(Historique)
Mais, à partir de 1971, la haute juridiction a déclenché une véritable « chasse à la nullité pour
indétermination du prix », sans qu’ait pour autant décru l’instabilité économique qui rendait
nécessaire ce type de clause. C’est ainsi qu’à propos des contrats de concession comportant
une promesse d’approvisionnement exclusif passés entre les compagnies pétrolières et les
pompistes de marque, la Cour de cassation a annulé, sur le fondement de l’article 1591 du
Code civil, les contrats cadre au motif que le prix n’était ni déterminé, ni déterminable, dès
lors qu’il n’était pas « établi que les éléments du tarif des distributeurs ne dépendaient pas de
la volonté de ceux-ci » 3. La solution a été étendue aux contrats de bière conclus entre
brasseurs et débitants 4. Cette jurisprudence a été critiquée par la plupart des commentateurs.
Ceux-ci ont souligné que l’article 1591 n’était pas applicable à ces hypothèses, le contrat de
concession n’ayant pas pour objet la vente d’un stock de produits livrables par fractions, mais
l’organisation d’un courant de contrats qui se développent dans le futur.
Ces objections n’ont été que très partiellement entendues, puisque la haute juridiction a
maintenu sa position en se fondant sur l’article 1129 du Code civil qui dispose « la quotité de
la chose peut être incertaine pourvu qu’elle puisse être déterminée » Forte de ce nouvel appui,
elle l’a étendue à de nouvelles conventions – contrats d’approvisionnement les plus divers 6,
contrat de franchise 7, contrat d’affiliation 8, contrat de prêt 9 – offrant ainsi un bel exemple
d’induction suivi de déduction : remontant de la vente à la théorie générale, elle a ensuite
extrapolé vers de nouveaux contrats.
Dans un premier temps, il a été décidé que les contrats de distribution qui engendrent
essentiellement des « obligations de faire » échappent à la nullité pour indétermination du prix
5. Mais reposant sur une distinction, celle des obligations de donner et des obligations de
faire, totalement inadaptée aux problèmes, cette jurisprudence a été l’occasion de «
raffinements casuistiques » dignes du Bas-Empire.
Infléchissant encore sa position, la haute juridiction a ensuite jugé qu’il n’est plus nécessaire
que le prix des marchandises soit déterminable dans le contrat cadre lui-même, pourvu qu’il
puisse être « librement débattu et accepté » au moment de la conclusion de la vente 1. Mais
n’était-ce pas revenir au système immédiatement antérieur, car comment une telle liberté
pourrait-elle se concilier avec une véritable exclusivité ?Les arabesques de la jurisprudence,
son incapacité à maintenir une ligne ferme montraient que la voie choisie n’était sans doute
pas la bonne.
- Le début de la fin
Ces suggestions ne sont pas restées sans écho en jurisprudence. Par deux arrêts du 29
novembre 1994 6, la Première chambre civile de la Cour de cassation a décidé que l’exigence
de détermination du prix était satisfaite dès lors que la convention faisait référence à un tarif.
En d’autres termes, tout en considérant que la détermi-nation du prix reste une condition de
validité du contrat, elle assouplissait consi-dérablement cette exigence puisqu’elle décidait
qu’une partie peut valablement se voir reconnaître par le contrat le droit de fixer
unilatéralement le prix. Elle retenait ainsi le premier modèle de détermination du prix mais
dans sa deuxième variante (v. ss 371). Et afin d’éviter que l’exercice d’une telle prérogative
ne soit l’occasion de débordements, elle reconnaissait au juge par un obiter dictum le pouvoir
de sanc-tionner le fournisseur qui abuserait de son exclusivité pour majorer ses tarifs dans le
but d’en tirer un profit illégitime car en agissant ainsi il méconnaîtrait son obli-gation
d’exécuter la convention de bonne foi. Ainsi le centre de gravité du contrôle du juge se
déplaçait-il de la formation du contrat vers son exécution
Le 1er décembre 1995, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation entérina cette solution en
affirmant que « la clause d’un contrat de franchisage faisant référence au tarif en vigueur au
jour des commandes d’approvisionnement à intervenir n’affecte pas la validité du contrat,
l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation » (arrêt
Vassali c. Gagnaire). Elle sembla même aller plus loin en sous-entendant que le contrat cadre
demeurerait valable en l’absence de toute indication quant au prix et aux modalités de sa
fixation (v. ss 376) : « lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs,
l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas, sauf
dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du prix ne
donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation » (arrêt Société Cofratel c. Société Bechtel
France, arrêt Société Compagnie Atlantique de Téléphone c. Société Sumaco) 1.
L’ordonnance du 10 février 2016 n’a pas consacré cette dernière solution, en se contentant
d’autoriser les parties à convenir que le prix serait fixé unilatéralement par l’une des parties.
- L’ordonnance de 2016.
Le nouvel article 1164 prévoit que les parties à un contrat cadre peuvent convenir que « le
prix sera fixé unilatéralement par l'une des parties, qui devra prouver le montant en cas de
contestation, l’abus dans la fixation ne donne droit qu’à indemnisation ou résolution », sous
réserve du contrôle judiciaire de l'abus, qui sera toujours sanctionné par la condamnation au
paiement de dommages et intérêts et/ou la résolution de la convention
Le nouvel article 1164 cependant ne règle pas toutes les difficultés qui pourraient résulter de
la pratique. Si le prix sera unilatéralement fixé par l’une des parties, quand sera-t-il en cas
d’omission de fixer le prix par la partie sur laquelle elle pesait ?
Aucune réponse ne peut être tirée de cette disposition. Toutefois suivant le professeur
François TERRE la combinaison des articles 1163 et1164, permette de déduire que dans ce
cas de figure la convention sera nulle.
Dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution,
le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de
contestation. En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande
tendant à obtenir des dommages et intérêts et, le cas échéant, la résolution du contrat »