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Cela fait maintenant plus de trois siècles et la Constitution de 1791 que voter est, malgré
des périodes de retour en arrière ou de mise en place de conditions restrictives, un geste ancré
dans la vie politique française. Cet acte par lequel un citoyen participe au choix de ses
représentants ou à la prise d’une décision relève d’un véritable pouvoir, une faculté de choisir.
D’un point de vue juridique, ce choix est une action personnelle, comme en témoigne la
présence obligatoire d’isoloirs ou bien le fait que l’électeur soit le seul à manipuler son bulletin
jusqu’à l’urne, en vertu de l'article 62 du code électoral.
Pourtant, l’Histoire a démontré l’ancrage du vote comme un choix plus collectif qu’individuel ; le
vote par classe qui s’est démocratisé dès l’arrivée du suffrage universel masculin en 1848 ou les
associations féministes luttant pour le droit de vote au début du XXème siècle illustrent
particulièrement bien le collectif du vote. Cependant, cette tradition est bousculée par une
nouvelle réalité : indépendamment de toutes influences, l’électeur agirait de manière
rationnelle. Anthony Downs, dans Une théorie économique de la démocratie (1957), annonce
alors un remplacement du vote comme choix collectif - le vote dit « sur clivage » - par le « vote
sur enjeux », un choix plus individuel.
Dès lors, dans quelle mesure le vote s’est-il affranchi des déterminismes sociaux et contextuels
qui lui étaient propres ?
Nous constaterons d’abord que le vote reste encore profondément attaché à des variables
exogènes à l’électeur, avant d’observer la progression de l’individualisme dans le vote.
Tout d’abord, voter est traditionnellement considéré comme un choix sous influences.
En effet, cet acte résulte en partie de la socialisation politique. Les variables lourdes et le
contexte social ne sont pas non plus des facteurs à omettre.
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menée par l’Ipsos en 2017 1er tour. Sociologie des électorats et profils des abstentionnistes, sur
cent catholiques pratiquants, 51 ont voté pour François Fillon et 20 pour Emmanuel Macron. Il
existe alors une certaine conjecture entre religion et identification politique, la droite
traditionnelle étant plébiscitée par l’électorat catholique. Ceci est pareillement vérifiable avec
l’électorat de confession musulmane qui a voté à hauteur de 69% pour Jean-Luc Mélenchon aux
présidentielles de 2022 - selon l’enquête de l’IFOP, Le vote des électorats confessionnels au
second tour de l’élection présidentielle.
Aussi ces liens de causalité entre la religion et le vote s’appliquent-ils à d’autres variables
lourdes, à l’image de la profession et, ce faisant, à la classe sociale. À titre d’exemple, les
extrêmes (droite et gauche) captent à elles seules 61% des voix des ouvriers durant le premier
tour des présidentielles - selon l’étude de l’Ipsos vue précédemment. Leurs discours parfois plus
simplistes que les partis traditionnels ainsi que le populisme dont ils font preuve en sont
sûrement les causes, les ouvriers étant une classe sociale au capital culturel plus faible.
D’ailleurs, ces discours et valeurs prônées par ces partis raisonnent différemment chez l’électeur
en fonction de son âge, si bien que les extrêmes rassemblent 51% des voix des 18-24 ans en
2017. Les partis aux positions plus classiques remportent quant à eux les voix des 70 ans et plus,
avec 73% de leurs voix pour E. Macron et F. Fillon réunis.
La famille et les variables lourdes propres aux individus ne sont pas les seules influences
qui se cachent derrière un suffrage ; le contexte électoral qui se forme autour de l’électeur pèse
lui aussi sur le choix de l’électeur. Dans la Revue française de Science politique de 2018, Vincent
Tiberj et son article « Le vote décentré ? Renouvellement générationnel et rapport à la
participation électorale en France » mettent en exergue l’importance de la « mobilisation par en
bas » - c’est-à-dire l’émulation au sein de l’entourage proche, les groupes de pairs ou les voisins
et collègues - dans le taux de participation aux élections. Les discussions et débats politiques
dans des cercles restreints seraient alors des moteurs de la participation électorale.
Plus qu’une « mobilisation par en bas », certaines élections sont marquées par une mobilisation
collective à la portée directe sur les résultats des candidats. C’est notamment le cas de l’élection
présidentielle de 2002 qui voit l’extrême droite de Jean Marie Le Pen faire une percée inédite, ce
dernier accédant au second tour pour la première fois. La mobilisation collective que connaît la
France, entendue par « un agir-ensemble intentionnel » qui n’a pas vocation à durer selon Erik
Neveu, témoigne de la force qu’elle peut exercer sur les élections. Ainsi cette mobilisation se
transforme-t-elle en un front républicain, qui se veut être un barrage à l’extrême droite dans
plusieurs domaines : tant médiatiques que politiques, la mobilisation atteint son acmé le 1er mai
avec plus d’un million de manifestants dans toute la France. Le résultat est alors sans appel :
Jacques Chirac est réélu avec 82% des suffrages.
Si le front républicain de 2002 représente encore un symbole l’union des partis politiques
traditionnels et de leurs électeurs face à l’extrême droite, les récentes élections de 2017 et 2022
- qui ont vu s’affronter E. Macron, se réclamant ni de droite ni de gauche, et Marine Le Pen pour
l’extrême droite - sont des témoins de l’échec des partis dits « traditionnels » et de
l'identification partisane.
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Le vote sous influences serait alors dépassé par l’individualisation croissante des
sociétés. En effet, l’identification politique est en déclin, ce qui atteste des limites du collectif du
vote et de la socialisation politique. Ceci va de pair avec l’émergence d’un électeur rationnel qui
passerait outre les clivages gauche/droite et aurait tendance à faire son choix seul. L’évolution
des supports de communication permet aussi d’expliquer l’individualisation du vote.
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Or, internet est généralement un outil d’information individuel, puisqu’un seul individu est
derrière l’écran. Aux antipodes, la télévision, outil majeur de la socialisation politique, est en
baisse avec ses 19 points de pourcentage perdus de 2007 à 2017. Elle reste néanmoins la
première source d’information politique en France.
L’émergence de ces nouveaux moyens de communication individualisés en politique permet aux
politiciens de montrer une image nouvelle, parfois plus à même de toucher aux émotions
propres à l’électeur. D’après l’Ipsos et l’étude « 1er tour. Comprendre le vote des Français », 35%
des électeurs de J-L. Mélenchon considère sa proximité comme l’une de ses principales qualités.
La stature présidentielle n’est citée qu’à hauteur de 9%. Bien que ces sentiments suscités
dépassent les réseaux sociaux, on peut supposer que ses deux millions d’abonnés sur Tiktok et sa
maîtrise des codes de l’application ont pu contribuer à ces chiffres : les jeunes le considèrent plus
proche d’eux mais au risque de perdre de sa stature présidentielle. En comparaison, Marine Le
Pen vise une partie similaire de l’électorat de J-L. Mélenchon, à savoir la classe ouvrière et les
jeunes. Pourtant, sa proximité n’est citée qu’à hauteur de 7% dans ses qualités. De multiples
causes peuvent exister ; il est probable que parmi elles surviennent sa faible présence sur les
réseaux sociaux. Cela nous montre l’importance nouvelle des réseaux sociaux dans la
transmission de l’image des politiques. Cette image peut être interprétée différemment selon les
individus puisqu’elle appartient au champ des émotions. L’évolution des médias sociaux comme
outils de communication en période électorale est donc un témoin de l’individualisation du
vote.
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