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Chapitre 6

Une problématisation discursive


de l émotion
À propos des effets de pathémisation à la télévision
Patrick CHARAUDEAU
Université Paris XIII CAD

La première question qui se pose à un analyste du discours pour


traiter des émotions est de savoir si, face à d autres disciplines
humaines et sociales, cette notion peut faire l objet d une étude
spécifiquement langagière. Répondre par l affirmative à une telle
question suppose que l on délimite le cadre de traitement dans
lequel s insère cette notion, que l on décrive les conditions de son
apparition et que l on montre comment elle se met en oeuvre. Mon
propos ne peut être ici de répondre globalement à ce programme,
aussi j ai choisi de traiter cette question en regardant par le petit
bout de la lorgnette, c est-à-dire en considérant cette notion à
travers une situation de communication particulière, la
communication télévisuelle.
J essaierai donc dans un premier temps de présenter ce que sont
pour moi les conditions d une étude discursive des émotions, puis
je décrirai le dispositif communicatif dans lequel je les ai
observées pour montrer ensuite comment elles agissent
discursivement.

UNE PROBLÉMATIQUE DISCURSIVE DE L'ÉMOTION


Le point de vue d une analyse du discours se distingue de celui
d une psychologie des émotions qui tenterait d étudier : soit la
réaction sensorielle des individus en relation avec les perceptions
qu ils auraient d un monde dont les manifestations joueraient le
rôle d un déclencheur de pulsions, car il est vrai que certaines
émotions peuvent être provoquées physiologiquement et même
mesurées chimiquement (comme le stress, l angoisse ou la peur) ;
soit les dispositions humorales ou caractérielles des individus qui
2 Les émotions dans les interactions
peuvent faire l objet d une catégorisation selon les tendances ou
inclinations de ces individus à avoir des comportements récurrents,
ce qui déterminerait chez eux des sortes de natures caractérielles
(aussi appelées tempéraments ) qu'il convient de dénommer par
des adjectifs (colérique, atrabilaire, amoureux, peureux, angoissé,
haineux1) ; soit les réactions comportementales des individus
qu elles soient jouées ou réelles face à des événements qui se
produisent dans le monde ou à l action que les autres ont sur eux,
réactions qui peuvent également faire l objet d une catégorisation
similaire aux précédentes, mais dans une perspective différente
puisqu il ne s agirait pas ici de décrire une nature de l individu,
une disposition essentialiste ni un degré de sensorialité, mais bien
une ré-action relative à la situation dans laquelle l individu réagit.
Dans cette perspective, il s'agit d'aboutir à la définition de
catégories de base comme la honte, la fierté ou la vexation.
De telles études, qui ne sont d ailleurs pas exclusives les unes des
autres, et qui ne préjugent pas ici des options théoriques dans
lesquelles elles peuvent être menées2, sont centrées sur l individu
et proposent des explications causales sur ce qu est son
comportement, que celui-ci soit physiologique ou psychique. Ainsi
la peur peut être mesurée chimiquement, peut être considérée
comme une caractéristique tempéramentale ou comme un
comportement réactif provoquant panique.
Le point de vue d une analyse du discours se distingue également
d une sociologie des émotions qui cherche à établir des catégories
interprétatives et idéaltypiques 3 à travers des reconstructions de
ce que devrait être le comportement humain dans le jeu des
régulations et des normes sociales. Ainsi est posé, à la suite de
Mauss et Durkheim4, que les émotions ne relèvent pas seulement
de la pulsion, de l irrationnel et de l incontrôlable, mais qu elles
ont aussi un caractère social. Elles seraient le garant de la cohésion
sociale, elles permettraient à l individu de constituer son sentiment
d appartenance à un groupe (Mauss), elles représenteraient la
vitalité de la conscience collective. Ce qui veut dire que, étant
signe de reconnaissance pour les membres d un groupe, elles
reposent sur un jugement collectif qui s institue en une sorte de
règle morale. Enfreindre la règle entraîne une sanction (Durkheim),
ce qui par contre-coup donne à ces jugements un caractère
d obligation. Il s agirait donc ici de procéder à la description de
1 Le dictionnaire Robert définit ce dernier terme : naturellement porté à la
haine .
2 Physiologie du comportement, psychologie différentielle, psychologie
sociale, psychanalyse.
3 Pour la différence entre explication causale et explication interprétative,
voir Ogien 1995.
4 Papermann 1995.
Problématisation discursive de l émotion 3
ces catégories d émotion-norme-jugement du comportement social
selon différents paramètres : le degré d universalité (la colère
semble plus universelle que la honte), la spécificité culturelle (la
pudeur, la fierté semblent très liées au contexte sociétal), la plus
ou moins grande orientation actionnelle (l indignation semble
déboucher sur une action revendicative, la pitié aussi mais à un
degré moindre), enfin, la plus ou moins évidente rationalité
(l indignation semble davantage liée à un jugement
partageable sur le comportement d autrui au regard de normes
de justice, l angoisse davantage à une pulsion individuelle sans
détermination précise d un objet-support).
Il me semble que le point de vue d une analyse du discours ne peut
se confondre totalement ni avec celui de la psychologie serait-
elle sociale , ni avec celui de la sociologie serait-elle
interprétative et interactionniste . L'objet d étude de l'analyse du
discours ne peut être ce que ressentent effectivement les sujets
(qu est-ce que éprouver de la colère), ni ce qui les motive à
éprouver ou agir (pourquoi ou à l occasion de quoi on éprouve de
la colère), ni non plus les normes générales qui régulent les
relations sociales et se constituent en catégories surdéterminantes
du comportement des groupes sociaux.
L'analyse du discours a pour objet d étude le langage en tant qu il
fait sens dans une relation d échange, qu il est lui-même signe de
quelque chose qui n est pas dans lui et dont il est pourtant porteur.
Dès lors, la peur, par exemple, n est pas à considérer en fonction
de la façon dont le sujet la manifeste par sa physiologie, ni comme
une catégorie a priori dans laquelle se mettrait le sujet selon ce
qu il est (ses propres tendances) ou selon la situation dans laquelle
il se trouve (seul face à un lion), ni comme le symptôme d un
comportement collectif (la panique), mais comme signe de ce qui
peut advenir au sujet du fait que lui-même serait en mesure de le
reconnaître comme une figure , comme un discours socialement
codé qui, ainsi que le propose Roland Barthes (1977 : 8-9), lui
permettrait de dire C est bien ça, la peur ! ou tout simplement
J ai peur ! . Ce point de vue s apparenterait donc à celui d une
rhétorique de la visée d effet qui est mise en place par des
catégories de discours5 appartenant à différents ordres (inventio,
dispositio, elocutio, actio), dans lesquels il y aurait entre autres
choses une topique de l émotion une pathémie dirai-je
qui serait constituée d un ensemble de figures . Mais on verra
que si ce point de vue participe de la rhétorique, celle-ci doit être
5 Il faut rappeler que l histoire de ce mot le fait aller de action de parcourir
en tous sens (latin) ce que rappelle Barthes dans ses Fragments op.c.
, à conversation (bas latin), puis expression verbale de la pensée (17°
siècle). Le discours, c est à la fois ce qui exprime et constitue la pensée et
ce qui circule entre les membres d une communauté sociale .
4 Les émotions dans les interactions
complétée par une théorie du sujet et de la situation de
communication.
Cependant, ce quelque chose qui n est pas dans le signe mais
dont il est pourtant porteur (c'est-à-dire que ce qui est dans le signe
de discours n est pas une essence dénotative qui ferait de celui-ci
une réalité explicite et transparente, contrairement au signe de la
langue), ce quelque chose qui contribue à construire des figures où
est-il, d où vient-il, que représente-t-il ? Il vient de tout ce qui
constitue l échange social et qui fait sens : des désirs et intentions
des sujets, de leurs liens d appartenance à des groupes, du jeu des
interactions qui s établissent entre eux, individus ou groupes, des
savoirs et des visions du monde qu ils partagent, et ce dans des
circonstances d échange à la fois particulières et typifiées. On voit
par là que, tout en se démarquant de la psychologie et de la
sociologie, l analyse du discours a besoin de celles-ci dans la
mesure où leurs analyses mettent en évidence les mécanismes de
l intentionnalité du sujet, ceux de l interaction sociale et la
manière dont se constituent les représentations sociales. Certaines
notions s offrent davantage à l interdisciplinarité que d autres
parce qu elles sont au coeur de ces différents mécanismes. Ainsi en
est-il de l émotion .
Je voudrais donc m appuyer sur les débats6 qui ont lieu dans ces
différentes disciplines à propos des émotions afin d en tirer
globalement quelques enseignements qui me seront utiles pour
mieux cadrer ce que j appelle les effets pathémiques du discours .
De ces débats je retiendrai trois points qui semblent faire
consensus parmi les sociologues, psychologues sociaux et
philosophes, et qui me paraissent essentiels pour un traitement
discursif de la question : les émotions sont d ordre intentionnel,
elles sont liées à des savoirs de croyance et elles s inscrivent dans
une problématique de la représentation psycho-sociale.

Les émotions sont d ordre intentionnel


La plupart de ces sociologues et philosophes s accordent, tout
d abord, pour dire que, sans nier l appartenance des émotions au
domaine de l affect (il y a toujours, d une façon ou d une autre, du
ressenti et de l éprouvé dans l émotion), celles-ci ne sont pas pour
autant totalement irrationnelles et ne sont donc pas réductibles à ce
qui est de l ordre de la simple sensation ou de la pulsion
irraisonnée. Certains7 rappellent que la philosophie occidentale a
toujours distingué « des émotions comme la peine, l amour, la
peur, la pitié, la colère et l espoir, d impulsions et d instinct

6 Voir La couleur des pensées, Raisons Pratiques 6.


7 Nussbaum (1995 : 24).
Problématisation discursive de l émotion 5
corporels comme la faim et la soif... ». Cette distinction est encore
large parce que la première catégorie est encore très liée aux
sensations, mais une première frontière est établie entre ce qui
pourra être récupéré pour l intégrer dans un champ cognitif et ce
qui semble lui être totalement extérieur. D autres, postérieurement,
vont plus loin en montrant qu il ne faut pas confondre émotion et
sensation « même si nous employons parfois les termes sentir ou
ressentir pour parler de nos émotions, pour les reconnaître ou les
avouer »8. À preuve le fait qu à deux émotions différentes
(jalousie, envie) puisse correspondre une même sensation
(douleur), ou qu une même émotion (jalousie) puisse provoquer
des états qualitatifs différents (douleur, excitation, abattement,
colère). Ainsi, « la sensation en tant qu état qualitatif n est
pas un critère de discrimination assez fin pour rendre compte de la
diversité des émotions »9.
L accord porte donc sur le rattachement des émotions à la
rationalité. Sans entrer ici dans le débat qui agite sociologues et
philosophes contemporains entre des théories dites cognitives
qui, traitant les états intentionnels à la troisième personne, tendent
à absorber les émotions dans une conception intellectualiste au
point d en éliminer l affect, et des théories dites non cognitives
qui, traitant les états intentionnels à la première personne,
maintiennent le lien avec l affect10, il est désormais admis que les
émotions ont une base cognitive . La rationalité, elle-même, a fait
l objet dans la philosophie contemporaine d une redéfinition qui
ne l oppose plus de façon radicale aux instincts et à la passion,
comme dans une conception cartésienne. L apparition du sujet
comme fondement de la pensée (la philosophie kantienne, puis la
phénoménologie sont passées par là) a permis d intégrer dans la
rationalité un certain nombre de composantes qui lui sont toutes
liées. Comme le résume fort bien Elster (1995 : 34-35), la
rationalité est au service d un agir pour parvenir à un but (non
nécessairement atteint) dont l agent serait, d une façon ou d une
autre, le premier bénéficiaire : elle comprend donc une visée
actionnelle . Mais cette visée, conçue finalement comme la quête
d un objet, doit bien être déclenchée par quelque chose ; on peut
dire que ce quelque chose est de l ordre du désir (puisque l agent
se voit au bout du compte bénéficiaire) : cette rationalité sera donc
qualifiée de subjective . Enfin, on peut faire la supposition que la
visée actionnelle et le désir déclencheur ne sont pas uniques, qu ils
sont le résultat d un choix parmi un ensemble de possibles, et que
pour choisir parmi cet ensemble il faut avoir quelques

8 Paperman (1995 : 186).


9 Op.c. (10).
10 Cayla (1995 : 84).
6 Les émotions dans les interactions
connaissances sur les avantages et les inconvénients de chacun de
ces possibles, et donc une représentation de ceux-ci. Et comme ces
connaissances sont relatives au sujet, aux informations qu il a
reçues, aux expériences qu il a faites et aux valeurs qu il leur
attribue, on peut dire que la rationalité est liée à des croyances .
Ainsi, on peut dire que les émotions s inscrivent dans un tel cadre
de rationalité du fait qu'elles contiennent en elles-mêmes une
orientation vers un objet 11 dont elles tirent leur propriété
d intentionnalité. C est parce que les émotions se manifestent dans
un sujet à propos de quelque chose qu il se figure, qu elles
peuvent être dites intentionnelles. La pitié ou la haine qui se
manifeste chez un sujet n est pas le simple résultat d une pulsion,
ne se mesure pas seulement à une sensation d échauffement à une
poussée d adrénaline ; elle s éprouve à la représentation d un objet
vers lequel tend le sujet ou qu il cherche à combattre. Cela élargit
le concept d états intentionnels : il en est d intellectuels, il en
est d émotionnels, et tous sont à la fois exogènes (ils renvoient à
un objet extérieur vers lequel ils sont orientés) et endogènes (ils
sont figurés par le sujet lui-même qui de façon réflexive se
représente cet objet).

Les émotions sont liées à des savoirs de croyance


Que les émotions s inscrivent dans un cadre de rationalité ne suffit
pas à expliquer leur spécificité. Non seulement le sujet doit
percevoir quelque chose, non seulement ce quelque chose doit
s accompagner d une information, c'est-à-dire d un savoir, mais il
faut en plus que le sujet puisse évaluer ce savoir, puisse se
positionner par rapport à celui-ci pour pouvoir éprouver ou
exprimer de l émotion. Un quelconque individu peut percevoir un
lion, en reconnaître la morphologie, en connaître les moeurs, avoir
des connaissances zoologiques très poussées sur cet animal, tant
qu il n aura pas évalué le danger que celui-ci peut représenter pour
lui, dans la situation où il est, il n éprouvera aucune émotion de
peur. Ce type de savoir a donc deux caractéristiques : 1) il se
structure autour de valeurs qui sont polarisées ; 2) ces valeurs
n ont pas à être vraies puisqu elles sont dépendantes de la
subjectivité de l individu, elles ont simplement besoin d être
fondées pour lui12. Il s'agit là d'un savoir de croyance qui s'oppose
à un savoir de connaissance, lequel repose sur des critères de
vérité extérieurs au sujet.
Ce qui dans le débat général auquel je faisais allusion au début
n est pas encore tranché, c est le type de lien qui existe entre

11 Nussbaum (1995 : 24).


12 Elster (1995 : 35).
Problématisation discursive de l émotion 7
émotions et croyances. Nussbaum rappelle que « certains
soutiennent que les croyances pertinentes sont des conditions
nécessaires pour l émotion, d autres que les croyances sont à la
fois nécessaires et suffisantes, d autres encore qu elles sont des
parties constitutives de ce qu est l émotion ; certains, enfin,
soutiennent que l émotion est simplement une sorte de croyance et
de jugement » (1995 : 25). Ce dernier point de vue semble être
partagé par plusieurs chercheurs qui affirment qu il ne faut pas
considérer que les émotions sont des « sensations plus une
interprétation », mais que « elles sont d emblée une interprétation
(...) des circonstances »13. Et une interprétation s appuyant sur des
valeurs cela donne un jugement d ordre moral, car l absence
d émotion dans de telles circonstances entraîne une sanction
morale (cf. la reine d Angleterre rompant le protocole et faisant un
discours à ses sujets à propos de la mort de la princesse de Galles,
pour ne pas être jugée indifférente par ses sujets), non pas en
termes psychologiques comme jugement d anormalité sur une
conduite à tenir (la reine est insensible), mais en termes de
déficience morale (la couronne d Angleterre est décadente) du
fait de la rupture du lien conventionnel entre une situation
typique et les émotions qu elle garantit 14. Dans cette perpective,
les émotions seraient à traiter au regard de jugements qui
s appuieraient sur les croyances que partagent un groupe social, et
dont le respect ou non entraîne une sanction morale (louange ou
blâme). À ce titre, les émotions sont bien un type d état mental
rationnel.
Quoi qu il en soit de ces positions, émotions et croyances sont
bien indissolublement liées : toute modification d une croyance
entraîne une modification d émotion (par exemple la vexation) ;
toute modification d émotion entraîne un déplacement de la
croyance (par exemple l'indignation) ; et il y a fort à parier que
toute disparition d émotion dans une circonstance socialement
attendue entraîne à terme une modification des croyances15.
On peut donc résumer cet acquis en disant que : les croyances sont
constituées par un savoir polarisé autour de valeurs socialement
partagées ; le sujet mobilise un, ou plusieurs, des réseaux
inférentiels proposés par les univers de croyance disponibles dans
la situation où il se trouve, ce qui est susceptible de déclencher
chez lui un état émotionnel ; le déclenchement de l état émotionnel

13 Paperman (1995 : 188). Cette position s oppose au point de vue dit


disruptif qui considère que les émotions perturbent la régulation interac-
tionnelle, et que ces dernières seraient précisément les garants d un contrôle
social sur les tendances sauvages des agents (175), mais sans les intégrer.
14 Paperman (1995 :198).
15 Nussbaum (1995 : 25).
8 Les émotions dans les interactions
(ou son absence) le met en prise avec une sanction sociale qui
aboutira à des jugements divers d ordre psychologique ou moral.

Les émotions s inscrivent dans une problématique


de la représentation
Si on définit les émotions comme des état mentaux intentionnels
qui s appuient sur des croyances, alors on peut dire que cette
notion s inscrit dans une problématique de la représentation.
D une manière générale, la représentation procède d un double
mouvement de symbolisation et d auto-présentation : de
symbolisation en ce qu elle arrache les objets du monde à leur
existence objectale en les figurant à travers un système sémio-
logique quelconque dans une image qui est donnée pour l objet
lui-même et qui pourtant n est pas cet objet (c est la définition
même du signe linguistique) ; d auto-présentation, car cette
construction figurée du monde, par un phénomène de réflexivité,
revient au sujet comme image que lui-même construit du monde,
et à travers laquelle il se définit : le monde lui est auto-présenté, et
c est à travers cette vision qu il construit sa propre identité.
C est ainsi que se construirait la conscience psychique du sujet16,
par la présence dans celle-ci de quelque chose qui lui est
extérieure, à laquelle a été donnée une forme-sens, à partir de
l expérience intellectuelle et affective que le sujet acquiert du
monde, à travers les échanges sociaux dans lesquels il se trouve
impliqué.
Cependant, cette activité mentale de représentation n est pas
nécessairement intériorisée au sens où elle deviendrait automati-
quement source d un nouveau comportement. Elle reste une re-
présentation . Church17 fait remarquer qu on peut se représenter
une règle de grammaire d une langue étrangère sans
nécessairement l intérioriser, c'est-à-dire être capable de l appli-
quer soi-même. Inversement, on peut appliquer correctement une
règle sans nécessairement en avoir une conscience claire, comme
quand on parle sa langue maternelle sans l avoir étudiée18. Elle
suggère également que ce n est pas la même chose d avoir le
vertige (phénomène intériorisé) que de savoir que l altitude donne
le vertige (phénomène de représentation), ce qui pour Paperman
(ibid. : 11) expliquerait la raison pour laquelle, parfois, des
émotions résistent à la raison (découvrir qu on n a pas raison
d avoir peur n élimine pas forcément l éprouvé de la peur). Les
16 Cayla (1995 : 86-87).
17 Church (1995 : 229).
18 Cela partage le monde de la didactique et de l apprentissage linguistique
entre les tenants de l enseignement d une grammaire explicite et ceux de
l enseignement d une grammire implicite.
Problématisation discursive de l émotion 9
représentations restent donc dans un rapport de face à face avec le
sujet, mais, faut-il ajouter, elles peuvent parfois s intérioriser, ce
que l on vérifie dans l apprentissage d une langue étrangère et,
d une manière générale, dans tout apprentissage social.
Restent deux questions : 1) peut-on parler de représentations
pathémiques , et en quoi elles sont spécifiques ? 2) en quoi les
représentations peuvent être dites socio-discursives ?
Reprenant le fil des croyances cognitivo-affectives, je dirai qu'une
représentation peut être dite pathémique lorsqu elle décrit une
situation à propos de laquelle un jugement de valeur
collectivement partagé et donc institué en norme sociale met
en cause un actant qui se trouve être bénéficiaire ou victime, et
auquel le sujet de la représentation se trouve lié d une façon ou
d une autre : un accident est une situation à propos de laquelle on
peut se représenter des victimes dont la norme sociale nous dit que
ce sont des personnes souffrantes qui doivent attirer notre
compassion, émotion ressentie plus ou moins fortement selon le
lien qui nous unit aux victimes (parenté, amitié, amour ou
mythologie, comme dans le cas de la mort de Lady Di). La relation
pathémique engage le sujet dans un comportement réactionnel
selon les normes sociales auxquelles il est lié, qu il a intériorisées
ou qui restent dans ses représentations.
Les représentations peuvent être dites socio-discursives en ce
que le processus de configuration symbolisante du monde se fait à
travers un système de signes. Non pas des signes isolés, mais des
énoncés qui signifient les faits et gestes des êtres du monde. Ces
énoncés n étant pas produits arbitrairement par n importe qui à
n importe quelle occasion, ils témoignent à la fois, comme je l ai
dit, de la manière dont le monde est perçu par des sujets vivant en
communauté, des valeurs que ceux-ci attribuent aux phénomènes
perçus, et donc de ce que sont les sujets eux-mêmes. Ces énoncés
circulent dans la communauté sociale, deviennent objet de partage
et contribuent à constituer un savoir commun, et, particulièrement,
un savoir de croyances. Je réserverai donc la qualification socio-
discursive aux représentations qui impliquent le sujet, l engagent
à prendre parti vis-à-vis des valeurs, par opposition aux savoirs de
connaissance qui lui sont extérieurs, ne lui appartiennent pas,
viennent à lui et ne l impliquent pas. Dire : Les français vivent en
Europe relève d'un savoir de connaissance ; mais dire : Les
français sont frivoles relève d un savoir de croyance qui décrit des
propriétés qualitatives et essentialistes d un type d individu, dont
la polarité dépend des liens qui unissent le sujet à ces individus
(français/étranger, degré de connaissance, contact/non contact19).

19 Voir à ce propos notre enquête interculturelle entre la France et le Mexique


(Charaudeau 1990).
10 Les émotions dans les interactions
Les représentations socio-discursives sont comme des mini-récits
qui décrivent des êtres et des scènes de vie, des fragments narrés
(Barthes disait des bris de discours ) du monde qui révèlent
toujours le point de vue d un sujet. Ces énoncés qui circulent dans
la communauté sociale créant un vaste réseau d intertextes se
regroupent en constituant ce que j appelle un imaginaire socio-
discursif . Ils sont le symptôme de ces univers de croyances
partagées qui contribuent à construire à la fois un soi social et un
moi individuel (par exemple, l imaginaire de la faute, du péché, du
pouvoir). Ces imaginaires, selon la tradition rhétorique reprise par
Barthes, sont des sortes de topiques que différentes figures
viennent remplir à l aide d énoncé.
Voilà donc une partie du discours des sciences sociales modernes
sur le concept d émotion que je résumerai de la façon suivante :
les émotions relèvent d un état qualitatif d ordre affectif, du
fait d un sujet qui éprouve et ressent des états eupho-
riques/dysphoriques en rapport avec sa physiologie et ses
pulsions ;
mais elle relèvent en même temps d un état mental inten-
tionnel d ordre rationnel, en tant qu elles visent un objet qui est
figuré par un sujet qui a une vision sur le monde, qui juge ce
monde à travers des valeurs, lesquelles font l objet d un consensus
social20, constituent des savoirs de croyance en imaginaires socio-
discursifs qui servent de support déclencheur à la fois à l état
qualitatif et à une réaction comportementale ;
les émotions sont donc en même temps origine d un
comportement en tant qu elles se manifestent à travers les
dispositions d un sujet, et contrôlées (voire, sanctionnées) par les
normes sociales issues des ces croyances.

LES PROBLÈMES
On peut s'appuyer sur ces caractéristiques pour définir une analyse
du discours des émotions, mais trois types de problèmes, au
moins, se posent pour traiter cette question de façon discursive :
l un concerne la détermination de l objet du traitement discursif ;
un autre, l'organisation du champ thématique de l'émotion ; le
troisième, concerne le repérage des marques qui seraient traces
d émotion.

De l objet émotion à la visée pathémique


À quoi voit-on et mesure-t-on l apparition d une émotion ? Est-ce
dû au fait qu un sujet dit qu il l éprouve ? Mais qu est-ce qui me

20 Consensus sensori-propositionnel dit Cayla (1995 : 92).


Problématisation discursive de l émotion 11
dit que ce qu il dit correspond à ce qu il éprouve, et comment
saisir ce qu il éprouve ? On a vu que si l émotion avait les
propriétés d un état mental intentionnel, elle n en avait pas moins
des propriétés qualitatives d ordre affectif qui la rend difficile à
saisir : « C est la présence de l excitation, d une sensation
qualitative, d un caractère agréable ou désagréable qui fait que
l état d éprouver que p diffère d autres états intentionnels, tel
que l état de désirer que p ou de croire que p ». Je ne sais pas,
poursuit Elster, si les autres voient les couleurs comme moi, ni si
leurs émotions sont les mêmes que les miennes. Quand ils
éprouvent de la honte, ressentent-ils ce que j éprouve quand j ai
honte ? On ne peut pas répondre à la question ; il se peut même
qu elle n ait aucun sens » (Elster, 1995 : 38-39). Ou bien, est-ce
parce que, même s'il ne prétend pas (par son discours explicite)
être ému, le sujet donne des signes d émotion (ce qui n est pas
pareil que dire qu on éprouve de l émotion) ? Mais là aussi quelle
garantie a-t-on de ce que ces signes correspondent à de l éprouvé ?
Autrement dit, quelle preuve a-t-on de correspondance entre
l exprimé et l éprouvé ? Quel gage de sincérité et d authenticité ?
Une manifestation d émotion peut être plus ou moins maîtrisée ;
elle peut être contrôlée à des fins tactiques dans un échange
interactionnel pour qu elle ne se voit pas, ou, inversement, simulée
pour impressionner l autre ; elle peut même être jouée comme au
théâtre ou au cinéma, et s exprimer par des gestes ou des
comportements codés qui ne se donnent que dans ces lieux21. On
peut exprimer une émotion sans chercher à émouvoir et pourtant
émouvoir, on peut chercher à émouvoir et ne pas y parvenir. On
peut décrire des scènes que l on pense émouvantes et ne pas
provoquer d émotion, on peut décrire des scènes que l on croit
neutres du point de vue émotionnel et cependant provoquer chez le
destinataire du récit un état d émotion. Enfin, on peut même
contrôler son émotion ou la jouer. Il n y a pas de relation de cause
à effet directe entre exprimer ou décrire une émotion et provoquer
un état émotionnel chez l autre. De là une question : l émotion
doit-elle être étudiée à partir de sa manifestation chez le sujet qui
l éprouve, ou dans ce qui en constitue le déclenchement,
l origine ?
L analyse du discours ne peut s intéresser à l émotion comme
réalité manifeste, éprouvée par un sujet22. Elle n en a pas les
moyens méthodologiques. En revanche, elle peut tenter d étudier
le processus discursif par lequel l émotion peut être mise en place,
21 Thévenot rappelle le geste de dégrafer son col de chemise , à partir de Les
expressions de la physionomie humaine, "Émotions et évaluation dans les
coordinations publiques", (1995 : 158).
22 Ce que les psychosociologues appelleraient les impressions , voir, dans ce
même colloque, la communication de Chabrol.
12 Les émotions dans les interactions
c'est-à-dire traiter celle-ci comme un effet visé (ou supposé), sans
jamais avoir de garantie sur l effet produit. Ainsi, l émotion est
considérée hors de l éprouvé, et seulement comme un possible
surgissement de son ressenti chez un sujet particulier, dans une
situation particulière. Que l on cherche à déterminer les traces
d émotion chez un sujet parlant lors d un échange interlocutoire,
ou la construction dramatisante d un récit qui est susceptible de
produire de l émotion, on est toujours dans une perspective
d effet : dans le premier cas, c est l interlocuteur (ou l analyste)
qui est cible (volontaire on involontaire) de cette visée, dans le
deuxième cas, c est le destinataire-public (lecteur, spectateur,
téléspectateur) qui est réceptacle de cette visée.
Ainsi peut être repérée une double énonciation de l'effet
pathémique : une énonciation de l expression pathémique,
énonciation à la fois élocutive et allocutive qui vise à produire un
effet de pathémisation soit par la description ou la manifestation de
l état émotionnel dans lequel le locuteur est censé se trouver ( j ai
peur , je fonds , tremblement du corps, mimique de panique du
visage), soit par la description de l état dans lequel l autre devrait
se trouver ( n ayez crainte ! , soyez compassif ! , ayez pitié ! ) ;
une énonciation de la description pathémique, énonciation qui
propose à un destinataire le récit (ou un fragment) d une scène
dramatisante susceptible de produire un tel effet. Dès lors, on
considérera que je suis en colère et ne soyez pas en colère sont
deux types d énoncés qui mettent en place l'effet pathémique de
façon différente que la foule est en colère . L effet pathémique
des deux premiers est mis en place par le biais d une construction
identitaire ; celui du troisième énoncé est mis en place par le biais
d une identification-projection qui est proposée au destinataire.
L effet et l intensité des deux premiers dépendent de la relation
identitaire et du jeu interlocutoire qui s est instauré entre les
interlocuteurs ; ceux du troisième dépendent du lien qui est
supposé unir projectivement le destinataire à la situation décrite et
aux protagonistes23. De même la compassion, par exemple, peut
être détectée dans la réplique Je vous comprends et partage votre
douleur d un locuteur à son interlocuteur qui se trouve dans le
désarroi ; elle peut aussi être montrée dans un reportage télévisuel
et détectée dans la gestuelle d une personne prenant un enfant
déshérité dans ses bras, dans les mots qu elle prononce, voire dans
l action humanitaire qu elle promouvra. Dans les deux cas est mise
en place une visée discursive d'effet compassionnel.

23 Ce lien fait que l'effet pathémique ne peut être le même selon qu'il s'agit du
frère de Diana Spencer, de ses enfants, de la famille royale, ou du
téléspectateur.
Problématisation discursive de l émotion 13
C est la raison pour laquelle je préfère les termes pathos ,
pathémique et pathémisation à celui d émotion. Cela me
permet d une part d insérer l'analyse du discours des émotions
dans la filiation de la rhétorique qui depuis Aristote traite les
discours dans une perspective de visée et d effets24 (même si des
aménagements sont nécessaires à cette filiation), d'autre part de
démarquer l'analyse du discours, si besoin est, de la psychologie et
de la sociologie.

Quelle organisation de l univers pathémique ?


Il y a des façons diverses et multiples de classer les émotions.
L'histoire de la philosophie et de la sociologie nous en donne de
multiples exemples. Tout dépend, une fois de plus, des critères de
classement que l on choisit. On peut tenter de les classer selon le
rôle qu elles tiennent dans le déclenchement de l action en rapport
avec d autres concepts tels l intérêt (les moralistes du 17° et 18°
distinguaient entre intérêts et passions)25 ou plus récemment les
normes sociales26. On peut également les classer selon leur degré
de généralité en essayant de distinguer celles qui auraient un
caractère plus universel (la colère) et celles qui auraient un
caractère spécifique en rapport avec leur contexte sociétal (la
pudeur, la honte). On peut encore les classer selon leur degré de
rationalité (l indignation/l angoisse), ou, plus finement, en
distinguant des émotions dites affectives (tristesse/joie),
informatives (ennui/intérêt), appréciatives (haine, colère)27. On
peut enfin les classer selon qu elles sont simplement réactionnelles
(la pitié) ou qu elles incitent à l action (l indignation). Mais si l on
croise plusieurs de ces critères, on voit qu il est bien difficile
d avoir une typologie opérationnelle. L indignation par exemple
peut avoir une base rationnelle qui repose sur une appréciation de
la situation, mais elle peut aussi entraîner une réaction de colère
non raisonnée ; en outre elle peut soit avoir un effet paralysant, et
même déboucher sur une angoisse, soit au contraire un effet
actionnel (l humanitaire) ; on peut aussi considérer qu elle n est
pas la même selon les contextes socio-culturels, ou bien, en ces
temps de médiatisation planétaire, qu elle a un caractère universel
(la pauvreté dans le monde).
Procéder à un classement de cette notion sans tenir compte de la
situation d apparition de l émotion participe plutôt d un projet
socio-anthropologique. Si, comme nous l avons vu, toute émotion
repose sur des croyances et résulte de l activité inférentielle qu un
24 Voir à ce propos Barthes 1970.
25 Elster (1995 : 33).
26 id.
27 Livet (1995 : 128-29).
14 Les émotions dans les interactions
sujet est en mesure de développer, si en outre on s intéresse
davantage à détecter un effet pathémique plutôt qu à établir une
typologie des émotions, alors il nous faut aborder cette question de
la nature du pathémique selon la trilogie dont je parlerai tout à
l heure : situation de communication, univers de savoir partagé,
stratégie énonciative. Ainsi pourront être traités deux des
phénomènes pointés à l instant, à savoir : la diversité des effets
d un même acte d énonciation, ses spécificités culturelles.
Pour illustrer le premier phénomène, on se rappellera la phrase
Rien ne justifie que l on jette aux chiens l honneur d un homme
prononcée par François Mitterrand lors de l enterrement de Pierre
Bérégovoy. Celle-ci est susceptible de produire divers effets
pathémiques : de compassion vis-à-vis d'un homme qui a accompli
un acte de désespoir, de colère qui dénonce les persécuteurs, de
douleur contenue par la mort d'un proche.
Pour illustrer le deuxième cas, on se reportera aux effets de la
campagne publicitaire de Benetton avec l affiche de l IHV
apparaissant en gros plan sur un bras humain. Ses effets n ont pas
été les mêmes en France et en Grande Bretagne. Le fait qu elle
n ait pas choqué en Angleterre, contrairement à la France, tient
probablement à une différence des univers de croyances : en
France, l existence de la déportation et l expérience des camps de
concentration sont susceptibles de déclencher un réseau inférentiel
(mort, souffrance et génocide) qui opère un rapprochement entre ce
tatouage et celui des déportés, et donc un effet pathémique de
douleur entraînant indignation et révolte ; alors que l Angleterre,
n ayant pas eu à souffrir collectivement, de ce phénomène n a
qu une connaissance informative des camps et donc à disposition
un réseau inférentiel différent ne déclenchant pas d effet
pathémique aussi fort.
Ces deux exemples montrent que l organisation de l univers
pathémique dépend de la situation sociale et socio-culturelle dans
laquelle s inscrit l échange communicatif.

Y-a-t-il des marques-traces du pathémique ?


Si l on ne s en tient ici qu au langage verbal (et ce sera le cas dans
cet exposé), la simple expérience et son observation montre que
l effet pathémique peut être obtenu par l emploi de certains mots,
mais aussi lorsque aucun des mots utilisés ne renvoie à un univers
émotionnel. Autrement dit, l effet pathémique peut être obtenu
aussi bien par un discours explicite et direct dans la mesure où les
mots eux-mêmes sont à tonalité pathémique, qu implicite et
indirect dans la mesure où les mots semblent neutres de ce point de
vue. Dès lors, on constatera trois types de problèmes :
Problématisation discursive de l émotion 15
il est des mots qui décrivent de façon transparente des émotions
comme colère , angoisse , horreur , indi-gnation , etc., mais
leur apparition ne signifie pas que le sujet qui les emploie les
ressente comme des émotions (problème d'authenticité), ni qu ils
produiront un effet pathémique auprès de l interlocuteur (problème
de causalité). Parfois on a même affaire à ce phénomène curieux de
dépathémisation lorsque ces mots sont employés avec trop
d insistance, comme le font les médias (il semble se produire alors
un décrochage méta-énonciatif) ;
il est des mots qui ne décrivent pas des émotions mais sont
comme des sortes de bons candidats à leur déclenchement :
assassinat , complot , victimes , manifestation , tueur , par
exemple, sont susceptibles de nous entraîner dans un univers
pathémique. Oui mais lequel ? Il ne sera pas le même selon que
l on parle d une manifestation silencieuse (expression de la
douleur et d indignation), comme celle de la marche blanche des
Belges à propos de l affaire Dutroux, celle des femmes de la place
de mai en Argentine ou celle des espagnols contre l ETA, ou que
l'on parle d une manifestation agitée , voire violente
(expression du désespoir et de revendication), comme en Afrique
ou au Moyen Orient. Cet univers ne sera pas non plus le même
selon que j apprends que la victime d un vol est une vieille
dame , mon patron , un banquier richissime , ou que la victime
d un assassinat est un tyran, un dictateur, un proche. Autrement
dit, comme le montre la théorie des topoï (Ducrot), l orientation
argumentative (ici nous dirons pathémique) d un mot peut
changer, voire s inverser, selon son contexte et, ajouterai-je, sa
situation d emploi ;
enfin, comme on l a déjà dit, il est des énoncés qui ne
comportent pas de mots pathémisants et qui pourtant sont
susceptibles de produire des effets pathémiques dès lors que l on a
connaissance de la situation d énonciation : Assez ! crient des
gens victimes du énième bombardement de leur ville ; Mon fils
était un pur, un innocent dit un père penché sur une tombe et
interviewé lors d un reportage en Bosnie ; Un jour ordinaire à
Sarajevo dit un journaliste à la télévision en montrant les images
du dernier bombardement qui vient de se produire dans cette ville.
Ces trois types de problèmes rappellent que la construction
discursive du sens comme mise en oeuvre d effets intentionnels
visés dépend des inférences que peuvent produire les partenaires
de l acte de communication et que ces inférences dépendent elles-
mêmes de la connaissance que ces partenaires peuvent avoir de la
situation d énonciation.
16 Les émotions dans les interactions
PROPOSITIONS
La pathémisation peut donc être traitée discursivement comme une
catégorie d effet qui s oppose à d autres effets comme l effet
cognitif, pragmatique, axiologique, etc. Et comme toute catégorie
d effet, elle dépend des circonstances dans lesquelles elle apparaît.
En s interrogeant sur le phénomène de l absence d émotion,
Paperman constate que le jugement porté sur une telle absence
dépend des circonstances qui font qu on l attend : « Ce qui rendrait
remarquable une absence d émotion, c est (...) une divergence
d appréciation des circonstances significatives rendant possible
une émotion spécifique » (1995 : 188) ; et de conclure : « La
question qui peut se poser au sociologue concerne la nature du lien
entre la situation et l émotion » (ibid. : 180). L'énoncé Il faut tuer
ce chien pourra avoir un effet cognitif s il s agit d une parole
d expert, un effet pragmatique pour celui qui est chargé de
l exécution d une telle tâche, un effet axiologique au regard de la
loi, et un effet pathémique pour le propriétaire du chien.
Il faut donc entrer dans cette analyse par le cadre d expérience
(comme le propose Goffman) mais avec une théorie de la
situation28. C est ici que l analyste du discours peut être de
quelque utilité dans la mesure où il ne se contente pas d apporter
des catégories linguistico-discursives, et vient avec une définition
de l échange communicatif et une méthodologie pour l analyser.
Ayant déjà traité cette question dans plusieurs de mes écrits, je
résumerai mes propositions au regard de l étude de l effet
pathémique en disant que celui-ci dépend de trois types de
condition :
1) que le discours produit s inscrive dans un dispositif commu-
nicatif dont les composantes, à savoir sa finalité et les places qui
sont attribuées par avance aux partenaires de l échange, prédis-
posent au surgissement d effets pathémiques. Ainsi, on observera
que les dispositifs de la communication scientifique et didactique
ne prédisposent pas à l apparition de tels effets (ce qui ne veut pas
dire qu on n en trouve jamais), pour des raisons que je ne peux
expliquer ici (force de la visée de crédibilité), de même que ceux
des débats de type colloque d experts. En revanche, les dispositifs
de la communication fictionnelle (roman, théâtre, cinéma) et, pour
des raisons différentes, de la communication médiatique s y
prêtent, ainsi que ceux des discussions polémiques (familiales,
politiques). Lorsque le dispositif ne s y prête pas, c est que la
finalité communicative est à forte dominante de crédibilité et que
les partenaires sont placés à distance de savoirs de vérité ;
lorsque le dispositif s y prête, c est que la finalité est à forte

28 Que ne propose pas Goffman.


Problématisation discursive de l émotion 17
dominante captatrice et que les partenaires sont impliqués dans
des savoirs de croyance ;
2) que le champ thématique sur lequel s appuie le dispositif
communicatif (le propos événementiel) prévoie l existence d un
univers de pathémisation et propose une certaine organisation des
topiques (imaginaires socio-discursifs) susceptibles de produire un
tel effet. Pour les médias d information, on va le voir, ce sera
l univers des topiques du désordre social ou de sa réparation ;
pour la publicité, ce sera l univers des topiques du bonheur et du
plaisir ; pour la fiction romanesque, ce sera l univers des
topiques de la destinée humaine (la vie/la mort, une partie de ce
que Barthes a mis en évidence dans ses Fragments du discours
amoureux) ; pour la polémique familiale ou amicale, ce sera
l univers des topiques de l intimité ; et l on comprendra qu il
n y en ait guère pour la communication scientifique ;
3) que, dans l espace de stratégie laissé disponible par les
contraintes du dispositif communicatif, l instance d énonciation
fasse oeuvre de mise en scène discursive à visée pathémisante.
Tout acte de discours étant en partie contraint par des conditions
situationnelles (que j appelle contrat de communication ), et en
partie laissé à la plus ou moins grande initiative du sujet
d énonciation (que j appelle espace de stratégie ), on dira que la
pathémisation du discours résulte d'un jeu entre contraintes et
libertés énonciatives : il y faut des conditions de possibles visées
pathémiques inscrites dans le type d échange, mais celles-ci, si
elles sont nécessaires ne sont pas suffisantes, car le sujet
d énonciation peut choisir soit de les renforcer, soit de les
gommer, soit, même, d en rajouter. Il les renforce lorsque par
exemple les médias traitent de la mort dramatique de la princesse
de Galles. Il les gomme comme dans certains discours officiels (et
particulièrement celui de la reine d Angleterre aux obsèques de
Diana) ou comme dans ce qui s'apparente à un récit fantastique. Il
en rajoute lorsque par exemple un professeur fait le clown ou
menace dans sa classe.
C'est pour illustrer cette proposition que je vais maintenant passer
en revue les caractéristiques du discours d information télévisuel
pour d une part montrer en quoi son dispositif communicatif met
en place la possible apparition des effets de pathémisation, d autre
part mettre en évidence certaines des stratégies énonciatives à
visée pathémique.

Le dispositif de la communication télévisuelle et la place des


partenaires
La communication télévisuelle est un sous ensemble de la
communication médiatique qui est elle-même un sous ensemble du
18 Les émotions dans les interactions
discours d information. Certaines de ses caractéristiques relèvent
donc du contrat général de la communication médiatique, d autres
lui sont propres. Les caractéristiques générales définissent la
finalité de l acte de communication médiatique et la place des
partenaires (instance médiatique / instance réceptrice), les
caractéristiques propres au dispositif télévisuel, avec le son et
l image, renforcent et spécifient les caractéristiques générales.
Ayant décrit ces caractéristiques dans mon dernier ouvrage (1997),
je me contenterai d en reprendre certaines et de faire à leur propos
un commentaire en rapport avec la question qui nous occupe ici :
la pathémisation.

Les 3 pôles
La finalité globale de la communication médiatique est
d information. Ce qui fait que nous nous trouvons en présence
d un dispositif à trois pôles : un pôle source d information, un pôle
instance de médiation-transmission, un pôle instance de réception
(à la fois cible de la transmission et public origine
d interprétation). Le pôle source d information est censé
représenter la réalité de ce qui se passe dans le monde, dont on
verra tout à l heure les caractéristiques. Il constitue donc le référent
du discours d information, sous l aspect d une vérité
d authenticité (on en verra l incidence). Le pôle instance
médiatique (de médiation-transmission) est pris dans une
contradiction du fait que ce type de communication s inscrit dans
une double logique : de symbolique démocratique d une part (il
doit présenter cette réalité événementielle pour ce qu elle est, en
donnant des gages d authenticité et d objectivité), de survie dans
une concurrence marchande d autre part (il doit chercher à
s adresser au plus grand nombre). Sa finalité discursive est donc
marquée par une double tension de crédibilité / captation . Le
pôle instance de réception (en tant que cible) est donc mis en
position d avoir à croire (la réalité de l événement), à
comprendre (son surgissement et sa causalité) et à ressentir
(l enjeu intellectuel et émotionnel qui le fidélisera). D une certaine
manière on peut dire que cette instance de réception est à la fois un
public idéal au sens d Aristote parce que l instance médiatique
doit faire l hypothèse de modes de raisonnement nécessaires et
objectifs qui sont valables pour tous (il y va de la crédibilité), et un
public universel au sens de Perelman, c'est-à-dire un public
moyen susceptible de se laisser toucher par des effets d éthos ou
de pathos.
Problématisation discursive de l émotion 19
L'instance récepteur
Voyons maintenant la spécificité de la position de cette instance de
réception lorsqu elle se trouve dans la communication télévisuelle.
Tout d abord, la matérialité audio-visuelle du support de
transmission (son et image) met l instance de réception dans une
double position : de spectateur du monde (sont présentés à son
regard les événements qui se produisent dans le monde), de
téléspectateur (il voit le médiateur qui lui rappelle par son
existence même de rapporteur et commentateur des événements
qu il est spectateur de la télévision). Le fait qu il soit spectateur
des événements du monde (il voit le monde) lui donne l illusion
d être en contact avec cette réalité, d être en prise immédiate
avec l événement, surtout grâce aux procédés du direct (ou
d illusion du direct). Le fait qu il soit téléspectateur (il voit
l instance de médiation) lui rappelle qu il est à distance des
événements du monde, qu il est dans un rapport de présence-
absence à celui-ci, ce qui l oblige à avoir un regard réflexif sur lui-
même et donc à se voir spectateur au second degré.
Si maintenant on considère cette instance de réception lorsqu'elle
est placée devant un spectacle de souffrance, alors on peut
constater qu elle se trouve dans une position complexe :
le spectacle de souffrance qui lui est présenté est donné, on
vient de le voir, pour existant dans la réalité . Cela la met dans
une position différente du spectateur de cinéma. Ce dernier, du fait
d un contrat de fiction, a toute liberté pour se projeter dans le
spectacle proposé29. Dans la position du téléspectateur, du fait de
la référentialité de l objet de spectacle, il n'est pas possible de se
projeter dans ce qui est ou a été, il n'est pas possible de
s'approprier le spectacle ; le téléspectateur ne peut que
s interroger sur ce que peut/doit être sa réaction. Il est une sorte
de métaspectateur 30.
de plus, ce spectacle de souffrance, il le consomme, on vient de
le voir, à distance . Cela empêche que s établisse un véritable lien
fusionnel (d empathie) entre le souffrant et lui-même. Il ne peut
s établir qu un lien de sympathie , c'est-à-dire un lien qui
suppose que le sympathisant ait conscience de sa différence d avec
le souffrant, qu il se sache non souffrant, et donc qu il puisse
s interroger, comme on vient de le dire, sur les raisons de cette
différence et donc de sa possible culpabilité (ce sentiment ne naît
pas au cinéma), voire de son possible engagement dans une action.
A moins qu'il ne détourne son regard du souffrant et l'oriente vers
la cause de la souffrance. Il peut alors être indigné et dénoncer la

29 Boltanski (1993 : 42,219).


30 D où le succès de certaines émissions interactives qui donnent au téléspec-
tateur l illusion de répondre à ses interrogations.
20 Les émotions dans les interactions
cause. Le téléspectateur est soit un spectateur compassionnel (et
donc un bon candidat pour les scènes de catastrophes), soit un
spectateur-dénonciateur .
du coup, il ne peut répondre à l'interrogation quoi faire devant
ce spectacle ? qu en passant par la mobilisation de croyances qui
définissent des principes de morale, des opinions à défendre, des
conduites à tenir et lui permettent d épouser une cause générale.
Comment peut-il en être autrement puisque ce qui lui est offert en
spectacle n est pas la souffrance de son quotidien, mais celle du
monde ? Sa position de vision totale, globale, ubiquitaire (c est la
souffrance d'un monde lointain qui s offre à lui), renforce sa
capacité réflexive à se voir observant, à se sentir impuissant. Il
s'ensuit qu'il ne peut ni se dire indifférent à ce spectacle, ni
prétendre en jouir31. Le téléspectateur s institue, comme le dit
Boltanski (1993 : 167), en « spectateur moral »32.
enfin, il ne peut prétendre jouir du spectacle de la souffrance de
l autre, et pourtant il reste là à la regarder, les yeux rivés sur
l écran, fasciné par la nudité, l intimité de cette souffrance qui
n est pas la sienne et qu il ne peut partager. Et il la regarde sans
être lui-même vu : regard sur l intimité de l autre, regard libre de
culpabilité parce qu il n est pas vu, deux conditions pour définir la
position de voyeurisme. Le téléspectateur est un spectateur
voyeur 33.

L'instance médiatique
Revenons à présent à l instance médiatique dans son rôle de
metteur en scène du spectacle de souffrance. On s aperçoit qu elle
a une partie difficile à jouer.
Si elle se contente de rapporter des scènes, il lui faut établir un
équilibre subtil entre implication et distance . Trop s impliquer,
c est prendre parti et devenir suspect par rapport aux motifs qui
vous font vous étendre sur le spectacle de la souffrance, ou de la
joie (il/elle en fait trop pour que ce soit sincère). Marquer trop de
distance, c est risquer d être taxé de froideur (il/elle est sans
coeur). Les médias doivent s instaurer en énonciateur qui ne
s implique pas (donner une image de professionnalisme), mais qui
donne des signes d'émotion (donner une image d'humanité pour
être journaliste on n en est pas moins homme ), avec l espoir de
produire un effet pathémique : telle mimique attristée ou posture
gênée du présentateur de JT ; telle annonce de scènes pénibles à
voir ( nous avons édulcoré les images ), tel énoncé litotique ( ce
drame se passe à deux heures de Paris ). Mais bien souvent, les

31 Boltanski (ibid. : 167).


32 D où le succès d émissions du genre Téléthon.
33 D où le succès des talk show intimistes, (Bas les masques).
Problématisation discursive de l émotion 21
médias dérapent par une surenchère dans la mise en scène de la
souffrance (images en gros plans, répétitives, musique dramatique,
cris des victimes) ou par l emploi d une surabondance de termes
appartenant au champ sémantique de l émotion ( émotion ,
larmes , pleurs , coeur , etc.).
Si l instance médiatique prend une position de commentateur qui
dénonce la cause ou les coupables de la souffrance, il faut
également qu il ne puisse être suspecté d implication ni
d acharnement personnel contre les causateurs de la souffrance.
D où le fait que les médias s appuient sur des témoins extérieurs
pour confirmer le bien fondé de l accusation ; d où aussi leur gêne
et leur ambiguïté lorsqu ils occupent la place de l accusé et qu ils
doivent se défendre (l'affaire récurrente des paparazzi ; le
syndrome de Timisoara).
On voit que les places que le dispositif de la communication
télévisuelle assigne à ses partenaires sont particulièrement favo-
rables au surgissement d effets pathémiques qui plus qu ailleurs
s appuient sur des croyances : tension dans la finalité communi-
cative entre crédibilité et captation ; tension dans la place
qu occupe chacun des partenaires entre implication et
distance . Car ce qui est le plus remarquable, c est la tension et
non la simple finalité de captation. Cela explique peut-être
pourquoi la communication publicitaire n est pas un dispositif à
effet pathémique (qui peut être ému par une publicité ?), alors que
pourtant est inscrit dans le contrat publicitaire une forte exigence
de captation. Peut-être est-ce parce que l'exigence de captation ne
s'accompagne pas d'exigence de crédibilité. Au fond, on n'a pas à
croire ce que nous raconte un spot publicitaire. On sait que le récit
publicitaire est pure invention. Il est pure invention différente de
celle du contrat de la fiction romanesque parce que sa visée
séductrice explicite est mise au service d une visée pragmatique
(faire acheter), ce qui nous empêche de nous projeter gratuitement
dans ses personnages. De plus, il est pure invention qui n a pas
besoin du support d une réalité. C est ce qui fait sa différence avec
le contrat médiatique. Celui-ci se justifie par sa référentialité, et
c est cette référentialité qui est gage de l effet de pathémisation :
j'ai besoin de savoir que la souffrance est réellement vécue par
mon autre-moi-même pour que je puisse me sentir
émotionnellement concerné34.
C est là-dessus que joue Benetton avec l affiche du tee-shirt
maculée de sang d'un bosniaque. Cette affiche a fait davantage
scandale que d'autres (même celle du baiser entre un prêtre et une
bonne soeur), parce qu'elle mettait de la référentialité, là où elle

34 Dans le contrat romanesque, cette référentialité est reconstruite par moi-


même.
22 Les émotions dans les interactions
n est pas de mise (le contrat publicitaire permet tout sauf de la
référentialité). Ce qui a fait scandale ce n'est donc pas la vision de
cette horreur (on en voit de bien pires au journal télévisé), mais la
transgression situationnelle (on ne parle pas d'un fait réel pour
vanter un produit commercial).

LE DISPOSITIF DE LA COMMUNICATION TÉLÉVISUELLE


ET L ORGANISATION PATHÉMIQUE DU LIEU
D ÉVÉNEMENTIALISATION
Dans Le discours d information médiatique35, j ai défini le propos
de ce contrat de communication comme le lieu d un processus
d événementialisation, phénomène qui doit naître d une fracture
dans l état du monde (principe de modification), doit être perçu, et
donc donné à voir (principe de saillance), et doit, comme le dit
Ricoeur, « se laisser penser comme substance » (principe de
prégnance). De plus, comme la finalité du contrat de
communication médiatique est l information, je précisais que ce
processus d événementialisé concerne ce qui se passe dans
l espace public.
Or, il se passe plein de choses dans cet espace public. Ce qui est
donné à voir par les médias procède d une sélection et d une
organisation qui résultent de ce que j ai appelé le potentiel
d actualité de l événement (plus les nouvelles sont proches dans
le temps et dans l espace, et plus elles sont susceptibles de
concerner le public) ; son potentiel d imprévisibilité (moins la
nouvelle est attendue, plus elle rompt avec les systèmes d attente
et les normes, et plus elle est susceptible de toucher le public) ; son
potentiel de socialité (plus une nouvelle trouve d écho dans les
systèmes de catégorisation intellectuelle et affective du public, et
plus elle le satisferait). De là surgissent deux problèmes qui se
posent aux médias et particulièrement à la télévision : celui du
rapport entre espace public et espace privé ; celui de l organisation
de ce qui fait saillance-prégnance.

Le rapport espace public/espace privé : la socialisation de


l intimité
Sur cette question, je ne m étendrai pas car il y a eu ces derniers
temps de nombreux écrits dessus36, et moi-même, dans le cadre du
CAD y ai consacré une étude37. Je voudrais simplement pointer

35 Op.c. (107).
36 Voir entre autres ouvrages celui de Mehl (1996).
37 Charaudeau (1998) et Charaudeau & Ghiglione (1997).
Problématisation discursive de l émotion 23
quelques conséquences de cette présence croissante de l espace
privé dans les médias sur l effet de pathémisation.
L apparition du privé à la télévision, c est donner à voir ce qui est
caché derrière la façade sociale , et donc entrer dans l humanité
des acteurs du monde social. À force de jouer des rôles de
représentation, ces acteurs se confondent avec ceux-ci, deviennent
des archétypes, des masques lisses dans lesquels le téléspectateur
ne peut se retrouver. À voir ces acteurs hors de leur fonction
officielle, dans leur vie privée faite des mêmes rituels du quotidien
que les siennes (au marché, en vacances, en famille, dans
l'intimité), des mêmes peines et joies que les siennes, il peut s y
retrouver. C est dans la découverte même du décalage, de
l opposition, entre les deux faces de la vie de ces acteurs, la scène
et les coulisses, que peut surgir un effet de pathémisation, car cet
autre, qui est lointain et distant par définition, se rapproche,
devient naturel 38, voire entre dans la même expérience de
quotidienneté que le téléspectateur. Le privé à la télévision a une
fonction d humanisation et de personnalisation.
L apparition du privé à la télévision, c est aussi donner à voir et
entendre ce qui est enfoui dans l intimité de l autre , généralement
douloureux (émissions de type Bas les masques). La pathémisation
provient ici de l écho que ce spectacle de la souffrance
individualisée peut rencontrer chez le téléspectateur et de son effet
éventuellement thérapeutique. L'apparition du privé a ici une
fonction d identification cathartique.
L apparition du privé, enfin, c est donner à voir un anonyme , un
obscur du quotidien, un monsieur-madame tout le monde qui,
devenant subitement public par la mise en spectacle d un acte
héroïque de sauvetage d autrui (reality shows type Nuit des héros),
envoie au téléspectateur un message : tu peux en faire autant , le
dédouanant de son impuissance à agir devant la misère humaine.
L'apparition du privé a une fonction de compassion-action.
Par ce jeu de l intrusion de l espace privé dans l espace public est
mise en place une autre des conditions pour qu il y ait effet de
pathémisation : le contact (ou son illusion) que le téléspectateur
peut avoir avec l intimité de l autre (qu elle soit douloureuse ou
heureuse) de sorte que celle-ci puisse faire écho à la sienne, voire
entrer en résonance (syntonie) avec la sienne et y trouver la vérité
de l éprouvé (du moins sa représentation). Ainsi peut s expliquer
la ferveur déclenchée par la mort de Diana.

38 Sennett (1979 : 274).


24 Les émotions dans les interactions
L organisation de l univers de pathémisation
L organisation de ce qui fait saillance-prégnance dans le contrat de
communication médiatique revient à étudier ce qui fait désordre
social . En fait, il s agit d une manière générale du désordre de
l événement. Celui-ci peut être cosmique (trou d ozone),
biologique (épidémie), pathologique individuel (criminalité) ou
collectif (terrorisme), il est de toute façon recatégorisé par le
discours en désordre social avec ses victimes, ou en sa
réparation avec ses héros. L'espace public est tellement
verrouillé et rodé par les médias qu il ne peut faire saillance qu à
travers ce qui ne fonctionne pas au regard de l attendu dans les
routines de la vie sociale, ou au regard des jugements de la norme
sociale. L'étudier relève donc d une vaste entreprise dont je me
contenterai de ne présenter qu un aspect : l univers de
pathémisation tel qu il apparaît à la télévision dans les journaux
télévisés, les reportages, magazines et débats. Il ne s'agit donc pas
de décrire une structure universelle ou anthropologique de l'univers
pathémique, comme chez Aristote, mais celle de l'organisation
propre à une situation communicationnelle particulière. Non pas
une définition de la colère en général, mais la colère telle
qu'elle mise en scène à la télévision.
En croisant les résultats de mes analyses avec les propositions
pas toujours convergentes de certains philosophes, sociologues
et sémioticiens39, j'en arrive à structurer l univers de pathémisation
des médias en quelques grandes topiques (ou imaginaires socio-
discursifs) que je définis à l aide de certains paramètres. Si l on
décide qu un état pathémique (à la fois qualitatif et intentionnel)
est déclenché par la perception d un actant-objet extérieur au sujet
qui éprouve, que le sujet ressent quelque chose qu il est plus ou
moins en mesure d exprimer, et qu il a un certain comportement
vis-à-vis de l actant objet et de ce qu il ressent (que tout cela soit
dit explicitement ou implicitement), alors on peut se demander :
quel est le statut que le sujet assigne à cet actant-objet, quel
rapport s'instaure entre le sujet et celui-ci, quel est le
comportement énonciatif du sujet.
Je proposerai quatre grandes topiques, chacune doublement
polarisée, (en affect négatif ou positif, car la pathémique n est pas
seulement la souffrance), et je les nommerai à l aide de termes qui
n'ont qu'une valeur emblématique : la topique de la douleur et
son opposée la joie ; la topique de l angoisse et son opposée
l espoir ; la topique de l anti-pathie et son opposée la sympa-
pathie ; la topique de la répulsion et son opposée l attirance .

39 Boltanski, Livet, Barthes, Greimas-Fontanille, etc.


Problématisation discursive de l émotion 25
La topique de la douleur et son opposée la joie
La douleur
Il ne s agit évidemment pas de son aspect sensoriel (avoir mal au
bras), mais de son état mental, même si des phénomènes de
somatisation relient parfois les deux. La douleur :
est à considérer comme un état d insatisfaction du désir du
sujet tel qu elle le plonge dans une sensation de mal être profond,
de souffrance dans laquelle le corps du sujet est pris à partie
(somatisation), et qui peut se traduire, dans la manifestation, par
un recroquevillement sur soi-même, une extériorisation plus ou
moins convulsive, ou un abattement quasi total ;
est déclenchée par un actant-objet (personne ou situation) qui a
mis le sujet en position de victime-offensée, raison pour laquelle la
douleur est provoquée par la mobilisation d un réseau de croyances
qui met le sujet en position de victime morale, ce qui fait que
l objet extérieur est intériorisé par le sujet comme cause interne de
la douleur ;
du coup, le sujet se trouve dans un rapport intransitif et réflexif
à la douleur (elle est auto-pathémique ) : en intériorisant l objet
cause de sa douleur, il s essentialise lui-même en être souffrant
et l énonce de façon élocutive (il dit : j ai mal à moi ).
Dans ce champ, on trouve certaines figures particulières, avec des
degrés divers de douleur comme : la "tristesse" (acceptation
d impuissance, de fatalité), la "honte", la "gêne", la "vexation",
l "orgueil blessé", l "humiliation" (déchéance identitaire vis-à-vis
d une référence idéalisée de soi40.
On pourra en donner comme exemple les récits d'introspection, de
confidence et d'aveux qui sont donnés à entendre dans les
émissions de type "psy-shows", et qui mettent le téléspectateur en
position à la fois de voyeur et de témoin impuissant.
La joie
a les mêmes caractéristiques que la douleur (intériorisation de
l actant-objet, intransitivité réflexive et énonciation élocutive)
mais sur le pôle opposé de la satisfaction du désir, du bien être
corporel et moral, qui fait dire au sujet : je suis bien dans moi ,
une essentialisation euphorique ;
Certaines figures l'accompagne : la "satisfaction" et le "conten-
tement" (jusqu'au sentiment de "puissance"), la "fierté" et
l'"orgueil" (promotion identitaire du soi).
On en donnera comme exemple les images de foule en liesse et les
interviews de gens heureux (supporters après un match gagné ;
fans à la sortie d'un concert ; participants aux Journées Mondiales

40 Fontanille (1989).
26 Les émotions dans les interactions
de la Jeunesse) qui mettent le téléspectateur en position distanciée
d adhésion ou d'ironie vis-à-vis d'une télévision euphorisante.

La topique de l angoisse et son opposée l espoir


L angoisse
est un état d attente déclenchée par un actant-objet inconnu
mais qui représente un danger pour le sujet ;
le sujet mobilise donc un réseau de croyances qui lui fait
envisager différentes représentations, toujours négatives, de cet
objet (cosmiques : le trou d'ozone ; biologiques : épidémies ;
sociales : guerre, criminalité, chômage) vis-à-vis duquel il reste à
distance, en attente de savoir (il dit : qu est-ce qui m attend ? ) ;
ici aussi, le sujet s essentialise en être-en attente-menacé qu il
exprime de façon élocutive (il dit : je suis angoissé ).
D autres figures appartiennent à cette topique avec des variations
de degré : l "ennui", la "peur", la "terreur" (= "être terrorisé").
La monstration de scènes de panique, avec gros plans sur des
visages exprimant la terreur, les interviews de témoins qui se
trouvent dans un malheur répétitif (guerre en Bosnie, éruptions
volcaniques) font partie de cette topique et mettent le télé-
spectateur en position d'avoir à partager ou refuser la menace ou la
peur.
L espoir
a les mêmes caractéristiques que l angoisse, mais dans l attente
d un bienfait, d un événement heureux, d une amélioration de la
destinée ;
du coup, léger mouvement du sujet vers cet objet inconnu,
mouvement de confiance dans son avènement et de son effet
positif. Parfois, apparaît un tiers intercesseur qui est imploré.
Autres figures : la "confiance", le "souhait", le "voeu", l "appel",
la "prière".
Les témoignages de confiance des notables et les messages
électoraux des hommes politiques, ainsi que les commentaires
journalistiques lors des prises d otages, des guerres (de ce qui dure
et dont on souhaite une issue positive), actualisent cette topique et,
comme précédemment, mettent le téléspectateur en position d'avoir
à partager ou refuser l'espoir ou la confiance.

La topique de l anti-pathie et son opposée la sym-pathie


L anti-pathie
est à considérer comme une attitude réactive double, dans un
rapport triangulaire : victime d un malheur, responsable du
malheur, sujet observateur-témoin. L actant objet est donc
Problématisation discursive de l émotion 27
dédoublé en persécuté et persécuteur, et le sujet observateur-
témoin se tourne vers le persécuteur ;
le sujet est à la fois en état d indignation face à une victime
persécutée (il mobilise des croyances sur le bien et le mal et sur les
rapports de domination41), et en comportement de dénonciation du
causateur de la souffrance d autrui qu il exprime de façon à la fois
élocutive et allocutive (il dit : je dénonce et j'accuse X ! ). L anti-
pathie est toujours orientée contre quelqu'un. Elle ne doit pas être
suspectée d a priori ni contre le persécuteur, ni en faveur du
persécuté ;
l indignation peut être proportionnelle au degré de douleur de la
victime et donc au degré de persécution ;
cette indignation peut se retourner contre le persécuteur (elle est
dite unanime et homogène , comme celle qui dénonce les ex-
nazis) ; elle peut se retourner contre la persécution elle-même (elle
est dite éclairée 42, comme celle qui s'exerce en défense d un
condamné affaire Dreyfus ). Dans les deux cas, elle peut
susciter un programme de vengeance43.
Autres figures, plus ou moins intenses : "indignation", "accusa-
tion", "dénonciation", "colère", "haine".
Cette topique est souvent actualisée, à la télévision, par la
description des affaires qui cherchent les responsables des méfaits
commis44, la monstration des manifestations de protestation, la
mise en scène de débats (types Droit de réponse, Ciel mon
mardi!). Elle promeut une télévision dénonciatrice qui met le
téléspectateur en position de moraliste.
La sympathie
résulte également d une attitude réactive double, dans un
rapport triangulaire, mais cette fois le sujet est tourné vers le
persécuté ;
le sujet est alors en état d attendrissement (croyances morales)
vis-à-vis du persécuté et en comportement d aide pour soulager la
souffrance de celui-ci (il se donne une image de sauveteur) qu il
exprime de façon élocutive et allocutive (il dit : je vous aime ! ) ;
ce mouvement ne doit pas être suspecté de parti-pris. Plus le
persécuté est anonyme (archétype) et obscur, plus la sympathie est
justifiée45.
Autres figures : la "bienveillance", la "compassion" (qui est plutôt
individuelle et exige une mise en contact des corps, ce pourquoi

41 Boltanski (1993 : 98).


42 Id.
43 Greimas (1981 : 23).
44 À propos de la mort de Diana, la valse des responsabilités autour des papa-
razzi, puis du chauffeur puis de l'hôtel Ritz, puis du complot.
45 Voir l'explication du Bon Samaritain proposée par Boltanski, op.c. (25).
28 Les émotions dans les interactions
elle s'accompagne souvent de silence, comme dans le cas d'un
enfant violenté), la "pitié" (qui est plutôt collective, quantitative,
abstraite et universelle, ce pourquoi elle peut s'accompagner de
discours, comme dans le cas des victimes d'une catastrophe
naturelle)46.
La télévision dite compassionnelle active cette topique par la
monstration des victimes d'un drame, de populations souffrantes
(les sans-logis), de scènes humanitaires, mais aussi par l'organi-
sation de campagnes de solidarité (Téléthon) et par les interviews
de confessions et d'aveux (Bas les masques). Le téléspectateur est
encore ici en position de moraliste.

La topique de l attirance et son opposée la répulsion


Attirance et répulsion correspondent également à une attitude
réactive dans un rapport triangulaire, mais l'attitude du sujet est
plus intellectuelle et son comportement plus inactif47.
L attirance
le sujet est tourné vers un actant bienfaiteur qui a donc déjà
réparé une souffrance ;
il s en construit une image intellectuelle positive de bienfaiteur
idéal qu il essentialise en héros ;
il a un mouvement d approbation vers cette image qui
cependant reste extérieure, et il y adhère sans autre action possible
que de la suivre. Il l exprime de façon délocutive en disant : il est
admirable .
Autres figures : l'"admiration", la "ferveur", l'"engouement",
l'"émerveillement", le "ravissement".
La télévision active cette topique à travers la monstration et le
traitement de figures charismatiques (le Pape, l Abbé Pierre,
Bernard Tapie)48 et le téléspectateur est mis en position
d'appréciateur ayant de l'admiration pour ces personnages.
La répulsion
le sujet est cette fois tourné vers un actant dont il possède une
image négative de malfaiteur qui est essentialisée en méchant ;
il a donc, à l'inverse du précédent un mouvement de désap-
probation, voire de rejet violent de cette image, sans que cepen-
dant il soit en mesure de la détruire.
Autres figures : le "mépris", le "dégoût", l'"aversion", la "phobie".
La télévision active également cette topique par la monstration de
personnages charismatiques jugés négatifs (Le Pen) ou criminels

46 Pour la différence entre "compassion" et "pitié" voir Boltanski, op.c. (19).


47 Livet, op.c.
48 D où le soupçon ou la déception lorsque l'image est écornée (l Abbé Pierre et
l affaire Garaudy : Tapie et l affaire OM/VA).
Problématisation discursive de l émotion 29
(meurtriers, pédophiles), monstration qui met le téléspectateur
dans une position ambiguë de fascination (il est attiré par la
répulsion elle-même).
Pour être complet dans cette description, il faudrait maintenant
décrire ce que j'appelle l'"espace de stratégies" pour mettre en
évidence, non pas des stratégies émotionnelles, mais des stratégies
discursives susceptibles d'avoir un effet pathémique. Mais ce serait
déborder largement le cadre physique de cette contribution.

CONCLUSION
La conclusion sera double, d'une part au regard de la signification
de ce dispositif télévisuel et de ses stratégies de pathémisation,
d'autre part, au regard de la méthode d'analyse et de l'hypothèse
théorique qui la sous-tend.
Étant donné l'importance de la pathémisation à la télé, aussi bien
par le choix des événements et leur monstration, que par les effets
des stratégies énonciatives, toute tentative d'explication à la télé est
rendue quasiment impossible49. La visée de crédibilité du contrat
télévisuel est mise à mal du fait qu'elle tende à disparaître sous la
visée de captation. Viser à toucher l'affect de l'autre, c'est
neutraliser en partie, chez lui, l'activité rationnelle d'analyse, même
si, comme on l'a vu, cet effet passe par des croyances.
Le téléspectateur est ici mis en lieu et place d'avoir plus à croire
(c'est-à-dire à se prononcer seulement sur le vrai/faux) et à
ressentir (c'est-à-dire à réagir en fonction du sentiment du
bien/mal) qu'à comprendre. Dès lors, le risque pour la télé est celui
de la perte de légitimité puisque son contrat lui donne vocation à
informer et que pour cela elle doit se montrer crédible. Les chose
se passent alors comme si la télévision ne pouvait récupérer de la
légitimité en prouvant que ce qu'elle montre est authentique.
La télévision manie le paradoxe du dire vrai . Le vrai , ici, n'est
pas ce qui est démontré et prouvé ; le vrai n'est pas ce qui ressort
de la confrontation des croyances comme une vérité moyenne. Le
vrai est ce qui se ressent et ne se discute pas. En effet, quel
soupçon sur l'authenticité peut naître : d'un témoignage qui
exprime de la douleur ou de la joie ; de la monstration d'une scène
d'horreur (Timisoara) ou de liesse (la Bastille en 81) ; de la mise
en accusation d'un persécuteur (Mobutu) ou de la glorification d'un
bienfaiteur (l'Abbé Pierre) ; de la mise à nu de l'intimité souffrante
d'un autre moi-même (les Psy-shows) ? Et plus l'image exerce sa
fonction monstrative (direct) et visualisante (gros plan), plus elle

49 Voir notre "La télévision peut-elle expliquer ?" , Colloque de Cerisy, Penser
la télévision, (Actes à paraître).
30 Les émotions dans les interactions
nous donne l'illusion que ce que l'on voit ne peut être que ce qui
est .
Tout cela est in-dis-cu-table , c'est ça la vérité du pathémique.
Pour ce qui concerne l'aspect théorique de cette communication, il
s'agit pour moi d'insister sur le présupposé qui est que les signes
sont consommés à travers des dispositifs de communication. Ces
dispositifs assignent par avance une place aux partenaires de
l'échange et donnent en même temps au récepteur une grille de
lecture du signe. C'est ce qui fait qu'un même signe est lu
différemment (et donc fait sens différemment), non seulement
selon le contexte, mais aussi selon le dispositif. Tout dispositif
"phagocyte" la valeur, supposée générale (anthropologique), du
signe pour la remettre sur le marché de la consommation du sens
social. Dès lors, comment juger de la validité de l'effet pathémique
d'un énoncé si je ne sais pas dans quelle position on me demande
de le consommer ? Est-ce comme interlocuteur impliqué,
téléspectateur, consommateur de publicité, membre d'un Conseil
d'administration, lecteur d'un article scientifique ? Le contrat de
communication est la première surdétermination du sens de
discours. Et si je voulais terminer sur une note un peu
provocatrice, je dirais qu'en fait il n'y a pas de savoir de langue qui
ne soit du savoir de discours, et qu'il n'y a pas de connaissance
prototypique du monde (pour parler comme les cognitivistes)
qui ne repose sur du savoir de croyance .

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