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Monstres Histoires Generale de La Teratologie
Monstres Histoires Generale de La Teratologie
Olivier Roux
DOI : 10.4000/books.editionscnrs.6297
Éditeur : CNRS Éditions
Année d'édition : 2008
Date de mise en ligne : 1 juillet 2016
Collection : Histoire
ISBN électronique : 9782271091031
http://books.openedition.org
Édition imprimée
ISBN : 9782271065780
Nombre de pages : 379
Référence électronique
ROUX, Olivier. Monstres : Une histoire générale de la tératologie des origines à nos jours. Nouvelle édition
[en ligne]. Paris : CNRS Éditions, 2008 (généré le 20 avril 2019). Disponible sur Internet : <http://
books.openedition.org/editionscnrs/6297>. ISBN : 9782271091031. DOI : 10.4000/
books.editionscnrs.6297.
Monstres
Une histoire générale
de la tératologie des origines
à nos jours
CNRS ÉDITIONS
15, rue Malebranche - 75005 Paris
© CNRS ÉDITIONS, Paris, 2008
ISBN : 978-2-271-06578-0
Introduction
alors que d’autres font quasi l’unanimité. Ainsi, le crible élaboré par
Laurent Joubert dans les années 1570-1572, avec sa Médecine et
régime de santé. Des erreurs populaires et propos vulgaires, ne peut
guère être expliqué autrement que par cette notion indéfinissable,
également apparentée à ce que l’on pourrait nommer le « bon sens ».
Cette intuition individuelle correspond à la notion juridique de
l’« intime conviction » qui, en l’absence de preuves claires ou d’aveu,
se propose précisément de dépasser l’argumentation et le raisonnement
rationnels. De ce fait, elle sait aussi s’accorder avec d’autres idées et
préjugés qui ne sauraient souffrir la moindre critique.
Compte tenu de tous ces éléments, on peut, à propos du monstre
ou de la naissance monstrueuse, envisager une histoire sur la longue
durée. Il apparaîtra alors que le discours le plus constant à travers le
temps et les époques n’est pas celui que l’on attend a priori. Ce n’est
pas le discours de type « religieux » qui présente l’événement comme
un phénomène surnaturel, contrairement à ce que laisserait supposer
le vocabulaire. En effet, le grec téras comme le latin monstrum possè-
dent à l’origine le sens de « signe envoyé par les dieux ». Sur bien
des aspects, ce type de lecture s’avère souvent un épiphénomène sans
véritable enracinement populaire. Inversement, c’est l’analyse quali-
fiée d’« hygiéniste » qui bénéficie du crédit le plus longuement
attesté : lors d’une naissance, c’est la femme enceinte qui n’aura pas
respecté toutes les précautions d’usage liées à son état. Ainsi, si l’appel
au « surnaturel » est très fréquent pour évoquer soit un passé lointain
soit les « primitifs », et, par exemple, souligner une évolution, l’étude
comparée démontre au contraire que cette explication est loin d’être
la plus attestée et la plus partagée au sein des cultures éloignées tant
dans le temps que dans l’espace.
Étudier ces discours, en établir les caractères, leurs proximités
ou leurs antinomies, en s’efforçant pour chacun d’eux, de préciser le
cadre de son développement et de sa disparition éventuelle, ou le
contexte précis de l’une de ses énonciations, déceler ce qui put faire
sa force dans sa continuité, c’est ce que se propose cette anthropologie.
C’est une anthropologie historique des monstres et de la monstruosité
en tant que concepts mais surtout une anthropologie des naissances
monstrueuses en tant qu’événement qui bouleverse le cours normal
des choses.
14 Monstres
CONTEXTE INTELLECTUEL
Histoires d’animaux
trouvent ainsi diminuées. C’est pour cela qu’Artémis « qui n’est autre
que la lune » (« ο
κ ο σαν τεραν ! τ"ν σελνην »), est appelée
aussi Locheía ou Eileithya. L’erreur des anciens – poursuit Plutarque –
est d’avoir personnifié un corps céleste 48. Tous les savants ou presque,
y compris Aristote, reconnaissaient l’influence de la lune sur la physio-
logie féminine. Ce dernier se contentait de critiquer ceux qui avaient
attribué à cet astre, un sexe, en l’occurrence féminin 49. L’originalité
ne consiste donc pas en la nouveauté systématique d’un savoir mais
plutôt en la critique « démythologisante » d’un savoir ancien. Nous
ne pensons donc pas que le mouvement des naturalistes et celui de la
critique du mythe diffèrent dans leurs fondements épistémologiques.
« signe » –, elles ne sont pas des oukazes d’origine divine mais doivent
être expliquées par les lois internes du Code civil naturel.
La ressemblance
d’autres plus aux ancêtres qu’à n’importe qui, d’autres à aucun des
parents et enfin, certains n’ont pas même forme humaine et n’ont de
commun que l’animalité 73. Comme nous le verrons plus loin, la
ressemblance est le critère central de la définition aristotélicienne du
téras : celui qui ne ressemble pas à ses parents est dèjà dans une
certaine mesure un monstre 74.
Ainsi, le bâtard devient un véritable monstre social. Dans la
non-ressemblance aux parents, il est dangereux de s’écarter de manière
trop horizontale alors que le saut vertical de génération n’a rien de
répréhensible, bien au contraire. Le matérialiste Lucrèce l’exprime à
sa manière 75 : « Parfois aussi les enfants ressemblent à un aïeul, ou
même font revivre les traits d’un bisaïeul 76, parce que le corps de
chacun des deux époux renfermait un grand nombre de principes
divers remontant de père en père (patribus patres), à la souche primi-
tive (a stirpe profecta) C’est ainsi que Vénus varie la production des
visages en imitant les traits des ancêtres avec leur voix et leurs
cheveux. »
L’exemple du bisaïeul, proavus, déjà mort à la naissance du
descendant, montre comment les ressemblances pouvaient être véri-
tablement cherchées au sein des familles. C’était à la mémoire collec-
tive ou à la confiance de celle d’un ancien que l’on devait ces
rapprochements dont on suppose bien qu’ils étaient trouvés dès lors
qu’on cherchait à les établir. Pour les traits du visage à Rome, dans
les familles plutôt aristocratiques, l’on peut toujours supposer le
recours soit aux portraits réalistes de la tradition républicaine et ce
durant tout l’empire, soit aux masques de cire à l’effigie des ancêtres,
que la famille conservait dans des armoires et qu’elle sortait à l’occa-
sion de défilés funéraires. Ces masques étaient ressemblants, nous
affirme Polybe 77 mais que dire sur le souvenir de la voix de l’arrière
grand-père, critère particulièrement subjectif qui ne pourrait souffrir
la moindre contre-preuve ? Ainsi, qu’il s’agisse d’une marque physi-
que particulière ou d’une ressemblance globale, puisque c’est l’assem-
blage qui produit l’effet 78, porter les mêmes traits que le père ou
l’ancêtre n’est pas si anodin et ne se limite pas au plaisir de se l’enten-
dre dire au grès des compliments bienveillants. Si l’enfant ressemble,
c’est la garantie qu’il appartient bien à cette verticalité familiale dans
ses traits comme dans son nom, celui du clan ou de la phratrie. Pour
Rome, faut-il évoquer si besoin est, l’exemple de Cicéron qui devait
son cognomen, c’est-à-dire le surnom de sa gens, Cicero, de cicer,-eris
36 Monstres
fille ; car chacun verra une image pareille à lui-même 84. » Les rapports
de ressemblance entre fils et père et fille et mère sont donc bien établis.
En outre, d’autres rêves sont lus au regard d’une symbolique identique.
Un homme, nous dit Artémidore, se vit en rêve en train de se mirer
dans un miroir taché, sûrement un peu corrodé par la rouille. Ce fut
le signe qu’il aurait un enfant d’une putain dont il était épris. La
courtisane lui donna un fils. Quant à la tache du miroir, elle repré-
sentait aussi bien l’aspect moral de la situation – nature matérielle de
la souillure – que la marque concrète qui frappa l’enfant puisque ce
dernier naquit atteint de strabisme 85.
Un enfant trop différent peut donc dénoncer le bâtard et de ce
fait, le délit d’adultère. Deux anecdotes grecques tardives sont ainsi
construites, l’une dans un roman et l’autre considérée comme authen-
tique. La première correspond bien aux exigences romanesques de
l’époque hellénistique tardive. C’est dans les Éthiopiques d’Héliodore
que l’on lit l’histoire d’une princesse éthiopienne qui mit au monde
un enfant blanc. Accusée d’adultère elle dut fuir peu de temps après
alors qu’elle était innocente car si l’enfant était née blanche, c’est que
durant la conception, elle avait regardé avec insistance un tableau
représentant l’héroïne Andromède : l’imagination avait marqué
l’enfant 86. L’autre histoire est symétrique, puisqu’il s’agit d’un enfant
noir né parmi les blancs : une femme grecque qui met au monde un
noir est accusée d’adultère (κρινοµνη µοιχεα) et se rend compte
bientôt qu’elle a une ascendance « éthiopienne » 87. Ces deux histoires
témoignent d’une conception très relativiste du bâtard et du monstre :
ce n’est pas la chose en soi qui le définit mais bien le fait qu’il ne
naisse pas là où il faut. L’imagination est à chaque fois un recours
dans ces quasi-actes de médecine légale. Ce fut le cas longtemps
durant les périodes postérieures où cette théorie était très attestée et
Pline, dans son chapitre sur la ressemblance, le disait aussi : la ressem-
blance peut être altérée par les images de l’esprit 88. « Altéré » est bien
le mot qui convient car, que ce soit par l’imagination ou l’adultère,
les principes sont mélangés et l’image du père devient autre (alter) et
par la même occasion elle est falsifiée. C’est bien le fait de devenir
autre (ad-alter) qui sous-tend le sens de l’adultère latin (adulterium) 89.
Il faudra donc toujours garder ceci à l’esprit : la ressemblance
des enfants aux parents constitue une importante ligne de démarcation
entre d’un côté, l’enfant légitime reconnu et de l’autre, le bâtard et le
monstre. C’est pourquoi une situation collective faste peut être définie
38 Monstres
Monstre ou infirme ?
trop étroite qui ne peut produire que des êtres faibles ou déformés et
d’autre part, les accidents. Dans les deux cas, la croissance de l’enfant
est gênée. « Si l’endroit de la matrice correspondant à telle articulation
du fœtus est étroit, il est fatal que, le corps se mouvant à l’étroit, le
fœtus soit estropié à cet endroit. C’est comme les arbres qui dans la
terre n’ont pas d’espace, mais sont arrêtés par une pierre ou autre
chose : en poussant, ils sont tortus (σκολι(ν), gros d’un côté, minces
de l’autre ; de même, l’enfant, si un endroit quelconque de la matrice
est trop étroit pour la partie (correspondante de l’enfant) 105. »
Deux tendances essentielles se dégagent donc de la collection
hippocratique où la réflexion est de nature principalement étiologique :
Aristote
1 2 3 ... n (n’)
1 2 3 ... n (n’)
e
tiques comprachicos de l’Espagne du XVII siècle, immortalisés par
Victor Hugo dans L’Homme qui rit.
Les cages où l’on élève les pygmées, qu’on appelle des nains, non
seulement empêchent la croissance de ceux qui y sont enfermés, mais
encore les estropient par les prisons qui contraignent leur corps (Longin).
Qu’il ait lieu à l’intérieur ou au dehors du corps maternel, le
mode de fabrication est le même 126. C’est pourquoi, cette notion de
corps contraint est mieux exprimée par les mots de la famille de
pêrôma que par le trop vague et peut-être trop racoleur téras.
En fait, la réflexion tératologique de la médecine apparaît en
négatif puisque la monstruosité ou la difformité – comme l’on voudra –
c’est-à-dire la non-conformité du corps aux attentes des hommes, est
précisément ce contre quoi lutte l’art médical. Il propose, quant à lui,
un ensemble de conseils, une ligne de conduite propre à un certain
art, la paidopoía, la kallipaidía ou encore l’euteknía, termes différents
pour désigner la même chose : l’art de faire de beaux enfants. Ces
prescriptions se retrouvent réunies dans des traités dont l’objet essen-
tiel demeure la physiologie féminine et le but avoué, la réussite d’une
belle descendance. Ce sont les γυναικεα, terme que l’on traduit
couramment par « gynécologie » et dont la transcription correspon-
drait plutôt au néologisme « féminitude ». Une procréation peut revêtir
un caractère monstrueux à défaut de cet art et dans l’ignorance de ces
conseils pratiques dont la maîtrise caractérise l’honnête homme, admi-
rablement personnifié par Ischomaque dans les Économiques de Xéno-
phon au IVe siècle av. J.-C. Dans ce cadre toute réflexion sur une
éventuelle bestialité fructueuse est absente, même si cette théorie est
pourtant approuvée par une majorité de savants antiques, dont Aristote.
AGRONOMIA TEKNOPOIA
+ terre fertile femme féconde
– terre inculte : mauvais produits femme stérile
+ mauvaises récoltes enfants difformes, monstres
– bonnes récoltes euteknía
L’agriculture et la gestation humaine
le vase a été brisé par la chaleur excessive du four, le pain a pris une
curieuse forme ou la statue de bronze a mal été fondue. Pour emprunter
à Rabelais une expression fameuse, le père d’un monstre se trouve en
situation d’être « tout estonné comme fondeur de cloche », lequel peut,
selon la lecture aristotélicienne, assister plus ou moins régulièrement
au spectacle d’une matière qui aura résisté à la forme.
Chapitre 2
CULTE ET FÉCONDITÉ
Technique et divinités
noces 37. L’on dit à ce propos que les héroïnes « dénouent leur virgi-
nité ». Mais la notion de ligature ne s’arrête pas là. Afin d’empêcher
une naissance ou du moins une délivrance facile, il est recommandé
aux témoins mal intentionnés de croiser leurs doigts ou leurs jambes 38.
Analogiquement, le sexe de la femme est comme un sac qui s’ouvre
et se ferme, qui aspire la semence de manière à concevoir et expulse
ce qu’il a en lui, le sang ou le fœtus, accomplit des mouvements
d’ouverture et de fermeture. Les médecins en ont une conception très
comparable. Dès que son « sac » est susceptible de fonctionner, c’est-
à-dire à la puberté, la femme est affublée d’une ceinture. La ceinture
nubile le ferme provisoirement jusqu’au jour du mariage où la femme
le dénouera ou se le fera dénouer par son mari dans un souci non
exclusivement érotique. Les divinités romaines qui surveillent ces
événements portent des noms évocateurs : Iuno Cinxia (cinctus, cein-
ture) ou Solvizona, « dénoueuse ». De plus, un rite pour un bon accou-
chement recommande à l’homme de dénouer sa ceinture, de la mettre
à sa femme puis de la lui enlever en disant : « Celui-là même qui l’a
liée la déliera 39. » Pour la femme enceinte, « être déliée 40 » signifie
être délivrée, autrement dit desserrer le sac pour que l’enfant puisse
enfin sortir. Toute cette symbolique se retrouve par exemple chez les
Saxons 41 et dans l’Inde védique 42 où tous les nœuds de la parturiente
doivent être défaits. En Provence, on ceignait le ventre de la future
mère d’un cordon qui avait été au préalable mesuré sur une statue de
Madeleine ou de la Vierge ; en Italie du Sud, on défait les coutures
du matelas pour faciliter la naissance de l’enfant. Que les stratégies
diffèrent selon les contextes culturels, la chose est indéniable, mais il
n’en demeure pas moins que le fonds symbolique demeure très
semblable et qu’il s’appuie sur une vision figurative et littérale de
l’action des forces surnaturelles éventuellement tératogènes.
Tous ces usages sont d’abord préventifs puisqu’ils se fondent sur
la réalité des pathologies nombreuses, souvent douloureuses, et quel-
quefois mortelles : le mal précède le discours moral. Ce souci des rites
est tout aussi préventif que le discours technique médical. Il partage
même avec celui-ci le fait de mêler actions matérielles et préoccupa-
tions morales qui, loin de se contredire, se complètent parfaitement.
Il serait donc illusoire de les opposer ou de montrer l’un des deux
comme l’aboutissement ou le dépassement de l’autre.
Sexualité, faute 67
Le principe
survient. Une voix se fait alors entendre dans le bois sacré de l’Esqui-
lin : « Que le bouc sacré pénètre les matrones italiennes. » Un oracle
étrusque interprète ce prodige : le bouc désigne Iunnus 44, incarnation
du dieu Faunus. Le devin fait tuer et écorcher un bouc, tailler des
lanières (februa) de sa peau pour que l’on en fouette les femmes : la
fête des Lupercales était née. De même, la flagellation du sol se
pratique lors des Feriae sementinae, forme de lustration intimement
reliée au thème de la fécondité dans la culture latine 45. Dans ce mythe
des Sabines, il est clair que la sanction frappe la violence du rapt. En
demeurant stériles, les Sabines incarnent la punition des Romains mais
elles ne mettent pas au monde de monstres. L’historiographie romaine
a limité cette sanction à l’absence, la stérilité, au lieu de développer
le thème de la déviance et de la monstruosité.
Variations littéraires
pas. Les femmes se mirent alors à enfanter des infirmes et des mons-
tres 62 ». D’autres versions de cette histoire font d’ailleurs mention
d’une stérilité du sol. Les Locriens vont alors à Delphes interroger
Apollon qui finit par leur répondre : il faut remplacer les deux servan-
tes décédées. La sanction vise ici le non-respect d’un contrat.
Transgressions et punitions
Les délits dont nous avons eu l’occasion de parler dans les cultu-
res grecque et romaine se limitent à quatre groupes. Aux serments non
respectés, à la violence (meurtre) et au vol, s’ajoute la démesure d’un
monarque, notion très générale, pouvant recouvrir les trois premières.
Ces délits s’avèrent tout particulièrement dangereux pour la cohésion
sociale, la paix et la prospérité, ausssi n’est-il pas surprenant que la
vindicte divine les punisse aussi lourdement. En effet, le vol de trou-
peaux et le rapt de femmes caractérisent un état qui précède tout ordre
social, c’est-à-dire antérieur à l’établissement des lois. Une fois
installé, cet ordre social impose un tout autre type d’accroissement.
De ce fait, la razzia doit laisser sa place à la moisson et à la repro-
duction (troupeaux), quant à l’échange exogamique dont les femmes
sont l’objet, il doit se substituer au rapt ou à l’inceste endogamique 70.
Il en est de même du meurtre et, notamment, celui du père ou du roi,
c’est-à-dire celui qui détient l’autorité. Au sein de l’ordre social, la
succession doit s’accomplir sans violence et en vertu de règles précises
alors que la prise de pouvoir par meurtre est le fait de l’usurpateur ou
du tyran 71. Enfin, le respect des serments comme celui des règles
76 Monstres
[il] gâte et abîme bien des choses ; car ses dérèglements occasionnent
d’ordinaire des pestes et beaucoup d’autres maladies variées aux animaux
et aux plantes ; les gelées, la grêle, la nielle proviennent en effet du défaut
de proportion et d’ordre que cet amour met dans l’union des éléments 72.
Cette description s’appuie exclusivement sur les qualités fonda-
mentales du chaud, du froid, du sec ou de l’humide : il n’intervient
aucun dieu et tout est mécanique. En respectant ainsi les impératifs
épistémologiques des penseurs philosophiques et médicaux, il n’y a
pas lieu de considérer ce schéma comme primitif, pas plus qu’il serait
opportun d’ailleurs d’en faire l’accomplissement positif du système
religieux. Il s’intègre à la représentation du monde d’un certain maté-
rialisme grec mais il ne lui est pas exclusif, comme nous venons de
le voir avec la mécanique des fluides présente en d’autres cultures.
Ce dernier exemple du médecin Eryximaque démontre une fois de
plus la proximité morale entre d’un côté, le discours tragique et reli-
gieux et de l’autre, l’analyse scientifique. L’excès et la démesure y
sont condamnés et l’on passe du schéma religieux au schéma magique
de manière progressive comme au travers d’un prisme. La cosmologie
adoptée par la plupart des écoles philosophiques – à l’exception des
Épicuriens et des Sceptiques – présente l’univers comme un Grand
Vivant (ζον )ν) où des correspondances peuvent s’établir entre des
actions cosmiques et humaines. Il s’agit d’ailleurs de l’une des bases
théoriques de l’astrologie antique. Dans certaines théories de la nature,
la dimension morale y est bien développée comme chez Pline : face
à l’affront commis par un homme, la nature peut réagir dans d’autres
domaines 73. Pour cela, elle obéit à des lois précises car la divinité
n’est pas extérieure mais inhérente au monde. Ainsi, le rentrait des
divinités classiques n’ôte pas systématiquement les dimensions mora-
les à l’obéissance des lois naturelles. Le sens de la monstruosité
demeure une punition et reste ainsi une notion théorique que les traités
de gynécologie plus concrets définissent ainsi : donner naissance à un
monstre est le propre de celui ou de celle qui n’ont pas respecté les
règles, les lois et les principes de la nature et qui au contraire, ont
commis bien des excès. Les différences que l’on serait tenté au premier
abord de considérer comme catégoriques tendent à s’estomper gran-
dement. Entre l’explication religieuse ancienne qui présentait le
phénomène tératologique comme la punition d’une faute non-sexuelle
et l’éthique philosophico-médicale, la nuance est quelquefois difficile
78 Monstres
à établir. Il ne faut certes pas nier pour autant les divergences mais
nous retiendrons que les discours savants – religieux comme philoso-
phiques – construisent une définition plutôt que de fournir une solution
concrète à des pathologies véritables que l’on voudrait éviter.
enfants siamois ne possèdent qu’une seule tête qui symbolise une unité
perdue puis retrouvée.
C’est en fait dans un tout autre contexte que l’on rencontre la forme
féminine d’androgynus puisqu’il s’agit de décrire non pas un physique
ambigu mais une qualité morale. Dans ses Faits et dires mémorables,
Valère Maxime (début du Ier siècle ap. J.-C.) nous parle d’une certaine
Amesia, de la ville de Sentinum en Ombrie, qui se serait défendue
seule en justice avec une telle ardeur qu’elle avait été surnommée par
la suite, Androgyne 146. Or l’auteur écrit « Androgynen appelabant »
alors que la forme accusative attendue en latin serait soit androgynam
soit androgynem. Cet androgynen est en réalité l’accusatif correspon-
dant dans la langue grecque (α$νδρογνην), ce qui souligne d’une part
l’importance du référent hellénique dans ce domaine et d’autre part,
le caractère néologique de la forme féminine. L’imaginaire – positif –
de ce quasi-oxymore, « feminae virilem », est ici exclusivement moral,
sans aucune allusion physique, à la différence d’une formule telle que
« feminae marem » qui aurait plus impliqué le mâle du côté de la
nature. Cette dimension morale n’est d’ailleurs pas absente des mots
grecs et avec androgúnos, on approche de l’idée de débauche, c’est-
à-dire de rôle et d’obligations non assumés selon son sexe. Ainsi, dans
une épigramme attribuée à un certain Myrinos en qui certains ont
voulu voir la forme hellénisée de Lucinius Varron Murena (siècle
d’Auguste), érudit latin qui se plaisait à écrire aussi en grec, le vieux
Ploutôn Statylios, débauché qui se parfume à outrance, qui porte des
habits féminins, se maquille et s’est affublé de cheveux postiches,
est-il qualifié d’androgúnos, qu’il faudrait traduire ici par « homme
féminisée » 147. L’univers du plaisir et de la perdition morale n’est
donc pas loin : il est tout à fait condamnable de ne pas faire honneur
à son sexe, comme put l’être aussi durant un temps de sa vie mythique,
le héros Héraclès sous l’influence d’Omphale 148. Ainsi, lorsque Pline
constate le recul du mot « androgyne » face à « hermaphrodite », le
premier pouvait posséder déjà, pour une bonne part, cette connotation
qu’il attribue entièrement au second, celle d’objet de délices, mis
particulièrement en valeur dans la sculpture. L’hermaphrodite fut un
thème de prédilection pour la sculpture mais ce personnage mythique
d’Hermaphroditos, fils d’Hermès et d’Aphrodite, incarne l’union des
corps dans l’amour 149. Pour le héros, il ne s’agit pas d’une pathologie
de naissance mais d’un état acquis qui, d’une certaine manière, appa-
raît comme le symétrique du mythe des trois sexes originels raconté
par Aristophane dans le Banquet de Platon. Les représentations icono-
graphiques de cet Hermaphrodite n’ont rien de pathologique au sens
Sexualité, faute 99
Le droit romain
crée un enfant avec plus de cinq doigts aux mains. En réalité, dans
ces controverses entre chrétiens et païens, Augustin attaque moins la
vision proprement religieuse de ses adversaires et leur attention toute
particulière pour les prodiges que la méthode philosophique dont il
condamne la vanité (vanitas philosophorum). Ces philosophes, pour-
suit-il, ne s’intéressent qu’aux causes matérielles et secondes au lieu
de remonter à la cause première qui est la volonté divine (id est
voluntatem Dei) 168. Sur les monstres, sa position est donc plus
anti-matérialiste qu’anti-païenne au sens religieux. Le monstre
comporte une finalité divine – il s’écarte donc sur ce point d’Aristote
pour qui le monstre pouvait être défini par l’absence de finalité – qui
n’est pas prophétique mais contemplative : il montre la toute-puissance
divine et la variété du monde en tant qu’œuvre de Dieu. C’est cette
position intermédiaire qui pourrait expliquer la valeur prophétique que
les docteurs chrétiens postérieurs ne craignirent pas d’attribuer à
nouveau aux monstra et autres portenta.
Durant toute cette période d’affrontements idéologiques des IVe et
e
V siècles, les naissances monstrueuses comme les prodiges en général
apparaissent comme l’une des pierres d’angle des joutes rhétoriques
et philosophiques mais certains événements politiques troublent quel-
que peu les données établies. Comme le regrettait en son temps Thucy-
dide 169, les peuples en danger se jettent toujours dans les bras des
superstitions les plus folles et bien des anecdotes rapportent des faits
comparables dans les moments critiques : par exemple, durant le siège
de Rome par le Goth Alaric (408), le pape Innocent Ier consulte les
haruspices 170 ou encore, assiégés par les Arabes en 717, les habitants
de Pergame tuent une femme enceinte, l’éventrent et confectionnent
avec le fœtus une soupe magique 171. Peu importe la véracité de ces
dire, ils expriment à leur manière une donnée psychologique indénia-
ble. Quoi qu’il en soit, l’enjeu idéologique du monstre semble décliner
au VIe siècle. Grégoire de Tours (538-594), homme d’Église issu de
la gente patricienne gallo-romaine, multiplie dans ses écrits les récits
de prodiges 172. Le refus identitaire de se référer à des signes n’est plus
strictement observé et le contexte trouble du règne de Chilpéric (580)
contribue largement à ce recours. Parmi tous les prodiges cités, il n’est
fait aucune allusion à des naissances monstrueuses. Ce ne sont souvent
que des phénomènes astrologiques, géologiques ou humains de grande
ampleur comme des épidémies ou des incendie de villes etc. La ques-
tion du monstre difforme est pourtant abordée par Grégoire mais dans
Sexualité, faute 103
ces témoins, ces faits divers ne s’analysent pas autrement que comme
des curiosités de la nature. Pas de dimension prophétique et ce malgré
le contexte politique difficile que fut le début du règne de Charles
VII. Il n’est fait nullement allusion à un quelconque message divin
néfaste bien que la situation semble idéale : il naît des monstres
doubles alors que la France connaît une contestation du trône ! Seul
le choix de l’un des deux prénoms, Jehanne, nous replonge dans
l’actualité du temps. D’ailleurs, quelques décennies plus tard, dans les
présages favorables à la victoire de Charles VII, les Vigiles de Charles
VII de Martial d’Auvergne n’évoquent qu’une croix apparaissant dans
le ciel : pas de monstre humain ou animal au service d’un quelconque
message 185. En fait, dans les manuscrits illustrés de Tite-Live ou dans
les traditions historiques médiévales, les nombreux présages signalés
sont, comme nous l’avons dit pour Grégoire de Tours, essentiellement
de nature sismique ou céleste à l’instar des conjonctions des astres,
des éclipses, des comètes, des météores ou encore du comportement
des oiseaux : c’est le cas notamment des prodiges qui annoncent la
mort de Charlemagne dans les Chroniques françaises de Guillaume
Crétin 186. Il existait donc de nombreux moyens divinatoires plus ou
moins tolérés et encadrés – d’origine savante comme l’astrologie –
visiblement préférés à la lecture des monstres biologiques. Il y a certes
un passage de Vincent de Beauvais (1190-1264) qui rapporte une
anecdote accompagnée d’une analyse tératomantique : au début du
règne de Guillaume de Normandie (Guilielmus), vers 1060, naquit
deux filles doubles avec deux têtes, quatre bras et tout le reste en
double jusqu’au nombril. L’encyclopédiste médiéval ajoute, sur la foi
de ses sources, que l’une des deux têtes mangeait plus que l’autre et
qu’elle commandait le reste du corps, symbolisant ainsi l’union de la
Normandie et de l’Angleterre, sous autorité de la première, et préfi-
gurant l’issue politique de la bataille d’Hastings en 1066 187. En fait,
il s’agit, comme pour l’enfant d’Alexandre, d’une histoire officielle,
tirée d’annales savantes écrites après coup et éventuellement conta-
minées par d’autres sources antérieures. Rien ne prouve que, sur le
moment, les siamoises furent ainsi analysées et Vincent précise bien
avant son commentaire : « il est possible à partir [...] de la tradition
savante... (Putatum est a quibusdam, et literis traditum quod...) ».
Chez le Bourgeois et les Parisiens de 1429, la lecture prophétique de
la naissance d’un être double n’allait pas de soi, et n’était pas réin-
terprétée a posteriori : aurait-elle été trop défavorable à la cause par
106 Monstres
INTERDITS PHYSIQUES
Dans une fable d’Ésope, on peut découvrir les ruses d’une belette
qui, voulant se régaler d’un coq, cherche à justifier la mort de sa proie
par un quelconque prétexte. Ainsi, elle l’accuse d’avoir indifférem-
ment des rapports sexuels avec sa mère et ses sœurs. Le coq tente
alors de justifier son acte mais la belette lui reproche d’« outrager la
nature » (< α$σε5" ε=η περ' τν +σιν) et le tue pour le dévorer.
Comme à son accoutumée, le fabuliste a attribué à la belette des
sentiments bien humains. En effet, l’observance de cet interdit consti-
tue l’une des nombreuses frontières qui séparent l’animal de l’homme
c’est-à-dire la nature de la culture. Le contexte est ici ambigu. La
114 Monstres
différence. [....] – Alors ceux qui procréent dans ces conditions procréent
autrement qu’il ne faudrait 35.
Xénophon (Socrate) se limite aux relations verticales et laisse de
côté celles de germanité. La situation envisagée ne correspond qu’aux
cas d’Œdipe, fils et mère, et de Myrrha, fille et père. Donner naissance
à des monstres ou des infirmes, voilà la sanction des couples inces-
tueux qui ne respectent pas la loi des dieux.
Manifestement, Socrate rationalise, c’est-à-dire qu’il sur-expli-
que un interdit mais à quel niveau ? Justifie-t-il un principe médical,
celui de l’âge idéal pour la procréation, par l’éventualité d’un inceste
tératogénique ? Ou inversement, justifie-t-il la prohibition de l’inceste
par des risques tératogéniques attribués par ailleurs aux écarts d’âge
trop élevés ? En clair, la crainte de la progéniture incestueuse mons-
trueuse est-elle rationalisée, c’est-à-dire qu’elle précède Socrate, ou
sert-elle ici la rationalisation de la théorie des écarts d’âges ? Il est
impossible de répondre avec certitude. En revanche, une chose semble
nette : Hippias ignore la croyance. Néanmoins, si elle précède Socrate,
il est probable qu’elle soit le fait d’une tradition orale plutôt réduite,
par exemple celle des matrones et des entremetteuses que Socrate put
tenir de sa mère. En bref, il pourrait s’agir d’une histoire de « bonne
femme » qui ne faisait pas l’unanimité 36. Pour étayer le deuxième cas
de figure, rappelons que dans les sociétés traditionnelles, l’écart d’âge
soulève souvent une forte réprobation. L’ancienne France connaissait
des charivaris particulièrement bruyants à cette occasion 37 et d’autres
cultures menaçaient les époux d’une descendance monstrueuse : au
monstre social que représente ce type d’alliance répond le monstre
biologique. Ainsi, la contamination du thème de l’inceste par celui de
l’écart des âges semble plus convaincante mais nous pouvons toujours
considérer comme plausible l’existence, en Grèce ancienne à une
époque reculée, d’une croyance aux relations incestueuses tératogènes
dite par exemple. Selon l’objet convoité, cet amour s’avère parfois
une terrible punition car il peut concerner un animal : c’est le cas dans
la célèbre histoire de Pasiphaé, l’épouse de Minos. Ce dernier ayant
soustrait d’un sacrifice, un superbe taureau blanc, il attira la vengeance
de Poséidon 38 qui fit inspirer à sa femme une passion impie pour
l’animal jalousé. Aidée de Dédale qui conçut pour elle une vache
mannequin où elle put se glisser, elle parvint à ses fins et mit au
monde le Minotaure de nature mi-humaine mi-bovine. Quant à la
légende de Polyphantè, elle fait intervenir un animal proche de
l’homme par son aspect et ses habitudes : l’ours. Le nom de l’héroïne,
Poly-phontè « Très-meurtrière », pourrait être une épithète cultuelle
d’Artémis, une sorte de synonyme. Dans l’histoire racontée par Anto-
ninus Libéralis qui prétend l’avoir lu dans le livre II de l’Ornithogonie
de Boïos, Polyphantè est fille d’Hipponoos et de Thrassa 39. Dédai-
gneuse des choses de l’amour, elle gagna la montagne et devint compa-
gne d’Artémis. Aphrodite offensée, lui inspira une passion pour un
ours avec qui elle s’unit, sa maîtresse horrifiée la fit poursuivre par
des bêtes sauvages. Elle put se réfugier dans la maison de son père
où elle mit au monde les fruits de ses amours contre nature, deux
enfants 40 à l’allure humaine mais douée d’une force prodigieuse :
Agrios, « Campagnard » d’où « Sauvage », et Oréios, « Montagnard ».
Mis à part leur grande force, leur aspect est humain. Le croisement
ours-femme ne produit pas d’êtres hybrides mi-ours mi-humain
comme c’est le cas du Minotaure ; il est vrai que l’ours est très souvent
considéré comme très proche de l’homme 41. Le caractère ursidé rési-
dait en fait dans leur moralité : ils étaient sauvages, loin du monde
civilisé comme l’indiquent leurs noms, ils n’honoraient pas les dieux
par un culte et de plus, ils pratiquaient le cannibalisme sur les voya-
geurs égarés. Ils furent pris en horreur par Zeus et furent transformés
en oiseaux rapaces : le lagôs 42 et le vautour.
Comme nous l’avons déjà souligné, la mixité des espèces était
acceptée dans le milieu savant. Citons sur le cloisonnement des genres,
l’anecdote de Plutarque à propos de Thalès 43. Rappelons les faits : un
des amis du sage organise chez lui un banquet mais peu de temps
avant le début des festivités, on annonce au maître la naissance dans
son troupeau, d’un hippocentaure ; l’hôte interprète cela comme de
fort mauvais augure mais Thalès qui est présent observe le jeune et
beau palefrenier. Il conseille plutôt à son ami, afin que ce genre
d’incident ne risque plus de se reproduire, de donner une femme à
Morale antique et paidopoía 121
celui qui a la garde de ses juments. La mixité des espèces s’érige ici
en argument matérialiste puisqu’il n’y a pas lieu de concevoir une
influence divine. Cette théorie des croisements de genres n’est pas
propre au mythe souvent décalé par rapport aux faits possibles. Au
contraire, une partie non négligeable du monde savant lui accorde foi.
La punition de cet acte délictueux et sexuellement impie coule de
source puisqu’il s’inscrit dans le physiologique : c’est la conception
de monstres hybrides. Pour ne pas être expérimentable, cette théorie
n’en est pas moins intéressante et très riche, puisque la logique qui
régit la sanction est de nature mécaniste, au même titre que se jeter
d’une falaise est sanctionné par la chute. Que ce soit Agrios, Oréios
ou de manière plus probante le Minotaure, les monstres conçus sont
viables et se posent comme la manifestation honteuse de la faute
maternelle. La logique du corps est ici si évidente que la dimension
morale de la punition tend à s’éclipser. Aussi, il faut garder à l’esprit
que la vengeance divine a commencé bien avant ces naissances, c’est-
à-dire dès l’inspiration de l’amour bestial, en représailles d’un autre
délit.
Toutefois, rappelons que dans les discours médicaux sur les
monstruosités, la théorie n’est à aucun moment sollicitée. Si elle est
considérée comme plausible, elle reste périphérique et loin des causes
les plus admises.
Le cas de l’adultère
Ambivalence du bâtard
Les notions
Léotychidès le bâtard
La verticalité sociale
espèce, les choses diffèrent. Il n’y a chez les médecins nulle trace de
« conflit de semence ». Aristote rapporte le cas d’une « femme adul-
tère [qui] mit au monde un enfant qui ressemblait à son mari et un
autre qui ressemblait à son amant 86 ». Dans ce passage où il présente
plusieurs anecdotes dont le cas mythique d’Alcmène, le Stagirite ne
cherche pas, contrairement à Manilius, à attaquer une théorie soutenue
soit par des auteurs savants soit par le bouche-à-oreille des bonnes
femmes, des entremetteuses, des sages-femmes ou autres nourrices
toutes au fait de ces choses-là. Ce serait pourtant bien dans son habi-
tude et cette absence laisserait supposer que cette croyance n’avait
tout simplement pas cours dans les divers milieux culturels de la Grèce
du IVe siècle av. J.-C.
La relation conflictuelle de semences apparaît chez certains
auteurs mais elle y explique la détermination du sexe ou la ressem-
blance à l’un des deux parents c’est-à-dire qu’elle a lieu entre la
semence du père et la semence de la mère. Fruit d’un mélange de
semences, l’enfant ne peut pas « mélanger » les sexes comme chez
les hermaphrodites. Ainsi, à l’issue de cet affrontement, un seul sexe
doit l’emporter. Par contre, la question de l’adultère n’est pas vraiment
abordée par les médecins. On trouve certes chez Plutarque la trace
d’une réflexion physiologique où le bâtard peut être défini comme
celui qui naît du mélange de deux semences masculines. En effet, à
propos du mot latin spurius qui sert à désigner l’enfant sans père,
c’est-à-dire sans père biologique précis et sans père social, il rapporte
tout en la contestant, l’étymologie que les Grecs de l’Empire donnaient
à ce mot latin. Pourquoi les Romains appellent-ils spurii les enfants
naturels ? « Ce n’est pas, comme les Grecs le pensent et comme les
hommes de lois l’affirment au cours des procès, qu’ils soient nés d’une
semence composite et commune 87. » La dimension monstrueuse du
bâtard pourrait ainsi consister à mélanger non seulement des lignages
mais aussi des ressemblances physiques entre deux hommes de famil-
les différentes. L’idée n’est cependant pas développée de manière
suffisamment claire pour en tirer des conclusions.
Par ailleurs, dans le livre IV de la Génération des animaux,
Aristote cite l’explication que donnait Démocrite au sujet des membres
ou des parties surnuméraires : « deux semences tombent dans l’utérus,
l’une s’élançant d’abord, l’autre ensuite ; et cette dernière une fois
sortie du mâle pénètre elle aussi dans l’utérus : si bien que leurs parties
confondent leur croissance et s’entrecroisent 88 ».
132 Monstres
LA PARTHÉNOGENÈSE
L’apparition de la femme
Les écarts
taires, sexues ou physiques. Il faut bien sûr établir une nuance entre
cette autonomie moralisante et l’hygiène dont la nature s’apparente
au bon sens mais cette nuance est très subtile voire inexistante car le
rapport à l’hygiène – tel qu’il apparaît également de nos jours – est
construit aussi sur le modèle moral. En outre, il faut tenir compte
d’une évolution accomplie entre le Ve siècle avant et le IIe siècle
après J.-C. En effet, selon Paul Veyne, Michel Foucault et d’autres
érudits 135, la morale sexuelle du début de l’Empire (Ier siècle ap. J.-C.),
annonce la période chrétienne sur de nombreux points, les significa-
tions restant malgré tout très différentes. La virginité par exemple,
commence à être idéalisée au IIe siècle après J.-C, au sein des écrits
médicaux. C’est aux alentours de ce siècle que l’on peut observer une
première étape d’universalité : la sexualité est jugée de plus en plus
dangereuse pour le corps, elle est apparentée à la maladie, voire au
mal. Le discours médical se soumet au discours moral. La moralité
du corps suit toujours la courant dominant. Ainsi, l’idéal sexuel se
rapproche du contenu de la future morale chrétienne. C’est pour cela
que les excès se doivent d’être dominés non plus au regard du statut
social de la personne mais au nom de la fragilité universelle du
corps 136. Tous les humains sont ici concernés tant sur le plan de la
nature que sur celui de la raison. Quant à la question tératologique,
les premiers auteurs chrétiens ont développé le thème des naissances
monstrueuses dans le cadre réduit des particuliers. C’est ainsi qu’à
l’instar de la médecine antique, la nouvelle prophylaxie sexuelle reli-
gieuse a circonscrit la place du monstre à la sphère privée, en lui
attribuant une simple fonction, celle de sanctionner les parents coupa-
bles de péchés exclusivement sexuels.
Toutefois, dans ces discours théoriques savants païens, nous
n’avons trouvé nulle trace d’ une réelle politique morale préventive
construite sur l’expérience effective de naissances malheureuses et de
sa mise en pratique dans la population. L’arrivée du christianisme, à
l’origine d’une nouvelle politique sexuelle avec des conceptions telles
que le mal et la chute, pourrait avoir modifié les données. Ni prophé-
tique, ni de nature sociale ou cultuelle, du moins pour les premiers
siècles, la dimension du monstre dans la morale chrétienne est propre-
ment inscrite dans la sexualité.
Chapitre 4
La tératogenèse
dans le christianisme :
ruptures et continuités
Pour étudier une théorie, nous pouvons dresser trois grands axes
d’analyse historique, c’est-à-dire trois perspectives pour en expliquer
la pérennité.
146 Monstres
C’est dans les livres VII et XXVIII de son Histoire naturelle que
l’encyclopédiste latin aborde la question. Le sang des règles posséde-
Tératogenèse et christianisme 151
rait des pouvoirs abortifs même sans contact direct, par le seul biais
du regard 11. Il peut tuer les insectes, comme les abeilles ou simplement
les détourner comme les fourmis 12. Sur d’autres matières organiques,
il a un effet nocif : les moûts tournent (acescunt musta) à la seule
approche d’une femme en cet état ; à son contact (tactae) les céréales,
les greffons, les plantes des jardins deviennent stériles (sterilescunt),
meurent (moriuntur) ou sont brûlés (exuruntur) 13. L’action néfaste
s’étend aussi sur les matières minérales et en particulier sur les
métaux 14. Même les éléments climatiques peuvent en être affectés et
ce, d’ailleurs, à des fins devenues fastes : si la femme indisposée se
dénude face aux éclairs, l’orage peut être combattu 15. Par contre,
lorsqu’un chien a goûté de ce sang, il contacte la rage et ses morsures
inoculent un poison sans remède (insanabili) 16.
Un bref récapitulatif nous montre que ces nombreuses caracté-
ristiques se résument dans la notion déterminante de chaleur de
l’humeur menstruelle :
– Elle tue les insectes et les chenilles mais l’opération doit être
accomplie avant le lever du soleil car les semences risqueraient d’être
brûlées (sementia enim arescere) par la conjugaison des deux sources
caloriques 17.
– Elle provoque stérilité et avortement (sterilisco), la sécheresse
étant importante dans la notion de stérilité 18.
– Elle brûle et dessèche (exuro) les feuilles.
– Elle provoque la pourriture, notamment des fruits tombant de
l’arbre qui subissent un mûrissement pensé en terme de coction deve-
nue excessive.
– Elle rend aigre (acesco, -aceo) ce qui est doux, en particulier
le mustum, c’est-à-dire un moût, un vin doux qui n’a pas encore subi
de fermentation. La fermentation que provoque le sang menstruel est,
à l’instar du pourrissement, assimilable à une coction, d’où l’aigreur
du moût.
– Elle provoque l’apparition de la rouille (robigo) du fer et
d’autres métaux, leur donnant ainsi une couleur se rapprochant du
roux (robus) et donc comparable au sang. Ce même phénomène ôte
leur faculté de réflexion aux miroirs fabriqués en métal dont l’oxyda-
tion provoquée par la rouille fait perdre le polissage.
– Elle donne la rage, rabies, qui signifie également « colère » :
le sang menstruel inocule au chien la maladie chaude par excellence,
que les médecins nomment aussi « hydrophobie » 19.
152 Monstres
l’étoile Sirius, qui n’est autre que son œil ou sa gueule, est censée
exercer son influence néfaste. Lorsque Sirius apparaît, un coup de
chaleur se fait sentir et les champs deviennent provisoirement stériles,
ce qui correspond en Grèce à la fin des moissons où tout est brûlé et
où la fièvre et la soif accablent hommes et bêtes.
Cosmique Animal
Constellation du Chien Chien
Canicule Rage, fièvre
Sécheresse Hydrophobie
Le véhicule de la chaleur
Enfin, pour clore cet aperçu des théories antiques sur le sang
menstruel, il reste à aborder ses pouvoirs sur les éléments météorolo-
giques. Une femme menstruée peut faire cesser une tempête ou un
orage en se présentant nue face aux éclairs (contra fulgura) à tel point
qu’en mer, même hors période menstruelle, on peut lui demander
d’apaiser les éléments simplement en se dénudant. Et donc, dans ce
cas également, l’action des règles sur les éclairs et la foudre peut se
lire de manière homéopathique. Il est de plus intéressant de souligner
que les effets attribués à la foudre ne sont pas sans rappeler ceux du
sang menstruel. D’après Sénèque 40, sous l’action de la foudre, l’argent
des pièces fond sans que soit abîmée la cassette qui les contient, le
métal de la pointe des javelots coule alors que la hampe de bois n’est
pas touchée, l’épée fond dans son fourreau intact, le vin est coagulé
(stat fracto dolio vinum) dans son tonneau qui n’est en rien affecté.
Lucrèce 41 reconnaît à la foudre les mêmes vertus et évoque aussi le
cas du vin dans le tonneau. Il en est de même pour Pline 42 qui reprend
ces mêmes exemples. La foudre a donc pour effet remarquable de
détruire n’importe quel contenu sans pour autant s’attaquer au conte-
nant (parfois d’un matériau plus fragile que ce qu’il renferme) : l’épée
du fourreau, les pièces du coffre ou le vin du tonneau. On peut y voir
quelque ressemblance avec les vertus du sang menstruel d’autant que,
dans le même registre intérieur-extérieur, Pline relate une anecdote
relative à une certaine Marcia qui, frappée par la foudre, survécut sans
aucune séquelle (« icta gravida, partu exanimato, ipsa citra ullum
aliud incommodum uxit »), alors que l’enfant qu’elle portait fut brûlé
sous l’effet d’une coction excessive 43, comme cela eût pu survenir
dans la proximité d’une menstruée ou de son sang.
Tératogenèse et christianisme 157
souffrent d’un excès de chaleur. Cette situation les plonge dans une
grande mollesse et de plus, en cette période de travaux agricoles, il
convient d’économiser sa vitalité. Cette même idée est exprimée par
le proverbe français 50 « En juillet, ni femme ni chou » : il faut éviter
une trop forte dépense pendant la canicule tant sur les plans sexuels
qu’alimentaires, et à ce sujet le chou 51, comme tous les purgatifs, est
à proscrire en certaines saisons : « Si vous voulez raccourcir la vie de
votre mari, donnez en mai et en juin des choux à manger. » Nous
voyons ainsi que se rejoignent des recommandations de l’école de
Salerne, d’origine savante, et des proverbes populaires – d’ailleurs
souvent imprégnés des principes salernitains lorsqu’il est question de
médecine.
Le danger encouru par le mari en période menstruelle est de
même nature : épuisement par la chaleur du corps féminin que néces-
site la purgation. En effet, le seul moment où ces rapports sont conseil-
lés, précisément au début de la période, se situe dans le contexte
thérapeutique du traitement de la fièvre quarte ainsi que du paludisme,
que caractérise une forte fièvre 52. Nous avons vu le lien symbolique
entre les règles et la canicule. Dans les deux cas, il est fortement
déconseillé aux hommes d’avoir des rapports pendant les règles de la
femme, mais aucun interdit religieux ne vient sanctionner ce fait :
d’autre part, les médecins antiques recommandent très souvent de
procréer juste avant la fin de l’évacuation des menstrues, moment où
la femme serait la plus féconde : ce serait bénéfique pour la progéni-
ture, le seul risque couru par l’homme serait un épuisement excessif.
Chaque mois, les corps lourds et apathiques des femmes sont allégés
d’une effusion de sang immonde. Auquel, si l’homme s’accouple avec la
femme, on dit que ces enfants conçus contractent le vice de la semence,
de sorte que, de cette conception, ils naissent lépreux et éléphantiasiques,
et que ce pus vénéneux fait, en l’un et l’autre sexe, dégénérer les corps,
et les rendent difformes par la petitesse ou l’énormité des membres 61.
[Jérôme, Commentaire à Ézéchiel, 18, 6.]
Alors les hommes doivent s’abstenir. Car alors seront conçus des
enfants privés de membres, des aveugles, des boiteux, des lépreux afin
que les parents n’ayant pas rougi de se mêler dans leur chambre, leurs
péchés soient manifestes à tous et soient dénoncés dans les petits 62.
[Pseudo-Jérôme, Glose ordinaire à Ésaïe, 64, 6.]
Celui qui connaît sa femme lorsqu’elle a son flux, ou qui ne peut
se contenir ni un dimanche, ni lors d’une quelconque autre occasion
consacrée concevront des enfants qui naîtront lépreux, épileptiques ou
même démoniaques 63. [Césaire d’Arles, Sermon, 292, 7.]
Les textes de Jérôme et du pseudo-Jérôme sont des commentaires
de prophètes où les règles sont abordées dans un contexte métapho-
rique comme c’est le cas dans d’autres passages de l’Ancien Testa-
ment : ils sont censés éclairer le contenu et le sens de cette méta-
phore 64. Par contre, le sermon de Césaire, très certainement lu à haute
voix, relève plus de l’explicitation d’un interdit nouveau. Quant à leur
contenu, Jérôme parle de la nocivité matérielle du sang (sanies
corrupta), dont les conséquences sont la lèpre, l’éléphantiasis ou la
difformité des membres ; le pseudo-Jérôme de sanctions divines, lèpre,
privation de membres, boiterie ou cécité ; Césaire d’Arles (470-543)
également de punition divine, qui peut rendre l’enfant lépreux, épilep-
tique ou démoniaque.
On le voit, la punition commune aux trois textes est la lèpre,
mais la raison invoquée par Jérôme est d’ordre physiologique : à
l’interdit du Lévitique, il apporte une justification issue de la culture
folklorique ancienne et locale, tandis que le pseudo-Jérôme et Césaire
évoquent la punition divine. Pourtant, la présence de l’épilepsie chez
Césaire, puis chez Grégoire de Tours au VIe siècle, doit nous alerter :
comme nous l’avons vu plus haut, l’épilepsie est l’une des maladies
susceptibles d’être guéries par le sang menstruel ; l’excès de chaleur
est la cause de ce mal longtemps désigné par l’expression « maladie
sacrée » et souvent apparenté à la rage. Quant à la lèpre et l’éléphan-
Tératogenèse et christianisme 161
Il est donc clair que l’interdit est judaïque mais que la sanction
évoquée appartient à la symbolique folklorique et savante préchré-
tienne. De la même façon, des savants juifs des débuts de l’ère chré-
tienne et du Moyen Âge, comme les médecins rabbi Avin ou Yosef
ben Me’ir Zabara 65 menacent de la lèpre les enfants des couples unis
en période menstruelle. Les auteurs de certains traités talmudiques ou
médicaux, tout comme leurs contemporains chrétiens, joignaient à leur
foi religieuse la connaissance de la médecine humorale grecque. Ainsi,
Zabara écrit :
Celui qui couche avec sa femme et elle impure, elle sera grosse de
sa semence, le nouveau-né sera à jamais lépreux [...] car le sang des
femmes impures qui est plus chaud que le sang du corps, puisqu’il est
immondices du sang et humeurs mauvaises, se mélangera à la semence
dont naîtra le nouveau-né et sa nature sera comme la nature de ce sang
et avec le temps son sang se perdra et pourrira et en sortira le mal
de la lèpre 66.
Les auteurs chrétiens se sont-ils inspirés des auteurs juifs ou
l’inverse ? Ce dernier cas semble le plus probable puisque dans le
traité Niddah il n’est pas question de lèpre, mais de la connaissance
précise des premiers moments de la menstruation 67. Toutefois, que ce
soit pour les docteurs juifs comme Zabara ou les auteurs chrétiens, il
s’agit de justifier physiologiquement un interdit transcendant.
Ajoutons que cette cause religieuse de la lèpre, punition divine
manifestant sur tout le corps la perversion et la situation de péché, a
ensuite été reprise par tous les auteurs chrétiens, dont Grégoire de
Tours 68, quelquefois d’ailleurs à propos de fautes sexuelles sans
rapport avec le sang menstruel, en particulier le non-respect des jours
sacrés. Conçu dans la concupiscence et la transgression d’un interdit,
il n’est pas surprenant que le lépreux ait été longtemps et à tort
soupçonné d’une forte activité sexuelle 69.
Ainsi, pour le pseudo-Jérôme, Césaire d’Arles et Grégoire de
Tours, la menstrueuse ne représente pas un danger physiologique parti-
culier, mais c’est seulement la vengeance divine qui est prise en
162 Monstres
La médecine savante
La culture folklorique
L’Antiquité classique
est utile car celles qui s’en abstiennent totalement risquent d’avoir une
délivrance difficile mais, comme toujours, point trop n’en faut. L’acte
sexuel trop souvent répété par la gravide lui fait risquer de mettre au
monde un enfant faible 103. De même, Soranos 104 et Rufus 105 s’oppo-
sent aux rapports durant cette période.
De leur côté, les moralistes s’intéressent au problème mais, bien
entendu, les enjeux sont différents. Pour les stoïciens, ennemis décla-
rés de la passion, la sexualité ne peut avoir d’autre but que la fécon-
dation. Aussi, avoir des rapports avec son épouse enceinte ne peut
plus se justifier, l’individu fait donc cela par passion, comme avec
une courtisane, et non par devoir. Le juif platonicien Philon d’Alexan-
drie expliquait ainsi les interdits du Lévitique, se montrant en cela
plus stoïcien et néoplatonicien que juif : ceux qui ont des rapports
avec une femme menstrueuse et les sodomites ont en commun de
gaspiller leur semence et, reprenant une image classique, il écrit : « Tel
un mauvais cultivateur, il perd jour et nuit son labeur sur un sol dont
il ne peut rien espérer 106 », rajoutant : « Tous ceux qui se font un art
d’étouffer la vie de la semence lorsqu’elle se répand se déclarent
ennemis de la nature. » En ce qui concerne les femmes enceintes, cet
interdit est absent du Lévitique, et d’ailleurs lorsque Flavius Josèphe
y fait allusion, c’est à propos d’une secte, celle des esséniens, mais
en aucune manière cette réflexion ne concerne le reste des juifs 107. De
plus, le Talmud 108 autorise ce type de rapports en recommandant
cependant l’usage de tampon afin d’éviter une superfétation nuisible
à l’enfant. L’intérêt qui prime ici est la santé du fœtus.
La position de l’Église
Les arguments
Les causes
Les risques
noluerit ; qui tunc concepti fuerint, aut leprosi, aut epileptici, aut
daemoniaci nascentur 137. »
Nous avons déjà eu l’occasion d’étudier ce texte à propos des
règles féminines car l’évêque d’Arles y aborde les deux sujets. Il
convient maintenant d’essayer de mettre en évidence une correspon-
dance entre la nature du délit et celle de la sanction. Nous avons vu
que la lèpre était fortement associée aux règles et qu’il pouvait en être
de même pour l’épilepsie. Par contre, il semble bien que le daemo-
niacus (démoniaque) concerne plus particulièrement l’interdit domi-
nical car, outre l’allitération (dominic-/daemoniac-) il est reconnu que
lors de la conception, les parents ne façonnent pas uniquement le corps
de l’enfant mais aussi son âme. Conçue un dimanche et peut-être sous
l’effet du vin, la progéniture est marquée par la faute non dans sa
chair mais en son âme. Ainsi, l’épilepsie pourrait en vertu de ses
symptômes particuliers, se rattacher également à ce dernier thème. La
maladie sacrée deviendrait assez aisément la maladie démoniaque.
Un texte d’un auteur d’une génération postérieure à Césaire,
Grégoire de Tours, aborde aussi ce sujet. L’évêque nous raconte que
dans le Berry (in Biturigo), une femme mit au monde un enfant
malformé 138, « ... cujus poplites ad stomachum, calcanei ad crura
contraxerant : manus vero ejus erant adhaerantes pectori, sed et oculi
clausi erant » 139. La mère finit par avouer qu’elle l’avait conçu une
nuit de dimanche (... nocte illum Dominica generatum). L’enfant,
devenu adulte obtint sa guérison sur le tombeau de saint Martin
(... directis omnibus membris, plenissimam obtinuit sanitatem) et
Grégoire finit son histoire par une exhortation aux parents de ne pas
violer la nuit du dimanche (per violionem noctis Dominicae). Car ceux
qui ne s’y tiendraient pas et auraient des rapports durant la nuit sacrée
– polluant ainsi le jour réservé au Seigneur (autem diem in laudibus
Dei impolluti) – ceux-là donneront naissance à des enfants aux
membres contractés, épileptiques ou lépreux (... contracti, aut epilep-
tici, aut leprosi filii nascuntur). Le premier des trois types de tares
physiques énoncées par Grégoire est directement lié à l’anecdote qu’il
vient de rapporter et dont il précise qu’elle ne lui est pas parvenue au
moyen du bouche à oreille mais directement. La paralysie générale
des membres pourrait faire référence aux miracles accomplis par Jésus
décrits dans plusieurs passages des Évangiles. En revanche, pour l’épi-
lepsie et la lèpre, le domaine correspondrait plutôt à celui du sang
menstruel. Mais les interdits des menstrues et du jour dominical sont
180 Monstres
La position
L’inceste
dans le cas des jours interdits non respectés. Ce sont deux critères de
ratage d’un enfant : l’un est corporel, l’autre est le critère d’immoralité.
Pour revenir au thème de la stérilité, celle-ci se manifeste par la
sécheresse, l’aridité et le feu, c’est-à-dire tout ce qui s’oppose à l’élé-
ment eau. En son temps, James G. Frazer avait déjà constaté cet aspect
de l’inceste dans ses manifestations cosmiques et Françoise Héritier
depuis y a également beaucoup insisté. La concentration de semblable
provoque un excès de chaleur qui dessèche les corps mais aussi la
nature et le cosmos comme les puits, les plantations, les rivières ou les
pluies devenues rares. La culture chrétienne médiévale développe assez
souvent ce schéma, du moins sous un aspect symbolique. Lorsque la
sanction de l’inceste est cosmique au sens large c’est-à-dire météoro-
logique, géologique, sismique, urbaine ou encore politique, le feu et la
foudre semblent assez prédisposés à intervenir. Les Évangiles des
quenouilles nous donnent un exemple de cette croyance : « prent sa
commere par mariage, toutesfois qu’ilz se conjoindrent charnelement,
qu’il tonne ou fait volontiers oraige ou en terre ou en mer » (IV, 3).
D’ailleurs, le lien ici dénoncé n’est pas celui de sang mais celui
d’alliance, celui de la paternité ou maternité spirituelle : c’est l’enfant
et sa marraine. Certes, cette dernière est par la suite, souvent issue des
proches parents mais pour cet exemple, on pensera d’abord à un
inceste du deuxième type 157.
L’exemple du mariage du comte d’Anjou Geoffroy Martel est
également explicite. En 1032, il épouse Agnès la veuve de son cousin
Guillaume. L’union est donc un inceste par alliance, également du
deuxième type. Sur ce fait, le rédacteur des Annales de Saint-Aubin
écrit : « Geoffroy prit Agnès en mariage incestueux et la ville d’Angers
fut brûlée dans un incendie horrible 158. »
La punition s’exprime ici aussi sur le plan collectif, sous la forme
de feu et de chaleur particulièrement redoutable à l’époque : l’incendie
urbain. Avec le monstre qui est la punition individuelle, le feu demeure
l’élément important qui entre en action dans la punition collective de
pratiques incestueuses. Ainsi, que ce soit pour la menace tératogène
ou la valeur thermique de l’acte incestueux, les discours moraux de
circonstance qui se rapportent à l’idéologie sexuelle tendent évidem-
ment à se greffer sur des bases mentales et théoriques que nous pour-
rions dire plus traditionnelles. Elles appartiennent à un pré-requis,
c’est-à-dire à une représentation séculaire du monde, peut-être essen-
188 Monstres
calcul patrimonial qui permet de ne pas diviser les biens. Il est en plus
secondé par un orgueil qui œuvre pour la conservation de la probitas
familiale, sa pureté de sang. D’autre part, les unions incestueuses
répétées altèrent les corps et les esprits de la famille. Il y eut quatre
aliénés et ailleurs dans l’ouvrage, le Papet sous-entend sa propre stéri-
lité. De plus, le personnage de Galinette est roux et ses yeux ne peuvent
rester en place car un tic les fait cligner fortement. On dit que Galinette
parpelège. L’exemple animal, celui des lapins pour qui ce genre
d’unions serait aussi nocif, souligne la nature biologique et non plus
morale de la dégénérescence.
Ce lien intime établi entre l’inceste et la monstruosité ou l’infir-
mité physique, a pu bénéficier comme toujours dans la pensée
commune d’un apport de la culture savante scientifique. Pour l’Anti-
quité et le Moyen Âge, le discours religieux n’a pu guère se fonder
sur des thèmes médicaux. La sanction se décline principalement autour
de l’imaginaire du feu, avec l’aridité, l’incendie ou la stérilité. Par
ailleurs, le cou d’oiseau du fils de Robert le Pieux ne s’explique par
aucune loi physique. La chose est toutefois différente pour l’époque
contemporaine où l’on fait appel à l’élément « physiologique ». En
effet, l’augmentation somme toute assez faible des probabilités
d’apparition des tares congénitales sur les individus d’une population
endogame a légitimé a posteriori l’usage des alliances exogamiques.
C’est en vertu de quelques réalités scientifiques que maints anthropo-
logues ont expliqué dès la fin du XIXe siècle, la prohibition universelle
de l’inceste et quelques chercheurs récents continuent d’analyser cet
interdit au travers de la grille hygiéniste 161. Cette image demeure
encore très forte aujourd’hui et elle n’est peut être pas dénuée de tout
fondement scientifique. En effet, les populations isolées aux pratiques
exogames limitées subissent un fort soupçon de dégénérescence et en
particulier les groupes montagnards. Ce sont les populations alpines
auxquelles se rajoutent de surcroît l’imaginaire issu du crétinisme
thyroïdien avec le goitre et le retard mental, ou la laideur des hillbillies
du Kentucky quelquefois représentés avec plus de cinq doigts aux
pieds... Dans ce domaine, la théorie populaire a bénéficié d’un stimu-
lant récent, celui de la science médicale génétique. À ce niveau, la
notion d’inceste n’existe plus telle quelle puisque le sens du mot aurait
tendance à se limiter aux viols et abus sexuels d’enfants par des
proches parents de la victime. Toutefois pour ce qui nous préoccupe,
c’est une autre notion qui a pris le pas : celle de consanguinité. Cette
190 Monstres
L’ADULTÈRE, LA BESTIALITÉ
ET LES RAPPORTS AVEC LES DÉMONS
L’adultère
femme qui met au monde deux jumeaux et qui pour cette raison
devient l’objet des soupçons de sa voisine : « Si sa femme a eu deux
fils, / Ils sont déshonorés tous les deux / Car nous savons bien ce qu’il
en est : / On a jamais vu / Et on ne verra jamais / Une femme accoucher
/ De deux enfants à la fois / À moins que deux hommes ne les lui
aient faits. » La morale contre la médisance est sauve malgré tout
puisque la voisine met au monde des jumeaux l’année suivante 163.
Cependant, cette théorie est assez peu soutenue par l’ensemble des
savants et n’apparaît pas parmi les superstitions populaires.
La bestialité
La démonologie
vu un bébé aussi velu et ce, sur toute la surface de son corps, scène
d’accouchement maintes fois représentée dans les divers manuscrits
médiévaux de l’histoire de Merlin.
faculté de concevoir des monstres, certes non pas par critique maté-
rialiste. Ainsi, la plupart des auteurs du XVIe siècle comme Ambroise
Paré ou Pierre Boaistuau 182 qui par ailleurs acceptaient la bestialité
tératogène, ont sur la démonologie, prudemment suivi les thèses cano-
niques. Au début du XVIIe siècle, Fortunio Liceti explique aussi le
pouvoir tératogène des démons uniquement par leurs actions néfastes
exercées sur des fœtus déjà conçus 183. Le savant italien retrouve à
cette occasion un thème bien antérieur au christianisme. Il s’apparente
à celui de la magie, c’est-à-dire que le démon dysembryogénique est
commandé et dirigé par un pacte de sorcellerie. Au contraire de la
démonologie savante, ce thème se retrouve fréquemment et à diverses
époques dans la culture folklorique européenne et extra-européenne.
Si le lien entre sexualité démoniaque et naissance monstrueuse est
rejeté par l’Église dès la fin du XVe siècle, c’est toutefois après avoir
été admis, du moins dans les débats et ce durant plusieurs siècles. On
remarquera d’ailleurs la particularité des témoignages établis par des
femmes ainsi possédées qui décrivent leur état comme paralysant, une
sorte de sommeil dont le souvenir des moments de la possession est
très vague, voire inexistant. À son réveil, la mère du futur Merlin
s’exclame : « Sainte Marie, que m’est-il arrivé ? Je ne suis plus la
même, hélas, que lorsque je me suis couchée ! » Ce type de description
correspond assez bien à certains récits de femmes fécondées lors d’un
viol et surtout de mères d’enfants difformes, viables ou non. Le refus
de reconnaissance de cette maternité embarrassante, attribuée à une
origine plutôt mystérieuse, renverse la perspective. Le rejet ainsi
accompli pour lequel la psychanalyse a souligné l’importance, a pu
se nourrir de propos démonologiques. La société, c’est-à-dire le
discours masculin officiel et dominant, a peu insisté sur cet aspect,
peut-être parce qu’il était trop culpabilisant et qu’il mobilisait trop
d’enjeux émotifs. Il est clair que par ailleurs, l’argument démonolo-
gique a pu s’alimenter de récits d’expérience, fruits d’une classique
pathologie mentale. C’est une question qui mériterait d’être
approfondie 184.
Pour clore le bref panorama de ce thème, examinons un instant
les Pensées sur la comète (1681) d’un auteur français du XVIIe siècle,
Pierre Bayle (1647-1706). L’action des démons y est dépeinte comme
effective, c’est-à-dire que ceux-ci semblent exercer un réel pouvoir
sur la matière. Comme pour Vico, le matériau d’analyse n’est pas
contemporain, puisque le raisonnement est fondé sur quelques anec-
Tératogenèse et christianisme 199
/ privé mais nous la poserons malgré tout dans l’acception des mots
latins publicus et privatus à propos précisément des prodiges, ce que
l’astrologie grecque établissait avec les mots katholikon et genethlia-
kon, c’est-à-dire « général » (universel) et « particulier ». Ainsi donc,
à l’époque paléochrétienne, le monstre est traité dans le cadre du
discours sur la sexualité et de ses nouveaux interdits. Il s’agit d’une
sanction logique qui frappe les contrevenants à l’interdit sexuel :
l’enjeu n’est que celui du particulier et aucune lecture collective, et
donc prophétique, n’est à considérer. L’on peut cependant s’interroger
sur l’ampleur d’un véritable bouleversement ou d’un changement à
propos de la place du monstre dans la société romaine au tournant de
la période chrétienne. Tout d’abord, nous l’avions souligné, la science
divinatoire mésopotamienne et étrusque comme la théorie prophétique
développée plus tard au XVIe siècle, sont le produit d’une classe réduite
dont les théories n’étaient pas forcément répandues au sein de la
population. Par ailleurs, le texte de Xénophon 188 sur les conséquences
des unions illicites – dont les incestueuses – laissait malgré tout suppo-
ser un lien sous-jacent entre sexualité hors norme et tératogenèse qui
n’avait comme enjeu que la sphère généthliaque. En effet, citons à
nouveau le texte : « ceux qui transgressent les lois établies par les
dieux subissent un châtiment auquel il est absolument impossible à
l’homme de se soustraire [...] quelle est la punition que ne peuvent
cacher ceux qui ont des relations intimes » illicites ? La structure est
claire et rappelle d’une certaine manière l’argument de la négation des
dieux par le Sisyphe de Critias 189 : la justice des hommes sanctionne
les actes connus mais il faut bien des dieux pour punir les délits
demeurés cachés ou les pensées, même les plus intimes. Le clivage
est ainsi posé : ce qui est secret opposé à ce qui est connu de tous.
Les dieux ont pour ainsi dire mission de dévoiler les secrets et cette
mission est clairement établie par Jérôme au sujet du Dieu chrétien
par rapport aux délits sexuels, ceux les plus secrets et les plus intimes.
Ces délits, ces péchés désormais, finissent toujours par être connus
car le monstre ou quelquefois les jumeaux, voire les ressemblances
ou les dissemblances, sont là pour manifester la chose : « nihil occul-
tum quod non manifestetur 190 ». Ainsi, pour le passage de l’ancienne
religion au christianisme triomphant, l’on ne peut considérer qu’un
changement progressif et non une révolution. L’originalité chrétienne
des premiers temps réside peut-être dans l’explicitation violente et
systématique de ce type d’argumentation tératologique.
Chapitre 5
L’analogie
Les interdits
Ça, elle est allée à Lourdes dans cet état de grossesse, elle était un
peu je-m’en-foutiste, ça je le sais, elle s’est moquée des malades. Est-ce
qu’elle a vu un malade auquel elle s’est moquée, je ne sais pas, mais elle
s’est moquée et té, bel et bien que la petite est née comme ça 20.
À forte connotation morale, ce dernier thème conserve malgré
tout un côté hygiénique. Intermédiaire divin ou plutôt mécanique de
l’« envie », du « mauvais œil » ou de la baskanía antique, la démesure
physique vient sanctionner et équilibrer en quelque sorte la démesure
de l’esprit que constituent le mépris et la jalousie. Le christianisme a
particulièrement bien exploité ce rapport entre, d’un côté, la moquerie
et le blasphème et, de l’autre, le corps disgracié 21.
Interprétations
L’imagination
Quelques exemples
Et alors, elle a été malade, cette femme, jusqu’à ce qu’elle ait accouché,
elle a eu cette hantise, de peur de mettre au monde un enfant comme celui
qu’elle avait vu 67.
Comme la lèpre et la folie, la monstruosité physique se pense
comme un danger susceptible de se répandre, de contaminer la popu-
lation saine et d’enclencher un processus de décadence. Ainsi, le seul
remède efficace est l’enfermement de ces êtres. Ça n’est cependant
pas la matérialité de la vue qui est envisagée comme l’explication
évidente. Pour Cyrano de Bergerac, lecteur assidu du matérialiste
épicurien Gassendi, la vue est matérielle mais l’action déterminante
dans la fabrication des monstres est celle de la matrice qui modèle
l’enfant dont la chair est malléable 68. Scevole de Sainte-Marthe se
sert d’une comparaison bien classique : la mère et l’enfant sont liés
même par les émotions : « comme la peau de la mère se trouve plus
dure, celle de l’enfant, qui est plus tendre, obéit et reçoit seule et
facilement comme une cire molle, la figure qu’on lui imprime 69 ». Par
modelage ou impression – soulignons une nouvelle fois le double sens
du mot –, la matrice de la femme exerce le rôle d’un support où
l’image vient s’appliquer comme sur un miroir ou sur le fond d’une
chambre noire, comme sur une feuille de papier ou une tablette de
cire. Analogie féminine à connotation plutôt passive et présentant
toujours la même ambivalence, l’image du monde extérieur peut être
positive – celle du père ou celle d’un beau portrait – ou au contraire
négative comme le sont celles du monstre ou du bâtard.
quoi de plus naturel au sein d’un monde où tout est relié dans un
complexe et logique réseau de sens. Ainsi, les effets de l’imagination
sanctionnent tout écart à l’interdit religieux nouveau et les précautions
se moralisent d’autant. La culpabilité de la mère s’en trouve chargée
car c’est bien elle qui n’a pas observé les prescriptions propres à son
état et l’on ne s’en étonnera pas lorsque l’on connaît l’ampleur des
attaques proférées – encore aux XIXe et XXe siècles – par l’Église et
une partie de la bonne société morale à l’encontre des manifestations
publiques comme le bal, le Carnaval, le théâtre et le cinéma. L’immo-
ralité de ces arts plus ou moins neufs ne pouvait avoir qu’une action
maléfique sur les mœurs et sur la santé des femmes gravides et de
leurs enfants. Ces croyances d’abord de nature hygiénique avec à la
clef, des pathologies réelles, se sont trouvées noyautées par des consi-
dérations d’ordre moral pour lesquelles les conséquences sur le physi-
que des enfants conçus ont été pour la mère des occasions supplé-
mentaires de culpabilisation. Culpabilité construite sur le non-respect
des interdits ou sur la simple négligence des préventions mais culpa-
bilité qui s’avérait cependant moins grave que celle liée à des interdits
sociaux comme l’adultère.
d’une tache rouge mais une frayeur ou une surprise causées par un
sanglier, un écureuil ou un cochon provoquent un nævus poilu 80. La
proximité des mécaniques est évidente mais le point commun s’arrête
là, notamment dans la gestion sociale de la précaution. Alors que
l’interdit et l’imagination recommandent une attitude négative par le
refus ou la mise à l’écart, l’envie, lorsque son importance est recon-
nue 81, implique l’obligation de la satisfaction et c’est là toute sa
particularité.
L’envie est d’abord définie comme une fringale violente à l’égard
d’un produit de consommation courant ou au contraire surprenant et
inhabituel comme la terre 82. À côté de ce manque, il existe un autre
sentiment, négatif celui-là, dans la mesure où la mère ne désire rien,
pas même pas s’alimenter, c’est ce que l’on appelle les nausées.
Chacun de ces deux désagréments correspond au deux versants d’une
même idée qui considère la grossesse comme une situation de désé-
quilibre. Ces deux niveaux contradictoires mais complémentaires
sont désignés dans l’Antiquité gréco-romaine avec le même mot, la
κσσα / κττα grecque et la pica latine qui dans les deux langues
désignent également la pie 83. La voracité de l’oiseau et son côté voleur
expliquent peut-être l’emploi de ce mot pour désigner ces sensations
dans les langues grecque et latine. Toutefois, les mythes étiologiques
ne confirment pas cette hypothèse.
Quant à ces envies, diverses sources distantes dans le temps et
l’espace établissent de manière unanime que lorsque la mère porte
une fille, les envies sont plus violentes, voire meurtrières. Aristote
soutient cette opinion qui était très certainement courante dans la
société 84 et on la retrouve dans un tout autre contexte, celui des
théories « populaires » du Moyen Âge chrétien 85. La théorie – a priori
vaguement misogyne – prend une toute autre dimension lorsqu’elle
est placée dans la perspective tératologique. En effet, un texte apocry-
phe aux œuvres du médecin gréco-romain Soranos apparaît sur le
pinax du livre II au no 37 dans le manuscrit P § 2153. Il adopte un
style court et concis qui se rapproche assez de celui des doxographes
comme Aétius ou le pseudo-Plutarque des Opinions ou encore des
Aphorismes hippocratiques. Le texte comporte de nombreuses lacunes
ce qui rend la compréhension difficile et peu sûre. On peut malgré
tout le reconstituer ainsi 86 :
228 Monstres
La satisfaction obligatoire
pas, il y a des chances que l’enfant naisse sans oreille ou sans lobe 89.
En Iran, si elle arrive dans un repas en cours, elle est invitée immé-
diatement et si un plat a une bonne odeur, elle a le droit d’en goûter
un petit morceau sinon son enfant aura les yeux gris, mauvais présage,
proche de la vaste notion de « mauvais-œil », dont la préparatrice du
plat sera responsable 90. En Afghanistan, l’envie de manger de la terre
n’est pas contrariée mais au contraire assouvie et l’usage est appelé
gil-khwar 91. De même, dans l’Europe de l’époque moderne, la théorie
des envies n’est pas une superstition combattue comme cela a été le
cas pour d’autres croyances. Elle est répandue dans la population et
aussi accréditée auprès de l’élite socioculturelle savante. Comme nous
l’avons vu pour l’imagination, Laurent Joubert (1578) ne la rejette pas
en bloc. Il conteste certes la marque de l’objet convoité, la précaution
de se gratter un endroit caché ou encore la venue d’un orgelet au coin
de l’œil du frustrateur mais il reconnaît l’importance de satisfaire
toutes les envies et le danger qu’il y a à ne pas s’y soumettre 92. Dans
l’ensemble, le médecin montpelliérain nuance son propos et, comme
pour l’imagination, exprime u rejet partiel, preuve du profond ancrage
de cette croyance qui ne fut que très tard l’objet d’un débat savant.
La précaution de satisfaction est soulignée dans l’Angleterre élizabé-
thaine avec le médecin William Gouge 93. De même, Laisnel de la
Salle rapporte une anecdote lue dans les Mémoires de Saint-Simon et
qui n’est pas sans rappeler le principe en usage dans l’Iran tradition-
nel : « En 1711, lors d’un grand dîner que donna le cardinal de Noailles
au dauphin et pendant lequel celui-ci avait voulu que toutes les portes
fussent ouvertes [...], le prince fit prendre un soin tout particulier
“d’une femme grosse qui s’y était fourrée et lui envoya d’un plat dont
elle n’avait pu dissimuler l’extrême envie qui lui avait pris d’en
manger” 94. » En 1751, on retrouve la croyance attestée dans l’article
de l’Encyclopédie au mot « envie » même si l’auteur en doute : « Ce
mot se dit aussi des taches ou autres choses contre nature qui paroissent
sur le corps des enfans nouveaux-nés, que l’on attribue au pouvoir de
l’imagination des femmes enceintes, d’imprimer sur le corps des
enfants renfermés dans leur sein, ces figures d’objets qui les ont frap-
pées particulièrement, ensuite des fantaisies qu’elles ont eues pour
certaines choses sans pouvoir se satisfaire. Ce qui a fait donner propre-
ment le nom d’envie à ces défectuosités. » Le doute qu’exprime
l’auteur de l’article n’est pas construit sur le rejet de la théorie mais
sur le choix du mot car selon lui, c’est l’imagination de la mère et ses
230 Monstres
frayeurs qui en sont les causes, c’est pourquoi « c’est mal à propos
qu’elles sont nommées ainsi, lorsqu’elles sont réputées une suite de
la crainte, de la frayeur ou de tout autre sentiment de l’âme qui n’est
point agréable ». La mécanique est une fois de plus peu distinguée de
l’imagination mais l’essentiel est dit : il y a marque lorsque l’envie
n’est pas satisfaite. C’est véritablement au cours du XIXe siècle que le
divorce est entamé entre la théorie et la culture savante dominante. À
la fin du siècle elle est reléguée au rang de croyance populaire, comme
en témoigne cette réflexion du folkloriste L. J. B. Béranger-Ferraud
en 1886 : « Cette croyance aux envies est tellement enracinée qu’on
ne pourrait, à ce moment encore, empêcher une Provençale de croire
que son enfant portera l’objet convoité si, pendant qu’elle est grosse,
on lui refuse quelque chose dont elle aura le désir 95. » La théorie est
mise au compte de la crédulité populaire et c’est pourquoi jamais il
ne fut jamais autant question d’elle que dans cette littérature folklo-
rique et ethnographique balbutiante, comme si elle venait d’apparaître
ou plutôt comme si elle connaissait un regain de vitalité. En fait, elle
est à cette époque une théorie énoncée parce que dénoncée et les
accréditants deviennent socialement des crédules. C’est pourquoi, le
quasi- silence des sources anciennes sur la question ne démontre pas
pour autant qu’elle était inexistante, loin s’en faut. Cet usage étant
demeuré longtemps banal, il y avait beaucoup moins de raison d’en
parler 96.
Ainsi donc, les anecdotes folkloriques recueillies et collectées
aux XIXe et XXe siècles étanttrès nombreuses, il n’est pas nécessaire de
prétendre à l’exhaustivité. Toutefois, un échantillon des récits les plus
représentatifs permettra d’en discerner le contenu dans toute son
ampleur 97. Le risque encouru si la mère ne satisfait pas le désir est le
plus souvent une tache ou une affection cutanée sur l’enfant : taches
« café au lait » ou « taches de vin », c’est-à-dire des nævi et des
mélanomes plus ou moins importants. Dans l’Isère, on interdisait
formellement aux femmes de se gratter quand elles avaient une envie
car l’enfant aurait eu une tache à cet endroit. À Vaujaney (Dauphiné),
on disait que si l’enfant avait sur le menton une tache sanguine c’est
que la mère avait eu envie de porc. Pour éviter cet effet des désirs
dont les plus répandus sont ceux de fraises, de framboise ou de vin,
certains recommandaient de penser à autre chose ou même de regarder
une image sainte en faisant des prières 98. En Bretagne, pour conjurer
l’envie on frottait le corps de la mère avec une plante (galium sexatile)
Éviter les monstres 231
dont le mot breton est anviez 99. De plus, si la tache de l’enfant marqué
(marcou, marquet) était un fruit, sa couleur évoluerait dans l’année
de la même façon que le fruit sur l’arbre ; elle passerait par les diffé-
rents degrés de la maturité et ce jusqu’au pourrissement du fruit 100.
La croyance était attestée dans le Valenciennois et le Cambrésis.
Claude Seignolle signale des croyances semblables pour le Languedoc
et la Provence 101. La femme victime d’une envejo de femo grousso
devait toucher une partie cachée afin que la marque ne soit pas visible.
La croyance se retrouve en Corse, en Vendée et dans toutes les provin-
ces de France 102. Les principes sont toujours les mêmes :
– il faut satisfaire l’envie ou au moins mordre dans la chose
convoitée,
– il ne faut pas se gratter ou alors il faut toucher volontairement
une partie cachée pour placer la marque à un endroit discret,
– la conséquence est une tache cutanée de couleur foncée.
On retrouve la chose en Allemagne et dans l’Europe du nord 103,
en Albanie 104, en Grèce, en Turquie occidentale 105 ainsi qu’en Afrique
du Nord où à chaque fois ces principes sont évoqués. D’ailleurs,
l’envie n’est pas forcément alimentaire, puisqu’il peut s’agir de
n’importe quel caprice. Nous avons vu le cas des boucles d’oreille en
Inde. En Tunisie, lorsqu’une femme enceinte ressent une envie, ouam,
c’est-à-dire au début de la grossesse, un marchand de vêtements ne
peut lui refuser d’essayer une belle robe et il la parfume si elle est
attirée par une odeur 106. En Grèce, le marchand d’aliment peut égale-
ment se tirer d’affaire en donnant à sentir des produits comme des
olives ou du café 107.
trouve dans son ventre des jumeaux, l’un avec un morceau de viande
dans la bouche, l’autre avec rien. Il comprend trop tard que c’était
pour les enfants 108. De même, pour corroborer ses dires, Pierre Boais-
tuau (1560) a recours à un récit de même type : une matrone belge
est grosse de deux enfants et, regardant un beau jeune homme, elle a
envie d’en manger un morceau de chair. N’osant le lui demander, elle
se jette sur lui et lui arrache un morceau de la main, agression que le
garçon accepte de subir assez sereinement. Elle tente un second assaut
mais là, le jeune homme la repousse. Elle tombe alors en dépression
et accouche d’un enfant vivant – le premier qui avait eu son morceau
de viande – et d’un enfant mort, celui qui en avait été frustré 109.
Quelques années plus tard, Laurent Joubert raconte – sans y croire –
une histoire semblable qui met en scène une femme, cette fois native
d’Auvergne 110 : enceinte, elle demande à un boucher de lui donner un
morceau de sa cuisse, ce qu’il fait aussitôt par pitié. La femme mange
de suite le morceau cru : elle donne naissance à deux jumeaux, l’un
avec un morceau de chair au bout des lèvres, l’autre avec la bouche
ouverte par le désir frustré et d’esprit niais. Les trois récits comportent
une structure et des éléments narratifs très ressemblants. La mère porte
des jumeaux, elle ressent une envie cannibale, elle obtient satisfaction
pour son premier caprice mais comme le second lui est refusé, l’enfant
succombe. D’ailleurs, il se pourrait bien que le récit rapporté par
Laurent Joubert ne soit pas complet et qu’il y manque le refus du
boucher à la deuxième demande. Quant à l’exemple des jumeaux, il
apparaît fréquemment dans les argumentations dès lors qu’il s’agit de
prouver ou au contraire d’infirmer une thèse : Augustin y a recours
dans sa critique de l’astrologie. L’élément central de ces trois récits
semble plutôt demeurer dans les deux caprices revendiqués l’un à la
suite de l’autre. Si le premier est accepté avec résignation ou philo-
sophie, par contre le second est refusé, jusqu’au meurtre dans le récit
tunisien. Si ces histoires essayent de nous prouver les risques encourus
par l’enfant, risques bien différents que ceux vus précédemment, elles
semblent nous dire surtout « point trop n’en faut ». La gravide peut
revendiquer l’accomplissement de ses envies dans une certaine mesure
car l’ensemble de la société prévoit un comportement adapté à ces
caprices curieux et en aucun cas elle ne peut accepter abus et écart
excessif, hors d’un cadre précis 111.
Éviter les monstres 233
lement les moissons et les vergers contre les divers larcins et pratiques
inconvenantes. Ainsi, si quelqu’un était surpris dans un verger d’autrui
sans rien avoir pris, il devait payer douze deniers, c’est-à-dire un sou,
et s’il s’était servi, l’amende s’élevait à quatre sous 117. Le cas de la
femme enceinte soumise à une envie est donc à replacer dans le
contexte d’une société très sensible à ce genre d’actions, très soucieuse
de s’en défendre et où le voleur de pommes constitue un véritable
sujet de préoccupation. Signalons d’ailleurs que dans une version
française du conte de Persinette, l’élément perturbateur n’est autre que
l’envie d’une femme enceinte pour du persil ou de la mâche. Le mari
est obligé d’aller la nuit en voler dans le jardin de la voisine qui
malheureusement est une sorcière : pour s’en échapper, le père est
alors obligé de « promettre » sa future fille 118. Le délit est grand et
peut-être que ce mari consciencieux aurait dû laisser sa femme y aller
elle-même pour pouvoir revendiquer son droit. Toutefois, le caractère
nocif de la vicinale sorcière repose aussi sur ce refus d’accorder ce
que le commun reconnaît comme étant un dû inaltérable de la gravide
envieuse : la satisfaction de l’envie.
On le voit, dans les soucis légalistes, l’important est de canaliser
le plus possible les pulsions des femmes enceintes sans que d’un autre
côté, il soit possible de les lui interdire. En d’autres termes, il ne faut
pas que cette liberté devienne licence. La manière dont la théorie est
historicisée par les récits de la Rome ancienne témoigne encore de ce
souci vis-à-vis de l’abus. Le principe est mis en récit et au lieu d’être
présenté comme un usage collectif ancestral, ancien et profond rele-
vant plutôt de ce que l’on pourrait nommer les « mœurs », il est dépeint
comme une décision juridique et politique, datée et circonstanciée,
comme un privilège accordé par la haute instance de la République
romaine, le Sénat.
En 1578, Laurent Joubert rapporte deux récits de l’histoire
romaine qu’il prétend lire chez Marc Aurèle lequel
récite que Macrine, très honnête femme de Torquatus, consul romain,
étant enceinte mourut soudain d’un extrême désir qu’elle eut de voir un
Égyptien monocole, c’est-à-dire n’ayant qu’un œil, et icelui au milieu du
front, qui passait par la rue au devant de sa maison, qu’elle n’osa voir
pour ne rompre sa coutume de n’être vue à la fenêtre – et encore moins
sortir de la maison – durant l’absence de son mari qui était à la guerre
contre les Volques. Le Sénat eut grand regret de la mort d’une si vertueuse
dame, dont quelque temps après se souvenant de ce malheur, entre les
Éviter les monstres 235
privilèges qui furent donnés aux dames romaines qui s’étaient montrées
fort libérales en la grande nécessité de la République, leur donna cestui-ci
qu’on ne peut refuser à une femme enceinte aucune chose qu’elle deman-
dât honnêtement et licitement. La libéralité des dames qui occasionna le
Sénat à les privilégier de la sorte fut telle : Camille, très renommé capi-
taine, partant de Rome pour aller en guerre fit un vœu solennel à la mère
Bérécinthe qu’il lui offrirait une statue d’argent, s’il revenait avec la
victoire. Ayant obtenu l’accomplissement de son vœu, il n’y avait à Rome
de quoi la payer. En telle nécessité, toutes les dames de leur propre
mouvement montèrent au Capitole et offrirent et donnèrent libéralement,
mettant aux pieds du Sénat toutes les bagues et joyaux, chaînes, carcans,
bracelets, ceintures, anneaux, boutons et affiquets avec toutes leurs pier-
reries. Et une d’elles, nommée Lucine au nom de toutes, pria le Sénat de
n’estimer point tant de trésor qu’elles donnaient si libéralement pour faire
l’image de la mère Bérécinthe que elles n’estimaient encore plus que
c’étaient leur mari et enfants qui avaient exposé leurs vies, en hasard de
la perdre, pour obtenir cette victoire. Le Sénat ému de cette grande cour-
toisie et magnificence, les récompensa de cinq beau privilèges, desquels
fut le susdit qu’on oserait refuser aux femmes grosses ce qu’elles deman-
deraient honnêtement. Le second que désormais on ferait honneur à
l’enterrement des femmes en accompagnant leur corps et leur faisant
oraison funèbre et épitaphes. Le tiers qu’elles se pourraient asseoir aux
temples. Le quatrième que chacune pourrait avoir et tenir deux riches
robes sans demander au Sénat congé de les porter. Le cinquième qu’elles
pourraient boire du vin en cas de nécessité et grande maladie 119.
Les éléments du récit sont nombreux et méritent une mise au
point car diverses confusions et autres contaminations avec d’autres
récits sont évidentes bien que l’essentiel du discours demeure. Manlius
Torquatus est un général romain de la période républicaine, célèbre
pour ses hauts faits d’arme et pour son caractère sévère, qui lors de
son troisième consulat en 340 av. J.-C., eut à combattre plusieurs
peuples italiques dont les Volsques du Latium (Volsci) et non pas les
Volques (Volcae), peuples de la Gaule méridionale 120. Camille est un
autre général romain de la période antérieure qui s’empara de la ville
étrusque de Véies à la fin du Ve siècle av. J.-C. Ayant déjà partagé le
butin avec les soldats, il ne put plus honorer son vœu à l’Apollon de
Delphes de lui offrir une statue : les femmes offrirent alors leurs
bijoux 121. D’autres versions précisent que les hommes consentirent à
rendre une part du butin et que les femmes se contentèrent de le
compléter avec leurs objets de valeur. C’est à cette occasion qu’elles
236 Monstres
à la tradition suffit mais pour une société qui se réfère à l’écrit, l’on
ressent bien souvent le besoin de légiférer au niveau le plus haut : ce
peut être un décret sénatorial dans la Rome républicaine, un article
du statut municipal – le coutumier – dans le Toulon de la fin du Moyen
Âge, ou encore la justice dans la Grèce contemporaine.
d’une frayeur ou d’un désir non satisfait subis par la mère durant la
grossesse. Cependant, la comparaison de Plutarque avec les conditions
de l’âme, vicieuse ou vertueuse, exprime cette proximité entre la
moralité de l’enfant et les marques qui peuvent l’affecter. L’on établira
les mêmes remarques avec un passage de Horace, poète latin du
er
I siècle av. J.-C., tiré de la sixième satire du livre premier où le
narrateur parle ainsi de sa personne :
si ma nature, d’ailleurs honnête n’est affectée que de quelques défauts,
pas bien graves, comme de légères taches semées ça et là sur un beau
corps, si personne n’a le droit de m’accuser de cupidité, de mauvaise
tenue, de passions dégradantes [...] 134.
Le passage rapide de l’évocation des qualités d’un beau corps
aux qualités morales dévoile le rapport entre les deux dimensions de
la notion de nature : la nature physique et la nature morale sont
complémentaires. De ce fait, le double sens du mot « tache », ici
nævus, ne se contente pas d’un simple rapport métaphorique, entre
tache physique et tache morale 135. Le narrateur, Horace lui-même, est
fils d’affranchi – et donc petit-fils d’esclave –, certes il possède donc
sur le corps quelques petites taches mais l’ensemble de sa personne
demeure tout à fait agréable. Ces taches sur le corps étaient considérées
comme des marques de la personnalité, qu’elles fussent marques de
l’appartenance à un clan mais aussi preuve d’une bâtardise ou d’une
situation sociale méprisable. Les quelques taches qui demeurent sur
le corps de Horace sont ainsi des traces qu’en deux générations seule-
ment, la « savonnette à vilain » n’avait pu encore complètement faire
disparaître 136.
accepté et reconnu pour elles dans les années trente du XXe siècle. En
d’autres termes, est-ce que l’application intensive et excessive d’une
religion a pu nier et éradiquer des usages millénaires aussi profonds.
La dégénérescence
Enfin, et cela nous semble essentiel, les analyses les plus répan-
dues dans les sources historiques et ethnographiques, correspondent à
des prescriptions de nature hygiénique construites à partir de l’expé-
rience de pathologies réelles. Loin des discours religieux où l’interdit
moral prime, et de certaines théorisations savantes, les considérations
hygiéniques se concentrent sur les causes matérielles et la prévention.
Les facteurs tératogènes les plus fréquents, attestés quelquefois non
sans hypocrisie, sont de nature mécanique et à ce tite pérennes : ce
sont l’envie non satisfaite et plus généralement les émotions de la
femme enceinte. La présence explicite de l’une dans les sources
anciennes nous a permis de subodorer l’existence de l’autre. quelques
remarques critiques sur la manière de lire ces sources anciennes avec
la possibilité de compléter des silences par le recours à la littérature
folklorique.
Ainsi, après avoir, dans les chapitres précédents, passé en revue
les différentes analyses religieuses, nous avions souligné que les inter-
prétations prophétiques et plus généralement religieuses tant païennes
que chrétiennes, ne correspondaient pas aux idées les plus répandues
mais qu’elles étaient le fruit d’une théorisation savante. En revanche,
nous avons essayé de démontrer une réelle continuité historique des
facteurs hygiéniques sur la longue durée, indépendante du niveau de
culture et à en établir une certaine universalité. Ces théories échappent
sur le plan épistémologique à des appellations comme « imitative »
ou « participationniste »... mais aussi à toute définition culturelle, puis-
qu’elles ne peuvent être qualifiées de grecque, de latine, d’antique, de
païenne, de chrétienne, de médiévale, d’européenne, d’occidentale, de
musulmane, de sémitique ou de sauvage... Pensées et vécues dans
chacun de ces contextes, elles sont tout cela à la fois et ne sont propres
ni à l’un ni à l’autre.
Chapitre 6
LA QUESTION DE LA CAUSALITÉ
Monstruosité et valeur
Surdétermination
cadrans solaires, toutes choses produites en vertu d’une cause mais aussi
en vue de servir de signes 12.
On retrouverait les mêmes conceptions dans l’histoire de Thalès
avec l’hippocentaure es événements donneront implicitement raison
au devin qui y a lu un mauvais présage 13. D’ailleurs, il en est de même
de l’histoire des hommes car si ce sont bien ces derniers qui agissent,
ils accomplissent dans le même temps les desseins préparés par les
dieux. Cette conception se retrouve aussi bien chez les tragiques que
chez Hérodote et s’apparente aussi d’une certaine manière à l’histo-
ricisme augustinien. En effet, si l’eschatologie chrétienne diffère gran-
dement de la vision du monde antique, les principes sont très proches
car deux niveaux d’analyse peuvent se superposer : l’acte humain,
totalement libre dans le christianisme, et la finalité. Chez Eschyle, le
messager des Perses attribue autant le désastre de Salamine à la ruse
des Grecs, action humaine, qu’à une malveillance et une jalousie
divines, un phthónos d’origine surnaturelle 14. De même pour Héro-
dote, une lecture approfondie des actions humaines et des événements
peut faire ressortir les desseins des dieux, tout particulièrement leur
vengeance. Cette complémentarité permet d’expliquer le destin ou du
moins de lui attribuer une place et un rôle dans le monde. Un exemple
classique de l’ethnographie, celui de la sorcellerie azandé, permettra
de mieux se représenter les enjeux 15. Si un grenier s’effondre sur
quelqu’un et le tue, la cause dégagée n’en sera pas uniquement les
termites qui auront rongé les fondations et les poutres du bâtiment.
Les insectes expliquent la dimension matérielle de l’événement mais
ils restent muets pour répondre à la question fondamentale « pourquoi
untel s’est-il trouvé dans le grenier au moment où celui-ci s’effon-
drait ? ». La réponse azandé fait intervenir l’ensorcellement de la
victime. De même dans la culture occidentale, les analyses scientifi-
ques du météorite ne peuvent en aucune manière assouvir la soif de
pourquoi de l’homme qui la reçoit sur sa maison. Dans le cas de la
sorcellerie comme dans celui de la punition divine, la surdétermination
permet de combler un vide inadmissible provoqué par l’absurde de la
situation. Avec cette question, nous touchons l’une des bases essen-
tielles de la pensée sauvage 16.
Cependant, il ne faudrait pas simplifier à l’extrême au point de
circonscrire cette conception à un contexte intellectuel caractérisé par
une forte connotation religieuse ou magique, en bref « non-scientifi-
Enjeux épistémologiques et moraux 259
cause divine ou métaphysique < causen < [...] cause2 < cause1 < événement
CAUSE PREMIÈRE SUCCESSION DE CAUSES MATÉRIELLES
éléments ne peuvent agir que par la volonté divine. Par contre, dans
la science naturelle des philosophes, les humeurs ainsi que les plantes
et les pierres sont actives au sens où leurs qualités sont strictement
internes et ne sont déterminées par rien d’autre. Cette physiologisation
est donc une condition certes nécessaire mais pas suffisante. Le prin-
cipe fondamental repose sur le refus majoritaire de cette notion de
surdétermination par les médecins et les premiers philosophes. L’ori-
ginalité de leur démarche repose sur ce que l’on appellera une hermé-
tisation du registre matériel. Comme le montre le schéma ci-dessous,
on ne remonte pas au-delà de la cause n 32.
cause divine ou métaphysique || causen < [...] cause2 < cause1 < événement
CAUSE PREMIÈRE SUCCESSION DE CAUSES MATÉRIELLES
L’axe synchronique
L’axe diachronique
le courant du Ve siècle av. J.-C. 42. Toutefois, si l’enfant n’est plus lié
légalement aux dettes commerciales de son père, il l’est toujours pour
les dettes morales, Platon ne cesse de le rappeler 43.
La mise en gage des enfants est attestée dans la morale biblique
au même titre que la notion plus vaste de punition à l’égard d’un
tiers 44. Les vengeances collectives y sont nombreuses, pensons aux
quarante années d’errance dans le Sinaï ou à la captivité. Le même
cas de figure se présente dans la punition des unions illicites et enfin
pour punir David, Yawhé n’hésite pas à faire mourir son fils 45.
Comment accepter cela ou inversement, en posant la question vue
d’un autre angle, pourquoi cela ne nous semble-t-il pas couler de
source ?
Dans le christianisme
UNIVERSALITÉ DU STIGMATE
Dans l’optique de l’enfant innocent qui paye une faute qu’il n’a
pas commise, la mère seule ou les deux parents assument la culpabilité
mais la notion de péché originel condamnant toute l’humanité tendrait
à diminuer l’innocence de l’enfant et par là même, le fort sentiment
d’injustice qui en résulte. L’enfant peut donc partager une partie de
la responsabilité. De même, dans le contexte non chrétien de la Rome
républicaine, rappelons que le petit monstre représente tout autant la
conséquence que la cause des malheurs qu’il indique et la responsa-
bilité lui est attribuée dans une forte proportion. C’est la raison pour
laquelle il doit mourir en tant qu’incarnation du néfaste. Ainsi, pour
le monstre grave non viable comme pour le difforme, l’infirme,
l’éclopé, le laid..., le sujet se charge d’une partie voire de la totalité
de la culpabilité. C’est précisément parce qu’il est difficile d’admettre
l’absurde dans une de ses cruelles manifestations que l’on attribue à
l’enfant difforme une partie de ce poids. À propos des parents comme
de la progéniture, il existe un thème développé par de nombreuses
morales dont celles du Proche-Orient antique, de la Bible et sur bien
des points par le message évangélique, c’est celui du juste souffrant.
Cette notion ne parvient cependant pas à étancher la soif de pourquoi
et l’on peut se demander si cela n’est pas dû au fait qu’il ne peut être
apprécié que d’une élite de théologiens virtuoses au sens weberien.
Quoi qu’il en soit, il se manifeste une forme d’individualisation et ce
peut être comme nous l’avons vu précédemment, par le biais d’une
métempsycose moralisante, de type bouddhiste, hindouiste ou plato-
nicienne avec le mythe d’Er bien que cela ne soit pas toujours admis
par la majorité. Il reste qu’une faute est nécessaire pour expliquer et
lorsque celle-ci fait défaut c’est elle que l’on cherche et que l’on exige
dans sa quête de sens. C’est la révolte d’Héphaïstos face à ses
Enjeux épistémologiques et moraux 273
La physiognomonie
Signor l’à dito : “cave signatis” », « Le Seigneur l’a dit : prends garde
à ceux qui sont marqués ». Marqués dans leur chair, les infirmes
assument aussi un rôle prophylactique dans ces sociétés méditerra-
néennes chrétiennes : ils sont mauvais par nature et Dieu nous les a
marqués pour que nous prenions garde de ne pas les imiter. La lecture
de ces infirmes peut s’entreprendre comme n’importe quelle autre
analyse de type physiognomonique, ils en représentent simplement les
cas extrêmes. Le portrait idéal se caractérise de son côté par un bon
équilibre où l’on ne décèle ni de trop ni de trop peu. Ainsi, pour les
yeux on aura « œil de travers, mauvaise idée » : le code semble souvent
évident comme souvent dans les traités de physiognomonie.
Dans les écrits chrétiens cependant, l’infirmité peut se vêtir d’une
ambiguïté intéressante. Le corps infirme, meurtri et méprisé corres-
pond à celui du saint et du martyr 78. Saint Remi était laid et ceux qui
osèrent s’en moquer en furent cruellement punis. Les bonnes gens ne
doivent pas se fier de manière trop assurée aux apparences - ce qui
va à l’encontre de la morale précédente. L’habit ne fait pas le moine
certes mais le moine n’a pas forcément d’habit. Cependant, ce versant
positif de l’infirmité, de la laideur ou de la monstruosité n’est pas
propre, lui non plus, au christianisme. Dans le monde antique, à l’idéal
du kalós kagáthos pour lequel corps et âmes se répondent harmonieu-
sement, s’oppose la classique méfiance à l’égard de l’apparence. Face
au personnage homérique de Thersite, image traditionnelle du
difforme, laid également par sa moralité, se dressent d’autres figures
plus ou moins légendaires, célèbres pour leur laideur physique et leur
beauté morale : ce sont Ésope 79, Hipponax 80, Ménandre, le fabuliste
Phèdre ou même Socrate 81 à partir de qui Rabelais conçut sa célèbre
« substantifique moelle » théorisée dans les premières pages de son
Gargantua. Cette ambiguïté correspond aux va-et-vient d’une sagesse
qui ne cesse d’hésiter entre deux pôles, entre deux tendances contraires
dont les rapports se construisent plutôt de manière complémentaire 82.
Les causes
• dynamique :
– le physique induit le caractère : analyse de type psycholo-
gique,
– le caractère induit le physique : conception religieuse
(méfiance de la marque) ;
• parallèle : il s’agit d’une mauvaise callipédie (une « cacopé-
die ») avec des conséquences physiques et morales
Parmi ces types d’analyse, seuls les deux derniers sont particu-
lièrement bien représentés dans les discours « indigènes », que ce soit
sur les plans de la médecine ou de la moralité. Par contre, l’analyse
psychologique apparaît fort peu et malgré quelques traces que René-
Claude Lachal pense déceler dans certains proverbes italiens, elle n’est
pas explicite. Il est évidemment admis que l’on puisse devenir infirme
mais la méchanceté semble n’être considérée que comme un état de
nature. On ne devient pas mauvais car on l’est depuis toujours, depuis
sa naissance et même depuis sa conception. Comme la monstruosité
physique non acquise, le caractère est lui aussi congénital. Que le
cadre de pensée soit hygiéniste, comme la médecine et la magie méca-
niste, ou plutôt religieux, avec une forte dimension morale et surtout
278 Monstres
Le mouvement de balancier
Continuité de discours
Transposition
Statistique et systématique
Dimension psychologique
des filles : au lieu d’être abandonnées, elles ne naissent plus 18. Dans
la Chine rurale, ces filles sont privées d’identité car leurs naissances
ne sont même pas déclarées aux autorités. D’un autre côté, une déci-
sion de la Cour de cassation (du 17 novembre 2000, confirmée le 28
novembre 2001), à l’encontre d’un gynécologue obstétricien et d’un
laboratoire d’analyse introduit l’argument juridique du « préjudice
d’être né » 19. Les prévenus n’avaient pas décelé in utero une malfor-
mation, le syndrome de Gregg, chez un embryon de moins de onze
semaines dont la mère était atteinte de la rubéole et qu’une IVG
préventive aurait pu empêcher de naître. Toutefois l’affaire commence
en 1984 avec la naissance de Nicolas Perruche gravement atteint par
des handicaps. Puis la procédure est lancée en 1989 pour être favorable
à la famille avec cet arrêt dit Perruche, lequel est annulé, de manière
rétro-active, par la loi du 4 mars 2002 (loi Mattei). L’inconvénient
d’être né est à nouveau relégué aux angoisses métaphysiques des
lecteurs de Cioran mais en aucune manière il ne peut constituer un
argument juridique. Le développement de cette affaire est bien sûr
très riche d’enseignements avec cette notion du droit de ne pas naître
qui n’est pas sans rappeler la problématique de l’euthanasie.
Ce débat proche de celui de l’eugénisme connaît, de la stérilisa-
tion des handicapés mentaux dans certaines démocraties du XXe siècle,
en passant par l’idéologie nazie et jusqu’à des pratiques plus récentes,
quelques éléments invariants. Pourquoi cet idéal eugéniste est-il parti-
culièrement marqué aujourd’hui, telle est la question. La médecine et
le diagnostic prénatal ne permettent-ils pas désormais de dépasser le
fatalisme d’antan, ce même fatalisme qui pour Philippe Ariès aurait
en partie eu raison du sentiment d’amour parental 20 ? Si des procédés
techniques permettent de contourner le fatalisme, et ainsi d’éviter de
voir naître des filles, de choisir la couleur des yeux et des cheveux
ou d’obtenir un enfant pourvu d’un fantasmatique et illusoire QI, le
réflexe d’esprit « eugénique » au sens étymologique de « bien-né »
prend rapidement la place de ce qui n’était auparavant qu’une attente
impuissante ou au mieux des procédés callipédiques sans grande effi-
cacité. Ce choix considéré comme possible s’étend d’une certaine
manière à un droit de vie et de mort : garder le monstre, l’infirme et
l’handicapé ou au contraire l’empêcher de naître. Le poids de la culpa-
bilisation s’en trouve augmenté car, certes accompagnés dans leur
choix par les instances médicales, les parents et essentiellement la
femme, peuvent se sentir seuls. Peut-on garder et tenter d’élever un
288 Monstres
Cas de monstres
dans le monde romain
main ; une mule met au monde un monstre à deux natures, semblable pour
la partie de devant à un cheval, et à un mulet pour le reste du corps.
Pline VII, 33 / (+ 17), Ostie : quadruplés, deux garçons et deux filles.
Annonce une famine : « Vers la fin du règne du divin Auguste, Fausta, une
femme du peuple qui avait mis au monde à Ostie deux garçons et autant de
filles annonça sans aucun doute la famine qui survint par la suite 9. »
Tacite Annales, XII, 64 / (+ 54) fin du principat de Claude : on raconte
qu’il est né un hermaphroditeet qu’un porc est venu au monde avec des serres
d’épervier : pas d’analyse symbolique.
Tacite Annales, XV, 47 / (+ 64) : embryons à deux têtes (enfants et
animaux) : ils sont trouvés dans les chemins (abandon) et lors de sacrifices,
dans les victimes pleines.
Tacite Histoire, I, 86 / (+ 69) : après le principat de Néron mort en 68,
c’est l’année dite « des trois empereurs » (Otton, Galba, Vitellius) : plusieurs
animaux engendrent des monstres (insolitos animalium partus).
Annexe II
comme une cause première qui agit sur d’autres causes secondaires comme
la semence ou la matrice, mais de telles préoccupations sont absentes des
traités hippocratiques. On examine l’heure du jour, le mois de l’année ou la
saison favorables mais la configuration et les conjonctions des astres ne sont
pas considérées comme des facteurs déterminants dans la médecine. Ce sont
les astronomes-astrologues de formation et de profession qui vont étudier
ces éléments, comme le savant alexandrin Ptolémée au IIe siècle ap. J.-C.,
dans le livre III de son traité d’astrologie connu sous le nom de Tetrabiblos 3.
Les thèmes classiques de la génération sont successivement étudiés avec le
sexe de l’enfant (III, 7), les jumeaux (III, 8) et enfin les monstres (III, 9).
Selon sa théorie, il peut naître un monstre, s’il n’existe aucune harmonie
entre les astres, notamment entre celui qui domine au moment de la naissance,
la lune et les signes zodiacaux. Au regard du reste du Tétrabible, ce passage
semble assez surprenant : après une définition matérielle des astres et de
leurs influences considérées comme des qualités fondamentales avec le
chaud, le froid, le sec ou l’humide, Ptolémée poursuit une analyse en termes
de personnification, c’est-à-dire qu’il divinise les constellations et les astres
en les intégrant au reste de la religion officielle. Ainsi, s’il y a une configu-
ration à Jupiter ou à Vénus, les produits ressembleront aux animaux qui leur
sont consacrés comme le chien, le chat ou le singe. En cas de configuration
à Mercure, la ressemblance portera sur des animaux domestiques comestibles
comme les volailles, le porc, la chèvre ou le bœuf. Si le zodiaque est un
signe humain et qu’il n’y a aucune planète dominante ce sera un « monstre
humain ». Dans le cas de configurations malheureuses, Jupiter et Vénus
atténuent la laideur et naissent par exemple des hermaphrodites. Vénus joue
ici, en tant que déesse, son rôle de garante de la beauté et de la finesse.
Quant à Mercure, dieu de la communication pourrait-on dire, il est le seul
en tant que planète et divinité à pouvoir provoquer la naissance de sourds-
muets. Enfin, si le zodiaque dominant est un animal, et c’est statistiquement
le cas deux fois sur trois, il naîtra un monstre animal. La dimension préventive
est quasi absente de ces pages et ce constat est encore plus prononcé chez
l’astronome M. Manilius d’Antioche, contemporain d’Auguste et fondateur
d’une certaine astrologie latine. Selon lui, seules les causes astrologiques
permettent d’expliquer les naissances monstrueuses et par la même occasion,
il rejette la thèse de l’adultère. Il est intéressant de remarquer que Manilius
ne s’attaque pas aux théories médicales mais qu’il se contente de critiquer
une croyance moralisante à laquelle nous avons fait allusion. Par contre,
contrairement à Ptolémée, il ne conçoit pas l’action d’une semence intermé-
diaire car selon lui, seule l’action de Fortuna est à prendre en compte.
Lorsque l’enfant naît avec une tête d’animal, il faut attribuer cela à Fortune
qui est la seule capable de dépasser les lois de la génétique : « Permiscet
Annexe II 295
saepe ferarum / corpora cum membris humanum non seminis ille / partus
erit [...] astra novant formas caelumque interserit ora 4. »
Très certainement, le poids idéologique du principat d’Auguste qui
inaugure l’ère impériale n’est pas étranger à cette tendance à l’arbitraire dans
une discipline assez appréciée par ailleurs des empereurs Julio-Claudiens 5.
Fidèle à une théorie soutenue dans de nombreux livres savants qui ont
traité la question, le Grand Albert relie chaque mois de la gestation à
l’influence d’une planète. Cette influence est censée s’accomplir tant sur le
corps que sur l’esprit de l’enfant. En voici une présentation sous forme de
tableau qui nous semble préférable à un laborieux résumé 11.
296 Monstres
Planète et gestation
Il est clair que les croyances collectées par les folkloristes aux XIXe-
e
XX siècles diffèrent des théories astrologiques savantes véhiculées par le
Grand Albert. À l’exception de la liste des jours lunaires fastes et néfastes 22
dont le principe est fréquent, il est central dans un poème d’Hésiode, Les
Jours, l’astrologie de la littérature de colportage ne puise pas dans la culture
folklorique et celle-ci n’a, semble-t-il, que très peu pénétré celle-là. Voici
comment le Dr Westphalen, après avoir donné différentes causes tératogènes
300 Monstres
UN FATALISME EXCESSIF ?
Introduction
1. Michel FOUCAULT, Résumé des cours 1970-1982, Collège de France, 1989,
p. 73-81, et surtout Les anormaux, cours du Collège de France 1974-1975, Galli-
mard-Seuil, 1999 : essentiellement les cours des 22 et 29 janvier 1975, p. 51-74 et
75-100. Sur ce thème, voir aussi F. CHAVAUD, « Les figures du monstre dans la
seconde moitié du XIXe siècle », Ethnologie française, XXI (1991-1992), no 3 :
Violence, brutalité, barbarie, p. 243-253, et plus récemment Anne-Emmanuelle
DEMARTINI, « Portrait d’un criminel en monstre moral sous la monarchie de Juillet :
le discours sur Pierre-François Lacenaire », in Régis BERTRAND et Anne CAROL (dir.),
Le « monstre » humain. Imaginaire et société, Publications de l’université d’Aix-
en-Provence, 2005, p. 69-86.
2. Michel FOUCAULT, Les anormaux, op. cit., 1999, p. 69.
3. Isidore GEOFFROY SAINT-HILAIRE, Histoire générale et particulière des
anomalies de l’organisation chez l’homme ou les animaux ou traité de tératologie,
Paris, 1832-1836, 3 vol. + un atlas de XX pages de gravures, 1837.
4. D’abord, tout au long d’une période fabuleuse s’étendant de l’Antiquité
jusqu’au début du XVIIIe siècle, « le monstre est confondu avec l’extraordinaire, et
c’est alors la signification de la teratologia ». Puis dans la période positive, corres-
pondant au siècle des Lumières, certains auteurs rejettent le merveilleux au profit de
l’observation, comme par exemple Albrecht von Haller qu’admire profondément le
savant français (notamment dans Opera omnia argumenti minorum, Lausanne, Fran-
cisci Grasset, 1768). Enfin, la période scientifique commencerait dans les années
1820 où le monstre est « intégré dans cette unité du monde organique » et soumis à
une nomenclature efficace. Ibid., t. I, p. 4-27.
5. L’écriture et la parution du Cours de philosophie positive s’échelonnent de
1830 à 1842. Ce sont les paragraphes 2 à 16 qui ont d’évidence fortement inspiré
Isidore Geoffroy Saint-Hilaire.
6. Ernest MARTIN, Histoire des monstres depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours,
Paris, C. Reinwald & Cie, 1880.
7. Nous pensons notamment à l’ouvrage très plaisant à lire et bien renseigné
de Martin Monestier dont l’enjeu est avant tout de satisfaire l’appétit des amateurs
d’insolite et de « curiosités » : Monstres : le fabuleux univers des oubliés de Dieu,
Tchou, 1978.
8. Marie DELCOURT, Stérilités mystérieuses et naisances maléfiques dans
l’Antiquité classique, Paris et Liège, Droz et Bibliothèque de la Faculté de philosophie
et lettres, fasc. LXVIII, 1938. L’ouvrage fut sur certains points critiqué par P. Rous-
302 Monstres
sel, « L’exposition des enfants à Sparte », Revue des études anciennes, XLV (1943),
p. 5-17.
9. Le père LAFITAU, Mœurs des sauvages américains comparés aux mœurs
des premiers temps, 1724. Sur le sujet voir les analyses de Pierre Vidal-Naquet,
Chasseur noir, La Découverte, 1981, p. 177-191.
10. James G. FRAZER, Le rameau d’or, Robert Laffont, coll. « Bouquins »,
4 vol., 1981-1984.
11. Marie DELCOURT, op. cit., « Stérilité et naissances anormales dans le
folklore des autres peuples », p. 108-110. Les ouvrages cités sont La mentalité
primitive (1922), Les fonctions mentales et Le surnaturel et la nature dans la menta-
lité primitive (1931).
12. Jean CÉARD, La nature et les prodiges. L’insolite au XVIe siècle en France,
Genève, Droz, 1977, rééd. 1996.
13. Claude KAPPLER, Monstres, démons et merveilles à la fin du Moyen Age,
Paris, Payot, coll. « Le regard de l’histoire », 1980, rééd. 1999.
14. Patick TORT, L’ordre et les monstres. Le débat sur l’origine des déviations
anatomiques au XVIIIe siècle, Paris, Le Sycomore, 1980, réed. Syllepse, 1997. Patrick
Tort a également signé l’article « Tératologie I » dans le Dictionnaire du darwinisme
et de l’évolution qu’il a dirigé aux PUF, 1996.
15. Annie IBRAHIM, Qu’est-ce qu’un monstre ? Paris, PUF, coll. « Débats
philosophiques », 2005. Les différentes contributions portent essentiellement sur les
enjeux philosophiques des auteurs des XVIIe et XVIIIe siècles. D’autres travaux plus
anciens d’Annie Ibrahim concernent ce sujet dont « Le monstre dans l’anthropologie
des Lumières », in Jacques D’HONDT et Georges FESTA (éd.), Présences du matéria-
lisme, L’Harmattan, 1999. Le programme du Collège international de philosophie
de l’année universitaire 2005-2006 est encore axé sur ces enjeux tératologiques. En
philosophie de la vie et pour la période contemporaine, voir en bibliographie les
travaux nombreux et récents de Pierre Ancet.
16. Claude LECOUTEUX, Les monstres dans la littérature allemande du Moyen
Âge (1150-1350), thèse de doctorat, Göttingen, Kummorle Verlag, 1982, et Les
monstres dans la pensée médiévale européenne, Presses universitaires de Paris-
Sorbonne, 1993.
17. David WILLIAM, Deformed Discourse. The Monster in Medieval Thought,
Montréal, Mac Gill & Exeter University Press, 1999.
18. Marie-Thérèse JONES DAVIES (éd.), Monstres et prodiges au temps de la
Renaissance, Touzot, 1980.
19. Kathryn BRAMAL, « Monstrous Metamorphosis : Nature, Morality and the
Rhetoric of Monstrosity in Tudor England », Sixteenth Century Journal, XXVII
(1996), no 1, p. 3-21.
20. Katharine PARK, Lorraine Jones DAVIES, « Unnatural Conceptions : The
Study of Monsters in 16th and 17th Centuries France and England », Past and
Present, no 92 (1981). Plus récemment Wonders and the Order of Nature, New York,
Zone, 1998.
21. Catherine ATHERTON (éd.), Monsters and Monstruosity in Greek and
Roman Culture, Bari, Levante, 1998.
Notes 303
22. Blandine CUNY-LE CALLET, Rome et ses monstres. Naissance d’un concept
philosophique et rhétorique, Grenoble, Jérôme Millon, 2005. L’ouvrage est divisé
en deux parties : « Le monstre comme signe des dieux » (la notion de prodige et les
actions expiatoires) et « Les monstres des philosophes » (notions de destin et de
contre nature, essentiellement chez Cicéron et Lucrèce).
23. Charles T. WOLFE (éd.), Monsters and Philosophy, Londres, University
of London Kings College Press, 2005.
24. Régis BERTRAND et Anne CAROL (dir.), Le « monstre » humain. Imaginaire
et société, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 2005.
L’ouvrage est divisé en trois parties : « Définition et visibilité », « La réintégration
du monstre dans le monde », « Le monstre métaphorique ».
25. Alain CORBIN, Jean-Jacques COURTINE et Georges VIGARELLO, Histoire du
corps, Seuil, 3 vol., 2005. La question tératologique y est toutefois abordée par
Jean-Jacques COURTINE, « Le corps inhumain », p. 373-386.
26. Ernest MARTIN, Histoire des monstres depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours,
Grenoble, Jérôme Millon, 2002.
27. Jean-Louis FISCHER, Histoire du corps et de ses défauts, Paris, Syros
Alternative, 1991. Le schéma est également repris dans « De la genèse fabuleuse à
la morphogenèse des monstres », Cahier d’histoire et de philosophie des sciences,
no 13, 1986.
28. Nous faisons bien sûr référence à la méthode développée par Michel
FOUCAULT dans Archéologie du savoir, Gallimard, 1969.
29. Dans Montaillou, village occitan de 1294 à 1324 (Gallimard, Folio, 1982,
chap. 23, dont p. 534-537), Emmanuel Le Roy Ladurie souligne l’existence de gens
simples incroyants, nuançant au passage les analyses de Lucien Febvre (La religion
de Rabelais. Le problème de l’incroyance au XVIe siècle, Paris, 1942) et de bien
d’autres historiens. Sur cette question, on pensera aussi à la cosmologie bien parti-
culière qu’avait constituée au XVIe siècle un meunier frioulan surnommé Menocchio
et qui lui valut de terminer sur le bûcher. Les actes de l’Inquisition ont été analysés
par Carlo Ginzburg dans Le fromage et les vers, Flammarion, 1980 : le travail porte
en particulier sur les ouvrages que ce meunier aurait pu lire dans l’Italie de la
Renaissance.
30. AUGUSTIN, Cité de Dieu, XVIII, 9 : « ad modum in singulis quibusque
gentibus quaedam monstra sunt hominum, ita in universo genere humano quaedam
monstra sint gentium » (« de même qu’il existe dans chaque peuple des hommes qui
sont des monstres, il y a dans l’ensemble de l’espèce humaine des races de mons-
tres »). Le raisonnement est repris presque mot pour mot par ISIDORE, Origines, XI,
3, 12 : « Sicut autem in singulis gentibus quaedam monstra sunt hominum, ita in
universo genere humano quaedam monstra sunt gentium. »
31. Ambroise PARÉ, Des monstres et des prodiges (1573), éd. critique de Jean
Céard, Genève, Droz, 1971 (elle reprend l’édition de 1585).
32. Ibid., C. 36, p. 131-141 ; c. 35, p. 126-129 : l’autruche et le toucan.
33. Ibid., C. 34, p. 121.
34. Ibid., p. 3. Voir Jean CÉARD, La nature et les prodiges, p. 304.
35. Henri-Jacques STIKER, Corps infirmes et société, Aubier, 1982, p. 86-87.
304 Monstres
36. Si les Sirènes homériques sont représentées, dès le VIe siècle av. J.-C.,
sous la forme d’oiseaux à tête de femme, elles ne sont pas pour autant décrites dans
le texte de l’Odyssée.
37. Selon le scholiaste d’Homère, Iliade, XI, 709 (d’après Phérécyde), ils
pourraient s’agir de frères siamois thoracopages (soudés par le thorax) : étaient-ils
soudés ou pourvus chacun de deux têtes ? C’est la présence dans le texte du mot
grec ékastos, « chacun », qui ne nous permet pas de répondre avec certitude. Voir
par exemple Véronique DASEN, « Des Molionides à Janus : les êtres à corps ou à
parties multiples dans l’Antiquité classique », in H.-K. SCHMUTZ (éd.), Phantastische
Lebensräume, Phantome und Phantasmen, Marburg, 1997, p. 119-141.
38. Dr Paul BARUTAUT, Syméliens et sirènes, thèse de médecine, Toulouse,
1914, p. 129-131 ; Dr Paul VIGIER, Contribution à l’étude de la spina bifida occulta,
thèse de médecine, Toulouse, 1910 ; François-Xavier LESBRE, Traité de tératologie
de l’homme et des animaux domestiques, Paris, 1927, p. 168.
39. Par exemple Waldemar DEONNA, « Essai sur la genèse des monstres dans
l’art », REG, no 28, 1915, p. 288-349. Ces critiques ont été réitérées récemment par
Roberto LIONETTI, Le lait du père, Imago, 1988, à propos du rapport entre certains
développements mammaires chez des individus masculins et le mythe de l’homme
enceint et allaitant. Une étude plus récente essaye d’établir la pathologie d’un héros :
Jesse BYOCK, « Les os d’Egil, héros viking », Pour la science, no 209, mars 1995,
p. 52-58.
40. Par exemple, Isidore de Séville qui cependant, distingue les deux aspects :
pour lui, les figures mythiques ne sont pas les fruits d’expériences tératologiques
réelles puisqu’il développe une analyse de type évhémériste.
Alcméon ou à Archélaüs, peut-être pour donner plus de crédit à une croyance répan-
due. Par contre ÉLIEN Personnalité des animaux, I, 53, se réfère à l’ouï-dire :
« d’après ce que racontent les bergers ».
7. Sur le lézard, voir PLINE, Histoire naturelle (HN), X, 84, et sur le reste
ARISTOTE, HA, VI, 7, 563b ; IX, 51, 632b et ailleurs : 633b (les tourterelles sont les
seuls oiseaux qui pètent)...
8. « Pour prouver que la production d’êtres vivants trouve son origine chez
eux, ils essayent aussi d’alléguer que, maintenant encore, en Thébaïde, le pays
engendre en certaines occasions des rats si nombreux et si grands qu’on reste stupéfié
en apercevant le phénomène ; en effet quelques-uns sont formés jusqu’à la poitrine
et les pattes antérieures et remuent, mais le reste du corps est encore informe tant
que la glaise reste encore dans son état naturel » (DIODORE DE SICILE, Bibliothèque
historique, I, 10, 2, trad. Michel Casevitz, 1991).
9. HA, VI, 16 570a.
10. Nous lisons chez Pline une croyance semblable concernant les grenouilles
en HN, IX, 159 : « semestri uita resluuntur in limum ».
11. Recueil de textes médicaux s’échelonnant semble-t-il de 450 à 350
av J.-C., le Corpus (ou Collection) hippocratique comprend quelque 50 à 70 textes,
selon la façon de les regrouper. Un petit nombre seulement sont dus au médecin grec
Hippocrate (environ 460-377 av. J.-C.). La première grande édition (avec traduction
française) fut celle d’Émile Littré, 10 vol., Paris, 1839-1860.
12. GA, III, 11, 762a 18-21, trad. Pierre Louis. Cette présence universelle
d’« âmes » rappelle la pensée de Thalès. La création « automatique » à partir de la
boue apparaît comme un écho mécaniste de la création des êtres par les dieux et
notamment Prométhée au moyen d’argile (voir ainsi PLATON, Protagoras, 11, 320c).
13. Sur les réticences ou les méfiances vis-à-vis de la greffe, voir Jackie
PIGEAUD, « La greffe du monstre », in Revue des études latines, 66 (1988), p. 197-218.
14. À propos de cette légende, précisons que dès le Ve siècle et durant toute
l’Antiquité, le mythe est passé au crible d’une critique « évhémériste », du nom de
l’écrivain grec Evhémère (v. 320 - v. 260 av. J.-C.) pour qui les dieux de la mytho-
logie étaient d’anciens rois divinisés après leur mort. D’Aristote à Pausanias, de
Thucydide à Plutarque, l’historicité du roi Thésée, par exemple, n’est pas contestée
mais la bête qu’il dut combattre, fruit monstrueux de l’union entre Pasiphaé et un
taureau, ne serait qu’une transformation populaire d’un roi ou d’un personnage
sanguinaire. Voir PAUSANIAS I, 3, 3 ; PLUTARQUE, Thésée, 16, 1-2 : selon les Crétois,
le Minotaure était à l’origine un dénommé Tauros, connu pour sa cruauté. Sur le
sujet, voir Paul VEYNE, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, Points-Seuil, 1983,
en particulier p. 17-27. Précisons cependant que ce point de vue critique sur les
mythes était transmis non seulement par l’écrit mais aussi oralement.
15. AÉTIUS, Opinions des philosophes, V, 14, 2 = frag. A 82 DK.
16. GA, 747b 25. Voir HA, VI, 24, 577b 20.
17. GA, II, 8, 748b 7-19, trad. Pierre Louis, CUF.
18. GA, 746a 29 - 746b 11 et 746a 34-35. Voir HA, VIII, 28, 607a.
19. « La cause en est évidemment la surabondance de l’élément liquide. Autre
est la condition des êtres ailés, qui vivent suspendus dans les airs. Mais dans la mer,
306 Monstres
qui s’étale si largement et qui offre une nourriture aussi tendre que généreuse, la
nature reçoit d’en haut les principes générateurs, et, sans cesse, elle procrée ; on y
trouve même beaucoup d’êtres monstrueux, car les semences et les embryons s’y
confondent et s’agglomèrent de multiples façons, roulés soit par le vent soit par la
vague ; ainsi se vérifie l’opinion commune [ut fiat uolgi opinio] que tous les êtres
naissant dans une partie quelconque de la nature se trouvent aussi dans la mer, sans
compter beaucoup d’autres qui n’existent nulle part ailleurs. Elle renferme même
des imitations d’objets inanimés, et pas seulement d’êtres vivants ; on peut s’en
rendre compte en considérant le raisin [uua], l’espadon, les scies, et le concombre
semblable <au concombre terrestre> et par la couleur et par l’odeur ; aussi, rien
d’étonnant à ce que des têtes de chevaux surmontent de minuscules limaçons »
(PLINE, HN, IX, 2-3, trad. E. de Saint-Denis, CUF, 1955).
20. ARISTOTE, HA, VI, 16, 570a 11-12 ; PLINE, HN, XXVI, 95.
21. Question particulièrement approfondie dans le livre II de la Physique.
22. Dans le contexte de la physiognomonie animale, thème que nous aborde-
rons au chapitre 6.
23. « Mais la naissance d’un pareil monstre, d’un animal dans un autre, est
impossible : on le voit par la durée de gestation qui est tout à fait différente chez
l’homme, le mouton, le chien, le bœuf ; or il est impossible que chacun d’eux naisse
en dehors de son temps normal de gestation » (GA, IV, 3, 769b 22-25, trad. Pierre
Louis, CUF). Voir LUCRÈCE, De natura rerum, V, 865-900.
24. Toutefois et sous l’influence d’Aristote, Pline (HN, X, 187) admet la
nécessité d’un temps de gestation identique.
25. Par exemple PLUTARQUE, Banquet des Sept Sages, 149 b-c (Thalès).
26. Physiológoi, de phúsis, « nature », apparenté au verbe phúein, « croître ».
27. Jean-Pierre VERNANT, Mythe et pensée chez les Grecs, t. II, p. 103-104.
28. Dominent les principes d’identité et de non-contradiction (« l’être est et
le non-être n’est pas ») de Parménide (frag. B6 et 7 DK) ainsi que celui de causalité
(tout phénomène obéit à des lois).
29. HOMÈRE, Iliade, XV, 458 sq.
30. CICÉRON, Nature des dieux, II, 12-14.
31. Émile DURKHEIM, Les formes élémentaires de la vie religieuse (1912),
Livre de poche, 1991, p. 354-355 ; 360-362.
32. Claude LÉVI STRAUSS, La pensée sauvage, Plon, 1962, p. 3-47.
33. AÉTIUS I, 25, 4, trad. J.P. Dumont = frag. B 2 DK. Sur la causalité, Lucien
LÉVY-BRUHL, La mentalité primitive (1922), Paris, Retz CEPL, 1976, p. 87-88.
34. C. 6.
35. AÉTIUS III, 3, 10 = frag. A 25 DK. Sur ce même sujet de la foudre et des
éclairs, voir d’autres penseurs comme par exemple Empédocle (frag. A 51 et A 63
DK), Anaximandre (frag. A 11, A 17a et A 23 DK), Héraclite (frag. A 10 à propos
de Parménide et A 14) ou encore un auteur plus tardif (IVe-IIIe siècles av. J.-C.)
comme Épicure (Lettre à Phytoclès, 101-104).
36. SÉNÈQUE, Questions naturelles, III, 14 = Thalès frag. A 15 DK, et AÉTIUS,
III, 15, 4 = Anaxagore frag. A 89 DK.
37. Critiques proférées dans De l’ancienne médecine et De la nature de
Notes 307
logie aurait été déterminant : voir Marie-Paule DUMINIL, « Les théories biologiques
sur la génération en Grèce antique », Pallas, no 31 (1984), p. 97-112.
67. HA, VII, 6, 585b.
68. GA, I, 17, 721b 17-22.
69. HN, VII, 50.
70. Athénée (in ORIBASE, Collection médicale, livres incertains, 7, 1 = t. III,
p. 107, éd. Bussemaker-Daremberg) présente un raisonnement en la matière très
systématique. L’infirmité est héréditaire.
71. Ailleurs, Aristote donne l’exemple de marques et de tatouages qui ne
s’étaient transmis qu’à la troisième génération (HA, VII, 6, 585b 32-34). Pline reprend
l’anecdote du petit-fils noir : il s’agit de la mère du lutteur byzantin Nicaeus qui était
né d’un adultère avec un Éthiopien : c’est le petit-fils qui naquit noir : « exemplum
est Nicaei nobilis pyctae Byzanti geniti, qui, adulterio Aethiopis nata matre nihil a
ceteris colore differente, ipse avum regeneravit Aethiopiem » (HN, VII, 50).
72. GA, VI, 3, 767a 3-4 : « τὰ µ;ν α4ρρενα µα̃λλον τJ πατρ, τὰ δ; θλεα τL
µητρ » et aussi en 768a 24-25 : Aristote précise que cette situation idéale est celle
qui se produit la plupart du temps. Voir aussi en HA, VII, 6, 586a 4-5. Cette
combinaison est également défendue par Pline (HN, VII, 51).
Pour la Grèce contemporaine, Bernard Vernier (Le visage et le nom, 1999,
p. 13-14 ; 20-49) a analysé deux systèmes de parenté différents qui impliquent des
règles de ressemblance elles aussi différentes. Dans le Magne, région du Péloponnèse
de tradition patrilinéaire prononcée, la théorie de la ressemblance renforce les liens
de parenté, le fils ressemble au père et la fille à la mère, alors que dans l’île de
Karpathos, la ressemblance tend à équilibrer les règles de distribution d’héritage
puisque la fille aînée est sensée plus ressembler au père et le fils aîné à la mère. Le
tout est motivé par un souci d’équilibre afin d’éviter les effets dysfonctionnels (ibid.,
p. 21). La population karpathiote argumente sur la théorie : « c’est Dieu qui l’a voulu
ainsi ». Pour la Grèce ancienne, l’on peut également envisager deux types avec, d’un
côté, une théorie de la ressemblance qui accentuerait la linéarité par sexe dans le
cadre d’un patrilinéarisme fort, Athènes, et, de l’autre, un système de parenté croisée
où les enfants tiendraient autant du père que de la mère (cités ioniennes d’Asie
Mineure). Il est tout à fait possible que ces systèmes aient coexisté à la même époque
dans des régions différentes, ce qui expliquerait par la même occasion les deux
théories contradictoires de la génération : le modèle « hippocratique » où le père et
la mère apportent une contribution égale, et le système « aristotélicien » où seul le
père est procréateur, la mère n’étant que le réceptacle. Voir notre étude : Olivier
ROUX, « Parenté hippocratique et parenté aristotélicienne. Quelques réflexions sur
les théories biologiques de la Grèce ancienne », à paraître dans la revue Pallas
(Toulouse), no 79, mai 2009. Une étude plus approfondie s’avérerait très certainement
fructueuse.
73. GA, VI, 3, 767b 2-5.
74. Μ" *οικQ. Le mot employé le plus souvent par les auteurs pour dire
« ressemble à » est *οικQ + datif. On trouve le pluriel *οικτα ou *οικτε et les
formes *οικναι (x 4 : [HIPPOCRATE], Génération, VIII, 1) et )οικε (x 3 : ibid.).
Avec *οικQ et ses dérivés, Aristote emploie également les mots @µοιτητε de la
310 Monstres
famille d’@µοιτητο (%µοιο) mais c’est plus rare : il s’agit d’une notion plus
théorique (voir Éthique à Nicomaque, 8, 1 : « @ %µοιο < τ(ν %µοιον », « le sembla-
ble va vers le semblable »).
75. LUCRÈCE, De la nature des choses, IV, 1208-1224. La traduction d’Henri
Clouard ne suit pas exactement l’ordre du texte en vers latin (Garnier, 1964).
76. 1208-1209 : « Fit quoque ut inter dum similes existere avorum / possint
et referant proavorum saepe figuras »
77. POLYBE, Histoire VI, 53-54.
78. δηµιουργεR [...] τ( τ @µοιτητο α=τιον.
79. Sur le cognomen dû à une particularité physique voir PLINE : Marcus
Curius Dentatus, né avec les dents (HN, VII, 68) ; Caesar, né d’une mère morte
c’est-à-dire à l’issue d’une césarienne (VII, 47) ; Agrippa, né par les pieds (VII, 46) ;
Vopiscus, seul survivant de deux jumeaux (VII, 47). Ces exemples ne sont cependant
pas censés se reproduire régulièrement auprès des membres de la famille. Il y a aussi
Strabo, louche (strabus, στραβ).
80. GA, I, 17, 721b 32-34. Nous l’avons vu plus haut, il est question de ce
fait en HA, VII, 5, 585b 33 mais la marque saute une génération et est transmise au
petit-fils. Ces marques qui sont transmises aux enfants en sautant les générations sert
parfois d’argumentation à l’hérédité de la peine : le fils peut être marqué physique-
ment – ou moralement – et c’est pourquoi il n’est pas injuste qu’il paie la faute des
parents car il est de même nature : PLUTARQUE, Sur les delais de la justice divine,
21, 563a. L’auteur parle de verrues (α$κροχορδνε), de grains de beauté ou mélanum
(µελάσµατα) et de taches de rousseur ou lentilles (φακο'). Nous reviendrons sur ces
petites affections cutanées au chapitre 5 avec la théorie des envies et nous traiterons
du thème moral de l’hérédité des fautes au chapitre 6.
81. HN, VII, 50 : « signa quaedam naevosque et cicatres etiam regeneri,
quarto partu Dacorum originis nota in brachio reddita. ».
82. HN, VII, 50 : « In Lepidorum gente tres, intermisso ordine, obducto
membrana oculo genitos accepimus ».
83. Gerald D. HART, « Trichoepithelioma and the kings of ancient Parthia »,
in The Canadian Medical Association Journal, 94, 1966, p. 547-549. Analyse reprise
par Mirko GRMEK et Danielle GOURÉVITCH, Les maladies dans l’art antique, Paris,
Fayard, 1998, p. 51-54.
84. ARTÉMIDORE, Clef des songes, III, 18 (p. 165, Arléa, 1998).
85. Ibid., V, 67 (p. 310, Arléa, 1998).
86. Éthiopiques IV, 8, 3-4. Nous aborderons cette question de l’imagination
dans le chapitre 5.
87. PLUTARQUE, Sur les delais de la justice divine, 21, 563a. Il existe aussi
pour ce cas de figure, l’explication par l’imagination qui sollicitée par un Hippocrate
imaginaire, sauve une femme grecque de l’accusation d’adultère (AUGUSTIN Recher-
ches dans l’Heptateuque, I, 93). Hérédité et imagination semblent bien
complémentaires.
88. HN, VII, 52. Pour l’Antiquité voir aussi Empédocle (in AÉTIUS V, 12, 2) :
certaines femmes amoureuses de statues mettent au monde des enfants qui leur
ressemblent. Ce rôle de l’imagination maternelle pourrait aussi être envisagé comme
Notes 311
103. C. 14.
104. Voir l’étude innovante de Laurent AYACHE « Macrocéphales : le retour
au naturel ? », in Le Normal et le pathologique dans la Collection hippocratique,
Actes du XIe Colloque international hippocratique, Nice, 2002, t. I, p. 433-444.
105. [HIPPOCRATE] De la génération, 10, 2. Trad. Robert Joly, CUF.
106. ÉLIEN, Histoires variées, XVI, 29 ; SIMPLICIUS Commentaires sur la
Physique d’Aristote, 371, 33 = frag. B 61 DK.
107. Par exemple LONGIN, Du Sublime, 60, 1 ; PLOTIN, Ennéades, I, 6, 1.
108. Génération des animaux, IV, 4, 769b 30-36.
109. GA, IV, 4, 770a 19-20.
110. 770b 8-10 : « Une déficience aussi bien que la présence des parties
supplémentaires est une monstruosité » (« Τ( γὰρ *κλεπειν προσε8να τι τερατ-
δε »).
111. 770b 32-37 : Aristote parle de « chèvre-bouc », les trágainai (τραγαναι),
de trágos (τράγο), « bouc » et aix-aigós (α=ξ, α3γ), « chèvre ». Les gentes caprine
et ovine seraient tout spécialement portées à produire des individius hermaphrodites.
Pour l’aire culturelle occitane, voir la notion de « cabribocs » (cabribou) qui désigne
en réalité des ovins : Bruno BESCHE-COMMENGE, Le savoir des bergers de Casabède,
vol 1, Textes gascons pastoraux du Haut-Salat, Toulouse-Le Mirail, 1977, p. 31 :
« Ces cabriboucs, je n’en ai vu que trois dans ma vie [...] Ils n’arrivent pas à deux
ans ces animaux. Ils ont les deux... ils sont mâles et femelles, et alors ils n’arrivent
pas à deux ans ». L’aspect domestique y est tout paticulièrement développé.
112. 772b 26-29. Passage qui est opposé à l’idée théorique de Galien qui
conçoit un réel mélange des sexes (Définitions de la médecine, 447 = t. XIX, p. 453
éd. Kühn).
113. Voir aussi les descriptions de ces cas et leurs traitements dans PAUL
D’EGINE, Chirurgie, VI, 23 (p. 140-142) ; 72 (p. 294-296) ; 81 (p. 330-331).
114. GA, IV, 3, 767b 5.
115. 3, 769b 8-10.
116. GA, IV, 3, 767b 5-10.
117. Livre VII de l’Histoire Naturelle.
118. Saint AUGUSTIN, Cité de Dieu, XVI, 8.
119. Origines, XI, 3 (De portentis).
120. Travaux, v. 235.
121. Définitions de la médecine, XIX, 346-462 et Histoire de la philosophie,
XIX, 222-345 éd. Kühn.
122. Sur les soins portés aux doigts surnuméraires voir ORIBASE, Collection
médicale, 47, 15 et PAUL D’ÉGINE, Chirurgie, VI, 43 (p. 207, éd. René Briau, 1855).
123. [HIPPOCRATE] Aires, eaux, lieux, 14.
124. Pour les déformations rituelles dans l’Europe moderne voir Jacques
GÉLIS, L’arbre et le fruit, Fayard, 1984, p. 434-457. Un numéro spécial des Dossiers
d’archéologie (no 208, novembre 1995) regroupe quelques articles qui font allusion
à cette pratique : Luc BUCHET, « La recherche des structures sociales des conditions
de vie par l’étude des squelettes », p. 60-67 (exemples du Haut Moyen Âge) ; Michel
BILLARD et Christian SIMON, « L’os révélateur d’habitude culturelle », p. 22-23 (en
Notes 313
141. ARTÉMIDORE, La clef des songes, I, 51 ; II, 24. Sur une symbolique
semblable présente dans une culture contemporaine voir S. SHKURTI et P. CABANES,
« Légende et rites païens concernant la charrue », in L’Ethnologie, no 106, 1989-1990,
p. 23-31. La charrue a des vertus curatives : soins de l’impuissance sexuelle et de la
stérilité. En latin le mot sulcus, « sillon » et « organe féminin de la reproduction »,
ou bien encore semen, « graine » et « semence animale et humaine », d’où « descen-
dance ». Pour un emploi du mot sulcus, voir par exemple LUCRÈCE, De la nature IV,
1272-1273 : « licit enim sulcum recta regione uiaque / uomeris, atque locis auertit
geminis ictrem » (« elle rejette ainsi le soc de la ligne du sillon et détourne de son
but le jet de la semence ». Trad. Alfred Ernout, CUF, 1924).
142. Par exemple ARISTOTE GA, III, 1, 752 a 18-23 ; [HIPPOCRATE] De la
génération, XII, 1 : « telle est la terre, telles sont aussi les plantes [...] telle est la
santé de la mère, bonne ou mauvaise, telle est aussi la santé de l’enfant ». Trad.
Robert Joly, CUF, 1970 ; De la génération, IX, 3, image du concombre mis dans
une forme : « En général, tous les végétaux se comportent selon la contrainte qu’on
leur impose. Il en est de même pour l’enfant : s’il a de la place pour sa croissance,
il devient plus grand ; s’il est à l’étroit, (il reste) plus petit » ; De la génération, X,
2 : « c’est comme les arbres qui dans la terre n’ont pas d’espace, mais sont arrêtés
par une pierre ou autre chose : en poussant, ils sont tordus, gros d’un côté, mince de
l’autre » ; De la nature de l’enfant XVII, 2 : développement et ramification du fœtus
comme un arbre : « κα' δ" κα' διοζο>ται F δνδρεον » ; Galien, in ORIBASE, Collec-
tion médicale, livres incertains, VI, 18 (p. 12) : le poids du fœtus de huit mois pèse
vers le bas du ventre de la mère « comme les fruits des arbres, lesquels penchent
vers le bas, quand l’arbre leur a fourni ce dont ils avaient besoin ». Ailleurs, Oribase
lui même compare les femmes qui ont trop d’enfants et qui se sont épuisées, aux
arbres qui ont eu trop de fruits (Livres incertains, VII, 4-5, p. 108-109) ; SORANOS,
Gynécologie, I, 11 : fatalisme à l’égard de femmes peu fécondes comme des terres
peu fertiles.
143. Voir les rapprochements entre sécheresse/stérilité et eau/fertilité étudiés
par Françoise Héritier.
144. Sur l’Europe traditionnelle : Nicole BELMONT, « L’enfant et le fromage »,
in L’Homme, no 105, 1988, p. 13-28 ; sur l’aire culturelle basque : Sandra OTT,
« Aristotle among the Basques : the “cheese analogy” of conception », in Man, XIV,
1979, p. 699-711. Pour la culture populaire européenne, on retrouve l’idée exprimée
dans le Grand Albert, Diffusion scientifique, p. 19 : l’homme est formé « de la
manière que le fromage se fait avec du lait qui est pris ».
145. ARISTOTE GA, I, 20, 729a 11-12. Voir aussi II, 3, 737a 15 ; 4, 739b 21 ;
IV, 4, 771b 24 ; 772a 23 ainsi que Météores IV, 7, 384a 21. Pline suit Aristote en
HN VII, 6. On retrouve l’image dans la Bible, Job X, 10-11, (« Ne m’as-tu pas coulé
comme du lait puis fait cailler comme du fromage ? », TOB, Cerf, 1989) et dans des
textes arabes, chez Hildegarde de Bingen, Liber scivias in Patrologie latine, t. 197,
col. 415 éd. Migne : « Et ecce vidi in terra homines in fictilibus lac portantes et inde
caseas conficientes ; cujus quaedens pars spissa fuit unde fortes casei facti sunt,
pars quaedam tenuis ; de qua debiles casei coagulati sunt, et pars quaedam tabe
permista ; de qua amari casei processerunt, ita vidi quasi mulierum velut integram
Notes 315
formam hominis in utero suo habentem ». L’analogie est poussée assez loin dans
l’encyclopédie anonyme du XIIIe siècle, Dialogue de Placides et Timéo ou li secrés
as philosophes, § 286, p. 131, édition de Claude Thomasset, 1980. De manière
symétrique et complémentaire, le fromage est, en Grèce ancienne, traité comme un
enfant que l’on nourrit (τρφειν).
146. PLATON, Timée, 74 c-d ; ARISTOTE GA, III, 3, 755 a 17 sq. Sur quelques
enjeux de l’enfant-pain dans l’Europe traditionnelle, voir M. MESNIL et A. POPOVA,
« Des ancêtres aux nouveau-nés », in I. SIGNORI (dir.), Uomo, dal grano al pano :
simboli, saperi, pratiche, in La Sapienza, vol. 3 (1990), no 1, Roma, p. 39-73
147. ARISTOPHANE, La paix, v. 891 : « τουτ' δ’ @ρα̃τε το>πτάνιον ». Trad.
Hilaire van Daele, CUF, 1924. το>πτάνιον est la contraction de l’article et du subs-
tantif τ( 7πτάνιον lequel désigne plus particulièrement le lieu où l’on fait rôtir les
viandes. Voir encore l’expression dans ARISTOTE GA, IV, 1, 764 a 15-20 : « on les
mettait dans l’utérus comme dans un four (ε3 κάµινον) ».
148. HERODOTE V, 92, § 7, 2. Il en est de même pour l’interprétation des
rêves. ARTÉMIDORE II, 1 : rêver d’un feu dans un four – et non un four froid comme
pour Périandre – signifie que votre femme va être enceinte.
149. Sur ce thème, voir Monique HALM-TISSERAND, Cannibalisme et immor-
talité. L’enfant dans le chaudron en Grèce ancienne, Paris, Les Belles Lettres, 1993.
150. EURIPIDE frag. 604 (pièce perdue Les Péliades) ; HYGIN Fables, 24 et
OVIDE, Métamorphoses, VII, 300sq.
151. A. L. OPPENHEIM, Glass and glassmaking in ancient Mesopotamia, 1970,
p. 32-33 dont n. 50 ; 52 sq. et sur la naissance Marten STOL, Zwangerschap en
geboorte bij de Babyloniërs en in de Bijbel, Brill, Leyde, 1982, p. 9-13 (photos p. 12)
et note complémentaire p. 115.
152. Exemples de noms dans Marten STOL, p. 10. En tant qu’être surnaturel
il pouvait provoquer le mal. Mort-né ou plutôt prématuré voire monstrueux, la
croyance populaire le rendit dangereux mais il suffisait de se le concilier pour en
obtenir une protection et ce jusque vers la fin du IIe millénaire av. J.-C. Par exemple
dans une lettre de Mari : « ana ku-bi-ki-na qibêma ebur šulmin Zimri-Lim lipuš »
(« Demande à ton kūbu que Zimri-Lim puisse avoir une récolte paisible »). La statue
est placée devant le four comme l’on invoque aussi le kubu pour une grossesse
heureuse.
153. HOMÈRE, Epigr., XIV, 9 : Athéna défendait les vases contre l’assaut de
certains démons briseurs.
154. ARNOBE, Contre les païens IV, 7-8. Éd. Renato Laurenti : « Quella che
indurisce e solidifica le ossa ai piccini si chiama Ossipagina ».
155. Par exemple, chez les Gourmantché, Afrique subsaharienne, une femme
qui ne peut plus enfanter ne peut plus non plus préparer le gâteau de mil : ouvrage
collectif, La notion de personne en Afrique noire, Paris, CNRS, 1973, p. 276. Autres
exemples africains Françoise Héritier, Masculin/Féminin, Odile Jacob, 1996,
p. 72-86.
156. Nous pensons par exemple à l’enquête d’Yvonne Verdier dans la Bour-
gogne rurale des années 1960 : Façons de dire, façons de faire. La laveuse, la
couturière, la cuisinière, Gallimard, 1979. Précautions encore en usage aux femmes
316 Monstres
enceintes de ne pas s’approcher des fours. Nous étudions les nombreux interdits la
concernant au chapitre 6.
157. Par exemple Aline ROUSSELLE, Pornéia, PUF, 1983, passim.
158. Les nombreuses allitérations du vocabulaire contribuent un peu plus à
identifier les deux domaines. Le sens de la racine commune *τεκ- est « produire »,
« fabriquer », « façonner », et l’éventail de la terminologie apparentée est vaste. Il y
a téknon, tékos, « enfant », « rejeton », tokeús, « père », tókos, « enfantement »,
« enfant », teknopoía, teknogonía, « procréation », « enfantement » et tektonía, « art
du charpentier », téktôn, « charpentier », « travailleur » en général. Un autre verbe
issu d’une racine différente, *τακ- « fondre », rappelle une métaphore que nous avons
vue chez Galien, celle de la métallurgie. Elle a donné notamment le verbe têktô,
« faire fondre des métaux ». Les allitérations sont encore plus évidentes entre les
deux adjectifs eúteknos, « qui a de beaux enfants » et eútekhnos « industrieux,
habile ». Il est bien évident que les convergences phonologiques représentent des
facteurs déterminants pour la théorisation des convergences sémantiques, les
nombreuses recherches étymologiques souvent erronées dont les Anciens étaient
friands, en témoignent.
10. PLATON, Lois, VI, 775e : « archè gàr kaì theòs ». Procréer c’est lui rendre
culte.
11. Sur l’Énéide, III, 136, trad. personnelle : « chez les anciens, l’on ne prenait
pas femme ni ne labourait son champ sans avoir d’abord offert des sacrifices ».
12. Par exemple HOMÈRE, Odyssée, V, 429 ; PAUSANIAS, II, 32, 12 ; III, 13, 9
(Aphrodite).
13. Jean-Pierre VERNANT, La mort dans les yeux. Figures de l’autre en Grèce
ancienne, Hachette, 1985, p. 15-38.
14. Par exemple PLUTARQUE, Superstitions, 10, 170b.
15. Anthologie palatine, VI, 157 ; 267. Pour ne pas avoir observé ces rites,
Oineus vit son champ dévasté et son fils Méléagre périr des conséquences du ressen-
timent de la déesse (HOMÈRE, Iliade, IX, 533 sq.).
16. Anthologie palatine, VI, 271 ; 274. Voir l’interdit hésiodique – et pytha-
gorique – de se faire les ongles dans les lieux de culte.
17. Par exemple EURIPIDE, Hippolyte, v. 448 ; APULÉE, Métamorphose, IV, 29.
18. CALLIMAQUE, Artémis, 126 : « les femmes meurent en couches d’un coup
subit, ou, si elles échappent, mettent au monde une progéniture qui ne se tient pas
droit et ferme ».
19. Déjà chez Eschyle, il y a un rapprochement entre Artémis et Hécate :
Suppliantes, v. 675-680, dont 678-679 : « qu’Artémis Hécate veille aux couches de
ses femmes ».
20. Ε3λεθυια. Une étymologie possible du nom renvoie à la divinité sémitique
Lilith ( )לילתqui est la représentation de la nuit ()לילה. Elle est une sorte de sorcière
qui se venge en volant ou en affaiblissant les nouveau-nés et les enfants. Une autre
étymologie sémitique consiste à rapprocher le nom de la racine yld ( )ילר: « enfant,
enfanter ».
21. IV, 23, 7.
22. La démonologie ancienne présente un ensemble complexe de théories
nombreuses et fort diverses. Voir par exemple Marcel DETIENNE, De la pensée
religieuse à la pensée philosophique : la notion de daïmôn dans le pythagorisme
ancien, Paris, Les Belles Lettres, 1963.
23. En Grèce, il existe un démon femelle, Gellô (ΓελλF), qui vole les enfants
ou leur suce le sang : les enfants ainsi atrophiés sont dits γιλλ5ρωτα. Les folklores
des divers pays d’Europe ou d’ailleurs comportent des entités semblables, comme
la Babayaga russe ou la fée Carabosse. On peut en outre penser au thème plutôt
médiéval des enfants changelins.
24. Connues en particulier par trois auteurs chrétiens qui auraient puisé leurs
renseignements chez Fabius Pictor (Libri iuris pontifici) et Gravius Flaccus (De
indigitamentis) : Tertullien (v.155-v. 220) en son traité De l’âme, Arnobe († 327)
dans son Contre les païens et Augustin (354-430) en sa Cité de Dieu.
25. AUGUSTIN, Cité de Dieu, VII, 2. Janus était tantôt Patulcius (celui qui
ouvre), tantôt Clusius (celui qui ferme). Voir OVIDE, Fastes, I, 129-130 ; ARNOBE,
Contre les païens, IV, 7.
26. Augustin écrit (Cité de Dieu, VII, 2) : « Ibi Liber, qui marem effuso semine
liberat ; ibi Libera, quam et Venerem volunt, quae hoc idem beneficium conferat
318 Monstres
feminae, ut etiam ipsa emisso semine liberetur. » Libera aussi est censée libérer la
semence de la femme. Cela ne doit pas nous pousser à conclure que la théorie de la
double semence était partagée par l’ancienne tradition romaine. Augustin est plutôt
redevable à la culture médicale savante qui reconnaissait unanimement – le point de
vue d’Aristote n’étant pas retenu dans la compilation d’Oribase au IVe siècle
ap. J.-C. – une semence féminine certes de moins bonne qualité.
27. ARNOBE, Contre les païens, III, 30 ; TERTULLIEN, De l’âme, II, 11. Fluvo-
nia, Fluone a la même racine que le verbe fluo, -ere, « couler », et le substantif
fluxus, « fluide ». Le nom Mena se rapporte à la lune : racine grecque mên-.
28. Elle nourrit l’enfant dans le ventre maternel (« Alendi in utero fetus »).
29. ARNOBE, Contre les païens, III, 30 ; IV, 7.
30. Sur les deux aspects de Carmenta, son rôle embryologique et son rôle
divinatoire, voir L. L. TELS DE JONG, Sur quelques divinités romaines de la naissance
et de la prophétie, Amsterdam, Hakkert, 1960 ; Nicole BELMONT, Les signes de la
naissance, Plon, 1971, p. 161-180 ; Georges DUMÉZIL, Apollon sonore, Gallimard,
1992, p. 101-106.
31. Lucine a pour fonction de « mener l’enfant à la lumière » (lux). OVIDE,
Fastes, III, 255-256 : « Dicite “Tu nobis lucem, Lucina, dedisti” / dicite “tu voto
parturientis ades”. »
32. Nous pouvons encore évoquer les imprécations inscrites sur des amulettes
ou des papyrus magiques du genre : « Toi qui mets en place le disque du soleil, mets
en place où elle doit être la matrice d’une telle. » Voir Danielle GOURÉVITCH, « Gros-
sesse et accouchement dans l’iconographie antique », Dossiers histoire et archéolo-
gie, no 123, janvier 1988, p. 42-48 (dont p. 43-44).
33. OVIDE, Fastes, III, 257-258 : « Siqua tamen gravida est, resoluto crine
precetur / ut solvat partus molliter illa suos. »
34. Anthologie palatine, VI, 59 ; 200-202.
35. PAUSANIAS, II, 33, 1. C’est un cas unique concernant Athéna et sa signi-
fication serait différente de celle du culte plus répandu d’Artémis. Voir Pauline
SCHMITT, « Athéna Apatouria et la ceinture : les aspects féminins des Apatouries à
Athènes », Annales ESC, 1977, no 6, p. 1059-1073.
36. Ce nœud dit d’Hercule est aussi l’objet de commentaires dans le monde
romain. Il en est question chez Pline l’Ancien (HN, XXVIII, 64 : nodus Herculis) et
Festus lui consacre un article (in Paul, 55, 16 L) : la source serait Verrius Flaccus
selon qui ce type de nœud servait entre autre à nouer la robe de la mariée.
37. PLUTARQUE, Lycurgue, 15.
38. OVIDE, Métamorphoses, IX, 310 sq. ; PLINE, HN, 28, 59 rappelle les situa-
tions où il est très déconseillé de croiser doigts, bras ou jambes.
39. PLINE, HN, 28, 42 : « adicit Granius efficaciorem ad hoc esse ferro exemp-
tum. partus accelerat et mas, ex quo quaeque conceperit, si cinctu suo soluto feminam
cinxerit, dein solverit adiecta precatione, et cinxisse eundem et soluturum, atque
abierit ».
40. Il s’agit notamment d’une expression biblique où il est dit que Dieu
« ouvrit » la matrice de Rachel (Genèse, 30, 22) et inversement qu’il « ferma » la
matrice d’Anne (1 Samuel, 1, 5). La Septante grecque dit « ανεξεν [α4νοιξι, ouver-
Notes 319
ture] α$υτ" τ"ν µητρὰν » et « απεκλε8σεν [...] τ"ν µητρὰν α$υτ" » ; la Vulgate latine
de Jérôme : « aperuit vulvam illius » et « concluserat vulvam eius ». Ces traductions
rendent fidèlement le sens concret des mots hébreux PTH ( )פתהet SGR ()סגר, ouvrir
et fermer la matrice (RèHèM, )רחםcomme on ferme une porte.
41. James George FRAZER, Le rameau d’or, Robert Laffont, 1981, t. I,
p. 652-654.
42. Jeannine AUBOYER, La vie quotidienne dans l’Inde jusqu’au VIIIe siècle,
Hachette, 1961, p. 234.
43. Par exemple, pour les ex-voto anatomiques de la Gaule notamment ceux
trouvés dans les sources de la Seine, voir Aline ROUSSELLE, Croire et guérir. La foi
en Gaule dans l’Antiquité tardive, Fayard, 1990, p. 66-73 et complément de réfé-
rences à la note 10, p. 272. Sur ces ex-voto gynécologiques avec des photographies
voir aussi Danielle GOURÉVITCH, « Grossesse et accouchement dans l’iconographie
antique », et Mirko D. GRMEK et Danielle GOURÉVITCH, Les maladies dans l’art
antique, Fayard, 1998, p. 309-313.
44. Les Anciens rapprochaient son nom du verbe ineo, « saillir ».
45. OVIDE, Fastes, II, 32 ; SERVIUS, Sur l’Énéide, VIII, 343 ; JEAN LYDUS Des
mois, IV, 20.
46. Textes réunis par A. DIETERICH, Mutter Erde, 1913, p. 44 sq. : certains
insistent sur la stérilité, d’autres sur l’imperfection ou encore sur la non-viabilité des
produits.
47. ESCHINE, Contre Ctésiphon, 110 : « O πλι O 3διFτη O )θνο ».
48. Ibid., 111, trad. Victor Martin et Guy de Budé, Paris, CUF, 1928 : « Κα'
*πεγεται α
το8 µτε γν καρπο6 +ρειν, µτε γυνα8κε τκνα τκτειν γονε>σιν
*οικοτα, α$λλὰ τρατα, µτε βοσµατα κατὰ +σιν γονὰ ποιε8σθαι » Cette formule
semble avoir contaminé le faux serment des Athéniens avant Platée (– 479) qui
daterait plutôt du IVe siècle av. J.-C. D’ailleurs, le texte que donne Diodore (IX, 29)
ignore cette allusion aux monstres. Pour l’étude épigraphique de cette stèle athénienne
du dème d’Acharnie, voir Louis ROBERT, Études épigraphiques et philologiques,
Paris, Champion, 1938, p. 307-316.
49. HÉRODOTE, III, 65, trad. Ph.-E. Legrand, Paris, CUF, 1939 : « Κα' τα>τα
µ;ν ποιε>σι Hµ8ν γ τε καρπ(ν *κ+ροι κα' γυνα8κ τε κα' πο8µναι τκτοειν. »
50. Marie DELCOURT, Stérilités mystérieuses et naissances maléfiques dans
l’Antiquité classique, Liège, Bibliothèque de la faculté de philosophie et de lettres
de l’université de Liège, 1938, p. 21.
51. TJ, v. 228-237, trad. Paul Mazon, CUF, 1982.
52. Ibid., v. 243-245.
53. ESCHYLE, Les Suppliantes, v. 634-639 et 659-665 : guerre (néfastes) ;
666-678 : piété et naissance heureuse d’enfants (fastes) ; 679-687 : guerre civile et
maladies (néfastes) ; 689-697 : terres et troupeaux féconds, joie et poésie, (fastes) ;
698-709 : conduite à suivre (éviter la guerre, piété à l’égard des dieux et des ancêtres).
54. XIX, 109-114, trad. Victor Bérard, CUF.
55. ESCHYLE, Les Euménides, v. 938-948. Plus loin elles souhaitent des maria-
ges heureux (956-967) et condamnent la guerre civile (976-987).
56. +λογµ( peut désigner le feu de l’incendie criminel, auquel cas Eschyle
320 Monstres
pense à la guerre, ou le feu ardent du soleil, c’est-à-dire une sécheresse apportée par
un vent chaud et sec, ou le feu du gel, la notion de « brûler » étant ambiguë, ou
encore le « feu » de la maladie : la nielle.
57. ESCHYLE, Les Euménides, Trad. Émile Chambry, Garnier.
58. Paul Mazon, Marie Delcourt (p. 22), Émile Chambry.
59. « πλουτχθων » peut aussi avoir un sens agricole. De toute manière, la
richesse du sol de l’Attique était réputée autant pour la fertilité agricole que ses
potentiels miniers et carriers. Voir XÉNOPHON, Les revenus, 1.
60. Robert HALLEUX, « Fécondité des mines et sexualité des pierres dans
l’Antiquité gréco-romaine », Revue belge de philologie et d’histoire, no 48, 1970,
p. 16-25.
61. PLATON, République, II, 363b-c.
62. Analyse générale de cette histoire dans Pierre VIDAL-NAQUET, Le chasseur
noir, Maspero-La Découverte, 1983, p. 249-266. ÉLIEN, Histoires véritables, frag.
47 = II, p. 205-206 Hercher. Comme le souligne Pierre Vidal-Naquet, ce sont bien
évidemment les femmes de Locride qui mettent au monde des enfants difformes et
non les esclaves envoyées à Ilion.
63. Georges DUMÉZIL, L’idéologie tripartie des Indo-Européens, 1958, § 13 ;
Mythe et épopée, Gallimard, t. I, 1968, p. 613-616.
64. On reconnaît la dominante des deuxième et troisième fonctions : vertu
guerrière et abondance.
65. Françoise LEROUX et Christian GUYONVARC’H, La société celtique, Ouest-
France Université, 1981, p. 154-157, 170-171.
66. Par exemple sémitique : Deutéronome, 18, 1-14 et 18.
67. Récit de Lludd et Llevelys. Trad. J. Loth. Étudié dans Françoise LEROUX
et Christian GUYONVARC’H, La société celtique, p. 171 ainsi que par Georges DUMÉ-
ZIL, Mythe et épopée, t. I, p. 613-616, comparé à des sources iraniennes – inscriptions
de Darius – et indiennes du Rig Veda (p. 617-623).
68. FRAZER, Le rameau d’or, op. cit., t. I, p. 327-333.
69. Françoise HÉRITIER, Les deux sœurs et leur mère, Odile Jacob, 1994,
p. 273 sq.
70. À propos de l’absence de charis dans les relations, mot que nous pourrions
traduire par « consentement ».Voir Marcel DETIENNE, Les jardins d’Adonis. La
mythologie des aromates en Grèce, Gallimard, 1972, p. 169 : « En Grèce archaïque,
comme dans les sociétés du même type, la circulation des femmes est inséparable
de l’échange et de la circulation des biens ; [...]. Bloquer la charis à l’un de ces
niveaux, c’est perturber tout le système des échanges et des prestations, c’est porter
la corruption jusqu’au cœur du rapport social. »
71. Dans l’ère celtique, c’est le cas du roi d’Irlande Carpre Cennchait. Parvenu
à ce titre par le meurtre, les arbres ne portent plus de fruits et lui-même ne met au
monde que des monstres.
72. PLATON, Banquet, 188a-b. Trad. É. Chambry, Garnier, 1964.
73. PLINE HN, II, 7.
74. Sous l’Empire, les empereurs n’échappaient pas à ce type de soupçons à
Notes 321
Agaristè la mère de Périclès : quelques jours avant sa naissance, elle rêva qu’elle
accouchait d’un lion (Périclès, 3). La lecture peut être accomplie selon les deux
modes, faste ou néfaste.
86. E. LEICHTY,The Omen Series, p. 204 : vielles versions babyloniennes [23].
87. Ibid., p. 38, Tab. I, oracle no [74].
88. TACITE, Annales, XV, 47. Trad. Henri Bornecque, Garnier, 1965. « bici-
pites hominum aliorumque animalium partus abjecti in publicum aut in sacri-
fiis quibus gravidas hostias immolare mos est ».
89. « natus vitulus cui caput in crure esset ».
90. « secutaque haruspicum interpretatio, parari rerum humanarum aliud
caput, sed non fore validum neque occultum, qui in utero repressum aut iter editum
sit ».
91. PLUTARQUE, Périclès, 6, 4-5. Trad. Robert Flacelière et Émile Chambry,
CUF, 1969.
92. E. LEICHTY, The Omen Series, p. 33, no [14].
93. La tête d’éléphant peut correspondre à une véritable monstruosité, la cyclo-
céphalie diophtalme à proboscis : « un œil au milieu du front avec une trompe
au-dessus. Cette trompe correspond à l’ébauche frontale. Elle ne peut être prise pour
un nez en raison de l’absence de nerfs olfactifs » (Jean-Louis FISCHER, Monstres,
1991, p. 118).
94. K.K. RIEMSCHNEIDER, Babylonische Geburtsomina in hethitischer Über-
setzung (1970).
95. Sseu-ma TS’IEN, Mémoires historiques, trad. Édouard Chavannes, Paris,
Maisonneuve, 1967, XV vol.
96. Nous remercions Jean Levi de nous avoir communiqué certaines de ses
traductions encore inédites.
97. Il s’agit effectivement d’une période troublée où le Siam connaît une
expansion au dépend de ses voisins : conquête et mise en vassalité des royaumes de
Champasak et de Vientiane.
98. Ces prodiges se trouvent dans le livre XII du Florentine Codex écrit en
nahuatl, lequel fut une des sources de Sahagún pour son Historia general de las
cosas de Nueva España (éd. de Mexico, 1956, t. IV, p. 78-165). Voir Nathan WACH-
TEL, La vision des vaincus, Folio-Histoire, 1992, p. 38-41.
99. Voir quelques éditions de ces canards dans Maurice LEVER, Canards
sanglants. Naissance du faits divers, Fayard, 1993, p. 451-497 : neuf cas de nais-
sances monstrueuses. Pour cette époque, Jean DELUMEAU parle de « prolifération du
monstrueux », Le péché et la peur. La culpabilisation en Occident, XIIIe-XVIIIe siècles,
Paris, Fayard, 1983.
100. Ambroise PARÉ, Des monstres et prodiges (1re éd. 1573), édition
commentée par Jean Céard, Genève, Droz, 1971.
101. Pierre BOAISTUAU, Histoires prodigieuses, c. 32, Slatkine, coll. Fleuron,
p. 351-352 et c. 36, p. 387.
102. Le mot « tête » est choisi par Aristote pour argumenter sa théorie des
métaphores (Poétique, 1457b). Quant au latin, il accorde au mot biceps, bicipitis
aussi bien le sens concret de double têtes pour décrire en particulier des personnages
Notes 323
mythiques dont Janus, que métaphorique, notamment dans l’expression biceps civi-
tas, une « cité divisée en deux factions ».
103. Marie-Christine POUCHELLE, Corps et chirurgie à l’époque du Moyen
Âge, Flammarion, 1983, p. 198-205.
104. HÉRODOTE III, 116 ; IV, 13 ; 27 ;191 ; PLINE HN, VII, 23-32 ; STRABON
I, 2, 10 ; 35 ; VII, 3, 6 ; POMPONIUS MÉLA, Chorographie, III, 46 ; AUGUSTIN, Cité
de Dieu, VIII, 1 ; ISIDORE DE SÉVILLE, Origines, XI, 3, 15-27.
105. HN, VII, 33 : « une femme du peuple, qui avait mis au monde, à Ostie,
deux garçons et autant de filles, annonça sans aucun doute la famine qui survint par
la suite ».
106. Sur la gémellité en Grèce, voir Claudine VOISENAT, "La rivalité, la sépa-
ration et la mort. Destinée gémellaire dans la mythologie grecque", in L’Homme, no
105 (1988), p. 88-104 ; Françoise FRONTISI-DUCROUX, "Les Grecs, le double et les
jumeaux", in Topique, no 22 (1992), p. 239-262 ; Véronique DASEN, Jumeaux, jumel-
les dans l’Antiquité grecque et romaine, Zurich, Akanthus verlag, 2005. Pour l’Afri-
que noire voir Luc de HEUTSCH, « Jumeaux. Dans les sociétés bantous », in
Dictionnaire des mythologies (1981), t. I, p. 613. Pour une démarche comparative
voir Samba N’DIAYE, Divination, prodiges et sacrifices expiatoires dans la religion
antique et de l’Afrique traditionnelle, thèse de 3e cycle, Lyon (1983).
107. PLUTARQUE, Périclès, 6, 4-5 (le bélier unicorne) ; Banquet des Sept Sages,
149c (l’hippocentaure).
108. PHLÉGON DE TRALLES, Des miracles, 2. Édition de Giannini in Paradoxo-
graphorum graecorum reliquae (1966), p. 178-184 ; PROCLUS, Commentaire de la
République de Platon, II, éd. W. Kroll (1901). Voir la traduction partielle des textes
dans l’étude de Luc BRISSON, « Aspects politiques de la bisexualité. L’histoire de
Polycrite », in Hommages à Maarten J. Vermaseren, Leyde, Brill, 1978, vol. I,
p. 80-122 et plus récemment Le sexe incertain, Belles Lettres, 1997 : comparaison
entre la bisexualité simultanée et la bisexualité successive de certains médiateurs.
109. l. 130 : thútas (θτα) te kaì teratoskópous (plus exactement : « sacrifi-
cateurs et observateurs de présages »). La racine grecque *skp (-scope) correspond
par métathèse entre k et p à la racine latine *spk (spex, spectare) : le sens général
est celui de « observation ».
110. Dans cette version romanesque de la vie d’Alexandre attribuée au pseudo-
Callisthène, ont pris racine trois traditions, l’une orientale (arménienne : A.M.
Wolohdjian, The Romance of Alexander the Great by pseudo-Callisthenes, New
York, 1969 dont une version du Ve siècle est éditée par Aline Tallet-Bonvalet, Paris,
éd. G-F., 1994 ; éthiopienne : E. A. Waalis-Budge, The Life and Exploite of Alexander
the Great, London, 1896, reprint N.Y., 1968), une autre byzantine (grecque et slave)
et une latine qui se répandit en Occident. Julius Valérius, consul en 338 ap. J.-C.,
réalisa une traduction latine, dédiée à l’empereur Constance II, de la version A du
pseudo-Callisthène (Res gestae Alexandri Macedonis, éd. B. Kuebler, Leipzig, éd.
Teubner, 1888). Au cours du IXe siècle, en fut publié un résumé latin, l’Epitome Julii
Valerii (éd. Zacher, Halle, 1867) qui connut un grand succès et qui constitua la
source des « romans » français d’Alexandre du XIIe siècle, lesquels doivent être
étymologiquement définis comme la traduction en langue romane vernaculaire de
324 Monstres
l’Antiquité classique, Bruxelles, 1938, p. 36-46. Cette thèse ne satisfait pas P. ROUS-
SEL, « L’exposition des enfants à Sparte », in REA, XLV (1943), p. 5-17.
123. TITE-LIVE XLIII, 13 : « duo non suspecta prodigia sunt, alterum quod in
privato loca factum esset, alterum quod in loco peregrino ». Sur la question des
prodiges à Rome : L. WÜLKER, Die geschichtliche Entwicklung des Prodigienwesens
bei den Römern, Leipzig, 1903 (catalogue exhaustif des sources) ; Raymond BLOCH,
Les prodiges dans l’Antiquité classique, Paris, 1963. La distinction entre prodiges
dits « publics » et « privés » surtout en ce qui concerne les monstres humains, est
très nuancée par Brian MAC BAIN, Prodigy and expiation : a study in Religion and
Politics in Republican Rome, Bruxelles, Latomus, 1980, p. 30.
124. On en retrouve ainsi des traces dans des ouvrages tels que TITE-LIVE,
Histoire romaine, JULIUS OBSEQUENS, Des prodiges, VALÈRE MAXIME, Dits et faits
mémorables ou encore OROSE, Histoire contre les païens.
125. TITE-LIVE XXXI, 12 : « ante omnia abominati semimares ».
126. JUVÉNAL, Satyres, XV, 140 ; Pline VII, 72.
127. Arnold VAN GENNEP, Les rites de passage, 1909, p. 74-75 ; 218 n. 2.
128. α4ωροι (βιαιο) θάνατοι : littéralement « ceux qui sont morts (par la
violence) hors saison » c’est-à-dire « morts prématurément ». Au contraire, le
mariage dit α4ωρο est le mariage tardif, au moment duquel l’un des deux époux est
trop vieux.
129. Gazette de Tübingen de 1565.
130. Jean BOTTÉRO, « Le péché en Mésopotamie ancienne », in Recherches et
documents du Centre Thomas More, L’Arbresle, no 43 (1984), p. 1-16.
131. Jacques GÉLIS, L’arbre et le fruit, Fayard, 1984, p. 365.
132. Françoise HÉRITIER, « Étude comparée des sociétés africaines », in
Annuaire du Collège de France (1984-1985), 1985, p. 531-550 et Les deux sœurs et
leur mère, Odile Jacob, 1994, p. 274 sq.
133. Otto RANK, Le mythe de la naissance du héros (1909), Payot, 1983,
p. 102 sq.
134. Voir Nicole BELMONT, Les signes de la naissance, Plon, 1971, p. 81-84
et « L’enfant exposé » (1980) rééd. in Dialogue, no 127 (1995), p. 30-44. Cette
errance du monstre au grès des courants d’une masse aqueuse nous rappelle enfin
cette Nef des fous (Nerrenschiff) peinte par Jérôme Bosch, remplie d’individus margi-
naux et d’indésirables chassés de divers endroits dans des embarcations : le thème
n’est pas sans résonance.
135. E. E. EVANS-PRITCHARD, Nuer religion (1956), Clarendon Press, 1970,
p. 84.
136. DIODORE XXXII, 10, 2 – 11 = frag. in PHOTIUS Bibliothèque, codex 244,
377b - 378b. Héraïs avait été de mauvais présage pour le séleucide Alexandre Balas
(mort en 145 av. J.-C.) dans son entreprise contre Démétrius II de Syrie. De son
côté, Callon eut des ennuis car, initiée aux cultes de Déméter lorsqu’elle était femme,
il fut accusé de sacrilège une fois devenu homme.
137. PLINE VII, 36 : « Ex feminis mutari in mares non est fabulosum. inveni-
mus in annalibus P. Licinio Crasso C. Cassio Longino cos. Casini puerum factum
ex virgine sub parentibus iussuque haruspicum deportatum in insulam desertam.
326 Monstres
Licinius Mucianus prodidit visum a se Argis Arescontem, cui nomen Arescusae fuisse,
nupsisse etiam, mox barbam et virilitatem provenisse uxoremque duxisse ; eiusdem
sortis et Zmyrnae puerum a se visum. ipse in Africa vidi mutatum in marem nuptiarum
die L. Consitium civem Thysdritanum, vivebatque cum proderem haec. ». Fait
reconnu chez des animaux comme la poule et le coq : ARISTOTE HA, IX, 49, 631b.
138. Il y eut de nombreuses guerres contre les peuples du Latium durant la
seconde moitié du IVe s. av. J.-C., racontées par Tite-Live dans les livres VIII et IX
de son Histoire romaine, mais il s’agit ici d’une guerre sociale (revendication du
droit de cité par les villes italiennes) qui eut lieu en 90-88 avant J.-C et pour laquelle
Cicéron rapporte quelques prodiges (Divination, I, 99) parmi lesquels celui-ci ne
figure pas. Cette guerre est brièvement résumée par VELLEIUS PATERCULUS Histoire
romaine, II, 15-17, sans toutefois les prodiges.
139. DIODORE XXXII 12, 1-2 = frag. in PHOTIUS codex 244, 379a. L’auteur
raconte que peu de temps après, il arriva un fait semblable à Athènes et que la femme
connut un sort identique.
140. Le sort n’est pas précisé à propos des deux androgynes découverts à
Arezzo en 94 av. J.-C.
141. HN, VII, 34 (repris en partie par AULU-GELLE NA, 9, 4) et encore HN,
XI, 262 ; XXIV, 80.
142. Pour une première réflexion sur ce phénomène comme tendance dans le
cinéma pornographique ou plus exactement dans les vidéos téléchargeables par inter-
net, la revue en ligne Hermaphrodite, no 8, 18 juin 2005 propose un article intéres-
sant : « Porno fric ou porno freak ». Notons au passage que le nain pouvait être dans
l’Antiquité, employé en tant que personnage à valeur érotique comme en témoignent
certaines fresques de Pompéi.
143. HN, VII, 34 : « Gignuntur et utriusque sexus quos hermaphroditos voca-
mus, olim androgynos vocatos et in prodigiis habitos, nunc vero in deliciis. »
144. Tite-Live (XXXI, 12 ; XXXIX, 22, 3) et Julius Obsequens (56 ; 2)
l’emploient dans le sens d’androgyne. Il devait sûrement exister une nuance entre
l’androgynnus et le semimas : la pathologie de ce dernier pourrait être l’absence
naturelle des testicules. Il s’agirait ainsi d’un hermaphrodisme d’incomplétude plutôt
que de mélange.
145. Comme nous l’avons vu avec [HIPPOCRATE] Régime, I, 28-29.
146. VALÈRE MAXIME, VIII, 3, 1 : « quia sub specie feminae virilem animum
gerebat, Androgynen appellabant ».
147. Anthologie palatine, VI, 254.
148. Voir par exemple la condamnation de ces travestissements par le chrétien
Tertullien : Du manteau, 4, 1.
149. Par exemple OVIDE, Métamorphoses, IV, 380-382 : « Ergo, ubi se liqui-
das, quo vir descenderat, undas / Seminarem fecisse videt mollitaque in illis /
Membra,... ». Pour un exemple de statue, voir par exemple celle de marbre, l’Her-
maphrodite endormi, Musée du Louvre, Répliques antiques d’après des originaux de
l’époque hellénistique, aile Sully, rez-de-chausée, section 17 : l’original aurait été
l’œuvre de Polyclès.
150. Anthologie palatine, II, 101 : à propos d’une statue d’un gymnase public.
Notes 327
151. Anthologie palatine, IX, 783 : épigramme sous forme de narration interne
d’une statue.
152. LUCAIN, Pharsale, I, 525-583 (catalogue des présages) dont 563 :
« matremque suus conterruit infans » (l’enfant provoque l’effroi de sa mère). Ce vers
est d’ailleurs cité six siècles plus tard par Isidore de Séville (Origines, XI, 3, 6),
Lucain étant pour son discours tératologique, une source littéraire importante avec
Ovide.
153. LUCAIN, Pharsale, I, 589-591 : « Il demande d’abord que soient jetés
dans les flammes, les monstres, fruits funestes, que, d’une semence vaine, la nature
perturbée a produit d’un ventre stérile ». Trad. personnelle. Il pourrait s’agir d’une
allusion au phénomène de la mule qui met bas.
154. CICÉRON, De la divination, I, 92.
155. Parmi ces auteurs, Caius Nigidus Figulus souvent cité par Pline l’Ancien,
et surtout Tarquitius Priscus, auteur du recueil de prodiges Ostentaria Tusca. Au
nombre de ces ouvrages, certains furent traduits en grec à l’époque byzantine par
Jean Lydus.
156. TACITE, Annales, XI, 15. Comme chez Cicéron, le souci exprimé est
avant tout celui de la peur de l’oubli.
157. Sur les lois Julia et Papia, Digeste, 50, 16, loi 135.
158. PAUL, in Digeste, 1, 5, loi 14 (Sentences IV, 9, 3-4) « Ne peuvent être
comptabilisés parmi les autres enfants ceux qui sont contraires à toute forme humaine
mais sont considérés comme valables et comptabilisés au nombre des enfants ceux
qui ont des membres humains supplémentaires. ». Trad. Personnelle.
159. Code Théodosien, 6, 29, 3 ; Digeste, 28, 2, 12.
160. ULPIEN, Digeste, 1, 5, 10 ; 28, 2, 6, 2 ; PAUL, Digeste, 22, 5, 15, 1. Pour
cette question, Yan Thomas parle d’une « casuistique de l’hermaphrodite », in "La
division des sexes en droit romain", in Georges DUBY et Michèle PERROT (dir),
Histoire des femmes en Occident, Plon, 1990, t. I, p. 103-156 (dont p. 104-106).
Voir aussi Eva CANTARELLA, « L’hermaphrodite et la bisexualité à l’épreuve du droit
dans l’Antiquité », in Diogène, no 208 (2004, 4). Pour une compilation pratique des
sources du droit romain sans en suivre forcément toutes les conclusions, voir Antoine
LECA, « Corpus contra formam humani generis. Notes sur le monstre en droit
romain », in Régis BERTRAND et Anne CAROL (dir.), Le « monstre » humain. Imagi-
naire et société, 2005, p. 89-94.
161. JÉRÔME, Lettre, 72 = Patrologie latine, t. 22, col. 674 éd. Migne : « Lega-
mus veteres historias et maxime Graecas ac Latinas, et inveniemus lustralibus hostiis,
secundum errorem veterum, portentuosas soboles, tam in hominibus, quam in armen-
tis ac pecudibus expiatas ».
162. AUGUSTIN, Cité de Dieu, XVI, 8 (137). Trad. G. Gombès, Desclée de
Brouwer, BA, 1960.
163. AMMIEN MARCELLIN, Histoires, XIX, 12, 19-20. Trad. Guy Sabbah, CUF,
1970.
164. Constater et peut-être regretter la moindre importance accordée aux
monstres est un thème classique. Nous avons vu plus haut que Pline (Ier siècle
ap. J.-C.) faisait la même remarque à propos des hermaphrodites (VII, 34). De plus,
328 Monstres
au Ier s. avant J.-C., Tite-Live avait dit la même chose sur les prodiges en général
(XLIII, 13, 1-2). Il y a possibilité d’une crise du prodige dès le Ier siècle av. J.-C.
mais il faut également se méfier de l’esprit o tempora o mores. Un certain nombre
d’événements étranges dont monstrueux sont présents chez Tacite et témoignent
d’une importance officielle toujours réelle. Sur la fréquence des prodiges entre les
e er
III et I siècles av. J.-C., voir B. MAC BAIN, Prodigy and expiation, p. 106 sq.
165. OROSE, Histoires contre les païens, V, 8-11 (par ex. à propos d’un andro-
gyne né à Rome).
166. Trinité, III, 2, 7. Trad. M. Mellet et t. Camelot, Desclée de Brouwer,
BA, 1955.
167. Cité de Dieu, XVI, 8, 1 : il y a des races monstrueuses parmi les hommes
comme il naît des monstres parmi nous. Argument repris plus tard par Isidore (XI,
3, 12).
168. Trinité, III, 2, 7.
169. Guerre du Péloponnèse, V, 130, 2.
170. ZOSIME V, 41.
171. NICÉPHORE (patriarche), Brevarium, 33.
172. Histoire des Francs, IX, 4. Voir V, 23 ; 41 ; VI, 14 ; 25 ; 44 ; VII, 11 ;
VIII, 5 ; 8 ; 17 ; IX, 6 ; X, 21 ; 25. Trad. René Latouche
173. Les monstres sont du côté de la nature puisque produits avec la volonté
de Dieu (XI,3, 1 : « non sunt contra naturam quia divina voluntate fiunt » et 2 :
« portentum ergo fit non contra naturam, sed contra quam est nota natura ») ; ils
sont créés pour annoncer une partie de l’avenir et c’est d’ailleurs l’étymologie des
différents mots : portentum, ostentum, monstrum et prodigium. La suite du chapitre
est ainsi conçue : XI, 3, 7-11 typologie des monstres et des êtres monstrueux (portenta
et portentuosa) ; 12-27 : les différentes races monstrueuses ; 28-39 : analyse évhé-
mériste de certains monstres mythologiques.
174. Un passage d’Isidore peut cependant poser problème. Il écrit en XI, 3,
5 : « Sed haec monstra quae in significationibus dantur non diu vivunt, sed continuo
ut nata fuerint occidunt » que l’on traduira ainsi : « Mais ces monstres qui sont
envoyés comme signe ne vivent pas un jour : à peine sont-ils nés qu’on les tue ». Le
temps employé est un présent (occidunt) et non un imparfait (occidebant). Faut-il en
conclure l’actualité de l’usage ou est-ce une formule intemporelle qui ne dit rien sur
son temps ? Faut-il comprendre le verbe occidere au sens actif de « dépérir », le
pluriel n’étant plus un impersonnel (ils = on) mais se justifiant par le sujet monstra
valable pour les deux verbes : « à peine sont-ils nés qu’ils meurent » ?
175. De universo, VII, 7 = Patrologie latine, éd. Migne, t. 111, col. 195-199.
À l’exception du dernier paragraphe, le texte de Raban Maur, écrit vers 844, reprend
quasi mot pour mot celui d’Isidore.
176. ISIDORE DE SÉVILLE, Origines XI, 3, 5. « Du temps d’Alexandre, une
femme engendra un monstre dont les parties supérieures du corps étaient humaines
mais mortes et les parties inférieurs étaient vivantes et celles de diverses bêtes ; ceci
annonçait la fin brutale du règne : les pires parties avaient survécu aux meilleures »
Trad. personnelle : « Alexandro ex muliere monstrum creatum, quod superiores
corporis partes hominis, sed mortuas habuerit, inferiores diversarum bestiarum, sed
Notes 329
185. Représentation iconographique dans le ms. français 5054, fol. 221 (BNF)
qui date de 1484.
186. Dans les manuscrits enluminés, les devins païens de la Rome ancienne
sont essentiellement représentés – et ridiculisés – par les augures observant le vol
de oiseaux : par exemple la traduction de Valère Maxime datant du milieu du XVe s.,
BNF ms. français 287, fol. 39. Cependant, les prodiges et calamités subis par les
populations antiques n’en sont pas pour autant niés. Elles sont représentés mais ce
sont uniquement les catastrophes naturelles comme les séismes, les incendies, les
pluie de sang ou les astres curieux et très rarement des monstres humains ou animaux.
Sur la mort de Charlemagne, la scène est illustrée dans le ms. français 2820, fol.
145.
187. VINCENT DE BEAUVAIS, Speculum historiale, XXV, 38 : « Duo erant
capita et quatuor brachia, caetera gemina omnia usque ad umbilicum ». Un manus-
crit du XIVe dans la traduction française de Jean de Vignay, possède une illustration
de ces sœurs siamoises (BNF, ms. français 52, fol. 56vo). Autre mention d’un monstre
à deux têtes (biceps) né en 1117 : XXVI, 27. C’est d’ailleurs dans un autre manuscrit
de la même traduction française du Speculum historiale (Miroir historial), réalisé à
Paris en 1396, que l’on trouve l’une des rares représentations iconographiques d’un
monstre des sources antiques : BNF ms. français 312, fol. 220. C’est un enfant à
quatre pieds né en 136 avant J.-C. qui est décrit chez Julius Obsequens, 86 (25).
188. L’aspect prophétique des monstres au XVIe siècle où ils sont lus comme
des symboles, apparaît tout particulièrement dans des écrits polémiques du contexte
de la Réforme comme l’âne-pape de Mélanchthon ou le veau-moine de Luther, petits
ouvrages qui furent aussi traduits en français. Voir Jean CÉARD, La nature et les
prodiges. L’insolite au XVIe siècle en France, Droz, 1977, p. 75-84 (dont n. 116, p. 80
pour la référence des traductions françaises). Dans les feuilles volantes, notamment
celles réunies par Maurice LEVER, dans Canards sanglants, 1993, l’aspect divinatoire
est souvent soutenu et préféré aux analyses médicales (c’est la cas des feuilles no 56
et 57 de 1578, p. 453-458). L’on peut remarquer que les anecdotes à discours
prophétiques les plus tardives obéissent à une sorte d’éloignement au sens où il elles
ne concernent que des naissances survenues dans l’empire ottoman, no 61, p. 483-486
(1608) : c’est l’enfant à tête d’éléphant – motif connu – du sultan Amet qui est
analysé comme signe du début de la décadence turque. Il est brûlé et les cendres
sont jetées à la mer ; no 62, p. 487-497 (1624). Cet éloignement pourrait correspondre
à une distanciation comparable à celle entretenue à l’égard des sources anciennes
grecques et romaines (l’on pense en particulier à l’enfant d’Alexandre décrit dans le
pseudo-Callisthène, Isidore de Séville et le Roman d’Alexandre).
189. Jean CÉARD, La nature et les prodiges ; Katharine PARK et Lorraine J.
DASTON, « Unnatural Conceptions : The Study of Monsters in Seexteenth and Seven-
teeth Century France and England », in Past and Present, no 92 (1981), p. 20-54 ;
William J. BECK, « Montaigne et Paré : leurs idées sur les monstres », in Rinasci-
mento, Firenze, vol. XXX (1990), p. 317-342 ; Kathryn M. BRAMMALL, « Monstrous
metamorphosis : nature, morality and the rhetoric of monstrousity in Tudor
England », in Sixteeth Century Journal, XXVII, (1996), 1, p. 3-21.
Notes 331
Maïmonide : il faut que les parents s’aiment sinon l’enfant sera médiocre de corps
et d’esprit.
51. PLATON, Le Banquet, 25, 206d. Trad. É. Chambry, Garnier, 1964 : « διὰ
τα>τα %ταν µ;ν καλJ προσπελάζW τ( κυο>ν, RλεFν τε γγνεται κα' ε
+ραινµενον
διαχε8ται κα' τκτει τε κα' γενν[. %ταν δ; α3σχρJ, σκυθρωπν τε κα' λυποµενον
συσπειρα̃ται κα' α$ποτρπεται κα' α$νελλεται κα' ο
γεν[ α$λλὰ =σχον τ( κηµα
χαλεπ +ρει ».
52. Gynécologie, I, 37
53. χάρι, πειθF et βα. Le mythe d’Ixion présente une morale identique
(PINDARE Pythiques II, 32 ; ESCHYLE Ixion F 314 éd. H.-J. Mette). Ixion essaie de
séduire Héra et tente de la violer. Elle est substituée par une Nuée et de cette union
naît un monstre, Kéntauros, ancêtre éponyme des centaures. Sur la notion de cháris
voir Marcel Detienne Les jardins d’Adonis, Gallimard, 1972, p. 166-169 et Michel
FOUCAULT, Le souci de soi, Gallimard, 1984, p. 238-240 (à propos du Dialogue sur
l’amour de Plutarque).
54. Marcel DURRY, "Le mariage des filles impubères à Rome", in CRAI, 1955,
p. 84 sq.
55. Digeste, XXIII, 1, 4. Voir Pierre GRIMAL L’amour à Rome, 1979, p. 91-98
56. Digeste, XXIII, 1, 4 ; 5
57. Digeste XXIII, § 12
58. Digeste XXIII, 1, 11. Voir Ulpien in Digeste L, 17, 30 : « Nuptias non
concubitus sed consensus facit ».
59. Jack GOODY, L’évolution de la famille et mariage en Europe, trad. fra.,
Armand Colin, 1985, p. 154-155 ; 194 ; 207
60. Scholie à Homère Iliade (Scholia D in Iliadem), I, 609 (= A 609/Zs), 5-7 :
« λάθραι δ; τν γονων α$λλλοι συνερχµενοι )σχον υM(ν 4 Η+αιστον ο
χ
@λκληρον, *κατρου δ; το6 πδα χωλν, +ησιν α
τ(ν “α$µ+ιγυεντα” @
ποιητ ». Le scholiaste commente l’expression πρ( Tν λχο « vers le lit conju-
gal »
61. Scholie à Homère Iliade I, 609, 5-7. Trad. personnelle
62. I, 609, 8-9. Trad. personnelle
63. « ε' ε
ν"ν +οιτντε +λου λθοντο τοκα ». En fait, ce commentaire
est la reprise du vers XIV, 296 et la seule différence est λθοντε. Sur ce vers
précisément, le commentaire de la scholie cite Apollodore (κρ+α τ(ν Δα τι ] Ηραι
συγκεκαθευδηκναι) : « Apollodore rapporte que Zeus avait en cachette couché avec
Héra » (= FGH 244 F 119).
64. XÉNOPHON, Mémorables, IV, 4, 22. Trad. personnelle. Au paragraphe 21,
Xénophon attribue à Socrate des propos semblables concernant l’impossibilité de se
soustraire aux lois divines. C’est « la punition (δκην) [...] à laquelle aucun homme
ne peut se soustraire (Kν ο
δεν τρποι δυνατν α4νθρωποι δια+εγειν) »
65. LYSIAS, Sur le meurtre d’Ératosthène, 33 : le mari trompé peut tuer l’amant
de sa femme pris en flagrant délit d’adultère. La racine µιχ du mot grec qui désigne
le délit d’adultère, µοιχεα, est d’ailleurs intéressante. Elle signifie « mouiller » d’où
« uriner », voir les mots latins mictus et mictio, -onis. C’est dire sa valeur de pollution
et de mélange (des semences ?).
Notes 335
ainsi que la typologie animalière que dresse Sémonide d’Amorgos (VIe s. av. J.-C.)
dans son Poème sur les femmes.
104. Travaux, v. 378 ;
105. Théogonie, v. 609 : « κακ(ν *σθλJ α$ντι+ερζει ».
106. PLATON, Le Banquet, 14-16, 189d-194a.
107. Trad. Émile Chambry, Garnier.
108. « Je ferai qu’enceinte, tu sois dans de grandes souffrances ; c’est péni-
blement que tu enfanteras des fils » ; « Le sol sera maudit à cause de toi ; c’est dans
la peine que tu t’en nourriras tous les jours de la vie, [...]. À la sueur de ton visage
tu mangeras du pain... » Genèse, 3, 16. Trad. TOB, 1989.
109. En particulier le Poème du Super-sage (Atra-hasîs) où après le déluge
provoqué par Enlil, Enki/Ea introduit parmi les hommes une durée de vie maximale
(cent ans), la mortalité infantile, la stérilité de certaines femmes, les maladies, la
rage dentaire...
110. HÉSIODE, Théogonie, v. 924. Trad. Paul Mazon. Α
π( δ’ *κ κεφαλ
γλαυκFπιδα Τριτογνειαν.
111. PINDARE, Olympiques, VII, 34 sq. ; APOLLODORE I, 3, 6.
112. Voir les sources des différentes versions in Jean-Pierre VERNANT et
Marcel DETIENNE Les ruses de l’intelligence, coll. Champs-Flammarion, 1974,
p. 172 ;
113. v. 927-928 : ] Ηρη δ’ ] Η+αιστ(ν κλυτ(ν ο
+ιλτητι µιγεσα / γενατο
κα' ζαµνησε κα' _ρισε a παρακοτη.
114. Scholie à Homère Iliade, XIV, 292 ; EUSTATHE, Sur l’Iliade, p. 987-988.
115. Héphaïstos s’occupe des métiers du métal (orfèvres, forgerons, ciseleurs,
armuriers,...) alors que Athéna s’intéresse surtout aux métiers de la charpente et du
tissage. Voir Françoise FRONTISI-DUCROUX Dédale. Mythologie de l’artisan en Grèce
ancienne, Lac Découverte, 1975, p. 62-63 et Pierre VIDAL-NAQUET Le chasseur noir,
La Découverte, 1983, p. 289-315.
116. GA, II, 3, 737a 29-30.
117. HN, X, 160.
118. HA, VI, 2, 560a 5-6.
119. Histoire des animaux, édition et traduction Pierre Louis, CUF, p. 66 n.
5. Pline (XN, X, 158) transcrit l’adjectif ο
ρν ou ο
ρνον par urinum.
120. HA, VI, 4, 562b 9-11.
121. GA, III, 2, 753a 31-34 : « Hπερζε8ν τοιε8 τ"ν Hγρτητα τ"ν *ν το8
Jο8 ».
122. HA, VI, 2, 559b 7-8. Trad. Pierre Louis.
123. 559b 8-9.
124. HA, VI, 18, 572a 16-30. Elle remonterait à Homère (Iliade, XX, 223)
pour la tradition écrite. Voir Simon BYL Recherche sur les grands traités biologiques
d’Aristote : sources écrites et préjugés, Bruxelles, Académie royale de Belgique,
1980, p. 287-288 ; également VIRGILE, Géorgiques, III, 272-275 ; ÉLIEN, Personnalité
des animaux, IV, 6 ; PLINE HN, VIII, 67 ; AUGUSTIN Cité de Dieu, XXI, 5. Au Moyen
Âge, Albert le Grand commente cette théorie en s’appuyant notamment sur
Avicenne : voir Danielle JACQUART et Claude THOMASSET, « Albert le Grand et les
338 Monstres
pendant la période des règles (IV, 40) et assimilent cette impureté à d’autres écarts
sexuels (XI, 173). Par contre, dans l’Inde dravidienne du sud, non indo-européenne,
dans le cadre d’une fête nommée Poupounida, l’on a encore recours à des bains
rituels à l’occasion des premières règles de la jeune fille (Karin KAPADIA, Shiva and
her Sisters. Gender, Caste and Class in Rural South India, 1996, p. 92-123 ; Anthony
GOOD, The Female Bridegroom, 1991, p. 97-110). Ctésias a donc pu connaître ces
différents rites quelque peu opposés. C’est plus probablement l’Inde septentrionale
qu’il avait étudiée dans ses Indika dont des extraits ont été conservés dans la Biblio-
thèque (cod. 72) du patriarche Photius, vers 850.
47. XXVIII, 77.
48. [ARISTOTE], Problèmes, IV, 25, 879a 26 sq. ; IV, 28, 880a 12 sq. ; CELSE,
Traité de médecine, I, 3 ; RUFUS in ORIBASE, Collection médicale., VI, 38 = t. I,
p. 543, éd. Bussemaker-Daremberg ; GALIEN in ORIBASE, Livres incertains, VIII,
p. 110. Voir Marcel DETIENNE, Les jardins d’Adonis, Gallimard, 1972, p. 222-223.
49. TJ, v. 585-586, trad. Paul Mazon.
50. Françoise LOUX et Philippe RICHARD, Sagesse du corps. La santé et la
maladie dans les proverbes français, Maisonneuve et Larose, 1978, p. 110.
51. Le chou comporte aussi une forte connotation sexuelle. Voir ibid., p. 111
52. Selon le médecin Icatidas : PLINE, HN, XXVIII, 83.
53. Lévitique, 18, 19 ; 20, 18.
54. 18, 6, trad. TOB.
55. Voir Mary DOUGLAS, De la souillure, trad. fr. La Découverte, 1992,
p. 61-76.
56. MGH, epist. II, 1 (Gregorii I regestri), Berlin, 1893, p. 338-342. Voir
Jean-Louis FLANDRIN, Un temps pour embrasser, p. 78-79.
57. Voir Peter BROWN, Le renoncement à la chair, p. 190-191, 519.
58. Par exemple, Didascalia et constitutiones apostolorum, 6, 21, 1-8. Voir
Charles T. WOOD, « The Doctor’s Dillema : Sin, Salvation and the Menstrual Cycle
in Medieval Thought », Speculum, no 56 (1981), p. 710-727.
59. Pédagogue, 2, 10, 91, 2.
60. L’abbé Migne ne le considérait pas comme authentiquement de saint
Jérôme, d’où son absence de l’édition de la patrologie latine.
61. Patrologie latine, t. 25, col. 174, éd. Migne : « Per singulos menses, gravia
atque torpentia mulierum corpore, immundi sanguinis effusione relevantur. Quo
tempore si vir coierit eum muliere, dicuntur concepti fœtus vitium seminis trahiri :
ita et leprosi et elephantiasi ex hoc conceptione nascantur et foeda in utroque sexu
corpora, paritate vel enormaitate membrorum sanies corrupta degeneret. »
62. « Menstruatae universae iustitiae nostrae Mene Hebraice, Luna latine :
unde menstruatae quae singulis mensibus solent sanguinis fluxum sustinere. Et tunc
viri abstinere debent ab eis. Tunc enim concipiuntur membris damnati, caeci, claudi,
leprosi et hujuscemodi : Ut quia parentes non erubuerunt misceri in conclavi, eorum
peccata pateant eunctis, et aperte redargantur in parvulis. »
63. Patrologie latine, t. 39, col. 2300, éd. Migne : « Quando praesertim ab
uxore abstinendum. Quas plerumque poenas dent qui aliter se gerunt. Nonnuli bestiis
incontinentiore. Ante omnia ut quoties dies dominicus aut aliae festivitates veniunt,
Notes 343
uxorem suam nullus agnoscat. Et quoties fluxum sanguinis muleries patiuntur, simi-
liter observandum est : propter illud quod ait propheta, “Ad mulieram menstruatam
non accesseris” [Ézéchiel, 18, 6]. Nam qui uxorem suam in profluviis positam
agnorevit, aut in die dominice, aut in alia qualibet solemnitate adveniente se conti-
nere noluerit ; qui tunc concepti fuerint, aut leprosi, aut epileptici, aut etiam forte
daemoniaci nascentur. »
64. Autres exemples de cet usage métaphorique ou édifiant chez les prophè-
tes : Isaïe, 30, 22 ; Jérémie, 2, 24 ; Lamentations, 1, 17 ; Baruch, 6, 27-28 ; Ézéchiel,
22, 10 ; 36, 17 ; Zacharie, 13, 1.
65. Sefer Sha’ashou’im, éd. Davidson, Berlin, 1885, p. 173.
66. Traduit dans Ron BARKAÏ, Les infortunes de Dinah ou la gynécologie juive
au Moyen Âge, Cerf, 1991, p. 51. L’auteur présente l’ensemble des débats chez les
penseurs médicaux juifs, notamment la contradiction entre la nocivité du sang et sa
nécessité pour fabriquer aussi bien la chair de l’enfant que le lait de la nouvelle mère
(p. 49-57). La notion fondamentale demeure nidah ()נדה, c’est-à-dire l’impureté,
alors que les règles sont appelées vesset ()וםת. Beaucoup d’autres auteurs, en se
fondant sur le Talmud, dont le traité Niddah, affirment qu’il n’y a pas de risque
puisque la femme est stérile durant ses règles. Voir Samuel S. KOTTEK, « Embryology
in Talmudic and Midrashic Literature », Journal of the History of Biology, Harvard
UP, vol. 14 (1981), no 2, p. 299-315 : le problème de l’impureté est posé d’abord
pour la mère après l’accouchement.
67. Repérer le plus tôt possible les traces de l’écoulement du sang permet de
respecter l’interdit mosaïque, et l’impureté commence dès lors qu’il y prise de
connaissance. Ainsi, la contamination des objets n’est pas rétroactive : « Pour toute
femme qui constate sa période régulière, il suffit de se prémunir depuis cette consta-
tation » (Niddah, 1, 1, in Talmud de Jérusalem, trad. M. Schwab, Maisonneuve et
Larose, t. VI, p. 38). Toutefois, cette opinion n’est pas partagée par tous les auteurs.
68. Miracles de saint Martin, II, 24.
69. Danielle JACQUART et Claude THOMASSET, Sexualité et savoir médical au
Moyen Âge, PUF, 1985, p. 253.
70. ISIDORE DE SÉVILLE, Origines, XI, 1, 140 : « Menstrua supervacuus mulie-
rum sanguis. Dicta autem menstrua a circuitu lunaris luminis, quo solet hoc venire
profluvium ; luna enim Graece mene dicitur » ; RABAN MAUR, De rerum naturis, VI,
1 (« De homine et partibus eius »), 86.
71. Sur ces débats, voir John T. NOONAN, Mariage et contraception,
p. 361-362, et Jean-Louis FLANDRIN, Le sexe et l’Occident, p. 361, n. 108, et
p. 193-199.
72. Thomas d’Aquin,Sentences, 4, 32, 1, 2, 2.
73. Sur les règles et notamment le problème des dangers du regard, voir
Danielle JACQUART et Claude THOMASSET, Sexualité et savoir médical au Moyen Âge,
p. 98-109 et bibliographie ; Sylvie LAURENT, Naître au Moyen Âge, p. 230 et biblio-
graphie ; quelques références aussi dans Claude KAPPLER, Monstres, démons et
merveilles à la fin du Moyen Âge, Payot, 1980, p. 266-267.
74. Ambroise PARÉ, Des monstres et des prodiges, édition de Jean Céard,
Droz, 1971 qui correspond à l’édition de 1585.
344 Monstres
75. Ibid., chap. III. Le texte d’Esdras dans la traduction latine dit en 4, 5, 8 :
« Et mulieres menstruatae parient monstra. »
76. Laurent JOUBERT, Des erreurs populaires et propos vulgaires, éd. Made-
leine Tiollais, L’Harmattan 1997, t. II, p. 51-53, 59-60. Les règles ne sont causes ni
de taches ni de « ladrerie » car durant cette période, la femme est stérile.
77. Cité par Paul SÉBILLOT, Le folklore français, t. III, p. 462.
78. LIEBAULT Trois livres des maladies et infirmitez des femmes, Rouen, 1649,
p. 4-5
79. Grand Albert, éd. B. Husson, livre I, 10 (p. 92-93). Certaines cultures
considèrent au contraire que la femme ménopausée n’a plus l’occasion de perdre sa
chaleur, ce qui la rend également soupçonnable : voir Françoise HÉRITIER, Les deux
sœurs et leur mère, p. 285.
80. I, 6 = p. 85-88, éd. Bernard Husson.
81. Pierre DARMON, Le mythe de la procréation à l’âge baroque, Points-Seuil,
1981, p. 127.
82. PANEKOUCKE, Dictionnaire des sciences médicales, Paris, 1815, t. XIII,
art. « Erreur populaire ».
83. Pierre-Octave DUHAZE, Études des prescriptions religieuses et des coutu-
mes concernant la femme pendant la menstruation et les suites de couches, thèse de
médecine (no 259), Paris, 1922 ; Paul SÉBILLOT, Le folklore français, t. III, p.
461-462 : exemples des XVe (Évangiles des quenouilles), XVIe et XIXe siècles.
84. Paul SÉBILLOT, Le folklore français, t. III, p. 461.
85. Henri VINCENOT, La vie quotidienne en Bourgogne au temps de Lamartine,
Hachette, 1976, p. 170 sq.
86. Paul SÉBILLOT, Le folklore français, t. III, p. 462.
87. Victor HUGO, Choses vues, 1830-1846, Gallimard, 1972, p. 441.
88. Yvonne VERDIER, « La femme et le saloir », Ethnologie française, VI
(1976), no 3-4, p. 349-364, et Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979,
p. 19-49.
89. Gustav-Joseph WITKOWSKI, Histoire des accouchements chez tous les
peuples (1887), p. 163 ; Yvonne VERDIER, Façons de dire, façons de faire, p. 46-48 ;
Jacques GÉLIS, L’arbre et le fruit, Fayard, 1984, p. 36-37.
90. Yvonne VERDIER, Façons de dire, façons de faire, p. 47. À propos du lien
entre boiterie, infirmité, et force sexuelle, voir les réflexions de Georges DEVEREUX,
Femme et mythe, Champs-Flammarion, 1982, p. 191-193.
91. Elle est une des trois lunaisons dites « déphasées » avec les lunes de mars
et d’août.
92. Jean-Philippe CHASSANY, Dictionnaire de météorologie populaire,
Maisonneuve et Larose, 1989, p. 201
93. « La lune rousse rôtit la pousse. »
94. Arnold VAN GENNEP, Manuel de folklore français, t. I, 4, p. 1436.
95. Yvonne VERDIER, Façons de dire, façons de faire, p. 72-73.
96. Ovide (Fastes, V, 489 sq.) explique le dicton par le côté mortuaire du
mois de mai, Maius, que l’on rapproche du nom désignant les ancêtres, maiores.
L’on peut en effet avancer le parallèle avec le mois de juin, Iunius, et les jeunes,
Notes 345
iuniores. Plutarque (Questions romaines, 86) propose aussi bien le côté intermédiaire
de mai placé entre avril (mois d’Aphrodite) et juin (mois d’Héra), mois propices au
mariage, que l’aspect relevé par Ovide. Toutefois, la symbolique de la nocivité du
sang semblerait plutôt relier l’ensemble à la notion de stérilité : mai est le mois des
gelées que les Robigalia de la fin avril s’efforcent de contrecarrer.
97. Walter SCOTT, Démonologie et sorcellerie, trad. fr. Flammarion, 1973,
p. 68.
98. « Les mariages de mai ne fleurissent jamais. »
99. Arnold Van GENNEP, Manuel de folklore français, t. I, 2, p. 380. Pour les
yeux rouges, voir Jacques-Marie ROUGÉ, Le folklore de la Touraine, 1931, p. 4. Pour
les enfants badauds, voir LAISNEL DE LA SALLE, Souvenirs du vieux temps (Berry),
t. II, p. 45.
100. Claude GAIGNEBET, Le carnaval, 1974, p. 38.
101. De la superfétation, 11.
102. HA, VII, 4, 585a.
103. GALIEN, in ORIBASE, Livres incertains, 6, 16 (éd. Bussemaker-Daremberg,
t. III, p. 102) : « συνεχ δ; µισγοµναι α$σθενε8 τ( )µ5ρυον ».
104. Gynécologie, II, 19.
105. RUFUS, in ORIBASE, Collection médicale, 28, 13.
106. PHILON D’ALEXANDRIE, Les lois spéciales, 3, 36, cité par John T. NOONAN,
Contraception et mariage, p. 74.
107. Flavius JOSÈPHE, La guerre des Juifs, II, 8, 13. Cette restriction n’est pas
le fait des plus rigoristes puisque, parmi les esséniens, certains refusent complètement
le mariage alors que ceux qui en voient l’utilité, donc les moins abstinents, observent
cette restriction pour montrer qu’« ils se marient non pour le plaisir, mais pour
procréer des enfants ».
108. Traité Niddah, 45a, du Talmud de Babylone. Voir également en 31a :
les trois premiers mois, les rapports sont nuisibles pour la mère et l’enfant, les trois
mois suivants, ils sont nuisibles pour la mère et avantageux pour l’enfant, les trois
derniers mois, ils sont avantageux pour la mère et l’enfant.
109. ATHÉNAGORAS, Supplique au sujet des chrétiens, in Patrologie grecque,
éd. Migne, t. 6, col. 965, cité par John T. NOONAN, p. 102.
110. CLÉMENT D’ALEXANDRIE, Pédagogue, II, 10, 93 et 102 cité par
John T. NOONAN, p. 103.
111. ORIGÈNE, Cinquième Homélie sur la Genèse, 4.
112. Didascalia Apostolorum, VI, 28, éd. R. H. Connoly, Londres, 1929, cité
par John T. NOONAN, p. 103-104.
113. JÉRÔME, Contre Jovinien, in Patrologie latine, éd. Migne, t. 23,
col. 280-281.
114. AMBROISE, Traité sur l’évangile de Luc, I, 43-45, cité par
John T. NOONAN, p. 106.
115. JEAN CHRYSOSTOME, cité par John T. NOONAN, p. 105-106.
116. D’après JONAS D’ORLÉANS, De institutione laici, II, 7, in Patrologie
latine, éd. Migne, t. 106, col. 182-183. Voir texte et traduction in Jean-Louis FLAN-
DRIN, Un temps pour embrasser, p. 206-208, n. 10.
346 Monstres
138. Miracles de saint Martin, II, 24 = Patrologie latine, éd. Migne, t. 71,
col. 951-952. Grégoire précise qu’il « ressemblait plus à un monstre qu’à l’espèce
humaine ».
139. « ses genoux étaient retournés vers le ventre et ses talons vers les jambes :
quant à ses mains, elles étaient fixées sur la poitrine, et ses yeux étaient fermés ».
Trad. personnelle
140. Voir Paul VEYNE, « La famille et l’amour sous le Haut-Empire », in
Annales ESC, 1978, no 1, p. 35-63. Pour la culture grecque, les traités de Plutarque,
le Préceptes de mariage et le Dialogue sur l’amour, sont essentiels.
141. LUCRÈCE, De la nature des choses, IV, 1263-1267.
142. ORIBASE, Synopsis, IX, 43 (= t. IV, p. 538 éd. Bussemaker-Daremberg) ;
PAUL D’EGINE, Chirurgie, III, 74.
143. Decretum, XIX, 5 = Patrologie latine, éd. Migne, t. 140, col. 959.
144. Exemples dans John t. NOONAN Contraception et mariage, p. 225 ; 234.
145. Roberto ZAPPERI, L’homme enceint. L’homme, la femme et le pouvoir,
trad. fra. PUF, 1983.
146. III, 2. Il s’agit d’un ouvrage anonyme du XVe siècle qui a été écrit en
dialecte de la France du nord (picard champenois). On peut connaître un certain
nombre de croyances et de théories en cours à l’époque, même si l’auteur semble
plutôt critique et ironique à leur égard. Édition critique de Madeleine Jeay, Vrin,
1985
147. I, 6, éd. B. Husson, p. 86-87. Voir encore CONRAD DE MEGENBERG
(XVe siècle allemand) 486, 29 - 488, 9 ainsi que Pierre BOAISTUAU (XVIe siècle français)
Histoires Prodigieuses, c. 5, p. 69
148. Rappelons le texte : GALIEN Définitions médicales, éd. Kühn, XIX,
453-454. « Les monstres naissent, comme le disent certains, à cause de l’inclinaison
de la matrice : la semence qui se répand inégalement produit des monstres à la
manière du plomb fondu qui lorsqu’il a été versé inégalement, produit un ouvrage
irrégulier ». Trad. De l’auteur.
149. Ce sixième degré est présent chez le jurisconsulte romain PAUL, Senten-
ces, IV, 11 (De gradibus).
150. Sur les différentes prescriptions et lois de l’époque mérovingienne voir
Jean GAUDEMET, Le mariage en Occident, Cerf, 1987, p. 100-101 : la Loi romaine
des Wisigoths et les nombreux conciles entre 527 et 590. Sur l’époque carolingienne
et les alentours de l’An Mil, voir le beau travail de Patrick CORBET Autour de
Burchard de Worms. L’Église allemande et les interdits de parenté (IXe – XIIe s.),
Klostermann, 2001. Pour le Moyen Âge central voir Charles DE LA RONCIÈRE, « À
l’ombre de la chasteté » in Marcel BERNOS, Charles DE LA RONCIÈRE, Jean GUYON,
Phillipe LÉCRIVAIN Le fruit défendu. Les chrétiens et la sexualité de l’Antiquité à
nos jours, Le Centurion, 1985, p. 87 sq.
151. Voir par exemple Jack GOODY, L’évolution de la famille et mariage en
Europe, p. 49.
152. XÉNOPHON, Mémorables, IV, 4, 21-23.
153. « aveugles, boiteux, bossus, chassieux et tout autre portant la marque de
la faute ».
348 Monstres
et qui remettrait en cause la croyance : dans la région d’Agen, une servante donne
naissance à des triplets, soupçons de la Dame de Beauville qui pense que son mari
en est aussi le père, mais elle même met au monde neuf enfants par punition de la
calomnie (Des erreurs populaires et propos vulgaires, 1578, livre III, chap. 1, édition
Madeleine Tiollais, 1997, p. 101 éd. -103 et autres anecdotes pour en contester la
véracité, p. 103-114).
164. VINCENT de Beauvais, Speculum naturale, liv. XXII, c. 41, Venise, Nico-
linum, 1591. Cité et trad. in Danielle JACQUART et Claude THOMASSET, Sexualité et
savoir médical au Moyen Âge, p. 222.
165. Croisements entre homme et ours : De universo, III, c. 25 (in Opera
omnia, Venise, 1591, p. 1009). Voir Jacques BERLIOZ, « Pouvoirs et contrôles de la
croyance : la question de la procréation démoniaque chez Guillaume d’Auvergne
(vers 1180-1249) », in Pouvoirs et contrôles socio-politiques, Razo, no 9 (1989),
p. 5-27.
166. Ambroise PARÉ, Des monstres et des prodiges, Céard (ed.), chap. XIX,
p. 62-68. Jean Céard précise dans ses notes à l’édition que Paré est personnel dans
son doute.
167. Pierre BOAISTUAU, Histoires prodigieuses (1560), c. 38, Slatkine Fleuron,
p. 403.
168. Ulysse ALDROVANDI, Monstrorum historiae, éd. 1642, p. 51-52.
169. Dans le recueil de Maurice LEVER, Canards sanglants, il s’agit du canard
no 58, p. 459-464 (gravure p. 458) dont la cote est : BN 8o Tb 73 15 (microfiche). Le
canard est paru « à Paris, par Fleury Bourriquant, pris sur la copie imprimée à
Sienne », s.d. mais l’on peut proposer approximativement vers 1600.
170. La distinction entre Nature et Dieu est bien exprimée par un autre canard,
le BN 8o Tb73 4, chez Fleury Bourriquant, 1605 : « car Nature même, déplaisante de
voir qu’elle a si mal opéré [...] a délaissé souvent telles besognes monstrueuses
aussitôt qu’elle les a montrées – montrées dis-je quelquefois par bravade, quelquefois
par menace, et aucune fois par punition des offenses du père ou de la mère qui sont
choses secrètes, parmi lesquelles Dieu interpose quand il lui plaît son autorité pour
nous divertir de nos perverses inclinations ou plutôt de nos vices pernicieux. Réser-
vons donc les causes de ces choses extraordinaires à Celui qui connaît jusques aux
moindres de nos pensées, et qui lit dans les creux de nos consciences ce que nous y
retenons plus clos et couvert », Maurice LEVER, p. 468.
171. Cas rapporté par l’anatomiste Bertholin. Cité in Camille DARESTE,
Recherches sur la production artificielle des monstruosités ou Essai de tératogénie
expérimentale, Paris, Reinwald 1877 et 2e édition 1891, p. 24
172. Exemple d’étude historique sur ce genre de faits divers par David CRESSY,
« De la fiction dans les archives ? Ou le monstre de 1569 (sur l’affaire d’Agnès
Bowker, 11 janvier 1569) », in Annales ESC, 1993, no 5, p. 1309-1329.
173. VICO, La science nouvelle, § 655, Nagel, 1953 d’après l’édition de 1744,
p. 267.
174. Ibid., § 654, p. 267. Trad. Ariel Doubine.
175. Ibid,. § 410, p. 141. Sur la législation d’Auguste à propos des mariages
350 Monstres
de mouvement violent de l’âme. Tertullien qui argumente souvent par des recours à
des théories médicales écrit à propos de la mère et de l’enfant (De l’âme, XXV, 3)
« Vos deux santés ne communiquent-elles pas entre elles, si bien qu’il est marqué
en vous aux mêmes membres des meurtrissures qui vous atteignent ». Sur les réfé-
rences médicales de Tertullien voir Michel PERRIN, « Tertullien et l’embryologie »,
in Paul DUMONT (études réunies par) Médecine antique, Amiens, 1988, p. 91-110
(dont p. 100).
46. PLUTARQUE, Pompée, 53.
47. Par exemple PLATON, Lois, VII, 792 d-e ; ORIBASE, Livres incertains, 6 =
t. III, p. 98 sq. éd. Bussemaker-Daremberg. Importance de l’esprit au moment de la
conception : par ex. [ARISTOTE] Problèmes, X, 10.
48. PLINE HN, VII, 52.
49. Brnard VERNIER, Le visage et le nom. Contribution à l’étude des systèmes
de parenté, PUF, 1988, p. 89-110.
50. Ibid., p. 92-93.
51. Ibid., p. 102-103.
52. VII, 52 : haustae imagines sub ipso conceptu.
53. Gynécologie, I, 39.
54. Sur l’interdiction de vin avant la procréation voir : PLATON, Les Lois, VI,
575c ; ARISTOTE, Politique, II, 3, 1262a 21-24 ; SORANOS, Gynécologie, I, 39 ;
GALIEN, De l’utilité des parties du corps, XI, 10 (III, 885 Kühn).
55. HÉLIODORE, Éthiopiques (ou roman de Théagène et Chariclée), IV, 8, 3-4.
Trad. Pierre Grimal in Romans grecs et latins, coll. La Pléiade, 1958, p. 611. Le
texte grec est édité dans les Erotici scriptores, Didot, 1856, p. 288.
56. AUGUSTIN, Recherches dans l’Heptateuque (Quaestiones in Heptateu-
chum), I, 93. Trad. de l’auteur. « sed et mulieri accidisse traditur, et scriptum reperitur
in libris antiquissimi et peritissimi medici Hippocratis, quod suspicione adulterii
fuerat punienda, cum puerum pulcherrimum peperisset utrique parenti generique
dissimilem, nisi memoratus medicus solvisset quaestionem, illis admonitis quaerere
ne forte aliqua talis pictura esset in cubiculo ; qua inventa mulier a suspicione liberata
est ».
57. L’on peut parler de « légende urbaine » antique au sens où le thème a pu
bénéficier du processus de « rajeunissement » rendant ainsi l’ensemble plus crédible :
certes, aucun tyran chypriote ne peut faire partie de la contemporanéité de Soranos
dans ce IIe siècle ap. J.-C. où l’empire romain est à son apogée mais le thème
appartient à l’aire géographique culturelle du médecin qui, rappelons-le, est natif
d’Éphèse. Le paradoxe des beaux enfants issus d’un père laid est circonscrit à un
lieu : il ne s’agit plus d’un vague préjugé mais d’un récit qui se déroule dans un
contexte précis et géographiquement proche du narrateur.
58. PLUTARQUE, Lycurgue, 15 : « On fait saillir les chiennes ou les juments
par les meilleurs étalons, que l’on se fait prêter par leur propriétaire, soit à titre
gracieux, soit moyennant une somme d’argent. Les femmes par contre, on les tient
sous clef... et leur mari veulent qu’elles n’aient d’enfants que d’eux seuls, même
s’ils sont idiots, vieux ou malades. Comme si ceux qui les élèvent n’étaient pas les
354 Monstres
premiers à souffrir des défauts des enfants s’ils sont nés de parents défectueux ou,
au contraire, à jouir des qualités qu’ils peuvent tenir de leur hérédité ! ».
59. BOAISTUAU, Histoires prodigieuses, c. 5, p. 68-69. « Lis de cecy sainct
Hierosme en ses Questions sur Genese » : c’est-à-dire les Quaestiones hebraicae in
Genesim. La référence biblique est Genèse, 30, 32-42. Trad. TOB. Les chèvres sont
noires et les branches pelées, et donc blanches, provoquent des rayures claires.
60. Évangile des quenouilles, ap. B, III, 32.
61. CYRANO DE BERGERAC, L’Autre Monde (1657), éd. 1978, p. 223-224 ;
MALEBRANCHE, De la recherche de la vérité (1674), II, 7, 3, Vrin, 1962, p. 118-126 ;
BAYLE, Pensées sur la comète (1681), art. 63, p. 163-164 ; VOLTAIRE, Dictionnaire
philosophique, sv. « imagination » ; Encyclopédie, sv. "imagination. Voir références
des médecins partisans dans Pierre DARMON, Le mythe de la procréation à l’âge
baroque, coll. Points-Seuil, 1981, p. 159-166.
62. Voir références des adversaires de cette thèse dans Pierre DARMON, Le
mythe de la procréation à l’âge baroque, p. 168-171 et l’analyse du contexte théo-
logico-scientifique dans Patrick TORT, L’ordre et les monstres. Le débat sur l’origine
au XVIIIe siècle, Sycomore, 1980.
63. Michael HOWELL et Peter FORD, The True History of the Elephant Man,
Penguin Book, 1980.
64. Très fréquent dans les campagnes encore au XXe siècle et déjà signalé dès
l’Antiquité avec l’exemple de Julie, femme de Pompée.
65. Geffroy SAINT-HILAIRE, Histoire générale et particulière des anomalies
de l’organisation... ou Traité de tératologie, t. III, p. 521 ; 539-548.
66. BOAISTUAU, Histoires prodigieuses, c. 28, p. 315.
67. Témoignage recueilli dans les années 1980 en Béarn, par Sophie PALMER,
« Formation et déformation du corps. Les méfaits de l’extraordinaire au cours de la
grossesse », in Le corps humain : nature, culture, surnaturel, actes du 110e congrès
des Sociétés savantes, Montpellier, 1985, p. 67-80 (dont p. 73).
68. Sur la matérialité de la vue, voir p. 137 (éd. Sociales).
69. SCEVOLE DE SAINTE MARTHE, La manière de nourrir les enfants à la
mamelle, 1698, p. 31.
70. Laurent JOUBERT, Erreurs populaires et propos vulgaires, livre III (1577),
chap. 6, édition de Madeleine Tiollais, L’Harmattan, 1997, t. II, p. 148-149
71. Ce médecin refusait déjà de considérer les naissances gémellaires comme
la preuve d’adultère (voir chapitre précédent et la note sur un laie de Marie de France
eyt un passage de Laurent Joubert), suivant en cela un courant de récits édifiants qui
sanctionnaient plutôt les mauvaises langues ; de même pour les grossesses, il admet-
tait des durées possibles plutôt longues, suivant aussi une tradition importante dans
la chrétienté ainsi qu’en terre d’Islam (la volonté de Dieu ne pouvant être soumise
à des délais) ; il admettait la théorie de l’imagination.
72. Raymond RADIGUET, Le diable au corps (1923), PML, 1995, p. 143.
73. Les enfants jumeaux pouvaient alors naître métopages : liés par le front.
Voir BOAISTUAU, c. 6, p. 75-76.
74. Cette précaution est répandue dans beaucoup d’autres cultures comme par
ex. les Lapons. Hugo Adolph BERNATZIK, Overland with the nomad Lapps, New
Notes 355
York, Robert Mc Bride, 1938, p. 95 : la femme enceinte ne doit pas être effrayée ni
voir une personne laide.
75. Par exemple Claude SEIGNOLLE Le folklore de la Provence, Maisonneuve
et Larose, 1963, p. 23-26 ; Les Évangiles du diable, Maisonneuve et Larose, 1983,
p. 514-516 ; Arnold VAN GENNEP, Le folklore du Dauphiné, Maisonneuve et Larose,
1932, p. 33 ; Françoise LOUX, Le jeune enfant et son corps dans la médecine tradi-
tionnelle, Flammarion, 1978, p. 58-61.
76. Arnold VAN GENNEP, Manuel de folklore français, t. I, 1, p. 116.
77. Ernesto DE MARTINO, Italie du sud et magie, Gallimard NFF, 1963, p. 47.
78. Decretum, VIII, 145 = Patrologie latine, éd. Migne, t. 161, col. 616.
79. Évangiles des quenouilles, I, 8 ainsi que I, 17.
80. Karl JABERG, "The Birthmark in folk Belief, Language, Literature and
Fashion", in Roman Philology, vol. X (1954), no 4, p. 307-342 : pour les langues
romanes, il existe quatre catégories d’éléments provoquant ces marques (lunar en
castillan, desig en catalan) : fruit (envie), vin (envie), animaux (envie, crainte – conta-
gion), feu (crainte – contagion). On les évite par la satisfaction, l’évitement ou
l’interdiction. Voir aussi Claudine FABRE-VASSAS, La bête singulière, Gallimard,
1994, p. 55-56. En Grèce ancienne l’auteur hippocratique du Superfétation va jusqu’à
intégrer la précaution à la logique de l’interdit puisque la marque apparaît si la femme
assouvit son envie : « Si une femme enceinte a envie de manger de la terre ou du
charbon, et en mange, l’enfant qui est mis au monde porte sur la tête un signe
provenant de ces choses ». Superféfation, 18. Trad. Émile Littré. « 4 Ην τι κυισκο-
µνη γν *πιθυµW *σθειν d α4νθρακα κα' *σθW *π' τ κε+αλ το> παιδου
+ανεται, @κτιαν τεχθL σηµε8ον α$π( τν τοιοτων ». Il pourrait s’agir de taches
ou de mélanomes comme la couleur des éléments terre et charbon le laisserait penser.
Cette envie particulière est également évoquée par Soranos (Gynécologie, I, 48).
Voir aussi ARISTOTE HA, VII, 4, 585a : « l’enfant apparaît souvent couvert des
aliments que sa mère a pris ».
81. Nicole BELMONT, « Conception, grossesse et accouchement dans les socié-
tés non occidentales », in Confrontations psychiatriques, no 16, 1978, p. 285-305.
L’auteur pose la question : « Dans la majorité des cultures primitives, l’accent est
cependant placé sur les prohibitions et non sur les envies. Il serait intéressant de voir
si toutes les cultures qui accordent beaucoup d’attention aux envies alimentaires,
imposent en revanche peu d’interdits » (p. 288-289). Les trois éléments importants
sont la prohibition, la nausée et l’envie.
82. Parmi le vocabulaire latin médical, l’auteur de l’article « envie » de l’Ency-
clopédie distingue les envies de produits inhabituels (pica) et les envies subites certes
mais à propos de produits ordinaires (malacia). Le mot latin malacia « calme »,
« langueur » d’où « manque d’appétit » est en fait une transcription du mot grec
µαλακα, « mollesse », « faiblesse ». Le sens latin semble avoir pris un sens opposé
mais l’on retiendra l’idée de dérèglement dans les sensations de faim.
83. La forme masculine correspondant à κσσα désigne le lierre (κσσο) et
certains auteurs expliquent le mot par les entrelacs que forme la plante, comparable
aux envies bizarres de la gravide (SORANOS Gynécologie, I, 48 et CAÉLIUS AURÉLIEN,
Gynécologie, I, 65). Quant à picus masculin de pica, il désigne aussi un oiseau : le
356 Monstres
pivert. Il est toutefois préférable de garder l’idée de pie commune aux mots grec et
latin.
84. ARISTOTE HA, VII, 4, 584a.
85. Évangiles des quenouilles, VI, 2, 82.
86. Le texte se présente ainsi avec les lacunes que Paul Burguière propose de
combler ainsi. Nous le remercions de nous avoir communiqué ce texte non encore
édité.
Ligne 1. ’Εκ το> κακχρου α
τά εναι κα' τ"ν κσσαν ............... ραν κα'
Ligne 2. *κ το> µηκτι πολλά τ( )µ5ρυον ε................ τρα κα' το>
Ligne 3. α$νδονα................... γγνεσθαι κα' <σαν ,λιγµο>
Pour la ligne 3, d’après la deuxième partie <σαν ,λιγµο> on attend un neutre,
un mot dont le sens serait proche de « contractions », « spasmes », par exemple
σπάσµατα. La traduction de l’ensemble est cependant personnelle et n’engage que
moi.
87. Claude SEIGNOLLE, Folklore de Provence, p. 26.
88. W. CROOKE, The Popular Religion and Folklore of Northern India, West-
minster, 1896, 2e vol. Margaret STEVENSON, The Rites of the Twice-Born, Londres,
1920, p. 113-129 : les différents rites liés à la conception et à la grossesse. Au début
du cinquième mois, a lieu un rite de protection contre les maladies et le mauvais-œil :
le rakşābandhana.
89. Margaret STEVENSON, p. 113.
90. Henri MASSÉ, Croyances et coutumes persanes, Paris, 1938, p. 9.
91. David HOOPER Henry FIELD, Useful Plants and drugs of Iran and Iraq,
Chicago, 1937, p. 189 et « Earth-eating and the Earth-eating Habit in India », in
Memory of the Asiatic Society of Bengal, 1906, p. 240-270. En Grèce ancienne où
il est aussi admis qu’il ne faut pas frustrer l’envie, l’on recommande souvent de faire
consommer de l’amidon sec pour remplacer la terre : par ex. ORIBASE, Collection
médicale, livres incertains, 6, 32 ; Synopsis, V, 4-5 = t. V, p. 197 éd. Daremberg-
Bussemaker. Toujours chez Oribase, le paragraphe 140 des livres incertains aborde
sur trois lignes, la question des envies (περ' κσση).
92. Laurent JOUBERT, Erreurs populaires et propos vulgaires, III, 6.
93. Dont la 3e édition des Domesticall Duties date de 1634. Voir Lu Emily
PEARSON, Elzabethans at home, Stanford University Press, 1957, p. 79.
94. LAISNEL DE LA SALLE, Souvenirs du vieux temps : le Berry, Maisonneuve,
1902, t. II, p. 15-16. Le passage est extrait du tome VI des Mémoires de Saint-Simon.
95. Dès le début du XIXe siècle, le monde médical est quasi unanime pour
dénoncer la croyance. Par ex. Gabriel JOUARD, Des monstruosités et bizarrerie de la
nature, 1806, t. I, p. 311-323 ; t. II, p. 231. Cependant, une curieuse remarque relevée
par Laisnel de la Salle, Souvenirs, p. 14-15, et lue dans le journal le siècle du
7 novembre 1862, montre qu’elle était partagée aussi chez des lettrés et qu’elle était
considérée comme reconnue par la science : « Un cas assez étrange de désirance
s’est produit, il y a quelques jours à Château-Thierry. Une femme est accouchée de
deux jumeaux, portant l’un sur le ventre, l’autre sur la figure, l’emblème d’une
betterave. Ce genre de signe a, suivant la science, cela de particulier que, lorsque la
Notes 357
plante arrive à son état de maturité, la partie du corps qui la reproduit subit les mêmes
phases de maturation ».
96. Comme le rappelait Jeanne FAVRET-SAADA (Les mots, la mort, les sorts,
Gallimard, 1977), la grande différence entre un Zandé et un habitant du Bocage
normand c’est que lorsque le premier se dit ensorcelé, il est un être social et son mal
est collectivement reconnu alors qu’en établissant ce même diagnostic, le second se
met à l’écart de la société officielle, celle de l’école, de l’Église et de l’Ordre des
médecin. Il faut ainsi se rappeler que les croyances aux envies attestées dans l’Iran
et l’Afghanistan traditionnels et partagées dans toutes les couches sociales et cultu-
relles de ces sociétés ont été collectées parce que remarquées par une élite d’obser-
vateurs occidentaux qui n’y croyaient plus : ce qui est recherché c’est moins le
contenu de la croyance que le crédule.
97. Quelques éléments bibliographiques dans Arnold VAN GENNEP, Manuel,
I, 1, p. 115-116 n. 7.
98. Arnold VAN GENNEP, Le folklore du Dauphiné, 1932, p. 33-34.
99. Paul SÉBILLOT, Le folklore français, t. III, p. 399. Il s’agit d’une variété
de gaillet. En breton, le verbe « envier » se dit aviañ.
100. LAISNEL DE LA SALLES, Souvenirs, p. 14-15.
101. Claude SEIGNOLLE, Folklore de la Provence, p. 24.
102. Jules AGOSTINI, « Coutumes, traditions et superstitions de la Corse :
village d’Arbellara », in RTP t. XII (1897), p. 517 ; Fernand BENOÎT, La Provence
et le Comtat Vénaissin, Aubanel, 1975, p. 132 ; Claude SEIGNOLLE, Folklore du
Languedoc, Maisonneuve et Larose, 1960, p. 24 ; Folklore de la Provence, Maison-
neuve et Larose, 1980, p. 24-27.
103. Jacob GRIMM, Antiquités du droit allemand, p. 409 repris par Jules MICHE-
LET, Origine du droit français cherchés dans les symboles et formules du droit
universel, p. 39-40, Calmann-Levy, 1880 (= p. 49-50, Hachette, 1837).
104. Lucy Mary Jane GARNETT, « Albanian women », in The Women of Turkey
and their Folk-lore, London, David Nutt, 1891, p. 243.
105. Michèle NICOLAS-ÖZÖNDER, Croyances et pratiques populaires turques
concernant les naissances. Région de Bergama, thèse de 3e cycle, Paris-Sorbonne,
1970 et la version publiée : Traditions populaires concernant les naissances, Paris,
La Maison de l’Orient, 1972.Il s’agit de la Turquie égéenne car dans la Turquie
continentale et orientale, la femme turque ne bénéficie pas de traitement de faveur
lorsqu’elle est enceinte : Ibrahim YASA, Hasanoğlan : socio-economic structure of
a turkish village, Ankara, 1957, p. 47.
106. Bernard VERNIER, Le visage et le nom, PUF, 1998, p. 89-90 ; 105.
107. Dorothy DEMETRACOPULOU-LEE, « Greece », in Margareth MEAD (edited
by), Cultural Patterns and Technical Change, Paris, Unesco, 1953, p. 77-114, en
particulier sur les envies, p. 86 et 97.
108. Bernard VERNIER, Le visage et le nom, p. 105.
109. Pierre BOAISTUAU, Histoires prodigieuses, chap. 5, p. 70, Slatkine-
Fleuron.
110. Laurent JOUBERT, Erreurs populaires et propos vulgaires, III, 7.
111. Les récits de cannibalisme ou d’une simple tentative sont très nombreux :
358 Monstres
« Il est même arrivé selon Langius, lib. II, epist. 12 qu’une femme grosse avoit eu
une forte envie de mordre le bras d’un jeune boulanger, & qu’il avoit fallu la
satisfaire, à quelque prix que ce fût pour éviter qu’elle ne se blessât. Une autre, selon
le même auteur, avoit eu une fantaisie de cette espèce, bien plus violente encore ;
c’étoit de se nourrir de la chair de son mari : quoiqu’elle l’aimât tendrement, elle ne
laissa pas de le tuer, pour assouvir son cruel appétit ; & après avoir mangé une partie
de son corps, elle sala le reste, pour le conserver & s’en rassasier à plusieurs repri-
ses. » (Encyclopédie, sv « envie »).
112. Dorothy DEMETRACOPULOU-LEE, p. 97.
113. Par exemple pour la Turquie Michèle NICOLAS-ÖZÖNDER, 1970, chap. 2.
114. Reproduit en traduction française dans BÉRANGER-FERAUD, Traditions de
Provence (1886), reprint Jeanne Laffitte, 1983, p. 168-169, qui l’a lu chez HENRY,
Histoire de Toulon de 1789 au Consulat, p. 167 ; 186. Il est également reproduit en
partie dans Claude SEIGNOLLE, Folklore de la Provence, p. 24 ;
115. Jules MICHELET, Origine du droit français, § droits de la femme, p. 39-40
(Calmann-Levy, 1880), qui se fonde sur un passage de Jacob GRIMM, Antiquités du
droit allemand, p. 409. On apprend aussi que les « paysans qui se soulevèrent au
commencement du XVIe siècle, mirent dans leurs conditions que si l’un d’entre eux
avait une femme enceinte, il pût sans que la chose lui fut imputée à mal, pêcher pour
elle un poisson dans le ruisseau ». De même, si un homme avait sa femme en travail,
il pouvait cesser aussitôt ses corvées seigneuriales et se rendre auprès de son épouse
(droit de la Hesse, in Jacob GRIMM, p. 446).
116. Henri-Émile RÉBOUIS, Les coutumes de l’Agenais : Monclar, Monflan-
quin, Saint-Maurin, Paris, Larose et Forcel, 1890 (réimprimé 1982). Il s’agit d’un
coutumier de juin 1256 : § A 25 (vols dans les vergers et les champs).
117. Abbé SABARTHÈS, Les coutumes, libertés et franchises de Montréal
(Aude), Carcassonne, Servière, 1897, p. 40-47. La coutume sur la messegaria (Aisso
so ordenansas del ban e de la messegaria de Montrial) date de 1321.
118. « Persinette » ou « la jeune fille dans la Tour ». C’est le conte T 310 de
la classification d’Aarne et Thompson qui correspond aussi à la Rapunzel, « mâche »,
des frères Grimm.
119. Erreurs populaires et propos vulgaires, III, 6. L’orthographe du français
et la ponctuation ont été modernisées et la transcription des noms propres latins
adaptée aux usages actuels.
120. TITE-LIVE VII, 10 (origine de son surnom) ; VIII, passim (combats contre
les voisins italiens) dont VIII, 7, 1-20 et PLUTARQUE, Fabius, 9, 2 (fait tuer son fils
victorieux parce qu’il lui avait désobéi). Laurent Joubert est natif de Montpellier et
la confusion peut ainsi être expliquée entre les Volsques et les Volques arécomiques
et tectosages qui vivaient sur l’actuel Languedoc.
121. PLUTARQUE, Camille 8, 4
122. TITE-LIVE V, 23, 8 et 25, 8-9. Le pilentum est un char à quatre roues et
le carpentum, un char à deux roues recouvert d’une capote.
123. TITE-LIVE V, 50, 7.
124. TITE-LIVE XXXIV, 1, 3
125. Sur l’interdit : VALÈRE MAXIME, II, 1, 5. Vu du côté moral et non médical,
Notes 359
voir cette épigramme de Martial (VI, 27) qui recommande le vin doux aux jeunes
filles.
126. TITE-LIVE XXXIV, 3 : le passage prouve la dimension également fantas-
matique de cette émancipation féminine.
127. OVIDE, Fastes, IV, 305-329 : miracle d’esprit ordalique au cours duquel
elle parvient seule à tirer la barque de Cybèle.
128. Par rapport à notre propos, il nous semble significatif que le moyen de
pression employé par les femmes fut la grève du sexe et l’avortement volontaire :
OVIDE, Fastes, I, 617 et PLUTARQUE, Questions romaines, 56. Dans son récit TITE-
LIVE (XXXIV, 1, 3) ne fait pas mention de ces avortements volontaires.
129. Une femme enceinte effrayée peut mettre au monde un être peureux, voir
Évangile des quenouilles, I, 15. Poser sur la tête de la mère le plat de l’épée et
l’enfant sera courageux. Au contraire, il risque d’être poltron si la mère est effrayée.
130. Par exemple en Turquie occidentale, Michèle Nicolas-Özönder raconte
qu’une femme qui avait volé un chat marqua son enfant d’une tache poilue et une
autre qui avait une tache rosâtre sur le ventre l’attribuait au vol d’une rose accompli
par sa mère lorsqu’elle était enceinte. Avec de tels éléments symboliques, un chat,
une rose et un interdit transgressé, l’on pourrait se croire dans un conte !
131. Laurent JOUBERT, Erreurs populaires et propos vulgaires, III, 7 : atteste
en la contestant la croyance pour le XVIe siècle. Nombreux exemples folkloriques
chez Paul Sébillot, Béranger-Ferraud, Arnold Van Gennep ou Claude Seignolle.
Principes encore collecté de manière massive par Yvonne Verdier dans la Bourgogne
des années 1960-1970 (Façons de dire, façons de faire).
132. René DOLLOT, L’Afghanistan, Paris, 1937, p. 237 ; Ria HACKIN et Ahmad
Ali KOHZAD, Légendes et coutumes afghanes, Paris, 1953, p. 174.
133. PLUTARQUE, Délais de la justice divine, 21, 563a. Trad. de l’auteur « <
γὰρ α$κροχορδνε κα' µελάσµατα κα' +ακο' πατρων *ν παισ'ν α$+ανισθεντε
α$νκυψαν 2στερον *ν υMωνο8 κα' θυγατριδο8 [...] *ξαννεγκε λγχη τπον *ν
τJ σFµατι, διὰ χρνων τοσοτων α$νασχοση κα' α$ναδση σπερ *κ βυθο> τ
πρ( τ( γνο @µοιτητο, ο2τω πολλάκι _θη κα' πάθη ψυχ αM πρται
κρπτουσι γενσει κα' καταδουσιν, 2στερον δ ποτε κα' δι’ ,τρων *ξνθησε
κα' α$πδωκε τ( ο3κε8ον ε3 κακαν κα' α$ρετ"ν K +σι. »
134. HORACE, Satires, I, 6, 65-68. Trad. François Richard, Garnier, 1967 :
« vitius mediocribus ac mea paucis / mendosa est natura, alioqui recta, velut si /
egregio inspersos reprendas corpore naevos / si neque sordes nec mala lustra ».
135. Le grec σπλο désigne également les taches physiques du corps comme
celles de l’âme c’est-à-dire le vice et la souillure.
136. L’on pourra aussi se pencher sur le mot employé naevus, « tache » : dans
cette même satire, il semble exister un lien phonologique et donc sémantique entre
naevus et novus, « nouveau ». Horace regrette que le peuple préféra Lévinus à Décius
un « homme nouveau » (I, 6, 20 : quam Decio mandare novo), c’est-à-dire à la gloire
trop récente et ne remontant pas à une famille au passé prestigieux, en d’autres
termes, un « parvenu ». Plus loin, le poète parle d’un affranchi qui porte ce nom, un
surnom récent, celui de Novius (v. 40) que l’on peut également rapprocher de novus.
360 Monstres
Ainsi, l’homme nouveau, novus, comme l’affranchi Novius sont-ils encore un peu
tachés socialement comme le ferait un naevus.
137. Michèle NICOLAS-ÖZÖNDER : « Gebeye gördüğü şeyler verilir, göz hakki
omasin ».
138. OVIDE, Métamorphoses, II, 760-830.
139. Voir par exemple Max CASSON, « La science du mauvais œil (malocchio).
Structuration du sujet dans la pensée folklorique », in Terrain, no 30 (1998) : l’auteur
met en perspective les théories populaires du mauvais œil napolitain (jettatura et
malocchio) et les théories de type euclidien de la vision reconnues en milieu savant
jusqu’au XVIIe siècle. Plus proprement sur les théories antiques, voir Françoise FRON-
TISI-DUCROUX, Dans l’œil du miroir, Odile Jacob, 1997, p. 133-146.
140. Carla CASAGRANDE et Silvana VECCHIO, Histoire des péchés capitaux au
Moyen Âge, Paris, 2003, 2e chapitre. C’est au XIIIe siècle que de nombreux exempla
commencent à véritablement populariser le vice.
141. GALIEN, Des propriétés des aliments, II, 48 = t. VI, p. 635 éd. Kühn :
« τν περιρχων παιδων ».
142. Muriel DJÉRIBI, « Le mauvais œil et le lait », in L’Homme, 105 (1988),
p. 35-47. L’auteur propose quelques constances dans les théories liées au mauvais-
œil (sociétés européennes et sémitiques du bassin méditerranéen) : il est particuliè-
rement présent dans le contexte de l’allaitement et d’une demande non satisfaite ; il
correspond par ailleurs au risque de tout acte rétrograde (surtout refaire téter après
le sevrage).
143. En fait, beaucoup de thèmes s’entrecroisent et comme pour le « mauvais
œil » du récit fictionnel d’Arnold Van Gennep, récit que rappelle Muriel Djéribi au
début de son étude, il vaut mieux ne pas chercher l’exhaustivité afin de ne pas risquer
d’être noyé par une documentation quasi infine.
144. Jean Giono évoque cette crainte auprès de villageois de Haute-Provence.
Après la mort de son mari dans un puit, l’on parle de la Mamèche qui était enceinte
lors du drame : « On disait : “Avec ce qu’elle a passé, il naîtra mort”. Non, son petit
était beau » (Regain, 1930, Livre de Poche, p. 13).
145. L’article 164 (10 mars 1938) donne au Président de la République, le
droit de lever les prohibitions portées pour des cas particuliers non précisés, selon
la « gravité » de la situation.
146. Un alinéa de l’article 163 (Rouen, 23 février 1982) précise, sur les
relations entre oncle et nièce : « motivé par des considérations morales et eugéni-
ques ».
147. Par ex. B.A. MOREL, Traité des dégénérescences physiques, intellectuel-
les et morales de l’espèce humaine, et des causes qui produisent ces variétés mala-
dives, 1857 ; MAGAN et LEGRAIN, Les dégénérés. État mental et syndromes
épisodiques, 1875. Les titres de ces travaux sont déjà explicites.
148. Bien que cette hérédité puisse « sauter » des générations : c’est une expli-
cation classique depuis l’Antiquité pour expliquer les nombreux cas qui nient toute
systématisation.
149. Bulletin de l’Académie de médecine, no 58 (1907), p. 407-414.
150. Par exemple P. MÉNÉTRIER, « L’alcoolisme. Cause de la dégénérescence
Notes 361
en les guérissant par de doux charmes (*παιοδ), tantôt en leur donnant des potions
bienfaisantes ou en appliquant à leur membres toutes sortes de remèdes (+άρµακα) ;
tantôt enfin il les remettait droits, par des incisions (τοµ) ». PINDARE, Pythique, III,
40-55. Trad. A. Puech, CUF, 1922 légèrement modifiée par Benveniste.
10. Pour le texte de Pindare, Benveniste propose ces associations ulcères/
incisions, blessures de guerre/charme, fatigue du corps/plantes et remèdes. Le passage
est sur ce propos très peu explicite et ces associations ne sont pas absolument
convaincantes. Nous pensons plutôt à une conception binaire où chaque élément
comporterait à la fois un élément faste et néfaste : le couteau tue et soigne (blessures
et chirurgie), la plante empoisonne et guérit (double sens du phármakon grec) et le
charme envoûte et exorcise. Par exemple sur le rapport entre le sang et le fer voir
PLINE, XXXIV, 138 ; 141 ; 146 : la rouille du fer soigne la blessure qu’il a provoquée.
11. Armand DELATTE, Recherches sur le cérémonial usité chez les Anciens
pour la cueillette des simples et des plantes magiques, Bruxelles, Mémoire de l’Aca-
démie royale de Belgique, 1961. Les sources folkloriques européennes rapportent
aussi de nombreux rituels comparables (Paul Sébillot ou Eugène Rolland).
12. Périclès, 6, 4-5, 154f-155b. Trad. Robert Flacelière et Émile Chambry,
CUF, 1969. Raisonnement similaire en Coriolan, 38, 2 à propos des miracles : les
dieux se servent de procédés naturels pour envoyer des signes.
13. Voir HÉRODOTE III, 50-53.
14. Les Perses, v. 352-352. Erwin R. DOODS, Les Grecs et l’irrationnel,
Champs-Flammarion, 1977, p. 40.
15. E.E. EVANS-PRITCHARD, Sorcellerie, oracles et magie chez les Azandé
(1937), Gallimard, 1972.
16. Claude LÉVI-STRAUSS, La pensée sauvage, Plon, 1962, p. 18.
17. II, 3, 194b 23 - 195a 25. Voir aussi Second analytique, II, 11 ; PA, I, 1,
639a-642b 4.
18. Trad. et comm. de Jean Tricot, Vrin. Voir en part. p. 22, n. 1.
19. À partir de A, 3, 984a 16 sq.
20. 984a 21-25. Voir Génération et corruption, II, 9, 335b 29.
21. Voir aussi Physique, I, 1, 184a 10 ; II, 3, 195b 22 ; Métaphysique, H, 4,
1044a 32. Sur la métaphysique et l’embryologie voir par ex. John M. COOPER,
« Metaphysics in Aristotle’s embryology », in D. DEVEREUX et P. PELLEGRIN (dir.),
Biologie, logique et métaphysique chez Aristote, Paris, CNRS, 1990, p. 55-85.
22. De la Trinité, III, 6, 2, 7. Trad. M. Mellot et t. Camelot, BA, 1955. Nous
avons déjà souligné au chapitre 2 qu’à propos des monstres, Augustin critiquait les
païens plus au travers des philosophes que pour les conceptions religieuses qui
attribuaient à ces êtres une valeur prophétique. Cette dernière fut d’ailleurs assez
vite intégrée dans la pensée chrétienne savante.
23. Augustin, Cité de Dieu, XXI, 8. Trad. G. Gombès, BA, 1960.
24. Ibid., XVI, 8 : « Et qui pourrait relever tous les rejetons humains qui ne
ressemblent pas à ceux qui certainement sont leurs parents ». On retrouve ici la
définition classique du monstre : celui qui ne ressemble pas à ses géniteurs.
25. Augustin, Cité de Dieu, XVI, 8.
26. À propos de l’embryologie, le Coran établit un pouvoir absolu de Dieu
364 Monstres
sur le développement du fœtus (sourates XIII, 12-14 et XXII, 5) : Il est celui qui le
fait croître et Il agit avec une totale liberté. Ainsi dans la médecine, un certain
affrontement s’est posé entre les partisans des lois naturelles et ceux de la totale
liberté du Tout-Puissant (en particulier en ce qui concerne la durée légale de la
gestation).
27. Dans son Discours sur l’esprit positif, p. 8. Voir Angèle KREMER-
MARIETTI, Le concept de science positive, ses tenants et ses aboutissants dans les
structures anthropologiques du positivisme, Klincksieck, 1983, p. 98.
28. Histoire des Francs, V, 34.
29. De la superstition, 169b. En 169c, Plutarque critique les Juifs de Jérusalem
qui se soumirent sans combattre parce qu’ils étaient attaqués un jour de Sabbat.
30. Divination, I, 127-128 : « En effet, les événements futurs ne naissent pas
soudainement, mais il en est de l’écoulement du temps comme du déroulement d’un
câble : le temps ne produit rien de neuf ; il fait simplement apparaître chaque chose
successivement en se déroulant » Trad. G. Freyburger, 1992 (« Non enim illa quae
futura sunt subito exsistunt, sed est quasi rudentis explicatio sic traductio temporis
nihil novi efficientis et primum quidque replicantis »).
31. Thierry BARDINET, Les papyrus médicaux de l’Égypte pharaonique,
Fayard, 1995, p. 60-63.
32. C’est le cas de CICÉRON Divination II, 60-61. Refus théorisé notamment
par Auguste Comte : critique des causes finales - et premières - dans Cours de
philosophie positive, leçons no 19 et 40 ; Discours, § 3, 7 et 9.
33. Métaphysique, Z, 17, 1041a.
34. Voir les divers exemples historiques étudiés par André BERNAND, Guerre
et violence dans la Grèce antique, Paris, Hachette, 1999 notamment le chap. 8 : "Les
grandes tueries", p. 214-246.
35. Par exemple Job, 7, 24 sq.
36. Des délais de la justice divine, 16.
37. HÉRODOTE I, 13, 91
38. Iliade, X, 160-163. Voir PLATON, Phèdre, 12, 244d : « quand pour venger
de vieilles offenses, les dieux frappèrent certaines familles de maladies ou de fléaux
redoutables ».
39. Roland CRAHAY, « Les moralistes grecs et l’avortement », in L’ Antiquité
classique, t. X (1941), p. 9-23.
40. PLUTARQUE, Solon, 23. Sur l’abandon en Grèce voir Louis R. F. Germain,
« L’exposition des enfants nouveau-nés dans la Grèce ancienne, aspects sociologi-
ques », in ouv. coll., L’enfant, recueil de la Société Jean Bodin, Bruxelles, 1975,
p. 211-246. Sur Rome, Max RADIN, « The Exposure of Infants in Rome Law and
Practice », in Classical Journal, t. XX (1925), p. 337-343.
41. Lois, 928 d-e. Voir Jean GAUDEMET Les institutions de l’Antiquité, Sirey,
1982, p. 208.
42. Gustave GLOTZ, La solidarité de la famille dans le droit criminel en Grèce,
Paris, 1904 ; Louis GERNET, Recherches sur le développement de la pensée juridique
et morale en Grèce, Paris, 1917.
Notes 365
43. PLATON, Théétète, 173d ; République, 364b-c ; Lois, 856c. Pour les dettes
commerciales chez les Spartiates, voir HÉRODOTE VI, 86.
44. II Rois, IV, 1-7.
45. Nombres, XIV, 33 ; Deutéronome, 28, 32, 41 ; 23, 2, 3 : « Le bâtard
n’entrera pas dans l’assemblée du Seigneur : même la dixième génération des siens
n’entrera pas dans l’assemblée du Seigneur » ; II Samuel, XII, 15, 18.
46. Nicole BELMONT, Poétique du conte, Gallimard, 1999, p. 158 : face à cette
obligation « les garçons plus que les filles tentent de s’y soustraire ».
47. PLUTARQUE, Des délais de la justice divine, 19, 561c. D’après DIOGÈNE
LAËRCE (IV, 46), le philosophe aurait lui-même connu ce sort : « “Mon père, ayant
fraudé le fisc, fut vendu et toute sa famille avec” ». Trad. Robert Genaille, 1965.
48. Nature des dieux, III, 38.
49. Voir par exemple EURIPIDE, Oreste, 1602-1603 : « MÉNÉLAS : J’ai les
mains pures / ORESTE : Mais non le cœur ».
50. ÉLIEN, Histoires variées, V, 16 : Enfant condamné à mort pour sacrilège
(] Οτι παιδον διὰ Mεροσυλαν θάνατον κατεκρθη).
51. V, 17 : Superstition des Athéniens (Περ' ’Αθηναων δεισιδαιµονα).
Exécution d’un sacrilège adulte qui par mégarde avait tué un moineau consacré à
Asclépios.
52. V, 18 : Femme enceinte condamnée à mort (Περ' *γκου γυναικ(
θάνατον κατακριθεση). L’auteur argumente sa position avec l’innocence de
l’enfant mais il faut avoir aussi à l’idée que dans la logique ancienne, cet enfant
n’appartient pas à la mère mais à son mari ou son clan. Étant la propriété des hommes,
c’est une fois né que l’enfant est reconnu ou abandonné par eux et c’est aussi dans
cette optique qu’il convient d’analyser la réticence générale à l’égard de l’avortement,
décision trop féminine.
53. Jérémie, XXXI, 29. Voir Jean BOTTÉRO, Naissance de Dieu : la Bible et
l’historien, Gallimard, 1986, p. 223-251.
54. Ézéchiel, 18, 2-4 ; 33, 12-16.
55. Trad. TOB. Voir aussi II Rois, 14, 6. Sur un antécédent mésopotamien de
Job, voir la traduction d’un texte poétique dans Samuel N. KRAMER, L’histoire
commence à Sumer, Arthaud, 1986, p. 124-126.
56. Bien que l’intentionnalité ne soit pas systématique dans le Psaume, 20,
13-14 : « Qui s’aperçoit des erreurs / Acquitte-moi des fautes cachées », trad. TOB.
57. Par exemple Siracide, 38, 15.
58. SALLUSTE, Des dieux et du monde, 20.
59. PLATON, République, X, 613a.
60. Jean, 9, 2.
61. Jean, 5, 14.
62. Lettre, 72 (Ad Vitalem presbyterum) = Patrologie latine, éd. Migne, t. 22,
col. 674.
63. Mary DOUGLAS, De la souillure, La Découverte, 1992, p. 79-80.
64. Notamment depuis Augustin. Voir Jacques LE GOFF, in ouv. coll., Amour
et sexualité en Occident, Point-Seuil, 1991, p. 187.
65. Dans ces populations, l’adoucissement du sort réservé aux enfants fut,
366 Monstres
semble-t-il, plus tardif, comme le montre par exemple l’édit de Pistres promulgué
par Charles le Chauve (864). Voir Jean-Pierre CUVILLIER, « L’enfant dans la tradition
féodale germanique », in Sénéfiance, no 9 (1980), p. 43-59.
66. HILDEGARDE DE BINGEN, Liber scivias, in Patrologie latine, t. 197, col.
415. Au XIIIe siècle, dans la Légende dorée de JACQUES DE VORAGINE (GF, t. II,
p. 251), l’on retrouve une punition collective sur plusieurs générations : aux paysans
qui se sont moqués de lui, Rémi dit « les hommes qui ont agi ainsi et leurs descendants
auront les membres virils rompus et leur femme seront goitreuses ».
67. PAUL, Épître aux Romains, 5, 12-20.
68. Sur une question assez voisine, la condamnation à l’Enfer des enfants
morts sans baptême, il y eut un débat incarné par le personnage de Pélage. Le
« pélagianisme » fut déclaré hérésie.
69. Quodlibet II, quaestio 11 (éd. R. Wielockx, 1983, t. VI) : Utrum parvuli
a parentibus aliquam contrahunt culpam.
70. HOMÈRE Odyssée, VIII, 310-312 : « Si je naquis infirme (Yπεδαν), à qui
la faute ? À moi ou à mes parents ? Ah ! Comme ils auraient dû ne pas me mettre
au monde ! ». Trad. Victor Bérard, CUF, 1933.
71. Erving GOFFMAN, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps (1963),
Minuit, 1975.
72. Jean BOTTERO, in Annuaire de la IVe section de l’EPHE (1968-1969) ;
F.-R. KRAUSS, Die physiognomonischen Omina der Babylonier (1935) et Texte zur
babylonischen Physiognomatik (1939).
73. Les éditions : J.G.F. FRANZ, Écrivains physiognomiques anciens (1780) ;
Scriptores physiognomonici graeci et latini, éd. Richard FOERSTER (1893).
74. HA, I, 10, 492a. Trad. Pierre Louis, CUF. Voir encore HA, I, 8-9, 491b
(front, sourcils et paupières) ; I, 11, 492b (oreilles et langue). Sur la physiognomonie
et son influence dans l’art en Europe, voir Laurent BARIDON et Martial GUÉDRON,
Corps et arts. Physionomies et physiologies dans les arts visuels, L’Harmattan, 1999.
75. Édition et traduction de Jacques André, CUF, 1981.
76. Françoise LOUX et Philippe RICHARD, Sagesse du corps, Maisonneuve et
Larose, 1978, p. 14 sq.
77. René-Claude LACHAL, « Infirmes et infirmités dans les proverbes
italiens », in Ethnologie française, II (1972), no 1-2, p. 67-96.
78. Marie-Christine POUCHELLE, « Le corps dans la Légende dorée », in Ethno-
logie française, VI (1976), no3-4, p. 293-308.
79. La tradition qui décrit Ésope comme un être difforme remonte au
e e
XIII siècle byzantin (Planude) mais une kylix attique du V siècle av. J.-C. (Musée
du Vatican) représente un personnage contrefait (souffrant d’une pycnodysostose ?)
en train de discuter avec un renard. S’agit-il du fabuliste ? Voir Mirko D. GRMEK et
Danielle GOURÉVITCH, Les maladies dans l’art antique, Fayard, 1998, p. 33.
80. PLINE XXXVI, 11. Hipponax (2e 1/2 Ve s. av. J.-C.) était réputé pour sa
laideur et pour avoir inventé un nouveau type de vers iambique : le choliambe
(χωλαµ5ο), littéralement « vers boiteux » !
81. PLATON, Phèdre, 215 b.
82. Henri-Jacques STIKER, Corps infirmes et société, Aubier, 1982, p. 95-106 :
Notes 367
pour la société médiévale chrétienne, l’auteur oppose d’un côté une « éthique mysti-
que » à valeur positive et de l’autre, une « éthique sociale » à connotation plutôt
négative.
83. Sur cet aspect précis de la question, voir quelques exemples de proverbes
italiens in René-Claude LACHAL, op. cit., p. 76.
84. G. DEVREUX, Essais d’ethnopsychiatrie générale, Gallimard, 1970, p. 7.
85. Dans l’ancienne France, les bâtards sont dénigrés dans leur âme et leur
esprit et beaucoup moins à propos de son physique. Voir par exemple, concernant
les réflexions de Saint-Simon sur la bâtardise, l’introduction d’Emmanuel Le Roy-
Ladurie au livre de Claude GRIMMER La femme et le bâtard : amours illégitimes et
secrètes dans l’ancienne France, Presses de la Renaissance, 1983, en particulier
p. 25-35.
86. Voir l’anecdote, déjà étudiée, rapportée par Thietmar de Mersebourg pour
l’Allemagne du XIe siècle (MGH, Script. Germ. Schol., 1889, p. 15-16). Il s’agit d’un
prince qui ivre, s’unit à sa femme le jour de la scène : l’enfant qui en naît est
démoniaque.
87. Anonyme latin Physiognomonie, 12 (voir encore c. 57, 73 et 78). Trad.
Jacques André, CUF, 1981.
88. Jean LIÉBAULT, Trois livres sur la santé : fécondité et maladie des femmes,
1582.
Conclusion
1. Par exemple in Digeste, lois 14 (De verborum significatione, 50, 16) et 28
(De statu homini, I, 5).
2. Jean Delumeau, Le péché et la peur. La culpabilisation en Occident (XIIIe-
e
XVIII s.), Fayard, 1983, p. 152-158.
3. Les sciences divinatoires anciennes dont les traités mésopotamiens de téra-
toscopie (šuma izbu) ou les analyses des haruspices étrusques étaient forcément le
fait d’une élite qui connaissaient l’écriture et savaient ainsi lire les monstres. Le reste
de la population restait à l’écart de ce type de savoir complexe.
4. Michel Foucault, Les anormaux, Seuil – Gallimard, 1999, p. 90-91. Sur
une figure féminine du monstre politique, avant la seconde moitié du XVIIIe siècle,
voir Jean-Raymond FANLO, « Catherine de Médicis, monstre femelle. Agrippa
d’Aubigné, Les Tragiques, livre I », in Régis BERTRAND et Anne CAROL (dir.), Le
« monstre » humain. Imaginaire et société, 2005, p. 169-177.
5. PLINE VII, 9-10.
6. Par exemple Gabriel JOUARD, Des monstruosités et bizarreries de la nature
(1806), t. I, p. 331 sq. ; t. II, p. 3 sq. ; 413 : « la saine raison et la philosophie, base
de la vraie religion ».
7. LÉVI-BRUHL, La mentalité primitive (1922), Retz CEPL, 1976, p. 67-101
dont p. 97.
8. Sur le monstre, voir De la recherche de la vérité (1674) livre II, chap. VII,
§ 31 (Vrin, 1962, p. 128-126).
368 Monstres
9. Traité des superstitions (1679), éd. en 4 vol. Paris, Compagnie des libraires,
1741.
10. Divers articles de son Dictionnaire paru entre 1672 et 1688.
11. Certains comme Fontenelle (Histoire des oracles, 1687) vont malgré tout
jusqu’à douter de l’existence des démons antiques alors qu’à la même époque, Pierre
Bayle dans l’article 63 de ses Pensées sur la comète (1681) explique les prodiges
anciens par l’action des démons qui voulaient poursuivre la propagation de l’idolâtrie.
L’article 65 s’intéresse en outre à la « Théorie de la génération naturelle des mons-
tres » et cite à l’occasion Malebranche.
12. THÉOPHRASTE, Caractères, 16, 1 : δειλα πρ( τ( δαιµνιον.
13. TITE-LIVE XXVI, 19, 4 : « quandam supersitione » à l’encontre de Scipion.
14. TACITE, Histoires, IV, 54 : « portendi superstitione vana Druidae » à
propos des Druides.
15. XXVII, 23, 2.
16. Divination, I, 7 : « est enim periculum, ne aut neglectis iis impia fraude
aut susceptis anili superstitione obligemur ».
17. Henri BERGSON, Les deux sources de la morale et de la religion (1932),
PUF – Quadrige, 1995, p. 143-165.
18. Voir Stéphanie VELLA, « L’Inde face au déséquilibre croissant du sex-ratio
de sa population : perspectives socio-démographiques d’un manque de filles », Asso-
ciation Jeunes Études Indiennes, séminaire jeune chercheur, Paris, novembre 2001
et Gilles PISON, « Moins de naissances mais un garçon à tout prix : l’avortement
sélectif des filles en Asie » in Population et Sociétés, no 404, septembre 2004 : en
Chine, la proportion de garçons pour 100 filles est passée de 107 en 1980 à 117 en
2000.
19. L’enjeu éthique et juridique de l’affaire est bien présenté par Olivier
CAYLA et Yan THOMAS, Du droit de ne pas naître. A propos de l’affaire Perruche,
Gallimard, 2002. Le second auteur est spécialiste de droit romain et la profondeur
historique est intéressante.
20. L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Plon, 1960. Pour l’Anti-
quité voir Robert ÉTIENNE, « La conscience médicale antique et la vie des enfants »,
in Annales de démographie historique, 1973 (Enfant et sociétés), p. 15-46 : il apparaît
une certaine indifférence des auteurs vis-à-vis de l’enfant malade. Voir aussi W. DEN
BOER, Private Morality in Greece and Rome. Some historical aspects, Leyde, E.J.
Brill, 1979, dont p. 129-150 sur l’enfant malformé ou chétif.
L’auteur précise que la plus horrible reste l’androgyne : « ante omnia abominati
semimares ».
3. Julius Obsequens (56 ; 2) date cette naissance de – 188 (consulats de C.
Livius Salinator et de M. Valerius Messalla) : l’enfant y est également désigné avec
le mot semimas.
4. C’est le sort normal des victimes lors des lustrations ordonnées par les
haruspices : par ex. JULIUS OBSEQUENS, 104, 43. L’auteur chrétien Orose signale cette
naissance (Histoire contre les païens, V, 6, 1) pour l’année suivante (consulats de
Q. Calpurnius Piso et de Servius Fulvius Flaccus).
5. Pathologie existante que l’on appelle coelosomienne : les viscères sont en
partie extérieures. Comme le dit effectivement le texte, cette malformation grave est
fatale à l’individu.
6. Mauvais présage : voir PLINE VIII, 44 ; VARRON, De l’agriculture, XI, 1 ;
SUÉTONE Galba, 4.
7. Il ne s’agit certainement pas de monstres qui sont eux-mêmes des présages
mais il semble préférable d’y voir des enfants adultérins.
8. « κα' χο8ρο *λ+αντι πλ"ν τν ποδν %µοιο *γεννθη. »
9. Sur le plan iconographique, signalons que dans les versions manuscrites
médiévales de ces sources, notamment les cinq exemplaires de Tite-Live conservés
à la BNF (cote : ms français 31, 32, 33, 260 et 264), l’on ne trouve jamais illustrés
ces faits divers.
INTRODUCTION ................................................................................... 7
ABRÉVIATIONS ................................................................................... 17
CHAPITRE PREMIER : Le discours scientifique et médical des 19
Anciens : la naissance et les monstres ..........................................
Contexte intellectuel ..................................................................... 19
Histoires d’animaux ................................................................ 20
L’épistémologie des philosophes physiciens .......................... 24
Les lois naturelles du corps : idées et théories .............................. 30
La ressemblance ...................................................................... 32
Monstre ou infirme ? .............................................................. 38
CHAPITRE 2 : Le discours moral et religieux des Anciens : sexualité, 59
faute et monstruosité ....................................................................
Culte et fécondité .......................................................................... 60
Technique et divinités ............................................................. 61
Les divinités de la procréation et leurs actions .................... 62
Punition divine et collectivité ....................................................... 67
Le principe .............................................................................. 67
Variations littéraires ............................................................... 69
Transgressions et punitions .................................................... 72
L’apparition réelle du monstre ...................................................... 78
Les interprétations divinatoires .............................................. 80
L’accueil réservé au monstre ................................................. 89
Changements dans les comportements ? ................................ 95
CHAPITRE 3 : Morale antique et paidopoía ........................................ 109
Interdits physiques ........................................................................ 110
Rapports avec le trop proche : l’inceste ................................ 110
Rapports avec le trop lointain : la bestialité ......................... 119
Interdits sociaux : la question du consentement ............................ 121
Le consentement des conjoints ............................................... 121
378 Monstres
No d’édition : – No d’impression :
Dépôt légal : ????? 2008
Imprimé en France