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05/03/2024, 14:58 Les institutions politiques | Politika

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B
ien que l’étude des institutions soit constitutive des sciences sociales, celle des institutions qui
participent le plus directement à l’exercice du pouvoir politique (gouvernement, parlement,
présidence, etc.) a longtemps tardé à s’inscrire à l’agenda des recherches. Ce manque d’intérêt
s’explique en grande partie par la division du travail entre droit et science politique. C’est en effet en
investissant dans des objets non préemptés par les juristes (les comportements électoraux, les partis
politiques, etc.) que la science politique s’est affranchie du droit, abandonnant ainsi l’étude des
1
institutions aux juristes. Le renouveau des travaux de politique comparée dans les années 1970-80 2 ,
et plus tard la diffusion du courant néo-institutionnaliste dans l’hexagone dans les années 1990 , n’y
ont pas changé grand chose. Tout au plus les institutions politiques ont-elles été intégrées en tant que variables
explicatives dans l’analyse des politiques publiques, celle des relations internationales ou encore celle des mouvements
sociaux. Mais elles n’ont pas gagné le statut d’objet à part entière chez les chercheurs en sciences sociales, de sorte que ce
champ d’investigation est demeuré une science des textes constitutionnels.

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Ces textes sont pourtant loin d’enfermer la réalité des institutions politiques. Par exemple, on ne saurait résumer le
Parlement aux « fonctions » et rang que lui attribue la Constitution de 1958. S’il n’occupe plus qu’une place secondaire
dans le circuit de la décision
3 politique aujourd’hui, il n’en demeure pas moins
4 incontournable pour qui s’intéresse au
« métier » politique et, plus largement, à la représentation politique . C’est d’abord un trophée majeur de la
compétition partisane depuis que le financement public des partis a été 5 indexé sur le résultat des élections législatives. Il
reste aussi un point de passage obligé pour accéder au gouvernement ainsi qu’un lieu important de
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professionnalisation où les acteurs peuvent notamment se constituer un capital d’autochtonie en « circo » .

Il est donc possible de produire une connaissance sur les institutions politiques autre que celle qu’apportent les sciences
juridiques. C’est à cette ambition que s’attèlent depuis le début des années 1990 un certain nombre de chercheurs en
science politique. S’ils ne constituent pas à proprement parler une « école », ces derniers se revendiquent tous de
7
l’approche formalisée par Jacques Lagroye et Bernard Lacroix dans un livre pionnier, Le Président de la République ,
considéré comme fondateur de ce domaine d’investigation en France.

Cette approche se distingue des travaux anglo-saxons qui se développent au même moment sous la bannière du
néo-institutionnalisme tant par ses postulats que par ses problématiques et manières de pratiquer la recherche
8
. Elle se caractérise tout d’abord par son caractère empirique. Cette sociologie des institutions politiques rejette
en effet les cloisonnements disciplinaires au profit de protocoles d’enquête combinant les méthodes de la
sociologie, de l’histoire et de l’anthropologie (dépouillement d’archives, observation ethnographique, entretiens,
questionnaires, prosopographie). Ils refusent également toute allégeance à un seul courant théorique, n’hésitant
pas à combiner des perspectives souvent considérées comme exclusives outre-Atlantique (par exemple, celles du
choix rationnel, de l’interactionnisme symbolique et du structuralisme génétique).

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Bernard Lacroix, Jacques Lagroye (dir.), Le Président de la République, Paris, PFNSP, 1992.

Cette approche empirique ne signifie toutefois pas l’abandon de toute ambition théorique. Bien au contraire : elle est
inséparable d’une certaine construction de l’objet. De fait, c’est l’institution politique du social qui constitue la
problématique nodale de ces travaux. Autrement dit, ils ont pour première ambition de réencastrer pleinement les
institutions politiques dans le monde social. De sorte que c’est moins l’institution que les processus
d’institutionnalisation qui intéressent les chercheurs français, et que, c’est bien l’articulation entre ces processus et
l’ordre social que ces derniers s’efforcent de comprendre, poursuivant en cela une piste énoncée par Max Weber selon
laquelle la domination, lorsqu’elle s’exerce durablement sur un grand nombre d’individus,
9 requiert des « appareils
politiques et administratifs » chargés d’entretenir la croyance dans sa légitimité .

Dans cette perspective, on peut de manière schématique distinguer deux grandes orientations de recherche. La première
se situe à un niveau macro-sociologique et vise à saisir les processus par lesquels les institutions politiques sont investies
des croyances socialement partagées qui légitiment l’exercice du pouvoir politique dans les démocraties contemporaines.
La seconde se situe à un niveau plus micro-sociologique et interroge les conditions de reproduction ou de transformation
des rapports de domination à l’intérieur des institutions. Ce deuxième axe apporte un éclairage complémentaire au
premier : il permet de déconstruire des rapports de domination que la légitimation des institutions tend à objectiver.

La légitimation des institutions politiques

Les démocraties contemporaines ne reposent bien 10 sûr pas que sur des croyances. Outre la monopolisation de la violence
physique par les autorités habilitées à l’exercer , ce sont aussi les multiples échanges et obligations interpersonnelles
11
qui construisent des chaînes d’interdépendances entre gouvernants et gouvernés qui font tenir les régimes politiques .
Néanmoins, sauf à démontrer que le rapport « profane » aux institutions politiques n’est qu’indifférent, soumis et/ou
intéressé, on ne saurait entièrement comprendre la relative robustesse des régimes sans analyser l’ensemble des
croyances qui légitiment
12 l’exercice du pouvoir politique et augmentent la probabilité de trouver des personnes prêtes à
obéir à ses décisions . Ce postulat de recherche appelle au moins deux questions. Quelles sont les croyances qui
légitiment les institutions politiques démocratiques ? Comment sont-elles forgées, c’est-à-dire par qui et par quels
processus ?

Institutions politiques et domination légale-rationnelle

C’est d’abord dans le sillon de Max Weber que des réponses à ces questions ont été apportées. Selon cet auteur, l’État
contemporain aurait ceci de « moderne » qu’il repose sur une domination de type « légale et rationnelle », fondée sur « la
croyance en la légalité des règlements
13 arrêtés et du droit de donner des directives qu’ont ceux qui sont appelés à exercer
la domination par ces moyens » . Dans la continuité de ce travail, un certain nombre de chercheurs ont ainsi souligné
le rôle essentiel du droit dans les démocraties contemporaines : en tant que langage officiel des institutions, il apporte la
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force de sa forme impersonnelle et générale à leur légitimation ; en tant que doctrine relative à l’organisation des
15
pouvoirs publics, il tend à masquer l’arbitraire du pouvoir en le désincarnant . En d’autres termes, ces travaux
éclairent la fabrication d’une croyance fondamentale dans la légitimation 16 des institutions politiques démocratiques, à
savoir la croyance dans leur neutralité, véritable écran de « façade » qui, comme l’expliquent James G. March et Johan
17
P. Olsen, a longtemps fait obstacle
18 à leur analyse scientifique . Plus précisément, en restituant
19 la genèse de la doctrine
constitutionnelle républicaine , son autonomisation par rapport au pouvoir politique ou encore son déploiement
20
dans le gouvernement des institutions internationales , ils éclairent de manière inédite les conditions socio-
professionnelles de cette entreprise de légitimation politique sans pour autant verser dans une sociologie du complot.
Tant par ethos professionnel qu’en raison des propriétés du champ juridique, les juristes sont de fait les premiers à
adhérer aux justifications qu’ils produisent. Quant aux dirigeants politiques, la mise en forme juridique des positions
qu’ils occupent les contraint tout autant qu’elle légitime leurs actions.

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Constitution de 1958, Préambule et sceau apposé par Michel Debré.


Source : www.gouvernement.fr

On sait, par exemple, que l’article 5 de la Constitution de 1958 justifie les pouvoirs exceptionnels du président de la
République en l’assignant à un rôle d’arbitre. Or cette définition légale du rôle présidentiel a pour conséquence d’éloigner
ceux qui l’endossent de leurs soutiens partisans, ce qui n’est pas sans les placer en situation de double bind quand leur
réelection est en jeu.

C’est ainsi que, lorsqu’en février 2016 un journaliste de France Inter demande au Président François Hollande s’il
est « encore de gauche », celui-ci répond spontanément, comme s’il était prisonnier de la définition légale de son
rôle, « Je suis Président de la République… je représente tous les français », s’attirant ainsi sarcasmes et
commentaires acerbes de nombreux éditorialistes et électeurs de gauche.

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« Ce que Hollande répond quand on lui demande s'il est encore de gauche », Marianne, 21/02/2016.
Voir l'article complet sur le site de Marianne.
© Marianne.net

Reste que si ces travaux ont enrichi la connaissance de la domination légale rationnelle, la recherche sur la légitimation
des institutions politiques ne saurait s’y arrêter. En premier lieu, rien dans l’œuvre de Weber ne permet de penser que
seul ce type de domination subsiste aujourd’hui, même si une lecture évolutionniste des différents types de domination
que cet auteur décrit dans Économie et société s’est imposée. Comme l’explique Weber, ces derniers ne sont que des
idéaux-types qui ne sont ni successifs ni exclusifs. La preuve en a été apportée par certains travaux consacrés à l’analyse
des phénomènes charismatiques dans les États de droit les plus bureaucratisés. C’est le cas notamment de la Ve
21
République dont la légitimation, comme l’a montré Brigitte Gaïti , repose à ses débuts sur la personne du général de
Gaulle et son « prophétique » discours de Bayeux. La routinisation de son charisme, qui hypothèque l’avenir du régime,
22
est ainsi un enjeu essentiel de la compétition politique durant les premières années de la Ve République et a
23
durablement marqué le rôle présidentiel de son empreinte . Le cas des institutions politiques françaises, pour
emblématique qu’il soit, est loin d’être exceptionnel. Comme l’ont montré d’autres travaux, la construction des
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institutions européennes
24 doit également beaucoup
25 aux communautés charismatiques qui se sont regroupées autour de
Jean Monnet et de Pierre Henry Teitgen .

En second lieu, un certain nombre de constats tendent à relativiser l’importance du droit dans la légitimation des
institutions politiques contemporaines. D’abord, l’abstention électorale, la radicalisation ou encore les mouvements de
désobéissance civile indiquent qu’un nombre important de citoyens n’adhère pas nécessairement à ce registre de
justifications. On peut du reste penser que nombreux sont les acteurs, y compris très diplômés, qui ne pensent guère en
droit les institutions politiques faute de connaissances juridiques. Ensuite, bien que l’encadrement juridique de la vie
politique se soit fortement développé ces trente dernières années, certaines positions de pouvoir restent dans un régime
de quasi franchise juridique. C’est le cas, par exemple du premier ministre en France et plus largement du gouvernement
26
dont le périmètre des compétences est largement indéterminé en droit . Pour toutes ces raisons, et sauf à rester
prisonnier du discours juridique sur les institutions politiques – lequel participe en réalité de la domination légale-
rationnelle –, les chercheurs ont également testé l’hypothèse selon laquelle la légitimité des institutions démocratiques
27
repose sur leur capacité à s’identifier à certaines normes sociales .

Institutions politiques et formes de la domination sociale

Les institutions politiques, on le sait, sont particulièrement élitistes. L’objectivation statistique est sur ce point
implacable : plus on monte dans la hiérarchie des institutions politiques et plus se renforce la sursélection sociale de leur
personnel. Cependant, pendant longtemps, cette spécificité était expliquée par des facteurs28 exogènes comme le caractère
aristocratique des procédures de recrutement – élections, nomination, cooptation – et l’inégale distribution du
29
sentiment de compétence politique au sein de la société . Il a fallu attendre le développement des travaux sur le métier
30 31
d’élu et la profession politique pour ajouter à ce type d’explications des facteurs endogènes, propres aux
institutions elles-mêmes. Ces travaux montrent en effet de manière empirique que les institutions ne sont pas seulement
32
juridiquement définies : elles sont aussi socialement construites .

D’une part, exercer un mandat politique c’est endosser un rôle d’élu sur lequel pèsent certaines attentes sociales. Ces
dernières sont parfois faibles ou floues lorsqu’il s’agit d’institutions encore jeunes et/ou mal connues du public comme le
33 34 35
Conseil régional ou le Conseil général . Mais pour les institutions les mieux établies, comme la Mairie ou la
Présidence de la République, ces attentes agissent comme de véritables prescriptions de rôle qui orientent la conduite de
ceux qui les endossent. C’est ainsi, par36
exemple, que les maires socialistes n’ont pas réussi à subvertir le rôle de maire
comme ils le souhaitaient à l’origine . Bien au contraire : les multiples interactions dans lesquelles ils étaient pris en
tant qu’édiles (avec le Préfet, l’administration, les électeurs) les ont progressivement socialisés aux normes notabiliaires
du rôle.

D’autre part, quelles que soient les attentes qui pèsent sur les rôle d’élus, évoluer dans cet univers de pratiques que sont
les Conseils municipaux, le Parlement, etc., requière certains savoirs faire politiques liés notamment à la prise de parole
en public – l’éloquence, la répartie, l’humour – dont la maîtrise est inégalement répartie dans la société. C’est ainsi qu’il
ne suffit pas d’être élu pour devenir député en toute légitimité comme le découvrent à leur dépens les premiers députés
37 38
ouvriers , les commerçants poujadistes qui accèdent à l’Assemblée nationale en 1956 ou les premiers élus du
39
FN . Que ce soit dans l’hémicycle parlementaire ou dans la presse, ces députés aux propriétés sociales atypiques font
l’objet de jugement sociaux qui les stigmatisent et les disqualifient en tant que représentants.

Ce qui vaut pour les classes vaut également pour les sexes. Dès 1988, Mariette Sineau montrait ainsi que les institutions
politiques, en théorie universelles, sont en réalité sexuées et sexuantes : elles obligent, autrement dit, les élues à mimer
40
les conduites viriles de leurs homologues masculins . À cet égard, la règle paritaire introduite en juin 2000, si elle
promeut de manière inédite les femmes en politique, ne facilite pas pour autant la tâche à celles qui veulent y faire
41
carrière . Car désormais élue en raison de leur genre, elles doivent néanmoins toujours se conformer aux normes
masculines de leur rôle pour éviter les sanctions symboliques. Les institutions politiques ne sont donc pas que de simples
miroirs qui réfléchissent les inégalités sociales existantes : elles apportent leur propre contribution à la distribution
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inégale du pouvoir dans la société entre les classes, les sexes et les « races » .

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Longuet vs la barbe au sénat

Le groupe d'action féministe La Barbe intervient au Sénat dans un colloque sur la Ve République.
Gerard Longuet réagit : « J'ai une femme, quatre filles, une mère et quand j'ai un chien c'est une chienne
».

Le genre comme registre de légitimation des institutions politiques

Les travaux sur les femmes en politique ne font toutefois pas que confirmer que l’universel, ici comme ailleurs, est
43
masculin . Rejoignant une piste ouverte par l’historienne44 Joan Scott, ils montrent par ailleurs que le genre est une
« manière première de signifier les rapports de pouvoir » . En d’autres termes, il s’analyse comme un langage
politique qui non seulement ordonne et hiérarchise le monde social mais permet également d’objectiver l’organisation
politique des sociétés en la naturalisant. Elsa Dorlin ne fait pas autre chose dans son travail sur les régimes
plantocratiques lorsqu’elle montre que cette « matrice de la race » qu’est le genre a servi à justifier la domination d’une
45
minorité de « blancs » sur une majorité de « noirs » . Or ces usages politiques du genre sont loin d’être circonscrits à
des régimes obsolètes dans des contrées exotiques.

Certes, dans les démocraties contemporaines, la revendication d’une 46 identité politique sexuée est peu légitime dans les
cadres d’interaction relativement intimes de l’entre-soi militant . Mais le genre n’en est pas moins très présent dans
les commentaires publics de la vie politique, en particulier dans les portraits journalistiques. Car ce langage a des
propriétés singulières qui le rendent particulièrement « efficace » dans un univers aussi différencié et conflictuel que le
champ politique. Outre qu’il renvoie à la « nature » des choses, c’est-à-dire aux évidences considérées comme les plus
indiscutables, il est universellement partagé. Autrement dit, à l’inverse du langage juridique, il est compréhensible par
tous, y compris par les individus peu compétents politiquement. Par conséquent, il peut contribuer à mobiliser l’opinion
publique tout en faisant tenir ensemble des acteurs que tout oppose sur le plan des opinions politiques et des attaches
47
partisanes . Mais il sert aussi à naturaliser des relations hiérarchiques entre des positions de pouvoir que la règle de
droit n’objective pas.

C’est le cas, par exemple, de la relation Président/ Premier ministre qui est largement indéterminée en droit tant pour le
périmètre de leurs compétences respectives que pour ce qui est de la hiérarchie entre eux. De manière très significative, la
presse parle alors du « couple Président/Premier ministre » et de leur « divorce » lors des départs de certains chefs du
gouvernement (Jacques Chirac en 1976 et de Michel Rocard en 1991). Et lorsqu’en 2005 le Président fait de son ministre de
l’Intérieur, alors chef de la majorité, le second dans l’ordre protocolaire des nominations en lieu et place du Premier
Ministre, cette configuration inédite au sein du pouvoir exécutif est décrite comme un « ménage à trois ». Le registre
d’intelligibilité n’est donc pas ici juridique ni même politique mais domestique. Surtout, le Premier ministre est dans ce
registre classé du côté du genre dominé/féminin au point d’ailleurs de troubler le genre de ceux qui l’endossent. Car si ce
dernier est le chef du gouvernement, il n’est en revanche pas le chef du pouvoir exécutif sous la Ve République.

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Président - Premier ministre, le couple infernal. Voir l'article sur Politique.net.


© Politique.net

En dehors des périodes de cohabitation, c’est en effet un rôle de « second » qu’endossent les chefs du gouvernement
depuis 1962, a fortiori lorsqu’ils sont nommés en cours de mandat présidentiel. Il est alors frappant de constater que les
portraits qui en sont dressés par la presse tendent à efféminer les acteurs politiques qui acceptent d’endosser un tel rôle
politique. En d’autres termes, les qualités qui leurs sont reconnues sont celles que l’on impute habituellement aux
femmes en politique (l’écoute, la discrétion, l’amabilité…) et l’attention des journalistes se porte de manière inhabituelle
48
sur leur famille, leur corps et leurs vêtements . Ces marqueurs identitaires féminins apposés à des dirigeants
politiques peuvent alors s’analyser comme une manière de naturaliser leur position subordonnée dans la hiérarchie du
pouvoir exécutif tout en préservant symboliquement l’ordre sexué du monde social.

Ainsi, après avoir souligné le rôle du droit et des juristes dans la production des croyances qui légitiment l’organisation
du pouvoir politique, c’est celui du genre et des journalistes qui est aujourd’hui mis au jour par la recherche. À cet égard,
49
le développement des travaux sur le genre dans la communication et les médias, que ce soit en info-com ou en science
50
politique , contribue à enrichir la connaissance sur la légitimation des institutions politiques. Celle-ci, en effet, y
apparaît nettement moins fondée en raison (juridique, économique, etc.) qu’en nature. En d’autres termes, ceux de Mary
Douglas, c’est aussi parce qu’elles sont « reliées par analogies à des classifications élémentaires considérées comme
naturelles », telle l’opposition masculin/féminin, que les institutions politiques « deviennent parties prenantes de l’ordre
51
universel et peuvent à leur tour servir de fondement » . Reste alors à comprendre comment, concrètement, celles-ci
contribuent à fonder l’ordre social.

Le pouvoir des institutions politiques en questions

La question du pouvoir que les institutions exercent sur les individus est constitutive de ce domaine d’investigation.
Pendant longtemps elle a vu s’opposer deux types de réponses exclusives l’une de l’autre : d’un côté, ceux qui comme
Émile Durkheim et Foucault, pour ne citer que les plus connus, montrent que les institutions ont le pouvoir de discipliner
les corps et les esprits ; de l’autre ceux qui comme Erving Goffman et Anthony Giddens insistent sur la marge de liberté
des acteurs et leur capacité à jouer et même à subvertir les règles institutionnelles. Or, comme le notent Jacques Lagroye

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et Michel Offerlé, les travaux consacrés aux institutions politiques se distinguent fortement de leurs précurseurs sur cette
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question . Attentifs à l’hétérogénéité des rapports à l’institution, ils rejettent d’emblée l’alternative. Et, plutôt que de
préjuger du degré de contrainte qu’exercent ces corps objectivés de règles et de croyances sur la conduite des acteurs, ils
s’efforcent de mettre au jour les multiples investissements dont celles-ci font l’objet.

L’analyse des rapports à l’institution politique

Cette posture singulière peut s’expliquer de deux manières. La première tient à la spécificité des institutions politiques.
Celles-ci, en effet, s’insèrent dans un univers de pratiques relativement autonome, marqué qui plus est par son caractère
ultra compétitif. Or, comme l’attestent l’inscription des réformes constitutionnelles dans les programmes des candidats
à l’élection présidentielle et plus encore la propension des Présidents élus à réformer le régime, la définition des
institutions politiques est – avec la conquête du pouvoir – l’un des trophée majeur de la compétition politique. De plus,
dans cet univers de pratiques institutionnelles, la conduite des acteurs ne fait pas l’objet d’une socialisation
53
formelle alors même que le recrutement du personnel des institutions politiques échappe pour partie à ceux qui les
dirigent. S’attacher à comprendre les rapports variables qu’entretiennent avec elles les acteurs qui habitent les
institutions politiques s’imposait donc ici plus comme une nécessité face à la « réalité » du terrain que comme un acte de
rupture épistémologique. À cette première raison s’en s’ajoute une seconde qui tient cette fois à la libido sciendi des
chercheurs. Comme l’expliquent Bernard Lacroix et Jacques Lagroye dans l’introduction du Président de la République, il
s’agissait surtout à l’origine de rompre avec les présupposés de l’analyse juridique et en particulier avec tout vision réifiée
de l’objet. Dans ces conditions, l’invitation de Émile Durkheim à appréhender les faits sociaux comme des choses
semblait moins prioritaire que celle de Max Weber à comprendre les motivations des acteurs.

Cette posture va en premier lieu se manifester au niveau conceptuel par une redéfinition de la notion de rôle. Dans un
54
entretien de référence avec la revue Politix au titre significatif , Jacques Lagroye définit en effet le rôle comme
« l’ensemble des comportements liés à une position institutionnelle qui permettent de la faire exister, de la rendre
sensible aux autres ». Cette définition peut sembler vague a priori. Mais loin d’être une marque de faiblesse, cette
caractéristique en renouvelle l’intérêt : outre qu’elle invite à rester au plus près des pratiques comme des représentations
collectives de l’institution, cette définition du rôle permet « d’échapper à l’opposition stérile entre une approche en
termes d’apprentissage des rôles qui fait prévaloir une certaine ‘logique des institutions’, et une analyse interactionniste
55
qui tend à l’inverse à présenter les rôles comme des comportements résultants des seules attentes des partenaires » .

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Jacques Lagroye, « On
ne subit son rôle »,
Politix, n° 38, 1997.

Cette posture se traduit ensuite au niveau méthodologique, par une approche principalement qualitative. Le plus souvent,
elle a en effet donné lieu à des monographies de type ethnographique qui étudient au cas par cas la « rencontre
56
dynamique entre l’objectivé et les investissements dont il est l’objet » . Cependant, avec le développement récent des
legislatives studies en France, les méthodes quantitatives sont également utilisées pour typifier les comportements des
57
parlementaires et leurs différentes manières de performer le rôle de représentant . Mais quels que soient les
protocoles mobilisés et les institutions étudiées, ces travaux conduisent à un même constat, à savoir que le rapport entre
l’institution et les acteurs qui les habitent est un rapport dialectique de co-construction. Non seulement les institutions
politiques y apparaissent travaillées en permanence par tous les acteurs en position de prendre part à l’une quelconque
58
des luttes à la fois pratiques et symboliques qui participent de leur construction sociale ; mais, lié à cela, leur pouvoir
n’est pas comparable à celui d’une police chargée d’assurer le maintien de l’ordre social existant. Le cas du Conseil
59
général en est un bon exemple . D’un côté, cette institution joue un rôle important dans la socialisation au métier
politique en émancipant certains de ses membres du localisme dans lequel ils ont initialement ancré leur mandat ; de
l’autre, elle est tiraillée entre une logique « d’instrumentation », qui tend à réduire le rôle du Conseil général à celui de
simple guichet gérant l’action sociale, et une logique de politisation importée dans ces assemblées par certains de leurs
membres cumulant leur mandat de conseiller avec celui de député. Dans certains cas, ce rapport de co-construction peut
même agir dans le sens du changement social, jusque et y compris dans les régimes autoritaires. C’est ainsi que
l’autonomisation du parlement du Kurdistan irakien engagée depuis le milieu des années 2000, loin d’entériner la
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domination des « pershmergas » tend à la fragiliser . Au sein de cette institution l’identité sociale et politique des élus
ainsi que leurs liens d’allégeance se modifient en même temps que les ressources partisanes se démonétisent au profit
des titres scolaires.

Les institutions politiques non collectives, comme le Président, n’échappent pas à ce type de constat. Bien que réputé
taillé sur mesure par et pour le général de Gaulle, qui le concevait comme un arbitre suprême détaché de tout lien
partisan, le rôle présidentiel a en effet considérablement évolué depuis l’instauration de l’élection au suffrage universel
direct.

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Jean-Marie Marcel/ La Documentation française, portrait officiel du Général de Gaulle, premier président de la Ve
République.
© Jean-Marie Marcel/ La Documentation française

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Dès le scrutin de 1965, il s’est politisé sous la pression des forces de gauche au point que l’élection d’un candidat qui
n’aurait pas ou peu de capital partisan paraît aujourd’hui impossible. Simultanément, la définition du rôle présidentiel
est devenue le trophée majeur d’une lutte symbolique ayant pour enjeu la valeur sociale de la compétence économique et,
62
avec elle, celle des groupes qui peuvent s’en prévaloir . Si elle ne s’y réduit pas, l’acmé de cette lutte se situe lors de la
campagne présidentielle de 1965 durant laquelle le général de Gaulle fut contraint de défendre le bilan économique de son
premier septennat et de reconnaître ainsi publiquement l’importance qu’il accorde aux questions économiques dans
l’exercice de ses fonctions.

Charles de Gaulle

Interview du général de Gaulle, candidat à la présidence de la République, par Michel Droit, entre les deux
tours des élections présidentielles, 13/12/1965.
© INA

Ces exemples contre-intuitifs restent bien sûr minoritaires. Mais ils ont la vertu de rappeler que, au sein des institutions
politiques plus qu’ailleurs, les rapports de domination ne sont jamais figés : ils se (re)jouent en permanence. Même
lorsque la domination semble acceptée, peu conflictuelle, comme par exemple dans le cas des intellectuels communistes
63
étudiés par Frédérique Matonti , cette relation n’exclut pas la ruse, le double langage ou encore la critique. Elle ne
produit donc pas que du consensus mais des tensions et des compromis. Et lorsqu’elle se maintient malgré des mesures
légales visant à la corriger, comme c’est le cas dans les assemblées paritaires françaises, le phénomène n’est pas un
processus itératif qui reconduit l’existant à l’identique mais un processus de recomposition au sein duquel les dominants
64
ne parviennent à conserver leur position qu’au prix d’un certain nombre d’investissements plus ou moins coûteux .

L’analyse de l’encadrement des conduites

Appréhender l’institution politique comme un groupement humain hétérogène, conflictuel et mouvant conduit ainsi
logiquement à interroger la régulation des conduites en leur sein. Sur ce point, la recherche s’est largement appuyée sur
les connaissances établies en sociologie politique. On sait en effet depuis longtemps que les partis politiques fonctionnent
65
comme de véritables bureaux de recrutement du personnel dirigeant . C’est là que les acteurs se socialisent au métier
politique ; c’est là aussi que s’opère un tri préalable des prétendants à l’exercice du pouvoir par le biais des procédures
d’investitures aux élections et plus récemment des primaires. On sait aussi depuis longtemps que les modes de scrutin
ont des effets sur la composition des assemblées délibérantes. La préférence pour le scrutin uninominal majoritaire pour

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les élections législatives n’est à cet égard pas anodine : outre que ce mode de scrutin limite le pluralisme politique en
fabriquant des majorités parlementaires, il offre une prime aux sortants et a donc des effets discriminants sur les
outsiders de la compétition politique. Toutefois, ce type de contrôle sur la sélection du personnel politique ne garantit pas
un contrôle sur les conduites attendues. En attestent l’indiscipline régulière des parlementaires de la majorité ou encore
les nombreux conflits qui émaillent l’histoire des relations Président/Premier ministre sous la Ve République en dehors
des périodes de cohabitation alors même que le Président peut choisir de manière quasi discrétionnaire un chef de
gouvernement qui ne lui dispute pas la prééminence au sein du pouvoir exécutif.

Dans les coulisses de la fronde des députés socialistes


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Dans les coulisses de la fronde des députés socialistes, France info, 01/09/2014.
© France info

Président-Premier ministre : un couple houleux et tourmenté

Président-Premier ministre : un couple houleux et tourmenté, Les Échos, 08/04/2014.


© Les Échos
https://www.politika.io/fr/article/institutions-politiques 14/17
05/03/2024, 14:58 Les institutions politiques | Politika

Aux opérations visant à contrôler le recrutement s’ajoutent donc également des pratiques d’encadrement des conduites.
C’est ainsi par une surveillance organisée au quotidien à Matignon que les Présidents cherchent – avec plus ou moins de
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succès – à contrôler leur Premier ministre . Celle-ci s’opère d’abord via les membres du cabinet présidentiel qui
doublent le service du Premier ministre. Ils sont en effet en contact permanent avec les membres des autres cabinets,
assistent à toutes les réunions interministérielles et vont parfois jusqu’à court-circuiter Matignon. L’encadrement du
Premier ministre s’opère ensuite via les ministres dès lors qu’il appartient au Président – et non au Premier ministre – de
signer les décrets relatifs à leur nomination. Cette prérogative permet ainsi aux Présidents de contrôler la composition du
gouvernement, et par là, d’écarter le Premier ministre de certains dossiers qui seront traités directement à l’Élysée avec
le ministre compétent. Elle permet également de marginaliser ce dernier au sein du gouvernement en l’encerclant de
ministres qui sont davantage fidèles au Président qu’au Premier ministre. Ainsi, par exemple, lorsqu’après la défaite aux
élections municipales de 2014, le Président François Hollande a remplacé à la tête du gouvernement son ami Jean-Marc
Ayrault par Manuel Valls, un de ses principaux concurrents à l’Élysée, il n’a remanié qu’à la marge le gouvernement en
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isolant le Premier Ministre de ses soutiens les plus directs . La discipline parlementaire repose de la même manière
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sur une servitude tant volontaire qu’obligée des députés de la majorité . Si ces derniers ont intérêt à la réussite du
gouvernement, l’observation du groupe parlementaire majoritaire montre malgré tout que la conformation de ses
membres aux consignes de vote repose sur un ensemble complexe d’allégeances, d’espoirs auto-contrôlés, de pressions
directes ou indirectes, de persuasions, bref de négociations.

Comme le montre en effet Damien Lecomte, l’organisation du groupe socialiste, majoritaire à l’Assemblée nationale
durant la XIVe législature, est tout entièrement orientée vers un travail délicat de régulation/ canalisation des conduites
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parlementaires . Outre que le bureau du groupe a pour fonction essentielle de s’assurer de la présence des députés en
séance plénière, il gère au plus près les activités de ses membres en s’efforçant de leur faire respecter le règlement
intérieur. Selon ce règlement, les propositions de lois comme les amendements ne peuvent être déposés devant le bureau
de l’Assemblée qu’après avoir été validés par le groupe parlementaire. L’écart à la règle est bien sûr toléré mais la
signature du groupe pour les amendements accroît la probabilité de leur adoption en séance plénière, ne serait-ce que
parce que l’un des rôles du bureau (et du rapporteur de la loi) est de négocier avec le ministre en charge du dossier les
amendements parlementaires de la majorité. En cas de désaccord persistant, le bureau du groupe n’a que peu de moyens
pour faire pression sur ses troupes. Le règlement prévoit certes des sanctions mais, en réalité, celles-ci ne sont que
rarement mises en œuvres étant donnée leur faible efficacité. Le bureau du groupe négocie ainsi plus facilement la
discipline en échange de certaines ressources collectives – commandes de rapports législatifs, dépôts de propositions de
loi au nom du groupe, questions d’actualité au Gouvernement, etc. – qu’il lui appartient de distribuer au sein du groupe et
donc éventuellement d’en bloquer les bénéfices pour les députés qui auraient été « déloyaux ». Mais c’est un moyen de
pression imparfait : ces biens sont relativement rares d’une part ; et d’autre part, bon nombre de députés supportent
l’exercice de leur mandat sans être rapporteur ni avoir de créneaux aux questions d’actualité, ni envisager de porter une
proposition législative.

On ne comprendrait toutefois pas entièrement le pouvoir des institutions politiques sans voir que l’encadrement des
conduites s’y réalise en dehors de toutes pratiques intentionnelles. Comme le montrent un certain nombre de travaux,
c’est aussi dans l’organisation même du travail qu’il faut chercher à comprendre la conformation des acteurs aux
exigences de l’institution. Par exemple, le dispositif des réunions qui président aux délibérations des instances
intercommunales fonctionne comme une « succession de ‘tamis’ qui, calibrant et filtrant les délibérations et les décisions
avant leur arrivée devant le Conseil », réduit considérablement la probabilité d’y voir surgir les conflits et conduit de ce
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fait à un « régime de consensus » dans lequel les ressources et conduites partisanes sont inopérantes . Les travaux sur
les femmes en politique montrent de la même manière que la double ségrégation – à la fois verticale et horizontale – qui
affecte les élues dans tous les parlements du monde tient également à l’organisation du travail en commissions
spécialisées dans ce type d’assemblées. La spécialisation qu’implique cette organisation bureaucratique du travail incite
en effet les élues à se replier sur leur domaine de compétence socio-professionnel et favorise – en l’état actuel des
orientations scolaires et professionnelles – leur concentration dans les commissions consacrées aux affaires « sociales »
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et/ou « culturelles » qui sont moins stratégiques pour faire carrière en politique .

https://www.politika.io/fr/article/institutions-politiques 15/17
05/03/2024, 14:58 Les institutions politiques | Politika

Réunions de la commission des Lois ; réunion de la commission des Affaires Sociales, Assemblée nationale.
Source : Assemblée nationale.

Enfin, dans la lignée des travaux de Michel Foucault, la sociologie pragmatique montre que l’encadrement des conduites
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s’opère aussi dans la matérialité la plus concrète des institutions . Comme l’explique ainsi Jean-Philippe Heurtin, les
dispositifs architecturaux des salles d’assemblées parlementaires expérimentées
73 depuis 1789 – en face-à-face, en cercle,
en hémicycle, etc. – contribuent à ordonner la parole d’assemblée . Plus récemment, Delphine Gardey a levé le voile
sur les coulisses du palais Bourbon et souligné l’importance du personnel administratif – sténographes, administrateurs,
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huissiers, etc. – dans l’institutionnalisation des pratiques d’assemblée . En nous rappelant que l’institution est avant
tout une histoire faite choses et corps, ces travaux ouvrent alors des pistes qui n’ont guère été défrichées jusque-là. Ils
invitent en effet la sociologie des institutions politiques à décentrer son regard des seuls professionnels de la politique
pour intégrer dans l’analyse tout ce qui, dans les activités les plus ordinaires, souvent considérées comme marginales
parce que non politiques et à ce titre délaissées, contribuent à la perpétuation de l’ordre institutionnel.

C’est de fait en poursuivant les recherches aux marges des institutions politiques que l’analyse aurait le plus à gagner
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aujourd’hui . D’abord, parce que le personnel administratif, souvent plus durablement attaché aux institutions
politiques que ne le sont les professionnels de la politique, est porteur d’une mémoire institutionnelle qui participe de la
routinisation des pratiques. C’est le cas, tout particulièrement du Secrétariat Général du gouvernement, du Secrétariat
général de l’Élysée ou encore des administrateurs de l’Assemblée nationale et du Sénat. On peut en outre penser à bon
droit que leur formation (souvent juridique), leur sélection (par concours), leur statut (généralement de fonctionnaire)
ainsi que leurs missions (apporter une assistance exclusivement technique) incitent ces acteurs à s’identifier à
l’institution plus qu’aux hommes et aux femmes politiques qu’ils servent. Leur rapport à l’institution mériterait en tout
cas d’être analysé au même titre que celui des acteurs politiques.

Par ailleurs, certains acteurs institutionnels occupent une position particulièrement heuristique à l’intersection de
plusieurs mondes sociaux et institutionnels. C’est le cas notamment des membres des cabinets ministériels et des
collaborateurs d’élus, mais aussi des Présidents de groupe au Parlement, des rapporteurs de projets de loi, etc. Porter la
focale sur eux permettrait alors de combler deux angles morts de la recherche. En effet, jusqu’à présent, les institutions
politiques ont été appréhendées de manière isolée, de sorte que c’est une connaissance segmentée de l’espace des
institutions politiques qui a été produite. Travailler sur des acteurs qui font l’interface entre plusieurs institutions
politiques permettrait donc de comprendre tout ce que le fonctionnement des institutions politiques doit aux relations
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d’interdépendances verticales et horizontales qui les relient entres elles . Enfin, certains acteurs jouent aussi un rôle
d’interface avec le public des profanes. Par exemple, c’est une équipe de soixante-treize personnes qui chaque jour trie le
courrier que reçoit le président de la République et répond aux requêtes, « coups de gueule » et commentaires envoyés à
l’Élysée. Ce sont les collaborateurs d’élus qui reçoivent en circonscription et en mairie les doléances de ceux qui font
appel à leur député ou à leur maire. Étudier ces acteurs « marginaux » et leurs activités permettrait par conséquent de
saisir le rapport des citoyens ordinaires
77 aux institutions politiques, trop souvent abandonné aux sondages d’opinion et
conseillers en communication .
NOTES/BIBLIOGRAPHIE

https://www.politika.io/fr/article/institutions-politiques 16/17
05/03/2024, 14:58 Les institutions politiques | Politika

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