systématique
liée aux objectifs de l'entreprise, ce qui suppose un processus décisionnel assez ouvert au
départ. Deuxièmement, dans la majorité des cas, les enveloppes budgétaires ne sont pas
définies de façon anticipée mais en fonction des opportunités identifiées322.
La classification de projets d'investissement par les entreprises, et l'influence
déterminante que ce classement exerce sur le processus décisionnel, et donc sur la
sélection et le choix des investissements, confirment un autre aspect essentiel du modèle
théorique : l'existence d'une compétition entre projets. Cet élément est confirmé
également par le fait que l'existence d'autres investissements plus importants est
considérée comme un facteur bloquant par les managers interrogés323. Il s'agit même du
premier facteur bloquant les investissements en efficacité énergétique pour les managers
finance. Bien qu'il s'agisse aussi de la barrière la plus élevée pour les entreprises qu'ils ont
interrogées, De Groot, Verhoef et Nijkamp ne précisent pas quels sont ces
"investissements plus importants". Ils indiquent simplement que “the most important
barrier for firms is the existence of other investment opportunities that are considered
more promising or important … more attractive…" (De Groot, Verhoef et Nijkamp,
320
Le modèle théorique de la décision d'investir auquel il sera fait référence dans ce chapitre est le modèle
qui est décrit au chapitre 2.5, voir p. 223 et ss.
321
Voir p. 138 et ss. et p. 205 et ss.
322
Voir p. 259 et ss.
323
Voir p. 288 et ss.
324
2001, p. 726). Mais ils indiquent ailleurs que "les économies d'énergie ne sont que l'un
des critères sur lequel une nouvelle technologie est jugée et que d'autres avantages, tels
qu'une augmentation des capacités de production ou une amélioration de la qualité des
produits sont également pris en compte"324. En ce qui me concerne, je n'ai pas relevé
systématiquement ce que les répondants entendent par "autres investissements plus
importants". Cependant certains responsables de l'énergie ont indiqué, lors des entretiens,
que des investissements plus importants sont des "investissements pour obtenir des
certifications ou des investissements de production" (entreprise du secteur de l’acier, No.
26), "investissements en moyens de production" (entreprise du secteur de l'acier, no. 29),
"investissements en moyens de production ou pour développer de nouveaux points de
vente" (entreprise horlogère, no. 32), "investissements en machines" (entreprise
horlogère, no. 33). Ces indications correspondent aussi aux catégories présentes le plus
généralement dans la typologie des investissements utilisées par les entreprises (maintenir
ou rénover capacités de production, accroître productivité moyens de production
existants). On peut donc considérer que les investissements "plus importants" sont des
investissements en lien direct avec l'activité de l'entreprise. Ce constat correspond au
cadre théorique développé en fin de deuxième partie de ce mémoire (voir p. 232 et ss.).
Selon ce cadre théorique, des investissements sont [perçus comme] plus importants – ou,
autrement dit, comme plus stratégiques - s'ils permettent à une entreprise d'améliorer sa
position concurrentielle dans l'exercice de son métier.
Par conséquent, le caractère stratégique de l'investissement est à nouveau
confirmé comme étant plus important que la rentabilité dans les décisions d'investir, au
moins pour les financiers des entreprises. Ce qui expliquerait pourquoi les entreprises
n'adoptent pas certaines technologies, même lorsqu'elles les considèrent comme
rentables, comme c'est le cas pour les entreprises interrogées par De Groot et al. (2001)325.
De plus, quand un investissement est perçu comme important pour le métier, l'accès aux
ressources financières n'est pas un problème. On peut interpréter de cette façon le fait que
324
Traduit par moi de "energy saving is just one of the criteria on which a new technology is judged and
that there are other complementary benefits such as increased capacity and improved product quality that
are considered along with energy saving" (De Groot et al., 2001, p. 723).
325
"The responses shown here concern technologies about which firms had indicated earlier in the survey
that they are aware of their existence, that the technologies were considered as being profitable, but that
they were still not implemented as yet." (De Groot, Verhoef et Nijkamp, 2001, p. 727).
325
les contraintes budgétaires ne viennent qu’en 8ème position comme facteur bloquant pour
les entreprises hollandaises interrogées par De Groot et al. (avec un score moyen de 2,8
sur 5). D’ailleurs il arrive que certains investissements non rentables soient décidés,
comme l’indiquent une majorité de managers genevois.
Un autre sujet mérite d'être discuté qui émerge des résultats de la recherche sur le
comportement d'investissement des entreprises : celui de la conformité des pratiques des
entreprises aux prescriptions de la théorie des choix d'investissement en matière
d'évaluation de la rentabilité. Les résultats montrent en effet des comportements assez
déviants par rapport à la théorie, qui pourraient même être interprétés comme un manque
de pertinence dans l'usage des méthodes d'évaluation financière par les entreprises326. Les
aspects suivants, en particulier, peuvent être relevés :
• Taux d'actualisation. 60% des entreprises seulement se basent sur le coût des
fonds propres et des fonds empruntés pour fixer le taux d'actualisation. 15% des
entreprises fixent le taux d'actualisation de façon forfaitaire. Le risque lié au projet
n'est pris en compte dans le taux d'actualisation que dans moins d'une entreprise
sur cinq.
• Prise en compte de la dépréciation monétaire liée au temps : les trois quarts des
entreprises environ utilisent en même temps une méthode dynamique d'évaluation
de l'investissement (TRI et/ou VAN) et la méthode de la période de recouvrement
sans actualisation des flux de l'investissement (pay-back simple). Mais certaines
entreprises (au moins deux dans l'échantillon) n'utilisent que la méthode du pay-
back simple et, de plus, sur une période assez longue de 5 à 6 ans.
• Prise en compte du risque : l'analyse de risque des projets n'est obligatoire que
pour 40% des entreprises.
• Forte pression vers le court-terme : elle est signalée par plusieurs répondants dans
les interviews. Comme l'exprime de façon assez emblématique le directeur de la
326
Une conclusion qui viendrait étayer l'analyse de Rigby (2002) qui conteste la pertinence des calculs
financiers effectués par les entreprises “In addition to the problem that organisations did not know how to
save energy, it was also shown by market research studies carried out for BRECSU that organisations did
not know how to assess the economic potential of their investments in energy efficiency. The weaknesses in
the financial methodologies used by energy managers and estates departments for estimating the
profitability of energy efficient criteria principally included making errors in the estimate of the inflation
rate and changes to future fuel prices. The result of these errors was to render “many investment appraisal
analyses meaningless” (BRECCSU, 1991, page, 6 cité par Rigby, p. 15). Voir p. 47 et ss.
326
327
Entretien du 22 février 2007.
328
1 seule entreprise (sur les 18 interrogées, dont 2 non-réponses) a déclaré être intéressée par une formule
de prêt à taux bonifié (en matière de soutien financier, la préférence des entreprises de l'échantillon va en
premier lieu aux subventions, 10 réponses sur 18, et en deuxième lieu au crédit d'impôt, avec 5 réponses sur
18). Voir p. 288 et ss.
327
329
Entretien du 9 mai 2007.
330
Plusieurs recherches empiriques ont montré l'importance des facteurs stratégiques dans la prise de
décision et du lien entre décisions d'investissement et objectifs ou enjeux stratégiques de l'entreprise : non
seulement celles de De Bodt et Bouquin (2001) et Van Cauwenbergh et al. (1996), reprises pour la présente
recherche, mais aussi celles d'Alkaraan et Northcott (2007, 2006); Burcher et Lee (2000); Butler (1991);
Carter (1971); Carr et Tomkins (1996); Maritan (2001); Putterill, Maguire, Sohal (1996); Segelod (1995).
Voir p. 176 et ss.
328
331
Réponses à la question F 9_21, voir p. 272 et ss.
329
entreprises, y compris des entreprises opérant dans le même secteur d'activités, et, au sein
des entreprises, entre managers des différentes fonctions. Examinons plus en détails ces
trois conclusions.
Premièrement, les investissements en efficacité énergétique sont perçus comme
faiblement à modérément stratégiques par l'ensemble des répondants. Ils sont perçus
comme moins importants par les managers du secteur secondaire, dans les trois
composantes de l'avantage concurrentiel, que par les managers du secteur tertiaire. Ils
sont perçus en moyenne comme faiblement stratégiques par les managers du secteur
secondaire et comme modérément stratégiques par les managers du secteur tertiaire.
L'hypothèse no. 1 est donc corroborée pour les entreprises du secteur secondaire et
partiellement corroborée pour les entreprises du secteur tertiaire. L'investissement en
efficacité énergétique, perçu comme faiblement stratégique, est en mauvaise posture pour
gagner la compétition entre investissements qui existe dans les entreprises.
La deuxième conclusion marquante est le fait que, des trois dimensions qui
composent le caractère stratégique de l'investissement, c'est la composante "coûts" qui est
perçue comme étant la plus importante, tous secteurs et répondants confondus. Elle
obtient un score généralement supérieur à 4 sur 5 (soit "important") et parfois proche de
5332, alors que les dimensions "réduction des risques" et "augmentation de la valeur des
produits" obtiennent presque toujours un score inférieur à 3 sur 5. Cette importance de
l'aspect "réduction des coûts" est confirmée par le fait que, dans l'analyse des facteurs
stimulants la décision d'investir en efficacité énergétique333, c'est la réduction des coûts
qui apparaît comme étant le facteur le plus stimulant, que ce soit pour les financiers ou
pour les responsables énergie. Le facteur réduction des coûts est également le facteur le
plus stimulant (avec une moyenne de 3,9 sur 5) pour les entreprises hollandaises
interrogées par De Groot et al. (2001).
La perspective d'une réduction des coûts n'est cependant pas un stimulant si
puissant qu'on ne pourrait le croire : en effet, dans l'étude hollandaise, le fait que les coûts
de l'énergie ne sont pas suffisamment importants est le 3ème facteur bloquant l'adoption de
332
Elle obtient en score de 4,4 sur 5 pour les managers énergie et de 4 sur 5 pour les managers finance, tous
secteurs confondus, de 4,8 et 4,5 sur 5 respectivement pour les managers énergie et finance du secteur
tertiaire et de 4 et 3,8 sur 5 respectivement pour les managers énergie et finance du secteur secondaire.
333
Voir p. 288 et ss.
330
technologies efficaces en énergie (avec une moyenne assez élevée à 3,4 sur 5). Cette
réponse est d'autant plus intéressante que les entreprises interrogées par De Groot et al.,
actives dans des secteurs intensifs en énergie (industries du métal, papier, chimie,
industrie alimentaire, horticulture, machine-outils et textiles) ont des coûts de l'énergie
qui s'élèvent à environ 10% de leur chiffre d'affaires. A Genève, les financiers des
entreprises de l'échantillon attribuent plus d'importance à la barrière "coûts énergétique
pas suffisamment importants" que leurs collègues de l'énergie (mais la moyenne des
réponses est assez basse, à 2,2 sur 5 pour les financiers contre 1,4 sur 5 pour les managers
énergie). Si les coûts énergétiques sont perçus comme peu importants par les managers, la
perpective d'une réduction des coûts n'est pas une motivation très puissante pour une
décision d'investissement et le poids de ce facteur doit être relativisé.
La réduction des coûts est donc un facteur stimulant mais non suffisant. Ceci
confirme l'importance du caractère stratégique de l'investissement, en montrant que les
coûts de l'énergie ne doivent pas être interprétés selon une approche financière mais selon
une approche stratégique : pour certaines entreprises confrontées à une concurrence à bas
prix, par exemple dans le domaine de la fabrication de machines-outils ou de pièces en
alliage métallique, des coûts bas sont un impératif stratégique de compétitivité, et de
survie. Cette situation est celle des entreprises no. 23 et 25 dans mon échantillon, comme
l'illustre cette déclaration du responsable énergie de l'entreprise no. 25, qui fabrique des
machines-outils334: "on se bat continuellement… faire aussi bien que les Japonais à
moindres coûts"335. Mais, pour la plupart des entreprises, la dimension financière n'est
pas, comme je l'ai discuté dans la section précédente, l'élément déterminant de la
décision. Pour ces entreprises, les coûts de l'énergie sont considérés, en quelque sorte,
comme un mal nécessaire : par exemple, l'audit préliminaire NOE constate (2006, p.
18336), à propos d'un grand hôtel genevois (entreprise no. 14), que "dans les chambres –
sauf les suites– les éclairages sont en permanence en fonction, que celles-ci soient
occupées ou en attente d'être louées. En fin de nettoyage, le personnel enclenche tous les
luminaires de la chambre, de la salle de bain et des armoires à habits ainsi que le poste de
334
Entretien du 20 février 2007.
335
D’ailleurs, la production industrielle de cette entreprise a été arrêtée en 2009 sur son site genevois, pour
être transférée au Tessin, au motif que les coûts de main d’œuvre y sont 20% inférieurs.
336
Ce document étant confidentiel, les références complètes n'en sont pas données.
331
télévision. Cela représente, pour la chambre visitée, …, une puissance courante d'environ
750 W, que doit évacuer la climatisation afin de maintenir des conditions climatiques
sans occupation de la pièce". Le confort du client, condition du remplissage de l'hôtel,
prime de façon évidente sur les impératifs de réduction des coûts. Parfois, les
gestionnaires perçoivent même, à tort (parce que des solutions techniques existent le plus
souvent) ou à raison, un "conflit potentiel entre économies d'énergie et processus de
production" (comme l'a indiqué le responsable de l'énergie de l'entreprise 17, chimie fine,
rencontré le 14 novembre 2006). A cet égard, un bon exemple est constitué par
l'entreprise 34, secteur de l'horlogerie : la stratégicité des investissements en efficacité
énergétique a été évaluée par le responsable de l'énergie à 8 sur 15. Dans ce résultat, la
composante "réduction des coûts" est la plus importante, avec un score de 5 sur 5337.
Pourtant la réduction des coûts ne joue pas un rôle aussi important que ne le perçoit ce
responsable de l'énergie. En effet, un potentiel important de réduction de la
consommation électrique lié à un simple arrêt des installations de ventilation des bureaux
et ateliers durant la nuit (lorsque ces locaux sont inoccupés) a été identifié par l'audit
préliminaire réalisé dans le cadre du programme NOE. Les économies d'électricité étaient
évaluées à 620'000 KWh/an, soit un peu plus de 10% de la consommation totale du site,
et les économies financières à environ CHF 35'000.- (environ 5% des coûts d'électricité
annuels); les seuls frais à envisager étaient les honoraires d'ingénieurs pour l'étude
approfondie (qui auraient été compensés en deux mois par les économies liées à la mise
en place de la mesure). Or la ventilation restait enclenchée pour maintenir un taux
d'humidité constant et éviter toute dérive vers des valeurs trop hautes, ce qui aurait
entraîné des problèmes d'oxydation des métaux. L'audit proposait un système différent de
contrôle du taux d'humidité : l'installation de "sondes enthalpiques (mesurant en même
temps la température et l'humidité) situées dans la reprise de l'air des locaux" (rapport
d'audit préliminaire, p. 17338 ). Mais l'entreprise n'a même pas accepté de mettre cette
mesure à étude approfondie, malgré l'intervention du directeur du Service cantonal de
l'énergie, Olivier Ouzilou. Comme l'indique le rapport d'audit approfondi pour justifier
l'abandon de la mesure proposée par l'audit préliminaire : en ce qui concerne la gestion
337
La contribution de ces investissements à la réduction des risques a été évaluée à 1 sur 5 et leur
contribution à la valeur des produits pour les clients a été évaluée à 2 sur 5.
338
Ce document est confidentiel et c'est pourquoi ses références complètes ne sont pas données.
332
des installations de ventilation des bureaux et ateliers, "l'exploitant ne souhaite pas arrêter
les installations de ventilation afin d'éviter tout problème d'humidité élevée dans les
locaux. Le risque de corrosion sur leur production étant trop élevé" (rapport d'audit
approfondi, p. 4339). La logique de métier, logique stratégique, est toujours supérieure à la
logique financière, qu'elle englobe.
La question du risque appelle aussi un commentaire. La contribution des
investissements en efficacité énergétique à la réduction des risques est perçue comme
"pas importante" par les managers. En général, c'est le risque de prix, plus que le risque
de rupture de l'approvisionnement qui est pris en compte. A cet égard, il faut noter que la
perception du risque est fortement influencée par l'expérience des entreprises : certaines
d'entre elles ont subi des coupures dans le passé, qui ont duré parfois plusieurs heures, et
le souvenir a marqué les esprits. Un bon exemple en est fourni par une comparaison des
réponses des trois hôtels de l’échantillon : l’un d’entre eux, qui a subi une coupure de
courant cauchemardesque de dix heures en 2002 à la suite d’un orage340, évalue comme
importante la contribution des investissements en efficacité énergétique à la réduction des
risques, alors que les deux autres l’évaluent comme totalement peu importante341.
Dans l'ensemble Genève est – et est perçue - comme une place plutôt fiable en
matière d'approvisionnement électrique. Mais ce sentiment des gestionnaires de l’énergie
par rapport à la fiabilité d’approvisionnement doit aussi s’analyser en relation avec la
dimension culturelle globale de l’électricité (voir p. 348 et ss.). La plupart des entreprises
n'ont pas de système de secours (à l'exception de celui du système informatique), soit
parce qu'elles ne le considèrent pas nécessaire, soit parce que c'est techniquement
impossible. Au-delà des questions énergétiques et de la dimension culturelle de l’usage
de l’électricité, on peut quand même s'interroger, de façon plus générale, sur la prise en
compte du risque par les entreprises. Il est en effet assez surprenant de constater que,
comme le montrent les résultats du volet de la recherche sur la politique générale
d'investissement des entreprises342, la prise en compte du risque est assez marginale dans
les analyses des projets : l'analyse du risque potentiel d'un projet d'investissement n'est
339
Ce document est confidentiel et c'est pourquoi ses références complètes ne sont pas données.
340
Entretien du 3 juillet 2006.
341
Les scores respectifs sont de 4 sur 5 pour le 1er hôtel, et de 1 sur 5 pour les 2 autres.
342
Questionnaire "finance". Voir p. 259 et ss.
333
obligatoire que dans une entreprise sur deux. Dans l'étude de rentabilité, le risque n'est
pris en compte dans la fixation du taux d'actualisation que dans environ une entreprise sur
cinq. Ce résultat n'est pas anodin : l'un des principaux arguments avancés par les
économistes pour justifier de la non adoption d'investissements en efficacité énergétique
par les entreprises (présentées comme des agents économiques rationnels) est le risque
élevé associé à ces investissements (en raison principalement de leur illiquidité ou en
raison des variations défavorables des prix de l'énergie). Un risque élevé justifie un taux
d'actualisation élevé. Or nous voyons ici que le risque est assez peu pris en compte par les
entreprises, que ce soit au niveau de la phase d'étude des projets, ou au niveau de la
détermination du taux d'actualisation. L'argument avancé par les économistes de l'énergie
semble donc infondé.
La troisième conclusion importante à retirer des résultats de la recherche est celle
de la diversité des comportements et des interprétations d'une entreprise à l'autre, d'un
manager à l'autre. Cette diversité se manifeste dans tous les domaines analysés par la
recherche : procédures générales d'investissement (méthodes d'analyse et d'évaluation de
la rentabilité, fixation du taux d'actualisation et durée de l'investissement), comportement
d'investissement en efficacité énergétique, évaluation du caractère stratégique de cette
catégorie d'investissement, évaluation des facteurs stimulants et bloquants ces
investissements, niveau de gestion de l'énergie. Cette diversité des comportements et des
analyses se remarque en particulier entre entreprises actives dans le même secteur
d'activités et présentant les mêmes caractéristiques. A cet égard, on peut donner comme
exemple les entreprises no. 17 et 18 de l'échantillon. Elles font le même métier (chimie
fine) et sont de taille similaire (5.000 et 1.900 personnes occupées). Or on constate des
différences importantes entre elles à tous niveaux :
334
Entreprise Entreprise
17 18
PROCEDURE D'INVESTISSEMENT
Etapes dépendent de la catégorie oui non
Méthode d'évaluation dépend de la catégorie non oui
Etude du risque obligatoire non oui
fonction de la catégorie oui non
Pay-back non oui
VAN oui non
Fixation du taux d'actualisation
forfaitaire non oui
prise en compte risque du secteur oui non
CMPC (WACC) oui non
Prise en cpte cond. financement oui non
CARACTERE STRATEGIQUE DES INV. EN EE
Managers énergie 8 4
Managers finance 11 7
FACTEURS STIMULANT INV. EN EE (sur 5)
Managers énergie 3,3 4,5
Managers finance 2,9 2,6
FACTEURS BLOQUANT INV. EN EE (sur 5)
Managers énergie 1,9 3,1
Managers finance 1,9 1,9
NIVEAU DE GESTION DE L'ENERGIE 7 19,5
"Delivered in a variety of forms, gas, electricity, oil, coal, wood etc., energy permits countless
services and is embodied in almost everything we find around us. Both everywhere, and nowhere,
it remains a mysterious if not magical feature of everyday life.”
Shove (1997, p. 1)
344
Repris de la page 302. Rappelons que 33 entreprises sont représentées sur ce graphique. Le 4ème point
depuis la gauche dans le haut du tableau, superpose les résultats identiques de deux entreprises.
345
33 entreprises sont représentées sur le graphique. Deux entreprises de l'échantillon n'y figurent pas car
elles n'avaient pas répondu à l'ensemble des questions sur le caractère stratégique des investissements d'une
part, et sur le niveau de gestion de l'énergie d'autre part. Il s'agit des entreprises no. 6 et 21, comme le
montre aussi le tableau de la page précédente. La stratégicité des investissements est représentée en absysse
et le niveau de gestion de l'énergie en ordonnée.
337
Entreprises no. 18 – 24 – 4
Entreprise no. 22
20 15
WGestion_Energie
10
Entreprises
no.
5
11
26
Entreprise no. 32 28
0
4 6 8 10 12 14
Wstrategie
La corrélation entre les deux groupes de variables doit donc être analysée en
examinant de plus près les cas extrêmes. Ceux-ci se répartissent en deux groupes : le
premier groupe comprend 3 entreprises, qui perçoivent les investissements en efficacité
énergétique comme faiblement stratégiques et ont pourtant un niveau très élevé de
gestion de l’énergie (supérieur ou égal à 17,5 sur 22). Le deuxième groupe comprend 3
entreprises, qui perçoivent les investissements comme moyennement stratégiques, et ont
pourtant un niveau de gestion de l’énergie quasiment inexistant (inférieur ou égal à 3 sur
22). Ces deux groupes sont représentés dans le tableau de la page suivante. Ils sont aussi
entourés dans le graphique ci-dessus, de même que les entreprises No. 32 et 22. Le cas
des entreprises dont les points sont entourés dans le graphique est discuté plus en détails
dans les pages suivantes.
338
Dimension
Entr. stratégique Energy Mgt
No. Secteur d'activité sur 15 Score sur 22
18 Chimie 4 1 2 1 19.5
24 Acier 5 1 3 1 17.5
4 Grande distribution 7 1 4 2 19.0
28 Acier 10 2 5 3 0.0
26 Acier 10 4 4 2 2.0
11 Information financière 10 1 5 4 3.0
Tableau 23 – "Cas extrêmes" stratégicité – gestion de l'énergie
ressources est "une question d'honneur"346. Dans l'entreprise depuis 2001, il a développé
de façon réellement passionnée une gestion de l'énergie à un niveau élevé (17,5 sur 22) :
l'énergie est intégrée dans la gestion de la qualité, l'entreprise est en train d'introduire un
système de gestion globale des risques, l'audit NOE est le 4ème audit réalisé en 4 ans,
"l'analyse va toujours plus dans le détail". Mais ces réalisations ne sont pas
représentatives de la dimension stratégique de l'énergie (5 sur 15) pour la direction de
l'entreprise, une société d'investissement (private equity) basée en Suisse alémanique, qui
a racheté l'entreprise en 2005. Le dernier cas, le plus difficile à interpréter, est celui de
l’entreprise No. 4, grande distribution, 3ème point depuis la gauche dans le haut du
tableau. Ici, on peut avancer que la faible stratégicité des investissements en efficacité
énergétique ne doit pas înterprétée au pied de la lettre, pour deux raisons. Premièrement
les réponses du responsable de l’énergie de Genève (entretien du 9 juin 2006) semblent
contradictoires : en effet, il évalue comme peu importante la contribution des
investissements en efficacité énergétique à la réduction des risques, à l’augmentation de
la valeur de l’offre et à l’image de marque de l’entreprise. Mais, par contre, dans les
facteurs stimulants les investissements en efficacité énergétique, ce même responsable
évalue comme importante ou très importante, la contribution de ces investissements à la
réduction des risques de prix et d’approvisionnement de l’énergie, à l’amélioration de la
position concurrentielle de l’entreprise, et à son image environnementale. Notons
cependant, que le responsable de l’énergie mentionne aussi dans l’entretien que "les
services techniques sont au service du département commercial, qui est le client et qui
paye", or il y a souvent des désaccords entre les deux services qui ne poursuivent pas les
mêmes objectifs : le département commercial veut vendre, le département technique veut
améliorer le confort du client et réduire la consommation d’énergie. Les employés du
département technique sont donc considérés en quelque sorte comme des empêcheurs de
danser en rond par les employés du département commercial. On pourrait voir ici la
raison de l’interprétation par le responsable énergie de la faible contribution stratégique
des investissements en efficacité énergétique à la valeur de l’offre de l’entreprise. Une
deuxième raison permet de penser que la valeur stratégique des investissements en
efficacité énergétique est plus élevée pour l’entreprise que ne le perçoit le responsable de
346
Entretien du 21 mars 2007.
340
la réduction des risques (surtout les risques de prix) et la réduction des coûts qui sont
induites par des investissements en efficacité énergétique et comme non importante leur
contribution à la valeur de l’offre. Les frais d’électricité s’élèvent en 2006 à 5% du
chiffre d’affaires, dont 75-80% sont utilisés pour la production. Une réduction des coûts
est pour l’entreprise un impératif stratégique pour résister à la concurrence (par exemple,
les coûts de production en Allemagne pour ce type d’activité sont 40% moins élevés
qu’en Suisse). Malgré cette préoccupation stratégique, on "manque de temps pour
l’efficacité énergétique" et, d’ailleurs, "l’énergie pour nous, c’est une commodité"
(entretiens des 21 février et 8 mars 2007). Cette perception de l’énergie comme une
marchandise explique probablement pourquoi, malgré une stratégicité assez élevée des
investissements en efficacité énergétique, la gestion de l’énergie est quasiment inexistante
(et probablement aussi la très petite taille de l'entreprise). Dernier cas de stratégicité assez
élevée et de gestion de l’énergie très basse, l’entreprise No. 11, spécialisée dans
l’information financière aux entreprises et aux particuliers, 15.000 employés dont 550 à
Genève. Le siège de l’entreprise est à Londres et son CEO est juriste de formation. La
personne en charge de l’énergie à Genève est électronicien mécanicien de formation, sans
compétence en gestion. Les décisions sont prises à Londres. L’usage respectueux des
ressources est un axe de différentiation stratégique de l’entreprise, ce qui explique que le
responsable de l’énergie évalue les investissements en efficacité énergétique comme
importants pour la valeur de l’offre, presque aussi importants que pour la réduction des
coûts. Par contre il évalue l’amélioration de l’efficacité énergétique comme non
importante pour la réduction des risques auxquels est confrontée l’entreprise. Or, comme
il l’indique lui-même au cours de l’entretien (6 octobre 2006), l’usage de l’électricité est
problématique dans le bâtiment, qui date de 1997 et n’a pas été audité depuis sa
construction. "L’électricité c’est la bête noire car il y a beaucoup de pannes". Le bâtiment
chauffe et la climatisation ne fonctionne pas bien, alors que les 8.000 serveurs du data
center ont un besoin vital d’un approvisionnement électrique et d’une température
stables. Une meilleure efficacité et une meilleure gestion énergétiques permettraient
d’augmenter la sécurité et la fiabilité des installations, qui sont au cœur du métier de
l’entreprise. Comment, dans ce contexte où l’efficacité énergétique apparaît à tous égards
(réduction des coûts et des risques, augmentation de la valeur de l’offre) comme un
342
No. 22 est celle qui associe, presque emblématiquement, un très haut niveau de gestion de
l’énergie (18 sur 22) avec une perception élevée du caractère stratégique des
investissements en efficacité énergétique (13 sur 15). Le point opposé à l’entreprise No.
22 sur la figure no. 57 (voir p. 337) est celui de l’entreprise No. 32 (2ème point depuis la
gauche, dans le bas du graphique), entreprise horlogère suisse. Le niveau de gestion de
l'énergie est de …0 sur 22. Comme l'avoue le responsable du projet NOE dans
l'entreprise347 (diplômé de l'Ecole Hôtelière, dans l'entreprise depuis moins d'un an) :
"jusqu'à présent on ne savait même pas combien on consommait… Personne ne s'était
posé de questions jusqu'à l'année passée". Ici le moteur – récent - du changement est un
"concept écolo-économique": conscience environnmentale et responsabilité sociale de
l'entreprise d'une part, réduction des coûts d'autre part. La dimension stratégique des
investissements en efficacité énergétique n'est pas très élevée pour cette entreprise (5 sur
15). La dimension stratégique ne pourra évoluer vers un niveau très élevé car, dans
l'horlogerie de luxe, des coûts bas ne sont pas un impératif stratégique (de toutes façons
les coûts de l'énergie sont s’élèvent seulement à 0,1% du chiffre d'affaires) et la valeur
des produits, telle qu'elle est perçue par les clients, ne dépend pas de l'image
environnementale, ni de la qualité des services énergétiques (contrairement à la situation
d'un grand magasin, par exemple, dans lequel la qualité de l'éclairage, et le confort
thermique sont essentiels pour les ventes). Cependant, cette entreprise horlogère,
correctement accompagnée, développera une culture de l'efficacité énergétique et une
perception plus élevée de la dimension stratégique de l'énergie (par exemple en termes de
réduction des risques de production, grâce à une température et un taux d’humidité mieux
contrôlés).
Les descriptions qui viennent d'être faites montrent enfin qu'une meilleure
connaissance des entreprises, faisant le lien avec leur métier, leur histoire et leur culture,
ouvre des axes d'action pour les programmes publics de promotion de l'efficacité
énergétique. La nécessité d'adopter une approche personnalisée à l’égard des entreprises
prend à nouveau tout son sens, qui permet de leur fournir une assistance technique (tant
en termes de projets en efficacité énergétique qu’en terme de procédures de gestion), en
347
Entretien du 9 mai 2007.
344
suscitant ou en accélérant leur évolution vers une intégration de l’énergie dans leurs
préoccupations stratégiques et leurs systèmes de contrôle.
Deuxième conclusion, même si l'hypothèse 2 n'est pas validée, l'influence de la
dimension culturelle se manifeste dans les réponses différentes des managers énergie et
finance. Ici ce sont les cultures professionnelle et fonctionnelle qui influencent les
perceptions des managers. En effet, les managers énergie estiment comme étant plus
importants les avantages stratégiques "réduction des coûts" et "augmentation de la
valeur" des investissements en efficacité énergétique. Les managers finance estiment, par
contre, à un niveau plus élevé la dimension "réduction des risques" de ces
investissements. Mais leurs réponses sur les facteurs stimulant et bloquant les
investissements en efficacité énergétique (voir p. 301 et ss.) indiquent qu'ils estiment
comme plus efficaces que leurs collègues en charge de l'énergie les installations
techniques de leur entreprise, et comme moins importants les coûts de l'énergie, et que le
premier obstacle à leurs yeux est l'existence d'autres investissements plus importants. Ils
sont également plus incertains sur le choix et la qualité des technologies efficaces en
énergie, dans lesquelles leur entreprise pourrait investir. Pour toutes ces raisons, les
managers finance risquent de pas être favorablement disposés à l'égard de projets
d'investissements en efficacité énergétique, ce qui pénalise lourdement cette catégorie
d'investissement, dans la mesure où les managers finance ont généralement plus de
pouvoir que les managers en charge de l'énergie. Cette analyse relativise les résultats
encourageants sur les facteurs stimulant et bloquant les investissements en efficacité
énergétique qui montrent que, dans l'ensemble, les facteurs bloquant les investissements
en efficacité énergétique sont moins élevés que les facteurs stimulant ces
investissements348.
Le troisième résultat marquant est le fait que la diversité des comportements entre
les entreprises exclut toute logique d’influence du secteur d’activité sur les décisions
d’investissement. Cette généralisation doit s’entendre avec des exceptions : par exemple,
comme je l’ai mentionné à différentes reprises, des coûts bas sont un impératif
stratégique pour certains secteurs. Mais, dans l’ensemble, la logique de choix et d’action
est particulière à chaque entreprise. A cet égard, le filtre de la culture d’entreprise joue un
348
Voir p. 299 et ss.
345
rôle important. Pourtant, dans le domaine de l’efficacité énergétique, ce rôle a été très peu
étudié. Je n’ai pas cherché à idenfier systématiquement les valeurs attachées à la culture
de l’efficacité énergétique ou à la conservation de l'énergie dans les entreprises.
Cependant des mentions de ces valeurs sont apparues de façon spontanée au fil des
interviews. On peut les regrouper en six catégories :
• Gestion économe des ressources et économie de coûts.
• Intégration qualité – sécurité.
• Veille technologique – esprit pionnier/précurseur.
• Préservation de l’environnement – responsabilité sociale de l'entreprise.
• Conditions de travail.
• Autonomie.
Le quatrième résultat marquant de la recherche à propos de la dimension
culturelle de l'efficacité énergétique dans les entreprises, est le niveau dans l'ensemble
assez bas de leur gestion de l'énergie. Qu'est-ce qu'une gestion de l'énergie ?
Contrairement à ce qui est souvent considéré par les praticiens de l'efficacité énergétique
(en particulier les responsables de l'énergie dans les entreprises et les bureaux
d'ingénieurs conseils qui les assistent), gérer n'est pas synonyme de mesurer (même s'il ne
saurait y avoir de gestion sans mesure). La mesure n'est que l'une des dimensions de la
gestion. Gérer consiste, pour une activité ou un processus donné, à prévoir, organiser,
choisir, agir et réagir, en fonction de différents horizons temporels (pluriannuel, annuel,
trimestriel, mensuel, quotidien, etc.) La gestion de l'énergie dans les organisations
(entreprises et administrations publiques), englobe donc des "actions organisationnelles,
techniques et économiques qui permettent d'utiliser les différentes formes d'énergie de
façon plus efficace et, en général, de minimiser la consommation d'énergie de façon
rentable" (Bess, 2007, p. 9). La gestion de l'énergie est un processus d'amélioration
continue puisque, à la fin de chaque cycle, les résultats sont mesurés et évalués et le plan
d'action est ajusté, ou redéfini. Ce processus est illustré dans le schéma de l'agence
américaine de l'énergie Energy Star349 :
349
www.energy.star.gov
346
En matière de gestion de l'énergie, les résultats les plus frappants sont les
suivants: le score obtenu par les entreprises de l'échantillon en matière de gestion de
l'énergie est bas dans l'ensemble, avec une moyenne de 8,6 points sur 22. Cette moyenne
masque de grandes différences entre entreprises, y compris au sein du même secteur
d'activité, mais on constate néanmoins que 27 entreprises sur 35 n'ont pas de gestion
systématique de l'énergie ou bien ont un système très imparfait. Ces résultats sont
similaires à ceux d'autres recherches (BSI, 2009; Flint et al., 2005; Rigby, 2002; Sæle et
al., 2005; Thollander et Ottosson, 2010 ; Tunnessen, 2004350) et ne sont pas insignifiants.
En effet, pour la plupart des entreprises, l'énergie est, en termes comptables, une
ressource d'usage indirect, qui ne fait "que" contribuer au fonctionnement des divers
appareils et équipements; elle est incluse dans les frais généraux (comme un coût) et non
pas dans les coûts des matières vendues (comme une source de profit). L'énergie elle-
même est souvent invisible en termes physiques – ne sont visibles ou perceptibles que les
services énergétiques, tels que l'éclairage, le chauffage ou la mobilité. Or ce qui n'est pas
visible est facilement oublié (Stern, 1992). Quand il n'y a pas de système de gestion de
l'énergie, l'énergie est aussi invisible en termes managériaux, devenant ainsi doublement
350
Voir le chapitre "autres perpectives sur les barrières organisationnelles", p. 75 et ss.
347
invisible. Dans une organisation dans laquelle le niveau de gestion de l'énergie est bas, et
dans laquelle la catégorie d'investissement "pour réduire la consommation énergétique"
n'existe pas, un projet d'investissement en efficacité énergétique sera plus difficilement
classé, et interprété comme stratégique au moment de la phase du diagnostic.
Remarquons, à propos d'invisibilité, que l'énergie est aussi invisible dans la
littérature sur le management stratégique. Energie, gestion de l'énergie, et services
énergétiques ne sont pas mentionnés dans la littérature du courant "strategy content", que
ce soit dans le courant de la chaîne de valeur ou dans celui de la la RBV (Resource Based
View), comme une source d'avantage concurrentiel351. Ces éléments ne sont pas
mentionnés du tout d'ailleurs, à quelques exceptions près. Dans la chaîne de valeur, c'est
dans l'infrastructure qu'on doit classer la composante physique de l'entreprise (bâtiments
et machines) et le système de gestion de l'énergie. Quant à l'énergie (dans ses différentes
formes: électricité, essence, combustible de chauffage), elle doit être classée dans les
approvisionnements bien qu'elle soit utilisée, médiatisée en quelque sorte, par les
ressources physiques. Cependant ni Porter (1985), ni Johnson et Scholes (1999) ne
mentionnent ces deux dimensions dans leur description de la chaîne de valeur. De même
dans le courant RBV, les ressources physiques sont implicitement considérées par
Bingham et Eisenhardt (2008) comme des éléments de moindre importance, puisqu'elles
sont considérées comme des ressources à usage spécifique et limité. Hammer (2003) de
même que Teece et al. (1997) notent aussi que la composante physique de l'organisation
est celle qui, depuis quelques années, est la moins valorisée par le management, par
opposition aux ressources non-matérielles. Deux auteurs seulement - dans la littérature
sur les organisations et non pas dans la littérature stratégique - prennent en compte la
composante physique de l'organisation – tout en mentionnant qu'elle est généralement
négligée. Il s'agit de Livian (2005, p. 50) et de Pfeffer (1997, p. 198). Selon Livian, la
composante physique352, "essentielle", peut être regroupée en deux éléments liés : ce qui
ressort de la distribution dans l'espace (localisation, flux de matières et d'énergie…) et ce
qui ressort du matériel (équipements techniques et bâtiments). Livian (2005, p. 51) insiste
sur l'importance des bâtiments, qui structurent l'espace, contribuent à exprimer l'identité
351
Voir p. 184 et ss.
352
Qui est l'une des quatre composantes de l'organisation avec la structure organisationnelle, la composante
humaine, et l'appareil gestionnaire.
348
de l'entreprise, et "traduisent parfois le type de lien qui existe entre l'entreprise, la main-
d'œuvre et sa technologie au sein d'un "paysage industriel"". Pfeffer (1997) mentionne le
lien entre espace physique et performance, qui s'exerce par l'intermédiaire de dimensions
telles que la qualité acoustique et visuelle, ou encore le confort thermique d'un bâtiment.
Le fait que l'énergie en général, et l'électricité en particulier, soit une ressource d'usage
indirect, diffuse et invisible, et incluse dans la composante la plus négligée par les
entreprises et par la littérature sur le management stratégique explique certainement en
partie le désintérêt avec lequel la traitent de nombreuses organisations.
Mais, en matière d'énergie comme dans d'autres sujets, la culture des entreprises -
et celle des groupes qui en font partie - est influencée par la société dans laquelle elles
sont insérées. Or une certaine culture de l'énergie prévaut dans les pays industrialisés
(bien sûr des particularismes régionaux ou nationaux pourraient - et devraient - être
identifiés). Elle a été forgée lentement par le système énergétique en place dans ces pays
depuis environ deux cents ans. Il s'agit d'un système hautement centralisé,
monopolistique et désincarné, qui produit l'énergie loin du lieu de sa consommation. On
peut considérer que ce système a créé une "culture de la fée énergie". Ce terme est
emprunté à l'expression démodée de la "Fée Electricité", employée en Europe de l'ouest il
y a quelques décennies, pour illustrer la conviction générale et inconsciente que l'énergie
provient d'une source inconnue et quasiment magique, et peut être consommée de façon
illimitée. "Both everywhere, and nowhere, it remains a mysterious if not magical feature
of everyday life" (Shove, 1997). Trois convictions tenues pour acquises353 sous-tendent
cette "culture de la fée énergie" qui prévaut dans les pays industrialisés. La première est
l'association qui est faite entre l'énergie et la liberté, entre l'énergie et la belle vie354 (Stern
& Aronson, 1984). L'énergie est le symbole du mode de vie du "toujours plus". La
deuxième conviction tenue pour acquise de la culture de la fée énergie est le fait que
l'approvisionnement énergétique peut être considéré comme allant de soi et garanti (taken
for granted). L'électricité en particulier est considérée inconsciemment comme aussi
disponible et gratuite que l'air que nous respirons. D'où vient l'électricité? Du mur …
Enfin, il me semble que la troisième conviction tenue pour acquise de la culture de la fée
353
Voir le chapitre sur "cognition et culture(s) organisationnelle(s), p. 161 et ss.
354
"… the association between energy and freedom, between energy and the “good life”… Energy is the
symbol of the “ever-increasing” way of life." (Stern & Aronson, 1984, p. 46)
349
355
Voir le chapitre "autres perpectives sur les barrières organisationnelles", p. 75 et ss.
350
356
Une conséquence importante de ces caractéristiques du système énergétique dans les pays industrialisés
est le fait que le débat concernant l'évolution vers un système énergétique plus durable est plus un débat
entre centralisation et décentralisation qu'entre énergies fossiles ou nucléaires et renouvelables, comme il
est généralement présenté.
357
Qui posait que "la culture de l'efficacité énergétique de l'entreprise exerce une influence sur la
perception du caractère stratégique de la décision d'investissement en efficacité énergétique
351
358
Plus exactement elle est validée en ce qui concerne la perception du caractère stratégique des
investissements dans le secteur tertiraire et partiellement validée pour le secteur secondaire (voir p. 316 et
ss).
352
359
Voir p. 323 et ss.
360
Elle n'est pas totalement validée car les entreprises du secteur tertiaire de l'échantillon considèrent
comme "moyennement" stratégiques ces investissements. Ce point mérite aussi une recherche plus
approfondie.
353
5. Conclusion
été atteint, mais pas le deuxième, en raison du petit nombre d'entreprises participant au
programme NOE et à leurs activités très diversifiées.
Des différences dans le mode d'administration des questionnaires peuvent
également être reprochées à la recherche empirique, dans la mesure où elles auraient pu
biaiser les réponses : présence d'Olivier Ouzilou, directeur du Service cantonal de
l'énergie, à certains entretiens seulement. Entrevue avec les responsables de l'énergie
mais pas avec les managers finance.
On peut néanmoins penser que, dans l'ensemble ces différents défauts sont, au
moins en partie, compensés par l'accès privilégié que l'appui du Service cantonal de
l'énergie a permis d'obtenir auprès des entreprises participant au programme NOE, et la
qualité des données qui en a résulté. Ces défauts sont compensés d’autre part par le fait
que les entreprises interviewées correspondent, en nombre, à 60% de la population
étudiée (les entreprises requérantes NOE) et à 20% du segment de marché "Grands
Consommateurs" de SIG. Rappelons à cet égard que De Bodt et Bouquin (2001), au
départ d'un envoi postal à 1000 entreprises françaises issues de la base Dafsa Pro (qui
contient l'ensemble des grandes entreprises françaises considérées par les éditeurs de la
base de données comme les "plus représentatives" du tissu industriel français), n'ont
obtenu que 44 questionnaires valablement remplis.
Telle quelle, avec ses imperfections, la présente recherche, la première à faire un
lien entre les domaines de la décision et de la finance organisationnelles d’une part et le
domaine des investissements en efficacité énergétique d’autre part, la première également
à tenter d'identifier des différences dans les perceptions et réponses d'acteurs de
différentes fonctions au sein des entreprises, a quand même réussi à mettre en évidence
des tendances intéressantes en matière de comportement général d'investissement des
entreprises, et à valider, au moins partiellement, un cadre théorique cohérent.
Tant les défauts énumérés ci-dessus, que les résultats obtenus tracent des pistes
pour des travaux futurs. Ces travaux s’inscrivent dans deux axes : le premier axe
concerne la décision générale d’investissement dans les entreprises, qui reste mal connue.
Beaucoup est à faire, en particulier, pour mieux comprendre l’impact des caractéristiques
du projet considéré sur le processus et les choix d’investissement. Le deuxième axe de
recherche concerne les investissements en efficacité énergétique.
355
Malgré les limitations énumérées ci-dessus, on peut admettre que les objectifs de
la recherche ont été atteints. Ces objectifs étaient d'abord d'approfondir les connaissances
dans le domaine général de la décision d'investissement dans deux directions :
premièrement, en complément des recherches antérieures, poursuivre et approfondir
l'analyse de l'influence respective des dimensions financière et stratégique sur la décision
d'investir. Deuxièmement, étudier les interactions éventuelles entre ces dimensions, en
particulier l'influence du niveau de stratégicité sur l'exigence de rentabilité financière
(plus stratégique l'investissement, plus basse l'exigence de rentabilité?).
Un troisième objectif consistait à tester la validité du modèle théorique de la
décision d'investir proposé, en l'appliquant à la catégorie particulière des investissements
en efficacité énergétique. On peut considérer que le modèle théorique de la décision
d'investir décrit et explique correctement les choix décisionnels effectués dans la réalité
par les entreprises : la décision d'investir n'est pas le résultat d'une évaluation financière;
elle est le produit du déroulement complexe d'un processus influencé par les perceptions
et le pouvoir des acteurs, par le contexte, et par les caractéristiques du projet
d'investissement lui-même, en particulier son caractère plus ou moins stratégique. Il n'y a
pas de choix optimal en matière d'investissement. Il n'y a pas une rationalité mais des
rationalités, entendues comme les raisons qui sous-tendent les choix des agents
économiques, individus et organisations. Ce modèle théorique apparaît donc comme un
outil d'analyse utile pour analyser les choix d'investissement des entreprises et, si
nécessaire, pour les influencer en amont.
L'approche interprétative361 qui sous-tend cette analyse conduit à conclure au
caractère normatif – par opposition à descriptif – de la théorie économique des choix
d'investissement, en relativisant le rôle de la rentabilité, qui est au cœur de cette théorie.
Cette approche conduit aussi à questionner le pouvoir explicatif du modèle de la
rationalité limitée (modèle explicatif "élargi" de l'approche économique362), en mettant en
361
Voir p. 205 et ss.., p. 219 et ss...
362
Voir p. 67 et ss.
357
évidence des influences culturelles qui, en modifiant les interprétations des décideurs,
jouent un rôle qui va au-delà de celui des biais cognitifs mis en exergue par cette théorie.
Ce modèle de la décision d'investir permet de mieux comprendre pourquoi, dans
de nombreux cas, les propositions d'investissements en efficacité énergétique aboutissent
à des non-décisions (en restant en suspens dans les tiroirs des décideurs, comme c'est le
cas pour de nombreux audits énergétiques), ou à des décisions négatives : quand l'énergie
et l'efficacité énergétique sont des sujets invisibles et secondaires, perçus comme
contribuant médiocrement au métier, les investissements correspondant sont catégorisés
comme non stratégiques par l'organisation. Ils sont soutenus par des managers de niveau
subalterne, investis de peu de pouvoir. Ils ne peuvent donc gagner la compétition pour les
ressources financières, pour le temps et l'énergie des managers puissants des fonctions
dominantes, ou pour le soutien politique de la haute direction.
Cette analyse semble pertinente en ce qu'elle permet d'expliquer les constatations
faites par la littérature alternative dans le domaine des investissements en efficacité
énergétique qui ont été décrites dans la première partie de ce mémoire363, et de répondre
aux questions que cette littérature laisse inexpliquées, faute de disposer d'un cadre
théorique : pourquoi le lien avec le métier est-il important pour la décision d'investir?
Pourquoi les investissements en efficacité énergétique semblent-ils soumis à un contrôle
plus strict et à des exigences plus élevées que d'autres dépenses ? La réponse, au terme de
cette recherche théorique et empirique menée au carrefour des domaines de l'économie de
l'énergie et de la décision dans les organisations, est que l'absence de lien (perçu) avec le
métier conduit à ce qu'un investissement soit catégorisé comme non stratégique, ce qui
implique qu'il sera soumis à des conditions plus dures (par exemple un pay-back simple
de très courte durée) et à des restrictions en capital. D'autre part, plusieurs recherches de
la littérature alternative sur la décision d'investir en efficacité énergétique signalent que
l'énergie ne fait pas partie de la culture de nombreuses organisations, en constatant (y
compris dans des secteurs industriels intensifs en énergie) une absence de "conscience
énergétique" qui pénalise la façon dont l'énergie est traitée et, par suite, les
investissements en efficacité énergétique. La perspective interprétative, en donnant un
rôle central aux filtres individuels et organisationnels dans l'évaluation des projets
363
Voir p. 75 et ss.
358
364
Voir à ce sujet la section sur les barrières à l'efficacité énergétique p. 60 et ss.
365
Voir p. 47 et ss.
366
Déjà présenté dans la section "perspective économique sur les barrières à l'efficacité énergétique", p. 80.
359
Figure 53 - Barrières considérées comme très importantes dans les différents pays et secteurs
(Sorrel et al., 2000, p. XXV)
Les "coûts cachés" font référence, dans la recherche de Sorrel et al. (2000), aux
coûts de gestion de l'énergie, mais cette question semble mériter de plus amples
recherches. En effet, pour la majorité des entreprises de l'échantillon genevois ayant
répondu (52%), il n'y a pas de coûts imprévus qui pourraient pénaliser les investissements
en efficacité énergétique367.
La barrière "contraintes budgétaires" fait référence, dans la recherche de Sorrel et
al. (2000) à des problèmes de disponibilité de capital et/ou d'allocation de budgets. Les
contraintes budgétaires sont présentées dans la littérature comme l'une des plus
importantes barrières368 aux investissements en efficacité énergétique. Or selon notre
modèle théorique de la décision d'investir, le problème n'est pas un manque de moyens
financiers, mais une compétition entre investissements qui conduit à ce que les
enveloppes financières soient attribuées en priorité aux investissements perçus comme
stratégiques. Et, comme la présente recherche l'a démontré, les investissements en
367
Voir p. 288 et ss.
368
Voir la section consacrée à la perspective économique sur les barrières organisationnelles à l'efficacité
énergétique, p. 67 et ss.
360
efficacité énergétique sont souvent perçus par les entreprises, comme faiblement ou
moyennement stratégique.
En ce qui concerne le risque, enfin ma recherche montre qu'il est relativement peu
présent dans les analyses et les évaluations financières que les entreprises font des projets
d'investissement. D'autre part, de nombreuses organisations n'associent aucun risque à la
fourniture d'énergie et, par conséquent, ne se considèrent pas comme dépendantes à
l'égard de cette ressource. Or, conformément à la théorie de la dépendance des ressources
(Pfeffer et Salancik, 1984), pour qu'une dépendance existe, il faut non seulement qu'une
ressource soit vitale pour l'activité de l'organisation, mais encore qu'il y ait une menace
sur sa fourniture. C'est seulement quand ce risque existe – ou est perçu comme existant –
qu'une ressource est considérée comme stratégique. A nouveau, la question de
l'interprétation joue un rôle clé.
Notre modèle théorique de la décision d'investir, et les résultats de la recherche
empirique, conduisent, en alternative à l'approche dominante brièvement rappelée ci-
dessus, à proposer un autre modèle explicatif des barrières organisationnelles à l'efficacité
énergétique, qui est représenté par le tableau ci-dessous.
Barrière
“cachée”
Barrière
“réelle”
Barrières
“symptômes”
Barrière
“base” Dimension
Caractère culturelle
non
Coûts cachés
stratégique
Accès au capital,
Information Risque, etc.
"Make it strategic!"
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383
7.1 Figures
7.2 Tableaux
8. Annexes
Annexe 1 – Questionnaire 1. Caractéristiques de l'entreprise..............................................................….. 386
Annexe 2 – Questionnaire 2. Volet énergie…............................................................................................ 389
Annexe 3 – Questionnaire 3. Volet finance………………………………...……………………………. 398
386
ANNEXE 1
O Intérêts suisses
O Intérêts étrangers
De quelle(s) nationalité(s) ? ______________________________________
O A Genève
O En Suisse alémanique
O A l'étranger
O Locale
O Régionale
O Nationale
O Internationale
387
O Inférieur à
O Entre ... et ...
O Entre ... et ...
O Entre ... et ...
O Supérieur à ....
O Ingénieur
O Financier
O Marketing
O Commercial
O Autre Merci de préciser : ___________________
11.17 Depuis combien de temps sont en poste dans l’entreprise les responsables
suivants :
ANNEXE 2
Questionnaire 2 : VOLET ENERGIE
2. PROJET NOE
- Au Canton de Genève O Oui, très O Oui, assez O Neutre O Plutôt non O Non
- Aux SIG O Oui, très O Oui, assez O Neutre O Plutôt non O Non
- A votre entreprise O Oui, très O Oui, assez O Neutre O Plutôt non O Non
2.5 Pensez-vous que la réussite du projet NOE dans votre entreprise (c'est-à-dire,
l'adoption de technologies efficaces et la réduction de votre consommation
d'électricité) soit importante pour les raisons suivantes?
Classer par ordre d’importance (1 = le moins important - 5 = le plus important)
2.6 Etes-vous optimiste quant à la réussite du projet NOE dans votre entreprise :
2.7 Si oui, pour quelles raisons (quels sont les facteurs stimulants que vous
entrevoyez) ?
________________________________________________________________________
2.8 Si non, pour quelles raisons (quels sont les obstacles principaux que vous
entrevoyez) ?
________________________________________________________________________
2.10 Quels sont à votre avis les facteurs influençant favorablement la décision
d’adopter de nouvelles technologies économisant l’énergie :
Merci de classer par ordre d’importance (1 = le moins important - 5 = le plus important)
2.11 Pensez-vous que la réalisation des mesures identifiées par NOE risque
d’entraîner des coûts imprévus pour l’entreprise?
O Oui O Non O Sans opinion
Si oui, lesquels ?
________________________________________________________________________
2.13 Pensez-vous que la réalisation des mesures identifiées par NOE risque
d’entraîner des avantages imprévus pour l’entreprise?
O Oui O Non O Sans opinion
Si oui, lesquels ?
________________________________________________________________________
2.15 Quelle est, d’après vous, l’origine de l’électricité que vous consommez ?
________________________________________________________________________
2.17 Quel(s) soutien(s) vous seraient le plus nécessaire(s) pour assurer la réussite du
projet NOE au sein de votre entreprise (réalisation des mesures identifiées par
l’audit approfondi) :
2.19 Quelles mesures financières destinées à assurer le succès du projet NOE vous
semblent le mieux adaptées à la politique financière de votre entreprise ?
O Subventions
O Prêts à intérêt bonifié
O Rabais d’impôt
Commentaires éventuels :
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
393
3. Gestion de l’énergie
3.1 L’efficacité énergétique est considérée comme un sujet important dans votre
entreprise :
O Oui O Non
3.2 Intensité énergétique : quel pourcentage les coûts totaux de votre consommation
énergétique (combustibles fossiles et électricité) représentent-ils ?
3.4 Pensez-vous que l’impact potentiel sur votre rentabilité de changements dans les
prix et/ou la consommation de l'énergie est important? O Oui O Non
3.6 L’entreprise a mis en place les activités suivantes en relation avec l’énergie :
(Cocher les cases adéquates)
O évaluation de sa performance énergétique (benchmarking)
O Définition d’une baseline
O Définition d’indicateurs de mesure de la performance énergétique
O Elaboration d’une politique énergétique
O Fixation d’objectifs mesurables de réduction de la consommation
O Collecte des données relatives à la réalisation de ces objectifs
O Définition des mesures de mise en œuvre permettant la réalisation des objectifs
fixés
3.7 Le cas échéant, quelles ressources ont-elles été allouées à la mise en œuvre ?
(Cocher les cases adéquates)
O Ressources humaines (ex. équipe-projet)
O Ressources techniques (ex. compteurs)
O Ressources informatiques (ex. logiciel de gestion)
3.9 Le cas échéant, cumule-t-il cette fonction avec une autre fonction dans
l’entreprise?
394
O oui O non
Si oui, laquelle ? _______________________________________
3.11 Le cas échéant, l'entreprise a-t-elle mis en place, en liaison avec la politique
énergétique : (Cocher les cases adéquates)
O un système de formation du personnel
O un système de gratifications en cas d'atteinte des objectifs fixés
O un système d'évaluation des résultats
O une procédure de révision des objectifs ?
3.14 Le cas échéant, prenez-vous en compte ces avantages indirects dans votre
calcul de rentabilité de l’investissement en technologies efficaces en énergie ?
O oui O non
Mesure 1 ______________________________________________________
Mesure 2 ______________________________________________________
Mesure 3 ______________________________________________________
Commentaires éventuels :
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
395
O Programme de recyclage
O Déclaration de politique environnementale
O Publication d’un rapport environnemental ou de développement durable
O Evaluation de l’impact environnemental de ses produits, processus et/ou services
O Evaluation des risques liés à l’environnement
O Dedicated management and team
O Green marketing
O Définition d’objectifs mesurables pour :
- Formation des collaborateurs en liaison avec les objectifs environnementaux
- Réduction des déchets
- Réduction de la consommation en eau
- Réduction de la consommation énergétique
O Participation volontaire à un programme de protection de l’environnement
O Membre d’une association ou d’un réseau de protection de l’environnement
O Environment-focused supplier program
O SME (système de management environnemental)
O Certification ISO 14001
O Aucune de ces activités
O Ne sait pas
O Autre (merci de spécifier): __________________________________________
Commentaires éventuels :
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
__________________________________________
396
5.4 Pensez-vous que le changement climatique entraîne des risques physiques pour
vos opérations (événements climatiques extrêmes, changement de régime de temps,
hausse du niveau de la mer) ?
- Aujourd’hui O oui O non O Sans opinion
- Dans le futur O oui O non O Sans opinion
5.5 Si oui, prenez-vous des actions pour pallier ces risques ? O oui O non
5.6 Innovation : votre entreprise a-t-elle développé des technologies, des produits,
procédés ou services en réponse au changement climatique ?
O oui O non O Sans opinion
Si oui lesquels ?
________________________________________________________________
5.7 Qui est responsable dans votre entreprise des questions liées au changement
climatique et de la stratégie en matière de changement climatique ?
__________________________________
5.10 Quelle est la quantité de tonnes de CO2 produite annuellement par vos
installations et activités ? _____________________
ANNEXE 3
Titre: _______________________________
Fonction: ____________________________
7. Projet NOE
7.4 Pensez-vous que NOE soit bénéfique : (Classer par ordre d’importance)
- Au Canton de Genève O Oui, très O Oui, assez O Neutre O Plutôt non O Non
- Aux SIG O Oui, très O Oui, assez O Neutre O Plutôt non O Non
- A votre entreprise O Oui, très O Oui, assez O Neutre O Plutôt non O Non
7.6 Etes-vous optimiste quant à la réussite du projet NOE dans votre entreprise :
(Classer par ordre d’importance) O Ou i O Plutôt oui O Plutôt non O Non O Sans opinion
400
7.7 Si oui, pour quelles raisons (quels sont les facteurs stimulants que vous
entrevoyez) ?
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
7.8 Si non, pour quelles raisons (quels sont les obstacles principaux que vous
entrevoyez) ?
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
Quels sont à votre avis les facteurs influençant favorablement la décision d’adopter
de nouvelles technologies économisant l’énergie :
Merci de classer chaque ligne par ordre d’importance (1 = facteur stimulant le moins important -
5 = facteur stimulant le plus important)
7.11 Quel(s) soutien(s) vous seraient le plus nécessaire(s) pour assurer la réussite du
projet NOE au sein de votre entreprise (réalisation des mesures identifiées par
l’audit approfondi) :
Merci de classer par ordre d’importance (1 = le moins important - 5 = le plus important)
7.13 Quelles mesures financières destinées à assurer le succès du projet NOE vous
semblent le mieux adaptées à la politique financière de votre entreprise ?
O Subventions
O Prêts à intérêt bonifié
O Rabais d’impôt
7.14 Pensez-vous que la réalisation des mesures identifiées par NOE risque
d’entraîner des coûts imprévus pour l’entreprise?
O Oui O Non O Sans opinion
Si oui, lesquels ?
_______________________________________________________________________
7.15 Pensez-vous que la réalisation des mesures identifiées par NOE risque
d’entraîner des avantages imprévus pour l’entreprise? O Oui O Non
Si oui, lesquels ?
_______________________________________________________________________
7.17 Quelle est, d’après vous, l’origine de l’électricité que vous consommez ?
________________________________________________________________________
Commentaires éventuels :
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
403
3. Gestion de l’énergie
3.1 L’efficacité énergétique est considérée comme un sujet important dans votre
entreprise :
O Oui O Non
3.2 Intensité énergétique : quel pourcentage les coûts totaux de votre consommation
énergétique (combustibles fossiles et électricité) représentent-ils ?
3.4 Pensez-vous que l’impact potentiel sur votre rentabilité de changements dans les
prix et/ou la consommation de l'énergie est important? O Oui O Non
3.6 L’entreprise a mis en place les activités suivantes en relation avec l’énergie :
(Cocher les cases adéquates)
O évaluation de sa performance énergétique (benchmarking)
O Définition d’une baseline
O Définition d’indicateurs de mesure de la performance énergétique
O Elaboration d’une politique énergétique
O Fixation d’objectifs mesurables de réduction de la consommation
O Collecte des données relatives à la réalisation de ces objectifs
O Définition des mesures de mise en œuvre permettant la réalisation des objectifs
fixés
3.7 Le cas échéant, quelles ressources ont-elles été allouées à la mise en œuvre ?
(Cocher les cases adéquates)
O Ressources humaines (ex. équipe-projet)
O Ressources techniques (ex. compteurs)
O Ressources informatiques (ex. logiciel de gestion)
3.9 Le cas échéant, cumule-t-il cette fonction avec une autre fonction dans
l’entreprise? O oui O non
Si oui, laquelle ? _______________________________________
3.11 Le cas échéant, l'entreprise a-t-elle mis en place, en liaison avec la politique
énergétique : (Cocher les cases adéquates)
O un système de formation du personnel
O un système de gratifications en cas d'atteinte des objectifs fixés
O un système d'évaluation des résultats
O une procédure de révision des objectifs ?
3.14 Le cas échéant, prenez-vous en compte ces avantages indirects dans votre
calcul de rentabilité de l’investissement en technologies efficaces en énergie ?
O oui O non
Mesure 1 ______________________________________________________
Mesure 2 ______________________________________________________
Mesure 3 ______________________________________________________
Commentaires éventuels :
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
405
8.4 Pensez-vous que le changement climatique entraîne des risques physiques pour
vos opérations (événements climatiques extrêmes, changement de régime de temps,
hausse du niveau de la mer) ?
- Aujourd’hui O oui O non O Sans opinion
- Dans le futur O oui O non O Sans opinion
8.5 Si oui, prenez-vous des actions pour pallier ces risques ? O oui O non
8.6 Innovation : votre entreprise a-t-elle développé des technologies, des produits,
procédés ou services en réponse au changement climatique ?
O oui O non O Sans opinion
Si oui lesquels ?
_____________________________________________________________________
8.7 Qui est responsable dans votre entreprise des questions liées au changement
climatique et de la stratégie en matière de changement climatique ?
__________________________________
8.10 Quelle est la quantité de tonnes de CO2 produite annuellement par vos
installations et activités ? _____________________
Quel est le ratio d’investissement de l’entreprise pour la dernière période comptable (total
des investissements par rapport au chiffre d’affaire) : ____________ %
9.5 Dans votre entreprise, la notion d'investissement est définie par identité au
concept d'immobilisation comptable?
O Oui O Non
9.6 Si non, comment? ___________________________________
9.8 Existe-t-il une typologie des investissements selon laquelle les projets sont
classés (investissements de productivité, de pénétration de marchés, etc.) ?
O Oui O Non
408
9.9 Pouvez-vous cocher dans la liste ci-dessous les catégories les plus proches de
celles que vous utilisez? Investissements :
9.14 Est-ce que la méthode d'évaluation utilisée pour l'étude de rentabilité dépend
du style d'investissement? O Oui O Non
9.15 Pour l'étude de rentabilité (si celle-ci est réalisée), le taux d'actualisation est-il
défini :
(Cocher les cases adéquates)
O forfaitairement ?
O en tenant compte d'une prime de risque propre au secteur d'activité?
O en tenant compte d'une prime de risque propre au projet?
O en utilisant le coût moyen pondéré du capital de l'entreprise ?
O en utilisant, pour le coût des fonds propres, le MEDAF (ou CAPM)?
O en tenant compte des conditions spécifiques de financement du projet
9.16 Pour l'étude de rentabilité (si celle-ci est réalisée), l'horizon des prévisions est-il
avant tout fonction : (cocher les cases adéquates)
O d'une durée fixée à l'identique pour tous les projets?
O de la durée de vie des équipements acquis?
O de l'horizon temps pour lequel il semble possible d'établir des prévisions?
O de la dimension stratégique du projet
O autre ? Merci de préciser :
9.17 Pour l'étude du risque (si celle-ci est réalisée), recourez-vous aux techniques
suivantes :
(Cocher les cases adéquates)
O analyse de sensibilité
O analyse de scénarios
O recherche de points morts
O simulation probabilisée
9.18 Existe-t-il une procédure formelle qui décrit les étapes que doit suivre un
dossier d'investissement : O Oui O Non
9.19 Les étapes que doit suivre un dossier d'investissement sont-elles fonction :
(Cocher les cases adéquates)
O du montant de l'investissement?
O de la catégorie de l'investissement?
9.22 Quel est le rôle des calculs de rentabilité prévisionnelle dans le choix (cocher la case
adéquate) :
O Décisif?
O Important?
O Assez important?
O Marginal?
9.23 Citez par ordre d'importance les trois facteurs qui pèsent le plus sur une
décision d'investissement :
Facteur Importance (1 = le moins important, 3 = le plus important)
_______________________________________________ ________
_______________________________________________ ________
_______________________________________________ ________
9.25 Quel est le pourcentage de projets approximatif qui est refusé au stade de la
décision finale? __________________% O Ne sait pas
9.26 Les enveloppes budgétaires sont-elles déterminées avant que soit établie la liste
des investissements proposés ? O Oui O Non
9.27 Existe-t-il une répartition des enveloppes budgétaires par métier et/ou par
filiale avant prise en considération des projets d'investissement ?
O Oui O Non
9.30 Quels sont les critères qui font passer une dépense en charge (CPP) ou à l'actif
(Bilan)
(cocher les cases adéquates) :
O Caractère stratégique pour l'entreprise
O Son lien avec le métier de l'entreprise
O Les normes comptables de l'entreprise
O Immobilisation du capital
O La politique financière de l'entreprise. Merci de préciser ________________
______________________________________________________________
Commentaires éventuels :
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
412
10.5 Le cas échéant, si une étude de rentabilité a été réalisée pour ces
investissements, quelle méthode d'évaluation a été utilisée (cocher les cases adéquates) :
10.6 Pour l'étude de rentabilité (si celle-ci a été réalisée), quel était l'horizon du
projet (en nombre d'années) ? ________ années
10.7 Le cas échéant, avez-vous utilisé un taux actuariel particulier pour cette
catégorie d’investissements (efficacité énergétique et/ou production d’énergie)
O Oui O Non
Si oui, lequel ? ______________________________________________________
Si oui, pourquoi ? ______________________________________________________