Vous êtes sur la page 1sur 4

Timothée Droulez

Romain Mangas

Matthieu Ranvier Mercredi 14 Octobre 2020

Peut-on réduire la négociation à un rapport de force ?

Intéressons-nous à l’étymologie du terme “négociation”. De cette façon, on constate


qu’il porte en lui les vestiges d’un univers commerçant. Dans la Rome Antique, le “negotiatio”
désignait en effet toute entreprise de négoce. Ce n’est qu’au fil des années que ce terme s’est
émancipé du seul domaine économique pour finalement atteindre tous les sujets liés de
société, jusqu’à la sphère politique. Ainsi aujourd’hui, le Larousse définit la négociation comme
l’action de discuter les affaires communes entre des parties en vue d'un accord. Mais
revenons à la seule négociation commerciale, puisque c’est celle qui nous intéresse
aujourd’hui et qui est définie comme un processus au cours duquel une ou plusieurs parties,
ayant des intérêts communs ou discordants, engagent des pourparlers au vue d’arriver un
accord. Le résultat est sans appel : l’objectif premier d’une négociation est bien d’aboutir à un
accord, c’est à dire à une issue consentie par les parties en présence. Nous conserverons ce
terme d’accord pour la suite de la synthèse, qui se distingue de celui de compromis, revêtant
un caractère péjoratif, ou encore de consensus, dont nous parlerons également.
Le second terme de notre étude est le rapport de force, qui peut être défini de manière
générale comme une situation donnée dans laquelle des parties clairement identifiées
poursuivent des intérêts propres sur un champ commun donné. L’Université de Bretagne
Occidentale met également l’accent sur le fait que même s’il s’agit d’une photographie à un
instant T, tout rapport de force est susceptible d’être modifié au cours du temps. Enfin, si le
rapport de force conflictuel entre deux agents peut sembler évident, parce qu’il suppose une
opposition de volontés, nous verrons qu’il peut également exister des rapports équilibrés et
mutuellement avantageux. A titre d’exemple, le terme est utilisé par Porter dans son modèle
des cinq ‘forces’ pour mesurer l’intensité concurrentielle d’un marché. Mais apparaissent
également dans sa représentation les logiques de fournisseurs et de clients, qui se rapportent
plutôt à des logiques de coopération.
Ces deux termes étant à présent définis, la question posée devient plus claire : la négociation
peut-elle être davantage qu’un rapport de force ? Peut-elle contenir des notions
supplémentaires qui ne rentreraient pas dans le périmètre du second terme ? Nous nous
affranchissons alors du mot “réduire” qui suggère un jugement de valeur du mot qui pourrait
biaiser notre réflexion. Quelle est la nature de la relation entre “négociation” et “rapport de
force” ? Le premier est défini comme un processus tandis que le second est une situation
figée mais… dynamique. Ce premier test ne semble pas concluant. Essayons maintenant
d’identifier un trait qu’ils partagent, soit la présence de protagonistes et la défense de leurs
intérêts.

Dans cette première partie, nous tentons de voir comment l’identification des tensions
des protagonistes peut donner un premier éclairage sur la relation entre négociation et rapport
de force. Dans ces deux notions, les protagonistes ont une singularité qui permet de les
identifier et d’identifier leurs intérêts. Dans notre synthèse, il peut donc s’agir de deux ou
plusieurs acteurs, groupes d’acteurs, structurés ou non en organisation, comme un boulanger
et son client, deux commerciaux, ou encore une variété de lobbies, dans le cadre d’un accord
de libre échange par exemple.
Notre position est que du seul fait de la singularité de chacun de ces acteurs, il existe un
décalage ou un déséquilibre des ancrages, façons de penser et intérêts entre ces derniers.
C’est ensuite le degré d’écartement entre ces ancrages, mais également l’ouverture à la
négociation des parties qui déterminent s’il y aura ou non un accord. Cette première partie
tente donc de démystifier le rapport de force, qui doit selon nous seulement être considéré
comme un état de faits, et non nécessairement comme un jeu de pouvoir.
Dans La prise de décision par Consensus : pourquoi ? Comment ? A quelles conditions ?
(1994), le politologue Luc Vodoz définit la logique du consensus comme une “forme de
négociation intégrative et coopérative (par opposition à la négociation distributive,
conflictuelle)”. C’est-à-dire qu’il plaide pour une communication forte entre les décideurs afin
de “trouver la meilleure solution possible pour ce groupe tel qu'il est à un moment donné”.
Mais selon Vodoz, le consensus se distingue du compromis et de l’unanimité par le fait que
les visions initiales et les attentes des acteurs vont évoluer au cours de cette négociation,
dans le but « d’atteindre un niveau de satisfaction maximisé ».
Les avantages de ce mode de prise de décision sont donc en premier lieu la qualité de la
décision et la satisfaction des acteurs, du fait que ce choix ait fait l’objet d’une longue réflexion.
Mais il favorise également et surtout une appropriation et une adhésion du contenu à tous les
décideurs, ce qui va permettre un « accroissement des chances de mise en œuvre de la
décision ». Enfin, la recherche de consensus va selon lui être une « opportunité pour favoriser
une interaction constructive et explorer des solutions inédites », à l’image d’une phase
d'idéation, dans le cadre d’une tentative de conception de produit innovant par exemple.
Bien entendu, dans son ouvrage, l’auteur ne prétend pas pouvoir trouver une issue à toutes
les négociations données grâce à la logique de consensus. Mais dans notre devoir, il indique
que la négociation doit essentiellement passer par la communication, et donc la
reconnaissance du rapport de force. Nous avançons donc notre premier argument : en
l’absence de rapport de force, il ne peut exister de négociation.

Mais dans une réalité commerciale, réalité à laquelle tout le monde est aujourd’hui
confrontée, la seule reconnaissance du rapport de force permet-elle de mener une négociation
? Dans l’article L’évolution des rapports de force en négociation (2004), Alain Pekar
Lempereur estime que les différentes théories des jeux ne parviennent plus à expliquer les
rapports de force du fait d’un déséquilibre émergent entre les parties. Il prend ainsi l’historique
exemple de la dissuasion nucléaire pendant la Guerre Froide, qui supposait une forme
d’”équilibre bipolaire”. Ce supposé équilibre se retrouve selon l’auteur dans la plupart des
théories des jeux. Nous citerons par exemple le célèbre dilemme du prisonnier ou encore la
Chicken Tactic, qui consiste à augmenter une tension continuellement et attendre de voir quel
acteur lâchera en premier. (C’est par exemple le cas lorsque deux véhicules se foncent
dessus jusqu’à ce que l’un dévie. Le vainqueur est alors celui qui a conservé sa trajectoire
tandis que le perdant est une “poule mouillée”).
Selon Pekar Lempereur donc, la fin de la Guerre Froide et la multipolarité se rapproche de la
réalité commerciale. Il faut alors selon lui “rompre avec le fantasme de l’égalité des
protagonistes de la négociation” et admettre qu’il y a désormais des plus forts et des moins
forts, avec des ressources et des moyens de persuasion inégalement répartis. Cette réalité
commerciale présente un déséquilibre initial et une asymétrie des gains, et tandis qu’un
négociateur tente de rééquilibrer le système en sa faveur, l’autre tente de maintenir le
déséquilibre en sa faveur. L’auteur présente ainsi dix cas de rapports de forces laissant voir
un déséquilibre ou un rééquilibrage du rapport des forces lors d’une négociation. Par exemple,
avant la signature d’un contrat, le client a un certain pouvoir puisqu’il peut choisir son
prestataire parmi plusieurs devis. Une fois le contrat signé, c’est le prestataire qui a le pouvoir
d’obtenir des plus-values si le client demande des ajouts ou des modifications. Nous
retrouvons également cette notion de maîtrise des rapports de force chez Caroline Renault
dans son article Les bases de la négociation commerciale. Plus récemment, l’exemple du
Covid-19 et de la pénurie de masques illustre également ce renversement conjoncturel des
rapports de force entre les Etats.
Ainsi, si la reconnaissance des rapports de force régit la négociation, les déséquilibres de ces
rapports dans le monde commercial nous font nous demander s’il est n’est pas nécessaire de
s’outiller afin d’enrichir sa position dans un rapport de force. Dans ce cas, la négociation
comprendrait, au-delà des tensions entre acteurs, une série de dispositifs visant à asseoir sa
position et ainsi tenter de “gagner”.

Ces nombreux dispositifs ont été mis en lumière par de multiples chercheurs dans les
domaines économiques, sociaux, ou encore politiques. A titre d’exemple, nous citerons les
travaux de Fisher et Ury (Comment réussir une négociation, 1981) qui mettent en évidence le
BATNA, ou Best Alternative To a Negociate Agreement, c’est-à-dire la meilleure solution de
repli d’un négociateur. Selon les auteurs, cette issue est à définir en amont du processus de
négociation. Cet outil, comme d’autres, lorsqu’il est maîtrisé, vise à faire concorder au mieux
ses propres intérêts avec l’accord final. Mais dans la recherche, plus collégiale, d’un accord
mutuellement avantageux, certains cadres existent afin de limiter les dérives liés à la
négociation. Ainsi, Vodoz veut croire en une réelle concertation, aidée par la communication,
et non en une illusion, un moyen détourné par exemple d’un dirigeant pour faire adhérer ses
managers à ses propres idées. C’est pourquoi dans son ouvrage, il expose certaines “règles
du jeu” pour la réussite d’une prise de décision par consensus :
● « Déterminer si au sein du groupe quelqu’un détient le pouvoir de décision ;
● Préciser si le rôle du groupe est décisionnaire ou consultatif ;
● Distinguer ce qui est négociable et ce qui ne l’est pas ;
● Identifier l’autorité politique ayant un pouvoir d’arbitrage ;
● Faire une distinction claire entre les diverses modalités d'association et de participation
qui peuvent être proposées : de l'information à la négociation. Le degré de participation
varie sensiblement, de même que le nombre d'acteurs à intégrer à la démarche ;
● Se doter d’un calendrier de travaux ».
En respectant toutes ces conditions, le rôle de chacun devient clair et il n’existe pas d’illusion
sur l’importance des réflexions à propose de l’accord finalement retenu.

En conclusion, nous dirions que le rapport de force constitue l’élément essentiel d’une
négociation, à travers l’identification des acteurs et la compréhension de leurs intérêts,
permises grâce à l’empathie et à la communication. Néanmoins, les déséquilibres de forces
ont abouti à mettre en évidence des outils de défense de ses intérêts personnels, mais
également des règles du jeu pour amener à une situation optimale. Ces derniers éléments
entrent donc dans la notion de négociation et viennent enrichir le rapport de force.
Dans cette optique, il serait intéressant d’imaginer une société dans laquelle la préparation
d’une négociation ne se ferait pas en avançant ses propres visions et intérêts, mais en
essayant simplement de se mettre à la place de son interlocuteur. Ces méthodes (Shadowing,
‘Mon quotidien dans la vie de’, etc.) permettraient certainement une meilleure compréhension
des attentes et la découverte de solutions plus optimales.

Sources :

L. Vodoz (1994), La prise de décision par Consensus : pourquoi ? Comment ? A quelles


conditions ?

A. Pekar Lempereur (2004), L’évolution des rapports de force en négociation

R. Ficher, W. Ury (1981), Comment réussir une négociation

https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/n%C3%A9gociation/54081

https://www.univ-brest.fr/hcti/menu/Actualites/Archives/Rapports_de_force

https://caroline-renault.fr/fiche_pratique/les-bases-de-la-negociation-commerciale/

Vous aimerez peut-être aussi