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Les themes de I'cau et du feu reviennent avec une friquance remarq:ıable des fes
premiers poemes datant des annces de ıa.premiı~reguerre mondiale. Leur presence
privilegiee s'affirme indeniablement a travers les dominantesprofondes de I'univers
poetique eluardien multiple en sesapparances, uniqı,ıeen sa realite. Ccs deux iMments
fondamentaux participent par leur dyriamiqueil la transfigurationde I'universen-
tier. Se faisant tres soovent I'echo de la conscience individuelleau coııective, ils sont
assoeib ~ des formes, des activites et des aspirations humaines. lls nous rendent sen-
sibles par I'exaltarite ~vocationdeleu rs diversesapparenceslı cet univers,anime d'une
2
exceptionnelle mobilit~ auquel se trouventegales I'aimee et I'amant, realite primor-
(*) Yrd. Doç., Dr. H.U. Fra.nsız Dili ve Edebiyatı Anabilim Dalı
(1) L '~dition de r4r4rence est Paul Eluard, Oeuvres completes, 2 vol., Gallimard,
"Bibliotheque de la P~iade, Paris,196S. Pour, ehaque eitation,nous avons indiqıı~
au bas des pages les titres des reeueils de poemes;le' ehiffre ı;omain est le nO du
tom e,dans lequel elle figure. il est suivi del'indieation de la page.
(2) II fi'est pas saM in~r&t de noter que la mobilİt~ unİverselle est ala base du sys-
poetes d'au-
te'me 'cosmogonique d'Ehwrd.Louis'Parrault(PaulEluard,) Col!., "
64 .
LA SYMBOLlQUE DEL'EAU
.
ETQU FEU CHEZ PAUL ELVARD
.
"
(3) L'homme, ıe- pb'bte et l'amant (Elllılrd) y ~nnns6parablement unis ainsi que
la femme et l'aim~(Ga1a, Nusch, Dominique) dans les diverses parties de la vie
a
du p~te. lls Se substituent spontan~ment l'tın l'auf;re.
(4) Nous aurions aime chercher l'origine des empreintes mouvantes de l'eau et du
feu dans les detai1s!)iographiques du,p~te, et nomınment dan~ ses \ongs sejours
a Davos (Suisse) OÜ il etaitsoign~ dans un.sanatonum (1912-1914). Mais les in-
'suffisances des donn'es biographiques henous permetıent p.as ici de le faire.
Cetteville ch~mante l'aurait sans doute sensibili~ par ses paysages de Imonta-
gnes et par seschamps de neige. En effet, c'est la qu'Eluard, livrJ a ses reves, s'est
refugi~ dans la lectu~ Classique et moderne et c'est l}ı qu 'il a eu le go~t de la
r~verie et qu'il a connu la fasci~ante r6velation de ramour, qui restent deux
constantes de sa nature. "La guerre, disait.i1 en 1946,les deux guerres Qnt eu
sur moi une infliıenCe comme tout &Jnem~nt de ma vie, mais moins sans doute
que mon enfance, ma formation, mes amours "Poernes retrouvb.s, n, p. 873.)
KEMAL öZMEN 65
Mille liens les attachent aux ~tres et aux choses memes les plus disparates en appa-
renec, et mille rapportsmanifestes ousous-jaeents s'etablissent entre eux. lls pren-
nent place dans I'ordre des ~treset des choses entre lesqııelsil ıı'ya pas de djscontin~
ite,
C'~st I'oiseau
, .,ae'est I'enfant e'est le roe e'est Laplaine
. Qui se melent nous
L'or ~Iate de rire de se voir hors du gouffre
L'eaule feu se denudentpour une seule saison
II n'y a Pi\s d'eclipse au front de ('univers(6)
~ant au feu, bleıncnt originel par excellence, il fait songer au feu heraclit6cn "6ter-
nellement vivant", çcntrc g6nerateur dc toute chose et de tou te vie. Ce gcrmc cr~a-
teur et illuminatcur qui anirnc tout ct aqui tout doit d'cxistercst ?ı"rcproduirc"
sans cesse dans son po ncipe vivant, et ilexige de tout ~tre une participation constan-
ı
te o
11 y a du feu sous roche
ıı
Pour qui eteint le feu
. . i , / /.. / / I.
. i
Les attrıb uts ınherents a ces deux e iements, sooree de regeneratıon,preservent
I'ordrede I'univers de toute destruction.Par le potentfel rigoureux de leurforce, ils
sont le plus s~r garant de tout ce epi favorise la continuit6, la beaud et la puret6
lumineusede ('universp06tique. lls son1 incorruptibles et indestructibles.
Principes de vie, ils prennent une telle forceei une telle densit6 <pe tout I'univers
semble ~tre affecte par leur puissa"ce benifique.La premierebrise la mort et sa nuit
par I'ardeur vitale ei la luminositequila caracterisenttandis que I'autre, subst;mceaqua.
tique concentree,forme des sa naissanceunmonde dos et epanoui en lui-m&ıe, et
prtfigure par'la suite une genese fulguıante dans cet espace hostile et st~rile~nI'ab-
reuvantet le remplissant d'une pl~nitude.
ii
inhabituels et fornıent des inıages qui deconcertent tr'es soovent parleur edat insoli-
te. Ces dernieres paraissent alors detach~es de tou t lien logique.
14
Plunıe d'eau daire pluie fragile
15
Ton exp~ıience'sur Ia-paillede I'equ
16
Les feux noy~sdu verre
ı?
Le feu du soir e"t un serpendı la tete fröide
Cependant, desimages surgies de ce rapprochenıent arbitraire cr~ent des rapports
vivants et sensi~les correspondant ala symboliq.ıe ~Iuardienne de latransfiguration,
d'ou ['aboUlion. des structures conventionnelles du monde. L'eau et le f~ n'y con-
naissentaucune barriere, aucune.linıite.lls s'apprqpıieht demanihe laplusimprevue
les attributs des choses, et r~ciproquenıent. lls accentuent la m~tanıorphose des ap-
parences; les formes, les couleurs et les sensadons se confondent.
.
Voici qJe .Iesgouttes de pJuie
iii
Deviennent les oiseau~
Le flot de la ıivihe
La croissance du ciel
Le vent la feuille I'aile
'Le regard la parole
Et le fait qJe je t'aime
20
Tout est en nıouvement
Par son soleil, principe menıe de La vie, et ses innombrables astres le ciel a substance
fluide. ii entre dans le cercle des choses immediatement tangibles.
21
Lourd le ciel coole il pk
Et des images comme "la mer du ciel", "la mer des ~toi1es", "Ies sources du soleil"
font appel ~ I'immensit~iIlimitee, a cette ~tendueinfiniment fuyante. Le soleil, feu
du ciel et signe de vitalit6, possede aussi fes attributs essentiels de I'eau. ii est evoquıf
comme une SQurce d~sal~rante, fratche et Iimpide dans une fusion cosmique du vege-
. .
tal et du celeste.
Un bel arbre
Ses branches sont des ruisseaux
Sous les feuilles
lls boivent aux sources du soleil 22
Le ciel et le soleil ne sont pas les seulsa se voir attribuer les caracteristiques de
leau, mais aussi les elcments-terrestres. Le v6g~tal,organiquement lil1 la terre et a
I'eau, est consid6n~comme un licJıide intime, doux etraffraichi.ssant.
La terre en arriye m~e, dans sa masse lourde,a envahir le ciel 24qu'elle remplit de
ses eaux et de sa verdure.
C'est Lalune qui estau centre de la te~re
25
C'est laverdure qui couvre le ciel
Le ciel, peupl6 du v6'ge'tal, devient une prairie naissante que I'eau impregne agr~able-
.
ment.
Sous le poids du soleil vert
Les nuages disparaissent-
Dans leureau pure les betes
Fendent les arb res du. cie i 26
iii
_._~--
KEMAL öZMEN 69
La {usian de l'eau "et du feu s'opere d'abord par I'echange de leurs propres qualites.
Le feu peut facilement se liqu'fier, et I'eau prendre feu.
~
--
70 LA SYMBOLIQUE DE L'EAU ET DU FEU CH'EZ PAUL ELVARD
Les elements dynamisent avec plus de foree q..ıe jamais la profonde e.ı douee intimite
q..ıi existe entre eux et (es amantsı symboles de l'humanit6 enti~re.
,
KEMAL öZMEN
71
. "Pour vivre ici" compos~en 1918, au front, dans les conditions durcs de la guer-
re contient en genne la symbolique des ~16Olents en relation ~troite avec l'humain.En .
qu~te de quelque support contre la s6litude physique etmorale due aux privations
irnpos~es par la guerre, Eluard prend contact avec eux:
/
.
Je fis un feu I'azor m'ayant abandonne.
Un teu pourıtre son ~i
Un feu pour Ol'introduire dans la fluit d'hiver.
Un feu pourmieux vivre
(37)Ibid.p.1032
~ -_.~~.,
: ~-~-~.
Ce "feu lucide"5C marıifestant sous le şigne d'un pur dynamisme r~veleau po~te la
'pr~sence d'un ~tre do~ d'un fascinant rayonnement: la decouverle du principe ri-
minin lui pennet de se d6livrer de I'existence solita.ireet de suımonter I'angoissede
1'6tendue d6serte, I'impuissance du vide int~rieur. L'aim6e joue au m&1e titre que
I'ea.! et le feu un rQle d'initiateur, et .wace it elle 'I'absence devient pr~nce et pl6-
nitude; C'est d~sormaisautour d'eux, "deux gouttes d'eau" qui se refl~tentet se fas-
cinent mutuellement, que leselements se juxtaposent, se combinent et se concen.
.
trent en une v6ritable ~ymbiose.
Non seulement elle le comble parsa presence, mais elle s'y assimileentib-ement. Le
sole~, "mere Confiance", est"la traduction la plus revelatrice et la pius heureuse de
c~tte identification totale; feu,*n~fique, ast-recentral provocateur de lumiere, de
maleur et de vie, ce grand ranimateur d'existence r~and ~profusion par son rayon-
nement vivifiant sonlnergie f~condantedans toutl'univers.
ı
Le suis ensoleill6 car elle est le soleiı4
(38)La remarque de Bachelard est nes significative 1 cepropos:"Eluard avait mis une
~tincene c~anteau centre detous ses pÖemes" (Germe et raison dans la ~o~s{e.
d:Eluard, in Europe, Paul Eluard, numero spedal,.p. 61.)
(39)Poesie ininteTTompue, ll, p: 672..
(40)Lesdessousd'unevie, ı,p.204.
(41) Une leçon de morale,lI, p. 320
--
KEMAL öZMEN 73
4 ~
Tu es le grand soleil.<pime monte ~ la t~te
Sans songer a
d'autres soleils
Que celui quibfille en mes bras 43
"La femme aim~e fait detout~tre Leprochain, son amour se diffuse en sympathie
universelle"44. "Re'vel~e a I'infini':, celle ': ci change perp6tuellement de forme, de
couleur et de visage. Peu de sensationsplus exaltantes ""e de yoir {JIe toutl'univers
setrouve humanisl et que I'aim~een devient un itemel pJincipe d 'identification.
ii
de p€l~inage.
Ma foi est en toi si bitm entou..ee
De terre et d'eau si bien COllyerte
46
De soleil fraiset de nuit ci aire
Elle est assimu6e'it I'eau, ~ la f~minit6 de sa substance. Cette eau n'a pas deprofon-
deur; elle Ii'est autre qu'une puresurface, promesse dereflets. Le regard de I'amant
iouit infinimentde sasoomoce matricielle.L'eau feminis~eest lafemme .. liquefiee,
et elle est amoureusementconternplbe.
Le mouvement qui agite Lasurface de I'eau est suivitout de suite par un mouvement
inverse; la nappe d'eau retrouve sa forme initiaı'e; L'eau calme et sereine refl~tant
dans toute son 'etendue I'image rayonnante de l'ami6e participe des mouvements
corporels.Le parallelismeoriginel qui s'Mablit entre le corps feminin' et te deploiment
de I'eau apporte du charrlie, de la douccur et de la tendresse. Le troisim,e vers:ampli-
fie la vision, et I'union intime de I'eau et de "l'~temel {eminin" s'accentue par une
identification fondere. L 'eau apparait alors dans sa ~alite originelle et eıbnentaire,
massive,pro'fonde et froide; "Ses abfmes" 6voquent le chaos t~nebreuxdes origines.
Mais, la femme, initiatrice du monde, anrı.ıle tous les mysteres, 9.JpprimeI'invisible.
et les i"vestit de ses qualit~s.Elle en changele cours, i'adoucit, l'illumine,l'humanise
et la fJminise. C'est ~sormais dans les t'JUX douces, pures et claires que la femme
s'aftirmera comme veritabrema1tresse.
Par sa fonction "narcissi~e", I'eau est toute miroitante d'images; les @treset
les choses sont d~oubh~s ~cieusement ~ sa surface et leurs reflets lumineux s'y
cristallisent. Tout trouve sa pl~nituded'~tre dansun miroitement et dans la fratcheur
luisante de I'eau pure. Et le reflet de l'aim6e s'y re~le comme une evidence ravis-
.
sante.
Le visage de I'aimbe apparaissant com me une r~alit~ lumineuse devient soit un soleil
.
quieclaireet rechauffele monde,
,
Le soleil nu de ton visage 51
(48)M~dieuses, i. p. 901.
(49)Ibid, p. 899.
(50)Leda. II, p. 264.
(51 )Le livre ouvert. I, p. 1035.
KEMAL öZMEN 75
Non soorement les yeox se renvoient la lumiere et se ~flechissent tendrement les uns
dans las autres, mais les I~vres, les paroles, les mains et
L'indentification avec la mer se ~vtle interessante a plus d'un titre. Tout d'abord)a
mer, ('un des plus grands,des plus eonstants Symbolesmaternels,et la meresont, I'une
et I'au~e, rtceptacles et matrices de la vie. Elles sont conçues eanme element uni-
verseliement nutritif. Deplus, il n'y a pratiquement pas de'diffbe nce de valeurpho-
nique en.tre les deux substantifs. La mer, par les ondulations et les bruits rythmi-
ques de ses vagues argent~s semble balancer doucement lasreflets mouvants et
phosphorescents des etoilt!s comme u,nemm berçant son enfant dan'sses bras. Cette
image matemelle de I'eau ~voque~galementdeux de ses attributs essentiels: la pure~
et la limpidit~,qui deviennent en mQme-tempsceux de l'aim6e.
(52)M~diuses, I, p. 899.
(53)Po~sie ininterrompue, II, p. 27.
(54)Comme deux gouttes d'eau, I, p. 412.
(55 )Corps mlmorables, II, p. 134.
(56)Les sentiers etles rou tes de lo poesie,ll,p. 604.
(57)Le tempsdeborde, iı,p.114.
76 L.A $YMBOL.lQUE DE L.'EAU ET DU FEU CHEZ PAUL. EL.VARD
Capricieu se et chaude
Changeantecommemoi 58
Cette complicitt intime entre I'aimte etja mer prouve ~'eUes sont le produit de La
m~e substance vivante, dynami~e, r6ceptacle des passions violentes.
Parfois, chose rare, il se trouve que le..{eu, malgre son principe mdle, s'assimile
~elle. Dansce cas, il ne lui communi~e ~e son dynamisme et sa force regentratri.
ce. Comme le soleil par ses rayons, le foo par sesflammes symbolise I'action ficon-
dante, dirigeante et illuminatrice. L'aim~e, h-e,flamboyant sans la~elle la flamme
vive du monde s'~teindrait,est I'essencem&ne de ıicreation. Elle est
1\1
,
Detou~ les orgaı:ıesdu corps, l'oeil est le seuf ~i soit le plus inten~ment valo-
ri~ par Eluard suivant qu'iI se rattache aux diversattributs del'eau et du feu; il peut
i"se noyer' de I"-rmes" ou bien "lancer des €clairs" Ilıest, avant, toute choSfl, une
etendue d 'eaupure oil ~ miroite tendremeıittdut un monde de mouvements et de
lumiere. Vivifi6 par sa substance hydri~e, ii permei cette douce 'pen~tration de
! i' amour qui s'anime et $!irradiedans tout le corps. '
------
KEMAL öZMEN 77
L'oeil focalise, par son intensite rayonnante, le monde reel, favorise I'elan des for-
meset caractirise leur ividence.' ' '
Un nayiredanstes yeux
Se rendait maitre du vent 6 s
66
J 00 rs des paupi~res closes ~I'horiion des mers
Dans son printipe suprfmement actif, le feu cherche toujours te douxfoyer de I'oeil
et d~sire ardemment le penetrer. C'est la qu'jf Mcouvre le ryid le plus sur, Le plus
fidele et le plus cammode, et c'est la qu'it pcut perpetuer sans cesse sa presence en
uneconcentration lumineuse. '
Le fcu eouvant dans I'oeil eonfere au refPrd une animation profonde et une foree
pas$ionnee.Chaque,oeil po~de sa propre flamme.
7z
L'amour choisit I'amour sans changer de visagc
Le regard de I'amant decouvre dans.les yeux de I'aimee son image et son reflet
a
lumineux. Tous deux sont reduits leurs "yeux liquides" et il~eurs"regards de feu"
qui s'illuminent I'un I'autre et tout I'univers. Les regards se font respectivementmi~
roirs d'ou jaillit une t1ammefertile, douce etdynamique face au voile epais de la nuit.
LV
,II n'est done pas suprenant quela femme, ~tre erotique, se confondant cıtout dans
l'univers erotise toute vision. L'erotique eluardienne d'une remar~able franc:hiseet
librement ouverte aux "jeux du desir', de I'exıase amoureu.setrouve dans I'eau et le
feu deux composantes essentielles provo~ant un9 exaltation continue et lucide du
.,'. "-
desir.
-
"La voix, les yeux, les mains, les levres toutes choses ~i appartiennent il I'ordre'
de la biologie humaine. sont pour Eluard deselements.au meme titre que I'~u,
I'air ou le feu..75
Dan.s ce oouvel univers dont les CJJatre eıements sont familiers, I'amant se sent irre-
sistiblement attire par le "paysage feminio" debÔrdant devitalite et d'ardeur, et exal-
te I'amour camme une certitude pleinemeot aCCJJisc.
ainsiqıe ,la ch~velure; denouee etondoyante sur les €paulesnues de "aimee, elle
enrichit toute-la symboiiquedes eaux claires doucement mouvementees, source de
toutes les ferveurs 83
(78)Les animaux et leurs hommes, I, p. 47.
(19)La rose publique, I, p. 418.
(M)Voir,n, p.181~-
(82)La vieimmediate, I, p. 371-
(83)Les mouvements de la chevemre, selon-I'expression de Bachelard, "excitent les
fremissements onduleux semblables aııx t10ts d'une mer phosphorescente"
(G.Bachelard, L 'eau et les reves, p. 117). Jean - Pjerre Richard en donne eneore
plus de pr4cision: "Tout en elle ondule: ses veternents ondoyants etnacr~s, ses
hanches qui roulent ayee I'harmonie .ryt1\mique d'un beau navire,sa peau qui
miroite comme une etoffe vacillante, sa chevelure qui d~roule sur le eou son
ocean de tresses" (J. -P.Rich'ard,Poesie et profondeur, Seuil, Points, 1976,
p.145.)
K EMAL öZMEN
81
Le feu, com me I'eau, recueille egalement en tui des valeurs sensue lles. Sasi~
gnification est Jiee d'at>ord a' ,son obtention parfrottement qui est une experience for-
.
tement erotisee. Les caresses sont, en fait, les frottements des deOx corps, et de ces
caresses na!t La fI<I!11meardente de I'amouf charnel. Obtenu par frottement, ce "feu
lucide" du desir s'empare des corps, des yeux et des coeurs. L 'ardeur, I'enthousi-
asme et la force virile proc~dent de luijsi I'homme est pJein de feu, c'est parce que
{JJelque chose brOle en lui.
.
Un feu d'homme.un seul feü d'homme
Un seul baiser
116
Et ce {JJi do it brOler brule
"Apres le desir, il faut CJ.Ie La flamme aboutisse, il faut CJ.Iele feu s'acheve et CJ.Ieles
destins s'accomplissent" 90. Le des.ir amoureux trouve $On apaisement dansıles cen-
dres du feu chamel. Ce feu devarant laisse par saviye impression CJ.IelCJ.Iechose de
brulant, de corrosif, et il marCJ.Ie les ~x corps de $On empreinte {JJ'est lacendre,
residu de lacombustion; elle est essentiellement ce qui reste apres I'extinction du f~
vivant, I'empreinte des desirs assouvis.
Le feu charg6 du d6sir s'unit ason principe antagoniste, I'eau. Des CJ.I'ilse propa.
gea la chair feminine
---------
KEMAL öZMEN
83
L'eau et le feu depassent largement par leur riche dynamisme et leur rythme
a
~a~diose les cadres restreints de I'amour. deux et finissent par acq.ıerir unesymboli-
que moralisante a travers les !fand's remous socio.politiq.ıes qui ont secoue vivement
la France et toı.ıte I;Europe, Eıuard, demeurant profondement sensiblecila miser~hu-
maine, ne se sep'arepas de la communaut~souffrante; il nourriten tout temps I'i-
dee d'espoir et de liberte et aftirmc atout instant sa tenace contiance en I'homme et
en I'avenir, tous deux symbolises freq.ıemmentpar I'eau et le feu, Ces demiers 9Jb -
stituent constamment auxforces malefıques his plaisirs d'une vie libre et fraternelle,
maintiennentde toute leurforce cet "empired'HüMME" en'proie unedestruction a
tragique et aident aconstruire un monde pacifıste ou il fa,it bon vivre.
des hommes et renforce, chez eux cette volonte de "resistance". Par sa vertLi,elle
efface toute "souillure" etcommunique sa purete a tous les corps, a tous les esprits
epris de liberte et de bonheur; elle guerit, rajeunit et conduit a une.nouvelle nais-
sance.
Les grandes etendues d'eau comme la mer et l'o~an symbolişent constamment les
aspirations vers la liberte. Elles donnent it la we un grand elan, a I'espoir et a 1'01'.
timisme ulıe grande poussee que nur ne pourra brlser. La mer e'Staboutissement de
totıte eau, et par ce caracıere de receptade elle donne mouvement etvigueur c.e a
qu'eJle symbolise.
Nous fUmes a la source et Lamer n'est pas loin 99
ı 00
Au. grandair de la mer fIeur de fratemite
a
De la source cl la mer, de la mer I'ocean I'eau aspire toujours a une ~tendue plus
vasie~ Elle s'etend dans toutes les directions des qu'elle trOtM une pente~Ce pouvoir
im!sistiblement .c!manatoire de I'eau amplifie
. la vision et d~loie la certitude et
le rayonnement des jours a.venir.
les combattantspuisent leur force vitale ;} I'eau vive, pure etfecondante que r~an-
d~t\ 'les saurces, et le (leuve devient le symbole de leur puissance Invincible. Cet
ecouhiment c'ohtim des eaux .est donc lapromesse genereuse d'une ouverture vers
". valeur essentielle.
" de la liberte,
la conquete
Cercle apres cerde
Lesvagues oceaniquesde I',;tyenir
ı
Se dilateront s' agwanditont 02
l;es vagues animees sans cesse par l'espoir,1a forceet l'union fratemelle sont asso-
ciees cl la marche progressiye del'tıJmanite, a
son ascensiQnde telle sorte.-qu'elles
deviennent une immel1seet seulevague ch;ıl1tantet exaltant cl I'intini
. la lforce "Iu-
minatriceletuniticatrice de I'amour, de la fraterniteuniverseJle.
Exiles prissonniers
Vous nourrissez dans i'om bre
Unfeu quiporte I'aube
! 06
La fraicheur et la rosee
-
L 'arbre s'abat le foo s'eteint
Le pont se brise comme u n os 108
Au dCclin de la force
Un feu tres sombre rleambule 109
ii couve effectivement "sous roche"" sous I'amas de sa propre cendre dont il tire
sa force. ii peut de nouveau recon~€rirsa vivacite, embraser fes coeurs et al}imer
,I'universde sa lumineusefecondite
"Le Chant du feu Vain~eur du feu" illustrc de maniere sollenelle ce pouvoir extra.
ordinairement regenerateurdu feu etenfaitun hymneplein d'ardeur. ce feu atlume
sous l'Occupation, epoque de I' "ombre", de la "rIJit" et du malhet.ir. intensement
\.ecu, est le meme feu qu'allumaitfluard sur le fronten 1918, dans Lefroid glacial
d'une nuit d'hiver. Soncheminementdebu~ acette date se poursuit sans relache,
et le feu s'impose toujOUr5 comme une obsessfon de continuite. Le poete n'est pas
seulcette fois. Ses freres ont livre Un "combat sacrefl pourbCnirleur "sang reb~lIe"
-~
--------
87
KEMAL ÖZMEN
la cause du mal est done ici la manere elle-rnenıequi comporte une pulssancefatale.
l'eau, quand elle est. "close", "souple" fermee". "noire", "Iangoureuse", "mys-
terieuse", "\ivide", "deserte", i'immobile", morte, dQrrnante,profonde, insonda-
~-
KEMAL öZMEN .89
a
ble et tenı~breuse inspire Eluard une peur paralysante. Et lorsuque'elle a tendance
a s'obscurcir, elle ne peut .alors fusionneravec la lumiere solaire, et elle n'est plus
capab le de reflet, principe fondamental de la reciprocite u'liverselle. U ne fois (JJ 'elle
perd son pouvoir ref~echissant, elle devient lourde, impure et desehe, done receptıc-
de ouvert a tous les maux; elle devient une substance du mal dans laquelle la vie s'en
glue et s'asphyxie.1 1 7
L'eau-notammentI'eau de la mer -peut etre agitee o-u en fureur dans son etendue
massiye et lourde; impossible alors de ,.esister<!evantla puissance d~vastatricede sa
colere:
L 'eau se wottant !es mains aiguise des couteaux
Les gUerriers orit trouve leurs armes dans les flots
Et le bruit deleurs coups est semblablea celui
Des rochers d~fonçant dan's la nu it des bateaux 119
(117) La mort ehez Eluard n'est pas le sHenee eternel; elle est heraeliteenne, un
"devenir hydrique", undevenir mns eesse renouvele. Ap.res la mort de sa plus
grande inspiratriee, Nusch, la nuit silencieuse.de la mort l'envahit un moment,
mais sachant qu 'elle est pour ~tre dominee et vaineue, illa traverse lucidement
pour retrouver la lumiere, l'aurore,eette promesse du jour. Et illa trouve ehez
Doıninique; les reflets foisonnent 'de nouveau 11la surface des eaux; le feu se
ranime. C'est done le ret~ur de l'eau et lıuevanehe du feu SUrla mort.
ı
"Tous les c omptexe s lies au feu sont des complex~ douloureux~'( 2 ı),
ı 22
La brulure de toutes lesmetamorphoses
Car, par sa substance avide et effervescente "il suggere le desir de changer, de presser
ı
le temps, de porter toute i~ vie ason terme" 23. De ce point de vue, il est propre-
ment destructeur, et il symbolise les forces obscures qui bouillonnent en nous, la
ferocite elementaire de5 instincts cpi nousdevorent; la destruction peut s'appliquer
a
alors la violence, ala malfaisance, a
I'injustice, et lefeu devient un objet de degout,
de crainte,une torture.
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ii y a desfeux de terreurs dans ta nuit
CONCLUSION
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,:,E:',1AL öZMEN 91
est comparable 'a touf et qtie "tout truuvc son ~cho, sa r.ıison, sa res5ı~lllbıance,
son devenir partout" 12\ ils proııvent 'lu'jls ne sont nullemen! inCCAl1patiblcs et
q,J' ils sont suscep ribles de fu sion entre eux oll avec les objets les plus varics de I'uni.
vers. ,Entre-tcıııps, si nombreux 'lur soient les autres termes intervenant dans 13 rela.
tion symbloique, ils contribucnt, chacıın asa m;ıniere, J ileur donner une color;ıtion
p3rticulicre q.ı i enrichit d;ıvantage leu r valeur symbolis3llte.