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Langue et

littérature en
francophonie
Dr Aminata AIDARA

Université Cheikh Anta Diop


de Dakar
Introduction
I. La Francophonie : définitions et enjeux culturels
Plan du cours 1. Quelques définitions

2. Enjeux culturels et diversité linguistique


3. Langue et littérature en Francophonie
4. Intérêt de la littérature francophone
II. Problématique identitaire et littérature francophone
1. De la cohabitation linguistique à la créativité esthétique
2. Langue liée au colonisateur
3. Pratiques langagières et littérature francophone
4. Ambiguïtés d’une notion
III. Nouvelles approches
Conclusion
Bibliographie
Annexes
Introduction

Deux traits fondamentaux


définissent l’espace
francophone contemporain :

- Son caractère homogène

- Son caractère hétéroclite


Quel est le vrai visage de la 321 millions de locuteurs dans le
https://www.francophonie.org/la-la
francophonie à travers le monde ? ngue-francaise-rayonne-avec-321-mi monde dont
llions-de-locuteurs-dans-le-monde-2
140

Le français est toujours la 5e langue


la plus parlée après l’anglais, le 62 % d’entre eux résident en Afrique
chinois, l’hindi et l’espagnol
I. La
Francophonie :
définitions et
enjeux culturels
La cartographie actuelle du français montre que si la langue est
présente en quatre continents, la concentration des locuteurs
varie considérablement d'une région à l'autre. Ce qui donne
grosso modo quatre ensembles de régions francophones :

Les pays où le français est la langue maternelle (la France et le


Canada francophone)

Les pays créolophones, où le français est la langue officielle, avec


forte présence du créole (les Antilles, Haïti, île Maurice, les
Seychelles et La Réunion)

Les anciennes colonies françaises et belges où le français jouit


souvent d'un statut particulier de langue officielle (Sénégal, Mali,
Côte d’Ivoire etc.), parfois avec une langue nationale (le Burundi,
Madagascar et le Rwanda)
La Francophonie: créée le 20 mars 1970 à Niamey, sous le nom de l’Agence de Coopération Culturelle et Technique, elle est composée aujourd’hui de 88 Etats membres et pays observateurs

https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/5840?lang=en
Les pères fondateurs
Léopold Sédar Senghor, Habib Bourguiba,
Hamani Diori, Norodom Sihanouk

Historique
Création en 1970 l’Agence de
Coopération Culturelle et Technique
devient en 1998 l’Agence
Intergouvernementale de la Francophonie
puis l’Organisation Internationale de la
Francophonie en 2005.

Objectifs
- Promouvoir la langue française, la
diversité culturelle et linguistique,
- Promouvoir la paix et la démocratie dans
le monde,
- Appuyer l’éducation, la formation et la
recherche,
- Développer la coopération au service du
développement durable.

https://www.francop
honie.org/lorganisati
on-internationale-de-
la-francophonie-81
La francophonie a
une acception
plus vaste
Le sentiment d’appartenir à l’univers linguistique francophone,

Le fait d’avoir le français comme langue maternelle ou officielle,

Le fait d’écrire en français


Enjeux culturels et diversité • Prix littéraire des cinq
linguistique: continents de la
Francophonie.
Dans le secteur culturel, la •Le Réseau des Centres
Francophonie joue un rôle Culturels Français (CCF),
determinant. •Le Réseau des Alliances
Françaises (AF),
Le rapport de l’écrivain à la langue •L’Agence pour
française émane souvent de la l’Enseignement du
Français à l’Etranger
cohabitation linguistique (AEFE).
• Si sa première acception est géographique, en
faisant référence à l’espace où se déploie la
langue française, la francophonie repose
largement sur un argument historique et
linguistique.
II. Langue et •L'unité revendiquée cache une diversité
latente, puisque les pays où les littératures
littérature en francophones ont pris leur essor se
Francophon caractérisent presque tous par un contexte bi-
voire plurilingue.
e •Parler de littérature francophone c'est d’emblée
penser cette différence linguistique spécifique à
chaque espace culturel.
Selon l’écrivain québécois
Jean Larose : « Dans la
psyché québécoise, le
Français fonctionne un peu
Au Québec, la pratique du français a pris comme le juif : il incarne
dans les années soixante, une signification l’origine refoulée, le «
traître » qui nous a vendus,
politique, de résistance pour maintenir une « l’arrogant » que l’on peut
identité et une culture qui sont haïr passionnément ; en
quotidiennement menacées par le monde somme, celui par rapport à
anglophone. qui on pourra toujours se
prévaloir du bon droit de la
Révolution tranquille (résumé en langage si victime » (Larose Jean,
mple) | l'Encyclopédie Canadienne (thecana L’amour du pauvre,
dianencyclopedia.ca) Montréal, Fides, 1991).

Evolution de la littérature québécoise : gén


éralités (123dok.net)
•« L’observation des textes littéraires de la
francographie africaine permet d’attester un
Ecrivain francophone et
niveau d’appropriation originale du français
« surconscience linguistique » qui se manifeste entre autres, par la néologie
Lise Gauvin de sens », Wamba Rodolphine Sylvie et
Il s'agit d'une « conscience Gérard-Marie Noumssi, ( Le français sous les
aiguë de la langue comme tropiques : p.35)
objet de réflexion,
d'interrogation, d'enquête mais •Sens et signification dans les espaces franco
aussi de transformation et de phones - Peter Lang Verlag
création »,
L’écrivain francophone à la
croisée des langues, Paris •L’interlangue ou l’écriture-traduction
Karthala, 1997, p.209.
aboutit à une sorte d’hétérolinguisme
textuel. Lise Gauvin parle de littérature de
l’intranquillité ou de l’a-normité.
•Assia Djebar souligne qu’en tant qu’écrivain de langue française, elle pratique plutôt
une « franco-graphie » car écrire, précise-t-elle, c’est faire entendre « ces voix qui « (l’)
La relation
assiègent », Ces voix qui m’assiègent, Paris, Albin Michel, 1999, p.29.
•Ledes écrivains
congolais Sony Labou Tansi affirme : « Ce qui m’intéresse moi, ce n’est pas la
langue française, c’est la langue que je peux y trouver, à l’intérieur pour arriver à
africains
communiquer », in Devesa Jean-Michel, Sony Labou Tansi. Ecrivain de la honte et des
francophones
rives magiques du Kongo, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 326.

avec
•Langue liéele
au colonisateur: Le défi de la « décolonisation langagière » chez
Ahmadou Kourouma qui entendait « malinkiser » le français.
français
•Nombre d’écrivains écrivent en situation de diglossie
Dans sa « belgitude » affichée à travers la conception
d’Un pays irrégulier, Jean-Pierre Verheggen considère
que « les écrivains de Belgique sont des tireurs de
langue, des irréguliers, des lors, comme par nature ». Il
prône la nécessité de parler « grand nègre » et de faire
entendre « l’inouïversel ».

Verheggen Jean-Pierre, « L’inouiversel», in Lise Gauvin,


L’Écrivain francophone à la croisée des langues, op. cit.
p.163.

Pierre Martens réclamme sa «belgitude »


•Le mot « québécitude » (Régine Robin: La
Québécoite, 1993) fera écho à la « négritude » et à la
« belgitude » pour consolider la recherche d’un
enracinement identitaire dans un univers qui se
caractérise par la pluralité.
•1. De la cohabitation linguistique à
la créativité esthétique

III. Intérêt • La dynamique de l’innovation par


de la la différenciation par rapport au
modèle imposé par l’Hexagone,
littérature
• L’originalité et le volume
francophon important de la production,
e • L’appropriation du français et la
créativité esthétique qui en
découle.
2. Quelques pratiques langagières
• Des manipulations de la langue française mettent
les écrivains francophones en décalage avec le
dictionnaire: emprunts linguistiques, calques,
néologies, particularités syntaxiques etc.
• De la sorte, Réjean Ducharme, écrivain québécois
implique le joual et l’anglais dans ses romans.
Dans L’Hivers de force, il: « Hier elle flippait à
cause qu’elle était high ; ce soir Elécritle était
down à cause qu’elle faisait un bad trip ». (1973,
p.2 4).

• L’essentiel chez eux, c’est l’écriture qui renouvelle


ses formes, c’est le désir d’imposer de nouvelles
normes, et de se démarquer du dictionnaire pour
assurer leur autonomie face à l’Hexagone
hégémonique.
•2. Ambiguïtés d’une notion
• Aujourd’hui plusieurs expressions permettent de désigner la
littérature d’expression française : la littérature francophone, les
littératures francophones ou littérature étrangère d’expression
française.

•La distinction entre centre et périphérie est un concept


sociologique qui permet de modéliser les relations de prestige,
de pouvoir et d’indépendance qui s’établissent entre les pôles
géographiques du champ littéraire. Elle oppose le « centre », de
qui dépend l’accès à la notoriété internationale, souvent même
l’accès à l’édition, et la « périphérie », qui désigne des zones
moins dotées en moyens matériels ou symboliques.

•En 2007, quarante-quatre écrivains signent dans Le Monde du


16 mars 2007, un manifeste en faveur d’une langue française
« libérée de son pacte exclusif avec la nation », annonçant par là
même la mort de la francophonie, sous prétexte de l’ambiguïté
de la désignation de littérature francophone.
•Michel LeBris et Jean Rouaud dir. Pour une littérature-monde,
Paris, Gallimard, 2007.
•Littérature-monde ou « Tout-monde » d’Edouard
Glissant
•Prône un français créolisé
Nouvelles •Cf. Eloge de la créolité de Patrick Chamoiseau
•Identité rhizome
approches •Migritude ou littérature migrante
La réponse acerbe de Pierre Dumont adressée aux
signataires du manifeste « pour une littérature-
monde en français » :

« Il s’agit de l’émergence d’un sujet énonciateur


francophone pour qui la langue française est à la
fois l’expression d’une identité singulière et d’une
identité collective ».

La francophonie autrement. Héritage Senghorien ?


Paris L’Harmattan, 2008, p.61.
À retenir…
•Le commun dénominateur de ces littératures se trouve dans le rapport particulier
et exacerbé que les auteurs initient avec le français, car « (…) malgré la disparité de
leurs situations, force est de constater que les littératures québécoise, antillaise,
belge francophone, ou même africaine ont en commun le fait d’être écrites en
français dans des contextes où cette même langue se trouve en relation
concurrentielle, voire parfois conflictuelle, avec d’autres langues ».

•Gauvin Lise, Écrire, pour qui ? L’écrivain francophone et ses publics, Paris, Karthala,
2007 p. 17.
https://www.limag.com/Cours/C2Francoph/IntroManHatRevue.htm

- La langue française est différemment modulée dans le cas des écrivains en provenance
des anciennes colonies françaises.
- Le sentiment de son inaptitude à la transmission de cultures véhiculées oralement
(Patrick Chamoiseau), ou la situation du colonisé (Albert Memmi, Ahmadou Kourouma,
Les ruptures
Sony Labou Tansi ou Assia Djebar,) en constituent des motifs récurrents.
fondatrices
- L’utilisation de la langue demande pourtant une autre approche dans le cas des écrivains
dans les
européens de langue française suisses et belges, ou québécois pour lesquels, cette
langue est aussi la langue maternelle.
littératures
- Cette question est pertinente dans le cas de Charles Ferdinand Ramuz, un des écrivains
francophone
suisses romands de la première moitié du XXe siècle, dont l’engagement dans la défense
dusdroit à la différence se précise à travers des usages non-classiques de la langue
française.
- Charles De Coster, de son côté, ouvre le goût littéraire belge à d'autres modèles et
valeurs esthétiques, rappelant la pratique populaire l’écriture carnavalesque chez
Rabelais au XVIe siècle avec La légende d’Ulenspiegel 23

- https://www.arllfb.be/ebibliotheque/livres/decoster/DeCoster_Klinkenberg.pdf
- https://www-numeriquepremium-com.scd-proxy.uha.fr/flexpaper/common/html.jsp
• Au niveau mondial, la production littéraire s’organise en
une série de grands ensembles littéraires souvent qualifiés
de nationaux, linguistiquement homogènes et
sociologiquement autonomes : littérature française,
anglaise, allemande, espagnole, italienne, russe etc.
• Ces ensembles constituent des systèmes : ils sont en effet
Les systèmes
régulés par un ensemble de codes, de valeurs,
littéraires
d’institutions ; et l’observation de leur fonctionnement
francophone
laisse apparaître des régularités telles que l’on peut parler de
slois.
• Comme ces systèmes, les grands ensembles sont
généralement structurés autour d’un ou plusieurs centres où
se concentrent les organes de la vie littéraire, et plus
généralement les institutions du champ, à partir desquels la
production s’organise. Le summum de cette centralisation a
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été atteint en France, où Paris accueille la quasi-totalité des


institutions régissant la vie culturelle, intellectuelle et
littéraire.
• Cette influence sera traduite par :
- Une captation/assimilation des ensembles littéraires plus
petits, trop faibles ou trop fragiles,
- Une résistance au pouvoir d’attraction du centre.
• On désigne ces grands ensembles littéraires par
plusieurs noms :
- Petites littératures,
- Littératures mineures,
- Littératures périphériques,
- Littératures marginales.
• Toutes ces terminologies découlent de leur caractère
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gravitationnel et leur rapport à l’Hexagone.


Le modèle gravitationnel renvoie à la théorie de la gravité des corps
célestes. Cette approche repose sur la métaphore du système
solaire avec deux phases :
- Assimilation (forces centripètes) : forte attraction vers
l’élément central,
Le modèle
- Recherche d’autonomie ou résistance (forces centrifuges).
gravitationnel

• https://www.cairn.info/revue-herodote-2007-3-page-153.htm
• https://www.persee.fr/doc/caief_0571-5865_2011_num_63_1_2626

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Cas de la
Belgique
• https://www.reflexions.uli
ege.be/cms/c_349563/fr/
de-quoi-la-litterature-belg
e-est-elle-le-nom

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Littérature
française de
Belgique ou
littérature
belge
francophone?

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Pratique
discursive

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Les niveaux de domination du Centre sur la
Périphérie
Il y a plusieurs niveaux de domination du centre :
- Le prestige : l’ancienneté de sa tradition, la quantité des
chefs-d’œuvre, le volume de sa production,
-L’approche
La masse du de son lectorat potentiel et/ ou habilité à
modèle
reconnaitre la « bonne littérature »,
gravitationnel
- La concentration et le maillage des instances de
reconnaissance, de légitimation et de consécration
(éditeurs, critiques, revues, prix académiques de tous
types, etc.),
- La capacité à organiser sa production, c’est-à-dire à
sélectionner et à imposer à l’ensemble les innovations
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formelles, les contenus et les modes littéraires.


- Le mouvement des innovations littéraires, et plus
généralement, la circulation des biens culturels, se
fait toujours à sens unique, en se répandant du
centre vers la périphérie,
- Ce phénomène gravitationnel a son pendant
historique, car la circulation se fait toujours selon
Un
unecentre
temporalité particulière,
- très
Le centre est le repère par rapport à quoi la
périphérie est en situation de décalage temporel,
conservateur
- Les innovations mettent du temps à se propager
dans l’espace de sorte que dans les zones les plus
éloignées du centre, on pratique encore, pendant un
certain temps, les formes que le centre a
abandonnées : c’est le phénomène bien connu de
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l’archaïsme des zones périphériques, qui vaut pour


tous les produits culturels.
• En fin de compte, la gravitation en périphérie crée
simultanément une dépendance et un éloignement.
- La dépendance correspond au fait que le centre crée
l’imitation et le retard des littératures en question,
- L’éloignement ménage la possibilité de subsistance
des poches d’originalité.
• Sous ce rapport, le centre apparaît plus conservateur,
et on voit que les cultures périphériques interprètent à
leur façon, les innovations du centre.
Le centre et la périphérie : deux notions problématiques
• Le centre et la périphérie sont deux notions problématiques qui définissent
l’espace francophone: le centre renvoie à l’Hexagone qui exerce une force de
domination ou force centripète qui tend à attirer la littérature périphérique. Or
la relation de domination métaphorisée par le modèle gravitationnel engendre
un système d’opposition entre littérature centrale et littérature périphérique.
C’est pourquoi la périphérie, elle, revoie à l’espace dominé par l’ensemble
littéraire français, dont l’avantage repose sur le caractère quantitatif de sa
« Centre
production et sa» et
tradition relativement ancienne. La périphérie tente de
résister à la force attractive
« Périphérie » du centre par des forces centrifuges pour assurer
une certaine autonomie.
• La littérature de la périphérie ou littérature émergente, pour se rendre
autonome et s’affirmer, développe des stratégies discursives (discours de la
singularité) qui la distinguent de la littérature dominante du centre. Ces
stratégies d’écriture sont également considérées comme des stratégies de
légitimation qui peuvent être individuelles ou collectives. Deux modes 34

opérationnels peuvent être notés : l’assimilation ou la différenciation par


rapport à la littérature centrale.
Littérature mineure ou de l’intranquillité?
• Une littérature mineure n’est pas celle d’une langue
mineure, plutôt celle qu’une minorité fait dans une
langue majeure. Ainsi un des critères de convergence
ou de divergence est assurément la langue, le français.
Dans la périphérie, il est constant que la langue soit
réellement affectée par un fort coefficient de
déterritorialisation.
• Cette situation sera définie par Kafka sous l’angle d’une
impasse qui barre aux juifs de Prague l’accès à
l’écriture, et fait de leur littérature quelque chose
35

d’impossible :
a. Impossibilité de ne pas écrire : La conscience nationale, incertaine
ou opprimée passe nécessairement par la littérature (la bataille
littéraire par exemple le mouvement de la négritude, les littératures
émergentes ou littératures nationales).
b. Impossibilité d’écrire autrement qu’en allemand : C’est pour le
cas des juifs de Prague, le sentiment d’une distance irréductible
avec trois
Les la territorialité primitive tchèque.
c. Impossibilité d’écrire en allemand : C’est la déterritorialisé de la
impossibilités
population allemande elle-même, minorité oppressive qui parle une
langue coupée des masses (comme une langue artificielle. Cette
impossibilité est relative au fait que les juifs qui font partie de la
minorité en sont exclus. L’allemand de Prague est donc vu comme
une langue déterritorialisée, propre à d’étranges usages mineurs.

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file:///C:/Users/amina/Downloads/Les_litteratures_francophones_son
t_elle.pdf

Reterritorialisation

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• Ce qui veut donc dire que l’insécurité linguistique aboutit à la
créativité esthétique chez l’écrivain francophone. Dans certaines
situations, elle peut aboutir à la recherche d’un style normatif,
Retour sur
conformiste : c’est l’hypercorrectisme caractéristique d’un style
Ramuz, De
original, cherchant à rivaliser avec l’usage d’un français fictif
Coster et
parisien.
Kourouma :
• La présentation
trois formes saisissante que font Gilles Deleuze et Félix Guattari
(1975 : 34) des
d’écriture depratiques scripturales dans une « littérature mineure
»la
pourrait
ruptures’appliquer –selon des degrés variables – à toute création
littéraire francophone : « Ecrire comme un chien qui fait son trou, un
rat qui fait son terrier. Et pour cela, trouver son propre point de
sous-développement, son propre patois, son tiers monde à soi, son
désert
11/16/2023 à soi ». En d’autres termes, être écrivain francophone,38 c’est

chercher une nouvelle norme narrative qui constitue un décalage


par rapport à la norme académique.
•La pratique d’écriture chez Ahmadou Kourouma montre la
différence entre l’écrivain francophone et l’écrivain français. Son
rôle est essentiel dans la mise en place d’une dynamique
d’appropriation littéraire du français par les écrivains négro-
africains après les indépendances.
Ahmadou
• Plusieurs analystes reviennent sur ce que l’écrivain appelait l’ «
Kourouma
africanisationet» ou la « malinkisation » du français. Il s’agit des
l’appropriation
moyens et systèmes qu’utilise l’ex-colonisé pour exprimer dans la
langue du colonisateur, les sentiments et les réalités imaginés dans
linguistique
les langues et contextes culturels des peuples des anciennes
colonies.
• Dans les Soleils des Indépendances, le double ancrage culturel de
Kourouma lui permet d’afficher une compétence linguistique
double. Les procédés d'acclimatation par des néologismes
constituent une véritable «stratégie langagière » chez Ahmadou39
11/16/2023
Kourouma.
• Les textes littéraires belges du XIXe siècle se démarquent subtilement
ou ouvertement des modèles français : transgénérique, elle devient
carnavalesque avec Charles De Coster.
• S’inspirant de François Rabelais De Coster le pastiche dans les
Légendes flamandes avec « les Frères de la Bonne Trogne » et, lui
Charles De
emprunte en même temps la verve et le ton à travers le personnage de
Coster :
Thyl, renouvelant ainsi de vieux procédés: de même que Rabelais fait la
carnavaliser
promotion de la culture populaire, en exploitant tous les niveaux de
la langue
langue, dialectes, patois, argots de métiers, De Coster va archaïser, et
inventer une langue personnelle : la langue carnavalesque.
française
• Comme chez François Rabelais, dans son exploitation intensive du
vocabulaire de la place publique, avec notamment les jurons et les
injures les plus variés où l'auteur interpelle : « Buveurs très illustres et
vous Véroles très précieux... », La Préface du Hibou de la Légende 40

d'Ulenspiegel de Charles De Coster fonctionne de la même façon :


• C’est le réflexe identitaire qui motive la dynamique créatrice chez
Ramuz. Et son rapport à la langue implique la recherche d’une
norme narrative ou d’un « lieu de parole », dirait Adrien Pasquali.
Autrement dit, cet écrivain travaille avec acharnement à maîtriser la
langue, à trouver un style poétique personnel et à se débarrasser
des influences livresques que les études lui ont fourni, pour se
rendre autonome. Dans sa « Lettre à Bernard Grasset », il fait un
Fernand véritable plaidoyer pour sa langue qu’il appelle langue-geste,
parce qu’elle lui viendrait des ses ascendants paysans et
Ramuz : vignerons, dont les gestes quotidiens et répétés inlassablement,
tout comme leur parler laconique, circulent encore en lui.
écrire la • C’est ce décalage fécond par rapport à la norme académique qui
résulte de « surconscience linguistique » de l’écrivain francophone,
langue- selon Lise Gauvin. En ce sens, Ramuz affirme :
• J'étreindrai la langue et, la terrassant, lui ferai rendre gorge jusqu'à
geste son dernier secret, et jusqu'à ses richesses profondes, afin qu'elle
me découvre son intérieur et qu'elle m'obéisse et me suive
rampante, par la crainte, et parce que je l'ai connue et intimement
fouillée. Alors, m'obéissant, tout me sera donné, le ciel, la mer, et
les espaces de la terre – et tout le cœur de l'homme.
• C. F. Ramuz, Journal, notes et brouillons, Texte établi et annoté par
Daniel Maggetti et Laura Saggiorato, Genève, Editions Slatkine, 41
2005, tome 2, p. 40.
• Gauvin Lise, L’écrivain francophone à la croisée des langues, Paris
Karthala, 1997, p.5.
L’usage de la langue-geste chez Ramuz, la malinkisation du
français chez Kourouma, ainsi que la carnavalisation littéraire chez
De Coster, sont des pratiques qui révèlent ainsi la naissance d’un
nouvel imaginaire francophone, celui des tensions créatrices de
langage. Sous ce rapport, « la notion de francophonie ou d’écrivain
francophone devient suspecte dés lors qu’on cherche à masquer sous
une étiquette commode-le fait d’écrire en français-les conditions et
conditionnements qui interagissent sur l’une ou l’autre des situations
spécifiques ». Les analyses récentes de Lise Gauvin portant sur le
Conclusion
personnage de l’écrivain francophone contemporain, montrent que du
fait qu’ils sont en contact avec plusieurs langues, les romanciers de la
périphérie partagent une sensibilité particulière à la langue, une
« surconscience linguistique ». Le romancier francophone met en
scène l’écriture et la langue elle-même et réfléchit sur les possibilités
que le français lui offre.

11/16/2023 42
Eléments bibliographiques
• Bakhtine Mikhaïl, L'Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au moyen âge
et sous la Renaissance, traduit du russe par Andrée Robinel, Paris Gallimard, 1970.
• De Coster Charles, La légende d’Ulenspeigel, ed. Librairie internationale, 1867.
• Deleuze Gilles et Guattari Felix, Kafka pour une littérature mineure, Paris, Minuit,
1975.
• Gassama Makhily, La langue d’Ahmadou Kourouma ou Le français sous le soleil
d’Afrique. ACCT-Karthala, 1995.
• Gauvin Lise, L’écrivain francophone à la croisée des langues, Paris Karthala, 1997.
• ……………., Le Roman comme atelier. La Scène de l’écriture dans les romans
francophones contemporains, Karthala, 2019.
• Sarr Bacary, « Les lieux d’une tension interculturelle : la littérature suisse romande
entre francophonie et « helvétie »
• Quaghebeur Marc, Histoire, forme et sens en littérature. La Belgique francophone.
L'engendrement (1815-1914), PIE Peter Lang, collection « Documents pour l'Histoire
des Francophonies », Tome 1, 2015.

43
Merci de votre
attention

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