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Collection Archives

Derniers ouvrages parus VIRGINIA WOOLF

Bussy-Rabutin : lettres inédites, documents présentés par
Daniel-Henri VINCENT
CARNET INÉDIT
Mai 1968 en Bourgogne, documents présentés par (1907-1909)
Jean VIGREUX
Les aveux de la chair sans masque, documents présentés par
Stéphane RATTI

Édition présentée et traduite par

Mireille Duchêne

Éditions Universitaires de Dijon Éditions Universitaires de Dijon

eud@u-bourgogne.fr
Collection Archives
http://eud.u-bourgogne.fr
Dijon,2019

Tous droits réservés Ouvrage publié avec le soutien

ISBN 978-2-36441-299-6 de /'École Supérieure du Prefessorat et de /'Éducation
ISSN 2610-2293 de l'j,~~fff1.1~leJ,;?ijon

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 1# can read such books with another aim,
not to throw light on literature,
not to become familiar with famous people,
but to refresh and exercise our own creative powers1.

Introduction
Rouvrir un carnet

Un moineau perché sur la grille d'en face gazouilla : Septimus,

Septimus, quatre ou cinq fois de suite, puis il repartit, en étirant
ses notes, pour chanter d'une voix animée, perçante, sur des pa-
roles grecques, que le crime ça n'existe pas, et un autre moineau
s'étant joint à lui, ils chantèrent tous deux d'une voix quis' étirait,
perçante, sur des paroles grecques, un chant qui partait des arbres
dans la prairie de la vie pour aller jusqu'à l'autre rive du fleuve,
là où marchent les morts, affirmant que la mort, ça n'existe pas'.

D'antiques paroles
Comme le lapin de Lewis Carroll entraîne Alice au
Pays des Merveilles, le moineau qui s'adresse en grec à

1. V.WOOLF,« How Should One Read a Book?», Essays,V,

p. 576.
2. V.WOOLF, Œuvres romanesques I, Mrs Dalloway,].AUBERT dir.,
Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2012, p. 1088-1089.

6 Introduction ...
Septimus Smith dans Mrs Dalloway invite à suivre mille
pistes dans I' œuvre de Virginia Woolf. Parmi elles, l'une
conduit à retrouver les échos de ce chant aux accents
helléniques dans les écrits de la romancière et essayiste
anglaise. Ils résonnent nombreux dans son Journal et
dans ces notations rétrospectives que présente Moments
ef Being.Ainsi, dans le chapitre« Le Vieux Bloomsbury »,
Virginia se rappelle le séjour qu'elle fit chez son amie
Violet Dickinson en 1904, après le décès de son père
Leslie Stephen : elle croit entendre les oiseaux chanter
des chœurs grecs. Cependant, la trace du moineau et
les paroles prononcées par lui dans la langue d'Œdipe
et d' Ajax entraînent toujours plus loin, jusque dans la
fiction: nous voici dans Traversées d'abord intitulé
Melymbrosia 1 aux consonances grecques évocatrices
d'arômes de miel et d'ambroisie, sur un navire portant
le nom d'une fille de Zeus, la Charite Euphrosyne, la
Joie. Le volatile entraîne le lecteur à la curiosité aiguisée
dans La Chambre de Jacob où le héros a une prédilection
pour les mots latins, dans Les Années où Sally ouvre par
hasard l' Antigone de Sophocle traduite en vers par
Edward Pargiter. Il n'est pas jusqu'aux nouvelles qui ne
contiennent mentions, allusions et développements liés
aux grands auteurs de l' Antiquité, à leur langue et à leur
culture. Sans compter les Essais et les Lettres. . . Sans
oublier un certain« Magic Greek »,non retrouvé à ce
jour, un article qui aurait dû tenir en une colonne,
envoyé anonymement le lundi 20 mars 1905 à la Royal
Academy et aussitôt refusé. Le samedi de la même
semaine, Virginia note dans son Jou;nal: « L'Academy
me renvoie mon "Grec magique" qu'ils estiment très
1. Melymbrosia n'a jamais été publié du vivant de V.Woolf.
Introduction ... 7
divertissant mais "par trop incompatible avec leur point
de vue" pour être publié. »
Le mystère des paroles de l'oiseau et le corpus étendu
des références antiques laissent la place à une
interrogation : pourquoi une écrivaine qui semble vouloir
se détacher de l'emprise de son éducation victorienne et
qui « a libéré toutes les formes cl' écriture1 » revient-elle sans
cesse aux sources de la littérature occidentale, aux langues
anciennes ? L'oiseau de Septimus renvoie des réponses trop
impénétrables, déformées qu'elles sont par l'alchimie
littéraire. Celles de la critique woolfienne restent souvent
dans les limites de l' œuvre publiée.
Commencé à la fin de l'année 1907 et refermé en mai
1909, un Carnet cl' études grecques et latines renouvelle les
perspectives et réserve de belles surprises. Cet inédit est
conservé au Keep (Bibliothèque de l'Université du Sussex)
dans les Special Collections2. Replacé dans le contexte de sa
création, ce document exceptionnel est le témoin du travail
d'une jeune femme lettrée et d'une période de son
existence que le Journal passe largement sous silence. Il
restitue sous l'apparence sobre de la prise de notes le
portrait intellectuel d'une apprentie écrivaine qui, comme
la narratrice cl' Une Chambre à soi, n'a pas trouvé sa place
dans les institutions universitaires. Il illustre une pratique
des humanités classiques. Ce n'est point une passade. Elles
jalonnent une existence à la recherche d'un « corpus de la
connaissance humaine 3 ».
1. G. VENET, « Virginia Woolf, Écrire dans la modernité »,
émission de France-Culture « La Compagnie des auteurs »,
26 janvier 2016.
2. Il est enregistré sous le titre« Greek and Latin Studies »,cote
SxMs-18/2/ A/ A.21.
3. « IsThis Poetry? » (1919), Essays, III, p. 56.
 Introduction ... Introduction ... 9
8

Le Carnet d'études inédit d'une femme lettrée Satires I, III, VI de Juvénal et la Géorgique IV de Virgile
représentent le domaine latin, sans se succéder.
Le Carnet, connu mais inédit dans son intégralité, L'Odyssée d'Homère détaillée en ses vingt-quatre
contient soixante-dix-huit pages a priori sans qualités chants, l' Ion d'Euripide et Le Banquet de Platon les
rédigées par une femme que sa plume n'a pas encore
séparent. Le cahier s'achève sur l' Ajax de Sophocle, les
rendue célèbre. Il n'appartient ni à l' œuvre fictionnelle,
Grenouilles d' Aristophane et le Phèdre du même Platon,
ni aux essais, ni aux textes autobiographiques. Il n'est
accordant ainsi la plus grande place aux auteurs grecs,
pas un brouillon d'écrivain: il ne donne à voir ni la
ce qui a pu lui valoir l'appellation de « Greek
naissance d'un projet d'écriture, ni le jaillissement ou
Notebook1 ».Il est révélateur de procédures. Résumés,
le bouillonnement d'une pensée, ni l'état d'un texte à
traductions et commentaires sont très imbriqués. Le
venir. Jamais entrée dans une intention de publication,
discours, pour être personnel, n'en est pas moins
l'entreprise, ordinaire et modeste, était destinée à rester
privée. entremêlé des discours d'autrui, sans délimitation
aisément perceptible entre celui de Virginia et celui des
« Études » ne signifie pas « exercices ». Le Carnet éditeurs des textes antiques qu'elle a utilisés: A.
n'est pas le dépositaire d'exercices tels que Leonard
W Verrall (Euripide), B. Jowett (Platon), R. C. Jebb
Woolf en conserva de sa scolarité. Il ne comporte pas (Sophocle), B. Bickley Rogers (Aristophane). La part
de sections réservées aux règles grammaticales ou au
de la citation est difficilement repérable chez une
lexique comme dans le carnet d'italien que Virginia
écrivaine connue pour ses libertés avec la ponctuation.
nourrit en 1916 de verbes irréguliers, de réflexions dans
La lectrice ne recourt pas volontiers à l'ars excerpendi.
sa langue et de lignes en italien. Il ne s'agit pas d'un
Elle ne semble pas désireuse de « bibeloter la
cahier d'apprentissage des langues anciennes. Pas plus
littérature» (A.Albalat). Réservé à un usage personnel,
que d'un carnet exclusivement constitué de notes de
ce notebook ne s'embarrasse guère d'exigences
premières lectures. Virginia ne méconnaît pas Homère
universitaires ou éditoriales.Virginia ne mentionne pas
ou Virgile, lus dès l'enfance et relus par la suite par goût
toujours le nom des éditeurs qu'elle suit. C'est le cas
ou sous l'impulsion de son père, Leslie Stephen, et de
pour Juvénal,Virgile et Homère. Celle qui débute dans
son frère aîné, Thoby.
la critique professionnelle couche sur le papier ses
Le Carnet est le détenteur de la trace matérielle réactions du moment. Elle s'affranchit du jugement des
d'une activité de l'esprit. Il appartient en cela à une autorités pour échafauder une réflexion singulière.
« archéologie des techniques intellectuelles » (F. Waquet).
Dès ce xxe siècle commençant, Virginia est une
Il rassemble les éléments d'une culture littéraire, des
jeune femme lettrée. Elle lit, relit et se relit beaucoup,
archétextes, c'est-à-dire des œuvres au statut exemplaire,
des canons de la littérature antique. Sorte de panorama
des genres, il se présente comme un recueil de la poésie, 1. Par exemple, H. LEE, Virginia Woolf ou l'aventure intérieure, Paris,
Autrement, Littératures, 2000 ; ou Th. KoULOURIS, Hellenism
de la tragédie, de la comédie et de la philosophie. Les and Loss in the Work ofVirginia Woolf, Farnham,Ashgate, 2011.

10 Introduction ...
comme elle écrit et réécrit sans cesse ses textes. L'idée
qu'elle se fait de la lecture vaut pour l'écriture: elle est
liée à l'image du retour incessant, du creusement, de la
méditation, de l'espoir en un lendemain où l'esprit
pourra déployer ce qu'il a commencé de faire naître.
Dans le Carnet, il s'agit de consigner la teneur de
passages jugés intéressants.Virginia n'en noircit pas les
pages pour se perfectionner dans l'apprentissage des
langues anciennes. Ce stade est pour elle dépassé. Mais
ce travail est nécessaire. Il enregistre autant d'échantillons
de savoirs que de semences d'écriture à venir. Il
alimente un réservoir de références destinées à nourrir
et à épaissir la rédaction des textes romanesques ou
celle des essais.Ainsi,mêlantles notes qu'elle prend des
vers 54-56 de la Satire III de Juvénal (« Et que tout l'or
que le Tage roule dans ses sables ne devienne pas pour
toi cause de la perte du sommeil») et le souvenir d'un
voyage à Lisbonne en 1905, Virginia mentionne le
fleuve ibérique par deux fois dans Melymbrosia, une
dans Traversées : « Ils avaient jeté l'ancre à l'embouchure
du Tage et, au lieu de perpétuellement fendre de
nouvelles vagues, c'étaient les mêmes vagues qui reve-
naient sans cesse balayer les flancs du navire. » La
lecture inspire furtivement l'écriture. De même, au
moment où Virginia s'attelle au Banquet de Platon, elle
ne manque pas d'évoquer l'œuvre dans Melymbrosia.
Hommes et femmes s'affrontent dans une scène mi-
figue mi-raisin qui sera fidèlement reprise dans Traversées.
La conversation qui les anime, aussi futile paraît-elle,
laisse percer une maîtrise parfaite du genre dialogal
doublée d'une acuité rare dans la caractérisation
implicite des personnages ... et d'une singulière ironie
sur soi-même !
Introduction . .. 11
« Je contredis toujours mon mari lorsqu'il dit cela, fit Mrs
Thornbury avec douceur.Vous autres hommes! Où en seriez-
vous s'il n'y avait pas les femmes !
_ Lisez le Symposium, fit Ridley d'un ton sinistre.
_ Symposium ? s'écria Mrs Flushing. C'est du latin ou du grec ?
Dites-moi, en existe-t-il une bonne traduction ?
- Non, dit Ridley. Il vous faudra apprendre le grec. »
Mrs Flushing se récria : « Ah, ah, ah ! Plutôt casser des cailloux
sur la route. »
Virginia admire les femmes cultivées. Dans « The Bluest
of the Blue »publié dans le Guardian du 11 juillet 1906,
elle fait le compte rendu d'une biographie d'Elizabeth
Carter qui dès le dix-huitième siècle avait appris le grec,
le latin, l'hébreu, l'italien, l'espagnol, l'allemand, le
portugais « et enfin l'arabe, bien qu'elle n'ait pas
prétendu [le] comprendre suffisamment bien pour le
lire sans un dictionnaire». Dans le Cornhill Magazine de
décembre 1908, elle rend compte du Journal de Lady
Bolland, grande voyageuse et avide lectrice qui avait lu
«Juvénal dans une traduction ». Mais la chroniqueuse
des années 1907-1909 se donne aussi un propos
pratique : approfondir sa connaissance des genres et des
registres littéraires. Ils sont représentés dans le Carnet :
poes1e, théâtre tragique, comédie, dialogue
philosophique, satire. Cette dernière, fille « de !'Esprit
et de la Malice 1 », a constitué très tôt un point de
réflexion chez Virginia. Dans « The New Religion »
paru le 6 septembre 1907 dans le Times Literary
Supplement, elle s'amuse de l'ouvrage de Marten
Maartens, sans lui apporter beaucoup de crédit et en lui
refusant l'intention satirique qu'il croyait sans doute y
1. Expression reprise à Samuel Johnson par L. STEPHEN, Hours
in a Library, volume II, « Dr Johnson's Writings », London,
The Folio Society, 1991, p. 9.
 12 Introduction ...
avoir mise. Dans l'essai suivant, elle refuse à l'auteur de
«A Swan and Her Friends »,Edward Verrall Lucas la
qualité d'historien et de satiriste 1• Il ne fait ~ue
caricaturer « le cygne de Lichfield »,surnom d'Ann
Seward, femme de lettres (1747-1809).
Des notes « réticentes comme une parole qui sait se taire
pour en dire trop 2 »
En 1907,Virginia remplit au moins deux carnets de
textes anciens. En janvier, elle lit et prend en notes les
Choéphores d'Eschyle d'après une édition d'Arthur
W Verrall. En décembre, elle ouvre celui des études
grecques et latines qu'elle ne lâchera pas avant le mois
de mai 1909. Ce ne sont pas des coïncidences. 'L.e frère
qu'elle admire et dont elle partageait l'amour pour la
littérature antique, Thoby, est mort à la fin de 1906 au
retour d'un voyage partagé en Grèce. Le médecin a
dramatiquement confondu typhoïde et malaria. Après
cette ?.~r~e, con;me dans les circonstances funestes qui
ont ~eja Jalonne son existence (elle a perdu sa mère, sa
dem1-sœur puis son père 3),Virginia sombre puis réagit:
e,~e prend le parti de la vie, de l'action, de l'énergie
(Epyov). Elle se met au travail et pour elle, qui dit travail
dit lecture et écriture, travail sur les mots et le langage
(Myoç). Cette mise à l'ouvrage, doublée d'un désir de
création au moment où d'autres pages se noircissent des
1. Essays, I, p. 150-153.
2. J. ?E_RRIDA, Demeure, Athènes, Paris, Galilée, 2009, p. 22.
f
3. V;r~m1a apparte_r:ait une famille « recomposée ».Après le
deces de sa p~er:iiere ~pause, Harriet Marian Thackeray, Leslie
Stephen avait epouse en secondes noces Julia Duckworth
(1846-1895),e~e-i_nême mère de trois enfants: George, Stella
et Gerald. De _l uruon de Leshe et de Julia, naquirent Vanessa,
Thoby,V1rgm1a et Adrian.
Introduction ... 13
phrases de Melymbrosia, ressemble à une sorte
d'épiphanie (Èmcp6cvwx) au sens premier et religieux
du terme: par son énergie intellectuelle (ÈvÉpywx),
Virginia éloigne temporairement la mort, choisit la vie
et les lettres. La fille de Leslie Stephen l'agnostique
trouve en elles, et singulièrement dans celles de
l' Antiquité, une force quasi mystique qui la stimulera
tout au long de son existence. Ainsi en 1925, son essai
« Sur l'ignorance du grec » se conclut sur la même idée :
«les Grecs demeurent, et c'est vers eux que nous nous
tournons quand nous en avons assez de l'imprécision,
de la confusion, du christianisme et de ses consolations,
de notre propre époque. »
Le Carnet se présente comme une sorte de journal
de bord régulièrement daté et alimenté par la
confrontation avec les textes anciens. Cette substance
s'enrichit de réactions personnelles. Virginia compare
le récit des aventures d'Ulysse à celui qu'« un voyageur
élisabéthain ferait de ses périples ». L'Ajax de Sophocle
lui fait regretter de ne pas « lire comme un Grec » pour
mieux comprendre l'unité de la fin de la pièce. Surtout,
Virginia vient et revient à ce Carnet en des années où
son Journal reste (ou est devenu) silencieux. En 1907,
ce dernier se réduit à la période estivale passée à
Playden, près de Rye. Un an après la disparition de
Thoby, le deuil semble avoir tari la veine intime. À cette
époque, il semble que le Carnet d'études grecques et
latines devienne un recours et un secours, un substitut
à l'écriture autobiographique. Le je trouve à s'exprimer
sous d'autres formes, mêlé de manière assez inextricable
au je de Juvénal incité par ses amis à écrire, comme
Virginia par les siens, au je de l'Ion d'Euripide qui, frère
de lecture et d'infortune, n'a comme elle« ni mère, ni
père».
14 Introduction . ..

Virginia est placée, telle Hécate, au carrefour de

l'Histoire et du Présent, incertaine des voies qui
s'ouvriront vers l'avenir. Elle sonde des textes phares
porteurs de leçons valables pour toutes les générations.
Ce sont essentiellement des leçons de littérature, de
langue, de style pour celle qui n'a qu'un objectif depuis
son enfance et les tentatives prometteuses du Journal de
Hyde Park Gate : écrire.Virginia est dans la situation du
poète de « La Tour penchée » : « Le poète est un
habitant entre deux mondes, l'un qui meurt, l'autre qui
lutte pour naître ». C'est dans cet entre-deux que le Le latin et le grec contre les larmes :
Carnet a été conçu. C'est cet entre-deux qu'il faut moments d'une vie
explorer.

1er décembre 1907-25 mai 1909 : dans l'Angleterre

d'Edward VII, ces deux dates bornent les pages du
Carnet d'Adeline Virginia Stephen. Elle a vingt-cinq
ans. Elle est orpheline et célibataire. Décembre 1907 :
c'est le moment où elle renonce à donner des cours du
soir le lundi à Morley College, comme elle l'avait fait
dès 1905, peu après le décès de son père. Depuis la fin
de l'année 1904, Miss Stephen s'essaie à la critique dans
les pages littéraires du Guardian et du Times Literary
Supplement, dans la National Review ou dans Academy &
Literature. Assez pour constituer ce qui deviendra la
majeure partie du volume I des Essais.Virginia est déjà
l'auteure de la nouvelle Phyllis et Rosamond (1906), où
Rosamond consulte les Études grecques de Walter Pater
et se promène à Hyde Park en compagnie de sa sœur
et de sa mère près de la statue du vaillant Achille.
Dialogue sur le Pentélique (1906) raille le monde
universitaire et expose « comment les Grecs, par l'ellipse
du superflu, avait révélé la statue parfaite, la strophe
suffisante, tandis que nous, en les surchargeant de nos
 16 Le latin et le grec contre les larmes ...
guenilles de sentiment et d'imagination, en avons obscurci
la ligne et détruit la substance 1 ».Virginia ne sait pas qu'en
1912 pour l'état-civil elle deviendra Mrs Woolf. Elle
ignore que sa renommée s'étendra sous ce nom bien au-
delà de Fitzroy Square, où elle vient d'emménager, et de
Bloomsbury. Mais elle la prépare en s'attelant à la
rédaction de son premier roman Melymbrosia. Lorsque la
jeune femme inaugure le Carnet en 1907, elle a déjà fait
le choix de la littérature : lire et écrire constituent
l'essentiel de ses préoccupations.
C'est aussi le moment où le journal intime se tarit
provisoirement. La correspondance rend davantage
compte de la vie affective, intellectuelle et sociale d'une
jeune femme dont le cercle familial s'est réduit au fil
des deuils et d'un mariage aussi rapide qu'inattendu,
celui de sa sœurVanessa avec Clive Bell en février. C'est
la grande affaire du moment. « Clive est une nouvelle
partie d'elle, que je dois apprendre à accepter», écrit-
elle dès janvier au temps des fiançailles. Cet
apprentissage-là est long et difficile, entre rémissions et
rechutes.Virginia balance entre ironie,jalousie et amour
fidèle envers « Mrs Bell » qui étale son bonheur au
grand jour.Avec cette union, elle fait un nouveau deuil,
celui de Dauphin (le surnom de Vanessa). Les rives du
passé et de l'enfance, le rêve d'une existence différente
au 46 Gordon Square s'éloignent. Les jeunes mariés
gardent cette adresse.Virginia et son frère cadet Adrian
ne quittent pas Bloomsbury. Ils s'installent à Fitzroy
Square. Devant les réticences de son amie Violet
Dickinson, Virginia répond de la respectabilité du
1. '-;,WoOLF, « Dialogue s~r le Pentélique »,in La Fascination de
1 etang, nouvelles tradmtes par]. KAMOUN, Paris Seuil 1990
p. 203. , ,
Le latin et le grec contre les larmes . .. 17
quartier: les rues sont sales mais pas plus qu'ailleurs et
Bernard Shaw y a habité ! Elle repousse les
encouragements au mariage. Au moment où elle lit la
Satire VI de Juvénal sur l'indécence des femmes et
l'absurdité de toute alliance matrimoniale, elle flirte
avec son beau-frère, devenu son confident. Elle s'amuse
de la cour que lui fait Walter Headlam, helléniste et
ancien admirateur de sa mère. Elle continue à recevoir
les Apôtres de Cambridge, camarades de Thoby : Lytton
Strachey, Saxon Sydney-Turner, Walter Lamb, tous ces
«jeunes gens ... si indifférents qu'[elle se voit] finir
vierge, tante et auteure » et qui « sont capables d'écrire
de la musique, aussi bien que du latin, du grec et tout
le reste ».Virginia mène une vie indépendante entre
voyages et spectacles. Mais encore et toujours, elle
travaille à se cultiver et à écrire. Le Guardian et le Times
lui réclament des articles ; elle a un projet de roman.
Elle lit avec avidité : Pindare, Lucrèce, Balzac, la
correspondance de Flaubert, La Scène américaine
d'Henry James. Ce dernier se réjouit que « la
descendante d'un siècle de plumes et d'encriers »
reprenne le flambeau d'une dynastie d'écrivains1 .
Si Virginia n'écrit pas en latin ou en grec comme
les hommes qu'elle fréquente, elle lit assidûment les
grands textes de l'Antiquité. Ces lectures-là sont faites
comme on mène un combat. Il se déroule à l'ombre
d'un père, sous le signe de la résistance à la
représentation masculine dans les études, en réaction à
la pesanteur victorienne de la famille Stephen.
, 1. Letters, I, 25 août 1907, n° 380, p. 306.
 18 Le latin et le grec contre les larmes . ..
À l'ombre du père
Sir Leslie Stephen, c'est l'homme des sommets, pas
moins ceux de la littérature que ceux des montagnes :
ce marcheur infatigable, fondateur d'un groupe de
randonnées dominicales, membre du Club Alpin et
éditeur de !'Alpine journal, est le premier à atteindre la
cime du Schreckhorn en Suisse (4078 m) dans l'été
1861. Homme de lettres, il a pour amis Thomas Hardy,
George Meredith et Henry James. C'est un polygraphe
auquel peu de domaines échappent : alpinisme, éthique,
agnosticisme, utilitarisme, biographie, essais critiques.
Directeur de la rédaction du Cornhill Magazine, éditeur
du Dictionary of National Biography, il accède à la
présidence de la London Library en 1892. Virginia,
alors âgée de dix ans, est fière d'annoncer dans son
Journal de Hyde Park Gate que « M. Leslie Stephen,
dont l'immense talent littéraire est bien connu, est
maintenant le président de la London Library, ce qui
est à juste titre considéré comme un grand honneur,
car il succède à Lord Tennyson qui a lui-même succédé
à Carlyle » (21 novembre 1892). Dix ans plus tard,
cette charge lui vaut d'être fait chevalier commandeur
de lordre du Bain.
Les Stephen sont avant tout des humanistes. La
généalogie familiale est éloquente. Leslie a épousé en
premières noces une des filles de W M. Thackeray. Par
sa seconde femme, Julia, il a fait son entrée dans le
monde des arts, celui de la peinture et de la
photographie. D'une beauté remarquable, la mère de
Virginia a posé pour E. Burne-Jones et G. F.Watts, pour
sa tante, Julia Margaret Cameron. Dans cette famille
agnostique, à défaut d'un parrain de baptême, Virginia
reçoit la protection toute laïque et intellectuelle du
Le latin et le grec contre les larmes... 19
, t critique américain ambassadeur à Londres,
poete e '
aines Russell Lowell (1819-1891),le « dear Godpapa »,
J · de son père, auquel elle s'adresse en 1888 dans la
anumière lettre publiée de sa correspondance. Sir James
PF~te ·ames Stephen (1829-1894), frère de Leslie et
1 ZJ d .1
homme de loi, produit des ouvrages et es artl~ es
ués dans son domaine. Leur sœur, Carolme
remarq k , .
Emelia Stephen (1834-1909), la« tante Qua er », ecnt,
elle aussi. La mère de Virginia n'est pas en reste :
lorsqu'elle n'est pas requise par ses bonnes œuv~es, elle
compose des histoires po~r enfants et. des essai~ pour
adultes. Famille et relat10ns appartiennent a une
aristocratie de lesprit.
Dans un tel contexte, il n'est pas étrange que les
jeunes Stephen aient eu et conservé quelque prédispo-
sition. Leslie cultivait ces facultés chez eux, tous sexes
indifférenciés mais dans des buts différents selon que
l'on était fille ou garçon. Dès 1887, il juge que Virginia,
qui chaque soir lui raconte une histoire, a « une fort
jolie plume ». Pour ses enfants, il se fait professeur de
grec et d'allemand; leur mère leur donne des leçons
de latin et de français. Leslie sera le premier à identifier
et à déplorer chez Virginia un travers, sa répulsion pour
la grammaire. Et pour cause : ce « Phébus Apollon
devenu bénédictin », cet « anachorète des lettres »
(George Meredith) n'avait qu'une méthode d'ensei-
gnement, valable pour les langues vivantes comme
pour les anciennes : la maîtrise de la morphologie et
de la syntaxe d'abord, la compréhension du sens ensuite.
La rigueur du philologue laissait peu de place à
l'émotion littéraire.
La première référence au grec remonte dans le
Journal au 15 février 1897, dix ans exactement avant
l'ouverture du Carnet. Le fait est mémorable car il
 20 Le latin et le grec contre les larmes . ..
marque non pas le début de l'apprentissage, mais celui .
d'une émancipation par le grec. Virginia a quinze ·
ans. Ce jour-là, la séance ne réunit pas le père et sa
fille. «J'ai fait deux exercices de grec, censés marquer :·
la reprise de mes études. » Virginia vient de sortir du
« grand intervalle de néant » (Q. Bell) où l'a enfermée
la disparition de sa mère deux ans plus tôt. Elle semble
avoir travaillé seule (je). De même, le mercredi 3 mars
le grec se manifeste sous la forme d'un loisir solitair:
dans une journée que rythment des entrevues de cour-
toisie. Auprès de Leslie, devenu veuf inconsolable, le
temps et les activités des Stephen se figent dans un en-
gourdissement singulièrement ankylosant. Les remèdes
apportés se limitent à des promenades matinales avec
le père, des sorties liées aux relations sociales de Stella
la demi-sœur, et à des lectures ou à des exercices per:
sonnels. Pour s'occuper, il arrive à Virginia, comme à
tous les adolescents, de bricoler : le samedi 27 février
1897, elle passe« le plus clair de la matinée à découper
des morceaux de bois pour empêcher les chats de
piétiner [les] pots » du jardin. Dans ces conditions
travailler à sa propre instruction dans un contexte do:
mestique fort studieux offre une ressource et une
retraite désirées. Le Journal de Virginia s'ouvre par ces
mots: « Nous avons tous commencé à consigner les
événements de cette nouvelle année - Nessa,Adrian et
moi. » L'écriture et 1' étude deviennent une part de soi,
uneyarcelle d'intime arrachée à la pesante atmosphère ;
familiale.Vanessa, plus âgée, parvient à quitter un envi-
ronnement austère pour se rendre à des leçons de
dessin. Ses aptitudes lui permettent de s'affranchir par
l'art. Virginia, quant à elle, trouve à sa table une forme
d'évasion, de liberté, de renaissance à l'existence. Le
grec en sera durablement le moyen et le guide.
Le latin et le grec contre les larmes. . . 21
La lectrice qui couche ses impressions dans le
Carnet de 1907-1909 s'affranchit progressivement de
l'influence paternelle. En 1905, peu après le décès de
Leslie, elle maudissait la grammaire, « quelque chose de
prodigieusement assommant qui pollue entièrement
une langue». Dans le Carnet, elle oublie les affres de l,a
linguistique pour apprécier la matière poétique. A
propos de l'Odyssée, elle écrit : « Tout est romanesque
dans ce poème ; aussi lumineux que le jour, et à la fois
lointain et touchant par un certain état de liberté» (C.,
p. 12). Quant au discours de Socrate, dans le Banquet de
Platon, il est un modèle d'excellence et Virginia se
prend à regretter non sans lyrisme qu'il ait été écrit :
plus rien ne semble pouvoir le surpasser (C., p. 59).
La terre et le papier, noirs souvenirs de voyage
En septembre 1906, Virginia, Vanessa et Violet
Dickinson partent pour la Grèce où elles retrouvent
Thoby et Adrian. Ensemble, guide Baedeker en mains,
ils visitent le Péloponnèse, Athènes, l'Eubée. Thoby
regagne Londres la troisième semaine d'octobre. Le
reste du groupe, - y compris Vanessa, pourtant
malade -, poursuit le périple jusqu'à Constantinople.
Tous rentrent le 1er novembre. Thoby est alité, au plus
mal. Il meurt le 20 novembre à l'âge de vingt-six ans.
Deux jours plus tard, Vanessa accepte la demande en
mariage de Clive. Virginia se mure dans un silence tel
qu'elle est incapable d'annoncer la disparition de Thoby
àViolet, elle-même touchée par la typhoïde.
Le même mutisme s'inscrit insidieusement dans le
Carnet. Les notes de lecture sur l'Odyssée d'Homère
prises entre le 27 février et le 15 mai 1908 commencent
par une phrase dépouillée placée entre crochets :

22 Le latin et le grec contre les larmes . ..
« [Commencé en Grèce, 1906 - et les quatre premiers
chants ~nt été lus là-bas - aussi je n'en donne que le
sommaire] » (C., p. 11). La justification que l'on prend
soin d'écrire est significative. Le voyage dans une Grèce '
qui avait pour elle « le goût d'Homère » avait imposé
une relecture de ce texte fondateur.Avait-elle alors pris
des notes ? Pourquoi n'avoir pas rédigé pour ces quatre
~hants un résu1:11é plus substantiel que les deux à cinq
lignes manuscntes qu'ils reçoivent chacun?
Qu'ils concernent la situation à Ithaque et le voyage
de Télémaque lancé à la recherche de son père Ulysse
n'est pas anodin. Parvenu à l'âge d'homme, le fils
souhaite reprendre en mains les destinées de sa famille.
Ce que Thoby ne pourra faire. La date de 19'06, isolée
entre virgule et tiret, met le temps en suspens et dit sans
l'exprimer l'issue fatale de l'expédition des Stephen en
Grèce et en Asie Mineure. Virginia agit comme si elle
~oulait. faire barrage au passé, sachant qu'il est
1mposs1ble d'effacer le souvenir. S'appesantir sur des
notes consacrées à ces quatre chants de lOdyssée serait
revivre les tragiques événements de 1906,lier tel passage
du poème homérique à telle scène familiale où avait
rayonné Thoby, tel un « dieu grec », auquel sa sœur
Vanessa se plaît à le comparer. Virginia s'y refuse. Elle
pr~fere, à défaut de garder le silence, quelque chose qui
lm ressemble, des phrases à peine déposées sur le papier.
Elle se tourne vers l'avenir, les autres chants et un
Homère qui demeure incontournable dans la vie de la
lettrée qu'elle veut continuer à être. En ce 27 février
1908, Virginia, comme Ulysse, vit un nostos, le retour
d'un voyage qui se transforma en épreuve. Que la prise
de notes culmine à soixante-dix-huit lignes pour le
chant 11 ne surprend pas: c'est la nekuia, l'invocation
des morts. Dans 1' Odyssée, le poète fait dire à Ulysse, « la
Le latin et le grec contre les larmes... 23
peur verte me_ gagnait ». ~irginia ne retie~~ pas
l'expression, mais le spectacle mfernal sur fond d Erebe
quis' offre à Ulysse est pour elle évocateur : la puissance
du texte homérique rend universel le sentiment que
suscite la mort. Virgile a repris le thème, comme
Virginia le remarque d'un point de vue plus littéraire :
elle y revient à propos des Géorgiques. Le seul chant
d'égale extension à celui de la nekuia est le dernier. Pour
Virginia, cet aboutissement du nostos est aussi
emblématique que le chant 11. Le 15 mai, elle conclut
sur l'ensemble du texte homérique:
C'est une fin caractéristique ; comme si la voix, simplement
avait fini de parler, que le soleil s'était couché et qu'il était
l'heure d'aller au lit. Mais il y a aussi un grand sens de l'achève-
ment du drame ; nous sommes délivrés de toute inquiétude
concernant l'avenir par le fait de savoir ce qui doit arriver à
Ulysse - c'est-à-dire voyager et rencontrer la mort, la route la
plus facile, par mer. La scène disparaît, comme un paysage dans
le soir.
La grandeur épique est ramenée à une pratique
ordinaire (l'heure d'aller au lit). À la suite d'Homère, la
lectrice s'exprime comme apaisée. I/c>yager et rencontrer
la mort : ces mots semblent faire écho à la fin de Thoby,
disparaissant comme un paysage dans le soir. Ulysse a
provisoirement échappé à la mort. Le récit de son
histoire s'achève. Celle de Thoby est prête à
recommencer inlassablement dans I' œuvre de Woolf,
dans La Chambre de Jacob ou sous les traits de Percival
dans Les Vagues. Tenir un carnet de lectures de textes
anciens, c'est aussi une façon de s'inscrire dans les pas
de celui qui avait été étudiant à Cambridge.
"'i'I
24 Le latin et le grec contre les larmes ...
L'Université interdite aux filles. D' Oxbridge à
Bloomsbury
La rédaction du Carnet de 1907-1909 se déroule
dans le temps où se crée la première Société de lectures
dramatiques. La coïncidence est remarquable. Chez le
jeune couple Bell, ce cercle d'abord restreint aux fidèles
de Thoby réunit Virginia et Adrian, Lytton-Strachey et
Saxon Sydney-Turner.Autant dire deux jeunes femmes
libérées de leur éducation victorienne et des jeunes
gens issus de Cambridge. Au même moment, Virginia
et Adrian réintroduisent chez eux les « soirées du jeudi »
fondées à l'initiative de Thoby en février 1905 peu
avant que Vanessa et Clive ne reçoivent à leurs (( soirées
du vendredi » consacrées aux beaux-arts. Bloomsbury
naît de ces rencontres. Il remplace l'ancien monde, celui
des études et des campus anglais confondus en une
université de fiction dans I' œuvre de Woolf: Oxbridge.
Virginia n'a étudié ni à Oxford, ni à Cambridge.
Elle se dit victime d'un (( entourage en retard d'au
moins cinquante ans sur l'époque [avec un père qui]
était lui-même un victorien typique ».Julia prévoyait
pour ses filles une éducation limitée à les faire devenir
de parfaites maîtresses de maison. Pourtant,Virginia n'a
pas été <( lenfant ignorante... enfermée dans sa
chambre au 22 Hyde Park Gate », comme elle le
prétend dans son Journal le 29 février 1932. Après le
décès maternel en 1895 et malgré une santé ébranlée,
Virginia s'est inscrite, à force d'obstination, au King's
College de Londres en octobre 1897.Triomphante, elle
annonce à Thoby qu'elle<( commence le grec à King's
College et deux cours d'histoire ». Elle assiste aux
séances que donne le Professeur George Warr,
fondateur de la Section féminine. Hester Pater, sœur de
Le latin et le grec contre les larmes ... 25
l'illustre Walter Pater, bientôt ~emplacée, p_a~ sa c_ad~t~e
Clara, dispense les cours de Latm mtermed1aire.V_rrg1rua
passe des examens, seulement en alleman~ et a deu~
· eaux sur les trois existants, semble-t-il. On sait
~ fi
,; urd'hui que Leslie avait écrit au pro esseur
W.arr, a.
auJ 0 . .
}'"nsu de sa fille, une lettre qm en dit long sur les
~stades franchis pour fréquenter les bancs de King's
~ollege. Il y est indiqué en substance que Virginia est
psychologiquement fragile mais que suivre des cours
agira sur elle comme une thérapie, pourvu que l'on
veuille bien alléger son travail. Dans ce contexte, une
phrase consignée dans le Journal le 16 octobre 1897 se
comprend mieux.Virginia devrait exulter de bonheur
et se consacrer aux préparatifS de rentrée. Elle déplore
la routine de jours qui rend inutile d'écrire, annonce
platement qu'elle va à King's College. Elle ajoute:<( La
vie est une rude épreuve - c'est une peau de
rhyninocéros [sic] qu'il faut avoir - & on n'en a pas. »
Elle se sent démunie dans ce premier combat pour
l'indépendance. Considérée comme la fille fragile de,
elle se vit plus en auditrice qu'en étudiante promise à
un avenir universitaire. Elle en garde un goût amer à
l'image de la narratrice d'Une Chambre à soi, tolérée
dans l'enceinte d'Oxbridge mais expulsée d'un gazon
réservé aux hommes depuis trois cents ans et chassée
de la bibliothèque où les femmes n'entrent pas sans un
viatique délivré par une autorité masculine.Virginia se
réinscrit à King's College jusqu'en 1901. Elle retrouvera
ensuite la solitude de 1' étude dans sa chambre de Hyde
Park Gate. Clara Pater lui donnera un cours particulier
qui cèdera la place aux leçons de Janet Case, helléniste
formée à Cambridge. Lorsque Virginia inaugure son
Carnet en 1907, ces séances ont pris fin depuis
quatre ans.
 26 Le latin et le grec contre les larmes ...
De manière symbolique, le Carnet prend le relais:
de cet enseignement. Il se situe aussi à la jonction entre'
passé et avenir. Il est nourri des oeuvres d'auteurs dont
Virginia se délectait avec Thoby : Homère et Virgile.
Sans doute les pièces d'Euripide, Sophocle et .
Aristophane ont-elles été déclamées, commentées lors
des réunions de la Société de lectures dramatiques. Le
Banquet et Phèdre de Platon ouvraient tous les possibles .
en matière de réflexion sur le bien, la beauté, l'amour
et l'avenir de l'écriture. Par ses notes dans le Carnet
Virginia entreprend de succéder à son frère parmi ce;
prodiges d'érudition qui, à l'instar - ou presque - de
Saxon Sydney-Turner, connaissaient tout de la
philosophie et des littératures grecque où latine. Ce
visiteur régulier à Gordon Square communique dès
1905 avec Virginia en latin. Le mardi 28 avril 1908, elle
écrit, non sans ironie, à Strachey qu'elle attend de
Sydney-Turner, en retour d'un pot de crème qu'elle lui
a envoyé, « une lettre en latin cicéronien ». En une
affinité élective d'ordre intellectuel, Virginia prolonge
avec ce frère de substitution les échanges qu'elle avait
eus avec Thoby.
Dans cette quête du savoir et de la vérité, la lecture
du Banquet s'impose comme une évidence. La prise de
notes se fait pendant l'été 1908. Au printemps suivant,
dans la même logique et après Les Grenouilles, Virginia
s'attelle au Phèdre. Une thématique rapproche les deux
dialogues platoniciens : l'Amour et l'accès à la Beauté
idéale. En faisant ce choix,Virginia installe en quelque
sorte un débat entre représentation théâtrale et pensée
philosophique. Cette dernière l'emporte, consacrant
définitivement la défaite d'Eschyle et d'Euripide et
même celle d' Aristophane vaincu par le discours
socratique.
Le latin et le grec contre les larmes ... 27
Bloomsbury profite du vent philosophique qui
souffle sous l'impulsion de Bertrand Russell et de
George Edward Moore. Fini pour eux l'idéalisme
hégélien prôné par B. Jowett, traducteur de Platon, et
par J. M. E. McTaggart, spécialiste d'Hegel: en 1903,
Moore avait publié The Refutation ef Idealism et Principia
Ethica. Un formidable sentiment d'émancipation
s'empare de Russell et de ses amis :
Avec un sentiment d'échapper à une prison, nous nous sommes
autorisés à penser que l'herbe est verte, que le soleil et les étoiles
existeraient si personne n'avait conscience de leur existence
mais également qu'il existe un monde pluriel et intemporel
d'idées platoniciennes. Le monde, de restreint et logique qu'il
avait été, devenait soudain riche, varié et solide 1.
Moore finit par devenir un autre Socrate pour les
étudiants de Trinity College. Leonard Woolf se rappelle :
Son esprit était un instrument extraordinairement puissant ; il était
socratique, analytique. [... ] Il avait une passion pour la vérité, mais
non pour toute la vérité ou n'importe quelle vérité, seulement
pour les vérités d'importance. [... ] Son caractère et son influence
sur nous,jeunes gens de Cambridge, étaient socratiques. Il est clair
d'après Platon et Xénophon que la simplicité et l'intégrité étranges
de Socrate attiraient considérablement les jeunes Athéniens qui
devinrent ses disciples et il inspirait autant une grande affection
que de l'admiration. C'était aussi le cas de Moore. Dans le
Symposium, Platon nous montre une sorte d'absurdité cosmique
dans la monumentale simplicité de Socrate ; et des personnes aussi
différentes qu' Alcibiade,Aristophane et Agathon le taquinent à ce
sujet et se moquent gentiment et affectueusement de lui. Il y avait
la même sorte de divine absurdité en Moore'.
1. B. RUSSELL,« My Mental Development »,in P.A. SCHILPP, The
Philosophy of Bertrand Russell, New York, Harper and Row,
1944, p. 12.
2. L.WoOLF,AnAutobiography ef theYears 1880 to 1904, Sowing,
p. 132 et 136-137.
 28 Le latin et le grec contre les larmes . ..
Ces deux fragments montrent l'importance des
préoccupations intellectuelles du moment et l'impact
qu'elles ont sur le choix des lectures et des réflexions
de la jeune femme au sein du groupe qui se constitue
et grandit de 1904 à 1914 dans le quartier de
Bloomsbury. Le retentissement de la pensée de Moore
dépasse bien les limites de 1903. « L'âge de raison »
(L. Strachey) vient de s'ouvrir. Pour Virginia, c'est une
opportunité d'infiltrer l'homosocialité masculine
interdite par 1' époque aux femmes et de discuter d'un
ouvrage comme Le Banquet, livre-culte et étendard
secret de la communauté homosexuelle victorienne.
Entre l' Ion d'Euripide et l'Ajax de Sophocle, elle lit
Moore. Elle confie à Vanessa son attrait pour la pensée
du philosophe, mais aussi ses difficultés à le suivre : «J'ai
tern_iiné Moore la nuit dernière [ ... ].Je ne suis plus
aussi. st~pide. que je l'ai été ; mais plus je comprends,
plus je l admire. Il est s1 humain en dépit de son désir
de connaître la vérité 1 ».Mais le latin et le grec restent
d~s domain~s réservés aux hommes.À Morley College,
ou. tous les jeunes Stephen ont fait un passage comme
assistants, Vanessa a exercé dans son domaine de
prédilection, le dessin, Virginia a donné des « causeries ».
Aux garçons ont été confiées les études classiques :
Thoby a enseigné le latin et Adrian le grec.
1. Letters, I, samedi 29 août 1908, n° 444, p. 364.
« À quoi ai-je perdu ma jeunesse ?
Au latin et au grec »
C'est par cette boutade que Virginia Woolf répond
à son amie Vita Sackville-West qui la défie de traduire
la devise latine de sa famille 1. L'appropriation d'une culture
passe par la lecture ... ce qui demande temps et énergie.
Virginia lit et relit les chefs-cl' œuvre du passé. Son
éducation,le microcosme intellectuel qu'elle fréquente, sa
vie libérée de toute tutelle après 1904, renforcent un
comportement d'autodidacte déjà bien installé. Grâce à
une puissance de travail hors-pair, elle tente de combler la
distance qui s'est installée entre elle et ses contemporains
masculins, entre elle et des femmes plus âgées Q"ane
Harrison,Janet Case, les sœurs Pater), à qui il a été donné
de fréquenter, plus assidûment qu'elle ne l'a fait, les bancs
de l'université.Dès 1905, elle n'avait pas craint de se mettre
dans les pas de ces spécialistes de la langue en adressant
sans succès son « Magic Greek » à la Royal Academy.
L'outsider privée des colleges de Cambridge trouverait sa
revanche, en publiant« Le langage parfait» (1917) et« Sur
1. Letters, III, 6 mars 1927, n° 1726, p. 342.
30 «À quoi ai-je perdu ma jeunesse ... »
l'ignorance du grec» (1925), mais en attendant il fallait se
procurer les moyens d'y parvenir.
Un carnet parmi d'autres
Le Carnet d'études grecques et latines n'est ni le
premier tenu parVWoolf, ni le dernier. Elle en a tenu
tout au long de sa vie. Ils correspondent à une pratique
répandue à la fin du dix-neuvième siècle.
Le mémo privé ou carnet était une autre méthode intime pour s'approprier
une culture littéraire et pour conduire un dialogue personnel avec le
texte. [... J Il n'était alors pas seulement une aide à la mémoire ; il
servait également à conduire un débat personnel avec le texte, pour /'ab-
sorber et le rifuter. C'était une part essentielle du processus d'autofor-
mation et d'auto-développement'. · (1867-1933) pour trouver couramment sur le marché an-
En 1992, Brenda R. Silver a répertorié les notes que
Woolf a prises « en lisant, une plume et un carnet à la
main». Soixante-sept carnets sont détenus essentiellement
par la Bibliothèque de l'Université du Sussex et par la
Berg Collection de la New York Public Library.
Les notes dédiées aux langues anciennes sont
évidemment minoritaires :l>ar rapport à celles amassées
sur la littérature moderne.A ce jour, on compte un peu
plus de deux cents feuillets strictement réservés à des
textes anciens. Trois corpus forment l'essentiel de ces
papiers : seize pages consacrées aux Choéphores
d'Eschyle en janvier 1907 selon une date autographe,
un volume en cent quarante-trois pages sur
l'Agamemnon du même auteur (non datées selon les
indications de la New York Public Library), et les
1. M. LYONS, « New Readers in the Nineteenth Century: Women,
Children,Workers »,in G. CAVALLO and R. CHARTIER (dir.),A
History of Reading in the VJ.fst, Cambridge, Polity Press, 1999,
p. 342.
«À quoi ai-je perdu ma jeunesse ... » 31
soixante-dix-huit pages du Carnet d'études grecques
et latines. Ces trois documents sont très différents par
les méthodes employées.
Le travail sur Les Choéphores est très dépendant de sa
source. Il se rapproche de pratiques scolaires.Ainsi, les cinq
premières lignes présentent une synthèse des trois points
essentiels de la note 1 de l'éditeur Verrall. Pour le reste, la
lectrice a recopié le numéro du vers, suivi du mot grec qui
appelle un commentaire succinct, une information lexicale
ou une analyse grammaticale. L'écriture est brouillonne,
étirée et grasse mais les notes de Verrall, seule aide à la
compréhension, ont été lues de près. Il fallut en effet
attendre 1911 et l'initiative américaine de James Loeb
glophone des éditions bilingues. Ce fut la naissance de la
Loeb Classical Library; publiée l'année suivante en Angleterre
par la maison William Heinemann. Ces notes sur les Choé-
phores ont assez de valeur pour que Virginia les garde, mais
pas assez pour ne pas être recyclées. Devenue Mrs Woolf,
elle fait usage du verso sur treize pages : il porte des notes
holographes sur Mrs Dalloway datées « 9 novembre 1922-
2 août 1923 ».À en croire le Journal, il s'agit d'une
esquisse de ce nouveau roman qu'elle compte soumettre à
son mari Leonard.
Toujours en 1922,le dimanche 3 décembre,Virginia
évoque son étude d'Agamemnon : «Je devrais être à
m'occuper d'Eschyle, car je fais une nouvelle édition
bien à moi, complète avec texte, traduction et notes -
la plupart empruntées à Verrall ; mais soigneusement
épluchées par moi 1. » Ici, la méthode s'inspire - en
1. Les archives de la New York Library précisent que cet
Agamemnon à soin' est pas daté. Le Journal fournit donc une
information décisive sur ce point.
 32 «Â quoi ai-je perdu ma jeunesse ... »
partie - des travaux des hellénistes et des éditions.
bilingues répandues désormais sur le marché.Virginia a
découpé et collé sur les pages de droite le texte grec 1
établi par F. H. Bo the en 1831 (Leipzig, Librariae
Hanianae). Pour obtenir la pièce en continu avec ses '
rectos et ses versos, il a fallu dépecer deux exemplaires
de cette édition. Il arrive que Virginia corrige le grec
en marge. D'autres marginalia consistent par exemple en :
la traduction d'un mot, le signalement d'un superlatif·
ou l'explication d'une difficulté(« un terme technique
dans le backgammon grec »).La page de gauche est ·
réservée à la traduction. Elle est pour lessentiel ·
« empruntée à Verrall ».Virginia l'a recopiée d'une
écriture assurée, quasiment sans rature. ia seule
d'importance prouve la copie : le mot chief ayant été
oublié, Virginia barre le mot signs pour rétablir
lexpression de Verrall, those chief signs. Ces deux
documents révèlent le loisir studieux (otium) d'une
bonne helléniste, mais pas d'une spécialiste. Le
3 novembre 1923, Virginia confie à son Journal une
vérité dont témoigne sa lecture d'Agamemnon: « en
vingt ans j'ai appris à lire le grec rapidement (une
traduction à la main) et avec plaisir».
Le Carnet de 1907-1909 a une tout autre
importance et un statut différent. Il est indirectement
le témoin d'une histoire de l'évolution des éditions '
avant la diffusion des Loeb bilingues. Il réunit sept
figures littéraires dans une grande hétérogénéité des
époques, de la fin du VIII° siècle avant Jésus-Christ
(Homère) au début du II° s. de notre ère CTuvénal). La
Grèce et Rome coexistent. La présentation varie :
œuvre complète (Odyssée, Ion, Banquet, Ajax), sélections
(les Satires de Juvénal sont réduites à trois sur les seize
existantes ; seule la Géorgique IV de Virgile est travaillée).
«Â quoi ai-je perdu ma jeunesse. . . » 33
Le Carnet progressant,Virginia se risque de plus en plus
, des commentaires. Maigres dans les notes sur les
~atires de Juvénal, ils sont disséminés dans la deuxième
uvre étudiée, lOdyssée, puis de plus en plus amples et
~acés dans ce cas à la fin de la lecture (Ion, Ajax). Ils
~rennent toute la place dans le,s p~ges dédiées aux
Grenouilles, se partageant entre react10ns personnelles
(un feuillet) et mise en notes de l'analyse de Benjamin
Bickley Rogers (deux feuillets). Loin des exigences
universitaires et d'une méthode arrêtée, le point fait sur
l'auteur de l'édition occupe une place variable, en
introduction ou en conclusion. Virginia procède
comme l'amateur éclairé de «La Tour penchée » : elle
lit les textes anciens, une traduction à côté cl' elle. Elle
ne cherche pas à batailler avec le grec, même si elle
exprime la difficulté de rendre exactement dans la
langue anglaise les mots et la syntaxe ancienne :
Toutefois,j'ai l'impression que j'ai lu de manière si approximative- à
longs traits pour recueillir le sens - que j'ai manqué un nombre infini de
significations et de beautés. Je pense cependant que ce doit être tout de
même une pièce solide parce qu'en dépit de tous ces obstacles,)'ai lu avec
intérêt; on imagine qu'Aristophane a une gamme étendue - pourrait
~avoir un immense pathos. & de la pure beauté (C., p. 74).
Elle se donne pour priorité de saisir le sens général,
résumant, reprenant des passages lus dans les éditions,
entrecoupant le tout ·de remarques. Ce protocole
rappelle celui que lui a conseillé Bruce Richmond pour
le Times, au début de sa collaboration avec ce journal,
contemporaine du Carnet:« J'ai beaucoup appris sur
mon métier en travaillant avec Richmond : comment
comprimer un texte, comment le rehausser ; et appris
aussi à lire consciencieusement, en utilisant plume et
carnet de notes » (jI, 27 mai 1938). La neutralité ne
satisfait pas la lectrice : « il y a toujours un démon en
 34 «À quoi ai-je perdu ma jeunesse ... »
nous qui chuchote je déteste,j'adore et nous ne pouvons
le faire taire 1 ».Une lecture qui se placerait servilement
sous l'autorité des auteurs serait stérile: « nous ne
pouvons comprendre leur jugement que s'il entre en
conflit avec le nôtre ».Mais lire un texte ancien, c'est
se frotter aussi à ceux qui en ont préparé l'édition.« Très
sombre et concis - mais éclairci par Verrall avec peut-
être trop d'ingéniosité », estime Virginia à propos de
l' Ion d'Euripide publié par ce professeur de Cambridge
(C., p. 48).
Toute une bibliothèque
Quelles éditions la lectrice utilise-t-elle lorsqu'elle
ne les indique pas ? Le journal, inexistant en décembre
1907 au moment où Virginia aborde Juvénal, pas plus
que la correspondance, ne contribuent à lever le silence.
La bibliothèque des Woolf est le résultat d'acquisitions
de provenances multiples dont les principales sont les
Stephen, Leonard Woolf, Virginia elle-même, le couple
Woolf. Enfin, les lectures ne se limitent pas à une
bibliothèque familiale, même abondante : la romancière
fréquentait assidûment les bibliothèques publiques.
Trois critères fortement imbriqués orientent le
choix des œuvres : les « canons » de la littérature
ancienne, l'affectif, l'actualité. Juvénal, maître d'un
genre, en est l'illustration la plus complète. Sur le plan
littéraire, il apparaît comme le plus grand des satiristes
latins ... ou du moins son nom évoque-t-il fortement
la satire. Ses écrits, expurgés à l'époque victorienne mais
1. « How Should One Read a Book?», Essays,V, p. 580-581.
2. J. KING and L. MILETIC-VEJKOVIC, The Library of Leonard and
Virginia Woolf, A Short-title Catalog, Washington, Pullman,
Washington University Press, 2003.
«À quoi ai-je perdu ma jeunesse ... » 35
'lébrés par la doxa intellectuelle, ont une valeur
œ 1 ,
exemplaire par la qualité de leur style. I s sont presents
!. dans la plupart des curricula universitaires du temps et
dans les listes de lectures des autodidactes. La
bibliothèque des Woolf en conserve trois éditions.
La première, la plus ancienne, est en latin, sans
traduction ni commentaire : Decii ]unii ]uvenalis
Aquinatis Satirae decem et sex ; Aul~ Persii Flacci Satirae
sex, parue à Londres en 1845 (Ch1sw1ck Press). Elle a
appartenu à Leslie Stephen (ses initiales y figurent). Le
catalogue de la bibliothèque des Woolf ne donne pas le
nom de l'auteur de cette édition. Il s'agit de celle d'E.
c. Hawtrey «tirée à petit nombre pour ses élèves». Une
page liminaire indique en effet que ce livre a été
préparé par le « magister informator » d'Eton College,
Hawtrey. Le père de Virginia a fréquenté sa classe.
L'histoire de la circulation du livre est ainsi reconstruite.
Il appartient à l'enfance et à la formation de Leslie. Il
fallait travailler dans l'édition du professeur. Virginia
l'utilise à son tour en 1907.
Cet ouvrage côtoie la seconde édition des Thirteen
Satires of Juvenal (Londres, Macmillan, 1872-1878)
publiée par John E. B. Mayor, la référence pour les
lecteurs anglophones de l'auteur latin. Elle contient des
annotations de ses propriétaires, sans qu'il soit établi s'il
s'agit de Virginia ou de Leonard. Le texte de Juvénal,
sans traduction, occupe les cent premières pages.
Suivent des notes très riches, vers à vers en langue
anglaise dont Virginia a pu se servir pour vérifier sa
compréhension. Cependant, cet éditeur n'a pas retenu
certaines satires, dont la VI, jugée par son sujet - le
mariage et les femmes - comme une incitation à la
dépravation.
36 «À quoi ai-je perdu ma jeunesse ... »
La troisième et dernière édition identifiée dans la '
bibliothèque des Woolf est celle de Leonard, comme :'
l'attesterait sa signature. Ce sont les Thirteen Satires of
Juvenal dans une traduction d' Alexander Leeper, '
« revue», datant de 1897.
L'activité du monde éditorial oriente aussi les
lectures de la jeune essayiste. L'actualité met Juvénal au
premier plan dans les années 1905-1907 plus ou moins
directement. Alfred Edward Housman (1859-1936)
publie une édition complète en latin des Satires.Virginia
apprécie ce philologue antiquisant, en quelque sorte
son double masculin. Il perdit sa mère à l'âge de douze
ans. Blessé par le souvenir de l'échec de ses études à
Oxford, il consacra ses loisirs aux langues anciennes et
à la critique dans les années 1880. La qualité de ses
articles lui valut en 1892 un poste de professeur de latin
à l'University College de Londres. Dans la famille
Housman,Virginia connaît également le frère, Laurence,
poète et fondateur de la Ligue masculine pour le
suffrage des femmes. . . en 1907. Dans le Guardian du
1er janvier 1908, elle donne un compte-rendu d'une de
ses pièces, Prune lia: or Love in a Dutch Garden (1906).
Une histoire de la littérature de J.W Mackail parue
dix ans plus tôt est rééditée en 1906. Or, dans une liste
intitulée « Livres 1905 », le Journal de Virginia révèle
qu'en janvier elle lit (ou qu'elle a le dessein de lire)
cette Latin Literature qui se trouve encore dans la
bibliothèque des Woolf. Mackail, ancien de Balliol
College, spécialiste de Virgile, désigne Juvénal comme .
« le plus brutal de tous les satiristes romains », doté :
d' « un singulier pouvoir » : « des phrases mordantes et :
une maîtrise de l'effet, cru et vif qui laisse le lecteur
suspendu entre dégoût et admiration ». Certes, la
métaphore du couteau tranchant vient à l'esprit à
«À quoi ai-je perdu ma jeunesse. . . » 37
propos de la langue du poète. Ce Juvénal-là rappelle les
amis dont s'est entourée Virginia dans le quartier de
Bloomsbury. Parmi ces jeunes gens qui ont rompu ou
distendu les liens familiaux et qui vivent dans une
liberté peu conventionnelle, Lytton Strachey se présente
comme un héritier des satiristes de l'Antiquité. Il écrit
·
alors un roman, Lord Pettigrew « dans le style du
M. Bergeret à Paris d' Anatole France, [ ... ] une satire
;
dirigée contre le snobisme, les intrigues de la bonne
·
société et les opinions politiques réactionnaires 1 ».De
:
l'ironie à la dérision, la jeune désillusion de Strachey
.!
peut se mesurer à celle de l'homme mûr qu'était
Juvénal lorsqu'il rédigea ses poèmes.
La jeunesse anglaise de ce début de siècle ne
\ manque donc pas de s'emparer de Juvénal, séduite par
la vigueur de son écriture et les échos d'un monde qui
lui parle encore. Mais le choix de Virginia ne s'arrête
· sans doute pas uniquement à ces voies toutes littéraires.
Une lettre de Thoby écrite à Gordon Square, le 15
janvier 1905 et adressée à son camarade Leonard Woolf
après son arrivée à Ceylan, apporte une justification qui
les surpasse toutes.
J'ai lu des satires principalement lorsque j'ai eu du temps - à
mon avis, les meilleurs écrits sont sans doute les satires, si on ex-
cepte Virgile - et on peut tirer une quasi-satire de !'épisode des
abeilles.[ ... ]Virgile après tout estle haut de l'arbre et Sophocle
en est tout près - ensuite viennent Catulle et Aristophane, c'est
mon entière conviction en ce qui concerne les Anciens 2.
Ce courrier explique en partie la présence dans le
cahier des deux poètes latins. Il légitime celle de la
1. M. HOLROYD, Lytton Strachey, London, Pirnlico, [1994], 2011,
p.198.
L.WüOLF, op. cit., p. 126.
38 «À quoi ai-je perdu ma jeunesse ... »
Géorgique IV et les lignes consacrées essentiellement aux
abeilles. Il jette également un éclairage singulier sur les
places occupées par Sophocle et Aristophane.
Lorsqu'on sait que Virginia commence sa lecture (sa
relecture) de l'Odyssée d'Homère en Grèce et qu'elle
en laisse de longues traces écrites à la suite des Satires
de Juvénal brusquement interrompues en une sorte
d'urgence 1, le rôle du Carnet d'études grecques et
latines se précise : il fait se rejoindre en une fraternité
d'esprit la sœur éperdue de douleur et le frère disparu.
Rome et la Grèce
La forte présence hellène dans le Carnet confirme
chez V Woolf un attrait précoce, prononcé et connu
pour cette littérature et sa langue. La Grèce inspire
durablement et quasi viscéralement ses écrits. De
nombreuses études l'ont établi. Mais peu ont examiné
son rapport aux Latins. Pourquoi en 1907 et 1908
Juvénal et Virgile trouvent-ils grâce dans un carnet qui
réunit cinq auteurs grecs ? Par ce choix, Virginia ne
renie pas son goût pour la Grèce : elle recherche
d'autres points de vue sur cette culture et, surtout, elle
construit une étude personnelle sur des genres littéraires
nés dans le monde grec.
La perspective ouverte par Virgile et Juvénal est
claire: leur écriture s'est constituée entre influence
alexandrine pour le premier et rejet de la Grèce pour
le second.Virgile, l'aîné, a donné« sa pente définitive à
la poésie romaine » (A.-M. Guillemin) : il a réussi à
concilier Lucrèce et Catulle. Tout au long des six livres
1. Près de trois pages sont laissées blanches entre les notes sur
les Satires et celles sur l'Odyssée.
«À quoi ai-je perdu ma jeunesse ... » 39
du De Natura Rerum, Lucrèce réunit une poésie romaine
très traditionnelle et l'héritage grec de la physique et
de la morale épicuriennes 1 . Catulle, inspiré par les
poètes grecs d'Alexandrie du me siècle avant notre ère,
préfère les pièces courtes, souvent galantes, dans une
langue extrêmement musicale. C'est ce caractère alexan-
drin qui retient l'attention de Virginia. Il se retrouve
dans les Géorgiques de Virgile et l' épyllion d' Aristée. Ce
genre d'épopée miniature prisée par Catulle, préférée
par les « poètes nouveaux » à l'ampleur épique de
l'œuvre homérique, n'occupe pas moins de place dans
le Carnet que le mythe d'Orphée et Eurydice raconté
par Virgile. En revanche, Virginia laisse de côté ce qui
fait le propre de l'adaptation romaine de l' alexandrinisme
gréco-égyptien : sa lourdeur moralisante. Plus que
l'éthique, c'est la sensibilité virgilienne qui séduit la
lectrice : délicatesse, intelligence, ravissant, écrit-elle, non
sans employer par deux fois le mot exquis qui désigne
pour elle le comble de la perfection. Sa lecture ne
recense pas les différentes parties qui organisent le
poème. Elle ne se limite pas à évoquer les actions des
personnages. Son attention se porte sur le travail du
détail : la précision de la description des abeilles l'amène
à réfléchir sur la valeur et le pouvoir des mots « juste
dégagés de leurs relations ordinaires » (C., p. 60). En
avril 1906, devant la difficulté à peindre la nature
passant d'une paix insipide à la tempête, elle avait jeté
dans son Journal, telle Hamlet, ce cri shakespearien : ·
« Ah ! les mots ! les mots ! Il n'est rien qui puisse être à
la mesure de ce spectacle ».Le même écho s'entendra
dans la communication radiodiffusée que V Woolf
donnera en 1937 à la BBC dans la série « Les mots me
1. Virginia le lit en février 1907 (lettres à Violet Dickinson).
40 «À quoi ai-je perdu ma jeunesse ... »
manquent ».À la différence près que l'on mesure le
chemin parcouru : l'écrivaine expose que comparer
l'écriture à de l'artisanat est impossible. Loin d'offrir '
une matière première à modeler, les mots ont des réso-
nances différentes selon leur contexte d'emploi : vie
courante, monde scientifique ou littérature. Les artisans
transmettent leurs compétences à leurs successeurs. Les
mots sont rebelles à toute passation, à toute captivité :
ils « ne vivent pas dans les dictionnaires ; ils vivent dans
l'esprit 1 ».Ils deviennent ce que nous en faisons. Ce ne
sont pas tellement les termes qu'emploie Virgile qui
intéressent Virginia. C'est ce qu'il en fait, par leur
réunion particulière, pour produire un effet de réel,
celle des mouchetures répandues sur les corps des
abeilles. Dès 1908, Virginia Stephen est à l'affût d'un
principe esthétique qu'elle ne cessera d'explorer: '
donner le sens du réel. Son objectif est déjà littéraire et
stylistique.
De même, c'est ce que Juvénal fait de la satire
grecque qui intéresse Virginia. C'est un genre dont
Archiloque de Paros (VII° av. J.-C.) est l'un des plus
illustres représentants et que les Romains ont adopté et
adapté dans le deuxième tiers du deuxième siècle.
Lucilius (II° s. av. J.-C.) est pour ses descendants, au rang
desquels figure Juvénal, un modèle absolu. Si la satire
n'a pas la noblesse de la tragédie ou la mesure de la
poésie didactique, elle a pour ingrédients essentiels ,
l'indignation et le style. La réflexion sur la satire est '
donc inséparable de celle qui porte sur le langage dans
la mesure où, selon la lecture qui en est faite, sa
réception peut être double. Le miroir déformant qui est
1. « Craftsmanship », Essays,VI, p. 96. « Words fail me» est le
titre original de cette série d'émissions.
«À quoi ai-je perdu ma jeunesse ... » 41
tendu reflète en arrière-plan un tableau de vérité, en
wut ou en partie. Cette entente équivoque permet au
locuteur de se protéger contre les effets dévastateurs de
sa parole. L'époque de Juvénal n'était pas portée à la
libre expression. Le genre satirique, ondoyant, paradoxal,
entre promesse d'enseignement et légèreté de ton,
enfreint tout autant les règles, celles qui touchent à la
langue, à l'esthétique littéraire, aux conduites humaines,
qu'il dénonce les travers d'une société en vue de la
corriger. Il porte en lui autant de moralité que de
subversion, de critique objective et impartiale que de
raillerie, d'humour et d'insolence. Le langage de Juvénal
semble hors de tout contrôle. À une époque où les
nouveaux riches comme les misérables se multiplient,
où les dénonciations et le nationalisme vont bon train
de telles positions se retrouvent comme autant de topof
dans ses Satires : haine du Grec et des mœurs orientales
rejet du cosmopolitisme, défiance par rapport ad
judaïsme, opposition entre passé et présent. La
décadence s'amorce. La force de Juvénal se place
ailleurs : il sait admirablement saisir sur le vif des
situations et des personnages dans toute l'intensité de
leur existence. C'est un peintre en littérature en quête
d'une légitimité poétique, pour lui et pour une satire
romaine nourrie de son origine grecque. Ses saillies
verbales sont autant de coups de pinceau rapides jetés
sur une toile. Cette aptitude et cette recherche
d'autorité - d'auctorialité - ont dû séduire la sœur de
la peintre Vanessa Bell, Virginia Stephen, apprentie
écrivaine à la recherche d'une nouvelle esthétique.
..,,

Comment le grec et le latin peuvent

donner de l'esprit aux filles

Dans son Journal de juillet 1903,Virginia Stephen

fait mine de s'interroger:« de quel droit, moi qui suis
une femme, puis-je lire toutes ces choses qui sont
l' ceuvre des hommes ? Ils se moqueraient bien de moi
s'ils me voyaient. » Comme nombre de femmes qui
l'ont précédée dans l'étude des textes anciens, elle
éprouve le sentiment d'être une intruse. Le Carnet de
1907-1909 est celui de la clandestinité, celui dont on
ne parle pas mais où l'on s'exprime sur les textes à l'égal
des savants du monde universitaire. Ainsi, les notes sur
Le Banquet de Platon regrettent que le style de la
conversation ordinaire ne soit pas rendu « de manière
heureuse par Jowett qui doit les adoucir en des vers
amples, sur le modèle du 18e siècle» (C., p. 53). L'entrée
dans ce monde parallèle a commencé, hors les murs de
l'université, avec les cours particuliers de Clara Pater,
sceur de l'historien d'art Walter Pater, puis de Janet Case.
La rencontre avec cette dernière en 1902 marque
durablement l'élève. Virginia admire doublement son
professeur : comme helléniste, comme femme engagée
44 Comment le grec et le latin ...
dans la cause féministe et dans celle des pacifistes. Sur
le plan intellectuel, Miss Case est reconnue pour ses
compétences par« le grandVerrall lui-même 1 »:elle a
publié une édition du Prométhée enchaîné d'Eschyle, avec
notes et traduction. Cette « noble Athéna » sait rendre
un texte captivant et faire des ponts entre antiquité et
modernité : elle compare Euripide à George Meredith,
Eschyle à William Wordsworth. Elle ne craint pas
d'opposer ses théories aux opinions déjà très arrêtées
de sa jeune auditrice pour mieux lui montrer comment
interpréter un texte en lectrice experte. Virginia
reconnaît:« j'étais [... ] obligée de réfléchir davantage
qu'avant» (JA, p. 251). Au bout d'un an et demi, ces
séances prennent fin. Le Carnet de 1907-1909 continue
le dialogue entre les textes et V Stephen.
Un corps à corps solitaire
Le dialogue est double en réalité. Il se donne pour
objectifs de pénétrer le monde des idées et les beautés
d'un style plus que les arcanes d'une langue ; ils' engage
aussi en partie - et c'est l'originalité de ce Carnet -
avec les auteurs des éditions de textes antiques que
sont A. WVerrall, R. C. Jebb, B. Bickley Rogers et B.
Jowett. Ceux-ci exercent une influence majeure sur les
études classiques. Ils symbolisent Oxbridge. Face à ces
figures intellectuelles réfléchissant « une image de
l'homme deux fois plus grande que nature2 »,le travail
de Virginia exige un corps à corps solitaire à la fois
avec les procédés employés par les Anciens et les thèses
1. « Miss Janet Case: Classical Scholar and Teacher », Essays, VI,
p.111-112.
2. V WOOLF, Une chambre à soi, trad. de Cl. MALRAUX, Paris,
Denoël, 10/18, 1992, p. 54.
Comment le grec et le latin... 45
développées par leurs commentateurs. Sans s'encombrer
de raffinements littéraires dans la rédaction, la lectrice
pose des questions, entend ses interlocuteurs de papier,
ose des réponses.
Ainsi, Ion est l'occasion dans le Carnet d'une
réflexion sur le rationalisme d'Euripide.Verrall effleure
à peine le thème dans l'introduction à son édition de
la pièce en 1890. Il y revient spécialement en 1895 dans
Euripides the rationalist montrant que « l'action [de la
pièce] s'inspire réellement de l'hypothèse qu'il n'y a pas
d'Apollon, l'oracle étant une supercherie 1 ».L'ouvrage
rencontre une grande audience. Lytton Strachey,
comme les membres du groupe de Bloomsbury, est
enthousiaste. R. C. Jebb marque son scepticisme.
Problème de génération. Virginia a-t-elle lu cet
ouvrage ? Quoi qu'il en soit, la tragédie n'emporte pas
son adhésion. Elle la trouve « peu satisfaisante » (C.,
p. 52). Elle suit Verrall qui trouvait la conclusion « futile
et décevante » par les actions répétées d'un deus ex
machina. Elle reproche à Euripide de ne pas avoir donné
une opinion « naturelle », « précise » sur les conduites
divine et humaine. En cela, il a introduit le doute sur la
notion de vérité. Si l'oracle de Delphes est faux, en quoi
faut-il croire ? interroge Verrall. Certes, Euripide met
en cause les dieux : Apollon se signale par sa fausseté,
Athéna par ses mensonges. Mais la situation reste sans
1
issue et l'impunité des dieux irrecevable : il est
« incroyable qu'un dieu agisse ainsi et soit jugé avec
autant d'indulgence », répond Virginia en écho. Les
autres personnages sont placés, quant à eux, dans des
1. A.W VERRALL, Euripides The Rationalist,A Study in the History
ofArt and Religion, Cambridge, Cambridge University Press,
1895, p. 262.
46 Comment le grec et le latin ...
situations limites : le double infanticide raté (à la
naissance d'ion puis dans le sanctuaire de Delphes) et
le matricide un temps envisagé auraient fait sombrer la
pièce dans la tragédie totale, comme dans le cas de
Médée. Virginia ose une proposition pour rééquilibrer
l'ensemble : « mettre Apollon et Créuse face à face, et
[... ] faire de quelqu'un, disons Xouthos, juge de leur
culpabilité partagée» (C., p. 51).
Quelle responsabilité les dieux ont-ils dans les méfaits
qu'ils commettent ? Dans l'introduction de son édition
Verrall rappelle l'antipathie et le mépris d'Euripide pou:
la religion olympienne en général et Apollon en
particulier. Oreste, Andromaque, Ion surtout, mettent à mal
l'autorité du dieu et son sanctuaire à Delphes. Mais statuts
divin et humain ont parties liées : comment l'homme
peut-il être blâmable lorsqu'il agit comme les dieux?
Virginia répond en s'interrogeant sur la finalité de la
tragédie : « L'homme ne fait alors qu'imiter la conduite
de ceux qui le dominent, et il n'est pas juste de l'en
blâmer.[ ... ] Est-ce là le thème tout entier de la pièce -
éprouver un vieux mythe inconvenant de manière
rationnelle?» (C.,p.44).Elle reformule cette pensée dans
la seconde partie de ses notes sur Ion :
La principale énigme dans la pièce, bien sûr, est - quelle opinion Euripide
avait-il de la conduite d'Apollon 'fl est assez évident qu'il a vu toutes
les objections que tout rationaliste soulèverait actuellement; il les place
dans la bouche d' Ion, lorsqu'il dit que les dieux sont jugés par une loi
et les hommes par une autre (C., p. 51).
Virginia, fille du rationaliste empirique Leslie Stephen,
convoque les voix du rationalisme contemporain sans
les nommer. Pense-t-elle à La Naissance de la tragédie de
Nietzsche ? L'ouvrage confronte dans le domaine des
arts et donc dans la tragédie deux forces divines,
Comment le grec et le latin .. . 47
Dionysos et Apollon, jusqu'au moment où Euripide,
sur scène, et Platon, en philosophie, font triompher la
raison. Virginia connaît dès l'époque du Carnet la
pensée du philosophe allemand dont l' œuvre se veut
une généalogie critique de la culture en Occident. Dans
un compte rendu pour le Times Literary Supplement en
1908, elle écrit : « Tandis que Tolstoï, Ibsen et Nietzsche
envoyaient des vagues de pensée fraîche à travers le
continent, l' Anglais dormait paisible ou ne levait pas les
yeux de ses propres affaires 1 . » Un des membres
originels du groupe de Bloomsbury, Desmond
MacCarthy, ancien de Trinity College, Cambridge,
«l'apôtre favori de G.E. Moore», selon Leonard Woolf,
avait exposé dans un article pour l' Independent Review
l'appréhension esthétique que Nietzsche avait du
monde. On en parlait dès les soirées de Thoby au 46,
Gordon Square.
Virginia a sans doute à l'esprit les travaux de
l'anthropologue James Frazer, l'auteur du Rameau d'or.
Ou ceux de Jane Harrison qu'elle avait rencontrée à
Cambridge en 1904. Les Prolegomena (1903) incitent à
retrouver derrière les mythes grecs des rites devenus
inintelligibles avec le temps.Virginia répond de manière
affirmative à la question qu'elle se pose au début de ses
notes : « Pendant la première partie de la pièce, il semble
clair qu'Euripide a pris un vieux mythe choquant et
qu'il le traite comme s'il était une belle histoire, à
"•' examiner de manière critique. » La remarque est à
première vue proche de celle que la lectrice avait émise
à propos des aventures d'Ulysse:« C'est exactement
comme un conte de fées» (C., p. 16). En soulignant la
dimension qu'Euripide donne à sa pièce, Virginia va
1. «The Stranger in London », Essays, !, p. 203.
48 Comment le grec et le latin ...
néanmoins ici beaucoup plus loin et approche la pensée
de]. Harrison : les mythes sont bien plus que de belles
histoires. Elle revient sur cet aspect dans Phèdre, en
s'interrogeant à la suite de Platon sur la valeur du mythe
et au degré de vérité qu'il véhicule. De même, Ion
d'Euripide repose sur la recherche de la vérité. Tout
comme Les Grenouilles d'Aristophane où Dionysos,
inquiet de la survie de la tragédie, n'entrevoit d'autre
puissance que spirituelle. Le sujet, au cœur des
discussions de Bloomsbury, mérite d'être approfondi
par la lecture des textes du passé.V. Stephen s'y emploie
dans le Carnet. Au-delà du folklore mythologique, la
question du vrai, de la vérité, se situera au cœur de la
pensée woolfienne. Aller au-delà des apparences et des
faux-semblants, différencier intelligible et sensible, telle
sera la mission à remplir. Le personnage de Rachel au
sortir de sa lecture d'Ibsen en donne un témoignage
dans Traversées :
Elle finit par fermer son livre d'un geste sec, se renversa en arrière
et prit une profonde inspiration, témoignant de l'émerveillement
qui toujours marque la transition du monde de l'imagination au
monde réel.
« Ce que je voudrais savoir, fit-elle tout haut, c'est ceci : quelle
est la vérité ? Quelle est la vérité de tout ça ? »
Que Virginia prenne en notes dans la même année
1908 l' Ion d'Euripide et l' Ajax de Sophocle ne
surprend pas. Le thème du rationalisme les réunit.Jebb
avait déjà traité, dans les « Catena classicorum », de
«l'anomalie apparente dans la construction de l'Ajax1 ».
Il lui avait consacré une quarantaine de lignes
seulement, sans se fonder sur la critique, mais sur ses
1. R. C.JEBB, Sophocles, The Ajax, London, Rivingtons, «Catena
Classicorum », 1869, p. XII.
Comment le grec et le latin... 49
propres impressions avec beaucoup de précautions
oratoires. Dans Sophocles, Plays and Fragments VII que
Virginia utilise, il convoque la critique moderne à
plusieurs reprises. La lectrice reprend le procédé avec
la caution de Jebb : « Il dit que les lecteurs modernes se
plaignent de ce que la dernière partie est ennuyeuse »
(C., p. 73). Le cheminement de la pensée du savant,
pédagogiquement exposé, se retrouve dans le Carnet :
Ajax mérite-t-il des funérailles ? Doit-on le considérer
comme un héros ou non? Son repentir l'absout. Quelle
part d'ironie ses paroles contiennent-elles ? L'humeur
du Grec a changé, mais non sa résolution de se suicider.
Virginia fait aussi sa propre lecture de la pièce en dix
longues pages (p. 62-72). Elle isole à la fin de ses notes
la contribution du savant (p. 73). La part de chacun est
clairement identifiable par le discours déclaratif utilisé :
« il dit que », « il pense que », « certains pensent que »
et, à la fin,« je pense que ».Comme si Virginia laissait
s'exprimer la parole professorale, garantie d'un savoir
reconnu. Mais elle fait entendre aussi sa propre voix. Il
se crée, plus que dans les autres pages, un mouvement
dialogique entre la lectrice et le représentant de la
réflexion universitaire. Les notes savent donc alterner
selon les textes, entre monophonie et polyphonie. Dan;
le contexte autodidactique qui est le sien entre 1907 et
1909, les livres se donnent àVirginia comme des maîtres
de substitution dans une relation idéale où ils autorisent
l'élève - ou plus exactement la critique débutante - à
s'exprimer. La caution académique importe moins que la
possibilité d'entrer au mieux en sympathie avec les Grecs
dans la perspective d'écrire et de publier à leur sujet.
Le rythme de travail est régulier entre décembre
1907 et la fin juillet 1908, moment où Virginia se
trouve dans un autre corps à corps solitaire, celui qui la
50 Comment le grec et le latin ...
met aux prises avec l'écriture de Melymbrosia. En juin 1908,
Walter Headlam meurt. Il finissait une édition d'Eschyle
sur laquelle il échangeait beaucoup avec Virginia.
L'ouvrage sera publié de façon posthume en 1909.Après
la prise de notes sur la Géorgique IV à la fin juillet 1908,
tout s'arrête.Virginia est en vacances dans le Somerset et
au pays de Galles. Le 7 décembre, elle reprend son Carnet
et écrit sur Ajax. Une lettre à Lytton Strachey révèle
qu'elle a terminé sa lecture le 4 janvier 1909. «Je viens
juste de terminer Ajax. Les Anciens me déconcertent- ils
sont ou bien si profonds ou bien si élémentaires que
lorsqu'on doit expliquer chaque mot, on ne sait pas par
lequel commencer. Quoi qu'il en soit, il y a au moins un
passage d'une grande beauté bien que je trouve qu'il y a
20 façons différentes de le lire 1. » Elle commence Les
Grenouilles la semaine suivante. La pièce n'occupe que trois
feuillets. Elle marque le début d'un essouffiement. Rien
ne se passe jusqu'en mai où quelques notes sont jetées
hâtivement sur Phèdre.Virginia s'interrompt au bout de
vingt-trois lignes, renonçant aux deux tiers restants du
dialogue et laissant en blanc le dernier quart de la page. Le
Carnet a été subitement abandonné.
Une explication serait possible, livrée par l' œuvre
romanesque. Le nom du Phèdre de Platon n'y apparaît
que deux fois - dans une page de La Chambre de Jacob.
Jacob lit le dialogue, imperturbable dans la nuit
pluvieuse et bruyante qui entoure le quartier du British
Museum où il habite. La sentence tombe : « Le Phèdre
est très difficile. »Jacob le termine cependant, pris par
l'énergie qui en émane.VWoolf exprime-t-elle ici une
difficulté qu'elle-même a ressentie, une situation qu'a ,
vécue Thoby dont Jacob serait le double ? · à la douleur intime. Celle-ci se glisse pourtant dans les
1. Letters, I, n° 464, p. 378.
Comment le grec et le latin... 51
La vie de V Stephen au jour le jour ne laisse pas fùtrer
plus d'éclaircissements. En février 1909, une demande en
mariage de Lytton Strachey avait été mutuellement
annulée. En avril, la tante Quaker, Caroline Emelia
Stephen, était décédée faisant de Virginia sa principale
héritière. À la fin du mois et au début mai, Virginia
accompagne Vanessa et Clive à Florence. Elle revient à
Londres, seule et déçue. Le journal tenu en Italie
ressemble plus à un essai sur le pays qu'à un recueil de
confidences. Au retour à Londres, ce cahier n'a pas de
lendemain. Les lettres restent les seuls témoins d'une
existence assez banale.Virginia se rend aux funérailles de
la fille de sa cousine Madge, décédée après une opération.
Elle apprend à sa sœur Vanessa la disparition du poète et
romancier George Meredith dont Leslie, leur père avait
été l'ami admiratif. Pour Virginia, en mai 1909, la vie
sociale a repris son cours entre opéra, théâtre et rencontres
avec l'imposante Ottoline Morrell, amoureuse des arts« à
tête de Méduse 1 ».Elle se rend chez les Freshfield où l'on
débat sur les arts et l'immortalité de l'âme Oettre à Lytton
Strachey, 4 juin).Avait-elle emporté Phèdre et le Carnet à
cette occasion? Ce séjour avait-il été propice à
l'ouverture de la rubrique et au dépôt hâtif de ces
quelques « notes » ?
Les silences de l'écriture
Le Carnet d'études n'est pas seulement fait de
phrases et de mots. Il est aussi traversé de silences. Le
rythme de la prise de notes - résumé, vision
académique, regard personnel - permet de faire barrage
1. Letters, I, [mai 1909], n° 487, p. 395.
52 Comment le grec et le latin ...
interstices de l'écriture. Souvent, la frontière entre voix
extérieures et voix intérieure paraît ténue, comme si la
lectrice trouvait dans le fonds antique un écho à sa
situation personnelle. La Géorgique IV en fournit un
exemple saisissant.
En une sorte de mise en abyme, Virgile inscrit la
légende d'Orphée et Eurydice (v. 453-531) à l'intérieur
même du mythe d'Aristée (v. 315-558) présenté comme
un aition, un récit étiologique. Il s'agit d'expliquer le rite
de la bougonie destiné à restaurer des ruchers dévastés.
Aristée est la cause indirecte de la fatalité qui s'abat sur le
couple. L'apiculteur a tenté de séduire la dryade Eurydice.
Les nymphes, ses compagnes, le punissent en détruisant ses
abeilles, symboles du Verbe et de la connaissance ·(v. 317-
529). Désormais instruite de la cause de la ruine de son
fùs, Cyrène lui conseille d'honorer les divinités des vallons
et des forêts par des sacrifices et des offrandes. Dans le bois
sacré, le prodige s'est accompli :
On voit à travers les chairs liquéfiées des bœufS, des abeilles
grouiller dans tout leur ventre en bourdonnant et s'échapper à
gros bouillons des flancs éclatés, puis se former en nuées im-
menses et affluer en masse au sommet d'un arbre dont elles font
ployer les branches en y suspendant leur grappe'.
La bougonie a eu lieu : les bovins (~ouç) ont donné
naissance (yov(<X) à des abeilles par génération spontanée
(v. 548-558). « C'était le seul moyen disponible à
l'époque pour expliquer la génération d'une race
d'insectes réputée se reproduire sans sexualité, d'une
manière parfaitement chaste et pure 2• »
1. VIRGILE, Géorgique IV, v. 555-558, trad. de E. DE SAINT-DENIS,
Paris, Les Belles Lettres, C.U.F., 1974.
2. P.-H. et F.TAVOILLOT, L'Abeille (et le) Philosophe, Étonnant voyage
dans la ruche des sages,« Butinage n° 3 »,Paris, Odile Jacob, 2015.
Comment le grec et le latin ... 53
Virginia montre son intérêt pour cette fable. C'est
aussi le seul lieu où elle cite du latin : elle prend la peine
de recopier les vers 471-4 77. Le tableau virgilien
consigné par la lectrice dans la langue originale paraît
funeste : fantômes, corps, bûcher. Plus encore, morbide.
Th. Koulouris qui a fondé sa thèse sur les liens entre
hellénisme et deuil chez V.Woolf explique cet attrait :
À en juger par ce qu'elle écrit dans le Carnet grec, la fascination
de Virginia pour la mort est frappante ; et bien que dans les cha-
pitres suivants je soutienne que le grec était le langage qu'elle
avait choisi pour exprimer le deuil, cette fascination est aussi
discernable dans son analyse de la Géorgique IV de Virgile, dont
la narration est en tout cas fondée sur le mythe grec de la ren-
contre d' Aristée avec Protée au cours duquel ce dernier raconte
le mythe d'Orphée et Eurydice'.
Cette interprétation souligne combien Virginia a été
marquée par la mort. Mais son état d'esprit et ses prises
de notes sont sans doute plus complexes, presque laby-
rinthiques, pour reprendre une image mythologique.
Dépassant l'horreur des Enfers, la cruauté des Bacchantes,
la pourriture des entrailles animales et le grouillement
des abeilles qui en surgissent pour recoloniser les
ruches, Virginia met en avant le personnage d' Aristée
caractérisé par une double culpabilité, celle d'avoir
perdu par sa faute la vie de deux êtres promis au
bonheur, celle d'avoir remis en cause ce qui faisait sa
richesse : sa capacité à élever des abeilles.Virginia aussi
se sent coupable. Le deuil marque son emprise sur
l'orpheline de père et de mère, successivement privée
de sa demi-sœur Stella et de son frère Thoby. Les sept
vers recopiés en latin trahissent que Virginia, restée
vivante, porte en elle la responsabilité de la disparition
1. Th. KOULOURIS, Hellenism and Lass, p. 71-72.
 54 Comment le grec et le latin ...
des membres de sa famille (C., p. 60 verso). Ces lignes)
correspondent singulièrement à sa situation: parmi « les:
ombres ténues et les fantômes des êtres privés de la'
lumière», figurent Julia, la mère, Leslie,le père, Stella, non·'.
pas décédée « avant le mariage » mais au retour de son
voyage de noces et Thoby; dont la jeunesse a été immolée
« sur le bûcher sous les yeux de » Virginia impuissante. ,
Elle n'a pas su amener au chevet du frère chéri revenu
malade d'un voyage partagé en Grèce un médecin com- ·
pétent.Virginia, comme Aristée, est exclue de l'harmonie ·
universelle qu'a su au contraire goûter le vieillard de .
Tarente sur son modeste lopin de terre, symbole d'un âge '.
d'or perdu1 . Ce temps est également révolu pourVirginia.
Cependant, les voix des fantômes du passé ne cessent de
la poursuivre, comme ces oiseaux chantant en grec qui
vont hanter son esprit et son œuvre. Ils semblent tenir
leur existence des vers de Virgile : ombres, fantômes, êtres
privés de la lumière, oiseaux se cachant dans le feuillage.Autant
d'échos de souvenirs autour de Leslie etThoby; excellents
dessinateurs de la faune aviaire.
Virginia est un Aristée au féminin. Si elle ne se
soumet pas aux lois du mariage, comme l'y invitent la .1
société et sa sœur Vanessa, elle sera punie comme
l'apiculteur. Pour lui, comme pour elle ou pour
Orphée, 1' enjeu est la résurrection. Orphée échoue dans
cette quête. Aristée réussit à régénérer ses ruches. Le ,
mythe est « exquis au plus haut point » car il apporte ·
un message positif.Virginia veut le croire. Elle y trouve
consolation et encouragement à persévérer. Elle
surpasse sa fascination pour la mort, si fascination il y a.
Elle écrit reprenant scrupuleusement le contenu
virgilien des vers 220 à 226 :
1. VIRGILE, op. cit., v. 125-148.
Comment le grec et le latin ... 55
Les abeilles considérées par certains comme ayant en elles un
esprit divin en raison de leurs instincts. Certains pensent qu'il y
a un dieu dans la terre, dans les bêtes et l'homme, bref tout ce
qui a vie ; par conséquent, ils ne connaissent pas la mort, mais
sont rappelés parmi les étoiles et y vivent. Cela ressemble au point
de vue bouddhiste (C., p. 60).
C'est la seule fois où le vers est précisément numéroté
dans les notes sur la Géorgique, comme s'il fallait le
repérer aisément sur le bord de la marge dans le Carnet.
Virginia emploie le terme instincts (c'est aussi le mot
anglais) pour désigner les mœurs des abeilles (mas, en
latin). Les travaux de Charles Darwin étaient bien
connus chez les Stephen. Thoby avait conservé de ses
études à Clifton College The Origin of Species by Means
of Natural Selection, or the Preservation of Favoured Races
in the Struggle for Life. Cet ouvrage figure encore dans
la bibliothèque des Woolf. Dans un livre sur la famille,
Leslie Stephen, réputé pour son agnosticisme, avait
tenté de réunir utilitarisme et éthique intuitionniste en
recourant au concept darwinien de force évolutive. Il
reprend, pour la société humaine, la métaphore de la
ruche « qui a fourni tant de parallèles aux poètes et aux
philosophes» et l'idée que l'abeille en tant qu'individu
a moins de valeur que la communauté dans laquelle elle
vit et travaille 1 . L'allusion à Virgile, entre autres, que
Leslie lit et relit avec ses enfants, est limpide. La
métaphore de la ruche oppose deux visions de la
société. La première est traditionnelle : les hommes sont
conduits par leur chef, comme le berger mène son
troupeau, selon le modèle hiérarchisé où le Prince est
un bon pasteur. Le type de gouvernement qui régit le
1. L. STEPHEN, The Science of Ethics, London, Smith, Eider & Co,
1882, p. 99.
 56 Comment le grec et le latin ...
monde des abeilles est différent : à la fois collectif et
participatif, il se résume dans l'image de l'essaim. La
communauté, l'entraide et la survie du groupe priment.
Virgile ne dit pas autre chose. Lorsque la guerre éclate,
ce n'est pas à l'intérieur de la ruche même: la guerre
civile n'existe pas. Les seules luttes possibles sont celles
qui mettent aux prises les rois de deux ruches
différentes.À Cambridge,Thoby fréquentait une ruche
intellectuelle et« secrète »,les Apôtres, sans en être un.
En 1920, souvenir et phénix renaissant des années
cambridgiennes, le Memoir Club rêvait encore, mais sans
lui, d'une organisation structurée autour de la pensée
de G. E. Moore, des théories économiques de J. M.
Keynes et du socialisme de L. Woolf. Dans son
Autobiographie, celui-ci rappelle « l'immense
importance » de la Société des Apôtres et « l'influence
qu'elle eut sur les esprits, les amitiés et les existences »
de sa génération 1. La lettre déjà mentionnée de Thoby
à Leonard en 1905 prend un sens plus politique. Par la
littérature ancienne et l'exemple des abeilles (« une
quasi-satire»), il prenait conscience d'un autre système
de valeurs et de la puissance que donne un esprit de
corps. Influencé par son cercle d'amis et les discussions
qui l'animaient, l'étudiant bourgeois de Hyde Park
Gate envisageait une utopie socialiste prônant le schéma ,
coopératif.
Virginia rapproche du bouddhisme les commentaires
traditionnels sur les mœurs des abeilles. Ils relèvent des
interrogations humaines sur le mystère de la vie. Comme
l'observe D.Young, même si « Woolf admet sa méfiance
pour des réponses religieuses organisées, [... ] elle
exprime aussi une vision de la vie dans son art
1. L.WOOLF, Sowing, p. 129.
Comment le grec et le latin... 57
profondément mythique ou religieuse 1 ». En Inde
comme en Grèce, le récit mythique fournit une tentative
d'explication et de réconfort. Là-bas, le sage Siddhârtha
(dit encore Bouddha ou« !'Éveillé») cherche un remède
aux douleurs de l'existence d'autant plus répétées qu'elles
sont entraînées par le samsâra, le cycle infini des
renaissances et des transmigrations. Il parvient à trouver
la délivrance dans l'enseignement védique, la voie de la
connaissance et celle d'actes définis par des pratiques
rituelles ascétiques. Dans l' Antiquité classique, « la
bougonie permet[ ... ] de figurer à merveille l'idée de la
réincarnation, de la métempsycose et de l'immortalité de
l'âme : comme un essaim quitte une ruche, une âme
quitte son corps ; mais reparaît néanmoins à partir d'un
corps mort pour aller en occuper un autre vivant2 ». La
remarque de Virginia est intéressante à plusieurs égards :
la mention du bouddhisme, la réflexion implicite sur le
principe vital, l'idée de renaissance. On attendrait un
rapprochement entre l'idée de la migration des âmes et
la métempsycose des Pythagoriciens grecs. Il n'a pas
lieu. L'allusion au bouddhisme prévaut. Elle se justifie.
Au début du xrx0 siècle, la Grande-Bretagne, par ses
colonies, et l'Europe en général avaient découvert la
pensée indienne. Au milieu du siècle, Robert Spence
Hardy avait fait paraître un manuel du bouddhisme.
L'observation faite dans le Carnet devient essentielle
lorsque l'on considère que cette sagesse orientale va
laisser des traces dans Les vagues par exemple. Pour
Virginia Stephen, comme pour Virginia Woolf donnant
1
1. D. YoUNG, « The Mythological Element in Virginia Woolf's The
!Mzves: Bernard's Vision »,Iowa Journal ef Literary Studies 7 (1986),
p. 94-104. Consultable sur http://ir.uiowa.edu/ijls/vol7 /iss1/25
(consulté le 13 juin 2018).
2. P.-H. et F.TAVOILLOT, op. cit., « Butirfage n° 3 ».
58 Comment le grec et le latin ...
la parole à Bernard, « la mort est l'ennemi » et malgré
l'adversité, ce qui doit être recherché avec
détermination, « oui, c'est bien l'éternel renouveau,
perpétuellement la montée et la chute et encore la
chute et la montée 1 ». C'est aussi le mouvement de flux
et de reflux des vagues. D.Young analyse en suivant de
près le texte woolfien :
Le titre du livre, Les J.iigues, suggère la relation mythique des
personnages au ventre de la déesse-mère, avec laquelle la mer
est souvent associée. La déesse-mère devient la source de régé-
nération. L'image des vagues suggère un monde créé non pas à
la façon d'un fait qui aurait eu lieu au commencement des
temps, mais de manière continue, pour l'éternité, comme le fon-
dement de toute existence; car il n'y a jamais eu de commen-
cement des temps, il n'y aura jamais de fin, c'est maintenant
qu'a lieu le moment créatif'.
L'affirmation si nietzschéenne exprimée dans Les Vcigues
se termine par une note d'espoir, la montée. Comme
Bouddha, V Woolf est confiante dans la répétition des
rythmes de la nature. Le rapprochement fait ici par
D. Young avec la déesse-mère mérite d'être repris et
approfondi en liaison avec la fable d' Aristée. Tous deux
font partie des mythes qui posent la question des
origines de la vie et, par extrapolation, celle de la
connaissance. Le rite sacré de la bougonie appartient au
monde masculin. La déesse-mère illustre le point de
vue féminin. La Mother Goddess est à la fois symbole de
la création, de la naissance, donc de la vie et image de
la mort, comme Aristée voit renaître les abeilles dans
les entrailles putréfiées de bovins. Elle procède à la
genèse de tous les éléments vitaux et peut prendre des
1. V.WOOLF, Œuvres romanesques II, Les Vagues, p. 615.
2. D.YouNG, op. cit., p. 98.
Comment le grec et le latin ... 59
visages variés, comme celui de Déméter, déesse de la
fertilité dont le nom dérive du grec rfj M~Tl']p, (( la
Terre-Mère ». Dans la mythologie grecque, sa vie
s'ordonne autour du rythme des saisons. L'hiver la
condamne à 1' étiolement et à la solitude lorsque sa fille
rejoint son époux, roi des Enfers. L'été, Déméter renaît
avec le retour de Perséphone libérée d'Hadès. Cette
alternance rappelle celle qui anime la vie de Virginia :
les moments où l'écriture se répand comme mille fleurs
et celle où elle se fait difficile et douloureuse. Déméter
est entourée de nymphes : parmi elles et avant l'épisode
d'Aristée, Mélissa découvre le miel (µÉÀL) dans un lieu
qui, dans Les Vcigues, proscrit l'écriture, la forêt. Celle-
ci, comme la mer, laisse parfois paraître des fantômes, à
l'image de Percival/Thoby ou de Julia/Terre-Mère,
dont l'écrivain doit s'emparer pour nourrir sa plume.
«L'envol de l'esprit»
Pour ce qui est de l'écriture - je veux moi aussi exprimer la beauté
- mais la beauté (la symétrie ?) de la vie & et du monde dans
l'action. [... JJe parviens à créer une harmonie à partir de discor-
dances infinies, en faisant apparaître toutes les voies qu'emprunte
l'esprit pour traverser le monde ;j'obtiens, au bout du compte, une
sorte d'ensemble fait de fragments frémissants ; voilà, à mon avis, ce
qui semble être le processus normal ;l'envol de l'esprit (TA, p. 489).
Ces lignes extraites du Journal sont contemporaines
du Carnet. Elles sont rédigées pendant le voyage en
Italie de septembre 1908 en compagnie de Clive et
Vanessa Bell. Virginia a lu Virgile dans l'été. Elle lira
Sophocle en décembre. Elle oppose ici à propos d'une
fresque du Pérugin, comme elle l'a sans doute fait dans
une conversation avec sa sœur peintre, la beauté
exprimée dans le monde pictural - une beauté muette
et quelque peu figée - et celle, différente, qu'elle
60 Comment le grec et le latin . ..
voudrait exposer par l'écriture, la beauté dans l'action.
Les textes qu'elle prend en note dans le Carnet
contiennent tous les ingrédients mentionnés : la beauté,
telle que la définit Platon dans le Banquet et Phèdre,
l'harmonie virgilienne, la discordance dans l' Ion
d'Euripide, l' Ajax de Sophocle ou encore les Grenouilles
d' Aristophane. Tous comportent ou suscitent une
réflexion sur l'écriture et la créativité, cet envol de
l'esprit auquel Virginia aspire.
Le Carnet débute par une interrogation. « Tous
écrivent - Pourquoi pas moi aussi ? »Au premier abord,
le lecteur ignorant de la teneur du document peut
hésiter sur l'auteur de ces lignes: s'agit-il de Juvénal
dont le nom est mentionné en titre, de Virginia
s'identifiant à la posture de Juvénal, de Virginia elle- ,
même ? La dernière conjecture est vite repoussée par
le texte latin:« Je vais bien voir ce que j'ai le droit de
dire de ceux dont les cendres pavent la Flaminia et la
Latina1 ! » Il s'agit bien des paroles de Juvénal.Virginia
ne dit pas autre chose, certes dans un langage moins
imagé et dans une traduction très libre : «Je vais donc
voir quel spectacle les morts nobles de la génération
précédente ont à offrir ».Il est tentant mais hasardeux
de mêler biographie et activité scripturale, toute
modeste et intime qu'elle soit dans ce Carnet. C'est la
voix de Juvénal qui se fait entendre ici au prisme
quelque peu trompeur d'une lectrice qui ne conserve r.
que ce qui l'intéresse au premier chef. Il n'empêche
que le choix de Phèdre qui clôt l'ensemble est troublant.
Comme le Banquet, il traite de l'amour. Mais le dialogue
platonicien expose également un dilemme, celui auquel
1. JUVÉNAL, Satires, I, v. 170-171 (d'après la trad. d'O. SERS), Paris,
Les Belles Lettres, 2011.
Comment le grec et le latin... 61
se heurtaient les anciens Égyptiens sur la question du
bien-fondé ou des dangers de l'écriture : quelle place
attribuer à 1' œuvre écrite ? Par-delà les siècles, les
préoccupations de Platon et de Juvénal sembleraient
rencontrer les propres tâtonnements de la future
romancière : quelle place - quelle forme - accorder à
une écriture qui, sans faire barrage aux temps anciens,
s'en nourrirait pour mieux les dépasser? Cette
interprétation est séduisante. Elle rencontre la volonté
de la romancière. Mais elle ne reste qu'une conjecture :
la prise de notes s'arrête à la page 77, sans avoir effieuré
le passage de Platon sur l'écriture.
Beauté, harmonie, discordances. Virginia Stephen les a
trouvées dans la littérature latine comme dans la
grecque. Force de vie, aussi. En plaçant dans le titre de
son premier roman le miel et l'ambroisie
(Melymbrosia), deux symboles d'immortalité ou de
résurrection dans !'Antiquité, Virginia se convainc de
choisir le parti de la vie et celui de l'écriture qui en
effet peut rendre immortel. Si « Virgile, notre vigie »,
notre phare - pour reprendre un symbole woolfien -
nous guide « vers une humanité réconciliée 1 >>,Virginia
ne s'y était pas trompée : il lui donnait une
incommensurable « sensation d'harmonie 2 » après
plusieurs descentes aux enfers. Faut-il aller plus loin?
La fréquentation de Virgile inspira-t-elle également le
titre du deuxième roman de V Woolf, Nuit et Jour?
Passé (victorien) et présent, silence et parole, obscurité
et lumière : l'auteure y explore ces thématiques en
jouant avec les mots, leurs contrastes - leurs
1. X. DARCOS, Virgile, notre vigie, Paris, Fayard, 2017. «Vers une
humanité réconciliée » est le titre du dernier chapitre.
2. ]A,p. 316.
62 Comment le grec et le latin ...
discordances - et sur leurs frontières. Orphée représente
à lui seul ces trois couples oxymoriques. Son bonheur
avec Eurydice remonte à un passé qu'il voudrait
retrouver en abolissant le présent et en la délivrant des
Enfers. Figure de la poésie lyrique, il se heurte au '
silence des morts. Le mutisme lui est impossible. Même
une fois décapité par les Bacchantes, sa parole continue
à se répandre en une longue plainte : « sa tête descendait
le courant, en criant "Eurydice"» (C., p. 61). Quittant
le monde chthonien, il est la nuit qui devient jour, mais
l'absente ne se fera pas présente pour autant 1• Les ,
mêmes mouvements vers des états contradictoires se
retrouvent dans Nuit et Jour.
Le temps n'est pas seulement constitué d'un passé
et du présent. Il y a place pour un avenir. Dans les notes
qu'elle prend sur le Banquet, Virginia suit rigoureuse-
ment le mouvement dialectique des échanges entre la
prêtresse Diotime et Socrate. Les corps, les âmes et les '
connaissances se renouvellent sans cesse. Ce renouvel-
lement, tant physique qu'intellectuel, est garant de leur
pérennité. Le savoir, comme le corps et l'âme, est une
forme de vie. Les êtres humains le recherchent et le
pratiquent pour donner un sens et une continuité à
leur existence. Génération, renouvellement, succession indi-
quent une idée de suite, d'héritage, de transmission et
donc de filiation.Virginia a reçu de ses parents un prin-
cipe de vie constitué d'un corps et d'une âme (lJJuxfi).
Platon, comme les auteurs qui alimentent le Carnet,
nourrissent son esprit (vouç). Dès 1908, Virginia Ste-
phen revendique ces deux parentés. Comme ses
1. Plus loin, dans Ajax (C., p. 65),Virginia apprécie de nouveau
l'image de la nuit cédant sa place au jour, celui-ci autorisant
l'espoir de temps meilleurs.
Comment le grec et le latin... 63
semblables, elle pourra atteindre l'immortalité par la nais-
sance d'une postérité, sous quelque forme qu'elle soit,
enfants de chair ou ceuvres de l'esprit. En choisissant la
littérature, elle se propose d'accéder à la connaissance
véritable, celle des formes intelligibles, que l'âme a perdue
en élisant domicile dans un nouveau corps matériel mais
qu'elle perçoit en traversant les apparences et en franchis-
sant les limites du monde sensible.
Knowledge is recollection; re-birth. À la suite de
B. Jowett, Virginia traduit µE!.nfi par recollection,
« souvenir », « mémoire », qui conviendrait davantage,
par son préfixe re- à l'èxv&µvriaLç grecque et à notre
mot « réminiscence », notion au centre du débat
platonicien dans Ménon, Phédon ou encore Phèdre. Elle
désigne une connaissance qui s'en est allée, a été
enfouie dans l'oubli au fil du temps mais qui resurgit
d'une génération à une autre à la faveur de la
réminiscence qui la reprend et la met à jour en fonction
des progrès accomplis par l'humanité. Il n'empêche que
le sens contenu dans µEÀETf) est difficile à établir.
Communément, il signifie soin, souci, inquiétude. Par
extension, il désigne l'aation de s'occuper de, d'où en
français la pratique, l'exercice, vocables qui induisent l'idée
de répétition et, au-delà, d'apprentissage. Cette
remontée aux sens de µEÀETf) rappelle les
développements de M. Foucault dans son dernier cours
au Collège de France. Pour lui, « "la vie
philosophique", rêvée et pratiquée par les Anciens,
apparaît comme une matrice - lointaine mais toujours
active - de la vie militante et du désir de révolution qui
anime les Modernes 1. »Le terme matrice, cette structure
1. ~--P. DROIT, Le Monde des livres, « Le courage de la vérité»,
1 ultime leçon de Michel Foucault, 22/01/2009,
64 Comment le grec et le latin ...
close qui a pour fonction de reproduire, convient bien
aux rapports que Virginia entretient avec !'Antiquité.
En ne cessant de s'approprier la culture classique
réservée aux hommes, Virginia recherche une filiation
littéraire. Toute filiation induit une parenté, des traits de
ressemblance, mais elle implique également une identité
propre fondée sur la réactualisation d'une forme ou
d'une pensée, sur un désir de révolution. Dans le désir de
bouleverser et de rénover la forme romanesque,Virginia
relit et repense les Anciens à la lumière des deux sens
de µEÀET~ : souci - particulièrement souci de soi pour
reprendre l'expression de M. Foucault, cura sui - et
exercice. En s'adonnant à la lecture des textes antiques,
Virginia veille à l'hygiène de son âme et se prépare à
une nouvelle existence après la disparition d'un frère
dont Socrate aurait assurément distingué la beauté.
«S'occuper de soi n'est[ ... ) pas une simple préparation
momentanée à la vie ; c'est une forme de vie 1• » Par la
lecture, la prise de notes et leur mémorisation,
V Stephen s'exerce non seulement à résister à des
événements qui l'ont traumatisée, mais aussi à obtenir
le droit de parrêsia, celui de prendre la parole par
l'écriture. Sa naissance biologique ne lui a apporté cette
accréditation qu'en partie : par son nom, la fille du
savant Leslie Stephen, est habilitée à publier des articles
de critique littéraire dans les journaux. Mais la maîtrise
des textes anciens et les modèles rhétoriques
(paradeigmata) qu'ils fournissent la placent dans une
http:/ /www.lemonde.fr/livres/ article/2009/01 /22/le-
courage-de-la-verite-l-ultime-lecon-de-michel-foucault_l l 4
4999_3260.html [consulté en ligne le 29 juillet 2017].
l µEÀET~ correspond bien à ce souci de se construire une
1. M. FOUCAULT, Dits et écrits, IV, 1954-1988, éd. établie sous la
dir. de D. DEFERT et Fr. EWALD, Paris, Gallimard, 1994, p. 356.
Comment le grec et le latin ... 65
homonoia, une concorde avec eux qu'elle compte bien
dépasser afin de créer autrement. Pour restituer et
s'approprier le discours antique, Virginia procède
comme le font généralement les lettrés : elle prend des
notes, agissant comme Arrien donné en exemple par
M. Foucault. Cet écrivain grec (vers 85-146) avait
entrepris de faire son édition des Entretiens d'Épictète.
Dans cette intention, il avait accumulé des notes sur
l'enseignement de son maître, des hypomnêmata :
Cette notion de hupomnêmata est une notion technique qui est
importante, c'est la transcription des notes prises par l'auditeur
quand le philosophe est en train de parler. Et ces transcriptions,
c'est également des cahiers d'exercices, puisque, avec ces hupom-
nêmata qu'il faut relire régulièrement, on réactive sans cesse ce
qui a été dit par le maître. [... ] Épictète, par exemple, à certains
moments dit: voilà ce que j'ai à vous dire, il faut maintenant le
meletan, le méditer, le réactualiser, y repenser sans arrêt, il faut le
graphein, l'écrire, il faut le lire et il faut gumnazein, s'exercer
dessus 1.
La lectrice n'opère pas autrement : elle est à l'écoute
du philosophe qu'elle lit, Platon, elle enregistre des
hupomnêmata de ses dialogues, eux-mêmes hupomnêmata
de l'enseignement de Socrate. Elle s'inscrit à son tour
dans cette chaîne de penseurs, par l'intermédiaire d'un
modeste cahier de notes, et se propose de le méditer,
pour entretenir son inspiration et produire librement
sa propre parole, sa parrêsia. En cela, le double sens de
identité d'écrivain par l'exercice. Lancé à la recherche des
usages du mot parrêsia, M. Foucault en relève justement
chez Platon et Euripide. Le tragédien grec emploie le
1. M. FOUCAULT, Discours et vérité, précédé de La parrêsia, Paris,
Vrin, 2016, p. 37-38.
66 Comment le grec et le latin ...
terme, écrit M. Foucault, dans quatre de ses pièces : dans
Hippolyte, dans Les Phéniciennes, dans Les Bacchantes, dans
Ion, enfin. Or, il se trouve que dans ses notes sur l' Ion,
Virginia a été sensible à cette idée. Dans cette tragédie
du silence, celui de Créuse et celui de son fils bâtard
obligés de celer leur passé, Ion se rappelle qu'« aucun
étranger n'a jamais le droit de parler librement (C.,
p. 46) ». La lectrice éprouve le besoin de porter cette
phrase sur le papier, signe qu'elle trouve écho en elle.
Femme et étrangère aux maîtres de la littérature, elle
n'aurait su avoir de laissez-passer pour écrire librement,
pour trouver sa place dans le monde. Car ainsi que
l'écrit M. Foucault, « l'essentiel de la fonction
parrèsiastique sera plutôt d'indiquer au sujet quelle est
sa place dans le monde ; le parrèsiaste, c'est donc celui
qui aura à tenir des propos sur ce que c'est que
l'homme en général, ce que c'est que l'ordre du monde,
ce que c'est que la nécessité des choses 1 ».
Le Carnet construit une mémoire, celle d'une
généalogie générique d'auteurs du passé, celle des
savoirs de l'humanité, de la poésie à la tragédie en
passant par la réflexion philosophique. Virginia veut
maîtriser des formes réalisées« par des hommes d'après
leurs propres besoins et pour leur propre usage2 ». Le
Carnet est aussi encouragement à affronter les rudesses
de l'existence, comme le montre un choix de
traduction de Virginia. Elle note à la page 56 « re-
naissance » (re-birth) alors que Jowett emploie le mot
simple (birth) dans le paragraphe 208 de son édition.
Sans doute, le préfixe re- a-t-il été inspiré à Virginia par
le mot renewed, « renouvelé », utilisé par Jowett. Quoi
1. M. FOUCAULT, ibid., p. 42.
2. V WOOLF, Une chambre à soi, p. 115.
Comment le grec et le latin ... 67
qu'il en soit, chez Platon et chez son traducteur, il est
davantage question de vies qui se succèdent, de
préservation du principe vital et d'immortalité que de
renaissance.Virginia n'est pas coupable d'un faux-sens.
Elie ne se cantonne pas à un rôle de lectrice servile dont
l'attention serait retenue par la seule prise de notes. Sa
parole s'exprime ici à côté de celle de Platon. Le
dialogue philosophique lui suggère cette pensée : la vie
est là dans un Éden laïque et merveilleux, la Littérature.
Grâce à elle, il est permis de re-naître après les épreuves.
Épilogue:« Relu d'un bout à l'autre,janvier 1917, un
intervalle de presque dix ans »
L'autographe déposé sur la soixante-dix-huitième
page numérotée du Carnet rappelle par son laconisme
la phrase qui avait ouvert la lecture de l'Odyssée le
27 février 1908.À en croire cet ajout et sa conservation
au-delà des guerres et des déménagements, le Carnet
avait gardé une importance particulière pour sa
propriétaire. Chaque mot semble pesé : relecture
intégrale, mention d'une date, comme dans les notes
prises à partir du 1er décembre 1907. (( un intervalle de
presque dix ans » s'exhale comme en un souffle. Le
passé de l'écriture est transporté dans le présent de la
relecture, non sans être lesté, au-delà du constat, d'une
lourde charge d'implicite et d'intime. Les deux
millésimes - 1907 -1917 - correspondent à deux
sursauts dans une vie profondément marquée par les
deuils et l'absence. Plusieurs raisons expliquent ce
retour au Carnet. Elles sont à la fois personnelles et
intellectuelles.
En 1907, le Journal avait été menacé d'aphasie.
Entre janvier 1915 et août 1917, il est devenu
complètement mutique. Le mariage en 1912 avec
Ill
68 Comment le grec et le latin ...
Leonard Woolf avait été vite suivi d'une dépression et
d'une certitude : il ne serait pas raisonnable de fonder ·'
une famille. Tout risque d'agitation est évité, le bébé ,
espéré comme l'écriture. Puis vint 1914. Le chaos qui
s'empare del' esprit de Virginia à la mort de ses proches
n'a d'égal que celui qui la saisit dans les temps de
guerre. Elle disparaîtra en 1941, désespéré~ ~ar la
barbarie, l'épreuve du rationnement et la fa1llrte de
l'esprit humain. En pleine Première Guerre mondiale,
dans une Europe entraînée par « des courants de
tristesse collective» (Durkheim) et qui n'espère plus en
la paix, la relecture du Carnet est un retour à la sagesse
antique. Les larmes d' Alcinoos devant Ulysse et les
questions de Virginia en 1908 gagnent une singulièr~
actualité à la relecture neuf ans plus tard : « Pourquoi
pleure-t-il lorsqu'on raconte le récit de Troie? A-t-il
perdu un père, ou un ami aimé comme un frère?» (C.,
p. 15). Dans l'intervalle, le corps de l'ami poète Rupert
Brooke, parti pour les Dardanelles, repose pour
l'éternité en terre grecque à Skyros. Il y eut aussi
l'anniversaire de la mort de Thoby. «Je sais que nous
l'avons gardé en nous, sans avoir besoin de parler de
lui » (lettre à Saxon Sydney-Turner, 24 novembre
1916). Au chapitre des anniversaires, Virginia Woolf
choisit peut-être la date du sien en 1917, le 25 janvier,
pour revenir au Carnet. Sans consigner les f~its du
quotidien, ce cahier se saisit du discours umversel
d'écrivains du passé pour le rapporter à l'intime infime
d'une femme exclue de I'harmonia mundi.
1917 est aussi l'année où paraît « Le Langage \
parfait » dans le Times Literary Supplement (24 mai) ..
L'article rend compte de la parution du volume Il de .
I'Anthologie grecque (ou Anthologie palatine) de W ;
R. Paton, dans la collection Loeb. Virginia révise ses
Comment le grec et le latin . .. 69
classiques. Elle ouvre les Select Epigrams from the Greek
Anthology de ]. W Mackail, don de son ami Saxon
Sidney-Turner (lettre à S. Sydney-Turner, 31 décembre
1916). Elle en possède deux autres exemplaires, venus
d'êtres chers, son frère et son beau-frère, Clive Bell. Elle
rouvre son Carnet. Dans le Times, Virginia évoque
autant le travail de Paton à Oxford qu'elle développe
des thèmes qui seront repris en 1925 dans « Sur
l'ignorance du grec » : la beauté et la difficulté de la
langue, l'importance de lire vite et de s'aider d'une
présentation bilingue. Mais lire le grec est une chance :
« tel est le pouvoir de la langue grecque qu'en savoir
même un peu, c'est savoir qu'il n'y a rien de plus beau
au monde 1 ».Elle se souvient des leçons du Banquet de
Platon. Le bonheur de la lecture vient de ce que les
textes nous parlent. « Dans ces moments, nous avons
l'impression, non pas de lire, mais de nous rappeler ce
que nous avons entendu dans une autre vie 2 • » Les
conseils donnés sont précieux : ils révèlent en partie la
méthode d'une lectrice des textes antiques et toujours
à l'affût, telle une helléniste de métier, des dernières
parutions. Ils scellent aussi l'enjeu de l'œuvre inspirée
par la Grèce de « l'exemple suprême de ce qui peut être
fait avec les mots 3 ».Virginia Woolf passe à l'acte: entre
le 6 octobre 1916 etle 5 janvier 1917, elle est en pleine
rédaction de son deuxième roman, Nuit et Jour. 1907 -
1917 : il avait fallu ces dix années entre ses deux
premiers romans. Le Carnet avait été là les deux fois
pour qu'une femme puisse s'autoriser à devenir
1. «The Perfect Langage», Essays, II, p. 118.
2. « The Perfect Langage », Essays, II, p. 115. V Woolfreprend
du Carnet recollection/to recollect.
3. «The Perfect Langage », Essays, II, p. 118.
70 Comment le grec et le latin ...
romancière à la suite d'une longue lignée d'auteurs
masculins.
1917 est pour les Woolf une année fructueus~.
Virginia fonde avec Leonard une maison d'édition, 1;
Hogarth Press, et se voue à l'écriture, la sienne et celle
des autres. Elle est prête à une nouvelle renaissance.:
Prête à exprimer le numen aquis dont parle Juvénal dans
la Satire III, le flux de l'eau, celui de la conscience 1•
1. C., p. 2, « the spirit of the stream ».
Lectures du Carnet
Le carnet des «Études grecques et latines » est d'un
format proche de celui d'un cahier d'écolier. Virginia
en a numéroté les pages de 1 Ouvénal, Satire I) à 78
(ajout autographe de 1917). Elle a pris soin de placer,
sur la page de garde qu'elle avait prévue, un sommaire
qui retrace l'ordre de ses lectures.L'essentiel est indiqué
pour se repérer comme dans un livre : titre des œuvres,
nom des auteurs, pages correspondantes dans le Carnet.
Ce sommaire a été rédigé à une date indéterminée mais
postérieure à la fin de la prise de notes, comme le
montre la gestion du feuillet réservé à cet effet. Au
début, les noms de Juvénal, d'Homère et d'Euripide
sont associés aux parties de l' œuvre lue. Dans le bas de
la page, les titres du Banquet et de la Géorgique IV
figurent sans mention de leur auteur respectif, laissant
croire à un oubli dans la précipitation d'une rédaction
ultérieure. Une rature corrobore cette interprétation :
après la mention de la Géorgique, la dernière ligne, « Les
Grenouilles d'Aristophane (p.) 63 » est biffée et
reportée à sa place entre Ajax et Phèdre. Virginia est
contrainte par l'exiguïté de l'espace de créer une
70 Comment le grec et le latin ...
romancière à la suite d'une longue lignée d'auteur
masculins.
1917 est pour les Woolf une année fructueusè
Virginia fonde avec Leonard une maison d'édition, l~
Hogarth Press, et se voue à l'écriture, la sienne et celle'
des autres. Elle est prête à une nouvelle renaissance.
Prête à exprimer le numen aquis dont parle Juvénal dans
la Satire III, le flux de l'eau, celui de la conscience 1•
1. C., p. 2, «the spirit of the stream ».
Lectures du Carnet
Le carnet des «Études grecques et latines » est d'un
format proche de celui d'un cahier d'écolier. Virginia
en a numéroté les pages de 1 (Juvénal, Satire 1) à 78
(ajout autographe de 1917). Elle a pris soin de placer,
sur la page de garde qu'elle avait prévue, un sommaire
qui retrace l'ordre de ses lectures.L'essentiel est indiqué
pour se repérer comme dans un livre : titre des œuvres,
nom des auteurs, pages correspondantes dans le Carnet.
Ce sommaire a été rédigé à une date indéterminée mais
postérieure à la fin de la prise de notes, comme le
montre la gestion du feuillet réservé à cet effet. Au
début, les noms de Juvénal, d'Homère et d'Euripide
sont associés aux parties de l'œuvre lue. Dans le bas de
la page, les titres du Banquet et de la Géorgique IV
figurent sans mention de leur auteur respectif, laissant
croire à un oubli dans la précipitation d'une rédaction
ultérieure. Une rature corrobore cette interprétation :
après la mention de la Géorgique, la dernière ligne,« Les
Grenouilles d' Aristophane (p.) 63 » est biffée et
reportée à sa place entre Ajax et Phèdre. Virginia est
contrainte par 1' exiguïté de l'espace de créer une
72 Lectures du Carnet
seconde colonne où apparaissent selon l'ordre des
lectures,« Ajax de Sophocle (p.) 62, les Grenouilles (p.)
74, le Phèdre (p.) 77 ».Aucun des titres n'est ici
souligné.
Seul le recto des pages de droite est inscrit, à
quelques exceptions près : par économie lorsqu'il ne
reste que quelques lignes à rédiger sur une lecture qui
s'achève, pour garder en mémoire une citation ou
ajouter un avis. Un seul verso contient du vocabulaire
grec et sa traduction en anglais: il s'agit, pour Le
Banquet de Platon, essentiellement des mots de la
famille d'Éros désignant les formes de l'amour. Un
autre recueille un dessin schématique légendé
permettant de visualiser navires, chceur des marins de
Salamine, position d'Ulysse et d'Athéna, tente d'Ajax,
sur la scène de la tragédie éponyme de Sophocle. A la
fin du Carnet, le soin est moins grand. Des griffonnages
apparaissent : traits parallèles, opérations de calcul très
rudimentaires. L'écriture devient de plus en plus
difficile à déchiffrer mais comporte toujours aussi peu
de ratures, comme si la lectrice avait procédé par
recopies ou avait mémorisé ce qu'elle avait à déposer
sur le papier.
Un certain nombre de dates permettent de suivre la
progression du travail. Il n'est pas continu. Il débute le
1er décembre 1907 avec la lecture des Satires de Juvénal.
Si la Satire VI est à l'origine la plus longue des trois
retenues pour le Carnet, Virginia est loin cl' en rendre
compte dans sa totalité. Ses notes s'arrêtent à la page 8
qui ne comporte que trois lignes. Les pages 9 et 10 sont
restées blanches. Virginia avait projeté d'en écrire plus,
avant de passer à l'Odyssée. Elle aurait prévu pour la Satire
VI un nombre de pages équivalent à celles consacrées à
la III. Les traces écrites de la lecture de Virginia
Lectures du Carnet 73
s'interrompent avec le récit des infidélités d'Hippia qui
renonce au confort domestique pour les charmes virils
d'un amant gladiateur. Cet épisode occupe les vers 82-
114 de la satire de Juvénal. Quelles sont les causes de cet
arrêt ? Les premières phrases du mémento dédié à
l'Odyssée sont datées du 27 février 1908, ce qui fournit
un terminus ad quem extrême à la lecture des Satires.
Celle-ci a-t-elle occupé les trois mois ? Avait-elle été
achevée bien avant février 1908 ? Les Lettres révèlent
qu'à la fin de novembre 1907 ou au début de décembre,
Virginia se trouve à Oxford chez son cousin, l'historien
Herbert Albert Laurens Fisher. Elle a pu tout aussi bien
inaugurer le Carnet à Oxford qu'au retour à Londres.
Choisir de lire la Satire VI qui porte sur les femmes et le
mariage trouve une résonance particulière dans le
quotidien de Virginia :Vanessa a épousé Clive Bell au
début de 1907. Leur premier enfant,Julian, va naître en
février 1908. La relation des deux sceurs que liait « une
très intime conspiration1 »s'en trouve bouleversée.
Entre le 27 février et le 28 juillet 1908, les prises de
notes deviennent plus régulières. Le Carnet est nourri.
Commencée à la fin de février, l'analyse de l'Odyssée
d'Homère est achevée le 15 mai. Du 18 mai au 5 juin,
Virginia se consacre à l' Ion d'Euripide. Pendant le mois
de juin et jusqu'au 15 juillet, elle étudie le Banquet de
Platon. Elle reprend ses lectures le 28 juillet avec la
Géorgique de Virgile ... Un mois et onze jours avant
l'anniversaire de la naissance du frère disparu ... En
reprenant le volume des Géorgiques, Virginia commé-
more intimement des lectures de l' ceuvre virgilienne
1. J. DUNN, Virginia vvoolf et Vanessa Bell, Une très intime
conspiration, traduit de l'anglais par G. Brzustowski, Paris,
Autrement, Littératures, 2005.
74 Lectures du Carnet
1
faites avec son frère dans l'été 1904, après le décès du
père, et en 1905. Elle avait alors noté dans son Journal:'
Matinée plutôt oisive puisque je n'avais rien à écrire.J'ai lu, à la'
place, un peu de latin, les Géorgiques - œuvre mélancolique & .
pleine de noblesse, mais dénuée de la vitalité de mes chers Grecs
anciens. Tout de même, le latin a un charme envoûtant. Rien
que ce court extrait de Virgile, lu!' été dernier avecT. [hoby], alors :
que j'étais presque incapable de faire fonctionner mes méninges, ,
leur avait procuré une sensation d'harmonie comme elles n'en"
avaient plus connu depuis des mois (JA,jeudi 16 février 1905).
La pause qui suit les notes sur la Géorgique IV jusqu'en·
décembre 1908 correspond aux préparatifs du voyage
en Grèce et à son retour funeste deux ans plus tôt, mais
aussi à une intense vie intellectuelle.Virginia revient au
Carnet en décembre : elle y consigne Ajax de Sophocle :
à partir du 7 décembre entre les pages 62 et 73. Il n'y a
pas de page 63, pas plus que de page 66 mais il ne 1
manque rien au texte. Une nouveauté est introduite:
des numéros de vers, très nombreux, reprennent des
passages précis sous forme de traductions, de
commentaires et de citations en grec, seul passage du ,;
cahier qui en retranscrit. Parfois les notations sont très ·
courtes, restreintes à des phrases nominales (« Prière de ,
Tecmesse »). Pour le reste, résumé et remarques ·
personnelles alternent là encore. Une synthèse refait le '
point sur la lecture faite (p. 71) avant une partie
consacrée à l'introduction de Jebb dans Sophocles, Plays
and Fragments (p. 73). Le 11janvier1909, la lectrice
passe aux Grenouilles d'Aristophane. Le 25 mai, sans '
préciser l'année, elle jette quelques dernières notes suri
Phèdre de Platon.
Le Carnet n'a fait, à ce jour, l'objet d'aucune
publication. Virginia Woolf ne le mentionne pas 1
matériellement dans son Journal. Il est connu de ,
Lectures du Carnet 75
quelques-uns de ses biographes (Quentin Bell,
J-Iermione Lee). Le travail d'archiviste bibliographe de
Brenda R. Silver signale que « deux carnets contiennent
des traductions et des commentaires de jeunesse sur la
littérature grecque et latine ».Il s'agit de celui sur Les
Choéphores d'Eschyle et des « Études grecques et
latines», entamés aux deux extrémités de l'année 1907.
p0 ur la critique anglo-saxonne, le Carnet a surtout joué
un rôle d'illustration, de la note allusive à l'étude plus
ou moins développée. Délaissé, il a souffert d'un
morcellement des approches, entre ouvrages sachant
aller à la source et travaux de seconde main.
Theodore Koulouris fut le premier à en donner de
larges extraits. Pour lui, nombre· de Virginia ont été
explorées, mais non pas Virginia la Grecque. Hellenism
and Lass in the Work efVirginia Woolf (2011) s'attache à
réparer cette absence. L'auteur revient, après les travaux
de Richard Jenkins et de Christopher Stray, sur la place
du grec dans les études classiques de l'époque
victorienne, replace Virginia dans le contexte familial
et éducatif autour d'un Leslie Stephen tel qu'il apparaît
dans la biographie de Noel Annan. Fort de sa lecture
de Deuil et Mélancolie de Freud et des travaux de Derrida,
Th. Koulouris oriente sa thèse vers la problématique de
la perte en privilégiant l'approche psychologique et
littéraire. Il appuie sa démonstration non seulement sur
le parcours biographique de l' écrivain, les qualités
esthétiques d'une œuvre mais aussi sur des passages du
Carnet. Dès 2004, Th. Koulouris a remis aux archives de
la bibliothèque de l'Université du Sussex une
transcription du Carnet faite dans le cadre de sa recherche.
Non publiée, elle est une aide précieuse à l'usage de la
76 Lectures du Carnet

communauté scientifique 1 . Mais elle comporte lacunes et ·

erreurs de lecture, comme il est normal face à une graphie :
souvent malaisée à lire. Elle est incomplète : ne sont pas
retranscrites les pages 4, 5 et 6 du carnet, consacrées à une ,
partie de la Satire III de Juvénal,les pages 67-70 de l'fljax
de Sophocle, les pages 74 à 77 difficiles à déchiffrer et
dédiées aux Grenouilles d'Aristophane. Mais il est ·
indéniable que grâce àl'ouvrage de 2011 les « Greek and .
Latin Studies » de Virginia Stephen revoyaient enfin en ·
partie le jour.
Note sur la présente édition

Nous transcrivons l'ensemble du Carnet de Virginia

Stephen en respectant le plus fidèlement possible son
orthographe, les mots et expressions soulignés, les
biffures, l'emploi récurrent de & pour and. Nous avons
restitué l'apostrophe dans les tournures possessives ou
négatives et développé les formes verbales et
pronominales, lorsqu'elles étaient abrégées : should pour
shd, would pour wd, which pour wh.
La ponctuation utilise souvent indistinctement
points, virgules, points-virgules et deux-points. Dans la
transcription, nous avons essayé de maintenir ce qui a
été écrit. En cas d'incertitude, nous avons recouru à
l'usage courant. La même équivoque entre parenthèses
et crochets droits a conduit à uniformiser par des
parenthèses. Nous avons rétabli l'accentuation des mots
grecs.

1. Lambrotheodoros KOULOURIS, Virginia Woolf's « Greek Les appréciations de Virginia Stephen sur les textes
Notebook » (MH/ A.21). Transcription (University of Sussex anciens sont en italiques, ses appels de notes indiqués
Special Collections, SxMs-18/4/37.Addition 41). La trans- par*. Comme dans le Carnet, les chiffres donnés en
cription est précédée d'une introduction et de notes sur le
texte, p. 3-7, soulignant la difficulté et les limites de cette en-
marge renvoient aux numéros des vers.
treprise.
78 Note sur la présente édition
Les signes que nous avons adoptés pour
annotations sont les suivants :
[] développement d'un mot abrégé ou indication;
1 1lecture incertaine ;
< > restitution d'une lacune.
Remerciements
- University of Sussex:
Fiona Courage (Special Collections Manager and '
Curator of the Mass Observation Archive, The Keep,
Brighton).
- The Society of Authors :
Lisa Dowdeswell, Sarah Baxter, Sarah Burton.
-The NewYork Public Library:
Isaac Gewirtz (Curator, Berg Collection).
Joshua McKeon (Librarian, Berg Collection).
Bibliographie
Nous utilisons des traductions françaises lorsqu'elles sont
disponibles dans des éditions courantes, en les adaptant paifois.
Toutes les autres traductions sont personnelles.
Manuscrits de Virginia Woolf
- Greek and Latin Studies, Bibliothèque de l'Université du
Sussex, Special Collections, SxMs-18/2/A/ A.21
(abrégé en C).
- KOULOURIS, Lambrotheodoros, Virginia VVOolf~ « Greek
Notebook » (MH/ A.21). Transcription (University of
Sussex Special Collections, SxMs-18/4/37.Addition
41). Undated.
- New York Public Library, collection Berg, M19 :
Choephori of Aeschylus. Edited by A. W Verrall.
Holograph reading notes, dated Jan. 1907. 16 p.
- New York Public Library, collection Berg, Reading
Notebook 3, Aeschylus, Agamemnon, Virginia
Woolf's holograph of English translation and her
marginal ms. notes on Greek text mounted
opposite by her, unsigned and undated.
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Cambridge University Press, 1890.
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Translated into English with Analyses and
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Clarendon Press, 1871 [annoté par Leslie Stephen].
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http:/ /ir.uiowa.edu/ijls/vol7 /issl/25 (consulté le
13 juin 2018).
1"'

84 Contents Sommaire 85

Traduction
]'Jous ajoutons ici entre crochets les dates signalées au long des
lectures.

Satire 1. page 1 His reason for writing satire. Satire 1. page 1 11" d1c19011 Ses raisons d'écrire de la satire.
Satire 3. " 2. Why a man may not live in Rou},e. Satire 3. " 2. Pourquoi on ne peut vivre à
Rome.
Satire 6. 7. On woman. ·
Satire 6. " 7. Sur la femme.

The Odyssey of Homer. 11. L'Odyssée d'Homère. 11. 121 ro,. I908J
Books 1, 2, 3, 4. 11 Chants 1, 2, 3, 4. 11
Books 5, 6. 12 Ajax: Sophocles. 62. Chants 5, 6. 12 Ajax : Sophocle. 62. 17 die.o8-4i'"'·o9J
Books 6, 7 13 The Frogs. 74. Chants 6, 7 13 Les Grenouilles. 7 4. 111j,.,.19091
Books 7, 8. 14 The Phaedrus 77. Chants 7, 8. 14 Le Phèdre 77. [25m>i(l909)J
Book 9. 16 Chant 9. 16
Book 10. 17 Chant 10. 17
Book 11 19. Chant 11 19.
Book 12. 22. Chant 12. 22.
Book 13 24 Chant 13 24
Book 14 24 Chant 14 24
Book 15 27. Chant 15 27.
Book 16. 29. Chant 16. 29.
Book 17. 31. Chant 17. 31.
Book 18. 33 Chant 18. 33
Book 19. 34 Chant 19. 34
Book 20. 35 Chant 20. 35
Books 21. 36 Chant 21. 36
Book 22. 37 Chant 22. 37
Book 23. 38 Chant 23. 38
Book 24. 39 Chant 24. 39 11sm,; 1908]
Ion ofEuripides. 42. Ion d'Euripide. 42. [18mn-5i"'" !908,find<1o1~P'rti""'1""P·so1
Symposium. 53 Le Banquet. 53 [dih"'?-fin1e1sj"il1"1908J
4'h Georgie 60. 4' Géorgique 60. 128j"m" 1908J
Fret;J efAriJterl!!tl'leJ 63. ~ Gre!'let'lilleJ à'l'tt~eepli:!t!'le 63.
'
'1
86 The Satires ofJuvenal
Dec. lst 1907
Juvenal.
Satire I.
Ail write - Why not 1 too? 1 have reasons for choosing satire.
Vices flaunt themselves everywhere. My book is a medleyt'.
Noble & poor lowly crowd alike for the scanty dol~'
distributed by the ri ch. Wealth has as yet no temple, though it,
is the divinity most worshipped in our age.Afi:er the dying ail'
day aft:er their dole the poor clients are refused dinner at the
table of the patron, who feasts on a whole boar himself or:
takes a crude peacock to the bath - & aft:er suffers for it. For
the rich die suddenly, without wills, & such deaths are;
applauded not mourned. My friends however bid me beware
of the enmity of the living, & advise me to write once more1
the old mythologies which cannot possibly interest anyone,
0
now. So 1 will see what entertainment the noble dead ofthe
last generation have to offer.
Satire 3
1 must commend, though 1 regret, the decision of my '
friend to move from Rome to Cumae. No place can be
so desolate but that it is not preferable to the dread of fires, ,
of falling roofs, & reciting poets. But while his move went'
on we went together to those groves where the Jews:·
encamp, & descended into the valley & artificial caves of,
Egeria. How much more vivid would be the spirit of the
stream if only there were grass banks & no marble sicles!
L Le recours à ce mot est classique. Le Révérend Lewis Evans,,
!'emploie dans son édition de Juvénal, pour rappeler que les Satires,
Ménippées sont un « mélange de vers et de prose » (p. XVI).:
L'étymologie fait remonter à satur qui désigne une farce, un.
mélange de différents éléments.C'était à!' origine une macédoinè;
de légumes ou de fruits offerts en prémices à Cérès.
1er décembre 1907
Juvénal.
Satire I.
Juvénal, Satires 87
p. 1
fous écrivent - Pourquoi pas moi, aussi? J'ai des raisons de
choisir la satire. Les vices s'affichent partout. Mon livre est un
pot-pourri. Nobles comme humbles rassemblés en masse
pour la maigre aumône distribuée par les riches. L'argent n'a
pas encore de temple, bien que ce soit la divinité la plus
vénérée de notre époque.Après avoir épuisé tout le jour à la
recherche de subsides, les pauvres clients n'ont pas le droit de
dîner à la table du patron, qui festoie à lui seul d'un sanglier
entier ou porte jusqu'aux bains un paon mal digéré - au
point d'en être mal après. Car les riches meurent de mort
subite, sans testament, et de telles morts sont applaudies,
aucunement déplorées. Quoi qu'il en soit, mes amis me
somment de me méfier de l'hostilité des vivants et me
conseillent d'écrire à nouveau sur les mythologies anciennes,
mythologies qui ne peuvent aucunement intéresser nos
contemporains. Je vais donc voir quel spectacle les morts
nobles de la génération précédente ont à offrir.
p. 2
Satire 3
Il me faut louer, bien que je le regrette, la décision de mon
ami de quitter Rome pour Cumes. Il ne peut exister un
lieu aussi désolé, il est néanmoins préférable à la crainte
d'incendies, de chutes de toits et de récitations de poètes.
Mais pendant son déménagement, nous sommes allés
ensemble à ces bosquets où les Juifs ont établi leurs
campements et nous sommes descendus dans la vallée et
les grottes artificielles d'Égérie. Combien !'esprit du
courant aurait plus de vigueur s'il n'y avait que des berges
de gazon sans marbres !
 88 The Satires ofJuvenal
Then Umbricius spoke. There is no place in Rome fo
honesty, or reward for labour. Day by day that little go '
So let us depart, while we may, to Cumae. Let only th · ·
live & in Rome who are capable of ail contracts, of ~J~
barter of men. The old trumpeters, even, of the swoUe·,
cheeks, have become millionaires, & ail is in their pow~:
What should I do in Rome? I neither lie, nor star tell, no,'
act procurer. No one shall be a thief at my ftei: behest.:
am no better than a cripple. Presents, given or taken, mak
secret compacts. You will be dear to Verres, when he h
reason to fear you. Nor ail the gold that the Tagus washes
over w1th the sand w1ll reach you for loss of sleep, fot:
J J
the everlasting dis trust of your friend.
J J ''
(3)
III cont[inuation].
Now I will speak of that race that is highly in prime favour
with us. I cannot endure a Rome turned Greek. Still there
are others, Asiatic scum, who are worse. You hear ;,
their music, & meet their prostitutes. Our honest rustics daub ,
them with Greek oil. They worm themselves into great i
families, swift, daring, glib of speech, eloquent. They are ,
infinitely versatile. Know ail the trades of grammarian orator '
& so on.Yes, I fi.y their purple cloaks.Why should h; alway;;
have the precedence of me, who was blown here by the wind .
that brings the prune? [sic] & cotton <?> 1 I was
1. Quelles que soient les leçons des manuscrits (cottana,,
Hawtrey!cottana, Mayor) il s'agit de figues et non de coton.
Juvénal, Satires 89
l]mbricius prit alors la parole 1• Il n'y a pas de place à Rome
our l'honnêteté, ni de récompense pour le travail.Jour après
· ?our, ce qu'il en reste disparaît. Aussi, partons à Cumes
~endant que nous le pouvons. Laissons vivre seulement à
Rome ceux qui sont capables d'exécuter des contrats de
wu tes sortes, de faire commerce d'êtres humains. Même les
trompettistes de jadis, aux joues gonflées, sont devenus
rnillionnaires et tout est en leur pouvoir. Que ferais-je à
Rome ?Je ne sais ni mentir, ni lire dans les astres, ni agir en
souteneur. Personne ne deviendra un voleur à ma demande.
Je ne vaux guère mieux qu'un estropié. Les présents, donnés
ou reçus, favorisent des ententes secrètes. Tu deviendras cher
àVerrès lorsqu'il aura des raisons de te craindre. Et que tout
l'or que le Tage roule dans ses sables ne devienne pas pour
toi cause de la perte du sommeil, qu'il ne suscite pas la
méfiance éternelle de ton ami.
p.3
(3)
III suite
Maintenant je vais parler de cette race qui a toute notre
bienveillance. Je ne puis supporter qu'une ville comme
Rome soit devenue grecque. Encore en y a-t-il d'autres,
la racaille asiatique, qui sont pires. On entend leur
musique, on rencontre leurs prostituées. Nos honnêtes
paysans les enduisent d'huile grecque. Ils s'insinuent dans
de grandes familles, prompts, audacieux, la parole facile,
éloquents. Ils sont infiniment doués, connaissent tous les
métiers, grammairien, orateur etc. Oui, je fuis leurs
manteaux de pourpre. Pourquoi aurait-il toujours la
priorité sur moi celui qui a été soufflé ici par le vent qui
apporte les prunes ? [sic] et le coton <?> J'ai été nourri
1. À partir d'ici, Umbricius explique à son ami les raisons de son
départ et essaie de le convaincre de quitter Rome à son tour.
 90 The Satires ofJuvenal
nourished on hard Sabine nut 1. They flatter ' & 1't gOe·
clown; we are not believed. Is there any better actor tha.'
a Greek?. Comedy is in their bones. They laugh with yoh
& cry w1th you - but do not grieve. Ah, he is beyond ''
in his sympathies & his perceptions, so swift & so true
And as .we have got upon the Greeks, listen to some
their cnmes. How the "Stoic" killed Bareas, his pupil.Thé
old man killed the young. Rome is no place for me:·
Protogenes & his friends live there, & possess their frien~
alone. For directly, :!Te one pastes the poison dropped int6
his ear by some such friend, then I have the word to move
on, the times of my long servitude {Juvenal was a poor man
a writerfrom th~ poi~t of view of a client) are gone for nothin~
There 1s nothmg s1mpler than to drop a client.
125 3 (cont[inuation] .)
Yet I won't lay the blame entirely on the Greeks. What
service do the poor render, & what do they deserve, who'
run through the streets early to snatch the dole of some.
rich widow?
A rich slave takes the wall of a free born man.
Suppose some great man of old were to return & ask.\
What does he pay his slaves - how does he live - wouldi
not the answer be - he is honoured in proportion to his',
money bags. A poor man has cause to think that he can;
neglect the Gods, who ignore him. The cruel <!>est part.
ofhonesty is that it makes men ridiculous. "Let the beggar
take his seat by the bastard, or the young fencing masters:·
not push for a chair with the knights!" -What son in law'
1. Baca Sabina: périphrase latine désignant l'olive verte de cettè,
région d'Italie. Seul, Leeper reste au plus près du texte latii\
(the Sabine berry).
Juvénal, Satires 91
de ]'âpre noix de Sabine. Ils flattent et c'est accepté ; on se
montre défiant à notre égard. Y a-t-il meilleur acteur
qu'un Grec ? Ils ont la comédie dans le sang. Ils rient avec
vous et ils pleurent avec vous - mais ils n'ont pas le
moindre chagrin. Ah ! Le Grec nous dépasse par sa
ofl compassion et sa perception des choses, il est si prompt et
si authentique. Et puisque nous sommes sur le chapitre
des Grecs, écoute quelques-uns de leurs crimes. Comment
]e Stoïcien a tué Baréas, son disciple. Le vieil homme a
tué le jeune. À Rome, il n'y a pas de place pour moi :
Protogène et ses amis y vivent et ont des amis qui
n'appartiennent qu'à eux seuls. Car aussitôt que quelqu'un
reçoit le poison glissé dans son oreille par quelque ami de
1
i
ce genre, je reçois!' ordre de partir,!' époque de ma longue
servitude (Juvénal était un pauvre homme, un écrivain qui était
aussi un client) s'est écoulée pour rien. Il n'y a rien de plus
simple que de laisser tomber un client.
p.4
Cependant, je ne blâmerai pas entièrement les Grecs.
Quels bons offices rendent les pauvres et que méritent
ceux qui sillonnent les rues de bonne heure dans le but
de récupérer l'aumône de quelque riche veuve?
Un esclave riche prend le haut du pavé devant un homme
né libre.
Imagine qu'un grand homme du temps passé revienne et
pose des questions : combien paie-t-il ses esclaves -
comment vit-il - la réponse ne serait-elle pas : on est
respecté à proportion de ses sacs d'argent. Un homme
pauvre a des raisons de penser qu'il peut négliger les dieux
qui l'ignorent. Le lot le plus cruel de l'honnêteté est
qu'elle rend les hommes ridicules.« Laisse le mendiant
' prendre place à côté du bâtard, ou les jeunes maîtres
 92 The Satires ofJuvenal
can succeed who cannot equal his bride's dowry? N6
soon will those succe<e>d in life whose means ar~
narrow.At Rome the struggle is worst.They will not clin~
off earthenware there, though that is found enough fo:n
the Marsi & Sa belli. There is a large part of Italy in whiclt
people only wear a white toga at death. There is feasting
at the rustic play, & the orchestra & the gallery wear thé
same clothes.Why stay in Rome then -where everything
costs money. You must pay for a great man's smile, whilé
he cares his benefits on his slaves.
190 What fear is there in the country of the fall of roof or;
wall? The mayors at Rome are always at work. & there is'
a fire & the cry is for water. The poor who own nothing,
lose that nothing. "Tis true, poor Co drus nothing had to'
boast. And yet poor Codrus al! that nothing lost." But\
when a noble house is burnt there is mourning, & ail his ,
friends bring contribution to repair his loss - till some ,'
say that he set fire to his house on purpose. If you could
only leave Rome you could have a plot of your own-'
ground in the country, your sole property. Sorne die in
Rome for cause of sleep, & other from indigestion.:
Drovers stand cussing in the streets. Rich men of course
Juvénal, Satires 93
d'arrnes ne pas avancer une chaise parmi les chevaliers ! »
Aquelles ambitions peut prétendre un gendre qui ne peut
'galer la dot de sa jeune femme ? Ils ne sont pas près de
eéussir dans la vie ceux dont 1es moyens sont restremts.
.
~'est à Rome que l'on se bat le plus durement. Là, ils
n'accepteront pas de dîner dans une vaisselle de terre, alors
que celle-ci est jugée bien suffisante pour les Marses et les
Sabelles. Il existe une bonne partie de l'Italie où les gens
ne portent la toge blanche qu'aux funérailles. Il y a des
' fetes dans les théâtres de verdure. L'orchestre et la galerie
portent les mêmes vêtements 1 . Pourquoi rester alors à
Rorne - où tout coûte de l'argent. On doit payer pour
obtenir le sourire d'un grand homme, pendant qu'il tire
bénéfice de ses esclaves.
p.5
i
i90 A-t-on jamais à craindre à la campagne la chute d'un toit
· ou l'éboulement d'un mur? Les administrateurs à Rome
sont toujours à l'œuvre. Il y a un feu. On réclame de l'eau.
Les pauvres qui ne possèdent rien perdent ce rien.« C'est
vrai, le pauvre Codrus n'avait rien dont se vanter et
désormais ce rien, le pauvre Co drus !'a tout perdu.» Mais
lorsqu'une belle demeure a brûlé, on se lamente, et tous
les amis du propriétaire apportent leur contribution pour
réparer cette perte - jusqu'à ce qu'on dise qu'il a mis le
feu à sa maison intentionnellement. Si tu pouvais
seulement quitter Rome, tu pourrais avoir un lopin de
terre à toi à la campagne, un bien rien qu'à toi.À Rome,
les uns meurent d'insomnie et les autres d'indigestion. Les
muletiers restent à jurer dans les rues. Les riches bien sûr
L Juvénal insiste sur le train de vie fastueux que mènent les
Romains. Ailleurs, les exigences ne sont pas les mêmes : on
se contente de vaisselle et de tenues vestimentaires simples.
 94 The Satires ofJuvenal
pass through the city quickly, upborne in their littei;
! •
where they can read, or draw the curtains & sleep; tà
poor client struggles along in the crowd. Doles are givei;i
& slaves run water. "Dutch kitchen" & fire.Then trees a~
carried on * waggons, & if the wheel breaks som
wretch is crushed beneath. And the slaves at home mak
ready, while their master crosses the Styx nor has .~
farthings to pay his fare. (if it is the mas ter, would he not hab8
more? - & if the slave, why prepare for him?) But conside
again the dangers of the night. - Every open windo~
may be your death. Ruffians
280 are abroad who wiil not sleep without their brawl. Tru~
they will fight clear of the rich man with his guard o~
footmen - but they wiil stop you, hurling you, beat yo11
tiil your ribs crack, & then hail you to the bar for beating'
them. And even if you stay at home & lock the do ors, &'
ail the shops are barred, soldiers corne into Rome, & sack
the place.Ali our iron is spent in making fetters & shacklesi'
. 9tte no ploughs or hoes are made. Happy were ouri
ancestors who could contain ail their prisoners in oneJ
gaol.
Weil - there are ail causes why 1 should leave Rome; &'
the muleteer beckons. Remember me when you, i11',
disgust too, retire to Aquinam; 1 wiil corne & listen to yout"
satires.
Juvénal, Satires 95
versent la ville à toute vitesse, soulevés dans leurs litières,
t~ ils peuvent lire ou tirer les rideaux et dormir ; le client
ouuvre se débat dans la foule. On donne des aumônes et
1
~~s esclaves font couler de l'eau. « Batterie de ~uisine ' . et
• feu. Puis on transporte des arbres sur des chariots et s1 la
oue cède, quelque misérable est écrasé dessous. Et les
resclaves à la maison s>activent,
'
pen dant que 1eur maitre A
traverse le Styx sans avoir deux sous pour payer pour son
passage. (si c'est le maftre, ne disposerait-il pas de plus d'argent?
_ et si c'est l'esclave, pourquoi prépare-t-il pour lui ?1) Mais
· considère encore les dangers de la nuit. - Chaque fenêtre
ouverte peut causer ta mort. Des brutes
p.6
sasont de tous côtés incapables de dormir s'ils n'ont pas eu
. leur lot de bagarres. Pour sûr, ils ne s'attaqueront pas au
riche et à son escorte de serviteurs - mais ils t'arrêteront
en se jetant sur toi et te frapperont jusqu'à ce que tes côtes
soient fracturées, et ils te traîneront en justice pour les
avoir battus. Et même si tu restes chez toi, portes closes et
toutes boutiques fermées, des mercenaires entrent dans
Rome et mettent le lieu à sac. Tout notre fer est utilisé à
forger des chaînes et des fers. On ne fait plus de charrues
ni de houes. Heureux étaient nos ancêtres qui pouvaient
enfermer tous leurs prisonniers dans une seule geôle.
Eh bien ! - ce sont toutes les raisons pour lesquelles je
quitterais Rome ; et le muletier me fait signe. Souviens-
toi de moi lorsque toi, dégoûté à ton tour, tu te retireras
àAquinum ;je viendrai écouter tes satires.
1. La lectrice avoue ici qu'elle ne comprend pas.Juvénal parle bien
du misérable qui a perdu la vie dans un accident de la circulation
et qui n'a pas un sou pour payer son passage sur le Styx, le fleuve
des Enfers, tandis que la vie continue sur terre.
 I!'
.
'
96 The Satires ofJuvenal
'
Second book. Satire 6.
Modesty still dwelt on earth when Saturn reigned; &
cave did for house, or man made him a bed with the beas;ts
on the mountains. Habits stranger to you, Cynthia ·~
.
Les b1a, h , .n
w ose tender eyes are moistened by a sparro"'"'
death. The women gave such to lusty babies, & fed
0
acorns. Men lived otherwise then, when sun & earth were
new; barn of rock they were, & had no human parenf.
Sorne few, Astraea & Chastity remained here, when Jov
was young. But Astraea & Chastity fled the earth together,,
ftt The crime of the marriage bed is of ancient birth. The
age of sil ver beheld it. And yet your marriage settlemen&
are making ready: Are you mad, you take a wife? Wh;t
fury has bitten you? C!tn Y"H t Why marry when therJ
are ropes to hang yourself with, high er windows open;1;
& a bridge stretches out before you? · Es-tu fou ?Tu prends femme ? Quelle furie t'a piqué ? Peffi<-
How ridiculous to observe the Julian law, & beget an heir.:
You will lose the sweet gifts oflegacy hunters. If you seek.'
the ancient virtues of Chastity in a wife, you are to6 ·
sanguine. Where will you find such a one <?> Look at;<
Hippia, who followed her gladiator
across the seas, spreading there rumour ofRome's vice&:.
left her husband, & sister, & all her comfortable luxury.
[Pages 9 et 10 blanches J
Juvénal, Satires 97
p. 7
Second livre. Satire 6.
pudeur demeurait encore sur terre sous le règne de
La ne ,. une caverne faisait office
~rnr • de maison, l'homme se
faisait un lit avec les peaux des betes des montagnes. Usages
· étrangers à vous, Cynthia ou Lesbie, dont les doux yalleu_x sont
bués par la mort d'un moineau. Les femmes aita1ent
~ . . d
c profusion de vigoureux bambins et se nournssaient e
ave 'l"
glands. Les hommes vivaient aut~e~ent a, epoque ou, 'le s~lil
e
la terre étaient nouveaux ; ils etaient nes du roc et n avaient
e t , 1 p ,
as de parents humains. Quelques-uns, Astree et a urete
~emeuraient As~~e
ici, lorsque Jupiter était jeune. Mais et la
Pureté s'enfuirent ensemble de la terre. ~ Le sacrilege de
la couche nuptiale est ancien. L'âge d'argent en a été le
témoin. Et déjà ton contrat de mariage est en préparation.
ttl Pourquoi te marier quand il y a des cordes pour te pendre,
de hautes fenêtres ouvertes et qu'un ponts' étend devant toi ?
Combien est-il ridicule de respecter la loi julienne et
d'engendrer un héritier. Tu perdras les doux présents des
chasseurs d'héritage. Si tu cherches les anciennes vertus
de la Pureté dans une femme, tu es trop optimiste. Où en
trouveras-tu une de cette sorte ? Regarde Hippia, qui a
suivi son gladiateur
p.8
par-delà les mers, répandant ici et là la rumeur du vice
romain, et a quitté son mari, sa sœur et tout le luxe du
confort qui était le sien.
[Pages 9 et 10 blanches J
r
JI
1
98 The Odyssey of Homer

(Feb. 27rh 08)

Odyssey.
(Begun in Greece, 1906 - & the first four books were read ther
L'Odyssée
Homère, Odyssée

(Commencé en Grèce, 1906 - et les quatre premiers chants ont

99

p. 11

1
- so I only give a summary ef them). · . été lus là-bas - aussi je n'en donne que le sommaire).
1

Book I. Chant 1.
Council of Gods. Poseidon absent. Pallas demands Assemblée des dieux. Poséidon absent. Pallas réclame, avec
successfully, the return of Odysseus. She appears t~ succès, le retour d'Ulysse. Elle apparaît à Télémaque, lui
Telemachus & advises him to complain to the wooers, Ili! conseille de se plaindre aux courtisans et des hommes
men go in search of his father to Pylos & Sparta. ~ partent à la recherche de son père à Pylos et à Sparte.

Book 2. Chant 2.
Telemachus complains in vain, & goes to Pylos by nighi; Télémaque se plaint en vain et va à Pylos de nuit. Son
& his reception there. · accueil là-bas.

Book 3. Chant 3.
Nestor entertains Telemachus at Pylos, & tells him how Nestor reçoit Télémaque à Pylos, lui dit que les Grecs ont
the Greeks left Troy, & sends him on to Sparta. quitté Troie et il l'envoie à Sparte.

Book 4. Chant 4.
His entertainment at Sparta. Menelaus tells him thi Télémaque reçu à Sparte. Ménélas lui raconte le sort des
fortune of the Greeks; how Odysseus is with Calypso i~ Grecs ; qu'Ulysse se trouve avec Calypso sur l'île d'Ogygie.
Ogygia. .
p. 12
Chant 5.
Book 5.

L'assemblée des dieux ordonne à Calypso par

Gods in council command Calypso by Hermes to sen . l'intermédiaire d'Hermès de renvoyer Ulysse sur un
away O[dysseus] on a raft of trees & Poseidon scatters his radeau de bois et Poséidon- disloque son radeau au large
raft off the coast of Pheacia; Ino helps him ashore, & he des côtes de Phéacie. Ino l'aide à gagner le rivage et il dort
sleeps on dry leaves till day light. There is a beautiful sur des feuilles sèches jusg11~u lever du jour. Il y a une belle

!;;~~:.·-~\\\
\: '
\ ....
,,_,,
'!.·.
 1OO The Odyssey ef Homer Homère, Odyssée 101

description here ef the cave ef Calypso. All romance in this poe !1

. . · · de la grotte de Calypso. Tout est romanesque dans
ription tct fi . 1 . .
as bright as day, & yet remote, & moving with freedom a sta uesc , e . aussi lumineux que le jour, et à la ois ointain et
•epoetn ' . ' d l'b
" h t par un certain etat e 1 erte. '
1ouc an
Book 6.
Chant 6.

O. is woken by the voices of Nausicaa & her maidens, wlt1;1

have washed their clothes by the river's brink, & are pla)'Üî ·, l]lysse est re'veillé par les voix de Nausicaa et de ses
· tes qui ont lavé leurs vêtements sur le bord du
at ball. He starts out naked, N[ausicaa] speaks to him, as tM sUlvan , . 1 . 1
t J. ouent à la balle. Il surgit nu, Nausicaa m pare,
Gods gave her courage. She takes him back to the city of tH fleuve e ' Eli 1
e les dieux lui en ont donne le courage. e e
Pheacians to ask her father's help. This is perhaps the mos . cornmd ·t a' la cité des Phéaciens pour qu'il demande de
beautiful book, so far: N exquisite truth & modesty, & the wondroliS . con m h . ,. ·
•, · l'aide à son père. C'est peut-être le plus beau c an!,Jusqu ICI.
'I setting efthe scene.Also you see very clearly the look efthe town, witll · ~r • aa exquise de vérité et de pudeur, et le merveilleux cadre
its shipbuilding yard, & the Temple ef Poseidon in the midst, & th~ · 1 ,austc , d 1 '11
. de la scène. De même, on voit très clairement}'. aspect e a vt e,
palace with the great Hall, in which the mistress sat, · son chantier naval et le temple de Poseidon au centre, le
avec 11 l , d . t
palais et la grande Salle, dans laque e a maitresse e maison es
assise
spinning sea purple yarn, in the firelight. Also there is a meadou/
& afountain sacred to Athene, where O. sits. 183-185: ideal of' p. 13
11 marriage - "There is nothing better or nobler than this,, .filant une laine teinte de po~rpre mari~e près d~ foy~r. n y a
11 when a man & woman possess a ho use & are of one mind.' aussi une prairie et une fontaine consacree à Athe~a, ou. Ulysse
,,
M1:1eh ptÜl'l: Disastrous are they to their foes; & a joy to 1 s'assied. 183-185: idéal du mariage - « Il n y a nen de
1:
their well-wishers, but their own hearts know it best["]1. · meilleur ou de plus noble que ceci : un homme et ,une
femme possédant une maison et partageant le meme
sentiment. Be!l1:1ee1:1p èe èettlel:ll Ils font le désespoir_ de
Book 7.
leurs ennemis; et la joie de ceux qui leur veulent du bien,
mais leurs propres cœurs le savent parfaitement».
Athene in disguise leads O. to the palace. The honour
do ne to Arete, wife of Alcinous, how she is honoured by ·!
Chant 7.
the men, & allowed to compose their quarrels, honoured

Athéna sous un déguisement conduit Ulysse au palais. Les

1. La lectrice travaille ici d'après l'édition de S. H. BUTCHER et ·
A. LANG, The Odyssey ef Homer Done into English Prose, '
honneurs rendus à Arété, femme d' Alcinoos, comment elle
London, New York, Macmillan, 1897, p. 98 et p. 106 et 112 . est honorée par les hommes, et peut régler leurs différends,
pour les deux citations au chant 7.
102 The Odyssey of Homer
too of her husband & children. A long (58-88) descriptioh
of the palace - golden hounds, a blue frieze, tapestrie~·
golden figures holding torches; women "restless as th~
leaves of the poplar tree" weaving. The orchard 124·.a;
beautiful description. O. goes in & prays; they seat him in .
silver chair, & decide how they will meet next day ~'
consider his escort. He explains to Arete how he cornes•
in her clothes & tells part of his story. "It was not right ofl
my daughter not to bring you with her".
Would that I had you for a son in law.
Offers to take him to any part he may wish, even as far as··
Euboea, which is the furthest island our people have evei.
seen.Yet men rowed there & back in one day without
distress. They make him a bed there & he sleeps.
Book 8.
O. goes clown among the Pheacians, & is invited to join .
their contest, & one taunts him, upon which he hurls a•;
coit 1 further than any other, & offers to meet them in any:~
sport but wrestling, for which his fast has unfitted him.A
boastful, muscular creature, like a great schoolboy; & yet
shrewd; he will not fight, for instance, with his host, for
that would be foolish. Alkinous bids him take note of alli
1. A quoit.
Homère, Odyssée 103
comment elle est honorée aussi de son époux et de ses
enfants. Une longue (58-88) description du palais- des chiens
en or, une frise bleue, des tapisseries ; des personnages en or
tenant des torches ; des femmes tissant « animées comme les
feuilles du peuplier». Le jardin 124 : une belle description. Ulysse
entre et supplie ; on le fait asseoir sur un siège d'argent et on
prend la décision de se réunir le lendemain et de réfléchir à
son escorte. Il explique à Arété son arrivée dans ses vêtements 1
· et il raconte une partie de son histoire.« Ma fille a eu tort de
ne pas t'emmener avec elle».
p. 14
J'aimerais t'avoir pour gendre.
[Alcinoos] lui offre de l'emmener là où il le souhaite,
même aussi loin que l'Eubée, qui est l'île la plus lointaine
que notre peuple ait jamais vue. Des hommes sont allés
là-bas à la rame et en sont revenus en un jour sans péril.
ils lui préparent un lit là et il s'endort.
Chant 8.
Ulysse se rend parmi les Phéaciens et il est invité à se
joindre à leurs jeux. On lui lance un défi à la suite duquel
il jette un disque plus loin que tout autre, et il offre de se
mesurer à eux dans n'importe quelle épreuve saufla lutte à
laquelle le jeûne l'a rendu inapte. Un être vantard, musclé,
comme un grand écolier2 ; et néanmoins rusé ; il ne combattra
pas, par exemple, son hôte, car ce serait stupide3 • Alcinoos lui
1. Il s'agit des vêtements qu'Arété, épouse d'Alcinoos, a tissés
(Od., V. 234-235).
2. Il est en effet question de la jeunesse bien conservée d'Ulysse
(Od., v.134-135).
3. C'est par ces paroles résumées ici que le fils d'Alcinoos,
Laodamas, défie Ulysse (v. 133-152).
 104 The Odyssey of Homer
their excellencies that he may tell of them at home, & c
the blind singer Demodocus. This story of the games is li~
so beautiful as the other, but probably a true picture of whh
happened.As Demodocus was blind, may it not be that this offib
of singer was his, as by right, & so the blindness which markell
Bards, became
transferred to Homer himselj?
414 The story of Ares & Aphrodite. & how they were bound.
clown by Hephaestus in bed together.AndAphrodite wetif
to Cyprus, & was anointed with immortal oils & wa~
garmented by the Graces. "The end of the song["].
"May you never miss the sword 1 " - a regular form oj
acceptance? )·
480 Nausicaa, dowered with beauty by the Gods beholds him
coming from the bath in his splendour, & bids him have;
memory ofher in far lands; for she saved his life. . pas l'oublier lorsqu'il sera dans des terres lointaines, car
For the muse loves singers, & ail men honour them.~;.
Demodocus sings the story of Troy & O. weeps, & '.
Alkinous bids the singing stop - for a stranger is as a,
brother. Metaphor of the woman who weeps theii Al.~i over her:
husband, slain, defending his city & children, & she is taken.
prisoner & wastes her cheeks in weeping. Ever so O. weeps - a;
noble but large image. Then Alkinous bids O. reveal himself his:.
1. Citation adaptée de Butcher et Lang, p. 128.Virginia laisse d~
côté les archaïsmes de leur expression dans ces parolei;
d'Ulysse. · de raisons de se battre.
Homère, Odyssée 105
offre de prendre note de tous les mérites qui sont les leurs et
dont il pourra parler de retour chez lui. Il appelle le héraut
, aveugle Démodocos. Ce récit des jeux n'est pas aussi beau que
l'autre, mais est probablement une image.fidèle de ce qui s'est produit.
Comme Démodocos était aveugle, ne se peut-il pas que ce rôle de
héraut ait été le sien, comme de droit, et ainsi la cécité qui marquait
les aèdes a-t-elle finie par être
p. 15
attribuée à Homère lui-même ?
u4 L'histoired'Arès et d'Aphrodite. Et comment ils ont été
enchaînés ensemble au lit par Héphaïstos. Et Aphrodite se
rendit à Chypre, fut enduite d'huiles immortelles et
habillée par les Grâces.« La fin du chant 1 ».
«Puisses-tu n'avoir jamais besoin du glaive2 » - une forme
. ordinaire d'acceptation ?
~80 Nausicaa, que les dieux ont dotée de la beauté, l'aperçoit
" venant du bain dans sa splendeur et lui demande de ne
elle lui a sauvé la vie.
Car la muse aime les chanteurs et tous les hommes les
honorent. ,Y, Démodocos chante l'histoire de Troie, Ulysse
pleure et Alcinoos demande d'arrêter de chanter, car un
étranger est comme un frère. Métaphore de la femme qui
pleure ala1~ Allei son mari tué en difendant sa cité et ses enfants.
~
Elle est faite prisonnière et ses joues se .flétrissent sous les larmes.
Ulysse pleure abondamment - une image noble sinon forte. Puis
1. Il s'agit de la fin du chant de Démodocos.
2. Sur les ordres d' Alcinoos, le Phéacien Euryale vient d'offrir
à Ulysse son glaive comme présent d'hospitalité. Ulysse
remercie en souhaitant qu'Euryale reçoive le même
apaisement que celui qu'il lui a donné et qu'il n'ait donc plus
 106 The Odyssey of Homer Homère, Odyssée 107

travels, & the habits of the peoples he has seen. A -b-ett Jresh 5~ , . oos demande à Ulysse de lui exposer ses voyages et les
of the new circumambient world. .
· lctnmes des peuples qu'il a vus. Un ifflt sentiment
· neuif du
~0 utu .
Why does he weep when the tale ofTroy is told? Did\1' ; veau monde environnant.
lose a father, or a friend, loved as a brother? •· nou rquoi pleure-t-il lorsqu'on raconte 1e recit' ' deTroie
' ?.
pou . . , fi, 1?
·
·};.-t-1·1 perdu un père , ou un arm aime comme un rere .

Book 9.
Odysseus tells the story of his adventures. How he carn:
to the land of the Lotus eaters - 95. how a man forg~
ail, who tas tes of the Lotus. 110 The painless land of t~
Cyclops. This is precisely like an Elizabethan voyager writi~&
of his travels. Then they go to an island, near by - whi~
islands are these? - where they see Polyphemus, by his cav@,
with his herds. They go in & await his return. He comC:l
back, & milks his flocks, & then, gathering guilefill
answers, kills some of the men for his supper. And th~M
cannot kill him, for fear of being left imprisoned in t11€
great cave, with the door closed.
313 "as a quiver with the lid onP'.- What is the lid of a quiverif.
371-412A wondeiful description of the blinding of the Cyclops, with/a
green olive stake, burnt & sharpened, which they turn i,
his eye socket. There are certain simple metaphors, drawn jro.m
the ~ processes of life - as for instance the boring of a ship~
beam with a drill - which are more effective than any others.
the same time, the technical words are many. The eye hissed, liAf
1. La citation est faite de mémoire. On lit dans l'édition 4
Butcher et Lang, p. 144 : « as one might set the lid on::
quiver ».
p. 16
Chant 9.
1
~
Ulysse fait le récit de ses aventures. Comment il arriva au
s des Lotophages - 95. Comment un homme qm
.paY d
oûte au lotus oublie tout. 110 Le pays sans tourment es
g
Cyclopes. '. '
C'est prectsen;~nt comme. le rect
''t qu J un voyageur
élisabéthain ferait de ses pertples. Puis ils se rendent dans une
. île près de là - quelles sont ces îles ? - où ils voient
Polyphème, près de sa grotte, avec ses troupeaux. Ils y
entrent et attendent son retour. Il revient, trait le bétail
, puis, à chaque réponse fourbe obtenue, il tue des hon;i:ies
pour son dîner. Ils ne peuvent pas le tuer, de cramte d etre
, laissés prisonniers dans la grande grotte, avec la porte
fermée.
«comme un carquois fermé par un couvercle». - Qu'est-
ce que le couvercle d'un carquois ?
:12 Une magnifique description de la scène où le Cyclope est aveuglé,
4 avec un pieu d'olivier verdoyant, passé à la flamme et aiguisé,
qu'ils tournent dans l'orbite de son œil. Il y a certaines
métaphores simples, tirées des ~ expériences de la vie -
comme par exemple le perçage d'un bau de navire avec une tarière
- qui sont plus efficaces que toute autre. En m~me temps, les mots
techniques sont nombreux. L'œil sifflait, comme de l'acier chaud
Alcinoos pose ces questions à Ulysse vivement ému par le
chant de Démodocos.
108 The Odyssey of Homer
hot steel plunged in water, to temper it. Immense vividness &:.
strength ef description. Probably this was what the audience loved ·
Like the bible, only more sinuous. Then they tie themselves unde;i
the fiock, & pass out ef the cave in the morning. This is precisel
like a traditional fairy tale, ef a man~ great cunning in emergenc~.
Imagine how the children would have liked the dreaijul plight ,
Odysseus was in, with the giant sitting in the
,.
p.17 :{
doo1way, & no possible way ef escape, it seems! But then the . ·•.
hero sees the withies, in which P[olyphemus] sleeps, & · ,J
and uses them to bind himself to the ram. Also there is the · Î ·
childish game ef the Cyclopes, who corne at P.' mansion, & when ''
they hear that he is tormented by No man, leave him to Zeus :
who a/one can happen this mysterious disease. I don't care s;
much for these ingenuities myself- spirited as they are.
Book 10.
Then they corne to the Aeolian Isle, where lives the man
with the charge of ail the winds. He entertains them, &
and gives them winds, securely fastened by a silver thong
in a wallet, to blow them home. They are actually in sight tt
of their own land, when Odysseus lies clown to sleep; & :?,
while he sleeps his men murmur, & complain that he has ·~
brought home booty for himself. And they look to see :\i
what it is that he has in the wallet, & the winds burst out,
& drive them back again upon the Aeolian Isle. But they '
meet no kind men there, & pursue their way again in-; '
melancholy. Next they corne to Lestrygonia where the
ways of day & night are so close together that a sleepless :
man may earn a double wage, as keeper of sheep & kine.,
Homère, Odyssée 109
plongé dans de l'eau pour le durcir. Immense vivacité et force de
la description. C'était probablement ce que le public aimait.
Comme la Bible, seulement plus sinueux. Puis ils s'attachent
sous le bétail et sortent de la grotte le matin. C'est exactement
comme un conte de fées traditionnel, un conte fondé sur la grande
ruse d'un homme exposé à des situations extr~mes.]'imagine que
les enfants ont da aimer l'épouvantable situation dans laquelle
Ulysse se trouvait, avec le géant assis à
p. 17
l.· '
l'entrée, et sans la moindre possibilité de s'échapper, à ce qu'il
semble ! Mais alors le héros voit les osiers dans lesquels
Polyphème dort et s'en sert pour s'attacher au bélier. fl y
a aussi le jeu puéril des Cyclopes qui viennent au logis de
Polyphème et qui, lorsqu'ils entendent qu'il est tourmenté par
Personne, l'abandonnent à Zeus, qui seul peut causer cette
maladie mystérieuse. Personnellement, je ne me soucie pas
beaucoup de ces ingéniosités - aussi brillantes soient-elles.
Chant 10.
Puis ils se rendent à l'île d'Éolie où vit l'homme en charge
de tous les vents. Il les reçoit et leur donne des vents,
solidement attachés par une lanière d'argent dans une
sacoche, pour qu'ils les poussent jusque chez eux. Ils sont
en effet en vue de leur terre, lorsqu'Ulysse se couche pour
dormir ; pendant son sommeil, ses hommes murmurent
et l'accusent de rapporter du butin à son seul usage. Ils
regardent dans la sacoche pour voir ce qu'il y a mis. Les
vents s'en échappent et les ramènent sur l'île d'Éolie. Mais
ils n'y rencontrent pas d'hommes accueillants et
reprennent leur route, abattus. L'étape suivante les
emmène chez les Lestrygons où les habitudes du jour et
de la nuit sont si proches qu'un homme qui ne dort pas
peut gagner un double salaire, comme gardien de brebis
 110 The Odyssey of Homer
But they are destroyed here, hit _<by> the gigantic race; .
fly. once more. They reach the 1sland of Aya , & o. fironr,.
h1gh top, sees smoke among the · de plus. Ils atteignent l'île d'Eéa et Ulysse, depuis un haut
. ~~
oakwoods. He kills a stag, & carries him back to Jil
company; & after they have fed tells them how they ' compagnons ; après qu'ils se sont nourris, il leur ordonne
adventure,_ & discover who it is, there among the tre~:~
company 1s changed_ to swine, by the deity of the pala
C1rce, who s1ts smgmg a sweet song, & weaving at h
loon_i, while great lions & wolves, enchanted by her, ro
outs1de, and corne fawning upon the stranger, as a d
"'.ho expects food ~rom his master's favour. Odysseus go
hrmself to rescue hrs companions, & is met by Hermes ·
the likeness of a man, who warns him, & gives him a dr:
& tells him how he may make terms with the Goddess. <
There is a plant, black of root but milk white ofblossom.
which men cannot pluck, but the Gods e;rtt who do aÙ
things, can give it then. This was charm against Circe's
tools. He has speech with her, & defies her, & they lie
together. But he will not eat till his comrades are free.
Then he brings ~ the rest to the feasting, & they stay
th.ere a~,ease for a year.At last the men murmur, & he bid.s .; ~.•
: Cependant, les dieux ~ qui font toutes choses
Crrce let them go. - Go fast to Hades & dread '
Persephone & ask of them your way" she says. And they ; .
depart heavily. Elphenor [sic], waking & hearing them go, ;,
fall<s> from the roof & die<s>. But they set sail. .·'
1 que ses camarades soient libérés. Puis il ramène ~
This is a peifect romantic narrative. A swift succession ef events, . .
ail beautiful in themselves. That story no matter is over elaborated.
Homère, Odyssée 111
t de vaches. Mais à cet endroit leurs navires sont détruits,
~rappés <par> la race des gé~nts et ils s'enfuient une fois
sorrunet, aperçoit de la fumée dans les
p. 18
bois de chênes. Il tue un cerf et le rapporte à ses
d'explorer l'endroit et de découvrir qui vit là parmi les
arbres. Un groupe est changé en porcs par la déesse du
palais, Circé, qui est assise chantant une douce chanson et
filant à son métier à tisser, pendant que de grands lions et
des loups, envoûtés par elle, rôdent à l'extérieur et
viennent se frotter à l'étranger, comme un chien qui
attend de la nourriture de la bienveillance de son maître.
Ulysse va lui-même secourir ses compagnons. Il rencontre
Hermès, sous les traits d'un homme qui le met en garde.
Il lui donne une drogue et lui dit comment traiter avec la
déesse.
Il y a une plante à la racine noire mais à la fleur blanche
comme le lait que les hommes ne peuvent cueillir.
peuvent la donner alors. C'était un charme contre les
procédés de Circé. Il parle avec elle, la défie et ils
s'allongent ensemble. Mais il ne mangera pas jusqu'à ce
ce qui reste de ses compagnons au festin et ils restent là
confortablement pendant une année. Les hommes
finissent par marmonner et il demande à Circé : « laisse-
les partir. - Va vite chez Hadès et la terrible Perséphone,
obtiens d'eux ton chemin »,dit-elle. Et ils s'en vont le
cœur lourd. Elpénor, réveillé par leur départ, se met en
marche, tombe du toit et meurt. Mais ils mettent à la voile.
C'est une narration romantique paifaite. Une rapide succession
d'événements, tous beaux en eux-m~mes. Quoi qu'il en soit, cette
r-
1:1
112 The Odyssey of Homer
The .fiower plucked with power with peifect order. Looks like
~~m~
Book 11
The'. sail to the bounds ofOcean, where the Cimmerians ·
live m perpetual darkness. They corne to the appointed
land. Here they do as Circe bid them, & O. cuts a trench
& they slaughter cattle. The souls of the tl: "weak races of
the dead" cluster round, but O. will not let them touch
th~ blood, until Tiresias has spoken. Beautiful, beautiful!
Bndes, & unwedded boys, & toi! worn old men, & joyous
girls freshly acquainted with grief corne to him - (this is
Virgil's famous passage I suppose not here so elaborate). And
Elpenor w~o fell from the roof, & killed himself begs
buna! for his body. Will they lay his oar upon the tomb
<?> Also O. <'s> mother. Finally Tiresias speaks. He bids
O. go on his way, only take care when they corne to the
fiocks of the sun not to molest them, or their return will
be toilsome. Then, when he has greeted his wife & child,
he must go on adventuring further, till he cornes to a land
where the men do not know the sea. And he must carry
his oar with him.And when he meets one who says what
1s that wmnowing fan you have with you? Then he must
~ake sacr.ifice.And he will die in old age, very peacefully.
Ali th1s lies on the knees of the Gods", says O. & begs to
Homère, Odyssée 113
histoire est trop compliquée. La fleur arrachée avec puissance 1
. selon un ordre paifait. Ressemble à une fin interrompue.
p. 19
Chant 11
Ils naviguent jusqu'aux bornes de !'Océan où les
Cimmériens vivent dans une perpétuelle obscurité. Ils
arrivent à l'île indiquée. En ce lieu ils agissent comme
Circé le leur a demandé. Ulysse creuse une tranchée et ils
sacrifient du bétail. Les âmes des « ombres légères des
morts » se rassemblent en cercle mais Ulysse ne les laissera
pas toucher le sang avant que Tirésias n'ait pris la parole.
Beau, beau ! Jeunes mariées, jeunes gens célibataires,
vieillards usés par le labeur et joyeuses jeunes filles ayant
connu leur premier chagrin viennent à lui - (c'est le célèbre
passage de Virgile, je suppose, pas si élaboré ici). Elpénor qui
est tombé du toit et s'est tué réclame une sépulture pour
son corps. Déposeront-ils sa rame sur sa tombe ?
Également la mère d'Ulysse. Enfin, Tirésias parle. Il
demande à Ulysse de continuer sa route, de prendre garde
seulement à l'approche des troupeaux du soleil de ne pas
les importuner, ou leur retour sera pénible. Puis, lorsqu'il
aura salué sa femme et son fils, il doit pousser au-delà son
aventure,jusqu'à ce qu'il arrive en un pays où les hommes
ne connaissent pas la mer. Il doit emporter sa rame.
Lorsqu'il rencontrera quelqu'un qui dira« qu'est ce fléau
à battre les épis que tu portes »,il devra faire un sacrifice.
Et il mourra à un âge avancé, très paisiblement.« Tout cela2
repose sur les genoux des Dieux », dit Ulysse et il
1. Il s'agit de la puissance du dieu Mercure qui a arraché la
plante du sein de la terre pour la remettre à Ulysse.
2. C'est-à-dire notre destin.
 114 The Odyssey of Homer
speak with his mother. She tells him that all is well ~~
home; but his father, for sorrow at his absence, lies in dust
by the chimney corner, in the winter, & in summer make:
him a bed upon leaves in the garden. She died oflongin~
for her son. Then all the wives & daughters · jardin. Elle est morte d'attendre son fils. Puis toutes les
p.20i
of heroes approach, & speak to him. A long list follows, with"
some brief genealogy & mythology. "If 1 were to tell you an
the night would pass". Here, then, there is a break, ve~,'
skilfully interrupting a monotonous piece of the story. They beg:
him speak on, for the night is immeasurably long. They
listen spell bound in the shadowy halls & Arete promises'
gifts. So he would stay on a full year, & gain consideration :
from the people of Ithaca. Is this a kind of traditional ·
psychology? He begins again - how the ghost of';
Agamemnon cornes, & tells his story; how Clytemnestra ·
killed him without giving him time to see his son. Trust
not your wife with all your mind, or she will betray you
- how your wife, good Penelope, is discreet & fine. But
Clytemnestra would not even close my eyes, or shut my
mouth.Women, C[lytemnestra] & Helen, have been fatal
to the sons of Atreus. Then Achilles, a prince even among
the dead, addresses him. But he would rather serve a poor
man as hired on earth than rule all the nations of the dead.
490 They all ask news, then O. in fear lest Persephone should ;
send him the Gorgon's head1 (what is that myth?) goes back ~
to his ship.
1. Ces deux lignes sont barrées de trois traits très légers. Cette
information n'apparaît en effet qu'aux vers 634-635 (voir C., )
p. 21).
Homère, Odyssée 115
dernande à parler à sa mère. Elle lui dit que tout va bien
chez lui ; mais son père, en raison du chagrin que lui cause
son absence, est couché dans la cendre près du coin de la
cheminée l'hiver et, l'été, il se fait un lit de feuilles dans le
épouses et les filles
p.20
de héros approchent et lui parlent. Une longue liste suit, avec
une brève généalogie et de la mythologie. « Si je devais tout
vous raconter, j'y passerais la nuit 1• » Ici, ensuite, il y a une
pause, qui interrompt très habilement une partie monotone de
l'histoire. Ils lui demandent de continuer son récit, car la
nuit est incommensurablement longue. Ils écoutent,
envoûtés, dans l'ombre du palais etArété promet des dons.
Il resterait ainsi une année entière et gagnerait la
considération du peuple d'Ithaque. Est-ce une sorte de
psychologie traditionnelle ? Il recommence - comment le
fantôme d' Agamemnon arrive et lui raconte son histoire ;
comment Clytemnestre l'a tué sans lui donner le temps
de voir son fils. Ne place pas toute ta confiance en ta
femme ou elle te trahira - comme ta femme, la bonne
Pénélope, est prudente et sage ! Mais Clytemnestre n'a
même pas voulu clore mes yeux ou fermer ma bouche.
Ce sont des femmes, Clytemnestre et Hélène, qui ont été
fatales pour les fils d'Atrée. Puis,Achille, un prince même
parmi les morts, s'adresse à lui. Mais il aimerait mieux
r~, servir un pauvre homme comme journalier sur terre que
'' 490 de régner sur toutes les nations de morts. Ils demandent
tous des nouvelles, puis Ulysse de peur que Perséphone
ne lui envoie la tête de Gorgone (quel est ce mythe ?)
retourne à son navire.
1. Virginia résume les paroles d'Ulysse.
 116 The Odyssey of Homer
Achilles asks news of Pel eus. & Odysseus tells him of the
valiant deeds of his son Neoptolemus. So that he went
with great strides across the meadow, proud at heart. Then
he saw Ajax, still grieving & wrathful for the
p.21
loss of the arms. And he would not even now speak to
Odysseus, & great is the pity.
565 Then, he came back & would have spoken, but Odysseus
saw many others - a curious touch. He saw Minos, Orion
chasing wild beasts. & Tantalus standing in water, &
whenever he made to drink it, it was sucked up, & the
earth parched. & there were fruity trees ail round him,
which tumbled pears & olives at his feet, & a wind whirled
them out of his hands. & Sisyphos for ever rolling his
stone. & there was Hercules happy alone among the dead.
His hand was on his bow, always as though about to shoot.
& he wore a wondrous golden girdle - chased with beasts.
He had been sent to bring back the Ho und of Hell. But
at last Odysseus turned & went in fear that Persephone
should send him the Gorgon's head.
Homère, Odyssée 117
Achille demande des nouvelles de Pélée. Ulysse lui raconte
les actes de bravoure de son fùs,Néoptolème.Ainsi, [Achille]
traverse à grandes enjambées la prairie, fier en son cœur. Puis
Ulysse vit Ajax, encore affligé et furieux de la
p.21
perte de ses armes. Il refusa même en cet instant de parler
à Ulysse et c'est bien dommage.
565 Puis il revint et aurait parlé, mais Ulysse en vit beaucoup
d'autres 1 - une curieuse touche. Il vit Minos, Orion chassant
des bêtes sauvages. Et Tantale debout dans l'eau : à chaque
fois qu'il e~sayait de boire, l'eau était aspirée et la terre
desséchée. A cet endroit, il y avait des arbres fruitiers tout
autour de lui qui laissaient tomber des poires et des olives
à ses pieds mais un vent les éloignait de ses mains. Sisyphe
roulait pour l'éternité son rocher. Et il y avait Hercule
heureux seul parmi les morts. Sa main était sur son arc,
comme s'il était toujours sur le point de tirer et il portait
un merveilleux ceinturon en or - sur lequel étaient
gravées des bêtes. Il avait été envoyé pour ramener le
Chien des Enfers. Mais finalement, Ulysse revint sur ses
pas et partit dans la crainte que Perséphone ne lui envoyât
la tête de la Gorgone.
1. Sous-entendu « âmes de défunts ».
118 The Odyssey of Homer
p.22
Book 12.
They set sail from the river Oceanus & reach the Isle of
Circe. She cornes to them at once, fairly dressed, with
food; & they eat. Then she takes O. aside with her,
questions him; & tells him ofhis future. He will corne to
two great rocks - one so steep that the birds of Zeus
cannot gather ambrosia there, & ail ships are destroyed. *
On the other sicle there are two pinnacles, one lofty, & the
other low. In the lofty one there is a great cave, in which
Scylla dwells up to her middle in water. But some ofher
12 heads crane out of the chasm & sweep the waters for
dolphins & dog fish, & she will pluck men from their ships
& devour them. In the other cave rock there is Charibdis
[sic], who sucks out water & in again.
*And here the sirens live & sing. If you
The sirens are
hear them you are destroyed. They sail
passed before
on, & put wax in their ears, ail but O.
he cornes
who listens bound tight to a mast.
to the rocks.
Lovely are their voices, reaching out to him
"Come, hither, corne hither" - but so
that he would fain go; but his company
row on. There is exquisite romance in this,
& in ail the small properties ef the scene:
the bright calm, when the waters grow
white beneath the oars. The honey
sweet wax, broken from great cakes, &
warmed in the hands.
Tlre!i the) eeme te tfie isl11ttà "fiere tfiere 11re tfie
irnl'l'lerc!!l sfieer eftfie Ceeh. Stul:.
After this follow their adventures in due order.
Homère, Odyssée 119
p.22
Chant 12.
Ds mettent à la voile depuis le fleuve Océan et atteignent l'Ile
de Circé. Elle vient à eux aussitôt,joliment vêtue, avec de la
nourriture et ils mangent. Puis elle prend Ulysse à ses côtés,
l'interroge et lui dit son avenir. Il arrivera à deux grands
rochers - l'un si escarpé que les oiseaux de Zeus ne peuvent
y recueillir l'ambroisie et que tous les navires s'y fracassent.*
De l'autre côté, il y a deux écueils, l'un élevé, l'autre bas. Sur
celui qui est élevé, il y a une vaste grotte, dans laquelle Scylla
demeure jusqu'à la taille dans l'eau. Mais certaines de ses douze
têtes se déploient hors du gouffre et balaient les eaux à la
recherche de dauphins et de chiens de mer. Elle arrachera des
hommes de leurs bateaux et les dévorera. Dans l'autre grotte
rocheuse, il y a Charybde qui aspire l'eau et la rejette.
*Là, les sirènes vivent et chantent. Si tu
Ils dépassent les
les écoutes, tu seras perdu. Ils naviguent
sirènes avant
et mettent de la ,i::ire dans leurs oreilles,
d.'.arriver aux
tous sauf Ulysse qui écoute étroitement
rochers.
attaché à un mât. Ravissantes sont les voix
qui l'atteignent « Viens, par ici, viens ici » -
en sorte qu'il irait volontiers ; mais ses
compagnons continuent à ramer. fl y a en
cela un romanesque exquis ainsi que dans
toutes les petites spécificités de la scène : le
calme lumineux, lorsque les eaux
blanchissent sous les rames. La cire douce
comme le miel, détachée de grands
gâteaux et réchauffée dans les mains.
Pttis ils se renàeHt sttr l'î1e ett se trettveHt les brebis
irnmerteHes àes àiettx. Selei.J:.
Après cela, suivent leurs aventures dans ]'ordre voulu.
 120 The Odyssey of Homer
Dancing ground of Dawn?
Dancing ground of nymphs 1!
Charybdis
First they corne to Scylla, a great monster who sucks i
11
bitter sea & belches it forth; & then there is Scylla with
her many heads foraging. She plucks tw several men out .
of the boat, as a fisher, letting down his line, with the ox ·
horn at the end of it, draws up fish & casts them on the
rock. This was the bitterest sight of ail. Then there is the
island where the Sun pastures his fat flocks. Here they are
stayed by the winds; & the men who are always grumbling
against O. kill the oxen in his absence, in defiance of the
Gods. They make a great 1'1' sacrifice of flesh to appease
them, casting bright oak leaves on the flames in default of
barley, & water for wine. Next they set sail; & are
destroyed. For the sun has asked vengeance - so says O.
with great regard for likelihood, Calypso told me, who
had it from Hermes. He alone survives, outside the keel.
He is washed back to Scylla, but manages to escape, in the
evening, when the lawgiver cornes back to supper.
"D!tl'leil'l~ ~1. After this he cornes to the island of Calypso
- "but I have not to repeat a plain story". This seems to me
a most ingenious and artistic device. For you could not have al/
the story at once, but broken up in pieces like this it is credible;
& made more intense by the feeling of the audience who sit
listening in the shadowy halls.
1. La première ligne fermée par un point d'interrogation (qui
recouvre un point d'exclamation) est une citation d'après
HOMÈRE, Odyssée, chant XII, v. 3-4. Cette annotation est à mettre
en relation avec le mot dancing biffé à la page 23 du carnet.
Homère, Odyssée 121
Verso de la p. 22
Terre dansante de l' Aurore ?
Terre dansante des nymphes !
p.23
Charybde
Ils arrivent d'abord à Scylla, un grand monstre qui aspire
l' nde amère et en éructe ; puis il y a Scylla avec ses
n~mbreuses têtes fureteuses. Elle arrach~ tle plus~eurs
hommes du bateau comme un pêcheur Jetant sa ligne,
avec la corne d'un bœuf à son extrémité, tire de 1' eau des
poissons et les jette sur le roc_h~r. Ce f~; le s~ectacle le plus
le plus pénible de tous. Pms il y a 1 ile ou le Soleil fait
paître ses gras troupeaux. Ils sont retenus là ,Par les vents.
Les hommes qui ne cessent de se plamdre d Ulysse tuent
les bœufs en son absence au mépris des dieux. Ils font un
grand sacrifice de chair pour les apaiser,jetant de tendre~
feuilles de chêne sur le foyer à défaut d'orge et de l'eau a
la place de vin. Ensuite, ils mettent à la voil~ e_t sont
détruits. Car le soleil a demandé vengeance - amsi parle
Ulysse, témoignant de son grand respe_ct ,pour ,la
vraisemblance, Calypso me l'a dit, qui le tenait d Hermes.
Seul il survit, accroché à la quille. Il est rejeté vers Scylla,
mais essaie de s'échapper, le soir venu, à l'heure où le
législateur revient chez lui pour le souper. ~r. à!t~J!tl'l:te
Après cela, il arrive sur l'île de Calypso - «mais Je~ ai ~a.s
à répéter une histoire simple 1 ». Ce me semble. un d1~pos1tif
ii très ingénieux et très artistique. Car on ne pouvait avoir toute
l'histoire d'un bloc, mais décomposée en morceaux comme cela,
1 elle est crédible ; et rendue plus intense par l'impression que le
public est assis attentif dans l'ombre du palais.
f:
1. Résumé des paroles d'Ulysse.

122 The Odyssey ef Homer
' Verso de la p. 23
Versfu
A beautiful image ef the ships going, lik'
four male horses leaping over the plain. '
Book 14 1 .
Book 13
The Pheacians send him on his way, in a boat rowed by
their men, & too laden with gold & precious stuffs. He is
fast asleep, in a sleep most like to death, in the stern. They '.
land him, still sleeping on the coast ofithaca, & leave him
there, with his wealth piled beside him. On their way back
they are confounded to the depths of the sea by a great
rock; & the Pheacians watching in the harbour see them
disappear. The sun threatened, else, to shine among the
dead. O. wakes, nor knows where he is, for Athena has
changed the land. She appears like a boy, & he questions
her & tells her a long story of feigned wanderings - at
which, changing her disguise, she smiles. Odysseus, you
are crafty as ever. She bids him slay the suitors & makes
him like a worn old man. He recognises the land & the
cave where of old he did sacrifice to the nymphs -
promises Zeus of offerings if they will befriend him.
142
Athena goes, & O. makes his way to the swineherd's hut.
He has built, with his own hands, a courtyard, unknown
1. Mention faite en regard du « 14 » ajouté par V.Woolf au milieu
de la page suivante.
2. Virginia rajoute entre deux lignes cette indication qu'elle
entoure : elle avait rendu compte des chants 13 et 14 sans les
distinguer.
Homère, Odyssée 123
Une belle image des navires qui vont,
comme quatre chevaux mâles bondissant sur
la plaine.
Chant 14
[en regard de « 14 » ajouté au milieu de la page suivante]
p.24
Chant 13
Les Phéaciens remettent Ulysse sur sa route, dans un
bateau mû par leurs rameurs et également chargé d'or et
de précieuses marchandises. Il s'endort rapidement ~ la
poupe, dans un sommeil qui ressemble dav~ntage a, la
mort. Ils le descendent à terre, encore endormi, sur la cote
d'I thaque, et ils le laissent là, ses biens déposés à côté de
lui. Sur le chemin du retour, ils sont surpris par un grand
rocher qui les fait chavirer dans les profondeurs de la mer.
Les Phéaciens, depuis leur port, les voient disparaître. Le
soleil a menacé, sinon, de briller parmi les morts. Ulysse
s'éveille et ne sait pas où il est, car Athéna a modifié le
pays. Elle apparaît sous la forme d'un garçon. Il l'interroge
et il lui raconte une longue histoire de prétendues errances
- histoire à laquelle, changeant de déguisement, elle sourit.
Ulysse, tu es rusé comme toujours. Elle lui demande de
tuer les prétendants et le transforme en un vieil homm.e
épuisé. Il reconnaît le pays et la grott~ où autrefois, il a fai~
un sacrifice aux nymphes -, promet a Zeus des presents s1
elles lui sont favorables.
14
Athéna part, et Ulysse se met en route pour la ca~ane du
porcher. Celui-ci a construit, de ses propres mams, une
 124 The Odyssey of Homer
to Penelope. He has driven stakes round it, & made a
number of sties. He has trained several big dogs who fly
at O. The swineherd turns them off, & makes O. corne
inside. Ali strangers & beggars are from Zeus.
They drink, & the swineherd tells him his sorrows, how
he has to herd swine for the suitors who eat
p.25
his fattest swine; & his master is away "with nothing to
eat". He tells over ail his master's possessions, in the temper
of some loyal & boastful old retainer. O. asks of his master;
at which Eumaeus breaks out, shrewd & angry. "No you
don't. Beggars corne here with tales of him, & make my
good rnistress cry, & earn a clothing by their lies.You are
at the same game". He loves his master more than mother
& father. Even though he is away. Yes, he is dead, a dry
skeleton, a food for fishes, or beneath the sand. Odysseus
then tells him a long ingenious fiction about his
wanderings - how he was son of a rich man & a slave
woman - had been at Troy - & wandered in Egypt -
where he was taken prisoner, & almost sold for a slave. But
fate rescued him, & threw him on the shore of Ithaca. In
his wanderings he had corne upon a man who had
entertained Odysseus, & O. had left there a vast treasure,
enough for ten generations, & had gone to ask counsel of
the Oak at Dodona. He was about to set off home. But
the swineherd won't believe this, & bids him leave offhis
lying. O. offers to wager. But the swineherd puts by his
oath, & refuses to run the risk of treating a stranger ill.
"What sort of fame should I have among men?" The
swine are driven in, & they kill & make sacrifice. O. has
the long back as his guest's portion.
Homère, Odyssée 125
our, inconnue de Pénélope. Il l'a entourée de pieux et a bâti
~e nombreuses porcheries. Il a dressé plusieurs gros chiens qui
s'élancent sur Ulysse. Le porcher les arrête et fait entrer Ulysse.
Tous les étrangers et mendiants sont envoyés par Zeus.
Ils boivent et le porcher lui raconte ses chagrins, qu'il doit
s'occuper des porcs pour les prétendants qui mangent
p.25
es porcs les plus gras ; et son maître est au loin « sans rien
sà manger ». Il parle des biens de son maitre, dans l"etat
A
d'esprit d'un vieux serviteur loyal et orgueilleux. Ulysse
le questionne sur son maître ; sur quoi Eumée se déch~ne,
avec sagacité et colère. « Non, pas de ça. Des mendiants
viennent ici avec des contes à son sujet, ils font pleurer ma
chère maîtresse et gagnent un vêtement en échange de
leurs mensonges. Tu joues le même jeu ». Il aime son
maître plus que mère et père. Même s'il est au loin: Oui,
il est mort, un squelette desséché qui nourrit les poissons
ou enterré sous le sable. Ulysse alors lui raconte une fable
longue et ingénieuse sur ses errances - ~u'i~ ,ét~it le fil~
d'un homme riche et d'une esclave - qu il s etait trouve
à Troie - et avait erré en Égypte - où il avait été fait
prisonnier, et avait failli être vendu comme esclave. Mais
le destin l'avait sauvé et jeté sur le rivage d'Ithaque. Lors
de ses errances, il avait rencontré un homme qui avait reçu
Ulysse. Ulysse avait laissé là un vaste trésor, assez pour dix
générations, et il était parti consulter le Chêne de Dodone.
Il était sur le point de regagner son foyer. Mais le porcher
ne veut pas le croire et lui demande de cesser ses
mensonges. Ulysse lui propose un pari. Mais le porcher
ne prête pas serment et refuse de courir le risqu~ ~e
maltraiter un étranger.« Quelle sorte réputation aurais-Je
parmi les hommes ? » On fait entrer les porcs, ils les tuent
et font un sacrifice. À Ulysse revient le large dos, sa part
en tant qu' invité.
126 The Odyssey of Homer
p.26
Then it cornes on to rain, with the South wind, & o.·: :
wishes to see whether the swin~herd will give hi~ his ~~
own cloak. He tells therefore a httle story about hunself ~:
"Odysseus before the walls of Troy. They lay out, in a 1
thicket one cold night". The rain froze on their shields, & ;·
he, alone, had no cloak. So he went to Odysseus, who sent -
a man with a message to Agamemnon, & O. so "I took his
purple cloak & lay happy". The good swineherd says for
this night Odysseus shall have a cloak, though they have
but one apiece.And he gives him one, & O. lies before the
fire on a bed made of goats skins. The herdsmen lie by
him, but the swineherd is not happy far from his swine, so
he takes a great cloak, & a staff, to defend him from dogs
& men, & lies out by the pens in a cave; so that he is
sheltered from the wind.
This is a very careful study of the old mans 1:t1
character, & his surliness, & shrewdness, & his Joolish & obstinate
but beautiful loyalty to his master. It is the nearest approach to
drawing of individual character yet; but is, I suppose, a typical
figure too. These were the characteristics of the old family servant.
His hospitality is perpetually insisted upon.
End of13-14.
p.27
15.
·i]
...,:,
-:~
Athena goes to Telemachus who is with Menelaos in
Lacedaemon; & finds him awake, sorrowing for his father.
Homère, Odyssée 127
p.26
Puis survient la pluie, avec le vent du Sud et Ulysse
s'attend à voir le porcher lui donner son propre manteau.
C'est pourquoi il raconte une petite histoire à son sujet.
«Ulysse devant les remparts de Troie. Ils sont étendus, dans
un fourré par une froide nuit ». La pluie glaciale tombait
sur leurs boucliers et lui seul n'avait pas de manteau.Aussi
s'approcha-t-il d'Ulysse qui envoya un homme avec un
message pour Agamemnon. Ulysse dit alors : «j'ai pris son
manteau pourpre etje me suis couché heureux 1 ».Le bon
porcher dit que pour cette nuit Ulysse aura un manteau,
bien qu'ils n'en aient qu'un chacun. Et il lui en donne un
et Ulysse s'allonge devant le feu sur un lit fait de peaux
de chèvres. Les bergers se couchent à ses côtés, mais le
porcher n'est pas heureux loin de ses cochons, aussi prend-
il un grand manteau et un bâton, pour se défendre des
chiens et des hommes et il se couche près des enclos dans
une grotte ; c'est ainsi qu'il est abrité du vent.
C'est une étude très soignée du personnage du vieil homme,
son caractère maussade, sa sagacité et sa loyauté folle et obstinée
mais belle envers son maftre. C'est l'approche la plus fine dans
l'esquisse d'un individu jusqu'ici ; mais c'est, je suppose, une
figure typique également. Ce sont les caractéristiques du vieux
serviteur familial. On insiste sans cesse sur son hospitalité.
Fin de 13-14.
p.27
15.
Athéna se rend auprès de Télémaque qui est avec Ménélas
à Lacédémone ; et elle le trouve éveillé, se lamentant au
L Ulysse joue ici les deux rôles.
128 The Odyssey of Homer
She bids him home, for his mother is courted & may yiel !
Her heart is the heart of a woman, & ail her thought w·
be for her husband & his welfare & she will not remember
her dead husband. Is this good psychology - or only a dramati ·
phrase, brought in to heighten the effect of Penelope's loyaltyf;j
Menelaos makes the young men feast & loads them with ~.
gifts, in the usual way, before they start. Ail this gold, stored '
in treasure power, reminds me of Mycenae. Helen brings out a ·
broidered robe, shining like a star, & gives him as fruit
her hands, to give his wife one day. As they start an eagle
swoops across the chariot chasing a tame goose - omen
of the descent of Odysseus upon the suitors. Helen
interprets it.An old man tries to stay him.They putto sea.
A descendant of Melampus the seer, begs to be taken on
his way. Here is told the story of Melampus, as there is some
lack of incident. Then we visit the swineherd again. He
Odysseus asks him news of the father & mother of O.: one
is dead, & one lives in grief. Indeed I never hear the gentle
words of my mistress now. She is beset by sui tors. My old
mistress treated me very kindly. "What was your story,
then?" And as these nights are very long, & sleep is
p.28
burdensome, the swineherd stretches out his legs, & tells
O. He was the son of a king; but the Phoenicians came to
the island, with boats full of trinkets. How there was a ·
Homère, Odyssée 129
sujet de son père. Elle lui demande de rentrer chez lui, car
sa rnère est courtisée et risque de céder aux avances.
, Son
,..,ur
Cv.-
est le cœur d'une femme et toute sa pensee
.
sera pour
on époux et son bien-être et elle ne se souviendra pas de
:on époux décédé. Cela est-il de la bonne psychologie - ou
seulement une expression dramatique, introduite pour augmenter
l'effet de la loyauté de Pénélope ? Ménélas fait festoyer les
·eunes héros et les charge de présents, selon la coutume,
Javant leur depart.
, ,/;' au pouvoir. du t,
Tout cet or, conJ'e resor, me
rappelle Mycènes. Hélène apporte une robe brod~e'.b,rillante
comme une étoile, et lui donne cet ouvrage reahse de ses
mains, pour qu'il l'offre à son épouse un jour. Comme ils
se mettent en route, un aigle fond sur le char, pourchassant
une oie apprivoisée - présage de la vengeance d'Ulysse
sur les prétendants. Hélène l'interprète. Un vieil homme
essaie de le retenir1 • Ils prennent la mer. Un descendant
de Mélampus, l'augure, le prie de l'emmener. Ici est racontée
l'histoire de Mélampus, comme il y a un manque de péripéties.
Puis nous retrouvons le porcher. H Ulysse lui demande des
nouvelles du père et de la mère d'Ulysse : l'une est morte,
l'autre vit dans le chagrin. Certes,je n'entends plus jamais
désormais les douces paroles de ma maîtresse. Les
prétendants la harcèlent. Ma vieille maîtresse me traitait
avec beaucoup de bonté. « Quelle a été ton histoire,
alors ? » Et comme ces nuits sont très longues, et que le
sommeil est
p.28
difficile, le porcher étend ses jambes et parle à Ulysse. Il
2
était fùs d'un roi, mais les Phéniciens vinrent sur l'île , avec
1. Il s'agit de Nestor, père de l'ami de Télémaque, Pisistrate. Le
fùs d'Ulysse craint que Nestor, respectueux des lois de
l'hospitalité, ne le retienne.
2. L'île de Syros où le père d'Eumée, Ctésias, régnait.
~
130 The Odyssey of Homer
Phoenician slave woman in the ho use, & one of the sailors
! ' seduced her, & offered to take her home with them. She
consented, & promised to carry off her master's son, that
they might sell him & requite themselves. So the child
(that is E[umaeus]) was caught up, as he played in th~
courtyard, & a Phoenician sailor kept his mother busy
with a golden necklace, strung with amber beads. She
fingered it, & gazed on it. Well, they voyaged away to
Phoenicia & suddenly Artemis struck the woman, who
fell like a seagull into the hold, & was dropped overboard
to feed the seals. Is this the Just punishment? And Eumaeus
was sold to Odysseus. Then they slept. Meanwhile
Telemachus landed, & was once more shown a portent:
an eagle with a dove.
1
f Télémaque accosta et un présage lui apparut une fois de
! plus : un aigle avec une colombe.
Charming story of the Phoenician woman.
!
}
\
'
p.29
Book 16.
Telemachus cornes to the door, & the dogs fawn on him,
& do not bark. Eumaeus knows him, & falls on his neck.
Odysseus makes way for him; but T[ elemachusJ is gentle
& lordly, & a seat is strewn for him on the fioor. The
herdsman tells him of Penelope. They treat her with
suspicion always; the blameless woman! Then Eumaeus
go es to tell her of her son's arrival & go es to Laertes too.
AndAthena stands in the doorway like a beautiful woman,
& invisible to T. She changes his shape - & he returns to
Homère, Odyssée 131
des navires pleins de babioles. Il explique qu'il y avait une
esclave phénicienne dans la maison, et que l'un des
matelots la séduisit et lui offrit de la ramener dans sa patrie
avec eux. Elle consentit et promit d'emmener le fils de
son maître, ils pourraient le vendre et se payer en retour.
C'est ainsi que l'enfant (qui est Eumée) fut enlevé, alors
qu'il jouait dans la cour, et qu'un matelot phénicien
mobilisait l'attention de sa mère avec un collier doré, garni
de grains d'ambre. Elle le tâtait et le regardait avec
attention. Eh bien, ils voguèrent jusqu'en Phénicie et
soudain,Artémis frappa la femme, qui tomba comme une
mouette dans la cale et fut jetée par-dessus bord pour
nourrir les phoques. Est-ce le juste chdtiment ? Et Eumée
fut vendu à Ulysse. Puis ils dormirent. Pendant ce temps,
Charmante histoire de la Phénicienne.
p. 29
Chant 16.
Télémaque s'approche de la porte et les chiens lui font fete
sans aboyer. Eumée le reconnaît et se jette à son cou. Ulysse
lui fait place ; mais Télémaque est courtois et noble et on
étend des feuillages pour lui sur le sol. Le porcher lui parle
de Pénélope. Ils la traitent avec méfiance toujours ;
l'irréprochable femme 1 ! Puis Eumée va lui annoncer
l'arrivée de son fils et se rend chez Laërte également. Et
Athéna se tient sur le seuil sous les traits d'une belle femme,
et invisible àTélémaque. Elle change son aspect2 et il retourne
1. Eumée assure que la patience de Pénélope est restée
inébranlable (Od., v. 37-39).
2. L'aspect d'Ulysse.
132 The Odyssey of Homer
the hut, like a God. "Are you a God?" asks T. & prays fo . ·•
help. "No God, but your father" & O. weeps, who ha~·
before ever restramed h1s tears. But T. like a crafty Greek
will not be convinced, for no mortal man could chan
. . ~ rusé, ne veut pas se laisser convaincre, car aucun mortel
so firom age to youth m a minute.
But he is_ c?nvinced; & they kiss & weep, & take counse]
for the killmg of the smtors. O. is for falling on them at
once; T. reminds him that they are many; but the God
will help. Meanwhile, 4e none is to know that O. i:
returned, but T. is to hi de all the arms in a corner of the
ho use, under pretext that they may hurt each other. ~
At a signal the fight is to begin. Now the suitors saw the
ship of T. brought up to the town - a boat carried on men~
shoulders, then - & took counsel. Should they kill him? One
said no.
p.30
And Penelope stepped clown from her gleaming inner
chamber, & ffiM reproached men with their evil thoughts.
And one stood up & denied them utterly. He had been
helped by Odysseus, but yet he lied. The swineherd came
back at evening, having given his message to Penelope, &
O. was once more changed to an old man. They eat
together; once T. did not <lare look at the swineherd but
smiled at his father. '
These books~ have nothing so beautiful as the earlier ones;
too much business has to be got through; but still there is always
some beautiful detail, or a picture of the goddess standing at the
door.
Homère, Odyssée 133
à la cabane, tel un dieu. « Es-tu un dieu ? », demande
Télémaque et il le supplie d'apporter son aide. « Pas un
dieu, mais ton père » et Ulysse pleure, lui qui avait depuis
toujours retenu ses larmes. Mais Télémaque, tel un Grec
ne pourrait passer de la vieillesse à la jeunesse en une
minute.
Il est néanmoins convaincu ; ils s'embrassent, pleurent et
se concertent sur le meurtre des prétendants. Ulysse est
d'avis de fondre sur eux immédiatement ; Télémaque lui
rappelle qu'ils sont nombreux ; mais les dieux les aideront.
Cependant, personne ne doit savoir qu'Ulysse est de
retour, mais Télémaque doit cacher toutes les armes dans
un coin de la maison, sous prétexte qu'ils risquent de se
blesser les uns les autres. A un signal, le combat doit
commencer. Or, les prétendants ont vu le navire de
Télémaque se diriger vers la ville - un bateau porté sur les
épaules d'hommes, alors - et se concertent. Faut-il qu'ils le
tuent ? L'un refusa.
p.30
Et Pénélope quitta ses clairs appartements et reprocha aux
hommes leurs pensées malfaisantes. L'un d'entre eux se
leva et les démentit totalement. Ulysse l'avait aidé,
cependant il mentait. Le porcher revint au soir, après avoir
remis son message à Pénélope, et Ulysse fut une fois de
plus changé en un vieil homme. Ils prirent ensemble le
repas ; Télémaque n'osait pas regarder le porcher, mais il
souriait à son père.
Ces chants~ n'ont rien d'aussi beau que les précédents;
trop de sujets sont abordés ; mais il y a encore toujours de beaux
détails ou une représentation de la déesse se tenant à la porte.
 134 The Odyssey of Homer
p. 31
Book 17.
In the morning, T. go es off to the town to see his mother·
& tells Eumaeus to take O. to the fields & finally to th:
town, where he may beg for bread & water. T. reaches his
home & stands his spear against the doorway. His old nurse
is laying the ftftl:l: seats in the hall with skins: she falls on
his neck, & other serving women corne running. Then
Penelope herself descends, like to Aphrodite, & holds him
in her arms - and questions him. But he bids her wash &
make herself fine, & offer hecatombs to the Gods. Then
he go es to the market place, where the suitors are, plotting
disaster in their hearts, though so fair of speech. He sits
apart from them, & talks to the stranger, the seer, who had
corne with him. They return to the hall & wash, & feast,
& Penelope sits beside them, plying her fine threads, &
asks T. of his adventures. He tells her briefly. The suitors
outside are casting weights, & otherwise engaging
themselves, until the herald bids them sup. One metaphor
here is good: how a stag lays thefawns to sleep in a lion's den,
in the thicket, & the lion returns & slaughters them: so Odysseus
re<turns>. Curious metaphor; large & conventional.
Meanwhile O. bent, like an old man
p.32
is led up to the door to beg. He meets Argos, who lays
back his ears & wags his tail but is too old to move. O.
wipes away a tear. Then Argos dies. A curious little story.A
dog of course a valuable beast in those days - personified. O. go es
Homère, Odyssée 135
p. 31
Chant 17
Au matin, Télémaque se rend à la ville pour voir sa mère ;
il dit à Eumée d'emmener Ulysse aux champs et
finalement à la ville, où il pourra mendier du pain et de
l'eau. Télémaque rentre chez lui et pose sa lance debout
contre l'embrasure de la porte. Sa vieille nourrice est en
train d'étendre des peaux sur les sièges dans la salle ; elle
se jette à son cou et d'autres servantes accourent. Puis
Pénélope elle-même descend, semblable à Aphrodite, et le
tient dans ses bras - et l'interroge. Mais il lui demande de
prendre un bain, de se faire belle et d'offrir des
hécatombes aux dieux. Puis il se rend à l'agora où se
trouvent les prétendants, méditant son malheur dans leurs
cœurs, bien que leurs paroles le disent si admirable. Il
s'assied à l'écart et parle à l'étranger, le devin, qui était
venu avec lui. Ils retournent au palais, prennent un bain,
festoient. Pénélope s'assoit à leurs côtés, travaillant ses
laines délicates, et interroge Télémaque sur ses aventures.
Il lui en fait brièvement le récit. Les prétendants à
l'extérieur lancent des poids ou s'occupent autrement,
jusqu'à ce que le héraut les invite à prendre le repas du
soir. Une métaphore ici est belle :comment un cerf laisse ses faons
dormir dans l'antre d'un lion, dans le fourré, et le lion revient et
les massacre : Ulysse revient de la même manière. Curieuse
métaphore,forte et conventionnelle. Cependant, Ulysse courbé
comme un vieil homme,
p.32
est conduit à la porte pour mendier. Il rencontre Argos
qui couche les oreilles et remue la queue mais il est trop
vieux pour bouger. Ulysse essuie une larme. Puis Argos
meurt. Un curieux petit récit. Un chien, bien sûr un animal
r
1
136 The Odyssey of Homer
in & feeds.Antinous insults him, & flings a stool at him.t
"sneezes": P. sees he sneezes a blessing on her word;
predicting downfall of the suitors.
p.33
Book 18
O. gets into quarrel with another old beggar, a privileged
kind of messenger, who asks him to fight. And O. throws
off his cloak & shows strong limbs, & maltreats the old
Ruffian, while the suitors laugh.
This is the usual kind of humour. Penelope thinks she will
corne among the suitors. & Athena sends her to sleep &
beautifies her, till she is white as sawn ivory. "O would
that 1 might die now, early, & suffer no longer". She then
has talk with Telemachus, & reminds him of his father's
injunction to her - to stay at home till he was a grown
man, & then to marry whom she wished. Now the time
is corne, & she will marry the suitor who brings the
richest gifts. Odysseus smiles, overhearing this, for he
knows that his wife has other councils in her mind, & yet
has the wit to profit. The suitors bring their gifts. P.
withdrew to her chamber, & O. bade her maidens follow
her, & he would light the suitors in the hall. The women
laughed at him, but he threatened, & then obeyed.Athene,
however, determined that O. should suffer fully, & stirred
Homère, Odyssée 137
précieux en ces temps - personnifié1 . Ulysse entre et se nourrit.
Antinoüs l'insulte et jette un taboûret dans sa direction.
Télémaque « éternue» : Pénélope comprend qu'il éternue
à ses paroles comme un signal prédisant la chute des
prétendants.
p.33
Chant 18
Ulysse entre en dispute avec un autre vieux mendiant, un
genre privilégié de messager, qui lui demande de se battre.
Ulysse rejette son manteau, montre des membres solides et
malmène le vieux bagarreur, tandis que les prétendants rient.
C'est le genre habituel d'humour. Pénélope pense qu'elle va
se rendre parmi les prétendants. Athéna l'envoie dormir
et l'embellit, jusqu'à ce qu'elle soit blanche comme de
l'ivoire taillé. « Oh ! Puissé-je mourir maintenant, sans
tarder, sans souffrir davantage. » Puis elle a une
conversation avec Télémaque et lui rappelle l'injonction
que son père lui a faite, à elle, de rester au palais jusqu'à
ce qu'il soit adulte et d'épouser alors quelqu'un selon ses
désirs. Maintenant le temps est venu et elle épousera le
prétendant qui lui apportera les plus riches présents. Ulysse
sourit, en surprenant ces paroles, car il sait que sa femme
a conçu d'autres pensées en son esprit et qu'elle a de plus
l'intelligence de tirer profit. Les prétendants apportent
leurs présents. Pénélope se retira dans ses appartements et
Ulysse ordonna à ses suivantes de la suivre, leur disant qu'il
prendrait soin d'éclairer les prétendants dans la salle. Les
femmes se moquèrent de lui, mais il les menaça et alors
elles obéirent. Athéna, cependant, décida qu'Ulysse
1. Virginia Woolf s'en souviendra dans sa biographie de Flush,
le chien d'Elizabeth Barrett Browning.
138 The Odyssey of Homer
bitter words against him. Eurymachus taunts him. FinaU·
the wooers depart, & T. & O. are left in the Hall. •:.
Book 19.
T. is bidden to hide the arms in an upper chamber "to be ·'.
out of the smoke". P. cornes clown & sits in the hall to
question O. of her husband. She tells him how she has
beguiled the suitors with her weaving, which she wrought
by day & undid by night. But now she has had to finish it.
O. tells his tale. He describes O. exactly He assures her that
O. is near at hand. P. welcomes his words, & bids her
women wash & anoint him. He will only suffer the old
nurse to approach him. She uncovers his scar & knows
him. Story of the scar is told between her seeing it, &
exclairning. Got it when visiting Autolycus, his mother's
father, & hunting boars. Autolycus "outdid all men in
thievery & swearing". O. signs to her not to reveal him. P.
then talks to him & tells him a dream she has had of geese
& an eagle. She likens herself, in a beautiful passage to "the
brown bright nightingale", always mourning.
The Gates of dreams; of horn & ivory. The ivory dreams
are untrue; the horn are true. She is to set a contest of
shooting to the wooers; & will marry the one who shoots
best. They sleep.
Homère, Odyssée 139
uffrirait pleinement et suscita des mots acerbes contre
so 1 . ,
lui. Eurymaque le nargue. Enfin, es courtisans s en vont.
Télémaque et Ulysse restent dans la salle.
p.34
Chant 19.
Télémaque reçoit l'ordre de cacher les armes dans une
pièce à l'étage« pour les éloigner de la fumée». Pénélop:
descend et s'assied dans la salle pour questionner Ulysse a
propos de son époux. Elle lui explique qu' ell~ a trompé
les prétendants par son tissage : elle entrelaçait les fils le
jour et les défaisait la nuit. Mais il lui a bien fallu termmer
son ouvrage. Ulysse raconte son histoire. Il décrit Ulysse
exactement. Il l'assure qu'Ulysse est tout proche. Pénélope
accueille ses paroles, ordonne à ses femmes de le baigner
et de l'oindre. Il acceptera de n'être approché que par la
vieille nourrice. Elle découvre sa cicatrice et le reconnaît.
L'histoire de la cicatrice est racontée entre le moment où
elle la voit et celui où elles' exclame.S'est blessé lors de sa
' visite chez Autolycus, le père de sa mère, et d'une chasse
· aux sangliers. Autolycus « surpassait tous les hommes par
les larcins et les serments ».Ulysse lui fait signe de ne pas
le trahir. Ensuite, Pénélope lui parle et lui raconte un rêve
qu'elle a fait d'oies et d'un aigle. Elle se compare, dans un
beau passage, «au rossignol brun clair», se lamentant sans cesse.
Les Portes des songes ; de corne et d'ivoire. Les songes
d'ivoire sont trompeurs, ceux de corne sont vrais. Elle doit
mettre en place un concours de tir pour les courtisans ; et
elle épousera celui qui tirera le mieux. Ils dorment.
140 The Odyssey of Homer
p.35
Book 20.
Odysseus sleeps in the forecourt on fl.eece, piled on hides.
Penelope wakes & makes prayer to Artemis either to slay
her, or that the winds may sweep her away, as they swept
the daughter of Pandareus. A beautiful little passage. O. hears
her, & wakes. He prays to Zeus for a sign. And a woman
who is grinding at the mill prays too that the suitors may
have eaten their last feast.Then Eurycleia wakes, & sets ail
the servants stirring. They sweep, & wipe the tables with
sponges.T. rises, & gradually the whole place is astir. Herds
are driven in. The herdsman speaks, & O. answers him
with prophecy of his own return. Then a great feast is
made on the shady hill of Apollo. O. feasts with the rest.
He is reviled by the suitors. One fl.ings an oxen leg at him,
but it misses him. The stranger rises & prophecies that
doom is on them. The court is full of ghosts, travelling to
the underworld. This is in the spirit of a malediction in the
Old Testament. They laugh at him. P. listens. Meanwhile the
goddess & the man are making ready a bitterer feast.
p.36
Book 21.
P. bethinks her of the great bow of O. laid by in an upper
chamber with his treasures. She fetches it, & declares that
she will marry the man who can shoot with it through a
Homère, Odyssée 141
p.35
Chant 20.
Ulysse dort dans l'avant-cour sur de la toison empilée sur
des peaux. Pénélope s'éveille et prie Artémis soit de la tuer,
soit que les vents puissent l'emporter, comme ils ont
emporté la fille de Pandarée. Un beau petit passage. Ulysse
l'entend et s'éveille. Il implore Zeus de lui envoyer un
signe. Une femme occupée à moudre du grain au moulin
prie aussi pour que ce soit le dernier festin des prétendants.
Puis Euryclée s'éveille et met toutes les servantes à
l'ouvrage. Elles nettoient et essuient les tables avec des
éponges.Télémaque se lève et peu à peu le lieu tout entier
s'anime. On fait entrer les troupeaux. Leur gardien parle
et Ulysse lui répond par la prophétie de son propre retour.
Puis on fait une grande fête sur la colline ombragée
d'Apollon. Ulysse festoie avec les autres. Il est insulté par
les prétendants. L'un lui lance un pied de bœuf, mais il
esquive le coup. L'étranger se lève et prédit qu'ils courent
à leur perte. La cour est pleine de fantômes qui se rendent
aux enfers. C'est dans l'esprit d'une malédiction de l'Ancien
Testament. Ils se moquent de lui. Pénélope écoute. Pendant
ce temps, la déesse et l'homme préparent un festin plus
amer.
p. 36
Chant 21.
Pénélope vient à penser au grand arc qu'Ulysse a laissé
dans un appartement à l'étage avec ses trésors. Elle le
rapporte et déclare qu'elle épousera l'homme qui sera
capable de tirer, avec cet arc, à travers un trou dans une
r
1'
142 The Odyssey of Homer
hole in an iron wedge. They try. T. fails. Wax is brought
out & they anoint themselves. All fail. O. meets the
herdsman & swineherd & asks them if they would protect
O. should he corne. He asks for the bow, which is finally
at the command of P. & T. gives him. The suitors revile
him.:fite He strings it as easily as a flute player fits another
chord to his instrument, & it sings in his ears like a
swallow. He shoots, & hits every mark. Then bids
Telemachus make ready the feast.
p.37
Book 22.
"Now is this trial ended at last" 1• The slaughter of the
wooers begins.They recognise their fate, but try to make
terms. One finds the way to the room where the arms are
stored; but is caught there, & slung up to the roof to die
miserably. Athene turned all the arrows of the wooers
away, & O. was unscathed.Two were spared, who had been
enforced by the wooers.The rest were slain.Then O. steeà
& lay like fish taken from the sea & laid in the sunlight.
Then O. stood over them like a lion, ail bloodstained with
the blood of an ox. The old nurse is sent for, & would cry
out withjoy when she sees the suitors, but O. tells her (a
fine touch,for the poor old woman would be irrelevant 1) not
1
to boast in the presence of the dead. He bids her send for
the women who have been insolent & faithless, 12 out of
50; they are made to heap the dead in the courtyard - &
then Telemachus kills them, with no clean death, for their
1. Phrase reprise de Butcher et Lang, p. 359.
Homère, Odyssée 143
pièce de fer. Ils essaient. Télémaque échoue. On apporte
de la cire et ils s'en enduisent 1. Tous échouent. Ulysse
rencontre le gardien de troupeaux et le porcher et leur
demande s'ils protégeraient Ulysse s'il arrivait. Il réclame
l'arc qui est en la possession de Pénélope et Télémaque le
lui donne. Les prétendants l'insultent. Il le tend aussi
aisément qu'un joueur de flûte ajuste une autre corde à
son instrument et l'arc chante à ses oreilles comme une
hirondelle. Il tire et atteint toutes les cibles. Puis ordonne
à Télémaque de préparer le festin.
p.37
Chant 22.
« Cette épreuve est maintenant enfin terminée ». Le
massacre des courtisans commence. Ils reconnaissent leur
destin mais essaient de jouer aux plus fins. L'un trouve
l'accès à la pièce où les armes sont entreposées ; mais il est
attrapé et est jeté sur le toit pour y mourir misérablement.
Athéna détourna toutes les flèches des courtisans et Ulysse
s'en sortit sain et sauf. Deux hommes, enrôlés de force par
les courtisans, furent épargnés. Les autres furent tués~
Ul-y:ise se leoa et gisaient comme du poisson retiré de la
mer et exposé à l'ardeur du soleil. Puis Ulysse se tint au-
dessus d'eux tel un lion, tout ensanglanté du sang d'un
bœuf. On envoie chercher la vieille nourrice et elle
manque de pousser des cris de joie à la vue des
prétendants, mais Ulysse lui dit (une touche délicate, car la
pauvre vieille femme aurait un comportement 1inapproprié 1) de
ne pas fanfaronner en présence des morts. Il lui ordonne
d'aller chercher les femmes qui ont été irrespectueuses et
infidèles, 12 sur 50 ; elles sont employées à entasser les
1. Dans!' Odyssée, les prétendants enduisent l'arc.
144 The Odyssey of Homer
sin was foul. They are strung up in a row like thrushes, in
a snare. This is one of the most vivid of the pictures. They
wriggled their feet for a time "oü n µéO\Cx 15nv".
Verso
The 23'J book of the
p.38
Book 23.
The old nurse goes for Penelope, & wakes her with the
news that her husband has returned. She will not believe
it at first; but at length hasten herself, in order to see the
dead & the man who killed them. Does she suspect? She
cannot make up her mind how to welcome him: she finds
him standing by a pillar, with his eyes downcast, for he
wonders what his wife will say to him. She knows him
not in his rags.::i:e±eThen he speaks, & calls her hard.And
Telemachus upbraids her (for P. never meets with very generous
treatment in spite of her sufferings & loyalty). But she is grown
sceptical ofhappiness, & will not believe.Then O. dresses,
& is invested with beauty. Still she hesitates. Then he asks
to sleep, & she bids the old nurse bring out a couch. At
this, as she had planned, he bursts forth & tells how he
made himself a bedchamber, building it round a stout olive
tree; & the tree became the bedpart. & he made a bed &
inlaid it - & it cannot be moved. Then P. knows him &
falls on his neck. They go off to their chamber together,
& Athene stays the dawn while they talk. He tells her how
Homère, Odyssée 145
morts dans la cour;- puis Télémaque les tue, mais pas d'une
mort digne car leur faute était abjecte. Elles sont
suspendues en rang, comme des grives dans un piège. C'est
l'une des images les plus vigoureuses. Elles agitent leurs pieds
quelques instants« oü n µé<Àcx 15nv 1».
Verso de la p. 37
Le 23° chant de l'
p. 38
Chant 23.
La vieille nourrice rejoint Pénélope et la réveille pour lui
apprendre que son époux est de retour. Elle ne veut pas le
croire d'abord ; mais elle se précipite finalement afin de
voir les morts et l'homme qui les a tués. A-t-elle des
soupçons ? Elle ne sait comment l'accueillir : elle le trouve
debout près d'une colonne, les yeux baissés, car il se
demande ce que sa femme va lui dire. Elle ne le reconnaît
pas dans ses haillons.Alors il prend la parole et l'interpelle
durement. Et Télémaque la réprimande (car Pénélope ne
reçoit jamais de traitement très généreux en dépit de ses
souffrances et de sa loyauté). Mais elle doute de son bonheur
et ne veut pas le croire. Puis Ulysse s'habille et apparaît
dans toute sa beauté. Elle hésite encore. Puis il demande à
dormir e~ elle ordonne à la vieille nourrice d'apporter une
couche.A cette parole, comme elle l'avait prévu, il bondit
et lui dit qu'il a fabriqué lui-même une chambre, la
construisant autour d'un olivier solide; l'arbre est devenu
la partie du lit. Il a fait un lit, il l'a incrusté et on ne peut
le déplacer. Alors Pénélope le reconnaît et se jette à son
cou. Ils regagnent leur appartement ensemble et Athéna
retient !'Aurore pendant qu'ils parlent. Il lui explique qu'il
1. La citation du texte grec insiste sur un supplice qui ne dure
«pas bien longtemps».
 146 The Odyssey of Homer
he must travel till he cornes on a people who know not
the sea, in fulfùment of the prophecy.At dawn, he &T. set
forth to the ho use of Laertes, the dark covering them.
p.39
Book 24.
Hermes takes the souls of the wooers to the underworld.
They gibber like bats, awakened in a vast cave, by the fall of
one of them, .,, llieh àisfüres the & they Ry itt 11 efillitt ding
each to each. They pass through the land of dreams to the
field of Asphodel. There Achilles & Agamemnon hold
speech together. JïVhy is this brought in again? Achilles asks
how Agamemnon came by his end, seeing that the gods
protected him through ftffl the war. Agamemnon tells
Achilles how, after his death he was honoured; -el.Te his
mother rose from the sea, & the muses raised a deathless
strain & no man could keep from tears. Then they burnt
him, & took out his bones & set them in a golden jar, with
the bones of Patroclus; & they were buried beneath a great
mound over the Hellespont, which men may see when they
are out at sea. Garnes are held there always, "& greater than
those games at which you have often been, on the death of
some great king. But my fate was more harsh -". Then they
see the souls of the suitors draw near and question them.
AndAutomedon1 tells their story.After whichAgamemnon
exclaims "Blessed is Penelope, who waited for her lord
faithfully. How unlike Clytemnestra whose story shall be
sung among men, & shall be a reproach to women for ever,
even to the upright."
1. Dans l'Odyssée, v. 121, il s'agit d'Amphimédon, fils de
Mélanée.
Homère, Odyssée 147
lui faudra voyager jusqu'à ce qu'il rencontre un peuple
gui ne connaisse pas la mer, pour accomplir la proph~tie.
A]' aube, Télémaque et lui se mettent en route en direct10n
de la maison de Laërte, couverts par l'obscurité.
p.39
Chant 24.
Hermès emmène les âmes des courtisans vers les ténèbres.
Elles poussent des cris inarticulés comme des chauves-
souris réveillées dans une grotte immense par la chute de
l'une d'elles e:ttti les àértttt~e et elles oele1H elî: l:llî:e efi!!Î!î:e
se cramponnent l'une à l'autre. Elles traversent le pays des
rêves pour se rendre à la prairie d' Asphodèle. Là, Achille
et Agamemnon tiennent conversation ensemble. Pourquoi
cela est-il réintroduit ? Achille demande à Agamemnon
quelle fin il a connue, sachant que les dieux l'ont protégé
pendant !!Il la guerre.Agamemnon dit à Achille comment
après sa mort il fut honoré ; ift sa mère sortit de la mer, les
muses élevèrent des chants immortels et personne ne put
retenir ses larmes. Puis ils brûlèrent son corps et
recueillirent ses ossements et les placèrent dans une urne
d'or avec les ossements de Patrocle; et ils furent ensevelis
sous' un grand tertre dominant !'Hellespont que les
hommes peuvent voir lorsqu'ils sont en mer. Des jeux ont
y toujours lieu, « et des jeux plus grands que ceux
auxquels tu es souvent allé, à la mort de quelque grand
roi. Mais mon destin fut plus cruel ». Puis ils voient
s'approcher les âmes des prétendants e,t les interrogent. Et
Automédon [sic] raconte leur histoire.A la suite de laquelle
Agamemnon s'exclame : « Louée soit Pénélope qui a
attendu son seigneur fidèlement. Comme elle est
différente de Clytemnestre dont l'histoire sera chantée
parmi les hommes et qui sera un reproche pour les
femmes à jamais, même les plus honnêtes».
r 148 The Odyssey of Homer
p.40
While the ghosts talk th us O. & T. go across the fields to
the house of bl;e Laertes. They find that ail his servants
are out in the vineyard, planting a new hedge, & they
discover him with his head bent, digging out the root of
a tree. O. wonders whether to greet him directly, or to
make trial of him - & decides, as usual, to prolong the scene.
He tells him that he is a stranger, seeking Ithaca, & one
Odysseus, who was his guest over the seas. Laertes makes
lament; & O. then tries him no more but embraces him.
"A sign!" asks L[aertes] & O. gives him the usual one of the
scar, but not in detail, which would lead to too much repetition.
This time he tells over certain trees which L. had given him
when he was a boy. L. is convinced, & they embrace, &
then make ready a feast. Ali this is very beautiful, as the
descriptions always are. The old man in his farm, with his
vineyards round him, best & tattered, but like a king. Love that
the Greeks must have had of recognition scenes ! They are always
long drawn out.
They feast with Laertes & his servants; & then O. but
meanwhile the rumour of the death of the suitors has
gone abroad, & the people make lament & go into the
halls, & carry out the dead. Sorne they bury, & some they
send in fishing boats to their own land. Eupeithes makes
lament for his son Antinous, the first to die, & makes the
people to kill Odysseus. He tells them all the waste of men
& ships
p.41
that Odysseus has caused them. Others try to dissuade; but
they will not listen, but take arms, & go out to the house
of Laertes. O. hears them coming, & goes out with the
Homère, Odyssée 149
p.40
Pendant que les fantômes conversent ainsi, Ulysse et
Télémaque traversent les champs et gagnent la maison de
hti:e Laërte. Ils découvrent que tous ses serviteurs sont
dehors dans les vignes, plantant une nouvelle haie, et ils le
trouvent la tête courbée, arrachant la racine d'un arbre.
Ulysse se demande s'il doit le saluer immédiatement ou
le mettre à l'épreuve - et décide, comme d'habitude, de
prolonger la scène. Il lui dit qu'il est étranger, à la recherche
d'Ithaque et d'un certain Ulysse qui fut son invité de
l'autre côté des mers. Laërte se répand en lamentations ;
et Ulysse ne l'éprouve pas davantage mais l'embrasse.« Un
signe ! » demande Laërte et Ulysse lui donne la preuve
habituelle de la cicatrice, mais pas en détail, ce qui aurait conduit
à trop de répétition. Cette fois, il évoque certains arbres que
Laërte lui avait donnés lorsqu'il était enfant. Laërte est
convaincu, ils s'embrassent et ils préparent un banquet.
Tout cela est très beau, comme le sont toujours les descriptions.
Le vieil homme dans sa ferme, avec ses vignes autour de lui, très
bon et déguenillé, mais comme un roi. Amour que les Grecs ont
da avoir eu des scènes de reconnaissance ! Elles sont toujours
longuement développées.
Ils festoient avec Laërte et ses serviteurs ; et ]'tiis U. mais
pendant ce temps la rumeur de la mort des prétendants se
répand, les gens se lamentent, se rendent au palais et
emportent les morts. Ils en enterrent certains et ils en
envoient d'autres dans leur pays sur des bateaux de pêche.
Eupithée se lamente sur son fils Antinoüs, tombé le
premier, et pousse le peuple à tuer Ulysse. Il leur raconte
les pertes en hommes et en navires
p.41
qu'Ulysse leur a causées. D'autres essaient de les en
dissuader ; mais ils refusent d'écouter, prennent les armes
et se rendent chez Laërte. Ulysse les entend venir et sort
 150 Ion ef Euripides
servants, armed, to meet them.Athena has word from Zeus
to let Odysseus rule, & to compose peace between thern.
First they fight, O. urging on his son to preserve the
honour of his house, & the old father exclaiming "How
am I happy, when son & grandson contend in valour!"
They fight, & O. swoops on like an eagle. Suddenly a bolt
falls before the feet of Athena, who stay<s> the battle, &
sends the men back into the city. She lays her oaths upon
the combatants, & with sacrifice, "like to Mentor in shape
& voice".
End of Odyssey.
15 th May 08.
This is a characteristic ending; as though the voice, simply, had
.finished speaking, the sun having set, & it being time for bed.
But there is also a great sense if that the drama is completed; we
are relieved if ail anxiety about the future by the knowledge of
what must happen to Odysseus - that he is to travel, & meet
death, the easiest way, by sea. The scene dies out, as a landscape
in the evening.
p.42
Ion ofEuripides.
A. W Verrall.
Prologue spoken by Hermes. He tells how Creusa once
was ravished by Apollo, & hid the son born to her in a
cradle with snakes, as is the tradition in her family. Hermes
was sent by his brother to ±!l)" take the child & place it in
Euripide, Ion 151
avec les serviteurs, armés, à leur rencontre. Athéna reçoit
de Zeus le conseil de laisser Ulysse diriger les opérations
et arranger la paix entre eux. D'abord, ils se battent, Ulysse
incitant son fils à préserver l'honneur de sa maison et le
vieux père s'exclamant : « Comme je suis heureux, lorsque
fils et petit-fils rivalisent en bravoure ! » Ils combattent et
Ulysse fond sur l'ennemi comme un aigle. Soudain un
coup de foudre tombe devant les pieds d'Athéna qui
suspend le combat et renvoie les hommes dans la cité. Elle
amène les combattants à prêter serment d'alliance et à
offrir un sacrifice « sous les traits et avec la voix de
Mentor».
Fin de l'Odyssée.
15 mai 1908.
C'est une fin caractéristique ; comme si la voix, simplement, avait
fini de parler, que le soleil s'était couché et qu'il était l'heure
d'aller au lit. Mais il y a aussi un grand sens de l'achèvement
du drame ; nous sommes délivrés de toute inquiétude concernant
l'avenir par le fait de savoir ce qui doit arriver à Ulysse - c'est-
à-dire voyager et rencontrer la mort, par la route la plus facile, par
mer. La scène disparaft, comme un paysage dans le soir.
p.42
Ion d'Euripide.
A. W Verrall.
Prologue prononcé par Hermès. Il explique que Créuse
fut jadis violée par Apollon et qu'elle cacha le fils qu'elle
en eut dans un berceau avec des serpents, comme c'est la
tradition dans sa famille. Hermès fut envoyé par son frère
 152 Ion of Euripides
the Temple ofApo~o at Delphi.A priestess found it, & had
p1ty on Jt. The child grew up, & served in the temple as
keeper of the treasure, w1thout knowledge of his parents
But. now, Cr~usa having married a man, Xuthus, & the;
havmg .no children, the two are commg on pilgrimage to
the shnne of Apollo to pray for offspring. This has been
contrived by the God, who plans to present Ion to them
"".ithout telling his parentage.Then the boy will recognis~
h1s mother, & receive his due.
This is spoken as prologue.
Ion cornes out of the temple with a band ofDelphians, who
are occupied about the shrine.Th~ :;il'll!; Ion sings, while he
brushes the portals with laurel twigs, & washes them clean.
A love/y strain, beautiful in its suggestion ef the sight. Day
welcomed by the untrodden heights of Parnassus.
Verso
Sarcasm about rich offerings necessary1.
The confusion here is that Creusa says she cames to pray
for children for herse/(,· but the main point ef her plea is
for the other woman, whose story she brings in
inddentally, on hearing Ion, who was betrayed by Apollo,
& on whose behalf she is there, to ask where the child is,
a/ive or dead.
p.43
110 [Quelques mots barrés, dont Ion.]
Ion, who has neither father nor mother, is occupied always
in tending the altars from which he draws his life cleansing
them, garlanding them, & scaring away the impious birds.
1. Réponse à la question posée à la page 43 : « Est-ce un
sarcasme ? ».
Euripide, Ion 153
pour enlever l'enfant et le placer dans le Temple d'Apollon
à Delphes. Une prêtresse le trouva et en eut pitié. L'enfant
grandit et servit dans le temple comme gardien du trésor,
sans avoir connaissance de ses parents. Mais à présent, comme
Créuse a épousé un homme, Xouthos, et qu'ils n'ont pas
d'enfants, le couple se rend en pèlerinage au sanctuaire
d'Apollon pour prier afin d'avoir une descendance. Cela a
été imaginé par le dieu qui projette de leur présenter Ion,
sans révéler sa parenté. Puis le garçon reconnaîtra sa mère et
recevra ce qui lui est dû.
Cela fait office de prologue.
Ion sort du temple avec un groupe de Delphiens, qui
s'occupent du sanctuaire. Ih efl:imtel'lt Ion chante, tandis
qu'il brosse les portiques avec des rameaux de laurier et
qu'il les nettoie à grande eau. Un chant charmant, beau par
le spectacle qu'il suggère. Jour accueilli par les hauteurs
vierges du Parnasse.
Verso de la p. 42
Sarcasme à propos des riches offrandes nécessaire.
La confusion id vient de ce que Créuse dit qu'elle vient
prier pour avoir des enfants pour elle-même ; mais le point
principal de son argument est en faveur de l'autre femme,
dont elle introduit l'histoire incidemment, en entendant Ion,
femme quifut trahie par Apollon, et au nom de laquelle elle
est là, pour demander où est l'enfant, vivant ou mort.
p.43
110 [Quelques mots barrés, dont Ion.]
Ion, qui n'a ni père, ni mère, est occupé sans cesse à
prendre soin des autels. Il passe sa vie à les nettoyer, à les
décorer de guirlandes et à en chasser les oiseaux impies.
 154 Ion of Euripides
Chorus sings, consisting of the handmaidens of Creu .
. sa.
They walk round the Temple, & adnnre the scenes painted
on 1ts walls; vanous myths are represented. Ion cornes 0
.b. Ut
& askh s t eir usmess.They may not enter unless they brin
rich offering of sheep. Is this a sarcasm? Creusa appear;
alone, & Ion remarks that she has the look of a well bor~
persan. She tells him that she cornes from Athens, & her
fathe.r.was Erextheus. Th~n Ion puts her through a very
mqmsltlve exammat10n, like a curious child. Is the myth
true, which says that her father was born of the earth - &
so on. She grows impatient. Then tells him her errand _
that she cornes on behalf of a childless mother; to pray
Apollo for children. Ion then tells his story, how he is
fatherless & motherless. & he has no due to help him in
his search. Creusa says that she knows a woman who is in
the same condition, seeking her child. She does not give
her own name, but, by speaking of the husband who lags
behind, implies that she is the woman herself. The story is too
disgraceful to be owned. But a woman married with
Phoebus - Ion cries aloud - who left her, with her son. She
exposed him & has heard nothing of him since. Perhaps
wild beasts devoured him. Or perhaps, says Ion, the God
has him,
Verso
Cod considered simply as a great man, kingfor example,
who sins like other men but has the power to conceal his
sins; & of course they would be doubly disgraceful.
* natural thoughts upon the injustice of the Gods.
Euripide, Ion 155
Le Chœur chante, composé des servantes de Créuse. Elles
font le tour du temple et admirent les scènes peintes sur
ses murs ; divers mythes sont représentés. Ion sort et leur
demande ce qu'elles font. Elles ne peuvent entrer à moins
d'apporter une riche offrande de moutons. Est-ce un
sarcasme ? Créuse apparaît, seule, et Ion remarque qu'elle
a l'aspect d'une personne bien née. Elle lui dit qu'elle
vient d'Athènes et que son père était Érechthée. Puis Ion
lui fait subir un interrogatoire très indiscret, comme un
enfant curieux. Le mythe est-il vrai, qui dit que son père
était né de la terre et ainsi de suite. Elle s'impatiente. Puis
lui raconte le motif de sa venue - qu'elle vient au nom
d'une mère sans enfants ; pour prier Apollon de lui en
accorder. Puis Ion raconte son histoire, qu'il est sans père
ni mère. Et il n'a pas d'indice pour l'aider dans sa
recherche. Créuse dit qu'elle connaît une femme qui se
trouve dans la même situation, cherchant son enfant. Elle
ne donne pas son propre nom, mais le fait de parler de
l'époux qui la suit sous-entend qu'elle est la femme en question.
L'histoire est trop scandaleuse pour être avouée. Une
femme mariée avec Phébus - Ion s'exclame - qui l'a
abandonnée, avec son fils ! Elle l'a exposé, et n'a plus eu
de ses nouvelles depuis. Peut-être des bêtes sauvages l'ont-
elles dévoré. Ou peut-être, dit Ion, le dieu l'a-t-il
Verso de la p. 43
Dieu considéré simplement comme un grand homme, un
roi par exemple, qui commet des fautes comme d'autres
hommes mais a le pouvoir de dissimuler ses fautes ; et
bien sûr, elles seraient doublement scandaleuses.
*pensées naturelles sur l'injustice des dieux.
 156 Ion of Euripides
p.44
55 sous sa propre protection. La faiblesse de son affaire est,
355 under his own protection. The weakness of her cause is
as Ion points out, that Phoebus will scarcely reveal his ow~
sin. Nobody, he says, can possibly ask the God such a
question - he would at once wreak vengeance on him.
Xuthus arrives. Creusa begs that nothing of what she says
may be repeated to him; since good & bad women are
equally disliked. Xuthus has brought word from
Trophonius that they shall not return home childless.Then
he enters to make sacrifice. Ion is left to himself, & tries
to think no more of Creusa & her story. What is she to
him?Yet, the God must be warned.A God to betray a girl,
& leave her with his child, & let the child perish! An
unjust man is punished. How can those who set the law
sin against it? Apollo, or Poseidon or Zeus, should pay the
penalty, & that would leave theirTemples empty. Man then
only imitates the doings ofhis superiors, & it is not fair to
blame him [435-450]. This is very remarkable, & l!tt~pt!ket1
much is outspoken here in the plainest way that the commentators
hint at. Is this the whole motive of the play - to test some crude
old myth rationally?
450 Le Chœur chante un hymne d'invocation à Athéna et
450 The chorus sing a hymn of invocation to Athena &
Artemis to be present at the shrine of Apollo, & pray him
that a child may be born to the House ofErechtheus.The
blessing of children - how it [sic] it is incomparably greater
than wealth. 0 Athens what thy cliff hath seen1 ! First, it
1. Citation de la traduction de Verrall, p. 45.
Euripide, Ion 157
p.44
comme Ion l'indique, que Phébus ne révélera guère sa
propre faute. Nul, dit-il, ne peut en toute conscience poser
au dieu une telle question - il exercerait aussitôt sa
vengeance. Xouthos arrive. Créuse supplie que rien de ce
qu'elle a dit ne puisse lui être répété ; car bonnes ou
mauvaises, les femmes sont pareillement détestées.
Xouthos a apporté un message de Trophonios : ils ne
retourneront pas chez eux sans enfant. Puis il entre dans
le temple pour faire un sacrifice. Ion est laissé à lui-même
et essaie de ne pas penser davantage à Créuse et à son
histoire. Qu'est-elle pour lui? Cependant, le dieu doit être
mis en garde. Un dieu, abuser une jeune fille et la laisser
avec l'enfant dont il est le père et laisser périr l'enfant !
Un homme injuste est puni. Comment ceux qui
établissent la loi peuvent-ils agir contre elle ? Si Apollon,
Poséidon ou Zeus devaient payer le prix de leurs fautes,
cela laisserait leurs temples vides. L'homme ne fait alors
qu'imiter la conduite de ceux qui le dominent, et il n'est
pas juste de le blâmer (435-450). Cela est très remarquable
et~ il y a ici beaucoup de franc-parler comme le laissent
entendre les commentateurs. Est-ce là le thème tout entier de la
pièce - éprouver un vieux mythe inconvenant de manière
rationnelle ?
Artémis pour qu'elles soient présentes au sanctuaire
d'Apollon et qu'elles le prient d'accorder la naissance d'un
enfant dans la Maison d'Érechthée. La bénédiction d'avoir
des enfants - comme c'est incomparablement plus
important que la fortune. Ô Athènes, que ta colline n'a-
t-elle vu! D'abord, elle a vu des jeunes filles danser au son
 158 Ion of Euripides
has seen maidens dancing to the pipe of Pan. It has seen
also the ravishment of a girl by a God, & the desertion of
the child, there on those very steps, as in bitterness against
her marriage.
p.45
508 Xouthos sort du temple et immédiatement embrasse Ion
508 Xuthus cornes out of the Temple & straightway embraces
Ion, as his son.The boy demands reasons for this outburst.
The God had told X[uthus] that the first man he met with
would be his son. But how is it possible? He had had no
intercourse with women since his marriage. But before in
his youth - still how should the child have corne here? -
(for X. was a stranger). Then he confesses that he did corne
once to the Bacchic rites at Delphi, & was introduced to
certain women, who gave him their favours; & in that
moment, no doubt, Ion was begotten. So he is as the son
of a God - is that because Bacchus was supposed to be
the inspirer of the amour?
Ion wishes that he knew his mother. His father joins him,
but in his ~joy is optimistic about everything.Anyhow
Ion shall corne back with him to Athens, & there he will
be treated with respect, because he is rich, which will
make men forget the stain on his birth. At this Ion winces
- a sensitive, pure minded, & clearsighted boy. He says that to
begin with his presence will be a constant sting to his
stepmother, who will see herself slighted in every
attention paid him by his father; & then if he attempts to
enter public life poor men will revile him.The silent-wise
who take no part in government (&correspond, according to
V{errall] to our "cultured") will wonder at his efforts to rise,
& the able men, who do practise, will envy him, ifhe gets
Euripide, Ion 159
de la flûte de Pan. Elle a vu aussi le dieu séduisant une
jeune fille et l'abandon de l'enfant, là au bas des marches
du temple, comme par rancœur à l'égard de cette union.
p.45
comme s'il était son fùs. Le garçon lui demande les raisons
de cet élan. Le dieu avait dit à Xouthos que le premier
homme qu'il rencontrerait serait son fils. Mais comment
est-ce possible ? Il n'avait pas eu de relations avec des
femmes depuis son mariage. Seulement auparavant dans
sa jeunesse - comment néanmoins l'enfant est-il arrivé
là ? - (car Xouthos était un étranger). Puis il avoue qu'il
est bien venu une fois aux cérémonies en l'honneur de
Bacchus à Delphes et qu'il avait été présenté à des femmes
qui lui accordèrent leurs faveurs ; et c'est dans ce moment,
pas de doute, qu'Ion a été conçu. Ainsi, il est comme le
fùs d'un dieu - est-ce parce que Bacchus était supposé
avoir inspiré cet amour ?
Ion souhaite connaître sa mère. Son père le retrouve, mais
dans sa joie, manifeste son optimisme en toute chose. De
toute façon, Ion retournera à Athènes avec lui et là il sera
traité avec respect, parce qu'il est riche, ce qui fera oublier
aux hommes la souillure attachée à sa naissance. À ces
paroles, Ion se crispe - un garçon sensible, à l'esprit pur et
lucide. Il dit que pour commencer sa présence sera une
source de douleur constante pour sa belle-mère, qui se
verra outragée dans chaque attention que lui accordera
son père ; et puis s'il tente d'entamer une vie publique, les
pauvres l'insulteront. Les esprits sages restés silencieux qui
ne prennent pas part au gouvernement (et qui correspondent,
selon Verrall à nos gens cultivés) s'émerveilleront devant ses
efforts pour s'élever et les hommes au pouvoir, qui sont
effectivement aux affaires, l'envieront, s'il obtient une
 160 Ion ef Euripides
any place. Give me ease and mediocrity, such as 1 have
enjoyed here, in my innocence a faithful servant of the
God. This throws a curious light upon the cultured class, who
despise a s[anc] tuary, & is a subtle consideration of the domestic
situation, unexpected in an ancient poet.
p.46
650 Xuthus says that he is going to have a feast here, to which
ail Ion's friends are to corne, & he is to say good bye to
them. The plan now is that Ion shall be taken to Athens,
as a guest to whom Xuthus would show the sights of
Athens, the town. By degrees, Creusa will accept him as
the heir. Ion agrees, with strangely little difjiculty,
remembering his long argument,just spoken.
He prays that he may discover his mother, the one flaw in
his happiness, & that she may prove to be anAthenian; for
no stranger can ever have the right of free speech.
The Chorus sing, doubting this curious oracle, which
brings sorrow on their rnistress.
They invoke the heights of Parnassus where Bacchus
<lances with flarning pine branches at night, to prevent Ion
from ever reaching Athens. For he would bring
destruction on the city.
Creusa cornes out, with an old servant, who was as a son
to her father, & is therefore as a father to herself. She asks
the chorus what news Xuthus has brought from the God.
They have been forbidden on pain of death to tell her the
truth.
The chorus, after a moment's hesitation, tell her how her
husband has been blessed with a son, but she is left
Euripide, Ion 161
charge. Donne-moi une vie facile et médiocre, telle que
j'en ai joui ici, dans mon innocence, comme fidèle serviteur
du dieu. Cela jette une lumière curieuse sur la classe cultivée qui
méprise un sanctuaire et cela présente une préoaupation subtile pour
la condition domestique, inattendue chez un poète ancien.
p.46
650 Xouthos dit qu'il va organiser un festin en ces lieux,
auquel tous les amis d'ion doivent venir, et où il devra
leur faire ses adieux. Le plan maintenant consiste à
emmener Ion à Athènes, comme un invité à qui Xouthos
devra faire visiter la ville d'Athènes. Petit à petit, Créuse
l'acceptera comme l'héritier. Ion consent, étrangement avec
fort peu de difficulté, si on se souvient du long argument qu'il
vient d'énoncer.
Il prie pour qu'il lui soit donné de retrouver sa mère, ce
qui manque seul à son bonheur et pour qu'elle puisse
prouver qu'elle est athénienne ; car aucun étranger n'a
jamais le droit de parler librement.
Le Chœur chante, doutant de ce curieux oracle qui
apporte de la peine à sa maîtresse.
Il invoque les hauteurs du Parnasse où Bacchus danse avec
des branches de pin enflammées, de nuit, pour empêcher
Ion à jamais d'atteindre Athènes. Car il apporterait la
destruction sur la cité.
Créuse sort, accompagnée d'un vieux serviteur qui fut
comme un fùs pour son père et est donc comme un père
pour elle-même. Elle demande au Chœur quelles nouvelles
Xouthos a apportées de la part du dieu. Elles ont reçu 1
l'interdiction, sous peine de mort, de lui dire la vérité.
Le Chœur, après un moment d'hésitation, lui raconte que
son époux a été gratifié d'un fils tout en la laissant sans
1. Le Chœur est constitué des servantes de Créuse.
r 162 Ion ef Euripides
childless. She wails. The chorus blame Xuthus, for hM~
should have asked her wish. Then they reconstruct the'?
plot. Xuthus has had an intrigue with a slave woman, & .
they have sent the child to live at Delphi & now that he
is old enough to share in his father's property, they claitn
him. The old slave then points out with a wild plan to
Verso
When Creusa tells them of the disgraceful
conduct of the Gad they say nothing in blame of
him - at once take practical steps against Xuthus
&Ion.
p.47
840 enter the Temple while Xuthus is feasting with his son, &
to kill them bath. Creusa must act a woman part - that is
she must poison or kill her husband & child. He, in
gratitude bound, will help. For the shame ofbeing a slave
is in the name; a slave in all other respects, if he is worthy,
may be as good as any man. Another characteristic phrase from
Euripides.
Creusa bursts out, addressing herself to the [sic] Zeus &
Athena - The time has corne. 0 soul, how shall I keep
silence any longer? She turns to Apollo, the singer of sweet
melodies, & denounces him, beneath the open sky. She
tells the story of her ravishment, turning away from the
Chorus, to the Temple. He came to her, with gold in his
hair, as she was picking f!owers to wear, & ravished her in
the cave. "A false false ravisher thou art 1!"
At the end of this outburst the old slave questions her, not
having heard all aright. She tells him the story in detail
1. Citation de la traduction de Verrall, p. 77.
Euripide, Ion 163
enfant. Elle gémit. Le Chœur blâme Xouthos: c~r il aurait
dû demander à sa femme ce qu'elle souha1ta1t. Pms le
Chœur reconstitue l'intrigue. Xouthos a eu une aventure
avec une esclave, on a envoyé l'enfant vivre à Delphes et
rnaintenant qu'il est assez âgé pour avoir sa part cl.es biens
de son père, on le réclame. Le vieil esclave précise alors
un plan fou:
Verso de la p. 46
Lorsque Créuse leur raconte la conduite honteuse
du dieu, elles ne prononcent aucun blâme envers
lui - prennent aussitôt des mesures concrètes
contre Xouthos et Ion.
p.47
840 pénétrer dans le temple pendant que Xouthos festoie avec
son fils et les tuer tous les deux. Créuse doit jouer un rôle
de femme - à savoir, elle doit empoisonner ou tuer son
époux et l'enfant. Lui, lié par la gratitude, apportera son
aide. Car la honte d'être esclave est dans le nom d'esclave ;
un esclave, à tous autres égards, s'il en est digne, peut valoir
autant que tout homme. Une autre formule caractéristique
d'Euripide.
Créuse éclate, s'adressant à Zeus et à Athéna - Le temps
est venu. Ô mon âme ; comment garderai-je le silence plus
longtemps ? Elle se tourne vers Apollon qui chante de
douces mélodies et lui adresse des reproches, sous
!'étendue du ciel. Elle raconte l'histoire de son viol, se
détournant du Chœur vers le Temple. Il vint à elle, avec
de l'or dans ses cheveux, alors qu'elle cueillait des fleurs
pour orner sa toilette et il la viola dans la grotte. « C'est
un perfide, perfide séducteur que tu es ! »
Au terme de cet éclat, le vieil esclave l'interroge, n'ayant
pas tout compris. Elle lui redit l'histoire en détail, insistant
 164 Ion of Euripides
again; dwelling on each point of it. How she brought forth
the child quite alone, & left it there, for its father to care
for it. But the Birds snatched it, & it has grown up in
Hades. The slave is amazed, & says how could you leave
your son? - and it is even stranger that the god should
have endured it - !lA:lT "If thou hadst seen the child
stretching out his hands to me 1 !" This is a lovely exclamation
- She will not answer his charge of cruelty,· one line shows how
unutterably she had felt it. Nothing abides. The slave exhorts
her to kill either Xuthus or his son. She has an old
tenderness for her husband, but will gladly kill Ion. She
then tells how she cornes
p.48
1000 possessed of two magic drops of blood - one that kills -
one that cures. She will give the slave the fatal drop. & he
shall mix it in Ion's wine, as he sits at the feast; she is careful
to insist that no one else shall taste it. Ali her anger seems to
be with Ion, not with her husband. Slave says that semples of
right are all very well if you are prosperous, but they don't
stand in the way of enemies.
The Chorus sing, to Einodia, mistress of Hells. One of
Creusa's servants clashes in, in a state of agitation. She has
been sentenced to death by stoning. He tells the story, at
length, in the way of messengers. Ion framed a wondrous
tent for the feast, with embroideries on the walls, statues
at the entrance (A purpose in this description of the pomp of
Delphi). They sit at meat, & the old slave arrives & makes
them laugh by his officious desires to serve them. At last
the time for drinking is corne, & he serves Ion. But just as
Ion is to taste, a slave speaks ill[-]omened words, & Ion,
skilled in rites, pours his bowl on the ground, & bids the
others too. The <loves corne in & ~ sip the remains. Ail
1. Citation d'après la traduction de Verrall, p. 81.
Euripide, Ion 165
sur chaque point. Comment elle mit l'enfant au monde
complètement seule et l'abandonna en ce lieu pour que
son père en prenne soin. Mais les Oiseaux s'en saisirent et
il grandit dans l'Hadès. L'esclave est étonné et lui dit
comment as-tu pu abandonner ton fils ? - et il est encore
plus étrange que le dieu ait pu le tolérer - ~ « Si tu
avais vu l'enfant tendre ses mains vers moi ! » C'est une
charmante exclamation. Elle ne répondra pas à son accusation de
cruauté. Un vers montre qu'elle l'a ressentie de manière indicible.
Rien n'en demeure. L'esclave l'exhorte à tuer soit Xouthos
soit son fils. Elle a une vieille tendresse pour son mari,
mais c'est volontiers qu'elle accepte de tuer Ion. Puis elle
raconte comment elle
p.48
1000 est entrée en possession de deux gouttes de sang magiques
- l'une qui tue - l'autre qui soigne. Elle donnera à l'esclave
la goutte mortelle. Et il la mêlera dans le vin a'Ion, lors
du festin; elle insiste soigneusement: personne d'autre ne
doit le goûter. Toute sa fureur semble s'adresser à Ion, non à
son mari. L'esclave dit que les scrupules en matière de
droiture sont tous fort beaux, si l'on est dans la prospérité,
mais ils n'ont pas de raison d'être entre ennemis.
Le Chœur chante, en l'honneur d'Einodia, maîtresse des
Enfers. Un des serviteurs de Créuse surgit, dans un état
d'agitation. Elle a été condamnée à mort par lapidation. Il
raconte l'histoire, longuement, à la façon des messagers.
Ion a fait dresser une tente merveilleuse pour le festin,
avec des broderies sur les murs, des statues à l'entrée (cette
description rappelle la pompe de Delphes). Ils se mettent à
banqueter, le vieil esclave arrive et les fait rire par son
empressement à les servir. Enfin le temps de boire est venu
et il sert Ion. Mais juste comme Ion est sur le point de
goûter, un esclave prononce des mots de mauvais augure
et Ion, expérimenté en matière de rites, verse sa coupe sur
le sol et invite les autres à faire de même. Les colombes
 166 Ion of Euripides
the doves are unharmed, save only the dove who sips ,
Ion's cup. She reels, & flutters, & finally "her rosy fee
stiffen. Ion attacks the old man & bids him reveal the n
of the poisoner.At length he confesses. She is condernn
unanimously to die by being thrown from a rock.
Creusa (where has she been?) cornes in, in flight, & cast~.T
herself upon the altar, by the advice of the Chorus. She if'
pursued by Ion who reviles her; they then enter into iz.
curious dispute, each upbraiding the other, hints at meaning. ,
Very dark & terse - but expounded by V[errall] perhaps with '
too great ingenuity. Difficult points of psychology:
Verso
Ion still cannot believe the story against the God
- go es back to the [deux mots barrés dont story]
point again - how there must be some rnistake.
Even when she assures him of the truth of it, he is
not convinced. Then Athena has to appear in order
to silence, as by violence, ail his doubts.
p.49
1250 Xuthus, she says has no right to give what is not his, for
as an alien, he cannot inherit. Then, if ambition such as
Xuthus', may not meet with reward, what cause have you
to fear mine? says Ion. She hints darkly that she clings to
the altar, -bee so that the wrong doers may suffer wrong.
The God would be defiled if her blood were spilt there.
Ion exclaims that there should be two altars, one for the
pure, & another for the impure.
The Pythian priestess cornes out, carrying the cradle in
which she found Ion & gives it him, as he is going away.
1. Citation d'après la traduction de Verrall, p. 99.
Euripide, Ion 167
trent et absorbent ce qui en reste. Toutes les colombes
:~nt indemnes, sauf celle qui a absorbé le c~ntenu de la
coupe d'Ion. Elle chancèle, volète, et pour fimr .« ses patte~
vermeilles » se raidissent. Ion s'en prend au v1e1llard et 1~1
. donne de révéler le nom de l'empoisonneur. Enfin, il
M • .
avoue. Elle est condamnée unanimement a mounr,
précipitée du haut d'un rocher. .
Créuse (où est-elle allée ?) entre en courant et se Jette sur
l'autel, sur les conseils du Chœur. Elle est poursmv1e par
Ion qui l'injurie. Puis ils entrent dans une curieuse querelle,
l'un réprouvant l'autre, indices pour le sens. Très sombre et
concis - mais éclairci par Verrall avec peut-hre trop d'ingéniosité.
Points de psychologie difficiles :
Verso de la p. 48
Ion ne peut toujours pas croire à l'histoire qui met
le dieu en cause - revient à son point de vue -
explique qu'il doit y avoir une erreur. Même
lorsqu'elle l'assure de la vérité de l'histoire, il n'est
pas convaincu. Puis Athéna doit apparaître afin de
faire taire, comme par force, tous ses doutes.
p.49
250 Xouthos, dit-elle, n'a aucun droit de donner ce qui n'est
pas à lui, car étranger, il ne peut hériter. Alors, si une
ambition telle celle de Xouthos ne peut être récompensée,
quelle raison as-tu de craindre la mienne ? dit Ion. Elle
laisse obscurément entendre qu'elle s'accroche à l'autel,
flM pour que ceux qui agissent mal puissent endurer le
mal. Le dieu serait outragé si son sang était répandu en cet
endroit. Ion s'exclame qu'il devrait y avoir deux autels,
l'un destiné aux purs, l'autre aux impurs.
La Pythie apparaît, portant le berceau dans lequel elle
a trouvé Ion et le lui remet, alors qu'il s'éloigne. Il
 168 Ion ef Euripides
He proposes to offer it up at the altar (to the delight of the
priests, says V[errall]). Sft Creusa looks at it, & bursts out
"Oh my Ion". She then describes the clothes &
ornaments inside, accurately. So that Ion is convinced at
last & they embrace. Then she tells how Apollo is his
father. They sing short stanzas of joy.
Then Ion has a doubt, & takes his mother aside. Perhaps
this story of the god is only invented to save his name &
her reputation. She assures him that it is not so, & gives
him an explanation by Apollo's late conduct in giving him
to Xuthus as a son. Ion says the answer does not satisfy
him.At this moment Athena appears. She says she has been
sent by Apollo to explain matters. He will not corne
himself, for fear of reproaches. She ~ confirms the
truth of Creusa's story. He had planned this scheme for
the benefit ofion. He had meant to reveal the truth after
a time. She then goes on to recount the future of Ion, &
of Creusa, & her husband.
Verso
When Ion says he believes her, as he believed the story
before, it may merely be a polite way of saying that he
still .finds it incredible. Otherwise he must contradict
himself.
p.50
1590 They are all to found great families, & to colonise new
lands, which will carry their names to remote ages. "Weil
hath Apollo donc in all1". Now keep this secret, so that
Xuthus may be at case, & you are happy in your
possessions. Ion answers that he believes her. Indeed he
believed the story when he heard it before. Creusa blesses
1. Citation de la traduction de Verrall, p. 129.
Euripide, Ion 169
propose de le consacrer sur l'autel (pour la plus grande joie
des prêtres, dit Verrall). '9 Créuse le regarde et s'écrie : « Oh !
mon cher Ion ». Puis elle décrit les vêtements et les
ornements qui s'y trouvent, avec précision. Ainsi, Ion est
convaincu, enfin, et ils s'étreignent. Puis elle dit
qu'Apollon est son père. Ils chantent de courtes stances
de joie.
Puis Ion a un doute et prend sa mère à part. Peut-être
cette histoire du dieu n'est-elle inventée que pour sauver
son nom à lui et sa réputation à elle. Elle lui répond qu'il
n'en est pas ainsi et elle justifie son explication par le
comportement récent d'Apollon qui l'a confié à Xouthos
comme fils. Ion dit que la réponse ne le satisfait pas.À cet
instant, Athéna apparaît. Elle dit qu'elle a été envoyée par
Apollon pour expliquer les faits. Il ne viendra pas lui-
même par crainte de reproches. Elle ~ confirme la
vérité de l'histoire de Créuse. Il avait conçu ce plan en
faveur d'Ion. Il avait eu l'intention de révéler la vérité après
un certain temps. Puis elle continue à révéler l'avenir
d'lon, de Créuse et de son époux.
Verso de la p. 49
Quand Ion dit qu'il la croit, comme il a cru l'histoire
auparavant, c'est peut-être simplement une façon polie
de dire qu'il continue à la trouver incroyable. Sinon, il
doit se contredire lui-même.
p.50
1590 Tous vont fonder de grandes familles et coloniser de
n~uvelles terres qui porteront leurs noms jusqu'en des âges
lomtams. «Apollon a bien agi en toutes choses». Maintenant,
gardez cela secret, afin que Xouthos puisse rester serein et
que vous jouissiez de vos biens. Ion répond qu'il la croit. Il
a cru en effet d'abord à l'histoire. Créuse loue Apollon de
170 Ion of Euripides
Apollo, for giving her back her child.Athena says the Gods
are always strong in the end. She leads them to Athens, to
seat Creusa in her ancient honour. The Chorus moralise
"Let him whose house is disturbed worship Heaven·
virtue is rewarded; Evil damned; Justice cometh in th~
end 1 ."
5'h June 08.
The Ion
p. 51
The chief puzzle in the play, of course, is - what view did
Euripides take of the conduct ofApollo? It is fairly obvious that
he saw ail the objections that any rationalist would now urge; he
puts them into Ion 5 mou th, when he says that the gods are judged
by one law & men by another. (~ 435) During thefirst part
of the play it seems clear that Euripides has taken a gross old
myth, & is treating it as though it were a fine story to be
examined critically. Towards the end though the action continues
to be repulsive, the comment is silent. Ail Ion says is that he can
not believe it; &, if we like, we may imagine that he [sic J is still
in the end, incredible that a god should act so, & be so leniently
judged. Ali judgment of Apollo is implied; he says he will not
corne himself,for fear of reproach; but no comment is made on
this;Athena sums up the situation. "Apollo has done well in ail
things". Was it impossible for Euripides to carry the play to its
natural end? Which would have been sure/y to confront Apollo
with Creusa, & to make some one, say Xuthus, judge of their
share of guilt? Athena is merely a compromise. No one will be
satiified with the arrangement. Yet to have written the obvious
end would have been a bolder act than any - his boldness is very
marked in various passages already: the outburst of Ion, against
the gods; the slaves remark that a slave is as good as aJree man,
1. Citation adaptée de Verrall, p. 131.
Euripide, Ion 171
lui avoir redonné son fils. Athéna dit que les dieux sont
toujours puissants à la fin. Elle les conduit à Athènes pour
rétablir Créuse dans son ancienne dignité. Le Chœur tire
la morale : « Que celui dont la maison est troublée honore
le Ciel ; la vertu est récompensée ; le Mal est condamné ;
la Justice se manifeste à la fin. »
5 juin 1908.
L'I on
p. 51
La principale énigme dans la pièce, bien sar, est - quelle opinion
Euripide avait-il de la conduite d'Apollon ? fl est assez évident
qu'il a vu toutes les objections que tout rationaliste soulèverait
actuellement; il les place dans la bouche d'Ion, lorsqu'il dit que
les dieux sont jugés par une loi et les hommes par une autre.
(~ 435) Pendant la première partie de la pièce il semble clair
qu'Euripide a pris un vieux mythe choquant et qu'il le traite
comme s'il était une belle histoire à examiner de manière critique.
Vers la fin, bien que l'intrigue continue à être odieuse, le
commentaire est silencieux. Tout ce que dit Ion est qu'il ne peut
le croire; et, si nous le souhaitons, nous pouvons imaginer qu'il
est à la fin néanmoins incroyable qu'un dieu agisse ainsi et soit
jugé avec tant d'indulgence. Tout jugement sur Apollon est sous-
entendu : il dit qu'il ne viendra pas lui-même, par crainte de
reproches; mais aucun commentaire n'est fait là-dessus ;Athéna
résume la situation. «Apollon a bien agi en toutes choses ».
Était-il impossible pour Euripide de mener la pièce à sa fin
naturelle ? Ce qui aurait sarement permis de mettre Apollon et
Créuseface àface, et defaire de quelqu'un, disons Xouthos,juge
de leur culpabilité partagée ?Athéna permet seulement d'arriver
à un compromis. Personne ne sera satiifait de l'issue. Cependant,
avoir écrit une fin claire aurait été un acte plus audacieux
qu'aucun autre - son audace est déjà très marquée dans divers
passages : l'éclat d'Ion contre les dieux; la remarque de l'esclave
selon laquelle un esclave vaut autant qu'un homme libre, excepté
172 Symposium
except in name, & the sentence about women "how women, bath
good & bad, are lumped together by men & condemned". But
all this is very crude commentary, upon an
p.52
unsatisfactory play. There are some beautiful lines & choruses; but
on the whole you have the impression that the play was written
to give shape to these strange situations - not to indulge in poetry.
He was interested in the question; he puts it in the most pertinent
way; he refrainsfrom a defi,nite answer. But he shows the working
of his mind, plainly, on a tremendous problem. In order perhaps
to leave the outlines ef the question clear, he has stated them very
keenly, almost prosaically, as a lawyer putting a case.
Verso
Èpcxm6ç = beloved.
Èpcxm~ç = a lover.
Èpaw = to love.
nÈpwµÉVI'] = the beloved woman
ÈpcxT6ç = beloved.
npo~aÀÀw = put forward.
p.53
Plato. Symposium.
Socrates & Aristodemus walk to Agathon. Their talk is
very colloquial, as the Euripides way; & with the half
contradictions & repetitions which the ordinary persan
uses in talk; & they are not happily rendered by jowett; who
must smooth them into capacious lines, in the 18',, century model.
Platon, Le Banquet 173
par le nom et la phrase à propos des femmes disant « que les
femmes, tant les bonnes que les mauvaises, sont considérées en
bloc et condamnées par les hommes ». Mais tout cela est un
commentaire très sommaire, sur une
p. 52
pièce peu satisfaisante. n y a de beaux vers et de beaux chœurs j
mais au total on a l'impression que la pièce a été écrite pour
donner forme à ces étranges situations - non pour satisfaire à la
poésie. n était intéressé par la question j il la pose de la manière
la plus pertinente; ils' abstient d'une réponse diji.nitive. Mais il
montre le travail de son esprit, sans détour, sur un problème
terrible. A.fin peut-hre de laisser les contours de la question clairs,
il les a formulés vivement, presque prosaïquement, comme un
homme de loi présentant une affaire.
Verso de la p. 52
Èpcxm6ç = aimé.
Èpcxm~ç = un amant
Èpaw = aimer.
n ÈpwµÉVI'] = la femme aimée
ÈpCXTOÇ = aimé.
npo~aÀÀW = [je] propose.
p.53
Platon. Le Banquet.
Socrate et Aristodème se rendent à pied chez Agathon.
Leur conversation est très familière, à la façon d'Euripide ;
avec les demi-contradictions et les répétitions qu'une
personne ordinaire utilise dans la conversation, et elles ne
sont pas rendues de manière heureuse par Jowett qui doit les
adoucir en des vers amples, sur le modèle du 18' siècle. Platon
r
i 174 Symposium
Plata is eften abrupt. This is a charming opening; in spi te of the' , ·
awkwardness of the form - a repetition, after some years, of what ·
some o~e else had told t~e speaker. But it is very natural & easy; .~
the politest and best soaety in the world ... Agathon makes his 'l
servants "treat us as though we were your guests". They have no
orders. A pleasant relationship.
Eryit'irnaetis Phaedrus began, & sang the praises of love
loudly, but indiscriminately. He traced its mythology, & ,ÉqMHH!i'!tle Phèdre commença et chanta les louanges de
discovered it to be the first of gods, but for some reason
the least praised. Then he went on to name some of its
triumphs. How it makes men suffer more than any other
passion; for a man would rather die a thousand times than
appear disgraced in the eyes of a loved one. Women also
are inspired by the god: Alcestis showed greater love for
her husband than his own parents did; Achilles was even
more hernie, for he killed Hector, knowing that he must
die himself if he did so. And this was after the death of the
man for whom he did it. Love, then, would make a perfect
state, for men under its influence would be heroes.
Then Pausanias spoke.The substance ofhis argument was
that Ph[aedrus] should discriminate. There are different
kinds oflove. In the manner of Plato he sketches a myth;
that there are two kinds of Eros & two Aphrodites; one is
pure Heavenly, the other, "mxv8tiµoç" public-common.
p.54
The Heavenly one was born without any female strain in
its parentage; & is thus the love of men for men, which is
a higher & more intellectual love than the love of men for
women or for boys. But the loves of young boys have
Platon, Le Banquet 175
est souvent abrupt. C'est un début charmant ; en dépit de la
maladresse de la forme - une répétition, après des années, de ce
que quelqu'un d'autre avait dit à celui qui parle. Mais c'est très
naturel et aisé ; la société la plus courtoise et la meilleure du
monde ... Agathon demande à ses serviteurs de « nous traiter
comme si nous étions vos invités ». fls ne reçoivent pas d'ordres.
Une relation plaisante.
l'amour, d'une voix forte, mais sans discernement. Il
retraça sa mythologie et révéla qu'il était le premier des
dieux, mais pour une raison quelconque le moins honoré.
Puis il en vint à nommer quelques-uns de ses triomphes.
Comment il fait souffrir les hommes plus que n'importe
quelle autre passion ; car un homme préférerait mourir
mille fois plutôt que d'apparaître disgracié aux yeux d'un
être qu'il aime. Les femmes aussi sont inspirées par le dieu :
Alceste montra un plus grand amour pour son époux que
ses propres parents ne le firent pour lui ;Achille fut encore
plus héroïque, car il tua Hector, tout en sachant q~'il
devrait mourir lui-même s'il le faisait. Et cela eut lieu
après la mort de l'homme pour lequel il le fit. L'amour,
alors, constituerait un état parfait, car les hommes sous son
influence seraient des héros.
Puis Pausanias parla. La substance de son argument était que
Phèdre devrait faire une distinction. Il y a différentes sortes
d'amour.À la manière de Platon, il ébauche un mythe; il y
a deux sortes d'Éros et deux Aphrodite ; l'une est purement
céleste, l'autre, "rnxv5riµoç", commune à tous.
p.54
L'Aphrodite céleste est née sans aucune souche féminine
dans sa filiation; elle représente ainsi l'amour des hommes
pour les hommes, qui est un amour plus élevé et plus
intellectuel que l'amour des hommes pour les femmes ou
les garçons. Mais l'amour des jeunes garçons a fait tomber
 176 Symposium
brought the practise into discredit; & it is though
disgraceful in many states. In Barbarous places especiall t
it is censured; for the strength of such friendships !s
dangerous to tyrannies. In some countries, like Boeotia
the people let it flourish because they are tao stupid & gens la laissent prospérer parce qu'ils sont trop stupides et
lazy to express any arguments against it. In Athens the
custom is difficult to understand: the utmost honour _
license is given to a lover; but at the same time, parents
begin to discredit the practise, & male loves are reviled.
The only thing to decide whether such a love is good or
bad lies in the nature of the love itself.
In Athens, we discriminate, rightly, between swift
attachments, which are physical, or adulterate in some way,
& the lasting love, which is purely good. When love &
lover meet together with the same abject of profiting and
conferring profit of the highest kind, the union is
impeccable.A Deception, ifit cornes in one who is nobly
trustful, is ~ no blame.
Eryximachus who was a doctor, agrees with Pausanias that
there are two loves; he finds them in the bodies of all
creatures. It is the doctor's art to unite them harmoniously,
or to suppress one, & incite the other. It is the same in
music; you take notes which disagreed once, & reconcile
them. But in theory this is simple, for love has no double
nature. It cares no more for a high note than for a low
one. But in practise, in education, which is the correct
performance of airs already composed is difficult. Ali
sciences & arts, even the art of divination have to do with
tfte-discrimination between good & bad loves, their
marriage, a proper composition.
Platon, Le Banquet 177
la pratique en discrédit ; on la juge honteuse dans de
nombreux états. Chez les Barbares particulièrement, elle
est proscrite ; car la force de telles amitiés est dangereuse
pour les tyrannies. Dans des régions comme la Béotie, les
trop paresseux pour exprimer quelque argument que ce
soit à son encontre. À Athènes, l'usage est difficile à
comprendre : l'honneur suprême - tout est permis à un
amant ; mais en même temps, les parents commencent à
discréditer la pratique et on insulte les amours masculines.
La seule chose à déterminer - savoir si un tel amour est
bon ou mauvais - réside dans la nature de l'amour lui-
même.
À Athènes, nous distinguons, à juste titre, entre les
attachements rapides, qui sont physiques, ou frelatés en
quelque sorte et l'amour durable, qui est purement beau.
Lorsque l'amour et l'amant se réunissent avec le même
but, obtenir et accorder des avantages de la plus haute
espèce, l'union est irréprochable. Une duperie, si elle
s'exerce contre quelqu'un qui est confiant avec noblesse,
ne mérite pas le blâme.
Ériximaque, qui était médecin, est d'accord avec
Pausanias : il y a deux sortes d'amours ; il les trouve dans
le corps de toutes les créatures. C'est tout l'art du médecin
de les unir harmonieusement, ou d'éliminer l'un et inciter
l'autre. C'est la même chose en musique ; on prend des
notes qui ne s'accordaient pas autrefois et on les réconcilie.
Mais en théorie, c'est simple, car l'amour n'a pas de double
nature. Il ne se soucie pas plus d'une note aiguë que d'une
note grave. Mais en pratique, en éducation, ce qui
constitue l'exécution correcte d'airs déjà composés est
difficile. Toutes les sciences et tous les arts, y compris l'art
de la divination, doivent distinguer entre les bons et les
mauvais amours, observer leur union, pour parvenir à une
composition adéquate.
178 Symposium
p.55
Aristophanes speaks & invents a myth of the human race.
There were 3 sexes, man born of the sun, woman of the
earth, a man woman of the moon, a mixture of bath.
(They tried to destroy the gods, &) They were round, &
whirled about double devise of men.They tried to destroy
the gods & were in consequence eut in half; & went
seeking their halves. The man who was purely man seeks
men, & so does the pure woman; the man woman seeks
women, & the woman man seeks men. They would have
died, had not Zeus made it possible for the man to beget
children on the woman. They are always desiring to find
the whole, & will desire something more than they can
ever get, unless indeed they were melted into one. As
things are, it is happiest to be able to indulge good love;
therefore let none flout him, or he will quarter them.
Agathon speaks; so far the gifts oflove have been praised,
but not the god himself. I will praise love. First he is
delicate, for he lives only in the tenderest places, the souls
of men, & will never stay when he finds them hard.Then
he is most beautiful, for he lives on flowers in flowery
places, & directly they wither & fade he is go ne. Then he
is courageous, for he mastered Ares himself, & honoured
him with love. Then he is temperate, for he is master of
ail the pleasures, their superior & conqueror. Then he is
wise, for he is himself the fount of ail poetry, the maker of
poetry. Every lover, be he never so tuneless, becomes a
poet. All craftsmen & artist<s>, so long as they know not
love, are impotent. He is the youngest & fairest of the gods,
Platon, Le Banquet 179
p.55
bJ:istophane parle d'un mythe de l'espèce humaine de son
invention. Il y a eu 3 sexes, l'homme né du soleil, la femme
de la terre, un homme-femme de la lune, un mélange des
deux. (Ils essayèrent de détruire les dieux et) Ils étaient
ronds et pourvus de tous les attributs humains en double,
ils se déplaçaient en tournoyant. Ils essayèrent de détruire
les dieux et furent en conséquence coupés en deux ; et ils
allaient à la recherche de leurs moitiés. L'homme qui était
purement homme recherche des hommes et la femme
purement femme fait de même ; l'homme-femme
recherche des femmes, et la femme-homme recherche des
hommes. Ils auraient disparu, si Zeus n'avait pas rendu
possible pour l'homme de procréer en s'accouplant avec
la femme. Ils désirent sans cesse trouver le tout et
désireront quelque chose de plus qu'ils ne pourront jamais
obtenir, à moins certes qu'ils ne soient fondus en un. En
l'occurrence, le plus grand bonheur est d'être capable de
s'abandonner au bon amour ; c'est pourquoi, que
personne ne le bafoue ou bien il les coupera en deux.
Agathon parle ;jusqu'ici on a loué les talents de l'amour,
mais non le dieu lui-même.Je ferai l'éloge de l'amour.
D'abord il est délicat, car il vit dans les lieux les plus
tendres, les âmes des hommes, et il ne souhaite guère y
demeurer lorsqu'il les trouve rudes. Puis il est très beau,
car il vit sur des fleurs en des lieux fleuris et aussitôt
qu'elles se flétrissent et se fanent, il part. Puis, il est
courageux, car il s'est rendu maître d'Arès lui-même et l'a
honoré de l'amour. Puis il est doué de tempérance, car il
est le maître de tous les plaisirs, il est leur souverain et leur
vainqueur. Puis il est sage, car il est lui-même la source de
toute poésie, la poésie est son ouvrage. Tout amant, si
éloigné soit-il de la mélodie, devient un poète. Tous les
artisans et tous les artistes, tant qu'ils ne connaissent pas
l'amour, sont incompétents. C'est le plus jeune et le plus
180 Symposium
who loves the young, & will never consort with the aged.
He 1s the source of ail knowledge of farr things in the gods
for before he was born they were constrained by necessiry'
But the hideous creatures of whom Aristophanes ha·
spoken were born before his day. He can have n~
intercourse with what is ugly, so that his love always
produces beautiful things.
Verso
Socrates: Love is the desire for something we have
not got. It is, as A. has said, the desire for beauty &
good. Therefore it cannot be good & beautiful in
itself.This was shown me by Diotima. I will repeat
what she told me. I was mistaken to say that if
Love was without good therefore it was worthless.
For there is always a mean. A learned man is
between a wise man & an ignorant man. She told
me a myth to account for the nature oflove. Parus
lay drunk asleep, as one of the gods, & Penia came
& lay with him. Their child was Eros who has the
inventiveness & fecundity of his father, the
neediness & nakedness ofhis mother.
Interpreted between gods & men.
Ali artists are touched by him.
What good does love do to men?
Love the love of what?
Not love of particular people.
Platon, Le Banquet 181
beau des dieux, qui aime la jeunesse et ne s'unira jamais à
la vieillesse. Il est la source de toute connaissance du beau
parmi les dieux, car avant sa naissance, ils étaient placés
sous la loi de la nécessité. Mais les hideuses créatures dont
Aristophane a parlé étaient nées avant ce jour. Il ne peut
avoir de relation avec ce qui est laid, de sorte que son
amour produit toujours de belles choses.
Verso de la p. 55
Socrate : L'Amour est le désir pour quelque chose
que nous ne possédons pas. C'est, comme Agathon
l'a dit, le désir pour la beauté et le bien. C'est
pourquoi il ne peut être le bien et la beauté en soi.
Diotime me l'a montré.Je répéterai ce qu'elle m'a
dit.]' ai eu tort de dire que si l'Amour existait sans
le bien, il était par conséquent sans valeur. Car il y
a toujours un moyen terme. Un homme cultivé se
situe entre un homme sage et un homme ignorant.
Elle m'a rapporté un mythe pour expliquer la
nature de l'amour. Porus gisait, ivre, endormi,
parmi les dieux et Pénia alla se coucher auprès de
lui 1 • Leur enfant fut Éros qui a l'inventivité et la
fécondité de son père, l'indigence et la nudité de
sa mère.
Intermédiaire entre les dieux et les hommes 2 •
Tous les artistes sont touchés par lui.
Quel bien l'amour fait-il aux hommes ?
Aimer l'amour de quoi?
Pas l'amour de personnes précises.
1. Paros et Pénia personnifient respectivement l'abondance et
la pauvreté.Virginia prend ici quelques notes qui complètent
la page 56 de son Carnet et le passage sur Diotime. Elles sont
à rapprocher du Banquet, 200a-210d.
2. Il faut comprendre ici qu'il n'est ni immortel, ni mortel.
182 Symposium
Love cannot be for ugliness.
Must be for beauty.
Love is for the possession by oneself of beauty
eternally.
Love is the name given to a whole class of things.
Love is for beauty both of body & soul. It is the
passion to create, which can only be clone when
you find beauty.
A truly instructed lover will go on, from better to
better, loving bodies. Th en souls till he gets finally
a glimpse of absolute beauty; which is more
beautiful than any other vessels in what it takes
lodging.
p.56
He ~ lays peace te on men, cairn on the sea, stillness
on the winds, sleep & rest on the unhappy.
Socrates speaks, & first drives Agathon to admit that, as
love is the desire for something which we have not, it
cannot be itself either beauty or good; but is the desire for
the eternal possession of them. He quotes Diotima, the
prophetess, who had accounted for the diverse nature of
Love, by his origin - the child of Penia & Paros (Plenty).
What is the cause of this love? asks Socrates. What does a
man get by his love of beauty? Let us at present talk of
"good" for it is easier: he gets happiness. The desire of
good is common to ail men; but not the desire of love.
One part oflove is separated from the rest & receives the
name of the whole. Only some creators are called poets;
Platon, Le Banquet 183
Il ne peut y avoir d'amour pour la laideur.
Doit se réserver pour la beauté.
L'amour est réservé à la possession par soi-même
de la beauté éternellement.
L'amour est le nom donné à toute une série de
choses.
L'amour s'applique à la fois à la beauté du corps
et de l'âme. C'est la passion de créer qui ne peut
se réaliser que lorsque!' on trouve la beauté.
Un amant parfaitement instruit continuera, de
mieux en mieux, à passer de corps en corps
aimants. Puis à des âmes jusqu'à ce qu'il obtienne
finalement un aperçu de la beauté absolue qui est
plus belle que n'importe quel autre réceptacle où
elle trouve refuge.
p.56
Il ~ étend la paix sur les hommes, le calme sur la
mer, l'accalmie parmi les vents, le sommeil et le repos sur
les malheureux.
Socrate parle et amène d'abord Agathon à admettre que,
puisque l'amour est le désir pour quelque chose que nous
ne possédons pas, il ne peut être lui-même ni la beauté, ni
le bien ; mais il est le désir de leur possession éternelle. Il
cite Diotime, la prophétesse, qui avait expliqué les diverses
natures d'Amour, en remontant à son origine - l'enfant
de Pénia et Porus (Abondance).
Quelle est la cause de cet amour ? demande Socrate.
Qu'est-ce qu'un homme obtient par son amour de la
beauté ? Parlons désormais de ce qui est « bon », car cela
est plus facile : il procure le bonheur. Le désir de ce qui
est bon est commun à tous les hommes ; mais non le désir
ik_l'amour. Une partie de l'amour est séparée du reste et
reçoit le nom du tout. Seuls quelques créateurs sont
appelés poètes ; cependant tous les créateurs sont des
184 Symposium
yet all creators are poets. Only one class of people Me is
called lovers. What are they seeking? Sorne say they seek
their missing half; but this is not true, because a man will
eut off his hand if he is better without it. There is nothing
that men love but the good. Love is the everlasting
possession of the good.
What is the manner of the pursuit? Love is only birth in
beauty, whether of body or soul.Ali mature people desire
to bring forth in beauty.When they see beauty, ~ which
is harmonious with the divine & immortal, they, desiring
immortality, produce, ~ when they see ugliness they
are contained. Birth is the only form of immortality we
have, & we have said that men desire eternal beauty.
What is the reason of this love in animals, who do not
reason, as in men? The mortal nature is seeking
immortality. The body is always changing; a new birth is
no more than the change & continuation of the old body.
This is true also of the soul. Knowledge is recollection, re-
birth.
p.57
The love of children, then, is the love of immortality. Ali
these noble actions ofAlcestis,Achilles & so on, have been
clone with a view to fame, to immortality. Then whose
bodies alike are creative, take women, & beget children.
Sorne men have creative souls.They create wisdom & virtue.
Such a man wanders about till he can find a beautiful soul
with whom to produce the beauty with which his soul is
laden. Who would not leave Homer's children & Hesiod's
children rather than mortal children? The way
Platon, Le Banquet 185
poètes. Seule une classe de personnes s-tfflt est appelée
amants. Que cherchent-ils ? Certains disent qu'ils
cherchent leur moitié manquante ; mais ce n'est pas vrai,
parce qu'un homme se tranchera la main s'il est mieux
sans elle. Les hommes n'aiment rien que ce qui est bon.
L'amour est la possession éternelle de ce qui est bon.
Comment le recherche-t-on ? L'amour n'est que la
naissance à la beauté, que ce soit celle du corps ou de
l'âme. Tous les gens matures désirent procréer dans la
beauté. Lorsqu'ils voient de la beauté, tb qui est en
harmonie avec le divin et l'immortel, ils produisent, dans
le désir d'immortalité,~ lorsqu'ils voient la laideur,
ils se réfrènent. La naissance est la seule forme
d'immortalité que nous ayons et nous avons dit que les
hommes désirent l'éternelle beauté.
Quelle est la raison de cet amour chez les animaux, qui
ne sont pas doués de raison, comme c'est le cas chez les
hommes ? La nature mortelle recherche l'immortalité. Le
corps se transforme sans cesse ; une nouvelle naissance
n'est guère plus que le changement et la continuation
d'un corps qui a vieilli. C'est également vrai de l'âme. La
connaissance est souvenir, te-naissance.
p. 57
L'amour des enfants, alors, est l'amour de l'immortalité.
Toutes ces nobles actions d'Alceste, Achille, et ainsi de
suite, ont été accomplies avec un objectif de renommée,
d'immortalité. Pareillement, ceux qui sont féconds par le
corps prennent femme et engendrent des enfants. Certains
hommes sont féconds par l'âme. Ils engendrent sagesse et
vertu. Un tel homme erre jusqu'à ce qu'il puisse trouver
une belle âme avec laquelle produire la beauté qui emplit
son âme. Qui abandonnerait les enfants d'Homère et ceux
d'Hésiode pour des enfants mortels ? Le chemin qui mène
186 Symposium
of the highest love of ail is something like this. He should
learn to love the beauty in one form first; then he will
perceive that ail beauty is related, & he will love the beauty
in ail forms equally. Then he will love the beauty of the
mind above ail others. Personal beauty is only a trifle.Then
he will see the beauty of the sciences - he will
contemplate the whole sea ofbeauty, until at last the vision
is revealed to him of a single science, which is the science
ofbeauty everywhere.At last he will gaze at pure beauty
which underlies all the forms of beauty, & is stable, &
immortal. He must use the beauties of earth as steps upon
which to mount to the supreme beauty. This is the life
which it most befits a man to live, in the contemplation
of absolute beauty. He will bring forth not images of
beauty, but the realities. He will be immortal, if any man
may. So Diotima spoke. I believed her, & always teach that
to attain this end there is no better helper than Love.
Therefore I praise love always.
Socrates stops, & a noise is heard outside.Alcibiades cornes
in, drunk. He sits clown, & suddenly sees Socrates.
p.58
You pursue me everywhere, he says, & are jealous of I
praise anyone else. You always draw all the beauty in the
company to you. Socrates explains that since Alcibiades
has been in love with him, his conduct is impossible, so
exacting is he. "Protect me Eryximachus." This is a strange
little scene, rather wild, & half in earnest. Alcibiades was in love,
passionate, you are to feel. Then when told to praise love, he
Platon, Le Banquet 187
à l'amour le plus élevé de tous est quelque chose comme ceci :
il doit apprendre à aimer la beauté sous une seule forme
d'abord; sur quoi il percevra que toute forme de beauté est
apparentée à une autre et il aimera la beauté dans toutes ses
formes de manière égale. Puis il aimera la beauté de l'esprit
au-dessus de toutes les autres. La beauté d'une personne n'est
que bagatelles. Alors il verra la beauté des sciences - il
contemplera l'étendue de la mer de la beauté, jusqu'à ce
qu'enfin la vision lui soit révélée d'une seule science, qui est
la science du beau en toutes choses. Enfin, il contemplera la
pure beauté qui est à la base de toutes les formes de beauté et
qui est stable et immortelle. Il doit utiliser les beautés terrestres
comme des degrés permettant d'accéder à la beauté suprême.
C'est là la vie qui pour un homme vaut le plus d'être vécue,
dans la contemplation de la beauté absolue. Il enfantera non
pas des images de la beauté, mais les réalités. Il sera immortel,
dans la mesure où un homme peut l'être. Diotime parla ainsi.
Je la crus et j'enseigne sans cesse que pour atteindre ce but il
n'y a pas de meilleur auxiliaire que l'Amour. C'est pourquoi
je rends sans cesse hommage à l'amour.
Socrate s'arrête et on entend un bruit à l'extérieur.
Alcibiade entre, ivre. Il s'assoit et voit soudain Socrate.
p. 58
Tu me poursuis partout, dit-il, et tu es jaloux de me voir
louer quelqu'un d'autre. Tu attires sans cesse tout ce qu'il
y a de beau en ta compagnie. Socrate explique que depuis
qu'Alcibiade est tombé amoureux de lui, sa conduite est
i;npossible, tant il est exigeant. « Protège-moi,
Eryximaque 1 ». C'est une étrange petite scène, plut8t violente
et à demi sérieuse. Alcibiade était amoureux, passionné, on doit
le croire. Puis lorsqu'on lui demande de faire l'éloge de
1. C'est l'aide d'Agathon que demande Socrate dans le texte de
Platon (213c-213d).
 188 Symposium
says he can only praise one person, Socrates. He takes
great gulp of wine & begins. Socrates is like one of tho a
masks of Silenus, which are outwardly grotesque; op:~
th.em, & you find the figure of a god inside. So Socrates
will always speak m rude language, often repeating himself.
But, hke Marsyas the flute player, he is a great charmer
Your words bring tears to my eyes. ~ You are like ~
Syren; if when I hear you I repent of my part, & resolve
to stay with you; I tear myself away, lured by the applause
of the people. I found such beauty in him, that I resolved
to trade in my youth & look & make him reveal himself
to me, as to his beloved. One night I offered him ail that
I ~a~, if he would be my lover. My beauty was great, but
his virtue was greater. He laughed his odd laugh, & said,
T.hen I shall be the lover! I said no more, but crept under
his cloak. There I lay, with this wonderful master in my
arms, ail mght long, & would you believe me? - I left him
in the morning, as though I had slept with a father or an
elder brother. Then I will tell how he went with me on
the expedition to Potidaea. He could go out barefoot,
when we all shivered. He stood once ail day & ail night in
thought - we watched him - when the dawn broke, he
went away. I met him walking with another unarmed, on
foot, in the flight after
p. 59
the battle of Delium, but he was calm, & unavailable as
ever; as he is in the streets of Athens.
Such is Socrates - unlike any other. But this is the way he
has treated me, & I bid you,Agathon, "be on your guard".
Ail this story of yours, said Socrates, is only to hide the
end of it: you want to separate me from Agathon. Come
here Agathon, & let me praise you.
Platon, Le Banquet 189
l'amour, il dit qu'il ne peut faire l'éloge que d'une seule
personne, Socrate. Il prend une grande gorgée de vin et
commence. Socrate est comme l'un de ces masques de Silène,
qui sont grotesques en apparence ; qu'on les ouvre, et l'on
trouve la figure d'un dieu à l'intérieur. Ainsi Socrate parlera
sans cesse dans un langage grossier, se répétant souvent lui-
même. Mais, comme Marsyas le joueur de flûte, c'est un grand
charmeur. Tes mots font monter des larmes à mes yeux. H-esl:
Tu es comme une sirène ;st lorsque je t'entends,j'ai honte de
moi et je me résous à rester avec toi. Je m'éloigne en toute
hâte, cédant aux ovations du peuple.J'ai trouvé tant de beauté
en lui que j'ai résolu de monnayer ma jeunesse et mon
apparence et de le pousser à se dévoiler à moi, comme à son
bien-aimé. Une nuit, je lui ai offert tout ce que j'avais, s'il
voulait être mon amant. Ma beauté était grande, mais sa vertu
était plus grande. Il rit de son rire étrange et dit,Alors,je serai
l'amant !Je n'en dis pas plus, mais me glissai sous son manteau.
C'est là que je m'étends, avec ce maître admirable entre les
bras, toute la nuit, et me croiriez-vous ?-je l'ai quitté au matin
comme si j'avais dormi avec un père ou un frère aîné. Puis je
vais raconter comment il vint avec moi à l'expédition de
Potidée. Il pouvait sortir pieds nus, alors que nous frissonnions
tous. Une fois, il est resté debout toute une journée et toute
une nuit, absorbé dans ses pensées - nous l'avons observé - à
l'aube, il est parti.Je l'ai rencontré marchant avec un autre
homme, sans armes, à pied, lors de la retraite après
p. 59
la bataille de Delium, mais il était calme et indisponible
comme toujours, comme il l'est dans les rues d'Athènes.
Tel est Socrate - différent de tout autre. Mais c'est la manière
dont il m'a traité, et je t'en prie, Agathon, « sois sur tes
gardes ».
Toute ton histoire, dit Socrate, a pour seul but d'en cacher
la fin: tu veux me séparer d'Agathon.Approche,Agathon,
et que je fasse ton éloge.
190 Symposium
"Ah, it's the usual thing- said Alcibiades - Socrates al · .
gets the young and beautiful to his sicle["]. Ways
Revellers broke in here; forced them ail to dri k
. d
A nsto 1 n,&
emus. s ept. When he woke at cock crow h e saw
Socrates,Anstophanes & Agathon still awake· Socrat
. ' eswas
tellmg them that the genius of comedy was the sa~u
. comédie était le même que celui de la tragédie. Ils étaient
the gemus of tragedy.They were so sleepy, that they could
not argue with him. Socrates put them all to sleep, & we
followed by Aristodemus.At the Lyceum he took a ba:'
& passed the day as usual1. At night he went back to hi;
own home.
The speech of Socrates is one of the most beautiful I have read.
It is an entire expression of something often hinted at in th
dialogues. He raises you, more swiftly & simply than usual ~
with his logic choking - to the utmost heights -. Good that it
should ever have been written!
Alcibiades makes the most curious speech of ail, in character, as
though on the stage. He is half brutal, half in tears, a moving
sight. He confesses, like some unruly sea, the potency of the man,
which is Socrates. He feels ail Socrates'grandeur. - Yet wishes the
man dead sometimes - such is the confiict he raises in the bodies
of his followers.
The end is almost tragic,for Socrates is above it ail, & not to be
moved, & acts with a kind of delicate chill irony, which must have
murdered. There is an exquisite phrase or two at the end, to finish
off the picture, of the Athenian supper party, sleeping ofter this
divine discourse, while the voice of S. goes on. But it is infinitely
deep. & Should be read again & again. This is only an outline.
lS'h July 08.
1. Cette phrase est une recopie exacte de la traduction de
B. Jowett, p. 594.
Platon, Le Banquet 191
« Ah, c'est ce qui arrive habituellement - dit Alcibiade -
Socrate place toujours la jeunesse et la beauté à ses côtés ».
Des noceurs s'introduisirent dans la place ; les forcèrent
wus à boire etAristodème s'endormit. Lorsqu'il se réveilla
au chant du coq, il vit Socrate, Aristophane et Agathon
encore éveillés ; Socrate leur disait que le génie de la
si ensommeillés qu'ils n'étaient pas capables de discuter
avec lui. Socrate les endormit tous les deux et partit, suivi
d'Aristodème.Au Lycée il prit un bain et passa la journée
comme d'habitude. La nuit venue, il retourna chez lui.
Le discours de Socrate est l'un des plus beaux que j'aie lus. C'est
une expression complète de quelque chose qui est souvent sous-
entendu dans les dialogues. Il vous élève plus rapidement et plus
simplement que d'habitude - avec la logique accablante qui est
la sienne - vers les sommets les plus extrêmes-. Il aurait été bon
que cela n'ait jamais été écrit !
Alcibiade prononce le discours le plus curieux de tous, comme un
personnage sur la scène. Il est à moitié brutal, à moitié en larmes, un
spectacle émouvant. Il reconnaft, comme quelque mer indocile, la
puissance de l'homme, qu'est Socrate. Il ressent toute la grandeur de
Socrate. Souhaite cependant que l'homme soit mort paifois - tel est
le conflit qu'il fait naftre chez ses disciples.
La fin est presque tragique, car Socrate est au-dessus de tout,
inaltérable et il agit avec une sorte d'ironie froide subtile, qui doit
avoir fait des victimes. Il y a une ou deux formules exquises à la
fin, pour clore le tableau du dfner athénien, s'assoupissant après
ce discours divin, tandis que la voix de Socrate continue. Mais
c'est infiniment profond. - Et devrait être lu encore et encore. Ce
n'est ici qu'un aperçu.
15 juillet 1908.
 192 4'h Georgie
There is also the beautiful story
of the old man, & his
life in harmony with nature.
p.60
28'h July
Virgil. 4'h Georgie.
Close account of way to keep bees. Their hives should be
by a stream, with stones in it, where they can sun
themselves in severing, far from beasts and noise. Th
1
kings fight, and you must choose the superior and kill th:
other. The different kinds have different markings. Sorne
are spotte~ with gold scales. In this description words, clearly,
are ~sed with such. accuracy, Just twisted out of their ordinary
relations that an maccurate scholar must miss half. There is
something in the exquisite delicacy & brightness of the description
of inanimate things. Love which puts me in mind of Pope Rape
of the Lock2; & the same kind of play upon meaning. The bees
signify a state & its wars. Habits of bees. Loyalty to kings.
How they kill themselves when worn out.
220 Bees thought by some to have a divine spirit in them on
account of their instincts. Sorne think there is a god in
earth & beasts & man, ail that has life in short; so that they
never die, but are recalled to the stars & live there. This is
something like the Buddhist view. The disease ofbees. How
1. À l'origine, on disait que les abeilles avaient un roi et non une
reine.
2. Allusion à un poème satirique d'Alexander POPE (1688-
1744), «La Boucle de cheveux enlevée ».
Virgile, Géorgique IV 193
Verso de la p. 59
Il y a aussi la belle histoire
du vieil homme et sa
vie en harmonie avec la nature.
p.60
28 juillet [1908]
Virgile. 4ème Géorgique.
Explication minutieuse sur la manière d'élever des abeilles.
Il faut que leurs ruches se trouvent près d'un ruisseau,
contenant des pierres sur lesquelles elles puissent se
chauffer au soleil lorsqu'elles essaiment, loin des bêtes et
du bruit. Les rois livrent bataille, on doit choisir le meilleur
et tuer l'autre. Les différentes espèces ont des marques
différentes. Certaines sont tachetées d'écailles d'or. Dans
cette description, il est clair que les mots sont utilisés avec une
telle précision, juste dégagés de leurs relations ordinaires, qu'un
étudiant imprécis doit n'en saisir que la moitié. Il y a quelque
chose dans la délicatesse et l'intelligence exquises de la description
des choses inanimées. Amour qui me rappelle La Boucle de
cheveux enlevée de Pope ; et la m~me sorte de jeu sur le sens.
Les abeilles symbolisent un état et ses guerres. Mceurs des
abeilles. Loyauté envers les rois. Comment elles se tuent
elles-mêmes lorsqu'elles sont épuisées.
220 Les abeilles considérées par certains comme ayant en elles
un esprit divin en raison de leurs instincts. Certains
pensent qu'il y a un dieu dans la terre, dans les bêtes et
l'homme, bref tout ce qui a vie ; par conséquent, ils ne
connaissent pas la mort, mais sont rappelés parmi les
étoiles et y vivent. Cela ressemble au point de vue bouddhiste.
Les maladies des abeilles. Comment dire quand elles sont
194 4rh Georgie
to tell when they are & Remedy - kill a calf, & bees Will
breed from its blood.Anstaeus taught this method · H eWas
a son of Apollo, turned shepherd on earth. & he lost hi
bees, &_ rnmplained to his mother. She sat beneath th~
flood, smgmg among her ma1dens. (This is like Sabrina i
Comus 1 .) Most exquisite myth ofAristaeus. He Md: is sent' b;
h1s mother to Proteus, to ask why his bees are de d
Proteus has to
Verso
At cantu commotae Erebi de sedibus imis
Umbrae ibant tenues simulacraque luce ca;entum
Quam multa in foliis avium se rnilia condunt '
Vesper ubi aut hibernus agit de montibus imber:
Matres, atque viri, defunctaque corpora vita
Magnanimûm heroum, pueri, innuptaeque puellae,
Impositique rogis juvenes ante ora parentum2 -
p.61
be seized. He tells Aristaeus how Orpheus is his enemy
because A. had frightened Eurydice (his lady) & a snake
had seized her. Orpheus goes to see her in the shades.
Souls like Bocks of startled birds. He sang, & charmed
them - but looked once on Eurydice & she sank back for
1. Allusion à la nymphe Sabrina dans Comus du poète John
MILTON (1608-1674).
2. VIRGILE, Géorgique IV, v. 471-477.
Virgile, Géorgique IV 195
malades. Le remède - tuer un veau et des abeilles naîtront
de son sang. C'est Aristée qui a enseigné cette méthode.
Il était fils d'Apollon, il devint berger sur terre. Il perdit
ses abeilles et s'en plaignit à sa mère. Elle siégeait dans les
profondeurs des flots, chantant parmi ses servantes. (Cela
ressemble à Sabrina, dans Comus.) Mythe d'Aristée exquis au
plus haut point. Sa mère l'envoie chez Protée pour lui
a · demander la raison de la mort de ses abeilles. Il faut
Verso de la p. 60
At cantu commotae Erebi de sedibus imis
umbrae ibant tenues simulacraque luce carentum,
quam multa in foliis auium se milia condunt,
Vesper ubi aut hibernus agit de montibus imber,
matres atque uiri defunctaque corpora uita
magnanimum heroum, pueri innuptaeque puellae
impositique rogis iuvenes ante ora parentum 1 -
p.61
se saisir de Protée. Il dit à Aristée qu'Orphée est son
ennemi parce qu' Aristée avait effrayé Eurydice (son
épouse) et qu'un serpent s'était saisi d'elle. Orphée va la
voir parmi les ombres. Âmes telles des nuées d'oiseaux. Il
chanta et les charma - mais il porta une fois ses regards
1. VIRGILE, Géorgique IV, v. 471-477 : « Cependant émues par
son chant, du fond des demeures de !'Érèbe, les ombres ténues
et les fantômes des êtres privés de la lumière s'avançaient, aussi
nombreux que les milliers d'oiseaux qui se cachent dans le
feuillage, quand Vesper ou une pluie d'orage les chasse des
montagnes : des mères, des maris, des corps de héros
magnanimes qui ont accompli leur vie, des enfants, des jeunes
filles mortes avant le mariage, et des jeunes gens placés sur le
bûcher sous les yeux de leurs parents» (trad. de E. DE SAINT-
DENIS).
,/'
196 Ajax Sophocles
ever. He mourns her all day long, as the sad nightingale
among the poplars 1 . The matrons tore him overdone for
slighting them, & his head went clown stream, crying
Eurydice. A. is told how to kill bulls, & bees breed from
them.
This is the sang that Virgil made, while Caesar was
conquering & making laws.
Lovely!
p.62
Ajax. Sophocles.
Dec. 7'h
Odysseus outside the tent ofAjax.Athena stands over him.
He does not want to see Ajax in his madness. There is
somethingfar more terrible to him as a man in the sight than to
Athena, the goddess. She insists - for to laugh at one's
enemies is good.Ajax cornes out. She gibes & displays him
in ail his insanity. "See how great the gods are Odysseus!"
I pity him - I pity in him his fate & my own. Shadows we
are. This is prefound: the meditation of a n:fiective man, like
Hamlet. The individual makes him think ef ail men.
1. Allusion au rossignol Philomèle accablée par la perte de ses
petits (VIRGILE, Géorg., v. 511).
Sophocle, Ajax 197
sur Eurydice et elle disparut à jamais 1• Il la pleure tout le
jour, comme le rossignol triste parmi les peupliers. Les
matrones le mirent en pièces, poussées à l'extrême car il
les avait offensées et sa tête descendait le courant en criant
«Eurydice ».Aristée apprend comment tuer des taureaux
à partir desquels des abeilles se reproduisent.
C'est le poème qu'écrivit Virgile, tandis que César
réalisait ses conquêtes et légiférait2 •
Ravissant!
p.62
Ajax. Sophocle.
7 déc( embre 1908]
Ulysse hors de la tente d'Ajax. Athéna se tient au-dessus
de lui. Il ne veut pas voir Ajax dans sa folie. Il y a quelque
chose de beaucoup plus terrible pour lui en tant qu'homme à ce
spectacle que pour Athéna, la déesse. Elle insiste - car rire de
ses ennemis est bon 3.Ajax sort. Elle se moque de lui et le
montre dans toute sa démence. « Vois comme les dieux
sont grands, Ulysse ! »Je le plains - je plains en lui son
destin et le mien. Des ombres, c'est ce que nous sommes 4•
Cela est prefond : la méditation d'un homme rijf,échi, comme
Hamlet. Il étend le cas particulier à tous les hommes.
1. Les oiseaux resteront durablement liés dans la vie et ]' œuvre
de V.Woolf à la tentative de retrouver les morts.Voir la scène
avec Septimus à Regent's Park dans Mrs Dalloway et la citation
donnée au début de notre introduction. Dans le cas d'Orphée
comme dans celui de Septimus, la tentative échoue à la suite
d'un regard : « Evans était derrière la grille » (V WOOLF,
Œuvres romanesques, I, p. 1089). ·
2. Cette phrase à la gloire d' Auguste est un résumé des derniers
vers du poème (v. 559-566).
3. Conseil donné par Athéna, v. 79.
4. Paroles d'Ulysse, v. 121-126.
 Sophocle, Ajax 199
198 Ajax Sophocles

Le Chœur des marins salaminiens.

The Chorus of Salaminian sailors.
Ils se font la réflexion que les puissants sont facilement sujets
They reflect that the great are easily subject to scanda!·
one believes ill of an insignificant man.Yet bath great ~~~
à médisance : personne ne croit que l'on peut faire du tort à
un homme insignifiant. Cependant, puissants et humbles sont
small are .necessary w each other. Ajax is great-minded
nécessaires les uns aux autres. Ajax est une grande âme. Ses
His enem1es chatter hke a flock ofbirds when he is ab ·
~ 1 silent
th ey fly & fau . ~~
when he emerges. Let him corne forth
ennemis jasent comme une nuée d'oiseaux lorsqu'il est
absent ; ils se dispersent et se taisent lorsqu'il surgit. Qu'il
then & do away with the rumours.
s'avance alors et éloigne les rumeurs.
Tecmessa cornes out & tells the story of the madness &
Tecmesse sort et raconte l'histoire de la folie et du massacre.
slaughter. They hear Ajax shouting within. He had been On entend Ajax crier à l'intérieur. Il s'était habitué à
went to take sorrow silently. He calls for his son &Teuc
Are you never going to stop hunting? I am destroyed.Th~ supporter sa douleur en silence. Il appelle son fùs et Teucer.
Ne vas-tu jamais cesser de faire des prises 1 ? Je suis anéanti.
irritability of a sick & unhappy persan. e 2
L'irritabilité d'une personne malade et malheureuse •

[Pas de page 63].

[Pas de page 63].

p.64
He cornes out, & asks the sailors to kill him - asks for one
more sight of Odysseus.
Ajax laments his son & the spirits & questions how he is to
meet his father. Shall he go to Troy & dies there alone. Lovely
invocation to the heights & seas that have known & shall know him
no longer. Tecmessa implores him to think ofher. He took her
country, her parents are dead; she has no stay but him. Tecmessa
dwells upon herself as a slave woman would, whose cif.fection must
always be partly selfishness- like a servant~.
Difficultfor us to understand the agony efAjax. Seem such a tri.fiing
matter- about aprize- but his honour is aimed at mixture efvanity
p.64
Il sort et demande aux marins de le tuer - demande à voir
une fois encore Ulysse.
Ajax se lamente sur son fils, sur les esprits et demande
comment rencontrer son père. Ira-t-il à Troie et mourra-
t-il là seul ? Ravissante invocation aux sommets et aux mers
qui l'ont connu et ne le connaîtront plus. Tecmesse l'implore
de penser à elle. Il a pris son pays, ses parents sont morts ;
elle n'a pas d'autre refuge que lui. Tecmesse s'attarde sur elle-
même comme le ferait une esclave dont l'affection doit toujours
être en partie de l'égoïsme - comme celle d'une servante.
Difficile pour nous de comprendre l'agonie d'Ajax. Semble un
sujet si insignifiant - l'obtention d'une récompense - mais son

1. Ajax interpelle Teucer, son demi-frère, toujours à la recherche

de butin (v. 342-343).
2. Ces dernières notes sur les paroles et l'état d' Ajax trouvent
un écho singulier dans l'esprit de la lectrice qui a subi
l'épreuve de la maladie.
200 Ajax Sophocles
a sense that he has made himself ridiculous. Enough feeling at
any rate to be a tragic figure - partly because there is somethin
repulsive in his glory over sheep & his bloody hand. Aja~
thinking of his life with its unbroken sadness, wonders
what the use of living can be - each day advancing hirn
to the lirnit of death & drawing him back again.Tecmessa
has hidden Eurysakes, the son, during his father's madness.
He sends for him, says that he won't be frightened of
blood, being his father's son. "O son, may you be happier
than your father - in all else like him. The days of
ignorance are best, until one learns to joy or sorrow.When
you corne to them, prove yourself my son". He commends
him to Teucer. Tells Tecmessa to go within & lock the
doors. A woman is a pitiable thing. But a doctor uses no
charms when a wound calls for the knife.
p.65
Ajax has a long speech. How one must obey those in
power. Lovely comparison: night gives way to day, the storms
are hushed. Must not men obey? Ends up with I go where
I must go.You should hear that out of my unhappiness I
have found peace. "crEcrwcrµÉvov" cames down in it,
ambiguously. They interpret it innocent/y. He goes off. They
sing a song of joy to Pan. Messenger cornes from Teucer.
Calchas has prophesied that unless they keep Ajax indoors
Sophocle, Ajax 201
honneur repose sur un mélange de vanité et la sensation qu'il
s'est rendu ridicule.Assez de sentiments, quoi qu'il en soit, pour
être un personnage tragique - en partie parce qu'il y a quelque
chose d'odieux dans son triomphe sur des moutons et dans ses
mains pleines de sang. Ajax pensant à sa vie de tristesse
ininterrompue se demande à quoi sert de vivre - chaque
jour le rapprochant des confins de la mort et l'en retirant
à nouveau. Tecmesse a caché Eurysakès, leur fùs, pendant
la folie de son père. Il l'envoie chercher, dit qu'il ne sera
pas effrayé par le sang, étant le fils de son père. « 0 fils,
puisses-tu être plus heureux que ton père - pour tout le
reste ressemble-lui. Les jours d'ignorance sont les
meilleurs,jusqu'à ce que l'on apprenne à se réjouir ou à
se lamenter. Quand tu en approcheras, montre-toi mon
fùs ».Il le recommande à Teucer. Dit à Tecmesse de rentrer
et de fermer les portes. Une femme est une chose
pitoyable. Mais un médecin n'utilise pas de sortilèges
lorsqu'une blessure réclame le couteau 1.
p.65
Ajax tient un long discours. Comment on doit obéir à
ceux qui détiennent le pouvoir. Comparaison ravissante : la
nuit cède la place au jour, les tempêtes se calment. Les hommes
ne doivent-ils pas obéir ? Se termine sur je vais où je dois
aller.Vous devriez apprendre qu'en dépit de mon malheur,
j'ai trouvé la_paix. «Le ton descend sur crwwcrµÉvov, de
manière ambiguë. fls l'interprètent naïvement2. Il s'éloigne. Ils
chantent un chant de joie à Pan. Un messager vient de la
part de Teucer. Calchas a prédit qu'à moins de tenir Ajax
1. Ces phrases donnent la teneur des paroles d'Ajax jusqu'à la
fin de sa tirade (v. 545-582).
2. Le mot paix et le vers 692 étant ambigus, le Chœur (« ils »)
se méprend sur les intentions d' Ajax.
 Sophocle, Ajax 203
202 Ajax Sophocles

enfermé toute la journée, il mourra. Il a été coupable de

ail day he will die. He was guilty ofhard words to Athena
mots durs envers Athéna en disant qu'il refusait son aide.
saying he did not want her help. Flouted the gods 1. '
S'est moqué des dieux.

Verso de la p. 65
Verso

[Croquis suivi de la légende suivante] [Croquis suivi de la légende suivante]

A. Chorus ofSalaminian sailors. A. Chœurs des marins de Salamine.
B.Tent of Ajax. B.Tente d'Ajax.
C. Odysseus & Athena. C. Ulysse et Athéna.
D. Ships & sea. D. Navires et mer.

(Pas de page 66). (Pas de page 66).

p.67 p.67
118 Athena - Do you see how great the gods are? 118 Athéna - Vois-tu combien les dieux sont grands ?
125 opw yèxp ~µ&ç oû5Èv ovTcxç CXÀÀov TTÀ~v 125 opw yèxp riµcxç oû5Èv ovTcxç cxÀÀov TTMv
E'ŒwÀ['],ücrmmp 'ÇwµEv, AKouqniv aKuxv. E'l5wÀ['],ücrmmp 'ÇwµEv, AKoucpriv aKté<v 1.
120 Take this to heart and never speak against gods. 120 Garde cela en ton cœur et n'outrage jamais les dieux.
First chorus: the great are more easily attacked than the Premier Chœur : les grands sont plus facilement attaqués
small. Both great & small do best in alliance. que les petits. Ensemble, les grands comme les petits
Perhaps the gods had been neglected, & therefore sent this agissent au mieux lorsqu'ils s'allient.
madness 2 • Sans doute les dieux ont-ils été négligés, et par conséquent
290 Vigorous description again ef madness. ils ont envoyé cette folie.
320 Ajax used to these words a weakness. 290 Nouvelle description vigoureuse de la Jolie.
2
330 T[ecmesse] asks them to help her. 320 Ajax a toujours considéré ces mots comme une faiblesse •

330 Tecmesse leur demande de l'aide.

1. Les notes s'arrêtent ici au milieu de la page 65, à la fin de la

tirade du messager (v. 776).À la page 67, un retour se fait sur
1. «Je vois bien que nous ne sommes, nous tous qui vivons ici,
le texte de Sophocle au gré de vers numérotés et se continue
rien de plus que des fantômes ou que des ombres légères »
cette fois jusqu'au vers 1222, à deux cents vers de la fin de la
pièce. (trad. Paul MAZON).
2. Indication donnée parTecmesse.
2. Parole du Coryphée.
r
!
204 Ajax Sophocles
She complains that she has had a double woe 1.
Grudging2. Demirt
Cries heard.
343 The fretfulness of Ajax. T. fears that he calls for her son.
Ajax greets the sailor with emotion as his only friend.
365 Horror of the tragic - slaughter of sheep by such a man.
380 Dread ofbeing laughed at.
391 Character ofT. sustained.Wish to die with him. Peevish-
submissive - vaguely bewildered by the greatness of her fate.
395 Darkness my sole light. (written J{ebb]).
T. remembers A[jax] habits always like an observant wife.
41 O A. addresses beautiful place that will see him no more.
430 A. laments for reputation lost; his father.
[Verso de la page 67: hachures]
p.68
460 Questions what he is to do. Conventional heroic figure -
disgraced at home - therefore can't go back.To die atTroy
would please the Greeks.
470 Ultimate desire is to do something which will do him
credit in the eye of his father.
475 What joy is there in day following day, now pushing us
forward, now drawing in back on the verge - of death VE
KCXT8cxvE1v - only death after ail at the end.
476 Empty hopes are undignified.
485 Prayer ofTecmessa. I too have suffered - have no father
mother at home.
1. V. 277.
2. Notes très elliptiques, ici. Il s'agit du v. 277 et du v. 29 ·
Tecmesse a essayé de convaincre Ajax de ne pas prendre les
armes. Il l'a contrainte à se taire, ce qu'elle a fait à contrecœur.
Sophocle, Ajax 205
Elle se lamente d'avoir eu un double malheur. À
contrecœur. DeJerirt
Cris entendus.
343 L'irritabilité d'Ajax.Tecmesse craint qu'il n'appelle son fùs.
Ajax salue le marin avec émotion comme son seul ami.
365 Horreur du tragique - massacre des moutons par un tel
homme.
380 Crainte d'être tourné en dérision.
391 Rôle de Tecmesse soutenu. Désire mourir avec lui.
Maussade - soumise - vaguement déconcertée par la grandeur de
son destin.
395 Ténèbres, ma seule lumière (a écrit ]ebb).
Tecmesse rappelle la conduite d' Ajax sans cesse à la façon
d'une femme respectueuse.
410 Ajax s'adresse à un bel endroit qui ne le verra plus.
430 Ajax se lamente de la perte de sa réputation ; son père.
[Verso de la page 67: hachures]
p.68
460 Demande ce qu'il doit faire. Figure héroïque conventionnelle
- disgracié chez lui - par conséquent, ne peut y retourner.
Sa mort à Troie ferait la joie des Grecs.
470 Son désir ultime est de faire quelque chose qui lui
apportera du crédit aux yeux de son père.
475 Quelle joie y a-t-il, jour après jour, quand l'un nous fait
approcher, quand l'autre nous éloigne - de la mort « VE
KcxT8cxvE1v » - seulement la mort après tout à la fin.
476 De vaines espérances sont indignes.
485 Prière de Tecmesse. Moi aussi j'ai souffert - n'ai plus ni
4 père ni mère dans mon pays.

206 Ajax Sophocles
She uses the ordinary inducement mother & father, but returns
to herself.
540 Ajax asks for his son. Seems not to be able to see.
Impatience.
545 Address to his son - fine - what is the meaning of "Life is
sweeter when you know not feeling - until one learns to know
joy or pain["}? that would mean simply knowledge is best
- unless he supposes an intermediate stage between knowing and
ignorance - worse than either.
590 Ajax no longer owes service to the gods.
Tecmessa presses her entreaties.
Ajax is shut into his tent.
595 Chorus - they have a beauty.
650 A.fine speech - Ajax amazed at the way the~ time do
things. He has felt pity - explains his [marge droite
change ofmood] anxiety to go fr[om]. T.
p.69
670 Is he speaking his own thoughts; revealed to him by calm
reflection; is he deluding the chorus or does Sophocles speak here?
6\pxovTÉÇ ELO"LV, wa6' UTTELKTfov 1
.
There then cames one of the most beautiful passages in the play:
it is roman tic, rather than greek (if that has meaning). Ail things
give way here - storm & winter: shall not we too be
discreet? To most men the harbour of friendship is false.
1. SOPHOCLE, Ajax, V. 668.
Sophocle, Ajax 207
Elle recourt au motif habituel « mère et père », mais revient à
elle-même.
540 Ajax réclame son fils. Semble ne pas être capable de voir.
Impatience.
545 Adresse à son fils - beau - quel est le sens de « La vie est plus
douce lorsqu'on ne connaft pas de sentiment - jusqu'à ce qu'on
en vienne à connaftre la joie ou la peine » ? Cela signifierait
simplement que la connaissance est ce qu'il y a de meilleur à
moins qu'il ne suppose une étape intermédiaire entre connaissance
et ignorance - pire que l'une ou l'autre.
590 Ajax ne doit plus de services aux dieux.
Tecmesse renouvelle ses supplications.
Ajax s'enferme dans sa tente.
595 Chœur - ils ont une beauté.
650 Un beau discours. Ajax étonné de la manière dont le ~
~ temps fait les choses. Il a ressenti de la pitié -
explique son [marge droite : changement d'humeur]
inquiétude de quitterTecmesse.
p.69
670 Exprime-t-il ses propres pensées, qui se révèlent à lui par l'iif.fet
d'une riflexion apaisée; trompe-t-il le Chœur ou est-ce Sophocle
qui parle ici ?
6\pxovTÉÇ ELO"LV, wa6' UTTELKTfov 1.
Puis vient en cet endroit l'un des plus beaux passages de la pièce :
c'est romantique, plutôt que grec (si cela a du sens). Toutes
choses cèdent ici - la tempête comme l'hiver : ne serons-
nous pas sages nous aussi ? Pour la plupart des hommes, le
havre de l'amitié est trompeur.
1. « Ce sont nos chefs, il faut leur céder » (v. 668, trad. P. MAzoN).

208 Ajax Sophocles
That is
crwwcruÉvov - Cornes down with a drop on that word.
770 Ajax had insulted the gods & Athena; did not need their
help. Long speech of messenger - rather dull.
815 Ajax fixes the sword given him by Hector in the hostile
land ofrroy- falls on it? His only message/request to Zeus
is that a messenger shall corne & ffl:tfy bid Teucer bury
him.
The ~Erinyes to mark how he was killed by Greeks.
No excuse. No word of abuse against the gods, or asks for
mercy. He says farewell to Salamis, his country, his father
mother & Athens. . natale, à ses père et mère et à Athènes.
865 Says farewell to Troy & rivers. All natural things & falls
upon his sword.
925 Stubborn heart "fated to work out an evil doom 1".
940 You speculate. I feel.
970 Fine speech ofT I have greater je pain than they joy - &
he has what he wanted - why should they mock then?
1016 Telamon did not laugh even when he was happy.
1035 I would believe that all these are planned by gods 2.
Teucer - seeing the coincidences of Hector's fate &
Ajax's.
1. Citation adaptée de la traduction de Jebb, p. 143.
2. Parole de Ménélas dans la traduction de Jebb.
Sophocle, Ajax 209
C'est
crmwcruÉvov - Le ton descend en finissant sur ce mot.
770 Ajax avait insulté les dieux et Athéna ; n'avait pas besoin de
leur aide. Long discours du messager - plut& ennuyeux.
815 Ajax plante l'épée que lui a donnée Hector dans le sol
hostile de Troie - tombe-t-il sur elle ? Son seul
message/requête à Zeus, c'est qu'un messager vienne sans
faute prierTeucer de l'ensevelir.
Que les ~ Érinyes notent comment il a été tué par les
Grecs. Pas d'excuse. Pas d'injures envers les dieux ni de
demandes de miséricorde. Il fait ses adieux à Salamine, sa terre
865 Fait ses adieux àTroie et aux fleuves. Toutes choses naturelles
et tombe sur son épée.
925 Cœur obstiné« destiné à accomplir un destin funeste».
940 Tu fais des spéculations. Moi, je sens.
970 Beau discours de Tecmesse. J'ai une peine plus grande que
n'est leur joie - et il a ce qu'il voulait - pourquoi se
moqueraient-ils alors ?
1016 Télamon ne riait pas, même lorsqu'il était heureux 1.
1035 Je croirais volontiers que tout cela est organisé par les
dieux.
Teucer - voyant les coïncidences entre le destin
d'Hector et celui d'Ajax.
1. Télamon est le père d'Ajax.

210 Ajax Sophocles
p. 70
1075 Menelaos upon government. Fear & shame are necessary
for the rule of a state.
We can't do as we like: or we must pay for it.
1200 Chorus - Hatred of the man who first invented war. Kept
them from Love. Longing for Athens.
p. 71
The story of the Ajax as follows: the flocks of the Greek
army have been slaughtered. A spy has seen Ajax slinking
inte his tel'l:t along the shore. Odysseus has tracked him to
his tent. He is about to enter whenAthena appears & tells
him that Ajax has killed the cattle, thinking them the
Greek host. She had made him mad. When his madness
leaves him, & he sees what he has clone, he is
overwhelmed. His wife & the chorus attempt comfort. He
pretends to listen; but indeed go out to a solitary place not
to ask pardon but to kill himself.
He is discovered byTecmessa; & Menelaus & Agamemnon
refuse him burial. Teucer insists; but Odysseus persuades
the generals to give way.
Ajax had been insulted by the decision of the fx~11mel'l:1
Atreidae to award the arms of Achilles to Odysseus.
Sophocle, Ajax 211
p. 70
1075 Ménélas sur le gouvernement. La peur et la honte sont
nécessaires pour le gouvernement d'un état 1• Nous ne
pouvons agir comme nous l'entendons, ou nous devons
payer pour cela.
1200 Le Chœur - Haïssable est l'homme qui le premier a
inventé la guerre. Les a éloignés de l'Amour. Aspire à
revoir Athènes.
p. 71
Ajax.
L'histoire d'Ajax comme suit : les troupeaux de l'armée
gre~que ont été massacrés. Un espion a vu Ajax se glisser
furtivement à11ns S!! telïte le long du rivage. Ulysse l'a suivi
jusqu'à sa tente. Il est sur le point d'y entrer lorsqu'Athéna
apparaît et lui dit qu'Ajax a tué le bétail, les prenant pour
l'ennemi grec. Elle l'avait rendu fou. Lorsque sa folie le
quitte et qu'il voit ce qu'il a fait, il est accablé. Sa femme
et le Chœur tentent de le consoler. Il prétend écouter ·
mais en réalité sort pour se rendre en un endroit isolé no~
pas pour demander pardon mais pour se tuer.
Il est découvert par Tecmesse ; Ménélas et Agamemnon
lui refusent une sépulture. Teucer insiste ; mais Ulysse
convainc les généraux de céder.
Ajax avait été insulté par la décision à'A~11mem des
Atrides d'attribuer les armes d'Achille à Ulysse.
1. Cette .formule ramassé~ correspond au passage suivant :
«Jamais les 101s dans un Etat ne seraient admises ainsi qu'il le
faut, si la crainte ne régnait ; et jamais une armée ne ferait
montre d'une sage discipline, sans un rempart de crainte et
de respect» (trad. Paul MAzoN).
212 Ajax Sophocles
The impression left by the play is complex of course. I should say
that the points which Sophocles had in view were to represent an
heroic human being in conflict with law & the first part of the
play is the best. The opening is horrid, there is something
grotesque in the great fighter dubbed in the blood of sheep. As for
the character ofAjax: that seem to me the finest thing in the play.
He is insolent & vain, cruel probably, but still majestic in his
overthrow. When you realise what an opinion he had of himself,
you can sympathise with his despair - which otherwise has
something absurd about it. He is very vain; a great deal of
conventional sense about "honour" & what people will say, like
a great schoolboy. It does give me the notion of a great man of
action - a Napoleon, or a Kitchener, only half human, with these
great emotions, which are small fry. Don't see; save as things
looming on top of one.
p.72
He impresses Odysseus; moves him to a profound sigh. What
shadows we are! Ali who see him are uncomfortable! The character
ofTecmessa is subtle also. She is a slave & selfrsh as a slave; her
2''d thought for herself, but like a slave she has a servile
dependence on A. which is pathetic. She is not large enough to
see the full catastrophe worries him; & yet is faithful as a dog:
like an animal conscious too of inexplicable alarms.
1 1
It is difficult of course to pull the whole play sufficiently together
to judge of it as composed of dijferent parts leading to a crisis.
Probably if I could read greekly, I should not find the end so
scattered.
Sophocle, Ajax 213
Uimpression laissée par la pièce est complexe bien sar. Je dirais
que les points que Sophocle avait en vue consistaient à représenter
un hre humain héroïque en conflit avec la loi et la première partie
de la pièce est la meilleure. Le début est horrible, il y a quelque
chose de grotesque dans le grand guerrier maculé du sang des
moutons. En ce qui concerne le personnage d'Ajax : cela me
semble la chose la plus belle de la pièce. n est insolent et vaniteux,
cruel probablement, mais pas moins majestueux dans sa chute.
Lorsqu'on réalise quelle opinion il avait de lui-même, on peut
compatir à son désespoir - ce qui autrement comporte quelque
chose d'absurde en soi. Il est très vaniteux ; une conception très
conventionnelle de l' « honneur » et de ce que les gens diront,
comme un grand écolier. Cela me fait penser à un grand homme
d'action - un Napoléon, ou un Kitchener 1, à demi humain
seulement, avec ces grands émois, qui sont menu fretin. Ne voit
pas, si ce n'est lorsque surgissent des menaces indistinctes.
p. 72
nimpressionne Ulysse; l'amène àpousser un prefond soupir. Quelles
ombres sommes-nous ! Tous ceux qui le voient sont mal à l'aise ! Le
personnage de Tecmesse est subtil également. C'est une esclave et égoïste
comme une esclave ; ne pense jamais d'abord à elle-même, mais telle
une esclave elle a une dépendance servile envers Ajax qui est
pathétique. Ellen' a pas assez de largeur de vues pour voir l'étendue
de la catastrophe qui le tourmente ; et pourtant est fidèle comme un
chien, tel un animal, 1 consciente 1 aussi d'inexplicables alarmes.
n est difficile bien sar de sç saisir suffisamment de 1}ensemble de
la pièce pour juger de sa composition en dijférentes parties menant
à une crise. Probablement, si je pouvais lire comme un Grec, je
ne trouverais pas la fin si dispersée.
1. Lord Kitchener (1850-1916), maréchal, se rendit populaire
par ses actions, notamment au Soudan et en Afrique du Sud.
Plusieurs polémiques autour de lui défraient la chronique, y
compris au sujet de sa disparition au large de l'Écosse.
 Sophocle, Ajax 215
214 Ajax Sophocles

En dehors des personnages, il semble y avoir un souhait constant

Besides the characters, there seems to be a consistent wish to bring
de Jaire ressortir la force de la nécessité. Ménélas parle de crainte
out the strength of necessity. Menelaos talks of fear & things
et de choses nécessaires dans un état; il souhaite montrer qu'il y
necessary in a state: he wishes to show that there is something
a quelque chose qui doit €tre respecté, m€me si c'est désagréable.
which must be observed, although it is unpleasant. I think
Je pense que c'est ce que Sophocle veut dire lui-m€me.
S[ophocles) meant this himself.
C'est ce qui,je suppose,fait de lui, comparé aux autres, un poète
This I suppose is what makes him, compared to the rest, a
satifoit ; pas un révolutionnaire. Mais alors, la vision me paraft
contented poet; not a revolutionary. But then, the view seems to
belle, bien que stricte et exprimée par des gens arides, comme
me fine, though strict; & expressed by arid people, like M[enelaos]
Ménélas etAgamemnon.
& Agamemnon.
Ajax échoue parce qu'il a un cœur obstiné et qu'il doit se briser
Ajax ]ails because he has a stubborn heart & must break himself
contre le destin. Ajax ne semble jamais avoir conscience des choses
against fate. Ajax never seems conscious of anything unseen. Even
invisibles. M€me lorsqu'il dit adieu, c'est ades lieux, des rivières,
when he says jarewell, it is to places, & rivers, and & his Jather
& mother. Death he treats as an important persan; one will have
ason père et asa mère. La mort, il la traite comme une personne
importante ; on trouvera assez de temps pour lui parler. Un esprit
enough time to talk to him. An entirely material mind; but also
entièrement matériel ; mais il voit aussi le très beau côté des choses.
he sees the finest side of matter. He has some noble speeches, much
Il tient quelques discours nobles, beaucoup de haine en eux et pas
hatred in them, & no submission, save when it is (presumably)
de soumission, sauf lorsqu'elle est (vraisemblablement) feinte.
Jeigned.
Les chœurs, chantés par les marins, contiennent une sorte de rude
The choruses, sung by sailors, have a rough kind of beauty and
beauté et de pathos : ils se languissent de leur foyer, de l'amour
pathos: they long for home & love, & are kept out here on the
shore, wet with sea mists. In these choruses I can see now & then, et sont tenus al'écart sur le rivage, imprégnés d'embruns marins.
Dans ces chœurs,je peux voir ici ou la le style inimitable - une
the inimitable style - a music of words - transcending meaning
musique de mots - transcendant le sens - tel qu'on le revendique
- such as people claim for S[ophocles).
pour Sophocle.
p. 73
p. 73
Jebb's introduction
Introduction de Jebb

He says that modern readers complain that the last part is

dull, not understanding the unity of the play. The fact is
that the play does not end with the suicide of Ajax; but
the climax is really the question whether A. shall be buried
or not. His intention to kill the Greeks deserved
punishment; that was made clear by the messenger's
Il dit que les lecteurs modernes se plaignent de ce que la
dernière partie est ennuyeuse, de ce qu'ils ne comprennent
pas l'unité de la pièce. Le fait est que la pièce ne se termine
~ sur le suicide d'Ajax ; mais le dénouement consiste
réellement dans la question de savoir si Ajax sera enseveli
ou non. Son intention de tuer les Grecs méritait
châtiment ; cela a été rendu clair par le récit du messager

216 Frogs
account ofTeucer's reception e., before Ajax <lied; & the
punishment is whether he shall be buried, & thus counted
a hero or not 1•
He is buried because in his last speech to the chorus, he
made it clear (to us) that he repented; thus Athena made
Odysseus the instrument ofher mercy, & he obtained the
burial rites.
The diflicult point is to decide how one ~ reads Ajax's
speech - the splendid one with the lines about winter &
day & men learning discretion in it. Sorne think that he
did not attempt to deceive the chorus; some that ail his
speeches were purely ironical.Jebb traces a change of mood,
but not a change of purpose. He thinks that A. had been
softened by the appeals ofhis wife, & that he had returned
to the ordinary human standard, & had seen his folly. At
the same time he wished to deceive the chorus; & there
is also some irony in his speech, He says (what I think true)
that he would not have used such solemn imagery had he
wished merely to veil his satire.
I think one may believe that he realised some force superior to
his own; & saw the Jolly of strife; at the same time, I think he
never respected the Atreidae, looking upon them merely as a
temporary & rather quite accidentai 11t11 part of the machine.
p. 74
Jan. 11 th 09. Frogs:
The first hundreds of lines I found easy. They go with such speed
& the jokes are not hard. Then it becomes much more difficult
than a Sophocles. For one thing there are allusions which I don 't
follow, & so go hopelessly astray; there, the words are impossible
- so that I made heavy going. JïVhat I perceive dimly is an
immense vitality - ideas springing up on ail sides. Sorne lyric
1. Synthèse de l'analyse de R.C. ]EBB, Sophocles, Plays and
Fragments, VII, p. XXIX.
Aristophane, Les Grenouilles 217
au sujet de l'accueil deTeucer avant qu'Ajax ne meure. Le
châtiment porte sur la question de savoir si on va
1' ensevelir et donc le compter comme un héros ou non.
Il est enseveli parce que dans son dernier discours au
Chœur il (nous) dit clairement qu'il s'est repenti ; donc,
Athéna a fait d'Ulysse l'instrument de sa miséricorde et il
a obtenu les rites funèbres.
Le point difficile est de décider comment pt'ettMe lire le
discours d'Ajax - le splendide discours avec les vers sur
l'hiver, le jour et les hommes qui en retirent des leçons de
sagesse. Certains pensent qu'il n'a pas tenté de tromper le
Chœur ; d'autres que tous ses discours étaient purement
ironiques. Jebb décèle un changement d'humeur, mais non un
changement d'intention. Il pense qu'Ajax avait été adouci
par les supplications de sa femme, qu'il était retourné à la
norme humaine ordinaire et qu'il avait reconnu sa folie.
Dans le même temps, il souhaitait tromper le Chœur et il
y a également un peu d'ironie dans son discours. Il dit (ce
que je pense vrai) qu'il n'aurait pas eu recours à des images
aussi solennelles, eût-il simplement souhaité voiler sa satire.
Je pense qu'on peut croire qu'il s'est rendu compte d'une force
supérieure à la sienne et qu'il a vu la folie de la querelle; dans
le m~me temps, je pense qu'il n'a jamais respecté les Atrides, les
considérant simplement comme une partie temporaire et plut8t
assez accidentelle de la machine.
p.74
11 janvier 09, Les Grenouilles :
Je trouve facile la première centaine de vers. Ils se succèdent à une
telle vitesse et les plaisanteries ne sont pas difficiles. Puis cela
devient plus nettement plus ardu que du Sophocle. Déjà, il y a
des allusions que je ne suis pas et je m'égare donc sans espoir ;
puis, les mots sont inintelligibles - par conséquent j'ai avancé
péniblement. Ce que je perçois obscurément, c'est une immense
vitalité - des idées jaillissant de tous c8tés. Une certaine beauté
218 Frogs
beauty in the choruses - & a rude boisterous kind ef joking,
mostly about parts ef the body not usually mentioned. This seems
to be the groundwork ef the play I see more clearly the wit ef the
contest between Euripides & Sophocles - the truth ef the criticism.
It has great vitality too. One imagines the enthusiasm ef the
audience at the hits & the political jokes & advice. A man ef
genius giving the likeness ef his age - it m11st have been exciting.
I feel however that I have read so roughly - deeply to gather the
sense - that I have missed an infinite number ef meanings &
beauties. I think however that it must be a vigorous play still
because with ail these hindrances I read with interest; one
imagines that A[ristophanes] has great range - might be have
tremendous pathos. & pure beauty.
p.75
Bickley Rogers on Ar Frogs
The play was produced in 405? two months after death
of Euripides - 4 after death of S. 1 just after the victory at
Arginusae? The structure of the play is very queer; as
though ~ incongruous pieces were tacked together.
Dionysus goes to fetch Euripides; & suddenly, without
reason it is said that a contest is going forward between
Euripides & Aeschylus for the right to the poetic throne.
Then the contest follows, & at the end of it Pluto speaks
for the first time & reminds D[ionysus] ofwhat he came
for. D. then says (in contrast to his early meaning) that he
1. S. comme Sophocle. Mais Virginia fait erreur par inversion :
Rogers a écrit « environ quatre mois après la mort
d'Euripide ; et environ deux mois après la mort de
Sophocle » (Introduction, p. IX). Cette confusion et les deux
points d'interrogation indiqueraient que la lectrice est dans
une tâche de remémoration.
Aristophane, Les Grenouilles 219
lyrique dans les chœurs - et une sorte de plaisanterie scabreuse et
tapageuse, surtout sur des parties du corps que l'on ne mentionne
généralement pas. Cela semble être le fondement de la pièce. Je
vois plus clairement l'esprit de la compétition entre Euripide et
Sophocle - la vérité de la critique. C'est également d'une grande
vitalité. On imagine l'enthousiasme du public devant les coups
portés, les plaisanteries politiques et l'opinion exprimée. Un
homme de génie faisant le portrait de son époque - cela doit avoir
été passionnant. Toutefois,j' ai l'impression que j'ai lu de manière
si approximative - à longs traits pour recueillir le sens - que j'ai
manqué un nombre infini de significations et de beautés.je pense
cependant que ce doit être tout de même une pièce solide parce
qu'en dépit de tous ces obstacles,j'ai lu avec intérêt; on imagine
qu'Aristophane a une gamme étendue - pourrait êff'e avoir un
immense pathos. & de la pure beauté.
p. 75
1
Bickley Rogers à propos ti'Ar des Grenouilles
La pièce a été présentée en 405 ? deux mois après la mort
d'Euripide - 4 après la mort de Sophocle juste après la
victoire des Arginuses ? La structure de la pièce est très
étrange; comme si ehe1i±lées des parties disparates avaient
été chevillées ensemble. Dionysos va chercher Euripide et
soudain, sans raison, on dit qu'Euripide et Eschyle sont en
compétition pour le droit d'occuper le trône de la poésie.
Puis le concours suit et à son terme Pluton parle pour la
première fois et rappelle à Dionysos la raison de sa venue.
Alors Dionysos dit (contrairement à ce qu'il a
1. Ce qui suit est en effet l'introduction très résumée de Rogers
dans le volume 5 de son édition des Comédies d' Aristophane.
220 Frogs
will take the best counsellor (not poet) back to the world
with him.
He There are many things to be noted about the con test.
When Euripides ~ says that Ae[schylus'J lines are
always homeric, he quotes a Homeric line after each to
show the likeness. It is always in the same metre. Then,
giving this up, he quotes lines at random, adding the sound
of the lyre: they are faulty, & make no sense in themselves.
Ae. in crushing Euripides, adds lost his oiljar1 to the end
of the lin es: it is a
p. 76
pure j oke, for no one suggests that the break in the line is
a bad thing. He also strings together different lines, &
shows that they each have a defect, imperceptible to us.
He invents a monody in the Euripides' manner, satirizing
the way in which Eu[ripides] made servant girls bath in
the traditional tragic strain about lost cocks.
Jebb has a note about the antipathy between Euripides &
Aristophanes. The old comedy was akin to tragedy,
depended on the recognition ofDionysus & the mysteries
which he represents; if the tragedy search [sic] to believe
in this any longer, then the old comedy came to an end2•
1. Rogers traduit« lost his bottle of oil» (v. 1219).
2. ROGERS, Introduction, p. XLIII.
Aristophane, Les Grenouilles 221
d'abord fait entendre) qu'il ramènera sur terre avec lui le
meilleur conseiller (non pas le meilleur poète).
H De nombreuses choses doivent être notées au sujet du
concours. Lorsqu'Euripide et<e dit que les vers d'Eschyle
sont toujours homériques, il cite un vers homérique
systématiquement après pour montrer l'analogie. C'est
toujours dans le même mètre. Puis, laissant cela, il cite des
vers au hasard, en ajoutant le son de la lyre : ils sont fautifs et
ne font pas sens en eux-mêmes. Eschyle pour terrasser
Euripide ajoute« il perdit son vase à huile» à la fin des vers :
c'est une
p. 76
pure plaisanterie, car personne ne suggère que la rupture
dans le vers est une mauvaise chose. Il enchaîne également
différents vers et montre qu'ils ont chacun un défaut que
nous ne percevons pas. Il invente une monodie à la
manière d'Euripide et fait une satire de la façon dont
Euripide fait se baigner des servantes sur le ton tragique
traditionnel qui traite de la perte de coqs 1•
Jebb a une note sur l'antipathie entre Euripide et
Aristophane2 . La comédie ancienne était analogue à la
tragédie, reposait sur la reconnaissance de Dionysos et les
mystères qu'il représente ; si la tragédie continue à croire
en cela alors la comédie ancienne touche à sa fin.
1. Aux vers 1338-1340, Eschyle critique chez son concurrent la
médiocrité de sujets traités dans un style ampoulé, comme cette
scène où une femme fait un cauchemar, se fait voler un coq et
demande entre autres à ses servantes de préparer de ]'eau pour
la purifier. La lectrice ne rend pas cet épisode de manière stricte.
2. Rogers remercie en effet Jebb de lui avoir permis de le citer
dans les quatre derniers de son introduction. Il s'agit d'un
long extrait de « The Growth and Influence of Classical
Greek Poetry », conférence qui avait été publiée chez
Macmillan en 1893.
222 The Phaedrus Platon, Phèdre 223

Verso Verso de la p. 76

16 18 16 18
14 14

32 32
86 86
26 26

60 4 [chiffres effacés] 52 60 4 [chiffres effacésJ 52

66 66

p. 77
p. 77 25 mai [1909]
25'h may [1909] Notes
Notes

Lysias a parlé de l'amour. Phèdre a le volume 1 . Socrate et

Lysias has been talking on love. Phaedrus has the volume
with him. S[ocrates] & myths.Are they true or not?What
a labour to explain them ail! Meanwhile, people know
little of his strange monster oneself. Let us know the
nature of that beast first.
les mythes. Sont-ils vrais ou non ? Quel travail alors de
tous les expliquer ! Cependant, on sait peu de choses sur
le monstre étrange qu'il est lui-même. Sachons la nature
de cette bête d'abord2•

1. Phèdre arrive avec le discours de Lysias caché sous son

manteau (228d). La prise de notes ne porte que sur cet
épisode.
2. À Phèdre qui lui demande si la légende de Borée et d'Orithye
est vraie, Socrate répond qu'expliquer les mythes serait trop
laborieux, exigerait du génie et que l'on sait bien peu sur les
monstres qui les peuplent (229-230b). C'est lui-même qu'il
préfère examiner.
 224 The Phaedrus
Lysias' Argument that one ought to yield to non-lovers rather
than to lovers. It is more reasonable: more se cure. Jealousy
oflovers. Love as physical passion that passes. Lovers have
bad judgment.
Argument is given by So[crates] telling story of a boy with a lover.
His lover tried to persuade him that he did not love him,
& argued then. It was right to discuss love, to find out if
it were good or bad. There are 2 ruling principles - one
desire of pleasure, one of good. AH That which leads on
to pleasure is called ü~pLç. Has many shapes. But the
owner of the desire is called after the name of the
predominant shape. Is die àesire The irrational desire
which is led away by the enjoyment of beauty &
vanquishes all the rest of the desire is called love.
They have agreed upon a definition oflove.
Takes up argument that as a lover is selfish & as he wishes
to keep his love subservient, his influence must be worse
than that of a non-lover.
p. 78
Read over again,Jan. 1917, an interval of nearly ten years.
Platon, Phèdre 225
Argument de Lysias selon lequel l'on devrait succomber
à ceux qui n'aiment pas plutôt qu'à ceux qui aiment. C'est
plus raisonnable : plus sûr. Jalousie de ceux qui aiment.
L'amour comme passion physique qui passe. Les gens qui
aiment ont mauvais jugement.
Argument donné par Socrate qui raconte l'histoire d'un
garçon avec un amant. Son amant a tenté de le persuader
qu'il ne l'aimait pas et il lui a alors livré ses arguments. Il
était juste de débattre de l'amour, pour déterminer s'il était
bon ou mauvais. Il existe deux principes qui prévalent -
un désir de plaisir, un désir de ce qui est bon.~ Celui
qui conduit au plaisir s'appelle ü~pLç 1 .A plusieurs formes.
Mais on nomme l'homme qui possède le désir d'après le
nom de la forme prédominante. L,e àésir est id Le désir
irrationnel, qui est emporté par la jouissance de la beauté
et qui vainc tout le reste du désir, est appelé amour.
Ils se sont mis d'accord sur une définition de l'amour.
Reprend l'argument suivant: comme un amant est égoïste
et comme il espère garder son amour sous sa soumission,
son influence doit être pire que celle d'un homme qui
n'aime pas.
p. 78
Relu d'un bout à l'autre,janvier 1917, un intervalle de
presque dix ans.
1. La démesure. Il s'agit ici du premier discours de Socrate
(237a-238c).
 Table des matières

Introduction : rouvrir un carnet 5

D'antiques paroles 5
Le Carnet d'études inédit
d'une femme lettrée 8
Des notes« réticentes comme une parole
qui sait se taire pour en dire trop » 12

Le latin et le grec contre les larmes :

moments d'une vie 15
À l'ombre du père 18
La terre et le papier,
noirs souvenirs de voyage 21
L'Université interdite aux filles.
D'Oxbridge à Bloomsbury 24

« À quoi ai-je perdu ma jeunesse ?

Au latin et au grec » 29
Un carnet parmi d'autres 30
Toute une bibliothèque 34
Rome et la Grèce 38
228 Table des matières
r 1

Comment le grec et le latin peuvent

donner de l'esprit aux filles 43
Un corps à corps solitaire 44
Les silences de l'écriture 51
«L'envol de l'esprit» 59
Épilogue 67

Lectures du Carnet 71

Note sur la présente édition 77

Bibliographie 79

Transcription et traduction 84
Achevé d'imprimer le 26 décembre 2018
Juvénal, Satires 86 sur les presses de
Homère, Odyssée 98 La Manufacture - Imprimeur - 52200 Langres
Euripide, Ion 150 Tél. : (33) 325 845 892
Platon, Le Banquet 172 N° imprimeur : 181460 - Dépôt légal : janvier 2019
Virgile, Géorgique IV 192 Imprimé en France

Sophocle, Ajax 196

Aristophane, Les Grenouilles 216
Notes (Platon, Phèdre) 222

Composition : Catherine CAPUTO

1" semestre 2019

ISBN 978-2-36441-299-6

ÉDITIONS UNIVERSITAIRES DE DIJON

Maison des Sciences de l'Homme - Esplanade Erasme
BP 26 611 - 21066 DIJON Cedex