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1.

INTRODUCTION

è Le contexte

- Politiquement

Débuts de la dynastie capétienne. Règne de Robert II le Pieux, fils d’Hugues Capet (élu roi en
987), associé dès l’élection de son père au pouvoir pour imposer l’hérédité, cousin germain de
Guillaume. L’espace royal est concentré dans le nord du pays (Orléans/Paris/Senlis) mais
rayonne au-delà malgré la puissance des grands. Il faudra toutefois attendre le règne de
Louis VI († 1137) pour observer un redressement de l’autorité royale.

Morcellement du territoire français débuté au Xe. Des principautés se constituent donc. Si le


territoire est fragmenté, il ne faut pas croire qu’il y a une totale indépendance entre le seigneur
d’une châtellenie et le prince, le comte ou le baron qui régit le territoire englobant le sien.

Le château devient le centre de la vie politique. Ce niveau, le plus bas, permet la défense
des habitants après la décrépitude – discutable car ce n’était pas un État abouti – de la
puissance carolingienne.

Le seigneur, autorité locale, dispose de prérogatives publiques fondées sur sa possession


privée. Il a ainsi des prérogatives judiciaires mais également un pouvoir de commandement,
le pouvoir de ban (bannum). Ainsi, on nommera banalités les installations dont il a le monopole
et dont se serviront les habitants de sa seigneurie en échange d’une redevance (four banal,
moulin banal etc.) + pouvoir judiciaire et fiscal

Les autorités politiques se situant à la tête des seigneuries, châtellenies, comtés etc., il y a
donc une confusion entre sphère publique et sphère privée : la puissance foncière fonde
les attributs de puissance publique. Cela produit une contractualisation des rapports
socio-politiques, une appropriation privée de l’autorité publique. Cette contractualisation est
d’autant plus facile qu’elle est favorisée par la tradition barbare des liens personnels et par le
rôle du chef.

- Juridiquement

Rôle de la coutume, source quasi exclusive du droit, afin de définir les obligations féodo-
vassaliques, notamment pour lutter contre les abus des seigneurs (cf. séance sur la coutume).
/ ! \ Même si on v analyser juridiquement les termes du « contrat » vassalique, il ne faut pas
oublier que cette analyse juridique sera véritablement de mise au XIIe et non au XIe siècle où
le lien féodo-vassalique est fondé davantage sur une certaine affectivité interindividuelle que
sur une relation génératrice d’obligations. La baisse de la foi mise dans la relation va être
compensée dès le XIIe par une réglementation juridique croissante.

è L’auteur

Aux origines encore mal connues, connaisseur de la rhétorique, de la logique et du droit féodal,
Fulbert (960/970-1028) s’installe à Chartres à la fin du Xe siècle où il devient progressivement
chanoine, écolâtre (= maître d’école cathédrale), chancelier puis évêque, nommé en 1006 par
Robert II le Pieux. En plus de ses compétences théologiques (il nous reste de lui plusieurs
sermons et traités) et musicales (hymnes), il semble également avoir appris à Chartres des
éléments de médecine et de géométrie. Outre sa carrière religieuse, il est une figure proche
des pouvoirs politiques (princiers, comtaux etc., en particulier de Guillaume le Grand et du roi
Robert II). Sa notoriété et sa réputation sont perceptibles par cette lettre même qui est une
réponse faite à l’un des nobles les plus puissants de l’époque. Il faut aussi noter que Fulbert
a quitté Chartres quelques temps pour Poitiers afin de remplir les fonctions de trésorier de
l’école de Saint-Hilaire au profit de Guillaume, trois ans après sa consultation.
Plus anecdotique, il fut le maître d’œuvre de la reconstruction de la cathédrale de Chartres qui
avait brûlé en septembre 1020 (et qui rebrûlera en 1134 avec le grand incendie de Chartres,
épargnant la crypte de Fulbert).

è Le texte

À travers cette lettre, Fulbert répond à la consultation de Guillaume V, duc d’Aquitaine et


comte de Poitiers (Guillaume le Grand), pris dans le cadre d’une controverse juridique avec
celui dont il est le suzerain, Hugues, sieur de Lusignan (Hugues IV de Lusignan).
L’installation de Guillaume à la tête de son comté a été la source de luttes importantes, ce que
rapporte un texte, le Conventum (1030) à propos de l’opposition avec Lusignan. Hugues avait
rompu tout lien de fidélité avec Guillaume, lequel avait exigé de lui une pleine et entière
soumission (il lui demanda par exemple de rendre hommage à un autre comte). Hugues
prétend se restreindre à une pure fidélité négative (securitas) mais également ne plus tenir
son fief de cette relation.

L’objet de cette lettre est donc de savoir à quoi s’engage un vassal lorsqu’il jure fidélité.
« invité à écrire sur la teneur de la fidélité »

Afin de mesurer dans la réponse de Fulbert la place qu’occupent les obligations vassaliques
en comparaison aux obligations du seigneur (quantitativement) et leur contenu
(qualitativement, cf. question de la dissymétrie des obligations et sanctions), il faut donc :
- Prendre en compte le lien personnel entre Fulbert et Guillaume ;
- Prendre en compte l’objet de la lettre.

Plus formellement, la lettre est marquée par une rhétorique cicéronienne. Fulbert, s’inspirant
de la Rhétorique à Herennius et du De inventione, reprend le vocabulaire de Cicéron
(e.g. utilitas, honestum…) et une partie de sa construction mais pour appliquer toute celle grille
rhétorique antique aux formulations du serment de fidélité médiéval (C. Carozzi).

Faisant œuvre de juriste, Fulbert prend le cas qui lui est présenté pour en extraire un
modèle abstrait et idéal des liens féodo-vassaliques (d’ailleurs pas nécessairement en
phase avec la réalité de ces liens). Ce modèle dépasse le cas mais ne s’en émancipe pas
totalement (par exemple, la définition positive répond à la nécessité de procéder à la commise
du fief d’Hugues).

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2. PROBLÉMATIQUE ET PLAN

PROBLEMATIQUE

« Comment, dans cette consultation écrite au bénéfice d’un seigneur, Fulbert définit-il les
termes du contrat vassalique ? »

(= problème général/particulier ; casuistique / généralité)

Plan linéaire (conseillé)

I) L’élaboration d’une définition négative des devoirs du vassal


A) Les obligations négatives liées à la personne et à la fonction du seigneur
B) Les obligations négatives liées au patrimoine du seigneur

II) L’élaboration d’une conception synallagmatique du « contrat » vassalique


A) Les obligations positives du vassal à l’égard de son seigneur
B) Les obligations féodo-vassaliques réciproques et leur sanction pour inexécution

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3. DÉCOUPAGE

Ici, il faut repérer les articulations du texte : adverbes, connecteurs logiques etc. Cela va
permettre de fragmenter le texte et d’isoler les fragments à analyser.

- Construction typographique => /


- Construction grammaticale => « ne » ; « mais » ; « aussi » ; « s’il ne » …
- Construction logique => rappel des causes de la réponse ; définition négative ;
définition positive et examen des obligations réciproques et des sanctions en cas
d’inexécution des obligations

Fragment 1 : de « Au très glorieux duc d’Aquitaine » à « l’honneur auquel il peut


prétendre » : définition négative / personne et prérogatives du seigneur

Fragment 2 : de « Utile » à « que le vassal s’abstienne de nuire ainsi à son seigneur » :


définition négative / biens du seigneur

Fragment 3 : de « Mais ce n’est pas ainsi qu’il mérite son fief » à « s’acquitter de la
fidélité qu’il a jurée » : définition positive des obligations vassaliques

Fragment 4 : de « Le seigneur aussi doit » à « coupable de perfidie et de parjure » :


obligations du seigneur et sanction pour inexécution des obligations réciproques

(découpage alternatif mais qui risque d’entraîner un déséquilibre dans la rédaction : I) A)


définition négative ; I) B) définition positive etc.)

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4. CORPS DU DEVOIR

FRAGMENT 1
Au très glorieux duc d’Aquitaine Guilhem, Fulbert, évêque. Invité à écrire sur la teneur de la fidélité,
j’ai noté brièvement pour vous ce qui suit, d’après les Livres qui font autorité. Celui qui jure fidélité à
son seigneur doit toujours avoir les six mots suivants présents à la mémoire : sain et sauf, sûr,
honnête, utile, facile, possible. Sain et sauf, afin qu’il ne cause pas quelque dommage au corps
de son seigneur. Sûr, afin qu’il ne nuise pas à son seigneur en livrant son secret ou ses châteaux
forts qui garantissent sa sécurité. Honnête, afin qu’il ne porte pas atteinte aux droits de justice de
son seigneur ou aux autres prérogatives intéressant l’honneur auquel il peut prétendre.

On a affaire premièrement à une définition négative, faisant ainsi écho aux prétentions de
Lusignan qui estimait n’avoir que des obligations de cette nature.

« Au très glorieux duc d’Aquitaine Guilhem, Fulbert, évêque »


Adresse de la lettre, rappel du conflit

« Invité à écrire sur la teneur de la fidélité […] »


La fidélité renvoie à l’élément personnel du lien féodo-vassalique et ici à son contenu :
comment la fidélité se matérialise-t-elle dans la vie de la relation contractuelle ? Quel régime
juridique découle de cette notion de fidélité, quant aux obligations et à leur nature, à la sanction
de leur inexécution etc. ?

« Celui qui jure fidélité à son seigneur »


Référence à la deuxième étape (inséparable de la première), la foi (après l’hommage) où est
prêté le serment sur les Écritures et les reliques.

Ce caractère ternaire de l’opération fondatrice du lien féodo-vassalique doit nous rappeler ce


qui a été vu en séance 2 avec le baptême de Clovis (subordination, réciprocité, remise d’un
objet symbolique).

Il y a donc, par l’accomplissement de gestes ou la prononciation de paroles diverses, une


vision formaliste du contrat (// vision consensualiste où le contrat serait formé à partir du
seul échange des consentements).

« sain et sauf […] C’est justice que le vassal s’abstienne de nuire ainsi à son seigneur »
Tout ce passage est marqué par un élément : la définition négative. Fulbert fait écho aux
prétentions d’Hugues de Lusignan qui estimait que son devoir se limitait à une pure securitas
négative, une abstention et non une action.

Première série de la définition négative : les obligations liées à la personne et à la


fonction du seigneur

« Sûr, afin qu’il ne nuise pas à son seigneur en livrant son secret ou ses châteaux forts
qui garantissent sa sécurité. »

Rappel de la fidélité. Il faut savoir qu’un vassal peut avoir des vassaux (arrière-vassaux) donc
les intérêts divergent et peuvent poser des problèmes de loyauté. Se développera d’ailleurs,
dès la moitié du XIe siècle, la distinction entre hommage lige (prioritaire) et hommage plain. À

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l’époque du texte, il faut se rappeler que la hiérarchie n’est féodale n’est pas encore bien
structurée ni assurée.

À cela s’ajoute le contexte d’insécurité globale, tout ceci menaçant directement ou


indirectement la personne même du seigneur.
« Honnête, afin qu’il ne porte pas atteinte aux droits de justice de son seigneur ou aux
autres prérogatives intéressant l’honneur auquel il peut prétendre. »

Le seigneur a la justicia qui se conjugue au bannum. Ainsi, il convoque sa cour (= les vassaux)
et juge des affaires de la seigneurie. Un vassal pourrait y porter atteinte, par exemple, en ne
s’y présentant pas (ce qui rejoint son obligation positive de consilium). Donc, le vassal ne doit
pas porter atteinte aux prérogatives de puissance publique seigneuriales.

FRAGMENT 2
Utile, afin qu’il ne fasse pas de tort aux possessions de son seigneur. Facile et possible, afin qu’il
ne rende pas difficile à son seigneur le bien que celui-ci pourrait facilement faire et afin qu’il ne rende
pas impossible ce qui eût été possible à son seigneur. C’est justice que le vassal s’abstienne de
nuire ainsi à son seigneur.

Seconde série de la définition négative : les obligations liées au patrimoine du seigneur

« Utile, afin qu’il ne fasse pas de tort aux possessions de son seigneur. Facile et
possible, afin qu’il ne rende pas difficile à son seigneur le bien que celui-ci pourrait
facilement faire et afin qu’il ne rende pas impossible ce qui eût été possible à son
seigneur. »

On parle de « possession » et pas de « propriété » car il n’y a pas de propriété pleine (on tient
toujours la propriété de quelqu’un, même le roi) mais aussi car la distinction romaine n’a plus
cours. Concrètement, cela suppose que le vassal n’empêche pas les activités menées sur les
terres du seigneur (activités agricole, activité militaire // château fort etc.).

« C’est justice que le vassal s’abstienne de nuire ainsi à son seigneur. »

On a la conclusion selon laquelle les obligations du vassal se fondent d’abord sur des
propriétés négatives, c’est-à-dire une abstention (= ne pas nuire à).

Transition : Toutefois, si la liste des obligations s’arrêtait ici, rien ne pourrait être opposé à
Lusignan qui prétendait exercer un devoir minimal de la même nature que les standards
exposés ici. Comment, par exemple, procéder à la commise du fief ? Ainsi, Fulbert va
compléter sa définition.

FRAGMENT 3
Mais ce n’est pas ainsi qu’il mérite son fief, car il ne suffit pas de s’abstenir de faire le mal, mais il
faut faire le bien. Il importe donc que sous les six aspects qui viennent d’être indiqués, il fournisse
fidèlement à son seigneur le conseil et l’aide, s’il veut paraître digne de son bénéfice et
s’acquitter de la fidélité qu’il a jurée.

« Mais ce n’est pas ainsi qu’il mérite son fief, car il ne suffit pas de s’abstenir de faire le
mal, mais il faut faire le bien. »

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La possession du fief découle non de la définition négative mais d’obligations positives. Ici
Fulbert répond aux prétentions d’Hugues de Lusignan qui n’estimait plus que les biens tenus
par Guillaume relevaient du statut de fief. L’obligation vassalique ne consiste pas
seulement dans l’abstention mais est constituée également par une action.

ð Fulbert lie service et bénéfice (ce qu’avait déjà fait Hincmar de Reims)

« il fournisse fidèlement à son seigneur le conseil et l’aide »


Fulbert définit les obligations positives du vassal, les services nobles. Ce sont l’auxilium et
le consilium :

- L’auxilium (= l’aide) : un service, une obligation militaire (ost). Cette aide consiste dans
les expéditions, la défense et la garde du château ;

- Le consilium (= le conseil) : le conseil est un service de cour, une obligation politique


et judiciaire. Le vassal va ainsi aider le seigneur dans ses fonctions judiciaires. On
retrouve l’organisation curiale (= de cour) à l’échelon féodal.

« bénéfice » = fief (beneficium était utilisé à l’époque carolingienne)

« s’acquitter de la fidélité qu’il a jurée »


Ces obligations sont la contrepartie de la concession du fief ; les obligations contractuelles
positives résultent de la remise du bien ; c’est le versant réel du « contrat » vassalique.

Ces deux obligations, héritées des devoirs des grands du royaume, découlent du fief : ce sont
des obligations contractuelles réelles puisque ces obligations cessent dès lors que la
possession du bien cesse (exemple de ce qu’on appellerait aujourd’hui un abandon
libératoire).

FRAGMENT 4
Le seigneur aussi doit, dans tous ces domaines, rendre la pareille à celui qui a juré fidélité. S’il ne
le faisait pas, il serait à bon droit taxé de mauvaise foi ; de même que le vassal qui serait surpris
manquant à ses devoirs, par action ou par simple consentement, serait coupable de perfidie et
de parjure.

« Le seigneur aussi doit, dans tous ces domaines, rendre la pareille à celui qui a juré
fidélité. S’il ne le faisait pas, il serait à bon droit taxé de mauvaise foi ;

Ici, Fulbert reconnaît les obligations positives que le seigneur doit en contrepartie de celles du
vassal. C’est donc un contrat synallagmatique/bilatéral (= chaque partie des obligations
envers l’autre). C’est la nature du contrat déterminée par ses effets1 (on a vu la nature du
contrat par sa formation : réelle et solennelle).

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Rappel : nature juridique = ce qui définit en droit une chose, sa substance au regard du droit, l’ensemble des
critères qui la constituent // régime juridique = système de règles s’appliquant en fonction de la nature juridique
regroupant l’ensemble des règles relatives à une matière ou regroupant des règles en raison de leur finalité

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Le seigneur ne doit donc pas commettre de tort ou de violence contre son vassal (aspect
négatif) et assurer la jouissance du fief (aspect tantôt négatif ou positif) ainsi que lui rendre
justice (privilège juridictionnel des vassaux, aspect positif).

Fulbert prévoit ensuite que l’hypothèse de l’inexécution du contrat par le seigneur. Ce


dernier est alors « taxé » (et non puni) de « mauvaise foi », c’est-à-dire d’un péché.

= la sanction a une dimension morale

« de même que le vassal qui serait surpris manquant à ses devoirs, par action ou par
simple consentement, serait coupable de perfidie et de parjure. »

Fulbert conclue avec l’hypothèse de l’inexécution de ses obligations positives par le vassal.

Cette inexécution prend deux formes :


- « par action » : par des faits qu’il a provoqués ;
- « par simple consentement » : par négligence et/ou abstention.

La sanction est ici l’infraction de « perfidie et de parjure » qui répond au viol du serment. Or ce
serment présente un caractère sacré. Dès lors, ce viol est puni comme crime. Concrètement,
ces chefs d’accusation conduisent à la coupe de la main droite et à la commise du fief, ce qui
permet ici, derrière ce modèle théorique, de répondre au cas Lusignan sur lequel Fulbert devait
se prononcer.

= la sanction a une dimension pénale (criminelle)

Critique : c’est toutefois une réciprocité en trompe-l’œil, un simple « balancement rhétorique »


(Poly et Bournazel), une atténuation discursive. La réciprocité est limitée puisque le seigneur
ne rend pas de service et ne fait pas de serment (il se contente d’assurer la jouissance effective
du fief concédé et de ne pas nuire à son vassal). Il ne peut donc être accusé que de mauvaise
foi.

Il y a donc une dissymétrie :

- en amont lors de la cérémonie de l’hommage et de la foi (formellement + absence de


serment parallèle) ;
- en aval par le régime des sanctions de l’inexécution des obligations.

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