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RACINE Andromaque

Table des matières


Les sources antiques ........................................................................................................................................ 1
Prologue de la pièce d’Euripide .................................................................................................................... 1
VIRGILE, Enéide, III ....................................................................................................................................... 3
La guerre de Troie............................................................................................................................................ 4
Où ? ............................................................................................................................................................. 4
Qui? ............................................................................................................................................................. 5
Côté grec (Atrides) ................................................................................................................................... 5
Côte troyen .............................................................................................................................................. 5
De la guerre de Troie au mythe .................................................................................................................... 6
De l’énigme archéologique....................................................................................................................... 6
Au mythe ................................................................................................................................................. 7
Chez Giraudoux............................................................................................................................................ 7
Référence aristotélicienne : la Poétique (extraits) ............................................................................................ 8
L’imitation ............................................................................................................................................... 8
Pitié et purgation ..................................................................................................................................... 8
Primat de l’action ..................................................................................................................................... 8
De l’action « sous les yeux » ..................................................................................................................... 8
Le probable .............................................................................................................................................. 8
La péripétie .............................................................................................................................................. 8
La densité ................................................................................................................................................ 9
La tragédie classique........................................................................................................................................ 9
RACINE, première préface............................................................................................................................ 9
Par Muriel MAYETTE .................................................................................................................................... 9
Selon Christian BIET ................................................................................................................................... 10

Les sources antiques

Prologue de la pièce d’Euripide

ANDROMAQUE :

Splendeur de la terre d'Asie, ville de Thèbe,


Je t'ai quittée avec l'or fastueux de ma dot,
Quand, donnée à Hector comme femme, pour lui faire des enfants,
Je suis venue au palais royal de Priam.
En ce temps-là, oui, j'étais cette Andromaque que l'on jalousait ;
Maintenant, la femme la plus malheureuse
De tous les temps, c'est bien moi.
J'ai vu mon mari, Hector, mourir sous les coups d'Achille ;
Astyanax, l'enfant que j'avais fait à cet homme,
Je l'ai vu jeter des hautes tours,
Quand les Grecs eurent pris la terre de Troie,
Et moi, alors que ma famille était réputée
La plus libre qui fût, je suis venue, esclave, en Grèce,
Attribuée à l'homme de l'île, à Néoptolème, comme sa part de guerre :
On m'a donnée à lui comme la fleur du butin de Troie.
J'habite ici, sur le territoire de cette Phthie
Et de la ville de Pharsale, une terre où demeurait, avec Pélée,
Loin des hommes, fuyant le monde,
La marine Thétis. Le peuple de Thessalie
Donne à ce lieu le nom de Thétidion, en mémoire des noces de la déesse.
Le fils d'Achille s'est installé ici, dans cette maison ;
Il laisse Pélée régner sur Pharsale ;
Tant que le vieil homme est en vie, il ne veut pas lui prendre son sceptre.
Et moi, dans cette maison, couchant avec le fils d'Achille,
Mon maître, je donne naissance à un enfant mâle.
En un premier temps, j'avais beau être malheureuse,
L'espoir me faisait toujours trouver défense
Et remèdes contre mon mal, parce que mon fils était vivant.
Mais maintenant qu'il a pour femme Hermione, la Laconienne,
Et qu'en maître, il a méprisé ma couche d'esclave,
Je suis en butte aux cruelles persécutions de cette femme.
Elle prétend que j'ai des philtres secrets
Qui la rendent stérile et la font détester de son mari,
Que je veux habiter en personne ce palais
A sa place et mettre fin par un coup de force à son propre mariage.
Ce qu'au début j'avais accepté sans le vouloir,
Je l'ai perdu maintenant. Que Zeus le Grand le sache,
Je ne suis pas entrée dans son lit par plaisir !
Mais je ne la persuade pas ; elle veut me tuer,
Et le père, Ménélas, prête la main à sa fille.
Il est justement dans la maison ; il est arrivé de Sparte
Pour cela même. J'ai peur, je suis venue
M'asseoir ici, près du palais,
Dans le sanctuaire de Thétis ; elle empêchera peut-être que je meure.
Pélée, et, avec lui, ses descendants
Honorent ce lieu, la trace visible des noces de la fille de Nérée.
Le seul enfant que j'ai, je le fais conduire en secret
Dans une autre maison, par peur qu'on ne le tue,
Car son père n'est pas à côté de moi
Pour m'aider ; il n'est d'aucune utilité pour son fils ; il est absent.
Il est dans la terre de Delphes, où il offre réparation à Loxias
De la folie qui l'a conduit autrefois, dans le sanctuaire de Pythô,
A demander réparation à Phoïbos du meurtre de son père.
Il espère, en lui demandant grâce pour ses errements passés,
Obtenir du dieu qu'il lui soit propice dans l'avenir.1

VIRGILE, Enéide, III

Là, un récit incroyable parvient aussitôt à nos oreilles :


Hélénus, le fils de Priam, règne sur des villes grecques,
il possède et l'épouse et le trône de Pyrrhus l'Éacide ;
Andromaque une seconde fois est échue à un époux de son pays.
Je restai stupéfait et mon cœur brûlait d'un désir sans borne
de parler au héros, d'être informé d'événements si importants.
Je m'éloigne du port, laissant ma flotte et le rivage ; à ce moment,
aux portes de la ville, dans un bois sacré, près du cours d'un faux Simoïs,
Andromaque offrait un repas rituel et des présents funèbres ;
elle versait une libation aux cendres d'Hector et invoquait ses Mânes
près d'un tertre vide qu'elle avait recouvert de vert gazon
et consacré avec deux autels, pour venir y pleurer.
Dès qu'elle me vit approcher et entouré d'armes troyennes,
elle fut épouvantée par cet extraordinaire prodige ;
son regard se figea, la chaleur quitta ses membres,
elle tomba évanouie et, après un long moment, balbutia :
« Est-ce ton vrai visage, viens-tu vers moi en vrai messager,
fils de déesse ? Es-tu vivant ? Ou, si la lumière s'est retirée de ta vie,
où est Hector ? », et elle fondit en larmes, emplissant l'espace
de ses cris. J'ai peine à répondre à cette femme éperdue
et, dans mon trouble, je balbutie ces quelques mots :
« Oui, je suis vivant, et ma vie connaît mille épreuves terribles ;
n'en doute pas, ce que tu vois est bien la réalité !
Hélas ! privée d'un époux si valeureux, quel sort as-tu connu ?
Quel nouveau destin assez digne de toi as-tu connu, Andromaque,
épouse d'Hector ? Es-tu toujours l'épouse de Pyrrhus ?
Elle baissa les yeux et, d'une voix éteinte, dit :
« Elle est heureuse entre toutes, la fille de Priam,
qui, près du tertre d'un ennemi, sous les hauts murs de Troie,

1
Trad. J. & M. BOLLACK pour les Ed. de Minuit (1994) pp. 13-15
fut condamnée à mourir, sans avoir à subir un tirage au sort
et sans avoir à partager, captive, la couche d'un vainqueur !
Moi, après l'incendie de notre patrie, emportée à travers les mers,
j'ai enduré la morgue du rejeton d'Achille et son orgueil juvénile,
et j'ai accouché dans la servitude. Ensuite, Pyrrhus a suivi Hermione,
la fille de Léda, et a contracté un hymen lacédémonien ;
l'esclave que je suis, il l'a transmise à son esclave Hélénus.
Mais, brûlant d'un amour infini pour sa fiancée enlevée,
et agité par les Furies suite à ses crimes, Oreste surprit Pyrrhus
qui était sans méfiance, et l'égorgea près de l'autel de ses pères.
À la mort de Néoptolème, une partie du royaume revint à Hélénus,
qui donna à ces champs le nom de Chaoniens,
et appela Chaonie toute la région, en l'honneur du Troyen Chaon.
Sur les hauteurs, il ajouta une Pergame, la citadelle troyenne que voici.
Mais, toi, quels vents, quels destins ont dirigé ta course ?
Ou quel dieu t'a poussé, à ton insu, vers nos rivages ?
Qu'en est-il du petit Ascagne ? A-il survécu ? Respire-t-il ?
Lui que Troie à tes soins désormais...
Cependant l'enfant s'inquiète-t-il de sa mère disparue ?
L'exemple de son père Énée et de son oncle Hector
le pousse-t-il à l'antique vertu et aux sentiments héroïques ? »
Toute en larmes, elle exprimait bien en vain ces propos ponctués
de longs gémissements, quand, s'amène depuis les remparts
Hélénus, le héros Priamide, suivi d'une nombreuse escorte.
Il reconnaît les siens et, heureux, les conduit à sa demeure,
entrecoupant chacune de ses paroles d'abondantes larmes.

La guerre de Troie

Où ?
Qui?

Côté grec (Atrides)

Côte troyen
De la guerre de Troie au mythe
Par Annie SCHNAPP-GOURBEILLON, MCF en Histoire ancienne à l'université de Paris VIII, itw pour Géo2

Grèce égéenne

Grèce archaïque

De l’énigme archéologique
La ville de Troie a existé, sans l’ombre d’un doute. On en a des traces archéologiques, et on retrouve ce nom dans
la correspondante hittite. Il est probable qu’elle ait subi une attaque d’un ennemi extérieur, probablement des
Mycéniens, puisqu’elle a été détruite de manière violente dans la seconde moitié du XIIIème siècle av. J.-C. On
sait que les Mycéniens vivaient essentiellement de pillages et de rapines - Ulysse lui-même se vante d’être un
pirate ! Donc qu’il y ait eu une expédition d’un roi de Mycène pour aller récupérer des richesses et des captives
sur la rive orientale de la mer Egée, c’est tout à fait plausible.

2
https://www.geo.fr/histoire/la-guerre-de-troie-a-t-elle-vraiment-eu-lieu-201910
Ce qui est passionnant dans cette histoire, c’est la chute des royaumes mycéniens. Des révoltes, de paysans ou
de nobles, on l’ignore, ont mis à bas un système de prédation. Ce qui est étonnant en revanche, c’est que
personne n’a essayé de prendre la place du pouvoir ! Les sites mycéniens ont été abandonnés, purement et
simplement." […]

Pour moi, la grande interrogation, c’est celle-ci : comment se termine cette histoire mycénienne ?

Au mythe
Au moment de la rédaction de l’épopée de la Guerre de Troie, l’empire mycénien s’est effondré, mais ses histoires
sont restées dans les mémoires. Tout cela a été chanté pendant des siècles, et Homère y a puisé pour écrire sa
propre composition.

Les Grecs n’ont pas de chroniques. Ce qui les intéresse, c’est le mythe. Les Grecs créent le mythe à partir d’un
élément historique qu’ils dépassent, transcendent. L’historien Jean-Pierre Vernant [spécialiste de la Grèce
antique et auteur notamment des Origines de la pensée grecque, NDLR] disait que le mythe est une
réponse à une question qui n’a pas de réponse.

Chez Giraudoux
La guerre de Troie n’aura pas lieu (1935). Premier acte, Scène 3.

HECTOR. – Ton fils peut être lâche. C’est une sauvegarde.

ANDROMAQUE. – Il ne sera pas lâche. Mais je lui aurai coupé l’index de la main droite.

HECTOR. – Si toutes les mères coupent l’index droit de leur fils, les armées de l’univers se feront la guerre sans
index… Et si elles lui coupent la jambe droite, les armées seront unijambistes… Et si elles lui crèvent les yeux,
les armées seront aveugles, mais il y aura des armées, et dans la mêlée elles se chercheront le défaut de l’aine,
ou la gorge, à tâtons…

ANDROMAQUE. – Je le tuerai plutôt.

HECTOR. – Voilà la vraie solution maternelle des guerres.

ANDROMAQUE. – Ne ris pas. Je peux encore le tuer avant sa naissance.

HECTOR. – Tu ne veux pas le voir une minute, juste une minute ? Après, tu réfléchiras… Voir ton fils ?

ANDROMAQUE. – Le tien seul m’intéresse. C’est parce qu’il est de toi, c’est parce qu’il est toi que j’ai peur. Tu
ne peux t’imaginer combien il te ressemble. Dans ce néant où il est encore, il a déjà apporté tout ce que tu as
mis dans notre vie courante. Il y a tes tendresses, tes silences. Si tu aimes la guerre, il l’aimera… Aimes-tu la
guerre ?

HECTOR. – Pourquoi cette question ?

ANDROMAQUE. – Avoue que certains jours tu l’aimes.

HECTOR. – Si l’on aime ce qui vous délivre de l’espoir, du bonheur, des êtres les plus chers…

ANDROMAQUE. – Tu ne crois pas si bien dire… On l’aime.

HECTOR. – Si l’on se laisse séduire par cette petite délégation que les dieux vous donnent à l’instant du combat…

ANDROMAQUE. – Ah ? Tu te sens un dieu, à l’instant du combat ?


HECTOR. – Très souvent moins qu’un homme… Mais parfois, à certains matins, on se relève du sol allégé,
étonné, mué. Le corps, les armes ont un autre poids, sont d’un autre alliage. On est invulnérable. Une tendresse
vous envahit, vous submerge, la variété de tendresse des batailles : on est tendre parce qu’on est impitoyable
; ce doit être en effet la tendresse des dieux. On avance vers l’ennemi lentement, presque distraitement, mais
tendrement. Et l’on évite aussi d’écraser le scarabée. Et l’on chasse le moustique sans l’abattre. Jamais l’homme
n’a plus respecté la vie sur son passage…

ANDROMAQUE. – Puis l’adversaire arrive ? …

HECTOR. – Puis l’adversaire arrive, écumant, terrible. On a pitié de lui, on voit en lui, derrière sa bave et ses
yeux blancs, toute l’impuissance et tout le dévouement du pauvre fonctionnaire humain qu’il est, du pauvre
mari et gendre, du pauvre cousin germain, du pauvre amateur de raki et d’olives qu’il est. On a de l’amour pour
lui. On aime sa verrue sur sa joue, sa taie dans son œil. On l’aime… Mais il insiste… Alors on le tue.

Référence aristotélicienne : la Poétique (extraits)


L’imitation
Comme ceux qui imitent des gens qui agissent et que ceux-ci seront nécessairement bons ou mauvais (presque
toujours les mœurs se rattachent à ces deux seules qualités, et tous les hommes, en fait de mœurs, diffèrent
par le vice et par la vertu), il s'ensuit nécessairement aussi que nous imitons des gens ou meilleurs qu'on ne
l'est dans le monde, ou pires, ou de la même valeur morale. […] V. La même différence sépare la tragédie et la
comédie. Celle-ci tend à imiter des êtres pires ; celle-là des êtres meilleurs que ceux de la réalité actuelle.

Pitié et purgation
[…] La tragédie est l'imitation d'une action grave et complète, ayant une certaine étendue, présentée dans un
langage rendu agréable et de telle sorte que chacune des parties qui la composent subsiste séparément, se
développant avec des personnages qui agissent, et non au moyen d'une narration, et opérant par la pitié et la
terreur la purgation des passions de la même nature.

Primat de l’action
[…] XI. Le point le plus important, c'est la constitution des faits, car la tragédie est une imitation non des
hommes, mais des actions, de la vie, du bonheur et du malheur ; et en effet, le bonheur, le malheur, réside dans
une action, et la fin est une action, non une qualité. […] Aussi ce n'est pas dans le but d'imiter les mœurs que
(les poètes tragiques) agissent, mais ils montrent implicitement les mœurs de leurs personnages au moyen des
actions. […) IX. Du reste, pour donner une détermination absolue, je dirai que, si c'est dans une étendue
conforme à la vraisemblance ou à la nécessité que l'action se poursuit et qu'il arrive successivement des
événements malheureux, puis heureux, ou heureux puis malheureux, il y a juste délimitation de l'étendue.

De l’action « sous les yeux »


Il faut constituer les fables et les mettre d'accord avec les discours en se mettant, autant que possible, les faits
devant les yeux ; car, de cette façon, voyant les choses très clairement, comme si l'on était mêlé à l'action elle-
même, on trouvera l'effet convenable et l'on ne laissera pas échapper les contrastes.

Le probable
VI. Pour la tragédie, les poètes s'emparent des noms de personnages qui ont existé. La raison en est que ce qui
est possible est probable ; or, ce qui n'est pas arrivé, nous ne croyons pas encore que ce soit possible ; mais ce
qui est arrivé, il est évident que c'est possible, car ce ne serait pas arrivé si c'était impossible.

La péripétie
La péripétie est un changement en sens contraire dans les faits qui s'accomplissent, comme nous l'avons dit
précédemment, et nous ajouterons ici "selon la vraisemblance ou la nécessité."
La densité
(Elle -la tragédie- est supérieure) aussi en ce que le but de l'imitation y est atteint dans une étendue moins
considérable (que pour l'épopée) ; car ce qui est plus resserré donne plus de plaisir que ce que l'on répand sur
une longue période de temps.

La tragédie classique
Régulière, racinienne

RACINE, première préface


Horace nous recommande de peindre Achille farouche, inexorable, violent, tel qu'il était, et tel qu'on dépeint
son fils. Aristote, bien éloigné de nous demander des héros parfaits, veut au contraire que les personnages
tragiques, c'est-à-dire ceux dont le malheur fait la catastrophe de la tragédie, ne soient ni tout à fait bons, ni
tout à fait méchants. Il ne veut pas qu'ils soient extrêmement bons, parce que la punition d'un homme de bien
exciterait plus l'indignation que la pitié du spectateur ; ni qu'ils soient méchants avec excès, parce qu'on n'a
point pitié d'un scélérat. Il faut donc qu'ils aient une bonté médiocre, c'est-à-dire une vertu capable de faiblesse,
et qu'ils tombent dans le malheur par quelque faute qui les fasse plaindre sans les faire détester.

mise en sc. Muriel MAYETTE pour la Comédie Française (2010)

Par Muriel MAYETTE3

Andromaque est une pièce d’après-guerre. Troie est anéantie et les traumatismes engendrés par cette violence
sont irréparables. Aucun des protagonistes ne sait s’en relever, ne peut oublier le sang répandu au nom de la
conquête. Une pièce nécessaire qui raconte l’abîme que peut engendrer la volonté de pouvoir. Les
protagonistes luttent pour rester debout, mais ce sont des loques de souffrance qui cherchent aveuglément
une paix dans la mort. Tous les personnages ici sont traumatisés et ne peuvent rien y changer. Une cascade de
ratages, dérapages, trahisons. Ce sont des fauves dans un lieu de hasard qui tournent en rond et parfois l'un
d'entre eux rugit.

3
« Andromaque ou le chant des morts », par Muriel MAYETTE, metteur en scène, DP, Comédie française, 2010.
Pyrrhus, le héros victorieux du massacre, souffre de sa gloire car elle le maintient dans un ordre ancien établi
qui le culpabilise, qu’il subit. Andromaque rescapée d’un peuple tout entier exterminé, esclave et récompense
du vainqueur, reste fidèle à son époux, à son histoire, refusant toute tentative de réparation. Avec son fils
Astyanax, qu’elle a sauvé, elle reste le seul témoin d’un peuple dont elle porte la mémoire et avec cette
mémoire une nécessaire vengeance. Hermione, promise depuis l’enfance à Oreste puis à Pyrrhus fils d’Achille,
rêve d’un règne exemplaire avec le héros, d’un couple idéal légitime. Oreste matricide, à qui l’on a retiré
Hermione auparavant promise, amoureux de ce passé volé, souffre d’une malédiction familiale et cherche à
sortir de sa vie maudite, à rejoindre les serpents de l’enfer. Enfin Pylade, ami amoureux et dévoué jusqu’à la
mort, meurtrier complice de l’infortuné Oreste, stratège politique d’une armée en attente, offre
désespérément sa vie, sa propre histoire, au héros fou qui n’attend le repos que dans les ténèbres. C’est donc
un quintette, où l’amour se trompe toujours d’interlocuteur. Les héros sont jeunes, refusant de choisir entre la
raison et la passion. Aucun espace pour la conciliation dans cette œuvre. […]

La pièce commence dans le chaos, après une année à panser les blessures, à tenter l’oubli, à imaginer une
nouvelle page d’histoire, une réparation possible. Mais on ne peut rien réparer. Une année à ne rien décider, à
ne rien vivre... La folie ou la mort sont donc une sorte de libération attendue, espérée.

Pyrrhus tente d’imposer la reconstruction. Il se veut père du fils d’Hector, époux d’Andromaque, protecteur des
Troyens qu’il a lui-même détruits. Cet amour est sa seule chance de réparation, son rêve d’une page blanche.
Mais chacun est là pour la lui interdire au nom de la mémoire, de la parole donnée...

Astyanax sera épargné, c’est donc l’histoire de la sauvegarde d’un enfant. Mais au-delà, c’est aussi l’histoire de
l’impossible changement du monde.

Selon Christian BIET4


Le destin d'un personnage de la tragédie racinienne est d'abord de parler, en alexandrins et durant cinq actes,
pour enfin se taire. Pas de gesticuler, de se battre sur scène avec de fausses épées, de lutter contre un monstre
de bois et de cordes venu des cintres ou de répandre un sang contrefait. La voix, le visage et quelques postures
des comédiens sont là pour souligner que la tragédie est d'abord un poème par lequel tout doit passer. Par
cette parole et par cette voix, par ce texte poétique psalmodié, s'engouffrent ainsi les émotions et la réflexion
du spectateur car, dans cette disposition réglée, émotion et réflexion vont de pair.

[…] Racine ajoute un second écart, interne au personnage, une diffraction qui rend nécessaire de penser le
rapport entre ce qui constitue le personnage (et qu'on peut appeler un destin qui le guide), son discours sur lui-
même (Phèdre se voit prise dans les feux de la passion) et son action (l'effet de son état qu'on peut nommer
débordement passionnel, la résistance à cet état qu'on peut appeler la volonté, ou l'impossible résistance à cet
état). Ce rapport détermine l'action ou la non-action du
personnage, en tout cas sa parole.

PN GUERIN, Andromaque et Pyrrhus (v. 1810)

4
https://eduscol.education.fr/odysseum/le-destin-dans-phedre-ou-lenchainement-des-causes

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