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L'arbitrage byzantin
Author Daphné Papadatou
Daphné Papadatou Maître de conférences à l'Université de Thessalonique

Résumé
Publication L'arbitrage byzantin est fondé sur le modèle romain de cette institution, avec lequel il
Revue de l'Arbitrage présente quelques divergences. Dans le cadre de l'organisation centralisatrice qui caractérise
le mécanisme byzantin de l'exercice de la justice, Justinien a tenté de faire du règlement non-
judiciaire des litiges privés une institution contrôlée par les organes juridictionnels étatiques.
Mais les mesures législatives qu'il a introduites à cet effet n'ont pas apporté le résultat
Jurisdiction escompté. Et cela en raison de l'importance de l'implication des membres de l'Eglise faisant
Turkey office d'arbitres et de l'élaboration d'un arbitrage «parallèle» qui se développe au sein du
droit canon, cet arbitrage étant régi par des règles différentes de celles de la législation et
influençant la pratique du règlement arbitral des litiges pendant la période byzantine.
Bibliographic reference
Summary
Daphné Papadatou,
'L'arbitrage byzantin', Revue Byzantine arbitration is based on the Roman model for this institution, in relation to which
de l'Arbitrage, (© Comité certain differences appear. In the context of the centralising organisation, characteristic of the
Français de l'Arbitrage; Byzantine system of administration of Justice, Justinian attempted to transform the non-judicial
Comité Français de l'Arbitrage resolution of private disputes into an institution controlled by State run jurisdictions. However the
2000, Volume 2000 Issue 3) pp. legislative measures which he introduced for these purposes did not produce the expected result;
349 - 376 the reason for this is the importance of the implication of members of the Church acting as
arbitrators, and the development of“parallel”arbitration which developed within Canon law, the
rules for such arbitration being different from the legislative rules. This parallel system influenced
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the practice of the resolution of disputes by arbitral means during the Byzantine period.

I. – Introduction (*)
1. Dans l'esprit des non-spécialistes, droit «byzantin» et droit «romain» sont des termes
équivalents ou presque. Cette conception n'est pas sans fondement, car le droit romain, qui est
codifié pour la première fois au VIe siècle de notre ère dans la partie orientale de l'Empire
romain, constitue l'une des bases sur lesquelles repose non seulement l'idée de l'unité de
l'Etat à Byzance, mais aussi la vision des empereurs concernant la reconstitution de l'ancien
Empire romain, fort et uni. Il y aurait pourtant quelque contradiction à supposer que la
constance jamais démentie de tous les empereurs byzantins sans exception à appliquer les
constitutions du droit romain ait entraîné la stagnation du processus d'évolution des
institutions, alors que celles-ci régissent une dynamique sociale en perpétuelle mutation
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pendant le Moyen Age. Même si, jusqu'à la prise de
Constantinople par les Ottomans en 1453, c'est le droit romain codifié qui fut toujours reconnu
par les empereurs comme droit officiellement en vigueur, dans la pratique, les institutions ne
cessèrent jamais d'évoluer, qu'elles aient été ou non en conformité avec la législation écrite.
C'est précisément à cet égard que l'étude de la correspondance entre, d'une part, la théorie-
législation et, d'autre part, la pratique, est un défi qui présente un intérêt particulier dans le
parcours historique du droit byzantin.
Seul l'examen des institutions peut mener en toute sûretéà un résultat en la matière. C'est
précisément ce que nous tenterons de faire dans les pages qui suivent. L'objet de cette étude,
l'arbitrage, est une institution très ancienne, que l'on rencontre déjà en Grèce antique, héritée
par Byzance du modèle romain et maintenue vivante jusqu'à la chute de l'Empire byzantin.
Pendant ce laps de temps, deux facteurs vinrent influencer son évolution et lui conférèrent, en
quelque sorte, son caractère «byzantin». Le premier réside dans les modifications introduites
par Justinien par ses constitutions et ses Novelles. Le second est l'Eglise qui, dans son propre
cadre réglementaire, mais aussi par la participation de certains de ses représentants au
règlement arbitral des litiges privés, influença, comme nous le verrons, l'évolution de
l'institution.
Partant de ces données, nous essaierons d'esquisser les traits caractéristiques de l'arbitrage à
Byzance. Nous entreprendrons de repérer et interpréter les modifications introduites par la
législation justinienne, mais nous rechercherons aussi leur répondant dans le champ de leur
application pratique. Nos sources seront donc tant les constitutions législatives que les actes
de la pratique.
2. Mais avant tout, quelques éclaircissements sont nécessaires:
1) Etant donné que l'arbitrage byzantin conserve dans sa quasi-totalité les caractéristiques de
l'arbitrage romain, nous nous concentrerons essentiellement sur les éléments qui le
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distinguent du modèle romain ((1)) . Bien que les modifications introduites par Justinien

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dans l'institution ne soient ni si nombreuses ni si radicales, elles n'en sont pas moins cruciales
et essentielles. Elles révèlent, comme nous le verrons, une tentative d'intégrer une institution
de règlement non-judiciaire des litiges privés dans le cadre d'un système d'exercice de la
justice strictement hiérarchisé, centralisé et étroitement contrôlé, qui est celui de l'Empire
byzantin.
2) Les actes de la pratique dont nous disposons sont rares et sporadiques. Les étudier de
manière autonome ne saurait nous mener à des résultats garantis. C'est pourquoi ils sont
utilisés en guise d'informations complémentaires, mais néanmoins précieuses, puisqu'ils
permettent, fût-ce dans une mesure limitée, de constater jusqu'à quel point le cadre législatif
de l'arbitrage trouva son répondant dans le champ de son application pratique.
3) L'analyse qui suit tourne autour de l'institution de l'arbitrage ad hoc du droit privé, à savoir
le règlement du litige qui est obtenu, en vertu d'un consentement mutuel des parties, par une
tierce personne choisie par elles en commun et à la décision de laquelle elles s'engagent à
l'avance à adhérer. Nous laisserons donc de côté, ou ne ferons qu'effleurer, d'autres
institutions plus ou moins apparentées qui constituent des formes spécifiques d'arbitrage ou
qui s'intègrent aussi dans la notion générale de règlement arbitral des litiges, comme c'est le
cas par exemple de l'arbitrage international (entre Etats), de l'arbitrage sur clause
compromissoire, de l'arbitrage forcé ou obligatoire, de l'expertise amiable et de la
transaction. En effet, ou bien ces formes spécifiques d'arbitrage ne se rencontrent pas à
l'époque qui nous occupe, ou bien les limites entre ces diverses formes de règlement arbitral
des litiges ne sont pas toujours aisées à distinguer à cette époque, ou bien, enfin, elles
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pourraient faire l'objet d'une étude séparée.

II. – Terminologie. Distinction entre institutions apparentées


3. Le problème de la terminologie sous laquelle se rencontre l'arbitrage est important pour
deux raisons: parce que, comme on peut le constater, il existe plusieurs termes pour désigner
cette institution dans les sources législatives, et ensuite parce que ces termes n'ont pas
toujours un contenu spécifique, permettant de définir de manière exclusive l'arbitrage, mais
caractérisent souvent aussi d'autres institutions apparentées.
Dans les sources législatives, les arbitres sont qualifiés de «διαγνώμονες», «μεσιτεύοντες»,
«κομπρομισσάριοι», «κομπρομισσάριοιδιαγνώμονες» et, plus souvent, de «αιρετοίδικασταί». Or,
ces mêmes termes sont aussi fréquemment utilisés pour désigner l'activité de tierces
personnes qui, dans le cadre d'une convention et à l'invitation des parties contractantes,
procèdent à la fixation de la prestation ou à la spécification des clauses d'une convention ou
d'une relation juridique ((2)) . En Occident, à partir de l'époque des postglossateurs, ces
personnes furent généralement appelées «arbitratores»; mais dans les sources byzantines, on
les rencontre aussi sous le nom de «δοκιμασταί». Cette pratique, connue dans les sources
comme «boni viri arbitrium» ((3)) («δοκιμασίαανδρόςαγαθού» ou «δοκιμασίαμεσιτευόντων»), est
apparentée à l'arbitrage car dans les deux cas, l'intervention de la tierce personne est
provoquée par un accord passé entre les parties. Elle en diffère cependant dans la mesure où
l'arbitrage s'achève par une sentence rendue par cette tierce personne, alors que dans le boni
viri arbitrium, la procédure est accomplie par l'apport ou la spécification des clauses d'une
convention.
On peut comprendre que l'arbitrage et le boni viri arbitrium, ces deux institutions différentes
P 353 quoique apparentées, ne se distinguent pas clairement du point de vue conceptuel à
cette époque, du fait qu'ils apparaissent sous le même titre (7,2) dans la grande codification
de la moyenne époque byzantine, les Basiliques. Mais en dépit de la confusion apparente, les
Byzantins savent faire la distinction. La législation y voit deux types différents de médiation
par des tiers. Même si cette différenciation n'est pas précisée par des critères théoriques, elle
ressort des effets qu'elle entraîne, et notamment de la validité que la loi reconnaît au
jugement rendu par la tierce personne dans l'un et l'autre cas: dans l'arbitrage, la décision du
tiers est obligatoire pour les parties, chose qui ne vaut pas nécessairement pour le boni viri
arbitrium ((4)) . La deuxième différence réside dans l'existence d'une clause pénale. Dans le
cadre du compromis, elle en est un élément constitutif. En revanche, dans l'accord qui est fait
de confier à l'arbitrator le contenu de la prestation, la prévision d'une clause pénale n'est pas
requise ((5)) .
En dehors du boni viri arbitrium, l'arbitrage est aussi distingué, dans les textes législatifs, de la
médiation assumée par des tiers qui entreprennent de concilier deux personnes que divise un
litige. Bien que les sources législatives soient avares de renseignements sur ce genre de
médiation, le fait est qu'elles la distinguent de l'arbitrage. Comme nous le lisons, le critère de
distinction réside en ce que, dans l'arbitrage, la tierce personne s'engage à régler le litige par
sa décision (que les parties doivent exécuter), tandis que le médiateur se présente comme une
personne qui, se contentant de conseiller les parties, essaie de les réconcilier ((6)) .
4. On constate que la distinction théorique entre l'arbitrage et les institutions apparentées
sont rudimentaires et lacunaires dans les textes législatifs byzantins, à en juger avec les
critères d'un juriste moderne. Ainsi pourrait s'expliquer le «regroupement» théorique
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d'institutions présentant des caractéristiques communes et le fait qu'elles soient
exprimées par des termes dotés d'un contenu assez large. Mais si rudimentaires que soient, en
tout cas, ces distinctions, il est vrai qu'elles remontent à l'époque du droit romain classique,
c'est-à-dire à l'apogée de la culture de la science juridique. Acceptant le droit romain comme
le droit officiellement en vigueur dans l'Empire, les souverains byzantins adoptent du même

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coup, comme de naturel, toutes les distinctions conceptuelles héritées des jurisconsultes
romains. L'intéressant est toutefois qu'ils les reproduisent telles quelles dans toutes les
codifications de l'époque byzantine, sans aucun apport supplémentaire. Cela ne doit pas
surprendre. La stagnation que l'on observe dans l'élaboration théorique des notions juridiques
est due au niveau peu élevé de la science juridique qui caractérise la culture du droit à
presque toutes les périodes de l'histoire byzantine. Seul ce travail eût permis la création de
distinctions plus fines entre des institutions apparentées ou similaires. C'est ce qui se
produisit par exemple en Occident à l'époque des glossateurs, au XIe siècle. A Byzance au
contraire, les empereurs, aussi empressés les uns que les autres à s'autoproclamer gardiens et
continuateurs de la tradition juridique romaine, en exerçant un contrôle absolu sur toutes les
manifestations de la vie juridique (vie législative, judiciaire, interprétation du droit), ne
laissèrent quasiment pas la moindre marge au libre développement de la science juridique.
C'est pourquoi la différenciation théorique entre l'arbitrage et les institutions apparentées ou
similaires n'est autre que celle qu'avaient développée les juristes romains de la période
classique et se trouve simplement reproduite dans les textes législatifs byzantins, sans aucune
élaboration supplémentaire.

II. – Le modèle romain


5. Avant d'en venir aux modifications introduites par Justinien, on peut évoquer brièvement les
caractéristiques que cet empereur a reçues du modèle romain de l'institution et qu'il a
conservées sans changements substantiels dans sa législation. La matière se résume à deux
parties de la législation justinienne: 1) le Digeste (4,8), qui comprend l'ensemble de la
législation et des commentaires interprétatifs dus aux jurisconsultes romains, surtout de la
période classique, et 2) le Code, où se trouvent rassemblées les constitutions des empereurs
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antérieurs à Justinien. Les constitutions relatives à l'arbitrage sont comprises aux
paragraphes 1-3 du livre 2,55 du Code. Leur comparaison avec les informations que nous
possédons sur les actes de la pratique, là où c'est possible, permettra de constater dans
quelle mesure ce cadre législatif avait son correspondant dans le champ de la pratique du
règlement arbitral des litiges pendant la période byzantine.

1) La nature juridique de l'arbitrage


6. Du point de vue de la technique juridique, l'arbitrage romain est fondé sur deux
conventions:
a) le receptum arbitri, qui est l'accord passé entre les parties en conflit et l'arbitre, par lequel
le second accepte et assume l'obligation de régler le différend que les premières soumettent
à son jugement. Initialement, le receptum arbitriétait un simple accord, un pactumà savoir une
convention ne créant pas de chaque côté des revendications susceptibles d'action en justice.
Mais par la suite, il a été transformé par le jus praetorium en pactum praetorium ((7)) , c'est-à-
dire en accord coercitif avec intervention du préteur. Cependant, ce caractère coercitif n'est
pas garanti par la possibilité d'exercer une action, comme c'est le cas des autres pacta
praetoria: il l'est par la possibilité accordée au préteur de prendre des mesures
administratives (infliction d'une amende) pour obliger l'arbitre à exécuter l'arbitrage qu'il
s'est engagéà faire.
Il ne nous est pas parvenu de témoignages écrits de tels recepta, probablement parce qu'ils
étaient conclus oralement.
b) le compromis (compromissum). C'est l'accord par lequel les parties en conflit conviennent
de soumettre leur différend, en vue d'un règlement, à une personne qu'elles choisissent en
commun, et de se conformer à la décision que celle-ci rendra. Dans le droit justinien, le
compromissum est constitué valablement soit oralement soit par écrit, soit avant soit même
après l'édiction de la sentence arbitrale ((8)) .
La question de la nature juridique du compromis et celle des moyens par lesquels est garanti
son caractère obligatoire sont examinés au paragraphe suivant, car ce sont des domaines dans
P 356 lesquels Justinien a apporté certaines modifications (cf. infra, IV).
Les actes de la pratique de la période byzantine permettent de constater que dans les
arbitrages, les compromis sont élaborés conformément au cadre législatif exposé ci-dessus.
Ainsi la «lettre d'acceptation» ou, simplement, «l'acceptation» («γράμμακαταδοχής,
καταδοχή») peut-elle être écrite ((9)) ou orale ((10)) . Si elle est écrite, elle contient
éventuellement l'engagement préalable des parties d'adhérer à la sentence arbitrale ((11)) .
En cas de communauté de cause, elle doit être signée par toutes les parties faisant cause
commune, et le contreseing par l'intermédiaire d'un représentant n'est pas permis ((12)) .

2) L'objet de l'arbitrage
7. Tous les litiges, de nature aussi bien civile que pénale, peuvent être soumis à l'arbitrage.
Font exception à cette règle tous les délits publics (crimina), c'est-à-dire ceux qui sont
poursuivis sur l'initiative de l'autoritéétatique et qui entraînent des peines ayant un caractère
public ((13)) , et pour le reste, tous ceux qui entraînent la peine de l'infamie (infamia) ((14)) .
Sont également exceptés les litiges qui ont pour objet la situation personnelle, et plus
précisément la contestation du status de liberté des personnes physiques ((15)) . En d'autres
termes, sont exclus du règlement arbitral les délits et litiges considérés par le législateur
comme d'une nature particulièrement grave.

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Le fait est que les actes de la pratique de l'époque byzantine montrent que sont réglés par
arbitrage les litiges relevant du droit des obligations (résultant donc de relations de location,
de vente, de prêt) ((16)) et de droits réels (revendication de propriété) ((17)) . On peut déduire
P 357 la possibilité de règlement arbitral de litiges pénaux à partir de fragments de
commentateurs byzantins concernant les dispositions de la législation ((18)) . Les actes de la
pratique nous apprennent aussi que des litiges pénaux trouvaient leur règlement par voie
arbitrale dans l'Egypte byzantine ((19)) .
L'objet de l'arbitrage peut être un ou plusieurs litiges surgis entre les mêmes personnes. Dans
le cas où le règlement de plusieurs litiges est confiéà l'arbitre par le compromis, les sources
parlent de compromissum plenum ((20)) . Cependant, il n'est pas reconnu aux parties la
possibilité de confier à l'arbitre le règlement de litiges à venir qui ne sont pas encore apparus
entre eux (ce qui correspondrait aujourd'hui à la clause compromissoire).

3) Les parties
8. Toutes les personnes physiques libres peuvent soumettre leurs litiges à l'arbitrage, y
compris celles qui, du fait de leur qualité, relèvent d'un régime juridique particulier et d'une
juridiction spéciale, comme les clercs et les militaires. Si ces derniers, au moment de leur
échange avec des tiers, déclarent au préalable qu'ils démissionnent du régime privilégié qui
régit la catégorie spécifique de personnes à laquelle ils appartiennent, ils ne peuvent plus par
la suite, devant l'arbitre (ou le juge), faire valoir d'exception déclinatoire. Cette démission
initiale de leur part est également obligatoire pour l'arbitre, qui doit juger le litige comme s'il
s'agissait d'un différend opposant des personnes ordinaires et, donc, sans tenir compte de leur
qualité de militaires ou de clercs ni considérer les privilèges qui en découlent ((21)) .

4) Les arbitres
9. Les parties peuvent choisir comme arbitre une ou plusieurs personnes. L'institution du tiers-
arbitre était connue du droit romain. Ainsi, en cas de désaccord entre les arbitres, la décision
est-elle prise par une tierce personne, le tiers-arbitre; il suffit pour cela que celui-ci ait été
P 358 désigné nominalement par les parties dans le compromis ((22)) .
Peuvent être arbitres toutes les personnes physiques libres ou affranchies et même les
esclaves, à condition que, au moment du prononcé de la décision, pour ces derniers, ils aient
acquis la qualité d'affranchi, ou pour les premières, elles n'aient pas été réduites à la
condition d'esclave ((23)) . Il peut s'agir de personnes occupant des fonctions politiques ou
autres (magistrati, consularii) ou jouissant simplement d'une bonne (ou, aussi bien, d'une
mauvaise) réputation ((24)) . Toutefois, ne peuvent être choisies comme arbitres les personnes
qui ne sont pas saines d'esprit, les personnes sous tutelle, non plus que les juges qui ont
déjàété saisis du règlement judiciaire de l'affaire ((25)) . Enfin, peuvent être choisies comme
arbitres des personnes exerçant des fonctions religieuses. Mais dans ce cas, le préteur ne peut
prendre à leur encontre de mesures administratives pour les contraindre à exécuter
l'arbitrage, sauf si elles ont revêtu le sacerdoce après la conclusion du compromis, auquel cas
le prononcé de la décision est pour elles obligatoire ((26)) .
Les actes de la pratique de la période byzantine nous enseignent que les fonctions d'arbitre
sont exercées tantôt par des dignitaires ou des personnes issues de l'entourage immédiat de
l'empereur ((27)) , tantôt par des personnes dépourvues de tout titre ((28)) . De même, font
office d'arbitre à l'époque byzantine tardive des organes collégiaux qui sont constitués et
jugent dans le cadre des «pronoia» ((29)) , ce terme désignant les domaines semi-
indépendants mis sous la surveillance –économique essentiellement – des grands
propriétaires fonciers (institution apparentée, mais avec des différences fondamentales, aux
fiefs occidentaux). Enfin, certains témoignages parlent aussi de clercs comme arbitres ((30)) .

5) La procédure, l'exécution de la sentence


10. Les informations concernant la procédure suivie pendant le déroulement de l'arbitrage
P 359 sont extrêmement rares et ne suffisent pas à nous donner une idée satisfaisante de la
question. En tout état de cause, lors de l'administration de la preuve, sont utilisés des
documents écrits. Pour ce qui est de l'exécution des sentences arbitrales, elle fut garantie à
partir de l'époque de Justinien, comme nous le verrons dans le paragraphe suivant, par le fait
qu'une action séparée pouvait être intentée. Les actes de la pratique nous permettent de
constater que l'exécution pouvait être immédiate, et selon la nature de la décision, pouvait
avoir lieu devant les arbitres, à la fin de la procédure, quand elle consistait en un paiement
((31)) , ou bien elle était réalisée par le fait que les arbitres prenaient l'initiative
correspondante, comme en cas d'expulsion d'un bien immeuble par exemple ((32)) .

IV. – Les modifications de Justinien


11. Les modifications introduites par Justinien ont principalement été posées par deux
constitutions, comprises aux paragraphes 4-5 du titre 2,55 du Code, et par deux Novelles,
numéro 82,11 et 113,1, publiées un peu plus tard. Ces modifications concernent: 1) le
compromis, et plus précisément aussi bien les effets obligatoires engendrés pour les parties
que les moyens par lesquels ce caractère obligatoire est garanti, et 2) le droit qui devra être
appliqué par la sentence arbitrale.
De manière plus détaillée, il convient d'observer les choses suivantes:

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a) Le compromissum
i) Nature juridique
12. Par opposition au receptum arbitri, qui consiste en une convention entre les parties
adverses et l'arbitre, le compromissum est l'accord conclu entre les parties en conflit. Par cet
accord, l'arbitre choisi en commun est désigné et les parties s'engagent réciproquement à
adhérer à la décision qu'il rendra.
Dans le droit romain, le compromissumétait au départ un pactum, c'est-à-dire une convention
qui, à l'opposé du contractum, n'était pas assortie d'une action mais engendrait uniquement
P 360 une exception. Donc, l'engagement que prenaient les parties au moment de la conclusion
du compromis, de se conformer à la décision que devait rendre l'arbitre, ne pouvait être
coercitif. Dans le droit préclassique déjà, certains pacta furent reconnus comme susceptibles
d'une action par une disposition prétorienne. Ce sont les fameux pacta praetoria, au nombre
desquels figurent par exemple le iusiurandum voluntarium, à savoir l'accord sur le règlement
du litige par serment non-judiciaire, le pactum de constituto, c'est-à-dire la promesse de
payer la dette existante dans un délai convenu entre le créancier et le débiteur, etc. Dans le
droit classique et postclassique, une constitution impériale a reconnu le droit d'intenter une
action contre certains accords privés, si bien que ces pacta nuda (non susceptibles d'une
action) sont devenus des pacta vestita (ou pacta legitima), accordant aux parties contractantes
la possibilité de réclamer par voie judiciaire l'exécution des clauses de leur accord.
Parmi ces accords figure le compromissum, que Justinien fut le premier à reconnaître comme
pactum legitimum. Plus concrètement, il disposa par deux constitutions que le compromissum
pouvait être rendu exécutoire suite à une action en justice. Au départ, il fixa comme condition
la conclusion du compromissum sous serment, confirmée par écrit avant ou après l'émission
de la sentence arbitrale ((33)) . Cette réglementation fut remplacée un an plus tard par une
nouvelle constitution du même empereur ((34)) , selon laquelle le compromissum pourrait
avoir la force d'un accord susceptible d'une action en justice sous condition de ratification
ultérieure de la sentence arbitrale (voir plus en détail ci-dessous, sous b.iv).
L'action qui est accordée est l'actio in factum. Il s'agit d'une action accordée ad hoc, étant
donné que son objet ne s'inscrit pas dans l'un des types connus d'actions que reconnaît la
procédure civile romaine. Dans le cas du compromissum, cette actio peut – en fonction du
contenu de la sentence arbitrale –être tournée contre la personne du défendeur par la
demande d'un acte ou d'une prestation déterminés, ou bien consister en une réclamation erga
omnes en vue de la remise d'un bien déterminé qui a été adjugé au demandeur par l'arbitre
(actio in rem utile). La soumission de cette réclamation déclenche la procédure d'exécution de
P 361 la sentence arbitrale, qui est garantie par le concours des autorités administratives et
judiciaires de Constantinople ou, en province, du siège de chaque région administrative ((35)) .
ii) Garantie: serment et clause pénale
13. Selon le droit romain classique, l'élément fondamental du compromissum est la clause
pénale. Le lien entre ces deux accords est tel qu'en cas d'absence de la seconde, le premier
est constitué de manière défectueuse et dégage l'arbitre de l'obligation de rendre une
décision ((36)) . La peine tombe quand l'une des parties refuse de se conformer à la sentence
arbitrale et, choisissant de se délier de celle-ci, soumet le litige à un autre tribunal aux fins de
règlement ((37)) .
Ce lien étroit entre clause pénale et compromissum dans le droit pré-justinien a son
explication: comme nous l'avons dit, en droit romain classique, le compromissum est un
pactum, c'est-à-dire un accord qui n'engendre pas des deux côtés des réclamations
susceptibles d'une action. Au contraire, la clause pénale est reconnue comme un accord
susceptible d'une action autonome. En conséquence, son incorporation au compromissum,
alors que ce dernier n'est pas susceptible d'une action, le rend obligatoire de manière
indirecte, dans la mesure où sa transgression, même si elle ne crée pas de réclamation directe
pour obtenir son accomplissement, entraîne pour le contrevenant le paiement d'une
réparation en argent à la partie cocontractante. Ainsi la réclamation de l'exécution des
clauses du compromis est-elle limitée et se résume-t-elle à la réclamation du paiement de la
clause pénale qui a été convenue au moment de la conclusion du compromissum ((38)) . En
d'autres termes, la clause pénale n'est rien d'autre que le moyen par lequel est renforcé le
caractère obligatoire du compromissum, cet accord qui, en soi, ne peut fournir de base à une
réclamation entre les parties contractantes.
Pour ce qui est de la garantie du caractère obligatoire du compromis, Justinien a introduit
P 362 deux modifications. Par la première, il disposait que, dorénavant, le serment prêté par les
parties serait un élément indispensable du compromis. Ainsi, selon cette modification, était
rendu valable le compromissum conclu sous serment, à condition que la prestation de serment
soit prouvée par écrit. Puis, soucieux de garantir la validité de ces engagements sous serment
pour éviter qu'ils soient contournés en cas de non-conformité volontaire des parties à la
sentence arbitrale, Justinien fit pour la première fois des compromissa (sous serment) des
pacta legitima, c'est-à-dire des accords susceptibles d'une action en justice, et exécutoires par
le concours de l'autoritéétatique, comme nous l'avons vu plus haut.
Cette réglementation justinienne ne dura guère. Constatant que dans la pratique, la
transgression des compromis constitués sous serment était chose courante, Justinien
introduisit dix ans plus tard, par la Novelle 82,11, une seconde modification: par celle-ci, il

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abolissait la prestation de serment et rétablissait la clause pénale comme mode de garantie
du caractère obligatoire du compromissum. Seuls étaient valables désormais les compromis
contenant une clause pénale. Son existence accordait aux parties deux possibilités: soit
adhérer à la sentence arbitrale et l'exécuter volontairement, soit, se déliant de celle-ci, payer
la clause et introduire le litige aux fins de règlement devant les tribunaux ordinaires ((39)) .
Autrement dit, la clause pénale leur accordait la possibilité de se dédire de leurs obligations
résultant des clauses du compromis.
Le rétablissement de la clause pénale comme élément du compromis est conforme, on peut le
constater, aux réglementations pré-justiniennes d'origine romaine. Le retour au modèle
romain est absolu. Sauf qu'à cette époque, le compromissum n'est plus désormais un simple
pactum, mais un pactum legitimum, comme nous l'avons vu. Comment, donc, justifier à cet
égard la réintroduction de la clause pénale, qui ne sert plus, à l'époque de Justinien, à
renforcer la validité du compromissum, comme c'était le cas dans le droit antérieur, puisqu'il
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est devenu un accord autonome susceptible d'action en justice et exécutoire? En d'autres
termes, pour quelle raison Justinien, abolissant l'une de ses propres réglementations
antérieures, remet-il en vigueur une ancienne pratique romaine qui, à son époque, ne sert plus
de manière fonctionnelle le caractère obligatoire du compromis?
On peut penser que ce que voulait Justinien, c'était rendre possible dans la pratique le
contrôle des sentences arbitrales par la justice ordinaire. En faisant de la clause pénale un
élément constitutif du compromis, il rendait pratiquement possible et «légal» le
contournement de la sentence arbitrale. Cette possibilité entraînait simplement une charge
financière supplémentaire pour la partie qui, manquant à l'engagement qu'elle avait
contracté, choisissait d'introduire le litige aux fins de jugement devant les tribunaux
ordinaires. Avec la réglementation précédente, au contraire, qui avait posé la prestation de
serment comme condition constitutive dans l'élaboration du compromis, cela n'était pas
chose facile, car la conséquence du contournement de la sentence arbitrale était le parjure.
Telle est peut-être la raison pour laquelle la constitution 2,55,4-5 du Code reconnaissant
comme valables et susceptibles d'une action en justice uniquement les compromis conclus
sous serment, eut la vie si brève.
En remettant donc en vigueur, par la Novelle 82,11, une ancienne pratique romaine qui
reconnaissait à la clause pénale la qualité de condition constitutive du compromissum,
Justinien faisait d'une pierre deux coups: 1) il démontrait dans les faits le lien étroit de sa
législation avec la tradition juridique romaine, et 2) il étendait la juridiction des tribunaux
ordinaires au champ du règlement non-judiciaire des litiges.

b) La sentence arbitrale
i) Le droit appliqué
14. Les constitutions législatives pré-justiniennes qui se rapportent au droit que doit appliquer
l'arbitre lorsqu'il rend sa décision ont un contenu général. L'arbitre doit se prononcer sur la
base de «la vérité» (cum omni veritate) ((40)) . Cette «vérité» n'est autre que le sentiment
personnel d'équité de l'arbitre: arbiter [...] dicat quod ipsi videtur («l'arbitre doit dire ce qui lui
P 364
paraît bon») ((41)) . On imagine aisément que ce sentiment personnel d'équité ne pouvait
être le même dans toutes les régions et dans toutes les populations de l'Empire mais avait
partie liée aux coutumes locales et aux usages de chaque province.
Cette liberté accordée à l'arbitre de juger conformément aux usages, aux valeurs et aux règles
écrites ou non écrites admises dans son environnement social est peut-être due, entre autres,
au fait que jusqu'à la codification justinienne du monis, il n'existait pas de cadre législatif
unique susceptible de servir de point de référence, de sorte que les sentences arbitrales
puissent s'harmoniser aux dispositions d'un droit écrit d'application générale. Ces données
changent au VIe siècle avec la codification de Justinien. Dorénavant, seul le droit romain
codifié dans ces recueils est reconnu exclusivement comme droit officiellement en vigueur
dans tout l'Empire.
Ce n'est donc pas un hasard si, quelques années après la publication des deux parties
essentielles de la codification justinienne, à savoir le Digeste (533) et le Code (534), Justinien
édite une Novelle, numéro 113 (en 541), par laquelle, à l'occasion de la réglementation de
divers points de nature juridictionnelle, il se réfère entre autres aux arbitres. Au chapitre 1 de
cette Novelle, il dispose que dorénavant, ceux-ci doivent harmoniser le contenu de leur
sentence aux dispositions du droit officiel, c'est-à-dire au droit romain désormais codifié ((42))
. L'application de ce dernier s'étend donc aussi aux sentences des arbitres qui avaient
jusqu'alors la liberté de se prononcer sur la base de leur sentiment personnel du droit. Dans le
cas contraire, les sanctions prévues sont la nullité de la sentence arbitrale et la non-exigibilité
P 365 de la peine ((43)) .
Sur ce point, l'intervention de Justinien est essentielle. D'une part, il vise àétendre la validité
du droit romain codifié aux décisions de personnes qui, sans être des magistrats, sont choisies
par les parties comme juges «alternatifs»à la justice ordinaire, appelés à régler un différend.
Ils ne jugent plus en leur âme et conscience, mais conformément aux dispositions d'un droit
écrit souvent tombé en désuétude, le droit romain. D'autre part, il limite sensiblement,
comme nous le comprenons, le cercle des personnes susceptibles d'être choisies comme
arbitres par les parties: ne peuvent plus être arbitres que les personnes qui sont au fait de la
législation de langue latine. Et il va de soi qu'il ne peut plus s'agir que de gens qui ont reçu une

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formation juridique, à savoir les diplômés des facultés de droit de l'époque, dans lesquelles
l'enseignement du droit se trouve sous contrôle strict de l'Etat. Donc, avec la Novelle 113,1, la
désignation des arbitres a lieu désormais non plus tant sur le critère de la confiance que leur
accordent les parties que sur celui des connaissances techniques qu'ils possèdent et qui
garantissent la conformité de leurs décisions aux dispositions de la législation romaine
officiellement reconnue comme «en vigueur».
ii) La contestation de la sentence arbitrale
15. Les dispositions du droit antérieur à Justinien disposent que la sentence arbitrale est
obligatoire pour les parties. Elle ne peut être attaquée que dans le cas où un dol commis par
l'arbitre est constaté. Sinon, elle est en tout cas non susceptible d'appel et l'exercice de voies
de recours contre elle n'est pas permis: ex sententia arbitri ex compromisso [...] appellari non
posse ((44)) .
Bien que ce principe fondamental ait été maintenu dans tous les textes législatifs de la
période byzantine, dès le VIe siècle, il se trouve affaibli dans la pratique par les modifications
de Justinien dont nous avons parlé et, concrètement, par la conclusion obligatoire d'une
clause pénale dans le compromis (voir cidessus). Et cela parce que, comme nous l'avons vu, les
parties mécontentes ont acquis de cette manière la possibilité, si elles le désirent, au prix
d'un sacrifice financier, de se dégager de leur obligation d'exécuter la sentence arbitrale pour
P 366 introduire ensuite leur litige aux fins de jugement devant les tribunaux ordinaires. Ainsi,
même si l'impossibilité de faire appel des sentences arbitrales n'est pas abolie expressément,
la possibilité de les dénoncer est consacrée dans la pratique.
En conséquence, l'interdiction générale de la constitution préjustinienne 2,55,1 du Code
proclamant l'impossibilité de faire appel des sentences arbitrales se trouve matériellement
limitée désormais aux seuls cas dans lesquels les deux parties acceptent volontairement la
sentence arbitrale et ne mettent pas à profit la possibilité que leur accorde la Novelle 82,11 de
se dégager, en payant la clause pénale, de la sentence arbitrale. Ce n'est que dans ces cas que
cette dernière a, comme nous pouvons le comprendre, pleine validité et est rendue en dernier
ressort.
Ce que la formulation de la Novelle ne précise pas, c'est le fait de savoir si le réexamen du
litige par les tribunaux ordinaires constitue un jugement en deuxième ressort ou si le
paiement de la clause pénale entraîne la disparition de la sentence arbitrale et le réexamen
du différend depuis le début. La question est importante dans la mesure où, selon le droit pré-
justinien, les sentences arbitrales ne sont pas susceptibles d'appel. Justinien a-t-il voulu, par
la Novelle 82,11, rompre avec cette règle romaine?
Les données dont nous disposons à l'heure actuelle ne nous permettent pas d'apporter de
réponse claire à cette question. Car il n'est pas possible de savoir si le réexamen du litige a
lieu après l'exercice d'un recours contre la sentence arbitrale devant les tribunaux ordinaires,
auquel cas cette sentence est contrôlée quant à son contenu, ou si le différend est jugé depuis
le début, comme si le jugement arbitral n'avait pas eu lieu. Quoi qu'il en soit, ce qui présente
de l'intérêt, c'est l'opportunité qui se dissimule derrière l'emploi de termes techniques. Dans
la Novelle 82,11, le rejugement du litige est qualifié par Justinien de «αναψηλάφησις,
anapsèlaphèsis» (retractare de sententia, réexamen). Est donc employé un terme que les
Romains, les empereurs antérieurs à Justinien et Justinien lui-même distinguent du jugement
en deuxième ressort qui a lieu après l'exercice d'un appel (appellatio), et par lequel ils
suggèrent (comme de nos jours) le rejugement du litige – sous certaines conditions – par le juge
P 367 qui a déjà jugé ((45)) . Or, par la Novelle 82,11, Justinien introduit en fait le rejugement de
la sentence arbitrale en deuxième ressort, car le différend est réexaminé par un juge différent
du juge qui a jugé en premier ressort ((46)) . En utilisant donc le terme «anapsèlaphèsis», tout
en suggérant cependant en réalité un jugement qui a les caractéristiques de l'appel, Justinien
consacre la possibilité de dénoncer les sentences arbitrales sans apparemment mettre à mal
la règle romaine qui veut qu'elles ne soient pas susceptibles d'appel ((47)) .
Dans toutes les codifications byzantines ultérieures et dans les recueils législatifs privés
coexistent aussi bien l'impossibilité de l'appel contre les sentences arbitrales de la
constitution 2,55,1 du Code, que la Novelle 82,11 de Justinien par laquelle les tribunaux
ordinaires sont saisis de litiges qui, dans une première phase, ont été jugés par arbitrage. Cela
ne doit pas nous surprendre. La coexistence de dispositions opposées ou carrément
contradictoires est un phénomène habituel dans les textes législatifs de la période byzantine.
En effet, la législation romanobyzantine ne constitue pas un ensemble systématisé de règles
de droit. Le tronc principal, qui est le droit romain codifié, est conservé intact, car il incarne
non seulement un ensemble de règles qui réglementent la vie sociale, mais aussi (et peut-être
surtout) l'un des principaux fondements idéologiques sur lesquels repose l'idée de l'unité et
de l'identité romaine du pouvoir étatique à Byzance. D'où le caractère de dogme inviolable
attaché au droit romain codifié. A ce noyau initial des dispositions du droit romain codifié
sont ajoutées par accumulation les nouvelles constitutions éditées par les empereurs
byzantins, sans que l'on veille particulièrement à leur compatibilité avec celles qui existent
déjà. C'est ainsi que l'on rencontre souvent dans les textes de la moyenne période byzantine et
de la période tardive des réglementations qui se heurtent ou se contredisent, ou des
constitutions nouvelles jouxtant des constitutions anciennes que, de manière directe ou
indirecte (comme dans le cas qui nous occupe), elles renversent. Sous cet angle, pourrait se
P 368 justifier ou s'expliquer la cohabitation sous le même titre législatif des Basiliques et de
l'Hexabiblos, d'une part, de l'interdiction formelle de l'appel et, d'autre part, de la possibilité

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d'infirmer les sentences arbitrales, interdiction et possibilité posées par deux constitutions
qui se réfutent l'une l'autre (C 2,55,1 et N. Just. 82,11 respectivement) et qui se distinguent,
hormis par leur contenu, par la date de leur édiction.
iii) L'acceptation a posteriori de la sentence arbitrale par les parties
16. L'acceptation ou le refus a posteriori de la sentence arbitrale par les parties est une
réglementation introduite par Justinien. Le droit antérieur à Justinien ne mentionne nulle part
cette possibilité. La cause en est peut-être que c'était là chose superflue puisque les parties
s'engageaient a priori, au moment de l'élaboration du compromis, à se conformer à la
sentence arbitrale qui allait être rendue. Mais Justinien a disposé que, pour que la sentence
arbitrale devienne exécutoire avec le concours de l'autorité publique (voir ci-dessus IV.a.i), il
était indispensable que les parties l'acceptent et l'entérinent aussi après son prononcé ((48)) .
Cette acceptation peut être formulée oralement ou par écrit. Mais elle peut aussi être tacite
((49)) . Dans ce dernier cas, elle est présumée si, dix jours après le prononcé de la sentence, les
parties ne communiquent pas à la partie adverse ou devant l'autorité judiciaire leur
opposition, auquel cas la sentence devient définitivement obligatoire et obligatoirement
exécutoire ((50)) .
La pratique de l'acceptation a posteriori de la sentence arbitrale se rencontre aussi dans les
documents de l'époque byzantine. Le témoignage que nous fournit le document N° 36
provenant des archives du monastère Docheiariou, où la sentence arbitrale est acceptée par
les parties en conflit après sa délivrance, est significatif à cet égard.

c) Conclusion
17. Il est clair, que même si elles n'instituent pas de divergences radicales par rapport au
modèle romain de l'arbitrage, les modifications introduites par Justinien, à savoir le
P 369 rétablissement de la clause pénale comme élément constitutif du compromis,
l'application obligatoire du droit romain aux sentences arbitrales, mais aussi la nécessité pour
les parties d'entériner a posteriori la sentence arbitrale, constituent néanmoins des
interventions substantielles dans l'évolution de l'institution. En effet, elles créent un cadre
législatif qui consacre la possibilité de dénoncer les sentences arbitrales, la primauté des
tribunaux ordinaires sur les cours arbitrales et l'orientation des arbitres dans la formation de
leur jugement. Toutes ces mesures sont autant de manifestations de l'exercice d'une politique
centralisatrice, qui n'est pas, au demeurant, incompatible avec l'organisation strictement
hiérarchisée de la machine étatique byzantine et le contrôle exercé personnellement par
l'empereur sur tous les secteurs de la vie judiciaire. Pour ce qui est du secteur juridictionnel
notamment, l'exercice de la justice est un domaine qui relève de sa compétence exclusive. Il
est le juge suprême et unique, qui rend la justice par le truchement des fonctionnaires
nommés par lui et qui rendent la justice en son nom. Dans ce contexte, on comprend aisément
que l'exercice d'une tâche juridictionnelle par des personnes librement choisies par les
parties qui, sans être des fonctionnaires de l'Etat, se prononcent sur la base non pas de la
législation écrite, mais en fonction de leur propre sentiment de l'équité, ce qui leur permet de
proposer éventuellement des solutions contraires aux réglementations du droit romain
reconnu comme le seul droit officiel en vigueur dans l'Empire, n'est guère chose acceptable.
En somme, dans le cadre d'un système judiciaire étroitement contrôlé, les réformes de
Justinien pourraient être considérées comme des mesures qui avaient pour but de dévaloriser
les sentences arbitrales et de donner à l'Etat la possibilité d'exercer une surveillance sur ces
mécanismes qui échappaient au contrôle étroit de l'Etat, puisqu'ils permettaient le règlement
des litiges privés de manière non-judiciaire.

V. – Le destin des modifications justiniennes


18. Comme nous l'avons vu, les modifications les plus importantes apportées par Justinien
furent principalement introduites par deux constitutions. Avec la première (Novelle 82,11), par
laquelle la clause pénale devenait un élément constitutif du compromis, furent créées les
conditions du contournement de la sentence arbitrale et du nouveau jugement du différend
P 370 («anapsèlaphèsis») devant les tribunaux ordinaires. Avec la seconde (Novelle 113,1) fut
imposée l'application obligatoire du droit romain aux sentences arbitrales. La question qui
doit nous occuper maintenant est de savoir si et dans quelle mesure ces modifications furent
incorporées au «droit en vigueur» dans la législation post-justinienne, dessinant de la sorte un
cadre admis et viable régissant l'arbitrage pendant toute l'ère byzantine.
La réponse peut être cherchée dans les actes de la pratique, mais aussi dans les dispositions
de deux textes législatifs fondamentaux, postérieurs à la codification justinienne: 1) les
Basiliques, grande codification de la moyenne période byzantine, par laquelle les empereurs
macédoniens, abolissant l'œuvre législative réformatrice introduite par la dynastie isaurienne
au VIIIe siècle, remirent en vigueur, traduit en grec, le droit justinien, et 2) l'Hexabiblos de
Constantin Arménopoulos, abrégé de constitutions législatives de la période byzantine
tardive, rédigé sur une initiative privée dans le but de servir aux juges de l'époque comme
manuel courant pour l'application du droit romain «en vigueur» au XIVe siècle.
19. Observons tout d'abord que le lien étroit entre compromis et clause pénale, institué par la
Novelle 82,11 de Justinien, est repris dans les textes législatifs postérieurs. Leur étroite
connexion est tout à fait significative et prend dans l'Épitomè des Lois, recueil législatif du Xe
siècle, les dimensions d'une identification conceptuelle: «κομπρόμισατουτέστιπρόστιμον»

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(«compromis, c'est-à-dire amende»), lisons-nous dans la constitution 79. Les scoliastes du
droit canon du XIIe siècle soulignent la même chose. Commentant le poids que la législation
accorde à la clause pénale en en faisant une condition constitutive de l'élaboration des
compromis, Aristènos y voit le trait caractéristique fondamental de l'arbitrage du droit
profane. C'est précisément ce qui distingue ce dernier de l'arbitrage du droit canon, selon
lequel, comme nous le verrons, les compromis sont élaborés valablement y compris sans
P 371
clause pénale ((51)) .
20. Pour ce qui est du rejugement («anapsèlaphèsis») des sentences arbitrales devant les
tribunaux ordinaires, il faut procéder aux remarques suivantes: alors que le caractère
recevable de l'anapsèlaphèsis est repris dans le texte des Basiliques (par la citation telle
quelle de la Novelle 82,11 de Justinien) ((52)) , il est révoqué dans une glose, des Basiliques
toujours, où nous lisons: «ουκαναψηλαφάταιητουαιρετούψήφος» («la décision de l'arbitre n'est
pas rejugée») ((53)) . Et nous remarquons quelque chose de similaire dans l'Hexabiblos:
reproduisant dans la constitution 1,4,62 le passage crucial de la Novelle de Justinien,
Arménopoulos omet justement le point où il est question d'anapsèlaphèsis. Ainsi, tandis que la
possibilité accordée aux parties de se dégager de la sentence arbitrale par le paiement de la
peine est reprise, le passage de la constitution prévoyant la possibilité d'introduire le recours
aux fins de rejugement devant les tribunaux ordinaires est omis. Sur ce point, donc, la
réglementation de la Novelle 82,11 de Justinien n'est reproduite que partiellement dans les
textes législatifs postérieurs.
21. Nous observons la même chose pour ce qui est du sort réservéà la Novelle 113,1 de
Justinien. Elle est reprise telle quelle dans les Basiliques, dans les constitutions 2,6,23 et 7,1,17.
Mais aucune de ces constitutions ne répète le passage crucial instituant l'application
obligatoire du droit romain aux sentences arbitrales. Arménopoulos nous fournit davantage de
renseignements. Nous avons vu que l'application obligatoire du droit romain aux sentences
arbitrales introduite par la constitution justinienne supposait que seules les personnes
pourvues d'une bonne connaissance du droit romain pouvaient faire office d'arbitre. Or, cela
ne semble plus de mise à l'époque d'Arménopoulos: c'est ce que nous déduisons de l'un de ses
commentaires sur cette constitution de l'Hexabiblos, qui dispose que la sentence arbitrale est
obligatoire pour les parties «είτεδικαίαείτεάδικόςεστιν» («qu'elle soit juste ou injuste»). En
somme, Arménopoulos dit que la partie qui n'est pas satisfaite de la sentence arbitrale n'a
d'autre choix que de se conformer à celle-ci. Et ce faisant, il ne lui reste plus qu'à se reprocher
son choix concernant la personne de l'arbitre, sans en vouloir à ce dernier, qui s'est
prononcé«en méconnaissance du droit en vigueur», («άπειροςώννόμων»), selon ses propres
P 372 termes. Il ne saurait y avoir de preuve plus claire du fait qu'à l'époque d'Arménopoulos,
un siècle environ avant la chute de l'Empire, la constitution de la Novelle 113,1 de Justinien est
devenue lettre morte dans la pratique.
Nous constatons donc que les modifications introduites par Justinien dans l'institution de
l'arbitrage n'ont pas été conservées telles quelles ou sont demeurées sans effet. Comment
expliquer la brièveté de la vie de ces mesures par lesquelles on avait cherchéà réadapter le
mécanisme du règlement non-judiciaire des litiges privés dans le cadre d'un système
juridictionnel byzantin centralisé qui, pour sa part, est resté immuable dans ses structures
fondamentales jusqu'à la fin de l'Empire?
Il semble donc bien que la réponse se trouve dans le fait que dans la pratique, comme nous
pouvons le voir, ce sont très souvent des ecclésiastiques qui font office d'arbitre. Que Justinien,
par les mesures qu'il introduisait, ait voulu mettre sous contrôle la procédure de règlement
non-judiciaire des litiges, nous l'avons déjà souligné. Mais dans la pratique, la mise en œuvre
de ces mesures se heurte à l'activité arbitrale exercée par les membres de l'Eglise qui, selon
la Novelle 113,1, auraient dû appliquer dans leurs sentences les dispositions d'une législation
qui était étrangère à l'ordre juridique ecclésiastique. D'un autre côté, la possibilité de (payer
la clause pénale et de) contourner les sentences arbitrales, posée par la Novelle 82,11,
supplante de manière directe le rôle des arbitres ecclésiastiques, dans la mesure où leur
décision n'est opérationnelle que si elle n'est pas renversée par le juge profane. Ce qui
d'ailleurs ne semble pas avoir été appliqué dans la pratique, puisque, selon les règles
régissant l'arbitrage ecclésiastique, non seulement le contournement des sentences des
arbitres ecclésiastiques est prohibé, mais leur caractère exécutoire est garanti par des
mesures efficaces.
En conséquence, l'implication générale des membres de l'Eglise dans la procédure de
règlement non-judiciaire des litiges privés et l'application par ceux-ci d'un cadre
réglementaire régissant l'arbitrage différent de celui que prévoyait la législation, sont les
raisons principales qui ont fait que dans la pratique, la mise en œuvre de l'arbitrage a suivi
une évolution différente de celle qu'avait voulue Justinien par les modifications qu'il avait
introduites. Cet arbitrage «parallèle» du droit canon et les écarts qu'il présente par rapport à
P 373 celui qui est prévu par le droit profane méritent que l'on s'y arrête un instant.

VI. – L'arbitrage dans le droit canon


22. L'arbitrage est prévu dans la législation mais aussi dans le droit canon. Il était en effet
possible que doivent être soumis à une solution arbitrale des différends nés entre clercs, qui
choisiraient comme arbitres des membres de l'Eglise. Nous trouvons des informations sur
l'arbitrage du droit canon dans les règles 96 et 122 du Synode de Carthagène et notamment
dans leur commentaire par les commentateurs spécialisés du XIIe siècle, Zonaras, Balsamon,
et Aristènos ((54)) . Ce matériel donne une image assez claire des similitudes et des différences

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que présente cette institution entre le droit canon et le droit profane. L'arbitrage
ecclésiastique est également cité par la disposition Δ, 7 du «Syntagma» du moine prêtre
Matthaios Blastarès, qui ne fait toutefois que reprendre les constitutions portant sur
l'arbitrage qui se trouvent dans la législation profane et les règles qui sont globalement citées
((55)) .
De ces sources, il résulte que l'appel contre les sentences des arbitres ecclésiastiques est
interdit: la sentence arbitrale «μηδενίεζέστωεκκαλείσθαι» («ne peut en rien faire l'objet d'un
appel») ((56)) . Sur ce point, il y a harmonisation du droit canon avec les dispositions de la
législation. Mais avec le rétablissement auquel procède Justinien de la clause pénale comme
élément constitutif du compromissum, cette règle, comme nous l'avons vu, perd de sa force
dans la pratique puisque les parties mécontentes peuvent, en payant la peine convenue,
contourner la sentence arbitrale et introduire leur différend devant un autre tribunal pour
qu'il le juge. Commentant cette possibilité alternative accordée par la législation aux parties
mécontentes, les scoliastes du droit canon font observer que la clause pénale rend superflue,
en réalité, l'interdiction de l'appel contre les sentences arbitrales, puisque le fait que la
première tombe mène en pratique au même résultat que la seconde ((57)) . Et, cherchant à
contourner cette faiblesse et à conférer une force irrévocable aux sentences arbitrales des
membres de l'Eglise, ils ne reconnaissent pas la clause pénale comme une condition de la
validité de l'élaboration du compromis, car elle crée les conditions d'un affaiblissement des
P 374 sentences arbitrales ((58)) . De cette façon, ils mettent un frein à la possibilité accordée
aux parties mécontentes de contourner par un moyen légal les sentences arbitrales en les
rendant en tout cas obligatoires pour les parties et non susceptibles d'appel dans la pratique.
Par conséquent, la différence fondamentale entre la législation et le droit canon réside dans la
clause pénale du compromis ((59)) . Selon le droit profane, elle en constitue un élément
constitutif; dans le droit canon, son existence est totalement négligée. Cette différenciation
est d'ailleurs indiquée par la législation, qui reconnaît la validité des compromis qui ne
contiennent pas de clause pénale et par lesquels sont désignés comme arbitres des
ecclésiastiques ((60)) . De cette manière, la décision de ces derniers est en tout cas obligatoire
pour les parties, qui ne disposent d'aucun moyen recevable de l'ignorer. Même, donc, si elles
sont mécontentes de la sentence arbitrale, elles doivent l'exécuter. Et pour garantir dans la
pratique la conformité des parties à cette décision, l'Eglise mobilise le moyen suprême de
coercition, le seul qu'elle possède, mais doté d'une efficacité redoutable: l'excommunication.
Dans le cas où la partie mécontente refuse d'accepter la décision de l'arbitre ecclésiastique,
l'évêque a le droit de lui imposer la peine de l'excommunication mineure, à savoir le refus de
la communion, jusqu'à ce qu'elle obéisse ((61)) . Il s'agit là d'un moyen d'application
immédiate et doté d'une efficacité de loin supérieure, au sein de la société chrétienne de
Byzance, à celle de l'introduction d'une nouvelle action par une requête demandant
l'exécution de la sentence arbitrale qui est la procédure prévue dans ce cas par la législation
profane (voir ci-dessus).
De la sorte, l'arbitrage ecclésiastique se distingue de celui de la législation non seulement
pour les conditions de soumission d'un litige à un règlement arbitral, mais aussi pour ce qui
concerne les moyens de garantir le caractère exécutoire de la sentence arbitrale. Par des
procédures plus simples que celles qui sont prévues par le droit profane, l'Eglise parvient à
rendre les décisions de ses membres non seulement fortes et irrévocables, mais aussi
P 375 exécutoires dans la pratique.
23. Les règles qui régissent l'arbitrage ecclésiastique ont un vaste champ d'application. Bien
que les commentateurs se réfèrent au règlement arbitral des litiges surgissant entre clercs, ces
règles s'appliquent également quand les parties sont des laïcs. Cela ne nous étonnera pas plus
que le reste. A Byzance, le fait que les laïcs puissent comparaître aussi devant les tribunaux
ecclésiastiques est une règle consacrée par la législation. C'est ainsi que, outre la compétence
exclusive que possèdent les évêques de régler les litiges entre clercs, par la Novelle 86,7,
Justinien leur a aussi octroyé des compétences judiciaires sur les laïcs. Puisque les
ecclésiastiques peuvent être juges dans des litiges opposant des laïcs, on comprend aisément
qu'ils puissent d'autant plus être choisis par eux comme arbitres. Les actes de la pratique
viennent confirmer notre propos. Les témoignages ne manquent pas, qui nous permettent de
constater que dans les litiges auxquels l'une des parties au moins est un laïc, ce sont des
ecclésiastiques qui sont choisis comme arbitres. Leur intervention comme arbitres dans les
litiges opposant des laïcs n'est pas exclue par la législation, comme nous avons eu l'occasion
de le voir dans les lignes qui précèdent. Et le cas n'était pas rare dans la pratique, comme
l'ont montré les études portant sur le sujet.
En somme, l'arbitrage du droit canon s'applique aux litiges indépendamment du fait que les
parties soient des clercs ou des laïcs. En d'autres termes, le critère de la mise en œuvre de
l'arbitrage du droit canon n'est pas la qualité des parties (comme c'est la cas pour la
juridiction judiciaire où, en raison du privilegium fori des clercs, ont compétence exclusive pour
le règlement des litiges nés entre eux les tribunaux ecclésiastiques), mais celle de l'arbitre,
qui doit être un clerc ((62)) .
Il faut voir, à mon avis, dans l'application de l'arbitrage ecclésiastique aux différends entre
laïcs (ou bien là où l'une des parties au moins est un laïc) la cause de la non-application fidèle
des constitutions sur l'arbitrage de la législation profane. C'est elle qui mène à la formation
d'une «pratique de l'arbitrage» qui présente des divergences par rapport au cadre
réglementaire de la législation en matière d'arbitrage et qui confère à cette institution son
P 376 caractère proprement «byzantin».

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References
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(1)) Pour ce qui concerne l'arbitrage romain, la bibliographie est relativement riche. Voir à
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O. Bigues, «La resolucion amistosa de los conflictos en derecho romano: el “arbiter ex
compromisso”», Madrid 1990.
(2)) Sur les termes «μεσίτες», «μεσιτεύοντες», v. Bas. 12,1,74 scol. 2., et Hexab. 1,4,54, scol. Sur
le terme «διαγνώμονες», v. Bas. 7,1,14; on le rencontre aussi pour désigner le juge en
général: N. Just. 125,1. Notons toutefois que, bien que les arbitres se rencontrent le plus
souvent sous les appellations de «αιρετοίδικασταί»[«juges choisis»] ou
«κομττρομισσάριοι»[«compromissarioi»], ces expressions apparaissent sous un contenu
tantôt identique (N. Just. 113,1, N. Just. 82,11, Epitomè des Lois 1,4,76), tantôt opposé,
auquel cas la première désigne les arbitratores et la seconde les arbitres (Bas. 7,2,3, scol.
2). Voir aussi Bas. 7,1,14, scol. 3.
(3)) D. 17,2,76.
(4)) Voir la scolie 2, très significative, sur la constitution 7,1,14 des Basiliques:
«Δύοεισίνείδηδιαγνωμόνων. Καιτοιςμενεμμένειναναγκαζόμεθα... ωςεττίαιρετώνδικαστών,
τοιςδε ou ττάντως, αλλ' ωςανήραγαθόςδοκιμάσωσιν»[«Il y a deux sortes de juges
(donneurs d'avis). Avec les uns nous sommes obligés de nous conformer, comme dans le
cas des juges choisis; avec les autres pas du tout: ils jugent comme un homme de bien»].
(5)) Bas. 7,1,14, scol. 3: «Αιρετόςμενλέγεται, ότανμηατταιτηθήηττοινή. Κομττρομισσάριοςδε,
ότανσυμφωνηθή»[«Il est dit ‘choisi’ quand la peine n'est pas requise;‘compromissarios’,
quand elle a été convenue»].
(6)) Bas. 7,2,14 (= D. 4,8,14).
(7)) D. 4,8,3,1 et 2 (= Bas. 7,2,3).
(8)) Sur ces deux conventions, voir C. 2,55,4,2 et 2,55,5. Voir aussi la Novelle Just. 113,1:
«είτεεγγράφωςείτεγραμμάτωνχωρίς»[«soit par écrit soit sans écrit»]. Doch. 38, v.5 et 10,
combinéà Doch. 36.
(9)) Kutl. 33, v. 78.
(10)) Doch. 36, v. 8.
(11)) Kutl. 33, v. 29-30: «καιηρετίσαντοημάςαιρετούςκριτάς,
διαβεβαιωσάμενοιττρότεροντούτοδι'
οικείουγράμματοςώστεστέρζαιαυτούςότιανημίνφανείηδίκαιον»[«et ils nous ont demandé
d'être des juges choisis, après avoir affirmé au préalable par un écrit approprié
d'accepter ce qui nous semblerait juste»].

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(12)) Voir le cas exemplaire cité dans Kutl. 33, v. 78-82.
(13)) La distinction entre délits publics (crimina) et délits privés (delicta) est romaine. Voir à ce
sujet G. Longo, Delictum e Crimen, Milan 1976.
(14)) D. 4,8,32,6.
(15)) D. 4,8,32,7.
(16)) Xerop., 27; Doch. 36, et Inedita, 3 respectivement.
(17)) Register 44, Kutl. 32/33.
(18)) Bas. 7,2,14, scol. 3.
(19)) Voir à ce propos J. Modrzejewski, «Private Arbitration in the Law of Greco-Roman Egypt»,
Journal of Juristic Papyrology 6 (1952), 250.
(20)) D. 4,8,21, prologue et 6, et D. 4,8,46.
(21)) C. 2,3,29.
(22)) D. 4,8,17,5-7.
(23)) D. 4,8,7 et 9.
(24)) D. 4,8,7.
(25)) D. 4,8,9,1 et 2.
(26)) D. 4,8,32,4.
(27)) Xerop. 27, Doch. 36, Register 44.
(28)) Register 44.
(29)) Acta 91.
(30)) Kutl. 32 et/ou 33 [clercs dans l'Egypte byzantine].
(31)) Doch. 36.
(32)) Acta 91.
(33)) C. 2,55,4,1.
(34)) C. 2,55,5, prologue.
(35)) C. 2,55,5, prologue.
(36)) D. 4,8,1,1-2 (= Bas. 7,2,11,1).
(37)) D. 4,8,30 (= Bas. 7,2,30 = Hexab. 1,4,50).
(38)) D. 4,8,2 (= Bas. 7,2,2 = Hexab. 1,4,54): «Ex compromisso placet exceptionem non nasci, sed
poenae petitionem»[«Il peut naître du compromis non pas une exception mais une
revendication concernant la peine»].
(39)) N. Just. 82,11: «...
οιτονδικαστήνήτουςδικαστάςαιρούμενοιμετάττοινήςαυτούςεττιλεγέσθωσαν...
καιανάγκηνεχέτωσανήεμμένειντηκρίσειή, είττεραναψηλαφήσαιβουλήθείεν,
πρότερονδούναιτοπρόστιμονούτωτεάδειανέχειναναχωρείντωνκεκριμένωνκαιεφ'
έτερονχωρείνδικαστήν»[«ceux qui ont choisi le juge ou les juges les ont élus avec une
peine et se sont engagés soit à se conformer à leur jugement soit, s'ils veulent un
réexamen, à payer d'abord l'amende et ainsi à obtenir l'autorisation de refuser le
jugement et de recourir à un autre juge»].
(40)) C. 2,55,4,1 et 2,55,4,3.
(41)) D. 4,8,19, prologue.
(42)) N. Just. 113,1: «κελεύομεντονδικαστήν...
κατάτουςγενικούςημώννόμουςτοπράγμαεζετάζεινκαινομίμωπέρατιπαραδιδόναι...
καιταύτάφαμενείτεεκθείουημώνθεσπίσματοςδικάζειντιςετάχθηείτεεκπροστάζεωςαρχικήςείτ
εκατάτοτωναιρετώνήκομπρομισσαρίωνδιαγνωμόνωνσχήματηςζητήσεωςακροάται...
«Ημείςγάράπανταςτουςδικαστάςκατάτουςγενικούςημώννόμουςτάςτεεζετάσειςτάςτεκρίσειςπ
οιείνβουλόμεθα»[«Nous ordonnons que le juge examine l'affaire selon nos lois générales
et lui donne une fin légale. Et nous disons qu'il en soit ainsi, que l'on juge soit à partir de
notre divine ordonnance ou bien selon la formule des juges choisis ou des
compromissarioi. Car nous voulons que tous les juges examinent les affaires et rendent
leurs décisions conformément à nos lois générales»].
(43)) «ταύτην... άκυρονείναιβουλόμεθαωςμηδέτηνεκτωνκομπρομίσσωνεπάγεινποινήν» (ibid.)
[«Nous voulons que cette décision soit nulle, de sorte qu'il n'en émane pas même la
peine prévue dans les compromis»].
(44)) D. 4,8,27,2; D. 4,8,32,14; C. 2,55,1.
(45)) Voir sur ce point D. 4,8,32,14, où l'«anapsèlaphèsis» est qualifiée de «appellandi species»
(«κατάμίμησιντηεκκλήτω») [«espèce d'appel»], comme nous pouvons le lire dans la scolie
3 de la constitution 7,2,27 des Basiliques. Voir aussi C. 7,62,35, ainsi que la N. Just. 82,12.
(46)) N. Just. 82,11: «καιεφ'έτερονχωρείνδικαστήν»[«qu'il y ait un autre juge»].
(47)) Il est possible que cet emploi du terme «anapsèlaphèsis» pour faire entendre, en fait,
l'appel, ait étéà l'origine de l'identification conceptuelle établie par les juristes
byzantins après Justinien entre les termes «έκκλητον» et «αναψηλάφισις». Voir par
exemple Bas. 7,2,19, scol. 1: «ουκαναψηλαφάταιητουαιρετούψήφος,
ήτοιουκεκκλητεύεται»[«la sentence du juge choisi n'est pas réexaminée, c'est-à-dire
susceptible d'appel»]. Voir aussi Eisagogè, 11, par. 5,6 et 9.
(48)) C. 2,55,4,2 et 2,55,5.
(49)) «Silentio partium sententiam roboratam esse»[«la sentence peut être consolidée
tacitement par les parties»] (C. 2,55,5).
(50)) Ibid.

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(51)) «Ομενπολιτικόςνόμος... φρονεί... μηάλλωςαιρετόνσυνίστασθαιδικαστήριον,
ειμηπρότερονέκαστοςτωνκρινομένωνπρόστιμονεπερωτηθή...
Διάτούτοουδέέκκλητοςκατάτηςαποφάσεως (i.e. τουδιαιτητή)
χώρανέχειδιάτοκαιχωρίςεκκλήτουδύνασθαιτοναπαρεσκόμενονμόνοντοπρόστιμονκαταβαλό
νταυπαναχωρείναυτού» (Rallis-Potlis,........., 539) [«la loi civile dit que le tribunal choisi ne
soit pas constitué si auparavant chacun des litigants n'a pas été interrogé sur l'amende.
C'est pourquoi il n'y a pas d'appel possible contre la décision (de l'arbitre), et sans appel
la partie mécontente peut refuser la décision uniquement si elle a payé l'amende»].
(52)) Bas. 7,11,14.
(53)) Bas. 7,2,19, scol. 1.
(54)) Voir les textes dans Rallis-Potlis, t. III.
(55)) Ibid., t. VI, p. 220-1.
(56)) 96e Canon du Concile de Carthagène, Rallis-Potlis, t. III, p. 537.
(57)) Ibid., p. 539.
(58)) Ibid., p. 538 (et 539).
(59)) On rencontre dans les actes de la pratique des compromis dans lesquels, bien que les
parties s'engagent mutuellement à l'avance à respecter la sentence arbitrale, cet
engagement n'est pas garanti par une clause pénale.
(60)) Bas. 12,1,74, scol. 1.
(61)) Commentaire de Balsamon au canon 122 du Concile de Carthagène, ibid., p. 585.
(62)) La possibilité, pour les personnes détenant le sacerdotium, de faire office d'arbitre est
aussi prévue dans la législation romaine. Voir à ce propos D. 4,8,32,4, et supra, sous II.4.

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