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Olivier BRAUN2
Lovanirina RAMBOARISON-LALAO3
Isabelle BARTH4
Résumé
© Management Prospective Editions | Téléchargé le 13/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.155.74.156)
1. Cet article a fait l’objet d’une communication en 2013 lors du « 1er colloque Innovation et
Commerce » à Strasbourg.
2. Olivier BR AU N : Professeur Assistant à l’ICN Business School, Université de Lorraine,
membre du laboratoire du CEREFIGE – olivier.braun@icn-artem.com
3. Lovanirina R A MBOAR ISON-LALAO : Associate Professor à l’EM Strasbourg Bu-
siness School, membre du laboratoire HuMaNiS (EA 7308) à l’Université de Strasbourg –
lovanirina.ramboarison@em-strasbourg.eu
4. Isabelle BARTH : Directrice de la valorisation académique et de la recherche INSEEC
U et Directrice Générale INSEEC Business School, Professeur/chercheur en management,
Laboratoire INSEEC – isabelle.barth@free.fr
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Abstract
The HRM obligations to respect diversity and to act without
discrimination modify the psychological contract of employees
and create new related beliefs about how work should be done.
Our qualitative research carried out in a temporary work
company in France offers a better understanding of beliefs
limiting or favoring the integration of the diversity, and the
way in which they are maintained. Despite the evolution of
beliefs, our results point to a mismatch between convictions
for inclusive management of diversity and some dissonant
practices imposed by clients.
Introduction
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Cet article est structuré en trois parties. La première partie clarifie le concept
des contrats psychologiques en posant le cadre théorique de notre recherche. La
seconde partie traite de la méthodologie employée pour recueillir les données
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C’est Argyris (1960, p. 97) qui, en premier lieu, a utilisé le terme de « contrat
psychologique » pour désigner la situation selon laquelle les employés conti-
nuaient leur travail en maintenant un niveau optimal de production et en l’ab-
sence du contrôle d’un supérieur hiérarchique. De ce constat naît l’idée que
les employés sont mus par d’autres éléments que ceux stipulés par écrit dans
leur contrat de travail : un contrat psychologique. Ce contrat désigné comme
implicite (Kotter, 1973), en opposition au contrat de travail explicite, est carac-
térisé par des attentes mutuelles non écrites que fait naître la relation d’emploi
(Argyris, 1960 ; Schein, 1978). Rousseau (1989, 1990, 1995, 1998) a réintroduit
le concept en insistant sur la dimension individuelle et cognitive du contrat ;
l’auteur précise notamment que toutes les attentes ne sont pas des obligations
de la relation d’emploi. Dans la littérature du contrat psychologique, les notions
de promesses, d’obligations et d’attentes demeurent. Le contrat psychologique
est la croyance individuelle, façonnée par l’organisation, en ce qui concerne les
termes d’un échange entre les individus et leur organisation (Rousseau, 1995,
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L’employé peut décider de respecter son obligation car il est conscient des
conséquences de l’abandon de son engagement pour son entreprise et pour
lui-même (Rousseau, 1995). Cet engagement se produit uniquement si l’em-
ployé est volontaire pour exécuter ses obligations et s’il accepte les objectifs
liés à son travail (Rousseau, 1995, p. 24). La perception d’un engagement de
l’organisation auprès des employés renforce le sentiment d’appartenance à
l’organisation et l’engagement affectif (Eisenberger et al., 1990). Ainsi, il existe
deux « principaux types » de contrat caractérisant la relation d’échange. Le
contrat transactionnel se caractérise par un engagement de l’employé et de
l’employeur plus limité dans le temps et se borne aux échanges économiques
de la relation d’emploi (effort contre rémunération). Le contrat relationnel
révèle quant à lui un engagement de long terme et une confiance mutuelle
entre l’employeur et l’employé (Rousseau et Parks, 1993). La distinction entre
le contrat transactionnel et relationnel n’est pas aussi tranchée dans la vie des
employés, la relation d’emploi créant des attentes en matière de rétribution
et d’appartenance (Allen et Meyer, 1990a).
Selon la trilogie d’Allen et Meyer (1990b) qui a connu un vif intérêt en recherche,
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Par ailleurs, Rousseau (1995) précise que les managers directs disposent d’un
contrat psychologique différent de ceux de leurs collaborateurs. En d’autres
termes, les managers ont des interprétations particulières des obligations de la
relation d’emploi pour mener à bien leur travail, eu égard à leur rôle et à leur
statut. Néanmoins, l’interaction sociale entre les managers et les collaborateurs
peut générer des croyances communes aux deux populations. Ce contrat est
qualifié de « normatif » il est également nommé le contrat normatif de groupe
(Rousseau, 1995). La création d’une multitude d’interprétations communes
quant aux actions à mener pour réaliser le travail influence le maintien des
obligations. Cet espace commun de compréhension est inévitable pour la réa-
lisation du travail et vitale pour les groupes de travail (Rousseau, 1995).
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« Un contrat est un schéma qui se forge par l’expérience […] Lorsque les
individus ont de multiples expériences au sujet de la réalisation des tâches,
ils utilisent leurs schémas mentaux et réduisent ainsi la réflexion quant aux
actions à réaliser […] ils anticipent les étapes à venir dans leur travail »
(Rousseau, 1995, p. 30-32).
Ces croyances sont classifiées selon trois catégories et trois niveaux des moins
abstraites au plus abstraites (Rousseau, 1995, 2001). Le premier niveau re-
groupe des croyances « élémentaires » en l’existence d’obligations mutuelles et
réciproques dans la relation d’emploi. Au sujet du respect de la diversité, il s’agit
de la croyance pour l’employé de devoir respecter la diversité et qu’en retour
l’organisation le soutien pour atteindre cet objectif (norme de réciprocité). Le
second niveau fait référence à l’interprétation de l’employé de ses obligations
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Par définition, les croyances sont à la fois explicatives des règles morales du
groupe (contrat normatif) en précisant ce que l’individu doit faire dans une
situation donnée puis subjectives puisqu’elles traduisent ce que la personne
pense de la règle et de son application. Les croyances sont des certitudes pou-
vant « limiter » ou au contraire « aider » le salarié à respecter les principes
de diversité définis par son organisation. Selon Rousseau (1995, 2001), cette
accommodation signifie que l’employé accomplit ses obligations en fonction
de ce qu’il perçoit recevoir de l’organisation (évaluation) et de ce qu’il pense
devoir faire (signification et croyances). Thompson et Bunderson (2003) pré-
cisent que les obligations perçues des employés, en ce qui a trait à la défense
d’une cause ou d’une valeur, génèrent des croyances sur le rôle fourni par le
salarié pour la poursuite des objectifs organisationnels.
Nous focalisons notre recherche sur les croyances des employés en l’obliga-
tion de respecter la diversité ; c’est-à-dire sur le contenu du schéma mental
façonné par l’organisation (Rousseau, 1995, 2001). Notre approche concerne
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2. Méthodologie de la recherche
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et les délègue chez leurs clients. Il s’agit d’une relation d’emploi tripartite pour
laquelle la société de travail temporaire agit tel un service RH auprès de leur
mandant. Les employés intérimaires sont sous contrat avec l’entreprise de
travail temporaire. L’entreprise est signataire de la charte diversité et membre
actif du syndicat professionnel « Prism’emploi ». Les actions de « Prism’emploi »
témoignent des difficultés de la profession d’appliquer les règles légales de la
non-discrimination et le respect de la diversité. L’entreprise fait état de « l’es-
soufflement de la diversité en entreprise, et de l’augmentation des réclamations au
sujet de discrimination envers les candidats intérimaires » (Directeur Régional)
ce qui représente une opportunité pour notre recherche. Nous conservons le
nom de l’entreprise confidentiel.
Nos observations ont été conduites au niveau opérationnel, nous avons parti-
cipé à des réunions de métier concernant les responsables de recrutement, des
réunions au sujet de la santé et la sécurité des employés. Nous avons rédigé un
rapport de responsabilité sociale et un journal mensuel d’entreprise (diffusé
aux employés permanents) qui sont de véritables recueils des pratiques orga-
nisationnelles pour le chercheur. Notre participation à des recrutements et des
formations dans les entreprises clientes autant que notre contribution au nom
de l’entreprise auprès de l’association « Les entreprises pour la cité » nous ont
permis de comprendre la culture organisationnelle. Les données secondaires
collectées sont des vidéos, des mails, des circulaires, des informations prove-
nant des syndicats et du comité d’entreprise. Nos réflexions et les éléments
recueillis sont notés de manière chronologique dans un journal de recherche
ou archivés selon leur nature, origine et date.
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de ces entretiens multiples nous avons relevé que les pratiques en lien avec
le respect de la diversité concernent :
• L’insertion professionnelle
• La non-discrimination
Voici les cinq thèmes que nous avons construits et abordés auprès des deux
populations, lors de nos entretiens :
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Les employés interrogés soulignent que ce sont les entreprises clientes qui
décident de former les candidats intérimaires à condition que l’organisme de
formation ait la volonté d’aider les entreprises pour ce faire. Ainsi des formations
spécifiques peuvent être créées pour répondre aux besoins des entreprises. Le
tryptique agence d’intérim, entreprise cliente et organisme de formation est
révélateur du mécanisme incontournable pour développer des compétences
dans les métiers dits pénuriques et stratégiques pour l’agence d’intérim. Les
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candidats dans ces métiers, considérés comme peu attractifs par les employés,
sont toujours en nombre insuffisant. Cependant les employés pensent que
l’entreprise participe intensivement à la formation des intérimaires et qu’il
est naturel (DA1) « normal » d’agir ainsi. (DA10) « C’est vraiment identifié, c’est
formalisé, on a une liste des métiers stratégiques et pénuriques ; les métiers pé-
nuriques sont relatifs à tous les bassins d’emploi ».
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c) Le contrôle et le feedback
Les objectifs de l’entreprise sont explicites et changent selon les années. Une
année l’insertion des personnes éloignées de l’emploi est l’objectif important,
une autre année c’est l’insertion des travailleurs handicapés qui constitue une
priorité. Néanmoins les agences qui disposent d’objectifs affichés ne réussissent
pas nécessairement mieux que celles qui n’affichent pas d’objectifs en leur
sein. Les employés permanents sont mus par l’idéologie du métier et moins
par l’atteinte d’objectifs quantifiés. Les procédures apportent des informa-
tions et obligent les employés à agir selon un canevas fourni par l’entreprise.
Toutefois les DA comme les RR n’utilisent pas systématiquement les outils
fournis par l’entreprise et biaisent les procédures et parfois les contournent.
Néanmoins, il est indéniable que les discussions quant à l’application des pro-
cédures et l’utilisation des documents internes influencent la manière dont
les employés réalisent leurs tâches. Ainsi l’organisation de l’entreprise et le
degré de formalisation du travail comme le management par la qualité jouent
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Discussion et conclusion
Nous avons relevé que les croyances limitantes renvoient à des représentations
négatives concernant la capacité de travail des personnes en situation de han-
dicap jugées difficilement employables. De même, le clivage hommes/femmes
dessine des trajectoires professionnelles liées aux compétences supposées
liées au sexe. Cette situation est conforme aux études montrant, par exemple,
que les femmes se destinent plus particulièrement aux fonctions « de sou-
tien » (Couppié et Epiphane, 2006) et les hommes aux fonctions « engageantes »
(Wagner-Guillermou et Barth, 2015). Les croyances « limitantes » sont parfois
des stéréotypes qui par définition mènent aux discriminations (voire les études
sur les stéréotypes, IMS-Entreprendre pour la cité, 2011, 2012). Néanmoins
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des Ressources Humaines n’y sont pas sensibilisées et les ouvrages concernant
la conduite du changement en général ne consacrent que peu d’attention à la
dynamique collective ou à une approche ethno-méthodologique. Les employés
ont également besoin de changer les perceptions de ce qui est important dans
l’exécution de leurs tâches comme par exemple : le chiffre d’affaires versus
l’égalité des chances ou encore la diversité des parcours professionnels dans
le recrutement versus la sélection de profil type. Nous nourrissons l’idée selon
laquelle les systèmes organisationnels favorables au management de la diversité
(Barth et Mahieu, 2011) incarnés par les politiques de gestion des ressources
humaines constituent des outils de diffusion des bonnes pratiques ; le rôle des
formations incorporant la diversité est important car il indique pour chacun
des métiers de l’organisation précisément les actions à mener. Le défi n’est pas
tant d’allouer des ressources financières et humaines à ce plan de formation,
mais plutôt de construire des formations intégrant la diversité selon les métiers.
Le rôle de la fonction RH au sein des entreprises questionne les ressources
dont disposent les organisations investies pour répondre aux demandes de
soutien des employés : « qui sont les personnes clefs de l’organisation pour
accompagner les employés ? », « faut-il créer une fonction spécifique ? ». La
professionnalisation des employés nécessite du temps et ne peut se limiter à
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Notre recherche ne témoigne que des conditions de mise en œuvre d’une en-
treprise dont les particularités sectorielles sont à la fois une opportunité et
une limite. D’autres recherches sont nécessaires pour découvrir l’ensemble des
facteurs concourants à la construction de systèmes de croyances favorables au
respect de la diversité auprès d’autres organisations d’autres secteurs. Il serait
intéressant d’approfondir également les liens entre le développement de ces
croyances et les éléments de l’échange social selon la norme de réciprocité.
Ceci permettrait de comprendre l’influence de la diversité sur l’intention de
quitter l’organisation et sur la réduction de la brèche. Une dernière avenue de
recherche pourrait établir le lien entre les croyances et d’autres facteurs orga-
nisationnels plus spécifiques (management par la qualité, implication des DRH,
formation, budget spécifique, rémunération…). Ces perspectives constituent
un socle de recherches pour comprendre les conditions de l’engagement des
employés dans le respect de la diversité.
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