Vous êtes sur la page 1sur 34

Prescription au cours de l’allaitement

Dr. BOUCHIBA
30/11/2022
LE PLAN:
• Introduction
• Rappel sur la lactation
• Mécanismes de passage lacté
• Facteurs influençant le passage lacté
• Devenir d’un médicament chez l’enfant et estimation de son degré
d’exposition
• Évaluation du risque d’un traitement maternel pour l’enfant allaité
• Conduite a tenir pratique en cas de nécessite de prescription
médicamenteuse pendant l’allaitement
• Conclusion
Introduction:

L’allaitement maternel est reconnu comme étant la forme d’alimentation la plus adaptée pour les
nourrissons et les jeunes enfants.
Il n’y a que très peu de médicaments qui présentent des risques cliniquement significatifs pour les
nourrissons allaités.
Quand une mère qui allaite doit prendre des médicaments; il faut : évaluer de façon individualisée
le rapport bénéfice de l’allaitement et du traitement / risque lié à l’exposition au médicament
Rappel sur la lactation
Rappel sur la lactation

• La synthèse et la sécrétion lactée sont déclenchées par la sécrétion


de prolactine, elle-même entretenue par la succion
• La tétée a des particularités dont la connaissance est indispensable
aux études pharmacocinétiques:
** Au cours des 5eres min, plus de la moitié du volume est ingérée
** En revanche, l’absorption des graisses est constante et le reste de la
tétée représente ¼ à 1/3 de l’apport énergétique totale
Rappel sur la lactation
Mécanisme du passage lacté

Le passage du médicament dans le lait maternel dépend surtout:


- des propriétés physico-chimiques du médicament :
PM – ionisation, PKa – liaison aux protéines plasmatique – liposolubilité
Plus une substance est lipophile, plus elle passe facilement dans le lait maternel
-de sa concentration dans le compartiment plasmatique maternel
Facteurs influençant le passage des
médicaments dans le lait maternel
Modèle pharmacocinétique du transfert lacté
Devenir d’un médicament chez l’enfant et
estimation de son degré d’exposition
• Le rapport L/P estime un gradient de concentration
• • Le passage dans le lait se fait dans le sens du gradient de
concentration
• • Le rapport L/P est une valeur évolutive en fonction du temps et de
la rapidité de diffusion de la substance
• D’une manière générale :
• substance neutre : L/P = 1;
• Substance acide : L/P < 1;
• Substance basique : L/P >1
Concentration du médicament dans le lait au
moment de la tétée:

▪ Niveau plasmatique maternel


▪ Volume du lait ingéré
▪ Caractère exclusif ou non de l’allaitement
▪ Biodisponibilité orale
▪ Variabilité dans le temps
▪ Possibilité d’élimination
• Thomas Hale propose une classification claire et pratique
• Le risque lié à l’exposition au médicament pendant l’allaitement est
classé de L1 à L5 :
L1 (médicament) le plus sûr, car la molécule a été largement utilisée par de nombreuses femmes allaitantes sans
que l’on ait observé une augmentation d’effets indésirables chez le nourrisson. Les études contrôlées chez les
femmes allaitantes ne démontrent ni risque ni possibilité d’effets néfastes pour le nourrisson, ou la
biodisponibilité de la molécule prise par voie orale est négligeable.
L2 sûr, car les données sont limitées chez la femme allaitante. Cependant, il n’a pas été mis en évidence
d’augmentation des effets indésirables chez le nourrisson, et/ ou la preuve d'un risque avéré, suite à l'utilisation de
ce médicament chez une femme qui allaite, est faible.
L3 moyennement sûr. Il n'y a pas d'études contrôlées chez les femmes qui allaitent mais le risque d'effets
indésirables chez le nourrisson est possible, ou des études contrôlées montrent un faible risque d’effets
indésirables non menaçants. La molécule ne doit être administrée à la femme allaitante que si le bénéfice justifie le
risque potentiel chez l’enfant.
L4 potentiellement dangereux. Il y a des preuves positives de risque pour le nourrisson allaité, mais les avantages
de l'utilisation chez les mères qui allaitent peuvent être acceptables malgré le risque pour l'enfant (par exemple, si
le médicament est nécessaire dans une situation potentiellement mortelle ou dans le cas d’une maladie grave pour
laquelle des médicaments plus sûrs ne peuvent pas être utilisés ou sont inefficaces).
L5 contre-indiqué car des études basées sur l'expérience humaine ont démontré chez les mères qui allaitent qu'il
existe un risque documenté important pour le nourrisson, ou il s'agit d'un médicament qui présente un risque élevé
de dommages importants chez le nourrisson. Le risque de l'utilisation du médicament chez les femmes qui allaitent
l’emporte sur tout avantage possible de l'allaitement maternel. Le médicament est contre-indiqué chez les
femmes qui allaitent un nourrisson.
Evaluation du risque d’un traitement
maternel pour l’enfant allaité
Le taux de médicament présent dans le plasma de
Difficultés dans l’estimation de la concentration
l’enfant est l’indicateur le plus précis de son
plasmatique infantile d’un médicament
exposition « médicamenteuse »
DII
« dose »
infantile
ingérée
La dose maternelle ajustée au poids, en %, sera La dose infantile relative, par rapport à la dose
utilisé pour indiquer l’exposition médicamenteuse infantile thérapeutique est souvent utilisé comme
infantile substitut à l’exposition
Evaluation du risque d’un traitement
maternel pour l’enfant allaité
1/- Eléments majeurs :
• Données de pharmacocinétique :

- Mesure des concentrations plasmatiques chez les enfants allaités. Elles seront comparées aux concentrations
thérapeutiques maternelles ou pédiatriques (quand elles sont connues).

- Estimation de la quantité journalière de médicament ingérée par l’enfant via le lait rapportée au poids (en
mg/kg/j).
calculée à partir des concentrations mesurées dans le lait et d’un volume de lait absorbé par l’enfant de 150 ml/kg/j.
Elle est le plus souvent exprimée en pourcentage de la dose maternelle rapportée au poids (mg/kg).

La quantité reçue par l’enfant est généralement considérée comme faible lorsqu’elle est inférieure à 10% de la dose
maternelle, et comme très faible lorsqu’elle est inférieure à 3%.

La quantité reçue par l’enfant peut également être comparée à la dose pédiatrique (en mg/kg), lorsqu’elle existe.
Evaluation du risque d’un traitement
maternel pour l’enfant allaité
1/- Eléments majeurs :
• Données de pharmacocinétique

• Données cliniques : présence ou absence d’effets indésirables chez des enfants allaités.

• Profil de toxicité de la molécule (ex : antimitotiques) ; caractéristiques pharmacologiques et pharmacocinétiques :


présence de métabolites actifs, ½ vie d’élimination plasmatique (risque d’accumulation chez le nouveau-né quand
elle est longue)...
Evaluation du risque d’un traitement
maternel pour l’enfant allaité
2/ Eléments complémentaires :

• « Recul d’utilisation » du médicament chez les femmes qui allaitent.


Dans un certain nombre de cas, l’usage du médicament est probablement important dans la pratique
courante, mais non documenté.

• Utilisation du médicament chez le nouveau-né ou le nourrisson.


Évaluation du risque pour l’enfant allaité et
conduite à tenir
3 niveaux de risque :
Évaluation du risque pour l’enfant allaité et
conduite à tenir
3 niveaux de risque :

1) Un risque pour l’enfant allaité est peu probable.


En fonction de la nature des données disponibles, l’utilisation sera qualifiée
de « possible » ou « envisageable » pendant l’allaitement car :
• les concentrations plasmatiques chez les enfants allaités sont indétectables
ou très faibles par rapport aux concentrations thérapeutiques,
• et/ou la quantité reçue par l’enfant via le lait est faible ou très faible,
• et/ou aucun effet indésirable sévère n’est retenu chez des enfants allaités,
• et/ou le profil pharmacologique de la molécule n’est pas inquiétant, son
utilisation est large en pédiatrie.
Évaluation du risque pour l’enfant allaité et
conduite à tenir
3 niveaux de risque :

2) Le risque pour l’enfant ne peut pas être évalué car les données
disponibles ne permettent pas de conclure. La possibilité (ou non)
d’allaiter sera appréciée au cas par cas.
Évaluation du risque pour l’enfant allaité et
conduite à tenir
3 niveaux de risque :

3) Un risque pour l’enfant allaité est décrit (ou est susceptible de survenir)
et l’utilisation du médicament n’est pas compatible avec l’allaitement. Il
s’agit des situations où :
• soit un EI sévère est rapporté parmi les enfants allaités,
• soit les concentrations plasmatiques chez des enfants allaités sont
préoccupantes,
• soit le médicament du fait de son profil de tolérance expose l’enfant à
un risque d’EI sévères,
• soit la quantité de médicament reçue par l’enfant via le lait est
importante (˃ à 10% de la dose maternelle).
Conduite a tenir pratique en cas de nécessite de
prescription médicamenteuse pendant
l’allaitement
Maladie aigue survenant Affection chronique pour laquelle le
en cours d’allaitement traitement pris au long cours est
généralement antérieur à la grossesse
-trt en général de courte durée; - Effets indésirables possiblement liés à
compatible avec l’allaitement l’exposition au médicament in utéro que celle
liée à l’allaitement
si incompatible avec l’allaitement : - Dans ces situations il faut aborder le problème
-suspension de l’allaitement de l’allaitement avant la naissance, démontrant
-maintenir la lactation en tirant ainsi l’utilité de l’évaluation du risque
et en jetant le lait pendant la durée médicamenteux chez le nouveau né et le
du trt. nourrisson allaité.
Schéma décisionnel :

poursuite ou interruption de l’allaitement suite à l’introduction d’une pharmacothérapie


dans une indication stricte
DRE: dose relative à l’enfant.
Les grandes lignes du raisonnement:
L’importance de l’exposition systémique de l’enfant va donc dépendre :
• De la biodisponibilité par voie orale du médicament:
En l’absence d’absorption digestive par exemple, on ne craint pas d’effet chez
l’enfant (les aminosides).
Les grandes lignes du raisonnement:

• De la quantité de médicament présente dans le lait:


Certains facteurs interviennent sur cette quantité :
- Les concentrations plasmatiques maternelles: Plus elles sont élevées, plus les quantités présentes dans le
lait risquent d’être importantes.
- Les concentrations plasmatiques maternelles augmentent avec la posologie et sont généralement plus
élevées par voie IV que par voie orale. Elles sont le plus souvent faibles, voire négligeables en cas
d’administration orale de médicaments à faible absorption digestive ou lors d’administrations locales.
- Les capacités de passage de chaque molécule dans le lait: Le passage est d’autant plus important que la
liaison aux protéines plasmatiques, le degré d’ionisation et le poids moléculaire des médicaments sont
faibles et que leur liposolubilité est élevée (ex : lithium)
- Le moment de la tétée par rapport au pic de concentration du médicament dans le lait:
(ex : colchicine)
Plus la tétée est proche du pic, plus la quantité présente dans le lait est importante.
Les grandes lignes du raisonnement:
• Des capacités d’élimination de l’enfant:
Lorsqu’elles sont réduites, l’exposition systémique de l’enfant allaité risque
d’augmenter.
C’est le cas chez le nouveau-né (en particulier en cas de prématurité) ou si
l’enfant est atteint d’une pathologie retentissant sur sa fonction hépatique ou
rénale.
Risque observé ou potentiel: exemples

• Amiodarone: toxicité thyroïdienne

• Anticancéreux (cyclophosphamide, méthotrexate, doxorubicine…): risque

cytotoxique, immunosuppression, neutropénie…

• Amphétamines :excitation, troubles du sommeil

• Bromures: somnolence, hypotonie, éruption cutanée

• Dérivés de l’ergot de seigle (bromocriptine, ergotamine): arrêt de la lactation

• Drogues (cocaïne, phencyclidine…) Toxicité chez l’enfant : hallucination…


Quelques médicaments de choix
Conclusion :
• L’utilisation des médicaments au cours de l’allaitement maternel est une
question fréquente qui nécessite une évaluation individualisée des risques
prenant en compte les caractéristiques pharmacocinétiques du médicament,
son profil de tolérance mais également les spécificités du traitement
maternel, de l’enfant et de l’allaitement lui-même.
• Peu de médicaments présentent des risques avérés pour l’enfant allaité et,
dans la majorité des cas, il est possible de concilier allaitement et
traitement maternel par l’adaptation des thérapeutiques et la
surveillance de l’enfant.
• La sollicitation d’avis spécialisés permet d’obtenir cette réponse
individualisée et de contribuer à l’amélioration des connaissances en
acceptant de participer au suivi clinique des patientes et de leurs enfants.
Take Home Message
Il est préférable d’utiliser un médicament :
- A faible biodisponibilité orale
- A fort taux de liaison aux protéines plasmatiques
- Avec un rapport [Lait] / [Plasma] le plus bas possible
- A ½ vie courte (les prises répétées ne sont pas toujours évidentes à
gérer, surtout en début d’allaitement, en raison des tétées fréquentes)
- Sans métabolites actifs
- Avec la toxicité la plus faible
- Utilisé en pédiatrie
- Qui n’altère pas la quantité ou la qualité du lait.
➤ Lactmed: site Internet proposé par la U.S. National Library of Medicine ;
➤ Breastfeeding Network: Drug Factsheets;
➤ Medications and mothers’ milk: a manual of lactational pharmacology, ouvrage
dirigé par le Pr T. Hale ;
➤ Grossesse et allaitement : guide thérapeutique, ouvrage en langue française
proposé par l’équipe du CHU de Sainte-Justine à Montréal.
Merci pour votre attention …

Vous aimerez peut-être aussi