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Philonenko Marc. Une prière magique au dieu Créateur (PGM 5, 459-489). In: Comptes rendus des séances de l'Académie
des Inscriptions et Belles-Lettres, 129ᵉ année, N. 3, 1985. pp. 433-452;
doi : https://doi.org/10.3406/crai.1985.14287
https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1985_num_129_3_14287
LE TEXTE GREC
4M "AXXiuc. 'èniKCtXoûnai ce tôv KTicavTa | ïfiv kcù ôctô kcù nâcav câpica
Bl. 7T kcù | nâv nveGfxa kcù tôv cTrjcavTa I ttjv 8àXaccav kcù <nac>caXeû[cavTa] | tôv
465 oùpavov, ô xwpicac tô <pû»[c ct]|nô toO ckôtouc, ô \itiac NoOc, €"v[vo]|!moc tô nâv
bioïKwv, aïujv6(p8a[X]||ioc, baimuv bcujuovuiv, 6eôc 9[€]|û>v, ô KÛpioc tûiv nveu-
470 mcVnuv, ô à|nXâvrjTOC Aiiùv 'Icwu ounr eicctKoucôv nou Ttic opuuvric. èniKaXoû|jicu
c€, tôv buvàcrriv tiîiv 8eâiv, | ût|Hf)pe^éTa Zeû, Zeû TÛpavve, 'A|bujvai, KÛpic "làui
ootie- èrû> dm | ô cniKaXoûnevôc ce Cupicri 8côv | ptéfav ZaoXonpiççou. kcù cù
475 un | napaxoûcr|C Tfîc opuivfîc.' ('EppoïCTÎ' | raf5Xava8avaXpa aPpactXwo'.) 'èfù) \ fâp
eipi CiX6axuuoux AaiXan pXo caXuiô Idu) icui vePouO capioe 'Ap'Pibe 'AppaOtduu, 'laibO Ca-
4M Pai08,rFa||TOupri,ZaToupn, papoux 'Abiuvat, |'€Xiua\ 'Appoân, pappapaua» vauictq>
TRADUCTION
Une autre (prière). Je t'invoque, toi qui as créé la terre, les os,
toute chair et tout esprit, qui as établi la mer et cloué le ciel, qui as
séparé la lumière des ténèbres, le grand Nous, qui conformément à la
Loi gouverne l'univers, Œil de l'Aiôn, Démon des démons, Dieu des
dieux, le Seigneur des esprits, l'infaillible Aiôn, Iaô, ouèi, entends ma
voix. Je t'invoque, toi, le Maître des dieux, Zeus qui tonne au haut
du ciel, Zeus le Souverain, Adonaï, Seigneur, Iaô, ouèe. Je suis
celui qui t'invoque, en langue de Syrie, Dieu grand, Zaalaèriphou.
Toi, ne refuse pas d'entendre le cri. En hébreu, Ablanathanalba,
Abrasilôa. Car, moi, je suis Silthachôouch, Lailam, Blasalôth, Iaô,
Ieô, Nebouth, Sabioth, Arboth, Arbathiaô, Iaôth, Sabaôth, Patourè,
Zagourè, Barouch, Adonaï, Élôai, Abraham, Barbarauô, Nausiph,
aux pensées élevées, qui vit éternellement, toi qui portes le diadème
de tout l'univers, Siepè, Saktietè, Biou, Biou, Sphè, Sphè,Nousi,Nousi,
Sietho, Sietho, Chthethôni, Rigch, ôèa, è, èôa, aôé, Iaô, Asial, Sarapis,
Olsô, Ethmourèsini, Sem, Lau, Lou, Lourigch. Délie les entraves,
rends invisible, envoie des songes. Supplication. Et ainsi de suite,
comme il te plaira.
OBSERVATIONS
« Et l'homme dit :
Celle-ci, cette fois,
est os de mes os
et chair de ma chair. »
tisme ». Elle traduit l'hébreu "Ktf3 ^D qui désigne tout être vivant,
en particulier tout être humain dans sa totalité21 ; après l'avoir
employée, il est superflu de parler de 1' « esprit » ou de « tout esprit ».
L'expression grecque 7rav 7n/eO{xa est, elle aussi, hébraïsante ; elle
rend l'hébreu T\T\ ^D « tout esprit », entendons « tout esprit angé-
lique », comme dans le livre des Jubilés22 ; mais, pour l'auteur de
la « Prière », « toute chair » et « tout esprit » ne sont que des éléments
du composé humain.
Lignes 463-464. — ô /topuiaç to yûc, àizh tou ctxotouç reprend
Genèse 1, 18 : SiaxwiÇeiv àvà (iicrov tou cptoTÔç xal àvà (xécrov tou
ctxotouç, mais le verbe simple, xcopuraç, est ici préféré au composé,
comme dans le PGM 4, 1173 ; Philon fait de même dans le De opi-
ficio, 33 : ey&pioe cpwç xal ctxotoç23.
L'expression ô [xéyaç Nouç « le grand Nous » ou « le grand
Intellect » est l'une des plus intéressantes de la « Prière ». A.-J. Festu-
gière observe, à juste titre, qu'elle ne se retrouve pas ailleurs dans
les papyrus grecs magiques24, mais elle n'est pas inconnue pour
autant. Le « grand Nous » est l'une des entités majeures de la
spéculation manichéenne et gnostique. Présent sous le nom de pnac
nnous dans les Képhalaia manichéens conservés en copte25, et dans
les Enseignements de Silvanus26, on le retrouve dans les textes
manichéens transmis en parthe27 et, sous l'expression hauna rabba, chez
plusieurs auteurs syriaques28.
Le fait même qu'en copte le mot Nous, « Intellect », ait été
maintenu laisse supposer que l'expression « grand Nous » a été connue des
premiers disciples de Mani en grec. Le papyrus magique du British
Muséum nous livre ainsi, échappée au regard des critiques, la
première attestation grecque du titre ô [xéyaç Noûç.
A cette première attestation, il faut en joindre, immédiatement,
une seconde, indirecte, mais certaine. Philon, dans le De specialibus
legibus, I, 18, écrit : « II est, en effet, tout à fait ridicule de penser
que notre propre intellect, infime comme il est (Ppa^ÛTaTo-;), est
bien le maître invisible des organes des sens, tandis que l'Intellect de
l'Univers, infiniment grand (fzsynrroç) et parfait, ne serait pas le
Sùeï
ô Geoç tcov Gecov
xal xùpioç tcov xuptcov
xat ô PaatXeùç tôv PaaiXeuovTcov40.
« Dieu ! Dieu des esprits de toute chair » est traduit par la version
des Septante ©eôç 0s6ç t&v 7T;veufxàT(ov xal 7tà<ry)ç crapxoç. Alors que
le texte hébreu signifie que Dieu insuffle son esprit à toute chair,
la version grecque comprend que Dieu est « le Dieu des esprits et
de toute chair », entendons le Dieu des esprits célestes et de tous
les hommes. L'expression ôeoç tôv 7rvsu(xàT(ov se retrouve dans la
Prière pour les morts de Sérapion de Thmuis, au ive siècle44, et sur
une épitaphe de Nubie45. Rappelons aussi les variantes du livre des
Hymnes 10, 8 (« Le Seigneur de tout esprit et le Maître de toute
créature »), de // Maccabées 3, 24 (ô tcov TrvsufxaTwv xal 7tàcry)<; e^oucuaç
Suvàaryjç) et de / Clément 64, 1 (ô 7ravTe<rc67TOr)ç 0soç xal 8sct7u6tiqç
tûv 7tveu[zaT(ov xal xupioç îtàcr/jç aapxoç).
L'appellation xupioç tc5v Tn/sufAocTCOv xal toxctyjç aapxoç apparaît
pour la première fois sur deux stèles funéraires de Délos, datant du
ne siècle av. J.-C, où le lapicide appelle la vengeance du « Dieu
Très-Haut, le Seigneur des esprits et de toute chair », sur les assassins
de deux jeunes filles juives46. Bien que ôsoç soit remplacé par xupioç,
la référence à Nombres 16, 22 est explicite.
Le titre « Seigneur des esprits », fixé dans le livre des « Paraboles »,
s'est rapidement perdu, sans doute parce que sa signification n'était
plus perçue. Déjà l'auteur de ï Apocalypse n'en a plus l'intelligence,
puisqu'il appelle le Seigneur « le Dieu des esprits des prophètes »47.
Une tablette de défixion paraît croire que le « Seigneur des esprits »
est un « Seigneur des vents », puisqu'elle le nomme tov 0eov tcov àvé-
(ACOV Xal 7TV£U(i,àTCOV48.
L'invocation de Clément d'Alexandrie, dans son Protreptique,
reste ambiguë :
« Prière » n'est pas douteuse : elle est à trouver dans le texte grée
perdu du livre des « Paraboles ».
Dès lors, par contiguïté, l'appellation « Dieu des dieux » dans la
« Prière » a quelque chance de venir, elle aussi, du livre d'Hénoch.
On aimerait vérifier cette conjecture par l'existence, dans la
« Prière », de l'acclamation liturgique dans ses trois termes : « Dieu
des dieux, Seigneur des seigneurs, Roi des rois »...
Ligne 468. — La formule Iaco outji revient à la ligne 472 sous la
forme Iaco outjs et, avec une légère variante en PGM 13, 779 Iaco
oueï) ou, en 13, 934 Iaco ousa. Ces jeux de voyelles associées au nom
de Iaco ont déjà été étudiées par L. Blau55 et F. Dornseiff56.
Ligne 471. — û^i(3ps|A£T/)ç est une épithète classique de Zeus chez
Homère57 et chez Hésiode58.
Ligne 472. — éyco zl[ii : formule traditionnelle d'identification du
magicien au dieu59. Voir, par exemple PGM 69, 1-2 : 86ç (xot crou tyjv
Îct^ûv, ico A(3paaaS;, 86ç [loi crou rrçv iayw' èyco yàp ziyu A(3pacra£.
Ligne 473. — L'adverbe crupicm doit être traduit : « en langue de
Syrie » et désigne l'araméen, explicitement distingué de l'hébreu
(sppaïcm) à la ligne 47560.
Ligne 474. — ÇaaXayjpicpcpou ne se trouve qu'ici dans les papyrus
grecs magiques. La signification de ce mot est inconnue.
Ligne 476. — a(3Xava0avaX(3a est le plus fameux des palindromes
de la littérature magique. Il est sans doute d'origine sémitique et se
trouve attesté en grec, en copte, en démotique, en latin et en hébreu61.
— a(3paaiXcoa se lit, sous diverses variantes, dans les PGM :
a(5pacnXoua en 12, 112, ; a(3pacriaoua en 12, 158 ; a^pyjatoa en 4, 282.
La signification de ce mot est inconnue.
Ligne 477. — cnXOaxcooux es^ un mot égyptien62, x400^ transcrit
le vieux copte khôôkh « ténèbres » (Crum 101 b ; Vycichl 74 a) comme
dans bai nkhôôkh « esprit de ténèbres » (Crum 28 a) ; nombreux
exemples dans la littérature magique et dans les intailles63 ; cnXôa
55. L. Blau, Das altjùdische Zauberivesen, Strassburg, 1898, p. 141-146.
56. F. Dornseiff, Das Alphabet in Mystik und Magie, Leipzig-Berlin, 1922,
p. 35-60.
57. Homère, Iliade, I, 354.
58. Hésiode, Théogonie, 568.
59. Cf. E. Schweizer, Ego Eimi, Gôttingen, 1939, p. 29.
60. Il paraît difficile de donner ici à êppaïort le sens d' « araméen juif » que
lui donne, dans d'autres textes, H. B. Rosén, L'hébreu et ses rapports avec le
monde classique, Paris, 1979, p. 48.
61. Voir Th. Hopfner, Griechisch-àgyptischer Offenbarungszauber, I, Leipzig,
1921, p. 189 ; G. G. Scholem, Jewish Gnosticism, Merkabah Mysticism and Tal-
mudic Tradition*, New York, 1965, p. 94.
62. Je remercie M. A. Gutbub, Professeur émérite à l'Université de Lille, de
l'aide précieuse qu'il m'a apportée dans l'identification de certains mots
d'origine égyptienne.
63. Voir Delatte-Derchain n° 94.248.290.403.429 et comparer Audollent 243,
1-2 ; 252, 13-20 ; 253, 22-30.
444 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS
64. Voir C. Bonner, Studies in Magical Amulets, Ann Arbor, 1950, p. 187.
65. Voir Th. Hopfner, op. cit., I, p. 107 ; J. Gwyn Griffiths, Apuleius of Madau-
ros, The Isis-Book (Métamorphoses, Book XI), Leiden, 1975, p. 24-25.
66. Cf. F. Preisigke, Namenbuch, Heidelberg, 1922, col. 226.
67. Voir A. A. Barb, Abraxas-studien, Latomus, 28, 1957, p. 68-69.
68. Voir Delatte-Derchain n° 502 et 510.
69. Apocryphon de Jean B, 40, 5.
70. Testament de Salomon 18, 13.27.
71. Delatte-Derchain n° 521.
72. Papyrus gnostique de Turin 47, 21 (éd. M. Kropp, Ausgewàhlte koptische
Zaubertexte, I, Bruxelles, 1931, p. 70).
UNE PRIÈRE MAGIQUE AU DIEU CRÉATEUR 445
PGM 5, 483-485 PGM 13,807 PGM 2,123 PGM 1,239-241 PGM 2,81
« Tu es :
le Dieu des dieux
le Seigneur des seigneurs,
le Roi des rois ».
(Crum 563 b) ; Xau Xou est le copte Mou (Crum 141 b) « jeune fille ».
Traduire « jeune fille est ton nom ». Comparer le PGM 7, 493-494
to 6vo(xà (jou Xou : XouXou. « Loou » est également un nom divin
dans le DMP 9, 6. C'est vraisemblablement ici une épithète d'Isis,
encore qu'elle ne soit pas attestée jusqu'à présent.
Dans les formules parallèles90, on relèvera spécialement vou^a
vou/a : égyptien nk' (Erman-Grapow 2, 343, 14), copte naake
« douleur » (Crum 223 a), particulièrement les « douleurs de
l'enfantement » (Vycichl 143), ce qui convient parfaitement au contexte.
— ApcrajAtocn : Ap est la transcription de l'égyptien Hr « Horus »
(Erman-Grapow 3, 127), comme dans Apcit]Gic, « Horus le fils
d'Isis » (Erman-Grapow 3, 123, 8) ou ApTtoxpaTrçç « Horus l'enfant »
(Erman-Grapow 3, 123, 6) et dans de très nombreux noms propres91 ;
aocfxoocTi transcrit le copte samisi « premier-né » (Crum 185 a ; Vycichl
253 a). ApcrafjLWCTi. signifie donc « Horus le premier-né ». Cette
mention du jeune dieu dans le « logos » magique est d'un extrême intérêt.
Ligne 488. — 7ié8aç Xuei « délie les entraves » doit s'entendre au
sens propre de la « délivrance » de l'accouchement92.
CONCLUSIONS
déesse Ipet, le Dieu des dieux, le Seigneur des Seigneurs, le Roi des
rois, et Sobek — , aider la mère et sauver l'enfant.
Si cette « Prière » est une création collective, elle n'en a pas moins
un auteur, fût-il anonyme. Son syncrétisme religieux est sous-tendu
par un véritable trilinguisme. L'auteur a encore quelques rudiments
d'hébreu et c'est dans cette langue qu'il récite la première des Dix-
Huit Bénédictions, mais sa Bible, c'est la Bible grecque et c'est en
grec qu'il lit le livre é'Hénoch. Il parle l'égyptien et connaît les
occultes et contraignantes vertus du démotique.
L'auteur de la « Prière » est sans doute d'origine juive, mais d'un
judaïsme hellénisé et égyptianisé. Il pourrait appartenir à l'une de
ces communautés, immergées dans la masse égyptienne, qui auraient
survécu, de façon souterraine, au désastre qui frappa le judaïsme
alexandrin sous Hadrien.
Pour l'essentiel, le sens et la portée de ce document hors du
commun sont établis. Certes, plusieurs mots « magiques » restent
inexpliqués, mais fallait-il forcer le sens, là où la part de l'hypothèse
semblait trop grande ? D'autres, après nous, plus savants ou plus
heureux, sauront les décrypter.
L'interprète d'aujourd'hui dit avec le magicien d'hier :
XapiT)f)<nov. xoivà, ècp'ô GéXetç.
* *
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