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Objet d’étude : le roman et le récit : du moyen-âge au XXIème siècle

PARCOURS OEUVRE PROBLÉMATIQUES


Personnages en marge, plaisirs Manon Lescaut.Abbé Prévost. • En quoi le choix de
du romanesque 1731 personnages en marge
soutient-il le plaisir de
la lecture des romans ?

PLAN DE SÉQUENCE
Explications Oeuvre intégrale :
linéaires • EL 13: : Une ouverture programmatique et funeste ?
lectures « Je m’arrêtai un moment...le sort de cette belle fille. »,première partie
complémentaires • EL14 : L'évasion de Manon
« Nous retournâmes le matin à l'Hôpital » à « à brûler l'Hôpital
même »première partie
• EL15 : la mort de Manon
« Pardonnez, si j'achève » « jamais plus heureuse. », seconde
partie

parcours associé :

• EL16: une évasion spectaculaire : Le comte de Monte-Christo.I,21.


Dumas 1844

Pistes d'étude=
définition du parcours
contexte d’écriture
histoire du roman

Histoire et culture • Extrait Les Liaisons Dangereuses


littéraire et
prolongements/
entrées possibles
Etude de la langue • Révisions pour l’oral
Expression écrite Générales : dissertation guidée/bac blanc n°2

Expression orale Préparation entretien sur oeuvre


Séance 1 : De l’auteur à l’oeuvre.

Première partie : L’abbé prévost ou le parcours d’une vie chaotique.(1697-1763)

a) une vocation religieuse


Il est tout naturel que François-Antoine Prévost, né à Hesdin, dans la province d’Artois, dans une
famille de la bourgeoisie aisée, dont les membres ont exercé différentes charges officielles dans la
magistrature, fasse ses études dans un collège de jésuites, puis choisisse de suivre le noviciat. Sa
vocation religieuse, soutenue par des études de théologie, l’amène, en 1720, à rejoindre les moines
bénédictins, puis à prononcer ses vœux définitifs en 1721, enfin à être ordonné prêtre en 1726.
En 1734, c’est encore cet appel de la religion qui le fait entrer dans une communauté religieuse
moins stricte que les bénédictins : il devient aumônier du prince de Conti et son talent de
prédicateur lui vaut un succès mondain. Enfin, en 1754, il reçoit du pape un bénéfice
ecclésiastique, un prieuré proche du Mans, et se retire de la vie mondaine pour se consacrer à
l’écriture.

b) En quête de liberté

Une première rupture intervient alors qu’il a seize ans : il quitte pendant quatre ans, de 1713 à 1717,
le collège des jésuites pour s’engager volontairement dans l’armée, puis, après deux ans de retour
à son noviciat religieux, il reprend les armes en 1720 pour participer pendant une année environ à la
guerre d’Espagne…
Nouvelle rupture alors même qu’il semble avoir décidé définitivement de sa vocation religieuse, et
qu’il s’est installé dans l’abbaye parisienne de Saint-Germain-des-Prés : il se défroque en 1728,
sans autorisation, ce qui l’oblige, pour ne pas être arrêté, à partir en exil. Comme beaucoup de
philosophes en ce siècle « des Lumières », il se rend à Londres d’abord, puis sa relation avec la
sœur d’un de ses élèves, Francis Eyles, le contraint en 1730 à fuir à nouveau, en Hollande.
Mais une nouvelle péripétie vient troubler cet exil hollandais, une relation tumultueuse avec
Hélène Eckhardt, dite Lenki, qu’il a lui-même qualifiée de « suprême épreuve du grand amour ».
Cette femme, qui multiplie les amants et les dépenses, le conduit à s’endetter, et le scandale est tel
qu’il repart avec elle en 1733 vers l’Angleterre. Cela ne met pas fin à ses difficultés financières, et
l’imitation de la signature de Francis Eyles sur une lettre de change lui vaut de se
retrouver emprisonné pour escroquerie, alors punie de mort ; seul le retrait de la plainte de la
victime lui permet de redevenir libre. Rentré clandestinement en France en 1734, ce n'est qu'après
avoir obtenu le pardon du pape qu'il revient à la religion.
À la lecture de ce parcours, nous mesurons à quel point les aventures de des Grieux et de Manon
Lescaut sont nourries de ses expériences personnelles.
Deuxième partie : le contexte du roman
Le romancier situe la première rencontre entre son narrateur et des Grieux vers 1719-1720, ce qui,
compte tenu de la durée de son aventure avec Manon, en marque le début vers 1715 : l'histoire se
déroule donc sous la Régence.
La Régence
Louis XIV meurt en 1715, mais son arrière petit-fils, Louis XV, âgé de seulement cinq ans, est trop
jeune pour régner. C’est donc Philippe d’Orléans, son neveu, qui devient Régent. La fin du règne
du Roi Soleil avait été austère, ponctuée de guerres qui ont épuisé le pays. Avec la Régence
débute une période fastueuse pour les privilégiés, et bien plus libre : le libertinage se donne
libre cours et les « fêtes galantes » se multiplient. Le pays s’enrichit aussi, notamment grâce à la
traite négrière qui permet l'essor considérable de grands ports, Bordeaux, Nantes, Brest… , et grâce
aux colonies.
Cela amène au pouvoir une nouvelle noblesse, composée de parvenus enrichis par le commerce,
mais aussi par la spéculation, qui ont pu s’acheter une charge et un titre, tels les fermiers généraux,
collecteurs des impôts ayant acquis des fortunes immenses.
La monarchie absolue
Mais cette image ne doit pas faire oublier que la monarchie absolue, dite « de droit divin »,
conserve son pouvoir despotique.
La société reste inégalitaire, et les progrès de la bourgeoisie n’empêchent pas que 5% de la
population détiennent le pouvoir et disposent des privilèges, la noblesse et le clergé. La
religion, notamment, malgré les conflits qui subsistent entre jésuites et jansénistes et entre
catholiques et protestants, reste puissante, et offre une perspective de carrière aux fils de famille.
Cette puissance explique aussi un fonctionnement judiciaire où règnent abus et injustices, y
compris contre ceux considérés comme débauchés. Les révoltes populaires sont violemment
réprimées, la torture n’est abolie qu’en 1788 et il suffit d’une lettre de cachet pour aller en prison
sans procès, voire être condamné, au mieux à l’exil, au pire à la déportation, par exemple dans le
cas des « filles publiques » : en 1719, 180 prostituées seront ainsi envoyées "peupler" la colonie de
Louisiane.
La vie mondaine
L’essor de la bourgeoisie fait que Paris remplace peu à peu Versailles. Certains quartiers, comme
le Palais Royal, les Tuileries, les Boulevards, sont embellis, et de superbes hôtels particuliers sont
construits, dans lesquels se déroulent de somptueuses soirées, et le jeu est un divertissement très
apprécié. Les théâtres, Opéra, Théâtre des Italiens, Théâtre Français, sont animés, les clubs, les
cafés se multiplient. On vient de l'Europe entière admirer l'urbanisme parisien et la vie élégante
qu'y mènent les plus fortunés. Les salons, eux aussi, témoignent de ce siècle, où s'échangent,
entre artistes, philosophes, savants, financiers, les idées les plus audacieuses. On s'y montre souvent
fort critique des pouvoirs institutionnels, et les livres interdits y circulent.
La littérature
La Régence voit naître les idées des Lumières, à travers les écrits critiques des philosophes qui,
peu à peu, posent un idéal fondé sur la raison et la connaissance, comme Montesquieu dans Lettres
persanes, roman épistolaire paru en 1721. Même s’il est encore considéré comme un genre
mineur, le roman se développe, en effet, au XVIIIème siècle, parce qu’il s’inscrit davantage
dans la réalité contemporaine et propose une critique des injustices et des abus, certes indirecte en
raison de la censure qui continue à sévir, mais souvent sévère. De ce fait, l’analyse psychologique,
mise à la mode déjà dans les romans précieux, et surtout dans La Princesse de Clèves (1678) de
Mme de La Fayette, s’approfondit aussi et gagne en vraisemblance
QUESTIONNAIRE SYNTHÈSE
I) vie de l’auteur :
a) résumer sous forme de frise la vocation religieuse de l’Abbé Prévost

b) à part la religion quel corps de métier l’Abbé Prévost intègre-t-il ?

c) Quelle rencontre va bouleverser sa vie ?

d) dans quel(s) pays les philosophes fuyaient-ils pour éviter d’être arrêtés ?

II) Contexte :

a) Quels sont les « avantages » de la Régence ?

b) Quels sont ses inconvénients

c) Quelles sont les transformations de la vie culturelle ?

d) Quel roman donne un tournant à ce genre ?


Séance n°2 : Entrée dans l’oeuvre
+ explication linéaire 16.
• objectifs : comprendre la structure du récit enchâssé

https://fr.wikisource.org/wiki/Manon_Lescaut/Premi%C3%A8re_partie
Lire la première partie pour le 18 avril.
C’est en 1728, alors même qu’il va mettre fin à sa carrière ecclésiastique, que Prévost fait publier
les tomes I et II des Mémoires et aventures d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde. Puis
paraissent les tomes III et IV, en 1729, enfin, en 1731, en Hollande, les tomes V à VII, ce septième
tome détachant l’Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut.
Ce n’est qu’en 1733 que le roman parvient en France, où il se vend indépendamment des autres
tomes. Mais le 5 octobre, le livre est saisi, puis officiellement interdit : « Outre qu’on y fait jouer
à gens en place des rôles peu dignes d’eux, le vice et le débordement y sont peints avec des traits
qui n’en donnent pas assez d’horreur. » (Journal de la Cour et de Paris) S’il continue à circuler, le
scandale amène Prévost à revoir cette première édition, qu’il corrige et à laquelle il ajoute un
épisode, et c’est sur cette seconde édition, publiée en 1753, que se fondent nos parutions actuelles,
qui, le plus souvent, ne gardent que le titre contracté en Manon Lescaut.
Le roman fait donc partie des Mémoires et aventures d’un homme de qualité. Ainsi comme nous
allons le voir c’est lui qui va raconter l’histoire de ces deux personnages tout en intégrant le récit de
Des Grieux de manière directe.
PREMIÈRE PARTIE.

Je suis obligé de faire remonter mon lecteur au temps de ma vie où je rencontrai pour la
première fois le chevalier des Grieux. Ce fut environ six mois avant mon départ pour l’Espagne.
Quoique je sortisse rarement de ma solitude, la complaisance que j’avais pour ma fille m’engageait
quelquefois à divers petits voyages, que j’abrégeais autant qu’il m’était possible.
Je revenais un jour de Rouen, où elle m’avait prié d’aller solliciter une affaire au parlement de
Normandie, pour la succession de quelques terres auxquelles je lui avais laissé des prétentions du
côté de mon grand-père maternel. Ayant repris mon chemin par Évreux, où je couchai la première
nuit, j’arrivai le lendemain pour dîner à Passy, qui en est éloigné de cinq ou six lieues. Je fus
surpris, en entrant dans ce bourg, d’y voir tous les habitants en alarme. Ils se précipitaient de leurs
maisons pour courir en foule à la porte d’une mauvaise hôtellerie, devant laquelle étaient deux
chariots couverts. Les chevaux qui étaient encore attelés, et qui paraissaient fumants de fatigue et de
chaleur, marquaient que ces deux voitures ne faisaient que d’arriver.

Remarques sur le début réflexion autour du parcours :

• un premier narrateur Renoncour qui va donc faire le récit d’un autre récit= récit enchâssé.
On comprend aussi que le récit mélange plusieurs époques : il y a le présent d’énonciation
(ce sont des mémoires d’un homme de qualité) puis une analepse (la rencontre avec le
chevalier Des Grieux, on verra dans l’explication linéaire qu’il s’agit de 1719 puisque le fait
des prostituées envoyées vers la Louisiane est vrai).
Plaisirs romanesques : car structure moderne, complexe, plusieurs narrateurs, contexte historique
réel.

EXPLICATION LINÉAIRE 13 : L'INCIPIT DU ROMAN.

• Le mot "incipit" vient d'un verbe latin à la troisième personne et se traduit par "il
commence".

• L'incipit désigne donc la ou les premières pages d'un roman... Traditionnellement, l'incipit a
deux fonctions essentielles :

• une fonction informative : il s'agit d'informer le lecteur sur les temps, lieux, personnages.

• une fonction attractive : il convient d'inciter le lecteur à poursuivre la lecture, et de susciter


sa curiosité...

On retrouve ces deux fonctions dans l'incipit du roman de Prévost : Manon Lescaut.= à vous de
rédiger le reste de l'introduction
• Nous verrons donc en quoi cet incipit remplit-il son rôle ?

« Je m’arrêtai un moment pour m’informer d’où venait le tumulte, mais je tirai peu
d’éclaircissement d’une populace curieuse, qui ne faisait nulle attention à mes demandes, et qui
s’avançait toujours vers l’hôtellerie en se poussant avec beaucoup de confusion. Enfin un archer,
revêtu d’une bandoulière et le mousquet sur l’épaule, ayant paru à la porte, je lui fis signe de la
5 main de venir à moi. Je le priai de m’apprendre le sujet de ce désordre. « Ce n’est rien, monsieur,
me dit-il ; c’est une douzaine de filles de joie que je conduis, avec mes compagnons, jusqu’au
Havre-de-Grâce, où nous les ferons embarquer pour l’Amérique. Il y en a quelques-unes de jolies,
et c’est apparemment ce qui excite la curiosité de ces bons paysans. »
J’aurais passé après cette explication, si je n’eusse été arrêté par les exclamations d’une vieille
10 femme qui sortait de l’hôtellerie en joignant les mains, et criant que c’était une chose barbare, une
chose qui faisait horreur et compassion. « De quoi s’agit-il donc ? lui dis-je. — Ah ! monsieur,
entrez, répondit-elle, et voyez si ce spectacle n’est pas capable de fendre le cœur. » La curiosité me
fit descendre de mon cheval, que je laissai à mon palefrenier. J’entrai avec peine, en perçant la
foule, et je vis en effet quelque chose d’assez touchant.
15 Parmi les douze filles, qui étaient enchaînées six à six par le milieu du corps, il y en avait une dont
l’air et la figure étaient si peu conformes à sa condition, qu’en tout autre état je l’eusse prise pour
une personne du premier rang. Sa tristesse et la saleté de son linge et de ses habits l’enlaidissaient si
peu, que sa vue m’inspira du respect et de la pitié. Elle tâchait néanmoins de se tourner, autant que
sa chaîne pouvait le permettre, pour dérober son visage aux yeux des spectateurs. L’effort qu’elle
20 faisait pour se cacher était si naturel, qu’il paraissait venir d’un sentiment de modestie.
Comme les six gardes qui accompagnaient cette malheureuse bande étaient aussi dans la chambre,
je pris le chef en particulier, et je lui demandai quelques lumières sur le sort de cette belle fille. »
Tableau explication linéaire
Premier mouvement : Une scène sous le regard du narrateur
Je m’arrêtai un moment pour Point de vue interne « je » Un point de vue qui maintient
m’informer d’où venait le « pour m’informer » « je tirai le suspens :
tumulte, mais je tirai peu peu » Le lecteur est comme le
narrateur : il ne possède pas les
d’éclaircissement d’une
l’importance du regard informations nécessaires. Les
populace curieuse, qui ne faisait « éclaircissement » « curieuse » phrases négatives participent à
nulle attention à mes demandes, cette mise en sourdine des
et qui s’avançait toujours vers champ lexical du bruit/nombre informations principales et
l’hôtellerie en se poussant avec « tumulte » « populace » suscite donc la curiosité : tout
beaucoup de confusion. « confusion » est d’ailleurs mis sous le regard.
La curiosité » est renforcée car
il semble se passer quelque
chose : on insiste sur le nombre
et le bruit

On cherche à savoir tout


comme le narrateur ce qui se
passe.

Enfin un archer, revêtu d’une Description : le détail réaliste Le souci de la vraisemblance


bandoulière et le mousquet sur discours direct : réalisme La narration continue à
l’épaule, ayant paru à la porte, vraisemblance : fait-divers qui maintenir le suspens. Les
s'est vraiment déroulé détails de la description, la
je lui fis signe de la main de
susciter la curiosité et du présence de discours direct
venir à moi. Je le priai de narrateur et du lecteur : mise en permettent de donner de la
m’apprendre le sujet de ce abyme du plaisir romanesque. vraisemblance au récit. Le
désordre. « Ce n’est rien, narrateur sait captiver le lecteur.
monsieur, me dit-il ; c’est une
douzaine de filles de joie que je
conduis, avec mes compagnons,
jusqu’au Havre-de-Grâce, où
nous les ferons embarquer pour
l’Amérique. Il y en a quelques-
unes de jolies, et c’est
apparemment ce qui excite la
curiosité de ces bons paysans. »

Deuxième mouvement : la mise en scène de l'apparition

J’aurais passé après cette Subordonnée circonstancielle Un récit vivant :


explication, si je n’eusse été de condition + allégorie : le le narrateur manie l'art de la
arrêté par les exclamations destin narration en alternant les
d’une vieille femme qui sortait paroles rapportées et discours
de l’hôtellerie en joignant les paroles rapportées directs des personnages qu'il
mains, et criant que c’était une discours direct rencontre et semblent rentrer en
scène.
chose barbare, une chose qui
champ lexical du
faisait horreur et compassion. théâtre/tragédie Le récit prend une tournure
« De quoi s’agit-il donc ? lui théâtrale
dis-je. — Ah ! monsieur, entrez, personnages Nous retrouvons en effet les
répondit-elle, et voyez si ce marques de la tragédie. Le
spectacle n’est pas capable de destin semble diriger
fendre le cœur. » La curiosité Renoncour.
me fit descendre de mon
cheval, que je laissai à mon
palefrenier. J’entrai avec peine,
en perçant la foule, et je vis en
effet quelque chose d’assez
touchant.

Troisième mouvement : la première description de Manon Lescaut.

Parmi les douze filles, qui Opposition pluriel singulier Un personnage d'exception
étaient enchaînées six à six par L'entrée en scène de Manon se
le milieu du corps, il y en avait fait à travers le regard de
marques du pathétique Renoncour(lexique du regard).
une dont l’air et la figure étaient
On comprend alors qu'il s'agit
si peu conformes à sa condition, lexique du statut social d'un personnage d'exception
qu’en tout autre état je l’eusse portrait élogieux (opposition pluriel/singulier/le
prise pour une personne du statut social)
premier rang. Sa tristesse et la champ lexical regard Manon a un "air et une figure
saleté de son linge et de ses peu conformes à sa condition",
habits l’enlaidissaient si peu, elle ressemble à "une personne
que sa vue m’inspira du respect de premier rang". Manon se
et de la pitié. Elle tâchait distingue des autres, elle
néanmoins de se tourner, autant apparaît unique.
que sa chaîne pouvait le
permettre, pour dérober son Pourtant, Manon n'est pas
visage aux yeux des vraiment décrite, elle reste une
spectateurs. L’effort qu’elle énigme, sa beauté est suggérée
faisait pour se cacher était si mais n'est pas détaillée. Elle est
souvent associée aux verbes
naturel, qu’il paraissait venir
"paraître, sembler".
d’un sentiment de modestie.
Comme les six gardes qui On connaît seulement
accompagnaient cette l'impression, les sentiments
malheureuse bande étaient aussi qu'elle produit sur les autres :
dans la chambre, je pris le chef "je vis quelque chose d'assez
touchant... du respect et de la
en particulier, et je lui demandai
pitié... " On a une connaissance
quelques lumières sur le sort de lyrique du personnage qui attire
cette belle fille.
immédiatement la sympathie.

Il souligne le décalage entre la


situation du personnage et sa
noblesse ce qui renforce le
pathétique voire le tragique.

Nous avons là une véritable


scène de théâtre tragique :
Manon est au centre de la
scène, la lumière est concentrée
sur elle.

Conclusion : Cet incipit remplit son rôle grâce à l'écriture presque cinématographique de
l'Abbé Prévost qui réussit à susciter la curiosité du lecteur. Nous comprenons assez
rapidement que le destin de Manon s'apparente à celui d'une héroïne tragique.
Ouverture : Le début du récit du chevalier Des Grieux et la rencontre avec Manon

« Voici donc son récit, auquel je ne mêlerai, jusqu’à la fin, rien qui ne soit de lui : « J’avais dix-sept ans, et
j’achevais mes études de philosophie à Amiens, où mes parents, qui sont d’une des meilleures maisons de
P***, m’avaient envoyé. Je menais une vie si sage et si réglée, que mes maîtres me proposaient pour
l’exemple du collège : non que je fisse des efforts extraordinaires pour mériter cet éloge ; mais j’ai l’humeur
naturellement douce et tranquille ; je m’appliquais à l’étude par inclination, et l’on me comptait pour des
vertus quelques marques d’aversion naturelle pour le vice. Ma naissance, le succès de mes études et quelques
agréments extérieurs m’avaient fait connaître et estimer de tous les honnêtes gens de la ville. J’achevai mes
exercices publics avec une approbation si générale, que M. l’évêque, qui y assistait, me proposa d’entrer
dans l’état ecclésiastique, où je ne manquerais pas, disait-il, de m’attirer plus de distinction que dans l’ordre
de Malte, auquel mes parents me destinaient. Ils me faisaient déjà porter la croix, avec le nom de chevalier
des Grieux. Les vacances arrivant, je me préparais à retourner chez mon père, qui m’avait promis de
m’envoyer bientôt à l’Académie. Mon seul regret, en quittant Amiens, était d’y laisser un ami avec lequel
j’avais toujours été tendrement uni. Il était de quelques années plus âgé que moi. Nous avions été élevés
ensemble ; mais, le bien de sa maison étant des plus médiocres, il était obligé de prendre l’état ecclésiastique,
et de demeurer à Amiens après moi, pour y faire les études qui conviennent à cette profession. Il avait mille
bonnes qualités. Vous le connaîtrez par les meilleures, dans la suite de mon histoire, et surtout par un zèle et
une générosité en amitié qui surpassent les plus célèbres exemples de l’antiquité. Si j’eusse alors suivi ses
conseils, j’aurais toujours été sage et heureux. Si j’avais du moins profité de ses reproches dans le précipice
où mes passions m’ont entraîné, j’aurais sauvé quelque chose du naufrage de ma fortune et de ma réputation.
Mais il n’a point recueilli d’autre fruit de ses soins que le chagrin de les voir inutiles, et quelquefois
durement récompensés par un ingrat qui s’en offensait et qui les traitait d’importunités.
J’avais marqué le temps de mon départ d’Amiens. Hélas ! que ne le marquai-je un jour plus tôt ! j’aurais
porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que je devais quitter cette ville, étant à
me promener avec mon ami, qui s’appelait Tiberge, nous vîmes arriver le coche d’Arras, et nous le suivîmes
jusqu’à l’hôtellerie où ces voitures descendent. Nous n’avions pas d’autre motif que la curiosité. Il en sortit
quelques femmes qui se retirèrent aussitôt ; mais il en resta une, fort jeune, qui s’arrêta seule dans la cour,
pendant qu’un homme d’un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur, s’empressait de faire tirer son
équipage des paniers. Elle me parut si charmante, que moi, qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes,
ni regardé une fille avec un peu d’attention ; moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue,
je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport. J’avais le défaut d’être excessivement timide et
facile à déconcerter ; mais, loin d’être arrêté alors par cette faiblesse, je m’avançai vers la maîtresse de mon
cœur.Quoiqu’elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. Je lui
demandai ce qui l’amenait à Amiens, et si elle y avait quelques personnes de connaissance. Elle me répondit
ingénument qu’elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse. L’amour me rendait déjà si éclairé
depuis un moment qu’il était dans mon cœur, que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes
désirs. Je lui parlai d’une manière qui lui fit comprendre mes sentiments ; car elle était bien plus
expérimentée que moi : c’était malgré elle qu’on l’envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant
au plaisir, qui s’était déjà déclaré, et qui a causé dans la suite tous ses malheurs et les miens. Je combattis la
cruelle intention de ses parents par toutes les raisons que mon amour naissant et mon éloquence scolastique
purent me suggérer. Elle n’affecta ni rigueur ni dédain. Elle me dit, après un moment de silence, qu’elle ne
prévoyait que trop qu’elle allait être malheureuse ; mais que c’était apparemment la volonté du ciel, puisqu’il
ne lui laissait nul moyen de l’éviter. La douceur de ses regards, un air charmant de tristesse en prononçant
ces paroles, ou plutôt l’ascendant de ma destinée, qui m’entraînait à ma perte, ne me permirent pas de
balancer un moment sur ma réponse. Je l’assurai que si elle voulait faire quelque fond sur mon honneur et
sur la tendresse infinie qu’elle m’inspirait déjà, j’emploierais ma vie pour la délivrer de la tyrannie de ses
parents et pour la rendre heureuse. »
extrait video : https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000001592/manon-lescaut-extrait.html
Séance n° 3 : Personnages en marge, plaisirs du romanesque.
I) Mots clefs :
Personnages en marge
Définition Etres fictifs des œuvres littéraires mis à l'écart, en dehors du monde
Dans Manon Lescaut Manon et Des Grieux sont en marge à la fois
géographiquement,socialement et moralement
Romanesque
Définition Le romanesque caractérise à la fois :
-ce qui est propre au roman.
- ce qui est digne de figurer dans un roman en raison de son côté peu
banal et stimulant l'imagination par des aventures extraordinaires, des
péripéties nombreuses, des rebondissements imprévus, une destinée
exceptionnelle
-celui ou celle qui se distingue par des sentiments élevés,
exceptionnels et passionnés et qui se fait de la vie, de la personne
aimée, une conception idéale, peu en rapport avec la réalité.
Dans Manon Lescaut Le mot peut s'appliquer à la vie de l'auteur même du roman et aux
personnages qui vivent des aventures exceptionnelles au nom d'une
passion.
Plaisirs
Définition Amusement, volupté, sensation ou émotion agréable liée à la
satisfaction d'un désir, d'un besoin matériel ou mental.
Dans Manon Lescaut. - Dans le roman les personnages sont toujours en qu^te de jouissane
notamment matérielles et amoureuses (n'oublions pas le cadre
historique du roman période de la régence : libertinage)
- Pour le lecteur : plaisir lié aux nombreux rebondissements, à la
structure en récits enchâssés qui donne de l'originalité au roman.
Plaisir aussi lié pour le lecteur de l'époque de tirer une leçon de cette
histoire en s'identifiant aux personnages.

II) Enjeux : la juxtaposition des formules « personnages en marge » et « plaisirs du romanesque »


invite à questionner leur association : le lecteur peut-il éprouver du plaisir à la lecture des
aventures de marginaux ? Comment ce plaisir peut-il s'accommoder des intentions morales
mises en avant dans l'Avis au lecteur ?
« Outre le plaisir d'une lecture agréable » pour « l'instruction des moeurs ».
Incarnation de ces notions dans le roman :
Manon et Des Grieux sont en marge car :
• leur statut : c'est une prostituée/c'est un trompeur, voleur, fils répudié..ce sont un « fripon »
et « une catin » pour reprendre les termes de Montesquieu en parlant du roman.
• En marge car hors du monde : la société les condamne à vivre dans des lieux écartés (prison,
cachettes, le Nouveau Monde, le désert..)
Tiberge (ami de Des Grieux) :
• la valeur morale du roman : il est porteur des discours les plus vertueux
Renoncour :
• le narrateur du récit-cadre du roman : il est un « homme de qualité » : incarnation d'une
époque

Séance n°4 : Explication linéaire n° 14 : L'évasion de Manon : une péripétie très


romanesque.

Publié en 1731, Manon Lescaut est un roman de l4abbé Prévost qui raconte les amours
contrariées et tumultueuses d'un jeune cadet de bonne famille et d'une jeune fille d'origine modeste.
Réduits à employer des moyens malhonnêtes et immoraux pour vivre, ils tentent de duper un vieux
libertin qui avait des vues sur Manon, M.de G...M...mais sont arrêtés et incarcérés. Dans notre
extrait, Des Grieux, après s'être lui-même évadé de la prison de Saint-Lazare, exécute, non sans
maladresses, le plan mis au point pour faire évader Manon de l'Hôpital Général.

Problématique : En quoi cette évasion particulièrement romanesque prend-elle une tournure


comique ?

Extrait :

Nous1 retournâmes le matin à l’hôpital 2. J’avais avec moi, pour Manon, du linge, des bas, etc., et
par-dessus mon justaucorps3 un surtout4 qui ne laissait rien voir de trop enflé dans mes poches.
Nous ne fûmes qu’un moment dans sa chambre. M. de T*** lui laissa une de ses deux vestes. Je lui
donnai mon justaucorps, le surtout me suffisant pour sortir. Il ne se trouva rien de manque à son
5 ajustement, excepté la culotte5, que j’avais malheureusement oubliée.
L’oubli de cette pièce nécessaire nous eût sans doute apprêtés à rire, si l’embarras où il nous mettait
eût été moins sérieux. J’étais au désespoir qu’une bagatelle 6 de cette nature fût capable de nous
arrêter. Cependant je pris mon parti, qui fut de sortir moi-même sans culotte. Je laissai la mienne à
Manon. Mon surtout était long, et je me mis, à l’aide de quelques épingles, en état de passer
10 décemment à la porte.Le reste du jour me parut d’une longueur insupportable.
Enfin, la nuit étant venue, nous nous rendîmes dans un carrosse un peu au-dessous de la porte de
l’hôpital. Nous n’y fûmes pas longtemps sans voir Manon paraître avec son conducteur. Notre
portière étant ouverte, ils montèrent tous deux à l’instant. Je reçus ma chère maîtresse dans mes
bras : elle tremblait comme une feuille. Le cocher me demanda où il fallait toucher 7 : « Touche au
15 bout du monde, lui dis-je, et mène-moi quelque part où je ne puisse jamais être séparé de Manon. »
Ce transport, dont je ne fus pas le maître, faillit de m’attirer un fâcheux embarras. Le cocher fit
réflexion à mon langage, et lorsque je lui dis ensuite le nom de la rue où nous voulions être
conduits, il me répondit qu’il craignait que je ne l’engageasse dans une mauvaise affaire ; qu’il
voyait bien que ce beau jeune homme qui s’appelait Manon était une fille que j’enlevais de
20 l’hôpital, et qu’il n’était pas d’humeur à se perdre pour l’amour de moi.
La délicatesse de ce coquin n’était qu’une envie de me faire payer la voiture plus cher. Nous étions
trop près de l’hôpital pour ne pas filer doux. « Tais-toi, lui dis-je, il y a un louis d’or à gagner pour
toi. » Il m’aurait aidé, après cela, à brûler l’hôpital même.

1 Il s'agit de Des Grieux et de M.de T..


2 L'Hôpital général où est incarcérée Manon
3 Veste longue resserée à la taille qui descend jusqu'aux genoux
4 Surtout= manteau long, pardessus
5 Culotte= pantalon court que les hommes portaient par-dessus des bas de soie.
6 Bagatelle= petit rien, chose dérisoire
7 Toucher : aller
Questions pour l'explication linéaire
I) les mouvements du texte

Limites parties Titres parties Justification


1er mouvement : lignes 1 à 10 Le travestissement de Manon Unité thématique et
(du début à « une longueur temporelle :
insupportable ») Manon déguisée en homme « le
reste du jour

II) Développement :
premier mouvement
a) l 1à l4 : quels éléments contribuent à rendre cet épisode vraisemblable.

b) En quoi ce passage peut-il évoquer une scène de théâtre ?

c)En quoi l'oubli de la culotte est-il comique ?

Deuxième mouvement
a) quel mot relance t-il l'intérêt romanesque sur l'intrigue principale et révèle l'impatience du
narrateur ?

b) étudiez le rythme des phrases : en quoi contribue-t-il à donner l'impression de rapidité dans ce
passage ?

c)En quoi la réponse de Des Grieux au cocher peut-elle faire sourire ?

Troisième mouvement
a)montrez que le thème de la passion amoureuse, central dans le roman, est traité sur un mode plus
léger dans la phrase « Ce transport, dont je ne fus pas le maître, faillit de m’attirer un fâcheux
embarras » (indice : il y a un jeu de mot)

b) comment le discours du cocher rapporté par Des Grieux contribue-t-il au comique de ce


passage ?

c) en quoi l'épisode avec le cocher traduit-il une forme de tension sociale ?


Correction questions explication linéaire 17

Premier mouvement : Le travestissement de Manon (l1 à 10)


• l'énumération des vêtements masculins ancre le texte dans la réalité de son temps, permet de
renvoyer le lecteur du XVIIIème siècle à des éléments concrets qui font partie de son
quotidien.
• Cette scène peut s'apparenter à une scène de théâtre car le travestissement est un motif
théâtral qui renvoie à l'univers de la comédie (pensons aux comédies sociales de Marivaux)
• Cette tradition du comique est renforcée par l'oubli de la culotte. Dans le contexte
romanesque d'une évasion nocturne, l'oubli de la culotte est le grain de sable qui vient
perturber le plan soigneusement mis en scène par Des Grieux.

Deuxième mouvement : l'exécution du plan d'évasion
• l'adverbe « enfin » souligne l'impatience de Des Grieux et recentre l'attention sur l'action.
• Les phrases brèves contribuent à donner l'impression que les actions s'enchaînent
rapidement
• une réplique comique : la réponse de Des Grieux peut faire sourire car son lyrisme habituel
est ici peu à sa place, dans la mesure où le cocher demande une information précise, non une
déclaration. De plus dans son élan amoureux, Des Grieux révèle maladroitement tout ce que
ses précautions tendaient à cacher : le fait que Manon est une jeune femme et qu'elle est sa
maîtresse.

Troisième mouvement : les réticences du cocher


• le terme transport souvent employé par Des Grieux quand il parle de son amour pour
Manon, est ici associé à une mésaventure comique.
• L'emploi du discours : les propos du cocher rapportés au discours indirect par Des Grieux
contribuent au comique du texte dans la mesure où le cocher pointe ironiquement l'erreur
commise par Des Grieux et invoque des scrupules moraux uniquement pour lui extorquer
plus d'argent.
• Effet de réel : l'épisode avec le cocher reflète une forme de brutalité au dans les rapports de
classe au XVIIIème siècle ; Des Grieux qualifie le cocher de « coquin » et se comporte
comme un homme habitué à être servi. De son côté le cocher profite de la situation pour
inverser les rôles maîtres/valets.
• La chute de l'extrait est comique : la dernière phrase assez brève contraste avec la longue
phrase développant les faux scupules du cocher, qu'elle invalide complètement. L'hyperbole
« brûler l'hôpital » renforce cet effet comique.

Conclusion : Cet épisode d'évasion nocturne, impliquant un travestissement, ponctué d'imprévus et


de rebondissements, est particulièrement romanesque. Il montre aussi un héros prêt à tout par amour
mais qui malgré son courage fait preuve de maladresse.
Loin d'être parfait et idéalisé, Des Grieux, annonce déjà le héros réaliste du XIXème siècle par ses
failles et on pourrait lui appliquer la formule de Stendhal à propos de Fabrice Del Dongo « Nous
avouerons que notre héros était fort peu héros en ce moment. »
Séance n°5 : Commentaire guidé extrait de roman.

Après un mariage célébré avec hâte, les convives de Gervaise et Coupeau, privés de promenade à
la campagne par un orage, visitent le Louvre. C'est l'occasion pour le romancier naturaliste, de
donner sa réflexion sur l'art.

Gervaise demanda le sujet des Noces de Cana ; c’était bête de ne pas écrire les sujets sur les cadres.
Coupeau s’arrêta devant la Joconde, à laquelle il trouva une ressemblance avec une de ses tantes.
Boche et Bibi-la-Grillade ricanaient, en se montrant du coin de l’œil les femmes nues ; les cuisses
de l’Antiope surtout leur causèrent un saisissement. Et, tout au bout, le ménage Gaudron, l’homme
5 la bouche ouverte, la femme les mains sur son ventre, restaient béants, attendris et stupides, en face
de la Vierge de Murillo.

Le tour du salon terminé, M. Madinier voulut qu’on recommençât ; ça en valait la peine. Il


s’occupait beaucoup de madame Lorilleux, à cause de sa robe de soie ; et, chaque fois qu’elle
l’interrogeait, il répondait gravement, avec un grand aplomb. Comme elle s’intéressait à
10 la maîtresse du Titien, dont elle trouvait la chevelure jaune pareille à la sienne, il la lui donna pour
la belle Ferronnière, une maîtresse d’Henri IV, sur laquelle on avait joué un drame, à l’Ambigu.

Puis, la noce se lança dans la longue galerie où sont les écoles italiennes et flamandes. Encore des
tableaux, toujours des tableaux, des saints, des hommes et des femmes avec des figures qu’on ne
comprenait pas, des paysages tout noirs, des bêtes devenues jaunes, une débandade de gens et de
15 choses dont le violent tapage de couleurs commençait à leur causer un gros mal de tête. M.
Madinier ne parlait plus, menait lentement le cortège, qui le suivait en ordre, tous les cous tordus et
les yeux en l’air. Des siècles d’art passaient devant leur ignorance ahurie, la sécheresse fine des
primitifs, les splendeurs des Vénitiens, la vie grasse et belle de lumière des Hollandais. Mais ce qui
les intéressait le plus, c’étaient encore les copistes, avec leurs chevalets installés parmi le monde,
20 peignant sans gêne ; une vieille dame, montée sur une grande échelle, promenant un pinceau à
badigeon dans le ciel tendre d’une immense toile, les frappa d’une façon particulière. Peu à peu,
pourtant, le bruit avait dû se répandre qu’une noce visitait le Louvre ; des peintres accouraient, la
bouche fendue d’un rire ; des curieux s’asseyaient à l’avance sur des banquettes, pour assister
commodément au défilé ; tandis que les gardiens, les lèvres pincées, retenaient des mots d’esprit. Et
25 la noce, déjà lasse, perdant de son respect, traînait ses souliers à clous, tapait ses talons sur les
parquets sonores, avec le piétinement d’un troupeau débandé, lâché au milieu de la propreté nue et
recueillie des salles.
Emile Zola, L'Assommoir, chap III, 1877.

Etape 1 : Réalisez la carte d'identité du texte en complétant la fiche ci-dessous

auteur
titre
Date et mouvement littéraire
Type de texte
genre
Tonalité/registre
Bref résumé du passage

Étape 2 : première impressions


a) quelle est l'originalité du passage ?

b) donnez lui un titre :

étape 3 : premières analyses


a. Pour chaque repérage sur le texte, indiquez le procédé littéraire utilisé et proposez une
interprétation
repérages procédés interprétation
Passages surlignés en bleu Mise en abyme/spectacle dans Écho entre la situation des
le spectacle personnages et les tableaux
observés
les personnages deviennent
eux-même un tableau qu'on
observe

Passages surlignés en bleu et


soulignés

Passages surlignés en jaune

Passages surlignés en vert

Passage surlignés en vert et


soulignés

Passages surlignés en orange

Passages surlignés en jaune et


soulignés

Passages en italique

b. interprétation
bleu :
vert :
Jaune/orange/italique :
étape 4 : élaborez une problématique qui révèle un paradoxe : comment
(révélez l'opposition entre la scène populaire et l'art académique)

correction
auteur Emile Zola
titre L'Assommoir
Date et mouvement littéraire 1877, naturalisme
Type de texte Narratif et descriptif
genre roman
Tonalité/registre Comique et satirique
Bref résumé du passage Une noce populaire découvre de manière cocasse les chefs-d'oeuvre
du Louvre. Le spectacle est moins dans l'observation des tableaux
de maître que dans celui de cette étonnante assemblée.

repérages procédés interprétation


Passages surlignés en bleu Mise en abyme/spectacle dans Écho entre la situation des
le spectacle personnages et les tableaux
observés
les personnages deviennent
eux-même un tableau qu'on
observe
Passages surlignés en bleu et comparaison Jeu de correspondances. Les
soulignés personnages prennent peu à peu
la place des sujets des tableaux
Passages surlignés en jaune Surnoms populaires Attitude puérile et
métaphore animale comportement inapproprié
Passages surlignés en vert Adjectifs péjoratifs Attitude ridicule et amusante
devant un nu féminin

Passage surlignés en vert et satire Personnage qui fait croire qu'il


soulignés est savant afin d'impressionner
Mme Lorilleux

Passages surlignés en orange Vocabulaire du corps et de Image du peuple : naturalisme


l'incompréhension
Passages surlignés en jaune et Comique et satire Personnage qui fait croire qu'il
soulignés est savant afin d'impressionner
Mme Lorilleux
Passages en italique Énumération et champ lexical - contraste entre
de l'incompréhension l'incompréhension du peuple et
antithèse entre l'art académique le milieu de l'art.
et l'ignorance des personnages
Plan possible : I) une scène comique : la parodie d'une visite au musée
II) une scène naturaliste : la réalité des gens du peuple
III) une réflexion sur l'art

Séance n°6 : la mort de Manon. Explication linéaire 15

Pardonnez, si j'achève en peu de mots un récit qui me tue. Je vous raconte un malheur qui n'eut
5 jamais d'exemple. Toute ma vie est destinée à le pleurer. Mais, quoique je le porte sans cesse dans
ma mémoire, mon âme semble reculer d'horreur, chaque fois que j'entreprends de l'exprimer.
Nous avions passé tranquillement une partie de la nuit. Je croyais ma chère maîtresse endormie
et je n'osais pousser le moindre souffle, dans la crainte de troubler son sommeil. Je m'aperçus dès le
point du jour, en touchant ses mains, qu'elle les avait froides et tremblantes. Je les approchai de mon
10 sein, pour les échauffer. Elle sentit ce mouvement, et, faisant un effort pour saisir les miennes, elle
me dit, d'une voix faible, qu'elle se croyait à sa dernière heure. Je ne pris d'abord ce discours que
pour un langage ordinaire dans l'infortune, et je n'y répondis que par les tendres consolations de
l'amour. Mais, ses soupirs fréquents, son silence à mes interrogations, le serrement de ses mains,
dans lesquelles elle continuait de tenir les miennes me firent connaître que la fin de ses malheurs
15 approchait. N'exigez point de moi que je vous décrive mes sentiments, ni que je vous rapporte ses
dernières expressions. Je la perdis ; je reçus d'elle des marques d'amour, au moment même qu'elle
expirait. C'est tout ce que j'ai la force de vous apprendre de ce fatal et déplorable événement.
Mon âme ne suivit pas la sienne. Le Ciel ne me trouva point, sans doute, assez rigoureusement
puni. Il a voulu que j'aie traîné, depuis, une vie languissante et misérable. Je renonce volontairement
20 à la mener jamais plus heureuse.

Extrait de la deuxième partie de Manon Lescaut - L'abbé Prévost

Situé dans les dernières pages du roman de l'abbé Prévost, Manon Lescaut (1731), ce
passage est un des romans clés de l'oeuvre. Arrivant à la fin de son récit Des Grieux y aborde un
épisode particulièrement douloureux, la mort de Manon, conséquence tragique de la fuite dans le
désert des deux amants, à la suite du duel entre Des Grieux et Synnelet, le neveu du gouverneur,
tombé amoureux de Manon et qui voulait l'épouser de force.

Problématique : en quoi la retenue et la pudeur de Des Grieux rendent-elles ce texte d'autant plus
émouvant ?
Questionnaire explication linéaire 18
Première partie : les réticences de Des Grieux à raconter cet épisode (jusqu'à l'exprimer l3)

a) étudiez l'énonciation dans cette première partie du texte (locuteur, destinataire et valeur du
présent). En quoi met-elle en valeur le récit qui va suivre ?

b) Relevez et analysez deux procédés qui installent une tonalité pathétique.

c)Montrez qu'à cette tonalité pathétique se mêle cependant une forme de retenue, en étudiant
notamment le rythme des phrases.

Deuxième partie : le récit de la mort de Manon (de « nous avions passé » à « approchait »)
a) en quoi le récit de Des Grieux rend-il compte de la prise de conscience tardive du fait que Manon
est en train de mourir ? Aidez-vous des modalisateurs pour répondre

b) montrez que les mots ne traduisent pas l'intensité des sentiments éprouvés par des Grieux et
Manon

Troisième partie : le silence et le renoncement de Des Grieux (de « n'exigez point » à la fin)
a) en quoi l'adresse à Renoncour peut paraître surprenante ?

b) commentez le rythme des dernières phrases de ce passage. En quoi contraste-t-il avec le style
habituel de Des Grieux ? Quel est l'effet produit ?

c)La résolution de Des Grieux ressemble t-elle aux vœux prononcés par les religieux. En quoi est-ce
scandaleux au XVIIIème siècle ?
Correction questionnaire explication linéaire 18.

Première partie : les réticences de Des Grieux à raconter cet épisode


• l'énonciation : Des Grieux s'adresse à Renoncour : « pardonnez » « je vous raconte »
revenant au moment de l'énonciation marqué par un retour au présent « j'achève ». Ce
recentrage sur le présent de l'énonciation introduit une rupture narrative quimobilise
l'attention du lecteur et relance l'intérêt pour la suite du récit.
• La tonalité pathétique est installée par le champ lexical de la douleur « un récit qui me tue »
« malheur » « pleurer ».
• Les trois premières phrases sont brèves, seule la dernièr est plus développée. Elles sont
assertives et dépouvues d'exclamations pourtant typiques de la tonalité pathétique.

Deuxième partie : le récit de la mort de Manon


• Les modalisateurs montrent que Des Grieux ne comprend pas tout de suite que Manon est en
train de mourir : « je croyais » « je ne pris d'abord ce discours » « je n'y répondis que par ».
• Le langage du corps prend le relais du langage verbal en tre les amoureux. Les gestes
tendres se substituent aux mots « je les approchai » « échauffer » et Manon mourante ne
s'exprime plus que par des « soupirs » et « son silence ».

Troisième partie : Le silence et le renoncement de Des Grieux


• La formule « n'exigez pas de moi » est surprenante dans la mesure où Renoncour
n'intervient jamais ou trèspeu dans le récit de Des Grieux. Elle souligne en fait une ellipse
faite ici par Des Grieux, son silence sur ses sentiments et les dernières expressions. Elle
s'apparente à une prétérition dans la mesure où elle est contredite par la phrase suivante.
• Les phrases brèves du dernier paragraphe tranchent avec le lyrisme habituel de Des Grieux.
• La dernière phrase souligne une forme de dévotion religieuse éprouvée par Des Grieux à
l'égard de Manon, qui traverse tout le roman et comporte un caractère scandaleux et
blasphématoire.

Conclusion :
Ponctué d'adresses à Renoncour qui en soulignent l'importance et prolongent sa résonance
jusque dans le présent d'énonciation, le récit par Des Grieux de la mort de Manon est fait d'ellipses
et de silences. L'excès de douleur se traduit, au-delà des mots, dans l'incapacité de Des Grieux à
exprimer son émotion et ne trouve d'issue possible que dans une mort symbolique.
Prévost inscrit son couple d'amoureux dans la lignée des amants maudits qui de Tristan et Yseut à
Roméo et Juliette, traversent l'histoire de la littérature.
Évaluation lecture première partie :
I) L'intrigue et les passages importants
a. Quel premier événement met fin aux quelques semaines de bonheur entre Des Grieux et Manon ?

b. Après cette première déconvenue quelle autre voie choisit des Grieux ? Y parvient-il ?

c.Où chacun des amants est-il enfermé ? De quelle manière sont-ils traités chacun de leur côté ?

d.quel acte commet Des Grieux à la fin de la première partie ?

II) personnages :

a) Manon : en quoi la jeune femme est-elle ambiguë dès sa première rencontre ? Dans quelles
circonstances se montre-t-elle par la suite très légère ou au contraire très aimante ?

b) Tiberge : quelle fonction possède Tiberge dans cette partie ? Justifiez en citant le texte

III) les thèmes :


a) quelle place occupe l'argent dans le récit ?

b) montrez que ce récit met en scène le combat entre la vertu et la passion.


Évaluation lecture première partie :
II) L'intrigue et les passages importants
a. Qui décide de faire enlever Des Grieux suite à la première infidélité de Manon ?

b. Pourquoi les amants sont-ils conduits en prison ?

c.La première partie se termine-t-elle sur l'idée d'une véritable libération ? Pourquoi ?

II) personnages :

a) Des Grieux : d'après vous ce personnage est-il victime ou responsable ? justifiez

b) figures paternelles : quelles sont dans le roman les différentes figures paternelles (attention à
relever aussi les figures symboliques)

III) les thèmes :


a) la prison est-elle le lieu de la punition du vice et du retour à la vertu ?

b) montrez que ce récit met en scène le combat entre la vertu et la passion. Quel personnage
incarne le discours de la vertu ?
Séance n°7 : Explication linéaire n°16 L’évasion de Dantès.

Comment cette scène romanesque d’évasion fait-elle du marginal un héros ?

Dantès étourdi, presque suffoqué, eut cependant la présence d'esprit de retenir son haleine, et,
comme sa main droite, ainsi que nous l'avons dit, préparé qu'il était à toutes les chances, tenait son
couteau tout ouvert, il éventra rapidement le sac, sortit le bras, puis la tête; mais alors, malgré ses
mouvements pour soulever le boulet, il continua de se sentir entraîné; alors il se cambra, cherchant
5 la corde qui liait ses jambes, et, par un effort suprême, il la trancha précisément au moment où il
suffoquait; alors, donnant un vigoureux coup de pied, il remonta libre à la surface de la mer, tandis
que le boulet entraînait dans ses profondeurs inconnues le tissu grossier qui avait failli devenir son
linceul.

Dantès ne prit que le temps de respirer, et replongea une seconde fois; car la première précaution
10 qu'il devait prendre était d'éviter les regards.
Lorsqu'il reparut pour la seconde fois, il était déjà à cinquante pas au moins du lieu de sa chute; il
vit au-dessus de sa tête un ciel noir et tempétueux, à la surface duquel le vent balayait quelques
nuages rapides, découvrant parfois un petit coin d'azur rehaussé d'une étoile; devant lui s'étendait la
plaine sombre et mugissante, dont les vagues commençaient à bouillonner comme à l'approche
15 d'une tempête, tandis que, derrière lui, plus noir que la mer, plus noir que le ciel, montait, comme un
fantôme menaçant, le géant de granit, dont la pointe sombre semblait un bras étendu pour ressaisir
sa proie; sur la roche la plus haute était un falot éclairant deux ombres.
Il lui sembla que ces deux ombres se penchaient sur la mer avec inquiétude; en effet, ces étranges
fossoyeurs devaient avoir entendu le cri qu'il avait jeté en traversant l'espace. Dantès plongea donc
20 de nouveau, et fit un trajet assez long entre deux eaux; cette manœuvre lui était jadis familière, et
attirait d'ordinaire autour de lui, dans l'anse du Pharo, de nombreux admirateurs, lesquels l'avaient
proclamé bien souvent le plus habile nageur de Marseille.Lorsqu'il revint à la surface de la mer, le
falot avait disparu.
Le comte de Monte‐Cristo, AlexandreDUMAS,1845
Pistes explication linéaire 16

• Premier mouvement de Dantès à « son linceul » l8 : quitter la prison du sac


Caractéristiques personnage : ici Dantès est le seul personnage nommé : c'est le héros, d'ailleurs il
en possède les qualités « esprit » et les accessoires « couteau » qui symbolise le combat contre
l'adversité. Il suscite l'admiration= registre épique.
point du vue interne du personnage : le récit se fait à travers le point de vue de Dantès afin que nous
vivions la scène en même temps que lui et donc avoir de l'empathie pour le personnage.
narrateur omniscient : le narrateur ici se fait omniscient et intervient et s'adresse directement au
lecteur pour le maintenir en haleine.
Verbes d'actions au passé simple : Il s'agit bien du récit détaillé d'une évasion haletante et
spectaculaire, les actions se succèdent sur un rythme rapide.
Champ lexical corps et hyperbole : difficulté de l'évasion soulignée : le choix est de renforcer le
caractère extraordianaire de cette évasion en insistant sur la difficuté.
Lexique de la mort : Pour rappeler que le personnage fait face au danger dans cette évasion, le
récit est ponctué d'images renvoyant à la mort. Images qui renforce le caractère héroïque du
personnage.

Bilan premier mouvement : Cette scène d'aventure palpitante et romanesque, très spectaculaire
raconte l'évasion de Dantès. Symboliquement, la sortie du sac ici, la plongée dans l'élément liquide
ensuite connotent l'univers maternel et annoncent la renaissance du héros.

• Deuxième mouvement : fuir la prison de la mer.


Les marques de la négation : la restrictive et la négation lexicale montrent que la danger est toujours
prison et que Dantès n'est pas sorti d'affaire.
Actions répétitives : les actions se répètent pour marquer la difficulté dans laquelle se trouve le
personnage et les efforts fournis dans la durée.
Champ lexical tempête : le cadre se fait menaçant et la tempête renforce le danger.
Symboles : marques de l'espoir au cœur de la tempête. Solitude et marginalité du héros qui seul
dans l'obscurité doit se frayer un chemin vers la lumière, la vengeance et la véritable liberté.
Accumulation de procédés= registre épique (superlatif, métaphore, comparaison, hyperboles,
anaphores) : Héroïsme du personnage qui lutte avec courage contre des éléments démesurés dans un
combat aux allures mythiques
périphrases : les gardiens sont désignés à travers deux périphrases construisant l'image
mythologique de l'enfer.
Analepse, superlatif : Retour sur un passé glorieux qui valorise Dantès et en fait un être d'eception.
Le narrateur semble vouloir également légitimer la réussite du personnage et de rendre ainsi son
évasion crédible.

Bilan deuxième mouvement : Alors que Dantès se retrouve seul au milieu de la mer et de la nuit,
une lueur d'espoir apparaît symboliquement dans le ciel. La bonne étoile de Dantès et ses talents de
nageur lui permettront de rejoindre la terre ferme.
Conclusion : Cette évasion est particulièrement épique et fait de Dantès un véritable héros. Elle est
également porteuse d'une certaine symboliquement puisque il s'agit du moment où Dantès renaîtra
sous le nom de Monte-Cristo et assouvira sa vengeance.
On est loin de l'évasion maladroite de Manon dans le roman de l'abbé Prévost menée par le
chevalier Des Grieux.

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