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Le degré de pureté ou de sophistication de cette rationalité peut être très variable selon les
acteurs et les situations, mais il s’agit d’une mono rationalité qui exclut tout conflit sur les
objectifs et sur la façon de décider. L’action se déduit des objectifs et/ou des préférences
(confrontés à une situation donnée). Les objectifs sont clairement et précisément définis, et
l’organisation les sert comme un seul homme. Les préférences sont stables (dans le temps),
mutuellement exclusives, pertinentes (elles s’appliquent sans difficulté aux situations
concrètes), exhaustives (il n’y a pas de situation à laquelle elles ne puissent s’appliquer) et
exogènes (le cours de l’action ne les modifie pas).
• formulation du problème ;
• évaluation de chaque action par des critères dérivés des objectifs ou des préférences ;
• Sélection des projets : les projets qui dépassent le seuil fixé pour les critères (par exemple,
un TRI supérieur à 12 %) sont adoptés ; si l’on doit sélectionner un seul projet, on choisit
celui qui présente la meilleure performance.
Cette démarche, présentée ici de manière simplifiée, peut montrer une grande sophistication
technique, notamment dans la prise en compte du risque, mais la logique reste la même.
Ce modèle, connu sous le sigle LCAG du nom de ses auteurs ( Learned, Christensen,
Andrews et Guth (19690)) représente toujours un point de référence important car il
constituait le premier modèle d’aide à la formulation stratégique. Il est basé sur deux concepts
clés qui sont l’idée de « compétence distinctive », développée par Selznick en 1957, et le
concept de « stratégie de secteur d’activité », développé par Chandler en 1972 dans un
ouvrage de référence, Stratégies et structures de l’entreprise. Le modèle LCAG offre un
raisonnement logique en cinq phases :
1. Évaluation externe :
•identification des menaces et des opportunités dans l’environnement ;
• identification des facteurs clés de succès.
2. Évaluation interne :
• identification des forces et faiblesses de l’entreprise par rapport à la concurrence et par
rapport au temps ;
• identification des compétences distinctives par rapport à la concurrence.
5. Choix des manœuvres stratégiques en fonction des ressources et mise en œuvre des
stratégies.
Le modèle de l’acteur unique a récemment été revitalisé par l’apport d’une perspective
cognitive. Il a été admis que les raisonnements des décideurs n’avaient pas la rigueur qu’on
leur avait supposée. La psychologie cognitive expérimentale a en effet identifié de nombreux
biais cognitifs, qui représentent des écarts de la pensée humaine « naturelle » par rapport au
calcul rationnel. La figure 20.1 en présente les principaux
Le modèle de l’acteur unique se présente sous de multiples habillages. Il est le seul modèle utilisé
dans l’enseignement des sciences de l’ingénieur et des sciences économiques, et de très loin le modèle
dominant dans celui des sciences de gestion. Quelles qu’en soient les versions, il revient à considérer
la décision comme le travail intellectuel d’un acteur unique.
Les critiques adressées au modèle mono-rationnel sont nombreuses. Une première remarque consiste à
observer que les théories de l’acteur unique sont le plus souvent du type normatif et non explicatif.
Elles répondent à la question comment faire ? plutôt qu’aux questions comment ce choix at-il été
fait ? ou pourquoi cela s’est-il passé ainsi ?
En second lieu, on peut retenir les critiques très synthétiques faites par l’un des pères de l’analyse
scientifique des processus de décision, J.G. March, qui met en évidence les hypothèses sous-jacentes
à ce modèle. Le modèle mono-rationnel suppose que la décision est l’adaptation logique d’un acteur
unique doté de préférences cohérentes et stables à un événement extérieur. De plus, le modèle mono-
rationnel suppose que les changements observés sont les résultats des choix volontaires et libres de ce
décideur individuel ou collectif. Il nie l’existence des conflits et des stratégies des individus et des
groupes.
Enfin, ce modèle suppose qu’il y a une relation directe entre l’importance donnée à une décision
quand elle est prise et l’importance de ses résultats. Ce principe, selon lequel les grands effets sont
produits par de grandes causes, est, malheureusement pour le modèle mono-rationnel, souvent infirmé
par l’expérience.
2 Le modèle politique :
2.1 Biographie de Charles Lindblom :
Dans le modèle politique, l’organisation est vue comme un ensemble de joueurs – individus
ou groupes – placés dans des situations particulières au sein d’une structure plus ou moins
précise (ligne hiérarchique, processus budgétaire, division du travail). Les joueurs sont dotés
d’intérêts et d’objectifs propres, et contrôlent différentes ressources (autorité, statut, argent,
temps, hommes, idées, informations). L’organisation n’a pas d’objectifs clairs a priori. Ses
objectifs sont discutés et redéfinis à partir de l’interprétation qu’en font les acteurs compte
tenu de leur situation de pouvoir. Les objectifs peuvent rester vagues, ambigus, et leur
stabilité n’est pas garantie. Les individus ou entités mènent des stratégies particulières à partir
de leur situation propre. La confrontation des stratégies particulières est en partie régulée par
la structure de l’organisation et s’exprime au travers des jeux de pouvoir, dans lesquels les
acteurs utilisent avec plus ou moins d’habileté les ressources dont ils disposent. Influence,
coalition, conflit, ruse, sont des éléments normaux du processus politique. Le changement est
possible, mais sa maîtrise difficile. La probabilité du changement dépend de la structure des
jeux de pouvoir, des stratégies particulières des acteurs, de l’environnement. À une extrémité,
le processus politique donne un changement lent et progressif, par petits coups qui n’ébranlent
pas l’édifice des rapports entre joueurs ; à l’autre extrémité, se trouve la révolution, le
bouleversement complet des règles du jeu, de la distribution des ressources et de la liste des
joueurs.
On discute directement des actions concrètes, et chacun attribue aux actions les fins et valeurs qu’il
perçoit ou qu’il désire. Ainsi, une mesure concrète d’aide fiscale à l’investissement pourra recevoir
l’approbation des patrons (parce qu’elle améliore la rentabilité de l’investissement) et des syndicats
(parce qu’elle favorise l’emploi), sans nécessiter pour autant un accord entre eux sur la politique
générale du gouvernement. Le critère de choix d’une action n’est pas sa contribution à la satisfaction
d’objectifs préexistants, mais le degré d’accord qu’elle suscite.
Dans l’analyse et la recherche d’actions, le décideur se limite à ce qu’il perçoit et conçoit facilement ;
il néglige certains aspects du problème, il n’envisage qu’un petit nombre d’actions parmi celles qui
sont possibles, il n’en étudie pas toutes les conséquences. On retrouve ici le principe de rationalité
limitée. Les décideurs font des choix entre des actions qui ne diffèrent que marginalement les unes des
autres : ils procèdent par comparaison successives et limitées à des points précis, sans recourir à des
évaluations globales, qui sont souvent impossibles, faute d’un savoir théorique suffisant.
Les décisions stratégiques sont à la fois l’occasion et l’objet de luttes internes dans l’entreprise. À
travers les problèmes stratégiques, les acteurs poursuivent des stratégies de construction de leur
autonomie et de leur influence. H. Mintzberg propose une liste des principaux jeux politiques qu’on
peut rencontrer dans une organisation. En voici quelques-uns :
• les jeux de construction d’empires, très prisés parmi les cadres supérieurs, consistent à établir et
augmenter sa base de pouvoir à travers l’augmentation de la taille du service que l’on dirige, la
maximisation de son budget de fonctionnement et d’investissement, l’attribution de missions et de
compétences réservées. Ces jeux nécessitent souvent des alliances avec les pairs et, pour les moins
puissants, le parrainage de supérieurs ou d’aînés ;
• les jeux de l’insoumission, pratiqués par des acteurs a priori peu puissants, visent à contester une
décision ou plus globalement l’autorité en place. Ils se nourrissent des accès privilégiés aux savoirs et
aux informations pratiques dont bénéficient ces acteurs. Parfois, ils débouchent sur un coup de sifflet,
c’est-à-dire une dénonciation de comportements jugés illégitimes, auprès de la direction ou même à
l’extérieur de l’organisation (presse, consommateurs, pouvoirs publics) ;
• les jeux du changement au sommet cherchent à modifier les équilibres de pouvoir dans l’entreprise.
Un moyen privilégié est de se porter candidat à des postes stratégiques avec, si possible, le soutien de
pairs ou de supérieurs. Parfois un groupe soudé de « jeunes Turcs » se forme avec pour but de forcer
l’accès au pouvoir en se plaçant à des postes clés. Ces jeux politiques ont bien souvent leurs règles
implicites, propres à l’identité de l’organisation. Toutefois, ces règles peuvent être transgressées par
des acteurs qui souhaitent un changement radical. L’entreprise peut alors se transformer en arène
politique, situation d’affrontement généralisé qui constitue une crise grave pour l’organisation.
Le modèle politique est hérité principalement de la science politique. Il a été développé à partir de
l’observation des organisations ou des institutions publiques. Son apport essentiel est d’attirer
l’attention sur les interactions des stratégies particulières au sein des organisations et, finalement, sur
les jeux de pouvoir que cachent les discours rationnels et les organigrammes bien dessinés. Son
utilisation est cependant complexe, car il requiert beaucoup d’informations. On peut lui faire deux
critiques principales. D’une part, en insistant sur les stratégies particulières, ce modèle tend à masquer
le fait que les règles et les structures, dans le cadre desquelles ces stratégies s’exercent, sont aussi des
instruments de pouvoir. Ainsi, une large partie des ressources dont disposent les acteurs pour
influencer les décisions (autorité, budget, personnel d’étude) dépend de décisions d’organisation qui
ne sont pas traitées dans les modèles élémentaires. Le modèle politique néglige également l’existence
d’éléments qui transcendent les stratégies particulières : valeurs communes, projets, identité. Tous ces
éléments peuvent orienter l’action plus sûrement que tout processus de négociation, car ils peuvent
exister en dehors de toute discussion.