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Affaire Cardinal-Ambongo
Affaire Cardinal-Ambongo
Éric BILALE
ABSTRACT
Dans la Guerre de Troie n’aura pas lieu, Jean Giraudoux rappelle que le Droit est
la plus puissante des écoles de l’imagination, car jamais poète n’a aussi librement
interprété la nature que le juriste la réalité. C’est rendant compte de cette exigence
de l’interprétation libre et correcte de la réalité juridique que nous nous efforcerons,
dans les présentes lignes, à fournir des éléments de connaissance nécessaires à
appréhender la vérité juridique. Cette contribution intervient dans un contexte tendu
et de méfiance entre le Gouvernement et l’Eglise Catholique en République
Démocratique du Congo. Dans un contexte où tous les pavillons de la quiétude
diplomatique sont en berne car pour la toute première fois et sans une base
procédurale solide – si l’on doit parler de soubassement et de fondement juridique
– et compte non tenu de droit et pratique diplomatiques en la matière, un Procureur
Général, sans au préalable demander la levée des immunités au Tribunal de
Vatican, a ordonné l’ouverture d’une information judiciaire à l’encontre d’un agent
public du Saint-Siège, un membre des services de la Curie, agent porteur des
immunités diplomatiques lesquelles sont absolues et intangibles à l’égard de toute
juridiction pénale nationale des Etats. Démontrer, au regard du droit des gens (ius
gentium), la « pertinence » ou l’« opérance » de la qualité officielle de Fridolin
Cardinal AMBONGO, membre « Eminent » de la Curie Romaine, à travers des
immunités diplomatiques dont il est porteur au regard de la juridiction nationale
pénale congolaise, d’une part, et, de l’autre, explorer les hypothèses du droit
d’accès au juge en se référant à l’idée de la renonciation volontaire à l’immunité
diplomatique, reste l’essentiel de présentes lignes. L’intérêt est d’autant plus grand
que toute la société sera éclairée et que certains charlatans seront contraints de
garder silence et de laisser la société savante épiloguer sur ces choses de l’esprit.
1
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Dans cette partie, nous tacherons, pour éviter des confusions multiples et
habituelles de notre société, d’abord, d’éclairer la religion des uns et des autres
sur les trois notions « Eglise Catholique », « Saint-Siège » et « Etat de la Cité de
Vatican », ce que J.-P. SCHOUPPE appelle le phénomène « trinitaire »1,
considérant que ces trois entités, bien que réalités distinctes, ont des rapports
importants entre elles2 (1) ; ensuite brièvement, il sera clairement démontré
qu’en tant qu’un Etat à part entière (Etat Pontifical), le Vatican bénéficie du
principe de l’égalité souveraine des Etat et de tous les privilèges diplomatiques
et consulaires, codifiés (conventions de Vienne sur les relations diplomatiques
et consulaires) ou non écrits (la coutume internationale) (2) et ; enfin, à la
lumière de toutes ces démonstrations péremptoires, faire constater les immunités
diplomatiques de Son Eminence Fridolin Cardinal Ambongo, Membre de la
Curie Romaine et, depuis le 15 octobre 2020, Secrétaire Adjoint du Conseil des
Cardinaux, immunités dont la violation par la RDC entrainerait sa responsabilité
internationale (3).
2
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3
J.-B. D’ONORIO, « Le Saint-Siège et le droit international » in Le Saint-Siège dans les
relations internationales, Actes du colloque organisé les 29 et 30 janvier 1988 à la Faculté de
droit et de sciences politique d’Aix-en-Provence par le Département des sciences juridiques et
morales de l’Institut Portalis, Paris, Cerf/Cujas, 1989, p. 36.
4
GEOPOLITIS, « Vatican et Saint-Siège : qui gouverne quoi ? », vidéo du 16 septembre 2012,
https://www.rts.ch/play/tv/geopolitis/video/vatican-et-saint-siege-qui-gouvernequoi?
id=4263878&station=a9e7621504c6959e35c3ecbe7f6bed0446cdf8da (consulté le 04 mai
2024)
5
Lire la Loi fondamentale de l’Etat de la Cité du Vatican du 26 novembre 2000 et la Loi
organique sur le gouvernement de la Cité du Vatican du 16 juillet 2002 ; Voir aussi LA
CROIX, « Organisation du Saint-Siège », https://www.la croix.com/Urbi-et-
3
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Parmi les privilèges dont bénéficie l’Etat de la Cité de Vatican (le Saint-
Siège) au regard du droit international se trouvent les immunités
diplomatiques. Il est tout aussi vrai que la Cour européenne des droits de
l’homme a déjà eu l’occasion de se prononcer sur l’absence de violation du
Orbi/Archives/Documentationcatholique-n-2335/Organisation-du-Saint-Siege-2013-04-
16944541 (consulté le 05 mai 2024).
4
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Ces immunités sont à la fois celles d’exécution et celles liées aux fonctions
du Souverain Pontife et des agents publics du Vatican membres des services
de la Curie et des Nonces. Personne n’est sans ignorer qu’un Cardinal est un
Membre Eminent de la Curie (Membre du Gouvernement d’un Etat
Souverain) et à ce titre, il est porteur des immunités diplomatiques lesquelles
sont absolues.
6
CEDH, gr. Ch., 21 nov. 2001, McElhinney c/Irlande, n°31253/96 ; Al-Adsani c/ Royaume-
Uni, n°35763/97, AJDA 2002.
7
Gand (1ère ch.), Verschueren et al c. Saint-Siège, évêques belges et supérieurs religieux, 25
février 2016, 203/AR/2889, n. 3.3 (non publié – obtenu par J.-P. SCHOUPPE).
8
I. PINGEL, (sous la direction de), Droit des immunités et exigences du procès équitable,
actes du colloque du 30 avril 2004 tenu à Paris et organisé par le Centre de recherches
communautaires (Cerco-Cde) de la Faculté de droit à Paris Saint-Maur, Paris, Pedone, 2004,
p. 7.
5
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deux conventions. Il est important de préciser que le Saint-Siège fut l’un des
précurseurs du développement de la diplomatie puisqu’on trouve, déjà au
Vème siècle, des signes de relations entre Etats par la représentation de
l’Evêque de Rome par des « apocrisarri » à la Cour impériale de
Constantinople. Par ailleurs, tout au long de la Question Romaine et malgré
toutes les controverses que cette dernière a pu susciter, les Etats n’ont jamais
réellement mis un terme à ces rapports et le Saint-Siège a continué à
bénéficier des règles coutumières du droit diplomatique.
6
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7
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9
Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, texte
adopté par la Commission à l’Assemblée générale à sa cinquante-troisième session, en 2001,
reproduit dans Documents officiels de l’Assemblée générale, cinquante-sixième session,
Supplément n° 10 (A/56/10). Le texte reproduit ci-dessus est repris de l’annexe à la résolution
56/83 de l’Assemblée générale 12 décembre 2001.
10
Victor Rodriguez Cedeno, Rapporteur spécial, Troisième rapport sur les actes unilatéraux,
Doc. Off. CDI NU, 52ème sess., Doc. A/CN.4/505 (2000) au para. 115 à l’art.3 § 1.
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« Une personne est considérée comme habilitée par l’Etat pour accomplir
en son nom un acte unilatéral s’il ressort de la pratique (…) ou d’autres
circonstances (qu’il avait) l’intention de considérer cette personne comme
habilitée pour agir en son nom à ces fins »18.
11
Jules Basdevant, « La conclusion et rédaction des traités et des instruments diplomatiques
autres que traités » (1926) 15 R.C.A.D.I. 601 à la p. 624.
12
Maximiliano Bernad y Alvarez de Eulate, « La coopération transfrontalière régionale et
locale » (1993) 243 R.C.A.D.I. 293 aux pp. 393, 408.
13
Anne-Marie Slaughter, « Sovereignty and Power in a Networked World Order” (2004) 40
Stan. J. Int’1 L.283 aux pp.288-289.
14
Jean Salmon, « Les accords non formalisés ou ‘’solo consensu’’ » (1999) 45 A.F.D.I. 1 à la
p. 27.
15
Air France c. Commission des Communautés européennes, T-3/93, (1994) E.C.R. II-121
aux paras 1, 45-52 (Air France) ; Affaire concernant le filetage à l’intérieur du Golfe du Saint-
Laurent (Canada c. France) (1986),19 R.S.A. 224 à la p. 265 (filetage) ; Affaire des zones
franches de la Haute-Savoie et du pays de Gex (France c. Suisse) (1932), C.P.J.I. (ser. A/B)
n°46 aux pp. 169-170 (Zones franches) ; Affaire relative à certains intérêts allemands en
Haute-Silésie polonaise (fond) (Allemagne c. Pologne) (1926), C.P.J.I. (ser. A) n°7 à la p. 13
(Haute-Silésie)
16
Affaire des concessions Mavrommatis à Jérusalem (Grèce c. Grande-Bretagne) (1925),
C.P.J.I. (ser. A) n° 5 à la p. 37 (Mavrommatis – Jérusalem) ; Affaire des activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (fond) (Nicaragua c. Etats-Unis), (1986) C.I.J.
rec. Au para. 64 (Nicaragua (fond))
17
Affaire de la délimitation de la frontière maritime dans la région du Golfe du Maine (Canada
c. Etats-Unis), (1984) C.I.J. rec. 246 au para. 142.
18
Affaire de la délimitation de la frontière maritime dans la Région du Golfe du Maine
(Canada c. Etats-Unis), (1984) C.I.J. rec. 246 au para. 139 (Golfe du Maine) ; Voir aussi
Cedeno, Troisième rapport, supra note 27 au para.115 à l’art.3 § 2.
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Il y a violation d’une obligation internationale par un Etat lorsqu’un fait dudit Etat
n’est pas conforme à ce qui est requis de lui en vertu de cette obligation, quelle que
soit l’origine ou la nature de celle-ci (conventionnelle ou coutumière). En l’espèce,
la RDC, à travers son Parquet Général, n’a pas fait ce qui lui est requis en droit
international, spécialement en droit coutumier : « le respect des immunités dues à
Cardinal, membre Eminent de la Curie Romaine. »
19
Statut juridique du Groenland oriental (Norvège c. Danemark) (1933), C.P.J.I. (ser. A/B)
n°53 à la p. 71 (Groenland oriental) ; Voir aussi Essais nucléaires (Australie), supra à la p.
310 (Opinion individuelle du juge Ignacio-Pinto)
20
Affaire des Minquiers et des Ecréhous (France c. Royaume-Uni), (1953) C.I.J. rec. 47 à la
p. 71.
21
Projet d’articles de la CDI, supra note 26, à l’art. 4.
10
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du droit, la notion d’ordre juridique est vide de sens, car il n’y a pas de différence
entre le comportement conforme au droit et celui qui ne l’est pas. »22
Se bornant à relever, au coup par coup, que telle ou telle disposition des Articles de
la C.D.I. exprime l’état du droit international coutumier aux fins du règlement de
l’affaire qui lui est soumise, la Cour, à juste titre, ne se considère pas comme tenue
de trancher la question de savoir si les Articles de la CDI sur la responsabilité de
l’État – auxquels elle se réfère inégalement selon ses arrêts23– reflètent globalement
des règles coutumières24
Force doit être de réaliser que la responsabilité de l’État est engagée au plan
international lorsqu’un comportement attribuable à l’État constitue une violation
d’une obligation internationale de celui-ci. L’acte posé par le Procureur Général à
l’encontre l’image international d’un Cardinal, membre Eminent de la Curie
Romaine, en violation du droit international coutumier, engage la responsabilité de
la République Démocratique du Congo. Il y a là un préjudice qui est causé lequel
mérite bien réparation.
22
Ch. Dominicé, « Observations sur les droits de l’État victime d’un fait internationalement
illicite », in L’ordre juridique international entre tradition et innovation. Recueil d’études,
P.U.F., 1997, p. 261.
23
Voir dans son arrêt du 25 septembre 1997, Projet Gabčíkovo-Nagymaros
(Hongrie/Slovaquie), Rec. 1997, p. 7 (ibid., pp. 38 - 39, par. 47, p. 39, par. 50, p. 40, par. 51,
p. 41, par. 53, p. 42, par. 55, p. 46, par. 58, p. 54, par. 79, p. 55, par. 83), alors même qu’il ne
s’agissait que du projet adopté provisoirement par la C.D.I. en première lecture ; mais pas une
seule fois dans le dernier arrêt qu’elle a rendu en matière de responsabilité le 30 novembre
2010 dans l’affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique
du Congo).
24
C.I.J, arrêt, 26 février 2007, Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Fond, Rec. 2007, par.
414.
11
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C’est vrai qu’une partie de la doctrine pense que « les immunités diplomatiques
consacrent l’impunité et bloquent le droit d’accès au juge », mais cela n’est pas
du tout vrai, à la lumière de la jurisprudence récente.
25
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, signé à New-York le 16 décembre
1966.
26
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à
Rome le 4 novembre
1950, art. 6, §1.
27
Cour eur. D.H., arrêt Al-Adsani c. Royaume-Uni, 21 novembre 2001, req. n°35763/97,
http://www.echr.coe.int (consulté le 03 mai 2024), §48 ; voy. aussi : Cour eur. D.H., arrêt
McElhinney c. Irlande, 21 novembre 2001, req. n°31253/96, http://www.echr.coe.int (consulté
le 03 mai 2024) ; Cour eur. D.H., arrêt Fogarty c. Royaume-Uni, 21 novembre 2001, req.
n°37112/97, http://www.echr.coe.int (consulté le 03 mai 2024) ; Cour eur. D.H., arrêt Jones et
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qu’il peut souffrir certaines exceptions. L’immunité en est une puisqu’il s’agit
d’une exception d’ordre procédural en ce sens qu’elle « n’éteint pas le droit
matériel en cause, mais empêche les cours et tribunaux nationaux de statuer sur
ce droit »28
CONCLUSION
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« Celui qui interprète un traité doit d’abord chercher l’objet et le but du traité
dans les termes de la disposition en cause, lue dans son contexte. Dans les cas
où le sens du texte lui-même est ambigu ou n’est pas concluant, ou lorsque l’on
veut avoir la confirmation que l’interprétation du texte lui-même est correcte,
celui qui interprète le traité peut avoir recours à des considérations relatives à
l’objet et au but du traité dans son ensemble. »31
29
Voir l’article 31 2) de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Voir aussi l’Accord
sur les technologies de l’information (ATI). Rapport du groupe spécial CE – Produits des
technologies de l’information, paragraphes 7.376 à 7.383.
30
Rapport de l’Organe d’appel Pérou – Produits agricoles, paragraphe 5.94.
31
Voir le rapport de l’Organe d’appel Etats‑Unis – Crevettes, paragraphe 114. Voir aussi les
rapports des Groupes spéciaux Etats‑Unis – Article 301, Loi sur le commerce extérieur,
paragraphe 7.22; Inde – Brevets (Etats‑Unis), paragraphe 7.18; Etats‑Unis – Vêtements de
dessous, paragraphe 7.18; et le rapport de l’Organe d’appel Argentine – Chaussures (CE),
paragraphe 91.
14