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Penser les inégalités scolaires : quelques travaux contemporains en sociologie

Marianne Blanchard et Joanie Cayouette-Remblière, 2017, page 6-7

En 1964, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron publient « Les Héritiers », dans lequel ils
remettent en cause l’idée selon laquelle il y aurait des élèves naturellement moins doués, mais aussi
les analyses expliquant la moindre réussite des élèves de classes populaires par des facteurs
économiques. Pour les sociologues, les différences de résultats et parcours scolaires sont liées au
milieu familial, et plus précisément aux ressources culturelles dont disposent les parents. Celles et
ceux qui réussissent le mieux à l’école sont donc des héritiers d’un capital culturel. En conséquence,
l’école participe à la reproduction des inégalités sociales, puisque les élèves les mieux dotés au
départ ont statistiquement plus de chance d’y réussir et d’obtenir des diplômes leur permettant de
reproduire la position sociale de leurs parents. En outre, l’école légitime ces inégalités, puisqu’elle
diffuse une idéologie méritocratique, invitant à percevoir les différences de réussite comme étant
liées à des mérites individuels, et non à un héritage social.

Ces travaux sont souvent opposés à ceux de Raymond Boudon qui, dans « L’Inégalité des chances »,
propose d’expliquer les inégalités scolaires à partir d’un modèle dans lequel le système éducatif est
représenté par une suite de points de bifurcations. À chaque point, l’élève décide de poursuivre ses
études ou d’arrêter. L’utilité associée à chacun des choix dépend 1) du risque d’échec, 2) des coûts
économiques et psychologiques et 3) des bénéfices attachés à ces choix. Selon leur position sociale,
les élèves et leur famille n’évaluent pas de la même façon ces trois variables. Les bénéfices attendus
d’un diplôme ne seront pas les mêmes si les parents en sont eux-mêmes détenteurs ou non.

On se met d’abord à la place d’une famille modeste qui doit décider de l’orientation d’un enfant
parvenu à un point de bifurcation donnant accès, soit à des études longues et prestigieuses mais plus
difficiles, soit à des études courtes, appliquées, et débouchant sur des statuts moins valorisés.
Supposons que les résultats scolaires soient faibles. Comme le risque d’échec est dans ce cas élevé et
comme les études longues sont coûteuses, si l’enfant a d’ores et déjà atteint un niveau scolaire au
moins égal à celui de son groupe de référence, alors la famille renoncera en général à choisir la
poursuite d’études longues. On se met ensuite à la place d’une famille aisée où les parents ont des
diplômes élevés. Dans ce cas, le coût des études est supportable, et si l’enfant n’a pas encore atteint
le niveau scolaire de son groupe de référence, alors en dépit du fait que les résultats sont moyens ou
médiocres, la famille choisira en général les études longues. Des écarts considérables dans les choix
d’orientation peuvent ainsi se creuser entre les catégories situées aux extrémités de l’échelle sociale.

Les approches de Bourdieu et Passeron, d’une part, et de Boudon, d’autre part, sous-tendent des
conceptions différentes des déterminants sociaux de l’action. Pour les premiers, les comportements
sont majoritairement déterminés de façon inconsciente par « l’habitus », ainsi que par les capitaux
économiques, culturels et sociaux dont disposent les individus. Pour le second, les comportements
résultent d’un calcul rationnel, au cours duquel les individus font des arbitrages en fonction de leurs
anticipations et des contraintes auxquelles ils sont soumis. Ces deux approches se distinguent aussi
par le rôle qu’elles attribuent à l’école, puisque si celle-ci apparaît « conservatrice » pour Bourdieu et
Passeron, tandis que Boudon considère, quant à lui, qu’elle ne participe pas en tant que telle à la
reproduction des inégalités sociales. Raymond Boudon considère que la demande d’éducation est
une cause nettement plus importante de l’égalité des chances que l’héritage culturel.
Questions :

1. Pourquoi Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron accusent l’école de reproduire et légitimer


les inégalités sociales ?

2. Selon Raymond Boudon, par quel raisonnement les individus déterminent-ils leur
orientation ?

3. Quelles sont les points d’accord et de désaccord entre Pierre Bourdieu et Jean-Claude
Passeron d’une part, et Raymond Boudon d’autre part ?
Choix d’orientation et origine sociale : mesurer et comprendre l’autocensure scolaire

Elise Huiller et Nina Guyon, 2014

Les hypothèses sur les causes des différences de préférences d’orientation selon l’origine sociale :

 Le coût des études : Très peu d’élèves d’origine modeste anticipent des difficultés logistiques
et financières (déménagement, emprunt, transports) concernant les orientations qu’ils
connaissent après la 3ème, ce qui suggère que ces difficultés ne sont pas à l’origine des écarts
de préférences d’orientation selon l’origine sociale après la 3ème. En revanche, concernant les
études supérieures, 1 élève sur 4, toute origine confondue, anticipe qu’au moins une des
orientations connues l’obligerait à emprunter. Il est possible que la nécessité d’emprunter
limite l’accès à ces orientations de manière différentielle selon l’origine sociale et explique
une part des écarts d’aspirations pour les études supérieures

 Les chances de réussite dans les études : Les élèves ont le sentiment que les facteurs sociaux
et familiaux (quartier d’habitation, origine des parents, etc) ont une large influence sur les
chances de réussite future à niveau scolaire actuel égal. Cette anticipation, qu’elle soit juste
ou non, peut contribuer à expliquer les écarts de préférence d’orientation chez les élèves. Si
elle est partagée par les équipes éducatives et les parents, elle peut aussi contribuer à
expliquer les écarts d’orientation effective, notamment la sur-sélection des élèves d’origine
modeste en dessous de la médiane en seconde générale et technologique.

 La connaissance des orientations possibles : Les écarts de connaissance sur les orientations
possibles ne contribuent quasiment pas à expliquer les écarts de préférences d’orientation
après la 3ème, mais contribuent à expliquer une partie des écarts de préférences d’orientation
après le lycée. Il semble donc qu’apporter plus d’information sur les études supérieures aux
élèves d’origine modeste pourrait réduire les écarts de préférence selon l’origine sociale.

 La notation des enseignants : La notation des enseignants est légèrement différente entre
les élèves d’origine modeste et les élèves d’origine favorisée : la notation est plus généreuse
pour les élèves d’origine modeste du fait qu’ils sont inscrits dans des établissements dans
lequel le niveau scolaire moyen est généralement moins bon. La notation des enseignants
n’explique donc pas les inégalités de préférences d’orientation observées, au contraire : les
élèves d’origine modeste étant mieux notés que les élèves d’origine favorisée de même
niveau scolaire, ils pourraient surestimer leurs capacités scolaires et se montrer plus
ambitieux dans leurs préférences d’orientation, alors même que nous observons l’inverse.

 L’estime de soi scolaire : L’appréciation que les élèves font de leur propre aptitude scolaire
est influencée par leur origine sociale : les élèves d’origine modeste se perçoivent comme
scolairement moins performants que des élèves de même niveau scolaire mais d’origine
favorisée. La baisse de l’estime de soi scolaire associée à l’origine sociale à niveau scolaire
égal est importante puisqu’elle représente 15% d’un écart-type. La moindre estime de soi
scolaire liée à l’origine sociale n’est due ni au label « Education Prioritaire », ni à la notation
des enseignants, ni à un environnement scolaire plus compétitif. On peut en revanche y voir
l’effet des stéréotypes associés à l’origine sociale. Nos données suggèrent que l’estime de soi
contribue à expliquer en partie les écarts de préférence d’orientation selon l’origine sociale,
quoique la contribution que nous avons pu mesurer soit de petite taille.
Questions :

1. Quels types d’enquêtes ont été menées par Elise Huiller et Nina Guyon pour tester leurs
hypothèses ?

2. Quelles sont les hypothèses confirmées et infirmées par cette enquête ?

3. Montrer avec le graphique que les choix d’orientation dépendent des résultats scolaires et
du milieu social.

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