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La fonction visuelle

par Yvon GRALL


Professeur des Universités
Praticien hospitalier.
Chef du service de Biophysique et Médecine nucléaire
U.F.R. Lariboisière Saint-Louis

1. Le système visuel E 5175 - 2


1.1 La rétine — 2
1.2 Les voies de conduction — 5
1.3 Le cerveau visuel — 6
2. Psychophysique de la vision — 7
2.1 La trivariance visuelle — 7
2.2 La sensation de luminance — 7
2.3 La fonction de sensibilité au contraste — 9
2.4 Les qualités chromatiques — 11
3. Conclusion : les perspectives de la recherche — 12
Pour en savoir plus Doc. E 5175

e système visuel comporte, comme les autres systèmes sensoriels de


L l’homme, un organe périphérique, l’œil, chargé de la formation de l’image et
de la transduction sous forme de signaux transmissibles le long des voies ner-
veuses, puis un appareil cortical d’analyse dont la complexité n’a pas encore été
totalement déchiffrée.
Nous ne parlerons pas ici de la première partie de l’œil, composée de tissus
transparents (cornée et cristallin séparés par un liquide de composition voisine
de l’eau salée) dont le rôle consiste à former une image nette sur la rétine, tissu
neuronal très fin recouvrant le fond de l’œil. Il est à noter toutefois qu’une opti-
que de courte focale (25 mm environ entre le pôle antérieur et le pôle postérieur
de l’œil) projetant une image sur une surface hémisphérique concave ne peut
obtenir une qualité d’image constante. Celle-ci est maximale sensiblement dans
l’axe du regard (direction de la fovéa que nous retrouverons ci-après) puis se
dégrade très rapidement en vision latérale, entraînant un abaissement concomi-
tant de l’acuité visuelle. Les performances de notre tissu rétinien seront égale-
ment fonction de cette caractéristique.
Au-delà, l’organe d’analyse cortical est extrêmement diversifié, mais là aussi
ne peut faire face avec la même puissance aux traitements des diverses informa-
tions qui affluent vers lui par les voies sensorielles. C’est ainsi que notre cerveau
visuel privilégie la localisation spatiale au détriment de l’analyse fréquentielle
comme nous le verrons par la suite.
Tout ceci nous permettra de mieux comprendre et d’apprécier le comporte-
ment visuel humain en fonction de conditions expérimentales précises. C’est le
domaine de la psychophysique où nous verrons de façon plus détaillée l’établis-
sement des unités visuelles, la fonction de sensibilité au contraste et la vision
des couleurs.

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Muscle extrinsèque externe

Côté temporal
Corps ciliaire
Humeur aqueuse Sclérotique
Zonule de Zinn
Fovéa
Cornée transparente Choroïde
Corps vitré
Pupille Cristallin Rétine
Papille
Iris Nerf optique

Sillon scléral circulaire Côté nasal


Muscle extrinsèque interne

Coupe de l’œil humain

1. Le système visuel
Photorécepteurs

1.1 La rétine
Cellules
horizontales
Il s’agit comme nous l’avons dit d’un tissu neuronal très fin (0,1 à
0,5 mm d’épaisseur) dont les destructions par maladie ou trauma-
tisme seront sensiblement définitives, puisque les neurones sont
des cellules qui ne se reproduisent pas au cours de la vie.
La rétine comporte schématiquement 3 couches cellulaires princi- Cellules
pales (figure 1). bipolaires

■ La couche des récepteurs, la plus profondément située (la rétine Cellules


humaine étant « inversée » puisque les récepteurs sont les plus éloi- amacrines
gnés de la pénétration des rayons lumineux) comporte environ
100 millions de récepteurs, eux-mêmes de deux types distingués
depuis longtemps par leur forme : les bâtonnets (environ 95 %) et
les cônes (5 %). Les cônes sont seuls présents dans la région cen- Synapse Dendrite
trale de la rétine, constituant un bouquet très serré de cellules sen-
sorielles situées au fond d’une légère dépression appelée fovéa. De Cellules
plus, dans cette fovéa, les autres couches, rejetées à la périphérie, ganglionnaires
Corps
laissent pénétrer la lumière plus aisément que dans les autres par- cellulaire
ties de la rétine. La surface fovéale couvre à peine 1 % de la rétine,
le reste comportant à la fois cônes et bâtonnets, ces derniers nette-
ment plus nombreux comme nous l’avons vu. Axone

■ La couche intermédiaire comporte plusieurs catégories de Nerf optique


cellules : Structure de la rétine
— les bipolaires, articulées entre les récepteurs et les ganglion-
En haut, la couche des photorécepteurs (cônes et bâtonnets)
naires de la 3e couche, constituent la voie directe de transmission de
Au milieu, la couche intermédiaire : cellules bipolaires, cellules
l’information ;
horizontales, cellules amacrines
— les horizontales, en contact avec les synapses « récepteurs- En bas, la couche des cellules ganglionnaires
bipolaires » ; A noter que la lumière provient du bas de la figure et traverse les
— les amacrines, en contact avec les synapses « bipolaires- diverses structures avant de parvenir aux photorécepteurs
ganglionnaires ».
Ces deux derniers types de cellules forment un système de Figure 1 – Structure de la rétine
contrôle de la transmission d’information, permettant au système
rétinien de tenir compte des événements issus du voisinage, en vue
de renforcer ou de modifier le message transmis (effet de bord,
contraste, etc.). l’intermédiaire d’un relais important situé dans le corps géniculé
latéral (CGL).
■ La couche des ganglionnaires, regroupant un million environ de
cellules dont les cylindraxes se réunissent pour former le nerf Un peu à part se situe la papille, émergence du nerf optique dans
optique qui transmettra les informations visuelles au cerceau par la rétine, où aucun récepteur n’est présent. Cette zone insensible ou

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tache aveugle, située dans le champ visuel à environ 17° à l’exté- molécule de rhodopsine ayant subi l’isomérisation de son rétinal.
rieur de l’axe du regard, n’entraîne pourtant aucune cécité partielle Notons qu’à l’inverse des autres cellules neuronales, le récepteur
détectable dans notre vision monoculaire, grâce à des phénomènes visuel est dépolarisé en l’absence de stimulation et hyperpolarisé
de compensation cérébraux. lorsque la lumière pénètre jusqu’à lui.
D’un point de vue fonctionnel, nous allons indiquer brièvement Le cycle lent de reconstitution du pigment des bâtonnets passe
quelques-uns des éléments les plus importants de l’activité de la par la présence dans l’alimentation d’un précurseur, la vitamine A
rétine, issus de nombreuses recherches que nous ne pouvons que ou carotène (cycle de Wald).
résumer très rapidement et très imparfaitement ici.
On connaît un peu moins bien les pigments des cônes ; ceux-ci
■ Le phénomène déclenchant : c’est dans tous les cas une réaction sont déjà relativement peu nombreux dans la rétine et n’existent
photochimique née dans l’article externe des récepteurs et mettant pas, loin de là, chez tous les animaux. Chez ceux qui en possèdent (y
en jeu la transformation d’un pigment spécifique. Compte tenu de compris l’homme) on a pu distinguer trois types de cônes en fonc-
leur nombre, ce sont les bâtonnets qui ont été les plus étudiés, leur tion de la bande de longueurs d’onde correspondant à leur
pigment a été dénommé rhodopsine (figure 2) formée d’une grosse meilleure sensibilité dans le spectre visible (figure 3) :
molécule, l’opsine et d’un groupement prosthétique, le rétinal qui
peut s’isomériser sous l’action d’un photon. Il s’ensuit une cascade — les cônes S correspondant aux courtes longueurs d’ondes
rapide d’amplifications (rappelant l’action hormonale et pouvant (bande des bleus), ce sont les moins nombreux (5 à 10 % environ) ;
être comparée dans ce cas précis au fonctionnement d’un photo- — les cônes M correspondant aux longueurs d’ondes de
multiplicateur) où des protéines particulières, notamment la trans- moyenne valeur (bande des verts). Ils représentent à peu près un
ducine, finissent par activer un très grand nombre de molécules de tiers de la population des cônes ;
guanylate monophosphate cyclique (GMP c) grâce à une phospho-
diestérase. Ces molécules de GMP c peuvent entraîner la fermeture ■ les cônes L correspondant aux grandes longueurs d’ondes
de 10 6 canaux sodium de la membrane du récepteur, pour une seule (bande des rouges, 60 % des cônes).

Photon

GDP GDP
Phosphodiestérase (PDEi) a Transducine PDEi a T
g g
b b
a b Rhodopsine a b Rhodopsine
g g

5 GMP GTP
Hydrolyse du GTP
Inactivation de la rhodopsine
GMP cyclique GDP
Régénération de la rhodopsine

TP
Tbg G Tbg
Ta.GTP.PDE g Ta.GTP
GTP
GTP

PDE ab Rhodopsine Rhodopsine

Dans le sens des aiguilles d’une montre en commençant par le schéma de gauche en haut :
- la rhodopsine voit le rétinal qu’elle contient isomérisé par l’absorption d’un photon ;
- sous sa nouvelle forme, une molécule de rétinal agit sur de nombreuses molécules de transducine qui se décomposent en divers éléments,
dont les "sous-unités" alpha qui vont se fixer sur les molécules de phosphodiestérase (PDE) ;
- chacune de celles-ci va à son tour activer de très nombreuses unités de GMP cyclique qui agissent sur les canaux ioniques, réalisant finalement une
amplification importante de l’ordre de 106 ;
- enfin, par des mécanismes d’ailleurs encore mal élucidés, la rhodopsine reprend sa composition initiale et le cycle peut reprendre.

Figure 2 – Phénomènes photochimiques au niveau de la rhodopsine dans l’article externe des bâtonnets

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Cônes

Absorption relative (%)


100 Pigment vert Pigment rouge

90
80
70
60
ON OFF OFF Cellules ON
50 bipolaires
40
30
20
Pigment bleu
10 Corps ON
ON OFF OFF
géniculé
0 latéral
(CGL)

400 450 500 550 600 650 Figure 4 – Système « ON-OFF » schématique dans le cas des cônes
Longueur d’onde (nm)

Figure 3 – Sensibilité des trois types de cônes humains en fonction


de la longueur d’onde Cône Bâtonnets

Vraisemblablement, le rétinal inclus dans les pigments des cônes


est le même que celui de la rhodopsine, mais les molécules asso-
ciées diffèrent de l’opsine des bâtonnets et diffèrent entre elles. Ce
sont les cônes qui nous permettent de disposer de la vision des cou-
leurs grâce aux signaux variés issus simultanément des trois types Cellules
ON bipolaires ON
de cônes lorsqu’ils sont stimulés par une teinte dominante détermi-
née. Compte tenu de l’étendue des longueurs d’ondes couverte par
la réponse spectrale d’un cône, un changement d’intensité lumi-
neuse de la stimulation entraînera sensiblement des variations de
même type sur toutes les familles de cônes. Par contre, une varia- A II Cellule
tion de composition spectrale de la lumière produira des variations amacrine
de signes contraires dans les signaux issus de cônes de types diffé-
rents. Un seul type de récepteur (ce qui est, répétons-le, le cas de
nombreux animaux...) ne permet évidemment pas cette réponse Corps
géniculé
« différentielle » et ne fournit d’information que sur les niveaux de ON OFF
latéral
luminance, sans perception colorée associée. (GGL)

■ Le traitement rétinien de l’information : il fait de la rétine, en plus


de la détection décrite précédemment, un véritable organe de traite-
ment et de mise en forme du signal. Il est indispensable puisque les A II cellule amacrine de type II
fibres du nerf optique (axones des ganglionnaires) sont comme
nous l’avons vu environ 100 fois moins nombreuses que les récep-
teurs. Il y a donc choix dans les informations transmises vers les Figure 5 – Système « ON-OFF » schématique dans le cas
centres supérieurs. des bâtonnets
■ À chaque cellule des différentes couches neuronales, correspond
un ou plusieurs récepteurs occupant une certaine surface sur la
rétine : c’est cette surface qui sera dénommée champ récepteur de hyperpolarisation). Les cellules bipolaires sont spécialisées : celles à
la cellule en question. Les champs récepteurs sont très inégaux à la cônes sont en général au nombre de deux à entrer en contact avec
surface de la rétine, très petits au centre, où à la limite ils peuvent ne un seul cône (ON et OFF), cependant que les bipolaires à bâtonnets
correspondre qu’à un seul récepteur, ils sont de plus en plus vastes peuvent faire synapse avec un nombre variable de bâtonnets, de
vers la périphérie où, à l’extrême, ils regroupent plusieurs centaines plus en plus important au fur et à mesure qu’on s’éloigne de la
de récepteurs. Les performances visuelles réalisées dans le fovéa. Les contacts entre les bipolaires et les ganglionnaires peu-
domaine de la perception des détails varient évidemment en raison vent s’effectuer aussi de plusieurs façons. En particulier, les cellules
inverse de ces surfaces et ceci constitue le facteur principal de la bipolaires à bâtonnets passeraient toujours par l’intermédiaire
chute rapide de l’acuité visuelle en vision périphérique. d’une cellule amacrine (figures 4 et 5). L’information directe passant
Pour effectuer le tri des informations issues d’un champ récep- des récepteurs aux ganglionnaires par l’intermédiaire des bipolaires
teur, les cellules de la couche intermédiaire fonctionnent grâce à un est ainsi modulée en fonction des événements voisins grâce aux
jeu croisé d’excitations (effet « ON » correspondant cette fois à une contacts réalisés à une certaine distance par les cellules horizontales
dépolarisation) et d’inhibitions (effet « OFF » correspondant à une et amacrines. Ce dernier phénomène joue certainement un rôle

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dans le renforcement des contrastes et la détection des « bords » Les cellules ganglionnaires sont de deux types principaux
dans une image. (tableau 1) :
Enfin, les cellules des deux premiers étages rétiniens (récepteurs, — les ganglionnaires naines (correspondant aux cellules X ou
bipolaires, horizontales) communiquent grâce à des potentiels gra- toniques identifiées chez le chat), les plus nombreuses, chacune
dués, c’est-à-dire des variations continues de potentiels de membra- connectée à peu de cellules (champ récepteur étroit) réagissant de
nes, soit dépolarisants, soit hyperpolarisants. façon ON ou OFF selon les cas, souvent sensibles au caractère chro-
matique de la stimulation. Elles sont plus fréquentes au centre de la
rétine et sont connectées, dans le CGL, à des groupes de cellules-
relais de petite taille constituant le système dit parvocellulaire ;
1.2 Les voies de conduction — les ganglionnaires dites parasol en raison de leur forme, pos-
sédant chacune des connexions rétiniennes plus étendues, peu ou
pas sensibles aux contrastes de couleurs. Elles correspondent vrai-
Celles-ci commencent dès la rétine, au niveau de l’étage des gan- semblablement aux cellules dites Y ou phasiques du chat. En sus
glionnaires dont les fibres efférentes constituent, nous l’avons vu, des réponses soit ON, soit OFF, elles peuvent aussi réagir par une
les deux nerfs optiques qui véhiculent l’information jusqu’au relais volée d’influx à l’établissement comme à l’arrêt d’une stimulation
des corps géniculés latéraux (CGL). (réponse dite ON-OFF) favorisant ainsi la détection des variations
transitoires d’état. Elles se situent plutôt autour du centre rétinien et
Dans le cas des cellules ganglionnaires, les signaux émis doivent en périphérie et sont reliées au système dit magnocellulaire (gran-
se propager à une relativement grande distance (quelques centimè- des cellules) du CGL.
res au lieu de quelques dizaines de micromètres dans l’épaisseur de
On voit immédiatement que la rétine est loin d’être un simple
la rétine). La ganglionnaire émet donc des potentiels d’action (PA),
écran d’enregistrement passif du flux lumineux qui lui parvient, à
c’est-à-dire des volées d’influx toutes de même amplitude où le
l’imitation du tapis de diodes d’un caméscope. Il s’agit d’un véritable
codage du message sera représenté par la variation de fréquence
centre de traitement de l’information, qui, à partir de l’analyse pous-
des potentiels émis. C’est en quelque sorte une transcription en
sée de la lumière qui lui parvient, élabore un signal complexe codé
modulation de fréquence du message jusque-là transmis (et éven-
en fonction des capacités de réception des centres supérieurs. Plu-
tuellement modifié) en modulation d’amplitude dans les cellules
sieurs canaux séparés traitent vraisemblablement des différentes
intrarétiniennes situées à proximité les unes des autres. Au repos,
caractéristiques de l’image, par exemple la perception des formes,
en dehors de toute stimulation, la ganglionnaire émet des PA selon
l’information colorée, la détection des mouvements et l’organisa-
un rythme de base identifié comme tel dans les relais suivants. La
tion spatiale.
réponse excitatrice (ON) sera constituée par l’augmentation de la
fréquence d’émission des PA, l’inhibition (OFF) entraînant la diminu- Avant de parvenir au CGL, les fibres des nerfs optiques subissent,
tion de la fréquence, voire l’arrêt momentané des PA. Ces types de chez l’homme, une décussation partielle au niveau du chiasma opti-
réponses pourront se prolonger durant toute la stimulation ou au que (figure 6). Les fibres issues des deux hémirétines gauches (et
contraire apparaître transitoirement lors de l’établissement ou de la recevant par conséquent, compte tenu du renversement optique lié
cessation du stimulus. aux milieux antérieurs de l’œil, l’image du champ visuel droit) se
rassemblent et se dirigent ensemble (mais non fusionnées) vers le
La notion de champ récepteur s’applique naturellement aux cellu- CGL et le cerveau gauche. Inversement, les fibres des deux hémi-
les ganglionnaires et on retrouve la plupart du temps un comporte- rétines droites, captant l’image venant de la partie gauche du champ
ment antagoniste entre le centre et le pourtour du champ récepteur. visuel, se rassemblent du côté droit, vers le cerveau droit.
Par exemple, un champ récepteur pourra être excité par une
stimulation apparaissant en son centre (centre-on) et inhibé par une
stimulation située sur un de ses bords (périphérie-off). Il en est
Champ visuel droit Champ visuel gauche
de même pour la détection des couleurs (antagonisme spectral Champ visuel gauche Champ visuel droit
cônes M/cônes L ou cônes S/cônes L + M ) ou celle du mouvement.

Tableau 1 – Caractéristiques des différents types


de cellules ganglionnaires
Rétine
Système X cellules Système Y cellules Globe oculaire gauche Globe oculaire droit
Caractéristiques
naines parasol
Nerf optique
Proportions 75 à 90 % 10 à 25 %
Localisation Surtout au centre Péricentre/Périphérie Chiasma optique

Réponses ON ou OFF ON, OFF et souvent ON/


OFF Corps
genouillés
Sensibilité Chromatique (> 60 %) Luminance latéraux Bandelette optique
(contrastes) Voies
Latence Courte (20 ms) Longue (50 ms) réflexes
Vitesse Lente (20 m/s) Rapide (40 m/s) Tubercules
quadrijumeaux
Champ récepteur Étroit (1 seul cône Large (100 cellules ou antérieurs
à la fovéa) plus en périphérie)
Aires visuelles primaires Radiations optiques
Résolution spatiale Élevée Faible
Résolution temporelle Faible Élevée
Détection Faible Bonne Aires associatives Aires associatives
du mouvement
Cortex occipital
Connexions Système Système
parvocellulaire magnocellulaire Figure 6 – Disposition schématique des voies visuelles chez l’homme

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Au niveau des CGL, les deux systèmes décrits ci-avant (parvo et leurs, mouvements, vision binoculaire, etc.). D’une colonne à l’autre,
magnocellulaires) reprennent les informations issues des fibres des la différence vient simplement de la portion du champ visuel qui leur
nerfs optiques et communiquent avec le cerveau visuel par l’inter- est affectée, ce champ pouvant être très réduit d’où une représenta-
médiaire de leurs axones regroupés sous le nom de radiations opti- tion poussée des détails (vision centrale) ou au contraire large avec
ques. On peut noter d’emblée que les fibres parvo (P ) et magno- une prééminence donnée à d’autres caractéristiques de l’image
cellulaires (M ) gardent leur autonomie jusqu’à l’aboutissement de comme le mouvement (vision périphérique). Hubel et Wiesel
leur trajet au niveau du cortex. C’est ainsi que les informations avaient également proposé une discrimination entre cellules sim-
issues de chaque œil voyagent ensemble, mais séparées, jusqu’au ples (aboutissement des voies de conduction de type X, antago-
cerveau. nisme centre-périphérie du champ récepteur et traitement prioritaire
de l’information spatiale) et cellules complexes, voire hyper-
complexes sans phénomènes de sommation ni d’antagonismes
dans leurs champs récepteurs. Ces suggestions restent pour
l’instant des hypothèses parmi d’autres.
1.3 Le cerveau visuel
— l’orientation : Hubel et Wiesel ont particulièrement étudié la
sensibilité à l’orientation spatiale de divers stimulus et les réponses
On pénètre ici dans un domaine difficile et encore relativement cérébrales correspondantes. Ils ont pu établir en présentant soit des
mal connu, où de grandes avancées ont pu être faites dans les der- fentes, soit des bords lumineux diversement inclinés à des singes, que
nières décennies grâce à des travaux remarquables chez le primate, le cortex strié réagissait très finement en fonction de l’orientation du
seul animal à posséder une organisation visuelle cérébrale compa- stimulus et que des différences d’inclinaison de 10 degrés entraînaient
rable à celle de l’être humain. Toutefois, de nombreux faits d’expé- des variations de réponses significatives de cellules spécialisées. Cha-
rience récents n’ont pas encore pu être convenablement intégrés que colonne correspondant à une portion déterminée du champ visuel
dans les hypothèses présentées auparavant. C’est dire qu’à l’heure contient l’ensemble des cellules permettant la discrimination de toutes
actuelle, il n’existe pas d’explication exhaustive et convaincante du les orientations possibles ;
fonctionnement de notre cortex visuel. — les couleurs : Hubel et Livingstone, travaillant sur les zones de
Nous nous contenterons donc, comme pour le fonctionnement l’aire V1 susceptibles de répondre à une stimulation de composition
rétinien, d’insister sur quelques grands axes qui seront sûrement spectrale précise (par opposition aux zones achromatiques) ont localisé
l’objet de nouvelles réflexions dans l’avenir. des formations particulières au niveau des couches II et III, qu’ils ont
dénommé blobs ou taches en raison de leur forme très différente des
■ La rétinotopie : les cellules rétiniennes se projettent, par l’inter- organisations en bandes ou en colonnes vues précédemment. Dans la
médiaire des voies décrites ci-avant, au niveau du cortex occipital, zone de projection fovéale, les deux tiers des cellules de ces blobs
de chaque côté de la scissure calcarine, dans l’aire dite V1. Elles s’y répondraient spécifiquement à la longueur d’onde de la stimulation
disposent selon une cartographie visible sur la figure 7 où l’on voit alors que les cellules contenues dans les interblobs seraient surtout
immédiatement le phénomène essentiel lié à cette répartition : sensibles à des stimulations achromatiques. T’SO et Gilbert suggèrent
l’amplification fovéale. En effet, la surface fovéale sur la rétine, cor- qu’il existe deux types de blobs, centrés respectivement sur des
respondant à un très faible pourcentage du champ visuel, est reliée réponses antagonistes rouge/vert et bleu/jaune (rappelant les réponses
à près de la moitié de la surface corticale, le champ visuel périphéri- des cônes décrites précédemment et en bon accord avec la théorie de
que, beaucoup plus grand, n’étant relié qu’à l’autre moitié. En Hering des couples de couleurs antagonistes, l’opposition blanc/noir
d’autres termes, on peut dire que chaque récepteur rétinien de la étant à ce moment traitée dans les zones interblobs). Par contre, de
fovéa est en liaison directe avec certainement plusieurs centaines de Valois, avec d’autres auteurs, penche pour l’existence de deux types
neurones centraux, alors qu’un champ récepteur périphérique ne de blobs, les uns sensibles plutôt aux grandes longueurs d’ondes, les
dispose que de quelques-uns d’entre eux. Ceci explique mieux les autres aux courtes longueurs d’ondes, sans spécificité orientationnelle.
performances relatives de notre fonction visuelle et notamment la Quant aux cellules des interblobs, elles seraient surtout consacrées à
rapide dégradation de l’acuité visuelle dès qu’on s’écarte, même l’orientation spatiale de la stimulation, bien qu’un tiers environ puisse
assez peu, des conditions de vision centrale. Les autres aires cortica- répondre à deux zones spectrales de moyennes longueurs d’ondes
les visuelles (V2 à V5) sont dénommées aires associatives et nous situées respectivement dans les verts et les jaunes. On voit à l’énoncé
décrirons brièvement leurs fonctions par la suite. de ces diverses théories que les faits expérimentaux qui continuent de
s’accumuler réclament encore de nombreux efforts pour aboutir à une
■ L’organisation en couches : le cortex visuel comprend 6 couches interprétation plus ou moins exhaustive des phénomènes constatés. Il
numérotées de I à VI de la plus externe à la plus profonde. La couche n’est d’ailleurs pas à exclure que le fonctionnement de la vision soit
IV est elle-même subdivisée en sous-couches A, B, C-α et C-β. Les réellement très compliqué !
axones des magnocellules provenant des CGL se terminent pour
leur majorité au niveau des cellules corticales de la couche IV-B
et IV-C α et pour quelques-unes à celles de la couche VI interne.
■ Zones associatives
Quelques axones des parvocellules se terminent aussi dans la
couche VI interne, mais la majorité d’entre eux aboutit à la couche En dehors de l’aire primaire dite V1, d’autres aires cérébrales, en
IV-C-β et IV-A. Les autres couches reçoivent les informations ayant connexion avec les cellules de V1, répondent activement à des sti-
transité par les couches précédentes et apparaissent plus ou moins mulations plus ou moins spécialisées du système visuel.
spécialisées dans des aspects différents du traitement de l’informa-
tion. Nous en verrons un ou deux exemples par la suite. L’aire V2 peut ainsi être considérée comme une aire secondaire
servant de relais entre V1 et les aires préstriées suivantes. Les mes-
■ L’organisation en colonnes : c’est un des grands mérites de Hubel sages s’y répartissent à l’intérieur de bandes fonctionnelles ou
et Wiesel (Prix Nobel en 1981) que d’avoir montré que l’organisation stries, mises en évidence par coloration au cytochrome-oxydase. Il
précédente de type horizontal était également combinée à un traite- existe des stries foncées étroites, des stries foncées larges et des
ment vertical. Le cortex visuel peut en effet être considéré comme la zones interstries qui se projettent à leur tour dans des régions corti-
juxtaposition de zones sensiblement identiques, en forme de colon- cales distinctes.
nes (parallélépipèdes de 0,5 à 1 mm2 de surface sur 3 à 4 mm de pro-
fondeur), ayant toutes comme nous l’avons vu les mêmes fonctions C’est ainsi que les stries foncées étroites et les interstries abou-
étagées dans l’épaisseur de la colonne et s’occupant de traiter les tissent à l’aire V4 où on a détecté principalement des réponses liées
caractéristiques principales de l’image (luminance, contraste, cou- au traitement de la longueur d’onde et des formes colorées.

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2. Psychophysique
de la vision
2.1 La trivariance visuelle

Par rapport aux recherches précédentes, portant sur des résultats


objectifs obtenus chez l’animal puis transposés à l’homme, nous
allons maintenant nous intéresser aux réactions subjectives de
l’être humain confronté à la présentation d’une image. Si celle-ci est
particulièrement simple et réduite à la présentation d’un champ uni-
forme, l’observateur pourra généralement décrire trois variables de
la sensation produite et trois seulement, constituant la trivariance
visuelle.
■ La luminance : l’observateur indiquera s’il la juge par exemple
faible, moyenne ou élevée. Notons également que c’est la seule
caractéristique analysable en vision nocturne où les couleurs ne
sont pas détectables. Si l’image est plus complexe et comporte des
Hémichamp œil gauche Hémichamp œil droit zones de luminances variées, le sujet en appréciera les différentes
valeurs qu’il traduira par la notion de contraste de luminance.
■ La tonalité : c’est ce qui permet de nommer la couleur de la sur-
face regardée. Cette couleur apparaît toujours comme unique, que
la source éclairante soit monochromatique ou formée d’un mélange
de diverses longueurs d’onde que notre système visuel ne sait pas
analyser en termes de fréquences.
■ La saturation : la couleur définie précédemment peut enfin appa-
raître pure (saturée) ou au contraire plus ou moins délavée, mélan-
gée à du blanc (c’est ce qui sépare le rouge de la gamme des roses
par exemple).
Figure 7 – Projection des secteurs des hémichamps visuels droit Notons que ces deux dernières variables sont liées entre elles et
et gauche et de la fovéa au niveau des lèvres de la scissure calcarine constituent les variables chromatiques alors que la sensation de
de l’hémisphère cérébral droit (d’après Holmes, 1945) luminance peut exister indépendamment de la notion de couleur.

Les stries foncées larges ont des projections qui se répartissent 2.2 La sensation de luminance
entre V3 et V5. V3 traiterait essentiellement la forme et la distance
du stimulus (y compris pour une cible en mouvement), mais répon-
drait peu à la longueur d’onde. V5 serait plus spécialement dévolue L’étude de la sensation de luminance ne peut être entreprise sans
au traitement du mouvement dans une direction déterminée. la définition préalable d’un système d’unités spécifiques, adaptées
En conclusion, si l’on commence à connaître de façon assez aux sensations lumineuses fournies par l’œil et le cerveau humain.
détaillée le fonctionnement de la rétine des mammifères et si on C’est cette métrologie de la lumière qui va d’abord nous intéresser.
peut considérer que l’extrapolation à celle de l’homme a pu être La base de toute métrologie repose sur l’existence d’unités. Mieux
faite de façon satisfaisante, il faut par contre insister sur l’extraordi- celles-ci seront définies, meilleure sera la précision des mesures.
naire difficulté des recherches concernant le cerveau visuel humain. Historiquement, ce sont les mesures de longueur et leurs dérivées,
À partir de faits expérimentaux épars et forcément incomplets par volumes et poids, qui ont été les premières et les plus faciles à met-
rapport au nombre considérable de cellules mises en jeu, il est tou- tre en œuvre et ce, dès l’Antiquité. Une sensation complexe comme
jours risqué de bâtir une théorie trop contraignante. Comme nous celle issue de notre cerveau visuel à dû attendre le XVIIIe siècle pour
l’avons vu, les ébauches de localisation des différentes fonctions recevoir un début d’analyse. En effet, à partir du moment où l’on dis-
d’analyse du cortex laissent toujours de la place à un certain nombre pose d’une unité, même arbitraire et peu précise, il faut pouvoir éga-
d’incertitudes. Le schéma complexe associé aux diverses aires lement définir combien de fois une grandeur inconnue contient la
associatives présentées comme très spécialisées est aujourd’hui dite unité, donc effectuer des comparaisons, ce qui est plus ou
considéré comme trop structuré. C’est ainsi qu’on a découvert moins délicat selon les cas.
récemment dans toutes les aires de V1 à V4 et dans des proportions
finalement assez proches, des cellules sensibles à la composition L’application des idées ci-avant dans le domaine visuel ne s’est
spectrale de la stimulation, obligeant ainsi à revenir sur l’équation pas révélée très aisée. En effet, nous sommes obligés de tenir
certainement trop simple : V4 = aire de la perception colorée. Enfin, compte des caractéristiques physiologiques de notre œil, qui fonc-
certains chercheurs comme Zeki ont attiré l’attention sur l’impor- tionne comme un « appareil de zéro » (classe à laquelle appartien-
tance des phénomènes temporels dans le fonctionnement des neu- nent les balances, par exemple) c’est-à-dire un appareil capable de
rones visuels. Si plusieurs informations convergent simultanément nous donner un point d’égalisation, mais sans aucune appréciation
sur une cellule, elles ne seront probablement pas traitées de la quantifiée des rapports de valeurs.
même façon que lorsque la même cellule reçoit des stimulus suc- Ceci signifie que si nous sommes parfaitement capables, en
cessifs. La plasticité fonctionnelle de nos neurones et leur capacité à regardant deux surfaces éclairées voisines, de déterminer du pre-
réagir différemment selon l’environnement et la masse d’informa- mier coup d’œil celle qui nous apparaît la plus brillante, nous ne
tion à intégrer ouvre là un nouveau (et passionnant) champ d’inves- pouvons absolument pas donner d’ordre de grandeur du rapport
tigations. des luminances. Pour reprendre l’analogie précédente, si l’un des

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plateaux de la balance penche nettement, on sait où se trouve l’objet déplacement, l’éclairement obéit à la loi de l’inverse du carré de la
le plus lourd, mais on ne sait pas de combien son poids dépasse distance ;
celui du plus léger. — la luminance : c’est, pour une source étendue et dans une
Ajoutons que la lumière « visible » appartient au vaste domaine direction donnée, la densité surfacique de l’intensité énergétique.
des radiations électromagnétiques qui regroupe, depuis les lon- Elle s’exprime en watts par stéradian ·mètre carré (W.sr–1. m–2 : la
gueurs d’onde les plus courtes jusqu’aux plus longues, les rayons X surface étant ici la surface émissive).
ou gamma, les radiations ultraviolettes, le visible et enfin les infra- ■ Techniques photométriques
rouges, suivis des ondes de télévision et de radio, dont la longueur
d’onde (GO) peut atteindre plusieurs milliers de mètres. Or notre œil Nous l’avons dit, l’inconvénient du système radiométrique est
n’est sensible qu’à une infime partie de ces radiations (entre 400 et que les unités énergétiques conviennent également à toutes les
700 nm, soit moins d’une octave) et de plus très inégalement radiations. On parlera indifféremment d’un flux énergétique de 1 W
puisqu’à énergie identique, les sensations éprouvées ne sont pas du de rayons X, de lumière jaune ou d’infrarouges alors que, naturelle-
tout les mêmes selon que la lumière perçue est rouge, jaune ou ment, seule la lumière jaune sera perçue par notre rétine. Celle-ci
bleue. comprend deux systèmes dits photopique et scotopique correspon-
dant en gros aux caractéristiques de nos deux types de récepteurs,
L’ensemble des radiations électromagnétiques a des caractéristi- cônes et bâtonnets, ce qui complique encore le problème. En utili-
ques qui s’expriment en fonction de l’énergie qu’elles transportent sant les capacités d’égalisation de notre appareil visuel, nous allons
dans un système d’unités bien définies qui sont naturellement vala- dans un premier temps tenter de déterminer l’efficacité des diverses
bles pour toute radiation quelle que soit sa fréquence, qu’elle soit longueurs d’ondes analysées par notre œil.
visible ou non : c’est le domaine de la radiométrie.
Nous allons donc proposer à une série de sujets de régler, d’une
Or, nous cherchons à obtenir un ensemble d’unités spécifiques du manière ou d’une autre, une plage lumineuse test de façon à obtenir
domaine où fonctionne notre système visuel, qui rende compte avec une sensation identique à celle produite par une autre plage étalon
précision des variations de sensations fournies selon les couleurs fixe. De nombreuses techniques peuvent être utilisées (photométrie
perçues et enfin qui permette des comparaisons efficaces entre à papillotement, méthode du pas-à-pas, etc.) sur lesquelles nous ne
sources lumineuses à partir d’étalons bien définis. Nous allons y nous étendrons pas pour mieux considérer les résultats obtenus.
parvenir grâce à la photométrie.
Supposons par exemple que notre test soit une lumière blanche,
Précisons tout d’abord ce qu’on entend par radiométrie et de luminance énergétique connue L(W ) et qu’un groupe de sujets à
photométrie : la vision normale des couleurs opère des égalisations succes-
— la radiométrie est la mesure des grandeurs caractéristiques sivement avec des lumières bleues, vertes, jaunes et rouges de
d’un rayonnement avec un appareil dont la réponse est indépen- diverses longueurs d’onde. Les résultats fournis par les divers sujets
dante de la longueur d’onde. On mesure en fait des grandeurs éner- sont généralement statistiquement proches les uns des autres et
gétiques physiquement disponibles et parfaitement indépendantes des valeurs moyennes correctes peuvent être obtenues pour chaque
de tout récepteur biologique ; longueur d’onde. On mesure naturellement dans chaque cas la
luminance énergétique de chaque longueur d’onde λ soit L(λ).
— la photométrie est l’évaluation des grandeurs caractéristiques
On appellera coefficient d’efficacité lumineuse V (λ) le rapport
d’un rayonnement avec un appareil dont la réponse est dépendante
L(W )/L(λ). Pour une longueur d’onde déterminée, ce coefficient a
de la longueur d’onde. On ne s’intéresse ici qu’à la fraction de l’éner-
une valeur stable et on peut aisément dresser la courbe des coeffi-
gie rayonnante qui agit sur le récepteur spécialisé et on apprécie
cients V (λ) en fonction des longueurs d’onde.
avec une certaine marge de fluctuation individuelle des grandeurs
biologiquement efficaces. Si on effectue la suite des égalisations nécessaires avec des lumi-
nances suffisamment élevées, supérieures à 10 cd.m–2 (vision « de
Quand l’appareil récepteur est le système visuel humain, on parle
jour », liée aux cônes, bonne acuité visuelle, distinction des
de photométrie visuelle. C’est, bien évidemment, la seule qui nous
couleurs) on obtient la courbe photopique des coefficients V(λ) qui
intéressera ici.
culmine à 555 nm, longueur d’onde pour laquelle V(λ) est égal à 1.
La construction d’un système d’unités visuelles devra donc Par contre, si on travaille en basse luminance, de l’ordre de 10–2 à
s’appuyer sur le système d’unités radiométriques par l’intermé- 10–3 cd.m–2 (vision « de nuit », liée aux bâtonnets, scotome central,
diaire de coefficients spécifiques de l’appareil visuel humain. Ainsi, incapacité de discerner les couleurs) on obtient la courbe scotopi-
apparaîtront les solutions aux problèmes posés ci-avant. que des coefficients V ’(λ) qui culmine à 510 nm (figure 8). Ces deux
courbes ont une allure gaussienne, mais ne sont ni symétriques, ni
■ Unités radiométriques asymptotiques à l’axe des abscisses puisque les coefficients d’effi-
Nous nous limiterons à quatre unités principales auxquelles nous cacité visuelle sont nuls à l’extérieur du domaine visible, en dessous
chercherons ensuite la correspondance photométrique : de 400 nm comme au-dessus de 700 nm. En effet, quelle que soit la
quantité de lumière ultraviolette ou infrarouge, envoyée dans un
— le flux : grandeur fondamentale, il représente l’énergie émise
œil, on n’obtiendra pas de sensation visuelle capable d’égaler une
par une source pendant l’unité de temps, puis transmise dans
lumière blanche : le rapport L(W )/L(λ) sera donc forcément égal à 0
l’espace et enfin reçue par une surface quelconque. Il s’exprimera
en dehors du domaine du visible.
donc en joules par seconde (J . s–1) ou, comme une énergie par
seconde est homogène à une puissance, en watts (W) ; Entre les domaines photopique et scotopique, se situe le mésopi-
— l’intensité : c’est, pour une source ponctuelle et dans une que, domaine intermédiaire où les cônes cessent progressivement
direction donnée, la densité stérangulaire de flux énergétique émis. de fonctionner tandis que les bâtonnets prennent le relais : espace
Elle s’exprimera donc en watts par stéradian (W. sr–1). Le stéradian mal défini, correspondant à la vision dite crépusculaire.
est l’unité d’angle solide qui correspond à un volume dans l’espace. ■ Unités visuelles
Rappelons que le stéradian (sr) correspond à une région d’espace
définie dans une sphère de rayon unité (1 m) centrée sur la source Nous disposons maintenant, avec les coefficients d’efficacité
ponctuelle émissive O et intersectant sur la surface de la sphère une visuelle, de l’instrument voulu pour relier aux unités radiométriques
calotte S de 1 m2, quelle que soit la forme de cette calotte ; notre système d’unités visuelles à construire. Par définition, toute
— l’éclairement : c’est la densité surfacique de flux énergétique mesure exprimée en unités visuelles sera égale au produit de la
reçu. Elle s’exprimera en watts par mètre carré (W. m–2 : la surface valeur correspondante en unités radiométriques par le coefficient
étant ici la surface réceptrice). Si la source émissive est ponctuelle, d’efficacité visuelle et par un coefficient de proportionnalité k qui
le milieu non absorbant et non diffusant et si la surface éclairée reste à définir selon la formule suivante :
garde toujours le même angle par rapport à la direction de son Uvis = k .V(λ). Urad

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reliées à la base fournie par les unités radiométriques, mais spécifi-


ques du domaine visuel et tenant compte des caractéristiques de
V ( λ)
notre récepteur oculaire (récepteur « global » provenant de la
1 moyenne de nombreuses mesures sur des sujets considérés
Vision Vision comme « normaux » suivie d’un lissage mathématique des cour-
scotopique photopique bes). Il reste que l’œil de cet observateur moyen n’est nullement
0,75 homogène, comme nous l’avons vu et qu’il va falloir examiner le cas
de la vision nocturne ou scotopique, liée aux bâtonnets, dont la
courbe d’efficacité visuelle a été représentée (figure 8). La définition
0,50 des unités reste bien entendu valable, mais l’équation fondamentale
devient :
Uvis = k ’. V ’(λ). Urad
0,25
Si on reprend la définition de l’unité fondamentale d’intensité, la
candela, on se basera cette fois-ci sur le coefficient d’efficacité
0 visuelle scotopique V ’(555) qui ne vaut plus 1, mais 0,402. Ceci
400 450 500 550 600 650 700 conduit à calculer un nouveau coefficient de proportionnalité scoto-
λ (nm) pique k ’ tel que :
1 cd = k ’ .0,402.1/683 W.sr–1
Figure 8 – Courbes de visibilité relative ou d’efficacité visuelle : D’où k ’ = 683/0,402 = 1699
évolution des coefficients photopique V (λ) et scotopique V ’(λ) Il faudra donc savoir, pour exprimer nos sensations visuelles, si
en fonction de la longueur d’onde nous sommes en vision photopique (k = 683) ou scotopique
(k’ = 1699) avant de procéder aux calculs nécessaires.
Ces domaines sont eux-mêmes limités par les caractéristiques
Il aurait été aisé, dans une telle équation, de prendre le cas où fonctionnelles de nos récepteurs. On admet généralement que le
V (λ) = 1 (555 nm en photopique, rappelons-le) et de faire également photopique commence à partir d’une luminance de 10 cd.m–2,
k = 1. On obtenait, à ce moment, très simplement une correspon- alors que le scotopique occupe les basses luminances inférieures à
dance à égalité entre unités visuelles et radiométriques. 10–3 cd.m–2. Entre les deux s’étend, rappelons-le, le mésopique où
Malheureusement, pour des raisons historiques, l’équation fon- les courbes d’efficacité visuelle sont mal définies.
damentale précédente a dû tenir compte de l’unité de luminance Quant à la quantité de lumière minimale nécessaire pour produire
établie dès la fin du XVIIIe siècle et appelée la bougie. Tous les cal- une sensation, elle est extrêmement réduite. Des expérimentations
culs suivants ont plus ou moins respecté une valeur voisine de ce délicates mais très précises ont permis en effet de l’évaluer à deux à
premier étalon, ce qui a conduit à une valeur du coefficient k (photo- cinq photons réagissant simultanément dans un seul bâtonnet. On
pique rappelons-le) égale à 683. Toutes les unités visuelles actuelles voit qu’on est là très près du seuil physique absolu.
vont donc se déduire de l’équation fondamentale en respectant L’intérêt primordial de cette gamme d’unités réside dans la quan-
cette valeur de k : tification de sensations purement subjectives. En effet, dire que
— la candela (cd) : unité d’intensité lumineuse, c’est l’unité fonda- l’éclairement d’une surface quelconque est de 300 lux, par exemple,
mentale en photométrie (alors que nous avons vu précédemment implique tout d’abord que la surface en question reçoive un flux de
que l’unité fondamentale radiométrique était l’unité de flux, exprimé photons du domaine du visible. Ensuite, quelle que soit la composi-
en watts). tion de la lumière utilisée, on saura que l’impression produite sur
La candela se définit comme suit (16e conférence générale des une moyenne de sujets humains sains sera identique à celle pro-
Poids et Mesures, 1979) : duite par une lumière étalon parfaitement bien définie.
La candela est l’intensité lumineuse, dans une direction donnée, À partir de là, les applications sont considérables dans tous les
d’une source qui émet un rayonnement monochromatique de fré- domaines de l’éclairage, public ou privé, des phares, des balises
d’aéroport, etc.
quence 540.1012 Hz et dont l’intensité énergétique dans cette direc-
tion est de 1,464.10–3 W/sr. On pourra également étudier grâce à ces unités les phénomènes
liés à l’adaptation à l’obscurité, les réactions à l’éblouissement, les
On voit que, dans le vide ou dans l’air d’indices très voisin (1,003 limites d’éclairement confortables pour telle ou telle tâche visuelle,
pour l’air), cette fréquence correspond à une longueur d’onde de etc.
555 nm soit le maximum de la courbe d’efficacité visuelle photopi-
que. Quant à 1,464.10–3, c’est tout simplement 1/683. En transférant Ceci est d’une importance primordiale dans l’étude de la percep-
ces valeurs dans notre équation fondamentale, on obtient bien : tion des images médicales qui, selon qu’elles seront examinées sur
un écran ou sur un support papier, en noir et blanc ou en couleurs,
1 cd = 683.1.1/683 W.sr–1 par réflexion ou par transparence (négatoscope), en fonction d’un
— le lumen (lm) : unité de flux, c’est la quantité de lumière par environnement lumineux déterminé, pourront aboutir à des degrés
unité de temps ; elle est bien entendu homogène à une puissance ; variés de visibilité de certains détails.
— le lux (lx) : unité d’éclairement, c’est la densité surfacique de Enfin, en exploration fonctionnelle visuelle il n’est pas possible
flux reçu. On peut également parler de lumen par mètre carré ; d’obtenir de bons résultats, cliniquement interprétables, si la stimu-
lation n’est pas exactement connue et rigoureusement stable. Il fau-
— la candela par mètre carré : c’est l’unité de luminance qui
dra donc vérifier régulièrement toute installation sous peine de
correspond à la densité surfacique d’intensité lumineuse provenant
fournir des résultats incertains et par conséquent inutilisables.
d’une source étendue. Elle portait autrefois le nom de « nit » qui est
tombé en désuétude. À noter que, par analogie avec les unités
radiométriques vues ci-avant, la luminance visuelle peut aussi être
assimilée à un flux par angle solide et par surface de source 2.3 La fonction de sensibilité au contraste
émissive et être exprimée en lumen par stéradian, par mètre carré
(lm. sr–1 .m–2). Elle est basée sur la capacité du système visuel de détecter des
Nous possédons maintenant la gamme des quatre principales différences de luminances, donc de déterminer l’existence de
unités visuelles (il en est d’autres, moins utilisées, telle l’exitance...) « bords » entre surfaces homogènes. On peut utiliser des stimulus

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variés mais là aussi on aura intérêt à éviter des mires trop


complexes à multiples variables. Le stimulus le plus utilisé est cons-
titué de structures répétitives appelées réseaux.
Ces mires périodiques sont caractérisées par :
— leur surface et la distance d’observation, ce qui permet de cal-
culer l’angle couvert par la mire dans le champ visuel du sujet ;
— leur fréquence spatiale qui s’exprime en cycles par degré
(d’angle visuel) : compte tenu de l’angle correspondant à la totalité
de la surface stimulante, la fréquence spatiale permet de calculer le Luminance
nombre de cycles nécessaires à la stimulation ;
— leur orientation : verticale, horizontale ou d’une obliquité
déterminée ; Lmax
— leur position dans le champ visuel ;
— leur profil de luminance, représentant la variation de lumi- Lmoy
nance du réseau selon un axe déterminé. Ce profil peut évidemment
être quelconque, mais ne nous apprendrait à ce moment que peu de Lmin
choses sur les performances visuelles du sujet. On utilise générale-
ment un profil sinusoïdal, triangulaire ou carré (figure 9).
La formule générale donnant la valeur C du contraste est la
suivante :
0 x
L max – L min
C = -------------------------------
- a profil de luminance carré
2 L moy

avec Lmax luminance maximale de la mire, Luminance


Lmin luminance minimale de la mire,
Lmax
Lmoy luminance moyenne de la mire
Dans le cas d’un réseau régulier et périodique comme défini ci-
Lmoy
avant, Lmoy se calcule aisément et devient :
L max + L min Lmin
L moy = -------------------------------
-
2
L’expression donnant le contraste devient alors (Michelson) :
L max – L min 0 x
C = -------------------------------
-
L max + L min
b profil de luminance sinusoïdal
On voit immédiatement que le contraste va évoluer entre la
valeur 0 (ou 0 % de contraste : champs uniformes et identiques jux- Figure 9 – Exemple de mires périodiques utilisées dans les tests
taposés sans possibilité de les distinguer) et 1 (100 % de contraste : de mesure de la fonction de sensibilité au contraste
mire dont les nuances vont d’une luminance quelconque à un noir
absolu par exemple).
Le contraste minimal sera, pour une fréquence spatiale donnée, la
plus petite valeur de contraste susceptible d’entraîner la détection

Sensibilité au contraste
du réseau par le sujet examiné. 103
Le seuil de sensibilité au contraste (de luminance), toujours pour
une certaine fréquence spatiale, sera l’inverse de la valeur du
contraste minimal défini ci-dessus. Cette sensibilité sera donc 102
d’autant plus élevée que le contraste détecté sera plus faible et
inversement.
On pourra étudier la variation de la sensibilité au contraste en 10
fonction des différentes fréquences spatiales. La courbe obtenue
constituera la fonction de sensibilité au contraste (FSC) du sujet exa-
miné compte tenu des conditions de l’expérimentation et en pre-
mier lieu de la nature de la mire. On ne peut donc parler de FSC dans 1
l’absolu mais on doit préciser si l’on a effectué cet examen avec une 0,1 1 10 102
mire sinusoïdale ou carrée, en vision binoculaire ou monoculaire, en Fréquence spatiale (cycles/degré)
présentation centrale ou périphérique, etc. Il y a donc autant de FSC
que de modes d’examen et naturellement seuls deux résultats obte-
nus selon le même mode opératoire seront comparables entre eux. Figure 10 – Fonction de sensibilité au contraste en coordonnées
logarithmiques (d’après Nordmann, 1991)
La courbe obtenue peut être présentée en coordonnées semi-
logarithmiques ou plus généralement en coordonnées logarithmi-
ques (figure 10). en général) pour un contraste maximal. Ce point correspond évi-
Notons toutefois que, pour une présentation de mire standardi- demment à la mesure de l’acuité visuelle qui est définie comme la
sée, il existera toujours un point de la courbe correspondant à la meilleure performance de l’œil sur le plan morphoscopique pour un
plus petite taille détectable du détail significatif de la mire (un cycle contraste de 1. Il est intéressant de constater que l’acuité visuelle

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n’est qu’un point d’une courbe exprimant la sensibilité de notre sys- physiologique d’étudier le nombre « d’échelons de tonalité » qu’un
tème visuel dans les conditions courantes de la vie quotidienne. En individu à la vision des couleurs normale est capable d’identifier
effet, l’image de tout objet peut être décomposée en images élé- dans le spectre. Pour ce faire, on part d’une surface éclairée par une
mentaires correspondant chacune à une fréquence spatiale assortie lumière monochromatique de longueur d’onde λ déterminée et on
d’un contraste donné. Si l’ensemble des points représentatifs d’une cherche à partir de quelle longueur d’onde λ’ (avec λ’ = λ + ∆λ) une
image donnée est situé dans la zone de « visibilité » (sous la courbe surface voisine apparaît d’une couleur juste distincte. L’expérience
seuil définie ci-avant) l’image sera intégralement perçue. Si les conduit à environ 200 échelons de tonalité dans le spectre et on peut
conditions extérieures perturbent la composition de l’image (baisse noter la remarquable sensibilité de notre système de détection colo-
générale des contrastes issue par exemple de la présence de rée, qui, autour de 490 et 590 nm de longueur d’onde, est suscepti-
brouillard en condition de conduite) ou si une pathologie ophtalmo- ble d’identifier des couleurs ne différant entre elles que d’un seul
logique quelconque entraîne une modification plus ou moins mar- nanomètre.
quée de la forme de la FSC, la perception visuelle peut être On peut répéter l’opération pour les mélanges de teintes isues
grandement altérée, alors même que le point correspondant à des extrémités du spectre (bleu-violet et rouge) et obtenir ainsi
l’acuité visuelle, mesurée par les techniques habituelles, restera une gamme de nouvelles sensations différentes des tonalités
inchangé. spectrales : les pourpres. La même expérience que précédemment
permet d’identifier à peu près 200 échelons de pourpres également.
Si on y rajoute le blanc, on obtient ainsi la gamme complète des
2.4 Les qualités chromatiques tonalités individualisables par un sujet à la vision colorée normale.
Les autres tonalités décrites dans le langage courant (marrons, vert-
olive, gris, etc.) ne sont que des teintes rabattues c’est-à-dire des
La colorimétrie n’a pas permis d’aboutir aisément, comme la pho- tonalités appartenant aux gammes précédemment décrites, mais
tométrie, à un système universel et précis d’étalonnage du domaine avec une luminance réduite par rapport à notre environnement
des couleurs. Lorsqu’on tente d’étudier les sensations fournies par visuel.
le mélange de couleurs variées, il faut d’emblée distinguer claire-
■ Sensation de saturation : par analogie avec ce qui vient d’être dit,
ment :
on peut maintenant prendre chaque tonalité fournie par une lumière
— d’une part les mélanges « additifs » : il s’agit de la superposi- monochromatique et lui superposer de la lumière blanche, c’est-à-
tion dans l’œil de lumières d’origines variées et on va s’intéresser dire la désaturer. C’est ainsi qu’on passera, à partir d’une couleur
aux sensations produites simultanément sur nos divers types de rouge déterminée, à toute une gamme de roses de plus en plus
cônes par l’ensemble des radiations émises par la ou les sources clairs.
lumineuses placées dans le champ visuel du sujet. Le type même de
l’utilisation de ces mélanges est l’image télévisée où, dans un récep- Là aussi, on verra que selon la teinte de départ, le nombre d’éche-
teur couleur, chaque point est en fait formé d’une triade de lumino- lons de saturation possibles varie entre la couleur pure et le blanc. Il
phores émetteurs de photons (généralement rouges, verts et bleus) est minimal pour le jaune et augmente aux extrémités du spectre.
la superposition des lumières émises, en quantités variables, per- La combinaison des échelons de tonalité et des échelons de satu-
mettant de reproduire un ensemble de teintes (mais pas la totalité et ration aboutit à un ensemble de teintes discernables les unes des
notamment pas les tonalités spectrales ni même celles très satu- autres (à luminance constante bien entendu) dont le nombre atteint
rées). On a pu démontrer (Grassmann) que ces mélanges additifs quelques milliers pour le sujet à la vision des couleurs normale. Si
pouvaient être traités comme des équations linéaires et répondaient on rajoute les différents niveaux de luminance qu’il est possible de
aux critères de proportionnalité, d’additivité et d’associativité qui distinguer entre le début du domaine photopique et l’éblouisse-
caractérisent de tels systèmes. Si les lumières utilisées excitent en ment, on obtient la gamme complète des couleurs et des contrastes
proportions égales nos trois types de cônes, on obtiendra la sensa- perceptibles par notre système visuel. Toute image se traduira dans
tion de blanc ; cet espace par une série de valeurs bien définies. Nous les verrons
— d’autre part les mélanges « soustractifs » qui sont des mélan- différemment à partir du moment où elles produiront des sensa-
ges de pigments où les absorptions s’ajoutent. L’exemple type est tions présentant un contraste (contraste de luminance ou contraste
ici la peinture ou la photographie en couleurs. Une surface colorée de chrominance ou les deux) supérieur à notre seuil différentiel de
n’est pas lumineuse par elle-même. Par contre, éclairée en lumière perception.
blanche, elle absorbera un certain nombre de radiations et en ren- Aidés par l’étude des anomalies de la vision des couleurs,
verra d’autres qui, perçues par le système visuel, détermineront sa connues depuis longtemps, plusieurs chercheurs ont depuis long-
couleur. On voit que le mélange de pigments, contrairement au cas temps tenté de normaliser et de représenter schématiquement des
des mélanges additifs, revient à combiner des absorptions plus ou espaces permettant de situer les sensations colorées décrites ci-
moins sélectives, donc à réduire de plus en plus, qualitativement et avant. Citons par exemple le triangle de Maxwell ou les albums de
quantitativement, les rayonnements renvoyés par le mélange. Si Munsell. Actuellement, la représentation la plus utilisée est le trian-
l’absorption due au mélange finit par couvrir la totalité du spectre, gle des couleurs issu des travaux de la Commission Internationale
on obtient une sensation de noir. de l’Éclairage (CIE) (figure 11) et ses dérivés (triangle CIELUV,
À la limite, on peut d’ailleurs se demander si les couleurs existent CIELAB, etc.).
en dehors de notre cerveau. On peut en effet constater que des sti- Si on se limite à l’étude des mélanges additifs, la colorimétrie est
mulations physiques variées (une radiation monochromatique ou basée sur une expérience fondamentale qui consiste à égaliser la
un mélange de plusieurs longueurs d’ondes par exemple) arrivent à couleur d’un faisceau de lumière quelconque par le mélange, en
produire des sensations indiscernables issues de réponses identi- quantités convenables, de trois faisceaux colorés appelés couleurs
ques de cellules plus ou moins spécialisées. Celles-ci entraînent des primaires additives. La superposition de ces trois lumières entraîne
réactions de nos zones cérébrales qui ont permis de déterminer les un effet cumulatif des rayonnements au niveau des récepteurs, cet
types de sensations subjectives classées ci-après. effet étant directement lié aux signaux que la lumière génère simul-
■ Sensation de tonalité : elle est liée à la longueur d’onde domi- tanément dans les trois familles de cônes, comme nous l’avons vu
nante de la lumière pénétrant dans l’œil et permet de distinguer un précédemment.
certain nombre de familles de couleurs dans le spectre (générale- Dans une expérience de ce type, il devient donc du plus haut inté-
ment de 5 à 7, ce dernier chiffre ayant souvent été choisi pour sa rêt de disposer d’un système directement basé sur les mécanismes
réputation « magique ». Dans ce cas, rappelons la classification de visuels issus de nos trois types de cônes (Vienot et Brettel). Il est évi-
Newton selon lequel les couleurs principales seraient le violet, dent que la colorimétrie classique datant du XIXe siècle, ne pouvait
l’indigo (?), le bleu, le vert, le jaune, l’orange et le rouge). Il est plus connaître le fonctionnement des cellules rétiniennes comme nous.

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Enfin, on peut noter que les reproductions colorées d’images font


appel nécessairement à un groupe de teintes différentes, choisies
dans la gamme des possibilités évoquées ci-dessus. Aucune des
techniques (peinture, photographie, cinéma, vidéo) n’est suscepti-
ble de reproduire fidèlement la totalité des sensations que notre œil
peut percevoir. C’est toujours à travers une gamme réduite (en lumi-
nance comme en chrominance) qu’opèrent les systèmes de repro-
duction, aidés par les performances de notre cerveau visuel qui est
heureusement capable de combler les inévitables (et parfois impor-
tantes) lacunes de nos techniques.

3. Conclusion :
les perspectives
de la recherche
Figure 11 – Triangle des couleurs de la CIE comportant les points
représentatifs des luminophores utilisés en télévision en couleur Comme nous l’avons vu tout au long de ce bref exposé, nos
connaissances dans le domaine visuel sont certes considérables,
mais sont encore très éloignées de nous fournir un panorama
complet des mécanismes intimes de cette fonction sensorielle parti-
En effet, nous disposons désormais des fondamentales physiologi- culièrement complexe.
ques, c’est-à-dire des sensibilités spectrales pour tout rayonnement
monochromatique pénétrant dans l’œil soit : Dans le domaine de la recherche fondamentale, les travaux sur la
rétine et le cerveau des animaux se poursuivent inlassablement,
L(λ) pour les cônes sensibles aux grandes longueurs d’onde ; apportant chaque jour des nouveautés qu’il faut ensuite tenter
M(λ) pour les cônes sensibles aux moyennes longueurs d’onde ; d’intégrer dans des hypothèses de fonctionnement basées sur quel-
S(λ) pour les cônes sensibles aux courtes longueurs d’onde. ques mesures extrapolées à l’ensemble d’une structure. On peut
penser que s’il est en effet à tout jamais impossible d’enregistrer
Ces fondamentales, calculées à partir d’égalisations de couleurs simultanément les phénomènes physiologiques intimes de millions
chez des sujets à vision des couleurs normale ou au contraire chez de cellules, il sera certainement envisageable dans l’avenir de bâtir
des dichromates, offrent une très grande cohérence avec les des théories de plus en plus fiables et proches de la réalité. Celle-ci
enregistrements directs de la densité spectrale d’absorption des n’est d’ailleurs pas forcément simple...
photopigments comme avec l’enregistrement des réponses électro-
physiologiques des récepteurs rétiniens (cf. figure 3). Dans le domaine de la psychophysique, pourtant exploré depuis
longtemps, les apports récents ne manquent pas comme par exem-
À partir des fondamentales ainsi déterminées, on peut calculer ple les expériences de colorimétrie, désormais étroitement reliées
l’activité engendrée dans les trois familles de cônes par un rayon- aux performances des différents types de cônes et qui ont permis de
nement défini par son spectre Pλ(λ) en procédant au calcul des som- mieux comprendre les anomalies de la vision des couleurs. La
mes : compréhension de la genèse de ces troubles a aussi été puissam-
L = Σ Pλ(λ) L(λ) ∆λ ment aidée par les progrès actuels en génétique et en biologie molé-
M = Σ Pλ(λ) M(λ) ∆λ culaire.
S = Σ Pλ(λ) S(λ) ∆λ Dans le domaine des applications à l’exploration fonctionnelle
chez l’homme, de nouvelles méthodes de traitement du signal, de
Une application directe de cette méthode concerne les sujets nouveaux appareils ont vu le jour très récemment. On peut prati-
dichromates : ceux-ci ne possèdent que deux types de cônes fonc- quer par exemple la cartographie cérébrale tridimensionnelle per-
tionnels et confondent donc les couleurs qui ne diffèrent que par mettant de visualiser dans l’espace et le temps les réponses
l’activité qu’elles seraient susceptibles de déclencher dans le type de corticales aux stimulations sensorielles. On dispose de l’ophtalmo-
cône manquant. Par exemple, si c’est l’activité L qui est absente scope laser à balayage (SLO : Scanning Laser Ophtalmoscope) qui
(dichromate de type protanope), toutes les couleurs entraînant une montre sur écran à la fois l’image du fond d’œil et celle de l’objet
réponse identique M et S mais différant par l’activité L seront vues projeté sur la rétine, d’où de fructueuses études de stratégie
identiquement. Ce sera en particulier le cas de la plupart des rouges d’exploration des scènes visuelles. Ce dernier appareillage est lui-
et des verts. même complété depuis peu par l’OCT (Optical Coherent Tomogra-
Les différents dichromates seront donc les suivants : phy) qui commence à fournir des coupes histologiques de la rétine
— protanopes : absence de réponse de type L ; vivante grâce à l’étude des interférences de faisceaux lasers.
— deutéranopes : absence de réponse de type M ; Tout ceci vient s’ajouter à la gamme étendue des techniques plus
— tritanopes : absence de réponse de type S. anciennes (électrorétinographie, potentiels évoqués, etc.) qui béné-
Il est certain que la compréhension des diverses anomalies des ficient aussi des méthodes récentes de traitement du signal.
couleurs a beaucoup progressé en fonction des considérations ci- On peut donc dire que les sciences de la vision devraient encore
dessus qui se recoupent de plus avec les études portant sur la loca- connaître, à court et moyen terme, une série de nouveaux dévelop-
lisation génétique des défauts et leur transmission de génération en pements assurant à cette branche de la recherche une place de
génération. choix dans le domaine de la physiologie humaine.

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La fonction visuelle
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N
par Yvon GRALL
Professeur des Universités
Praticien hospitalier.
Chef du service de Biophysique et Médecine nucléaire
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