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GRH 154 0043
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Martine Brasseur
Professeur des Université
Université Paris 5 Descartes, CEDAG/Management CEA 1516
martine.brasseur@parisdescartes.fr
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Alain Lacroux
Maître de Conférences
Université de Toulon, GRM-EA 4711
alain.lacroux@univ-tln.fr
Laurent Magnien
Consultant – International R&D
Krauthammer
lmagnien@krauthammer.com
Résumé FR
Abstract EN
The following study aims at understanding the missing answers to an assessment ques-
tionnaire, designed and implemented within organizations with a view to supporting com-
petences development and organizational learning. An explorative quantitative analysis
has been carried out. It consists of a statistical exploration of the data collected through
a 360° feedback involving 1 873 employees making their self-assessment or being eval-
uated by their peers, managers or direct reports, representing 17 176 employees in their
professional environment. The study is focused on the target group having left at least
one missing value in the questionnaire. They form a database of 11 202 participants, that
is to say 58.81 % of the employees involved, split in 183 different companies. The results
of the database analysis have led us, on the one hand, to confirm that these missing
answers are not the result of chance, and on the other hand, to consider that they are
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meaningful and can be, to a certain extent, required for professional skills development
and organizational learning.
Les non-réponses dans les systèmes sociaux ont déjà fait l’objet de façon plus ou moins
directe de nombreuses interprétations dans différentes disciplines. Abordées comme le
silence dans les échanges humains ou la passivité dans les approches comportemen-
talistes, elles peuvent être interprétées comme des « cris d’indignation [dont] les plus
forts sont les plus silencieux » (MATTEI, 2012, p.29) et considérées comme l’expression
d’une désapprobation. Sous cet angle, la non-réponse est un « acte opérant » de rébel-
lion. Dans le modèle Exit, Voice, Loyalty, Neglect élaboré en 1970 par Hirschmann (1995)
puis approfondi par de nombreuses études (GRIMA & GLAYMANN, 2012) pour expliciter
les réactions des salariés face à une insatisfaction au travail, parmi les quatre options
de la typologie : la fuite (Exit), la rébellion (Voice), l’acception (Loyalty) ou le retrait
(Neglect), la non-réponse trouve une interprétation un peu différente. La rébellion res-
tant associée à l’expression du désaccord, se taire ou s’abstenir de dire correspondrait
à un désaccord passif conduisant au désinvestissement de l’acteur. Dans les deux cas,
la non-réponse reste l’expression d’une insatisfaction, d’un désaccord ou d’un rejet et
serait l’indicateur de la situation du répondant confronté au dilemme de la soumission
ou de la révolte (DIET, 2011). C’est le questionnement de la signification potentielle des
non-réponses qui est à l’origine de cette étude.
Nous nous sommes penchés sur une situation pour laquelle ne pas répondre pour expri-
mer une insatisfaction est a priori absurde alors que le taux de non-réponses reste
élevé. Il s’agit des non-réponses dans les situations ponctuelles d’auto-appréciation des
compétences visant à soutenir l’apprentissage individuel des managers dans l’exercice
LES NON-RÉPONSES SONT-ELLES DES REPONSES ? 45
de leurs responsabilités. Notre étude s’est ainsi focalisée sur un dispositif spécifique
d’appréciation au cas par cas1 et d’auto-développement des compétences, le 360° feed-
back, dont l’originalité réside dans le recours à des évaluateurs multiples choisis en
fonction de leur position hiérarchique vis-à-vis de l’évalué (self) : les managés (n – 1),
les pairs ou collègues (n), les responsables hiérarchiques (n + 1). L’objectif souvent
énoncé dans la littérature (DE VRIES & al., 1981 ; ASHFORD, 1993 ; MC GEE WANGURI,
1995 ; DALTON, 1997 ; SEIFERT & al., 2003) est de favoriser la confrontation des points
de vue afin d’accéder à un type d’informations non accessible autrement en éclairant les
« points aveugles » des sujets sur eux-mêmes, de relativiser les évaluations attribuées
en les contextualisant, et surtout de soutenir la production d’auto-recommandations. Le
360° Feed-back se situe en effet dans la catégorie des supports d’apprentissage et la
dissociation de cette pratique de tout système de sanction est l’une des conditions de
l’ouverture d’un espace de progrès pour les évalués (BAILEY & FLETCHER, 2002) et du
développement de leurs compétences. La raison principale est que la reconnaissance
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du droit à l’erreur représente un prérequis à l’apprentissage (CARBONNEL & ROUX,
2006). Il a été ainsi démontré que le détournement du 360° Feed-back pour la mesure
des performances était une source de contradictions, de dilemmes et de conflits au
sein de l’organisation (TOEGEL & CONGER, 2003). Par contre, lorsqu’il est mis en œuvre
dans une optique de développement, il représente un outil potentiel de changement
(HANDY & al., 1999) et d’apprentissage individuel (WILLIAMS & KANE, 2009) et orga-
nisationnel. « Dépouillé du volet notation, l’exercice de feedback par les pairs invite [les
évalués à s’inscrire]… dans une démarche de développement personnel et contribue à
leur professionnalisation » (BÉGIN & VÉNIARD, 2013, p.49). On retrouve dans l’impor-
tance accordée à l’auto-développement des salariés, la théorie de l’autodétermination
élaborée par Ryan et Deci (2000) inscrivant cette pratique dans une approche spéci-
fique du management, dont le 360° Feed-Back représente l’une des instrumentations
(BRASSEUR & al., 2012).
[1] Il ne s’agit donc pas des dispositifs classiques d’évaluation annuelle, même si la démarche peut être renouvelée.
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sont confus ou inconnus, ou quand ce comportement nous paraît immuable, il est conce-
vable de faire porter ces appréciations sur la personnalité de l’individu considéré. Quand,
par contre, les origines ou les stimuli sont connus et explicables, la question se limite au
comportement lui-même ». Suivant cette approche, la non-réponse à un questionnaire
diffusé dans le cadre d’une pratique sociale clairement établie, serait un comportement,
dont l’émergence serait la résultante d’une dynamique interactionnelle contextualisée
dans laquelle se trouverait placé le sujet. Elle ne pourrait donc pas être abordée comme
un indicateur potentiel de caractéristiques propres à des non-répondants, mais fonction
du stimulus qui lui correspond, c’est-à-dire de la question posée. Cela nous conduit à
considérer que les salariés qui ont émis des non-réponses ne sont pas en soi des non-
répondants, et à décliner les trois propositions P2 suivantes :
P2a : « Les non-réponses aux questions ne correspondent pas à des non-répon-
dants au questionnaire : elles sont émises par des répondants qui répondent à la
majorité des questions »
P2b : « Le nombre de non réponses par questionnaire ne varie pas de façon signi-
ficative en fonction du profil des répondants »
P2c : « Le nombre de non réponses dans le questionnaire varie en fonction des
questions »
à la question posée et non le feed-back défini en appui sur la cybernétique comme une
rétroaction dans la théorie de la communication (WATZLAWICK & al., 1972) permettant
d’exercer sous sa forme positive (amenant un déséquilibre), ou négative (préservant la
stabilité), « un contrôle discret mais continu » (HALL, 2000, p.200). La notion est donc
indissociable de l’approche systémique et nous conduit à aborder la situation d’échanges
instaurées de type évalué/évaluateur comme un système interactionnel présentant « les
trois mêmes propriétés que n’importe quel autre autre système : la totalité […], l’équifi-
nalité […] et l’homéostasie. » (BRASSEUR & MAGNIEN, 2009, p.44-45). De plus, si l’on
se réfère à la théorie des types logiques présentée par Bateson (1977, p.300) : « dans
un discours logique ou mathématique formel aucune classe ne peut être membre d’elle-
même […] il n’est pas correct de classer ensemble une classe et les éléments qui sont
ses non-membres ». La non-réponse n’est donc pas une « autre réponse ». Elle ne peut
pas être traitée « au même niveau logique » que les cases cochées qui représentent les
réponses. Plusieurs propositions et une question de recherche associée en découlent
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abordant les non-réponses comme un possible feed-back sur le dispositif d’échanges :
QH3 : « Quel serait le destinataire du feed-back que représenterait la non-ré-
ponse : l’évalué, le dispositif d’appréciation, le management, le contexte orga-
nisationnel ? »
P3a : « Pour une partie significative des non-réponses, le poste du répondant
n’est pas concerné par la question (il ne peut pas répondre) ».
P3b : « Pour une partie significative des non-réponses, le répondant ne connaît
pas la réponse (il ne sait pas répondre) ».
P3c : « Pour une partie significative des non-réponses, le répondant préfère ne
pas répondre ».
destinataire flou non personnalisé dans une rétroaction qui pourrait signifier qu’il y aurait
trop à dire ou que la réponse à donner ne peut s’exprimer dans le questionnaire. Sans que
cela puisse de prime abord indiquer un climat de tensions internes, dans les situations
de conflit sociocognitif, plusieurs études ont montré que la résolution du problème ou
le développement de la coopération sont conditionnés par l’existence d’échanges suffi-
sants et directs entre les acteurs (DARNON & al., 2008, p.49). La non-réponse pourrait
dès lors ressortir comme un non-dit qui ne pouvant s’exprimer avec le support proposé
_un questionnaire_ empêche une régulation interne à l’organisation pourtant nécessaire
au risque de transformer l’exercice d’appréciation en simulacre. Nous retrouvons cette
analyse d’un malaise inexprimable dans les travaux sur la population des cadres dont
le silence (MONNEUSE, 2014) est considéré comme la résultante des injonctions de
performance qu’ils subissent et auxquelles ils sont impuissants à répondre car ils n’ont
pas les marges de manœuvre pour se développer et agir dans le sens souhaité, ou qu’ils
ne croient plus en cette possibilité et renoncent à essayer. La non-réponse serait alors
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à positionner à un autre niveau, un niveau méta de l’interaction instaurée entre évalué
et évaluateur. Elle ne pourrait se comprendre qu’en considérant que les acteurs au sein
du système interactionnel instauré sont soumis « à une contrainte non triviale désignée
par le postulat d’homéostasie positive […] Ce postulat implique la notion d’autonomie,
c’est-à-dire une faculté d’autorégulation de chaque organisme vivant » (VON FOERSTER,
1988, p.66-67). La non-réponse serait l’indicateur que les non-répondants n’ont pas la
possibilité d’agir pour réguler le système, et signifierait à un autre niveau d’échange
qu’un changement est nécessaire dans les dynamiques organisationnelles. Elle serait
un méta-message, une invitation du répondant à métacommuniquer « c’est-à-dire [de]
communiquer à propos de la communication elle-même » (WATZLAWICK, 2000, p.243).
P4 : « Une partie significative des non-réponses est un message du répondant sur
le dispositif d’appréciation »
Méta-niveau
Message sur la régulation P4 : Non-réponses
Système du 1er niveau Evaluateur comme méta-message
Organisation P4
1er niveau
Questions (360°FB) P2 : Non-réponses non
indicateur non-répondant
Evalué Evaluateur
Réponses P3 : Non-réponses comme
P2 rétroaction
Feed-back
P3
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(9,17 en moyenne). Deux fichiers ont été utilisés : un fichier comportant les réponses
au questionnaire et un fichier d’identification des répondants indiquant leur position
par rapport à l’évalué (self, n, n – 1, n + 1), leur sexe, la taille et le pays du siège de
l’entreprise d’appartenance. Les deux fichiers ont été fusionnés afin de pouvoir procéder
à l’analyse. Le questionnaire d’appréciation du comportement des managers comporte
64 questions, 17 associées à des compétences fondamentales et 47 à des compétences
appliquées, avec 4 types de réponse possibles : 2 descriptions de comportements appro-
priés et 2 descriptions de comportements inappropriés. Sans représenter une échelle
continue, les 4 niveaux de réponse proposés correspondent à une gradation positive
ou négative. La réponse de l’évaluateur correspond ainsi à un signal de renforcement
positif ou négatif du comportement de l’évalué par son entourage professionnel. Notre
étude portant sur les non-réponses, celles-ci ont été uniquement recodées de manière
binaire sans prendre en compte la nature positive ou négative des réponses données
par ailleurs par les répondants.
Tableau 1. Répartition des répondants (n = 19 049) et non-réponses
Chi² = 1823, une
Aucune part NR dans
ddl = 13, non réponse Total
non réponse la catégorie
p < ,0.001 au moins (NR)
self 1,52 % 8,31 % 9,83 % 15,48 %
n 23,54 % 9,76 % 33,30 % 70,70 %
n–1 25,15 % 17,06 % 42,21 % 59,58 %
n+1 8,59 % 6,06 % 14,66 % 58,63 %
Total 58,81 % 41,19 % 100 % 58,81 %
[2] Pour l’étude du processus d’élaboration de ce questionnaire (BRASSEUR & al., 2012)
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Il est ressorti de l’analyse descriptive que 58,81 % des répondants ont eu au moins
une non-réponse et parmi les 11 202 salariés concernés par au moins une non-réponse,
290 managers (self) n’ont pas répondu à au moins une question de leur propre question-
naire d’appréciation, soit 15,48 % de la catégorie concernée (self). Le test d’indépen-
dance du Chi² du tableau 1 est très significatif et les non-réponses ne peuvent pas être
attribuées au hasard.
La proposition P1 est vérifiée confortant la pertinence d’une analyse exploratoire plus
approfondie des données recueillies dans ce 360° Feed-back et du test de nos propo-
sitions.
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pondent pas à des personnes qui refuseraient de répondre au questionnaire : 95,1 %
des répondants ont répondu à plus de 50 % des questions et 82,1 % à plus de 75 %.
Par contre la proposition P2b a été infirmée. Une ANOVA univariée (ANOVA factorielle)
a mis en évidence que les subordonnés (n – 1) ou les collègues (n) laissent davantage
de réponses manquantes que les supérieurs (n + 1) ou les répondants s’autoévaluant
(self), mais surtout que les femmes ont significativement plus de non-réponses que les
hommes. Même en considérant que le rang n’est pas une qualité de la personne ou que
ce comportement sexué relève de genres socialement construits, il ressort sur la base
des données recueillies que les non-réponses ne peuvent pas être considérées comme la
résultante exclusive de la situation interactionnelle dans laquelle sont placés les répon-
dants et ne varient pas en fonction de leur profil (Pour le sexe F(1,6538) = 9,37, p = 0,002 ;
pour le rang F(3,6538) = 133, p < 0,001). Les résultats des tests post-hoc bilatéraux pour
la variable rang (Test de Tukey) sont tous statistiquement significatifs (au niveau p < 0,01)
ce qui permet de conclure que chaque rang diffère significativement de tous les autres.
Quant à P2c, les non-réponses ressortent nettement comme variables en fonction de la
nature des questions posées et notamment de leur lien avec des compétences fonda-
mentales ou des compétences appliquées. Le constat que 80,4 % des répondants ont
répondu aux 17 questions portant sur les compétences fondamentales pour seulement
41,6 % pour les 64 questions sur les compétences appliquées vient encore confirmer la
proposition P2c. Une ACP avec rotation Varimax a été menée pour faire apparaître la
structure sous-jacente des non-réponses. Une structure à sept composantes a été obte-
nue3, certaines regroupant des questions conceptuellement liées comme la composante
[3] Pour les résultats détaillés de l’analyse statistique exploratoire des valeurs manquantes dans les données recueil-
lies par ce questionnaire d’appréciation des compétences mis en œuvre dans le cadre d’un 360° Feed-Back (LACROUX,
BRASSEUR & MAGNIEN, 2014)
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17 questions portant sur les compétences fondamentales indépendantes du contexte
d’application et concernant tous les évalués et tous les évaluateurs, d’autre part sur
les répondants s’autoévaluant (self ; n = 288) afin de s’assurer que les répondants n’ont
pas d’obstacle pour renseigner ces questions. Il est ressorti que si seulement 10,8 %
des évalués en position d’auto-positionnement n’ont pas répondu au moins une fois,
le phénomène présente une signification suffisante (Z-test proportion différente de 0 :
Z = 54,2, p < 0,0001) avec 31 personnes pour lesquelles la proposition d’une méconnais-
sance de soi est confortée (je ne sais pas comment je me comporte), et par suite celle
de l’existence de non-réponses dues au fait que les répondants ne savent pas répondre.
Le test de la proposition P3c a rencontré les mêmes difficultés que la proposition P3b.
Si de la même façon elle appelle pour être validée la mise en œuvre de méthodologies
complémentaires, l’analyse exploratoire des données en fonction de l’entreprise d’ap-
partenance des évaluateurs (données disponibles : taille et nationalité de l’entreprise)
souligne le rôle du contexte dans lequel se trouve le répondant et son impact sur le phé-
nomène des non-réponses confortant la proposition que parfois le répondant préfère ne
pas répondre même s’il pourrait ou saurait répondre. Le nombre moyen de non-réponses
varie selon la taille de l’entreprise (test de Krustall Wallis : H(5) = 39,7 ; p < 0,001). Il est
par exemple significativement plus élevé dans les PME de 51 à 100 salariés (13,6) par
rapport aux grands groupes de plus de 5000 salariés (11,0) sans progression linéaire
repérable. Il diffère également de façon très significative en fonction de la nationa-
lité de l’entreprise de l’évaluateur (test de Krustall Wallis : H(14) = 188,7 ; p < 0,00114 ;
14 pays, dont du plus élevé au plus bas : Hongrie = 13,8 ; France = 12,9 ; Suède = 11,4 ;
États-Unis = 9,9) introduisant un facteur explicatif potentiel d’ordre culturel dans la pra-
tique du feed-back et nous conduisant, tout en ouvrant sur une étude centrée sur cette
variable de contexte de l’évaluation, à considérer que la proposition H3c ne peut être
réduite au seul impact du climat social.
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Enfin, l’analyse fait ressortir que le taux de non-réponse est corrélé significativement à
l’ordre des questions lorsqu’il est traité par groupes de compétences (r = 0,53). Plusieurs
auteurs ont ainsi mis en évidence un « effet de lassitude » en reliant le taux de remplis-
sage des questionnaires à leur longueur (GALESIC & BOSNJAK, 2009 ; SMITH & al.,
2003). Son existence pour les répondants de notre étude ne peut toutefois pas être
considérée comme démontrée. Le modèle de régression simple tenté sur les 64 ques-
tions s’avère ainsi non pertinent (F(1,62) = 1,63, p = 0,205) avec des paramètres non
significatifs (bêta = 0,16 ; t = 1,28, p = 0,205). Cette tendance possible à l’augmentation
des non-réponses au fur et à mesure de l’avancée du questionnaire conforte la proposi-
tion P4 dans la mesure où dans ce cas de figure restant à valider, les évaluateurs qui ne
répondent plus envoient un signal pour indiquer que le support d’appréciation est trop
long. C’est une forme de recours à la non-réponse comme méta-message sur le dispo-
sitif d’interactions mis en place. Malgré tout, l’ensemble de nos résultats nous conduit
à aborder le phénomène sous un autre angle pour considérer que la non-réponse est le
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signe que l’évaluateur préfère effectuer son feed-back à l’évalué sur un autre mode ou
s’abstenir. Cette « préférence » peut être choisie (P3c) ou non (P3a et P3b). Elle peut
aussi indiquer une méta-réponse (P4) du type « sur ce point indiquer une réponse au
questionnaire ne convient pas » car cela ne permet pas d’atteindre l’objectif fixé de
procéder à une appréciation en vue du développement des compétences.
conduite requise pour produire des résultats souhaités » (BANDURA, 2003, p.12). La
non-réponse indiquerait un blocage dans la dynamique de développement des compé-
tences de l’évalué associé à sa croyance sur lui-même qu’il ne peut pas progresser. Si
la cause ne peut en être attribuée à l’instrument d’appréciation. Ces modalités de mise
en œuvre peuvent se présenter comme des conditions défavorables à l’apprentissage.
Ainsi, l’impact de la visibilité sociale des feedbacks sur le sentiment d’efficacité person-
nelle de l’apprécié a été étudié plus spécifiquement dans le domaine scolaire (GALAND
& VANLEDE, 2004). Cela confirme que pour atteindre un objectif de développement des
compétences, la confidentialité est à préserver. Par ailleurs, cette capacité à développer
ses compétences peut être appréhendée comme une compétence à acquérir progres-
sivement et non comme une qualité innée. Pour conforter le sentiment d’efficacité per-
sonnelle sur sa capacité à développer ses compétences en appui sur ces dispositifs de
GRH, des supports plus légers et centrés sur des compétences choisies par l’intéressé
en cohérence avec son poste pourraient représenter des étapes intermédiaires d’ap-
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prentissage nécessaires. Ils lui permettraient du moins de ne pas subir passivement la
démarche, ce à quoi semble renvoyer de prime abord la symbolique de la non-réponse.
Les outils développés comme le 360° Feed-Back devraient donc être accompagnés ou
complétés par des séances individuelles ou collectives centrées sur une forme d’écoute
clinique telle que Lamrani (2014) a pu la définir et en souligner l’importance.
qu’ont les agents de ce qu’ils font », rendre visible une non-réponse en laissant une
question posée pourrait être une pratique préservant la possibilité de l’actualisation du
dispositif. « La réflexivité s’ancre dans le contrôle continu de l’action qu’exerce chaque
être humain qui, en retour, attend des autres qu’ils exercent un contrôle semblable »
(GIDDENS, 2005, p.51). La non-réponse permettrait aux évalués comme aux évalua-
teurs d’exercer un contrôle sur la pratique de management. Dans la lignée de l’approche
d’Austin (1970), ne pas répondre serait un acte de langage au sein de l’organisation
dont la portée serait transformationnelle des pratiques mises en œuvre (GRAMACCIA,
2001). En dehors des cas où répondre n’est pas possible, la non-réponse pourrait égale-
ment permettre au sujet de s’inscrire dans une dynamique de changements adaptatifs
en référence à la théorie de l’apprentissage de Bateson (1980) qui la définit comme
un processus d’essai-et-erreur et un mécanisme de comparaison. Une partie des non-
réponses pourrait ainsi être considérée comme un mode de réduction des possibilités
d’erreurs dont l’expérience reste coûteuse. Le répondant par sa non-réponse rejetterait
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l’injonction organisationnelle d’attribution et de mesure pour répondre à ce que Von
Foerster (1988, p.68) désigne comme un impératif éthique et consistant à agir toujours
de manière à augmenter le nombre de choix possible. Il s’agirait de ce que Morel désigne
comme une « métarègle de la fiabilité » et qui conduit vers la mise en place de processus
organisationnel favorisant le retour d’expérience dans le but « de ne pas reproduire les
mêmes erreurs, de ne pas réinventer de bonnes solutions déjà appliquées localement
et d’exploiter les succès » (MOREL, 2012, p.284). Quel qu’en soit le ressort spécifique,
une partie des non-réponses ressort dès lors comme un mode d’autorégulation au sein
du système interactionnel constitué autour de l’évalué en quête d’informations sur ses
compétences. Ne pas répondre laisserait ouverte la possibilité pour le sujet évalué
d’agir autrement en évitant de formaliser ses erreurs ou sans compromettre les rela-
tions de travail instaurées, c’est-à-dire en réduisant les coûts de l’expérience mais aussi
en favorisant le recours tout autant que le développement de ce que Lavoué (2014)
désigne comme une « intelligence collective ».
LES NON-RÉPONSES SONT-ELLES DES REPONSES ? 55
BIBLIOGRAPHIE
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