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Fiche de révision

Littérature – Terminale L
Les Faux-Monnayeurs et Le Journal des Faux-Monnayeurs – Gide

La genèse du roman – La mise en abîme

LES SOURCES D’INSPIRATION D’ANDRÉ GIDE

Trois faits divers

Dans l’appendice de son Journal, André Gide place un article du Figaro daté du 16 septembre 1906, qui
relate un trafic de fausse monnaie dans le quartier du Luxembourg. Cette association de malfaiteurs
implique « des bohèmes, étudiants de deuxième année, journalistes sans emploi, artistes, romanciers, etc.
Mais il y avait aussi un certain nombre de jeunes élèves de l’École des Beaux-arts, quelques fils de
fonctionnaires, le fils d’un magistrat de province et un employé auxiliaire au ministre des finances ». Ce fait
divers sert la genèse du roman puisqu’il introduit le trafic des jeunes gens de bonne famille sous la coupe de
Strouvilhou, faussaire invisible mais omniprésent.

Gide est également impressionné par le « suicide dramatique du jeune Nény, âgé de quinze ans à peine,
qui, au lycée Blaise Pascal, à Clermont Ferrand, en pleine classe, s’est fait sauter la cervelle en pleine
classe », rapporté par le journal de Rouen en juin 1909. Cette mort spectaculaire annonce le décès tragique
du jeune Boris, orchestré par Ghéridanisol et raconté au chapitre 18 de la troisième partie. On y retrouve tous
les éléments narratifs de l’article et le traumatisme de cette mort violente d’un adolescent sous l’emprise de
ses camarades : « Le coup partit. Boris ne s’affaissa pas aussitôt. Un instant le corps se maintint, comme
accroché dans l’encoignure ; puis la tête, retombée sur l’épaule, l’emporta ; tout s’effondra ».

La fiction intègre aussi le naufrage de la Bourgogne, survenu le 4 juillet 1898 et qui fit 500 victimes.
L’épisode tristement célèbre des mains coupées par les matelots pour éviter le naufrage des canots de
sauvetage surchargés, inspire à Gide l’événement traumatique vécu par Lady Griffith enfant. Au-delà de
l’anecdote frappante, cette expérience fonde le caractère maléfique de la jeune femme en l’endurcissant à
l’extrême : « Ils coupaient les doigts, les poignets de quelques nageurs qui, s’aidant des cordes, s’efforçaient
de monter dans notre barque. […] J’ai compris que j’avais laissé une partie de moi sombrer avec la
Bourgogne, qu’à un tas de sentiments délicats, désormais, je couperais les doigts et les poignets pour les
empêcher de monter et de faire sombrer mon cœur. » (I, chapitre 7). Les faits divers sont donc utilisés pour
ce qu’ils révèlent des caractères et des trajectoires des personnages.

Les sources autobiographiques - Des personnages miroirs


Plusieurs personnages sont des doubles et des prolongements de l’auteur, ils reflètent tour à tour différents
âges et différents visages de Gide : « Je m'explique assez bien la formation d'un personnage imaginaire, et de
quel rebut de soi-même il est fait ». (Journal des Faux-Monnayeurs, 27 mai 1924, p. 86)

Boris réunit plusieurs épisodes de la jeunesse de Gide. Celui-ci a en effet raconté à son ami Roger Martin du
Gard le souvenir de ses troubles du comportement et les crises d'angoisse de son enfance. Il avait par ailleurs
été très impressionné par un cas semblable de troubles nerveux et d’affabulation exposé par la doctoresse
Sokoknicka, élève polonaise de Freud. En outre, on retrouve, dans la vie de Gide comme dans la jeune
existence de Boris, l’épisode traumatisant de l’onanisme puni et vécu comme une transgression majeure et
dangereuse ainsi que le sentiment d’être enfermé dans le puritanisme d’une école privée.

Comme Bernard avec Laura, Gide a ressenti dans sa jeunesse un amour pur et platonique pour sa cousine
Madeleine qu’il se donne comme mission de consoler et de protéger.

Édouard peut être perçu comme le double adulte d’André Gide : il est un romancier, tient un journal et écrit
un roman intitulé les Faux-Monnayeurs. L’auteur et son personnage écrivain sont mus par une même
démarche d'introspection et la quête d’un idéal littéraire : écrire un roman pur.

L'aventure amoureuse d'Édouard avec Olivier, d’abord amant de Passavant, peut rappeler la rivalité de
Gide avec Cocteau. Marc Allégret, amant de Gide, était en effet impressionné par le talent de Cocteau.

Enfin, les lettres du frère de La Pérouse brûlées par sa femme rappellent indéniablement les lettres
d’amour de Gide que Madeleine a brûlées pour se venger de son départ en Angleterre avec Marc en 1918. La
Pérouse lui-même est directement inspiré par M. de Lanux, professeur de piano de Gide dans son enfance.

UN JEUNE HOMME REPRÉSENTE L’HOMME EN DEVENIR : BERNARD

Dans un entretien téléphonique avec Jean Amrouche, Gide déclare à propos de Bernard : « Je me suis
beaucoup attaché à ce personnage et je comprends, je souhaite, que le lecteur s’y attache. Je serais un peu
déçu s’il prenait ce Bernard comme les autres, comme une figure qu’on voit et qu’on observe, et qui reste
mystérieuse et étrangère ». On suit son parcours initiatique comme dans un roman d’apprentissage de la
fugue du domicile familial à la réconciliation avec M. Profitendieu. Il se présente d’abord comme un
adolescent rebelle, écorché vif qui « réagit contre chaque influence et se rebiffe ». Ce qui intéresse André
Gide, c’est ce parcours d’un jeune homme qui prend son autonomie, mûrit et finit par accepter sa filiation
particulière. Son amitié avec Édouard, son amour pour Laura, son désir pour Sarah sont autant d’expériences
qui ont une valeur éducative et l’auteur regarde son personnage grandir avec une certaine tendresse. Dans le
Journal, il écrit le 23 février 1922 : « Bernard : son caractère encore incertain. Au début, parfaitement
insubordonné. Se motive, précise et limite tout le long du livre, à la faveur de ses amours. Chaque amour,
chaque adoration entraîne un dévouement, une dévotion. Il peut s’en désoler d’abord, mais comprend vite
que ce n’est qu’en se limitant, que son champ d’action peut se préciser » (p. 69). Comme Gide, le jeune
homme rejette l’hypocrisie des mœurs bourgeoises et fait de l’amitié une valeur essentielle, il veut se
construire en homme libre et émancipé.
LA MISE EN ABYME : LE ROMAN DU ROMAN

Gide crée deux personnages de romanciers : Passavant et Édouard. Le premier sert de repoussoir tant il est
fat et malhonnête ; le second, Édouard, semble au contraire son alter ego fictif. Comme lui, il travaille à son
prochain roman, intitulé Les Faux-Monnayeurs ; comme lui, il pense que la littérature doit se libérer du
réalisme et de la suprématie du narrateur omniscient. Tous deux visent un idéal de pureté qui consisterait à
« purger le roman de tous les éléments qui n’appartiennent pas spécifiquement au roman » (Gide, dans le
Journal en novembre 1922). Cette même volonté est en effet exprimée par Édouard au chapitre 8 de la
première partie : « Dépouiller le roman de tous les éléments qui n’appartiennent pas spécifiquement au
roman. De même que la photographie, naguère, débarrassa la peinture du souci de certaines exactitudes, le
phonographe nettoiera sans doute demain le roman de ses dialogues rapportés, dont le réaliste souvent se fait
gloire. Les événements extérieurs, les accidents, les traumatismes, appartiennent au cinéma ; il sied que le
roman les lui laisse. Même la description des personnages ne me paraît point appartenir proprement au
genre. » (p. 84, Folioplus).

Toutefois, si le journal de Gide et les cahiers d’Édouard comportent des réflexions qui peuvent nous sembler
interchangeables, on note entre eux une différence fondamentale qui nuance l’effet de miroir : Édouard ne
parvient pas à achever son roman et Gide le juge avec sévérité : « C’est un amateur, un raté » (Journal,
p. 67).

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