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Prévost, Manon Lescaut

Résumé-analyse

L'Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, annonce


déjà une histoire d'amour ! Mais un mariage impossible : Manon
Lescaut est une fille du peuple, et on sait tout de suite que c’est une
prostituée. Des Grieux, aristocrate, est quant à lui, destiné à entrer
dans l’Ordre prestigieux des chevaliers de Malte.

En ce début de XVIIIe siècle, les Lumières commencent déjà leur


travail de remise en cause. Notre roman a un parfum de scandale,
saisi et brûlé dès 1733, il est diffusé sous le manteau et dans les
salons.
Je ne suis pas étonné que ce roman, dont le héros est un fripon et l’héroïne une catin [...]
plaise, parce que toutes les actions [du chevalier Des Grieux] ont pour motif l’amour [...].
Manon aime aussi, ce qui lui fait pardonner le reste de son caractère.
Montesquieu, Pensées, 1732.

Je vais vous raconter cette histoire en vous donnant pas à pas tous
les thèmes-clés. Mes explications linéaires, mes dissertations
thématiques se trouvent sur mon site : www.mediaclasse. fr

Je tiens à remercier chaleureusement Audrey Faulot, Maîtresse de


conférence en littérature française du XVIIIe siècle à Paris Nanterre,
pour ses lumières sur l’Abbé Prévost. Son livre Manon Lescaut ou le
rivage désiré retrace le projet littéraire de cet auteur fascinant !

Avis de l’auteur

M. de Renoncour, écrivant ses Mémoires d’un Homme de qualité,


rapporte le récit de Des Grieux. À cette époque, le roman qui a
mauvaise réputation est souvent ainsi déguisé en fausses Mémoires.
J’ai à peindre un jeune aveugle, qui refuse d’être heureux, pour se précipiter volontairement
dans les dernières infortunes.

Ce n’est donc pas là un modèle à suivre (exemplum virtutis), bien au


contraire. Je réalise sur mon site une vidéo d’explication linéaire de
cet avis de l’auteur.

Première partie

(Rencontre avec Des Grieux)

Monsieur de Renoncour, à Pacy pour ses affaires, croise un convoi


de prostituées, déportées loin la métropole, aux Amériques. Il y a un
attroupement, que nous rejoignons avec curiosité…
Parmi les [filles enchaînées] il y en avait une dont l’air [...] était si peu conforme à sa
condition, qu’en tout autre état je l’eusse prise pour une personne du premier rang. [...] Sa vue
m’inspira respect et [...] pitié.

Présenter ainsi une prostituée de manière élogieuse, cela intrigue le


lecteur. Renoncour aborde le jeune homme qui la suit.
— Je l’aime avec une passion si violente qu’elle me rend le plus infortuné des hommes.

Renoncour lui donne 4 Louis d’or, pour payer sa traversée.

(Deux ans plus tard)

De passage à Calais, Renoncour reconnaît le jeune homme au Lion


d’Or ! Il accepte de raconter son histoire.
— Monsieur, vous en usez si noblement avec moi, que je [...] veux vous apprendre, non
seulement mes malheurs [...], mais encore mes désordres et mes [...] faiblesses.

C'est une analepse (un retour dans le passé). Mais sans délai de
réflexion : Des Grieux revient tout juste d'Amérique, on saura plus
tard qu’il vient d’apprendre la mort de son père : il va chercher à se
justifier. Derrière l'attitude assez complaisante de Renoncour, l’abbé
Prévost invite au contraire son lecteur à rester critique.
Quoiqu’il parût faire assez tranquillement ce récit, il laissa tomber quelques larmes en le
finissant. Cette aventure me parut des plus extraordinaires et des plus touchantes.

(Le coup de foudre)


Des Grieux étudie la philosophie à Amiens et s’apprête à devenir
chevalier de l’Ordre de Malte. Son ami Tiberge quant à lui, veut
devenir prêtre. Mais, la veille de son départ pour l'Académie, il
croise le coche d’Arras — d’où sortent douze jeunes femmes.
Il en resta une, [...] si charmante que moi, qui n’avais jamais [...] regardé une fille avec un peu
d’attention, [...] je me trouvai enflammé.

Malgré sa timidité, Des Grieux ose l’aborder :


On l’envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir [...] qui a causé,
dans la suite, tous ses malheurs et les miens. [...] Je combattis la cruelle intention de ses
parents par toutes les raisons que mon amour naissant et mon éloquence scolastique purent me
suggérer.

Comme dans une tragédie, la prolepse nous annonce déjà une fin
malheureuse. Mais comme dans les comédies, l’amour donne des
ressources aux amoureux ! Ce coup de foudre est-il donc fatal ou au
contraire libérateur ? Je propose une explication linéaire de ce
passage, en vidéo, sur mon site.

(Fuite avec Manon)

En tout cas, Des Grieux décide de fuir avec Manon, et ment à son
ami Tiberge.

Flaubert confie dans une lettre que ce roman l'a inspiré pour ses
propres écrits.
Ce qu’il y a de fort dans Manon Lescaut, c’est le souffle sentimental, la naïveté de la passion
qui rend les deux héros si vrais, si sympathiques, si honorables, quoiqu’ils soient fripons ?
C’est un grand cri du cœur, ce livre.
Flaubert, Correspondance, 16 septembre 1853.

Séduire (seducere en latin) = détourner du droit chemin. Manon elle-


même n’est-elle pas écartée du destin qui devait la mener au
couvent ? Le lendemain soir, ils couchent ensemble dans une
auberge.
Nos projets de mariage furent oubliés à Saint-Denis ; nous
fraudâmes les droits de l’Église, et nous nous trouvâmes époux sans
y avoir fait réflexion.

La rencontre de Des Grieux et Manon Lescaut a lieu en juillet 1712,


Louis XIV meurt en septembre 1715, et sera justement enterré à
Saint-Denis. Ainsi, le cadre spatio-temporel a une valeur
symbolique : l’Abbé Prévost veut représenter la fin d’un règne, la fin
d’une monarchie absolue, la décadence d’une aristocratie.

(La vie parisienne et M. de B.)

À Paris, le couple vit très heureux pendant trois semaines. Manon


dépense beaucoup, mais elle est très tendre et elle promet de
trouver de nouvelles ressources. Quand Des Grieux lui parle de
mariage, elle est réticente : on pourrait les séparer de force, c’est
vrai.

Mais est-elle est sincère ?… Pour Sainte-Beuve (le célèbre critique


du XIXe siècle), c’est cet aspect insaisissable qui la rend
indémodable.
Manon Lescaut [...] en dépit des révolutions du goût [...] qui en éclipsent le vrai règne, [garde]
cette indifférence folâtre et languissante qu’on lui connaît.
Sainte-Beuve, Portraits littéraires, 1831.

Un jour que Des Grieux rentre plus tôt, il apprend que Manon est
avec un certain M. de B., fermier général. Les fermiers généraux qui
collectent les impôts du roi ont fort mauvaise réputation à
l’époque…

Des Grieux, plein de jalousie, erre dans les rues, mais finit par
rentrer. À son retour, son frère aîné surgit alors, le fait saisir, et
l'emmène de force chez leur père.

Les personnages se multiplient : ils ont tous un rôle dans le roman


et représentent une société complexe. Je reviens sur chacun d’eux
dans une vidéo spéciale sur mon site.

(Retour à une vie studieuse)

Le père de Des Grieux se moque de lui, comme le cocu d’une farce.


Manon ? Elle ne l’aime pas, d’ailleurs, c’est elle qui l’a livré.
— J’ai eu dessein [...] de te faire porter la croix de Malte, mais puisque tu as tant de
disposition à faire un mari commode, je te chercherai une femme, qui sera plus fidèle.
Des Grieux, séquestré, reprend goût à l’étude. Mais il pense toujours
à Manon et commente un passage de l’Énéide où la fidèle Didon se
suicide par amour... Prévost pose souvent cette question : la
littérature ne souffle-t-elle pas sur les braises de nos passions ?

Un jour, Tiberge vient le voir et lui conjure d’oublier Manon.


— J’avais ce même penchant vers la volupté, mais [...] en même temps, du goût pour la vertu.
Je me suis servi de ma raison pour comparer les fruits de l’une et de l’autre.

Pour Tiberge, la Raison et la Foi nous libèrent des vanités du monde.


Il parvient à convaincre Des Grieux d’entrer à Saint-Sulpice pour
devenir abbé. Élève brillant, il va soutenir un exercice public à la
Sorbonne.

L’Abbé Prévost a lui-même été prédicateur chez les bénédictins.


Mais il quitte l’ordre, rencontre une aventurière, Lenki Eckhardt, et
voyage beaucoup, sous le pseudonyme Prévost d’Exiles. Il
s’interroge : le roman peut-il remplacer l’expérience ?
[Chaque aventure] est une instruction qui supplée à l’expérience ; un modèle d’après lequel
on peut se former ; il n’y manque que d’être ajusté aux circonstances.

(Retrouvailles avec Manon)

Manon est là, au parloir de Saint-Sulpice ! Cela faisait deux ans


qu’ils ne s’étaient pas vus :
Ses charmes surpassaient tout ce qu’on peut décrire. C’était [...] l’air de l’Amour même.

L’Amour même, c’est-à-dire Vénus, qui inspire les amours fatales.


Comme dans Phèdre par exemple. Mais Des Grieux, jeune noble du
XVIIIe siècle, peut-il vraiment se comparer à cette héroïne
tragique ?

Les regrets de Manon sont touchants : elle ne peut pas vivre sans
lui. Des Grieux fait passer sa faiblesse pour de la sensibilité. Des
Grieux est bouleversé.
Où trouver un barbare qu’un repentir si vif [...] n’eût pas touché ?
— Manon ! [...] Tu es trop adorable pour une créature. [...] Par quel funeste ascendant se
trouve-t-on emporté [...] loin de son devoir sans [...] la moindre résistance ?

Le lecteur de l’époque reconnaît là un débat théologique : l’amour


inspiré par Dieu peut-il devenir idolâtrie ? On reconnaît aussi le
dilemme cornélien : l’amour s’oppose au devoir.
(La vie à Chaillot)

Installés à Chaillot le couple dépense l’argent pris à M. de B… Leur


recherche constante de plaisirs se rapproche des divertissements
dont Pascal parle dans ses Pensées : faisant diversion aux
véritables questions de la vie. Aujourd’hui, on parlerait certainement
d’addiction.

Arrive alors Lescaut, le frère de Manon, manifestement aussi son


proxénète, parfait représentant de l’univers de l’illégalité. Bientôt, il
vit pratiquement chez eux, et invite ses propres amis à leur table.
— Une fille comme elle devrait nous entretenir, vous, elle et moi.

L’abbé Prévost pose ainsi une question dérangeante : la corruption


est-elle vraiment réservée aux marges de la société ? Je réalise une
dissertation à ce sujet, en vidéo, sur mon site.

Un jour, un incendie abîme leur maison de Chaillot : les dégâts sont


faibles, mais leur argent a disparu…

(La ligue de l’Industrie)

Des Grieux retrouve Tiberge au Palais Royal, afin de lui demander de


l’argent. Il reconnaît ses torts et se montre si pitoyable que Tiberge,
touché, lui avance 100 pistoles…

Lescaut introduit alors Des Grieux dans une association de tricheurs


aristocrates : la Ligue de l'Industrie. Les progrès de des Grieux ne
révèlent-ils pas une certaine habileté pour la tromperie ? Je réalise
une explication linéaire de ce passage, en vidéo, sur mon site.

Quand il rembourse Tiberge, celui-ci devine l’origine de cet argent :


— Puissent vos criminels plaisirs s’évanouir ! [...] Vous me trouverez [alors] disposé à vous
aimer et vous servir mais je romps aujourd’hui tout commerce avec vous.

(L’épisode de M. de G.M.)
Nouveau malheur digne d’une comédie : profitant de l'incendie, les
domestiques ont pris la cassette contenant leurs économies.
Lescaut convainc alors sa sœur d’entrer au service d’un certain M de
G. M., un vieux libertin. Manon laisse une lettre expliquant qu’elle
est partie rétablir leur fortune :
« Je te jure, mon cher chevalier, que tu es l’idole de mon cœur [...] mais ne vois-tu pas [...]
que dans l’état où nous sommes réduits, c’est une sotte vertu que la fidélité ? »

Ce n’est pas l’éloge de l’infidélité du Dom Juan, ni le cynisme


des Liaisons Dangereuses. Manon ne voit pas le mal d’utiliser ses
charmes pour sauver leur fortune. Amoureux perdus dans un roman
libertin, ou l’inverse ? Les deux genres sont mêlés !

Des Grieux accepte l’idée de Lescaut : se faire passer pour le jeune


frère de Manon et se faire ainsi loger lui aussi chez M. de G. M. Les
retrouvailles sont amères :
— Ma naissance et mon honneur à part, ne vous imaginez-vous pas que mon amour gémit de
se voir [...] traité si cruellement ?
— C’était pour ménager votre délicatesse que j’avais commencé à exécuter [ce projet] sans
votre participation ; mais j’y renonce, puisque vous ne l’approuvez pas.

Au souper, malgré le déguisement de Des Grieux, la supercherie ne


dure pas et M. de G.M. les fait arrêter. Ces différentes prisons ont
une valeur symbolique : les personnages sont-ils enfermés dans
leurs propres passions ? L’amour peut-il apporter une liberté
authentique ?

(Des Grieux à Saint-Lazare)

À Saint-Lazare, Des Grieux fait mine de se repentir, mais il ne songe


qu’à Manon. Le Supérieur l’apprécie et lui obtient une visite de M. de
G. M. qui est disposé à le libérer. Mais Manon restera à l’Hôpital
avec les prostituées. En entendant cela, Des Grieux lui saute à la
gorge.

Emmené à part, Des Grieux explique au Supérieur sa colère : M. de


G. M. est un vieux libertin qui a enlevé sa maîtresse.
Je lui représentai les choses, à la vérité, du côté le plus favorable pour nous.
— Ô Ciel ! [...] ma chère reine à l’Hôpital, comme la plus infâme des créatures !
Avec ce discours rapporté en abyme on voit mieux comment Des
Grieux s’y prend pour émouvoir son interlocuteur…

(La visite de Tiberge)

Tiberge rend visite à son ami, et s’étonne de son obstination au


péché.
— Les délices de l’amour [...] sont ici-bas nos plus parfaites félicités. [...] Est-il en mon
pouvoir [...] d’oublier les charmes de Manon ?

Tiberge, et les lecteurs de l’époque reconnaissent ici la notion


janséniste de prédestination (les âmes sont irrévocablement
sauvées ou condamnées à l’avance). Les libertins disent alors que si
la grâce n’est pas à leur portée, autant se consacrer au bonheur
terrestre !

Tiberge de son côté représente le dogme officiel de l’Église : le libre-


arbitre permet à chacun de sauver son âme par ses actions. Le zèle
de Tiberge apparaît parfois à nos yeux, comme une passion.

Finalement, Tiberge prend son ami en pitié, et accepte de


transmettre une lettre, sans se douter qu’il s’agit d’un plan
permettant à Lescaut de faire entrer un pistolet dans la prison.

(L’évasion de Saint-Lazare)

Des Grieux se rend de nuit chez le Supérieur avec le pistolet.


Je lui déclarai qu’il m’était impossible de demeurer plus longtemps à Saint-Lazare [...] et que
j’attendais de son amitié qu’il consentirait à m’ouvrir les portes.

Dans les couloirs, un portier s’interpose, Des Grieux l’abat, alors


qu'il pensait que son pistolet était chargé à blanc. Cette scène n’est
pas héroïque, mais plutôt, une nouvelle étape franchie dans
l’immoralité.

(Manon à l’Hôpital)
Des Grieux décide de se rendre chez le fils d’un administrateur de
l’Hôpital, M. de T. qui devient aussitôt son ami et accepte de l’aider.
Ensemble, ils entrent en contact avec un valet de l’Hôpital qui les
conduit lui-même jusqu’à Manon. Les retrouvailles sont touchantes,
et le valet, Marcel, est inclus dans leur plan d’évasion.

Cette représentation des gens du peuple, loin des clichés de


l’époque, permet à Prévost de montrer comment la corruption se
répand dans toute la société. Mais on est encore loin du roman
social.

Le lendemain, ils apportent des habits d’homme pour déguiser


Manon, mais, comme dans une comédie : la culotte manque.
L’oubli de cette pièce nécessaire nous eût [...] apprêtés à rire si l’embarras où il nous mettait
eût été moins sérieux.

Ils parviennent à s’enfuir, et Des Grieux constate alors la maigreur


de Manon, mais sans voir la maltraitance que cela représente.
L’Abbé Prévost dénonce la Pitié Salpêtrière : institution de Louis
XIV qui réprime ce qui n’est bien souvent qu’un moyen de survie
pour ces jeunes filles.

(Le jeune couple en cavale)

On assiste alors à des péripéties en cascade : leur cocher les


abandonne, Lescaut est abattu. C’est l’héritage du roman
picaresque, riche en rebondissements invraisemblables.

Des Grieux se demande : ces actions diverses sont-elles le fruit de


la Providence ? Question qui est à la mode à l’époque où
théologiens, philosophes et scientifiques interrogent la nécessité
des liens de causalité.

De retour à Chaillot, Des Grieux retrouve Tiberge et M. de T. qui le


rassurent : la police ne se préoccupe pas de les poursuivre.

(Fin du récit enchâssé)

Le chevalier des Grieux ayant employé plus d’une heure à ce récit, je le priai [...] de nous
tenir compagnie à souper. [...] Il nous assura que nous trouverions quelque chose encore de
plus intéressant dans la suite de son histoire…

Le goût de la transgression est-il pour quelque chose dans notre


envie d’entendre la suite ? C’est une question que j’explore dans une
dissertation en vidéo sur mon site : www.mediaclasse.fr

Deuxième partie

(L’épisode du prince d’Italie)

Le jeune couple vit très heureux à Chaillot, avec les 100 pistoles de
Tiberge. Mais un jour, le valet rapporte à Des Grieux que Manon
échange des lettres avec un prince italien au bois de Boulogne.

Un matin, alors que Manon coiffe son amant, le fameux prince italien
se présente à la porte. Manon traîne son amant par les cheveux.
— Voici l’homme que [...] j’ai juré d’aimer toute ma vie. [...] Tous les princes d’Italie ne
valent pas un des cheveux que je tiens.

Dès que le prince est parti, elle dit en riant qu’elle avait prémédité
cette scène.
Elle n’avait pu résister à son imagination ; [...] et elle s’était fait un second plaisir de me faire
entrer dans son plan, sans m’en avoir fait naître le moindre soupçon.

L’abbé Prévost a ajouté cet épisode en 1753 pour étoffer le


personnage de Manon : amoureuse, ce n’est pas l’appât du gain qui
la guide, mais le plaisir de jouer une scène de comédie.

(Le fils de M. de G. M.)

Un soir, M. de T. leur présente un de ses amis : il s’agit du fils de M. de G. M. ; mais il leur


assure que le fils est différent du père. Le jeune G. M. se montre humble en effet et leur
présente des excuses.

Mais bientôt, il tombe amoureux de Manon. M. de T. prévient Des


Grieux qui décide d’en parler à Manon. Celle-ci a alors une idée :
— G. M. est le fils de notre plus cruel ennemi ; il faut nous venger du père, non pas sur le fils,
mais sur sa bourse. Je veux [...] accepter ses présents, et me moquer de lui.

Ils invitent alors le jeune G. M. à dîner : scène comique où chacun


pense tromper l’autre. Dès que Des Grieux s’éloigne, le jeune M. de
G. M. fait miroiter des cadeaux considérables à Manon…

Après le repas, Manon rassure son amant : non, elle n'a pas
l’intention de l'abandonner pour le jeune M. de G. M. Et elle parodie
les vers d’Iphigénie de Racine :
Moi ! je pourrais souffrir un visage odieux,
Qui rappelle toujours l’Hôpital à mes yeux ?

Iphigénie, fille du roi Agamemnon, sacrifiée pour que la flotte


grecque puisse naviguer vers Troie. Malgré l'ambiguïté de cette
citation, Manon ne sera-t-elle pas aussi sacrifiée ?

(Un plan voué à l’échec)

Voilà leur plan : Manon recevra les présents de G. M., puis elle
l’amènera au théâtre, à la Comédie, où elle profitera de l’entracte
pour rejoindre Des Grieux dans un fiacre rue Saint-André-des-Arcs.

Mais à l’heure dite une étrangère porte une lettre de Manon : elle a
décidé de prolonger son séjour chez le jeune M. G. M., et lui envoie
une des plus jolies filles de Paris pour le consoler. Des Grieux se
désespère…

M. de T. retient le jeune M. de G. M. pendant que Des Grieux rend


visite à Manon. Il la trouve occupée à lire (détail souvent été relevé
par la critique : Manon a une vie intellectuelle et culturelle cachée).
— Inconstante Manon, [...] où sont vos promesses et vos serments ? Amante mille fois volage
et cruelle, qu’as-tu fait de cet amour que tu me jurais encore aujourd’hui ?

Manon ne voit pas vraiment le mal, pour elle la prostitution est un


ressource comme une autre :
— J’ai fait réflexion que ce serait dommage de nous priver d’une [telle] fortune.
— Et la nuit, avec qui l’auriez-vous passée ? Elle me répondit par des mais et des si. [...] Elle
pèche sans malice, me disais-je ; [...] légère et imprudente, mais droite et sincère.

(Une vengeance ratée)


Le même schéma se répète : trahison de Manon, aide d’un ami,
fuite… Mais cette fois, M. de T. les incite en plus à se venger :
Il lui semblait que je ne pouvais mieux me venger de mon rival qu’en [...] couchant, cette nuit
même dans le lit qu’il espérait occuper avec ma maîtresse.

Mais le plan échoue, le vieux M. de G.M. envoie des gardes du corps,


Manon et Des Grieux sont faits prisonniers.

Ces malversations et affrontements sont rapportés avec un style


classique : clair, rapide, et avec un certain souci de bienséance. On
est loin des détails cruels de Sade par exemple, qui admire de ce
roman :
Que de philosophie à avoir fait ressortir cet intérêt d’une fille perdue ; [...] cet ouvrage a des
droits au titre de notre roman favori.
Marquis de Sade, Idées sur les romans, 1878.

(Des Grieux et Manon au Petit-Châtelet)

Des Grieux et Manon sont conduits au Petit-Châtelet et enfermés


dans des cellules séparées. Le père de Des Grieux rend visite à son
fils :
— Qu’un père est malheureux, lorsque, après n’avoir rien épargné pour faire [de son fils] un
honnête homme, il n’y trouve, à la fin, qu’un fripon qui le déshonore !

Des Grieux reconnaît ses fautes, mais il exagère le rôle de la


passion, et cite des exemples trop nombreux pour ne pas être
satiriques !
Une maîtresse ne passe point pour une infamie dans le siècle où nous sommes, non plus qu’un
peu d’adresse à s’attirer la fortune du jeu.

Le père parvient à convaincre le vieux G.M. de faire sortir des Grieux


du Petit-Châtelet, par contre, Manon sera envoyée aux Amériques…
Des Grieux s’insurge, sans réaliser que son destin sera très différent
de ce qu’il annonce.
— Ma mort [...] vous fera peut-être reprendre pour moi des sentiments de père.
— J’aime mieux te voir sans vie que sans sagesse et sans honneur.

(Le départ aux Amériques)


Pour arrêter le convoi qui déporte Manon, Des Grieux recrute des
soldats mais ceux-là s’enfuient au dernier moment. Des Grieux, en
est réduit à payer les archers pour pouvoir parler avec Manon : À
Pacy, M. de Renoncour lui donne 4 Louis, ce qui lui permet de partir
avec elle :
J’avais perdu, [...] tout ce que le reste des hommes estime ; mais j’étais maître du cœur de
Manon [...]. Vivre en Europe, vivre en Amérique, que m’importait-il ?

Laissant croire au capitaine qu’ils sont mariés et tous les deux


nobles, celui-ci les prend sous sa protection.

(Au Nouvel Orléans)

Les voici au Nouvel Orléans (au masculin à l’époque) en Louisiane.


Les colonies, en marge de la métropole, reproduisent pourtant un
ordre social écrasant. Le gouverneur, ayant parlé avec le capitaine,
les traite comme un couple de qualité. Son neveu, Synnelet, tombe
amoureux de Manon, mais la croyant mariée, il cache ses
sentiments.

Dans leur cabane, ils vivent une vie simple, vertueuse. L’Abbé
Prévost nous laisse imaginer un instant une petite société qui tient
de l’utopie. Des Grieux prend un petit emploi, Manon reconsidère son
passé :
— J’ai été légère et volage, et même en vous aimant éperdument, [...] je n’étais qu’une
ingrate. Vous ne sauriez croire combien je suis changée.

Au XIXe siècle, L’Opéra de Massenet, insiste sur le parcours de


rédemption de Manon Lescaut.

(Le projet de mariage)

Manon et Des Grieux pensent enfin pouvoir se marier. Mais bientôt,


le gouverneur leur envoie l’aumônier.
Manon ayant été envoyée de France pour la colonie, c’était [au gouverneur de] disposer d’elle
; [...] qu’ayant appris [...] qu’elle n’était point mariée, il jugeait à propos de la donner à M.
Synnelet, qui en était amoureux.
Des Grieux essaye de convaincre le gouverneur, en vain. Il croise
alors Synnelet, le ton monte, ils se battent en duel et il le laisse pour
mort, Des Grieux décide de fuir avec Manon vers la colonie anglaise
la plus proche.

(La fuite dans le désert)

Le désert qui entoure la colonie en fait bien une nouvelle prison. La


nuit tombe, les mains de Manon sont froides.
Je la perdis ; je reçus d’elle des marques d’amour au moment même qu’elle expirait. [...]
Mon âme ne suivit pas la sienne. Le Ciel ne me trouva point, sans doute, assez
rigoureusement puni.

La mort de Manon, soudaine et sans éclat, a quelque chose de


symbolique : Des Grieux, libéré de sa passion et resté seul face à
ses choix, essaye d’y voir un châtiment divin.
En fait de divin, Manon, que rend plus éblouissante l'aveuglement du chevalier [...], reste
condamnée au silence par le narrateur qui [...] la met à mort.
René Démoris, Le Silence de Manon, 1995.

La catharsis, normalement, c’est là le but de la tragédie : purger le


spectateur de ses passions. Mais est-ce vraiment possible ici, alors
que Des Grieux ne subit jamais les conséquences de ses erreurs ?

De retour à la colonie, un procès est instruit sur la mort de Manon.


Synnelet lui-même demande la grâce de Des Grieux, qui est
innocenté.

(Retour en France)

Le navire de Tiberge, détourné par des corsaires [...] symbolise peut-


être les détours mêmes de la vertu ! Il retrouve enfin son ami.
Je lui appris tout ce qui m’était arrivé depuis mon départ de France, et pour lui causer
une joie à laquelle il ne s’attendait pas, je lui déclarai que les semences de vertu qu’il
avait jetées autrefois dans mon cœur commençaient à produire des fruits.

Les deux amis retournent alors en France, où Des Grieux apprend,


par son frère aîné, que son père est mort. En allant à l’enterrement,
ils font une halte au Lion d’Or, dernière étape de leur voyage.

Des Grieux saura-t-il tirer une leçon de sa propre histoire ? Chevalier,


probablement dans l’Ordre de Malte, on devine qu’il reprend sa vie
où il l’avait laissée avant Manon… Mais peut-être qu'il n'en tirera que
la gloire d'avoir vécu une passion exceptionnelle.

Dans tous les récits fictifs [de l'Abbé Prévost] on distinguera toujours un angle mort : le
narrateur peut tout dire, sauf la visée profonde qui était la sienne, et qui demeure
présente dans le récit. Des Grieux reste soumis à [sa] passion, à moins qu'il n'ait cherché
très tôt à s'en glorifier et à en faire le roman.
Jean Sgard, Labyrinthes de la mémoire, 1963.

L’Abbé Prévost, Manon Lescaut


Tous les personnages

M. de Renoncour

• « Homme de qualité » qui rédige ses mémoires


• Rencontre Des Grieux à Pacy, puis 2 ans plus tard à Calais.
• Renoncour laisse le lecteur le soin de lire avec un regard critique.
Je dois avertir ici le lecteur que j’écrivis son histoire presque
aussitôt après l’avoir entendue, et qu’on peut s’assurer par
conséquent, que rien n’est plus exact et plus fidèle que cette
narration

Des Grieux

• Personnage principal du roman, est-il si naïf ?


• Étudie la rhétorique scolastique et la philosophie à Amiens.
• Haute aristocratie. Se destine à devenir chevalier de l'ordre de
Malte.
• Amoureux de Manon, prêt à tout pour elle.
• Il voudrait se faire passer pour un héros tragique.

Manon Lescaut

• Pas noble, ses parents sont certainement petits bourgeois.


• A commis une faute ? En tout cas sa famille l'envoie au couvent.
• Prostitution : Manon utilise ses charmes pour obtenir des cadeaux.
• Grande beauté : femme fatale ?
• Mystère du personnage : quand réalise-t-elle son amour ?
• Sa passion pour le divertissement engendre les autres.
• Elle apprend à ses détacher de son goût du prestige, des
richesses…
• Qualités évidentes : dévouement, courage, culture.
• Victime de l'ordre social, sa beauté est d'abord un moyen de survie
:
Ne vois-tu pas, ma pauvre chère âme, que, dans l'état où nous sommes réduits, c'est une sotte
vertu que la fidélité ? Crois-tu qu'on puisse être bien tendre lorsqu'on manque de pain ?

Tiberge

• Valeurs antiques de l’amitié : compassion, générosité, intégrité.


• Zèle religieux, il se destine à devenir prêtre.
• Il prête régulièrement de l'argent à Des Grieux.
• Il désapprouve l'amour de Des Grieux pour Manon (à tort ?)
• Il s'éloigne quand il apprend que Des Grieux triche au jeu.
• Son rôle moralisateur a peu d'effet.
Je lui déclarai que les semences de vertu qu’il avait jetées autrefois dans mon cœur
commençaient à produire des fruits dont il allait être satisfait. Il me protesta qu’une si douce
assurance le dédommageait de toutes les fatigues de son voyage.

Le père et le frère de Des Grieux

• Frère émissaire du père, intérêts convergents.


• Le père : Ordre de Malte, prêtrise, mariage mais pas mésalliance.
• L'obstination de Des Grieux les oblige à le séquestrer.
• Décision d'envoyer Manon en Amérique, dispute avec le père.
• Retour d'Amérique pour l'enterrement du père.

M. de B.

• Personnage secondaire, fermier général.


• Manon s'adresse à lui pour subvenir aux dépenses du couple.
• A-t-il menacé Manon pour dénoncer Des Grieux ?

Lescaut

• Frère de Manon, se comporte comme son proxénète.


• Il fait entrer Des Grieux dans la ligue de l'industrie.
• Tentateur plein de ressources, il justifie les malversations.
• Lien entre les différentes classes complices dans le crime.

M. de G. M. père et fils

• Le vieux et le jeune libertin.


• Le vieux M. de G.M. représente l'ancienne noblesse de cour.
• Le jeune M. de G.M. représente la nouvelle noblesse libertine.
• Permettent de dénoncer une lente décadence de l'aristocratie.

Le Supérieur de Saint-Lazare

• Sensible à la naissance de Des Grieux, il croit à son repentir.


• Protège, défend Des Grieux, qui le trompe consciemment.
• Des Grieux va même le menacer d’un pistolet.
• Malgré cette trahison, le Supérieur couvrira le meurtre du portier.

M. de T.

• Fils d’un administrateur de l’Hôpital


• Aide à délivrer Manon.
• Même génération que des Grieux : même recherche de plaisirs.
• Incite Des Grieux à se venger de M. de G. M.

L’abbé Prévost, Manon Lescaut


Les 15 thèmes-clés du roman

1. Passions et Amour

• Un couple mythique comme Adam et Ève, Roméo et Juliette…


• Deuxième coup de foudre encore plus fort que le premier.
• Thèse de la comédie : l’amour rend ingénieux.
• Thème de la tragédie : l’amour peut mener à un destin funeste.
• Mélange des genres romanesque : quête initiatique cachée.
• Réussir à distinguer l’amour et les passions.
• Manon : goût du luxe, du prestige, des divertissements.
• Des Grieux : concupiscence, orgueil, jalousie.
• M. de G.M. libertin, M. de T. pousse à la vengeance, Tiberge zélé,
etc.
2. Plaisir subversif du roman

• Public choqué par cette prostituée comparée à une princesse.


• Charme dangereux de cette quête de liberté légitime.
• Dispositif narratif : rapporter une histoire qu’on nous laisse juger.
• L’Avis de l’auteur insiste sur l’élévation morale.
• Matière romanesque : libertinage, tricherie, évasion de prison,
duels.
• L’amour peut-il tout excuser ? Remise en cause de la religion.
• L’Abbé Prévost : ancien prédicateur devenu aventurier
(ambivalence).

3. Immoralité et aggravation

• Des Grieux rencontre Manon : moment déclencheur.


• Premier mensonge à Tiberge, fuite, ils couchent ensemble.
• Moment de repentance puis deuxième coup de foudre.
• Tricherie, évasion de prison, fuite, meurtre.
• La spirale s’arrête un temps quand on les croit mariés.

4. Le rôle de l'argent

• La vie parisienne et la quête de plaisir sont coûteuses.


• Des Gieux demande souvent de l’aide financière à Tiberge.
• La beauté exceptionnelle de Manon a une valeur monétaire.
• Son frère Lescaut se comporte comme son proxénète :
Une fille comme elle devrait nous entretenir, vous, elle et moi.

• Manon reçoit des cadeaux et l’argent devient un outil de


vengeance.
Il faut nous venger du père, non pas sur le fils, mais sur sa bourse. Je veux l’écouter accepter
ses présents, et me moquer de lui.
5. Libertinage et décadence

• 1715, mort de Louis XIV, la monarchie absolue se relâche.


• XVIIe siècle : critique des courtisans (La Bruyère, La Fontaine…)
• XVIIIe siècle, les Lumières évaluent les systèmes politiques.
• L’Abbé Prévost observe la décadence de l’Ancien Régime.
• Personnages nobles peu fiables : M. de B., M. de G.M. père et fils.
• Dans l’association de tricheurs : on y trouve la plus haute
noblesse.
• Des Grieux cite de nombreux exemples de vies dissolues :
À chaque faute dont je lui faisais l’aveu, j’avais soin de joindre des exemples célèbres, pour
en diminuer la honte.

6. Un ordre social en question

• L’Abbé Prévost n’est pas révolutionnaire ni philosophe des


Lumières.
• Mais observateur de la société, moraliste désabusé.
• L’Abbé Prévost dénonce la Pitié-Salpêtrière (l’Hôpital).
• le Nouveau-Monde entouré de déserts n’offre aucune échappatoire.
• L’ordre social écrasant empêche le couple de se marier.

7. Marges de la société

• Manon, en marge de la société, destinée au couvent.


• Des Grieux se destine à l’Ordre des chevaliers de Malte.
• Leur rencontre va les détourner de leur chemin tout tracé.
• Lescaut, seul parent de Manon, passerelle vers les marges.
• Il fait entrer Des Grieux dans une association de tricheurs.
• Toutes les classes sociales sont corrompues.
• Prisons de plus en plus en marge : cercles concentriques des
Enfers ?
8. Des prisons délétères

• Des Grieux d’abord séquestré par son père et son frère


• Des Grieux à Saint-Lazare se lie avec le Supérieur et s’enfuit.
• Manon souffre beaucoup à l’Hôpital, en ressort très amaigrie.
• Les prisons ne font qu'aggraver la situation.
• Le Petit Châtelet : Des Grieux libéré par son père.
• Les colonies américaines : au-delà, il n’y a que le désert.

9. Un héroïsme dégradé

• L’ordre de la croix de Malte date des croisades.


• Des Grieux n’a rien d’un chevalier des chansons de geste.
• Dans sa fuite de Saint-Lazare, il tue un portier par accident.
• Ses rares moments de courage le conduisent aussitôt à des
échecs :
• Arrêté par M. de G.M., il ne parvient pas à dégainer.
• La fuite dans le désert n’a rien d’épique non plus.

10. Ressorts de la comédie

• Scènes d’évasions comiques : oubli de la culotte du costume, etc.


• Moqueries du père et du frère de Des Grieux (cocu d’une farce).
• Rebondissements comiques (fuite avec la cassette, dîner de
dupes…)
• L’amour donne des ressources aux amoureux.
• L’amour ne connaît pas les barrières sociales.
• Épisode du Prince italien : Manon aime mettre en scène.

11. Détournement du tragique


• Des Grieux annonce une fin tragique sans être un héros tragique.
• Stratégie pour atténuer ses responsabilités.
• Différent de Phèdre, accablée par la vengeance de Vénus…
• Manon par contre est écrasée par des forces qui la dépassent.
• Manon cite Iphigénie de Racine.
• Liberté romanesque : pas d’unité de temps, de lieu, d’action,
libertés avec la vraisemblance et les bienséances.

12. Liberté et destinée

• Rencontre avec Manon : Providence ou Hasard ?


• Le coup de foudre a-t-il provoqué ou détourné le destin ?
• Des Grieux retrouve sa voie après la mort de Manon.
• Protestants et jansénistes parlent de « prédestination ».
• Dogme officiel catholique : le libre arbitre.
• Pour les philosophes, déterminisme.
• Discours détournés par les milieux libertins et athées.
• Des Grieux retrace après-coup les enchaînements.

13. Habileté du narrateur

• Situation d’énonciation : Des Grieux raconte son histoire après-


coup.
• Sous le récit autobiographique, la tragédie de Manon.
• Opéra de Puccini et Massenet : point de vue décentré de Des
Grieux.
• Des Grieux a appris la rhétorique scolastique, la théologie, etc.
• Bon tricheur, il sait dissimuler son jeu et sait mentir.
• Le registre pathétique est une arme redoutable.
Je lui fis une vive peinture de mes agitations, de mes craintes, du désespoir où [...] j’allais
retomber, si j’étais abandonné par mes amis aussi impitoyablement que par la fortune.
14. L'art impossible du moraliste

• L’abbé Prévost croit-il lui-même en son rôle de moraliste ?


• La littérature peut-elle plaire et instruire ?
• La littérature détourne-t-elle du droit chemin ?
• Exemple de Didon dans l’Énéide de Virgile : la fidélité de Didon
n’est-elle qu’un prétexte pour songer à Manon ? (pas sûr).
• Le bateau de Tiberge est détourné par des pirates : ce ne sont pas
ses qualités de moraliste qui corrigent Des Grieux.
Je lui appris tout ce qui m’était arrivé depuis mon départ de France, et [...] lui déclarai que les
semences de vertu qu’il avait jetées autrefois dans mon cœur commençaient à produire des
fruits.

15. L'énigme Manon

• Manon, grand mystère du roman. Idéalisée par Des Grieux :


Quel sort pour une créature toute charmante, qui eût occupé le premier trône du monde,
si tous les hommes eussent eu mes yeux et mon cœur !

• Soupçons sur Manon : vénale, refuse la demande en mariage…


• Et pourtant, elle prouve ensuite un amour authentique et sincère.
• Manon a-t-elle dénoncé son amant ? M. de B. l’a-t-il menacée ?
• Les pensées et la vie culturelle de Manon sont cachées.
• Le passé de Manon, ses parents, nous restent inconnus.
• Manon a certainement subi des maltraitances à l’Hôpital :
Elle me parut pâle et maigrie, en soupant. [...] Elle m’assura que, quelque touchée
qu’elle fût de cet accident, sa pâleur ne venait que d’avoir essuyé pendant trois mois
mon absence.

• Sainte-Beuve admire le mystère indémodable de Manon Lescaut :


Manon Lescaut subsiste à jamais, et, en dépit des révolutions du goût et des modes sans
nombre qui en éclipsent le vrai règne, elle [garde] cette indifférence folâtre et
languissante qu’on lui connaît.
Saint Beuve, Causeries du lundi, 1853.

L’Abbé Prévost, Manon Lescaut


Les marges de la société
— Dissertation corrigée —

Introduction

Accroche

• L’Abbé Prévost a quitté les bénédictins : lui-même en marge.


• Voyage en Angleterre, (pseudonyme Prévost d’Exiles).
• Publication des Mémoires d’un homme de qualité qui s’est retiré
du monde.

L’œuvre

• Question importante de la mise à l’écart du monde.


• Prédicateur bénédictin : genre littéraire du sermon.
• Observateur de la société, variété des passions humaines.

Problématique

La représentation de personnages en marge de la société participe-


t-elle chez l’Abbé Prévost à un projet littéraire satirique et
moraliste ?

Annonce du plan

1) L’histoire d’amour confronte les amoureux à l’ordre de la société.


2) Une société décadente où toutes les classes sociales participent
aux activités les plus marginales.
3) Rôle de la littérature où l’amour sincère est éloigné des passions
délétères mais pousse à une certaine marginalisation.
I. Histoire d’amour et marginalisation

1. L’amour comme déclencheur

• Coup de foudre : Des Grieux détourné de l’ordre de Malte.


• Seducere = détourner du droit chemin.
• Manon devait aller au couvent : réclusion hors du monde.
• Ils couchent ensemble à Saint-Denis : premier écart.
• Auberge : lieu intermédiaire vers les marges de la société.

2. Un mariage impossible

• Propositions du père de Des Grieux : devenir chevalier ou abbé.


• Le jeune Des Grieux a le droit de se marier, mais avec une
personne du même rang.
• Rigidité des classes sociales : mésalliance inenvisageable.
• Manon craint que la demande en mariage ne les sépare : elle a
raison.

3. Des marges qui sont autant de prisons

• Plusieurs niveaux d’éloignement de l’ordre social.


• Saint-Lazare / Pitié-Salpêtrière / Petit-Châtelet / colonies.
• Marges concentriques (comme les Enfers de Dante).
• Nouvel-Orléans : marge ultime avant le désert.

Transition

L’amour n’est pas le seul ressort du roman : le jeu des passions


marginalise nos personnages. Richesse, prestige, divertissement,
sont pourtant favorisés par la société elle-même.
II. Marginalisation dans une société
décadente

1. Décadence d’une aristocratie

• Fin du règne de Louis XIV (mort en 1715).


• Relâchement de la monarchie absolue, phénomène collectif.
• Des Grieux cite de nombreux exemples à son père.
• M. de G.M. et son fils : deux générations de libertins.
• Tricheries au profit du prince de R. (Rakoczy).

2. Justification des malversations

• Rôle d’intermédiaire de Lescaut, le frère de Manon.


• Proxénète, pousse Des Grieux dans l’association de tricheurs.
• Différence entre classes sociales : exemple de Marcel.
• Des Grieux toujours protégé dans ses évasions.

3. Le mélange des genres

• Roman picaresque : héros désargentés et crapuleux.


• Inversion des rôles : Des Grieux aristocrate comique
• Manon, fille du peuple, au destin tragique sublime.

Transition vers la troisième partie


• Représentation des marges de la société distingue Amour et
passion.
• Vers un projet littéraire moraliste, éloigné des modèles du XVIIe
siècle (Molière, La Bruyère, La Rochefoucauld…)
III. La représentation des marges
interroge le rôle de la littérature

1. Le plaisir avant tout ?

• Flaubert fasciné par ces personnages guidés par leurs passions :


Ce qu'il y a de fort dans Manon Lescaut, c'est le souffle sentimental, la naïveté de la passion
qui rend les deux héros si vrais, si sympathiques, si honorables, quoiqu'ils soient fripons…

• Plaisir de détourner les discours pour justifier les passions.


• Posture tragique de des Grieux pour attendrir Tiberge.
• Des Grieux revient sur sa voie initiale : chevalier de l’ordre de
Malte.

2. Distinguer amour et passions

• Histoire d’amour parcours initiatique ?


• Des Grieux partant au Nouvel-Orléans atteint une certaine
sagesse.
• Le contemptus mundi = mépris des choses terrestres.

3. Interroger les pouvoirs de la littérature

• Dans l’Avis de l’auteur, l’Abbé Prévost interroge le rôle des fictions.


• Des Grieux se met à comprendre les ouvrages qui parlent d’amour.
Les lumières que je devais à l’amour me firent trouver de la clarté dans quantités d’endroits
d’Horace et de Virgile, qui m’avaient paru obscurs auparavant.

• Est-ce que la littérature avive les passions de Des Grieux ?


• Au contraire, Didon est un exemple de fidélité et droiture morale.
« Hélas ! [...] c’était un cœur tel que le mien qu’il fallait à la fidèle Didon.

Conclusion
• Une histoire d’amour, que l’Abbé Prévost voit d’un oeil bienveillant.
• Lecteurs choqués par les malversations des jeunes amoureux.
• Société décadente où la corruption touche toutes les classes
sociales.
• Morale pessimiste : cet amour est finalement impossible.
• Mais message fort : la vertu n’a pas de sens sans amour.

L’Abbé Prévost, Manon Lescaut


Le plaisir romanesque
Dissertation corrigée

Introduction

Accroche

• Roman jugé immoral, censuré, saisi, brûlé.


• Admiration du marquis de Sade (transgression = philosophie de
vie).

L’œuvre

• Couple mythique : jeune fille perdue et aristocrate à la dérive.


• Luxe, divertissements, tricheries, évasions de prison…

Problématique

Dans quelle mesure ce goût pour la transgression permet d’expliquer


le plaisir romanesque de cet ouvrage de l’Abbé Prévost ?
Annonce du plan

I. Plaisir subversif de la transgression.


II. Plaisir de la dénonciation satirique.
III. Plaisir de lucidité.

I. Un plaisir subversif de la transgression

1. Des aventures romanesques

• Mauvaise réputation du roman, mais popularité grandissante.


• Mésaventures d’une prostituée : empathie et méfiance.
• Aggravation des malversations de Des Grieux.
• Ressorts du roman picaresque : évasion, coups de pistolet, duels…

2. Susciter la curiosité

• L’Avis de l’auteur nous présente un personnage paradoxal.


Un contraste perpétuel de bons sentiments et d’actions mauvaises.
• Le convoi de prostituées attire la curiosité de tous.
• Par son attitude d’honnête homme, Renoncour lève nos scrupules.
• Des Grieux se présente comme une victime des passions.

3. Une histoire d’amour et libertinage

• Flaubert est fasciné par la force qui pousse les deux jeunes gens.
Ce qu’il y a de fort dans Manon Lescaut, c’est le souffle sentimental, la naïveté de la passion
qui rend les deux héros si vrais, si sympathiques, si honorables, quoiqu’ils soient fripons ?
Flaubert, Correspondance, 16 septembre 1853.

• Mécanisme liant l’amour aux passions : les divertissements.


• Personnage de Lescaut (frère de Manon) tentateur.
• Tentation de vengeance par M. de T.

Transition vers la deuxième partie


• Question centrale des classes sociales.
• Transgression au service d’une satire de la société.

II. Le plaisir de la dénonciation satirique

1. Le registre comique

• Des Grieux se déguise pour retrouver Manon.


• L’héroïsme de Des Grieux est souvent dégradé.
Un homme en chemise est sans résistance. Ils m’ôtèrent tous les moyens de me défendre.

2. Satire sociale et registres littéraires

• Mélange des registres : héroï comique, pathétique teinté d’ironie.


• Des Grieux utilise le pathos pour demander de l’argent à Tiberge.
• Des Grieux noble n’a rien d’héroïque.
• Manon Lescaut prostituée connaît un destin tragique sublime.
• Des Grieux utilise des concepts religieux pour se justifier.

3. Satire sociale généralisée

• Des Grieux représente toute une génération, la même que M. de T.


• Des Grieux cite de nombreux exemples à son père mais
s’interrompt.
Il me restait trop d’honneur pour ne pas me condamner moi-même, avec tous ceux dont
j’aurais pu me proposer l’exemple.
• Mort de Louis XIV en 1715 : fin d’un règne, relâchement des
mœurs.
• Critique de la politique de Louis XIV : fermiers généraux, Hôpital.

Sujet #1

Un sujet pour saisir le lien entre les deux grandes thématiques du


parcours :
🔥 Dans cet ouvrage de l’abbé Prévost, en quoi la représentation de
personnages en marge participe-t-elle au plaisir romanesque ?

Sujet #2

Pour approfondir un peu la dimension subversive de la


représentation des marges de la société, le sujet peut aller un peu
plus loin :
🔥 Le goût pour la transgression permet-il d’expliquer le plaisir de
lecture de cet ouvrage ?

Sujet #3

Cela nous amène naturellement à nous interroger sur les intentions


profondes de l’abbé Prévost, au-delà du simple plaisir de lecture !
🔥 La représentation de personnages en marge de la société
participe-t-elle chez l’abbé Prévost à un projet littéraire satirique et
moraliste ?

Sujet #4

Au fond, on retrouve le précepte d’Horace : placere et docere, plaire


et instruire. Et pourtant, l’abbé Prévost n’est pas un moraliste
comme les autres.
🔥 Ce roman de l’abbé Prévost représente-t-il seulement les
aventures d’un jeune couple aveuglé par des passions ?

Sujet #5

Et enfin, au cœur de ce roman, le mystère du personnage de Manon


Lescaut, qui rassemble et dépasse tous les thèmes que nous avons
vus :
🔥 Peut-on dire que Manon Lescaut est la véritable héroïne de ce
roman ?

Sujet #1
Dans cet ouvrage de l’abbé Prévost, en quoi la représentation de
personnages en marge participe-t-elle au plaisir romanesque ?
Plan détaillé:

I. Les personnages en marge comme moteur de l'intrigue


A. La représentation de Des Grieux et Manon Lescaut en tant que
marginaux
B. L'attrait pour le romanesque à travers la transgression des normes
sociales

II. L'apport de la marginalité à l'esthétique romanesque


A. L'évasion et l'aventure comme des formes de plaisir de lecture
B. Le tragique de la condition des personnages qui enrichit l'expérience
romanesque

III. Les limites de la marginalité dans la construction du plaisir romanesque


A. Le dénouement tragique et la perte d'innocence
B. Le désenchantement et la désillusion comme conséquences de la vie en
marge

Sujet #2
Le goût pour la transgression permet-il d’expliquer le plaisir de lecture de
cet ouvrage ?

Plan détaillé:

I. La transgression comme source d'intérêt et de suspense


A. Les actions de Des Grieux et Manon Lescaut qui défient les normes
sociales et morales
B. L'attirance pour le danger et le risque liée à leur comportement
transgressif

II. L'attrait du lecteur pour la vie en marge


A. L'évasion de la réalité par l'expérience vicariante des personnages
B. L'excitation liée à la transgression des normes et à l'exploration de
l'inconnu

III. La transgression comme vecteur d'une réflexion morale


A. La punition des transgressions comme un avertissement aux lecteurs
B. Le questionnement moral inhérent à la représentation de la
transgression

Sujet #3
La représentation de personnages en marge de la société participe-t-elle
chez l’abbé Prévost à un projet littéraire satirique et moraliste ?
Plan détaillé:

I. Le projet satirique de l'abbé Prévost


A. La critique de la société à travers la représentation de la marginalité
B. La dénonciation de la superficialité et du matérialisme de la société
contemporaine

II. Le projet moraliste de l'abbé Prévost


A. L'utilisation des personnages marginaux pour illustrer des leçons de vie
B. L'importance de la vertu et des valeurs morales, soulignée par le sort
tragique des personnages

III. Les limites du projet satirique et moraliste de Prévost


A. La complexité des personnages et leur humanité qui va au-delà de la
satire et de la morale
B. L'ambiguïté morale et le réalisme psychologique qui nuancent le
message moraliste

Sujet #4
Ce roman de l’abbé Prévost représente-t-il seulement les aventures d’un
jeune couple aveuglé par des passions ?

Plan détaillé:

I. Les aventures de Des Grieux et Manon Lescaut comme reflet de leurs


passions débridées
A. L'exploration des passions comme moteur de l'intrigue
B. La passion comme source de souffrance et de tragédie

II. L'analyse psychologique des personnages et leur évolution


A. Le portrait de Des Grieux et Manon Lescaut comme des individus
complexes
B. L'évolution des personnages et leur prise de conscience progressive

III. Le roman comme une réflexion sur les valeurs morales et sociales
A. La critique de la société et ses valeurs matérialistes
B. La question de la liberté individuelle et ses limites

Sujet #5
Peut-on dire que Manon Lescaut est la véritable héroïne de ce roman ?

Plan détaillé:

I. Manon Lescaut comme personnage central de l'intrigue


A. Son rôle actif dans l'histoire et son influence sur Des Grieux
B. Sa complexité et son évolution au fil du roman

II. Manon Lescaut comme figure de l'héroïsme tragique


A. Sa résistance face aux épreuves et sa capacité à survivre dans des
conditions difficiles
B. Son sacrifice final comme acte d'héroïsme

III. Les limites de la représentation de Manon Lescaut en tant qu'héroïne


A. Les aspects négatifs de son personnage et son rôle dans la chute de
Des Grieux
B. Le débat sur le féminisme et la représentation des femmes dans le
roman.

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