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Traitement National - Livre DII
Traitement National - Livre DII
10.12. Nécessité d'une comparaison. D'une manière générale cependant, il n'est pas
interdit de penser que les disparités de rédaction dissimulent en réalité un certain
malaise à propos de ce standard délicat à appréhender.
Le traitement national implique en effet une égalité entre nationaux et étrangers,
mais sans que cette égalité soit mathématique. En tout état de cause donc,
puisqu'une différence objective de situation peut justifier une différence de traitement
dans l'absolu, il est indispensable de procéder à une comparaison entre la situation
de l'investisseur étranger et celle de l'investisseur national. Cette comparaison obéira
sans doute à des considérations différentes en fonction de la rédaction du traité
applicable.Sans doute dans le cadre de l'ALENA l'exigence sera-t-elle ainsi plus
élevée, et il est vrai que les tribunaux statuant sur le fondement de l'accord nord-
américain prennent un soin tout particulier à établir la similarité des situations avant
d'examiner une différence éventuelle de traitement.
10.16. Notion de marché dans le droit de l'UE. Il n'est donc guère aisé de dégager
des principes fermes sur la question des circonstances analogues.
La seule certitude tient à ce que cette exigence ne peut être imposée par les
tribunaux arbitraux si elle ne figure pas dans le traité applicable, et il importe ici de
préciser qu'un assez grand nombre d'instruments la passent totalement sous silence.
Il ne semble pas ensuite que les disparités de rédaction emportent nécessairement
des conséquences importantes sur la détermination des arbitres. La position de
ceux-ci, en revanche, semble sujette à certaines variations. Le seul élément commun
susceptible d'être identifié est celui de la comparabilité des situations. Celle-ci
n'implique pas, nous l'avons vu, une identité d'objet ou d'activité. Elle peut même être
indifférente à la distinction des secteurs économiques. Ce qui importe donc est
davantage la possibilité de comparer le traitement reçu par les deux investisseurs,
national et étranger.
A cet égard, à côté de la jurisprudence de l'Organe de règlement des différends de
l'OMC dont la pertinence n'est pas nécessairement absolue, la position de la Cour de
justice de l'Union européenne sur la notion de «marché » comme unité de base
d'application des règles de la concurrence peut apporter quelques indications
précieuses : pour que deux produits soient en concurrence, et donc que les règles
européennes relatives à la non-discrimination s'appliquent, ils doivent appartenir au
même « marché».
Celui-ci se définit alors du point de vue des consommateurs : un marché est
constitué de l'ensemble des produits qui sont interchangeables à raison de leur prix,
de leur composition et de leur utilisation finale 5°. Il s'agit certes là d'une solution
circonstanciée, et limitée au commerce des marchandises.
Au surplus, la notion de marché au sens du droit de l'Union implique également celle
de marché géographique, le cadre de raisonnement de la Cour étant toujours limité
dans l'espace. Mais la position adoptée par la Cour de Luxembourg révèle aussi que
le cadre de base de la non-discrimination entre des biens nationaux et importés, sur
le plan économique, peut être celui du marché, défini à partir de l'interchangeabilité
de la prestation proposée du point de vue du consommateur. Ce n'est sans doute
pas un élément susceptible d'être repris tel quel dans la jurisprudence arbitrale, qui
peut avoir affaire à des investissements sans lien avec la notion de marché ou de
consommateur. Mais à tout le moins, c'est une indication intéressante, qui peut être
particulièrement pertinente dans certaines hypothèses.
10.17. Conclusion. Sans doute faut-il donc, en définitive, prendre la question à l'inverse: le
traitement national impose un traitement identique de situations qui appellent un traitement
identique. Si bien qu'en réalité, l'identité des situations ne peut être vérifiée qu'a posteriori, en
fonction de la justification d'une éventuelle différence de traitement. Pour le dire autrement, il n'y
a situation comparable que si rien ne justifie objectivement qu'elles soient traitées différemment.
Qu'un taux de TVA différent s'applique ainsi à deux activités: rechercher dans l'abstrait la
comparabilité de ces deux activités, au fond, ne mène pas à grand-chose. Il vaut bien mieux
s'interroger sur les raisons objectives qui justifieraient cette différence de traitement, en fonction
précisément de la nature même de ces activités. C'est la réponse à cette question qui permettra
d'identifier, ou non, une violation du traitement national. La seule conclusion possible est donc
que l'examen, dans l'abstrait, de l'identité ou de la similarité n'est sans doute pas la meilleure des
solutions.
Le traitement national est un tout, et il doit donc s'analyser comme tel.
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10.23. Absence d'obligation de traitement identique. Il faut enfin souligner, et ceci est peut-être le
cœur même de cette protection, que la clause de traitement national n'implique pas un traitement
identique entre l'investisseur étranger et les nationaux, mais un traitement non moins favorable.
Même si le traité applicable prévoit le même (« same ») traitement, il n'est pas question d'une
identité totale. Il s'agit donc d'une clause qui joue à la manière d'un garde-fou, qui ne dispose en
réalité d'aucun contenu substantiel. Son examen, ensuite, suppose bien entendu une analyse
fine des circonstances factuelles de l'espèce et peut pour cette raison difficilement faire l'objet
d'une synthèse en termes généraux. Dans l'ensemble, cet examen est purement objectif et
factuel puisqu'il s'agit d'identifier une éventuelle différence. Cela peut être assez aisé, par
exemple dans l'hypothèse d'un remboursement de TVA accordé aux opérateurs économiques
nationaux mais refusé à l'investisseur. Cette situation, pourrait-on dire, constitue une sorte d'idéal
car elle permet simplement d'établir une grille de comparaison reposant sur des éléments
objectifs et quantifiables : la différence de traitement est donc aisée à établir.
En revanche, il se peut qu'un investisseur se trouve simplement singularisé par l'application d'une
mesure d'ordre général, sans que cela équivaille à une méconnaissance du traitement national. Il
en irait ainsi de mesures globales de soutien aux banques dont l'investisseur aurait tiré un
moindre bénéfice que certaines banques nationales parce qu'il y avait eu, au sein même de
celles-ci, des differences de traitement en fonction de leur situation . Il est vrai que les
hypothèses sont multiples dans lesquelles l'investisseur étranger peut voir sa situation
singularisée sans qu'il y ait nécessairement là une différence de traitement: ainsi par exemple si
des mesures spécifiques sont prises à l'encontre de l'opérateur etranger en application pure et
simple de la loi nationale et dans le respect des procédures prévues. Il n'y a pas, en pareil cas,
de différence de traitement puisque tout opérateur national aurait subi le même sort s'il s'était
trouvé dans des circonstances analogues .
10.24. Nécessité d'une approche globale. Cette dernière affaire rappelle d'ailleurs
que les éléments du traitement national constituent un tout et ne sauraient être
distingués : l'examen de la violation alléguée de ce standard suppose par
conséquent de se livrer parfois à un exercice de projection afin de comparer le
traitement effectivement reçu par l'investisseur étranger et celui qu'aurait reçu un
opérateur national dans des circonstances identiques.
La meilleure manière de procéder passe alors par une revue de la pratique habituelle
de l'Etat dans le champ des mesures considérées. En d'autres termes, l'examen
d'une violation du traitement national invoquée par exemple au sujet d'une mesure
fiscale suppose d'examiner la politique fiscale de l'Etat dans son ensemble car seul
un examen dans la globalité permet d'établir, ou non, une discrimination à l'encontre
de l'opérateur étranger. En tout état de cause, il importe de signaler que le traitement
national est rarement, si ce n'est jamais, invoqué seul dans une requête. Il est
davantage un complément au soutien d'une demande plus générale, et il est
rarissime qu'il soit seul sanctionné, puisqu'il l'est généralement à travers la
reconnaissance de la violation d'une autre disposition conventionnelle.