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Correction de la dissertation : dans quelle mesure l’évolution des inégalités permet-elle

d’expliquer celle de la conflictualité ?

Quand, à l'automne 2009, le gouvernement du socialiste Georges Papandréou décide de faire la vérité sur le déficit
budgétaire du pays – 12,7 % du produit interieur brut (PIB) et non 6% – les marchés perdent confiance. Les taux de
la dette grecque grimpent, le pays emprunte à des coûts de plus en plus prohibitifs La Grèce lance alors un plan
d’austérité visant à réduire le déficit budgétaire : gel des salaires des fonctionnaires, fin des heures supplémentaires, … ;
Ces mesures entraînent alors une vague de manifestations parfois violentes, comme le 5 mai où 3 personnes sont mortes
lors de l’incendie d’une banque.
Les grecs ont ainsi peur d’une réduction de leurs salaires qui engendrerait une augmentation des inégalités, c’est-à-dire
une différence se traduisant par des handicaps. Ces conflits, luttes entre 2 acteurs sociaux, relèvent donc de l’analyse de
Marx : la base du conflit est de nature économique, il naît autour du partage des richesses.Dans ces conditions, la baisse
des inégalités observée lors des 30 Glorieuses aurait entraîné une réduction de la conflictualité ; leur augmentation dans
les années 80 engendrant de nouvelles luttes.
Pourtant cette realtion entre conflictualité et inégalités ne paraît pas aussi évidente. Les inégalités ne sont ni une
condition nécessaire pour générer des conflits, ni une condition suffisante, car tous les conflits ne sont pas d’ordre
économique et quantitatif : les nouveaux mouvements socaiux apparaissent.

I. Les inégalités sont un facteur essentiel de la conflictualité

A. Selon Marx, les inégalités sont déterminantes dans le conflit

1. Des classes en lutte

Marx considère que la lutte des classes est une caractéristique structurelle de toutes les sociétés. Dans les sociétés
capitalistes, le conflit oppose le prolétariat et la bourgeoisie. Marx décompose le processus de constitution de la classe
ouvrière en trois temps .Dans un premier temps, il n’ y a pas de prise de conscience de classe, la classe ouvrière
n’existe pas : Marx écrit : « Dans un premier temps la grande industrie agglomère dans un seul endroit une foule de
gens inconnus les uns aux autres, la concurrence les divise d’intérêt » . Durant cette phase les ouvriers ne constituent
pas encore une classe , ils n’ont rien de commun , au contraire leurs intérêts leurs semblent antagonistes : chacun
accepte de travailler pour un salaire plus réduit que son voisin afin d’obtenir l’emploi. Dans un second temps se
développe la classe en soi c’est à dire que les ouvriers se mobilisent face au capital mais n’existe pas en dehors de cette
lutte :« Marx explique ainsi que dans un second temps : « le maintien du salaire, cet intérêt commun qu’ils ont contre
leur maître les réunit dans une même pensée de résistance. Ainsi la coalition a toujours un double but. Celui de faire
cesser entre eux la concurrence, pour faire une concurrence générale au capitaliste » ;.dans un troisième temps se
constitue la classe pour soi : c’est à dire que désormais les ouvriers ne luttent plus seulement contre les capitalistes dans
le cadre de la société capitaliste, , ils développent un projet alternatif de société qui vise à détruire la société capitaliste
et à faire apparaître après la révolution une nouvelle société.

2. Renforcées par la hausse des inégalités

Cette lutte entre ces deux groupes est renforcée par l’exploitation croissante des ouvriers par la bourgeoisie. En effet,
d’après Marx, les lois immanentes du capitalisme postulent que les patrons remplacent les hommes par des machines.
Deux conséquences apparaissent alors : du chômage, ce que Marx appelle armée industrielle de réserve ; une réduction
de la création de richesses, puisque seul le travail crée de la valeur. Pour éviter la baisse de leur plus value, les
entreprises diminuent les salaires.
Les inégalités augmentent alors : les patrons ont le même niveau de profit, mais les ouvriers connaissent une réduction
de leur revenu du fait de la réduction des salaires et du chômage. Cette hausse des inégalités renforce alors la
conscience de classe et donc la lutte.
B. La réduction des inégalités lors des 30 Glorieuses assurent alors une moindre
conflictualité

Or les 30 Glorieuses montrent les limites de l’analyse de Marx : les inégalités ont baissé, ce qui a entraîné une réduction
de la conflictualité

1. Constat (Doc2,3 et6)

Une corrélation entre inégalités faibles et nombre de limité de conflits peut ainsi être mise en évidence.

a. Une analyse transversale : les pays à inégalités faibles ont une


conflictualité faible

Ainsi , en 1995, la Belgique a une conflictualité faible (100 200 JTN) et un indice de Gini faible (0.27), donc des
inégalités faibles.

b. Une analyse longitudinale : les pays dont les inégalités diminuent voient
leur conflictualité diminuer

De manière chronologique, on remarque que la France a vu son indice de Gini baissé de 03 à 0.28 entre 90 et 2005 et le
nombre de journées de grèves a quasiment été divisé par 3 (5 883 200 en 85, 1 807 250 en 2001) et le taux de
syndicalisation est passé de 10,1% à 8,3%. .

2. Explications
3.
Ce phénomène est ainsi représentatif de la moyennisation que connaissent beaucoup de sociétés occidentales dans les
années 1960( doc 1). C’est ce que Mendras appelle la toupie : une minorité de riches et de pauvres, un vaste groupe aux
revenus moyens. Il y alors homogénéisation des niveaux et des modes de vie. Toute la population a accès aux mêmes
biens et la démocratisation du système scolaire assure une égalité des chances assurant la promotion sociale.
Les inégalités objectives diminuent donc ce qui crée un rapprochement des aspirations : les ouvriers peuvent se projeter
dans le mode de vie des cadres : « avec 4% de croissance annuelle du revenu des ménages, la classe ouvrière a de
bonnes raisons de se projeter dans le mode de vie des nouvelles classes moyennes salariées » (doc3).
Les conflits disparaissent donc puisque les inégalités s’atténuent réduisant la conscience de classe.

C. L’augmentation des inégalités depuis la fin des années 80 créent des conflits

Or , selon le rapport du CAS (doc 1), « les inégalités sociales ne diminuent plus de manière nette à partir des années
1980 »

1. Constat (docs2,3,6)

a. Une analyse transversale : les pays à fortes inégalités sont fortement


conflictuels

Ainsi, les deux pays qui en 1995 ont le plus grand nombre de jours de grève : la France (5 883 200) et l’Espagne
(1 807 250) sont aussi des pays où les inégalités sont importantes : un coefficient de Gini de 0.28 pour la France, de
0.34 pour l’Espagne. Un autre indicateur du conflit est le taux de syndicalisation qui mesure la part de salakriés
adhérents à une association de défense des intérêts des salariés : en 1990, au Royaume-Uni près de la moitié des
salariés sont syndiqués et le coefficient de Gini élevé : 0.37.

b. Une analyse longitudinale : les pays dont les inégalités augmentent voient
leurs conflits s’accroître

De même entre 1995 et 2001, les inégalités s’accroissent au Royaume-Uni ( le coefficient de Gini passe de 0.35 à 0.37)
et le nombre de jours de grève augmente de près de 100 000.
2. Explications

Cette hausse des inégalités crée des conflits car se pose la question du partage de la valeur ajoutée et de la justesse des
inégalités.

a. Le problème du partage de la valeur ajoutée

En effet, le ralentissement de la croissance pose le problème de la répartition des fruits de cette croissance. Quand la
valeur ajoutée augmente rapidement, tout le monde connaît une augmentation de ses revenus. Dès que la croissance
ralentit, des choix doivent être faits : si un groupe voit sa part augmenter rapidement, l’autre voit sa part baisser
fortement.

b. Des inégalités justes ?

Ces choix dépendent de la conception d’une rémunération juste. Dépend-elle de la qualification ? du temps de travail ?
de la pénibilité ? de la productivité du travailleur. Or, les avis divergent. Selon les libéraux, une rémunération équitable
dépend de l’efficacité et de la création de richesses par le travailleur. Dans ces conditions, il est normal qu’un PDG soit
beaucoup plus rémunéré qu’un ouvrier car il apporte beaucoup à l’entreprise. En revanche, pour les syndicats de
salariés, une rémunération juste est celle qui assure à tous un revenu décent. Des conflits naissent alors, car les salariés
et les entreprises s’ooposent sur ce qu’est une rémunération équitable. La publication des salaires et autre avantages des
grands PDG en est une illustration.

Il y a donc une corrélation entre conflictualité et inégalités. Celles-ci permettent donc d’expliquer les conflits : les
sociétés peu inégalitaires auraient peu de conflits ; les sociétés très inégalitaires, beaucoup.

II. Mais d’autres facteurs jouent

Or cette corrélation n’est ni automatique, ni mécanique. Car les conflits peuvent avoir une autre nature qu’économique ;
Les inégalités ne sont donc ni une condition nécessaire, ni suffisante pour expliquer les conflits

A. La relation entre conflictualité et inégalités n’est pas automatique

.L.Chauvel a montré qu’il n’y avait pas de relation univoque entre inégalités et conflictualité quand il présente la
spirale des classes sociales (doc 5). Chauvel considère que la conflictualité et les inégalités ne vont pas obligatoirement
de pair.

1. Egalité et conflits peuvent être corrélés

a. Constat

i. Une analyse transversale

Ainsi en 95, le Danemark a deux fois plus de jours de grève que la Belgique (197 310 contre 100 200), mais son degré
d’inégalités y est beaucoup plus faible : un coefficient de Gini de 0.21 contre 0.29.

ii. Une analyse longitudinale

La Belgique a aussi vu son nombre de jours de grève augmenter de 40% et son degré d’inégalité diminuer. Entre 75 et
85, le coefficient de Gini a diminué en Suède (de 021 à 0.2) alors que le taux de syndicalisation s’est accru de 18 points
( de 60% à 78%).
b. Explications

Cette situation est d’après L.Chauvel caractéristique de la France des années 60-70. La classe ouvrière grâce a sa
mobilisation a obtenu des avantages sociaux et une baisse des inégalités , mais le souvenir des conflits laisse vivace la
conscience de classe, qui est la base même de la lutte des classes d’après Marx.

2. Inégalités et faiblesse des conflits peuvent être corrélés

a. Explications

Or, d’après Chauvel, il faut attendre le ralentissement économique des années 1970 et 1980 pour voir s’atténuer la
conscience de classe, alors que les inégalités ont cessé de diminuer. C’est justement cette atténuation de la conscience
de classe qui permet un retour des inégalités. En effet, su un groupe n’ pas le sentiment d’avoir des intérêts communs à
défendre, il ne va pas entrer en lutte. Comme l’écrit L.Chauvel : « Un certain nombre d’arguments permet donc de
parler de maintien, voire de retour, des classes sociales. Pour autant, dans ce diagnostic, un élément demeure
manquant : celui concernant les identités sociales » (doc 5)

b. Constat : des pays peu égalitaires sont aussi peu conflictuels

i. Une analyse transversale

Les Etats-Unis sont l’exemple le plus connu : en 2005, c’est le pays de l’OCDE où les inégalités sont le plus élevées
( un coefficient de Gini de 0.38) mais où le taux de syndicalisation est le plus faible (12.4%) ;

ii. Une analyse longitudinale

De même quand les inégalités augmentent, les conflits peuvent aussi se réduire. Le Japon a vu son taux de
syndicalisation passer de 31% à 19% entre 80 et 2003. Pourtant le coefficient de Gini a augmenté de 0.04. De même la
hausse des inégalités en GB entre 1995 et 2000 ( le coefficient de Gini passe de 0.35 à 0.37 ) a été corrélée avec une
baisse du taux de syndicalisation de 3 points ( de 39.3% à 36.1%).

La relation entre inégalités et conflits n’a donc rien de mécanique, d’autant plus que dans les sociétés modernes, de
nouveaux types de conflits basés sur des revendications non matérielles sont apparus.

B. De nouveaux mouvementS sociaux apparaissent qui ne sont pas déterminés par des variables
économiques

Le concept de mouvement social a été créé par A.Touraine. Il repose sur 3 principes. Le premier est le principe
d’identité : l’acteur social se définit par lui-même. Le deuxième est un principe d’opposition, c’est-à-dire la définition
par cet acteur de son adversaire, avec lequel il est en conflit. Et enfin, le troisième est le principe de totalité qui se
caractérise par la définition du projet.

1. Constat

Or d’après A.Touraine, « après 1968 , les fronts se multiplient ». « Même si les formes de lutte sont encore classiques,
les revendications portent sur des contenus nouveaux » (doc4) . Ces mouvements ne concernent plus directement les
problèmes de la production et de l’économie. Ils situent dans le champ de la culture, de la sociabilité , de la ville , des
valeurs et paraissent bousculer les formes classiques de gestion du conflit social et de la représentativité politique .Ils
désignent les objets les plus divers , du moment qu’ils se distinguent de la figure classique du mouvement ouvrier .
A .Touraine présente alors de nombreux exemples de luttes non matérialistes : Mouvement de libération de la femme,
la gay pride, les mouvements basque ou occitan, l’écologie, …(doc 4)
2. Explications

Le développement de ces conflits non basés sur l’économie peut s’expliquer par l’analyse d’Inglehart sur le
développement des valeurs post-matérialistes. Un e fois ses besoins matériels immédiats satisfaits, l’homme
tourne ses préférences vers des besoins non matériels, de nature intellectuelle ou esthétique. Or, l’évolution
de nos sociétés développées en serait justement à ce stade du passage des valeurs matérialistes aux valeurs
post-matérialistes, sous l’effet conjugué de la croissance économique, de l’innovation technologique, du
développement de l’éducation, des changements dans la répartition sociale. On passerait ainsi d’une société
de classes à une société caractérisée par une stratification complexe

La relation entre conflits et inégalités est ainsi beaucoup plus complexe que ne le pensait Marx au XIX°
siècle. Certes des inégalités importantes sont une source de conflit, mais ce n’est pas le seul facteur
déterminant. Comme l’avait au contraire montré Marx, pour que ces inégalités se traduisent en conflits, la
conscience de classe est indispensable, sinon la population est aliénée. Cette condition peut aussi ne pas être
suffisante, puisque les conflits ne sont pas obligatoirement de nature économique, mais peuvent être
qualitatifs. Les conflits n’ont donc pas disparu, ils se sont transformés. Parfois, les revendications portent sur
des élèments à la fois quantitatifs et qualitatifs : la mouvement de grève du 27 mai portant sur la
transformation du régime des retraites en est un bon exemple. Une partie des revendications est matérielle :
refus de cotiser davantage, une autre immatérielle : refus de travailler plus longtemps et de perdre du loisirs.

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